Camp Est : « bagne post colonial » Le premier placé en rétention de sûreté Loi sur l’exécution des peines : suite et fin
Prévention de la récidive :
le retard français
dossier avec Martine Herzog-Evans, David Forbes, Marie Bried, Fergus McNeill et Tony Ward
Observatoire international des prisons Section française
7,50 € N°76 Mars-Avril 2012
EDITORIAL
Objectif 80 000 détenus Ce n’est plus un objectif de prévention de la récidive, ce n’est plus une perspective de diminution des violences, de régulation sociale et d’insertion des auteurs d’infraction. C’est un objectif de taux de détention, d’exécution mécanique des peines prononcées, de 80 000 détenus à l’horizon 2017. La députée Marietta Karamanli (PS), s’en étonnait lors des discussions autour de la loi de programmation sur l’exécution des peines adoptée le 29 février 2012 : « ‘’96 100 personnes placées sous écrou et 80 100 personnes détenues à horizon 2017’’. Le projet de loi nous explique tranquillement que la délinquance ne régresse pas et qu’elle va au contraire poursuivre sa progression tout au long des prochaines années. Nous sommes surpris de lire que le texte anticipe l’échec de la politique de lutte contre la délinquance qu’il prétend en quelque sorte finaliser. » Il est vrai qu’aucune réflexion, aucun débat n’aura été initié par cette majorité présidentielle sur ce que pourraient être des dispositifs et méthodes d’accompagnement plus efficaces à prévenir la récidive. Les recherches sur le sujet sont inexistantes en France, celles produites à l’étranger sont largement ignorées. Pendant ce temps, les records se succèdent. 65 699 personnes détenues au 1er février, 66 445 au 1er mars, jamais la France n’avait autant incarcéré. Si sur le champ de la prévention de la délinquance, la posture fait office d’action, le gouvernement a bel et bien engagé un mouvement d’« industrialisation de l’enfermement ». Avec 57 213 places au 1er février 2012, le parc pénitentiaire n’a jamais été aussi étendu. Alors que le programme de 13 200 places décidé en 2002 n’est pas même achevé, la construction de 24 397 autres vient d’être validée par l’Assemblée nationale, en dépit des mises en garde sur le gouffre financier engagé pour le contribuable et son effet contre-productif sur la délinquance. Entre l’appel d’air des nouvelles places de prison, les pressions opérées sur le système judiciaire pour mettre à exécution les courtes peines au détriment de leur aménagement, l’aggravation des quantum des peines encourues, la création endémique de nouvelles infractions pénales, le maintien du milieu ouvert dans une pauvreté chronique… tout est en place pour que l’objectif soit atteint.
N°76 Mars-Avril 2012
Sommaire 1 Actu : Loi sur l’exécution des peines : suite et fin Rétention de sureté : le premier retenu « essuie les plâtres » Dix ans de loi Kouchner : funeste anniversaire de la suspension de la peine médicale Le Contrôleur hausse le ton Psychiatrie et incarcération : le cercle vicieux n’est pas brisé 18 Nouvelle Calédonie Camp-Est, « bagne post colonial » ; interview de Elie Poigoune, président de la LDH-NC ; entretien avec Erika Dujardin, ex-médecin chef du centre pénitentiaire de Nouméa 25 De facto Suicides en hausse en 2011 Séquedin : un jeune schizophrène incarcéré pour des faits mineurs relaxé en appel Respect de la déontologie : l’OIP interpelle le ministre de la Justice Entraves répétées aux permissions pour assister aux obsèques de proches Conditions de détention indignes en Guadeloupe, mais « respectueuses » de la culture locale… 29 En droit La détention de personnes atteintes de troubles mentaux dénoncée par la Cour européenne des droits de l’homme 32 Dossier Prévention de la récidive : le retard français Avec Martine Herzog-Evans, professeure de droit, Evaluation : sortir de l’artisanat David Forbes, formateur et consultant auprès du service de probation de Londres, « OASys, dernière génération » Marie Bried, psychologue et psychanalyste, « Des groupes de paroles à la française » Fergus McNeill, professeur de criminologie et travail social en Ecosse, « Soutenir la “désistance” » et Tony Ward, chercheur et professeur de psychologie en Australie « “Good Lives Model” : l’avant-garde du suivi des condamnés » 60 En actes Derniers ouvrages de Denis Salas, Laurent Muchielli, Pierre Joxe, Christophe de la Condamine. Etude sur l’usage de drogues en détention, déclaration de Genève sur la santé en prison, guide de Sidaction sur l’intervention en milieu pénitentiaire. 63 Lettres ouvertes
DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directrice de la publication : Florence Aubenas Rédaction en chef : Sarah Dindo, Barbara Liaras Rédaction : François Bès, Anne Chereul, Marie Crétenot, Nicolas Ferran, Samuel Gautier, Céline Reimeringer. Secrétariat de rédaction : Marianne Bliman, David Duhamel, Marie-Anne Duverne, Julie Namyas. Identité graphique : MG., L.D. < dlaranjeira@caramail. com > Maquette : Claude Cardot/Vélo © Photos, remerciements à : Sébastien Erôme, Nicole Henry-Crémon, Robert Kluba, Felix Ledru, Bernard Le Bars, Bertrand Lauprête, Michel Le Moine, Anne-Marie Marchetti, Thierry Pasquet, Anthony Voisin. Et aux agences : Picturetank et SIGNATURES, en particulier à Marie Karsenty Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Prix au numéro : 7,5 € Photographie couverture : Bernard Le Bars
ACTU
Loi sur l’exécution des peines : suite et fin Adoptée le 29 février 2012 au terme d’une procédure d’urgence, la loi de programmation relative à l’exécution des peines reste quasiment en son état initial, en dépit de débats et travaux parlementaires ayant largement montré les impasses d’une politique d’industrialisation de l’emprisonnement. Autiste. Telle aura été la majorité présidentielle dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’exécution des peines. Des voix se sont pourtant élevées sur les bancs de l’Assemblée nationale et du Sénat, relayant celles des associations, professionnels et institutions de défense des droits de l’Homme. Le Sénat aura adopté un texte totalement revisité avant d’être retoqué devant l’Assemblée. En vain, il aura substitué à l’objectif de « garantir la célérité et l’effectivité de l’exécution des peines prononcées, notamment des peines d’emprisonnement ferme » celui de « favoriser une exécution plus rapide des peines dans le respect des dispositions relatives aux aménagements de peine de la loi pénitentiaire ». Deux philosophies de la peine se sont ainsi opposées sans jamais se rencontrer, le garde des Sceaux, Michel Mercier, estimant que « l’échec de la commission mixte paritaire a montré que ces positions ne pou1 vaient être rapprochées » .
récidive2. » En ce sens, le Sénat avait substitué à une extension du parc carcéral, un principe d’aménagement systématique des peines d’emprisonnement inférieures ou égales à trois mois, un octroi de plein droit d’une libération conditionnelle aux deux tiers de la peine (sauf avis contraire du juge de l’application des peines et inexécution de la période de sureté), une réduction du tiers de la peine encourue en cas d’altération du discernement au moment des faits…
Politique réductionniste contre politique inflationniste
Au premier rang des arguments contre une politique du « tout carcéral », celui de l’efficacité à prévenir la récidive. Le député socialiste Julien Dray reconnait l’importance de « défendre les victimes actuelles, mais aussi les victimes futures, en faisant en sorte d’éviter les récidives. Toute politique pénale et carcérale doit être sous-tendue par cette idée ». Or, « qu’on le veuille ou non, la prison constitue toujours, par essence, un univers criminogène. Nous devons ne pas tomber dans le travers consistant à sanctionner chaque acte délictueux par une peine de prison, en réaction à la souffrance des victimes ». Estimant nécessaire, même si plus ardu, d’expliquer qu’une peine de probation « correspond avant tout à la volonté d’éviter la récidive », il réfute l’option gouvernementale « d’augmenter les moyens de la justice dans une optique
Rapporteur de la Commission des lois du Sénat, Nicole Borvo décrit ainsi « deux visions opposées », notamment sur la construction de 24 397 places de prison : « Le gouvernement s’inscrit dans la perspective d’une augmentation continue du nombre de personnes détenues et entend accroître les capacités du parc pénitentiaire. La majorité sénatoriale souhaite, dans le prolongement de la loi pénitentiaire, encourager une politique dynamique d’aménagements de peine et, de ce fait, la réduction du nombre des incarcérations, afin de favoriser la réinsertion des personnes condamnées et, ainsi, de mieux lutter contre la 1. Sénat, Compte rendu intégral des débats en séance publique, 27 février 2012.
« Vous n’acceptez pas d’entendre que l’emprisonnement aveugle représente aujourd’hui le premier facteur de récidive » (Jean-Jacques Urvoas, député PS)
2. Sénat, 27 février 2012. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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presque exclusivement carcérale3 ». Une probation de plus en plus défendue comme alternative à la détention, en premier lieu par le député socialiste Jean-Jacques Urvoas, interpellant le garde des Sceaux : « Vous n’acceptez pas d’entendre que l’emprisonnement aveugle représente aujourd’hui le premier facteur de récidive. (…) Pourtant, un autre chemin existe, celui de la probation. Faire le choix de la probation, c’est privilégier la responsabilisation et, au sens propre, la mise à l’épreuve du condamné, quand la prison favorise au contraire des attitudes de déresponsabilisation. Faire le choix de la probation, c’est permettre la réparation du trouble causé par l’infraction, tant à l’égard de la société que de la victime, alors que la prison contribue au contraire à nourrir ce trouble indéfiniment. » Au Sénat, Michel Mercier répond à ceux qui lui reprochent une politique du « tout carcéral » : « Vous savez bien que c’est faux ! » Il argue que l’extension du parc s’inscrit dans une lutte contre la surpopulation carcérale, face aux 56 000 places de prison actuelles pour 67 000 détenus : « Sur les 24 000 places que nous voulons construire, plus de 10 000 seront occupées par des personnes déjà détenues. » Viennent ensuite les fameuses « 85 000 personnes [qui] attendent l’exécution de leur peine », parmi lesquelles « certaines doivent aller en prison4 ». A l’argument selon lequel « pour mieux prévenir la récidive, toutes les études montrent qu’il est préférable d’exécuter les peines en milieu ouvert », avancé par J. J. Urvoas, les députés de la majorité répondent « C’est normal, ce sont les moins dangereux ! » (J-P. Garraud), ce qui relève d’une méconnaissance des travaux internationaux montrant que même en cas de fort risque de récidive, l’emprisonnement aggrave le risque, au contraire de programmes adaptés en milieu ouvert5. En fin de compte, il apparaît surtout que la prévention de la récidive ne constitue pas la finalité d’une politique pénale sarkozyste, Jean-Paul Garraud préférant dire « clairement : l’exécution des peines est pour nous la finalité de la justice pénale. Comment pouvez-vous tolérer que, à la fin d’un processus qui mobilise tous les acteurs de la chaîne pénale, du policier, du gendarme aux greffiers et aux magistrats, la décision prise souverainement par des juges indépendants ne soit pas respectée ? »
Le postulat erroné de « l’inexécution » des peines Les parlementaires auront pourtant largement démontré l’inanité du « présupposé [selon lequel] le stock de peines d’emprisonnement ferme en attente d’exécution serait lié à l’insuffisance du nombre de places6 ». Le rapport de la Commission des lois du Sénat rappelle que parmi les 85 600 peines en attente 3. Assemblée nationale, Compte rendu intégral, deuxième séance du mardi 10 janvier 2012. 4. Sénat, Compte rendu intégral des débats en séance publique, 27 février 2012. 5. Cf. dossier dans ce numéro « Prévention de la récidive : le retard français ». 6. Sénat, Rapport n° 302 (2011-2012) de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, fait au nom de la Commission des lois, déposé le 26 janvier 2012. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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recensées au 30 juin 2011, 95 % sont aménageables, dans la mesure où il s’agit de peines inférieures à deux ans ou à un an en récidive7. Ces peines doivent désormais être examinées par le juge de l’application des peines afin d’étudier l’opportunité d’un aménagement (semi-liberté, placement extérieur, surveillance électronique, libération conditionnelle). Dès lors, il s’agit non pas de peines « inexécutées », comme l’a prétendu le gouvernement, mais de peines « en cours d’exécution. (…) L’importance du nombre de peines en attente d’exécution ne signifie aucunement, contrairement à l’affirmation de l’étude d’impact, que “pour ces courtes peines, les magistrats considèrent que la personnalité et la situation des condamnés justifient une incarcération” ». Les retards dans l’examen de ces peines s’expliquent essentiellement par un engorgement et un manque de moyens de la machine judiciaire : « Augmentation constante du taux de réponse pénale [pouvant] conduire à des effets de saturation au niveau du bureau d’ordre, de l’audiencement ou encore du greffe correctionnel » ; « effectifs dévolus à l’exécution des peines insuffisants » ; conditions légales à remplir pour rendre les jugements exécutoires, qui peuvent ralentir le processus lorsque la peine a été prononcée en l’absence du prévenu ; personnes non retrouvées à l’adresse déclarée ; engorgement des services de l’application des peines accru depuis la loi pénitentiaire, qui a conduit à une hausse du « nombre de saisines et, en pratique, à un allon8 gement des délais d’instruction de ces dossiers ». L’éclairage final viendra des députés Raimbourg et Urvoas, le premier précisant qu’une peine peut être dite inexécutée lorsqu’elle « n’a pas commencé à être exécutée au terme de la période de prescription de cinq ans, et ne peut donc plus 7. Article 723-15 du Code de procédure pénale issu de la loi pénitentiaire. 8. Sénat, Rapport n° 302 (2011-2012), 26 janvier 2012.
ACTU programme (5 847 places) « portant exclusivement sur des structures pour courtes peines10 ». Celles-ci se voient définies « comme étant celles d’une durée inférieure ou égale à un an d’emprisonnement, ou dont le reliquat est inférieur ou égal à un an »11. Outre un renoncement symbolique au seuil des deux ans de la loi pénitentiaire visant les peines « aménageables », la création de places de prison pour courtes peines apparaît « paradoxal[e], alors que la loi pénitentiaire a fixé pour principe [leur] aménagement12 ». Eric Ciotti lève sans ambages le voile sur l’intention du gouvernement de progressivement renoncer à l’exécution des courtes en milieu ouvert : selon lui, la « faiblesse du parc carcéral et la surpopulation qui en découle ont conduit par le passé à devoir trouver des solutions alternatives. L’aménagement systématique des peines de prison fermes inférieures à deux ans s’inscrit dans cette démarche. (…) Ce texte permettra ainsi de sortir d’une certaine forme d’hypocrisie qui a consisté à légitimer des aménagements de peine systématiques pour compenser la faiblesse de nos capacités carcérales ».
l’être », le second invoquant un rapport d’information de février 2011 signé Etienne Blanc, qui avait évalué à 3 ou 4 % le taux de peine véritablement inexécutées9. Jean-Jacques Urvoas explique également tout le sens de la phase de l’application des peines : « Les tribunaux ont parfois tendance à juger trop vite, sans disposer des informations suffisantes, et peinent dès lors à individualiser la sanction de façon optimale. Telle est bien souvent la raison pour laquelle ils renvoient aux juges de l’application des peines le soin de procéder dans un second temps, aux ajustements et rectifications nécessaires. » Dans les rangs de la majorité, la surdité est de rigueur : « Plusieurs dizaines de milliers de peines d’emprisonnement prononcées chaque année ne sont jamais exécutées », maintient Michel Hunault, député du Nouveau Centre. « Le stock de sanctions non exécutées à la fin 2010 s’élevait à près de 100 000 peines en attente », martèle Christian Estrosi, député UMP. Rappelant que « plus de la moitié [des peines en attente] ont une durée inférieure ou égale à trois mois », le garde des Sceaux estime pour sa part « tout aussi illusoire de croire que toutes ces peines sont éligibles à un aménagement de peine que de penser qu’elles devront toutes être exécutées en prison. Nous avons donc créé des établissements pour courtes peines qui apporteront une réponse adaptée aux objectifs de la loi pénitentiaire ».
Des prisons pour courtes peines au dépend des aménagements Outre un accroissement du nombre places en « unités pour courtes peines » dans les établissements du « programme 13 200 » déjà initié, la loi de programmation initie un nouveau 9. Assemblée nationale, 10 janvier 2012.
Le tournant est ainsi pris, avec un investissement massif dans le parc carcéral, et toujours au compte-gouttes dans le milieu ouvert (ce qui ne lui permet jamais de garantir des suivis rapides et intensifs, donc une véritable alternative à la prison). Le sénateur UMP Jean-René Lecerf souligne que le nouveau programme de constructions « aura des conséquences financières extrêmement lourdes : chaque cellule coûte de 100 000 à 150 000 euros. Les investissements oscilleront donc entre 3 et 4,5 milliards. Ensuite, il faudra recruter des personnels supplémentaires : 6 000, d’après les données dont nous disposons. Face à ces données, les créations de postes qu’on nous annonce pour les agents d’insertion et de probation – 88 – apparaissent dérisoires, d’autant que la loi pénitentiaire [aurait déjà nécessité] 1 000 postes supplémentaires. Nous en sommes loin ! (…) Ce faisant, nous risquons de condamner la politique d’aménagement des peines qui a été mise en place13 ». Le garde des Sceaux défend, pour sa part, sans sourire la création de « quatre-vingt-huit emplois pour constituer des équipes mobiles dans les SPIP, ainsi que la délégation au secteur associatif habilité des enquêtes pré-sentencielles, ce qui permettra de réaffecter l’équivalent de 130 emplois de conseillers d’insertion et de probation14 ». Quant à la création de 120 postes de magistrats et 89 greffiers pour renforcer les services d’application et d’exécution des peines, la députée socialiste Marietta Karamanli indique qu’elle revient « pour partie sur des suppressions de postes décidées dans des lois de finances précédentes ». Et de déplorer qu’un projet de loi engageant des fonds publics d’une telle ampleur jusqu’en 10. Annexe du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, texte adopté, 29 février 2012. 11. Jean-Paul Garraud, AN, Compte rendu intégral, deuxième séance du mardi 10 janvier 2012. 12. Sénat, Rapport n° 302 (2011-2012), 26 janvier 2012. 13. Sénat, Rapport n° 302 (2011-2012), 26 janvier 2012. 14. Assemblée nationale, Compte rendu intégral, deuxième séance du mardi 10 janvier 2012. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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2017 soit examiné dans le cadre d’une procédure accélérée « qui ne devrait qu’être exceptionnelle ». Nombre de parlementaires se sont aussi inquiétés du choix de mener l’essentiel du programme de construction en partenariat public-privé (PPP). Le rapport de la Commission des lois du Sénat cite celui de la Cour des comptes, observant que « les contrats de PPP entraînent pour l’Etat une obligation juridique de paiement de loyers au cours de très longues périodes, et pour des montants croissants qui pèseront lourdement sur les capacités budgétaires dans les années à venir. (…) Au cours des vingt-neuf prochaines années, l’Etat versera 5,605 milliards d’euros au titre de l’investissement (…) et 10,902 milliards d’euros au titre du fonctionnement, soit un total de 16,507 milliards d’euros ». Les sénateurs rappellent que le choix de la détention au détriment de l’aménagement de peine n’est « pas seulement inefficace au regard de la prévention de la récidive, il est en outre très coûteux. Ainsi, le prix moyen d’une journée de détention en établissement pénitentiaire – 71,10 € avec de fortes disparités entre les maisons centrales (141,37 €/jour) et les maisons d’arrêt (64,74 € par jour) – doit se comparer au coût journalier de la semi-liberté (47,81 €), du placement extérieur (40 € versés à l’association en charge de l’accueil de la personne condamnée) et du placement sous surveillance électronique (5,40 €)15 ».
Pour quelle prison ? Autre révélateur d’une pure logique d’exécution des peines, sans attention à son contenu, aux conditions de son déroulement et à la finalité de prévention de la récidive, le 15. Sénat, Rapport n° 302 (2011-2012), 26 janvier 2012.
gouvernement augmente la capacité des établissements du nouveau programme immobilier (13 200) de 532 à 650 places, avec une extension à 850 places en région parisienne. Avec d’autres, le député Marc Dolez rappelle la recommandation du Contrôleur général des lieux de privation de liberté de ne pas dépasser une capacité de 200 places, sachant que « des établissements de plus de 200 détenus génèrent des tensions et, donc, des échecs multiples, incomparablement plus fréquents que ceux qui sont plus petits ». Ce à quoi le garde des Sceaux répond sur les bancs de l’Assemblée : « A ce compte-là, il faudrait une prison tous les cent mètres ! » Le député Jean-Jacques Urvoas appelle également l’attention sur un monde carcéral dans lequel la loi peine à être appliquée, ce qui devrait interroger les partisans de la construction de nouvelles prisons : « Vous ne pouvez pas nous dire que nos établissements, non seulement respectent la loi, mais s’humanisent. Vous ne pourrez pas tenir ce discours tant que l’on pratiquera la fouille à nu de manière systématique. La loi de la République n’est pas appliquée dans les établissements pénitentiaires, ce qui, pour le législateur, est inadmissible. » Le sénateur Jean-Pierre Michel invoquera encore les déclarations du Contrôleur général, selon lequel la loi de programmation « qui prévoit la construction de très grands centres de détention est une aberration. Un programme de rénovation des centres existants me semble plus adapté. C’est pourquoi je ne militerai pas pour le maintien de ce texte, mais abroger ce projet de loi est un choix politique ». Et le sénateur socialiste d’ajouter : « Monsieur le garde des Sceaux, ce choix, nous le ferons dans quelques mois, n’en doutez pas ! » Dont acte. Sarah Dindo
Principales dispositions de la loi de programmation ■■
Construction d’ici à 2017 de 24 397 nouvelles places de prison, dont près d’un tiers (7497) seront dédiées aux courtes peines.
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Classification des établissements pénitentiaires selon plusieurs niveaux de sécurité : « renforcée », « intermédiaire », « adaptée », « allégée ».
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Création de 20 centres éducatifs fermés pour mineurs avec un renforcement du suivi pédopsychiatrique.
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Généralisation du diagnostic à visée criminologique (DAVC) dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Possibilité pour les parquets de le consulter et d’en utiliser les données.
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Généralisation des « programmes de prévention de la récidive » à tous les établissements pénitentiaires. Inclusion obligatoire d’un volet relatif à la délinquance sexuelle et à l’étude des comportements.
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Obligation pour les autorités judiciaires de transmettre au médecin traitant des personnes soumises à une inci-
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tation aux soins en milieu fermé ou à une obligation de soins en milieu ouvert les décisions relatives à leur condamnation. Possibilité de leur communiquer également les rapports d’expertise. ■■
Obligation pour le médecin traitant de délivrer, au moins une fois par trimestre, aux personnes soumises à une incitation aux soins des attestations indiquant si elles suivent ou non le traitement. Incitation du JAP à ne pas accorder de réduction supplémentaire de peine si la personne ne suit pas le traitement de façon régulière.
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Création de trois nouveaux centres nationaux d’évaluation pour les condamnés à de longues peines.
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Transmission systématique des ordonnances de placement sous contrôle judiciaire, jugements, décisions d’aménagement de peine ou de mesures de sureté aux autorités académiques lorsque la personne est scolarisée ou a vocation à l’être. Possibilité de transmettre ces documents aux personnes chez lesquelles l’intéressé établit sa résidence.
ACTU
Le Contrôleur hausse le ton Rendu public en février 2012, le rapport d’activité 2011 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté évoque une administration « sans-gêne », qui ignore « tantôt la loi, tantôt la réalité, ou bien les deux simultanément ». Au travers d’une analyse détaillée de thématiques qui illustrent particulièrement comment la loi est contournée ou ignorée : fichiers informatiques, rémunération des travailleurs incarcérés, fouilles corporelles intégrales…
s’attendre à ce que les programmes immobiliers apportent les réponses attendues que, « contrairement à [s]es recommandations les plus constantes, la capacité moyenne des établissements, déjà trop élevée, [a] été accrue lors des ultimes ajustements du projet de loi » de programmation adopté le 29 février 2012.
« Industrialisation de la captivité » et fichiers informatiques
La politique pénale, qui conduit à « une progression sensible des effectifs incarcérés, avec un retour en maisons d’arrêt de phénomènes de surpopulation importants qui ont des effets désastreux dans la vie quotidienne des personnes et se traduisent par une montée inévitable des tensions et des violences », porte en elle les maux qui rongent les prisons françaises. Et la construction de toujours plus d’établissements toujours plus grands ne devrait pas y apporter tous les remèdes. Jean-Marie Delarue aura prévenu : « L’humiliation, le harcèlement, le mépris, la violence, l’attente vaine, l’atteinte à l’intimité, le repli sur soi, les représailles ne sont pas propres aux bâtiments anciens. » Il serait d’autant plus illusoire de
Ce mouvement d’« industrialisation de la captivité » résulte aussi d’une conception de nouvelles prisons qui, depuis 1987, a visé à réduire les rapports interpersonnels en détention, « en recherchant l’efficacité de la gestion, en maintenant à distance incarcérés et personnels, en multipliant les substitutions de l’homme par la machine (la commande électrique à la clef pour l’ouverture des portes et des grilles), en rendant les personnes moins visibles (effort de réduction des mouvements, glaces sans tain…), en multipliant les sécurités passives ». Avec une conséquence, outre l’isolement croissant des détenus et des personnels : il devient « nécessaire de multiplier dans ces établissements les observations distanciées, de transformer chaque agent en collecteur de données ». 1 De « nombreux registres » sont développés - tels GIDE et le 2 CEL -, dont l’utilisation « peut s’avérer préjudiciable » et qui 1. Logiciel de Gestion informatisée des détenus en établissement. 2. Cahier électronique de liaison. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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© Thierry Pasquet
ajoutent à la « traçabilité [qui] protège les droits fondamentaux » une dimension qui leur porte clairement atteinte. Le Contrôleur demande notamment que « les mentions relatives à la dangerosité supposée des personnes (…) fassent l’objet de vérifications et d’une réévaluation régulière ». Faute de quoi, observe-t-il, des niveaux de sécurité inappropriés sont parfois appliqués à la personne sur la base d’un seul incident remontant à plusieurs années. Qui plus est, les habilitations pour l’accès à ces fichiers « ne sont pas toujours opportunes » : ainsi, l’accessibilité par les surveillants d’étage à la totalité des Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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informations disponibles dans le CEL sur la situation pénale des détenus a pu donner lieu à leur utilisation par « quelques agents mal intentionnés (…) pour stigmatiser les personnes détenues auteurs d’infractions sexuelles ».
« Des fouilles pour tous »… des visages pour personne Seconde conséquence mise en évidence par le Contrôleur : une « tendance à l’uniformisation de la discipline, y compris dans ses contraintes les plus sévères », apparaît d’autant plus
ACTU prononcée que les personnels connaissent mal ceux dont ils ont la charge dans des établissements à taille inhumaine. « Puisque la personne détenue la plus calme ressemble à la plus dangereuse, le plus sûr est de soumettre tout le monde au même traitement. Voilà pourquoi les agents réclament (…) ‘’des fouilles pour tous’’, loin de celles ‘’extrêmement limitées’’ envisagées par le législateur. » L’ancien conseiller d’Etat livre sur ce point une analyse sociologique de l’inapplication des dispositions de la loi pénitentiaire restreignant l’usage de la « fouille à nu ». Il apparaît en effet que les quelques chefs d’établissement ayant pris des notes allégeant le dispositif aient été « ouvertement et vertement critiqués par leur personnel ». Et de décrypter : « Ordonner une fouille, c’est rappeler (…) ce pouvoir exorbitant de celui qui l’ordonne. C’est montrer de quel côté se trouve l’autorité, autorité d’autant plus grande que la consigne consiste justement à ‘’désarmer’’ l’autre, en le rendant vulnérable ; autorité d’autant plus générale qu’elle
« Ordonner une fouille, c’est rappeler (…) ce pouvoir exorbitant de celui qui l’ordonne. C’est montrer de quel côté se trouve l’autorité, autorité d’autant plus grande que la consigne consiste justement à ‘’désarmer’’ l’autre, en le rendant vulnérable » est sans rapport nécessaire avec le comportement mais seulement avec des situations : toute personne détenue provenant d’un parloir passe par la fouille intégrale, qu’elle soit calme ou violente, pacifique ou menaçante, prévenu primaire ou criminel endurci. » C’est ainsi que la fouille symbolise « le regard de l’administration sur les corps et la perte corrélative de l’intimité, de l’existence personnelle ». Le rapport du Contrôleur analyse dans le même sens l’obligation de « floutage » systématique des visages des détenus, imposée par l’administration pénitentiaire aux auteurs de documentaires et reportages. Priver indistinctement tous les détenus du « respect dû à l’image de la personne », en dépit d’une législation qui « ne peut prêter à aucune ambiguïté », relève à ses yeux d’une stratégie bien comprise. « Maintenir la personne incarcérée dans l’absence d’autonomie ; (…) continuer à lui donner un visage de criminel, c’est-à-dire le portrait de quelqu’un sans visage et sans humanité », telles sont les « vraies raisons » qui conduisent la pénitentiaire à « continue[r] d’exiger, sans donner aucun motif, des auteurs qui ont eu, il faut bien le dire, l’insigne chance d’entrer en prison pour y filmer des détenus, le ‘’floutage’’ systématique de leurs visages ». Le Contrôleur général fustige une « administration sans-gêne » qui « dans sa ‘’sagesse’’, (…) n’a sans doute pas lu ni la loi ni même les réponses du garde des Sceaux » à des
parlementaires sur le sujet. Avant de se désoler : « Une administration dont le métier est d’exécuter la loi ne se préoccupe pas, au moins au cas présent, d’en savoir le sens. »
L’espoir insensé que le droit soit appliqué Au fil des pages s’illustre une certaine « désinvolture administrative » à l’égard des principes de légalité et de réalité. En matière de droits fondamentaux, « les termes ont tout à fait perdu de leur force », et les agents semblent éprouver quelque peine à établir le lien entre les droits tels que présentés « au cours de la formation initiale » et « la manière concrète de traiter une personne ». Ainsi en va-t-il, par exemple, des modalités du contrôle des correspondances au regard du droit au respect de la vie privée, ou des conditions dans lesquelles se déroulent parfois les consultations médicales au regard du droit à la confidentialité des soins. Mais aussi de l’application de la loi dans le cadre du travail des personnes détenues et de sa rémunération. Le Contrôleur estime de manière générale que les détenus « ne connaissent pas des conditions de travail susceptibles de les préparer aux conditions de la vie professionnelle d’une ‘’vie responsable’’ au sens de l’article 1er de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ». En matière de rémunération, il observe que les textes applicables font tout bonnement figure d’objectif à atteindre et non d’obligation impérative : « Le salaire horaire moyen brut est toujours inférieur aux seuils fixés par l’administration pénitentiaire alors même que les taux horaires ne prennent pas en compte la réalité des heures travaillées. (…) Malgré son appellation, le seuil minimum de rémunération (SMR) ne semble pas être perçu comme un minimum mais plutôt comme une moyenne ‘’idéale’’ à atteindre. » L’arbitraire que génèrent nécessairement ces petits arrangements avec le droit prend parfois des formes absurdes : « ainsi de l’autorisation donnée à une personne de faire entrer une couette en détention, mais non le drap qui doit l’envelopper ». Mais aussi des formes plus graves, qui nécessitent d’autant plus de renforcer « la protection donnée à ceux qui (…) ont recours au contrôle général ». Dans la ligne de mire, les « menaces, (…) voire des mesures plus graves encore (provocations, fouilles de cellule, déclassements) » prises à l’encontre de détenus qui l’ont saisi par courrier ou rencontré lors des visites. « La plus grande préoccupation consécutive aux visites réside dans les pressions que peuvent subir après coup les personnes avec qui les contrôleurs sont entrés en relation. » Ayant dû, comme il y avait déjà été contraint en 2010, interpeller le ministre compétent sur ce point, le Contrôleur partage son « espoir insensé que ce qui est prévu par le droit national et international trouve enfin à être appliqué par des agents de l’Etat, plus prompts à inventer leurs propres règles qu’à appliquer celles qui sont expressément prévues ». Barbara Liaras
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Rétention de sûreté :
le premier retenu « essuie les plâtres » Impréparation et improvisation ont présidé à l’accueil de la première personne au Centre socio-médico-judiciaire (CSMJ) de Fresnes, le 23 décembre 2011. Inauguré trois ans plus tôt, le Centre tournait à vide jusqu’à l’arrivée du premier « retenu », qui semble avoir pris de court ses responsables.
Vendredi 23 décembre 2011, Monsieur A., première personne effectivement placée en rétention de sûreté, est amené au centre socio-médico-judiciaire (CSMJ) de Fresnes, où il restera cinq semaines. A son arrivée, le flou le plus total règne sur le fonctionnement du centre. L’arrêté du 6 juillet 2009, qui fixe le règlement intérieur de l’établissement, vient d’être partiellement sanctionné par une décision du Conseil d’Etat du 27 octobre 2011. Ont été annulées en particulier les dispositions encadrant les contacts avec l’extérieur des personnes retenues. La juridiction administrative estime qu’en prévoyant le contrôle du courrier, l’écoute des conversations téléphoniques et, « par des règles générales, des restrictions aux visites qu’une personne retenue peut recevoir », les auteurs de l’arrêté ont outrepassé leur compétence. Deux mois plus tard, les dispositions annulées n’ont pas été remplacées et ces « restrictions excessives » restent appliquées. Contacté par l’OIP le 28 décembre pour obtenir un droit de visite, le secrétariat de direction se dit dans un premier temps non informé des procédures à suivre. Le chef d’établissement indique ne pas avoir eu connaissance de la décision du Conseil d’Etat, avant réception le jour même d’un fax adressé par l’OIP contenant le texte. Il donne finalement pour instruction d’appliquer la procédure en vigueur pour les personnes détenues condamnées (lettre de demande de permis de visite, copie d’une pièce d’identité et justificatif de domicile). En principe, les visites aux personnes retenues ne sont pas soumises à l’obtention d’un permis, mais celui-ci est nécessaire pour parcourir la trentaine de mètres à travers l’hôpital pénitentiaire (EPSNF) au sein duquel est situé le CSMJ.
