Dedans Dehors n°70-71 Prison : le recul de l'histoire

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Observatoire international des prisons Section française 10 € N°70-71 Décembre 2009

Prison : le recul de l’histoire Une illusion tenace s’est peu à peu évanouie. Celle d’un projet de loi pénitentiaire emportant l’adhésion de tous les acteurs du monde de la prison et reflétant un large consensus politique. Reste la réalité crue. Un texte qui oscille entre la consécration du « pareil » et l’avènement du « pire ». Inadmissible et effrayant. Une réforme dont il peut être certain qu’elle sera à l’origine d’une substantielle et tragique dégradation de la condition carcérale. Tant ses tenants sont aux antipodes des constats du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, tant ses aboutissants vont à rebours des préconisations du Conseil de l’Europe. Un comble, quand la voie était tracée de longue date, la feuille de route inlassablement rappelée. L’administration pénitentiaire, par delà le ministère de la justice et le gouvernement, est parvenue à ses fins. C’est peu dire qu’elle ne souhaitait pas que son territoire soit rendu à l’espace de la loi commune. Et que ses us et coutumes laissent place aux impératifs de l’Etat de droit et aux exigences des droits de l’homme. Placé sous l’empire d’une politique pénale qui ne cesse de renforcer le béton dont elle s’est armée et sous l’emprise d’une politique pénitentiaire qui déploie sa chape de plomb, l’avenir des geôles françaises est pour le moins inquiétant. « Le milieu carcéral, estil encore utile de le rappeler, constitue toujours une négation de la démocratie » déplorent d’une même voix deux générations de criminologues canadiens, après avoir constatés que « l’incarcération, état en quelque sorte contre nature, reste un problème insoluble ». Insoluble, donc Patrick Marest pas éternel.

Loi pénitentiaire: du pareil au pire

Prisons d’autres temps et d’autres mœurs ? Avec les interviews de Dominique Rousseau, Martine Herzog-Evans, Gaëtan Cliquenois, Catherine Paulet...

L’exposition photographique proposée par le musée Carnavalet sur les prisons parisiennes du milieu du XIXe siècle jusqu’à nos jours est l’occasion d’un « arrêt sur images » opportun. D’abord, parce que la capitale a vu apparaitre puis disparaitre pas moins d’une vingtaine de « bastilles » sur son territoire, depuis l’époque de l’invention de la chambre obscure par Niepce. Il est bon de ne pas l’ignorer et d’en garder mémoire. Ensuite, parce que sa conceptrice, Catherine Tambrun, dit s’être intéressée au-delà de la prison « aux représentations de la prison », ce qui l’a conduite à s’inscrire dans une démarche qu’elle qualifie de « polyphonique ». Autrement dit, loin d’organiser un simple parcours thématique à base de photos légendées – au risque pour le visiteur d’en rester aux clichés d’une certaine imagerie carcérale – elle a voulu donner une place à la vidéo, et plus encore aux mots. C’est ainsi qu’elle a invité l’anthropologue Philippe Artières, l’historien Christian Carlier, le sociologue Gilles Chantraine, et bien d’autres, à poser leur regard sur le corpus qu’elle avait rassemblé. Avec

la ferme volonté de faire parler ces calotypes, phototypes et autres supports photographiques apparus au rythme des découvertes techniques. Et nous donner accès à l’essentiel, à tout ce que ces captations d’images nous disent de la condition pénitentiaire au fil des 150 dernières années. Et elles en disent long. Sur l’hybridation permanente de ces forteresses dédiées à une peine – l’enfermement – qui n’en finit pas de chercher son sens. Et, à défaut de l’avoir trouvé, sur l’extraordinaire capacité de l’homme à se perdre dans la punition des corps, ou à s’égarer dans le redressement des comportements et le relèvement des âmes. À cet égard, l’initiative de Carnavalet ne nous enseigne pas seulement que la prison, comme l’enfer, peut se paver des meilleures intentions, elle nous avertit aussi de la perpétuelle démesure des moyens de contrainte mis en œuvre, du raffinement infini des méthodes de coercition employées, et de la nature profonde des souffrances infligées. Prisons d’autres temps Sébastien Daniel et d’autres mœurs ? À vous de juger !

Avec les contributions de Philippe Artières, Christian Carlier, Gilles Chantraine, Albert Jacquard...


EDITORIAL

Le recul de l’histoire « Certains prétendent que la prison est l’école de la récidive. Je veux en faire l’école de la lutte contre la récidive ». Le propos de la Garde des Sceaux en marge de l’inauguration de la prison de Vivonne (Vienne), le 18 décembre, vaut programme. Ne nous y trompons pas, ces quelques mots en disent autant, si ce n’est plus, que les cent articles de la loi pénitentiaire sur la pénalité qu’entend mettre en œuvre Michelle Alliot-Marie. Ils témoignent d’une approche dont les sources d’inspiration sont à retrouver dans les théories de la « défense sociale » et de la « défense sociale nouvelle ». Doctrines dont on pouvait espérer qu’elles restent enfouies à jamais au fond des poubelles de l’histoire. En effet, au nom de la « protection de la société », fonction première assignée à la peine, elles s’égarèrent un siècle durant - jusqu’aux révoltes des années soixante-dix - dans la définition de la « personnalité criminelle » et de « l’état dangereux ». Avec les résultats que l’on sait. La première nous a laissé en héritage un poison dont les effets se font encore sentir : juger la personne non plus seulement pour l’acte commis, mais aussi pour ceux qu’elle pourrait commettre, désignant ainsi des « irrécupérables » qu’il convient de reléguer pour une durée indéterminée. La seconde est restée en mémoire comme la vaine tentative de transformation des prisons en « infirmeries du crime » où le « relèvement des âmes » des « antisociaux », « asociaux » et autres « amendables » se devait d’être assuré par l’application de traitements différenciés. La dérive vers ces « modèles » de l’actuelle politique pénale et pénitentiaire est patente. Loin de signifier la métamorphose du vice en vertu, la rhétorique d’une prison qui se voudrait une « école de la lutte contre la récidive » réhabilite une vieille ritournelle. Une nouvelle fois l’existence de récidivistes légitime une prison décrétée propice à la prévention de la récidive. Alors même que la récidive révèle l’échec de la prison. Patrick Marest N°70-71 Décembre 2009

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SOMMAIRE 3 Actu La disparition de la CNDS est une sorte d’hommage La pénitentiaire hors contrôle ? Le contrôle en mode majeur 7 De facto : Suicides : une étude partielle et partiale de l’INED Suicide d’un « irrécupérable » Arles : « supermax » à la Française ? Castration, récidive : « Allons jusqu’au bout de notre logique » Un détenu « libéré » du quartier disciplinaire

9 Dossier

Loi pénitentiaire : du pareil au pire La loi pénitentiaire est une loi inapplicable en l’état La sécurité pénitentiaire est l’ennemie de la sécurité publique Loi pénitentiaire : ce que dit le texte Nous ne pouvons nous résoudre aux commentaires inspirés de la vulgate foucaldienne L’OIP s’attaque aux logiciels de suivi comportemental de l’AP En prison, une porte ouverte ou fermée, ça change tout Pas de confiance sans confidentialité

27 International « C’est tout simplement une décharge humaine » 28 En droit « Faisons un peu confiance à l’administration pénitentiaire ! » DPS : une décision particulièrement salutaire Une partie des détenus va pouvoir acheter sa télé… et devoir payer la redevance Une condamnation de l’Etat qui pourrait faire tâche d’huile 31 Lettres ouvertes Ce numéro double contient également, encarté au centre du magazine, un dossier en couleur, intitulé « Prisons d’autres temps et d’autres mœurs ? », de 24 pages, numéroté en chiffres romains de I à XXIV, réalisé en partenariat avec le musée Carnavalet à l’occasion de l’exposition L’impossible photographie : prisons parisiennes (1851-2010)

DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél.: 01 44 52 87 90, Fax: 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directrice de la publication : Florence Aubenas Rédaction en chef : Patrick Marest Rédaction : Béatrix J.S. Allan, Sébastien Daniel, Stéphanie Djian, Elsa Dujourdy, Tito Galli, Stéphane Laurent, Patrick Marest. Secrétariat de rédaction : Marianne Bliman, Stéphanie Djian, Marie-Anne Duvergne, Anne Fellmann, Julie Namyas. Identité graphique : MG., L.D.<dlaranjeira@caramail.com> Maquette : Claude Cardot/Vélo Photos : Cglpl, D.R, musée Carnavalet. Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 numéro CPPAP en cours Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30  Prix au numéro : 5  Couverture : D.R.


ACTU

La création prochaine du Défenseur des droits risque de se traduire par la disparition du Défenseur des enfants et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Entretien avec le président de cette dernière, Roger Beauvois, qui, face au tollé, a dressé le 24 novembre 2009, un bilan critique et offensif de son action.

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« S’il y a moins de saisines relatives à la prison qu’à la police, c’est qu’il est sans doute plus facile de contacter un parlementaire quand on est libre. »

La disparition de la CNDS

est une sorte d’hommage Pourquoi la CNDS risque-t-elle de disparaître ? Roger Beauvois : Officiellement parce qu’en vertu de la loi du 23 juillet 2008, va être créé le Défenseur des droits. Et qu’il ne suffit pas de l’inscrire dans la Constitution, encore fallait-il donner à cette institution -à l’origine, un ombusman, c’est-à-dire un Médiateur de la République aux compétences élargies-quelques attributions. On lui a donc confié celle du Défenseur des enfants et de la CNDS. Avec, pour appuyer notre disparition, plusieurs arguments. Une plus grande lisibilité, nous dit-on, pour des citoyens ne sachant quelle autorité solliciter. Or, je ne pense pas qu’il soit plus facile de s’adresser à une institution qui s’occupe de tout. Alors que la CNDS est de plus en plus connue et reconnue. La première année, nous avions traité une vingtaine de cas. En 2008, nous en avons traité 152 et, fin 2009, nous en sommes à plus de 210. Autre argument avancé : faire des économies. Sauf que ce ne sont pas nos 800.000,00 euros de budget annuel qui grèvent les finances de l’État, d’autant qu’il est à espérer que le Défenseur des droits aura plus de collaborateur que nous. Alors, peut-être que ce qui explique qu’on veuille nous voir disparaître, c’est que la CNDS était gênante. D’une certaine manière, c’est un hommage.

Quid des ministères ? Car vos recommandations sont rarement suivies. Au point qu’il vous a été nécessaire d’en publier certaines au Journal Officiel. R. B. : Cette procédure n’était pas liée à un défaut de réponse mais à une absence de suivi. Toutefois, si nos recommandations individuelles – c’est-à-dire la demande d’ouverture d’une procédure disciplinaire – sont très peu suivies, celles d’ordre général le sont davantage, en témoignent certaines instructions. Nous continuons donc de travailler comme si la CNDS ne devait pas disparaître et comptons sur les parlementaires afin que l’institution ou au moins la mission survive pour que la population continue de bénéficier des garanties offertes par la CNDS en matière de déontologie de la sécurité.

Qui a eu raison de vous ? R. B. : Je n’en sais rien. Néanmoins, sans préjuger de leur influence, les marques d’hostilité les plus fortes venaient de certains syndicats de police.

De fait, que reprochez-vous au Défenseur des droits ? R. B. : Le premier point d’achoppement, c’est l’indépendance. Pour la CNDS, elle est garantie par le mode de désignation de ses membres et par sa composition : le président est désigné par le chef de

Vous réclamez d’ailleurs un certain nombre d’améliorations… R. B. : Outre des moyens supplémentaires, il faudrait permettre la saisine directe de la CNDS, sans avoir besoin d’en passer par un parlementaire. Ce serait, pour les détenus notamment, un progrès. Et cela améliorerait notre efficacité.

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La pénitentiaire hors contrôle ? La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 recèle bien la formidable régression qui était redoutée sur la question du contrôle des prisons. Déposé sur le bureau du Sénat le 9 septembre 2009, le projet de loi organique entend consacrer l’émergence d’un « ombudsman à la française » qui, au-delà du simple élargissement des compétences de l’actuel Médiateur de la République, insuffle un poison dont les effets se feront sentir à double échéance. En effet, l’apparition du « Défenseur des droits » ne rime pas seulement avec l’absorption immédiate de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), elle anticipe également la disparition programmée du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Une telle perspective n’augure rien moins que d’un bond en arrière d’une dizaine d’années. Quand la pénitentiaire avait tout à la fois demandé et obtenu d’être exemptée du champ de contrôle de la future CNDS, et réussi à reporter sine die la création d’un contrôle indépendant des prisons. Cette administration a décidément la rancœur tenace. Et de la suite dans les idées. Elle qui fut finalement contrainte

l’État et les parlementaires ainsi que les représentants du Conseil d’État, de la Cour de Cassation et de la Cour des comptes par leurs pairs, ces huit membres en choisissant six autres. A contrario, le Défenseur des droits sera nommé par le président de la République et, en matière de sécurité, fera appel à un collège de trois personnes, désignées – pour leurs compétences en matière de sécurité – par le chef de l’État et les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale. Outre que leur avis ne sera que consultatif, c’est l’autorité politique qui les désignera directement. Par ailleurs, quid du pluralisme ? A la CNDS, il y a des juristes, des universitaires, des avocats, un ancien directeur de la police et un autre de l’Administration pénitentiaire. L’assurance d’une expertise et d’une diversité de points de vue qui, dans la confrontation, garantit la solidité de nos avis. Pour l’instant, on ne sait pas qui seront les collaborateurs du Défenseur des droits. Quant à ses pouvoirs, ils sont à la fois trop larges et trop restreints. Trop larges parce que ses compétences en matière de déontologie de sécurité seront diluées. Trop large aussi parce qu’il pourra classer sans suite sans avoir besoin de motiver cette décision. Ses pouvoirs sont néanmoins trop restreints puisque, contrairement à la CNDS, les autorités concernées pourront se soustraire à toute demande d’investigation pour des « raisons de sécurité » ou en cas de « circonstances exceptionnelles ». Trop restreint enfin puisque, s’il est possible de le saisir directement, toute saisine indirecte devra recueillir l’aval de la personne concernée ou de ses ayant-droit. En clair, impossible de traiter une expulsion ou la mort suspecte d’un détenu sans famille.

de se soumettre aux avis et recommandations de la Commission de déontologie puis du Contrôleur général, n’a de cesse depuis lors de tenter d’en disqualifier les travaux. Traduisant l’obsession de cette institution à neutraliser toute forme de contestation comme sa propension à s’affranchir des exigences du respect de l’État de droit. Un funeste penchant que ne réfrènent ni le statut d’autorités administratives indépendantes des instances visées, ni le fait qu’elles soient le fruit de la volonté du législateur ou d’engagements internationaux de la France. Reste que l’administration pénitentiaire a eu gain de cause. Il ne fait mystère à personne qu’il s’agissait là de régler des comptes, là où l’institution ne veut en rendre qu’à elle-même. « Avant d’être externe, le contrôle devrait être interne » assénait son directeur, Claude d’Harcourt, lors d’une allocution au titre prémonitoire « Le système pénitentiaire est-il réformable ? ». C’était le 19 juin 2008, quelques jours après la nomination de Jean-Marie Delarue. Un mois avant la loi constitutionnelle. Patrick Marest

R. B. : Je ne crois pas. Il y a en effet moins de saisines relatives à la prison qu’à la police. Pour une raison simple : il y a moins de personnes en prison que de personnes concernées par les opérations de police et il est plus facile de contacter un parlementaire lorsqu’on est libre. Quant aux affaires que nous traitons, il est souvent question de violences. Mais aussi – et c’est peut-être une spécificité – de la question de l’hospitalisation des détenus, tant du point de vue de l’accès aux soins que des conditions de sécurité. D’ailleurs, c’est à l’occasion de l’hospitalisation d’un détenu, qui venait d’être arrêté après s’être évadé, que l’on nous a refusé de pouvoir le voir. Une première qui ne nous a pas empêché d’attirer l’attention sur la question de l’accès aux soins comme sur celle, saillante, des mineurs.

« La première année, nous avons traité une vingtaine de saisines. En 2009, on en est à plus de 210 »

La prison est-elle, pour la CNDS, un domaine d’intervention spécifique, le directeur de l’AP se félicitant du peu de saisines relatives à la pénitentiaire ? Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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Pensez-vous que d’autres autorités – le budget de la Haute autorité de lutte contre les discriminations a été amputé de 650 000 euros – risquent, elles aussi, de disparaître ? R. B. : Si ce n’est pas à l’ordre de jour, ce n’est pas impossible. Notamment pour le contrôleur général des lieux de privation de liberté dont les attributions ne sont pas très éloignées de celles de la CNDS. Toutefois, il s’est vu assuré d’aller jusqu’au bout de son mandat, ayant été nommé au moment où était envisagé la création du Défenseur des droits. Que signifierait la disparition de la CNDS ? R. B. : Plus qu’un changement d’époque, notre disparition s’inscrirait dans un mouvement général de renforcement du domaine de la sécurité.

Entretien réalisé par Sébastien Daniel


ACTU

Contrôleur des lieux de privation de liberté

Le contrôle en mode majeur

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e définissant volontiers « ethnologue » afin de « saisir la réalité » des lieux d’enfermement, Jean-Marie Delarue peaufine le « portrait de la France captive » ébauchée dans son premier rapport annuel. De recommandations en avis, de rencontres-débats en interviews, il dissèque au scalpel l’ordinaire de la détention. En témoigne la série de comptes-rendus qu’il vient de mettre en ligne (www.cglpl.fr), points d’orgue de visites effectuées, de septembre à décembre 2008, au sein de cinq maisons d’arrêt, un établissement pour mineurs, un centre de semi-liberté, un centre pénitentiaire et deux centres hospitaliers accueillant des détenus. Du décryptage de ces 250 pages se dégagent six grandes catégories : la vie en détention, les différents quartiers, la sécurité, les droits des personnes détenues, leur prise en charge, la santé et, enfin, la sortie. Avec un seul et même objectif : « Vérifier que chaque personne est traitée avec dignité ». Sans surprise, le bas blesse. Les atteintes aux droits élémentaires, les dysfonctionnements sont légions. Aucun des constats du Contrôleur ne demeure sans une « recommandation » appropriée. Il indique à la maison d’arrêt de Nice que « la seconde cabine de fouille du quartier disciplinaire doit être opacifiée afin d’assurer l’intimité et la dignité des personnes », au centre pénitentiaire de Rémire Montjoly (Guyane) que « des produits d’hygiène en quantité suffisante doivent être mis à la disposition des détenus indigents ». « Le paquetage [remis aux arrivants] devrait être enveloppé dans un sac pour des raisons d’hygiène et de commodité de transport », suggère-t-il à la maison d’arrêt d’Amiens. « Il est indispensable que tout détenu arrivant soit vu par un médecin dans les 24 heures suivant son écrou et au moins par un personnel soignant avant la première nuit passée dans l’établissement », souffle -t-il à la maison d’arrêt de Compiègne. À l’attention de la maison d’arrêt de Chartres, il assène : « Il doit être reconnu à chaque détenu le droit de propriété et le droit à l’intimité. Le respect de ces droits serait assuré si chaque détenu pouvait disposer d’une armoire fermant à clé ». Pour celle d’Angers, il martèle : « En raison de la surpopulation carcérale, vingt et une cellules sont triplées ce qui implique l’utilisation de matelas au sol la nuit qui doivent être relevés le jour. Cette situation anormale et attentatoire à la dignité humaine est d’autant plus insupportable qu’elle a lieu dans un environnement déjà dégradé, voire insalubre pour certaines cellules qui ne bénéficient jamais du moindre ensoleillement ». Quant à Compiègne,

Ses déclarations étaient plutôt rares, et plus parcimonieuse encore était la publicité qu’il donnait à ses travaux. Face à une institution carcérale qui, loin du discours officiel, se refuse à tirer toutes les conséquences des constats qu’il dresse au fil de ses visites, Jean-Marie Delarue entend désormais faire usage de l’ensemble de ses prérogatives. Et notamment dire ce qu’il pense de la politique pénitentiaire actuelle. il avertit : « Si l’encellulement individuel ne peut être un objectif immédiat, l’existence même de dortoirs doit être en tout état de cause prohibée : hygiène, caïdat, tensions individuelles, risques de vols d’affaires personnelles, rythmes de vie différents, difficultés d’intervention du personnel ». Pour Limoges, le verdict est définitif : « Les conditions d’hébergement sont indignes ». S’ensuit une énumération qui va de la taille inadéquate des cellules à l’état insalubre des sanitaires en passant par la dangerosité des câblages électriques.

La pénitentiaire au pied du mur Ici ou là, brocardant des conditions de vie insalubre, une cantine inadaptée, un accès aux droits insuffisant ou une formation professionnelle inexistante, Jean-Marie Delarue pointe du doigt tous ces éléments que l’on sait persistants et édicte peu à peu les règles que les établissements pénitentiaires se doivent de respecter. Autant dire que le ministère de la justice est au pied du mur, appelé à réagir à ces critiques au travers de réponses claires et de solutions précises. Las, rares sont les « observations » qui s’inscrivent pleinement dans cette démarche. Que le Contrôleur évoque la vétusté des lieux, appelle de ses vœux le nécessaire entretien des cellules ou déplore simplement l’état du mobilier et le voilà confronté, comme dans le cas de la prison d’Amiens, à l’argument avancé d’une « architecture » et d’une « disposition cruciforme des lieux, qu’il est matériellement impossible de modifier ». Au mieux, la garde des Sceaux s’accorde sur le constat, rappelle l’état du droit, invoque les Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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Quand le contrôleur général des lieux de privation de liberté rapporte que des détenus refusent de descendre en promenade, le ministère de la Justice rétorque que ce refus « n’est pas un problème spécifiquement identifié par la direction de l’établissement »...

règlements intérieurs, promet d’initier une réflexion, ou de faire rédiger une note de service… Pourtant, lorsque le Contrôleur déplore que certains détenus ne descendent pas en promenade par crainte de violence, comme à Angers, on lui rétorque que « la lutte contre les violences en cours de promenade constitue un enjeu primordial pour l’administration pénitentiaire, responsable de l’intégrité physique des personnes qui lui sont confiées »… et que ce refus « n’est pas un problème particulièrement identifié par l’encadrement de l’établissement ». Et, quand il demande que soit encadré l’usage des moyens de contrainte à Nice, la ministre répond : « Vous prescrivez la mise en place de documents internes à l’établissement permettant une cohérence et une traçabilité de l’emploi des moyens de contrainte. De tels documents existent ». Si tel est le cas, comment les contrôleurs ont-ils pu être tenus dans l’ignorance de leur existence ? « 80 % des préconisations » de Jean-Marie Delarue « ont été satisfaites par l’administration pénitentiaire », affirmait Michelle Alliot-Marie lors du débat sur la loi pénitentiaire. La réalité apparait bien différente à l’aune des premiers retours sur site effectués par les équipes de l’ancien vice-président du conseil d’État. Confirmant en cela l’impression d’une défiance vis-à-vis de l’autorité indépendante qu’il dirige au moins aussi forte que celle exprimée de longue date à l’encontre du Commissaire européen aux droits de l’homme ou de l’Observatoire international des prisons. En atteste la nature du message adressé par le directeur de cette administration à ses subordonnés régionaux au lendemain de l’examen du projet de loi à l’Assemblée (lire notre dossier consacré à la loi pénitentiaire). Peut-être est-ce pour prendre au mot la ministre que Jean-Marie Delarue, le 21 octobre dernier, a livré son premier avis publié au Journal Officiel, relatif à « l’exercice de leur droit à la correspondance par les personnes détenues ». Dans ce document, il évoque notam-

ment la nécessité d’encadrer strictement le contrôle exercé sur leurs lettres. Une manière de rappeler que le courrier de leur part qui lui est destiné, comme celui adressé aux avocats, ne devait en aucun cas être lu. Et que l’administration pénitentiaire ne saurait s’affranchir plus longtemps du respect de la loi. Face à l’hostilité affichée de l’institution carcérale et fort des visites qu’il a effectuées dans une soixantaine d’établissements pénitentiaires, soit le tiers du parc hexagonal, Jean-Marie Delarue estime avoir toute légitimité pour faire connaitre son point de vue, d’ici la parution fin janvier de son second rapport annuel. C’est ainsi qu’il vient de réagir aux incidents survenus à la prison de Lyon Corbas, un site ouvert il y a à peine sept mois et présenté à l’image de chaque nouvel établissement inauguré comme une « prison-modèle ». « Si on demandait aux détenus et aux personnels de choisir entre les anciennes prisons lyonnaises et Corbas, ils se prononceraient à 100 % pour Perrache. Les gens préfèrent vivre avec des cafards et des relations humaines plutôt que sans cafards et sans échanges », a-t-il déclaré lors d’une intervention récente à Lyon. Et de s’interroger : « Je ne comprends pas comment on a pu imaginer une prison qui cherche à faire taire, alors que la réinsertion suppose que l’on parle ». Avant de conclure : « Que l’on ajoute du personnel ou que l’on transfère des détenus, cela ne changera rien. Moins les gens s’expriment, plus ils sont agressifs. Cela a déjà commencé à Corbas ». Une façon, comme une autre, de dire ce qu’il pense de la politique pénitentiaire mise en œuvre.

« Que l’on ajoute du personnel ou que l’on transfère des détenus, cela ne changera rien. Moins les gens s’expriment, plus ils sont agressifs. Cela a déjà commencé à Corbas »

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Béatrix J.S. Allan et Patrick Marest 1. Voir son interview dans Dedans dehors n° 66, novembre 2008. 2. Lire dans Dedans dehors n° 69, juillet 2009. 3. « Retours de prisons », séance d’information-débat organisée le mercredi 9 décembre 2009 par le Conseil de développement du Grand Lyon, dont l’invité était JeanMarie Delarue.


de facto Suicides : une étude partielle et partiale de l’INED

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’Institut national d’études démographiques (INED) vient de publier un quatre-pages de synthèse d’une étude réalisée en collaboration avec l’administration pénitentiaire sur le suicide en prison. Intitulé « La France comparée à ses voisins », le document n’est pourtant consacré qu’en partie à la confrontation des données européennes et porte pour l’essentiel sur des considérations relatives à l’évolution de la situation dans notre pays. Sur le plan strictement comparatif, effectué au niveau de l’Europe des Quinze, l’étude confirme que la France a « le niveau de suicide le plus élevé » et ce, quelque soit le mode de calcul. Ainsi, en rapportant le nombre de suicides à la population moyenne en détention, notre pays présente un taux de 20 suicides annuels pour 10 000 détenus en 2002-2006, loin devant le Danemark (13 pour 10 000). Il se retrouve encore une fois en tête de liste, avec le Portugal, si ce taux est calculé en fonction du nombre d’incarcérations annuelles. L’étude confirme par ailleurs que si, en général, l’on se suicide plus en Finlande et en Belgique que dans notre pays, on se suicide moins dans les prisons finlandaises et belges que dans les nôtres. Ce cadre établi, L’INED se concentre donc sur certaines des caractéristiques du suicide dans les prisons françaises. L’étude confirme alors en premier lieu « la tendance à la hausse du taux de suicide » en détention, qui a « quintuplé en cinquante ans ». Puis, elle rappelle qu’une telle évolution « ne se retrouve pas à l’échelle de l’ensemble de la population et semble bien être une spécificité de l’univers carcéral », avant de relayer diverses données connues, comme le fait que l’on se suicide « cinq à six fois plus » intramuros qu’à l’extérieur, que les suicides surviennent pour une large part « en début de détention » et que « les prévenus se suicident deux fois plus que les condamnés ». Sur certains plans néanmoins, les considérations développées par l’étude sont sujettes à

caution. Notamment quand elle affirme que, « contrairement aux idées reçues, la surpopulation carcérale et le suicide n’évoluent pas de façon parallèle », que « disposer d’une cellule seul » peut être considéré « comme un facteur majeur du risque suicidaire » ou que « le taux de suicide augmente avec la gravité de l’infraction ». Difficile de contester le facteur aggravant que constitue la surpopulation, tant elle affecte les conditions de vie qui, elles-mêmes, ont un impact sur les risques de suicides. Une prison surpeuplée signifiant ipso facto moins de parloir, des délais plus longs pour les consultations médicales, moins d’accès au travail, sans parler des surveillants qui sont débordés, etc. Par ailleurs, concernant l’encellulement individuel, l’étude précise ellemême que, face à « la complexité des facteurs intervenant dans le phénomène suicidaire », « l’analyse demanderait à être approfondie ». Effectivement, on sait notamment que « doubler » un détenu en cellule n’empêche que rarement un passage à l’acte, tout juste le retarde-t-il. Enfin, il est assez paradoxal de souligner

le lien étroit entre suicide et gravité de l’infraction, sans interroger dans le même mouvement la longueur des peines et la dureté des régimes de détention qui en découlent. On est dès lors tenté de rappeler à l’INED sa propre conclusion : « les études statistiques approfondies permettant d’appréhender simultanément l’ensemble des dimensions du suicide carcéral restent à mener ». Avec à la clé, une recherche en urgence sur le nombre réel de suicides en prison. En affirmant de façon péremptoire que le suicide en prison ne « serait pas » sous-estimé, l’institut semble ignorer que l’Administration pénitentiaire a reconnu en janvier 2009 qu’en 2008, outre les 115 suicides dénombrés, 85 des 131 décès en détention (hors mort naturelle et homicide) étaient « survenus suite à une ingestion médicamenteuse » et « nécessiteraient un examen des résultats d’autopsie et, pour un certain nombre d’entre eux, une possibilité de reclassement en suicide ». En attendant, fin novembre 2009, la France a dépassé le triste « record » des 115 suicides survenus en 2008.

Suicide d’un « irrécupérable » Condamné en 1989 à perpétuité, Christian Monin s’est pendu fin juin dernier dans sa cellule de la maison centrale de Saint-Maur. Dans un courrier, en mars 2009, il nous écrivait : « Que les familles des victimes viennent m’exécuter si la société me pense irrécupérable. Et que cesse cette hypocrisie consistant à attendre que je me suicide, voire à m’envoyer des scientifiques pour me pousser en ce sens ». En cause, une expertise psychiatrique concluant à un « trouble psychopathologique sévère, d’ordre psychotique, chronique et stable » et à un risque de récidive, « son niveau de dangerosité [n’apparaissant] pas avoir significativement évolué ». Une expertise qui lui a valu en 2007 (après une première demande en 2002) de se voir refuser le relèvement de sa période de sûreté, malgré l’avis favorable de l’administration pénitentiaire. Constatant que l’expert s’était essentiellement basé sur des considérations réalisées lors de son procès, en 1988, Christian Monin avait sollicité une contre-expertise. En vain. Un psychologue, expert judiciaire près la cour d’appel de Paris, accepta néanmoins de commenter cette dernière expertise, constatant les manquements que son confrère. Une démarche qui lui a valu de passer en commission de discipline le 1er décembre. Quant à Christian Monin, il s’est suicidé. Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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Arles : « supermax » à la Française ?

5 Un mois après sa réouverture le 8 octobre 2009, la centrale d’Arles a été le théâtre de mouvements de protestation contre le régime ultra-sécuritaire qui y a été instauré et qui est sans équivalent à ce jour en France. Plus d’une trentaine de détenus (sur la quarantaine que compte l’établissement) mettent en outre en cause dans une pétition des mesures sécuritaires « excessives et intolérables » et des « conditions de vie inhumaines et inacceptables ». Ils réclament que « soient respectés [leurs] droits au peu de liberté qui [leur] reste ainsi qu’à [leurs] proches ». À plusieurs reprises durant le mois de novembre, les détenus ont refusé de se rendre aux activités et de prendre leur plateau repas. Fermée en 2003 suite aux inondations qui ont touché la ville, la maison centrale a connu, à l’occasion de sa remise en état, un renforcement sensible des dispositifs défensifs, correspondant au choix d’en faire une centrale de haute sécurité d’un type nouveau. La plaquette de présentation de l’établissement souligne ainsi que « 4 800 mètres de barbelés supplémentaires ont été posés autour des cours de promenade, des barrières électriques ont été installées sur les toits de tous les bâtiments de moins de deux étages (UVF, administration, ateliers) ». Auxquels s’ajoutent de nombreuses caméras, le cloisonnement des quatre bâtiments d’hébergement et un système de circulation destiné à éviter tout contact entre les détenus. Le régime de détention est à l’avenant : privation de toute forme de vie sociale en détention (impossibilité de se rendre dans une cellule voisine pour discuter, prendre des repas en commun…) bien au-delà des restrictions rencontrées habituellement en maisons centrales ; fouilles par palpations à chaque sortie de cellule ; mouvements encadrés s’effectuant par groupe de deux détenus maximum. De même, les conditions de visite des familles ne permettent aucune convivialité, puisqu’elles se déroulent dans des boxes fermés, contrairement à ce qui prévaut en établissement pour peines. D’après une source judiciaire, l’administration pénitentiaire a « décidé un durcissement du régime » de cet établissement, Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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qui accueillait jusque-là des détenus en fin de peine, et d’y « envoyer des détenus d’un profil particulier ». Ajoutant : « Ça paraît expérimental, pour voir jusqu’où on peut aller ». « Les portes des cellules resteront fermées, martèle Jean-Philippe Mayol, directeur de l’établissement. Ce n’est pas négociable ». Une trentaine de demandes de transfert ont été déposées côté détenus, et semble-t-il autant pour une mutation côté surveillants. L’OIP va déposer un recours contre le règlement intérieur de la centrale.

