Conférence de consensus sur la prévention de la récidive Application de la loi pénitentiaire : le compte n’y est pas Prix des cantines : une victoire dans le public
Nouvelles prisons :
« le trou noir de la pensée » dossier avec Christian Demonchy, Fabrice Guilbaud, Pierre Botton et Peter Scharff Smith
Observatoire international des prisons Section française
10 € N°77-78 Septembre-Novembre 2012
EDITORIAL
Une marche de plus… Le 13 novembre 2012, un an de prison avec sursis était requis contre une psychiatre jugée pour homicide involontaire. Ce médecin est poursuivi parce que l’un de ses patients en sortie d’essai a commis un meurtre. Depuis le patient a été déclaré pénalement irresponsable. Ce procès et la réquisition du procureur sont une marche de plus dans la construction fantasmée d’une société sans risque. Dans un premier recul de la protection accordée aux malades mentaux, la loi en 1994 introduisait une rupture entre altération et abolition du discernement. Depuis cette date un nombre croissant de personnes souffrant de maladies psychiques graves se retrouvent derrière les barreaux de la prison. Appliquons en plus le principe de précaution – ce qu’a fait la loi sur la rétention de sûreté du 25 février 2008. Bien qu’ayant purgé sa peine, bien qu’ayant été déclarée capable par la médecine de vivre hors des murs de l’hôpital, une personne est peut être encore « dangereuse » Si depuis la Révolution française il ne pouvait y avoir de contrainte des personnes que pour des infractions commises ou pour maladie mentale, on peut désormais être enfermé à vie, parce que l’on est un facteur de risque potentiel. Cela donne chair au fantasme d’une société sans risques, dont les institutions et ceux qui y travaillent auraient toute puissance de protection et dont seules les négligences coupables seraient à l’origine des malheurs qui pourraient encore arriver. Un refus de toute prise de risque auquel conduisent inéluctablement de telles mises en accusation crée une société où l’on enferme par anticipation, où les magistrats n’accordent les libérations conditionnelles qu’au compte-gouttes. A l’utopie d’une société sans crime, s’ajoute la volonté de trouver un responsable à tout prix. L’auteur du crime étant irresponsable, un responsable-coupable doit être démasqué et instauré. La boucle est bouclée – le jugement du médecin est attendu pour le 18 décembre. Antoine Lazarus Président de l’OIP-section française N°77-78 Septembre-Novembre 2012
Sommaire 1 Actu : Prix des cantines : un pas en avant dans le public Vers un consensus sur la prévention de la récidive ? Application de la loi pénitentiaire : le compte n’y est pas Centre pénitentiaire d’Annoeullin : le détenu « contestataire » n’a pas commis de violences Quatre mois en EPM : un mineur et sa mère témoignent 20 De facto Aggravation de l’état de santé d’un jeune schizophrène maintenu en prison Le parquet choisit l’incarcération d’un condamné libre, au détriment de sa réinsertion Un détenu ne peut se rendre aux obsèques de sa mère, faute d’escorte Les conditions d’accès aux prestations sociales pour les personnes en aménagement de peine enfin clarifiées Centre pénitentiaire pour femmes de Rennes : moins de parloirs, faute de personnel 24 Dossier Nouvelles prisons : « le trou noir de la pensée » Avec Christian Demonchy, architecte, Architecture carcérale : interdire toute vie sociale Un entretien croisé avec un détenu et deux surveillants, Programme « 13 200 » : la parole aux usagers Dernières constructions : l’axe sécuritaire Fabrice Guilbaud, sociologue, La privatisation des prisons sous contrôle de l’Etat Etats-Unis : à qui profite la prison ? Pierre Botton, fondateur et président de l’association Les prisons du cœur, Une prison différente : mission impossible ? Peter Scharff Smith, directeur de recherches interdisciplinaires à l’Institut danois pour les droits de l’homme, Danemark : « normaliser » le quotidien des condamnés 53 En droit Le maintien à l’isolement d’un détenu doit être strictement justifié Liberté conditionnelle accordée pour éviter « un traitement inhumain et dégradant » Le droit de cantiner des produits alimentaires bio au titre des « achats extérieurs » 54 En actes Colloque : Défendre en justice la cause des personnes détenues ; Nouvelle édition du « Droit pénitentiaire » ; Académie de médecine : la procréation assistée ne doit pas palier à « l’infertilité sociale » due à la détention ; « Etre là » : soulager la folie au SMPR des Baumettes 56 Tribune Les rencontres détenus-victimes : humanité et apaisement, par Robert Cario 60 Lettres ouvertes
DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directeur de la publication : Antoine Lazarus Rédaction en chef : Sarah Dindo, Barbara Liaras Rédaction : Anne Chereul, Marie Crétenot, Nicolas Ferran, Samuel Gautier, Lionel Perrin, Céline Reimeringer. Secrétariat de rédaction : Marianne Bliman, Diane Carron, David Duhamel, Julie Namyas. Identité graphique : MG., L.D. < dlaranjeira@caramail. com > Maquette : Claude Cardot/Vélo © Photos, remerciements à : Samuel Bollendorf, Bertrand Desprez, Sébastien Erôme, Samuel Gautier, Jack Guez, Felix Ledru, Bernard Le Bars, Bertrand Lauprête, Michel Le Moine, Thierry Pasquet, Célia Quilleret. Et aux agences : Picturetank et SIGNATURES, en particulier à Marie Karsenty Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture : Thierry Pasquet/Signatures
ACTU
Prix des cantines : un pas en avant dans le public Progressivement mis en place depuis début 2012, un accord-cadre réduit fortement les prix des produits les plus couramment achetés en cantine dans les 132 prisons en gestion publique. Une avancée très concrète, dont restent néanmoins privées les quelque 49 % des personnes détenues qui se trouvent dans une prison « semi-privée », où la situation semble bloquée par les contrats passés. Les explications de François Korber, dont l’association Robin des lois défend depuis plusieurs années une telle réforme.