Le « parloir » du centre de rétention Une grande pièce, scindée en trois espaces cloisonnés, est prévue pour les visites. D’un côté, les murs sont décorés de fresques. De l’autre, des fenêtres donnent sur une cour de Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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promenade bitumée, un grillage, une zone de gazon et le mur d’enceinte du centre pénitentiaire de Fresnes. Trois ou quatre tables de cafétéria et leurs tabourets de bar équipent la pièce. Pas de sofa ni de fauteuil pour se reposer pendant les cinq heures que peuvent durer les visites. Un manteau étalé au sol en a fait office pour M. A. et sa compagne venue lui rentre visite. L’espace étant sous surveillance vidéo, ils confient avoir le choix, pour un moment d’intimité, entre s’allonger sur ce vêtement à même le sol, et se rendre dans les toilettes. Une unité de vie familiale (UVF) existe pourtant, mais ses modalités d’utilisation n’ont pas encore été définies. Sollicité par M. A. qui souhaitait en bénéficier, le directeur du centre a transmis la demande au vice-président chargé de l’application des peines de Paris – qui s’est déclaré incompétent, suite à l’annulation des dispositions du règlement intérieur. Même vide juridique autour des fouilles par palpation auxquelles est soumis M. A. à l’issue des visites, qui ne sont prévues par aucun texte.
Une détention qui ne dit pas son nom Une double tutelle du ministère de la Santé et de l’administration pénitentiaire s’exerce sur le CSMJ. Le directeur de l’hôpital pénitentiaire de Fresnes assure également la direction du CSMJ, et la directrice du SMPR de Fresnes en assure la direction médicale. A l’administration pénitentiaire revient la charge de la sécurité, la surveillance, le maintien de l’ordre, le greffe, l’hébergement et l’organisation de la vie quotidienne. A l’administration de la Santé, la prise en charge médicale et psychologique. Les deux assument la responsabilité conjointe du suivi « pluridisciplinaire, dont la prise en charge socio-éducative des personnes retenues, destinée à permettre leur sortie du centre »1. Monsieur. A. confirme que toutes les 1. Article R53-8-55 du décret 2008-1129 du 4 novembre 2008 relatif à la surveillance de sûreté et à la rétention de sûreté.
ACTU consultations médicales qu’il demande sont assurées (généraliste, dentiste) et qu’il rencontre la psychiatre du centre chaque semaine. Lors de ses déplacements pour se rendre en consultation, toute la détention du côté de l’hôpital pénitentiaire est bloquée, afin qu’il ne croise aucun détenu. Les activités thérapeutiques (prévues à l’article 17 du règlement intérieur), les activités « culturelles, sportives et de loisirs » (article 9) restent, pour leur part, inexistantes. Maître Noël, son avocat, confirme la confusion générale : « Même dans le vocabulaire qu’ils utilisent, les personnels s’y trompent en permanence. Au téléphone, le directeur me parlait de détention, avant de se reprendre. Monsieur A. est soumis comme en prison à des heures restreintes de promenade, ce qui à mon avis est parfaitement incompatible avec le principe de la rétention. Qu’on le veuille ou non, on se trouve dans une enceinte pénitentiaire. »
© Anne-Marie Marchetti
Barbara Liaras
De l’arrestation à la libération du premier retenu de France Le 23 décembre à cinq heures du matin, des gendarmes arrivent au domicile de Monsieur A. et procèdent à son interpellation. Après un passage par la gendarmerie, il est conduit directement en rétention provisoire à Fresnes. La veille, le procureur avait lancé une procédure de recherche, sans en informer ni la juge de l’application des peines (JAP), ni la conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) avec laquelle M. A. avait rendez-vous le matin-même. Sorti de prison deux ans plus tôt après y avoir purgé une peine de quinze ans, Monsieur A. avait été placé, à sa libération, sous surveillance judiciaire, sur décision du tribunal de l’application des peines. Cette mesure arrivant à échéance, la juridiction régionale de la rétention de sûreté avait ordonné, le 15 septembre 2011, une surveillance de sûreté pour une durée de deux ans, qui s’exécute elle aussi en milieu ouvert. A l’occasion de la notification de ses obligations par le JAP le 6 octobre, M. A. indique qu’il ne veut « pas rendre de compte », qu’il ne veut « pas de soins » et qu’il est obligé de « biaiser » car sa compagne, avec laquelle il souhaiterait résider, a un enfant de 3 ans, alors qu’il n’est pas autorisé à être au contact de mineurs. Ces déclarations le ramènent devant la juridiction régionale de rétention de sûreté, qui décide le 20 décembre 2011 de son placement provisoire au centre socio-médicojudiciaire de sûreté de Fresnes, du fait du non respect de ses obligations dans le cadre de la surveillance de sûreté. La juridiction considère que M. A. ne respecte pas ses obligations de répondre d’un domicile fixe et de suivre des soins, ayant déclaré au JAP « n’avoir plus de domicile, ne pas vouloir suivre des soins, ne pas avoir de projet si ce n’est quitter la France ». Elle estime, dès lors, que le condamné « présente à nouveau une particulière dangerosité ». Sai-
sie par le procureur pour confirmation du placement en rétention de sûreté, la juridiction régionale décide finalement, le 1er février 2012, de libérer M. A. et de le remettre sous surveillance de sûreté, en ajoutant à ses obligations une surveillance électronique mobile (PSEM) et en l’autorisant à demeurer chez sa compagne. La juridiction indique en effet que l’avis défavorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté au maintien en rétention de M. A. « s’impose » à elle. Elle entend également les arguments de M. A., pour lequel il est « essentiel de pouvoir cohabiter » avec sa compagne et qui demande à être placé sous surveillance électronique mobile. Son conseil conteste également la violation de ses obligations par M. A. et rappelle « l’atteinte aux libertés individuelles que constitue la mesure de surveillance alors que son client a purgé sa peine », tout autant que les « contradictions entre les différents rapports d’expertise sur la dangerosité de son client ». La juridiction régionale relève que M. A. a toujours respecté son obligation de se présenter chaque semaine au service pénitentiaire d’insertion et de probation ; que sa défaillance dans le respect de son obligation de soins ne lui est que « partiellement imputable, parce qu’il n’a pu être pris en charge par le CMP de G., qui refuserait le suivi d’une personne placée sous main de justice, et parce qu’il n’a pas de revenus suffisants pour consulter un psychiatre libéral, étant au RSA ». Enfin, la juridiction estime que le placement provisoire en rétention de sûreté semble avoir permis à M. A. « de prendre conscience du bienfait pour lui d’un cadre plus contraignant de surveillance par le placement sous surveillance électronique mobile et d’un suivi psychiatrique réel et sérieux ». La rétention prend donc fin le 2 février 2012. Mais le Parquet fait appel de cette décision. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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Dix ans de loi Kouchner :
funeste anniversaire de la suspension de peine médicale En instaurant une « suspension de peine pour raisons médicales », la loi Kouchner du 4 mars 2002 devait permettre aux détenus atteints de maladie grave d’être soignés et le cas échéant de mourir dans la dignité, hors les murs d’une prison. Dix ans plus tard, les obstacles à l’application de ce texte se sont accumulés et son champ d’application n’a cessé d’être restreint. Entre 600 et 700 personnes ont bénéficié d’une suspension de peine médicale depuis sa création, tandis que plus de 1 200 autres sont décédées de « mort naturelle » en prison. « Mourir en prison, c’est affronter une solitude sans espoir ; c’est un constat d’échec et de gâchis. » C’est en ces termes qu’en juin 2000, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les prisons françaises posait la question « du maintien en détention des détenus malades ou âgés1 ». Deux ans plus tard, à l’occasion de l’adoption de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, les parlementaires décidaient d’introduire dans le Code de procédure pénale2 un article permettant à toute personne détenue dont « [l’]état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention » ou souffrant « d’une pathologie engageant [son] pronostic vital » d’obtenir une suspension de l’exécution de sa peine. Une mesure humanitaire qui, dix ans plus tard, se heurte encore à nombre d’obstacles pour être pleinement appliquée.
Une interprétation restrictive des conditions d’octroi La loi avait initialement prévu que « deux expertises médicales distinctes [doivent établir] de manière concordante » que le pronostic vital du condamné est engagé ou que son état de santé est « durablement incompatible avec le maintien en détention ». A la différence des dispositifs traditionnels d’aménagement de peine, tenant compte pour faire sortir les détenus de conditions telles que le quantum de la peine, le seul critère à considérer était celui de l’état de santé. En pratique, 1. Assemblée nationale, La France face à ses prisons, 28 juin 2000. 2. Article 720-1-1 du Code de procédure pénale. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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l’interprétation du texte par les magistrats a néanmoins participé à restreindre le champ d’application de la mesure. Concernant la première situation visée d’un « pronostic vital engagé », nombre de juges ont ainsi estimé qu’il devait l’être à « court terme ». Une interprétation entérinée par la Cour de cassation dans une décision de septembre 2005, qui considère que « c’est nécessairement à court terme3 » qu’il doit être diagnostiqué que la personne va décéder. En janvier 2006, Pascal Clément, alors garde des Sceaux, précisait sa vision de la suspension de peine médicale : « Cela concerne avant tout les personnes dont l’espérance de vie ne dépasse pas quelques semaines, afin qu’ils ne meurent pas en prison (…). Les malades, même atteints d’une affection grave mais qui ne sont pas au “seuil de la mort”, n’ont pas à bénéficier de cette loi, ils peuvent être soignés en détention et ils le sont4. » La deuxième situation visée par la loi d’un état de santé « durablement incompatible avec le maintien en détention », tel un lourd handicap ou des soins ne pouvant pas être suivis dans le cadre carcéral, fut aussi interprétée de manière restrictive. Jean-Claude Bouvier, juge de l’application des peines, explique ainsi que la situation de la personne n’est « pas regardé[e] sous le prisme de la dignité de la personne mais sous l’angle de l’offre de soins existante en prison. (…) L’idée que l’on accorde une suspension de peine [uniquement] lorsque le 3. Cass. Crim., 28 septembre 2005, req. n° 05-81010. 4. Pascal Clément, « Le Garde des Sceaux répond à l’Obs », Le Nouvel Observateur, 7 janvier 2006.
ACTU
© Michel Le Moine
détenu ne reçoit pas les mêmes soins qu’à l’extérieur s’est développée5 ». Par ailleurs, le non-respect par le condamné des obligations qui lui ont été imposées6 ou encore l’existence d’un risque grave de renouvellement de l’infraction7 ont été ajoutés comme critères permettant aux services de l’application des peines de refuser l’octroi ou de mettre fin à une suspension de peine médicale. L’évaluation des risques de récidive étant réalisée dans des conditions totalement hasardeuses en France8, une personne, même mourante, peut donc désormais se voir refuser la suspension de peine médicale au seul motif de la gravité de son infraction.
« Les malades, même atteints d’une affection grave mais qui ne sont pas au “seuil de la mort”, n’ont pas à bénéficier de cette loi, ils peuvent être soignés en détention et ils le sont » (Pascal Clément, ex garde des Sceaux)
Des délais d’expertises inadaptés Un an après l’adoption de la loi Kouchner, le Conseil national du sida relevait que « le problème des délais de réalisation des deux expertises requises se révèle crucial », et recommandait que « des instructions » soient « données pour que les expertises soient réalisées dans des délais très brefs », sous peine que « le but poursuivi par la loi » ne soit « effectivement atteint9 ». En effet, dans le cas d’un pronostic vital engagé, 5. Sidaction, « La suspension de peine, une affaire de dignité », Guide Transversal, février 2008. 6. Critère ajouté par la loi du 9 mars 2004. 7. Critère ajouté par la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales. 8. Voir l’analyse des évaluations cliniques dans le dossier de ce numéro « Prévention de la récidive : le retard français ». 9. Conseil national du sida, Note valant avis sur la suspension de peine pour raisons médicales, 11 mars 2003.
des délais moyens d’instruction des requêtes (variant en 2007 de quatre jours à huit mois, selon l’administration pénitentiaire) peuvent aboutir à ce que la personne décède derrière les barreaux avant même que la juridiction n’ait pu statuer sur sa demande. Dans un arrêt récent condamnant la France10, la Cour européenne des droits de l’Homme s’est ainsi étonnée de « délais procéduraux longs et inappropriés », dans le cas d’une détenue souffrant de problème pulmonaires et d’anorexie n’ayant obtenu de réponse définitive à sa demande qu’au bout d’un an et demi. Au titre des principales difficultés identifiées par l’administration pénitentiaire, c’est « la disponibilité des experts somatiques » qui « peut s’avérer parfois problématique
10. CEDH 5e section, 21 décembre 2010, Raffray Taddei c/ France, n° 36435/07. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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L’« épée de Damoclès » La mesure de suspension de peine peut être retirée à tout moment par le JAP, et le condamné reprendre l’exécution de sa peine en détention, sur la base d’une expertise médicale démontrant que les conditions ayant conduit à l’octroi de la mesure « ne sont plus remplies ». C’est ainsi qu’un détenu en attente de transplantation cardiaque a été réincarcéré en 2008 pour effectuer un reliquat de peine de trois mois. Le rapport d’expertise concluait que son état cardiaque était « durablement compatible avec une incarcération, sous réserve qu’il bénéficie d’un suivi régulier et d’un accès facile vers un contact médical à toute heure du jour et de la nuit ». Le tout, en dépit de la menace d’une « décompensation imprévisible » de ce détenu, de l’impossibilité d’une extraction médicale dans les délais utiles en cas d’arrêt cardiaque ou en cas d’opportunité pour une greffe, et d’une interruption de la permanence médicale en détention après 18h30 1.
Paraplégique, Jacques 2 a, quant à lui, été libéré en avril 2009 de la prison de Liancourt et vit sous la menace permanente d’un retour en prison : « Depuis ma sortie, je vis au jour le jour. J’ai une épée de Damoclès au dessus de la tête. Tous les ans, je dois subir une expertise médicale qui doit dire si mon état de santé, qui ne changera jamais, est compatible avec la détention. Comment construire un projet de vie, emprunter pour acheter un appartement, quand votre vie à l’extérieur est en sursis, quand elle tient sur le fil de l’appréciation d’un expert de la compatibilité de votre état de santé avec un milieu – la prison – qu’il ne connaît même pas ? Après plusieurs années dehors, quel sens cette réincarcération aurait-elle ? Il faudrait qu’après un certain délai, la suspension de peine se transforme en conditionnelle médicale, pour un jour en voir la fin. »
dans des situations d’urgence sanitaire11 ». Et qui peut emporter des situations dramatiques, telles celle de Justin, décédé en décembre 2009 à l’âge de 77 ans dans sa cellule du centre de détention de Liancourt. Le tribunal examinant sa requête avait ordonné un complément d’expertise quatre mois plus tôt. Au jour de son décès, les experts n’étaient toujours pas venus, alors même que l’état de santé de Justin, handicapé et sénile, était connu, et que l’administration pénitentiaire avait donné un avis favorable à la suspension de peine.
Lourdeur de deux expertises concordantes
Pour l’avocat Etienne Noël, il apparaît en outre que les experts « ne sont pas assez formés, ne connaissent pas assez bien la prison, ni la vie quotidienne des personnes qui y sont détenues ». Cette méconnaissance pouvant conduire à des situations inextricables, comme celle de Jean-Claude, incarcéré au centre pénitentiaire d’Avignon au moment du dépôt de sa demande de suspension de peine, et souffrant d’une grave maladie pulmonaire. Pour lui en refuser l’octroi le 21 décembre 2009, le juge de l’application des peines s’était appuyé sur les expertises, qui ne concluaient pas, de manière concordante, à l’engagement de son pronostic vital ou à l’incompatibilité de son état de santé avec la détention, à condition toutefois que le détenu soit correctement équipé d’un matériel d’oxygénothérapie et bénéficie d’un traitement adapté. Or, sa dépendance accrue à l’oxygénothérapie imposait l’usage de deux extracteurs d’oxygène dans sa cellule, dont l’exiguïté ne permettait pas une utilisation adéquate. Selon un certificat émis fin novembre 2009 par le service médical de la prison, une cuve d’oxygène liquide était également nécessaire, mais elle ne pouvait pas être installée en détention compte tenu de risques d’explosion.
11. Synthèse des réponses de la DAP aux questionnaires parlementaires, PFL 2012. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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1. Communiqué de l’OIP du 15 octobre 2008 (en ligne sur le site de l’OIP : www.oip.org). 2. Certains prénoms cités dans cet article ont été modifiés.
La nécessité de « deux expertises distinctes » aux conclusions concordantes12 constitue également, en pratique, une condition difficile à atteindre. En effet, il n’est pas rare que deux experts apprécient différemment la situation d’un patient, entraînant presque automatiquement le rejet de sa demande par le JAP. Tel est le cas de Bernard, détenu au centre pénitentiaire de Lannemezan et atteint d’un cancer bronchique. En octobre 2011, un médecin expert estime que son état de santé est « actuellement incompatible avec le maintien en milieu carcéral étant donné l’indication absolue d’une oxygénothérapie substitutive ». En novembre 2011, le second expert estime, quant à lui, que son état de santé est « compatible, à l’heure actuelle, avec le milieu carcéral ordinaire sous surveillance stricte par l’équipe médicale », faisant fi de l’absence de personnel de santé en dehors des heures d’ouverture du service de soins. Pour éviter que sa demande ne soit rejetée, Bernard n’a désormais d’autre solution que de solliciter une troisième expertise auprès du JAP, qui peut la lui refuser. Afin de réduire le recours aux experts, certains juges ont ainsi décidé de « ne plus procéder qu’à la désignation d’un seul expert à la fois », explique Gwenaëlle Koskas, JAP au tribunal de grande instance de Bobigny. Si la première expertise « revient négative, le juge ou le tribunal de l’application des peines rejette directement la demande, sans procéder à la désignation du deuxième expert requis ». Une pratique contestable, mais validée en juin 2004 par la Cour de cassation13, retenant que le rejet d’une demande de suspension de peine médicale « n’implique pas que deux expertises distinctes aient été préalablement ordonnées ». « Une perte de chance réelle pour le détenu malade », commente la juge de Bobigny : « Si 12. Art. 720-1-1 du Code de procédure pénale. 13. Cass. Crim, 23 juin 2004, n° 04-80439.
ACTU la deuxième expertise rend une autre conclusion, une nouvelle expertise peut être sollicitée par le détenu. » Afin de remédier à ces difficultés, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a prévu qu’en cas d’urgence et de pronostic vital engagé, la suspension peut être ordonnée au vu d’un seul certificat médical, qui plus est du « médecin responsable de la structure sanitaire dans laquelle est pris en charge le détenu ou son remplaçant14 ». Deux ans après l’entrée en vigueur de cette disposition, force est néanmoins de constater que les JAP restent globalement réticents à passer outre les deux expertises et réservent cette procédure exceptionnelle aux personnes à l’article de la mort. Pour le Docteur Amzallag, adjoint au chef de service de l’UHSI de Lyon, « la loi pénitentiaire n’est pas encore entrée en routine d’application. Par ailleurs, si les expertises somatiques ne sont plus obligatoires, ce n’est pas le cas des expertises psychiatriques. Et l’application d’une telle mesure reste soumise, tout comme la suspension de peine avec expertises médicales concordantes, à la subjectivité du magistrat, au type de délit, au reliquat de peine, à la période de sûreté, à l’absence de domicile en France (notamment pour les détenus isolés ou étrangers). Un des effets pervers d’une telle mesure est que les personnes les plus concernées (délinquants sexuels âgés ou longues peines) sont les plus exposées à un refus ».
Manque de solutions d’hébergement Autre obstacle majeur à l’obtention d’une suspension de peine médicale : trouver un lieu d’accueil, dans des délais rapides, relève souvent du parcours du combattant. Les intéressés doivent pouvoir justifier d’une prise en charge à l’extérieur, par des membres de leur famille ou au sein d’une structure d’hébergement adaptée (service hospitalier, centre d’hébergement et de réinsertion sociale, appartement de coordination thérapeutique…). « En pratique, il s’avère que ces conditions ne sont pas toujours remplies soit parce que les liens familiaux des détenus ont été distendus par une durée d’incarcération longue, soit parce que les centres d’accueil disposent d’un nombre limité de places souvent priorisées pour des personnes n’étant pas sous main de justice », relève l’Inspection générale des affaires 15 sociales . Le service interministériel de contrôle souligne qu’il arrive également « qu’à la faveur d’une place d’hébergement qui se libère, les expertises médicales ne soient pas toujours rendues en temps utile pour permettre à la juridiction de l’application des peines de se prononcer dans les délais impartis ». Du point de vue des structures d’accueil, « il est parfois périlleux, financièrement, de laisser vacante une place d’hébergement dans l’attente de la décision du service de l’application des peines », explique le responsable d’un centre d’hébergement. L’attitude réfractaire de certains professionnels sanitaires et sociaux à accueillir des sortants de prison est 14. Article 720-1-1 du Code de procédure pénale. 15. Rapport de l’IGAS, « Evaluation du dispositif d’hospitalisation en soins somatiques des personnes détenues », juin 2011.
Au jour de son décès, les experts n’étaient toujours pas venus, alors même que l’état de santé de Justin, handicapé et sénile, était connu, et que l’administration pénitentiaire avait donné un avis favorable à la suspension de peine.
également à interroger : « Accueillir une personne sortant de prison relève inévitablement d’une volonté forte de la structure et de son équipe », poursuit le responsable du centre. Dès lors, indique l’administration pénitentiaire, « même si toutes les [autres] conditions requises sont réunies, la nécessité de trouver un hébergement adapté pour la personne, souvent âgée et isolée, rarement autonome16 » peut obérer la procédure. Cet obstacle était même à l’origine d’un rejet de suspension de peine médicale sur cinq en 2007, d’après une enquête interne menée par l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP). Et le président de l’ANJAP de commenter : « Il est anormal, dans un Etat de droit, que [ces détenus] restent en prison en dépit des risques qui pèsent sur eux. » Et d’appeler publiquement à ce qu’une solution au manque de lieux d’accueil soit trouvée.
Les UHSI, dérivatif à la suspension de peine Les unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI)17, spécifiquement dédiées à l’hospitalisation de personnes détenues, peuvent désormais représenter un obstacle supplémentaire à l’obtention d’une suspension de peine médicale. Depuis leur apparition en 2004, il n’est pas rare que la mission impartie aux experts désignés dans le cadre d’une demande de suspension de peine soit désormais de se prononcer sur la compatibilité de l’état de santé de l’intéressé non seulement avec la détention ordinaire, mais aussi avec une détention en UHSI (unité à compétence médico-chirurgicale soumise au régime pénitentiaire, sorte d’annexe de la prison en milieu hospitalier)18. Et il n’est pas rare que les experts répondent à cette dernière question par l’affirmative. D’après le chef de l’UHSI de Marseille, « experts et juges se satisfont de la prise en charge médicale à l’UHSI, sans tenir
16. Synthèse des réponses de la DAP aux questionnaires parlementaires, PFL 2012. 17. Arrêté du 24 août 2000 relatif à la création des unités hospitalières sécurisées interrégionales destinées à l’accueil des personnes incarcérées. 18. Extrait de formulations relevées dans des missions d’expertises communiquées à l’OIP : « Se prononcer sur la compatibilité de l’état de santé de [M.C.] avec une détention (…) dans une maison d’arrêt “classique“ ou dans une structure pénitentiaire médicalisée » ; « préciser si les soins nécessaires à son état de santé peuvent être effectués dans un cadre pénitentiaire type UHSI »…
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Les juges ouvrent une brèche pour contourner l’absence d’hébergement Dans une décision d’octobre 2006 devenue définitive 1, les juges de l’application des peines du TGI de Créteil ont accepté d’accorder une mesure de suspension de peine à Jean-Pierre, mais d’en suspendre l’exécution jusqu’à l’obtention d’un hébergement. Concrètement, Jean-Pierre bénéficie de la suspension de peine mais reste incarcéré le temps qu’une « prise en charge médicalisée » à la sortie soit trouvée. Cette décision, à haute portée symbolique, aurait pu rester sans effets puisque le juge judiciaire n’a pas le pouvoir de contraindre l’administration hospitalière à exécuter sa décision. Elle a néanmoins permis à Jean-Pierre de se tourner en urgence vers le juge admi-
nistratif, pour lui demander d’enjoindre l’hôpital public de l’accueillir dans l’un de ses services ou de l’orienter vers un service adapté. Dans une décision du 9 mars 2007 2, le Conseil d’Etat a rejeté sa requête pour une raison de procédure mais s’est prononcé sur le fond, jugeant qu’il appartenait effectivement à l’hôpital « d’orienter ce patient vers une structure adaptée à son état ». Deux décisions desquelles pourront se prévaloir les détenus malades en attente d’hébergement et qui pourraient inspirer d’autres juridictions de l’application des peines.
compte de l’importance du soutien familial et amical élargi en fin de vie19 ».
santé20 ». A l’inverse, le directeur de cabinet du ministre de la Santé avait clairement rappelé, dans une réponse du 3 août 2009 au Contrôleur général suite à son rapport sur l’UHSI de Marseille, dans lequel il relevait que le service avait connu 21 décès en deux ans que « la création de lits de soins palliatifs dédiés aux personnes détenues n’a jamais été prévue » en UHSI, et que les détenus en fin de vie doivent « bénéficier d’une prise en charge médicale dans le cadre d’une suspension de peine ». Ajoutant même que des dispositifs spécifiques aux personnes détenues en fin de vie « seraient contraire à la loi qui vise à [leur] permettre de bénéficier d’une prise en charge médicale dans le cadre d’une suspension de peine21 ».
Requis en juillet 2010 par la Cour d’appel de Nîmes pour se prononcer sur la situation d’une personne relevant de « soins continus et palliatifs » et dont l’état de santé avait été considéré comme « durablement incompatible avec le maintien en détention », un expert avait ainsi conclu que « la seule structure adaptée actuellement à [l’]état de santé de [Paul] se trouve être l’UHSI de l’hôpital Nord de Marseille ». C’est ainsi que Paul y restera détenu pendant plusieurs mois, avant d’obtenir une suspension de peine le 2 novembre 2010 au terme de presque deux ans de procédure. Ce faisant, il arrive que des malades se voient affectés en UHSI pour recevoir des soins de long terme, voire palliatifs. Et les UHSI de s’éloigner de leur mandat initial, ne prévoyant aucunement qu’elles se substituent à des structures spécialisées pour des soins de long terme, ni pour accompagner la fin de vie. L’UHSI de Lyon recensait ainsi dans son rapport d’activités, pour le deuxième semestre 2006, « 25 malades correspondants à [des] situations particulières d’hospitalisation prolongée ». Et relevait que : « Si pour des pathologies comme les cancers, les demandes [de suspension de peine médicale] apparaissaient évidentes quand il n’existe aucune solution curative, dans les autres cas comme les problèmes vasculaires dont le pronostic peut être tout aussi mauvais, les représentations doivent évoluer pour s’adapter à la réalité de la gravité particulière de la maladie. » Face à cette situation, les positions des services du ministère de la Santé divergent. Dans un rapport de juin 2011, l’IGAS estime que les situations de condamnés très malades ne parvenant pas à obtenir de suspension de peine sont « résiduelles », et que « l’UHSI a naturellement vocation à accueillir les patients, qui le souhaitent, pour leur permettre de terminer leur vie dans des conditions médicales et carcérales adaptées à leur état de
19. Cf. communiqué de l’OIP du 1er octobre 2010, www.oip.org. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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1. TAP Créteil, 24 octobre 2006. 2. CE, 9 mars 2007, n° 302182.
Le juge judiciaire s’est vu rappeler son devoir de contrôler que l’état de santé d’une personne est compatible avec son maintien en détention et qu’un tel maintien ne constitue pas une atteinte à sa dignité. La Cour de cassation a ainsi estimé que tel était le devoir du juge de la détention provisoire22, puis du juge de l’application des peines23. Dans le premier cas, elle a été jusqu’à juger que la circonstance que « les faits reprochés sont particulièrement graves » ne doit pas être prise en compte, la sauvegarde de la dignité étant un objectif absolu. Il ne tient donc qu’à l’autorité judiciaire, « gardienne de la liberté individuelle » selon la Constitution, de redonner à la loi tout son sens pour faire en sorte que la prison ne soit plus, comme le déplorait le Comité consultatif national d’éthique, « un lieu de mort, de maladie et de vieillesse24 ». Céline Reimeringer et Samuel Gautier
20. Synthèse des réponses de la DAP aux questionnaires parlementaires, PFL 2012. 21. Ministère de la Santé et des Sports, Observations suite au rapport de visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté à l’UHSI de Marseille, juin 2009. 22. Crim., 2 sept. 2009, n° 09-84.172, AJ pénal, 2009.452. 23. Crim., 25 nov. 2009, n° 09-82.971, AJ pénal, 2010.90. 24. Avis n° 94 du Comité consultatif national d’éthique, « La santé et la médecine en prison », 26 octobre 2006.
ACTU
Psychiatrie et incarcération :
le cercle vicieux n’est pas brisé
Le plan « psychiatrie et santé mentale » 2005-2010 n’a pas permis de « modifier significativement l’état des lieux », juge la Cour des comptes dans un rapport de décembre 2011. Le développement insuffisant de prises en charge alternatives à l’hospitalisation précarise la situation de personnes souffrant de maladies « complexes » et « désocialisantes », qui ne bénéficient pas, à leur sortie, « de solutions d’aval (réinsertion, resocialisation, réautonomisation) ». Et que les politiques pénales conduisent en nombre croissant derrière les barreaux. « Les relations entre maladie mentale, déni du trouble et exclusion sont étroites, la maladie générant trop souvent la stigmatisation et l’exclusion. Celle-ci, amplifiée par le déni, entrave, à son tour, l’accès aux soins1. » Le plan « psychiatrie et santé mentale » impulsé en 2005 visait à remédier à ce processus bien connu. Dans un rapport de décembre 2011, la Cour des comptes en dresse un bilan négatif : « Trois ans après la fin du plan, nombre d’actions majeures restent en chantier et les inflexions recherchées restent largement inabouties2. »
© Bertrand Lauprete
« La rupture de la continuité des soins à la libération (…) peut constituer un facteur décisif de non-insertion puis de récidive » (Cour des comptes)
C’est ainsi que le premier accès aux soins s’avère « encore mal coordonné et souvent tardif », le plan n’ayant pas permis d’« amélior[er] significativement les délais ». De même, « l’insuffisante collaboration entre médecine générale et psychiatrie » aggrave l’état de patients souffrant de pathologies « complexes et désocialisantes », dont la Cour souligne à quel point elles sont « répandues ». Les causes de cette désocialisation sont multiples. Elles tiennent aux « fréquents effets secondaires des traitements médicamenteux lourds et des risques de rechute dans des crises aigües, empêchant en particulier tout retour à l’emploi ». Mais aussi à un phénomène de stigmatisation, « qui éloigne les malades des soins et rend la réinsertion 1. Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé, Plan psychiatrie et santé mentale 2005-2008 (a été prolongé jusqu’en 2010). 2. Cour des comptes, L’organisation des soins psychiatriques : les effets du plan « psychiatrie et santé mentale » [2005-2010], décembre 2011. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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sociale de ceux qui y ont recours plus difficile ». Le Plan de 2005 prévoyait en réponse « une campagne portant sur des pathologies lourdes telles que la schizophrénie ». Hélas, « l’absence de financement en a empêché la réalisation », déplore la Cour. A rebours de ces préconisations, les déclarations politiques autour de la supposée dangerosité des malades mentaux, qui se traduisent par une activité législative visant à reléguer toujours plus les fous derrière les murs – qu’ils soient hospitaliers ou pénitentiaires –, contribuent à ancrer dans la société l’amalgame entre folie et criminalité. « Certaines mesures ou annonces postérieures au lancement du plan ont, loin de “décloisonner”, durci incompréhensions et clivages, notamment en matière d’hospitalisation sans consentement et de sécurité », souligne la Cour des comptes.
Hospitalisés faute de mieux Ces pathologies complexes « requièrent un suivi extra-hospitalier rapproché, médical et social, et donc des prises en charge alternatives diversifiées ». C’est précisément sur ce point que le bât blesse. A côté des soins proprement dits, c’est toute la question de l’insertion sociale des personnes atteintes de troubles psychiatriques qui reste en jachère. Sur l’accès au logement ou à un hébergement, « les actions concrètes sont demeurées extrêmement modestes, alors même qu’il s’agit d’une dimension essentielle pour une prise en charge extrahospitalière. (…) Cette problématique bien identifiée n’a pas réellement évolué. La politique conduite a globalement manqué de fermeté et le bilan du plan dans ce domaine pourtant crucial s’avère ainsi particulièrement décevant ».
loin d’avoir été entièrement reconvertis vers les solutions alternatives, pourtant plus pertinentes. » Or, non seulement « le plan a été accompagné d’un affaiblissement relatif des moyens affectés à la psychiatrie », mais « le mode même de financement actuel de la psychiatrie ne permet pas d’orienter les moyens vers les alternatives », ajoute la Cour. Dans ce contexte, « un bilan détaillé de l’utilisation de ces crédits et des résultats obtenus aurait été riche d’enseignement. Il n’y en a pas eu ».
Emprisonnés faute de soins
Le développement des alternatives à l’hospitalisation par d’autres modes de prise en charge à temps complet est resté très limité : alors que les hospitalisations représentent 90 % des prises en charge à temps plein, les possibilités de placements familiaux thérapeutiques ont augmenté de 500 entre 2000 et 2010, pendant que la capacité d’accueil en appartements thérapeutiques régressait du même nombre. Faute de mieux, les patients sont donc maintenus en hospitalisation pour « des durées qui se prolongent au détriment des patients et de la protection de leurs libertés individuelles ». Une occupation inadéquate des lits ayant en outre pour effet de limiter « la possibilité d’une réinsertion dans la société des patients qui y seraient initialement aptes ». Il en résulte une situation paradoxale où les lits seraient suffisants au regard des besoins – si l’on considère l’état de santé des patients – mais restent difficiles d’accès dans la mesure où une bonne part est occupée par défaut. Pour la Cour des comptes, le recours « excessif » à l’hospitalisation complète conduit à une « saturation (…) qui résulte bien davantage d’un dysfonctionnement de l’offre que d’une capacité insuffisante en lits hospitaliers ».