Castration, récidive : « Allons jusqu’au bout de notre logique »

5 Lors des débats relatifs au projet de loi pénitentiaire à l’Assemblée nationale, en octobre dernier, les « ultras » de la majorité avaient réussi à exclure les récidivistes des mesures d’aménagement de la peine (lire notre dossier). Force est de constater que leur influence ne cesse de s’étendre dans l’hémicycle. Près de 200 députés issus des rangs de l’UMP et du Nouveau centre pèsent désormais de tout leur poids dans les débats de politique pénale. En témoigne l’adoption le 24 novembre, par 325 voix contre 201, du projet de loi sur la récidive criminelle examiné en urgence. Mesure-phare de ce nouveau texte, le « quatrième en quatre ans » déposé par le gouvernement, comme le relève l’opposition : la réincarcération des condamnés pour crimes sexuels qui refusent ou interrompent un traitement antihormonal (castration chimique) une fois libérés. Ce n’est pas tout. « Allons jusqu’au bout de notre logique », a déclaré à l’attention de ses collègues de la majorité Jean-Paul Garraud, le rapporteur. Et de fait, comme on peut le craindre dès lors qu’elles sont créées, les mesures de contrôle applicables aux condamnés ayant purgé leur peine ont fait l’objet d’une extension. La surveillance de sûreté concernera désormais les condamnés à plus de dix ans contre quinze jusque là. Quant à la surveillance judiciaire, sa durée a été portée d’un à deux ans, et le seuil à partir duquel elle peut être ordonnée a été revu à la baisse, sept ans contre dix auparavant. Enfin, notre pays se dote d’un nouveau fichier, le répertoire des données collectées

dans le cadre des procédures judiciaires. Cela aurait pu être pire. Les amendements visant à supprimer les réductions automatiques de peines et à instaurer une obligation de contrôle d’un ex-condamné par le maire de la ville où il séjourne ont été rejetés. Ce projet de loi fait suite au viol et au meurtre d’une joggeuse dans la forêt de Fontainebleau à la fin de l’été. Ce fait divers a été l’occasion d’exhumer et compléter le texte préparé à l’automne 2008 à la suite de la censure partielle, par le Conseil constitutionnel, de la loi sur la « rétention de sûreté ». Cette loi ne pouvant s’appliquer avant 15 ans, le président Sarkozy avait demandé au président de la Cour de cassation de lui proposer des mesures de surveillance d’application immédiate. Ce sont ces propositions que reprend le texte voté à l’Assemblée. Il est désormais dans les mains du Sénat. (OIP, AFP)

Un détenu « libéré » du quartier disciplinaire

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Le 16 décembre dernier, le tribunal administratif de Grenoble a ordonné, au terme d’un « référé-liberté », que M. H, un détenu incarcéré au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, sorte du quartier disciplinaire où il avait été placé le 4 décembre pour 30 jours et où il avait fait une tentative de suicide. Or, la loi pénitentiaire, promulguée le 25 novembre dernier, indique que le placement en quartier disciplinaire ne peut excéder 20 jours (sauf en cas de violence physique, auquel cas le placement peut être de 30 jours) et que tout placement peut faire l’objet d’un recours en référé. Arrivé le 2 décembre à Saint-Quentin, M. H aurait proféré des « insultes ou des menaces » et provoqué un « tapage ». Placé préventivement en quartier disciplinaire, il fera une tentative de suicide le 4 décembre et sera sauvé in extremis par un surveillant. Ce qui n’aura pas empêché la commission de discipline de le maintenir au quartier disciplinaire (en l’affublant d’un « pyjama de papier ») et de le condamner à 30 jours alors que, comme l’a souligné le tribunal administratif, on ne pouvait reprocher à M. H la moindre « violence physique ». L’OIP s’est félicité de cette décision, une première depuis la promulgation de la loi pénitentiaire.

de facto


Une illusion tenace s’est peu à peu évanouie. Celle d’un projet de loi pénitentiaire emportant l’adhésion de tous les acteurs du monde de la prison et reflétant un large consensus politique. Reste la réalité crue. Un texte qui oscille entre la consécration du « pareil » et l’avènement du « pire ». Inadmissible et effrayant. Une réforme dont il peut être certain qu’elle sera à l’origine d’une substantielle et tragique dégradation de la condition carcérale. Tant ses tenants sont aux antipodes des constats du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, tant ses aboutissants vont à rebours des préconisations du Conseil de l’Europe. Un comble, quand la voie était tracée de longue date, la feuille de route inlassablement rappelée. L’administration pénitentiaire, par delà le ministère de la Justice et le gouvernement, est parvenue à ses fins. C’est peu dire qu’elle ne souhaitait pas que son territoire soit rendu à l’espace de la loi commune. Et que ses us et coutumes laissent place aux impératifs de l’État de droit et aux exigences des droits de l’homme. Placé sous l’empire d’une politique pénale qui ne cesse de renforcer le béton dont elle s’est armée et sous l’emprise d’une politique pénitentiaire qui déploie sa chape de plomb, l’avenir des geôles françaises est pour le moins inquiétant. Patrick Marest

Loi pénitentiaire: du pareil au pire


dossier

La loi pénitentiaire est une loi inapplicable en l’état Pour appuyer la « saisine blanche » du Conseil constitutionnel initiée le 20 octobre par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale à l’encontre de la loi pénitentiaire, une dizaine d’organisations, réunies autour de l’Observatoire international des prisons (*), a déposé un mémoire. Son auteur, le constitutionnaliste Dominique Rousseau, nous explique cette démarche et réagit à la validation par le Conseil d’une loi écrite par et pour l’administration pénitentiaire. Le 19 novembre, le Conseil constitutionnel a validé la loi pénitentiaire, se contentant de retoquer une disposition relative à Wallis et Futuna et une autre portant sur les sanctions disciplinaires. Quelle est votre réaction ? Dominique Rousseau : Je suis surpris. C’était la première fois que le Conseil Constitutionnel avait à statuer sur une loi pénitentiaire. On aurait pu s’attendre à ce qu’il prenne soin de poser le cadre constitutionnel du régime juridique des prisons. Or, c’est une décision courte, brève, contradictoire à bien des égards et par conséquent très décevante sur le plan juridique. Comment l’expliquer ? D. R. : Par le fait que les requérants, en l’occurrence, les députés socialistes, n’ont pas motivé leur recours, optant pour une saisine « blanche », c’est-à-dire une saisine non argumentée. Ce qui a pu « agacer » le Conseil constitutionnel, lequel a peut-être considéré avoir été saisi « pour la forme » par un parti politique dont certains des membres, en tout cas lors des débats au Sénat, avaient pu donner l’impression qu’ils ne trouvaient pas cette loi si mauvaise que cela. En substance, puisque les requérants n’avaient pas cru bon argumenter, le Conseil aurait décidé lui aussi de ne pas argumenter. Si ce sentiment d’agacement est humainement compréhensible, il est juridiquement irrecevable. En effet, lorsque le Conseil constitutionnel est saisi, il a l’obligation de statuer sur l’ensemble de la loi, quelle que soit la motivation produite par les requérants et quels que soient les articles contestés. Vous allez jusqu’à parler de « déni de justice ». Pourquoi ? D. R. : Jusqu’à présent, le droit pénitentiaire, était, pour l’essentiel, un droit de type réglementaire voire infra-réglementaire. Cette situation a été régulièrement critiquée par les commissions ad hoc qui ont été créées sur la question des prisons, par nombre d’associations, par les instances européennes et même par le Conseil Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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d’État. Il y avait donc un consensus sur l’idée que le droit pénitentiaire – le droit de la prison et le droit des prisonniers- ne devait plus rester à un niveau infra-législatif. D’autant que, dans notre tradition, la loi est censée garantir et protéger les droits et les libertés des citoyens, étant entendu en outre qu’à part la liberté d’aller et venir, les prisonniers continuent de bénéficier de l’ensemble de leurs droits. Aujourd’hui, il y a une loi pénitentiaire. En apparence, c’est un progrès. Malheureusement, ce n’est qu’en apparence. Car on a affaire à une vraie-fausse loi. Et c’est cela que le Conseil constitutionnel aurait dû sanctionner, lui qui, d’ordinaire, est très attentif à ce que le Parlement aille jusqu’au bout de ses compétences. C’est-à-dire ? D. R. : Qu’est-ce qu’un État de droit ? C’est un État où l’administration ne définit pas elle-même les règles qu’elle a à appliquer mais où elle est soumise à des règles qui sont déterminées par les élus du peuple, c’est-à-dire le Parlement. Or, là, si, en apparence, on a une loi, on se rend compte que tous les articles – ou en tout cas leur immense majorité- renvoient aux décrets, laissant au pouvoir réglementaire (en l’occurrence, l’administration pénitentiaire), le soin de fixer, pêle-mêle, le régime disciplinaire des détenus, les conditions d’affectation en détention comme le placement à l’isolement ou au quartier disciplinaire, mais aussi le droit de visite… En substance, le législateur a dit que c’était à l’administration pénitentiaire de fixer ses propres règles, ses propres restrictions. D’une certaine manière, il a refusé de légiférer. On a donc affaire à une législation d’apparat dont le seul but est de réhabiliter le pouvoir réglementaire dans sa capacité à poser les règles du régime carcéral. En droit, c’est ce qu’on appelle une incompétence négative. C’est ce qu’aurait dû censurer le Conseil Constitutionnel. Sans même avoir besoin de se prononcer sur le fond, sans même devoir dire quel type de politique carcérale il faudrait ! De fait, la seule chose qu’avait à dire


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Loi pénitentiaire : du pareil au pire

Pour le constitutionnaliste Dominique Rousseau, « en abandonnant à l’administration pénitentiaire le soin de définir les règles qui vont s’appliquer en détention, elle laisse libre cours à l’arbitraire. »

le Conseil, c’est que le Parlement n’avait pas suffisamment légiféré, que le droit pénitentiaire et le droit des prisonniers n’étaient pas suffisamment enserrés par la loi. Face à un Parlement qui a fait semblant de faire une loi, le Conseil constitutionnel a fait semblant de l’examiner. Pour mieux la valider. D’où une décision que vous qualifiez de « contradictoire »… D. R. : Passons sur la censure d’une disposition de la loi relative à Wallis et Futuna et penchons-nous sur celle concernant le régime disciplinaire des détenus. Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel affirme qu’il « appartient au législateur de déterminer les conditions et les modalités d’exécution des peines privatives de liberté dans le respect de la dignité de la personne ». Mais il ajoute que « le régime disciplinaire des personnes détenues ne relève pas en lui-même de la loi ». Pour conclure qu’il « appartient cependant au législateur de garantir les droits et libertés dont les personnes continuent de bénéficier dans les limites inhérentes aux contraintes de la détention ». D’une phrase à l’autre, le Conseil Constitutionnel se contredit pour savoir si le régime disciplinaire relève ou non de la loi. C’est un raisonnement inintelligible, contradictoire et juridiquement inexplicable. Vous dénoncez dans votre mémoire des articles « trop vagues, trop imprécis, trop indéterminants ». Qu’en est-il exactement et quel est l’article le plus emblématique ? D. R. : Le Parlement a légiféré en des termes très flous. Á ce titre l’article 22 est le plus emblématique : après avoir affirmé que « l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits », il est dit que « l’exercice de ceux-ci ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes ». On va donc pouvoir restreindre les droits des détenus au nom de la « sécurité » et du « bon ordre », qui sont, pour ne parler

« Qu’est-ce qu’un État de droit ? C’est un État où l’administration ne définit pas elle-même les règles qu’elle a à appliquer mais où elle est soumise à des règles qui sont déterminées par les élus du peuple, c’est-à-dire le Parlement » que d’elles, des notions nécessairement soumises à l’appréciation subjective des personnels. Ce ne sont en rien des notions qui permettent d’encadrer et encore moins d’éviter l’arbitraire. Au contraire. Or, la loi est précisément là pour éviter, autant que faire se peut, l’arbitraire. Dans cette optique, il faut réduire au maximum les possibilités d’interprétation. Si vous dites à l’administration pénitentiaire qu’elle peut restreindre les droits des prisonniers au nom du « bon ordre » ou de la « sécurité », vous ne lui donnez aucune limite. Ce raisonnement est-il valable pour l’ensemble de la loi ? D. R. : Hélas, oui. Prenez le droit à la correspondance. Il est dit que l’administration pénitentiaire peut retenir tout courrier des détenus lorsque celui-ci « paraît » compromettre gravement leur réinsertion ou le maintien du bon ordre et de la sécurité. C’est la même chose pour le droit de visite. Quant à la disposition qui autorise les personnels de l’administration pénitentiaire à utiliser une arme à feu, les termes utilisés par le législateur sont si vagues qu’ils laissent à penser que ceux-ci ont une marge de manœuvre plus grande que les gendarmes pour tirer ! Jusqu’à présent, le Conseil constitutionnel était attaché au principe d’intelligibilité et de clarté Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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dossier

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Comme le déplore le constitutionnaliste Dominique Rousseau, « en encadrant a minima les fouilles, la loi pénitentiaire se traduira par des atteintes aux principes de dignité de la personne humaine et de respect de l’intégrité physique ».

de la loi, celui qui veut que les normes posées par le législateur soient suffisamment claires afin qu’il n’y ait pas pour l’administration de possibilité d’arbitraire. Or, là, on a une loi « trouée ». Vous distinguez toutefois inconstitutionnalité externe et interne ? D. R. : L’inconstitutionnalité interne est la conséquence nécessaire de l’inconstitutionnalité externe, c’est-à-dire de l’incompétence négative du législateur. En effet, à partir du moment où le Parlement renvoie aux décrets (et donc à l’administration pénitentiaire le soin de se fixer ses propres règles), cela le conduit à porter atteinte et à laisser porter atteinte à tous les droits fondamentaux dont bénéficient et dont devraient continuer à jouir les détenus. Le Parlement ayant refusé de légiférer, tous les droits se retrouvent « à découvert », entre les mains de l’administration. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ? D. R. : Les restrictions que peut imposer l’administration pénitentiaire aux droits de visite et à la correspondance sont une véritable atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale. Le faible encadrement de la détention provisoire et des fouilles remet en cause tant le droit à la sûreté que le respect de la présomption d’innocence. Par ailleurs, pour ce qui est des droits processuels, on se rend compte que bon nombre de dispositions ne garantissent pour le détenu, face aux décisions de l’administration ni droit de recours ni protection de l’autorité judiciaire, sans parler du non-respect de l’obligation de motivation. C’est particulièrement grave lorsqu’il s’agit de décisions lourdes comme le placement en quartier disciplinaire, à l’isolement ou en régime différencié. D’ailleurs, les articles relatifs aux questions disciplinaires sont de telle facture qu’ils mettent en cause plusieurs principes du droit pénal et de la procédure pénale : le flou entretenu autour des sanctions disciplinaires est une atteinte au principe on ne peut plus central de légalité des délits et des peines, ainsi qu’aux principes de nécessité et de proportionnalité de la peine. Un reproche que l’on peut aussi faire aux dispositions relatives à l’affectation dans tel ou tel régime de détention, puisque étant déterminée en fonction des notions on ne peut plus floues que sont la « personnalité », la « santé », la « dangerosité » ou les « efforts en matière Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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de réinsertion ». De plus, on peut dire que cette loi, tant dans sa partie relative au droit pénitentiaire que dans celle relative aux aménagements de peine, méconnaît les droits de la défense : certaines décisions d’aménagement des services pénitentiaires d’insertion et de probation ne seront pas susceptible d’être contestées devant un juge et, pour ce qui est de la commission de discipline, la présence désormais en son sein d’au moins une personne extérieure à l’administration pénitentiaire ne remet pas en cause le fait que le chef d’établissement reste, au sein de cette commission, à la fois juge et partie. Enfin, il est notable qu’en donnant à l’administration pénitentiaire un véritable pouvoir de censure, la loi pénitentiaire porte atteinte à la liberté d’expression et de communication. Quant à l’instauration d’une obligation d’activité ou la simple signature d’un « acte d’engagement » – bref, les dispositions relatives au travail en prison – elles méconnaissent les principes élémentaires du droit du travail. Pour ne pas conclure, soulignons que la loi pénitentiaire – en excluant les récidivistes des procédures d’aménagement de peine et en mettant en place une différenciation des régimes de détention – porte atteinte au principe d’égalité devant la loi. C’est une critique fondamentale. Au moins aussi fondamentale que de noter qu’en encadrant a minima les fouilles, en repoussant à nouveau de cinq ans le respect du principe de l’encellulement individuel, en renforçant les possibilités de mise à l’isolement préventif et en élargissant la possibilité pour les personnels de l’administration pénitentiaire de recourir à la force, la loi pénitentiaire se traduira par des atteintes aux principes de dignité de la personne humaine et de respect de l’intégrité physique. Á l’instar de nombre de parlementaires, vous pointez aussi, comme motif d’inconstitutionnalité externe, la façon dont se sont organisés les débats ? D. R. : En effet, la loi pénitentiaire a été adoptée selon une procédure législative qui a combiné deux régimes différents : la procédure d’urgence qui relève de la Constitution de 1958 et l’examen du texte adopté en commission des lois, qui relève, lui, de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, révision qui a fait disparaître la procédure d’urgence… Sur cette seule question de procédure, le Conseil constitutionnel aurait pu censurer en


Loi pénitentiaire : du pareil au pire

« Si vous dites à l’administration pénitentiaire qu’elle peut restreindre les droits des prisonniers au nom du “bon ordre” ou de la “sécurité”, vous ne lui donnez aucune limite » considérant simplement qu’il y a eu cumul de deux procédures contradictoires et que, pour cette raison, la loi n’avait pas été examinée de manière sincère. La loi pénitentiaire – cela est palpable dans un certain nombre d’articles et cela a été affirmé clairement par le gouvernement comme par l’administration pénitentiairevisait avant tout à éviter les contentieux, les recours et les condamnations. Pour vous, ceux-ci vont au contraire se multiplier ? D. R. : Évidemment. Comme le législateur a renvoyé la quasi-totalité des articles à des décrets, il va falloir attendre ces derniers, ne serait-ce que pour savoir, par exemple, ce que sera le régime disciplinaire. Mais, ce qu’il faut souligner, c’est que ces décrets pourront parfaitement être attaqués – par un détenu, par l’OIP… devant le Conseil d’État. Or, au vu de ses dernières décisions et en sachant qu’il est beaucoup plus en pointe que le Conseil constitutionnel sur les questions carcérales, rien n’interdit de penser que la haute juridiction administrative ne considérera pas, elle, qu’il y a incompétence négative. De surcroît, la validation de cette loi par le Conseil constitutionnel ne garantit en rien la France contre les condamnations que pourra prononcer la Cour européenne des droits de l’homme au motif que la loi en cause ne garantit pas correctement les droits des prisonniers. Si un détenu intente une action, cela peut monter jusqu’à la Cour européenne et celle-ci dira que certes, le Conseil constitutionnel n’a rien trouvé à redire à la loi pénitentiaire mais qu’en ce qui la concerne, elle considère que ses dispositions portent atteinte aux droits fondamentaux du détenu et, qu’en conséquence, elle condamne la France. En clair, on n’est pas à la fin des contentieux liés à cette loi. Au contraire. Et, concrètement, quelles vont être les conséquences de cette loi en détention ? D. R. : En attendant les décrets, quand bien même la loi viendrait-elle d’être promulguée, va s’ouvrir une période de grande incertitude, tant pour les détenus que pour les personnels. Car, en l’état, la loi pénitentiaire est si floue et si vague qu’elle en est aujourd’hui inapplicable. Et, en abandonnant à l’administration pénitentiaire le soin de définir les règles qui vont s’appliquer en détention, elle laisse libre cours à l’arbitraire. Et ouvre la voie à une multiplication des recours et des contentieux. Entretien réalisé par Sébastien Daniel 1. Outre l’OIP, les organisations à l’origine du mémoire sont : le Conseil national des barreaux (CNB), Emmaüs France (EF), la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), la Fédération nationale des unions des jeunes avocats (FNUJA), la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Syndicat des avocats de France (SAF), le Syndicat de la magistrature (SM) et l’Union syndicale des magistrats (USM). Le mémoire est disponible sur le site de l’OIP : www.oip.org. Et la décision du Conseil Constitutionnel sur son site : www.conseilconstitutionnel.fr

Chronologie 16 janvier 2007 L’ensemble des candidats à l’élection présidentielle s’engage auprès des États généraux de la condition pénitentiaire pour l’adoption d’une loi pénitentiaire. 11 juillet 2007 Mise en place du comité d’orientation restreint chargé de conseiller la garde des Sceaux pour la rédaction de la loi pénitentiaire. 23 juillet 2008 Adoption en conseil des ministres du projet de loi pénitentiaire et dépôt au Sénat. 17 décembre 2008 Rapport du sénateur UMP Jean-René Lecerf (commission des lois). 17 février 2009 Rapport du sénateur centriste Nicolas About (commission des affaires sociales). 20 février 2009 Le gouvernement déclare l’urgence sur le texte. 3-6 mars 2009 Discussion et adoption du projet de loi au Sénat. 8 septembre 2009 Rapport du député UMP Jean-Paul Garraud (commission des lois). 15-17 septembre 2009 Discussion du projet de loi à l’Assemblée nationale. 22 septembre 2009 Adoption du projet de loi à l’Assemblée nationale. 7 octobre 2009 Discussion du texte en commission mixte paritaire. 13 octobre 2009 Adoption définitive du projet de loi au Sénat puis à l’Assemblée nationale. 20 octobre 2009 Saisine du Conseil Constitutionnel. 19 novembre 2009 Décision du Conseil Constitutionnel. 24 novembre 2009 Promulgation de la loi pénitentiaire.

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dossier

La sécurité pénitentiaire est

l’ennemie de la sécurité publique

Spécialiste du droit de l’exécution des peines, Martine Herzog-Evans livre une analyse détaillée de la loi pénitentiaire. Un décryptage qui met en lumière les tenants et les aboutissants d’une réforme imposée par l’administration, soulignant la logique purement sécuritaire dont elle s’inspire comme son éternelle obsession de la gestion du comportement des détenus.

Quel regard portez-vous sur la loi pénitentiaire que vient d’adopter le Parlement et qu’a validé le Conseil Constitutionnel ? Martine Herzog-Evans : Sur le Conseil constitutionnel, je pense qu’il est grand temps que notre pays se dote d’une juridiction suprême constitutionnelle composée de vrais magistrats. Car, même si cela était déjà palpable avec la validation constitutionnelle de la loi instaurant la rétention de sûreté et même s’il y avait évidemment derrière la volonté politique de valider cette loi pénitentiaire, on a affaire à des non-spécialistes incapables d’aligner un raisonnement juridique. Même un étudiant en première année de droit aurait fait mieux ! Pourtant, face à eux, ils avaient une espèce de grand sac vide : une loi qui renvoie principalement aux décrets, une loi qui, en grande partie, ne trouve aucune traduction dans le code de procédure pénale et sera donc inapplicable, une loi qui, malgré les quelques avancées qu’ont su arracher certains parlementaires, est à droit constant quand elle ne consacre pas d’authentiques régressions. Dans le détail, comment se traduit-il ? M. H-E. : L’article 22 est en soi le plus emblématique de l’attitude du législateur : énoncer de vagues principes généraux pour aussitôt les assortir de toute une liste de restrictions. Ainsi, il est dit que « l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits ». Sans évidemment préciser quels sont ces droits. Mais, de surcroît, en dressant toute une liste de restrictions, l’exercice de ces droits ne pouvant faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant « des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la réci-

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La juriste Martine Herzog-Evans.


Loi pénitentiaire : du pareil au pire dive et de la protection de l’intérêt des victimes », ces restrictions tenant compte « de l’âge, de l’état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue ». Le but est clair : il s’agit de donner un fondement légal aux atteintes aux droits des détenus. On a donc d’authentiques régressions : le droit à l’information (article 43) qui donne désormais à l’administration pénitentiaire la possibilité de jouer les censeurs, l’instauration d’une obligation d’activité (article 27), la possibilité de maintenir pendant deux ans en maison d’arrêt une personne condamnée contre un an jusquelà (article 88)… Ou alors, du droit constant : à quoi sert de rappeler l’existence et le rôle du contrôleur général des lieux de privation de liberté (article 4) ou que les détenus communiquent librement avec leur avocat (article 25) ? Et il est on ne peut plus symbolique que l’encellulement individuel soit à nouveau assorti d’un moratoire de cinq ans (article 100). Sinon, on reste dans l’incantatoire, par exemple, sur le droit à l’image des détenus (article 41) avec la possibilité pour l’administration pénitentiaire de s’opposer à toute diffusion, ou encore sur la possibilité d’élire domicile auprès de l’établissement pénitentiaire. En attendant, les détenus continueront à voter par procuration (article 30). Idem sur le volet sanitaire (article 45). Toutefois, reconnaissons qu’il n’était pas complètement inutile de consacrer certaines pratiques, comme notamment la possibilité d’octroi d’une aide matérielle pour les plus indigents (article 31).

M. H-E. : Je peux entendre et comprendre ceux qui disent qu’il vaut mieux que les gens soient dehors plutôt que dedans. Néanmoins, je pense que cela ne doit pas se faire n’importe comment. Si, en France, on a pu démontrer scientifiquement que les aménagements de peine étaient efficaces, c’est aussi parce qu’il y avait un savoir-faire, en matière de probation, de suivi, d’accompagnement, de préparation à la sortie. Là, on est en train de s’en débarrasser, en affirmant que « les aménagements de peine, ça marche » et en exigeant que, chaque année, il faille tant de gens remis dehors. Sauf qu’en procédant ainsi, on va droit dans le mur. Car, sans même parler de cette généralisation de la détention à domicile qu’est le recours quasi-systématique au placement sous surveillance électronique, cela risque malheureusement de se traduire par une multiplication des sorties sèches. Avec les conséquences que l’on sait en termes de retour en détention. En matière d’aménagement de peine, il est primordial de s’intéresser à l’individu. Voilà pourquoi écarter les récidivistes des aménagements de peine est un contresens manifeste doublé d’une grossière erreur en matière criminologique puisqu’on peut très bien être à la fin de sa « carrière criminelle » lorsqu’on est récidiviste et au début de celle-ci lorsqu’on est « primaire ».

« Ce qui m’inquiète le plus, c’est bien évidemment la légalisation de la différenciation des régimes de détention. L’administration pénitentaire va pouvoir faire ce qu’elle veut ! »

Vous parlez d’avancées. Lesquelles ? M. H-E. : Est enfin affirmé un droit à la sécurité des détenus à l’article 44. Par ailleurs, on peut noter une amélioration du régime des fouilles (article 57). D’abord parce qu’il y a enfin un texte de loi. Ensuite parce qu’il est dit que les fouilles intégrales n’interviendront que si les moyens de détection moderne ou la fouille par palpation ont été inopérants. Surtout parce que les fouilles doivent être désormais motivées par la présomption d’une infraction. Néanmoins, revers de la médaille, il y a désormais un texte qui consacre l’existence des investigations corporelles internes : on peut craindre alors qu’elles ne se développent. Même constat sur les aspects disciplinaires (article 91) : certes, on passe de 45 à 30 jours maximum de placement au quartier disciplinaire et il y aura désormais au sein de la commission de discipline au moins une personne extérieure de l’administration pénitentiaire. Il n’en reste pas moins que le chef d’établissement continuera à y être juge et partie. On peut enfin considérer comme de timides avancées l’établissement d’un « acte d’engagement » (article 33), la possibilité pour les détenus d’être consultés sur les activités proposées (29) ou l’affirmation de la confidentialité des documents personnels (article 42). Quid du volet « pénal » de la loi, traditionnellement présenté comme la partie « positive » puisque visant à faire de l’emprisonnement en matière correctionnelle la sanction de dernier recours, en élargissant parallèlement les possibilités d’aménagements de peine ?

Qu’est-ce qui vous inquiète le plus ? M. H-E. : C’est bien évidemment la légalisation de la différenciation des régimes de détention. Elle est d’autant plus inquiétante qu’elle est posée de manière très floue à travers trois articles. L’article 22 d’abord selon lequel les droits des détenus peuvent être restreints en fonction de leur « personnalité ». L’article 89, ensuite qui précise que « dès leur accueil dans l’établissement pénitentiaire et à l’issue d’une période d’observation pluridisciplinaire, les personnes détenues font l’objet d’un bilan de personnalité » : c’est ce bilan qui déterminera non seulement leur « parcours d’exécution de la peine » mais surtout le « régime de détention », celui-ci devant tenir compte de « leur personnalité, leur santé, leur dangerosité et leurs efforts en matière de réinsertion sociale » et ne devant pas être attentatoire aux droits tels que protégés par l’article 22. Dernier article, enfin, l’article 86 qui instaure des règlements intérieurs types. Sur la base de ces trois articles, l’administration pénitentiaire pourra instaurer la différenciation des régimes dans tous les établissements. Et comme il n’y a rien de précis et que tout se fera par décret -et donc par voie réglementaire- elle va pouvoir faire ce qu’elle veut ! Concrètement, comment peut se traduire la généralisation d’une telle mesure ? M. H-E. : La différenciation des régimes de détention, c’est la possibilité de faire subir aux détenus, en fonction de leur personnalité, de leur dangerosité, des régimes de détention plus ou moins stricts, que ce soit en termes d’accès aux activités ou tout simplement en matière d’ouverture et de fermeture des portes des cellules. Et, depuis quelque temps, je m’arrache les cheveux Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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© Anthony Voisin

le courage et l’opiniâtreté d’engager les recours nécessaires qui aboutiront peut-être à une réforme de-ci, de-là.