François Korber, secrétaire général de l’association Robin des lois, a lancé fin 2010 une campagne contre « le scandale des prix des cantines »
Pouvez-vous expliquer le nouveau système de régulation des prix des produits vendus en cantine dans les établissements en gestion publique ? La gestion des cantines, comme celle des téléviseurs, a été sévèrement épinglée par la Cour des comptes en 2006. Robin des lois et d’autres ont mené des campagnes d’information sur ce scandale. Il faut souligner leur rôle, car sans ces campagnes, rien n’aurait bougé. Après avoir annoncé en octobre 2010 l’harmonisation à 8 euros du prix de location des téléviseurs, l’ancien garde des Sceaux a demandé à la Direction de l’administration pénitentiaire d’engager la réforme des cantines. La DAP a rassemblé et étudié les prix pratiqués dans les différents établissements, et décidé d’organiser au niveau national la contractualisation de l’approvisionnement des cantines. Un cahier des charges national a été élaboré début 2011, et des appels d’offres publiés au Bulletin officiel des marchés publics le 1er mars 2011 pour chacun des six lots de produits (épicerie, produits frais, bazar, fruits et légumes, petits équipements et produits culturels…). Un avis d’attribution a été publié le 10 janvier 2012, pour cinq lots, aucun attributaire n’ayant été trouvé pour les fruits et légumes. La mise en place s’est faite progressivement à partir de février-mars, DISP (direction interrégionale) par DISP. L’Ile-de-France et le Nord sont les deux dernières DISP dans lesquelles le système se met en place, mais tout devrait être terminé au cours du dernier trimestre 2012. La DAP a objectivement très bien négocié – la fourniture de 150 prisons représente des volumes considérables – et a obtenu des remises très importantes sur de nombreux produits : 15 % sur la plupart des produits, parfois même 20 %. Dans la mesure où la DAP n’a pas juridiquement le droit de faire des bénéfices sur les cantines, ces remises sont naturellement répercutées sur les prix proposés aux consommateurs détenus. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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Dans un tract du 1er août 2012, le bureau local de l’UFAP à la maison d’arrêt de Strasbourg affirme que « l’Administration pénitentiaire achète les produits fournis en cantine à un fournisseur unique, plus cher qu’en grande surface et les revend aux détenus, moins cher que dans un hard discount. La différence est prise sur le budget, c’est-àdire payée par les impôts ». Qu’en est-il réellement ? Lorsqu’un produit est vendu par un détaillant, supermarché ou autre, celui-ci ajoute une marge au prix qu’il a payé à son fournisseur pour ce produit. Ce que ne fait pas la DAP. Ce n’est donc pas parce que le prix du produit est moins cher en cantine qu’au supermarché que la DAP – donc le contribuable – y est de sa poche. Par ailleurs, certains produits sont effectivement vendus en cantine moins cher que le prix payé par l’administration et fixé dans les contrats. D’après les explications
« La DAP a objectivement très bien négocié et a obtenu des remises très importantes sur de nombreux produits ». données par la DAP, elle a tenu à ce qu’il n’y ait pas d’augmentation de coût pour les 200 produits les plus commandés. Elle a donc fixé le prix de vente de ces produits en fonction des prix les plus bas auparavant pratiqués dans les établissements. Un prix parfois inférieur à celui qu’elle a pu obtenir dans le cadre des marchés. Dans ce cas seulement, il s’agit effectivement d’une vente à perte, mais qui s’avère compensée par
« Evidemment, les détenus ont fait des commandes importantes… » Depuis la mise en place des nouvelles cantines en début d’année, le choix est plus important et le prix a baissé. Evidemment, les détenus ont fait des commandes importantes. Exemple : un détenu a commandé 80 paquets de pâtes d’un seul coup. Des boissons dans les mêmes proportions. Un autre, 75 paquets de céréales chocapic, il a été libéré et a emmené chez lui sa marchandise, les surveillants ont essayé qu’il ne parte pas avec, ce qui met toujours de la tension. La direction a décidé après plusieurs semaines de limiter chaque produit à cinq et les boissons à douze. Ce qui évite des commandes importantes sitôt les payes, et aussi l’encombrement des cellules. Mais les choses avaient très mal commencé : un magasin de stockage trop petit, un fournisseur qui ne livre pas ce qui lui est commandé, des commandes mal faites, une volonté de ne pas faire le travail de la part de certains personnels. En plus de ce cocktail détonnant, les jours d’ouverture n’ont pas été respectés. Témoignage d’une personne détenue au Centre de détention de Mauzac, 17 août 2012