Cette inadéquation du dispositif de soins, conjuguée à la « situation de précarité psychologique et sociale » souvent associée à la maladie mentale, alimente, selon la Haute Autorité de santé et la Fédération française de psychiatrie le « phénomène de surreprésentation des malades psychiques dans les établissements pénitentiaires3 ». Soulignant le « pic historique » atteint par la population carcérale au cours du plan, et ne perdant pas de vue l’horizon d’un parc pénitentiaire de 80 000 places, la Cour des comptes constate, pour sa part, que les moyens psychiatriques en détention « n’ont pas évolué à due concurrence, sauf pour la prise en charge des auteurs de violences à caractère sexuel ». Le garde des Sceaux faisait état en 2009 de 163 équivalents temps plein de psychiatres4, chiffre qui ne tient pas compte des postes non pourvus, pour plus 84 000 personnes incarcérées au cours de l’année5. Au total, les douze mesures que comportait le volet « justice » du Plan ont surtout « renforcé la prise de conscience des problèmes en ce domaine ». Alors que le Plan prévoyait le « renforcement des équipes hospitalières de secteur afin d’intensifier et diversifier les prises en charge
De ce point de vue, ce n’est pas tant la réduction du nombre de lits qui devrait être mise en cause, que l’inaboutissement de la désinstitutionalisation de la psychiatrie : « Les moyens dégagés par la réduction des lits d’hospitalisation complète sont
3. Fédération française de psychiatrie/Haute Autorité de santé, Audition publique expertise psychiatrique pénale, Rapport de la Commission d’audition, janvier 2007. 4. Réponse du garde des Sceaux à une question écrite du député Jacques Remiller, Journal officiel, 5 mai 2009. 5. Les chiffres clés de l’administration pénitentiaire au 1er janvier 2010.
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© Michel Le Moine
ACTU les sénateurs avaient déjà formulé les contours6. Le Dr Brahmy7 constatait déjà en 2005 que « l’existence du dispositif de soins psychiatriques dans les prisons » pouvait conduire certains magistrats à prendre « la décision d’incarcérer la personne en raison [des] possibilités de soins en milieu pénitentiaire ». Un risque accru avec l’arrivée des UHSA, sous peine de réduire encore un peu plus le champ de l’irresponsabilité pénale.
Rupture de soins à la sortie
psychiatriques des personnes détenues », il « n’a eu quasiment aucun impact direct sur les ressources humaines en ce domaine ». Facteur aggravant de cette pénurie de personnel, les « incompatibilités inopinées entre des contraintes carcérales et la planification médicale » sont à l’origine de l’annulation de quelque 8 % des consultations en 2010 – jusqu’à 54 % en Limousin – entraînant une perte de temps pour les personnels soignant que la Cour des comptes estime « équivalant[e] à des dizaines d’équivalent temps plein ». A son tour, le Plan d’actions stratégiques 2010-2014 pour la prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice prévoit, à titre de mesure 9, de « réorganiser le dispositif de soins en santé mentale ». Sans, pour l’instant, produire plus d’effets : mi-2011, note la Cour, « il n’y avait pas d’indication (…) d’une telle “réorganisation” ».
Des UHSA, faute d’alternative Supposées apporter une réponse aux carences de la psychiatrie en milieu carcéral, les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) absorbent également des fonds considérables. Implantées en milieu hospitalier, mais sous surveillance pénitentiaire, elles ont vocation à accueillir les personnes détenues atteintes de graves troubles psychiques. Si elles paraissent « constituer une solution appropriée aux cas extrêmes », c’est encore une fois faute d’une « alternative [qui] apporte la même qualité de soins ». Celle de Bron, près de Lyon, a en effet coûté 20 millions d’euros en investissement pour 60 lits, équipement inclus, pour une prévision de 10,8 à 12,2 millions. Les UHSA peuvent porter à leur crédit d’écarter « le risque de conditions de prise en charge inadéquates (chambres d’isolement, sangles, traitements tronqués ou inadaptés, etc.) » auxquelles peuvent être confrontés les détenus en hôpital psychiatrique ordinaire. Les magistrats de la rue Cambon n’ignorent cependant pas l’appel d’air que pourraient susciter ces unités, favorisant « l’avènement d’une peine d’hospitalisation en “psychiatrie” » dont
La Cour des comptes relève enfin que les patients détenus sont très souvent renvoyés, à l’issue de leur peine, sans guère de soutien vers la société civile. Cet aspect essentiel « n’a pas fait l’objet de mesures dans le cadre du plan ». Il n’existe pas de structures sanitaires de préparation à la sortie, et très peu de consultations extra-pénitentiaires, qui permettent d’assurer la continuité des soins enclenchés en détention et de pallier aux difficultés d’accéder aux dispositifs de soins de droit commun. « La rupture de la continuité des soins à la libération (…) peut constituer un facteur décisif de non-insertion puis de récidive », alerte pourtant la Cour. D’autant que « des établissements médico-sociaux ou sociaux refusent de prendre en charge d’anciens détenus pour faits de violence, de mœurs ou de vols ». Ces patients se trouvent par conséquent exposés « au risque de ne trouver d’autre solution que l’hospitalisation psychiatrique en attendant une solution de placement en établissement médico-social ». La boucle infernale qui conduit les malades mentaux de l’exclusion à la prison et de la prison à l’exclusion est bouclée : « Le cumul de troubles mentaux et de précarité accroît fréquemment les difficultés de réinsertion sociale et professionnelle comme de stabilisation médicale, avec, en cas de prise en charge mal adaptée, le risque d’une réincarcération suivie d’une dégradation pathologique. Il en est de même parmi les quelque 200 000 autres personnes condamnées et placées sous main de justice pour effectuer leur peine en milieu ouvert. »
Des plans pour rien ? De sérieuses « insuffisances de méthode » ont entravé la réalisation des objectifs de ce Plan, au point de rendre son degré de réalisation « difficilement mesurable ». Alors même que tant reste à faire pour atteindre les objectifs définis en 2005, un nouveau Plan 2011-2015 a été présenté en conseil des ministres le 29 février 2012. Les constats diffèrent peu, et l’Union nationale des cliniques psychiatriques privées (UNCPSY) s’est d’emblée alarmée « d’une absence totale de volet économique et de pistes de financement [pour] la mise en œuvre effective des mesures proposées ». Le Syndicat des psychiatres des hôpitaux dénonce, de son côté, « un simple assemblage de thèmes et de recommandations régulièrement déclinées depuis quinze ans, sans qu’il soit donné réellement les moyens de les mettre en œuvre ». Barbara Liaras 6. Sénat, Rapport d’information n° 434 sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions, mai 2010. 7. Brahmy, « Psychiatrie et prison », revue Etudes, 2005/6, tome 402. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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Camp-Est,
« bagne post colonial » Prison d’un autre temps, le centre pénitentiaire de Nouméa en Nouvelle-Calédonie, dit CampEst, est enfin l’objet d’attention dans l’Hexagone suite à une visite du Contrôle général fin 2011. 2 Des prisonniers entassés à six 23 heures sur 24 dans des cellules de 12 m et qui se lavent dans les w.-c. à la turque, des asticots et bouts de plastique trouvés dans les repas, des rats et cafards qui envahissent la détention… La situation appelle d’urgence une réorientation des projets pénitentiaires et de la politique pénale locale. Le centre pénitentiaire de Camp-Est s’était vu décerner « la palme de la prison la plus pourrie de la République » par une délégation de parlementaires français et européens en janvier 2010. En octobre 2011, l’établissement restait à la hauteur de sa réputation en suscitant la première procédure d’urgence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Ce qui a été observé lors de sa visite du 11 au 17 octobre relève « d’une violation grave des droits fondamentaux d’un nombre important de personnes » impliquant pour le Contrôleur de rendre ses observations en urgence et d’imposer aux autorités un bref délai pour y répondre avant leur publication1. En mars 2012, une campagne de recours des détenus de Camp-Est est initiée avec le soutien de l’OIP et de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) de Nouvelle-Calédonie : plusieurs dizaines de prisonniers demandent au tribunal administratif à être indemnisés en urgence pour des conditions de détention attentatoires à la dignité humaine. Avec, en toile de fond, la responsabilité de l’Etat, qui a trop longtemps laissé cette prison à l’abandon. Mais aussi de la mairie de Nouméa, qui refuse depuis des années d’accorder les permis de construire nécessaires à des travaux de rénovation d’envergure, dans l’optique de voir la prison déplacée et de récupérer le terrain pour un projet immobilier touristique. Enfin, les autorités judiciaires pratiquent une politique pénale d’exécution des courtes peines en milieu fermé, recourant insuffisamment aux peines alternatives et aménagements de peine.
Six dans une cellule de la taille d’un ascenseur Le niveau de promiscuité et d’insalubrité imposé aux prisonniers du Camp-Est relève d’un « bagne post colonial », dénonçait le 15 février dernier l’avocat général de la Cour de cassation 1. CGLPL, Recommandations du 30 novembre 2011 relatives au centre pénitentiaire de Nouméa. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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à l’occasion de l’examen du pourvoi d’un prévenu demandant sa libération2. Au 1er février 2012, 430 détenus occupaient les quelque 218 places de l’établissement, pour un taux de suroccupation de 245 % au quartier maison d’arrêt (QMA) et de 160 % au quartier centre de détention (QCD). Le Contrôleur général décrit un QMA composé « de cellules de 12 m² où cohabitent jusqu’à six personnes alors que, selon les normes définies par l’administration pénitentiaire, il ne devrait pas y en avoir plus de deux. Chaque cellule comporte trois lits superposés d’un côté, deux lits superposés de l’autre côté et souvent, entre les deux rangées de lits, un matelas posé à même un sol crasseux et humide où circulent des rats et des cafards ». Les personnes détenues décrivent des cellules « un peu plus larges qu’un ascenseur. Il y a cinq lits pour six personnes. Un détenu dort sur le sol3 ». Le moindre mouvement implique de déranger quelqu’un d’autre : « Parfois, je reste debout dans un coin 2 ou 3 heures avant de me déplacer. Pour boire, ou autre. On est trop serrés, la circulation est bloquée. » Président de l’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE), Gérard Jodar écrivait de sa cellule à l’OIP en novembre 2009 : « A six dans une cellule, nous disposons de 3,80 m2 pour circuler. Cela oblige tout le temps deux à trois d’entre nous à rester couchés sur nos lits, car nous ne pouvons pas non plus nous asseoir, ces lits étant verticalement séparés de 60 cm. » La nuit, un détenu souhaitant se rendre aux toilettes risque de piétiner sur son passage celui qui dort par terre. Pendant que les uns prennent leurs repas sur une table de fortune, les autres mangent sur le sol ou sur leur lit : « La table est une planche d’un lit qu’on a cassé. Deux personnes uniquement peuvent y manger. On n’a que trois tabourets puisque les 2. Le pourvoi sera néanmoins rejeté. 3. L’ensemble des témoignages de détenus cités dans cet article sont issus de réponses à un questionnaire de l’OIP et de la LDH-NC visant à préparer les recours qu’ils engagent devant le tribunal administratif.
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trois autres servent de pieds à notre table. » De l’avis général, la nourriture distribuée est immangeable. En janvier 2011, un détenu relate son « intoxication alimentaire après avoir mangé un plat de saucisse aux lentilles. Souvent le riz est mal cuit. Les saucisses parfois à moitié crues ». Les plats sont servis dans des barquettes en plastique souvent cassées : « A plusieurs reprises, j’ai trouvé dans mon plateau-repas des morceaux de plastique, des cafards morts, des cheveux, des asticots, des élastiques », indique un détenu. Les repas sont pris « face aux toilettes, séparées de la cellule par un bout de planche de 2 mètres, sans aération. Si quelqu’un est aux w.-c., nous retenons notre respiration le temps que l’odeur disparaisse, puis nous reprenons notre repas ». Les cellules ne sont pas pourvues de fenêtres, mais de petites ouvertures munies de barreaux doublés de grillage : « La lumière naturelle n’est pas suffisante, il faut comprendre que l’on vit sur des lits superposés, le seul qui a de la lumière c’est celui qui est près du plafond. » Dans le quartier « fermé » du centre de détention, qui reçoit des condamnés à des moyennes et longues peines, certains détenus sont placés à deux dans des cellules de 8 à 10 m2, d’autres dans des cellules contigües aboutissant à « regrouper sept à huit personnes dans des espaces de 24 m2 », indique le Contrôleur général. L’état des cellules « se caractérise par une faible luminosité et un grand désordre lié au surencombrement ». Un détenu de ce quartier ajoute : « Notre cellule est beaucoup trop petite pour accueillir huit personnes, il n’y a vraiment pas de place, les toilettes sont dans la salle à manger et il n’y a aucun système d’aération spécifique. » Dans le quartier « ouvert » du centre de détention, les détenus sont placés à deux dans des boxes de 8 m2, séparés par « des murs légers de 2,50 m de haut surmontés d’une nappe de grillage placée sous le toit du bâtiment en guise de plafond. Afin de se protéger des rats qui circulent dessus, les occupants des cases ont accroché par endroits des draps sous le grillage », relate le Contrôleur général.
Pour le plaisir des rongeurs… Toutes les zones du centre pénitentiaire sont investies par les rats, fourmis et cafards qui, selon les dires d’un détenu, « font
la fête dès que le soleil se couche ». Le Contrôleur observe que les grilles d’aération des cellules « sont souvent obstruées afin d’empêcher les rats de rentrer ; ces rongeurs parviennent toutefois à rentrer et se nourrissent des restes de repas ou de cantines qui, faute d’endroit clos, sont entreposés sur des étagères ou dans des meubles sans porte ». Les détenus se couchent le soir en « espérant que les rats et les cafards ne viendront pas [les] déranger durant [leur] sommeil. (…) Je dors très mal avec la chaleur et les rats qui viennent fouiller les restes de repas dans la poubelle, j’ai même été réveillé par les picotements des cafards dans mon lit. C’est vraiment impossible de dormir ». Un autre prisonnier raconte que pendant trois mois, il était le sixième détenu arrivé dans la cellule et qu’il a « donc dormi sur un matelas par terre. Rats et cafards grimpaient sur moi pendant la nuit ». Le bruit incessant et la chaleur engendrent également des difficultés de sommeil : « Je m’endors aux
Une journée type au quartier maison d’arrêt « On vous amène de l’eau chaude et du pain vers 6 heures. Une fois que vous avez déjeuné, vous vous recouchez pour laisser la place aux autres à la table, jusqu’à la promenade de 30 minutes qui n’est jamais à la même heure. Ensuite vous regagnez votre cellule. Quand les w.-c. sont libres, vous faites vos besoins et vous en profitez pour vous laver avec un broc au dessus du trou des w.-c. à la turque avec l’eau des toilettes. Vous passez le reste de votre journée allongé à regarder la télé ou à écouter de la musique aux écouteurs afin de vous isoler des cinq autres détenus. L’après-midi, il y a à nouveau une promenade de 30 minutes, ensuite vous restez enfermé jusqu’au lendemain. Le plus dur, c’est le bruit : cris, hurlements, insultes, menaces, tapage dans les portes en fer, télé 24 heures sur 24, postes de radio mis au maximum. Odeur de chaud, de transpiration, de cigarette, de merde, de pisse. » Témoignage reçu à l’OIP, janvier 2012 Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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environs de 3 heures du matin à cause du vacarme, les détenus frappent les portes, insultent les gardiens ou d’autres détenus, parfois même jusqu’aux premiers rayons de soleil. Puis ça s’arrête quelques heures et ça reprend vers 8 heures avant la promenade. » La chaleur dans les cellules est également éprouvante, les ventilateurs « sont hors d’état de marche voire absents dans de nombreuses cellules, et non remplacés lorsque la direction estime que les personnes détenues sont responsables de la dégradation. Pour lutter contre la température excessive, la pratique consiste à inonder périodiquement la cellule », indique le Contrôleur. Hygiène déficiente, mauvaise alimentation, manque de sommeil… engendrent inévitablement des problèmes de santé en cascade. « Depuis que je suis arrivé en 2009, j’ai eu trois ‘gastro’et la gale. J’ai régulièrement mal au ventre et la courante. La semaine dernière, j’ai eu un traitement pour la leptospirose, maladie due aux rats. La dépression nous côtoie souvent », témoigne un détenu. Or, l’accès aux soins s’avère également difficile « en raison du nombre insuffisant de personnel sanitaire, de l’enclavement des locaux médicaux à l’intérieur de la maison d’arrêt (…), de la taille réduite des salles d’attente. Il en résulte un absentéisme pouvant dépasser 60 % des personnes convoquées au service médical », ajoute le Contrôleur général. Une particularité à signaler sur Nouméa : faisant partie des établissements n’entrant pas dans le champ d’application de la loi de 1994 sur le système de soins des détenus, les dépenses de santé sont entièrement à la charge de l’administration pénitentiaire et non de la Sécurité sociale.
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En 2009, plus d’un million d’euros y ont ainsi été consacrés pour Camp-Est.
Se doucher dans un w.-c. à la turque Quelques douches collectives sont disponibles dans les différents quartiers, mais les violences y sont fréquentes, si bien que nombre de détenus préfèrent se laver en cellule, à l’eau froide, sur le w.-c. la turque dont les tuyaux ont été détournés. Au quartier maison d’arrêt, les douches ne sont en outre disponibles que pendant la promenade qui dure 30 minutes, deux fois par jour : « Pendant la promenade on peut se laver à l’eau chaude dans la douche commune, quatre personnes à la fois. On a 10 minutes pour se laver. Parfois il y a des bagarres. Surface de la douche : 5 m x 5 m avec 4 jets d’eau qui tombent du plafond. » Au centre de détention « fermé », il y a 4 douches pour 24 détenus : « Souvent elles sont bouchées ou on a remplacé le jet de douche par un robinet ou une bouteille en plastique. Les douches ne préservent aucunement notre intimité, la majorité des détenus se lavent avec leur slip ou caleçon. Il n’y a aucune sécurité, c’est à nous de faire attention. Les douches sont sales avec du savon et de la merde collés aux murs. » De manière générale, le centre pénitentiaire est le théâtre de violences répétées et d’un manque de protection de l’intégrité des personnes : « Depuis mon arrivée j’ai été battu par cinq détenus à la maison d’arrêt » ; « Il y a des lames de rasoir dans la cour de promenade » ; « Les gardiens laissent les détenus régler leur compte pendant la promenade. » Au cours de la visite des contrôleurs en octobre 2011, un jeune détenu de 24
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« Des jeunes kanaks en crise d’identité » Elie Poigoune est président de la Ligue des droits de l’Homme de Nouvelle-Calédonie (LDH-NC), à l’origine avec l’OIP de la campagne de recours des détenus de Camp-Est. L’écrasante majorité des détenus de Camp-Est sont des jeunes Kanaks : quelle est leur situation sociale et culturelle ? Les jeunes kanaks sont ballotés entre leur société traditionnelle qui met en avant la vie collective et la société moderne basée sur l’individualisme et la consommation. Il s’ensuit un fort mal être de nos jeunes, qui n’ont plus de repères solides pour les encadrer. Ils rencontrent souvent l’échec scolaire, puis la délinquance, l’alcool et le cannabis ; il y a une augmentation de leur taux de suicide. Les Kanaks font aussi partie des couches les plus défavorisées de la société calédonienne : ils vivent dans les quartiers populaires ou dans les squats autour de Nouméa où les conditions de vie sont les plus misérables. Les jeunes se rendent au centre ville ou dans les quartiers chics de Nouméa, où
ans a été retrouvé mort : les premiers éléments de l’enquête indiquent qu’il aurait été victime des coups de ses codétenus, les personnels n’ayant rien entendu dans le vacarme habituel de l’établissement. L’un des codétenus mis en examen pour cette affaire s’est suicidé dix jours plus tard au quartier d’isolement. Pour le syndicat FO-pénitentiaire, « il fallait s’attendre à ce genre de drame », qui prouve « qu’à trop vouloir entasser dans des structures datant du bagne, on se dirige vers des catastrophes ». Le Contrôleur général fait également sienne l’opinion recueillie lors de sa visite, selon laquelle le drame survenu « ne saurait être dissocié des conséquences inéluctables que fait peser la sur-occupation de l’établissement sur les conditions de détention ».
23 heures sur 24 en cellule D’autant que l’établissement est également défaillant en termes d’activités et de maintien des liens familiaux, autant de soupapes de décompression pour les personnes détenues. Si des activités telles que la chorale ou le dressage de chevaux ont été développées ces dernières années, elles ne concernent qu’un petit nombre de détenus, dont la plupart restent confinés en cellule « entre 22 et 23 heures par jour », selon le Contrôleur. Le directeur du centre pénitentiaire affirmait, pour sa part, en août 2011 lors de la réunion du Conseil d’évaluation « qu’aujourd’hui, quelles que soient les conditions de surencombrement, la présence d’un détenu en cellule est limitée », estimant à 6 heures par jour le temps moyen d’activités ou de sortie, ce qui pourrait correspondre à la situation du centre de détention, mais pas de la maison d’arrêt. Les prisonniers signalent également, début 2012, que « la salle de musculation est presque toujours fermée. Le terrain de foot, c’est de la terre et des cailloux sur un ancien cimetière. Le terrain de volley n’a pas de filet »…»
ils font face à des écarts de richesse d’une rare indécence, et ils volent. Comment s’est mise en place la vague de recours des détenus devant le tribunal administratif ? Quelle est l’importance de ce type d’actions ? La commission prison de la Ligue a fait un travail énorme depuis deux ans. Elle a visité la prison et constaté des conditions de détention indignes. Un travail a été engagé pour interpeller les citoyens, les organisations politiques et les institutions. Avec la collaboration de l’OIP, elle a encouragé les détenus à engager des recours. Cette action permet de répondre à une demande de dignité de nos prisonniers, d’interpeller la société calédonienne sur son devoir d’humanité et nos responsables politiques sur l’urgence d’agrandir la prison actuelle.
Tous s’accordent sur le très faible nombre de postes de travail pour les détenus. Le contrôleur signale qu’« il n’existe pas de travail en atelier ; l’unique formation professionnelle occupe un maximum de douze personnes » Un détenu indique à cet égard : « En trois ans et trois mois de prison, je n’ai jamais travaillé bien que je sois inscrit sur la liste des demandeurs de travail et que j’ai pris 12 ans. » Le chef d’établissement déplore, lui aussi, en août 2011 un contexte « particulièrement délicat au regard du travail de la population pénale. L’établissement ne dispose pas d’atelier de travail et la prospection d’entrepreneurs pour amener du travail pour les détenus sur un site dénué de zone de production est complexe ». Quant au maintien des liens familiaux, le Contrôleur déplorait que « l’établissement ne dispose d’aucune cabine téléphonique et n’ait jamais rien organisé pour permettre à quiconque d’utiliser les téléphones de service », alors que la loi pénitentiaire prévoit un droit d’accès au téléphone pour toute personne détenue. Le 5 mars 2012, l’accès au téléphone est finalement devenu effectif. Autre particularité de la prison de Nouméa : les familles ne pouvaient réserver de parloir par téléphone et devaient se rendre sur place. Depuis une note du 2 février 2012 sur la « réorganisation des prises de rendezvous parloirs familles », les réservations peuvent désormais être effectuées par téléphone. Deux dysfonctionnements de longue date auront ainsi été résolus suite à la visite des contrôleurs. Les détenus décrivent enfin une salle pour les parloirs d’environ « 8 mètres sur 10, séparée de chaque côté d’un couloir d’où les surveillants regardent à travers une grille. Quarante-huit personnes peuvent se retrouver dans cette même pièce ! Le bruit est infernal, on doit parler très fort pour se faire entendre de sa famille ». Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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Des inerties institutionnelles… Dans sa réponse au Contrôleur général, le ministère de la Justice invoque quelque 10 millions d’euros engagés depuis 2001 « afin de maintenir en condition opérationnelle le site de Camp-Est ». Outre une interrogation sur ce qui relève d’une « condition opérationnelle », il convient de souligner que l’essentiel des moyens investis les deux dernières années a été consacré au renforcement de la sécurité périmétrique et intérieure : réfection de la clôture d’enceinte, mur extérieur, travaux d’éclairage et installation de la vidéosurveillance, système hyperfréquence… Si la prison de Nouméa est connue pour un nombre d’évasions inhabituel, la réponse apportée par l’administration pénitentiaire est à l’inverse très habituelle, manquant de s’interroger sur les raisons amenant les prisonniers à préférer le risque d’une condamnation pénale supplémentaire plutôt que de continuer à purger leur peine dans de telles conditions. En juillet 2011, deux détenus jugés pour tentative d’évasion s’expliquent à la barre : « Je n’en pouvais plus, les conditions de détention sont insupportables. Je veux bien effectuer ma peine, mais là, c’est inhumain. » Et le ministère public de rétorquer, implacablement : « Si les conditions de vie sont difficiles au Camp-Est, elles sont les mêmes pour tous, et tout le monde ne s’en évade pas. » Outre les équipements de sécurité, les dépenses effectuées ces dernières années concernent également des améliorations extérieures, telle que des plantations à l’entrée du Camp et devant les bâtiments administratifs. En mars 2012, l’ensemble des portes des cellules de la maison d’arrêt devaient être changées, mais rien n’était prévu pour l’intérieur des cellules ! Faute d’investissements suffisants, ce sont des rénovations au compte-goutte et peu pérennes qui ont pour l’instant été effectuées à la prison de Nouméa. Plusieurs détenus évoquent des travaux de peinture qu’ils ont été chargés d’assurer dans leur cellule : « Ils nous ont donné de la peinture puis on a repeint nous-mêmes en 2011 » ; « C’est plus propre et plus clair, mais l’humidité reprend le dessus et les tâches diverses réapparaissent » ; « Les travaux ont été mal faits, la peinture se décolle par plaques. » Un projet plus conséquent de rénovation et reconstruction a été déposé par l’administration pénitentiaire et budgété pour 2012, mais il nécessite l’obtention d’un permis de construire auprès de la mairie de Nouméa, qui refuse de le délivrer en vue de récupérer un terrain sur lequel Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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elle souhaiterait implanter un site touristique. Le Contrôleur général indique que la mairie n’accordera le permis que si « l’Etat s’engage à implanter ailleurs le site de l’établissement pénitentiaire, estimé riche de potentialités pour le développement urbain ». Dès lors, un projet de déménagement sur un autre site a été plusieurs fois annoncé, mais il ne verrait le jour qu’en 2020, outre d’être situé à 15 kilomètres de Nouméa, sur un site plus difficile d’accès pour les familles. Le Contrôleur général recommande de remédier plus rapidement à la situation actuelle « par une opération progressive tendant à remplacer, par une suite d’opérations “à tiroirs”, les bâtiments vétustes existants par d’autres ». Cette solution serait « certes graduelle, mais [avec] un début de réalisation immédiat, précieux pour les personnes détenues comme pour le personnel ». Elle nécessiterait que la mairie de Nouméa partage de telles préoccupations et se décide à délivrer le permis de construire. Un autre axe d’intervention rarement mentionné par les pouvoirs publics réside dans le développement des peines alternatives et aménagements de peine. La prison de Nouméa accueille un public composé en grande majorité de jeunes Kanaks, parmi lesquels un tiers sont condamnés pour des peines de moins d’un an. Près de 15 % des détenus le sont pour des faits de conduite en état alcoolique, 28 % pour des vols… En mars 2011, le directeur-adjoint du SPIP déclarait dans une interview qu’il « y a trop de détenus au Camp Est, avec un taux de détention de 40 % supérieur à celui de la métropole ». Il explique cette situation principalement par la politique du Parquet, mettant par exemple à exécution des peines de 15 jours d’emprisonnement, qui auraient pu être purgées en milieu ouvert. Il manque également en NouvelleCalédonie des structures pour accueillir des détenus faisant l’objet d’un aménagement de peine4. Plutôt que des projets longs et coûteux de construction et d’extension du nombre de places sur un nouveau site pénitentiaire, ce sont bien la réhabilitation complète et le développement massif de mesures de milieu ouvert qu’il conviendrait d’envisager. L’USTKE demande ainsi depuis des années que soient privilégiées les peines alternatives, en particulier des travaux d’intérêt général (TIG) exécutés en tribu et en collaboration avec les autorités coutumières locales (chefferies). Parmi les TIG proposés, le « nettoyage des cours de chefferies ; la réparation des dommages causés à autrui sous le contrôle du chef ; faire et nettoyer les champs des anciens, handicapés ou malades ; entretien des terrains de sport de la tribu ; exclusion à temps d’un périmètre de chefferies, de tribu, de district5 »… Autant de réponses plus respectueuses de la culture mélanésienne et visant à désengorger Camp-Est, « prison d’un autre temps », selon les termes de Gérard Jodar. Qui ajoute : la « patrie des droits de l’Homme n’a vraiment pas de quoi être fière de ce qu’elle fait ici dans notre pays ». François Bès, coordination régionale outre-mer de l’OIP 4. Erick Aouchar, interview dans Les Nouvelles calédoniennes, 11 mars 2011. 5. USTKE Camp-Est, Cahier de revendications, mars 2007.
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« Une expérience révoltante pour un médecin » Erika Dujardin, médecin généraliste, a exercé trois ans comme médecin-chef au centre pénitentiaire de Nouméa, qu’elle a quitté en juin 2010. Elle décrit les effets dévastateurs des conditions de détention sur la santé des prisonniers, ainsi qu’une grande précarité du système de soins. Quels sont les principaux problèmes de santé qui affectent les détenus de Camp-Est ? En quoi sont-ils liés à leurs conditions de détention ?
déshydratations et un affaiblissement global des personnes déjà souffrantes. Les literies et draps étant changés de façon aléatoire, ils deviennent des nids à microbes.
Les conditions d’hygiène déplorables sont à l’origine de parasitoses, de maladies dermatologiques contagieuses, de plaies cutanées chroniques par défaut de cicatrisation et surinfection, pour lesquels les soins prodigués ne suffisent pas si le maintien de l’hygiène n’est pas assuré. La luminosité naturelle n’entrant pas dans les cellules, il s’ensuit des troubles oculaires et de la vue. L’aération est quasiment inexistante, favorisant la pullulation microbienne et une chaleur insoutenable en période estivale, entraînant une recrudescence de pathologies dermatologiques infectieuses (staphyloccocie…), des
La nourriture est insuffisante et des régimes adaptés à certaines pathologies métaboliques (diabète, goutte, cholestérol…) ne sont pas proposés, si bien que certains préfèrent ne pas manger plutôt que de subir une énième crise de goutte. Il n’existe pas non plus de cellule non fumeur et l’état de certaines personnes souffrant de bronchite chronique, d’asthme ou autre pathologie respiratoire se dégrade. Le terrain de foot, dont la surface initialement constituée de scories a été recouverte d’une couche de sable, est lui aussi à l’origine de multiples blessures, entorses et autres problèmes orthopédiques. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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D’autant que la plupart des détenus jouent pieds nus, par habitude pour certains et pour d’autres par impossibilité de cantiner ou de se faire apporter des baskets. De manière générale, les missions du médecin relatives aux règles d’hygiène collective ne peuvent être assurées et certaines pathologies épidémiques ne sont pas prévenues. Sans compter l’accès réduit aux insecticides corporels, qui restent à la charge des détenus, alors qu’une majorité d’entre eux sont indigents… Ces conditions de « survie » engendrent également une souffrance psychique majeure face à laquelle les professionnels sont souvent impuissants, faute de moyens humains et d’infrastructure. On observe une recrudescence du recours aux psychotropes, de leur trafic et mésusage : le temps du Camp-Est devient un temps suspendu hors réalité, réduit à une lutte pour survivre.
Enfin, le secret médical n’est pas respecté, les détenus étant obligés de formuler leurs demandes sur papier libre, confié aux surveillants en charge de le faire parvenir à l’infirmerie. Lors des extractions à l’hôpital, les médecins hospitaliers confient également aux surveillants le compte rendu écrit de la consultation après leur avoir rapporté oralement.
Quels sont les principaux manques pour garantir l’accès aux soins pour les détenus ?
Quelles seraient les mesures à prendre pour remédier à de telles carences ?
Pour situer le contexte, il faut rappeler que la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale, qui pose le principe d’équivalence des soins en milieu libre et en milieu fermé, ne s’applique pas à Nouméa. L’individu incarcéré perd son statut de citoyen de la Nouvelle Calédonie, ne bénéficiant plus (pour lui-même, ni pour ses ayant-droits) de la couverture sociale assurée par la CAFAT, organisme territorial. Le service médical, rattaché depuis peu au centre hospitalier, peut s’apparenter à une UCSA, mais la prison ne dispose toujours pas de SMPR pour la prise en charge psychiatrique des patients.
Pour permettre de respecter le droit à la santé, qui est un droit inaliénable, il y a quelques conditions préalables : la réduction du nombre de détenus et l’amélioration des conditions de détention. La vétusté et l’obsolescence des locaux associées à une surpopulation au delà de l’humainement tolérable rendent les conditions de vie en détention inacceptables ; l’exiguïté des cellules qui hébergent le plus souvent (systématiquement au quartier maison d’arrêt) six personnes porte atteinte à l’intimité de l’individu.