D’après la juriste Martine Herzog-Evans, pour l’administration pénitentiaire, la prison, c’est un peu comme une baignoire : « Si elle se remplit à telle vitesse, il faut qu’elle se vide à telle vitesse. Sans se préoccuper des conséquences... »

à me demander comment cela pourrait être pire qu’aujourd’hui. Car, quand on voit la vie en maison d’arrêt où, quand elles n’ont aucune activité, les personnes restent enfermées dans leur cellule 22 heures sur 24, on a du mal à imaginer ce que serait un régime « strict » par rapport à ce qu’est déjà le régime « normal ». Idem en maison centrale où, depuis 2002, l’administration pénitentiaire a fermé les portes. Est-ce à dire que, demain, on va avoir un régime « normal » avec porte fermée et un régime « strict » encore plus strict ? Á moins que tout cela ne se traduise comme aux États-Unis, par un régime d’isolement pour tout le monde. Malheureusement, on connait les conséquences : à la sortie, cela donne des gens plus récidivistes et plus violents. Il faut donc prendre la droite à son propre piège en rappelant cette évidence : la sécurité pénitentiaire est l’ennemie de la sécurité publique. La seule chose rassurante n’est-elle pas que cette loi est d’une facture si médiocre qu’elle va susciter une multiplication des recours et des contentieux ? M. H-E. : Il est clair qu’on exploitera chacune des failles d’une loi qui, si elle est d’application immédiate, n’en soulève pas moins bon nombre de questions. D’abord parce qu’il va falloir attendre les décrets pour savoir ce que sera vraiment cette la loi tant elle a été rédigé dans des termes flous. Ensuite parce qu’elle va se traduire par de véritables casse-têtes. Prenez par exemple le volet « aménagements de peine » : grâce aux députés, la règle générale est que, désormais, les peines de deux ans seront systématiquement aménageables, sauf pour les récidivistes qui, eux, devront attendre jusqu’à ce qu’il ne leur reste plus qu’un an à purger. Mais alors, comment faire quand une personne cumule plusieurs condamnations et que, parmi celles-ci, il en est une en état de récidive ? Autre exemple : cette loi, comme beaucoup d’autres, ne sera tout bonnement pas appliquée car bon nombre de dispositions n’ont pas été transposés dans le code de procédure pénale. Alors, certes, c’est dans la loi pénitentiaire mais pensez-vous que magistrats et juristes, au moment de prendre une décision en feuilletant leur code, auront la curiosité d’aller voir si c’est dans la loi… pénitentiaire ? Il n’en reste pas moins que, si l’on peut se réjouir qu’il y ait désormais une jurisprudence qui se préoccupe de contrôler ce qui se passe en prison et que les recours devraient effectivement se multiplier, il faut bien se rendre à l’évidence qu’en attendant, la vie quotidienne des détenus, elle, ne va pas changer. Elle va même empirer, exception faite de ceux qui auront Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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Comment en est-on arrivé là ? M. H-E. : C’est très simple. D’abord, on n’a pas travaillé sérieusement. D’un strict point de vue juridique (je ne parle même pas du fond), l’inversion de la hiérarchie des normes est telle que, pour remettre à niveau l’état du droit pénitentiaire, il aurait fallu qu’une commission de codification travaille pendant plusieurs années. Et si elle avait dû s’occuper de l’application des peines, là, c’était un travail du niveau de la refonte du code pénal. Ensuite, si la loi pénitentiaire est ce qu’elle est, c’est qu’elle est l’œuvre de l’administration pénitentiaire. Elle y a donc mis ce qu’elle voulait. Tout ce qu’elle voulait. Et uniquement ce qu’elle voulait. Rétablir la hiérarchie des normes, l’ordre juridique n’a jamais été sa vocation. Et même si, techniquement, ce n’est pas très abouti, l’administration pénitentiaire sait très bien ce qu’elle veut. Face à une multiplication des recours, face à une jurisprudence visant à contrôler de plus en plus ce qui se passe à l’intérieur, elle voulait avant tout avoir les mains libres. Elle a d’ailleurs tenté -heureusement en vain- de faire en sorte que les décisions de placement en régime différencié ne soient pas susceptibles de recours. De surcroît, il y a une vraie cohérence entre la première partie de la loi -relative au droit pénitentiaire- et la seconde qui concerne l’application des peines et les aménagements. Il n’est d’ailleurs pas anodin de voir que c’est l’administration pénitentiaire qui a rédigé un texte de loi dont une bonne moitié ne traite pas de droit pénitentiaire mais d’un domaine, qui jusqu’à présent, relevait du bureau des affaires criminelles et des grâces. De la même manière que le volet « droit pénitentiaire » de la loi est une revanche de l’administration pénitentiaire contre les recours et les condamnations de la justice administrative, le volet « aménagements de peine » est sa revanche sur le processus de juridictionnalisation des aménagements de peine : pour elle, il convenait de reprendre ce qu’elle avait dû abandonner au juge de l’application des peines. Et, en ce domaine comme ailleurs, ce qui compte pour elle, c’est autant l’absence de débat contradictoire que l’absence de recours. Alors, certes, comme on est en démocratie, il peut y avoir de temps en temps un recours. Voire un jugement administratif défavorable mais qui permettra, au final, d’affirmer que les détenus ont bel et bien des droits. Il n’en reste pas moins que le credo de l’AP, c’est « laisseznous faire notre travail ». Quelle vision du détenu cela traduit ? M. H-E. : Je serai très terre-à-terre. Je n’ai pas l’impression que ces gens-là sont des penseurs. Ils n’ont pas de vision de l’hom-

« Si la loi pénitentiaire est ce qu’elle est, c’est qu’elle est l’œuvre de l’administration pénitentiaire. Elle y a donc mis ce qu’elle voulait. Tout ce qu’elle voulait. Et uniquement ce qu’elle voulait. »


Loi pénitentiaire : du pareil au pire me à proprement parler. Mais, à leur manière, ce sont des gens très pragmatiques : ils voient le détenu comme un objet à gérer. Il faut dire que cette gestion est devenue plus difficile, du fait d’un certain nombre de facteurs : surpopulation, allongement des peines, modification du profil sociologique des détenus qui, par ailleurs, souffrent de plus en plus fréquemment de troubles mentaux, d’addiction… Face à ce cocktail détonnant, l’obsession de la pénologie « moderne » est de contrôler le comportement des détenus. Et pour cela, l’institution a besoin non seulement de marges de manœuvre mais aussi d’outils, pas tant pour « discipliner » que pour cadrer. Alors, comme ces gens-là voyagent beaucoup, ils sont allés voir ce qui se faisait à l’étranger. Malheureusement, des États-Unis et de Grande-Bretagne, ils ne se sont pas inspirés de ce qui se faisait d’intéressant mais de ce qui, depuis vingt ou trente ans, avait pris de l’ampleur, à savoir la mise en place d’outils coercitifs comme l’isolement, la différenciation des régimes de détention selon les niveaux de risque et de « dangerosité » ainsi que la détection du risque en amont. Et depuis, ils n’ont de cesse de répéter que ces outils leur permettront d’atteindre ce qui est devenu leur seul et unique but : faire en sorte que les établissements pénitentiaires soient plus gérables. Or, c’est tout l’inverse qui se profile, non ? M. H-E. : Hélas, oui. Les études anglo-saxonnes l’attestent. Le durcissement des régimes de détention rend les établissements beaucoup plus violents, beaucoup plus difficiles à gérer et, à l’arrivée, on se retrouve avec des personnes qui, lorsqu’elles sortent, sont plus récidivistes et plus violentes. C’est même fou qu’ils ne s’en soient pas rendus compte eux-mêmes car ce durcissement des régimes de détention est à l’œuvre en France depuis 2002 et cela se saurait si c’était efficace. Or, c’est l’administration pénitentiaire elle-même qui dit que les prisons sont de plus en plus difficiles à gérer ! Mais qu’importe, apparemment. Plus ils rencontrent de problèmes, plus ils sont tentés d’en rajouter dans le sécuritaire. C’est comme une sorte de fuite en avant, aux allures de formidable bond en arrière. Parce que tout ceci ne serait pas très nouveau ? M. H-E. : Je me souviens encore, il y a quelques années, avoir été très contente de m’être « débarrassée » de ma vieille thèse. Elle s’intitulait « La gestion du comportement du détenu. L’apparence légaliste du droit pénitentiaire ». Soutenue en 1994, elle décrivait comment l’administration pénitentiaire, par l’entremise d’un « sous-droit » (le droit pénitentiaire), cherchait à tout prix à cadrer les détenus. Je pensais que cette thèse appartenait au passé. Et puis, entre temps, a surgi la loi pénitentiaire. De fait, non contents de ne pas avoir de vision de l’homme, ces genslà n’ont, en outre, même pas de vision de l’efficacité. La seule efficacité qui compte pour eux, c’est une efficacité pénitentiaire. Ainsi qu’une certaine vision de ce que devrait être la chaîne pénale. Alors, certes, les détenus dangereux, on est prêt à les garder aussi longtemps que nécessaire et à ne les voir sortir qu’avec une kyrielle de mesures de sûreté, mais ceux qui ne posent pas (trop) de problème, il faut pouvoir les mettre dehors de façon à faire de la place pour ceux qui doivent rentrer. Ces gens-là sont très pragmatiques : on a une baignoire, si elle se remplit à telle vitesse, il faut qu’elle se vide à telle vitesse. Sans

se préoccuper des conséquences. Tant pour la société que les personnes détenues. Entretien réalisé par Stéphane Laurent

Trois réactions parmi d’autres au lendemain de l’adoption définitive de la loi pénitentiaire. Consternation et colères. Chez les surveillants comme chez les étudiants du GENEPI.

Stéphane Barraut secrétaire général adjoint de l’Ufap-Unsa « C’est une occasion manquée. Une loi pénitentiaire, ça n’arrive pas tous les quatre matins. Celle-ci va faire autorité pour les vingt prochaines années, au moins. Or, au lieu de porter une vraie réflexion sur le sens de la peine, le temps utile de la prison, la réinsertion, on se retrouve avec un texte qui ne vise à rien d’autre qu’à gérer les flux [...] la loi aurait dû se poser la question de savoir quel type d’établissement on veut en France. Des grandes structures de 2000 détenus où tout le monde est perdu, où le personnel ne gère plus rien ? Ou des établissements spécialisés, à taille humaine, autour de 250 détenus, qui permettent de se pencher sur la réinsertion ? C’est malheureusement le premier choix qui a été fait, dans le seul souci de faire des économies et au détriment du sens de la peine. »

CGT Pénitentiaire « Cette loi est un « immense gâchis », une « occasion manquée », une forfaiture de trop. Elle devait consacrer l’avénement d’un système carcéral moderne, progressiste et humaniste, elle entérine en fait une politique ultra-sécuritaire, liberticide, dont la défiance et la volonté de vengeance sont le credo. »

Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées « Si le GENEPI considère certains points du texte législatif comme des avancées, ceux-ci ne parviennent pas à juguler un net sentiment de dépit, face aux dispositions prises par les représentants du peuple français. Où est la grande loi pénitentiaire que nous attendions depuis maintenant plusieurs années ? Où sont les mesures tant espérées, qui devaient faire en sorte que la France n’ait plus à rougir de l’état de ses lieux d’enfermement préventif, d’emprisonnement et de réclusion ? Par rapport aux attentes légitimement suscitées par les promesses de campagne du candidat Nicolas Sarkozy, le résultat législatif fait, force est de l’admettre, bien pâle figure. » Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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Loi pénitentiaire : ce que dit le texte Voici les principaux articles de la loi pénitentiaire, soit sous une forme condensée, soit, pour les plus importants, dans leur intégralité. Article 1 : Le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions. Article 4 : Outre le rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, est rappelé que « la possibilité de contrôler et de retenir les correspondances ne s’applique pas à celles échangées » entre le Contrôleur général et les détenus. Article 11 : Instauration d’un « code de déontologie du service public pénitentiaire » Article 12 : « Les personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire constituent, sous l’autorité des personnels de direction, l’une des forces dont dispose l’État pour assurer la sécurité intérieure. Dans le cadre de leur mission de sécurité, ils veillent au respect de l’intégrité physique des personnes privées de liberté et participent à l’individualisation de leur peine ainsi qu’à leur réinsertion. Ils ne doivent utiliser la force, le cas échéant en faisant usage d’une arme à feu, qu’en cas de légitime défense, de tentative d’évasion ou de résistance par la violence ou par inertie physique aux ordres donnés. Lorsqu’ils y recourent, ils ne peuvent le faire qu’en se limitant à ce qui est strictement nécessaire. » Article 17 : Création d’une « réserve civile pénitentiaire » composé de retraités volontaires Article 22 : « L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L’exercice de ceux-ci ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l’âge, de l’état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue. » Article 23 : Dès son admission, chaque détenu est informé « oralement » et « par la remise d’un livret d’accueil » de ses droits et des « dispositions relatives à son régime de détention » Article 25 : « Les personnes détenues communiquent librement avec leurs avocats. » Article 26 : « Les personnes détenues ont droit à la liberté d’opinion, de conscience et de religion » sans autres limites que celles imposées par « la sécurité et le bon ordre. » Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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Article 27 : Instauration d’une obligation d’activité qui doit avoir pour finalité la « réinsertion » du détenu et être adaptée « à son âge, à ses capacités, à son handicap et à sa personnalité ». Article 29 : Consultation des détenus sur les activités « sous réserve du maintien du bon ordre et de la sécurité ». Article 30 : Possibilité de se domicilier auprès de l’établissement pénitentiaire pour voter (par procuration) et pour toute démarche administrative. Article 31 : Aide en nature (ou en numéraire) pour les indigents. Article 32 : La rémunération des détenus ne peut être inférieure à un taux horaire indexé sur le Smic. Article 33 : Mise en place d’un « acte d’engagement » Article 35 : Droit à au moins trois visites par semaine pour les prévenus et à une par semaine pour les condamnés, le permis de visite pouvant être refusé, retiré ou suspendu « pour des motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou de la prévention des infraction » et lorsque ces visites « font obstacle à la réinsertion du condamné ». Tout refus doit être motivé. Article 36 : Droit à un parloir familial ou à une unité de vie familiale par trimestre. Article 37 : Droit d’établir un pacte civil de solidarité Article 39 : Droit de téléphoner pour tous les détenus, l’accès pouvant être refusé, retiré ou suspendu pour des motifs « liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions » et, pour les prévenus, « aux nécessités de l’information ». Article 40 : Droit de correspondre librement pour tous les détenus. En revanche, peut être contrôlée et retenue toute lettre (sauf celles échangées avec leur défenseur, les autorités administratives et judiciaires et les aumôniers) qui « paraît compromettre gravement » la « réinsertion » du détenu ou « le maintien du bon ordre et la sécurité », toute retenue devant être notifiée. Article 41 : Les détenus doivent consentir par écrit à la diffusion de leur image ou de leur voix lorsqu’elle permet leur identification, l’administration pénitentiaire pouvant s’y opposer pour « la sauvegarde de l’ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi qu’à la réinsertion de la personne concernée ». Article 42 : Droit à la confidentialité des documents personnels qui peuvent être remis au greffe et doivent l’être lorsque est mentionné le motif d’écrou. Article 43 : Libre accès aux publications écrites et audiovisuelles sauf lorsqu’elles contiennent « des menaces graves contre la sécurité des personnes et des établissements ou des propos ou signes injurieux ou diffamatoires à l’encontre des agents et collaborateurs du service public pénitentiaire ainsi que des personnes détenues ».


Prisons d’autres temps et d’autres mœurs ? L’exposition photographique proposée par le musée Carnavalet sur les prisons parisiennes du milieu du xixe siècle jusqu’à nos jours est l’occasion d’un « arrêt sur images » opportun. D’abord, parce que la capitale a vu apparaitre puis disparaitre pas moins d’une vingtaine de « bastilles » sur son territoire, depuis l’époque de l’invention de la chambre obscure par Niepce. Il est bon de ne pas l’ignorer et d’en garder mémoire. Ensuite, parce que sa conceptrice, Catherine Tambrun, dit s’être intéressée au-delà de la prison « aux représentations de la prison », ce qui l’a conduite à s’inscrire dans une démarche qu’elle qualifie de « polyphonique ». Autrement dit, loin d’organiser un simple parcours thématique à base de photos légendées – au risque pour le visiteur d’en rester aux clichés d’une certaine imagerie carcérale – elle a voulu donner une place à la vidéo, et plus encore aux mots. C’est ainsi qu’elle a invité l’anthropologue Philippe Artières, l’historien Christian Carlier, le sociologue Gilles Chantraine, et bien d’autres, à poser leur regard sur le corpus qu’elle avait rassemblé. Avec

la ferme volonté de faire parler ces calotypes, phototypes et autres supports photographiques apparus au rythme des découvertes techniques. Et nous donner accès à l’essentiel, à tout ce que ces captations d’images nous disent de la condition pénitentiaire au fil des 150 dernières années. Et elles en disent long. Sur l’hybridation permanente de ces forteresses dédiées à une peine – l’enfermement – qui n’en finit pas de chercher son sens. Et, à défaut de l’avoir trouvé, sur l’extraordinaire capacité de l’homme à se perdre dans la punition des corps, ou à s’égarer dans le redressement des comportements et le relèvement des âmes. À cet égard, l’initiative de Carnavalet ne nous enseigne pas seulement que la prison, comme l’enfer, peut se paver des meilleures intentions, elle nous avertit aussi de la perpétuelle démesure des moyens de contrainte mis en œuvre, du raffinement infini des méthodes de coercition employées, et de la nature profonde des souffrances infligées. Prisons d’autres temps et d’autres mœurs ? À vous de juger ! Sébastien Daniel


« Que le regard se détourne et tout peut arriver... »* Ici ou là, dans les médias, chacun pourra découvrir dans les jours et semaines qui viennent, cette affiche signée de l’Observatoire international des prisons. La proposition de l’Agence H, qui a travaillé bénévolement à concevoir et réaliser cette campagne d’appel à don, s’est imposée. L’image est celle d’un jeune adulte qui nous regarde derrière les grilles de sa cellule. Sur cette image, un texte : « Si ça peut vous aider à donner, dites vous que cet homme est un chien » (voir page 42). Délibérément provocatrice, l’assimilation du prisonnier à un animal se veut bien évidemment réactive à la rhétorique sécuritaire qui, stigmatisant certains auteurs d’infractions par l’usage de termes comme « monstres » ou « prédateurs », sous-tend qu’ils perdent leur qualité d’être humain. Quant à l’interpellation sur les logiques qui président au geste de générosité, elle vise avant tout à contredire l’idée selon laquelle nos concitoyens seraient totalement indifférents au sort réservé, en leur nom, aux personnes détenues. L’OIP déroge rarement à son mode de communication consistant à n’intervenir dans le débat public que pour faire état de situations concrètes ou de démarches législatives et règlementaires constitutives ou génératrices d’une violation des droits fondamentaux de la personne détenue. Il y a néanmoins un précédent dans l’histoire de notre association. En 1996, soit quelques années après sa création, le journal Ouest France avait accepté de faire paraitre à titre gracieux une campagne d’appel à don. Le « message » choisi à l’époque se voulait en phase avec l’idée première prêtée à nos concitoyens, celle d’une vision de la prison comme « école de la récidive ». L’affiche disait donc : « Pour passer du vol au crime, il suffit parfois de passer par la prison ». Résultat : des lettres d’injures et des coups de téléphone anonymes. Une véritable douche froide pour une organisation qui venait d’obtenir un statut consultatif auprès de l’ONU. Le temps a passé, d’un siècle à l’autre, avec un changement d’échelle, quantitatif et qualitatif, dans l’information accessible pour connaitre de la réalité des conditions de détention dans notre pays. Il sera intéressant d’observer la nature et l’ampleur des réactions à une quinzaine d’années d’intervalle. Et tentant d’en faire une sorte de baromètre de l’évolution des mentalités. Ce n’est certes pas la seule ignorance des considérants de la vie derrière les murs qui a été jadis à l’origine des manifestations de haine à notre encontre. Le principe même d’une action en faveur du respect du droit à la dignité des personnes détenues a sans doute heurté nombre de consciences. Et, force est de constater qu’une telle démarche est de celles qui rencontrent le plus de difficultés à susciter l’adhésion du plus grand nombre. Chacun le sait. Nous le savons. Pour autant, il parait inconcevable de renoncer à solliciter le soutien financier du « grand public » au prétexte d’une possible nouvelle déconvenue. Nous le faisons cette fois en rappelant la nécessité de ne pas insulter l’avenir, c’est-à-dire en l’invitant à refuser avec nous que des hommes et des femmes puissent être traités comme des animaux en cage. Patrick Marest

* Christine Daure-Serfaty, ancienne Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009 présidente de l’Observatoire international des prisons, secrétariat international. II

« Que le regard se détourne et tout peut arriver… », par Patrick Marest. Page II « On photographie les murs, pas les hommes », par Catherine Tambrun. Page III Le tri, vieille et persistante tentation pénitentiaire, par Christian Carlier. Page VII La photographie, un anti-monument de la prison, par Philippe Artières. Page VIII Photographier les résistances, par Gilles Chantraine. Page X Ordre, propreté, hygiène…, par Françoise Denoyelle. Page XI Des lieux sans corps, par Dominique Kalifa. Page XII Comment l’homme qui perd sa liberté est-il encore un homme ?, par Chris Younes. Page XII Photographier l’anonymat physique ne doit pas être chose aisée, par Cédric de Veigy. Page XIII Contraindre sans cesse le regard du prisonnier, par Françoise Doulat. Page XIV Le rêve du regard : passer le mur, par Michel Frizot. Page XIV Vu, reconnu, repris, par Marc Renneville. Page X V Le chien est forcément innocent, l’homme forcément coupable, par Thomas Reichlin-Meldegg. Page X VII Admettons une bonne fois pour toutes que la qualité d’être humain l’emporte sur tout le reste, par Albert Jacquard. Page X VIII Ce serait monstrueux d’enfermer un homme normal…, par Michel Sparagano. Page XIX En prison, on gomme les gens, par Eric Hazan. Page X X Avec la prison, la société a fait le deuil d’une part d’ellemême, par André Tosel. Page X XI L’enfouissement des déchets humains, par Dan Kaminski. Page X XII En politique, agir, c’est d’abord dire qu’on agit, par Laurent Bonelli. Page X XIII

Photo page précédente : Parloir, prison de la Grande Roquette, 166 et 168, rue de la Roquette, 11ème arr., 1898-1899 - Henri Godefroy Tirage sur papier albuminé - Musée Carnavalet © Musée Carnavalet / Roger-Viollet


Prisons d’autres temps et d’autres mœurs ? Vue aérienne, maison d’arrêt cellulaire de Mazas, boulevard Diderot, 12e arr., mars 1898 - Pierre Emonts Tirage sur papier albuminé - Musée Carnavalet © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Du 10 février au 4 juillet 2010, le musée Carnavalet, le musée de l’histoire de la Ville de Paris, organise une exposition intitulée « L’impossible photographie : prisons parisiennes (1851-2010) ». En convoquant la photographie, la vidéo, la littérature, le profane comme l’expert, l’homme libre comme le détenu, Catherine Tambrun, chargée du département photographies, a souhaité interroger les représentations de l’univers carcéral. Et notre regard. Entretien.

« On photographie les murs, pas les hommes » Comment est née l’exposition ? Catherine Tambrun : Si, à l’origine, je n’avais pas l’intention de travailler sur la prison, c’est en découvrant l’extraordinaire travail qu’avait consacré à la fin du xixe siècle le photographe Pierre Emonts aux établissements parisiens que je me suis rendu compte qu’il n’existait aucun ouvrage de référence sur la représentation photographique de l’univers carcéral. Il y avait donc là un manque qu’il nous fallait absolument combler. Nous avons réuni un corpus d’environ 4 000 photos. Ce qui, pour 19 établissements dont certains ont plus de 150 ans, est à la fois énorme et ridicule. De fait, le corpus que nous avons rassemblé n’est pas homogène mais au contraire « troué ». Ainsi, à certaines périodes, nous avons beaucoup d’images (comme à la fin du xixe siècle au moment où l’on détruit les prisons parisiennes) et puis après, plus rien. Notre travail a donc été d’interroger ces fragments, ces portraits en creux et de chercher à comprendre pourquoi la société décide de représenter ou non ses prisons. Et comment. Nous en sommes arrivés à cette conclusion : on ne peut pas photographier la prison au sens propre. D’abord parce qu’on ne peut pas y entrer. Ensuite parce que la photographie est incapable de donner une image du réel : même en alignant plusieurs clichés, vous n’arrivez pas à comprendre le bâtiment. Et encore moins l’en-

fermement, une photo ne permettant ni de sentir les odeurs ni d’entendre les bruits. Il était donc primordial pour nous de montrer que la photographie en prison s’articule autour d’impossibilités. D’où le titre de l’exposition, qui est aussi un hommage au recueil de textes de l’historienne Michelle Perrot, « L’impossible prison », sorti peu après « Surveiller et punir ». Ces impossibilités, quelles sont-elles ? C. T. : La première est technique. Au point que cette exposition, consacrée à la représentation des prisons parisiennes, relate aussi l’histoire de la photographie, en nous parlant des conditions de prises de vue et des contingences matérielles qui influent toujours sur la manière de choisir le sujet. Ainsi, nous avons des plaques photographiques de 50 centimètres par quarante : avec un appareil photo de cette taille, impossible de prendre une photo à la sauvette. De fait, ce n’est qu’avec l’apparition du flash qu’on pourra commencer à photographier l’intérieur et les gens. Et c’est seulement grâce aux appareils compact que l’on peut prendre à la dérobée un cliché. Je n’évoque même pas les téléphones portables ou encore la possibilité aujourd’hui de faire de la photo en trois dimensions. La seconde impossibilité est administrative. On ne rentre pas comme ça en priDedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

III


son et c’est l’administration qui décide ou non d’ouvrir ses portes. C’est ainsi qu’au début du xixe siècle, exception faite d’une ou deux « campagnes », on ne photographie les prisons qu’au moment de leur construction ou de leur destruction. Parce qu’on est très fier de nos prisons ! Alors, quand on veut leur « tirer le portrait », on n’envoie pas n’importe qui. D’où des images somptueuses. Et même des cartes postales ! Toutefois, même si c’est un lieu fermé, un lieu où l’on n’a pas le droit de photographier, la photographie existe. Même de manière détournée : nous avons des photos faites par la Régie des bâtiments mais aussi des photos d’»amateurs » faites par ceux qui y travaillent, qui y interviennent, qui y vivent. Pour constituer notre corpus, outre bon nombre d’institutions (ministères, etc.), nous sommes naturellement allés voir les agences photos. Mais nous avons aussi dépouillé un certain nombre de magazines, comme « Détective » ou « Police magazine », qui -pour ne prendre que cet exemple- auront exploités jusque dans les années quarante des images prises au début des années trente par le photographe officiel du gouvernement, Henri Manuel. On s’est alors rendu compte de la chose suivante : on ne commence à parler d’un lieu qu’à partir du moment où on en a des images. En clair, tant qu’on n’a pas d’images des prisons, on n’en parle pas. Il y a vraiment une correspondance entre montrer quelque chose et avoir un discours dessus.

Que voit-on et que ne voit-on pas ? C. T. : Il y a des tabous. La mort, d’abord, sauf exception, n’est jamais représentée. L’autre grand tabou, ce sont les enfants. Nous n’avons retrouvé que trois photos où on les voit en groupe, de dos, dans une salle de classe ou à l’infirmerie. Sinon, il y a des cartes postales qui représentent des objets dont on nous dit qu’ils appartiennent à un enfant. Comme des signes de l’enfance dont l’enfant est exclu. Et pourtant, depuis qu’il y a des femmes en prison, il y a des enfants.

D’où, des contraintes non seulement techniques et administratives mais aussi « symboliques » ? C. T. : Tout à fait. Ces photos vont interroger nos représentations symboliques de la prison et vont les troubler puisque certaines rencontrent notre imaginaire collectif et d’autres pas. Quand on photographie des barreaux, on est dans le symbole, on donne à voir de la prison ce qu’on s’attend à y trouver. En revanche, quand un photographe se veut purement descriptif et prend en photo une salle de classe, il donne à voir quelque chose qui ne renvoie pas à la prison. Car, au final, la photographie nous renvoie surtout à ce que l’on connaît déjà : les barreaux, les serrures, les clés…

La pénitentiaire garde quand même des traces de ses « hôtes », non ? C. T. : On trouve effectivement, outre quelques photos de « tatoués », beaucoup de photos anthropométriques. Avec toutes les inventions et postures imaginables : des photos de face, de profils, de trois quart, avec la main à côté du visage, etc. Une vision totalitaire du corps avec, derrière, le fantasme de retrouver qui se cache derrière cet os qu’on vient de déterrer. Sauf qu’il ne sert à rien d’éditer des cartes et des fiches s’il n’y a personne pour les remplir. Cela n’empêche pas qu’aujourd’hui encore, lorsque les détenus et les intervenants permanents rentrent à la Santé, ils sont photographiés et reçoivent une carte.

Quelles représentations ces photographies donnent-elles à voir des détenus ? C. T. : L’homme est le grand absent de ces images. Pour les trois quart des photographies de l’exposition, la prison est vide. D’abord par impossibilité matérielle : les appareils du xixe siècle ne peuvent saisir que des bâtiments, de l’architecture. Ensuite par désintérêt pour l’individu. Pourtant, à partir du moment où il est possible techniquement de photographier l’intérieur, on peut prendre en photo ceux qui y vivent et ceux qui y travaillent. Mais on s’y intéresse si peu que l’on rentre dans des prisons pourtant pleine de monde pour aller y photographier des… plaques commémoratives ! On photographie les murs mais toujours pas ceux qui y vivent.

Lorsque le détenu est pris en photo, comment est-il représenté ? C. T. : Emblématique : l’homme est à ce point absent de ces images que, si l’on ne trouve pas de photos d’enfants, ce que l’on voit beaucoup, en revanche, ce sont… les femmes ! Sans doute parce que le photographe est un homme, qu’à la e veille du xx  siècle, la délinquance féminine était un sujet qui fascine et qu’il y a un côté voyeur à aller photographier la prostituée malade en prison. Mais le fait que, d’un point de vue photographique, à cette époque, le détenu, c’est une femme nous montre bien qu’on est dans le fantasme et qu’en prison, on vient chercher autre chose. Car, en photographiant avant tout la détenue, on n’est absolument pas dans une représentation de la réalité. Ensuite, dans les années trente, avec le travail sur les prisons qu’a réalisé Henri Manuel, le détenu est au centre. Mais comme faisant, en quelque sorte, « partie des meubles » : on le montre en groupe,

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Coursives avec silhouettes de quatre surveillants, maison d’arrêt de Paris - La Santé, avril 2009 - Tirage chromogène Musée Carnavalet - © Jacqueline Salmon


Visite médicale à l’infirmerie, prison SaintLazare entre 1929 et 1931 - Henri Manuel Gélatino-bromure d’argent Ecole nationale de l’administration pénitentiaire © Henri Manuel / ENAPCRHCP

dans des ateliers… D’ailleurs, ce qui est frappant, c’est qu’il y a, chez les photographes professionnels, une forme d’autocensure. On n’est donc jamais dans quelque chose d’extrême. Comme s’il y avait une sorte de démarche de « normalisation » par la photographie, non seulement de ce qu’on y trouve mais aussi de ceux qu’on y trouve. C’est ainsi qu’avec la photographie contemporaine, on se rend compte que la société rentre à l’intérieur de la prison. Et qui dit société dit aussi société de consommation. Auparavant, quand on représentait les objets appartenant aux détenus, c’était la même gamelle pour tout le monde. Aujourd’hui, on voit les effets personnels. Et, quand un photographe comme Olivier Aubert, dans les années quatre-vingt-dix, place le détenu au centre de son travail, c’est avant tout le témoignage d’une relation humaine. Pourquoi avez-vous demandé à trois photographes contemporains d’aller en prison ? C. T. : À nos yeux, on ne pouvait se contenter du patrimoine existant. D’ailleurs, s’il existait, c’est qu’il y avait eu des gens qui avaient réussi à le constituer. On a donc voulu créer en quelque sorte un patrimoine contemporain. Il a donc fallu convaincre l’administration pénitentiaire (apr.) d’ouvrir ses portes à nos photographes. Ce ne fut pas simple mais concluant. Pas simple parce que, ne nous intéressant qu’aux établissements parisiens, le seul encore en activité, c’était la Santé, une prison assez vétuste. Mais qui -contrairement à ce que l’on pouvait penser, qui plus est au regard de ce qui nous est présenté comme « prison-modèle »- n’est pas détestée par les détenus. Parce qu’il y a encore pas mal de personnels et que l’on sent que les surveillants prennent en compte les « conditions de vie » à l’intérieur et font preuve d’une certaine empathie. Il n’en reste pas moins que l’apr. renâcle à communiquer autour de ses vieilles prisons, coincée entre ceux qui veulent absolument montrer que ce sont des bouges infâmes et ceux qui considèrent qu’on enferme les détenus dans des hôtels quatre étoiles. On leur a donc expliqué qu’on ne voulait pas donner de la prison une image caricaturale mais simplement rendre compte de ce qu’on aura vu. Ils ont très vite compris qu’il valait mieux faire l’exposition avec nous. Et qu’il était plus intéressant pour eux d’avoir ouvert les portes que de les fermer.