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de légères marges bénéficiaires imputées sur d’autres produits. L’exercice que réalise la DAP est d’arriver à l’équilibre global de la ligne « cantines » de son budget. Ce n’est donc pas le contribuable qui paye : il va falloir rapidement casser ce mythe. En revanche, il peut être reproché à la DAP un manque de communication, comme d’habitude, auprès des détenus et des personnels, ce qui a créé beaucoup d’incompréhension. Je me mets à la place du surveillant qui prend connaissance de ces tarifs, sans avoir reçu aucune explication. Pour autant, des propos abjects tels que ceux tenus par FO restent inexcusables : « On baisse le froc pour la racaille », « nos prisons sont devenues des Fouquet’s carcéraux », ont-ils osé écrire. Dans certains établissements, il semble que les nouveaux tarifs aient conduit à des commandes massives de certains produits par des détenus. Avezvous eu des informations à ce sujet, et quelle a été la réponse de l’administration pénitentiaire ? Là encore, le manque d’information est en cause. Les détenus ont cru que ces nouveaux prix n’allaient pas durer et certains ont commandé des quantités massives. Cela posait des problèmes d’hygiène et de sécurité, les surveillants ne pouvant plus fouiller certaines cellules en raison des quantités de produits stockés. Ces situations se sont néanmoins produites de façon assez marginale, dans les premières prisons où le dispositif a été appliqué. On a également attrapé quelques gars qui essayaient de faire passer à leurs familles des produits dans les sacs de linge sale qui sortent au parloir. Mais ce n’était rien de plus. Tout le monde sait qu’il n’est pas possible pour un détenu de faire sortir des colis. Toute cette agitation s’est maintenant calmée. Dans certains établissements, la direction a limité les quantités qui peuvent être achetées – alors qu’à mon sens, il suffisait d’expliquer. Ce n’est pas prévu par les textes, et les seuils autorisés changent d’une prison à l’autre. Les établissements dans lesquels les cantines sont gérées par un opérateur privé sont pour l’instant exclus du dispositif, en raison du coût que représenterait la rupture des contrats. Qu’a prévu l’administration pénitentiaire pour remédier à cette situation, et quelles sont les échéances ? Les sociétés privées gagnent de l’argent sur les cantines, en achetant à très bas prix des produits bas de gamme qu’elles revendent très cher. Avec cette réforme, le fossé entre établissements en gestion publique et en gestion privée se creuse davantage. Le différentiel est choquant, et ne sera pas tenable. Il a été annoncé que cette question serait renégociée dans le cadre des contrats arrivant à échéance en 2017, mais il semblerait que le ministère soit déjà en train de chercher des solutions plus rapides avec Eurest. La renégociation des contrats supposera un effort budgétaire, ce qui n’est pas simple en ce moment. Cela dit, la DAP a aussi des moyens de pression visà-vis de ces sociétés et pourrait exiger un effort de leur part, malgré les contrats en cours.
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« Avec cette réforme, le fossé entre établissements en gestion publique et ceux en gestion privée se creuse davantage. Le différentiel est choquant, et ne sera pas tenable ». L’association Robin des lois, que vous dirigez, se bat depuis des années contre les abus et les disparités constatés, d’abord dans le prix des locations des téléviseurs puis des produits proposés en cantine. Ce combat est-il gagné ? Depuis le 1er janvier 2012, la télévision coûte 8 euros par mois dans les établissements en gestion publique. Il en sera de même au 1er janvier 2013 pour les établissements en gestion déléguée. Cela couvre les abonnements, l’entretien et le renouvellement du parc de téléviseurs. Ce résultat nous satisfait. Nous demandions, pour les cantines, un panier de 200 produits vendus aux tarifs du supermarché de proximité. Ce qui est mis en place dépasse largement nos espérances.