De manière générale, il y a trop de patients pour trop peu de soignants. Pour l’année 2011, 68 % des demandes de consultation médicale n’ont pu être honorées. Le manque de personnel oblige à hiérarchiser les « urgences » au delà de l’éthique et des fondamentaux déontologiques. En outre, l’infirmerie est située dans une espèce d’enclave qui limite les mouvements des détenus, les deux surveillants affectés au service d’infirmerie assurant à la fois l’acheminement des patients et la distribution des médicaments en cellule. Pour cette raison, 70 % des patients convoqués à l’infirmerie pour des soins n’ont pu être vus en 2011. Concernant l’activité de la psychologue, seules 46 % des demandes ont donné lieu à une première consultation avec un délai d’attente d’en moyenne six semaines. Les soins spécifiques nécessaires à certaines pathologies psychiatriques ne peuvent être assurés au regard du nombre encore dérisoire de vacations du médecin psychiatre, du temps de présence psychologique et de l’encombrement du centre hospitalier psychiatrique (manque de disponibilité de lits pour l’hospitalisation des détenus). Différentes missions du corps soignant ne peuvent être assumées, notamment les actions de dépistage de MST, d’éducation à la santé et de prévention, de prise en charge de certaines problématiques addictologiques ou de violence. En outre, les différents niveaux de sécurité prévus par la pénitentiaire pour Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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les extractions médicales rendent souvent impossible de les effectuer faute de moyens humains. Certains détenus « identifiés » ont, dès lors, peu de chance de pouvoir bénéficier d’une consultation ou d’un examen à l’hôpital. Le nombre d’extractions annulées est trop important, ce qui s’avère délétère pour certaines prises en charge médicale, avec indication d’actes chirurgicaux en urgence qui auraient pu être évités, prolongation du délai de prise en charge de maladies impactant parfois l’espérance de vie (dans les cas de cancer, par exemple).
Pour le service médical, l’augmentation des moyens humains est prioritaire, tout comme la restructuration des locaux, sachant que les cellules de l’infirmerie qui permettaient une prise en charge sanitaire quotidienne se sont transformées récemment en cellules pour arrivants. Il faut développer une prise en charge spécifique pour les mineurs, alors qu’un nouveau quartier « jeunes détenus » a été ouvert sans que ne soit prévue aucune prise en charge multipartenariale. Il serait aussi opportun de reconnaître l’existence de la pharmacopée traditionnelle et de permettre son usage ; le recours aux plantes médicinales permettrait, pour certains maux, d’éviter la prescription de médicaments de synthèse… Que retirez-vous personnellement de cette expérience ? Elle fut nourrie d’humanité dans les rencontres, mais aussi déroutante et révoltante, du fait de la léthargie institutionnelle et politique, ainsi que des conditions d’incarcération avilissantes. En miroir, les conditions d’exercice de nos différentes professions sont mises à mal et bousculent la démarche déontologique de chacun. Il faut néanmoins souligner que malgré ces conditions de survie, les détenus essaient d’assurer une paix sociale autant que possible, les surveillants restent « humains » dans leur approche des personnes détenues, les soignants persévèrent à essayer d’assurer leur service et continuent de lutter pour son amélioration.
de facto Conditions de détention indignes en Guadeloupe, mais « respectueuses » de la culture locale Désigné dans le cadre d’un recours déposé par quatre personnes détenues pour conditions d’hébergement indignes, un expert a remis un rapport alarmant sur la maison d’arrêt de Basse-Terre le 14 décembre 2011. Construite en 1830, la maison d’arrêt est constituée « de très vastes dortoirs et de quelques cellules individuelles ». Alors que sa capacité théorique est de 130 places, l’établissement est en fait équipé de 244 lits, avec des cellules individuelles de 6,46 m² occupées par deux personnes, et d’autres de 13,36 m² occupées par quatre personnes. Tandis que sont affectées six à neuf personnes dans des dortoirs de 32,48 m². Douze couchages, sous la forme de six lits superposés, y sont disposés. Dans ces dortoirs, le mobilier se résume à « une table rectangulaire en bois, huit tabourets en matière plastique » et « un placard commun à tous ». Les conditions d’hygiène sont par ailleurs déplorables. Dans l’un des dortoirs, l’expert a noté que la salle d’eau est constituée d’un « lavabo cassé sans bonde et d’une douche sans pommeau »,
le tout « dans un espace non carrelé » marqué par une « floraison de salpêtre particulièrement abondante ». L’expert décrit également une cellule de 6 m² qui ne dispose pas de fenêtre : l’air et la lumière ne pénètrent qu’à travers des « lames verticales de béton orientées formant claustras », qui, selon certains prisonniers, laissent aussi passer la pluie. L’expert a par ailleurs noté l’absence de « ventilation traversière » dans les locaux de détention, ce qui engendre une température élevée malgré la présence de ventilateurs. Il a également remarqué que « le manque de prises électriques conduit les détenus à fabriquer des montages avec des rallonges et des multiprises à partir de l’alimentation de la télévision », ce qui représente un « risque réel » pour les personnes. In fine, l’ensemble des locaux de détention est qualifié de vétuste et les quelques travaux réalisés, « souvent de piètre qualité, (…) ne conduisent pas à une amélioration des lieux ». La peinture appliquée aux murs extérieurs « ne tient pas », les coursives sont « sinistres du fait de leur absence de remise en
peinture », les escaliers « ne sont pas aux normes et présentent des risques de chute pour les usagers ». Dans un document remis à l’expert, l’administration pénitentiaire admet ces différents constats, mais présente en revanche comme un « atout » le « mode d’hébergement collectif » prédominant au sein de l’établissement. Même si elles sont « contraire[s] aux normes européennes », les cellules collectives « respectent une donnée essentielle de la culture caribéenne à savoir la vie communautaire » souligne-t-elle, jusqu’à estimer que ce paramètre expliquerait « la sérénité de la population pénale de Basse-Terre, parmi laquelle le nombre de tentatives de suicide et d’automutilations demeure faible ». Les détenus de Basse-Terre seront contents d’apprendre que l’entassement dans des dortoirs insalubres serait respectueux de leur culture…
Suicides en hausse en 2011 L’administration pénitentiaire fait état, dans son « tableau de bord » du 31 janvier 2012, de 116 suicides en détention en 2011, contre 109 en 2010, soit une augmentation de 6,4 %. Le nombre de suicides hors détention, c’est-à-dire à l’hôpital ou en aménagement de peine, a, quant à lui, diminué : 12 en 2010, 7 en 2011. Rapporté à la population écrouée, le taux de suicide en prison est passé en un an de 17,76 pour 10 000 détenus à 18,19. Il était de 18,13 en 2004. Entre temps, deux plans de prévention du suicide ont été mis en œuvre par la Direction de l’administration pénitentiaire. Le premier, couvrant la priode 2004-2008, ambitionnait une
diminution de 20 % du nombre des suicides en cinq ans. Le second, élaboré en janvier 2009, était censé permettre de diviser le nombre de suicides par deux. Dans les deux cas, les mesures se focalisent principalement sur l’empêchement du geste suicidaire, parfois jusqu’à l’absurde (suppression des points d’accroche, placement en cellule sans mobilier, dotation de pyjama en papier indéchirable…). Une politique qui occulte l’indispensable restauration de la personne dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie et s’avère sans impact significatif sur le taux de suicide en détention. Pour autant, les pouvoirs publics se refusent encore à transférer
la responsabilité de la politique de prévention du suicide du ministère de la Justice vers celui de la Santé, comme le préconise le Conseil de l’Europe. Les Règles pénitentiaires européennes réaffirment en effet un principe établi en 1993 par le Comité de prévention de la torture (CPT) : la prévention du suicide relève de la compétence du service public de santé et il revient à ce dernier d’assurer « la mise en place de disposi1 tifs appropriés » au sein des établissements pénitentiaires.
1. Conseil de l’Europe, commentaire de la Règle pénitentiaire européenne 47.
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Centre pénitentiaire de Liancourt
L’Etat condamné pour faute suite à un suicide au quartier disciplinaire Dans un arrêt du 8 décembre 2011, la Cour administrative d’appel de Douai a condamné l’Etat à indemniser la mère et la sœur d’Olivier Tranquille, qui s’était pendu le 24 mars 2006 au quartier disciplinaire du centre pénitentiaire de Liancourt. La Cour a relevé que le jour de son décès, il avait « demandé, à six reprises, aux agents de surveillance, à rencontrer un médecin », mais qu’« aucun des médecins n’a été prévenu » ni de ses demandes d’assistance médicale, ni de sa grève de la faim. La Cour en a conclu que « ces dysfonctionnements, qui n’ont pas permis d’éviter le suicide (…) révèlent des insuffisances dans l’organisation et le fonctionnement du centre pénitentiaire de Liancourt constitutives d’une faute de l’administration pénitentiaire de nature à engager la responsabilité de l’Etat ». Saisie en mai 2006 à la demande de l’OIP, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) avait enquêté
sur les circonstances de ce décès et rendu un avis le 15 janvier 2007. Il en ressortait que le 23 mars 2006, lors de la distribution du repas, Olivier Tranquille s’était plaint à un surveillant de ne pas avoir reçu ses produits commandés en cantine et pour lesquels son compte avait été débité. S’en était suivi une altercation, donnant lieu à l’intervention de plusieurs surveillants appelés en renfort. Gravement blessé au bras, le détenu est alors conduit menotté au service médical de l’établissement puis aux urgences de l’hôpital de Creil. A son retour, il est placé au quartier disciplinaire et informé que deux surveillants ont déposé plainte contre lui pour violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique. Il entame une grève de la faim et remet à un surveillant un courrier à destination de la direction. Le lendemain matin, il actionne six fois l’interphone de sa cellule pour parler
aux surveillants. Il refuse le petit-déjeuner, puis la promenade. Vers 14 heures, lors de la visite habituelle du médecin et de l’infirmière au quartier disciplinaire, Olivier Tranquille est découvert pendu dans sa cellule. Les enquêteurs de la gendarmerie relèvent une inscription sur le mur de sa cellule : « J’ai assez subi des magouilles de la justice. J’ai appelé plein de fois en vain. » La CNDS a estimé qu’Olivier Tranquille manifestait « tous les signes d’une détresse morale et psychologique », mais qu’aucun de ces signes ni aucune de ses demandes n’a été « pris en compte par les surveillants, pas plus que par le gradé en poste fixe au quartier disciplinaire ». La Commission précisant qu’il était « fortement probable que c’est délibérément que les professionnels de santé et la direction, à même d’évaluer la situation et de sortir ce détenu en détresse du QD, [avaient été] tenus à l’écart ».
Rapprochement familial : des ambitions revues à la baisse « Il convient de graver aujourd’hui dans le marbre de la loi le principe du droit au rapprochement familial dans l’établissement pénitentiaire adapté le plus proche du domicile du détenu. » En ces termes avait été déposée une proposition de loi le 5 février 2010 par le député UMP de Haute-Corse Sauveur Gandolfi-Scheit et quatre autres parlementaires. Dans sa version initiale, un unique article prévoyait que « dans tous les cas, les détenus condamnés doivent être incarcérés dans un établissement pénitentiaire situé à moins de 200 kilomètres de leur lieu de résidence au moment de leur arrestation, à moins qu’ils n’en fassent eux-mêmes la 26
demande et que l’administration pénitentiaire juge ladite demande opportune ». Les auteurs semblent néanmoins avoir reculé devant leur propre audace lors de l’examen en commission des lois. Leur proposition s’est ainsi transformée en un simple ajout du maintien des liens familiaux à la liste de critères que l’administration pénitentiaire doit prendre en compte lors des procédures d’affectation de personnes dont la peine restant à subir est supérieure à deux ans : « L’administration pénitentiaire propose à [la personne condamnée], chaque fois que c’est possible, une affectation dans l’établissement
pénitentiaire correspondant à son profil qui est le plus proche de son domicile. Seules peuvent y faire obstacle des considérations liées à la sécurité des personnes et des biens ou au projet d’exécution de la peine. » Tel est formulé le texte adopté en première lecture le 11 janvier 2012 à l’Assemblée nationale, renvoyé à la commission des lois du Sénat. Reste à savoir si la Haute chambre entérinera ce règne du « sauf si » ou entendra donner traduction à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale.
de facto
de facto Entraves répétées aux permissions pour assister aux obsèques de proches Au nom du droit au respect de la vie privée et familiale, le Conseil de l’Europe demande aux Etats membres de veiller à ce que les détenus soient « autorisés à quitter la prison – soit sous escorte, soit librement – pour assister à des obsèques ». La seule limite tient au risque d’évasion, dont la Cour européenne des droits de l’Homme exige cependant qu’il soit spécialement caractérisé et que les autorités expliquent en quoi l’escorte serait insuffisante à le prévenir1. Des exigences insuffisamment respectées en France. Le 17 janvier 2012, un jeune homme de 20 ans, placé en détention provisoire à la maison d’arrêt d’Epinal, s’est vu refuser d’assister aux obsèques de sa mère, au motif d’un « risque d’évasion, compte tenu du profil de la personne : il a été condamné à huit reprises, notamment à trois ans d’emprisonnement pour vol aggravé en récidive légale ». Un risque semble-til relatif, puisque le Parquet est revenu sur sa décision suite au rassemblement des proches du détenu devant la prison. Le procureur a alors accordé au jeune homme une autorisation de sortie sous escorte « dans un but d’apaisement ».
Le processus peut être plus long. Il aura fallu dix mois de demandes répétées à M. P., incarcéré au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède, pour qu’il obtienne, le 7 février 2012, l’autorisation de se rendre sous escorte sur la tombe de son fils, dont il avait appris le décès par la presse. Une première demande adressée au juge de l’application des peines le 3 mai 2011 ne serait jamais arrivée. Une seconde demande a fait l’objet d’un refus, confirmé en appel le 26 juin. Motif : il purge une peine de réclusion criminelle de 18 ans et présente « une dangerosité criminologique significative bien qu’elle soit difficile à évaluer ». Qui plus est, la filiation avec l’enfant décédé ne serait pas établie – elle le sera lors de la troisième décision rendue en août 2011, sans que celle-ci soit pour autant positive. Le refus est alors motivé par le fait qu’au « mois d’avril 2011, il a été découvert dans sa cellule deux armes artisanales » et que cette découverte « établit que [l’intéressé] n’entend pas rompre avec son comportement violent ». Six mois plus tard, l’autorisation lui est finalement accordée sans motivation particulière.
Autre forme d’entrave au respect de la vie privée et familiale : l’interdiction d’assister à la totalité des obsèques. Le 29 septembre 2011, M. M., détenu au centre de détention de Bédenac, a été autorisé à se rendre sous escorte à l’inhumation de sa mère. Mais pas à la mise en bière, ni à la messe. C’est pourtant ce qu’avaient suggéré les personnels de l’établissement dans le formulaire de demande adressé au juge de l’application des peines. Contacté par l’OIP, le magistrat a expliqué avoir été confronté pour la première fois à une telle demande, et avoir pensé qu’il n’était pas possible que l’escorte reste présente durant la cérémonie religieuse. N’ayant pas été averti de cette décision, M. M. s’est préparé le jour des obsèques pour un départ à l’heure initialement prévue. Personne ne venant le chercher, il s’est effondré, et lorsque l’escorte est arrivée plusieurs heures après, M. M. a refusé de partir et demandé une prise en charge médicale immédiate. Il est resté hospitalisé une semaine.
Maison d’arrêt de Séquedin
Un jeune schizophrène incarcéré près de deux mois pour des faits mineurs dont il a été relaxé en appel Le 9 mars 2012, la Cour d’appel de Douai a relaxé M.E., atteint d’une psychose schizophrénique et incarcéré depuis le 20 janvier à la maison d’arrêt de Séquedin. Il avait été condamné en première instance à quatre mois de prison ferme pour des faits d’outrage et de menaces à l’encontre des forces de l’ordre remontant au 4 novembre 2010. Le tribunal l’avait jugé par défaut (en son absence et sans avocat) et sans qu’aucune expertise psychiatrique n’ait été réalisée. A l’époque des faits, dont M.E. n’a plus aucun souvenir, il ne bénéficiait
d’aucune prise en charge médicale. Deux semaines plus tard, il avait été hospitalisé sous contrainte en raison d’« un syndrome délirant avec idée de référence, adhésion totale au délire et participation anxieuse importante avec risque de passage à l’acte auto-agressif ». Entre sa condamnation et son incarcération, dix mois s’étaient écoulés, au cours desquels M.E. était de nouveau pris en charge et avait retrouvé un équilibre. Ses proches avaient transmis en urgence au tribunal des certificats médicaux attestant de son état mental. Contacté le 2 février
2012 par l’OIP, le service de l’exécution des peines du parquet de Lille avait indiqué que ces documents ne seraient probablement pas pris en compte, dans la mesure où « la politique générale du parquet de Lille veut que tout mandat d’arrêt soit exécuté ». C’est ainsi que M.E. a passé 48 jours en détention, un milieu qui « peut entraîner la décompensation d’une psychose », comme le rappelle l’équipe de soins chargée de son suivi à l’extérieur.
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Respect de la déontologie : l’OIP interpelle le ministre de la Justice L’OIP a adressé le 24 février une lettre ouverte au garde des Sceaux, en réaction à un tract du syndicat FO-pénitentiaire du 16 février protestant contre une nouvelle tarification des produits vendus en cantine. Le secrétaire général adjoint dénonce une mesure trop favorable à « ces voyous qui ne respectent rien », venant « conforter la voyoucratie et l’école du crime ». Il regrette l’instauration de prix « défiant toute concurrence » pour « de la fripouille condamnée par la Justice Française » ou encore pour ces « crapules qui remplissent nos détentions ». Les prisons deviendraient par là-même des « Fouquet’s carcéraux » dans lesquels il ferait bon vivre « tellement le confort y est excellent ». Des propos injurieux et indignes de fonctionnaires d’Etat, contrevenant à l’article 15 du Code de déontologie adopté par un décret du 30 décembre 2010 signé de Michel Mercier. Il prévoit notamment
que « le personnel de l’administration pénitentiaire a le respect absolu des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire et de leurs droits. (…) Il ne doit user ni de dénomination injurieuse, ni de tutoiement, ni de langage grossier ou familier ». Applicable à « tout agent de l’administration pénitentiaire, en contact ou non avec les personnes placées sous main de justice » (circulaire du 17 février 2011), le Code de déontologie dispose que « tout manquement aux devoirs définis par le présent code expose son auteur à une sanction disciplinaire ou au retrait (…) du titre en vertu duquel il intervient au sein des services de l’administration pénitentiaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale » (article 6). L’OIP rappelle que la liberté d’expression et la liberté syndicale constituent des droits fondamentaux garantis par la Constitution qu’il convient de protéger, mais qui ne sont pas sans limites. Afin de préserver
« la réputation ou [l]es droits d’autrui » (article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme), le législateur a prévu pour les syndicats que « le contenu des affiches, publications et tracts est librement déterminé par l’organisation syndicale, sous réserve de l’application des dispositions relatives à la presse » (article L2142-5 du Code du travail). Loin d’un « comportement appliquant les principes de “respect absolu” et “d’exemplarité” » (article 30 du Code de déontologie), le tract de FO-pénitentiaire vient encore une fois opposer les intérêts des personnes détenues à ceux des personnels, ignorant les missions de réinsertion et de prévention de la récidive de l’administration pénitentiaire, tout autant que l’intérêt pour les conditions de travail des personnels de voir améliorés les conditions de détention et le respect de la dignité des personnes détenues.
Contrôleur général : rapport de visite de la maison d’arrêt de La Santé « Les personnes détenues partagent toutes des conditions de vie dégradées du fait de l’état délabré de la plupart des cellules. La dégradation affecte les murs, souvent décrépis et humides, les sols au revêtement défaillant ou absent, les sanitaires, la fermeture défectueuse des fenêtres, la température ambiante. » Ainsi sont décrites les conditions de détention à la maison d’arrêt de la Santé lors d’une visite en décembre 2009, relatée dans un rapport du Contrôleur général du 3 février 2012. La maison d’arrêt se caractérise également par ses deux régimes de détention : celui des « divisions », où l’encellulement individuel est de mise. « Les cellules sont toutefois si petites (6,9 m²) qu’il était vain d’y tenter d’y mettre plus d’une personne : ce paradoxe permet aujourd’hui à la Santé d’avoir une part de détenus en “individuel” plus élevée que dans toute autre maison d’arrêt », notent les contrôleurs. Ces cellules « sont équipées d’un lit métallique rabattable, qui peut être maintenu fermé contre le 28
mur à l’aide d’un crochet. D’une longueur de 1,80 m, le lit ne permet pas aux personnes les plus grandes de s’y allonger totalement ». Y sont prioritairement affectées « les personnes appartenant à une mouvance terroriste, les détenus particulièrement signalés et celles dont la personnalité est jugée incompatible avec le régime collectif du bloc, notamment en raison de leur personnalité, de leur profil de délinquance ou de leur passé carcéral ». Dans le bloc A, les trois autres ayant été fermés successivement depuis 2004 en raison de leur vétusté, « le risque est de voir se concentrer (…) tous les “détenus sans qualités”. Le responsable du quartier relève que 40 % des détenus qui s’y trouvent ne parlent pas français ». Ils cohabitent à trois, parfois quatre dans la même cellule, sachant que dans ce bloc, la séparation des prévenus et des condamnés n’est pas respectée. Dans cet établissement hors norme, tant par sa localisation en plein centre de Paris que par la population qu’il
héberge, « il existe d’évidence certaines souplesses, voulues pour compenser la dégradation des lieux, qui sont un facteur important de baisse des tensions et qui s’accompagnent de dialogues parfaitement voulus, parfois destinés à se substituer à des mesures brutales et moins pédagogiques ». Dans le bloc A, les contrôleurs ont néanmoins observé des coursives parfois « vides de toute surveillance », les personnels se regroupant au rez-de-chaussée « pour bavarder ». « Tout se passe comme si l’objectif des relations à maintenir entre personnel et population pénale n’était pas partagé par tous les agents. » Les « incertitudes prolongées sur le devenir de l’établissement », dont la fermeture était envisagée, « ont pesé lourdement sur les conditions de vie dans l’établissement, qui n’a bénéficié d’aucun investissement important ». La rénovation complète des lieux est annoncée pour 2017.
de facto
en droit La détention de personnes atteintes de troubles mentaux dénoncée par la Cour européenne des droits de l’Homme Le 6 décembre 2011, la Cour européenne a condamné la Belgique pour le maintien en détention ordinaire d’un détenu souffrant de maladie mentale ayant fini par se suicider1. Moins de trois mois plus tard, c’était au tour de la France d’être sanctionnée par les juges européens pour avoir maintenu en détention pendant quatre ans une personne atteinte 2 de schizophrénie chronique . La Cour rappelle certes que l’emprisonnement des personnes souffrant de troubles mentaux n’est pas interdit par principe par la Convention : « On ne peut déduire de l’article 3 de la CEDH une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé ou de le transférer dans un hôpital civil, même s’il souffre d’une maladie particulièrement difficile à soigner. » Pour autant, elle estime que « le manque de soins médicaux appropriés, et, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peut en principe constituer un traitement contraire [aux droits garantis par la Convention] ». En ce sens, les deux arrêts témoignent de limites de plus en plus strictes, posées par la Cour européenne, au maintien en détention de personnes atteintes de troubles psychiatriques graves.
Une obligation de protéger la personne suicidaire Pour conclure à la violation de l’article 2 de la CEDH, le premier arrêt (De Donder et De Clippel c/Belgique, 6 décembre 2011) relève que les autorités ne pouvaient pas ignorer le risque que M. De Clippel attente à sa vie en détention. La Cour souligne de façon générale que « la vulnérabilité des détenus s’exprime spécifiquement au regard du suicide, le taux de suicides étant, en Belgique comme dans d’autres pays, nettement plus élevé dans la population carcérale que dans la population générale ». Elle précise ensuite que M. De Clippel était doublement vulnérable puisque atteint de schizophrénie paranoïde, pathologie pour laquelle le risque suicidaire 1. Cour EDH, De Donder et De Clippel c/Belgique, 6 décembre 2011, n° 8595/06. 2. Cour EDH, G. c/France, 23 février 2012, req. n° 27244/09.
La Cour européenne des droits de l’homme estime que « le manque de soins médicaux appropriés, et, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peut en principe constituer un traitement contraire [aux droits garantis par la Convention] ».
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est particulièrement élevé. Elle souligne enfin que sa maladie était connue des autorités, le substitut du procureur ayant notamment signalé que l’intéressé devait être placé dans l’annexe psychiatrique de la prison. En second lieu, la Cour relève que les autorités n’ont pas fait tout ce qui pouvait raisonnablement être attendu pour prévenir le risque de suicide, M. De Clippel ayant été placé dans les quartiers ordinaires d’un établissement pénitentiaire au sein desquels il n’a pas bénéficié d’un encadrement et de thérapies adaptés à son état. Si son placement en détention ordinaire s’explique notamment pas un manque chronique de places dans les établissements spécialisés et les annexes psychiatriques des prisons belges, de telles circonstances « ne sauraient exonérer un Etat partie de ses obligations au regard de l’article 2 de la Convention, sauf à admettre qu’il puisse se dégager de sa responsabilité par le jeu de ses propres défaillances ». Quelle qu’en soit la raison, le maintien d’une personne atteinte de graves troubles psychiatriques connus de l’administration dans des locaux de détention inadaptés à son état est ainsi susceptible de violer le droit à la vie. Et ce, quand bien même cette personne n’aurait pas (encore) attenté à ses jours, cette violation étant constituée dès lors que les autorités ont méconnu « l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu » contre un risque de suicide sérieux et avéré.
carence de soins qui est en cause. Atteint d’une psychose chronique de type schizophrénique, M. G. avait fait l’objet de soins réguliers durant sa détention, que ce soit dans le cadre de placements en hôpital psychiatrique ou lors de séjours au sein du SMPR de la maison d’arrêt des Baumettes. Pour la Cour européenne, « l’extrême vulnérabilité du requérant appelait (...) des mesures aptes à ne pas aggraver son état mental, ce que n’ont pas permis les nombreux allers-retours de celuici entre la détention ordinaire et ses hospitalisations ». Dès lors, « il était vain d’alterner les séjours à l’hôpital psychiatrique et en prison, les premiers étant trop brefs et aléatoires, les seconds incompréhensibles et angoissants pour le requérant, dangereux pour lui-même et autrui ». Ce faisant, la Cour estime que « l’alternance des soins, en prison et dans un établissement spécialisé, et de l’incarcération faisait manifestement obstacle à la stabilisation de l’état de l’intéressé, démontrant ainsi son incapacité à la détention au regard de l’article 3 de la Convention ». En d’autres termes, le milieu carcéral était en soi inadapté à l’état de santé de M. G. et a entravé le traitement médical nécessaire, lui infligeant par là-même une souffrance d’une intensité incompatible avec les stipulations de l’article 3. C’est ainsi qu’avec l’arrêt G. c/France, une étape vers la reconnaissance d’un droit à l’hospitalisation semble avoir été franchie au profit des personnes détenues atteintes de troubles psychiatriques graves. Nicolas Ferran
Un droit à l’hospitalisation pour les condamnés atteints de grave trouble psychiatrique ? Dans le second arrêt (G. c/France, 23 février 2012), la Cour européenne condamne la France sur le fondement de l’article 3 de la CEDH au motif que la détention pendant quatre ans du requérant, atteint de graves troubles psychiatriques, constitue un traitement inhumain et dégradant. La France avait déjà été sanctionnée pour l’emprisonnement d’une personne souffrant de troubles mentaux sévères, dans un arrêt Rivière c/France, du 11 juillet 2006. La Cour européenne avait estimé que « l’état d’un prisonnier dont il est avéré qu’il souffrait de graves problèmes mentaux et présentait des risques suicidaires, même si jusqu’à présent ceux-ci ne se sont pas réalisés, appelle des mesures particulièrement adaptées en vue d’assurer la compatibilité de cet état avec les exigences d’un traitement humain, quelle que soit la gravité des faits à raison desquels il a été condamné ». Les juges avaient relevé que la détention du requérant « sans encadrement médical actuellement approprié, constitu[ait] une épreuve particulièrement pénible et l’a[vait] soumis à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ». Ce sont ainsi l’insuffisance des soins médicaux prodigués à M. Rivière, de même que son incarcération dans des conditions manifestement inadéquates, qui avaient motivé la condamnation. Avec l’arrêt G. c/France, la Cour européenne semble aller encore un peu plus loin. Dans cette affaire, ce n’est pas la
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en droit
en droit Des prisons inadaptées au handicap Par ordonnances du 20 décembre 2011, le juge des référés du Tribunal administratif de Melun a condamné l’Etat à verser une provision de 1 000 à 5 000 euros à sept personnes en fauteuil roulant qui avaient été détenues à la maison d’arrêt de Fresnes pendant plusieurs mois dans des conditions à la fois indignes et inadaptées à leur handicap3. Cet établissement avait déjà été sanctionné en 2006 par la Cour européenne des droits de l’Homme pour des faits similaires4. Rappelant « le droit de tout prisonnier à des conditions de détention conformes à la dignité humaine », les juges européens avaient estimé que le fait pour une personne paraplégique de ne pas pouvoir se déplacer dans l’établissement, ni même franchir les portes de sa cellule dans son fauteuil ou utiliser les douches, était constitutif d’un traitement dégradant. La situation ne semble guère s’être améliorée à la maison d’arrêt de Fresnes en dépit de l’admonestation de la Cour européenne. S’appuyant sur un rapport d’expertise récent, le juge des référés du TA de Melun relève ainsi que « la largeur du dégagement central ne permet pas le croisement de deux fauteuils, obligeant l’un des occupants à sortir pour que l’autre puisse emprunter la porte, que les cellules médicalisées sont accessibles avec d’importantes difficultés aux détenus en fauteuil, que le module
aménagé en pièce toilette présente des dispositions insuffisantes d’aération et de ventilation ; que l’installation électrique présente des caractéristiques de non-conformité avec risques d’accidents de personnes ; que les parloirs, les locaux de soins, la bibliothèque, la salle de culte et les installations sanitaires complétant la salle de sport et de détente sont inaccessibles aux détenus en fauteuil roulant ». C’est donc sans surprise que les conditions dans lesquelles avaient été détenus les requérants ont été regardées par le juge des référés comme attentatoires à la dignité humaine. Les sept ordonnances du TA de Melun viennent aussi témoigner de recours plus fréquents de la part des personnes détenues souffrant de handicap. En juillet 2010 et en juin 2011, l’Etat français avait déjà été condamné par les juridictions administratives pour les conditions dans lesquelles des personnes en fauteuil avait été détenues respectivement à la maison d’arrêt d’Amiens5 et au centre pénitentiaire des Baumettes6. En février 2012, c’était au tour de la maison d’arrêt de Loos d’être mise en cause par le Tribunal administratif de Lille7. Par leur retentissement, tant juridique que médiatique, les sept nouvelles condamnations de Melun entraîneront certainement dans leur sillage de nouveaux recours...
3. TA Melun, 20 déc. 2011, n° 1104627, 1104631, 1104635, 1104645, 1104646, 1104647 et 1104648. 4. Cour EDH, 24 oct. 2006, Vincent c/France, n° 6253/03.
5. CAA Douai, 1er juil. 2010, Garde des sceaux, n° 10DA00079. 6. TA Marseille, 27 juin 2007, M.T., n°1102260 7. TA Lille, 1er fév. 2012, V., n° 0900486 et 0901238.
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Prévention de la récidive :
le retard français Choix de la mesure pénale, évaluation des risques et des besoins, programmes et méthodes de suivi… A chaque moment du parcours d’une personne condamnée, les décisions prises peuvent être guidées par un critère d’efficacité sur la prévention de la récidive et la réinsertion. La France ne développe néanmoins aucune étude établissant « ce qui marche » et ignore superbement les résultats issus de 40 ans de recherche internationale. Conséquence : des lois contre-productives, des contresens sur l’évaluation des risques et des pratiques professionnelles artisanales.
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prévention de la récidive : le retard français
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Si la France se distingue d’autres pays occidentaux en matière de prévention de la récidive, c’est par le manque de recherche, la pauvreté des connaissances et donc la quasi-absence de repères rationnels pour guider tant les politiques pénales que les pratiques professionnelles. « Nous travaillons en aveugles », peut-on souvent entendre auprès des juges de l’application des peines (JAP) et des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP).
Pénurie de recherche Les données connues en France sont le taux de condamnés pour délits en « réitération » (28,4 % en 2009), ainsi que le taux de condamnés pour crime en « récidive légale » (4,6 %, soit 126 personnes)1. Plusieurs études ont été menées sur les taux de « recondamnation » dans les cinq ans suivant la sortie de prison. La dernière en date, conduite à partir d’une cohorte de 8 419 détenus libérés en 2002, aboutit à un taux moyen de recondamnation de 59 %2. Ce taux est plus important pour les auteurs de petits délits (74 % pour les auteurs de vol simple, 32 % pour les auteurs d’homicide, 19 % pour les auteurs de viol sur mineur). Il est plus faible lorsque les personnes ont bénéficié d’une libération conditionnelle (39 %) ou d’une peine alternative (45 %) qu’en cas d’aménagement de peine sous écrou (surveillance électronique, placement extérieur, semi-liberté : 55 %) ou de libération en fin de peine 1. Annuaire statistique de la Justice, édition 2011-2012. 2. A. Kensey, A. Benaouda, « Les risques de récidive de sortants de prison. Une nouvelle évaluation », Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, n° 36, mai 2011.
sans aménagement (63 %). La France ne dispose pas de données plus précises sur les facteurs de réitération d’un acte délinquant, alors que la recherche internationale a dégagé à grande échelle toute une série de facteurs de risque tenant au passé pénal, au parcours personnel, à l’âge, aux facteurs sociaux (absence d’emploi, échec scolaire, manque de loisirs…), à l’environnement (lieu de vie, relations dans le milieu délinquant, difficultés dans la vie de couple ou de famille…), aux traits de personnalité et à des facteurs cliniques (addiction, distorsions cognitives, estime de soi…). Seuls ces résultats permettent pourtant d’élaborer de véritables outils d’évaluation, afin de mesurer une probabilité de risque de récidive, mais aussi d’indiquer les facteurs sur lesquels cibler l’accompagnement pour réduire ces risques.