Pourquoi ? C. T. : Parce que, lorsqu’on maintient les portes fermées, il y a forcément du fantasme. Ainsi, avant ma première visite, j’étais persuadée que l’intérieur de la Santé allait être dans le même état que l’extérieur, ce grand mur d’enceinte absolument immonde. Or, à l’intérieur, la première chose que j’ai vu, ce sont des portes rose bonbon ! Et, à chaque visite, je suis allée de surprise en surprise. D’ailleurs, ce ne fut pas la moindre que de rencontrer à l’intérieur des personnes sympathiques, contentes qu’on vienne les voir et désireuses de montrer ce qui se passe. De fait, avec l’apr., vous avez une administration qui dit non et, à l’intérieur, des gens qui vous disent oui. Alors, certes, à l’entrée, vous signez un tas de papiers, on vous prévient que tout ce que vous ferez pourra être contrôlé mais, une fois à l’intérieur, on a pu faire ce qu’on voulait. D’ailleurs, lorsqu’on a proposé à la direction de l’apr. de venir voir ce qu’on avait fait, ils ne sont jamais venus ! C’est, d’une certaine manière, rassurant. Cela veut dire aussi qu’il y a un énorme travail de communication et d’explication à faire. Car, certes, il y a des établissements vétustes. Mais, pour une administration qui, non contente d’être pauvre, doit non seulement gérer de l’humain mais en plus être rentable, ce n’est pas là qu’est le problème. D’où l’importance de multiplier les points de vue. Cela me fait penser aux photos publiées par « France-Soir » de la « souricière » du palais de Justice de Paris. Des photos prises avec un téléphone portable qui montraient des cellules immondes, avec des traces de déjection sur les murs. Or, quand j’ai visité la « souricière », si je n’ai pu voir l’intérieur des cellules, je n’ai en tout cas pas vu ces murs couverts de déjection mais des parties communes relativement propres. A mon sens, donc, la photo de l’intérieur qui montre des déjections comme celle qui montre des parties communes propres sont tout autant malhonnêtes parce que les deux sont fausses. C’est dans le mélange que l’on s’approche de la réalité. Voilà pourquoi on a demandé à des photographes d’aller photographier ce qu’on ne connaissait pas. Car c’est en multipliant les points de vue qu’on peut se faire une idée de ce que montre et de ce que ne montre pas la photographie de la prison. Cela permet de se rendre compte que tout cela est un peu plus compliqué qu’on ne voudrait nous le faire croire et que la photo, même si elle est un outil puissant, n’est bien qu’un outil. Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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Cellule individuelle du détenu T. D, série « portraits négociés », maison d’arrêt de Paris - La Santé, bloc A, janvier 2009 Impression numérique - Musée Carnavalet - © Michel Séméniako

Qui d’autre avez-vous « envoyé » en prison ? C. T. : Cette exposition se devait d’être polyphonique. D’abord parce qu’elle s’intéresse non à la prison en tant que telle mais aux représentations de prison. Ensuite parce qu’il nous fallait aller chercher dans les autres arts ce qui pouvait nous renvoyer une image un peu plus juste. L’écrit, bien évidemment, qu’il soit ou non littéraire. Puisqu’il peut être journalistique, administratif. Ainsi, Véronique Vasseur n’est pas le premier médecin de la Santé à avoir écrit sur ce qui s’y passe. Nous avons donc envoyé à la Santé un écrivain contemporain, Olivia Rosenthal, qui y a mené une vingtaine d’entretiens et nous avons sollicité un autre écrivain, Jane Sautière qui, ayant travaillé à la Santé, porte, elle, plutôt une parole de l’intérieur. C’est aussi pour cela que, par le biais d’ateliers d’écriture, nous avons été cherchés la parole des détenus. Mais aussi de personnes qui sont sorties de prison, qu’elles aient été détenues ou surveillants. Nous avons aussi cherché des films. Nous avons ainsi retrouvé une interview par Marguerite Duras de la directrice de la Petite Roquette, un véritable morceau d’anthologie. Nous nous sommes aussi intéressé à la production de l’apr., notamment ces films où elle explique aux futurs surveillants quel va être -ou plutôt devrait être- le parcours d’un détenu en prison et comment se comporter avec lui. Ensuite, nous avons sollicité un certain nombre de personnes pour qu’ils commentent les photos de l’exposition. Qui avez-vous sollicité ? C. T. : Des personnes qui ont une expertise sur la prison -comme l’historien Christian Carlier ou le sociologue Gilles Chantraine- mais aussi d’autres qui n’avaient pas forcément de connaissance spécifique du milieu carcéral. Et on leur a simplement demandé : « Qu’estce que vous voyez ? » et « comment réagissez-vous ? » Et, en général, les gens restent dans leur « domaine de compétence » ou, au contraire, en sortent-elles ? C. T. : En général, elles sortent de leur domaine de compétence parce que la prison, c’est un sujet affectif. Voilà d’ailleurs pourquoi, pour les gens qui viendront à l’exposition et qui pourraient s’attendre à voir une exposition sur la prison alors que c’est une exposition sur les représentations de la prison, nous avons consacré une salle qui permet de faire le point sur « la » prison. D’une certaine manière, solliciter des historiens, des sociologues, des urbanistes sur un tel sujet, c’est une autre forme de photo. D’autant que, certes, ils gardent leur spécificité mais ils regardent avant tout avec leur yeux d’hommes et de femmes. A ce propos, quel regard avez-vous porté sur la campagne de l’OIP où l’on voit un détenu derrière des barreaux, nous regardant avec ce slogan : « Si ça peut vous aider à donner, dites-vous que cet homme est un chien ». Avez-vous trouvé des photos semblables ou sommes-nous là dans le symbole ? C. T. : Nous, on a la grille mais pas le détenu. On est là dans le symbolique, avec une présence humaine très forte, qui est faite pour interpeler. Quand un détenu se fait photographier en prison, après qu’un lien se soit tissé entre lui et le photographe, il se représente en homme et il pose. Quant au slogan, il rappelle qu’on pourrait le considérer comme un chien. Il y a donc un mélange entre l’humain et l’animal, avec tout ce que cela veut dire de condescendance mais aussi d’appartenance. C’est, d’une certaine manière, ce que fait la photographie : petit à petit, on voit la société entrer en priDedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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son. Au point qu’à l’intérieur, on peut lire tout ce qui se passe à l’extérieur. Pensez-vous que votre exposition changera la manière de voir la prison ? C. T. : Ce que nous espérons, c’est que les chercheurs s’emparent du corpus que nous mettons à leur disposition, le but étant autant d’alimenter les recherches que de susciter le débat. Ce qui est sûr, c’est qu’elle devrait provoquer des réactions. Changera-t-elle le regard des gens sur la prison ? Je n’en sais rien. Moi-même, avant de faire ce travail, est-ce que je voulais vraiment savoir ce qui se passait en prison ? Pas vraiment. Ce que j’en savais, c’était ce qu’on voulait bien m’en montrer. Maintenant, j’en sais un peu plus que quelqu’un qui n’a jamais travaillé sur un sujet qui demande un investissement énorme. Car, au final, la prison, ce sont avant tout des expériences individuelles. Un peu comme un voyage : deux personnes auront beau voyager côte à côte, elles ne verront pas la même chose. Et puis, il y a aussi cette mécanique qu’est l’enfermement. Et dont la perception dépend beaucoup de quel côté on se trouve. Ainsi, je ne peux pas dire que j’étais en empathie totale quand j’étais en prison : je voyais des gens qui ne me regardaient pas forcément d’une manière très sympathique – j’ai compris après coup que c’était les détenus – et j’ai découvert des personnes dont le travail consistait, le matin, à s’assurer que les gens dont ils ont la garde sont encore en vie. Petit à petit, je me suis projeté dans le rôle du surveillant. En allant vite, je dirais que, quand on n’a pas travaillé sur le sujet, on est à la place du détenu alors que, quand on travaille dessus, on est aussi à la place du surveillant. Entretien réalisé par Sébastien Daniel 1. Exposition du 10 février au 4 juillet 2010 au musée Carnavalet, 23 rue de Sévigné, Paris 3e. Tel : 01 44 59 58 58. Plus d’information sur le site : www. carnavalet.paris.fr


Le musée Carnavalet a soumis les photographies qui composent son exposition « L’impossible photographie : prisons parisiennes (1851-2010) » aux regards de l’historien, du sociologue, de l’écrivain, du philosophe. Avec pour seuls guides de lecture, deux questionnements : « que voyez-vous ? » et « comment réagissez-vous ? ». Leurs propos évoquent autant la prison que la photographie et font autant appel à la réflexion qu’à l’émotion. Nous publions de larges extraits de ces contributions qui figureront en version intégrale dans le catalogue de l’exposition.

Démolition de la Grande Roquette, 1898-1899 - Henri Godefroy Tirage sur papier albuminé Musée Carnavalet - © Musée Carnavalet

Prisons d’autres temps et d’autres mœurs ?

Le tri, vieille et persistante tentation pénitentiaire L’historien Christian Carlier est le rédacteur en chef de la revue Histoire pénitentiaire, diffusée par l’Administration pénitentiaire.

A

ujourd’hui, dans Paris intra muros, deux prisons ont survécu à la destruction. L’une, la Conciergerie, a été métamorphosée en musée, et l’autre, la Santé, est toujours en activité. Après cette dernière, construite sous le Second Empire, les prisons migrent pour de lointaines banlieues, alors quasi inhabitées : Fresnes, en 1898 ; FleuryMérogis, en 1968. Puis viennent, beaucoup plus récemment, Villepinte, Nanterre, Osny… Les prisons aujourd’hui, la Santé exceptée, ceinturent la capitale, forteresses des temps nouveaux, posées souvent hâtivement en périphérie contre d’hypothétiques ennemis, intérieurs et extérieurs à la fois. Autre changement, entre 1811 et les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, les maisons d’arrêt (pour les prévenus en matière correctionnelle), de justice (pour les accusés en matière criminelle) et de correction (pour les condamnés à l’emprisonnement correctionnel de moins d’un an) dépendaient, pour leurs constructions ou les travaux d’entretien des murs, du budget des conseils généraux. D’où leur appellation de prisons départementales, signifiant ainsi une incroyable disparité du parc pénitentiaire, selon que les conseils généraux étaient plus ou moins disposés à mettre l’argent des contribuables dans l’entretien ou la construction de prisons.

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Le Conseil général de la Seine s’intéresse à son parc pénitentiaire dès lors que Louis Lucipia (1843-1904), chartiste, franc-maçon, journaliste de l’opposition à l’Empire, communard, ex-condamné à mort (commué), ex-forçat (commué), ex-banni, revenu de NouvelleCalédonie en 1880, préside le conseil général de la Seine en 1896 puis en 1899. Il est le père de Fresnes (maison de correction cellulaire ouverte en 1898) et donc le responsable indirect de la fermeture de Mazas, de Sainte-Pélagie et de la Grande Roquette. Il est aussi le « théoricien » grâce auquel la gauche (radicaux d’abord, socialistes ensuite, plus difficilement) accepta la prison comme peine, plus encore la prison cellulaire, à condition toutefois que celle-ci soit en même temps confortable, qu’au moins la République n’ait pas à rougir de l’état de ses prisons. Était brisée ainsi la loi d’airain des prisons mise en exergue depuis au moins le xviie siècle, suivant laquelle, pour être répulsive et mieux encore dissuasive, une prison devait offrir des conditions de vie matérielle plus défavorables que celles des plus pauvres parmi les pauvres de la société dite libre. [...] Le xviiie siècle avait ouvert une prison expérimentale unique, faute de moyens financiers, dans la période qui avait précédé la Révolution, lorsque l’État avait frôlé la banqueroute : la Force, dans le Marais. Située dans l’ancien hôtel du duc de la Force, c’était la prison des philanthropes et des hygiénistes : grandes baies pour la lumière et cachots remontés en surface, grandes pales mues par les prisonniers pour brasser et renouveler l’air, eau abondante des « piscines » c’est-à-dire de grands bassins de pierre où les détenus se baignaient tous les… six puis deux mois, chaleur des étuves pour débarrasser les vêtements des arrivants de leurs miasmes. Il ne faut pas oublier que grâce à ces mesures, plus la généralisation du « pain du Roi », diligentés par Malesherbes, Necker et Breteuil, le taux de mortalité fut divisé par quatre dans les prisons du Nord, par exemple, entre 1780 et la Révolution. Mais la Force inaugure ou plutôt développe la question de la séparation des prisonniers, non plus par prisons (prisons ordinaires, conciergeries, maisons de force, maisons de correction), mais par quartiers au sein même de la prison. Ainsi, la Force, qui accueille ses premiers détenus en janvier 1782, est découpée en six « départements » : le 1er pour les employés et le service de la maison, le 2e pour les parents dans l’incapacité de payer les mois de nourrice de leurs enfants, le 3e pour les dettiers, le 4e pour les détenus par ordres du roi ou du lieutenant de police, le 5e pour les femmes, le 6e pour les mendiants. Plus une infirmerie avec deux étages, l’un pour hommes l’autre pour femmes, et cinq chapelles. En 1785, fut adjoint à l’ancien hôtel de la Force celui de Brienne, la Petite-Force, affectée aux femmes de mauvaise vie, après la fermeture de la prison de Saint-Martin, rue Saint-Martin et décidée par lettres patentes d’avril 1785. Le tri, séparation des prisonniers entre eux à partir de critères de tous ordres, constitue une vieille et persistante tentation pénitentiaire. Hommes stigmatisés, réduits, enfermés dans et sous une étiquette, et qui finissent par y conformer leur comportement. La cellule, « prison dans la prison », en est l’aboutissement ultime, sauf à découper le corps du prisonnier en morceaux. La prison cellulaire, une cellule pour un seul détenu, cellule-rempart contre l’épidémie, l’homosexualité et surtout la récidive, ne fut légalisée que par la loi sur l’emprisonnement individuel de 1875. Mais les échecs de deux projets de loi sous la monarchie parlementaire n’empêchèrent pas que, de manière toute prétorienne, on ne l’expérimente à deux reprises, tout d’abord à la Petite Roquette, puis à Mazas. ■ Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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La photographie, L’historien Philippe Artières est chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales -CNRS « Anthropologie de l’écriture ».

O

n sait qu’aux lendemains de mai 1968, une mobilisation inédite s’était donnée pour tâche d’enquêter sur la prison ; nombre de personnes avaient manifesté devant ces mêmes portes : à l’occasion de l’incarcération de nombreux militants de l’extrême gauche, ils voulaient entrer et voir. Michel Foucault, JeanMarie Domenach et Pierre Vidal-Naquet avaient ainsi déclaré : « Peu d’informations se publient sur les prisons ; c’est l’une des régions cachées de notre système social, l’une des cases noires de notre vie. Nous avons le droit de savoir, nous voulons savoir. C’est pourquoi, avec des magistrats, des avocats, des journalistes, des médecins, des psychologues, nous avons formé un Groupe d’information sur les prisons. » Un questionnaire avait circulé, des témoignages étaient sortis ; l’ensemble avait été publié dans une brochure. L’information comme lutte. Les mêmes ou presque s’étaient retrouvés en mars 1973 – une photographie parue dans le tout jeune quotidien Libération avait capté cette manifestation –, en un petit cortège dans la rue devant l’enceinte de la Petite Roquette. Dans l’article qui accompagnait le cliché, on apprenait que l’établissement serait prochainement rasé après que les cent soixante-quatre pensionnaires auraient été transférés à la prison de Fleury-Mérogis et à la centrale de Reims. Parmi les manifestants, on pouvait reconnaître l’historienne Michelle Perrot


Prisons d’autres temps et d’autres mœurs ? Détenus au Dépôt des mineurs, Île de la Cité, 2006 - Pierre Jouve Tirage moderne - Collection privée Pierre Jouve - © Pierre Jouve

l’homme libre. Le détenu ne doit pas être dans le présent du dehors mais dans cet entre-temps anhistorique de la prison. L’adoption d’un emploi du temps strict, sans possibilité de variations, contribue à produire cette mise à l’écart. Un détenu n’a pas d’âge, son calendrier est celui des jours qui lui restent à purger ; la liste est longue de ces mesures, jusqu’à celle de suspension des droits civiques, qui participent de cette entreprise d’exclusion du temps historique. Cette politique alla longtemps de pair avec une absence de savoir historique sur la prison ; jusqu’au milieu des années 1970, l’histoire des prisons n’existait pas. Surveiller et punir et la manière singulière dont Foucault relia cette histoire de la naissance de la prison avec l’actualité pénitentiaire dont il avait été l’attentif témoin marquèrent le point de départ de ce changement, rencontrant l’intérêt de quelques historiens soucieux de renouveler, dans l’après 68, l’histoire sociale. Il fallait faire l’histoire de l’évidente prison mais aussi de l’archipel républicain qui la composait : les lois pénitentiaires, la criminologie naissante, le bagne, les colonies pénitentiaires. Le voile se

un anti-monument de la prison et le philosophe Michel Foucault. Tous étaient là pour s’opposer à la destruction du bâtiment dans lequel des milliers de détenu(e) s avaient été incarcéré(e) s. Crainte que la mémoire de la prison et des détenus tombe à jamais dans les oubliettes. La conservation comme lutte. La crainte était justifiée : ne pas conserver le bâtiment, c’était ajouter à la case noire une impossible trace. Faire disparaître à jamais la mémoire des ombres de l’Histoire. Mais n’était-ce pas une des autres fonctions de la prison ? La peine d’emprisonnement telle qu’elle est pensée depuis le début de la prison pénale ne consiste-t-elle qu’en une privation de liberté et en une exclusion spatiale du social ? On sait bien que non : chaque individu qui entre en prison est privé d’un droit à l’intimité, comme le dénoncent régulièrement les défenseurs des droits de l’homme. Mais un détenu n’est-il pas l’objet d’une autre peine encore ? L’emprisonnement comme exclusion de l’histoire et de son récit. Cela va de soi s’agissant des prisonniers politiques : que l’on songe ici à la manière, par exemple, dont le régime tsariste russe mit au secret pendant vingt ans certains de ses opposants afin de les rendre à la liberté en totale anachronie. Placer le fautif non pas seulement en dehors de la cité (derrière des murs) mais en dehors du temps social et en conséquence du récit collectif qui fait qu’un individu se sent contemporain d’un autre : la prison serait ainsi un lieu volontairement en dehors de l’Histoire ; l’interdiction jusqu’en 1972 de la presse d’actualité en détention ne serait pas uniquement liée à des questions de sécurité et d’ordre au sein des établissements, mais plutôt au souci d’accroître sans cesse ce décalage entre le temps du prisonnier et celui de

levait sur un monde dont les archives n’avaient jusqu’alors jamais été explorées ; la prison pénale eut soudain un âge : deux cents ans à peine ; on avait eu tort de la croire « médiévale » ; elle était l’enfant de notre modernité, la fille des Lumières. La photographie a souvent joué contre l’Histoire ; car le pouvoir n’a cessé de rendre invisible les détenus, en faisant du « délinquant » un personnage ; il a construit avec les détenus des images du coupable condamné. Cette fabrication ne s’est pas limitée à la photographie anthropométrique, elle a investi l’œil photographique figeant la moindre des situations en scène de genre, « anthropologisant » le corps du prisonnier. La photographie de reportage a pu ainsi être une auxiliaire efficace de la formidable machine à oubli qu’est la prison. Il y a ainsi toute une histoire du portrait, d’Alphonse Bertillon à Olivier Aubert, qui a paradoxalement rendu invisible les sujets prisonniers. Il ne suffit pas de photographier un individu à visage découvert pour qu’il existe comme sujet. Mais dans cette histoire de mémoire et d’oubli, les photographies e prises depuis le milieu du xix  siècle ont peut-être contribué aussi, souvent involontairement, à la lutte contre l’enfouissement, et à l’édification d’un tombeau pour ces milliers de prisonniers. Par l’archivage de minuscules traces, un portrait en creux se donne à voir, une sorte d’anti-monument qui serait fragmentaire, dont l’inscription serait tremblée, le support fragile, le socle dérisoire. Dans cette résistance à la fabrique d’une image carcérale du prisonnier et de la prisonnière, il est des stratégies successives et très diverses pour contrer l’entreprise des photographes et fabriquer en négatif une mémoire aux ombres. ■ Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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Cellule de punition, prison de Saint-Lazare, Faubourg Saint-Denis, 10e arr., juillet 1888 - Pierre Emonts Tirage sur papier albuminé - Musée Carnavalet © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Photographier les résistances Chargé de recherche au centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, le sociologue Gilles Chantraine est spécialiste des questions carcérales.

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e corpus réuni pour ce projet par le musée Carnavalet témoigne d’un changement historique qui oppose une longue période durant laquelle le dispositif pénitentiaire se reproduisait dans un temps immobile, à une période plus récente, qui, sans mettre véritablement en danger la reproduction de l’institution, voit le regard porté sur elle se complexifier et se doter d’une charge critique renouvelée. D’abord intimement imbriquée au dispositif policier et à la criminologie naissante, vouée au fichage policier et fascinée par l’organisation disciplinaire des établissements pénitentiaires, la photographie viendra dépeindre ensuite (à partir des années 1980 et 1990) la violence matérielle et symbolique de l’institution et, simultanément, les efforts individuels des femmes et des hommes détenus – par des bricolages intimes, des adaptations pragmatiques, des résistances plus ou moins masquées et plus ou moins publiques – pour ne pas sombrer dans le néant carcéral.

Techniques policières, criminologie, discipline carcérale La prison est le lieu où l’imposition d’une discipline spécifique permet le redressement, puis l’amendement de personnes considérées comme déviantes et qui ont commis des infractions pénales. C’est la définition de la vocation de la peine de prison forgée par le xixe siècle qui, par le biais de plusieurs moments de réélaboration dont le dernier a eu lieu après 1945, s’est transmise comme horizon de la réforme du système carcéral jusqu’au milieu des années 1970, période à partir de laquelle s’amorce une critique et rend, davantage qu’auparavant, problématique la monotonie reproductive de l’institution. Les photographies datant d’avant cette rupture critique constituent un moteur et un témoignage à la fois de la pénologie (science de la peine et du traitement pénal de la délinquance et des délinquants) dominante qui a sous-tendu et légitimé la prison (correctionnalisme, utilitarisme pénal, discipline), et, plus généralement, de l’imbrication intime de la photographie à un pouvoir en pleine métamorphose. La photographie a en effet constitué un outil essentiel de l’invention et de la mise en œuvre de techniques policières modernes (fichage, Bertillonage), en même temps qu’elle a fourni un ingrédient essentiel à la formulation et la force de conviction des théories criminologiques, notamment celle de Lombroso et du « criminel-né ». [...] En bref, la somme considérable de photos et d’images disponibles permet de visualiser ce que Michel Foucault avait identifié comme les sept maximes universelles de la bonne condition pénitentiaire, qui, au fil des époques, ont guidé les réformes de l’institution : Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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1. Le principe de « correction » : la détention pénale doit avoir pour fonction essentielle la transformation du comportement de l’individu. 2. Le principe de la « classification » : les détenus doivent être isolés ou répartis selon la gravité pénale de leurs actes, selon leur âge, leurs dispositions et les phases de leur transformation. 3. Le principe de la « modulation des peines », selon les résultats obtenus ou les rechutes. 4. Le principe « du travail comme obligation et comme droit ». 5. Le principe de « l’éducation pénitentiaire ». 6. Le principe du « contrôle technique » – contrôle de la détention par d’autres agents que ceux de la pénitentiaire. Enfin, 7. Le principe des « institutions annexes ».

Le photographe comme acteur et témoin de l’ouverture relative de la prison sur le monde extérieur En contrepoint, les photographies les plus récentes constituent un symptôme des transformations d’une institution, contrainte, sous le poids de la critique et de la promotion des droits des personnes incarcérées, de s’ouvrir au moins un peu sur l’extérieur et à la pluralité des regards qui se portent désormais sur elle, fussent-ils contestataires. Elles constituent également un prolongement de cette critique : à l’ultra-réalisme tautologique des photographies de « criminels » (« ceci est une photo de criminel »), les travaux de photographes comme Jacqueline Salmon, Anne-Lise Dees, Olivier Aubert, Michel Séméniako, Nivette Pierret ou encore Mathieu Pernot viennent dire, chacun à leur manière, une autre vérité sur la prison, délestée de son mythe fondateur – mythe selon lequel la peine de prison aurait pour vocation première de réintégrer le détenu dans la société –, vérité qui interroge sa structure par les lumières qu’elle brise et les horizons qu’elle ferme. Simultanément, les photographies rendent visibles les résistances biographiques (maintenir une cohérence identitaire en en personnalisant « son » espace, ou en


Escalier menant à la détention, prison de la Conciergerie, entre 1929 et 1931 - Henri Manuel Gélatino-bromure d’argent - École nationale de l’administration pénitentiaire - © Henri Manuel / ENAP-CRHCP

Ordre, propreté, hygiène... Professeur d’histoire de la photographie à l’ENS Louis-Lumière, Françoise Denoyelle a étudié plus spécifiquement les photos réalisées entre 1928 et 1934 d’Henri Manuel, le photographe officiel du gouvernement.

L mettant en scène ses objets personnels et intimes) et infra-politiques (améliorer par petites touches un quotidien constitué d’une oppression matérielle et symbolique sans néanmoins chercher à s’attaquer frontalement au pouvoir, comme lors d’une émeute par exemple) de celles et ceux qu’elle retient enfermés.

[...] Oppression structurelle et résistances individuelles : une dialectique mise en images Plus fondamentalement, ces photographies s’inscrivent dans une dialectique singulière qu’il s’agit d’exacerber au cœur même du dispositif artistique. D’un côté, on l’a dit, leur existence témoigne d’une ouverture relative de la prison sur le monde extérieur, et sur la reconnaissance, a minima, d’un « droit de parole » et d’expression aux détenus, perceptible notamment lorsque ceux-ci participent pleinement à la conception et l’ordonnancement des photos, comme dans les travaux de Michel Séméniako. D’un autre côté, précisément, cette prise de parole consiste encore et toujours à dénoncer la violence carcérale, à rendre visible ce que l’institution retire sans cesse à l’individu, en mettant à l’épreuve son indépendance, son autonomie, son expressivité, sa subjectivité. Là où, comme l’avait bien analysé Anne-Marie Marchetti, les photographies privées qui s’échangent de part et d’autre des murs viennent signifier, envers et contre tout, le statut d’enfant, de parent, de père, d’oncle et rappellent qu’en prison comme ailleurs « la pratique photographique n’existe et ne subsiste la plupart du temps que par sa fonction familiale » (en ce sens, elles constituent un inverse fonctionnel du Bertillonnage : montrer ce qui n’est pas criminel chez soi), les photographies artistiques rompent avec l’origine policière et criminologique des images de prison, et cherchent davantage à mettre en scène la dialectique de la domination structurelle de l’institution sur les corps et les esprits et les résistances, hétérogènes, des détenus. [...] ■

a présence de l’Église est visible dans les bâtiments. [...] Ce sont surtout les religieuses, personnel essentiel des prisons de femmes qui imposent et signifient la place de l’Église dans le dispositif carcéral. [...] Les sœurs, acteurs privilégiés ou secondaires, posent le plus souvent. Sœur Monique se tient à côté de son lit dans sa cellule, une consœur fait de même dans la salle de bain à côté des baignoires. Ces images statiques sont porteuses des valeurs que veut promouvoir le ministère de la Justice en toutes circonstances : ordre, propreté, hygiène. En cornette blanche, les religieuses s’affairent aux procédures d’incarcération, à la gérance du vestiaire, de la bibliothèque, à la bonne marche de l’infirmerie, à la surveillance du réfectoire et des travaux des détenues. Elles participent au déménagement des prisonnières à la Petite Roquette lorsque Saint-Lazare ferme. Souvent au contact des détenues, elles arborent une posture de domination, symbole de l’ordre, lorsqu’elles sont installées sur une haute estrade dans l’atelier de couture. Leur habit fait office d’uniforme et rien ne transparaît de leur personnalité. Elles apparaissent surtout comme du personnel de direction et d’encadrement plus que comme des religieuses. Les prêtres, bien moins présents, n’exercent que des fonctions sacerdotales. Ils prient avec les détenues autour de la crèche de Noël, dans la chapelle cellulaire, confessent les prisonniers. Le manque d’habileté des opérateurs révèle les mises en scène. Ontelles été organisées par le photographe ou par le commanditaire ? Probablement par les deux. Les techniques de prises de vue restent rudimentaires et les conditions d’éclairage difficiles ne favorisent pas une approche plus personnelle qui, probablement, ne figurait pas dans le cahier des charges. Les photographies sont presque toujours éclairées artificiellement. Néanmoins, apparaît une volonté de valoriser les prisons, de montrer qu’elles ne sont pas qu’un lieu d’enfermement, mais aussi de rachat par le travail. Si la répression, les brimades transparaissent plus qu’elles ne sont affirmées, la volonté d’hygiène et de santé est clairement affichée. Une lecture plus contemporaine des images appréhende de façon plus critique l’enfermement, la dureté des conditions de vie dans des locaux insalubres, la grande pauvreté des détenus en dehors de quelques exceptions. ■ Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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Dortoir à sept lits, prison Sainte-Pélagie, 14, rue du Puits-de-l’Ermite, 5e arr., juillet 1889 - Pierre Emonts - Tirage sur papier albuminé Musée Carnavalet - © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Des lieux sans corps L’historien Dominique Kalifa, professeur à l’Université Paris I et à l’Institut d’Études Politiques de Paris, est spécialiste de l’histoire du crime et de ses représentations.

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ans ces paysages longilignes, c’est surtout l’intensité du vide qui surprend : la plupart des clichés nous donnent à voir des couloirs vides, des préaux vides, des cellules vides. Aucun mouvement ne semble animer ces cours, si ce n’est celui du vent et des ombres que l’on pressent, l’été, dans les feuillages touffus des arbres ou dans les lierres qui courent sur les façades de Mazas. Les ateliers, fréquemment photographiés (ils nous rappellent l’importance du travail dans la fiction comme dans la vie pénitentiaire), montrent souvent un joyeux capharnaüm de machines et d’objets, mais pas la moindre présence humaine. La vie semble s’en être retirée. Ce sont des lieux sans corps, des paysages inertes. L’immense dortoir des prostituées de Saint-Lazare juxtapose de longues rangées de lits vides, comme autant de destins uniformes et mêlés dans des séries infinies. Les matelas et les couvertures, soigneusement disposés sur les lits, évoquent presque des cadavres dans leurs linceuls, alignés comme en une gigantesque morgue. Dans la chapelle, une statue de la Vierge, seule figure humaine, surplombe les chaises vides. Les quelques gardiens et sœurs de Sainte-Marie-Joseph qui apparaissent sur certaines de ces photographies peinent à occuper ces espace désespérément vides. On sait, bien sûr, que ces couloirs et ces préaux,

saisis ici avant leur « grande transformation », vont se peupler et s’animer dès que l’on aura détourné le regard, mais cela ne fait que rajouter à l’artificialité de la représentation. On comprend également les raisons techniques et « morales » qui président à cette configuration. Mais elle exprime aussi la vacuité de la vie carcérale. On ne peut à cet égard qu’être saisi par le contraste qu’offrent les scènes de démolition, souvent suivies ou observées par de nombreux témoins. L’absence des détenus, ces « ombres » de l’Histoire selon la belle expression de Michelle Perrot, constitue sans nul doute le trait le plus marquant de ces photographies. Contrairement aux nombreux dessins et gravures (ceux de L’Illustration, par exemple) qui, dans la tradition de la « prison romantique », continuent de peupler les cellules de corps brisés et souffrants, les lieux demeurent ici désespérément vides. Le nombre de détenus, on le sait, ne cesse de décroître dans la période retenue (à tout le moins celui des adultes emprisonnés en métropole, qui passent de 51 300 en 1852 à 12 275 en 1939), mais ce n’est bien sûr pas de cette réalité chiffrée dont rend compte l’effacement des prisonniers. Tout se passe comme si leur corps, à l’inverse de ceux des surveillants, ne parvenait pas à se fixer sur les plaques ou sur la pellicule. ■

Comment l’homme qui perd sa liberté est-il encore un homme ? Docteur en philosophie, Chris Younès est psychosociologue, spécialisé dans le domaine de l’urbanisme. Dans l’univers carcéral, qu’est-ce qu’on ne peut photographier ? Reste la liberté. Or, s’il est d’une grande difficulté de représenter une idée, il l’est encore davantage d’en représenter l’absence. Les photographies semblent avoir opté pour des images types qui évoquent l’absence de la liberté, tels les Véhicules du ministère de l’Intérieur, les Panhard à cellules et les Paniers à salades. Sacrifiant au réalisme, elles insistent particulièrement sur le symbole quelque peu convenu des barreaux. Elles en décrivent la modernisation qui se traduit essentiellement par leur allégement en fonction de l’évolution architecturale, voire par la recherche esthétique qui donne parfois l’impression d’un monde mystérieux fermé sur lui-même. Plus classiquement, elles abondent dans la description des murs et des bâtiments, insistant sur leur solidité, leur rationalité, ou sur leur désolante agressivité. Elles étayent la représentation des parloirs, montrant leur austérité et leur gravité en recourant, là aussi, à la force dissuasive des barreaux. Ces ensembles imposants sont renforcés par le vide qui règne sur ces espaces contrôlés et qui souligne le contraste entre la force, la puissance des signes de l’autorité légale et l’écrasement du prisonnier, abandonné à lui-même et à sa honte. Car il est tout à fait remarquable qu’une grande majorité des photographies nous montrent une prison sans prisonniers. L’école, la chapelle, les parloirs, les cours, les dortoirs et les cellules sont d’un

vide pesant. On voit la prison, on ne voit pas les prisonniers, comme si pour représenter l’absence de liberté, la photo a choisi de nous faire voir l’absence de l’homme. Tout se passe comme si elle voulait nous mettre en face d’une interrogation métaphysique : comment l’homme qui perd sa liberté est-il encore un homme ? Que nous dit la prison de l’humanité des hommes ? Ces interrogations redoublent de gravité lorsque sont rappelées les diverses analogies soulignées par Platon entre les prisonniers et nous. Ces questionnements peuvent se reposer en d’autres termes : sommes-nous vraiment des hommes, nous dont la liberté est encore confisquée par les différentes prisons de notre vie ? Comment la cité veille-t-elle à ne pas mettre à mal la dignité de chacun ? Aussi, la prison de la Petite Roquette qui se dresse, imposante et majestueuse, en pleine ville de Paris, apparaît-elle comme un symbole panoptique plus édifiant pour ceux qui n’y sont pas que pour ceux qui s’y trouvent enfermés. La prison vue de la ville est donc un symbole. Par son architecture généralement de style très classique, elle doit signifier deux idées : la puissance et la droiture. Elle doit refléter la fonction allouée à la sanction depuis la nuit des temps, savoir qu’elle est plus dissuasive que punitive (les murs épais, les portes blindées, les guérites de surveillance, les couloirs, les gardes, etc.). D’un autre côté, elle doit suggérer la linéarité et la rectitude de la loi, sa neutralité et son impartialité. La linéarité est censée indiquer la ligne de démarca-


Prisons d’autres temps et d’autres mœurs ? Couloir de surveillance des parloirs, maison d’arrêt de Paris La Santé, 1990 - Olivier Aubert Gélatino-bromure d’argent - Musée Carnavalet - © Olivier Aubert

Photographier l’anonymat physique ne doit pas être chose aisée Cédric de Veigy est enseignant-chercheur en photographie et cinéma.