Cela va bien au delà également de ce qu’exigeait la Cour des comptes : une meilleure gestion et une harmonisation entre les établissements. Cette réforme n’a fait l’objet d’aucune décision formelle, matérialisée par une note de la DAP. Il a fallu retrouver les appels d’offres pour reconstituer le processus. On peut toutefois considérer que la situation dans les établissements publics est aujourd’hui tout à fait satisfaisante, à l’exception des fruits et légumes, pour lesquels on reste pour l’instant en système D, et dont les prix auraient explosé dans certains établissements – j’ai notamment eu des remontées de Fresnes. Reste la question cruciale, qui concerne presque la moitié des détenus, des établissements gérés par le secteur privé. Il nous reste deux dossiers pour considérer ce combat comme gagné : l’harmonisation des tarifs de location et d’achat des réfrigérateurs, ainsi que la fin de la « location forcée » induite par l’interdiction d’acheter l’appareil, toujours en vigueur dans certains établissements ; et la question des « achats extérieurs » (vente par correspondance), soumis à des surcoûts inexplicables, notamment parce que les personnes détenues ne bénéficient jamais des remises consenties aux autres clients. Propos recueillis par Barbara Liaras
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Vers un consensus sur la prévention de la récidive ? Le 18 septembre, Christiane Taubira annonçait la mise en place d’une conférence de consensus, visant à « établir un état des connaissances en matière de prévention de la récidive », rechercher les « méthodes et pratiques professionnelles les plus efficaces » et « objectiver les termes du débat », la question de la récidive ayant fait l’objet de nombreuses réformes « sans qu’aucune étude n’ait démontré leur efficacité ». Avant la tenue de l’audition publique d’experts par un jury indépendant les 14 et 15 février, nombre de syndicats et associations, dont l’OIP, ont été entendus par le comité d’organisation. Extraits de la contribution écrite remise par l’Observatoire lors de son audition du 21 novembre, où nous avons développé pourquoi et comment devrait être engagée une politique de moindre recours à l’emprisonnement, dite « réductionniste ».
Des parcours et un contexte social Il y a une sorte de préalable aux interrogations sur la prévention de la récidive : prendre la mesure des parcours de ceux qui sont condamnés par la Justice pénale aujourd’hui. Ils sont avant tout marqués par une « précarité des liens affectifs » à laquelle s’ajoute « une forte précarité économique et sociale » amplifiée « par un sentiment d’inutilité et de “non appartenance”, d’absence d’alliances avec d’autres ». L’incarcération étant « souvent le résultat d’un long processus de désaffiliation » par lequel peu à peu ils « s’éloignent de tous systèmes et de tous liens sociaux » après avoir cumulé « les échecs et les handicaps », ils vivent « en marge et ou en rupture avec les institutions » en lesquelles ils ont perdu toute confiance1. (…) Leur départ du domicile parental a souvent été précoce : un détenu sur sept est parti avant 15 ans ; la moitié avant 19 ans. Ils n’ont généralement pas fait d’études (plus du quart ont quitté l’école avant l’âge de 16 ans, et les trois-quarts avant 18 ans). Peu d’entre eux exercent une activité professionnelle stable, moins de la moitié déclarent vivre en couple…2 Par ailleurs, près d’un tiers des entrants en prison sont toxicomanes et un cinquième serait atteint de troubles
1. S. Châles-Courtine, L’initiative Lotu : une démarche partenariale au service de l’insertion des personnes placées sous main de justice ?, CIRAP, novembre 2010. 2. F. Cassant, L. Toulemon, A. Kensey, L’histoire familiale des hommes détenus, INSEE n°706, avril 2000. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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psychiatriques sévères3. Le manque de dispositifs développés par le secteur psychiatrique pour la prise en charge et l’hébergement des publics les plus désocialisés apparaît comme un facteur important de ruptures de soins et d’un transfert vers les filières pénales. En octobre 2006, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en a appelé « de manière urgente aux pouvoirs publics, aux élus, au législateur, et aux autorités sanitaires pour qu’ils prennent toutes dispositions afin que la prison ne se substitue plus à l’hôpital psychiatrique en raison, d’une part, des moyens décroissants accordés en France au secteur psychiatrique et, d’autre part, d’une réticence croissante de notre société à accepter de soigner et d’accompagner, et non pas de punir, les personnes ayant commis des infractions par déraison4 ».