Evaluations hasardeuses En l’absence d’outils fondés sur une recherche solide, les évaluations de la « dangerosité » à la française empruntent non seulement à un concept douteux, mais sont aussi dénuées de fondement scientifique. Les méthodes cliniques (qui sont celles utilisées par les psychiatres en France) ont été désignées à maintes reprises par la recherche internationale comme « inefficaces non seulement à évaluer les risques de récidive, mais aussi à orienter la réponse pénale ou l’accompagnement », comme le souligne la juriste Martine Herzog-Evans. Les chercheurs qualifient l’évaluation clinique « d’informelle, subjective et impressionniste ». Ils lui reprochent de « manquer de spécificité dans la définition des critères utilisés » : les critères ne sont pas spécialement adaptés aux auteurs d’infractions Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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dossier Les évaluations de la « dangerosité » à la française empruntent non seulement à un concept douteux, mais sont aussi dénuées de fondement scientifique. Les chercheurs qualifient l’évaluation clinique « d’informelle, subjective et impressionniste ». pénales. En outre, les cliniciens « fonderaient leurs jugements sur des corrélations illusoires » et ne « tiendraient pas compte, à tort, des informations relatives à la situation et au milieu de vie3 ». Alors que des facteurs tels que l’absence d’emploi, le manque de loisirs et l’influence de « pairs » inscrits dans la délinquance apparaissent comme déterminants, ils sont largement passés sous silence dans les évaluations des psychiatres. C’est ainsi que des décisions telles qu’un placement en rétention de sûreté ou un refus d’aménagement de peine peuvent être prises sur des fondements fantaisistes au regard des données acquises par la recherche internationale sur la récidive, le tout dans une perspective de neutralisation ne connaissant plus beaucoup de limites en France. A titre d’exemple, l’absence de reconnaissance des faits ou d’empathie pour la victime constituent des critères dominants dans les pratiques françaises, alors qu’ils ne constituent pas des facteurs déterminants du risque de récidive4.
Méthodes de suivi artisanales Du côté des CPIP, une évaluation est également réalisée en début de suivi, ce qui correspond davantage à une réalité en milieu ouvert qu’en milieu fermé. Alors qu’ils ne disposaient jusqu’alors d’aucun outil commun, les conseillers se voient aujourd’hui imposer un « diagnostic à visée criminologique » aucunement élaboré sur la base des résultats de la recherche. Il présente l’inconvénient de limiter l’évaluation au remplissage d’une grille, sans l’avantage de fournir au professionnel un quelconque résultat, permettant de l’aiguiller sur l’intensité nécessaire du suivi et sur les axes de travail à privilégier avec la personne. Les méthodes d’accompagnement restent également empiriques : les CPIP sont peu formés aux techniques d’entretien (notamment « motivationnelles »), ne disposent pas de véritables programmes dont l’efficacité sur la récidive et la réinsertion aurait été prouvée, même si des groupes de parole intitulés « programmes de prévention de la récidive » sont à présent développés… Leurs conditions de travail ne permettent pas un accompagnement 3. D. Giovannangelli, JP. Cornet, C. Mormont, Etude comparative dans les 15 pays de l’Union européenne : les méthodes et les techniques d’évaluation de la dangerosité et du risque de récidive des personnes présumées ou avérées délinquants sexuels, Université de Liège, sept. 2000. 4. R. K. Hanson et K.E. Morton-Bougon, « The characteristics of persistent sexual offenders : A meta-analysis of recidivism studies », Journal of Consulting and Clinical Psychology, n° 73, 2005. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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approfondi, qui nécessiterait de limiter le nombre de probationnaires à 25-40 par agent, alors que ce ratio se situe le plus souvent dans une fourchette de 80-150 aujourd’hui. Les CPIP « manquent de temps pour diversifier leurs sources d’information, sont de plus en plus dissuadés d’effectuer des visites à domicile, qui peuvent être déterminantes pour comprendre la situation du probationnaire. Ils manquent de formation leur donnant les repères théoriques nécessaires à l’analyse des problématiques des personnes. Rien ne vient guider leur posture professionnelle, quand les Règles européennes relatives à la probation vantent les mérites de la co-construction de l’évaluation [et du suivi] avec le probationnaire5 » Les professionnels français manquent de tout, ce qui n’empêche pas certains de développer des pratiques certes artisanales, mais individualisées et permettant d’allier travail social et approche criminologique, ce qui a pu être négligé par les anglo-saxons dans le cadre des programmes cognitivo-comportementaux.
La science au service de quel système pénal ? Les données issues des recherches du « What Works ? » permettent d’identifier ce qui marche le mieux, pour qui et à quelles conditions, en termes de réponse pénale et méthodes d’accompagnement des auteurs d’infraction. Elles démontrent en premier lieu la contre-productivité de l’emprisonnement et des mesures de simple surveillance : « Rien ne semble favoriser le recours à des mesures punitives ou répressives pour décourager les comportements criminels. La surveillance intensive et l’incarcération ne permettent pas de réduire la récidive. Les programmes sévères sont peu susceptibles de modifier les comportements criminels des délinquants à risque moyen ou élevé, à moins qu’ils ne prévoient la prestation de programmes de traitement », indique James Bonta, l’un des chefs de file du « What Works ? »6. Une méta-analyse de 2002, réalisée sur la base de 111 études (représentant un échantillon de plus de 442 000 délinquants) conclut également que « les sanctions pénales plus rigoureuses n’ont pas d’effet dissuasif sur la récidive », et que, « contrairement aux sanctions communautaires, l’incarcération est liée à une augmentation de la récidive ». Les chercheurs en déduisent, à l’attention du Solliciteur général du Canada, que « l’inefficacité des stratégies punitives pour réduire la récidive confirme la nécessité d’axer les ressources vers des méthodes différentes appuyées par des preuves. Les programmes de réadaptation fondés sur les recherches offrent une bonne solution de rechange en ce qui a trait à la diminution du taux de récidive7 ». Une perspective de réhabilitation qui permettrait d’utiliser nombre d’outils d’évaluation, de programmes cognitivo-comportementaux, mais aussi de nouvelles méthodes plus humanistes telles le « Good Lives Model », sans que de tels outils ne viennent être dévoyés dans un pur objectif de classification des personnes et de neutralisation de celles considérées comme les plus « à risque ». « On peut faire le pire et le meilleur avec n’importe quel outil. Tout dépend de la culture et du système juridique dans lesquels il s’inscrit », rappelle Martine Herzog-Evans. Sarah Dindo
prévention de la récidive : le retard français
Evaluation :
sortir de l’artisanat Les « évaluations de la dangerosité » pratiquées en France relèvent du pire des systèmes, selon la juriste Martine Herzog-Evans, qui invite les pouvoirs publics à s’inspirer des données scientifiques issues de 60 ans de recherche internationale sur les pratiques efficaces en matière pénale. Elle estime que les outils actuariels, les plus fiables à évaluer les risques et les besoins, ne sont pas à condamner en tant que tels mais pour l’utilisation qui peut en être faite dans des contextes ultra-répressifs. Martine Herzog-Evans est professeur à l’Université de Reims, auteur du Droit de l’exécution des peines (Dalloz), d’un Droit pénitentiaire à paraître (avril 2012) et de nombreux articles et ouvrages en criminologie.
© Anthony Voisin
En France, il est demandé aux psychiatres de procéder à des « évaluations de la dangerosité », aux conseillers de probation de réaliser un « diagnostic à visée criminologique » (DAVC)… Quelle est la nature de ces différentes évaluations ? Le DAVC n’est ni un outil actuariel, ni même un véritable outil d’évaluation, car il n’aboutit à aucun résultat en termes de risques de récidive, contrairement à ce que veulent faire croire ses promoteurs ainsi que les politiques. Quant aux expertises psychiatriques, elles se rangent parmi les évaluations « cliniques », visant à dresser un portrait global de la personne, sans cadre structuré, sans utiliser de grille avec des items validés scientifiquement comme pertinents pour tel type de délinquance ou de situation. Quelles sont les conclusions des recherches sur la pertinence des évaluations cliniques ? Depuis le début des années 1950, la recherche internationale a montré que les méthodes cliniques sont inefficaces non seulement à évaluer les risques de récidive, mais aussi à orienter
la réponse pénale ou l’accompagnement1. Il est démontré que les évaluations cliniques sont empreintes de préjugés et de biais. En l’absence d’une grille structurée pour conduire l’entretien, l’évaluateur accorde plus d’importance à ce qui va dans le sens de ses idées préconçues ou de son impression générale. Il privilégie des éléments qui ne constituent pas des facteurs significatifs dans la réitération d’un acte délinquant. Par exemple, le déni des faits ou l’absence d’empathie pour la victime ne constituent pas nécessairement des facteurs significatifs, au point que certains concepteurs d’outils actuariels les ont retirés de leurs grilles. Or, ce critère est largement pris en compte dans les évaluations cliniques en France, venant notamment appuyer des refus d’aménagement de peine, ce qui constitue une erreur fondamentale au regard des résultats de la recherche. Par ailleurs, tout ce qui a trait à l’enfance et à la vie de couple prédomine tellement pour les psychiatres français, qu’ils en occultent des facteurs tels le passé pénal ou tout ce qui relève de l’environnement de la personne, de son statut social, de son niveau scolaire… Par exemple, l’influence des « pairs délinquants » est fort négligée, y compris par les conseillers d’insertion et de probation. Alors que les anciens délinquants citent ce facteur en premier et que l’éloignement des pairs est l’un des facteurs les plus importants de l’arrêt de la carrière 1. P. Meehl, Clinical versus Statistical Prediction : A Theoretical Analysis and a Review of the Evidence, Minneapolis University of Minnesota Press, 1954, 1963 et 1996 ; R. Blackburn, The Psychology of Criminal Conduct, Wiley, 1993 ; D. Tversky et A. Kahneman, “Judgment uncertainty : heuristical biases”, Sciences, 1974 ; B.J. Ennis and T.R. Litwack, “Psychiatry and the presumption of expertise : Flipping coins in the courtroom”, California Law Review, 1974 ; J. Monahan, Predicting Violent Behaviour : An Assessment of Clinical Techniques, 1981 ; R.J. Menzies, C.D. Webster, S. McCain, S. Staley et R. Scaglione, “The dimensions of dangerousness revisited : Assessing forensic predictions about criminality and violence”, Law and Human Behaviour, 1994. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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dossier essentiellement par méconnaissance de ce que recouvre ce terme pour la recherche internationale. La « criminologie » est également réprouvée car assimilée à une approche réactionnaire telle qu’on la connaît en France, celle qui appréhende le crime sous le seul prisme de la responsabilité de l’individu, occultant les facteurs sociaux et environnementaux. Pourtant, les travaux en criminologie appliquée, les outils d’évaluation et programmes développés dans d’autres pays intègrent largement les facteurs environnementaux du passage à l’acte délinquant. Bien plus que les méthodes cliniques françaises… © Bernard Le Bars
délinquante. La capacité à élaborer ou les facultés cognitives sont également très importantes, ce que les cliniciens français n’ont pas véritablement intégré. Un psychiatre vérifie surtout si la personne est atteinte d’une maladie mentale (sur la base de grilles bien spécifiques, d’ailleurs). Cet aspect prend une place prépondérante dans les « évaluations de la dangerosité », lesquelles indiquent souvent grosso modo que l’individu « n’est pas un malade mental, mais il nie les faits, donc il est dangereux ». En outre, le repérage de la psychopathie est défaillant en France, alors qu’il s’agit d’un facteur prépondérant dans la délinquance violente ou sexuelle, dont l’évaluation est soit incluse soit posée comme pré-requis dans le cadre des évaluations actuarielles. Le manque de connaissances criminologiques des psychiatres français apparaît notamment dans le cadre des Commissions pluridisciplinaires des mesures de sûreté, où deux de mes étudiants ont pu observer, par exemple, une conviction récurrente selon laquelle les délinquants sexuels récidiveraient toujours, ce qui conduit à des avis négatifs2. Alors que certaines formes de délinquance sexuelle ont au contraire un taux de récidive quasiment nul, il faut distinguer en fonction de l’âge, du contexte, du type de délinquance… Quelle est la différence d’approches entre une évaluation de la « dangerosité » et une évaluation des « risques » ou des « facteurs de risques » ? La dangerosité est un terme flou et peu opérationnel. Les Anglais lui préfèrent la notion de « risque de causer un préjudice grave à autrui » (serious harm), plus objective et simple à définir. Ils cherchent dès lors à évaluer à la fois la présence de facteurs de risques (facteurs répertoriés par la science comme favorisant le passage à l’acte délinquant, tels qu’une addiction, un milieu relationnel délinquant, etc.) et à équilibrer leur appréciation en tenant compte des facteurs positifs (éléments favorables à une absence de réitération, tels qu’une famille soutenant la réinsertion…). Les Français ont tendance à se braquer sur la notion de « risques », 2. A. Morice et N. d’Hervé, Justice de sûreté et gestion des risques. Approche pratique et réflexive, L’Harmattan, 2010. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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Qu’est-ce qu’un outil actuariel ? Quels sont les éléments identifiés par la recherche comme des « facteurs de risques » et que les outils actuariels intègrent ? Un outil actuariel est une grille avec des items à remplir, qui repose sur des techniques mathématiques utilisées en science des probabilités, notamment pour le secteur des assurances. Par exemple, les femmes ont tendanciellement moins d’accidents de voiture, alors que les jeunes hommes jusqu’à 25 ans sont ceux qui en ont le plus… Personne ne trouve à redire à l’application de l’actuariat dans l’assurance, qui permet d’évaluer la probabilité de risques. En matière criminelle, les outils recourent de la même façon à des équations, en utilisant les facteurs identifiés à grande échelle dans la réitération d’actes délinquants. Une fois rempli, l’outil actuariel indique un pourcentage de risque de réitération. D’autres outils de « clinique structurée » ou « semi-actuariels » aboutissent, pour leur part, à un niveau de risque « faible-moyen-élevé ».
« On peut faire le pire et le meilleur avec n’importe quel outil, y compris avec une évaluation clinique. Tout dépend de la culture et du système juridique dans lesquels l’évaluation s’inscrit ». Ces différents outils prennent en compte les facteurs de risque, et certains incluent aussi les facteurs protecteurs. Parmi les facteurs « statiques », figure en premier lieu le passé pénal : âge de la première infraction, nombre de condamnations, nature des infractions… Sont aussi pris en compte des facteurs qui tiennent à l’enfance : mesures de placement, séparation des parents, type d’éducation… Parmi les « facteurs dynamiques », figurent les relations amicales liées à la délinquance, le contexte dans lequel la personne les fréquentent, si elle sait leur dire non… mais aussi le lieu du domicile, les éventuelles difficultés dans la vie de famille, de couple… L’identification de ces facteurs et de leur importance repose sur des études longitudinales, qui suivent des cohortes de milliers de personnes pendant des dizaines d’années, ce qui n’existe pas en France. Une étude conduite par le professeur Farrington et son laboratoire, comportant des cohortes anglaises et
prévention de la récidive : le retard français américaines, se poursuit ainsi depuis 40 ans3 ; ils en sont à la troisième génération de personnes condamnées. Un nombre de données incroyable est collecté, si bien que les grands facteurs de risques et de « besoins » sont désormais connus, mais les chercheurs procèdent encore à un affinage des items, une différenciation en fonction du type de délinquance… Comment ont évolué les différentes générations d’outils actuariels ? Les outils de première et deuxième génération se basent essentiellement sur des facteurs « statiques », c’est-à-dire qui ne peuvent pas évoluer : âge de la première infraction, place dans la fratrie… Ceux de troisième et quatrième génération se fondent aussi sur des « facteurs dynamiques », sur lesquels il est possible d’agir : emploi, formation, vie familiale… Ils incluent également les facteurs cognitifs, qui correspondent aux représentations et valeurs venant justifier la commission de l’infraction pour son auteur. Parmi les facteurs dynamiques, on introduit désormais une subdivision entre facteurs stables et instables (qui peuvent changer très rapidement). Cela permet de repérer si à très court terme les facteurs de risque sont accrus (conflit conjugal, mise en ménage avec une personne ayant de jeunes enfants, consommation de drogue ou d’alcool…), ce qui nécessite d’adapter le suivi et le contrôle.
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Le principal apport des outils de troisième et quatrième générations est de ne pas se contenter d’évaluer les risques, mais aussi d’orienter le suivi ou le traitement en mettant en évidence les principaux facteurs sur lesquels travailler. Certains items sont plus subjectifs, tels celui sur la qualité de la relation de couple : deux évaluateurs peuvent avoir des représentations très différentes en la matière ! L’utilisation de ces outils plus sophistiqués suppose dès lors une formation solide, des contrôles de la part des chercheurs ou formateurs, afin que le travail soit régulièrement revu et de nouvelles formations dispensées. D’autant que les outils évoluent en fonction des nouvelles avancées de la recherche. 3. D.P. Farrington (dir.), “Integrated Developmental and Life-Course theories of Offending”, Advances in Criminology Theory, Vol. 14, New Brunswick, NJ, Transaction, 2005.
Nombre de praticiens français contestent la plus grande validité des outils actuariels par rapport à l’évaluation clinique. Qu’en dit la recherche ? Toutes les études internationales confirment la plus grande fiabilité de l’outil actuariel et l’absence de validité de l’évaluation clinique pour l’évaluation des risques. Pour autant, aucun outil n’est fiable à 100 % ; il s’agit de probabilités. Une personne pour laquelle l’évaluation actuarielle a abouti à un score de 65 % de risques pourra ne jamais récidiver et une autre avec un score de 42 % récidiver. Néanmoins, les outils cliniques sont infiniment moins pointus pour faire de la prédiction et pourtant, en France, on leur accorde plus de crédit ! En outre, nous n’avons développé aucune recherche sur l’efficacité des pratiques, en dehors de quelques études sur le traitement des délinquants sexuels par les psychiatres. Par exemple, à aucun moment avant de généraliser les programmes de prévention de la récidive (PPR), il n’a été évalué si les personnes ayant participé à un groupe de parole récidivaient moins que les autres à caractéristiques comparables (groupes « témoin »). De même pour le DAVC : si l’on compare avec la façon dont se met en place un outil d’évaluation ailleurs… On a d’abord des laboratoires spécialisés, qui connaissent les données issues des études longitudinales, avec des spécialistes des statistiques et de l’actuariel, qui proposent une grille, avec des items. Ils effectuent des tests dans le cadre du laboratoire, puis évaluent la fiabilité de l’outil en suivant les condamnés sur 2 ou 3 ans, pour voir s’ils ont récidivé. L’outil est ensuite testé par des praticiens ordinaires, car il y a toujours une perte d’efficacité in situ. De nouvelles évaluations sont conduites… On s’assure que la méthode n’a pas d’effet nocif pour les personnes condamnées. Le tout peut durer une dizaine d’années. Jamais le moindre outil d’évaluation ou programme de suivi n’est généralisé d’un seul coup à tout le pays. Et on n’utilise pas forcément la même méthode pour tous types de délinquants, quelques outils différents sont nécessaires pour s’adapter par exemple aux codes culturels ou au sexe (hommes/femmes)… Qu’est-ce qu’un outil d’évaluation clinique structuré ? Est-il moins efficace que l’outil actuariel ? Quels sont ses avantages ? Cette méthode emprunte les items des outils actuariels, mais le professionnel conduisant l’entretien en déduit lui-même, à chaque question, un niveau de risque (faible, moyen, élevé). Le risque n’est dont pas calculé de manière probabiliste, avec un pourcentage apparaissant automatiquement une fois le questionnaire rempli. L’inconvénient majeur réside dans le fait de retrouver les biais et préjugés associés à la subjectivité du praticien. En outre, ces outils ne peuvent être utilisés que par des psychologues spécialisés en criminologie, inexistants en France. Leur évaluation apporte néanmoins des résultats parfois aussi bons que ceux des outils actuariels, pour des publics spécifiques tels que les délinquants sexuels. Une Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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dossier méta-analyse de Hanson et Morton-Bourgon4 portant sur 118 études montre que cette méthode est d’une fiabilité intermédiaire entre l’actuariel et le clinique. Dans la dernière génération d’outils actuariels, sont combinées les approches statistique et clinique, ce que certains chercheurs estiment plus efficace. Qu’en pensez-vous ? La quatrième génération laisse place à un jugement clinique de l’évaluateur, qui va s’ajouter à l’évaluation actuarielle. Je partage l’avis de la plupart des spécialistes des outils actuariels, selon lesquels cette dimension n’apporte rien à l’évaluation des risques, dont elle peut au contraire amoindrir l’objectivité. En revanche, quand cet aspect clinique n’entre pas dans l’évaluation des risques, c’est-à-dire sur le pourcentage qui va être déterminé, mais vise à apporter des éléments supplémentaires dans le dossier, il est très précieux. Un problème récurrent des outils d’évaluation est en effet d’aboutir à un manque important d’éléments dans le dossier, la personne ayant naturellement tendance à se fermer comme une huître parce qu’elle sait qu’elle est évaluée. En ce sens, il est intéressant d’ajouter des rubriques, voire des pages entières, réservées aux observations issues d’un véritable dialogue instauré avec le probationnaire. Néanmoins, il faudrait éviter l’écueil d’utiliser des éléments issus d’une méthode plus humaniste, tel le « Good Lives Model », à des fins de restriction de liberté de la personne, qui va dès lors se sentir trahie. Si l’on amène la personne à collaborer à l’évaluation, à trouver ses propres éléments de motivation, il faut que ce soit dans une perspective positive pour elle, de réintégration sociale et d’amélioration de sa situation. Cependant, ce n’est pas la configuration, ni la demande politique qui prévaut en France. Les outils actuariels sont notamment critiqués comme réduisant les pratiques professionnelles au remplissage de grilles derrière un ordinateur. Qu’en pensez-vous ? Cette critique se retrouve fréquemment dans la littérature anglo-saxonne sur la probation. A partir du moment où l’on met de la science, des règles, des standards, émerge le risque d’un système un peu managérial et standardisé. En outre, les évaluations de type actuariel demandent du temps, qui peut être pris au détriment de la relation humaine. L’évaluation actuarielle s’effectue sur la base d’entretiens avec le probationnaire, mais d’autres modes de collecte d’informations sont nécessaires : recherches dans les dossiers pénaux et autres rapports de professionnels, enquêtes sociales… Sans enquête solide, on ne peut renseigner correctement un outil actuariel. Le risque est d’autant plus important en France alors que les conseillers d’insertion et de probation ont beaucoup trop de personnes à suivre et manquent de formation. Il appartient évidemment à chaque pays de prévoir les 4. R. K. Hanson et K.E. Morton-Bourgon, “The Accuracy of Recidivism Risk Assessment for Sexual Offenders : A Meta-Analysis of 118 Prediction Studies”, Psychological Assessment, 2009. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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ressources humaines et la formation nécessaires. Auquel cas l’utilisation d’outils actuariels constitue une forme de professionnalisation importante des agents de probation, à l’opposé de l’empirisme et de la divination actuels.
« Si l’on amène la personne à collaborer à l’évaluation, à trouver ses propres éléments de motivation, il faut que ce soit dans une perspective positive pour elle, de réintégration sociale et d’amélioration de sa situation ». Les outils actuariels sont aussi critiqués comme réduisant la personne aux risques qu’elle représente. Qu’en pensez-vous ? On peut faire le pire et le meilleur avec n’importe quel outil, y compris avec une évaluation clinique. Tout dépend de la culture et du système juridique dans lesquels l’évaluation s’inscrit. Si l’outil d’évaluation est utilisé pour prononcer une mesure de sûreté, le problème réside plus dans l’existence de ce type de mesures d’élimination sociale que dans l’évaluation. Mais si le choix politique est de maintenir la mesure de sûreté, on ne peut pas décemment la fonder sur une évaluation clinique, ce qui me paraît plus irresponsable et liberticide qu’une évaluation de type actuarielle bien plus objective et fondée sur des données scientifiques. La cible des défenseurs des libertés individuelles ne devrait à mon sens pas être l’outil actuariel, mais l’utilisation qui peut être faite des résultats obtenus. Lorsque l’outil est utilisé (comme dans le cadre du « Good Lives Model ») pour mieux cibler les besoins de la personne pour atteindre ses objectifs de vie, il s’agit de l’aider à trouver d’autres moyens que la délinquance pour y parvenir. Dès lors, non seulement le probationnaire aura, dans ce cadre, envie de participer à l’évaluation, qui en sera dès lors plus fiable, mais aussi cette évaluation s’inscrira dans une perspective positive de mener une vie « normale ». En revanche, dans un système pénal répressif et radical tel qu’il l’a longtemps été aux Etats-Unis, l’outil actuariel sert à empêcher qu’un détenu présentant 65 % de risques obtienne une libération conditionnelle. Dans un pays comme la Suède, où la libération conditionnelle est d’office aux deuxtiers de la peine, l’outil actuariel évaluant un taux de 65 % de risques va permettre de définir l’intensité et le contenu du suivi nécessaire, de repérer des facteurs de risques tels que le milieu familial et, pour le juge, de décider qu’il vaut mieux que la personne n’aille pas séjourner chez sa mère comme elle l’avait prévu mais plutôt à tel autre endroit. Tout dépend donc de la législation en place, de la culture professionnelle des magistrats ou des autorités. Propos recueillis par Barbara Liaras et Sarah Dindo
prévention de la récidive : le retard français
OASys,
dernière génération Conçu et utilisé en Grande-Bretagne, OASys est vanté comme l’un des outils d’évaluation les plus aboutis. David Forbes, responsable des formations au service de probation de Londres, explique qu’OASys combine approches clinique et actuarielle, ce qui nécessite une formation solide de l’évaluateur. Bien rempli, l’outil permet d’obtenir à la fois une évaluation du risque de récidive, mais aussi d’identifier les principaux aspects sur lesquels la personne a besoin d’être accompagnée. David Forbes intervient comme formateur et consultant auprès des personnels du service de probation de Londres. Il travaille depuis près de 40 ans en service de probation et est titulaire d’un doctorat professionnel de travail social.
Comment a été conçu OASys : sur la base de quelles données, dans quels objectifs ? OASys est ce qu’on appelle un « outil d’évaluation structurée » : il fournit un cadre au recueil des informations nécessaires à l’évaluation non seulement des risques que peut représenter un délinquant, mais aussi de ses besoins. Le Home Office a demandé le développement de cet outil en 1998, suite à une étude concluant que les outils utilisés précédemment ne contribuaient pas aux objectifs de réduction de la récidive et de protection du public. Le Home Office souhaitait que cet outil intègre les principes du « What Works ? », c’est-à-dire qu’il s’appuie sur des pratiques scientifiquement éprouvées. Les concepteurs de l’outil avaient également à cœur qu’il réponde aux besoins des utilisateurs : des études et des consultations ont été conduites auprès des praticiens en ce sens. Enfin, des études pilotes ont été élaborées pour tester l’outil. La version d’OASys qui a été mise en service combine les approches actuarielle et clinique de l’évaluation des risques. Le remplissage complet d’OASys permet notamment
de générer un tableau qui priorise les facteurs identifiés comme contribuant le plus à la délinquance de la personne. Cette information doit être utilisée pour établir le programme d’intervention, à savoir le contenu du suivi de la personne. Pouvez-vous décrire les différentes parties et questions de cet outil d’évaluation ? OASys est composé de trois grandes sections. La première porte sur la « Probabilité d’une nouvelle condamnation » : cette partie examine les « facteurs de risque dynamiques », identifiés par la recherche comme contribuant particulièrement au comportement délinquant. Ils comprennent le logement, le parcours scolaire, l’emploi et la formation, la situation financière, les relations, le mode de vie et les pairs, la consommation de psychotropes, l’abus d’alcool, le bien être émotionnel, la pensée et le comportement, les attitudes. Chacun de ces facteurs fait l’objet d’une série de questions visant à déterminer dans quelle mesure ce facteur particulier pose problème. Par exemple, la partie sur « les attitudes » comporte huit questions, notamment sur les « attitudes pro-criminelles » (la personne fait-elle preuve d’attitudes positives à l’égard des comportements délinquants en général ? Penset-elle que toute personne pourrait commettre un acte délinquant pourvu qu’elle en ait l’opportunité ?) ; sur « l’attitude à l’égard de la communauté/société » (la personne reconnaît-elle des droits aux autres, accepte-t-elle des limitations à sa liberté individuelle ? Exprime-t-elle le souhait/la volonté de faire partie de la communauté ?) ; sur « Le délinquant comprend-il les motivations qui le poussent à enfreindre la loi ? » (dans quelle mesure le délinquant reconnaît lesquels de ses propres attitudes, croyances, émotions et besoins sont liés sa délinquance ? Dans quelle mesure analyse-t-il son Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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dossier
© Bernard Le Bars
propre comportement ?) ; ou enfin sur la « motivation » (la personne est-elle motivée pour résoudre ses problèmes de délinquance ?). Pour chaque question, l’évaluateur doit luimême attribuer un score : 0 = pas de problème ; 1 = il existe un problème ; 2 = problème majeur. Le professionnel doit apporter en commentaire des éléments pour étayer les notes attribuées. La deuxième section porte sur le « Risque de causer un préjudice sérieux à autrui ». Elle est composée de trois parties : examen, analyse et bilan. L’examen vise à repérer s’il existe des risques (essentiellement en cas de violences graves commises dans le passé), auquel cas les deux autres parties seront ou non renseignées. Les sections d’analyse et de bilan reposent entièrement sur l’appréciation de l’évaluateur, il n’y a pas de « notes » ou de « points ». Pour toutes les personnes dont le risque est évalué comme moyen ou plus, un « programme de gestion du risque » doit être élaboré dans le cadre d’OASys : il s’agit d’identifier les facteurs qui contribuent au risque, et de définir quelles actions doivent être mises en œuvre afin de le réduire ou le contenir. La troisième section porte sur le « contenu du suivi » : les utilisateurs doivent préciser les objectifs d’intervention, et ce qui va être concrètement mis en œuvre sur la base des risques et besoins identifiés. OASys contient également un questionnaire d’auto-évaluation qu’il est demandé à la personne de remplir, afin d’avoir une idée de ce qu’elle considère elle-même comme étant ses problèmes, et une partie
confidentielle. OASys est en effet un document qui est partagé avec l’auteur d’infraction. Il est donc apparu nécessaire de disposer d’une partie séparée qui ne lui soit pas accessible afin d’y consigner les informations sensibles, ou qui pourraient mettre la victime en difficulté. Est-ce qu’OASys intègre également une évaluation actuarielle des risques, aboutissant à un pourcentage ? Oui, OASys comprend aussi un outil actuariel, l’« échelle de réitération de groupes de délinquants »1. Celui-ci ne prend en compte que des facteurs statiques (sexe, âge lors de la première infraction, nombre de condamnations antérieures…) et calcule un pourcentage de probabilité de réitération. Suite à une révision du système de notation d’OASys en 2009, ont aussi été introduits un outil portant sur la délinquance « générale » (OASys General Predictor) et un autre spécifique à la délinquance « violente » (OASys Violent Predictor). Ces nouvelles notations combinent des facteurs statiques et dynamiques et sont désormais considérées comme plus fiables que l’OGRS. Est-ce qu’OASys intègre également les « facteurs protecteurs » ou capacités dont dispose la personne pour éviter de récidiver ? Lorsqu’ils répondent à chaque question par une note de 0 à 2, les utilisateurs doivent identifier et tenir compte des 1. Offender Group Reconviction Scale – OGRS
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prévention de la récidive : le retard français facteurs positifs, et les mentionner pour justifier la note attribuée. De même, ils sont encouragés à prendre en compte les facteurs protecteurs dans l’évaluation et la gestion du risque d’atteinte à autrui. La théorie de la « désistance », qui étaye de plus en plus notre travail, souligne en effet l’importance de mécanismes positifs de soutien pour quitter la délinquance. Les principes du « What Works ? » insistent également sur l’importance de prendre en compte la « réceptivité » des auteurs, ce qui concerne en particulier leurs modes d’apprentissage. Pourquoi OASys combine-t-il les approches actuarielle et clinique ? OASys intègre pour principe que la combinaison des deux approches débouche sur des résultats et décisions plus fiables. Dès lors, la dimension qui consiste à cocher des cases ne représente qu’une toute petite partie de l’ensemble. Les utilisateurs d’OASys peuvent y trouver une multitude d’occasions d’y apporter leur appréciation professionnelle. Ils peuvent aussi pondérer les scores actuariels avec lesquels ils sont en désaccord, à condition d’apporter des éléments pour étayer leur point de vue. OASys n’est qu’un guide, à partir duquel les praticiens doivent eux-mêmes tirer des conclusions. Dès lors, il ne vaut que par la valeur des informations qui y sont apportées, ce qui dépend considérablement des compétences et connaissances de chaque professionnel. A quel moment du parcours pénal l’évaluation d’OASys est-elle effectuée (avant la peine, après la peine, avant une libération conditionnelle…) ? OASys est d’abord utilisé comme un outil permettant d’apporter des informations avant la condamnation. Dès cette phase, les utilisateurs devront donc rencontrer le prévenu, remplir OASys et extraire cette information pour le dossier pénal. De sorte que le contenu de l’évaluation permettra d’éclairer les propositions faites au tribunal pour décider d’une peine ou mesure appropriée. Une autre évaluation est réalisée avec OASys après la condamnation, lorsqu’a été prononcée une sanction impliquant l’intervention du service de probation. Il s’agit alors de revoir et mettre à jour l’évaluation de départ, confirmer les axes du suivi et éclairer toute décision qui doit être prise au sujet de la « gestion du risque », d’éventuelles mesures de contrôle. Une révision du dossier OASys devait initialement avoir lieu au moins tous les quatre mois tout au long du suivi du service de probation, afin de bien prendre en compte les évolutions de la personne et aussi du risque. Mais un assouplissement de ces règles a récemment été décidé, et le dossier ne doit désormais être mis à jour qu’en cas de changement significatif. Le dossier OASys doit néanmoins être revu en fin de suivi, afin de mesurer les évolutions. OASys sert également pour tous les rapports qui doivent être rédigés par le service de probation, qui seront utilisés
notamment lors de la prise de décision relative à la libération de la personne. Quels professionnels utilisent OASys ? Il est souvent reproché à ce type d’outil d’avoir pour effet d’augmenter le temps passé derrière l’ordinateur, au détriment de celui passé avec le condamné et dans la communauté. Qu’en est-il ? Au sein des services de probation, OASys est rempli soit par des agents de probation qualifiés, soit par des assistants non qualifiés – sauf en cas de risque élevé ou très élevé de porter un préjudice grave à autrui. L’ensemble des utilisateurs reçoivent un guide d’utilisation détaillé, qui inclut notamment des précisions sur chaque niveau de risque. Tous les dossiers remplis par des assistants non qualifiés doivent être contresignés par un personnel d’encadrement. Les agents de probation qualifiés ne doivent solliciter la validation d’un supérieur hiérarchique que lorsque le dossier fait mention d’un haut ou très haut risque. De façon générale, la qualité des renseignements apportés par des personnels non qualifiés est clairement moindre. Selon une étude récente, le personnel de probation consacre 75 % de son temps à des tâches qui n’impliquent pas de contact avec les auteurs d’infractions. OASys contribue certainement et de façon significative à réduire ce temps disponible pour l’accompagnement. C’est notamment la prise en compte de ce problème qui a conduit à assouplir la fréquence des mises à jour d’OASys. OASys est-il un document copieux et long à remplir, comme il est souvent reproché aux outils d’évaluation ? La version imprimée comporte au minimum 45 pages, parfois beaucoup plus en fonction des éléments et analyses apportés. Il faut deux heures en moyenne pour simplement remplir OASys, mais certains dossiers peuvent demander cinq heures. Il faut encore ajouter le temps préparatoire consacré aux entretiens avec la personne, à la lecture des anciens rapports judiciaires, à la collecte d’informations auprès d’institutions et professionnels qui ont déjà suivi la personne, aux contacts avec les membres de la famille lorsque c’est pertinent… Avez-vous pu mesurer une amélioration de la qualité de l’évaluation avec OASys ? Cet outil ne vaut que par les compétences et connaissances de ceux qui l’utilisent. Un professionnel qui n’a pas les compétences pour conduire un entretien et une évaluation produira un dossier OASys de piètre qualité. Nous continuons donc à travailler pour améliorer tant la formation des praticiens que les qualités de l’outil. Des efforts ont été fournis pour rendre le remplissage d’OASys aussi objectif que possible, mais une part de subjectivité persiste inévitablement, qui peut jouer sur la décision d’attribuer tant de points à telle ou telle question, ce qui impactera la fiabilité de l’évaluation. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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dossier
Des groupes de paroles
à la française A l’origine du premier groupe de parole pour personnes condamnées au SPIP d’Angoulême et figure active de leur généralisation, la psychologue Marie Bried valorise les apports de ce mode de suivi en termes de réflexion sur l’acte et de libération de la parole. Alors que le modèle a été institutionnalisé par l’administration pénitentiaire en 2007 à travers la création des « programmes de prévention de la récidive » (PPR), elle met en garde contre les risques de figer le dispositif, appelant les professionnels des SPIP à la créativité et l’innovation.