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e corpus des photographies réalisées au sein des prisons parisiennes depuis ces 80 dernières années est peu conséquent, aussi bien en nombre d’images (environ 3 800) qu’en nombre de photographes concernés (190). Il est vrai que les commandes institutionnelles soucieuses de relever et d’archiver l’état des prisons furent peu nombreuses durant cette période, et que les règles administratives qui encadrent les prises de vue en milieu carcéral restreignent la marge de manœuvre des photographes au point de contrarier l’attente des médias. Outre l’obligation d’obtenir l’autorisation de la chancellerie puis l’accord des détenus ou des

tion entre le permis et l’interdit. La rectitude désigne le caractère inflexible de cette linéarité. Dans une certaine mesure, la prison doit rassurer la ville, avec toute l’ambiguïté requise par cette fonction. Car ce qui rassure est à la fois source de sécurité et de menace. La prison rassure la ville en ce qu’elle lui signifie qu’elle veille à sa paix et à sa tranquillité, puisqu’elle a mis derrière les barreaux ceux qui pourraient y attenter. Mais elle est aussi une menace en ce qu’elle signifie à chacun l’œil panoptique qui épie et qui, à la fois, observe et évalue chacun de ses actes. La leçon que dit la prison à la ville est que nul n’est au-dessus de la loi. Ce qui peut également, au besoin, s’interpréter ainsi : nous sommes tous en liberté surveillée. Aussi les villes modernes ont-elles rapidement cherché à « délocaliser » la prison, en la renvoyant extra-muros. Cela peut vouloir dire deux choses au moins : d’une part, la « pacification » réussie et achevée des grandes villes et métropoles ; de l’autre, que le mal a été exporté vers ces nouvelles formations qui ont vu le jour précisément avec le gigantisme qui a frappé les agglomérations urbaines, à savoir la banlieue. Tout se passe comme si, après avoir sécurisé la ville de l’intérieur, la prison va maintenant le faire de l’extérieur. C’est à peu près le sentiment inverse qui se dégage des photos de la ville, vue de la prison. Celle-ci semble alors fonctionner tel un prisme qui décompose le regard et montre les immeubles et les maisons Prison de la Petite Roquette, vue aérienne, 143 rue de la Roquette, 11e arr., 16 juin 1949 - Anonyme - Gélatino-bromure d’argent Photothèque de la Préfecture de Police - © Préfecture de Police (service de la Mémoire - et des Affaires Culturelles - Photothèque)

surveillants rencontrés, les photographes doivent se soumettre à tout un jeu de restrictions tacites censées protéger chacun d’une possible instrumentalisation médiatique des images. Une directive du ministère de la Justice concernant « la réalisation de reportages dans les services pénitentiaires » stipulait ainsi, au début des années 2000, qu’« il est de règle de ne jamais autoriser de reportage à caractère individuel » et que « dans tous les cas, l’anonymat patronymique et physique des personnes placées sous main de justice doit être respecté. » Photographier l’anonymat physique – notion dont le législateur est probablement le seul à comprendre ce qu’elle recouvre – ne doit pas être chose aisée. Cette réglementation prive notamment les photographes de la saisie du regard, trait souvent le plus expressif des personnes rencontrées, mais par trop singulier et identifiable. Demeurent la possibilité de jouer avec le dos et la silhouette des corps, l’opportunité de repérer les contre-jour, les ombres et les plans rapprochés qui rejetteront les signes distinctifs dans l’angle mort ou le hors-champ de l’image, et l’éventualité de recourir aux caches ou au floutage des visages lors de la publication. Mais une photographie sans regard paraîtra souvent inhabitée et la plupart des photographes, conscients des restrictions qu’amène ce jeu de cache-cache dans leur pratique, renoncèrent souvent ou préférèrent réaliser des reportages sur la condition carcérale dans des pays où la législation s’avérait moins contrevenante à leur savoirfaire. Il faut attendre le renouveau de postures photographiques qui s’accommodent d’une absence de la figure humaine, et l’apparition de commandes émanant d’institutions extérieures au ministère de la Justice, et dont les prérogatives s’écartent du seul souci documentaire, telle celle du musée Carnavalet, pour que les contraintes de la prise de vue en prison deviennent une gageure attirant des personnes soucieuses de réinterroger les enjeux médiatiques de la photographie. ■ comme autant d’exceptions par rapport à la règle ! Par son volume imposant, la prison apparaît être une forteresse inaccessible. Avec ses quartiers distribués dans l’espace et isolés les uns des autres, la ville se présente en un espace morcelé, un terrain accidenté ou, en tout cas, manquant de l’unité, de la régularité, de l’uniformité qui caractérise la prison. Dans le fond, cela évoque une opposition entre la monotonie d’une existence qui s’écoule dans l’ombre, enserrée dans des dispositifs de coercition, et la diversité de la vie qui s’expose au risque de l’imprévisible. Tel est le prix à payer quotidiennement pour gagner sa liberté. ■


Vue d’une des six divisions de la maison d’arrêt de Mazas, 12e arr., mars 1898 - Pierre Emonts - Tirage sur papier albuminé Musée Carnavalet - © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Le rêve du regard : passer le mur Historien de la photographie, Michel Frizot est chercheur au CNRS et professeur à l’Ecole du Louvre.

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Contraindre sans cesse le regard du prisonnier Fabienne Doulat termine une thèse de doctorat sur Guillaume-Abel Blouet, architecte des prisons.

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a prison semble couramment assimilée, dans l’imaginaire collectif, aux principes architecturaux des établissements cellulaires, en particulier aux longues nefs desservies par des coursives, qui ne sont pourtant pas une généralité dans le parc pénitentiaire français. De ce point de vue, les photographies des prisons parisiennes, indéniablement les plus célèbres et les plus diffusées par la presse, ont participé à la formation de cette image en imposant une vision spécifique de la prison. Ces établissements, considérés comme modèles au moment de leur construction, du fait de leur organisation et de la modernité de leurs équipements, le sont sans doute aussi devenus par leur esthétique, mise en valeur par les photographies. Le regard occupe une place centrale dans la prison du xixe siècle, par un jeu constant de représentation et de dissimulation. L’architecture doit permettre à l’œil de l’administration, à travers son personnel, de contrôler tout ce qui se passe entre les murs de la prison. À l’inverse, une partie du processus pénitentiaire consiste à priver le détenu de la faculté visuelle afin de limiter les contacts entre les prisonniers. Grâce aux dispositifs architecturaux (cellules dont les portes peuvent être entrebâillées pour voir l’autel, boxes des chapelles cellulaires ou promenoirs individuels) ou réglementaires (cagoules portées obligatoirement en dehors de la cellule), le regard du prisonnier est sans cesse contraint. Plus largement, la conception du bâtiment pénitentiaire de l’époque repose sur l’idée de laisser voir à la société libre l’extérieur impressionnant d’un bâtiment, qui n’est finalement qu’apparence, tout en cachant ce qui est vraiment effrayant : la vie à l’intérieur de l’édifice et ses souffrances. Encore maintenant, la prison jouit d’une position particulière, inquiétante non pas tant par ce qu’on en voit, mais au contraire par ce qui nous est caché et que l’on imagine avec crainte. Les photographies des établissements parisiens permettent, d’une certaine manière, de libérer notre regard et donnent la possibilité de voir la prison autrement. ■ Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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e qui peine à « percer », en prison, c’est le regard ; ce qui doit se trouver obturé, c’est la vue. Le rêve du regard est de passer le mur. Regard du reclus, regard du photographe, regard du regardeur de photographies, qui réinsère dans le parcours de l’œil sur l’image, les obstacles au passage des corps. Il y a mimétisme entre la circulation des personnes et la continuité de la vue, mais ce mimétisme reste imaginaire, projeté. Lorsque le regard suit les lignes parallèles de ces couloirs, de ces enfilades de pièces, il bute sur un mur, une grille ou un aveuglement (le trou de lumière trop forte pour la plaque photographique). Comme l’avait bien analysé Michel Foucault, certaines prisons ont été construites en s’inspirant des principes du panoptique (Mazas, la Petite Roquette, la Santé). La centralité du regard définit les rayons axiaux sur lesquels se déploient les cellules ; de même, les « rosaces » apparentes sur le plan sont les cours de promenade, triangles tous orientés axialement vers le centre d’observation. Le rétrécissement angulaire accentue, depuis le point de visée photographique, la fuite des lignes vers ce point central. Symptomatiquement, le plan de Mazas montre, en avant du bâtiment, une sorte de chambre photographique, pointée vers l’intérieur, c’est-à-dire vers l’œil central de la surveillance générale, tandis que pour la Petite Roquette, deux cubes-camera symétriques sont opposés sur l’hexagone radiant. Encore une fois, la photographie est apte à témoigner de ce système dans la mesure où l’objectif est, en première approximation, assimilable à un œil – et où la structure géométrique de la vision oculaire est celle qui se manifeste aussi dans la chambre noire. Mais elle ne peut montrer qu’un espace à la fois : sur la ligne d’un corridor, seules les différences d’éclairage (les jours qui apparaissent au sol) signalent une cellule, du moins lorsqu’elle est ouverte. Une photographie est toujours un ensemble de taches de lumière sur un fond sombre, et dans le cas d’espaces clos, telle la prison, il s’agit d’une succession d’impacts lumineux sur des murs ou des sols. Ce sont les scansions de lumière – alternance de clair et de sombre – qui permettent d’imaginer la succession des cellules ou passages, et par conséquent la présence, passée ou actuelle, d’êtres humains, d’autres regards. Le rayon de lumière est donc la matérialisation symbolique du regard. Les photographies de prison, en montrant ces trajets de la lumière, font un relevé méticuleux des tracés de regards possibles. Du point de vue de la surveillance, c’est la modification de l’ordre habituel des jours et des ombres qui est une anomalie significative. Que la norme soit l’obturation ou l’ouverture, la modification est le désordre à détecter, par le regard. L’œil suit le rayon lumineux, il en constate l’effet, il en repère l’origine et il assimile la pénétration lumineuse à la percée du regard : si la lumière passe, le regard peut suivre le même chemin. La superfétatoire « objectivité » de la photographie ne réside pas dans le fait de montrer des « choses » telles qu’elles sont, mais des états de luminosité et des sources de lumière ; et par conséquent des « prises » de regard, ces points par où le


Cellule individuelle, prison de Saint-Lazare, Faubourg Saint-Denis, 10ème arr., juin 1888 - Pierre Emonts Tirage sur papier albuminé - Musée Carnavalet © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Vu, reconnu, repris Directeur de publication du site Criminocorpus et chargé de mission « Histoire » à l’Administration pénitentiaire, Marc Renneville a retracé l’histoire de la photographie anthropométrique.

L regard a prise, qui sont tout autant des issues virtuelles pour celui qui est enfermé (un « regard » est aussi une ouverture par laquelle on peut regarder un intérieur inaccessible). Mais ces photographies sont pour la plupart mensongères : les lieux photographiés sont souvent désaffectés, parfois en cours de démolition, et lorsqu’ils sont encore occupés, les modes de circulation peuvent avoir été modifiés pour la bonne cause photographique. Ces images exhibent donc bien davantage des débauches d’entrées lumineuses, de portes ouvertes et de grilles battantes, comme un renversement des fonctions normatives de la prison : obscurcir, obturer, murer. ■ L’assassin Pygmalion Camille, exécuté à Paris le 6 juillet 1917 Anonyme - Gélatino-bromure d’argent Musée de la Préfecture de Police - © Préfecture de Police (service de la Mémoire et des Affaires Culturelles - Musée)

’idée d’une application systématique de la photographie aux détenus apparaît dès le Second Empire. Inspecteur général des prisons, Moreau-Christophe profite, au début des années 1850, de sa place à la direction de la maison centrale d’Ensisheim pour réaliser des « photographies signalétiques » de détenus libérés avec l’un des personnels de l’établissement (Edmond Quicarlet). Fort de cette expérience, il propose d’étendre « cette marque nouvelle » aux condamnés dangereux mis en liberté sous surveillance dans les 17 maisons centrales de France, pour la généraliser ensuite à tous les libérés. Moreau-Christophe envisageait de compléter ce « signalement photographique » par trois autres types d’informations : le « signalement graphométrique », qui permet de mesurer et de décrire « ce que la lumière ne peut ni mesurer ni décrire » ; le « signalement biographique », qui condense à la fois des informations sur la vie privée du libéré et sur ses condamnations antérieures ; le « signalement pénitentiaire », qui dresse un tableau du comportement du condamné lors de sa détention. Le tout devrait être consigné dans un carnet individuel imprimé qui ne laisserait « que des blancs faciles à remplir », de telle sorte, ajoute enthousiaste Ernest Lacan, rédacteur du journal La Lumière, que « ce système de signalement biométrophotographique enlacerait le libéré comme dans un quadruple réseau, lequel ne lui permettrait de faire aucun mouvement en dehors de la ligne tracée, sans être aussitôt vu, reconnu, repris ». ■

Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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Dedans Dehors N°70-71 DÊcembre 2009

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Prisons d’autres temps et d’autres mœurs ?

Le chien est forcément innocent, l’homme forcément coupable Thomas Reichlin-Meldegg est directeur de création à l’agence H. Il est à l’origine de la campagne d’appel à don de l’Observatoire international des prisons. Et nous explique tant la genèse de cette affiche que les raisons d’une campagne « choc ». Entretien.

Comment est née cette campagne d’appel à don ? Travaillant depuis deux ans avec l’OIP, nous avons acquis la conviction que, pour qu’une petite structure se fasse entendre, il faut frapper un grand coup. Quitte à choquer. Non pas gratuitement mais en disant la vérité. D’abord, précisons que cette campagne n’a pas vocation à expliquer ce qu’est et ce que fait l’Observatoire. C’est un appel à don au bénéfice d’un organisme qui défend les droits des détenus. Or, il est un préjugé tenace selon lequel ceux qui ont été mis en prison doivent en être privés car ils n’y sont pas par hasard. Nous avons donc opté pour une interpellation de ce préjugé, qui est le plus commun. Certes, ce n’est pas une affiche qui va lui tordre le cou. Mais, ce qu’on espère, c’est qu’elle provoque la réflexion sur la représentation que nous avons en général du détenu. Pouvez-vous nous expliquer la genèse de l’affiche ? En fait, ce qui m’est venu en tête, ce sont les propos de l’ancien président de l’OIP, Gabriel Mouesca, qui, lors du procès de Ferrara et en évoquant le fonctionnement des QHS, avait parlé de « fauves en cage ». Derrière, il y a tout le processus de déshumanisation opéré par la prison. Mais aussi par certains hommes politiques qui n’hésitent pas, comme on l’a entendu lors du débat sur la récidive, à parler de « prédateurs ». Comme si on n’avait plus affaire à des êtres humains mais à des bêtes, à des monstres !

perçu comme choquant. Mais ce que je trouve le plus choquant, à l’égard de la prison, c’est qu’il semble y avoir une volonté de ne pas voir. Pourtant, on sait tous à peu près ce qui s’y passe. Tout le monde est même prêt à s’émouvoir. Mais, au final, peu nombreux sont ceux qui s’y intéressent. Résultat : les conditions de détention n’évoluent guère et la France, en la matière, est la lanterne rouge de l’Europe.

« Certes, ce slogan peut être perçu comme choquant. Mais ce que je trouve le plus choquant, à l’égard de la prison, c’est qu’il semble y avoir une volonté de ne pas voir ce qu’il s’y passe »

D’où le choix d’une analogie animalière ? Oui. Sans faire référence à d’autres campagnes d’appel à don, on sait que montrer un chien en cage suscite la compassion. Parce que, bien évidemment, le chien, lui, est forcément innocent alors que l’homme derrière des barreaux est forcément coupable. Il n’était pas question pour nous de provoquer la pitié ni de nous enfermer dans un tête-à-tête stérile avec l’Administration pénitentiaire. On a donc choisi de montrer un détenu de face – surtout pas de dos, car c’est son regard qui nous interpelle – avec ce slogan : « Si ça peut vous aider pour faire un don, dites-vous que ce détenu est un chien ». Certes, c’est un slogan qui peut être

Comment expliquer cette ambivalence entre le fait de savoir et la volonté de ne pas voir ? La prison -contrairement par exemple à la garde à vue où l’on se dit de plus en plus en plus que ça pourrait aussi nous arriver- reste une préoccupation secondaire. Certes, tout le monde est prêt à s’émouvoir : même le chef de l’État a parlé de « honte » de la République. Reste que, dans le même temps, on joue sur la peur des gens pour rendre acceptable l’idée d’emprisonner non seulement les personnes « dangereuses » mais aussi celles qui seraient susceptibles de le devenir. Paradoxalement, cette affiche, par un slogan provocateur, fera en sorte de rappeler, puisqu’il semble que cela soit nécessaire, l’humanité des personnes détenues. Concernant la prison, l’émotion permet souvent de ne pas évoquer les vrais sujets, ici elle est sciemment utilisée pour provoquer la réflexion.

Et comment expliquez-vous cette indifférence alors que la prison, ne serait-ce qu’à travers la fiction, est un sujet éminemment populaire ? La prison véhicule en effet bon nombre d’images. Selon deux schèmes principaux : soit une sorte de mythologie, soit un moyen détourné pour évoquer la réalité sociale dans ce qu’elle a de plus crue. La force de cette campagne est, me semble-t-il, justement là : jouer sur le préjugé, sur l’émotion, sur les images pour provoquer le débat et la réflexion, ce qu’un argumentaire aurait sans doute eu plus de mal à faire. Afin qu’à terme, la connaissance de ce qui passe en prison change le regard que peuvent porter les gens sur elle. Entretien réalisé par Stéphane Laurent Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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Dans le prolongement de la démarche initiée par le musée Carnavalet à l’occasion de l’exposition photographique sur les prisons parisiennes et en parallèle à la campagne d’appel à don pour l’OIP, nous avons sollicité un certain nombre de chercheurs et penseurs. Philosophes, écrivains, sociologues, nous leur avons demandé de porter leur regard non plus sur la prison mais sur le détenu. Plus précisément encore, nous souhaitions leur point de vue sur la persistance d’un discours qui renvoie l’être humain privé de liberté en dehors de l’humanité. Une démarche que l’OIP a initiée et qui ne demande qu’à être prolongée.

Cellule individuelle et autoportrait symbolique du détenu T.D, série «portraits négociés», maison d’arrêt de Paris La Santé, bloc A, janvier 2009 Impression numérique Musée Carnavalet - © Michel Séméniako

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Admettons une bonne fois pour toute que la qualité d’être humain l’emporte sur tout le reste Scientifique et essayiste, le généticien Albert Jacquard s’est penché sur la question de l’enfermement dans un ouvrage intitulé Un monde sans prisons ?

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a question essentielle qu’il convient de se poser est la suivante : les détenus sont-ils ou non des êtres humains ? Il y a toutes sortes d’êtres humains : des grands, des petits, des blancs, des noirs, des gentils, d’autres moins. Mais la question est bien celle-là : quand quelqu’un a commis un délit, a-t-il ainsi perdu sa qualité d’être humain ? La réponse est bien évidemment non. L’essentiel est donc de considérer d’abord tout détenu comme un être humain qui, quoi qu’il ait fait, a droit au respect qu’il tire de cette qualité. C’est pour cette raison qu’a été abolie la peine de mort : par son irréversibilité, elle jetait les condamnés en dehors du cercle des êtres humains et c’est en cela qu’elle était insupportable. Quant aux détenus, s’ils ont été privés de leur liberté (peut-être a-t-on eu raison de le faire mais ça, c’est un autre débat…), ils n’ont pas été privés de leur humanité : ils doivent rester des êtres humains. Que des hommes politiques parlent encore de « prédateurs » prouvent qu’ils n’ont pas réfléchi et qu’ils n’ont pas assimilé -parce qu’on en revient encore à ça- les termes du débat sur la peine de mort. À l’époque, se posait une seule et unique question : fallait-il admettre de chasser définitivement de la collectivité des humains des gens qui avaient commis -ou qui étaient accusés d’avoir commis- des crimes assez horribles ? Pour moi, il était essentiel de continuer à les regarder comme des êtres humains. Quelle qu’en soit la difficulté. Certes, c’est un cas limite, mais si Adolf Hitler ne s’était pas suicidé et avait été arrêté, il aurait fallu le traiter comme un être humain parmi d’autres et le juger comme tel. C’est cela qui fonde une société civilisée ou, en tout cas, qui essaye de l’être : quels que soient ses actes, un être humain reste humain. Sinon, on retombe dans la barbarie. Hélas, j’ai l’impression qu’aujourd’hui, on retourne petit à petit vers la barbarie puisque, insidieusement, on admet que les actes qu’a commis un individu altèrent son statut d’être humain. Or, à mon sens, il faut absolument préserver cette idée qui veut qu’un être humain l’est définitivement et qu’il appartient, quoi qu’il ait fait, à cette communauté qu’est l’humanité. C’est ainsi que Rudolf Hess, après avoir été arrêté en Angleterre, fut jugé à Nuremberg et condamné à la prison à perpétuité et non à la peine de mort. Et qu’importe le coût de son incarcération, quoiqu’en disent ceux qui considéraient qu’il aurait mieux valu le liquider tout de suite. Quoi qu’il ait fait, c’était un être humain et il avait été condamné non à mort mais à la prison à vie. Quant aux condamnations récurrentes de la France par les instances internationales pour l’état de ses prisons, cela prouve que notre pays n’est pas cohérent avec les idéaux qu’il promeut. Il faudrait admettre une bonne fois pour toute que la qualité d’être humain l’emporte sur tout le reste. Qu’il soit nécessaire de prendre des précautions à l’égard des personnes dangereuses, cela se conçoit aisément. Il n’en reste pas moins que, parmi les 60 000 personnes incarcérées aujourd’hui en France, il n’y a pas 60 000 personnes dangereuses. Il faut donc que la prison ne prive les gens que de leur liberté d’aller et venir et de rien d’autre. C’est d’ailleurs ce qu’avait déjà


dit Valéry Giscard d’Estaing dans les années soixante-dix et il ne me semble pas que cet ancien président de la République était quelqu’un de particulièrement à gauche. La justice ne condamne qu’à la privation de liberté et à rien d’autre. On n’a pas le droit d’ajouter de la peine à la peine, par exemple en privant un détenu de contacts avec ses proches ou son conjoint. Malheureusement, si la question des conditions de détention ne fait guère débat, c’est parce que nous sommes tous paresseux et que nous préférons ne pas voir les problèmes plutôt que de tenter de les résoudre. C’est très inconfortable, presqu’insupportable, que de penser qu’il y a, en prison, des gens qui ne devraient pas y être. Alors, le citoyen moyen que je suis préfère, comme tout le monde, ne pas y penser. Néanmoins, je me suis forcé à y réfléchir en écrivant un petit livre intitulé « Un monde sans prisons ? ». J’y ai imaginé une société où, d’une part, la privation de liberté ne concernerait que les personnes véritablement dangereuses et où celle-ci ne s’accompagnerait pas d’autres privations, comme c’est encore le cas aujourd’hui. » ■

Religieuse, galerie de cellules à 1 lit (dite Ménagerie), prison de SaintLazare, Faubourg Saint-Denis, 10e arr., juin 1888 - Pierre Emonts Tirage sur papier albuminé Musée Carnavalet - © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Ce serait monstrueux d’enfermer un homme normal... Michel Sparagano est professeur de philosophie, skipper et membre d’une association de réinsertion pour les jeunes en difficulté par le voyage et la découverte.

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vant toute chose, un constat : en 1981, il y avait 31 551 prisonniers, soit 0,58 % de la population française. Aujourd’hui, nous le savons, il y en a 62 000, soit près de 0,1 % de la population. Nous enfermons donc un citoyen sur mille pour pouvoir continuer de vivre ensemble ; sorte de coût induit de notre pacte social ! On pourrait alors conseiller à l’économiste américain Joseph Stiglitz de rajouter ce pourcentage à sa liste de critères pour mieux juger du niveau de bien être de notre société qu’il ambitionne de mesurer. Peut-être n’est-il pas trop tard. Après tout, le nombre de personnes que nous sommes obligés d’enfermer en dit long sur le degré d’adhésion des citoyens au pacte social ! Reste que poser le problème ainsi, c’est faire prendre des risques à notre projet de société, puisqu’il pourrait bien se révéler alors, plus ou moins attrayant. C’est pourquoi, ceux qui sont chargés d’animer le projet résisteront et que ma proposition, je le sais, risque bien de ne pas être retenue ! Cette façon d’aborder le problème de notre politique pénale et carcérale permet néanmoins de mieux comprendre le regard que nous portons généralement sur ceux que nous enfermons. En effet, si un homme normal peut finir en prison, alors, c’est notre système qui devient monstrueux. Il faut donc que le prisonnier devienne mons-

trueux, afin que notre système soit normal ! Ainsi, enfermer autant de citoyens pour pouvoir vivre ensemble n’est plus le signe d’une faiblesse de notre pacte social, mais celle de certains d’entre nous ! Il faut noter que cette représentation collective rassurante est permise par le traitement médiatique de notre politique carcérale. Que nous présente-t-on à la grande messe du 20 heures ? Les milliers de détenus placés en préventive ? Non. Les auteurs de délits liés directement ou indirectement à la drogue et qui représentent le plus gros contingent des condamnés ? Non plus. En fait, chacun de nous peut le constater quotidiennement, nous sommes abondamment informés sur les crimes les plus sensationnels : ceux qui sont susceptibles de nous indigner rapidement, profondément et sans qu’il ne soit nécessaire de développer trop longuement. Il s’agit de réagir, pas de réfléchir et de communier dans une détestation où le corps social se ressoude ! Alors, défile la longue cohorte des violeurs d’enfants, des barbares tortionnaires et autres terroristes assassins de victimes innocentes… Comment résister alors à l’amalgame de tous les prisonniers avec les cas monstrueux de ceux qui sont désignés, par la presse, à la vindicte populaire, puisque ce sont ces derniers qui nous sont exclusivement montrés ? Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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Salle de bains, prison Sainte-Pélagie, 14, rue du Puits-de-l’Ermite, 5e arr., juillet 1889 - Pierre Emonts - Tirage sur papier albuminé Musée Carnavalet - © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Il faut dire, à la décharge du citoyen, que notre politique pénale populiste ne contribue pas pour peu à cette représentation collective. Le pouvoir s’appuyant régulièrement sur des faits divers pour justifier sa politique pénale de plus en plus répressive, on légifère sur la rétention de sûreté après qu’un malade mental a poignardé une infirmière et sur la récidive après qu’un autre a violé et tué une malheureuse joggeuse. Comment, dès lors, ne pas se dire de façon de moins en moins subliminale que ceux qui sont en prison sont bien des êtres à part, des Aliens qui jurent dans notre paysage ! D’où le primat de la punition sur la réinsertion dans notre politique pénale (il s’agit de punir des monstres)… On comprend mieux alors pourquoi le prisonnier est considéré comme un « puni » avant d’être considéré comme un rééducable. A preuve notre politique pénale qui enferme de plus en plus (le pourcentage a doublé en un peu moins de 30 ans) et de plus en plus longtemps. Que ceux qui en doutent se penchent sur l’apparition des peines-plancher, de la rétention de sûreté qui rappelle le temps de relégation que les anciens bagnards devaient accomplir après avoir tirés leur temps (les « monstres » ne sont jamais plus les bienvenus

parmi nous), de la suppression de l’automaticité de l’exception de minorité pour les 16-18 ans, sans oublier les peines de sûreté qui sont passées de 18 à 30 ans et, last but not least, les réductions de peines qui rétrécissent comme peau de chagrin ! On s’aperçoit alors qu’il y a une longueur de peine qui devient un obstacle à la réinsertion. A-t-on vraiment besoin de trente ans pour réinsérer un citoyen ? Évidemment, non ! Il s’agit donc bien de punir plutôt que de réinsérer. Comment se reconstruire (études, examens, liens familiaux…) quand on déménage tous les six mois ? Finalement, comme l’écrivait déjà Michel Foucault en 1978, la « dangerosité » est « suscitée par la prison elle-même » (Dits et écrits, II, Gallimard, p 507). Il semble alors que Janus est aux commandes de notre politique pénale, laquelle feint de dénoncer l’émergence de monstres après qu’elle ait réduit l’espoir d’une réinsertion à sa portion congrue. En somme, nous regardons ceux que nous enfermons comme des monstres pour ne pas désespérer de notre pacte social et notre politique pénale finit le travail en ciselant patiemment, à coup de politique de plus en plus répressive, ces monstres dont nous avons besoin ! ■

En prison, on gomme les gens Eric Hazan est le Fondateur des éditions La Fabrique, il est également écrivain, auteur, entre autres, de LQR, la propagande du quotidien, une analyse du langage du néolibéralisme.