Facteurs favorisant la commission d’infractions La recherche internationale confirme l’importance des problèmes sociaux et sanitaires, puisqu’elle recense notamment comme facteurs de passage à l’acte délinquant : les difficultés à l’égard de l’emploi et l’insertion ; les addictions (drogues et alcool) ; les difficultés familiales ou conjugales ; un 3. M-C. Mouquet, La santé des personnes entrées en prison en 2003, DREES, mars 2005 ; Etude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues, réalisée par CEMKA-EVAL pour le ministère de la Santé (DGS) et le ministère de la Justice (DAP), janvier 2006. 4. CCNE, La santé et la médecine en prison, avis n° 94, octobre 2006.
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Questions de méthode… La conférence de consensus est préparée par un comité d’organisation, chargé d’auditionner les organisations professionnelles et associatives, de délimiter les problématiques et éléments de connaissance faisant consensus ou objet de désaccords. Ce comité doit ensuite sélectionner un jury « indépendant », ainsi que les experts et praticiens que celuici entendra au cours d’une audition publique (fixée aux 14-15 février 2013). Au terme de cette audition, le jury se retire pour délibérer, pendant deux journées, à huis clos. Il se prononce sur les questions que lui a adressées le comité d’organisation et formule des « recommandations au gouvernement et au parlement ».
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environnement relationnel « soutenant » ou lui-même impliqué dans l’activité délinquante ; le manque de loisirs/inscription dans des réseaux sociaux « licites »5. La recherche montre que des dimensions « internes », à savoir les « valeurs, croyances, rationalisations et état cognitif émotionnels »6 jouent aussi un rôle majeur. Il s’agit notamment de tout ce qui fait croire à une personne que tel comportement n’est pas interdit ou n’a pas de raison valable de l’être, que l’infraction se justifiait par le comportement de la victime, qu’il n’était pas possible d’agir autrement… Des croyances souvent acquises dans le cadre de l’éducation et de l’environnement dans lequel les personnes ont évolué. Ce sont donc avant tout des politiques sociales, sanitaires et éducatives qui seraient à développer afin d’éviter une première entrée dans le système pénal, générateur en luimême d’aggravation de la situation des personnes. L’exemple des pays du Nord de l’Europe est à cet égard éloquent, les politiques d’Etat-providence, de fort investissement dans le soutien social, sanitaire et familial, témoignant de faibles taux de délinquance, mais aussi de récidive (autour de 20 % en Norvège, 30 % en Suède, 31 % en Finlande, pour 66 % aux Etats-Unis). Une fois qu’une infraction a été commise, la tendance du système pénal est de se focaliser sur la seule responsabilité individuelle. Certes, toutes les personnes en difficulté sociale et 5. Donald A. Andrews, « Principes des programmes correctionnels efficaces », in Compendium 2000 des programmes correctionnels efficaces, Service correctionnel du Canada, 2000. 6. Donald A. Andrews, op.cit., 2000.
sanitaire ne commettent pas des infractions et la vision d’un être humain entièrement déterminé par sa condition sociale apparaît réductrice. Pour autant, l’ensemble des facteurs (sociaux, sanitaires, « internes ») intervenu dans chaque passage à l’acte délinquant devrait être pris en compte au stade de la décision pénale, mais aussi du suivi engagé dans le cadre de l’exécution des peines. L’antagonisme de rigueur en France entre approches de travail social et de criminologie apparaît quelque peu paralysant, alors qu’elles devraient toutes deux nécessairement intégrer l’accompagnement des personnes pour mieux prévenir la récidive.
Un séjour en prison aggrave tous les facteurs de récidive L’emprisonnement constitue à lui seul un facteur de récidive, puisqu’il aggrave l’ensemble des facteurs de délinquance recensés par la recherche. « Les difficultés à l’égard de l’emploi et l’insertion » seront ainsi souvent renforcées par un séjour en prison : perte de l’emploi et du logement, difficultés à retrouver un travail affublé d’un casier judiciaire à la sortie… Les difficultés familiales s’accroissent également : le risque de rupture des couples est fortement accru pendant la détention (11 % des détenus qui avaient un conjoint déclarent que leur union s’est terminée durant le mois de leur incarcération ; 20 % des unions sont rompues dans les 12 premiers mois ; 25 % dans les deux ans, etc.)7. Quant à un environnement relationnel « soutenant » l’activité délinquante, il ne pourra qu’être mieux développé en milieu carcéral. Récidive après la prison. Toutes les études réalisées en France montrent que les personnes récidivent moins après une peine alternative ou un aménagement de peine qu’après une peine entièrement purgée en détention8. Une étude 7. F. Cassant, L. Toulemon, A. Kensey, L’histoire familiale des hommes détenus, INSEE n°706, avril 2000. 8. A. Kensey, A. Benaouda, « Les risques de récidive de sortants de prison. Une nouvelle évaluation », Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, n° 36, mai 2011. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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canadienne de référence démontre que contrairement aux sanctions communautaires, « l’incarcération est liée à une augmentation de la récidive » (Smith, Goggin et Gendreau, 2002). Pour disqualifier ces résultats, il est souvent rétorqué que les personnes bénéficiant d’alternatives à l’incarcération sont choisies parmi celles qui présentent le moins de probabilités de récidive. Les chercheurs y répondent par des études annulant cet « effet de sélection », qui confirment inlassablement l’effet criminogène de l’emprisonnement (Wermink, Blokland, Nieuwbeerta, Nagin, Tollenaar, 2010). Récidive pendant l’incarcération. Contrairement à une idée répandue, l’emprisonnement n’équivaut pas non plus à une réelle « neutralisation ». Nombre d’infractions pénales ont lieu en prison contre des codétenus ou des personnels, qui font eux aussi partie du corps social. Les conditions de détention souvent attentatoires à la dignité en France et l’appréhension de la population détenue sous le prisme exclusif de la coercition, sans espace de parole et de négociation, sont même particulièrement génératrices de tensions et violences. En 2011, l’administration pénitentiaire a dénombré 19 912 « agressions contre le personnel », 8 365 « agressions » entre personnes détenues, ainsi que 3 homicides. Or, non seulement le contexte de l’enfermement n’est pas pris en compte comme circonstance atténuante, mais les parquets reçoivent régulièrement des instructions les enjoignant à une sévérité accrue pour les faits commis en prison. Ainsi peut s’installer un véritable tourbillon répressif qui a peu à voir avec la mission de réinsertion et de prévention de la récidive assignée à l’exécution des peines.
Limiter le plus possible la détention : une politique « réductionniste »
de mesures d’avertissement ou d’autres réponses non pénales. A ce cadre préalable, un certain nombre de mesures peut utilement être ajouté : – Usage de la détention provisoire fortement encadré par la loi (par exemple, aux seules infractions contre les personnes) ; – Système de libération conditionnelle d’office à la moitié ou aux deux-tiers de la peine selon les types d’infraction. Le principe est qu’une peine d’emprisonnement ferme doit s’exécuter pour partie en milieu fermé, pour partie en milieu ouvert. La date de libération est connue dès la condamnation, elle peut dès lors être préparée dès le début de l’incarcération.
Pour toutes ces raisons, la première option à adopter pour mieux prévenir la récidive serait de limiter drastiquement le recours à l’emprisonnement, dans le cadre d’une politique pénale « réductionniste ». Un choix inverse à celui adopté par la France au cours de la dernière décennie, avec un taux de détention passé de 85 personnes écrouées pour 100 000 habitants en 2000 à 103 pour 100 000 en 2011, ce qui est bien supérieur aux taux relevés dans des pays européens comme la Finlande (67,4), la Suède (77,2), la Suisse (79) ou l’Allemagne (89,3)9. Pour diminuer fortement le taux de détention, il ne suffit pas de quelques mesures telles une peine de probation et un numérus clausus. Une politique réductionniste implique de ré-envisager l’échelle des peines afin de réduire l’ensemble des quantums encourus selon le Code pénal. Les condamnations encourues à de très longues peines devraient devenir de longues peines, à de longues peines des peines moyennes, à des peines moyennes de courtes peines, à de courtes peines des peines de probation… Quant aux personnes aujourd’hui condamnées à une peine alternative, des dispositifs devraient signifier qu’une bonne part d’entre elles relèvent davantage
– Instauration d’une peine de probation : il s’agirait de remplacer l’emprisonnement avec sursis mise à l’épreuve par une peine non référencée à la prison, dégagée de la menace de mise à exécution d’un emprisonnement. Le travail d’intérêt général deviendrait une obligation possible de la peine de probation, tout comme la surveillance électronique. La peine de probation ne viendrait en revanche pas remplacer l’emprisonnement avec sursis simple, qui concerne un nombre très élevé de personnes condamnées n’ayant pas besoin de suivi, et qui gagnerait davantage à être remplacé par des peines d’amende ou d’avertissement. La juridiction de jugement déciderait de la durée de la peine de probation, le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de son contenu, avec validation et contrôle du juge de l’application des peines. La peine de probation serait ainsi constituée par « une série d’activités et d’interventions qui impliquent suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer socialement l’auteur d’infraction et de contribuer à la sécurité collective »10.
9. Statistiques pénales annuelle du Conseil de l’Europe, mars 2011.
10. Définition de la probation par le Conseil de l’Europe, Recommandation CM/Rec (2010) sur les règles relatives à la probation, 2010
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En cas de non respect par la personne de ses obligations, des solutions intermédiaires devraient toujours être recherchées avant de renvoyer la personne devant le tribunal pour non exécution de la peine de probation.