Qu’est-ce qu’un PPR ? Généralisés en 2007, les « programme de prévention de la récidive » (PPR) sont des groupes de parole destinés à des détenus ou des probationnaires condamnés pour le même type d’infractions. Chaque PPR est animé par deux personnels du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), qui doivent bénéficier de la supervision d’un « psychologue régulateur ». La méthode a été conçue de manière empirique, puis formalisée sous la forme d’un « référentiel » publié par la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) en 2010. La DAP assure un « comité de pilotage » des PPR, chargé d’assurer l’information des personnels et de vérifier que les projets présentés sont bien conformes aux critères du référentiel. Les thématiques des 156 groupes de parole « labellisés PPR » fin 2010 étaient principalement les violences à caractère sexuel (50), les violences familiales et conjugales (47), les violences (22), les délits routiers (16)…1 Un PPR se déroule en 10 à 15 séances d’une à deux heures, au cours desquelles les participants sont invités à partager leurs points de vue et expériences sur des questions telles que « la loi et l’interdit » (ce que chacun croit autorisé et interdit, pour quelles raisons…) ou les « stratégies d’évitement » (ce qui aurait pu être évité, les manières d’agir qui auraient permis de ne pas en arriver à l’infraction).
les PPR sont présentés par la DAP comme « d’inspiration 2 cognitivo-comportementale » , alors qu’ils s’avèrent très éloignés des programmes cognitivo-comportementaux développés dans de nombreux pays occidentaux, qui comportent un nombre de séances beaucoup plus élevé (25 à 80 séances de deux heures), selon un déroulé conçu par des chercheurs sur la base de connaissances scientifiques, et ne comportant pas seulement des espaces de parole, mais aussi des temps de formation à des techniques de « résolution de conflits », « prévention des rechutes », « compétences en communication », « renforcement de la motivation », « gestion de la colère »… Comme toute autre pratique développée en France, les PPR n’ont fait l’objet d’aucune évaluation de leur impact sur les taux de récidive, si bien qu’il est rigoureusement impossible, comme l’a pourtant fait la DAP dès 2007, de démontrer « la pertinence de ces programmes, initiés par le terrain, [qui] conduit à souhaiter leur développement, comme l’ont fait de nombreux services pénitentiaires étrangers 3 » De fait, le développement des PPR en France repose sur une expérience initiée par un SPIP, alors que la plupart des Etats ont, pour leur part, commencé par importer des programmes complets déjà éprouvés et validés scientifiquement dans d’autres pays.
La mise en place de ces groupes présente l’avantage d’offrir un espace d’expression et de réflexion autour de l’acte commis pour les personnes suivies, qui plus est entre « pairs » et non en face à face avec un professionnel incarnant la justice et la réprobation sociale. Pour autant,
1. DAP/PMJ/PMJ1, « Programme de prévention de la récidive », bilan du 3 décembre 2010. 2. DAP/PMJ/M.Pajoni-A.Robin, Référentiel « Programme de prévention de la récidive », 2010. 3. DAP/PMJ, note relative au « Développement des programmes de prévention de la récidive », 16 juillet 2007.
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prévention de la récidive : le retard français
© Michel Le Moine
Pouvez-vous rappeler ce qui a motivé la mise en place du premier groupe de parole pour probationnaires à Angoulême ? Le premier groupe a été mis en place à Angoulême en 1999, dans ce qui était encore le Comité de probation et d’assistance aux libéré (CPAL). Les travailleurs sociaux de l’époque exprimaient une vraie frustration à recevoir des probationnaires qui n’étaient pas accompagnés dans une réflexion sur leur acte, en particulier dans le cadre de leur obligation de soins. Les psychiatres, qui n’étaient pas formés à ces problématiques, ne prenaient pas le temps d’aborder avec eux la question de leur infraction, qui ne relève pas de la « maladie ». Ils revenaient de leur consultation avec des traitements contre la dépression, mais sans avoir parlé de leur infraction, ce qui correspond pourtant à la demande de la société dans le cadre d’une condamnation pénale. Les travailleurs sociaux avaient dès lors l’impression d’être réduits à une fonction de contrôle et que la mesure pénale ne servait à rien. A mon sens, il fallait trouver le moyen d’aider les personnes condamnées à élaborer un « désir de soins », afin que l’obligation devienne une démarche personnelle. Tel pouvait être le sens du travail en groupe, dont je connaissais l’efficacité pour libérer la parole, la parole amenant elle-même la pensée. Si les personnes parviennent, dans le cadre du SPIP, à mettre en mots ce qu’elles ont fait, elles pourront ensuite aller le retravailler dans un cadre thérapeutique. Comment la méthode de ce groupe et le contenu des séances ont-ils été élaborés ? Le contenu s’est élaboré de façon empirique, sur la base d’échanges avec l’équipe du SPIP. Nous avons réfléchi à un premier groupe en milieu ouvert, destiné aux délinquants sexuels, dont les conseillers d’insertion et de probation (CPIP) constataient qu’ils ne comprenaient généralement pas pourquoi ils avaient été condamnés. Nous avons donc commencé par une
séance sur « la connaissance de la loi » : les participants sont invités à dire ce qu’ils savent de ce qui est autorisé et interdit, ce qui s’avère souvent invraisemblable, puis il leur est expliqué ce que dit réellement la loi. Le thème suivant est « la condamnation », car les personnes n’en parlent pas ailleurs et qu’il s’agit de la raison pour laquelle ils sont là. L’enjeu est alors d’éviter tout ce qui relève de la culpabilisation ou de la morale : par exemple, le CPIP ne dit pas « vous avez commis un viol », mais « il vous est reproché d’avoir commis un viol ». Non parce qu’il a un doute sur la réalité de l’infraction, mais parce que la culpabilité coupe la parole. De plus, c’est respecter les personnes sous main de justice dans leur intégralité que d’entendre ce qu’elles ont fait sans pour autant rompre le dialogue. Le thème suivant est celui de la « chaîne délictuelle » : les personnes expliquent ce qui s’est passé, avant, pendant et après les faits. Non pas pour le plaisir de décrire les faits, mais pour se demander : « Où aurais-je pu interrompre le processus qui a mené jusqu’à l’infraction ? » Une autre séance porte sur la victime : il peut s’agir par exemple de lui écrire une lettre, qui ne lui sera pas adressée mais qui permet au probationnaire d’exprimer ce qu’il aurait à lui dire ; les condamnés peuvent également être invités à se mettre à la place d’une victime dans le cadre d’un jeu de rôles : « Vous êtes victime, que ressentez-vous ? » A partir de ces thèmes, nous avons élaboré un cycle de 10 séances (ultérieurement augmenté à 15). Le cadre est directif, avec un thème pour chaque séance, il est balisé par une première séance au cours de laquelle l’animateur présente le SPIP, le groupe, le « contrat » (les engagements), puis demande aux participants de se présenter (ils disent aussi pourquoi ils sont venus à ce groupe) ; et une séance de bilan, qui sert de « sas » pour revenir vers l’extérieur. Cette approche fonctionne très bien pour les problématiques liées aux violences interpersonnelles, qui résultent souvent d’une non-acquisition de la différence, qu’elle soit intergénérationnelle, de sexe… Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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dossier Quels sont les supports utilisés par les animateurs dans le cadre d’un PPR ? Deux CPIP participent, l’un comme animateur, l’autre comme assistant, à tour de rôle. A chaque début de séance, l’animateur pose le thème qui doit être traité. Il laisse les participants exprimer leurs représentations, puis les amène à préciser leur propos, les aide à structurer, réfléchir… L’assistant note l’essentiel des propos sur un paper-board. Lors de la séance sur la « chaîne délictuelle », chacun inscrit au tableau son parcours pénal (infractions, condamnations…). Il y a toujours un participant qui se lance, si l’un n’y arrive pas, on propose aux autres de l’aider. On travaille très concrètement, pour chacun, sur la manière dont tout s’est enchaîné. Les animateurs ressortent les feuilles lors de la séance suivante sur les « stratégies d’évitement », et toute l’équipe réfléchit sur le moment où chacun aurait pu s’arrêter. L’animateur ne formule pas lui-même de conseils, mais il peut reprendre, insister sur certains aspects, relancer ou enclencher la parole… Il doit surtout faire en sorte que les personnes se disent les choses entre elles : il faut leur faire confiance, il y a toujours des participants qui ressentent ce qu’il est nécessaire de dire, et dont la parole sera plus porteuse que celle du professionnel. En quoi la pédagogie utilisée est-elle « d’inspiration cognitivo-comportementale », comme indiqué dans le « référentiel PPR » de la DAP ? Cette référence est parfaitement artificielle : ces termes ont été ajoutés au moment de l’institutionnalisation des PPR, pour se rattacher à l’expérience canadienne et pour « répondre » aux recommandations européennes. L’appellation de « programmes de prévention de la récidive » est tout aussi artificielle, mais visait à éviter leur assimilation à des « groupes de parole » thérapeutiques, notamment pour mieux faire accepter le dispositif dans la profession. Le terme de « groupe de parole pénitentiaire », que nous avions adopté en Charente, correspond mieux à la réalité. Ce n’est pas parce que la psychiatrie s’est approprié la notion qu’elle lui est réservée : on peut faire du travail de groupe dans de nombreux secteurs. Au départ, certains CPIP étaient très réticents à cette nouvelle approche : ils avaient peur de se retrouver à deux face à un groupe de quinze, ou que les échanges dérapent… Si le groupe est bien mené, il n’y a en réalité pas de problème. Des formations pertinentes à l’animation de groupe sont désormais intégrées à la formation initiale et continue des CPIP. Au cours de la période d’expérimentation en Charente, n’a-t-il jamais été envisagé d’adapter des programmes cognitivo-comportementaux existants, utilisés pendant des années et dont l’impact avait été scientifiquement évalué à l’étranger ? Non, car la psychiatrie en France n’est pas du tout la même que celle développée en Amérique du Nord : elle s’occupe de l’individu et non du comportement, elle est plus introspective, Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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d’inspiration psychanalytique et non comportementaliste. Dans ce contexte, l’idée de transposer ces programmes ne nous paraissait pas adaptée. Nous nous sommes néanmoins documentés, deux membres de l’équipe se sont rendus au Centre de recherche action sexo-criminologique (CRASC) en Belgique, animé par une équipe de soignants, qui pratique le cognitivo-comportemental : nous nous sommes juste inspirés de certains aspects de leur travail. En quoi le PPR se distingue-t-il d’une approche thérapeutique ? Il ne s’agit pas de s’immiscer dans l’histoire intime des participants, mais de ménager une « bulle », dans laquelle ils peuvent échanger entre eux. L’animateur d’un groupe représente la société, qui demande aux participants de réfléchir à leurs actes, à l’existence de victimes, à la nécessité de mettre un terme à ces actes… Il ne s’agit aucunement d’un rôle de soignant. Les probationnaires ne s’y trompent pas : ils savent très bien, quand ils passent la porte du SPIP, qu’ils se trouvent dans un cadre pénitentiaire, donc contraint. Quant aux psychiatres et psychologues, beaucoup ont désormais compris que les PPR n’empiétaient pas sur leur registre, voire permettaient à leurs patients de gagner quelques années de thérapie parce qu’ils avaient désormais des mots pour parler de leur acte. Quel est l’intérêt du groupe de parole pour les condamnés ? Le groupe offre aux participants un espace qui leur permet de parler avec des « pairs » qui ont commis le même type de délit. L’entretien individuel est par définition un face à face entre un professionnel et un délinquant, il est très difficile de sortir d’une relation de type « juge-coupable ». Il est aussi compliqué pour un homme de 50 ans d’aborder des questions de sexualité face à une jeune CPIP (puisque la profession est très féminine). Dans un groupe bien mené, l’animateur n’intervient quasiment pas, les échanges se déroulent dans une situation beaucoup moins culpabilisante, qui facilite la parole et donc la réflexion. De nombreux participants disent en quittant le groupe que c’est le premier et le seul endroit où ils ont pu véritablement parler de leur acte. Je pense aussi que la rencontre avec les « pairs » facilite la resocialisation, en aidant à briser l’isolement induit par l’image de « monstre » qu’ils ressentent. Ils ne sont pas rejetés en dehors de toute humanité puisque des « pairs » vivent la même chose qu’eux, ce qui leur permet d’accepter de nouveau la rencontre avec d’autres, non délinquants. En quoi le PPR a-t-il plus de chances de réduire les risques de récidive, selon vous ? Il est difficile de le prouver, puisqu’il n’y a pas d’étude pour le mesurer. Mais il est évident, pour les professionnels, que ce qui est travaillé en groupe contribue à la prévention de la récidive. Pour ce qui est des auteurs de violences sexuelles dans le milieu familial, nous savons néanmoins que 90 % ne récidivent pas, qu’ils suivent ou non un PPR. Le risque se situe davantage pour
prévention de la récidive : le retard français
« Il ne faudra pas s’étonner ensuite que celui qui a été classé comme « dangereux » récidive, car il est très difficile de se défaire d’une étiquette » la génération suivante, élevée par des parents qui ne lui auront pas donné les structures marquant la différence intergénérationnelle qui préviennent de tels actes. Le PPR participe, dans ce cas, davantage de la prévention sociale qu’individuelle. Observez-vous des différences selon que le PPR se déroule en milieu fermé ou en milieu ouvert ? En détention, il est nécessaire de reconstituer autour du groupe des murs symboliques pour que les participants soient protégés. Les animateurs consacrent plus de temps à la présentation du cadre, notamment au respect de la confidentialité. J’aurais également souhaité inclure des questionnements relatifs à l’enfermement, ce qui n’a pas été fait. Il faudrait aussi proposer des thèmes de réflexion spécifiques pour les longues peines. Quel est l’intérêt du groupe de parole pour les professionnels des SPIP ? Le travail de groupe permet aux CPIP de sortir de leur isolement, cela modifie profondément leur manière de travailler. Dans la plupart des services, ils faisaient comme ils pouvaient dans le cadre de leurs entretiens individuels, sans parler aux autres de leurs difficultés. Les notions de régulation et d’analyse de pratique étaient complètement étrangères, alors qu’elles font aujourd’hui partie du cadre des PPR. Pourtant, la relation duelle crée à mon avis une certaine culpabilité, car l’équilibre est très difficile à trouver : ne pas aller trop loin, mais ne pas non plus rester trop distant. Travailler sous le regard d’un collègue et d’un groupe apporte aussi, à mon sens, des garanties, c’est beaucoup moins dangereux que l’entretien individuel ! Je pense également que le groupe permet de modifier les représentations que certains CPIP ont des personnes qu’ils suivent : ils passent d’une relation avec un délinquant à une relation plus humaine. Les protestations liées aux difficultés d’organisation des PPR tiennent surtout, à mon avis, à la difficulté d’intégrer cette nouvelle façon de travailler. Comment voyez-vous le rôle du « psychologue régulateur » ? Il ne participe pas aux séances mais assure une forme d’analyse des pratiques/débriefing après chaque séance. Il répond aux questions des CPIP sur la conduite du groupe, veille à ce qu’ils ne se mettent pas en danger, analyse le déroulé pour repérer s’il faut revenir sur certains points. Il ne doit surtout pas se poser en thérapeute des animateurs. Lors de la constitution du groupe, le psychologue participe également au choix des participants, essentiellement pour veiller à ne pas réunir trop de « personnalités difficiles ». Il est aujourd’hui question d’embaucher des psychologues au sein des SPIP, qui
deviendront des collègues des CPIP. Il faut absolument que la pénitentiaire comprenne que ces thérapeutes ne pourront pas assurer la régulation des PPR, seul un praticien extérieur étant en mesure de le faire. Sans régulation digne de ce nom, les PPR risquent de devenir des groupes de moralité. Comment analysez-vous aujourd’hui la manière dont l’expérience locale a été institutionnalisée et généralisée par la DAP ? Une des difficultés a été de ne pas s’écarter du cadre de groupes de parole pénitentiaires, alors que l’administration a sollicité des formateurs qui faisaient des groupes de parole thérapeutiques, ce qui a cultivé l’ambiguïté et certaines déformations. Il a fallu beaucoup redresser, recadrer. C’est chose faite aujourd’hui, les formateurs eux-mêmes ont été formés, ils ont appris ce qu’était le travail des CPIP et se sont recadrés eux-mêmes. Il faudra encore quatre ou cinq ans pour que cette particularité des groupes de parole pénitentiaires soit parfaitement acquise et intégrée. L’institutionnalisation peut aussi aboutir à un modèle de PPR trop rigide. Depuis qu’il y a le référentiel, les CPIP le suivent, sans réfléchir à ce qu’ils pourraient développer d’autre, cela fige les choses, empêche la créativité. C’est aussi cela, l’administration pénitentiaire : on est à l’intérieur des murs, il faut suivre les couloirs, cela finit par s’incruster dans la tête des professionnels. Lors de la conception des groupes, j’imaginais quelque chose de plus dynamique, permettant de décider après une séance ce qui sera abordé dans la suivante, même s’il existe quelques thèmes incontournables : on peut ajouter, par exemple, une séance sur la parentalité, ce que c’est d’être père, si ce besoin apparaît dans les échanges… Par ailleurs, il manque au niveau central une véritable équipe pour réfléchir et suivre le développement des PPR. Le soutien formateur de la DAP auprès des équipes et la gestion financière des PPR laissent peu de place à une réflexion sur le fond. Le dispositif a démarré sur des bases empiriques mais devrait maintenant se structurer au niveau de la pensée et rester vivant, que plus de gens s’y intéressent. Enfin, les PPR sont venus percuter d’autres dispositifs développés par le ministère, qui a brouillé le message en cherchant de plus en plus à classer les gens selon leur personnalité, afin de repérer des criminels en puissance. Le risque est majeur de multiplier les formes d’étiquetage des personnes : il ne faudra pas s’étonner ensuite que celui qui a été classé comme « dangereux » récidive ; car il est très difficile de se défaire d’une étiquette, même lorsqu’il y a eu erreur d’appréciation. Pour les politiques, le délinquant, c’est toujours l’autre. Ils n’imaginent pas qu’un jour ils pourraient passer les bornes… et pourtant ils pourraient ! Donc, ils aiment mettre des étiquettes sur les autres. Ils classent les personnes comme on traite le calibre des fruits : les plus beaux vont sur les étales. Je pense que cela relève d’une ignorance fondamentale de ce que sont l’humain et la liberté. Propos recueillis par Barbara Liaras Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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Le « What Works ? » et ses programmes cognitivo-comportementaux
Le courant du « What Works ? » initié au Canada est à l’origine d’une multitude de recherches sur l’efficacité de la réponse pénale et des méthodes de suivi sur la prévention de la récidive. Il a généré de nombreux programmes présentant des résultats de 30 à 60 % de diminution de la récidive. Reconnu pour sa rigueur scientifique, le « What Works ? » montre néanmoins des limites dans son appréhension de l’auteur d’infraction comme seul porteur de risques, avec des conséquences en termes d’implication de la personne dans le suivi et de taux d’abandon en cours de programme. Courant de recherche à l’origine de la plupart des outils d’évaluation et programmes de suivi développés dans le monde occidental, le « What Works ? » vise à établir « ce qui marche, pour qui, et à quelles conditions » en matière de prévention de la récidive. Quatre chercheurs (Andrews, Bonta, Gendreau et Ross) l’ont initié au début des années 1980, en réaction à un article publié en 1974 par le sociologue américain Robert Martinson, qui concluait que les programmes de réhabilitation des délinquants « avaient peu ou pas d’effet dans la réduction de la récidive ». Une théorie rapidement surnommée « Nothing Works1 », qui a fait le lit des politiques ultra répressives d’Amérique du Nord pendant plusieurs décennies, l’emprisonnement et la neutralisation étant dès lors confortés comme les seuls à même d’assurer la « protection civile ».
Des recherches inexistantes en France Les méthodes utilisées par ces chercheurs sont comparables à celles utilisées par la recherche médicale. Il s’agit de mesurer à grande échelle ce qu’il advient d’un groupe de personnes suivant un traitement par rapport à un « groupe témoin » qui ne le suit pas. Norman Bishop, expert scientifique auprès du Conseil de l’Europe, explique que « l’efficacité de telle intervention chirurgicale ou tel médicament est mesurée de la même manière que l’effet de nos interventions avec les délinquants. Pour pouvoir déterminer si une intervention exerce des effets, et le cas échéant si ces effets sont positifs ou négatifs, nous utilisons de grands échantillons et des méthodes d’analyse statistique complexes, telles que la “Cox regression” (régression de Cox)2 ». Ce type de méthodes, inutilisées en France dans le domaine des sciences sociales, 1. P. Lalande, « Punir ou réhabiliter les contrevenants ? Du “Nothing Works” au “What Works”, dans La sévérité pénale à l’heure du populisme, ministère de la Sécurité publique du Québec, Canada, 2006. 2. N. Bishop, ancien chef des recherches à l’administration pénitentiaire et probationnaire suédoise, dans « Sursis avec mise à l’épreuve, la peine méconnue », S. Dindo, DAP/PMJ1, 2011. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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permet ainsi de mesurer les effets des réponses pénales, de « programmes pour délinquants » ou de méthodes de suivi moins structurées. Par exemple, ils vont jusqu’à étudier quel est le taux de récidive des personnes selon le temps consacré dans les entretiens avec leur agent de probation à tel ou tel aspect (respect des obligations, problématiques d’insertion, réflexion sur le passage à l’acte, etc.) ou selon la posture du professionnel (confrontative, motivationnelle, empathique…). Les résultats de ces recherches à très grande échelle viennent ainsi guider l’élaboration et la mise en œuvre des outils d’évaluation et des programmes de suivi sur la base de critères objectifs d’efficacité. Autant de repères inexistants en France, où aucune pratique n’étant évaluée, personne ne sait, preuves à l’appui, ce qui est plus ou moins efficace à prévenir la récidive dans l’accompagnement des auteurs d’infraction. Sans compter que les résultats de la recherche internationale, qui pourraient d’emblée inspirer les politiques pénales et pénitentiaires en France, tout autant que les pratiques de suivi, s’avèrent largement méconnues dans l’Hexagone. C’est ainsi que les « programmes de prévention de la récidive » développés en France depuis 2007, tout autant que le « diagnostic à visée criminologique », ont été conçus sans référence à ces recherches. La plupart des praticiens ignore les travaux du « What Works ? », qui ne leur sont pas enseignés. Les décideurs institutionnels et politiques s’avèrent encore moins informés, méconnaissant de manière plus générale ce que sont la probation, le milieu ouvert et le travail des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP).
Trois principes d’efficacité Au terme d’années de recherche, le courant du « What Works ? » est parvenu à dégager trois principes d’efficacité des interventions pénales, à partir desquels a été forgé le modèle des « risque-besoins-réceptivité » (RNR – « Risk, Needs, Receptivity »).
prévention de la récidive : le retard français
© Robert Kluba
• Le principe du risque « indique qui doit être traité (le délinquant à risque plus élevé) » : il a été démontré que pour être efficace, le système pénal doit prévoir un suivi intensif pour les personnes présentant le plus de risques, mais aussi se garder d’intervenir auprès des personnes présentant un faible risque, car elle aurait alors plutôt tendance à l’accroître3. A titre d’exemple, une évaluation d’un programme canadien réalisée en 2000 a montré que « les délinquants à faible risque qui recevaient un traitement minimal affichaient un taux de récidive de 15 % », multiplié par deux (32 %) pour ceux d’entre eux ayant fait l’objet de « services intensifs ». Quant aux « délinquants à risque élevé », leur taux de récidive était de 51 % s’ils ne bénéficiaient pas de « services intensifs » et de 32 % pour ceux en ayant bénéficié4. Si le principe peut sembler évident, sa mise en œuvre l’est beaucoup moins. Il a notamment été montré que « d’énormes pressions sont exercées pour que les ressources soient centrées sur les délinquants à risque plus faible », qui sont généralement « plus coopératifs et plus motivés à se conformer aux exigences du traitement ». Pour évaluer le niveau de risque, les professionnels doivent, selon les mêmes recherches, être dotés d’outils de type actuariel qui « donnent de meilleurs résultats que le jugement clinique ou professionnel lorsqu’il s’agit de prédire le comportement5 ».
• Le principe des besoins « indique ce qui doit être traité (les facteurs criminogènes) » : il s’agit d’identifier les besoins directement liés à la délinquance, dits facteurs criminogènes, et de les cibler dans l’accompagnement. Là encore, des recherches à grande échelle ont permis d’établir les sept principaux facteurs favorisant la récidive :
3. J. Bonta, D.A. Andrews, « Modèle d’évaluation et de réadaptation des délinquants fondé sur les principes du risque, des besoins et de la réceptivité », ministère de la Sécurité publique, Canada, 2007. 4. J. Bonta, S. Wallace-Capretta et R. Rooney, « A quasi-experimental evaluation of an intensive rehabilitation supervision program », Criminal Justice and Behavior, n° 27, 2000. 5. J. Bonta, D.A. Andrews, op.cit., 2007.
La présence de ces « facteurs de risque » doit non seulement être évaluée pour mesurer un niveau de risque, mais
1. « Attitudes et croyances approuvant le comportement délinquant » : il s’agit de tout ce qui, dans la manière de penser et d’appréhender la réalité, vient justifier et encourager le fait de commettre une infraction ; 2. Environnement relationnel et social « soutenant le comportement délinquant » : pairs, famille, quartier encourageant l’inscription dans la délinquance… ; 3. Toxicomanie, addictions : dépendance à l’alcool ou à une drogue ; 4. Profil de personnalité dit antisocial : tendance à l’impulsivité, agressivité, fébrilité, irritabilité… ; 5. Problèmes familiaux/conjugaux : surveillance parentale déficiente, mauvaises relations familiales, contextes de séparation, divorce, disputes… 6. Problèmes d’insertion professionnelle : manque de formation, absence d’emploi ou insatisfaction au travail ; 7. Absence de loisirs et activités « prosociales » : activités récréatives, associatives, implication dans la vie locale… 6.
6. J. Bonta, D.A. Andrews, op.cit., 2007. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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dossier « Lorsque le traitement correctionnel adhère aux principes RBR, des réductions de la récidive sont invariablement observées. L’ampleur de l’effet (…) correspond à des réductions de la récidive situées entre 30 et 60 % ».
• Améliorer la compréhension, l’intérêt pour le programme et la motivation à l’égard du changement ; • Définir des objectifs à évaluer tout au long du programme. Module 2 : Sensibilisation et éducation • Faire connaître la dynamique de la violence familiale et y sensibiliser les participants ; • Présenter les facteurs qui contribuent à la violence familiale ; • Etudier l’origine des schèmes de comportement violent ;
l’importance de chaque facteur pour une personne permettre de définir les aspects sur lesquels agir pour diminuer les risques. - Le principe de la réceptivité « aide à déterminer comment doit se faire le traitement ». Il s’agit là « d’optimiser la capacité du délinquant à tirer les enseignements d’une intervention réhabilitante en l’adaptant à son style d’apprentissage, à sa motivation, à ses aptitudes et points forts ». « Presque tout le monde a entendu parler du conseil pédagogique invitant les enseignants à varier leurs méthodes d’enseignement afin de tenir compte à la fois des étudiants visuels et des étudiants auditifs », expliquent les auteurs. Par exemple, si le probationnaire « possède des aptitudes verbales limitées et un style de pensée concrète, le programme doit utiliser le moins de concepts abstraits possible et faire plus de place à la pratique 7 comportementale qu’à la discussion ».
Programmes cognitivo-comportementaux De manière générale, les chercheurs ont relevé une meilleure « réceptivité » aux « méthodes cognitives de l’apprentissage social » ou techniques cognitivo-comportementales, considérées comme les plus efficaces « quel que soit le type de délinquant8 ». Ils ont dès lors développé avec le Service correctionnel du Canada (SCC) toute une gamme de programmes pour différents types de délinquance et niveaux de risque de récidive, dont l’essentiel relève de l’enseignement de techniques cognitivo-comportementales devant permettre aux participants de modifier leur appréhension des situations et d’agir autrement. A titre d’exemple, citons les programmes de prévention de la violence familiale (d’intensité élevée ou modérée), ainsi qu’une intervention préparatoire à ces programmes et un programme de « maintien des acquis ». Le programme d’intensité modérée concerne des « délinquants de sexe masculin qui, d’après les évaluations, présentent un risque modéré de violence dans leurs relations de couple ». Il comprend 29 séances de groupe (2h-2h30) et au moins trois séances individuelles (environ une heure), pour un total de 75 heures. Les six modules « sont conçus pour motiver le délinquant, lui donner de l’information, l’aider dans sa prise de conscience et lui faire acquérir des compétences dans une série d’étapes » : Module 1 : Renforcement de la motivation 7. J. Bonta, D.A. Andrews, op.cit., 2007. 8. J. Bonta, D.A. Andrews, op.cit., 2007. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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• Etudier le rôle de la culture et des sous-cultures dans la formation des attitudes et des valeurs ; • Comprendre les effets des comportements violents sur les partenaires et les enfants et améliorer la compréhension des schèmes des relations saines et de celles qui sont empreintes de violence. Module 3 : Gestion des pensées et émotions liées aux comportements violents • Illustrer le lien entre les opinions irrationnelles, les attitudes négatives et les émotions fortes qui mènent à des comportements de domination ou de violence (modèle ABC) ; • Montrer des schèmes de pensée différents ; • Inculquer des techniques de maîtrise de soi pour gérer les émotions liées aux comportements violents. Module 4 : Aptitudes sociales • Enseigner des compétences en communication ; • Enseigner la négociation ; • Enseigner la résolution de conflits. Module 5 : Gestion des rechutes • Etudier les facteurs personnels de risque et les situations à haut risque de comportement violent ; • Montrer des moyens de faire face à des situations à risque élevé ; • Elaborer des plans personnels de prévention des rechutes et de gestion du risque. Module 6 : Relations « saines » • Intégrer toute l’information reçue au cours du programme ; • Redéfinir les relations saines et le lien entre des relations de couple saines et un mode de vie équilibré ; • Traiter des questions de relations familiales et d’un exercice constructif de l’art d’être parent.