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orsqu’on parle des prisons, le discours, aussi bien politique que médiatique, est à côté de la réalité. C’est un leurre, un cache-sexe. De fait, tout ce qu’on dit sonne faux dès lors qu’on a une connaissance un tant soit peu personnelle de la prison. Ainsi, récemment, je suis allé voir toutes les semaines -et ce, durant plusieurs mois- un ami qui était incarcéré à la prison de la Santé. Personne ne vous dit qu’au parloir, où nous étions une petite dizaine, vous allez être le seul Blanc. Ma fille, qui avait été rendre visite à un ami qui était à Fresnes, avait fait la même expérience. Quand elle me l’avait dit, je n’avais pas voulu la croire. Et pourtant, c’était vrai. Cela signifie que ceux qui sont aujourd’hui en prison, ce sont des relégués, des gens que l’on ne veut plus voir. Il n’est alors pas surprenant d’entendre des politiques parler de « prédateurs » car il y aujourd’hui une volonté délibérée de désigner une catégorie de la population dont on ne veut plus entendre parler. Pas étonnant non plus que les conditions de détention ne fassent pas l’objet d’un débat public ou ne suscite grande émotion : les détenus font partie de ces personnes dont on ne veut plus entendre parler. A partir du moment où elles sont incarcérées, elles sont exclues de la collectivité, elles sont gommées. Et si cela ne suffit pas, on les désigne comme l’ennemi. À ce compte-là, qu’importe ce qu’ils subissent, puisqu’ils sont l’ennemi. A ce titre, il faut relire la tribune intitulée « Fallait pas nous mettre dans la même prison », parue récemment dans Le Monde. C’est un texte remarquable, écrit par Benjamin Rosoux, l’un des mis en examen dans l’affaire de Tarnac, et par Maka Kanté, un des nombreux jeunes incarcérés à la suite des émeutes à Villiers-le-Bel. Ils écrivent ceci : « La “société civile”, les médias s’émeuvent beaucoup moins du sort de quelques jeunes “indigènes” aux prises avec une police galvanisée que lorsqu’il s’agit de rejetons de la classe moyenne blanche Gardien devant la porte d’entrée de la prison Saint-Lazare Albert Harlingue Gélatino-bromure d’argent - Collections Roger-Viollet © Albert Harlingue / Roger-Viollet

– socle politique de ce pays ». Et arrivent à la conclusion suivante : si l’on a tant entendu parler de l’affaire de Tarnac, c’est aussi parce que les jeunes qui ont été mis en examen et incarcérés étaient… blancs. Il est donc urgent d’expliquer pourquoi il y a 60 000 détenus aujourd’hui, pourquoi il y a près de 600 000 gardes à vue par an. Et quel est le rôle de la prison dans la « guerre civile » en cours. ■


Avec la prison, la société a fait le deuil d’une part d’elle-même Membre de la société française de philosophie et spécialiste de philosophie politique, André Tosel, professeur à l’université de Nice, a travaillé dernièrement sur la rationalité moderne et sur la mondialisation.

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e ne suis pas un spécialiste des questions carcérales. Toutefois, j’ai pu m’y intéresser lorsque j’ai travailler sur les processus de subjectivation, c’est-à-dire sur ce que signifie, aujourd’hui, être un individu. Etre un individu aujourd’hui, c’est être à la fois propriétaire de soi -en n’ayant de compte à rendre qu’à soimême, en particulier dans son rapport au corps- tout en étant inscrit dans le corps social par l’appartenance à une ou plusieurs « communautés ». D’où cette question : que signifie être un individu en prison ? Quelle individualité vous est-elle reconnue derrière les barreaux ? Celle du corps ? Certainement pas puisque vous êtes privé de la première des libertés, celle d’aller et venir. Mais ce n’est pas la seule privation puisque, par l’isolement, par la privation de liens sociaux et de contact avec l’extérieur, vous ne pouvez pas non plus être un individu appartenant au corps social ou à une communauté. Et c’est ce qui peut expliquer qu’il y ait en prison autant de phénomènes d’automutilation voire d’autodestruction, comme un ultime rapport de soi à soi.

De fait, face aux « monstres » que sont les figures traditionnels du violeur ou du criminel sur lesquelles s’appuie l’idéologie sécuritaire, la société se révèle elle-même monstrueuse. Il suffit pour s’en convaincre de voir le récent débat sur la castration chimique. Ce que révèle la prison, ce sont les changements de la société dans le rapport qu’elle a à l’humain. Et, force est de constater qu’avec la prison, la société a fait le deuil d’une part d’elle-même. Elle est même entrée dans un processus de destruction - le suicide en étant la traduction la plus absurde- qui confine à l’autodestruction. Car, aujourd’hui, la prison s’apparente à une sorte de « déchetterie humaine » où l’on trouve les couches de la population les plus précarisées, un concentré des dégâts sociaux et humains que produisent nos modes de vie, la prison faisant partie des processus par lesquels notre société gère ceux qu’elle considère comme indésirables, traduisant d’une manière radicale ce qui se passe au niveau des rapports sociaux. Elle ne saurait, en tout cas, être vue comme uniquement une « réponse Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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à la délinquance ». Car, s’il existe au niveau planétaire des logiques d’apartheid, ces logiques sont à l’œuvre au sein même de nos sociétés. D’ailleurs, dans un sinistre jeu de miroir, la prison renvoie à la société sa propre image : une société incapable de produire ou même de prôner le bien commun mais qui, au contraire, ostracise, rejette, exclue. Et même élimine. C’est ce qui explique les tensions entre détenus et surveillants : on a deux humanités qui se font face et qui ont du mal à coexister parce que l’une sait qu’elle est une humanité à bout de souffle. Les détenus savent parfaitement qu’ils sont vus comme les rebus de la société et que cette dernière n’attend même plus d’eux qu’ils acceptent leur peine, qu’ils s’amendent ou qu’ils se « réinsèrent » puisqu’elle a désormais renoncé à les réintégrer. D’une certaine manière, ce qui arrive à la prison n’est que la radicalisation de ce qui est en train

de se produire avec l’école : une école qui désassimile, qui n’est là que pour faire accepter aux gens leur propre exclusion. De fait, la prison fait partie des trois institutions « totales » de notre société : l’entreprise pour laquelle il faut mourir, le supermarché où il faut consommer à tout prix, et l’endroit où l’on paie ses dettes s’appelle la prison. Nous sommes malheureusement dans une telle situation de désagrégation sociale que je ne vois pas comment cette institution qu’est la prison pourrait se réformer sans une refonte complète de nos rapports sociaux. Voilà pourquoi, à l’heure où l’on parle de « prédateurs » et face aux stratégies d’auto-immunisation que tout un chacun développe, il faut interroger les figures du « monstre » et la métaphore de l’animal. Car, après tout, n’est-ce pas Thomas Hobbes, le père du « Leviathan », qui disait que celui qui vole son prochain se conduisait comme une bête ? » ■

L’enfouissement des déchets humains Dan Kaminski est un criminologue belge. Le texte ci-dessous est un extrait du discours qu’il a prononcé le 20 février dernier en ouverture de la leçon inaugurale de la chaire confiée par l’Université de Louvain à la présidente du conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe, Sonja Snacken, « Prisons en Europe, pénologie et droits de l’homme ».

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a qualification des sociétés libérales avancées nous fait entendre leur pesant d’ambigüité. « Avancée » signifie à la pointe de la promotion et de la protection effective de valeurs, parfois contradictoires, parmi lesquelles, les droits de l’homme. Mais « avancée » évoque aussi l’odeur pénible du fromage que l’on qualifie ainsi, odeur nauséabonde qui atteint les rives de ces sociétés de façon fugace encore. Cette odeur désagréable nous vient des décharges et des convois auquel le capitalisme globalisé condamne ses déchets humains. Les prisons belges, par exemple, les camps de réfugiés du monde, les camions frigorifiques empruntés par des Chinois ou les radeaux d’Africains au large de Lampedusa. Les no man’s land ne sont plus des régions intermédiaires sans âmes qui vivent mais des espaces de relégations de corps inutiles d’un monde globalisé. Dix doses d’exclusion soigneusement légitimées par l’insécurité urbaine pour une dose de solidarité thermométrique avec les SDF. Cent doses de realpolitik pour une dose de fraternité avec la misère du monde. Mille doses de compassion victimiste pour une dose d’indignation devant le sort fait aux personnes privées de liberté. A de tels dosages, qu’est-ce que l’humanité ? Une notion sacrément ambiguë fragilisant jusqu’à l’humanisme. L’humanité est bien sûr la caractéristique de l’humain, qui le différencie du non humain. Elle est aussi une qualité attribuée à l’humain, associée à la bonté, la sollicitude, voire la pitié. Qui s’oppose alors à l’inhumain, au cruel et au dégradant. L’humanité représente pourtant, dans une troisième connotation, le groupe universel et infini des humains, ce groupe auquel, du fait de son infinité, de son universalité, rien ne s’oppose. Aucune frontière, ni nationale, ni sociale, ni ethnique, ni économique. Cet universel, qui n’a pas d’antonyme, devrait balayer les discriminations autrefois assumées La prison de la Petite Roquette, 143, rue de la Roquette, 12e  arr., septembre 1920 - Charles Lansiaux Gélatino-bromure d’argent - Musée Carnavalet © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

par le nazisme en surhomme et sous-homme, ou les distinctions aujourd’hui diluées du sarkozysme entre les citoyens méritants et les citoyens inutiles. De ces derniers, les inutiles, le sociologue Zigmund Bauman nous rappelle que leur seule présence les rend rapidement nuisibles. Les sociétés libérales avancées sentent mauvais parce qu’elles ne peuvent plus avancer encore qu’en escamotant ce dernier sens de l’humanité en procédant à l’exclusion soigneusement différenciée des inutiles au monde. La contorsion est pénible pour ces sociétés qui tiennent pourtant à se démarquer des autres en particulier par leur attachement aux droits de l’homme. Les prisons, comme les centres fermés, les camps prolifèrent. Dépotoirs qu’une politique de tri sélectif des déchets humains, crée, exploite et fait fructifier. La prison constitue depuis plus de deux siècles un des instruments de cette politique dont la fonction oscille entre l’enfouissement et le recyclage. En période de récession, les possibilités de recyclage se réduisent et l’enfouissement prolongé s’accroit. La prison est la matrice du no man’s land démocratique, l’institution légitime ou aucun homme ne vit bien que de très nombreux humains s’y entassent. ■


En politique, agir, c’est d’abord dire qu’on agit Laurent Bonelli est maître de conférences en sciences politiques à la faculté de Nanterre et rédacteur en chef du Monde Diplomatique.

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uand on s’intéresse aux questions de contrôle et de déviance, on ne peut ignorer la prison. Ni ses paradoxes. Dans les années 1970, tant aux États-Unis qu’en France, la prison semblait être arrivée au bout de sa trajectoire historique. Intellectuels, mais aussi hauts fonctionnaires et hommes politiques pouvaient sérieusement envisager sa suppression. Or, trente ans plus tard, les taux d’incarcération culminent, alors même qu’il existe un consensus très large pour dire que l’institution reste une « école du crime », qui coûte de surcroît très cher… Certes, nous dira-t-on, il existe des tueurs en série, des violeurs récidivistes et il faut pouvoir les mettre à l’écart. À l’occasion d’un fait divers particulièrement crapuleux, les gouvernants ne manquent d’ailleurs jamais d’agiter les figures du « prédateur » ou du « monstre » pour annoncer le vote d’une nouvelle loi durcissant l’emprisonnement ou allongeant sa durée. Mais, rapportés à l’ensemble de la population carcérale, que représentent ces individus ? Une infime minorité noyée dans une masse de pauvres, de malades mentaux et d’étrangers en situation irrégulière. Bien sûr, on imagine mal un homme politique justifier une loi portant sur un phénomène très restreint et statistiquement improbable… Mais ces discours alarmistes dissimulent aussi le fonctionnement concret de la prison, qui tend à devenir une institution privilégiée de régulation des surnuméraires du modèle postfordiste de production. Comment a-t-on pu en arriver là ? Plusieurs éléments se combinent, au premier rang desquels les transformations du monde du travail – particulièrement non-qualifié – et le développement de la précarité dans les milieux populaires qui ont affaibli les disciplines du modèle fordiste. L’usine, les institutions politiques, syndicales et de jeunesse, l’école et même la famille perdent leur capacité de « normalisation » des conduites dites déviantes. Il devient plus aléatoire de « se ranger », comme on disait alors. D’où une multiplication des désordres juvéniles (rodéos, regroupements, violences collectives) sur fond de paupérisation de certains quartiers et de développement d’économies de « braconnage » (c’est-à-dire faites de travail temporaire, au noir, de petits recels et trafics de drogue). C’est ici qu’interviennent les hommes politiques. Confrontés au niveau local à ces indisciplines, ils vont lentement les politiser durant les années 1980-1990 sous la thématique « d’insécurité ». Les affrontements sur le sujet, à l’Assemblée nationale, sur les plateaux de télévision vont alors se multiplier, comme on a pu le voir de manière particulièrement caricaturale en 2002. Or, faire de la politique c’est avant tout manier des catégories symboliques. En d’autres termes, agir, c’est d’abord dire qu’on agit. Et c’est aussi en ce sens qu’il faut lire l’avalanche de lois qui nous submerge. Des lois plus répressives les unes que les autres, dont les effets sur la justice sont particulièrement manifestes. Et ce à plus forte raison qu’ils se couplent avec l’avènement d’une vision « managériale » de l’État, à laquelle l’institution n’échappe pas. L’accélération du temps judiciaire – avec la multiplication des procédures de

Bureau pour la location de télévisions, vu d’une coursive, maison d’arrêt de Paris - La Santé, avril 2009 Tirage chromogène - Musée Carnavalet - © Jacqueline Salmon

comparution immédiates, le développement du « traitement en temps réel » – et l’augmentation de ce que l’on appelle le « taux de réponse pénale » en constituent des traductions concrètes. Il faut désormais répondre systématiquement et rapidement à la moindre affaire. Certes, ce n’est pas forcément l’incarcération. Mais l’incarcération en est de plus en plus l’issue fatale. En effet, face à ces injonctions, a été mise en place, pour éviter l’engorgement des parquets, ce qu’on appelle la « troisième voie » : la médiation, la réparation, le rappel à la loi. Pour un petit écart, un magistrat pourra prononcer un rappel à la loi. Mais il ne pourra en prononcer dix, si bien que c’est très rapidement l’escalade de la réponse judiciaire. Comme l’a montré Bertrand Rothé, dans Lebrac, trois mois de prison (Le Seuil, 2009), le héros de « La guerre des boutons » se retrouverait derrière les barreaux. Comme l’indiquent des magistrats, ils ont l’impression d’avoir trop vite « grillé toutes leurs cartouches », de telle sorte que quand il se passe quelque chose de vraiment sérieux, il ne leur reste que l’incarcération. La prison apparaît comme une solution par défaut. Presque personne ne la trouve satisfaisante mais on a du mal à imaginer autre chose. Voilà pourquoi des parlementaires peuvent signer le rapport de Christine Boutin selon lequel il y a en prison bon nombre de gens qui n’ont rien à y faire (des toxicomanes, des sans papiers, etc.) et, quelques mois plus tard, voter des lois (comme la loi sur la sécurité intérieure, ou celle sur les peines planchers) dont l’effet mécanique est d’accroître l’enfermement de ces mêmes catégories… Toutefois, quand on s’intéresse à la prison – et donc à ses paradoxes –, il en est un qui ne peut que nous frapper : aux États-Unis, l’État qui est allé le plus loin dans les logiques répressives et carcérales, la Californie, va libérer 40 000 détenus de manière anticipée. Son gouverneur, Arnold Schwarzenegger, a ainsi rendu à leur statut de citoyens ordinaires des individus qu’il semblait hier impératif de tenir à l’écart de la société. Au pays qui inventa la règle de la rétention à perpétuité au troisième délit (The Three Strikes law), la faillite budgétaire paraît avoir brisé – pour un temps au moins – la spirale inflationniste en matière carcérale. Ce qui signifie bien que le débat sur la fonction de la prison dans nos sociétés reste à ouvrir. D’urgence. ■ Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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Loi pénitentiaire : du pareil au pire Article 44 : « L’administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels. » Article 45 : Droit au secret médical et au secret de la consultation Article 46 : « La qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l’ensemble de la population. [...] L’état psychologique des personnes détenues est pris en compte lors de leur incarcération et pendant leur détention. [...] L’administration pénitentiaire [...] assure un hébergement, un accès à l’hygiène, une alimentation et une cohabitation propices à la prévention des affections physiologiques ou psychologiques. » Article 48 : « Ne peuvent être demandés aux médecins et aux personnels soignants intervenant en milieu carcéral ni un acte dénué de lien avec les soins ou avec la préservation de la santé des personnes détenues, ni une expertise médicale. » Article 50 : Tout détenu handicapé a le droit de désigner un « aidant de son choix » Article 52 : « Tout accouchement ou examen gynécologique doit se dérouler sans entraves et hors la présence du personnel pénitentiaire. »

Article 53 : Visite médicale proposée un mois avant la libération Article 54 : Mise en place d’ici deux ans d’un dossier médical électronique unique Article 57 : « Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisants. Les investigations corporelles internes sont proscrites, sauf impératif spécialement motivé. Elles ne peuvent alors être réalisées que par un médecin n’exerçant pas au sein de l’établissement pénitentiaire et requis à cet effet par l’autorité judiciaire. » Article 61 : « Les modalités d’application du présent chapitre sont fixées par décret en Conseil d’État ». Le chapitre concerné est celui consacré aux « dispositions relatives aux droits et devoirs des personnes détenues », qui englobe les articles 22 à 60 du texte promulgué.

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« Nous ne pouvons nous résoudre aux commentaires inspirés de la vulgate foucaldienne »

A

u lendemain de la discussion à l’Assemblée nationale du projet de loi pénitentiaire et avant même son adoption par les députés, le directeur de l’Administration pénitentiaire adresse un courrier à ses directeurs régionaux. Dans cette missive, daté du vendredi 18 septembre 2009, Claude D’Harcourt estime le vote « acquis » et remercie ses collaborateurs pour avoir « permis de mettre du réel dans le dogme et de la rationalité dans un débat d’émotion et d’indignation ». Il commente en ces termes les travaux parlementaires : « Le débat a montré un point de désaccord majeur sur les régimes différenciés, taxés de tous les maux dans la suite logique des commentaires de Messieurs Hammarberg et Delarue et de l’OIP ». « Nous savons bien que le nœud de l’évolution du système pénitentiaire est là », ajoute Claude d’Harcourt, sans préciser que Thomas Hammarberg (le commissaire européen aux droits de l’Homme) avait informé la France qu’il veillerait à ce que « la différenciation des régimes de détention ne soit pas légalisée », ni que Jean-Marie Delarue (le Contrôleur général des lieux de privation de liberté) avait qualifié les régimes différenciés à la prison de Villefranche-sur-Saône de « pure et simple ségrégation ». Les autres débats, commentera-t-il, « étaient des débats plus artificiels ». Ainsi, concernant le maintien du principe de l’encellulement individuel, il écrit : « Rendez-vous dans cinq ans, en

Les considérations du directeur de l’administration pénitentiaire sur les travaux parlementaires avant même l’adoption définitive de la loi pénitentiaire ont fait scandale. Et pour cause… espérant que les esprits auront mûri ». Et de conclure : « Nous débrieferons ensemble ce texte fondateur qui cristallise notre stratégie de réforme et nous encourage plus que jamais à faire savoir le savoir faire pénitentiaire. Car c’est là que le débat a été le plus régressif : plusieurs parlementaires n’ont cessé d’exprimer une défiance profonde et suspicieuse à l’égard de l’administration, perçue comme cynique et manipulatrice et bien entendu nous ne pouvons nous résoudre aux commentaires inspirés de la vulgate foucaldienne ». Rendu public sans délai par l’OIP, ce courrier a suscité un vif émoi parmi les parlementaires de toutes obédiences, les sénateurs socialistes réclamant la démission de ce directeur d’administration qui a délibérément « ignoré les obligations de réserve et de neutralité auxquelles il est soumis en tant que fonctionnaire » et fustigeant son « mépris pour le travail parlementaire ». La garde des Sceaux n’a pas caché avoir demandé des « explications » à Claude D’Harcourt qui, fait rare, aura vu une pétition de soutien être initiée. La démarche récoltant moins d’une centaine de signatures sera promptement interrompue. Stéphane Laurent Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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dossier Article 65 : « En matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale, une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate. » Article 66 : Sauf pour les récidivistes, possibilité d’aménagement pour toute peine prononcée inférieure ou égale à deux ans. Article 71 : Possibilité de placement sous surveillance électronique des personnes mises en examen pour six mois, renouvelable jusqu’à deux ans. Article 83 : « Pour les demandes de libération conditionnelle concernant des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans, l’avocat de la partie civile peut assister au débat contradictoire pour y faire valoir ses observations, avant les réquisitions du ministère public. » Article 84 : Les directeurs des services d’insertion et de probation, les chefs d’établissements ainsi que les procureurs de la République sont désormais compétents en matière d’aménagement de peine. Placement sous surveillance électronique pour les personnes à qui il reste quatre mois de prison ou qui ont effectué les deux tiers d’une peine de six mois. Article 86 : « Des règlements intérieurs types, prévus par décret en Conseil d’État, déterminent les dispositions prises pour le fonctionnement de chacune des catégories d’établissements pénitentiaires. » Article 87 : Les prévenus sont placés en cellule individuelle. « Ne peut être dérogé à ce principe que s’ils en font la demande, si leur personnalité le justifie ou s’ils ont été autorisés à travailler. En cas de placement en cellule collective, celles-ci doivent être « adaptées » et « leur sécurité et leur dignité doivent être assurées ». Article 88 : Toute personne condamnée à qui il reste plus de deux ans de prison peut obtenir dans les neuf mois son transfert

dans un établissement pour peine mais peut être maintenue en maison d’arrêt si sa peine est susceptible d’être aménagée. Article 89 : « Dès leur accueil dans l’établissement pénitentiaire et à l’issue d’une période d’observation pluridisciplinaire, les personnes détenues font l’objet d’un bilan de personnalité. Un parcours d’exécution de la peine est élaboré par le chef d’établissement et le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation pour les condamnés, en concertation avec ces derniers, dès que leur condamnation est devenue définitive. Le projet initial et ses modifications ultérieures sont portés à la connaissance du juge de l’application des peines. Leur régime de détention est déterminé en prenant en compte leur personnalité, leur santé, leur dangerosité et leurs efforts en matière de réinsertion sociale. Le placement d’une personne détenue sous un régime de détention plus sévère ne saurait porter atteinte aux droits visés à l’article 22. » Article 91 : Le régime disciplinaire est déterminé par un décret en Conseil d’État qui précise « le contenu des sanctions disciplinaires » et les « différentes sanctions ». Le placement en cellule disciplinaire ne peut excéder « vingt jours », porté à trente en cas de violence physique. La commission de discipline doit comporter au moins un membre extérieur à l’administration pénitentiaire). Les mineurs ne peuvent être placés au quartier disciplinaire plus de sept jours. Droit au parloir hebdomadaire pour les détenus placés au quartier disciplinaire et droit de saisir le juge des référés en cas de placement au quartier disciplinaire ou en confinement. Article 92 : L’isolement ne peut excéder trois mois, n’est renouvelable qu’après débat et ne peut excéder un an qu’après avis de l’autorité judiciaire. Article 100 : Un moratoire de cinq ans est instauré pour le respect de l’encellulement individuel.

L’OIP s’attaque aux logiciels de suivi comportemental de l’AP L’OIP vient de saisir la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et de déposer un recours devant le Conseil d’État visant à mettre un terme au fichage des détenus opéré par l’administration pénitentiaire (AP). Le fichage contesté prend diverses formes. Il s’agit tant des « fichiers de suivi comportemental » créés dans de nombreux établissements depuis 2004 que du « Cahier électronique de liaison » (CEL) dont le déploiement au niveau national est organisé par une note du 24 novembre 2008. Les uns et les autres reposent sur une même démarche : l’utilisation de l’outil informatique au service d’une activité de renseignement dont la fonction est de collecter des donnés personnelles sensibles avec pour finalité de systématiser le suivi du comportement des détenus et, in fine, parvenir à leur classification. Qu’importe si le dispositif s’appuie sur un réseau de « cellules de renseignement » structuré, permanent et présent dans l’ensemble des établissements, mais dépourvu d’existence légale. Qu’importe si les classifications qui en découlent, au travers des « trombinoscopes sécurité », s’ajoutent de façon occulte à celles existantes Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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et officielles comme le fichier des détenus particulièrement signalés (DPS). Et qu’importe finalement d’agir en dehors de toute légalité. On sait qui plus est ce système porteur d’importantes dérives. Au point que le Comité de prévention de la torture a manifesté sa préoccupation devant la prolifération de fichiers pénitentiaires de sécurité clandestins. Tel le CEL, qui répertorie une quantité impressionnante d’informations relatives non seulement au parcours judiciaire et pénitentiaire du détenu mais aussi à sa santé, sa « dangerosité », son comportement. D’évidence, l’ampleur des données collectées au sein du CEL, fichier accessible à tous les intervenants d’un établissement, méconnaît les principes d’adéquation, de pertinence et de proportionnalité. D’évidence, l’utilisation de fichiers de suivi comportemental porte gravement atteinte aux droits fondamentaux des personnes détenues. C’est la raison pour laquelle l’OIP a invité la CNIL à mettre en œuvre ses pouvoirs de contrôle, de sorte à ce que l’administration pénitentiaire soit mise en demeure de cesser de tels agissements. Stéphane Laurent


Loi pénitentiaire : du pareil au pire

«En prison, une porte ouverte ou fermée,

ça change tout» Ayant passé quatre mois au sein du premier centre de détention hexagonal à avoir expérimenté la différenciation des régimes de détention, le sociologue Gaëtan Cliquenois décrypte cet outil de gestion de la détention et analyse comment il s’intègre dans la culture « managériale » de l’administration pénitentiaire.

Quel regard portez-vous sur la loi pénitentiaire ? Gaëtan Cliquenois : C’est une véritable occasion manquée. Il s’agissait de « remettre aux normes » le droit pénitentiaire à l’aune des règles pénitentiaires européennes et l’on se retrouve avec une loi « cosmétique », à minima voire en deçà des standards européens. De fait, on assiste à un dévoiement des RPE puisque, désormais, dans une « démarche qualité » purement managériale, la labellisation des établissements pénitentiaires à l’aune de ces règles européennes prime sur une véritable application de celles-ci. D’autant qu’en contrepartie de ce « respect » en trompe-l’œil des RPE, l’administration pénitentiaire a su obtenir la légalisation de la différenciation des régimes de détention. Pourquoi y tient-elle autant ? G. C. : L’AP doit faire face à un processus de judiciarisation et de juridiciation croissante : face à l’intervention d’instances protectrices des droits de l’homme et à l’action des tribunaux administratifs ainsi que du Conseil d’État, l’AP ne peut plus faire ce qu’elle veut. Le seul terrain où il lui reste encore d’importantes marges de manœuvre, c’est celui de l’affectation des détenus. Voilà pourquoi, pour elle, la différenciation des régimes de détention est un enjeu fondamental. D’où viennent les régimes différenciés ? G. C. : La différenciation des régimes de détention est consubstantielle de la naissance de la prison moderne. Au début du e xix  siècle, Tocqueville préconisait déjà l’octroi de faveurs aux détenus, en fonction de leur conduite. Et, d’un point de vue réglementaire, c’est en 1945, avec la réforme Amor, qu’ont été mis en

place les régimes progressifs. Toutefois, cette réforme ne sera que peu appliquée. Pourquoi ? G. C. : L’AP s’est rendu compte que ce régime était difficile à mettre en oeuvre. D’abord parce qu’elle supposait des personnels qu’ils soient capables de passer de la gestion d’un régime fermé à un régime ouvert et donc de s’adapter rapidement. Ensuite parce que cela a créé de gros problèmes en détention, avec, entre les détenus, des phénomènes de jalousie, des problèmes de cohabitation et des incidents de plus en plus problématiques. Enfin parce qu’à l’époque, la décision d’affectation revenait, au sein d’une commission pluridisciplinaire, au juge d’applications des peines. Une procédure autrement plus collégiale et contradictoire – et donc plus lourde – que ce qui se déroule aujourd’hui et que vient d’entériner la loi pénitentiaire, à savoir la mainmise complète de l’AP sur la décision et le processus d’affectation. Résultat : les régimes progressifs ont été abandonnés en 1975. Pour ressurgir au début des années quatre-vingt-dix ? G. C. : En effet. Dans un certain nombre d’établissements, la circulaire du 22 octobre 1990 va instaurer – en vue de développer l’« autonomie » des détenus et « leur sens des responsabilité afin de préparer leur retour à la vie sociale » – un régime plus souple que celui de droit commun, caractérisé par une plus grande liberté de circulation et une « multiplication des activités proposées » permettant ainsi un « rapprochement du régime de vie carcéral avec celui de la vie » à l’extérieur. Cette circulaire prévoit une phase d’accueil de quinze jours, à l’issue de laquelle les détenus sont orientés dans des « unités de vie » : des sous-secteurs de la détention proposant des régimes de détention différenciés, se Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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dossier caractérisant par – c’est la définition même des régimes différenciés – la « progressivité des libertés de déplacement et des contrôles ». Il est précisé que la durée d’observation est « illimitée », donc permanente, que la décision d’affectation, si elle doit être motivée au détenu, n’obéit pas au principe de légalité. Et que, prise par une « commission pluridisciplinaire » où l’on trouve le chef d’établissement et les personnels de surveillance et de probation, elle prend en compte « l’adhésion du détenu à son régime de vie ». En clair, son comportement. L’AP s’est-elle inspirée de ce qui se faisait dans les pays anglo-saxons ? G. C. : En partie. Toutefois, il faut noter qu’aux États-Unis et au Canada, le processus d’observation est beaucoup plus systématique et formalisé puisque faisant intervenir des experts psycho-sociaux et des outils actuariels d’évaluation statistique des risques. Alors qu’en France, quand bien même tente-t-on de mettre en place des logiques et des outils actuariels, la démarche est beaucoup plus artisanale. En fait, pour qu’une réforme réussisse, il faut qu’elle recueille l’adhésion des personnels. Et, en ce domaine, il ne faut pas négliger les initiatives locales. Lesquelles ? G. C. : J’ai mené mes observations en 2005-2006 au sein du premier centre de détention à avoir expérimenté les régimes différenciés. Auparavant, Sodexho avait mis en place au sein de cet établissement en gestion mixte un système de badge pour que les détenus se déplacent plus librement. Autant dire que les surveillants n’apprécièrent pas du tout ce système. En effet, avec le système mis en place par Sodhexo, les surveillants, privés de leur autorité, n’avaient plus de maîtrise sur les flux de détenus et finissaient même par ne plus les connaître. De surcroît, outre l’augmentation des trafics, ils redoutaient les risques de « contamination et de subversion » de la part de détenus influents sur les nouveaux arrivants. Enfin, du fait de la politique pénale et de la criminalisation d’un certain nombre de conduites, cet établissement a dû faire face – comme les autres d’ailleurs… – non seulement à une augmentation de la population carcérale mais aussi à un changement de profils des détenus, dont certains auraient dû se retrouver en maison centrale. Alors, face à cette augmentation des « longues peines » et à cette hétérogénéisation des profils, la solution avancée fut de différencier les régimes de détention. Cela devait permettre de réduire les trafics, de mieux connaître la population carcérale et, en mettant un terme au précédent système de badge, de redonner aux personnels de surveillance leur autorité. Autant dire que les surveillants plébiscitèrent l’expérimentation des régimes différenciés.

j’ai fait mes observations, le « régime probatoire renforcé » – leur a offert une possibilité de sanction supplémentaire qui, contrairement au placement au quartier disciplinaire, ne laisse pas de trace et ne nécessite ni procès verbal, ni rapport d’incident. Comme on l’a entendu pendant les débats relatifs à la loi pénitentiaire, les régimes différenciés, n’est-ce qu’une simple question d’ouverture et de fermeture de portes ? G. C. : Cette rhétorique témoigne d’une méconnaissance totale de ce qu’est la prison. Vu le peu d’espace de circulation en détention, avoir sa porte ouverte ou fermée, en prison, ça change tout. Car, pour un détenu, c’est dès la porte de la cellule que, bien souvent, commencent les négociations avec le personnel : pour aller à la douche, au travail… Lorsque la porte est fermée, la dépendance est totale. Et les risques d’incidents d’autant plus grands. Alors, non, les régimes différenciés, ce n’est pas qu’une simple histoire de porte ouverte ou fermée mais, même si ce n’était « que » ça, ce serait déjà énorme. Ainsi, là où j’ai fait mes observations, il y avait trois régimes : un régime « probatoire renforcé » où les portes sont fermées la plupart du temps, un régime commun où les portes ne sont ouvertes qu’à certains moments et un régime dit « de confiance » où les portes sont ouvertes la plupart du temps. Or, 80 % des détenus qui passaient devant la commission de discipline venaient du régime fermé. Non parce qu’on y trouvait les détenus les plus durs. Mais parce que le régime fermé conduit à une multiplication des incidents.