Une probation plus crédible et efficace Pour qu’une politique réductionniste puisse être développée, il apparaît indispensable que le suivi assuré en milieu ouvert (peine de probation ou libération conditionnelle) puisse être plus intensif qu’aujourd’hui. La question des moyens accordés aux professionnels de la probation ne peut dès lors être négligée, avec pour premier indicateur le nombre de probationnaires suivis par conseiller, qui devrait a minima être ramené à 40, idéalement à 25 (comme en Suède). La recherche internationale a par ailleurs dégagé comme principe d’efficacité l’importance d’un suivi fondé sur les besoins de la personne. Il s’agit d’une part de cibler des facteurs identifiés comme en lien avec la délinquance (problèmes d’insertion, d’addiction, etc.), d’autre part d’aider la personne à renforcer ses propres sources de motivation, ainsi que son « capital humain » (développement des capacités de communication, de gestion des émotions…) et son « capital social » (intégration dans des réseaux et structures permettant de développer de nouvelles « fréquentations » et activités)11. Des méthodes ou interventions qui « marchent ». Tout un pan de la recherche internationale évalue les méthodes d’accompagnement les mieux à même de prévenir la récidive, qui peuvent aussi être utilisées dans le cadre d’un 11. Fergus McNeil, « La désistance : Whats Works et les peines en milieu ouvert en Ecosse », AJ Pénal, septembre 2010.
suivi en détention, mais qui sont plus efficaces dispensées en milieu ouvert (Andrews, 2000 ; Leschied, 2000 ; Quinsey et al., 1998). À titre d’exemple, l’entretien motivationnel a été évalué comme étant « l’une des techniques les plus efficaces pour accompagner un changement durable, dans un contexte pénal » (Bonta et al, 2008 ; Raynor et al, 2010). Il s’agit d’une méthode utilisée dans nombre de pays occidentaux pour aider les personnes condamnées à trouver et renforcer leur propre « motivation au changement ». Des programmes d’insertion spécialement dédiés à des probationnaires peuvent aussi être développés, tel le « programme de formation préalable à l’emploi » dispensé par la « Société Elizabeth Fry » au Canada. Il s’adresse à des femmes cumulant des problèmes de pauvreté, de toxicomanie, de santé mentale et physique, d’absence de formation… À raison de quatre jours par semaine, les deux premiers mois du programme sont consacrés à « un apprentissage de groupe privilégiant la formation préalable à l’emploi et la préparation à la vie active. Le dernier mois a pour objet de permettre aux femmes d’utiliser les connaissances acquises dans le cadre d’un emploi témoin. Elles peuvent ainsi travailler dans un emplacement de leur choix et perfectionner leurs compétences professionnelles et leurs aptitudes interpersonnelles ». Au terme de sept années de pratique, le programme avance un niveau de 70 % de participantes ayant « trouvé du travail ou été admises à des programmes leur permettant de poursuivre leurs 12 études » . Autre exemple, issu des recherches sur la « désistance », le « Programme structuré de supervision » fait la synthèse entre approches de travail social et cognitivo-comportementale. Le SSP comprend douze sessions d’entretiens individuels autour des thèmes de la motivation (« entretien motivationnel ») ; du développement de compétences en matière de « résolution de problèmes » et de « communication assurée » ; d’une définition d’objectifs et d’un travail sur le « cycle de changement » ; d’un travail sur la prévention de la récidive (identification des situations « à risque », les manières de les éviter ou d’y répondre autrement…)13.