Une influence mondiale Ce modèle RNR constitue aujourd’hui la base de toute intervention correctionnelle au Canada. Il fait également office de référence dans le monde anglo-saxon (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Australie…), où de nombreux outils d’évaluation et programmes de suivi ont été « importés », tout comme dans des pays tels que la Suède, les Pays-Bas, l’Espagne… Les Règles européennes relatives à la probation (REP) y font explicitement
prévention de la récidive : le retard français déficiences sont observées en termes de renforcement de la motivation et de l’implication des participants, avec des taux d’abandon parfois très élevés. Les critiques les plus couramment développées à l’égard du RNR sont ainsi résumées par des chercheurs en psychologie clinique de l’Université de Liège (Belgique) : • « La centration exclusive sur la protection de la communauté sans aucune considération pour le bien-être de l’individu » : il s’agit en effet de réduire les risques en n’intervenant que sur les facteurs en lien avec l’infraction et non sur d’autres besoins importants pour le bien-être de la personne (tels que l’état psychologique d’anxiété, dépression, etc.) ; © Bernard Le Bars
référence lorsqu’elles recommandent d’évaluer, en début de suivi, la situation de l’auteur d’infraction « y compris les risques, les facteurs positifs et les besoins, les interventions nécessaires pour répondre à ces besoins ainsi qu’une appréciation de la réceptivité de l’auteur d’infraction à ces interventions9 ». Les chercheurs du « What Works ? » sont parvenus à convaincre en avançant des résultats positifs à grande échelle : en 2009, il était relevé que « plus de 50 méta-analyses ont examiné l’efficacité des principes risque-besoins-réceptivité lorsqu’ils sont appliqués auprès des délinquants adultes et juvéniles, des femmes délinquantes, des délinquants provenant de minorités ethniques, des délinquants violents et des délinquants sexuels (Hollin et Palmer, 2006). Les résultats montrent que lorsque le traitement correctionnel adhère aux principes RBR, des réductions de la récidive sont invariablement observées. L’ampleur de l’effet […] correspond à des réductions de la récidive situées entre 30 et 60 %. En termes de signification clinique, il importe de souligner que les ampleurs de l’effet évaluées par les méta-analyses du traitement correctionnel sont tout à fait comparables, voire dans certains cas supérieures, à celles d’interventions médicales bien crédibles telles que l’usage d’aspirine et du pontage coronarien pour réduire le risque de crise 10 cardiaque (Lipton, 1992, 1995 ; Marshall et MacGuire, 2003) » .
Des critiques à l’origine de nouveaux courants… Pour autant, l’application du modèle RNR comporte certaines dérives et suscite de plus en plus de critiques de la part de chercheurs et de praticiens ces dernières années. L’une des limites de cette approche est d’appréhender l’auteur de l’infraction sous le seul prisme des risques qu’il présente, et la réponse pénale sous le seul angle de la réduction de ces risques. L’application des programmes RNR à grande échelle tend également à appliquer de manière mécanique des programmes à des publics de plus en plus importants, avec une perte d’adaptation du suivi à chaque personne. Dès lors, des 9. Conseil de l’Europe, Recommandation Rec(2010) sur les Règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation, Règle n° 66, 20 janvier 2010. 10. F. Cortoni, D. Lafortune, « Le traitement correctionnel fondé sur les données probantes : une recension », in Criminologie, vol. 42, n° 1, 2009.
• « La réduction de l’individu à un ensemble de facteurs de risque » : la personne est appréhendée comme un être « porteur de risques et différente des non délinquants » ; • « L’emphase excessive sur des éléments négatifs (apprentissage de listes de “ne pas… “) à la fois dans les cibles du traitement (difficultés, déficits et vulnérabilités telles que distorsions cognitives, attitudes négatives, intérêts sexuels déviants, etc.) et dans le langage employé par les intervenants (ex. : prévention de la récidive, modification de l’excitation sexuelle déviante, etc.) » ; • « La négligence du rôle et de l’influence de l’intervenant (personnalité, attitudes, etc.) » ; • « Le manque de considération des facteurs contextuels en privilégiant une approche censée convenir à tout délinquant »11. A partir de ces critiques, émergent de nouveaux courants de recherche, tels que celui de la « désistance », cherchant à intégrer davantage la motivation personnelle et la prise en compte de l’environnement social comme facteurs d’efficacité de l’intervention. Ou encore celui du « Good Lives Model », appréhendant l’infraction comme une manière socialement inadaptée de répondre à des besoins légitimes partagés par tout être humain. Ces courants ne rejettent pas en bloc le modèle RNR, mais ils cherchent à le compléter et l’enrichir d’autres dimensions et outils. Ces critiques et nouveaux courants gagnent en influence auprès des administrations chargées de la probation. Certains pays commencent à revenir sur l’idée d’appliquer massivement des programmes pré-formatés à de grands ensembles d’auteurs d’infraction, revenant à des suivis plus individualisés (« sur mesure »). Une nouvelle ère semble ainsi s’ouvrir, intégrant la rigueur scientifique du « What Works ? » en lui ajoutant le supplément d’humanisme qui pouvait lui manquer. La France a raté l’ère du « What Works ? », passera-t-elle également à côté celle de la « désistance » et du « Good Lives Model » ? Sarah Dindo
11. Geneviève Coco et Serge Corneille, « Quand la justice restaurative rencontre le Good Lives Model de réhabilitation des délinquants sexuels : fondements, articulations et applications », Revue Psychiatrie et violence, volume 9, numéro 1, 2009. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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Soutenir la « désistance » Qu’est-ce que la « désistance » ? A la différence des études du “What Works ?”, qui analysent les facteurs de risque de récidive et la manière dont le suivi ou le « traitement » parvient à les réduire, le courant de la « désistance » étudie les facteurs de sortie de délinquance, à savoir ce qui amène, même des délinquants « d’habitude » ou multi-récidivistes, à s’en détourner. « Les résultats démontrent que renoncer à une vie déviante n’est pas le résultat d’une décision unique et isolée, mais d’un processus de changement, caractérisé par des vacillations, des ambivalences et des rechutes temporaires mais de moins en moins fréquentes et graves 1. » Les quatre principaux facteurs de sortie de délinquance s’avèrent liés à l’âge, aux événements de vie positifs (rencontre amoureuse, naissance d’un enfant, obtention d’un emploi…), au renforcement du « capital humain » (développement de capacités de communication, de gestion des émotions…), et au « capital social » (intégration dans des relations et réseaux sociaux non délinquants, permettant à la personne de développer des compétences personnelles et sa « responsabilité à l’égard des générations futures »…). De ces différentes recherches émanent, depuis quelques années, de nouvelles méthodes d’accompagnement des auteurs d’infraction placés sous probation (en milieu ouvert). Elles peuvent intégrer à la fois un travail motivationnel (entretiens « motivationnels » visant à aider la personne à trouver et renforcer sa propre motivation au changement), un travail sur le « capital humain » (enseignement de techniques aidant les personnes à mieux gérer leurs émotions, à repérer et répondre à leurs besoins autrement que par la délinquance…), et un travail sur le « capital social » (travail d’activation des réseaux favorisant une insertion sociale et le développement de relations non délinquantes). Les principaux auteurs du courant de recherche de la désistance sont Steve Farrel, Shadd Maruna et Fergus Mc Neill. 1. Sonja Snacken, présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe, Actes du colloque « L’exécution des décisions en matière pénale en Europe, du visible à l’invisible », Ministère Justice/DAP, décembre 2008. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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Les études sur la « désistance » (processus de sortie de la délinquance) apportent de nouveaux éclairages sur les méthodes d’accompagnement à privilégier auprès des auteurs d’infraction. Pour Fergus Mc Neill, la probation ne peut se contenter de travailler avec eux sur leurs problématiques personnelles, mais doit aussi trouver des « alliés » dans leur environnement social et relationnel, qui viendront soutenir au quotidien leur démarche de réinsertion.
Professeur de criminologie et travail social à l’Université de Glasgow (Ecosse), Fergus McNeill est l’un des principaux chercheurs du courant de la « désistance ».
Quels sont les principaux facteurs de sortie de délinquance, selon les études sur la désistance ? Une première perspective issue de ces études s’appuie sur la relation entre âge et délinquance, la commission d’infractions répétées étant très majoritairement le fait d’individus jeunes [les faits débutent durant l’adolescence, avec un pic autour de 17-18 ans, puis ont tendance à se dissiper avant que la personne n’atteigne l’âge de 30 ans]. Ces théories suggèrent que la désistance peut surtout s’expliquer en termes d’âge et par la maturité croissante qu’il apporte généralement. Une deuxième perspective suggère que la désistance ne s’explique pas par l’âge et la maturité en tant que tels, mais par
prévention de la récidive : le retard français les évolutions des liens sociaux qui viennent habituellement avec l’âge adulte. Elle met en évidence que la désistance est corrélée, par exemple, à l’acquisition d’un emploi stable, au développement de relations intimes satisfaisantes, au fait de s’investir dans le rôle de parent… En quelque sorte, les personnes se détournent de la délinquance parce qu’elles avancent sur le chemin du « conformisme ». Une troisième approche pointe moins la dimension structurelle de ces événements que leur dimension subjective : une nouvelle relation amoureuse ou un nouveau travail sera susceptible de susciter ou d’appuyer la désistance si et seulement si la personne lui accorde plus de valeur qu’à ses relations ou activités « pro-délinquantes ». Cette dimension subjective nous amène à réfléchir sur les moyens d’abandonner une « identité » trouvée dans la délinquance – et comment de nouvelles identités, plus positives, peuvent être développées. Est-ce que cela signifie que l’accompagnement par les éducateurs, agents de probation ou autres professionnels ne peut avoir qu’un effet mineur sur les trajectoires délinquantes ? Non, je ne pense pas. Il est vrai que l’une des études les plus importantes, publiée en 20021, considère que la probation n’a que peu d’impact sur les trajectoires délinquantes, comparée aux facteurs de la motivation personnelle et du contexte social. L’auteur soutient néanmoins que la probation peut avoir des effets positifs indirects, par exemple en travaillant au renforcement de la « motivation au changement » et en répondant aux difficultés d’insertion sociale. Ajoutons que depuis 2002, Steve Farrall et son équipe ont mené des études de suivi des mêmes probationnaires, qui tendent à montrer que la probation a eu plus d’effets, en termes de « semer des graines » pour de futurs changements, que ce qu’ils pensaient initialement. Ce qui fait écho à ce que j’avais moi-même trouvé lors d’une étude portant sur des personnes qui avaient été probationnaires dans les années 1960. Avec 40 ans de recul, de nombreuses personnes interviewées reconnaissaient que la probation avait eu un impact positif et notable sur leur vie, mais pas toujours dans l’immédiat. Quelle est l’importance de la qualité de la relation avec l’agent de probation ? Et quelles sont les méthodes d’accompagnement que celui-ci doit privilégier ? L’ensemble des études conduites dans le champ de l’accompagnement des personnes concluent que la qualité de la relation entre l’auteur d’infraction et l’agent de probation est un facteur essentiel pour favoriser un processus de sortie de délinquance. Les individus sont plus à même d’entreprendre un processus exigeant d’évolution personnelle s’ils perçoivent que les professionnels chargés d’accompagner cet effort se préoccupent d’eux, leur accordent de la valeur et les respectent. Cela implique une posture professionnelle qui est en 1. Steve Farrall, Repenser le “What Works”, 2002.
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empathie, s’engage, co-analyse avec la personne sa situation, co-planifie le suivi, coordonne et co-évalue l’intervention. Il ne s’agit plus d’une intervention sur la personne, mais d’un processus engagé avec et pour elle. Les méthodes d’accompagnement à privilégier diffèrent également selon les personnes, sur la base d’un examen attentif, avec le probationnaire lui-même, de là où il en est dans le processus de désistance, des obstacles auxquels il est confronté et de ce qui peut l’aider à enclencher ou poursuivre sa marche en avant. Dans la mesure où la désistance est un processus affecté par la subjectivité et des questions d’identité, il faut adopter une approche véritablement individualisée, adaptée aux besoins, aux points forts et aux dynamiques de changement de chaque individu. En revanche, tous auront besoin d’une forte motivation pour enclencher ces changements [ce qui implique de la part du professionnel un rôle de conseil pour renforcer la motivation], de développer des « capacités humaines » qui leur permettront de commencer à vivre différemment [rôle éducatif du professionnel, enseignement de méthodes cognitivo-comportementales], ainsi que d’accroître les opportunités sociales nécessaires à un changement durable [l’accompagnant joue un rôle de défenseur et de mise en réseau d’alliés autour de la personne dans son voisinage ou sa communauté]. Comment les agents de probation peuvent-ils travailler sur les questions liées au milieu social et relationnel des auteurs d’infractions, dit capital social ? Le concept de « capital social » évoque les réseaux de relations et de réciprocités dont nous dépendons tous. La famille et les amis proches sont notre source habituelle de « capital social liant » (bonding). Les collègues de travail, d’études ou les autres personnes avec lesquelles nous partageons des intérêts ou des activités représentent le « capital social d’échanges » (bridging). Bien entendu, le capital social peut Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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être licite ou illicite, il peut soutenir la désistance ou les activités délinquantes. Son rôle est essentiel, car avoir la motivation et les capacités d’agir autrement ne suffit pas s’il n’existe aucune opportunité pour maintenir durablement un tel changement. La principale implication de ces constats est que la probation est vouée à l’échec si elle ne s’occupe que des seuls probationnaires, sans se soucier de leur environnement social et relationnel. La probation doit travailler avec les réseaux de la famille et des pairs, afin de repérer et renforcer des « alliés » qui viendront soutenir au quotidien le processus de désistance. Cela implique que les agents de probation sortent de leur bureau, pour connaître et comprendre le contexte social dans lequel vivent les probationnaires, pour construire des relations avec les familles, la communauté, les employeurs, les associations, de sorte que le changement puisse être appuyé et soutenu, les obstacles écartés et des perspectives ouvertes. Le développement de « cercles de soutien et responsabilité » fournit un exemple prometteur de ce type de travail. Des auteurs d’infractions sexuelles, considérés comme présentant un risque élevé de récidive, sont associés à un « cercle » de Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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bénévoles formés, qui reçoivent l’appui de professionnels de la justice. Ces bénévoles jouent un rôle semblable à celui des proches ou des amis pour des personnes très isolées, notamment en étant disponibles à tout moment pour un téléphone ou une rencontre. Les probationnaires doivent également rendre compte au cercle de bénévoles du respect de leurs obligations. Il s’agit donc en même temps d’apporter un soutien et une supervision. Comment les chercheurs de la désistance préconisentils de travailler sur le « capital humain », à savoir les aptitudes personnelles nécessaires au changement ? Réussir un processus de changement nécessite effectivement le développement du « capital humain », ou des « compétences humaines », ou à tout le moins la réorientation des compétences et points forts existants dans une direction plus positive. Les publications du “What Works ?” ont bien montré que de nombreuses personnes impliquées dans la délinquance ont « appris » des attitudes et des comportements qu’il leur faudrait quasiment « désapprendre », et que les traitements cognitivo-comportementaux peuvent favoriser
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« La probation est vouée à l’échec si elle ne s’occupe que des seuls probationnaires, sans se soucier de leur environnement social et relationnel »
considérablement ce processus. Le “What Works ?” tend à centrer son approche sur des « facteurs de risque dynamiques » très spécifiques, qui sont les plus fortement corrélés avec la probabilité d’une nouvelle condamnation, au premier rang desquels se placent les croyances et valeurs favorables à la délinquance, les problèmes d’agressivité et gestion de la colère et les troubles associés à la consommation de stupéfiants. Il me semble que lorsque ces problèmes existent, la probation doit en effet les prendre en compte. Je pense qu’il est toutefois erroné de penser qu’une fois ces problèmes résolus, la question de la délinquance sera durablement réglée. Faut-il, selon vous, privilégier les entretiens individuels ou les groupes de parole, ou faire les deux ? Des éléments de travail en groupe peuvent être intégrés sur des points précis (par exemple, le développement de « compétences humaines » évoqué ci-dessus). Mais ils doivent toujours, à mon avis, s’inscrire dans le cadre d’un suivi individualisé, avec pour toile de fond une bonne compréhension de ce qu’est la désistance [l’intervention judiciaire s’inscrit dans un processus de changement qui appartient à la personne et qu’il convient de soutenir, dans un objectif d’intégration dans la communauté]. Lorsque des besoins communs sont identifiés au sein de la population prise en charge, il peut s’avérer pertinent de rassembler les personnes pour y travailler ensemble et s’apporter un soutien mutuel dans le processus de changement. Les programmes du “What Works ?” qui recourent au travail en groupe s’appuient beaucoup sur le soutien, mais aussi les défis, apportés par les pairs. En Ecosse, nous proposons des programmes « à entrées permanentes » [les participants peuvent être intégrés au groupe à tout moment et la composition du groupe évolue continuellement, avec des arrivées et des départs]. Ces programmes sont composés de différents modules, les participants pouvant travailler sur des problématiques variées. Lors de chaque session, une ou deux personnes sont au centre des discussions du groupe, qui travaille sur leurs problématiques et valorise leurs progrès. Cette approche permet au travail en groupe d’être plus individualisé.
formation préparatoire et les techniques cognitivo-comportementales issues des programmes du “What Works ?”, ainsi que leurs procédures pour s’assurer qu’ils sont correctement conduits par les animateurs. Il s’est également inspiré des théories de la désistance et de « l’attachement » (qui porte sur les expériences précoces des personnes, et comment celles-ci modèlent leur capacité à entrer en contact avec les autres), ainsi que du “Good Lives Model”. Alors que les programmes du “What Works ?” se déroulent essentiellement en groupe, le SSP prend la forme d’une supervision individuelle. Il comprend douze sessions d’entretiens individuels, qui correspondent à cinq modules traitant des thèmes suivants : la motivation [méthode de « l’entretien motivationnel », qui vise à aider la personne à identifier et renforcer sa propre motivation au changement tout au long de son parcours] ; développement de compétences en matière de « résolution de problèmes » et de « communication assurée » ; définition d’objectifs et travail sur le « cycle de changement » ; établir des perspectives [définition d’objectifs] ; travail sur la prévention de la récidive [identification des situations « à risque », les manières de les éviter ou d’y répondre autrement…]. Le programme SSP a été à l’origine conçu pour les services de probation de Roumanie, puis il a été adapté pour le service de probation de Londres. Il a partout été très bien reçu par les agents de probation, et par les probationnaires eux-mêmes. Il semble qu’il permette de prendre vraiment en compte les inquiétudes et les espoirs d’une personne, sans perdre la rigueur et la structure des programmes du “What Works ?”. Plus récemment, le SSP a servi au développement de SEED2 (« Compétences pour le développement d’un engagement efficace »), programme actuellement testé en Angleterre et au Pays de Galle. A l’instar du SSP, SEED est centré sur le développement des relations et de modèles « pro-sociaux », les entretiens motivationnels, l’application des techniques cognitivo-comportementales à des formes de suivi individuel structuré. Je fais partie d’une équipe universitaire qui évalue le SEED et il apparaît d’emblée que le personnel de probation estime ce programme très pertinent. Il apparaît de plus en plus que les services de probation se décident à investir davantage dans la formation du personnel et l’amélioration des méthodes de suivi individuel, plutôt que de dépendre de programmes de travail en groupe tels qu’ils ont été développés au Canada, dont la mise en œuvre est complexe et coûteuse. Ces derniers programmes ne seront pas abandonnés, mais il est probable que leur nombre se réduise et qu’ils soient réservés, à terme, à certains publics spécifiques et considérés comme « à plus haut risque ». Propos recueillis par Sarah Dindo et Barbara Liaras
Pouvez-vous décrire le programme SSP, dont la conception est pour partie inspirée des recherches sur la désistance ? Le « Programme structuré de supervision » (SSP, Structured Supervision Programme) a emprunté la structure, la Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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« Good Lives Model » :
l’avant-garde du suivi des condamnés Conçu en 2003 et développé à partir de 2007 par le chercheur australien Tony Ward et ses collègues, le « Good Lives Model » est une nouvelle approche résolument humaniste du suivi des condamnés. Avec pour hypothèse de départ : la commission d’une infraction est une façon inadaptée de répondre à des besoins humains légitimes, le suivi ayant dès lors pour but d’aider la personne à mettre en place d’autres façons de répondre à ses besoins sans nuire à autrui. Chercheur et professeur de psychologie à l’Université Victoria de Wellington (Australie), Tony Ward est le concepteur du « Good Lives Model ».
Alors que le modèle « risque-besoins-réceptivité » (riskneeds-receptivity, RNR) apporte de sérieuses garanties scientifiques, pourquoi de nouvelles méthodes sontelles apparues ? La principale critique formulée à l’encontre du modèle RNR porte sur son incapacité à motiver et impliquer les personnes condamnées dans la prise en charge. Les individus sont perçus et évalués essentiellement à travers les risques dont ils sont porteurs, ce qui ne leur donne pas envie de coopérer1. Or, pour qu’un traitement fonctionne, qu’un changement réel s’opère, il faut que la personne trouve ses propres « motivations internes » et pas seulement « externes » (comme le fait de se conformer aux attentes de la Justice ou du professionnel chargé de son suivi). Ce manque de motivation explique des taux d’abandon en cours de programme particulièrement élevés, qui peuvent atteindre 30 à 50 % pour les délinquants
1. Mann, 2000 ; Ward & Maruna, 2007. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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sexuels2. Or, les recherches parviennent toutes à la conclusion qu’une personne arrêtant un programme en cours de route a plus de probabilités de récidiver qu’une personne le menant à terme, mais aussi qu’une personne qui ne l’a jamais entamé3 ! C’est ainsi que les programmes RNR peuvent paradoxalement échouer à intégrer les délinquants sexuels les plus à risque et qui en auraient le plus besoin4. Le « principe du risque », selon lequel il faut réserver les programmes de suivi les plus intensifs aux personnes présentant le plus de risques de récidiver, est de fait le plus difficile à respecter. Selon les théories du « Good Lives Model » et de la « désistance », il faut veiller, lorsque l’on tente de persuader une personne de quitter la délinquance, à construire des « points d’appui » plutôt qu’éradiquer, contrôler ou gérer le risque. La recherche sur la question de la motivation montre clairement que la meilleure façon d’engager quelqu’un à modifier ses comportements est de se concentrer sur des objectifs qui aient du sens pour lui5. Se contenter d’ordonner à des délinquants de participer à des suivis ou programmes exigeants, afin de les rendre moins « néfastes » ne constitue pas une option très attractive. Il faut qu’ils entrevoient la possibilité d’une vie plus satisfaisante, et perçoivent que les agents qui les suivent se préoccupent de leur sort, seront personnellement investis dans l’accompagnement tout au long de ce parcours6. 2. Browne, Foreman & Middleton, 1998 ; Moore, Bergman & Knox, 1999 ; Ware & Bright, 2008. 3. Hanson et al., 2002. 4. Beyko & Wong, 2005. 5. Amodeo, Kurtz, & Cutter, 1992 ; Emmons, 1999 ; Gorman, Gregory, Hayles & Parton, 2006 ; McMurran, 2002. 6. Mc Neill et al., 2005.
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Quels sont les aspects négatifs de l’approche de « gestion des risques » que le « Good Lives Model » (GLM) tente de pallier ? En premier lieu, les objectifs de la « gestion des risques » sont de réduire les facteurs de risque de récidive, principalement en encourageant une hyper-vigilance et un évitement des situations à risque. Or, il s’avère que tout être humain est plus motivé par une perspective positive de « buts à atteindre ». Les personnes sont alors focalisées sur des résultats positifs et donc persévèrent plus longtemps que des personnes conduites par des objectifs d’évitement, qui se concentrent sur les menaces. Le suivi permet, dès lors, de conseiller les individus sur la meilleure façon d’atteindre leurs propres objectifs plutôt que de leur rappeler la menace de conséquences négatives s’ils ne changent pas7. Recadré sur des buts à atteindre, l’objectif de prévention de la récidive pourrait être reformulé de la façon suivante : « Devenir quelqu’un qui vit une vie satisfaisante et respectueuse des autres. » Il peut être subdivisé en objectifs intermédiaires ayant un sens particulier pour l’individu concerné et qui lui apportent des orientations pour sa vie, comme par exemple, « accroître sa confiance en lui dans le cadre de ses relations avec des femmes adultes ». Cette approche peut aider les délinquants à vivre une « meilleure vie », et pas seulement une vie qui « cause moins de dégâts ». En second lieu, les objectifs d’une prise en charge basée sur la gestion du risque sont imposés aux délinquants plus qu’ils ne sont mutuellement définis, ce qui compromet la relation
7. Higgins, 1996.
entre le praticien et la personne suivie. Des chercheurs8 ont montré qu’une relation placée sur le registre de la confrontation avait un impact négatif sur les changements d’attitude et de comportement, alors que des manifestations d’empathie, d’encouragement, mais aussi un certain degré de « directivité » facilitaient les évolutions en cours de suivi. Le caractère didactique de l’approche par la gestion du risque laisse peu de marge à une relation de ce type, alors que l’attention mise sur la posture du professionnel et la qualité de la relation apparaît essentielle. En troisième lieu, des chercheurs ont défendu l’idée selon laquelle le fait de ne se concentrer que sur les « besoins criminogènes » (ceux qui ont un lien direct avec la délinquance) freine l’implication dans le suivi, et que porter attention à des besoins « non criminogènes », tels que ceux qui améliorent le bien-être et la qualité de vie, peut l’améliorer. Par exemple, il sera probablement vain de travailler sur les besoins criminogènes dans un contexte de détresse personnelle ou de crise financière (qui sont deux besoins non criminogènes), la prise en compte de ces problématiques aiguës pouvant constituer un préalable nécessaire9. En ce sens, une autre limite de « la gestion du risque » est de n’accorder qu’une attention minimale au retour et à la réintégration dans l’environnement social (hormis l’identification et l’évitement des situations à haut risque). Or, les travaux sur la désistance soulignent le rôle prépondérant de l’environnement – relations qui apportent un soutien, accès à un emploi – dans l’arrêt durable de la 8. Marshall et al., 2003 ; Serran, Fernandez, Marshall & Mann, 2003. 9. Ward & Maruna, 2007. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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dossier qu’il suffirait de réparer. Dans l’approche du « Good Lives Model », nous estimons que ces interventions alliant évaluation des risques et programmes cognitivo-comportementaux ne sont pas à bannir, il s’agit même d’une base nécessaire, mais elles ne sont pas suffisantes. Nous soutenons que la réhabilitation des délinquants nécessite une double focale : réduire les risques, mais aussi définir avec la personne des objectifs lui permettant de satisfaire ses besoins et valeurs autrement que par la délinquance11. Concrètement, le GLM est donc utilisé en complément du modèle RNR, et non en substitut. Quelles sont les différentes étapes de l’accompagnement dans le cadre du GLM ?
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délinquance. Par exemple, le fait de fréquenter des personnes qui entretiennent les convictions favorables à la commission d’infractions ne pourra guère favoriser la pérennité des changements de convictions acquis au cours du suivi. Par conséquent, la construction et le renforcement d’opportunités, de ressources et de soutien dans les relations sociales devraient être centraux dans les efforts visant à réhabiliter et réintégrer 10 des délinquants . A mon sens, l’échec de l’approche de gestion du risque à impliquer les justiciables dans le processus de réhabilitation vient de ses présupposés théoriques, qui ont tendance à ignorer que les êtres humains sont porteurs de valeurs, chercheurs de sens et poursuivent des objectifs. Elle réduit implicitement la délinquance à un dysfonctionnement quasi-mécanique 10. Ward & Nee, 2009. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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Le « Good Lives Model » repose sur l’idée selon laquelle les comportements criminels surviennent lorsqu’un individu ne dispose pas des ressources internes et externes nécessaires pour respecter ses besoins et valeurs par des moyens « pro-sociaux ». En d’autres termes, le comportement délinquant constitue une tentative inadaptée de répondre à ses besoins fondamentaux12. Dès lors, les praticiens sont invités à construire explicitement un programme de suivi qui aide chaque délinquant à acquérir les connaissances, compétences, opportunités et ressources nécessaires pour répondre à ses besoins propres d’une autre manière, sans porter préjudice aux autres. Le GLM prend ses racines dans le concept de dignité humaine et de droits humains universels et porte par conséquent un accent fort sur le libre arbitre des individus. C’est-à-dire que le GLM s’intéresse à la capacité des individus à formuler et choisir des objectifs, bâtir des projets et agir librement pour leur réalisation. Cela implique aussi de reconnaître que les auteurs d’infractions peuvent chercher à travers leurs actes à satisfaire des besoins fondamentaux communs à tous les êtres humains. Avec mes collègues, nous avons proposé une classification de ces besoins « primaires » en 11 types : (1) la vie (au sens de rester en vie, ce qui comprend de mener une vie saine et d’avoir un bon fonctionnement physique), (2) le savoir (les connaissances), (3) l’accomplissement dans les loisirs, (4) l’accomplissement dans le travail (avoir le sentiment d’exceller dans un domaine), (5) l’autonomie (capacité à décider pour soimême), (6) l’équilibre émotionnel (être libéré de tourments et 11. Ward, Mann & Gannon, 2007; Ward & Maruna, 2007 ; Ward & Stewart, 2003. 12. Ward & Stewart, 2003.
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« Le suivi devrait permettre de conseiller les individus sur la meilleure façon d’atteindre leurs propres objectifs plutôt que de leur rappeler la menace de conséquences négatives s’ils ne changent pas »
de stress émotionnels), (7) l’amitié (y compris intime, amoureuse et les relations familiales), (8) la communauté (sentiment d’appartenance à un environnement social), (9) la spiritualité (au sens de trouver un sens et une raison à la vie), (10) le bonheur et (11) la créativité13. Si l’on accepte l’idée que tous les êtres humains cherchent, à des degrés divers, à satisfaire tous ces besoins primaires, l’importance accordée à chacun d’eux reflète les valeurs et priorités dans la vie d’un individu. Les besoins « instrumentaux » ou « secondaires » constituent les moyens de répondre aux besoins primaires et prennent la forme de buts à atteindre14. Par exemple, le fait de suivre une formation peut satisfaire pour une personne des besoins tels que le savoir, l’accomplissement dans le travail, ou encore l’amitié à travers la rencontre de nouvelles personnes. Lorsque l’on applique le GLM, l’évaluation commence par l’identification du poids accordé par le délinquant à chacun des besoins primaires, ce qui permet d’avoir une idée de ce que pourrait être une vie « saine » ou « accomplie » pour lui. Des questions précises lui sont ainsi posées sur ce qui est particulièrement important pour lui dans la vie, ses activités ou expériences quotidiennes auxquelles il attache le plus de prix… Dans un deuxième temps, il s’agira d’identifier les objectifs et valeurs qui apparaissent nettement derrière les actions liées à sa délinquance. Dans un troisième temps, le praticien et le délinquant cherchent à formuler les besoins secondaires ou objectifs qui permettront à la personne de satisfaire ses besoins primaires d’une façon socialement acceptable. Il en résulte un « plan de vie » élaboré conjointement, complété par un programme d’actions visant à aider le délinquant à le mettre en œuvre. Ce programme élaboré au cas par cas prend également en compte les « besoins criminogènes » ou « facteurs de risques », qui pourraient entraver la mise en œuvre du plan de vie. Le praticien GLM utilise également des outils d’évaluation des risques, il peut aussi intégrer au programme des modules issus des thérapies cognitivo-comportementales, portant par exemple sur la « régulation des émotions », la « résolution de problèmes » ou « l’auto-régulation »… C’est ainsi que le programme d’action peut comporter tout autant un travail sur le renforcement des capacités et compétences « internes », qu’une aide visant à maximiser les ressources « externes » et le soutien social. Porter attention à l’environnement social et relationnel d’un délinquant peut 13. Ward & Gannon, 2006 ; Ward, Mann & Gannon, 2007. 14. Ward, Vess, Collie & Gannon, 2006.
aussi impliquer d’intervenir, lorsque nécessaire, pour rétablir des relations positives avec la famille, les pairs ou la communauté dans un sens plus large. Où le GLM est-il utilisé aujourd’hui, par quels types de professionnels et pour quels types de délinquance ? De nombreux programmes inspirés du GLM ont été développés de par le monde, mais il nous est impossible d’en connaître le nombre exact pour l’instant. Un rapport récent15 a montré qu’un nombre important (autour de 600) de programmes américains et canadiens à destination des auteurs de violences sexuelles identifient le GLM comme l’une de leurs principales références théoriques. Les programmes inspirés du GLM sont mis en œuvre soit par des agents de probation, soit par des travailleurs sociaux, soit par des psychologues, infirmiers ou psychiatres. Ils concernent principalement des délinquants sexuels adultes, mais aussi des auteurs de violences inter-personnelles, des auteurs de violences familiales, des jeunes délinquants, des toxicomanes, des délinquants atteints de pathologies mentales, des délinquants psychopathes, des délinquants intellectuellement déficients… Dans les cinq ans à venir, d’autres évaluations vont être finalisées, et nous espérons au moins pouvoir dresser une liste des programmes GLM qui ont été sérieusement testés et évalués quant à leur fidélité aux principes théoriques et leurs effets en termes de réinsertion. Existe-t-il des études d’impact sur le GLM équivalentes à celles des programmes RNR ? La critique la plus courante portée à l’encontre du GLM est qu’il manque de preuves scientifiques de son efficacité16. Toutefois, le GLM ne peut aucunement être évalué de la même manière que les programmes RNR, car il ne s’agit pas d’un programme, mais d’un cadre d’intervention plus global pour les professionnels. Néanmoins, des programmes qui intègrent les hypothèses du GLM sont développés et évalués : ils doivent être compris comme étant compatibles avec le GLM, sans être le GLM en tant que tel17. Un corpus de plus en plus important d’études a ainsi intégré les principes du GLM aux interventions destinées aux délinquants sexuels, avec des résultats positifs18. D’autres sont venues renforcer les hypothèses fondatrices du GLM19. Tous ces travaux montrent que l’adoption du GLM améliore l’implication de la personne dans la prise en charge et la qualité des relations entre le justiciable et le professionnel qui le suit, ainsi que la désistance sur le long terme. Propos recueillis par Sarah Dindo et Barbara Liaras 15. McGrath, Cumming, Burchard, Zeoli & Ellerby, 2010. 16. Bonta & Andrews, 2003 ; Ogloff & Davis, 2004. 17. Laws & Ward, 2010 ; Ward & Maruna, 2007. 18. Gannon, King, Miles, Lockerbie, & Willis, à paraître ; Harkins, Flak, & Beech, 2008, à paraître ; Lindsay, Ward, Morgan, & Wilson, 2007 ; Marshall, Marshall, Serran, & O’Brien, 2011; Simons, McCullar, & Tyler, 2009 ; Ware & Bright, 2008 ; Whitehead, Ward, & Collie, 2007. 19. Barnett & Wood, 2008 ; Bouman, Schene, & de Ruiter, 2009 ; Willis & Grace, 2008 ; Yates, 2010. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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dossier Dans un rapport de 2010, une criminologue de l’Université de Montréal fait le récit du suivi en milieu ouvert d’une personne condamnée pour agression sexuelle, qu’elle a réalisé sur la base de la méthode du « Good Lives Model ». Extraits.