« Le seul terrain où il reste à l’administration pénitentiaire encore d’importantes marges de manœuvre, c’est celui de l’affectation des détenus »

Expérience concluante ? G. C. : Pour l’AP, oui. Ce mode de gestion de la détention a permis aux surveillants de mieux contrôler la population carcérale. De plus, autre « avantage » : le régime fermé – qui s’appelait, là où Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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Pourquoi ? G. C. : La porte de la cellule étant fermée la plupart du temps, c’est le régime où les détenus sont le plus en contact avec les surveillants et le plus dépendant d’eux. C’est aussi le régime où les possibilités de travailler ou de participer aux activités sont les plus réduites. Parce que, pour s’y rendre, les détenus sont, là encore, tributaires des surveillants. Parce qu’il leur est plus difficile de s’informer (pour cela, il faudrait pouvoir sortir de cellule). Et enfin parce que, lorsqu’ils postulent, non seulement, ils ne sont pas prioritaires mais, surtout, leur réputation les précède, un peu comme en banlieue où se mêlent étiquetage et stigmatisation. Or, il a été prouvé qu’il y a un lien entre absence


Avec les régimes différenciés, la période d’observation est « illlimitée ».

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de travail et un taux d’incident élevé, tout comme il est avéré que le placement en quartier disciplinaire, en lui-même, est générateur d’incidents. On se retrouve donc avec des détenus qui rentrent dans une sorte de cercle vicieux : sans travail ni activité, ils finissent par être dans un processus de contestation permanente que renforcent les sanctions disciplinaires. Avec, à la clé, pour les plus ingérables, un transfert disciplinaire. Comment se déroule le processus d’affectation ? G. C. : Sont à l’œuvre deux processus de jugement. Le premier est un jugement exercé à distance, le détenu étant évalué sur la base de son « CV » pénal et pénitentiaire, un CV parfois complété par la « réputation » du détenu. Pour l’AP, l’avantage de ce système est de permettre un traitement de masse. Le second processus est un jugement en interaction : le détenu est placé en observation. Et même parfois « testé » : ainsi, un surveillant va attendre un peu avant de répondre à ses appels, non pour le pousser à bout mais pour voir ses réactions et donc, à qui il a à faire. De fait – et même s’il n’y a pas de déterminisme absolu –, les deux types de jugement se complètent, le jugement en interaction étant très souvent « contaminé » par le jugement à distance. Un peu comme lors d’un recrutement où la manière dont va se dérouler l’entretien d’embauche va être fortement influencé par la nature du CV du candidat.

Loi pénitentiaire : du pareil au pire donc, forcément, négociation et rien ne dit que cela se passera sans heurts. Quant aux maisons d’arrêt, je ne vois pas trop l’intérêt puisque le régime commun est d’ores et déjà un régime « fermé ». A moins qu’il ne s’agisse de mettre en place un régime un peu plus ouvert, l’AP appréciant les outils qui permettent de manier la carotte et le bâton. Toutefois, il est un changement notable de philosophie par rapport à la réforme Amor de 1945 : c’est qu’il n’est plus du tout question de progressivité. Ainsi, là où j’ai fait mes observations, j’ai pu constater que certains détenus auront passé l’essentiel de leur détention en régime probatoire. De fait, on n’a plus affaire qu’à un simple outil de gestion de la détention par catégorisation et segmentation de la population carcérale et des flux. Est-ce au moins un outil efficace ? G. C. : Même pas ! S’il redonne aux personnels de surveillance une certaine latitude dans la gestion de la détention -disposant ainsi, par la maîtrise de l’affectation, d’un nouveau moyen de sanctionce qui caractérisent les régimes différenciés, ce sont leurs effets pervers. C’est un instrument performatif, une sorte de « prophétie auto réalisatrice » puisqu’il se traduit, chez un certain nombre de détenus placés en régime fermé, par une violence inouïe. Or, cette violence n’est pas mise sur le compte du régime de détention mais sur le compte de la personnalité des détenus. Ce qui conforte l’AP dans l’idée qu’elle a bel et bien eu raison de mettre les « détenus à problème » dans le régime le plus dur. Alors que, comme par hasard, les détenus placés en régime ouvert, eux, ne posent aucun problème. Toutefois, à terme, l’outil se retourne contre l’institution puisque l’établissement où j’ai mené mes observations était obligé de demander le transfèrement disciplinaire des détenus devenus ingérables. Il est un autre terrain sur lequel les régimes différenciés sont en échec, c’est celui de la prévention du suicide. En effet, si c’est en régime fermé que le taux d’incidents est le plus important, c’est là aussi qu’il y a le plus de tentatives de suicide et d’actes auto-agressifs. De fait, quand on n’a plus aucun moyen de contrôle sur son existence, quand on n’a pas de travail, pas d’activité, le désespoir est tel que le corps redevient un lieu d’investissement. C’est aussi une manière de manifester sa désapprobation. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater, alors même qu’est préconisé pour lutter contre le suicide un renforcement de la surveillance, que les automutilations et les suicides sont plus importants dans les secteurs de la détention où la surveillance est la plus forte.

« Si c’est en régime fermé que le taux d’incidents est le plus important, c’est là aussi qu’il y a le plus de tentatives de suicide et d’actes auto-agressifs »

La loi pénitentiaire promulguée, avec la généralisation des « quartiers arrivants » et des commissions pluridisciplinaires uniques, va-t-on assister à une mise en place systématique des régimes différenciés ? G. C. : En centre de détention, cela ne fait guère de doute car le grand avantage de cet outil de gestion de la détention par contention, c’est sa souplesse et sa capacité à s’adapter dans n’importe quel contexte : si on a besoin d’étendre le régime fermé à la moitié d’un établissement, c’est possible ! En maison centrale, cela dépend de la nature ou non « sécuritaire » de l’établissement et de l’accueil que les détenus réserveront à ce système. Car, certes, les régimes différenciés encouragent l’individualisme chez les détenus. Mais il y a quand même de la solidarité et il ne faudrait pas oublier qu’en centrale, les détenus restent souvent plus longtemps que les personnels : il y aura

Que nous dit cet outil de la vision qu’a l’AP du détenu ? G. C. : Les régimes différenciés sont un outil profondément inégalitaire qui nous renvoie à une vision manichéenne des détenus : il y aurait d’un côté les bons détenus, amendables, qui bénéficieront de toutes les faveurs, d’un travail et pourront ainsi sortir plus vite et, de l’autre, les détenus ingérables, les irrécupérables de la société qu’il faut, d’une manière ou d’une autre, éliminer. C’est d’ailleurs ce que traduisent ces critères de « dangerosité » Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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dossier

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« Ce qui caractérisent les régimes différenciés, ce sont leurs effets pervers. »

et de « personnalité ». On fait comme si les personnes avaient, une bonne fois pour toutes, une personnalité fixe, sans évolution possible et qu’il était possible, sur la base de celle-ci, de prévoir leurs actes et leurs réactions. Pourtant, on sait que le concept de « dangerosité » n’a aucune valeur scientifique, que l’activité d’évaluation que l’on promeut aujourd’hui renforce les processus d’étiquetage et de stigmatisation et enfin que les personnes n’existent pas indépendamment de leur environnement, qui plus est en prison. En clair, on assiste aujourd’hui à un véritable retour en arrière. Ce qui n’est pas sans paradoxe. C’est-à-dire ? G. C. : Alors qu’on a un gouvernement qui mène une politique de fermeté à l’égard de la délinquance sexuelle, il semble que les impératifs de l’administration pénitentiaire ne sont pas les mêmes. En effet, comme j’ai pu le constater, les détenus que l’on trouve souvent en régime ouvert sont les auteurs d’infractions sexuelles. Pour une raison simple : ce sont ceux qui, en détention, posent le moins de problème, qui adoptent une conduite très normative et qui contestent le moins. Les délinquants sexuels et les braqueurs sont, en quelque sorte, les « grands gagnants » des régimes différenciés. Ce qui prouve qu’on a une administration pénitentiaire qui – loin d’avoir une réflexion sur ce qu’elle fait et produit – ne se soucie que d’une chose : la gestion de la détention. D’ailleurs, d’une certaine manière, la différenciation des régimes de détention ne fait qu’entériner la surpopulation carcérale. Car, plutôt que de tenter de la remettre en cause (comme la politique pénale dont elle découle), elle ne cherche qu’à la gérer. De fait, à travers les régimes différenciés, mais aussi les processus de labellisation, l’administration pénitentiaire n’aurait-elle pas fait sienne une certaine culture « managériale » ? G. C. : C’est, à mon sens, un terrain d’analyse des plus féconds. Quand on voit que, dans le cadre de la LOLF [loi d’orientation de Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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la loi de finance, N.D.L.R.], l’AP se donne comme critères d’évaluation le « coût d’une journée de détention » ainsi que le « taux d’incident », il ne fait aucun doute que la différenciation des régimes de détention – parce qu’elle permet de gérer et donc de supporter la surpopulation, parce qu’elle est un moyen de sanction qui ne laisse pas de trace – rentre parfaitement dans ce cadre. Plus largement, il est on ne peut plus instructif de se pencher sur les objectifs et indicateurs que se donne l’AP pour être évaluée : si ceux relatifs à la sécurité sont nombreux, ce n’est pas le cas de ceux relatifs aux questions pourtant centrales de la sortie de prison, de la réinsertion. Cela en dit long de ses priorités. Autre piste à explorer : à travers cette culture managériale qui s’inspire du « benchmarking », l’AP cherche non seulement à évaluer et à encadrer les détenus mais aussi les personnels pénitentiaires. Comment ? G. C. : Prenez les régimes différenciés. L’enjeu principal est évidemment d’évaluer, d’encadrer et de gérer la population carcérale. Mais, à travers la mise en place des commissions pluridisciplinaires uniques, des quartiers arrivants, la généralisation de la différenciation des régimes de détention va aussi avoir pour effet une harmonisation des pratiques professionnelles. De fait – on le voit aussi avec les règles pénitentiaires européennes et le processus de labellisation des établissements –, sont mis en place toute une série d’outils et de mesures quantitatives pour évaluer et encadrer le travail des personnels pénitentiaires. Et ce qui est sûr, c’est que cela a des incidences sur la vie en détention et sur la manière de travailler. On le voit déjà du côté des services d’insertion et probation qui travaillent de plus en plus sur dossier, au point que le détenu – et la rencontre avec ce dernier – passe désormais au second plan. Parce qu’il faut travailler vite et faire du chiffre. Alors, même s’il faut être prudent et ne pas « enchanter » l’interaction, je pense que l’un des risques que recèlent ces nouvelles formes de management, c’est une déshumanisation de la détention. Entretien réalisé par Stéphane Laurent


Loi pénitentiaire : du pareil au pire

« Pas de confiance sans confidentialité » Si Catherine Paulet, présidente de l’association des secteurs

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Qu’avez-vous pensé, lors de l’examen du de psychiatrie en milieu pénitentiaire, porte un regard plutôt projet de loi pénitentiaire, des débats relatifs bienveillant sur le volet sanitaire de la loi pénitentiaire, elle n’en aux questions sanitaires, notamment des menaces qui ont pesé sur l’article 48 selon rappelle pas moins quelques évidences sur la place et le rôle lequel on ne peut demander à un médecin des personnels médicaux en milieu carcéral. Entretien. « un acte dénué de lien avec les soins ». Une disposition qui, selon le rapporteur de la loi, Comment peut se faire alors l’échange d’informations ? ne devra ni « remettre en cause la pluridisciplinarité » ni C. P. : L’échange d’informations concernant un patient avec les « être utilisée comme paravent par certains professionnels partenaires doit passer par la personne concernée elle-même. de la santé qui refuseraient de travailler de concert avec La seule exception, c’est quand il y a un risque vital pour soi ou l’administration pénitentiaire » ? Catherine Paulet : L’article 48 insiste à juste titre sur la médeci- autrui du fait de pathologies somatiques ou psychiatriques et qui ne de soin et de prévention qui est notre mission. Il la différencie, impose un partage d’informations pour sauvegarder l’intégrité conformément au code de déontologie médicale, de la médecine de la personne. C’est le cas par exemple du risque suicidaire… d’évaluation expertale qui est d’une autre nature puisque visant La médecine en prison n’est pas au cœur de la pluridisciplinarité, à éclairer, le plus souvent un magistrat, sur l’état de santé d’une elle a une place nécessairement décentrée mais évidemment personne. Il la différencie également d’actes, comme les inves- articulée. La confusion des identités professionnelles et des tigations corporelles qui ne sont aucunement en lien avec une missions ou les conflits/crispations qui en découlent, naissent indication médicale. De fait, il y a beaucoup de malentendus sur souvent d’une méconnaissance réciproque des métiers, de leurs la question de la pluridisciplinarité, sur la place de la médecine objectifs et limites. Il est donc très utile de prévoir des temps en milieu pénitentiaire, sur la question du secret professionnel de réunions pluriprofessionnelles. Pour débattre, non des cas médical et de l’échange d’informations. Travailler en prison, c’est individuels, mais des organisations de travail. En clair, qui fait évidemment travailler en partenariat. Pour autant, je dois assurer quoi, quand, comment et pourquoi. Dans le respect des limites à mes patients, comme en population générale, la confidentialité techniques et déontologiques de chacun. des échanges et je suis soumise au respect du secret professionnel médical. C’est une condition sine qua non de l’efficacité Quid de la généralisation du cahier électronique de liaison du soin : pas de médecine sans confidences, pas de confidences et des commissions pluridisciplinaires uniques ? C. P. : Le but de la pluridisciplinarité n’est pas de tout savoir mais sans confiance, pas de confiance sans confidentialité. de mieux articuler. Sans doute le débat est-il pollué par la question de la recherche de responsabilité et du risque zéro défini comme un objectif atteignable. Si nous n’admettons pas que le risque existe et si nous voulons à toute force témoigner que nous n’y sommes pour rien, la machine va très rapidement gripper et s’arrêter. Pour notre part soignante, et conformément à la règle Comme le du secret professionnel médical, il est évident que le cahier élecrappelle la psychiatre tronique pénitentiaire de liaison n’est pas notre outil de travail et Catherine que nous n’avons pas à l’alimenter. Nous établissons un dossier Paulet, « le médical du patient soumis aux mêmes règles de confidentialité dossier médical que le dossier médical de tout un chacun. Quant à la commisdu détenu est sion pluridisciplinaire unique, elle regroupe et formalise en fait soumis aux mêmes règles de diverses réunions qui existaient peu ou prou déjà. Les soignants confidentialité participent aux réunions traitant non de cas individuels mais de que le dossier questions de santé en termes d’organisation et d’établissement médical de tout de procédures et de façons de travailler en complémentarité ; aux un chacun » Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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dossier réunions traitant de cas individuels sous l’angle de la prévention du risque suicidaire, sans pour autant échanger d’informations à caractère médical confidentiel ; et enfin répondent aux sollicitations individualisées des partenaires pénitentiaires concernés par une personne détenue donnée, avec son accord et en l’en informant, pour des circonstances diverses : vulnérabilité particulière, urgence sociale, projet de sortie… Quel regard portez-vous sur l’article 89, relatif aux régimes différenciés, selon lequel l’affectation des détenus et leur parcours seront déterminés, après une « période d’observation pluridisciplinaire », par un « bilan de personnalité », le régime dans lequel ils seront affectés devant prendre en compte « leur personnalité, leur dangerosité, leur santé » ? C. P. : Personnaliser le parcours pénitentiaire et l’exécution de la peine est, en soi, une excellente idée, comme de souligner l’importance d’une articulation des différentes actions. Que la peine prenne sens et que la sortie soit préparée dès l’entrée sont des options pertinentes si l’objectif est bien la réhabilitation et la réintégration sociales de la personne punie et non sa relégation. Là encore, la position décentrée et articulée de la médecine est une réponse aux interrogations et aux paradoxes. Si je devais résumer mon travail de médecin, en l’occurrence psychiatre, je dirais que nous sommes à côté des patients pour soulager leurs souffrances, les aider à penser et à faire face à ce qui leur arrive, en tenant compte de leurs potentialités et du contexte. Autrement dit, je pense que la personne elle-même est porteuse de son projet : je ne pense ni ne parle à sa place, je l’accompagne dans ce travail. Il est évident que le régime de détention doit être adapté aux individus et, qu’à ce titre, l’état de santé devra être pris en compte… Néanmoins, la dangerosité, c’est un mot valise qui regroupe des situations diverses. Dangerosité criminologique (risque de commettre une infraction pénale) et dangerosité psychiatrique (risque de passage à l’acte auto ou hétéro agressif du fait de troubles mentaux) sont des concepts différents appartenant à des champs distincts :

elles peuvent ou non être liées. Toutefois, dans les deux cas, il s’agit d’une situation de danger inscrite dans une temporalité et non pas d’un état permanent. Si la dangerosité psychiatrique concerne le psychiatre et impose souvent des mesures conservatoires, la détermination de la dangerosité criminologique - et notamment le risque de récidive délinquante - n’appartient pas au champ de la médecine mais à celui de l’expertise, du reste non nécessairement médicale.

« Quand le psychiatre prédit la récidive, il fait référence non à sa science mais à son intime conviction »

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Pour Catherine Paulet, « les investigations corporelles ne sont aucunement en lien avec une indication médicale »

Et que penser de la prééminence de la « prévention de la récidive » ? C. P. : La prévention de la récidive délinquante ou criminelle est un objectif légitime, tant pour les auteurs que pour les victimes. Encore faut-il s’en donner les moyens. Qu’il n’y ait qu’un conseiller d’insertion et de probation pour cent personnes ne favorise pas l’accompagnement vers la réinsertion. De fait, en tant que psychiatre, je suis concernée par deux questionnements : thérapie et prévention de la récidive, expertise et prédiction de la récidive. L’idée que la thérapie puisse être prioritairement destinée à limiter les risques de récidive délinquante, qu’elle s’inscrive dans une démarche criminologique et constitue un contrôle social médicalisé rassurant, traverse nombre de lois et concerne nombre de délits ou crimes. Face à ces demandes d’un partenariat « actif » des acteurs de santé dans le « traitement » de la délinquance, il faut rappeler sans se lasser, parfois même à nos pairs, que délinquance et maladie ne sont pas synonymes, qu’une psychothérapie n’est pas une guidance éducative, que le traitement n’a pas pour objectif la prévention d’une récidive délinquante. Mais qu’il a pour objectif la mise en œuvre d’un travail difficile et incertain d’élaboration psychique qui permet au sujet engagé dans le travail de repérer son fonctionnement mental et son mode relationnel (et leurs conséquences), et de s’en défaire tant que se peut et qu’ainsi, peut-être et de surcroît, le soin pourra contribuer à la prévention de la récidive. Quant à l’évaluation de la dangerosité criminologique par les psychiatres dans le but de prédire la récidive délinquante, un éminent confrère psychiatre, Georges Lantéri-Laura, résumait bien la problématique : « La psychiatrie dès qu’elle se trouve sollicitée non plus de donner un avis sur l’éventualité de l’état de démence au temps de l’action ou sur la présence d’une pathologie mentale précise et avérée, mais de rendre compte d’une grande partie des conduites d’infraction, se retrouve devant un dilemme : mesurer lucidement les limites de son savoir et de son savoir faire, faute d’explications rationnelles fondées sur des connaissances effectives ou bien dépasser ce qu’elle sait, allant vers un usage sans critique de l’analogie et de l’à peu près, c’est à dire, au bout du compte, vers un croire savoir et faire croire que l’on sait, infiniment préjudiciable à la vérité et à la déontologie ». Autrement dit, lorsque le psychiatre, abandonnant l’expertise de diagnostic et de pronostic d’une maladie, au profit d’une expertise d’évaluation de la dangerosité criminologique, prédit la récidive délinquante, par définition incertaine, aléatoire et multifactorielle, il fait référence non à sa science mais à son intime conviction.

Entretien réalisé par Sébastien Daniel


international

Prisons italiennes

«C’est tout simplement une décharge humaine» Marquée fin novembre 2009 par des mouvements de détenus protestant contre la surpopulation, l’Italie a connu à la mi-août, peu après avoir été condamnée par l’Europe pour l’indignité de ses conditions de détention, la plus grande visite de prisons par des parlementaires de son histoire. Entretien avec l’initiatrice de la démarche, la députée du parti radical, Rita Bernardini. Comment est née cette opération ? Rita Bernardini : Se rendre en prison fait partie des traditions du parti radical. Mais, cet été, nous souhaitions organiser une inspection de grande envergure afin de saisir au mieux la situation très difficile des prisons italiennes, de connaître la réalité quotidienne de ceux qui y vivent et y travaillent, de comprendre les besoins et ainsi pouvoir proposer les mesures et les lois les plus adaptées. Voilà pourquoi nous avons lancé cette invitation à tous les parlementaires et aux conseillers régionaux qui ont le droit de visiter tout établissement carcéral sans aucun besoin d’autorisation préalable. Vous attendiez-vous à un tel succès ? R. B. : Non. Ce fut la visite de prison la plus massive jamais réalisée : 168 élus ont pu visiter 195 établissements sur les 205 que compte le pays. Pour un bon nombre d’entre eux, c’était la première fois et, pour la plupart, ce fut la découverte d’une situation qu’ils ignoraient jusque-là. Certains ont été si impressionnés par ce qu’ils ont vu qu’ils m’ont assuré vouloir s’engager pour changer les choses. On verra bien ! En attendant, cette participation est politiquement on ne peut plus significative : l’Italie prend conscience des problèmes du système pénitentiaire et s’intéresse peu à peu aux conditions de détention. Quelle est la situation carcérale italienne ? R. B. : Un mot résume cette situation : surpopulation ! Il y a plus de 65 000 détenus pour 43 000 places. Emblématique de cette situation : la prison de Poggioreale, à Naples. Outre la chaleur, la saleté, j’y ai vu des cellules de 20 m2 où s’entassaient une douzaine de détenus alors que les standards européens parlent de 7 m2 par détenu et le droit italien 9 m2 ! De plus, les détenus restent entre 20 et 22 heures par jour dans leur cellule, faute de travail ou d’activité : ainsi, sur 2 266 détenus, seuls 166 travaillent. Quant aux parloirs, les familles doivent faire la queue dès 3 heures du matin pour pouvoir rentrer à 11 heures. Une fois à l’intérieur, elles attendent dans une cour sans eau ni chaise. Et lorsque, enfin, elles rejoignent leurs proches, il n’y aucune intimité puisque, dans chaque parloir, il y a entre 5 et 10 détenus

avec leurs familles ! Comment peut-on encore parler de réinsertion ? Quand les droits des détenus sont à ce point niés, la prison ne peut plus être considérée comme une émanation d’un État de droit : c’est tout simplement une décharge humaine. Comment expliquez-vous une telle situation ? R. B. : Comme en France, la sécurité est au cœur du débat politico-médiatique. Au-delà, il est un problème structurel en Italie : la lenteur de la justice. Chaque année, il y a, mécaniquement, prescription pour 200 000 procédures pénales. Une sorte d’amnistie rampante dont bénéficient ceux qui peuvent se payer un « bon » avocat. En revanche, les personnes démunies sont les premières victimes du système judiciaire. Aujourd’hui, en Italie, 48,2 % de la population carcérale est en détention provisoire ! Autant dire que la présomption d’innocence ne veut pas dire grand chose dans un pays qui a pourtant fait de la « tolérance zéro » et du respect de la loi ses devises. Quelles solutions préconisez-vous ? R. B. : Pour le parti radical, la prison est l’appendice d’un système malade. Nous plaidons donc pour une réforme en profondeur du système judiciaire. Pour cela, il faudrait commencer par une véritable amnistie, pas celle larvée que l’on connaît aujourd’hui, mais une amnistie qui permette de faire table rase en se débarrassant de ces millions d’affaires sans importance qui ne seront jamais jugées. Par ailleurs, dans l’immédiat, nous plaidons pour le développement des aménagements de peine et des alternatives à l’incarcération. Pas question en revanche de construire de nouvelles prisons puisque la plupart des gens qui y sont devraient être ailleurs. Enfin, je pense que l’initiative que nous avons eue permettra d’appuyer la création d’un contrôleur général des lieux de privation de liberté au niveau national, une telle instance existant déjà au niveau régional. En tout cas, je travaille actuellement sur la mise en place d’une base de données publique qui permettra à tous de savoir quelles sont les conditions de détention dans chacune des prisons que compte l’Italie. Entretien réalisé par Tito Galli Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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«Faisons un peu confiance à l’administration pénitentiaire !»* Plusieurs anciens chefs d’établissement sont actuellement mis en examen. Les qualifications à l’origine des poursuites sont à la hauteur des faits survenus lorsqu’ils étaient en fonction, à Nancy et Moulins : « homicide involontaire » et « complicité de violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique ». Ils sont actuellement affectés sur des postes à haute responsabilité au sein de la direction de l’administration pénitentiaire.

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e 4 décembre, Stéphane Scotto, l’ex-directeur de la prison Charles III de Nancy (aujourd’hui désaffectée), a été mis en examen pour « homicide involontaire ». La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy a en effet ordonné un supplément d’information, infirmant le non-lieu rendu dans l’affaire du décès de J.A., torturé et battu à mort par son codétenu, S.S., en août 2004. La famille de J. A. avait déposé une plainte avec constitution de partie civile et fait appel du non-lieu rendu en juin dernier par le juge d’instruction en charge du dossier. Ce dernier avait écarté toute poursuite à l’encontre de l’ancien chef de l’établissement alors même que « diverses erreurs » lui étaient directement imputables, selon les termes du rapport de l’inspection interne diligentée sur place à la suite du drame. Il lui était notamment reproché d’avoir placé J. A dans la même cellule que S.S., alors même que ce dernier était en attente de comparution pour des actes de torture commis sur un autre codétenu. La chambre de l’instruction a considéré que Stéphane Scotto avait commis ce faisant une faute caractérisée, susceptible d’engager sa responsabilité pénale. Lors du procès de S.S. en janvier dernier où il était cité comme témoin, le fonctionnaire avait blâmé la vétusté de l’établissement et la banalisation de la violence dans les prisons françaises. Il a de nouveau comparu, il y a quelques jours, devant la cour d’assises de Dijon pour le procès en appel de S.S. Toujours en qualité de témoin mais désormais mis en examen. Le 15 décembre, c’est au tour de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Riom cette fois de demander un supplément d’enquête dans une affaire qui a défrayé la chronique à plus d’un titre. Cette décision entraîne ipso facto la mise en examen de l’ex-directeur de la maison centrale de Moulins, Daniel Willemont, et de l’un de ses adjoints, chef de détention, poursuivis pour « complicité de violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique ». Les faits remontent au 24 novembre 2003. Une tentative de prise d’otage par trois détenus conduit à leur transfert au quartier disciplinaire, transfert au cours duquel ils subissent de nombreuses violences. Ce « passage à tabac » avait été fermement dénoncé par l’OIP et la CNDS. En décembre 2004, constatant que « la responsabilité

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des nombreux gradés de la centrale présents est engagée entièrement concernant les évènements qui ont abouti à des violences injustifiables, inadmissibles », cette dernière avait réclamé « des poursuites disciplinaires non seulement contre les agents qui [seraient] identifiés par la procédure judiciaire mais d’abord contre les responsables et gradés de l’établissement dont la passivité a permis les débordements ». Si une information judiciaire avait bien été ouverte le 7 juillet 2005, le juge d’instruction a pourtant conclu au non-lieu en février dernier, estimant que « si plusieurs témoins relatent des coups portés par des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, aucun ne peut ou ne veut donner de précisions permettant l’identification des auteurs ». Et pour cause. Comme l’avait rappelé l’OIP, à la suite de cette décision, les personnels en question portaient tous des cagoules masquant le visage, qu’il s’agisse des surveillants de Moulins constitués en équipes d’intervention locale ou des ERIS (Equipes régionales d’intervention et de sécurité) tout nouvellement créées et dont c’était la première mission. On se souvient qu’à l’époque, la chancellerie avait procédé au changement d’affectation du chef d’établissement de Moulins, assurant par ailleurs qu’« il n’exercerait plus de fonctions de commandement ». Un engagement dont Claude d’Harcourt n’a eu cure. Il a nommé récemment Daniel Willemont à la tête de l’un des bureaux les plus stratégiques au sein de la direction centrale de l’AP , celui de la « sécurité pénitentiaire ». L’un des trois services du très puissant « État-major de Sécurité » dont il vient de confier la responsabilité… à Stéphane Scotto. On se souviendra également qu’en juin 2008, le directeur de l’AP avait comptabilisé pas moins d’une « trentaine » de « collaborateurs » faisant « l’objet d’une mise en examen ou d’une enquête ». Et on se prend à s’inquiéter de l’éventuelle présence d’autres fonctionnaires aussi « irréprochables » dans l’organigramme actuel de la direction du « service public » pénitentiaire. Patrick Marest * Selon la formule employée tant par le député Jean-Paul Garraud que par son collègue du Sénat Jean-René Lecerf, tous deux rapporteurs de la loi pénitentiaire.


en droit DPS : une décision particulièrement salutaire Le Conseil d’État ouvre la possibilité de contester tout classement au fichier des détenus particulièrement signalés.

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epuis 1967, l’administration pénitentiaire répertorie les détenus considérés comme présentant des risques pour l’ordre et la sécurité dans un fichier, le fichier des DPS. DPS pour « détenus particulièrement signalés » même si le vocable « détenus particulièrement surveillés » est aussi largement usité. Le 30 novembre dernier, le Conseil d’État a confirmé la ligne de conduite qu’il s’est fixé depuis décembre 2008 : faire reculer les « mesures d’ordre intérieur » et ainsi progresser le droit derrière les barreaux. Considérant que le classement d’un détenu au fichier des DPS a pour effet « d’intensifier de la part des personnels pénitentiaires et des autorités amenés à le prendre en charge les mesures particulières de surveillances, de précaution et de contrôle à son égard » et donc que « ce dispositif est de nature a affecter tant sa vie quotidienne par les fouilles, vérifications des

correspondances ou inspections fréquentes dont il fait l’objet, que les conditions de sa détention en orientant notamment les choix du lieu de détention, l’accès aux différentes activités, les modalités d’escorte en cas de sortie », le Conseil d’État a jugé qu’une telle décision « constituait non une mesure d’ordre intérieur mais un acte faisant grief ». En établissant ainsi qu’une inscription au fichier des DPS est susceptible de recours pour excès de pouvoir, la haute juridiction administrative permet désormais à tout détenu de contester devant la justice son inscription dans ce fichier ainsi que tout refus de radiation de celle-ci. A l’origine de cette décision, la contestation par un détenu de son classement, en 2003, au fichier DPS, en raison de sa mise en cause dans un projet d’évasion. Si le tribunal administratif de Paris l’avait débouté, il avait obtenu gain de cause en appel le 22 juin 2008. Le ministère de la Justice avait immédiatement déposé un pourvoi. Le Conseil d’État a rejeté ce dernier et vient de donner raison au requérant, ouvrant la possibilité pour pas moins de 600 détenus de contester leur fichage. Stéphane Laurent

Une partie des détenus va pouvoir acheter sa télé... et devoir payer la redevance

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e feuilleton du combat engagé par l’ancien prisonnier François Korber pour solder « le dossier du racket de la télévision » derrière les murs vient de connaitre plusieurs épisodes à rebondissements. À l’origine de cette démarche, la mésaventure qu’il a connue, commune à d’autres détenus. Incarcéré à Riom, où il avait pu exceptionnellement acquérir un poste de télévision, il a été transféré à Melun, où prévalait l’interdiction de principe d’en être propriétaire. Il avait donc dû se résoudre à le laisser à la « fouille » et à louer un nouveau récepteur au tarif de 38 euros par mois. Contestant cette situation, il a entamé une action en justice, toujours en cours. Poursuivi en diffamation par l’administration pénitentiaire, notamment pour avoir dénoncé un « racket organisé », il comptait bien se servir du procès prévu le 26 novembre 2009 au tribunal correctionnel de Melun comme d’une tribune. Mais, vice de procédure oblige, le procès n’a pu se tenir. Entre temps, une note de la direction de l’administration pénitentiaire datée du 6 août a établi, d’une part, que les condamnés incarcérés en établissements pour peine pourraient, à partir du 1er septembre, acquérir un téléviseur qui les suivraient en cas de transfert, d’autre part que les établissements en gestion déléguée harmoniseraient à compter du 1er janvier prochain leur tarif de location à 18 euros par mois. Dans cette même note, Claude d’Harcourt tente néanmoins de reprendre d’une main ce qu’il

donne de l’autre. En effet, il a accompagné ces avancées d’une série de mesures fortement dissuasives financièrement. Ainsi, le « raccordement au réseau de diffusion interne de l’établissement » sera désormais obligatoire et payant pour chaque propriétaire d’un récepteur de télévision, alors que les associations socioculturelles assurant leur location en étaient dispensées par arrêté. Par ailleurs, il est indiqué que le détenu sera « assujetti au paiement de la redevance audiovisuelle », la note omettant tout bonnement de signaler la possibilité légale d’en être exonéré en cas de ressources inférieures à 9 837 €, conformément au code général des impôts. « Le retrait de l’appareil et son placement au vestiaire dans le cadre d’une procédure disciplinaire » pourra par ailleurs être décidé en cas de « non paiement de ces différentes cotisations ». Cerise sur le gâteau, le transport de la télévision devra être effectué, quel que soit le motif du transfert, « par une société privée et à la charge du détenu propriétaire ». « Agissons sereinement », suggérait d’une mention manuscrite Claude D’Harcourt, à la fin du courrier du 13 novembre qu’il a adressé à François Korber. Pas sûr que ce dernier soit disposé à prendre des vessies pour des lanternes. Et à admettre que les détenus des maisons d’arrêt n’aient pas les mêmes droits que ceux en établissements pour peine. Sébastien Daniel Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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Pour l’avocat Etienne Noël, « la cour ne pouvait pas contester que mes clients avaient été détenus dans des conditions contraires à la dignité humaine ».