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Les « besoins de vie »
de monsieur W Histoire délictuelle « Monsieur W est un homme de 50 ans condamné à une peine de 18 mois d’emprisonnement assortie d’une ordonnance de probation de 2 ans [pour] des accusations d’agression sexuelle [à l’encontre] d’une fillette âgée de 3 et 5 ans au moment des événements. Le client ne possède aucun antécédent criminel. (…) La victime était inscrite à la garderie familiale de sa conjointe, située au domicile du sujet. Les agressions sexuelles se seraient toujours produites pendant la sieste des enfants, alors que la victime n’arrivait pas à trouver le sommeil. Monsieur W faisait signe à sa victime de venir le rejoindre. Il lui bandait alors les yeux avant de l’inciter à toucher son pénis ou à lui faire une fellation. »
Evaluation du risque et des besoins « L’échelle utilisée est la STATIQUE-99. Monsieur W a obtenu un score de 1 [faible risque]. L’unique facteur de risque statique qu’on peut accoler à monsieur W est la présence d’une victime n’ayant pas de lien de parenté avec lui. Les besoins criminogènes de monsieur W ont pu être cernés à l’aide d’un second outil actuariel, le STABLE 2007. Il a obtenu un score de 7 sur 26 points, ce qui correspond à un niveau de besoins modéré. » « Un premier besoin criminogène ciblé par l’évaluation est une difficulté sur le plan de l’intimité. Bien qu’il ait longtemps cohabité avec son ex-conjointe, monsieur W n’entretenait aucune relation intime au moment de l’évaluation. Il souligne que la relation qu’il entretenait avec sa femme au moment Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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des délits était teintée de nombreux conflits. De surcroît, il a admis éprouver de la difficulté à aborder les femmes en général et craindre d’être rejeté par elles. Par ailleurs, son réseau social n’était constitué que de ses deux sœurs et il n’avait aucune activité sociale. Il disait vivre du rejet et de la solitude et que cette situation était souffrante pour lui. Ensuite, le fait que la victime de monsieur W se trouvait au stade pré-pubère au moment des agressions et qu’il ait verbalisé avoir été attiré physiquement par elle nous indique la possibilité d’un intérêt sexuel déviant. »
« Good Lives Model » (identification des besoins primaires) « Au moment des délits, monsieur W rapporte que la communication dans son couple était quasi inexistante et que les échanges tournaient principalement autour des conflits qui subsistaient entre eux. Monsieur W pouvait éprouver des difficultés relativement à son besoin d’être en relation, soit de se sentir aimé et soutenu. (…) Il vivait également des changements sur le plan professionnel, il entreprenait un nouvel horaire, travaillant le soir, et éprouvait de la difficulté à dormir étant donné que sa conjointe tenait une garderie à leur domicile durant la journée. Ajoutons à cela que monsieur W éprouvait des problèmes de santé physique (diabète). Ces éléments indiquent une difficulté dans l’atteinte du besoin primaire d’être en bonne santé [besoin de vie]. Monsieur W rapporte avoir été longtemps actif sur le plan social et avoir considéré cet aspect comme important pour son épanouissement [besoin de socialisation]. Or, au moment des passages à
prévention de la récidive : le retard français l’acte, il avait abandonné toutes ses activités sociales depuis quelques années pour plaire à sa conjointe et se consacrer entièrement à sa famille. Enfin, monsieur W a affirmé à plusieurs reprises qu’il se sentait contrôlé par sa conjointe à l’époque des passages à l’acte et qu’il éprouvait le sentiment de ne pas être libre et maître de lui-même, (…) il pouvait y avoir un problème en ce qui concerne l’atteinte des besoins d’autonomie et de pouvoir.
avec une femme, sachant que monsieur W était alors célibataire. Il fut amené à cibler les caractéristiques qu’il recherchait chez une femme, ainsi que des moyens concrets pour rencontrer une personne. Quant à la satisfaction de ses besoins en matière de sexualité, (…) nous l’avons conscientisé à l’importance de demeurer à l’écoute de ses besoins et à trouver des moyens de rechange lui permettant de se satisfaire adéquatement en l’absence d’une relation avec une femme.
Il semble donc que certains besoins primaires de monsieur W n’étaient pas comblés au moment des passages à l’acte. Bien qu’il dise avoir ressenti ces manques à cette époque, il ne semble pas avoir été en mesure d’appliquer des stratégies adéquates visant à les combler. En effet, il manquait d’habiletés dans les domaines de la résolution de problèmes, de la gestion des émotions et de l’affirmation de soi. (…) Il a ainsi pu tenter de combler son besoin de pouvoir en exerçant celuici sur sa victime. Monsieur W a aussi pu utiliser la fillette dans le but de combler ses besoins d’affection et de sexualité. Enfin, sa difficulté à bien gérer les émotions d’anxiété suscitées par ses problèmes sur les plans professionnel et de la santé a pu l’amener à recourir à la sexualité déviante comme mécanisme d’adaptation. (…) A défaut d’avoir été capable de satisfaire adéquatement ses besoins de vie primaires avec les adultes, il s’est tourné progressivement vers un enfant, avec qui il lui semblait plus facile de combler ses besoins. »
Parmi les habiletés ou conditions nécessaires à la satisfaction adéquate de ses besoins (…), il fut établi que monsieur W devrait travailler à acquérir plus d’habiletés sociales pour entrer en relation avec les femmes. Les habiletés en matière de résolution de problème furent également ciblées comme objectif de traitement, de même que les habiletés de gestion des émotions et d’affirmation de soi. En plus des ateliers de groupe, les différents moyens utilisés afin d’aider monsieur W dans l’acquisition de ces compétences furent la discussion, le jeu de rôle, l’auto-observation, l’écriture, ainsi que l’application de certaines habiletés dans son quotidien. A titre d’exemple, monsieur W a été amené à s’affirmer par rapport à son ex-conjointe en lui adressant une demande relative à la garde de leurs enfants. »
Traitement (2 séances de groupe et 1 entretien individuel par semaine) « Dans le cadre des rencontres individuelles, un premier objectif fut de l’amener à déterminer les buts qu’il poursuivait par l’intermédiaire des délits sexuels et comment cela pouvait être mis en relation avec ses besoins de vie primaires. Pour ce faire, le “Good Lives Model” a d’abord été présenté à monsieur W. Il a été amené à réfléchir à ses besoins et à la façon dont il tentait d’y répondre au moment des passages à l’acte. Par la suite, il fut nécessaire de sélectionner les besoins de vie prédominants dans la vie du sujet. Les besoins centraux trouvés par le délinquant furent, par ordre de priorité : la sécurité sur le plan financier, la famille, la socialisation, l’affection et l’intimité avec une femme. Pour chacun de ces besoins, des buts précis furent établis par monsieur W. Relativement à la sécurité financière, monsieur W souhaitait se trouver un emploi en priorité. Il a été amené à définir ses attentes, tout en demeurant vigilant par rapport à ses situations à risque. Par exemple, le sujet a pris conscience que certains horaires de travail risquaient de lui occasionner des problèmes de sommeil ainsi que des émotions négatives. Un deuxième objectif du plan de vie de monsieur W était de se rapprocher des membres de sa famille immédiate. Ensuite, monsieur W souhaitait être plus actif sur le plan social, tout comme il l’avait été avant son mariage. Il éprouvait toutefois de la difficulté à déterminer ses attentes sur ce plan et fut donc renvoyé à la travailleuse sociale. Enfin, un dernier besoin était l’intimité
Progrès en traitement « La réponse de monsieur W en début de suivi fut plutôt passive, il éprouvait de la difficulté à se mettre en action et ne parvenait pas à mettre en application, dans son quotidien, les stratégies apprises. Toutefois, il continuait d’assister aux rencontres individuelles bien que cette portion du traitement ne lui soit pas imposée. Peu à peu, il parvint à s’activer et il décrocha un emploi convenant à ses besoins. A partir de ce moment, il se montra plus ouvert à participer à des activités sociales et à faire preuve d’affirmation de soi. Relativement à son besoin de se rapprocher de ses enfants, monsieur W a dû fournir des efforts considérables afin de s’affirmer devant son ex-conjointe. Il semble qu’il ait pu en constater les bénéfices puisqu’il a obtenu le droit de recevoir ses enfants à son domicile. Quant à la sphère sociale, (…) c’est plus tardivement qu’il commença ses démarches, notamment auprès de la travailleuse sociale. En fin de suivi, il avait commencé à nommer des activités qui pourraient l’intéresser et en était à ses premières démarches. Nous avons su qu’il s’était inscrit à une activité de danse et qu’il y avait rencontré une femme. Enfin, un travail important a dû être effectué par monsieur W sur le plan de la gestion des émotions négatives. (…) A cet égard, il a utilisé diverses techniques afin de ventiler ses émotions négatives et a réussi à faire des demandes et à s’affirmer par rapport aux personnes concernées. » Julie Lefrançois, Le modèle des vies saines appliqué dans le traitement de délinquants sexuels suivis dans la communauté Ecole de criminologie/Université de Montréal, 2010. Dedans Dehors N°76 Mars-Avril 2012
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La justice malmenée par les utopies sécuritaires Dans le nouveau tempo consécutif au 11 septembre 2001, « le vieil antagonisme entre justice et politique » s’est exacerbé. « Longtemps feutrée, la bataille se livre désormais au grand jour », explique Denis Salas dans son dernier essai. Il tient à prendre « l’exacte mesure de ce moment historique », où le « rythme asphyxiant des réformes » brouille toute visibilité et tend à réduire la justice « à un simple instrument des politiques de sécurité ». Parce que désormais, « le sort des dirigeants politiques est lié aux “performances” des institutions pénales », les forces de police deviennent « des relais nécessaires pour montrer leur détermination ». Dans cette configuration, le juge indépendant menace la posture de dirigeants politiques prétendant incarner la figure du protecteur. C’est ainsi que « placée entre une injonction à agir et les contraintes du droit, la justice de notre pays est dévoyée ». Le trouble qui agite l’institution n’aurait rien de corporatiste : « Il touche la vision de l’homme qu’une société démocratique veut défendre. » Dans cette société « sans risque et sans danger » que l’utopie sécuritaire nous promet, la peine de mort abolie est remplacée par des dispositifs d’exclusion définitive. « A partir du moment où la dangerosité supplante la délinquance, la peine à temps devient insuffisante. » La mesure de sûreté, « illimitée, purement préventive et faite pour les individus dangereux », apporte un élément de réponse, l’enfermement perpétuel
complète le dispositif. Denis Salas, paraphrasant Michel Foucault, trace ainsi une ligne de partage entre « ceux qui croient à la finalité de la peine et ceux qui n’y croient plus ». Se plaçant résolument parmi ceux qui y croient encore, il appelle à déplacer les frontières de l’abolitionnisme : « En refusant les peines alternatives à la peine de mort, le nouvel abolitionnisme exige pour sa part que toute peine, quelle qu’elle soit, ait un terme. » C’est dans cette perspective que l’auteur invite au développement d’une justice restauratrice dont « l’ambition est de répondre avant tout aux besoins des victimes en cherchant à réintégrer les auteurs avec la participation de la communauté ». Les rencontres entre auteurs et victimes (mais pas entre un auteur et « sa » victime) qui commencent à émerger en France opposent, pour lui, « la voie longue et non moins efficace de la reconstruction » « aux réponses immédiates ». Cette approche entend « sortir de l’équivalence pénale qui oppose sans fin un mal subi (la peine) à un mal commis (l’infraction) ». Rejoignant les résultats de la recherche internationale, Denis Salas rappelle que les victimes « surtout d’atteintes graves, contrairement aux apparences (…) ne veulent pas rendre le mal pour le mal. Au delà d’un désir vindicatif immédiat, elles cherchent un dialogue à partir de leur agression. Il leur faut sortir de “l’entre-deux-mondes” où elles se vivent abîmées par l’agression et enfermées dans le traumatisme ». Denis Salas, La justice dévoyée, Critique des utopies sécuritaires, Les Arènes, janvier 2012.
Guide de l’intervention en milieu pénitentiaire Fruit d’un travail collectif de la mission « Hépatites et VIH en milieu carcéral » de Sidaction et de son réseau associatif (auquel participe l’OIP), le Guide de l’intervention en milieu pénitentiaire apporte les repères indispensables au développement de projets de prévention du VIH et des hépatites en détention (ou d’accompagnement et de soutien des personnes sous écrou ou sortant de prison). Le Guide rappelle par exemple qu’« en l’absence de mesures efficaces de réduction des risques liés à l’usage de drogues injectables en prison, il est important que les acteurs de la lutte contre le sida puissent diffuser aux détenus une information claire sur
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les mesures à prendre, notamment en matière de désinfection. Il est à rappeler que la désinfection par la javel, notamment dans les conditions de la prison (dilution, conditions de conservation…), n’a pas prouvé son efficacité sur le VIH et est sûrement inefficace en matière de neutralisation du virus de l’hépatite C ». Autre exemple, l’importance de « rappeler aux détenus la possibilité d’accès au traitement post-exposition et d’anticiper avec eux les difficultés liées à cette demande ». Soulignant « l’indispensable patience et pugnacité à avoir » pour entreprendre un projet d’intervention en prison, le Guide rappelle la disponibilité de la mission « Milieu carcéral » de Sidaction pour aider les porteurs de projet. Sidaction, Guide de l’intervention en milieu pénitentiaire, décembre 2011.
en actes
en actes Cahiers de taulard Primo-incarcéré, Christophe de la Condamine tient dans des cahiers d’écolier le récit factuel et distancié de quatre années d’une détention « ordinaire » dans les prisons françaises de la fin des années 2000. Des « chauffoirs » de la maison d’arrêt de Saintes (cellules de six places) à « l’usine » de Gradignan puis au centre de détention de Mauzac où « il n’y a pas de murs d’enceinte. Pasde-murs-d’en-cein-te ! ». Attendre le courrier, un changement de cellule, un transfert, la livraison des cantines, la date du procès… « Cela ronge de ne rien maîtriser, c’est une sensation nouvelle, incroyablement destructrice ! Subir, subir, ne rien pouvoir faire qu’attendre. » Les combines ou « stratégie de survivance » qu’il faut mettre au point pour des gestes aussi banals que le rasage, les tensions entre codétenus (pour des biscuits, du tabac, du bruit), le sport pour « ne pas penser », les malentendus avec les proches, les courriers qui se croisent, les parloirs qui tardent, puis qui sont si courts… Puis « l’humiliation dans toute sa splendeur », avec la « fouille à corps approfondie, sans toucher rectal tout de même ». Lorsque vient la libération, le sentiment d’un temps perdu, d’être devenu « une pile électrique, toujours sur le qui-vive, toujours dans la violence ». Et le retour dans un monde qui n’est plus le même. « Je suis allé dans une grande surface pour acheter des cassettes audio. Ils n’en vendent plus. L’employé m’a regardé bizarrement ». Christophe de la Condamine, Journal de taule, L’Harmattan, décembre 2011.
L’OIP signataire de la Déclaration de Genève sur la santé en prison Exprimant leur « inquiétude grandissante à propos de la dégradation des conditions de détention et en particulier des conditions de soins en prison », les participants à la 6e Conférence européenne pour la promotion de la santé en prison, réunis du 1er au 3 février 2012 à Genève, appellent les Etats européens à prendre des mesures urgentes pour assurer le respect des principes de référence autour desquels s’organisent les soins médicaux apportés aux personnes détenues (équivalence des soins, intervention humanitaire, indépendance professionnelle…). Les signataires insistent notamment « sur la nécessité de clarifier le rôle des professionnels de santé travaillant en prison. Ces derniers doivent pouvoir s’assurer que leurs actions sont menées dans le seul intérêt de la santé des personnes détenues. Les conflits de double loyauté étant fréquents
en prison, nous demandons que l’indépendance professionnelle de l’ensemble des services médicaux exerçant en milieu pénitentiaire soit garantie ».
Justice des mineurs : « Adieu 1945 ? » Avocat depuis 2010, Pierre Joxe parcourt les juridictions pour mineurs et s’insurge contre « la grande offensive politique » visant l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante. Illustrant son analyse politique d’exemples issus des prétoires, l’ancien ministre et membre du Conseil constitutionnel montre « comment notre pays parcourt (…) à l’envers le chemin des progrès accomplis en trois siècles – depuis le temps des Lumières – en matière de droit pénal ». Répondant à une « approche idéologique d’une rare violence », les textes qui se succèdent depuis dix ans « visent et atteignent effectivement d’abord les jeunes relégués, les jeunes des “quartiers” dits difficiles, jugés dangereux avant même d’être délinquants ». Se construit ainsi un « droit spécial pour les zones dites de non-droit » qui, contrairement aux apparences, n’est pas le même pour tous. Car « un jeune orphelin de père, paumé et plus ou moins abandonné par une pauvre mère qui n’en peut plus » aura bien des difficultés à faire valoir les « garanties d’insertion » requises pour échapper à des peines plancher « qui peuvent rendre la vie impossible et conduire à la mort civile ». Au contraire de certains pays qui, comme le Canada ou la Suède, mobilisent les spécialistes en sciences sociales avant de légiférer, en France, « c’est aujourd’hui l’obscurantisme qui triomphe. La réflexion est méprisée, l’expérience ignorée ». Si, comme l’écrit Pierre Joxe, « l’histoire du droit appliqué aux enfants est un bon guide pour explorer et éclairer l’histoire de nos sociétés », les historiens de demain dresseront un bien sombre tableau des années 2000. Pierre Joxe, Pas de quartier ? Délinquance juvénile et justice des mineurs, Fayard, janvier 2012.
Le mythe de « l’explosion de la violence » « On ne parle pas simplement de la “délinquance’”, de l’“insécurité” ou de la “violence”, mais de “la délinquance qui empire et qui rajeunit’”, de “l’insécurité grandissante” et de “la violence qui ne cesse d’augmenter”. » Dans son dernier ouvrage, le sociologue
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Laurent Mucchielli s’attache à démontrer comment l’instrumentalisation des « chiffres auxquels on fait dire ce que l’on veut », le traitement médiatique systématique des faits divers donnent à imaginer une délinquance en perpétuelle augmentation, une sorte d’« explosion de la violence ». Et créent un contexte de peur permettant à certains politiques de donner libre cours à la stigmatisation de jeunes qui n’auraient « plus rien à voir avec le petit sauvageon de 1945 » et aux amalgames entre « immigration et délinquance ». Replaçant la problématique dans une perspective historique, Mucchielli rappelle que « globalement, il est à peu près certain que nous vivons l’époque la moins dangereuse de notre histoire ». S’appuyant sur les résultats d’enquêtes de victimation et non de celles de la police qui reflètent surtout l’activité de ses services, il démontre que l’insécurité grandissante relève plus du sentiment que des faits. Une prise de conscience comme préalable indispensable pour envisager différemment les politiques de sécurité et de prévention de la délinquance. Laurent Mucchielli, L’invention de la violence – Des peurs, des chiffres, des faits, Fayard, novembre 2011.
« En 2012, sauvons la vie privée ! » Avec 29 autres organisations, l’OIP est signataire de la tribune « En 2012, sauvons la vie privée ! », rédigée par des militants associatifs et des professionnels d’horizons divers (travail social, éducation, psychiatrie, aide aux étrangers ou aux détenus…), tous engagés contre un « fichage » illimité des données personnelles. Sous couvert de bonne gestion, de traçabilité ou de sécurité, ces fichiers ont « pour principal résultat d’effectuer un tri des populations concernées », en pointant ceux « qui ne rentrent pas dans les cases ». « Ils représentent pour la vie privée et les libertés publiques des citoyens » un danger d’autant plus grand que progresse leur interconnexion, et qu’une « multitude d’agents sociaux (...) y ont accès ». Les signataires demandent ainsi la reconnaissance d’un véritable droit d’opposition à l’informatisation des données personnelles et en appellent aux usagers pour « s’opposer par toute action en justice appropriée à l’atteinte illégale à la vie privée que représente l’informatisation contrainte et forcée de ses données personnelles ». Ils demandent que la Commission nationale de l’informatique et des libertés fasse « désormais
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preuve d’une réelle indépendance démocratique (…) aux prérogatives judiciaires affirmées », notamment pour « faire respecter en toute circonstance l’obligation légale supérieure de recourir au consentement des personnes concernées ». Ce consentement, conclut l’appel, doit être reconnu comme « un droit constitutionnel imprescriptible ».
Usage de drogues en détention : l’échec de la stratégie répressive « La prison concentre les usagers de drogue et elle ne constitue pas un outil répressif efficient de la réduction des risques. » Telles sont les conclusions d’une enquête conduite par le médecin responsable de l’UCSA au centre pénitentiaire (CP) de Liancourt en janvier 2011, à laquelle 54,4 % des 700 détenus du CP ont répondu. Le premier constat est connu : « L’incarcération n’empêche pas la poursuite de l’usage de drogues : 40,4 % des répondants consommaient avant l’incarcération et poursuivaient cet usage à l’intérieur de la prison. » L’enfermement « ne préserve pas non plus la population carcérale de l’expérimentation de stupéfiants », puisque 9,2 % des répondants se sont initiés en détention à des drogues « jusqu’alors non testées ». Second constat : les drogues avec effet anxiolytique « sont les plus consommées en détention ». Les détenus chercheraient ainsi « à compenser un univers carcéral apparaissant hostile, surpeuplé, violent, favorisant les situations de stress ». Le médecin suggère que « les facteurs renforçant la consommation de stupéfiants en détention [soient étudiés] de manière plus spécifique afin que les politiques de prise en charge de ces usagers ne se limitent pas à une répression qui apparaît aussi inefficace à l’extérieur qu’à l’intérieur de la détention ». Et rappelle que le principe de l’équivalence des soins prévu par la loi depuis 1994 n’est en ce domaine pas respecté, puisque « les programmes d’échange de seringues à destination des usagers de drogues intraveineux, inscrits dans la loi n° 2004-806 du 9 août 2004, dont les bénéfices sur la transmission du VIH et des hépatites sont avérés, n’ont pas été mis en place en France en milieu carcéral ». Olivier Sannier et al., Réduction des risques et usages de drogues en détention : une stratégie sanitaire déficitaire et inefficiente, Presse Med, 2012.
en actes
lettres ouvertes « Une sortie sèche et angoissante »
« Les gens sont en colère »
Personne détenue, centre de détention, octobre 2011
Personne détenue, maison d’arrêt, février 2012
Bientôt libéré après six ans de détention, je sors en sortie sèche, malgré moi, dans quelques semaines. Aucune permission de sortir. Pas d’action de réinsertion. Je sors les poches vides, une main devant, une main derrière. Je ne sais pas quel sera mon quotidien prochainement : soucis à régler dans un logement récupéré sans eau, ni électricité, ni chauffage. Pas de travail dans un monde qui a dû changer en six ans. Je n’ai pas eu de remise à niveau pour m’aider à y faire face. Ma vie familiale et affective est à reconstruire. Je m’interroge sur ce que réserve la société à un repris de justice.
Pas grand-chose ici, voire rien pour réinsérer les gens. On a travaillé sur un aménagement de peine avec mon CPIP. Rendez-vous pris avec l’association Emergence pour un placement extérieur dans un foyer. On m’a refusé mon aménagement car on n’a pas voulu me laisser sortir en permission pour que je puisse me rendre à mes rendez-vous. Motif : pas d’escorte ! J’ai revu mon CPIP qui m’a dit que la juge de l’application des peines refusait systématiquement dès lors que c’est une association. Et on nous parle de réinsertion ?
Suis-je trop naïf en comptant sur les assistantes sociales civiles après six ans d’enfermement, où je me suis senti lobotomisé ? Alors bien sûr, j’ai été nourri, blanchi, logé, habillé... Télé, eau, électricité, hôpital, gardiennage, assistanat total... Tout cela gratuitement. En plus, Roanne est neuf. Mais où est l’intérêt de toutes les dépenses qu’a faites l’Etat pour moi puisque je sors en sortie sèche ? Réinsertion : zéro dépense pendant 2 190 jours. Je sors avec appréhension après six ans d’isolement total. Je croyais pourtant purger une peine me privant de liberté, mais pas de vie... Ce n’est de la faute de personne, c’est un système entier qui faillit à sa mission.
Aujourd’hui en 2012, on préfère construire des prisons, enfermer les gens dans des conditions inhumaines, et non « réinsérer », d’où la récidive. Les gens sont en colère. On attend quoi pour vraiment changer les choses et travailler sur des choses concrètes avec des programmes de réinsertion valables et applicables dans la réalité ? A S., on nous parle d’écran plat installé en cellule, mais on s’en fout, alors que l’on a 1 m² au WC et rien pour réinsérer les gens.
« Je fais appel à vous pour m’aider à m’en sortir » Personne détenue, centre de détention, janvier 2012 Toutes les demandes de permissions que je dépose pour chercher du travail ou un logement sont refusées. J’ai été interdit de travailler pendant deux ans. J’ai fait près de trois ans en quartier fermé. Je vais sortir au bout de cinq ans sans logement ni travail. Tous les transferts que j’ai demandés ont été refusés et quand je demande pour quelle raison, on me répond : « On vous garde à N. » J’ai peur de refaire des bêtises donc je fais appel à vous pour m’aider à m’en sortir.
© Sébastien Erôme
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La revue Dedans dehors
le guide du sortant OIP/ La Découverte, 2006, 416 p., 26 € (frais de port inclus)
Dedans dehors n°74-75
Bulletin à renvoyer à OIP, section française, 7 bis, rue Riquet 75019 Paris
66 n° 35 « liberté d’expression : faire sauter la chape de plomb » 66 n° 38 « rapport Warsmann. alternatives : l’occasion manquée » 66 n° 39 « les prisons françaises en 2003 une descente aux enfers » 66 n° 40 « dix ans après la réforme : la santé toujours incarcérée » 66 n° 41 « loi Perben 2 : vers un raz-de-marée carcéral ? » 66 n° 42 « les dix ans du code pénal : le grand enfermement » 66 n° 44 « droits dedans : pour la reconnaissance des droits des détenus » 66 n° 45 « prison : quelle réforme vaut la peine ? » 66 n° 46 « vieillir et mourir en prison » 66 n° 47 « prison : peine du pauvre, pauvre peine » 66 n° 48 « récidive, récidivistes : ne pas se tromper de débat » 66 n° 49 « sécurité renforcée en prison : la fabrique de violences » 66 n° 50 « le rapport Burgelin : le risque de peines de folie » 66 n° 51 « sida en prison : prévenir la maladie, libérer les malades » 66 n° 52 « étrangers en prison : aux confins de l’absurde » 66 n° 54 « politiques pénale et pénitentiaire : l’Europe en éclaireur » 66 n° 56 « réforme de la détention provisoire : l’occasion gâchée » 66 n° 58/59 « états généraux de la condition pénitentiaire » 66 n° 60 « les alternatives sortent de l’ombre » 66 n° 61 « contrôle extérieur : l’heure du choix » 66 n° 62 « peines minimales, danger maximal » 66 n° 63 « régimes de détention différenciés - l’envers du décor » 66 n° 64 « rétention de sureté et irresponsabilité pénale » 66 n° 65 « la France a rendez-vous avec ses prisons » 66 n° 66 « saisir la réalité de ces lieux secrets » 66 n° 67-68 « Le législateur face à la loi pénitentiaire : l’humiliation pour de la République » 66 n° 69 « Pour que cesse la « honte » Des prisons sans peine, des peines sans prison » 66 n° 70-71 « Prison : le recul de l’histoire » 66 n° 72-73 « C’est l’heure » 66 n° 74-75 « Politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois » 66 la série 2001 (du 23 au 28) 66 la série 2002 (du 29 au 34) 66 la série 2003 (du 35 au 40) 66 la série 2004 (du 41 au 46) 66 la série 2005 (du 47 au 52) 66 la série 2006 (du 53 au 58-59) 66 la série 2007 (du 58-59 au 63)
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L’Observatoire international des Au terme d’un long processus d’élaboration, la loi péniprisons (OIP) est une tentiaire de novembre 2009 n’a finalement pas apporté organisation non d’avancée majeure dans la reconnaissance de droits visant gouvernementale à protéger la personne détenue. Elle vient même entériner dont l’action vise à certaines régressions, telle la mise en place de « régimes favoriser le respect différenciés ». Quant à l’injonction paradoxale faite au juge de la dignité des de systématiser la réponse « prison » (peines plancher) et personnes détenues. de transformer les courtes peines d’emprisonnement en Créée en 1996, la surveillance électronique, elle s’est accompagnée d’un section française de tournant législatif qui ajoute à des peines de plus en plus l’OIP défend les droits longues des mesures de sûreté pour les auteurs d’infracCode_OIP_2011:Codefondamentaux à barres 9/11/11 16:03 des tions les plus graves, sur la base d’une évaluation de la personnes incarcérées « dangerosité » hasardeuse et artisanale. et milite pour le développement des mesures alternatives à l’emprisonnement.
Le rapport Les conditions de détention-:HSMHKH=VZ^U^U: en France : l’outil de référence pour savoir et faire savoir. 24 €
ISBN 978-2-7071-5909-0
9 bis, rue Abel-Hovelaque 75013 Paris
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LES CONDITIONS DE DÉTENTION EN FRANCE
Alors même que l’institution pénitentiaire fait l’objet d’une remise en cause permanente sur sa capacité à respecter l’État de droit et les droits de l’homme, le nombre de personnes incarcérées atteint des niveaux historiques et les plans de construction de nouvelles prisons se succèdent.
D E S
l’heure où la question de la prévention et de la répression de la délinquance et du crime s’est installée au cœur du débat public, la radiographie de l’univers carcéral français réalisée par l’OIP n’est pas seulement une initiative citoyenne salutaire, elle constitue une véritable démarche d’utilité publique. En retraçant les évolutions des politiques pénales et pénitentiaires au cours de la période 2005-2011, dans toutes leurs nuances et contradictions, ce rapport permet à chacun de connaître l’usage qui est fait de l’emprisonnement et la réalité de ce qui se passe derrière les murs de nos prisons.
INTERNATIONAL
À
OBSERVATOIRE
LES CONDITIONS DE DÉTENTION EN FRANCE - RAPPORT 2011
À l’heure où la question de la prévention et de la répression de la délinquance et du crime s’est installée au coeur du débat public, la radiographie de l’univers carcéral français réalisée par l’OIP n’est pas seulement une initiative citoyenne salutaire, elle constitue une véritable démarche d’utilité publique. En retraçant LES CONDITIONS DE les évolutions des politiques pénales et pénitentiaires DÉTENTION EN FRANCE au cours de la période 2005-2011, dans toutes leurs nuances et contradictions, ce rapport permet à chacun de connaître l’usage qui est fait de l’emprisonnement et la réalité de ce qui se passe derrière les murs de nos prisons. Alors même que l’institution pénitentiaire fait l’objet d’une remise en cause permanente sur sa capacité à respecter l’État de droit et les droits de l’Homme, le nombre de personnes incarcérées atteint des niveaux historiques et les plans de construction de nouvelles prisons se succèdent. Au terme d’un long processus d’élaboration, la loi pénitentiaire de novembre 2009 n’a finalement pas apporté d’avancée majeure dans la reconnaissance de droits visant à protéger la personne détenue. Elle vient même entériner certaines régressions, telle la mise en place de « régimes différenciés ». Quant à l’injonction paradoxale faite au juge de systématiser la réponse « prison » (peines plancher) et de transformer les courtes peines d’emprisonnement en surveillance électronique, elle s’est accompagnée d’un tournant législatif qui ajoute à des peines de plus en plus longues des mesures de sûreté pour les auteurs d’infractions les plus graves, sur la base d’une évaluation de la « dangerosité » hasardeuse et artisanale.
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ADRESSES
Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP en France : OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org
Pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : Permanence juridique Elsa Dujourdy : 01 44 52 87 96 elsa.dujourdy@oip.org Samuel Gautier : 01 44 52 87 94, samuel.gautier@oip.org 7 bis, rue Riquet 75019 Paris
L’OIP en région Les coordinations inter-régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires des régions concernées en lien avec les groupes et correspondants locaux présents : Pour contacter les coordinations inter-régionales : Régions Ile-de-France, Guyane, Guadeloupe, Martinique, Nouvelle-Calédonie, Polynésie François Bès 7 bis, rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 95 fax : 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org
Régions Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie Anne Chereul 19 place Sébastopol 59000 Lille 09 61 49 73 43 06 63 52 10 10 fax : 03 28 52 34 13 anne.chereul@oip.org
Régions Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes Barbara Liaras 37, rue Gambetta 86000 Poitiers 09 75 46 16 96 06 22 90 27 60 barbara.liaras@oip.org
Régions Rhône-Alpes, Auvergne Céline Reimeringer 57, rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 06 50 73 29 04 fax : 09 55 92 00 34 celine.reimeringer@oip.org
Pour les cinq inter-régions où l’OIP n’a pas encore implanté de coordination, les groupes et correspondants locaux assurent l’observation et l’alerte de la (les) prison(s) présente(s) dans leur ville en lien avec le secrétariat national. Pour les contacter vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90 Aix-en-Provence, Avignon, Bayonne, Laon, Marseille, Metz, Nancy, Nîmes, Toulon, Toulouse (Seysses).
Qu’est-ce que l’OIP ? Considérant que l’emprisonnement est une atteinte à la dignité de la personne, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), juridiquement créée en janvier 1996, agit pour la défense des droits fondamentaux et des libertés individuelles des personnes détenues. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; favorise la diminution du nombre de personnes détenues, la limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales et de groupes locaux en charge de l’observation d’un lieu de détention et composés exclusivement de membres de l’OIP.