Une condamnation de l’État qui pourrait faire tâche d’huile La cour d’appel administrative de Douai a confirmé la condamnation de l’État à indemniser trois détenus.

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a cour ne pouvait pas contester que mes clients avaient été détenus dans des conditions contraires à la dignité humaine », relève Etienne Noël, avocat et membre de l’OIP. Certes, reconnaît-il, depuis, « il y a eu des travaux de peinture dans les cellules. Mais sans changement en profondeur de l’agencement interne, ça ne change rien à la violation de la dignité humaine ». Le 12 novembre dernier, en effet, la cour d’appel administrative de Douai a confirmé la condamnation de l’État par le tribunal administratif de Rouen, le 7 mai dernier, à verser à trois détenus 3 000 euros chacun en raison de leurs conditions de détention. Comme l’a constaté la cour, « durant leur détention à la maison d’arrêt de Rouen, MM. T., F. et K. ont occupé avec un ou deux autres codétenus des cellules d’une superficie de 10,80 et 12,36 m², conçues initialement pour accueillir un seul détenu ». Leur cellules, ajoute-t-elle, « n’étaient équipées, pour tout dispositif d’aération que d’une fenêtre haute de faible dimension dont il est constant qu’elles ne permettaient pas d’assurer un renouvellement satisfaisant de l’air ambiant » Quant aux toilettes équipant ces cellules, elles n’étaient « pas cloisonnées, hormis par des portes battantes et un muret bas insuffisants à protéger l’intimité des détenus, ni équipées d’un système d’aération spécifique et étaient situées à proximité immédiate du lieu de prises des repas ». Alors, quand le ministère de la Justice fait état des « travaux entrepris dans le but d’améliorer les conditions de vie des détenus au sein de l’établissement », la cour rappelle tout simplement que ces travaux « ont essentiellement concernés les équipements collectifs » et n’ont donc « pas modifié les caractéristiques des cellules », même si « un programme de réfection des peintures murales et de cloisonnement des toilettes a été engagé ». En conséquence, la cour d’appel a confirmé la première condamnation, estimant que « MM. T., F. et K. avaient été détenus dans des conditions n’assurant pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine, en méconnaissance de l’article D. 189 du code de procédure pénale ». Cette décision est exemplaire à plus d’un titre. D’abord parce que c’est la première fois qu’une juridiction de ce niveau rend Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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un tel jugement. Ensuite parce qu’elle s’appuie essentiellement sur le droit positif (les articles D. 189 mais aussi D. 350 et 351 du code de procédure pénale), étoffant encore un peu plus la « panoplie » des dispositions invocables, aux côtés de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme ou, tout simplement, du règlement sanitaire départemental. Mais aussi et surtout parce qu’elle devrait faire tâche d’huile. En effet, si M° Etienne Noël a ouvert la brèche avec une première condamnation de l’État en mars 2008, il a d’ores et déjà prévenu qu’il envisageait de nouveaux recours pour une soixantaine de détenus ou anciens prisonniers. Par ailleurs il est de moins en moins seul. Si d’autres avocats lui avaient petit à petit emboîté le pas, comme Benoît Rousseau à Nantes, son action a été relayée par la Conférence des bâtonniers. Quant au Syndicat des avocats de France, il diffuse désormais un kit pour faciliter ce type de démarches. La méthode est rôdée : une action en référé qui permet la désignation d’un expert chargé de constater les conditions de détention et dont le rapport servira de base au recours devant le tribunal administratif. Des actions ont déjà été engagées à Caen, ClermontFerrand, Nanterre, Nouméa, Grenoble. Etienne Noël ne cache pas son objectif : « Ce que je voudrais, c’est que ça génère tellement de dommages et intérêts que l’État finisse par mener une réflexion qui soit autre chose qu’un effet d’annonce ». On peut aussi s’attendre à ce que les détenus prennent au mot une loi pénitentiaire aux termes de laquelle l’administration pénitentiaire garantit les droits et la dignité des détenus ainsi qu’un hébergement « propice » à la « prévention des affections physiologiques ou psychologiques ». Reste, comme l’a souligné la juriste Martine Herzog-Evans, qu’« en matière de responsabilité le juge administratif n’a pas le pouvoir d’ordonner que des places soient libérées ou des travaux effectués ». D’où la nécessité pour elle d’agir sur le droit et les politiques pénales. A long terme, « la seule méthode efficace est de changer nos politiques pénales : moins de prison et de la prison avec plus de discernement ». Stéphane Laurent


LETTRES OUVERTES

“Quittez immédiatement la zone interdite” Personne écrouée et placée sous surveillance électronique mobile, septembre 2009. Premier jour. A 23 heures, un « bip » intempestif m’annonce qu’il faut charger la batterie, alors que cette tâche m’incombe sans qu’il ne soit nécessaire de me la rappeler. Deuxième jour. A 6 heures du matin, un bip intempestif m’annonce un « téléchargement réussi ». Cela m’est complètement égal, je voudrais ne pas être réveillé sans raison valable à une heure indue. Toute la soirée et toute la nuit, l’émetteur mobile reste avec le message : « emplacement actuel non identifié, veuillez sortir » alors que je suis dans mon lieu d’assignation et que n’ai précisément pas le droit d’en sortir ! Troisième jour. Vers 10 heures, alors que je sors des bureaux de mon association de réinsertion, je suis interpellé par deux policiers en civil dans une voiture banalisée qui m’embarquent au commissariat pour une rétention-audition. J’apprends que c’est un substitut du procureur qui m’a fait amener suite à un signalement du pôle de surveillance PSEM selon lequel je serais sorti de ma zone de circulation. Quand ? Je ne le saurai même pas. Les faiblesses et les ratés du système sont tellement fréquents que je n’ai aucune difficulté à convaincre les OPJ que rien ne peut m’être reproché et que c’est l’appareillage qui est en cause. Je suis relâché un peu avant midi, un quart de mon temps journalier de liberté ayant été perdu dans cette histoire. L’incident a provoqué la consternation de toutes les personnes connaissant ma situation. L’un des OPJ m’a prédit que cela avait toutes les chances de se renouveler… Dans l’aprèsmidi, je reçois le message « quittez immédiatement la zone interdite » alors que je me trouve dans un immeuble du ministère de la Justice ! Dans la soirée, le message « l’unité Star doit être chargée » bippe sur l’émetteur mobile alors que la batterie est chargée à bloc…

Quatrième jour. Le matin, à peine suis-je entré au bureau de la Poste que le message « emplacement actuel non identifié, veuillez sortir » s’affiche, avant même que j’ai pu me présenter au guichet. Cinquième jour. Couverture nuageuse : à 9 h 30, le message « emplacement actuel non identifié, veuillez sortir » s’affiche alors que je me trouve au beau milieu d’une place… La liaison GPS ne sera pas réalisée avant midi. Septième jour. Vers 18 heures, le message « l’unité Star doit être chargée » s’affiche sur l’écran de l’émetteur mobile et se met à bipper toutes les cinq secondes alors que la batterie est chargée. Ce genre de dysfonctionnements devient insupportable. Le message « veuillez sortir » reste affichée pendant une partie de l’après-midi et la soirée du dix-septième jour, toute la nuit jusqu’au lendemain matin, 9 heures. Manifestement, la liaison n’était pas établie pendant tout ce temps dont j’ai passé la plus grande partie dans ma chambre. Toujours pas de réception GPS et même scénario le lendemain, sauf que je me fais bipper deux fois en pleine nuit, peu après minuit et vers 4 heures, avec obligation de me lever et d’aller confirmer la réception du message « veuillez sortir » sans quoi le bip se manifeste toutes les cinq secondes. Y en a marre, j’aimerais bien pouvoir dormir la nuit… Dix-neuvième jour. Vers 11 h 30, sur invitation d’une éducatrice, j’appelle le pôle PSEM pour clarifier la situation. La personne au bout du fil commence par me demander si je n’ai pas tenté de retirer mon bracelet… S’ensuit un dialogue de sourds dans lequel je fais valoir qu’aucune décision judiciaire ni aucun texte ne me contraint à être en permanence « dehors » afin de faciliter la liaison GPS et que si l’envie me prenait de passer toute la journée (dans la limite de mon créneau horaire) dans un magasin ou dans une bibliothèque, par exemple, rien ne pourrait légalement m’en empêcher. La fonction-

naire chargée de mon suivi me rétorque, elle, qu’elle doit tout le temps savoir où je suis pour être sûre que je ne me trouve pas dans une « zone interdite ». Abandonnant ce débat stérile, je lui dis que rien, de toute façon, ne justifie que je sois réveillé comme la nuit précédente à minuit et 4 heures du matin par un message de contrôle et que la surveillance à distance n’empêche pas le respect de la vie privée des gens. Mon interlocutrice me répond qu’elle essaiera d’en tenir compte… Elle m’affirme enfin que la liaison GPS doit être réalisé dans la rue, avant de rentrer dans ma chambre, sans quoi elle ne peut plus être rétablie à l’intérieur. L’expérience a montré quelques minutes plus tard que ce n’était pas vrai. Vingtième jour. Vers 11 h 30 : « Quittez immédiatement la zone interdite » alors que je marche dans la rue, en plein cœur de mon périmètre de circulation. Trente-huitième jour. Le message « l’unité Star doit être chargée » bippe dans ma chambre à 18 heures. Après trois semaines de tranquillité, ça ne va quand même pas recommencer ? ! Hélas, oui. Et ça remet ça le lendemain, jeudi, à la même heure. Quelqu’un, au pôle PSEM, s’amuse à me pourrir la vie. Rebelote le quarantième jour vers 9 heures du matin alors que je viens juste de débrancher l’émetteur qui est resté en charge toute la nuit. Cette fois, il y en a marre. Je ne réponds pas au message « l’unité Star doit être chargée », ce qui a pour effet de « geler » dans cette position l’émetteur qui bippe toutes les cinq secondes. Je vais faire constater la situation à l’association de réinsertion où je demande à rencontrer ma conseillère d’insertion et de probation. A 9 h 30, elle aussi constate une pratique manifestement malveillante puisque l’émetteur – son bip horripilant nous vrillant toujours les oreilles- est chargé à bloc. Je menace de porter plainte auprès du procureur pour harcèlement mais ma conseillère m’arrange une Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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LETTRES OUVERTES

audience avec le JAP qui constate lui aussi des dysfonctionnements en cascade car, derrière « l’unité Star doit être chargée » s’affiche le message « Quittez immédiatement la zone interdite » – alors que je me trouve au ministère de la Justice ! – puis « Veuillez sortir… » Un PV d’audition est établi. J’apprends aussi de mon travailleur social qu’un signalement lui a été transmis (durant ses vacances) comme quoi, le vingtième jour, j’aurais quitté ma zone de circulation durant… quatre secondes ! Voilà, c’est ça, la pénitentiaire française, son état d’esprit se révèle parfaitement dans ce genre d’abjection. La plupart du temps, elle n’est pas fichue de me localiser du matin jusqu’au soir, mais elle prend son pied à me chercher des noises avec des histoires de quatre secondes (et quelques mètres)… Le même jour, on m’annonce qu’un surveillant du pôle va m’apporter un nouvel émetteur. Il se présente effectivement à ma chambre dans l’après-midi mais il n’a aucun appareil avec lui car il m’affirme avec assurance que le mien fonctionne parfaitement bien et il me reproche en fin de compte de ne pas me montrer coopératif. Je lui parle des innombrables dysfonctionnements qui se produisent chaque jour, mais c’est une réalité qu’il ne veut pas accepter. Il pratique sans doute la méthode Coué. J’en profite quand même pour lui préciser que si, lorsque je suis dehors, je réponds aux messages que l’on m’envoie sur l’émetteur, aussi fantaisistes soient-ils, c’est parce que je le veux car aucun texte de loi ni aucune décision judiciaire ne m’y oblige. Je ne suis en effet soumis qu’à trois contraintes : respecter mes horaires d’assignation, respecter ma zone de circulation et veiller à la charge de Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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la batterie de l’émetteur. C’est tout. Je lui rappelle enfin que je n’ai aucun message à recevoir lorsque je suis dans ma chambre et que si j’y suis bippé à nouveau, je finirai par me plaindre pour harcèlement. Le soir même, ce système qui fonctionne si bien n’a même pas réussi à me localiser dans ma chambre (où se trouvent pourtant deux émetteurs-récepteurs !)… Et je me fais bipper peu après minuit : c’est plus fort qu’eux, c’est leur mentalité ; ils ne peuvent pas se retenir d’enquiquiner le monde jusqu’à saturation. Quelques nuits sans intervention intempestive. Ca devait les démanger et ça n’a évidemment pas duré. Dans la nuit du quarante-cinquième au quarante-sixième jour, je suis réveillé à trois heures du matin par un message farfelu. Le matin même, je porte plainte auprès du procureur pour harcèlement et non-respect de ma vie privée. Tant qu’une interdiction de m’envoyer tout message entre 18 heures et 9 heures ne leur sera pas imposée sous peine de sanction, ils continueront à vouloir rompre la monotonie du service de nuit par leurs amusements de « matons ». Cinquante-cinquième jour. Il faut cinq heures au pôle PSE/PSEM pour s’apercevoir que je suis dans ma chambre conformément à mon horaire d’affectation. Je ne le répète pas, parce que c’est une absence de fonctionnement que j’ai déjà mentionnée, mais il est très fréquent, pour ne pas dire habituel, que les techniciens chargés de mon suivi à distance soient incapables de me localiser dans ma zone de circulation pendant toute la journée. Ils ne me « retrouvent » que lorsque je suis dans ma chambre avec les deux émetteurs. Durant une semaine - en gros du quarante-neuvième au cinquante-cinquième jour

- on m’a fichu la paix et je n’ai pas reçu de « bip » entre 18 heures et 9 heures. Résultat de ma plainte ? Je l’ignore. De toute façon, cela n’a pas duré : ils remettent ça le cinquante-sixième jour avec le message comme quoi le boîtier mobile doit être chargé. Serait-ce une personne, toujours la même, qui n’aurait rien compris et qui ne pourrait pas s’empêcher de me harceler ? En tout cas, si ce genre d’événement se reproduit, j’emploierai les moyens adéquats et veillerai à éteindre systématiquement l’émetteur-récepteur mobile pendant mes heures d’assignation. Soixantième jour. J’apprends que X, premier condamné sorti en fin de peine avec le bracelet mobile dans le sud-ouest de la France, supporte très mal le PSEM et est actuellement hospitalisé. A peine 48 heures après avoir été équipé du bracelet, ce sexagénaire avait déjà fait un malaise nécessitant l’intervention du SAMU en prison. Il subit la mesure maintenant depuis plus de trois mois. Soixante-et-unième jour, un surveillant vient remplacer mon unité mobile – pensez donc, elle est « vieille » de deux mois…- par une toute neuve, prétenduement plus performante mais qui m’a l’air d’être exactement la même et avec laquelle je pressens que les « bugs » vont continuer exactement comme avant. Sachant que l’ancien émetteur-récepteur n’équipera sans doute plus personne, j’aimerais savoir combien je coûte jusqu’à présent au contribuable français rien qu’en matériel d’importation. Cela se chiffre en dizaines de milliers d’euros. Et c’est en pure perte puisque les magistrats qui m’ont imposé le PSEM savent très bien qu’aucune expertise ne m’ayant déclaré dangereux, je ne fais courir aucun risque aux enfants et adolescents que cette coûteuse mesure est censée protéger. Mais cela permettra dans quelque temps à la Chancellerie de pavoiser devant les caméras en affirmant que l’expérience a été parfaitement concluante et que le PSEM est donc utile. Le soixante-deuxième jour vers 18 heures – l’heure habituelle de ce genre de message- un bip vient me dire de charger l’unité mobile qui est presque en pleine charge. Bref, ça continue… Comme je me l’étais promis, je l’éteins afin d’être tranquille jusqu’au lendemain 9 heures. Même scénario, exactement à la même heure, le jour suivant. On s’installe dans la routine… »


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25 minutes de rodéos Personne détenue en maison d’arrêt, juin 2009. « Devant le problème de ligament, persistant et de plus en plus douloureux, le médecin de la maison d’arrêt m’a programmé une visite auprès de SOS mains, dont les délais varient entre trois et quatre mois. Ce matin, j’ai été extrait afin de m’y rendre : départ à 8 heures avec une ambulance (grosse camionnette), 2 ambulanciers, trajet allongé sur le brancard. J’étais le seul à ne pas être attaché, les 2 ambulanciers et les 2 surveillants étant, eux, ceinturés. Pour aller plus rapidement, étant en retard, l’ambulancier mit sa sirène, feux rouges grillés, file de gauche, etc. Nous avons même roulé deux roues sur le trottoir. Inutile de détailler la difficulté de tenir allongé et non attaché sur un brancard étroit, étant menotté. L’accueil ne fut pas chaleureux. Une secrétaire nous indiqua que le médecin consulté devait être absent ce matin : elle avait téléphoné la veille à plusieurs maisons d’arrêt et on lui a répondu qu’il n’y avait pas de détenu répondant à mon nom selon ses dires. Ainsi, mon pouce gauche, moi-même, les deux surveillants et les deux ambulanciers remontèrent dans l’ambulance. Je fus à nouveau placé allongé sur le brancard, et nous repartîmes pour 25 minutes de rodéo. Tout cela pourrait être comique s’il n’y avait pas de nouveau ces x mois d’attente (en période de congés proches de surcroit) car il faut faire une nouvelle demande. J’avoue que je suis quelque eu désemparé. En plus de la douleur qui est permanente, mon pouce perd de sa mobilité et de sa souplesse avec le risque d’en subir des séquelles irréversibles ».

Comment faire respecter le secret médical ? Personne détenue en centre pénitentiaire, septembre 2009. « Le surveillant de division s’est posté avec un stagiaire à proximité (c’est-à-dire à moins d’un mètre) de la table où se fait

la distribution des médicaments, ne perdant ainsi pas une miette de toutes les pathologies des détenus. J’ai protesté en lui rappelant que c’était confidentiel. Il a justifié sa présence au cas où un détenu serait agressif envers l’infirmière. Je lui ai répondu que de son bureau – qui est beaucoup plus loin et qui ne lui permet ni de voir les traitements distribués ni d’écouter si on parle suffisamment bas de nos maladies- il pouvait intervenir s’il y avait un problème. Il a tenté de me démontrer qu’il avait raison d’agir ainsi en prétextant que, lors des fouilles des cellules, il avait accès à nos médicaments. Il n’a donc pas bougé, ni son stagiaire. J’ai dit alors que ce n’était pas légal et j’ai refusé que l’infirmière ouvre devant le personnel pénitentiaire l’enveloppe avec mon traitement et mon ordonnance. Je suis repassé dans l’après-midi à l’infirmerie pour aborder mes problèmes avec l’infirmière dans les règles du secret médical que je revendique. Comment demander au sein de cet établissement soit-disant « modèle » que le personnel pénitentiaire ne soit pas collé près de l’endroit où la distribution de médicaments a lieu ? Comment faire respecter le secret médical ? D’autant qu’en ce qui me concerne, un nouveau problème a surgi avec ma permission médicale initialement prévue courant septembre. Apparemment, le juge n’aurait toujours pas pris sa décision. Faute de réponse, on m’a proposé une… escorte ! J’ai refusé. L’école dentaire a horreur du bleu marine. Et, pour ma part, j’estime que me rendre seul à ce rendez-vous fait partie de ma réinsertion. Qui plus est, ici, lorsqu’on est permissionnable, on peut sortir sans escorte. Je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas droit au même traitement que les autres… »

D’un généreux coup de ventre… Personne incarcérée en centre pénitentiaire, mai 2009. « Depuis de nombreuses années, je suis sous traitement pour des troubles cardiaques. Depuis mon incarcération, s’y ajoute un traitement d’ordre psychiatrique. Un matin, un surveillant est venu me chercher pour me rendre au bâtiment du service UCSA. Le regroupement se fait

dans l’atrium et, en cas d’affluence, il est prévu une salle d’attente aménagée en trois cellules desservies par un couloir étroit. Seule la cellule centrale possède une fenêtre et une aération naturelle, la vitre d’un battant de celle-ci a été déposée. La sécurité a été préservé par une tôle déployée du commerce à trous carrés de 5x5 mm. A mon arrivée dans le couloir, un surveillant a absolument tenu à m’enfermer dans la première cellule (petite, sombre, sans ouverture ni aération fonctionnelle). Je l’ai informé d’une manière polie et courtoise de ma situation de faiblesse en raison de mes troubles claustrophobiques générateurs d’une grande angoisse ayant une incidence sur mon rythme cardiaque. Je lui ai indiqué que j’avais l’habitude d’attendre soit dans le couloir de manière très discrète ou dans la grande cellule munie d’une fenêtre, près de celle-ci. Le surveillant m’a intimé l’ordre de rentrer exclusivement dans la première cellule borgne, me menaçant de mentionner sur la feuille de route « Refus de soins » de ma part. Malgré mon insistance polie et respectueuse, lui précisant clairement que je ne refusai pas les soins mais demandais simplement à être placé dans le couloir ou dans la grande cellule avec fenêtre, il a donné l’ordre de retourner dans mes quartiers, me signifiant que je « refusais d’aller aux soins ». Le surveillant a donc refusé de me conduire au bâtiment des soins en opposant sur sa feuille de mouvement un motif mensonger pour tenter de justifier un abus d’autorité à mon égard. Le lendemain, devant me rendre au parloir pour recevoir la visite hebdomadaire de mon épouse, le surveillant m’a re-proposé la même cellule d’attente. Pendant que j’expliquai à ce surveillant les raisons de mes réticences et lui demandai d’être placé soit dans le couloir, soit dans la cellule d’attente qui comporte une fenêtre, un second surveillant de forte corpulence abdominal s’est subrepticement interposé et sans vouloir connaitre mes doléances il m’a menacé de me supprimer le parloir « si je ne rentrais pas là dedans ». Puis il s’est subitement approché de moi, m’a agrippé au niveau des triceps brachiaux, fait pivoté sur moi-même d’un demi tour en me compriment avec son abdomen dans l’embrasure de l’huisserie séparant le couloir de l’atrium, et d’un généreux Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

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coup de ventre, m’a projeté à une distance de 1,50 m à 2 m. De surcroit, en réalisant ce geste agressif, il m’accusait de le bousculer. Parvenu dans l’atrium, il a interpelé le surveillant d’étage afin de me faire reconduire, puis il a signifié au premier surveillant à deux reprises « que ce n’était pas la peine de la ramener, je ne le prendrais pas ». J’ai donc été contraint de regagner mes quartiers et privé de parloir. Mon épouse, perturbée de mon absence, a insisté afin de connaitre les motifs. Il lui a été répondu que je refusais de la rencontrer au parloir. Devant l’invraisemblance de cette réponse et son insistance, elle a obtenu une version proche de la réalité du déroulement de l’incident. Quelques jours plus tard, le mouvement vers le parloir s’est déroulé sans difficultés, j’ai informé le surveillant de ma situation et ait été placé sans aucune réticence. J’ai reçu la visite de Monsieur le chef de bâtiment sur mon lieu de travail qui m’a confirmé verbalement son accord afin que je sois placé dans la seule cellule d’attente munie de la fenêtre lorsque les surveillants demanderont que les détenus soient placés en cellule d’attente en raison notamment de leur nombre. Au moment où je m’apprêtais à rentrer dans le boxe du parloir dans lequel mon épouse m’attendait, le surveillant m’a interpelé de manière agressive à la limite de l’irrespectuosité en me signifiant que les « passes droits c’était fini », que « la prochaine fois il me placera dans la petite cellule borgne sinon pas de parloir ».

Pourquoi un détenu se suicide ? Détenu en août 2009.

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Je ne revendique rien d’autre que le droit d’aimer et d’être aimé Personne détenue en centre de détention, septembre 2009.

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« Depuis bientôt une semaine, une nouvelle directive est appliquée. Une note, émanant de la nouvelle direction, nous oblige à retirer les serviettes qui nous servent de rideaux devant nos fenêtres. Il faut savoir que celles-ci nous protègent de la chaleur lors de la saison estivale, d’autant celle de ma cellule est orientée plein sud. La nuit, le sommeil s’en trouve perturbé, car nous avons de surcroît la forte lueur des projecteurs qui entre dans Dedans Dehors N°70-71 Décembre 2009

la cellule. Mais bon, cela est acceptable. En revanche, en plus de cette mesure, il a été demandé aux surveillants de nuit d’effectuer des rondes supplémentaires, à peu près toutes les deux heures, dont la dernières vers six heures du matin, pendant laquelle il leur a été demandé de vérifier que les détenus bougeaient (et donc étaient encore vivants). Cela fait certainement suite aux suicides dans les prisons françaises. Il faut savoir que ces rondes ne sont pas les bienvenues pour les surveillants et qu’ils ne se gênent pas pour nous le faire savoir par du bruit lors de celles-ci. Cela occasionne un sommeil agité et du stress auprès des détenus. Avec mon métier à l’extérieur, j’ai appris que, face à un problème, il fallait essentiellement travailler sur les causes et non sur les effets. Or, la question qu’il faut absolument se poser, c’est pourquoi un détenu se suicide. Le manque de ronde en est-il responsable ? Je ne le pense pas. Cette nouvelle directive va, je pense, aggraver la situation psychologique de certains détenus fragiles et donc les exposer un peu plus à un état suicidaire. En mettant cela en place, l’administration ne se pose pas les bonnes questions et passe donc à côté d’un grand débat qui aurait pu apporter des solutions fiables et viables ».

« Je suis détenu depuis plus de quinze ans pour une affaire d’assises. Je suis, dans le jargon pénitentiaire, un « primaire ». J’avais à peine vingt ans à l’époque des faits, j’en ai maintenant plus de trente. J’ai eu une détention plus ou moins « accidentée » avec des incidents plus ou moins importants. Mais globalement, rien qui ne soit honteux ou gravissime. Je vis actuellement une situation particulière et ne vois pas comment obtenir de l’Administration pénitentiaire une attitude « normale » et équitable. Récemment, j’ai eu à connaître en détention une surveillante avec laquelle peu à peu se sont nouées

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des relations proches puis amicales et enfin amoureuses. Devant cette situation que ni elle ni moi n’avons cherché à nier, l’AP a pris des mesures radicales. J’ai perdu mon emploi d’auxiliaire d’étage pour lequel je donnais entière satisfaction depuis près d’un an, j’ai fait l’objet d’un transfert à plus de quatre heures de route, ce qui désormais me coupe de tout lien familial, tout cela alors que je n’ai rien à me reprocher sur le plan disciplinaire. Ce, malgré une enquête interne et de gendarmerie. La surveillante a été amenée à démissionner non sans avoir été salie et « démontée » par la direction de l’établissement. Je ne revendique rien d’autre que le droit d’aimer et d’être aimé. Rien d’autre que de pouvoir maintenir mes liens familiaux. Rien d’autre que de pouvoir continuer à préparer mon retour dans la société après une si longue détention. Rien d’autre que de pouvoir vivre. La prison, en ce qui me concerne, ce n’est plus seulement l’enfermement physique, c’est devenu l’enfermement de mes sentiments, l’aliénation de mes désirs, l’empêchement de vivre une vie sentimentale et amoureuse à peu près normale. Je suis libérable dans quatre ans mais je peux prétendre à des permissions de sortir et un aménagement de peine depuis plus de trois ans et je n’ai, à ce jour, essuyé que des refus, malgré une multitude de demandes de permission. Aucune possibilité de préparer mon retour dans la société. J’ai pourtant des employeurs désireux de me recevoir, de me donner une chance mais le refus permanent de m’octroyer des permissions ne me permet pas d’honorer ces rendez-vous. Je redoute que les sanctions de la direction de l’AP ne me privent désormais de toute possibilité de réinsertion. »


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rapport 2005 : les conditions de détention en France OIP/ La Découverte, 2005, 288 p., 20  (hors frais de port)

le guide du sortant OIP/ La Découverte, 2006, 416 p., 22  (hors frais de port)

Dedans dehors n°69

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ADRESSES

Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP en France : OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org

Pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : Permanence juridique Elsa Dujourdy : 01 44 52 87 96 elsa.dujourdy@oip.org Marie Crétenot : 01 44 52 87 94, marie.cretenot@oip.org 7 bis, rue Riquet 75019 Paris

L’OIP en région  Les coordinations régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires de la région concernée, en lien avec les groupes et correspondants locaux présents : Pour contacter les coordinations régionales : Région Ile-de-France François Bès 7 bis, rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 95 fax : 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org

Région Nord-Pas-de-Calais Anne Chereul 19 place Sébastopol 59000 Lille 09 61 49 73 43 06 63 52 10 10 fax: 03 28 52 34 13 anne.chereul@oip.org

Région Poitou-Charentes Barbara Liaras 37, rue Gambetta 86006 Poitiers cedex 06 22 90 27 60 barbara.liaras@oip.org

Région Rhône-Alpes Céline Reimeringer 57, rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 fax : 09 55 92 00 34 celine.reimeringer@oip.org

Les groupes et correspondants locaux assurent l’observation et l’alerte de la (les) prison(s) présente(s) dans leur ville, en lien avec les coordinations régionales et le secrétariat national : Pour les contacter vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90 Aix-en-Provence, Agen (Eysses), Aiton, Amiens, Angoulême, Arras, Avignon, Bapaume, Bayonne, Bédenac, Béthune, Bois d’Arcy, Bonneville, Bourg-en-Bresse, Chambéry, Douai, Dunkerque, Fleury-Mérogis, Fresnes, Grenoble (Varces), Laon, Le Puy-en-Velay, Lille, Longuenesse, Lyon, Marseille, Maubeuge, Meaux, Melun, Metz,Nancy, Nanterre, Nîmes, Niort, Osny, Paris La Santé, Poissy, Poitiers, Privas, Rennes, Rochefort, Saintes, Saint-Etienne, Saint-Martin-de-Ré, Saint-Quentin-Fallavier, Toulon, Toulouse (Seysses), Valence,Valencienne, Versailles, Villefranche-sur-Saône, Villepinte.

Qu’est-ce que l’OIP ? Considérant que l’emprisonnement est une atteinte à la dignité de la personne, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), juridiquement créée en janvier 1996, agit pour la défense des droits fondamentaux et des libertés individuelles des personnes détenues. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; favorise la diminution du nombre de personnes détenues, la limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales et de groupes locaux en charge de l’observation d’un lieu de détention et composés exclusivement de membres de l’OIP.


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