Une réforme en profondeur du système carcéral Dans les cas où il paraît impossible d’éviter la prison, le régime pénitentiaire devrait être organisé de manière à limiter ses effets désocialisants, et donc son impact sur l’ensemble des facteurs de récidive. En ce sens, devrait être visée la mise en conformité avec les principes issus de la doctrine du Conseil de l’Europe, en particulier le « principe de normalisation », selon 12. Juliana West et Trudy DeBecker, « Tracer un chemin d’espoir : un programme de formation préalable à l’emploi pour les femmes ayant des démêlés avec la justice pénale », Forum Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol 17, numéro 1, service correctionnel du Canada, juin 2005. 13. P. Durrance, N. Hosking, N. Thornburn N., « Can structured programmes improve one-to-one supervision? », in F. McNeill, P. Raynor and Ch. Trotter, Offender Supervision. New Directions in Theory, Research and Practice, Willan Publishing, 2010. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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© Michel Le Moine
lequel la vie en détention doit être « alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur »14. – Le principe de normalisation implique notamment de privilégier un régime « ouvert » de détention permettant une certaine autonomie, les détenus étant équipés de la clé de leur cellule, autorisés à circuler au sein de l’établissement… Il s’agit également de permettre aux détenus de bénéficier d’activités les « occupant en dehors de leur cellule au moins huit heures par jour », de percevoir « une rémunération conforme aux salaires pratiqués dans l’ensemble de la société » ou de se voir proposer un « travail conforme aux normes et techniques de travail contemporaines »15. Les liens des détenus avec leurs proches doivent aussi être facilités, notamment par l’accès régulier à des unités de vie familiale préservant l’intimité des rencontres, mais aussi par une limitation du contrôle des correspondances aux cas où la présence d’un objet illicite est suspectée. – Une approche de la sécurité « dynamique » devrait être privilégiée, fondée sur le respect des droits des personnes, le dialogue et la prévention. Le Conseil de l’Europe souligne notamment que la sécurité passe notamment par le fait de donner aux détenus la possibilité de « faire des choix personnels dans autant de domaines que possible de la vie 14. Règle n°5, Conseil de l’Europe, Recommandation Rec (2006) sur les règles pénitentiaires européennes. 15. Conseil de l’Europe, commentaire de la Recommandation Rec(2006) sur les Règles pénitentiaires européennes. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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quotidienne de la prison16 » et de favoriser la communication avec le personnel pénitentiaire, notamment par la mise en place « d’espaces de parole et de conflictualisation ». Car « la violence surgit quand il n’y a pas d’espace de conflictualisation organisé (droit de grève, droit à manifester, droit à la syndicalisation, à l’association, par exemple »17. En ce sens, il conviendrait notamment de supprimer la possibilité de sanctions disciplinaires en cas de signature d’une pétition et de créer dans tous les établissements des espaces d’expression collective sur tous les aspects de la vie en détention (sur le modèle des comités de détenus). – Le respect des droits et de la loi : outre les droits qui restent non reconnus aux personnes détenues (droit du travail, droit d’expression, etc.), de nombreuses dispositions restent inappliquées. Or, lorsqu’une institution symbolisant la loi ne la respecte pas elle-même, la crise de confiance avec le citoyen s’installe, et la rupture souvent observée des personnes condamnées avec les institutions n’en sort que renforcée.
16. Conseil de l’Europe, Recommandation concernant la gestion des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée, 2003. 17. Groupe de travail DAP, la violence en prison, 2007-2009 ; Groupe de réflexion sur les violences, rapport de P. Lemaire remis au garde des Sceaux, mai 2010.
ACTU
Application de la loi pénitentiaire :
le compte n’y est pas Trois ans après sa promulgation, l’application de la loi pénitentiaire « n’est pas à la mesure des espoirs qu’elle avait soulevés » écrivent les sénateurs Nicole Borvo Cohen-Seat et Jean-René Lecerf dans un rapport rendu public le 4 juillet 2012. Loin d’avoir bouleversé le quotidien des dizaines de milliers de personnes incarcérées chaque année en France, l’application effective de la loi du 24 novembre 2009 « se heurte encore à de nombreux obstacles ». Des sénateurs qui jugent aujourd’hui nécessaire que soit redonnée toute leur portée aux principes fondateurs de ce texte.
Ambitieuse était la tâche confiée par les commissions sénatoriales des lois et du contrôle de l’application des lois à Nicole Borvo (groupe communiste) et Jean-René Lecerf (UMP) : celle de dresser un état des lieux, deux ans après sa promulgation, de l’application de la loi pénitentiaire. Au final, le compte n’y est pas pour les parlementaires qui estiment que l’application effective des dispositions de loi « se heurte encore à de nombreux obstacles, […] faute, sans doute, d’une réelle volonté politique » et qui formulent vingt recommandations pour « redonner souffle aux principes fondateurs de la loi pénitentiaire » et la compléter « dans l’esprit et la logique qui avaient 1 animé le législateur en 2009 » .
L’« inertie administrative » pointée du doigt Le retard de l’entrée en vigueur des décrets d’application de la loi en est une illustration éclairante. Intervenue pour les premiers d’entre eux plus d’un an après l’adoption du texte, leur publication s’est en effet échelonnée jusqu’à 2012. Et deux d’entre eux restent toujours en souffrance dans les cartons du ministère, tels celui sur les règlements intérieurs types. Un manque de volonté politique également trahi par l’insuffisance des moyens octroyés pour mettre en œuvre les dispositions relatives aux aménagements de peine pour les peines de prison inférieures ou égales à deux ans : « l’étude d’impact accompagnant la loi estimait nécessaire la création de 1 000 emplois supplémentaires de conseillers d’insertion et de probation. Trois ans après l’entrée en vigueur de la loi, moins du tiers de ces postes ont été effectivement ouverts ». L’augmentation importante de la population carcérale ces deux 1. Jean-René Lecerf et Nicole Borvo Cohen-Seat, Loi pénitentiaire : de la loi à la réalité de la vie carcérale, Rapport d’information n°629 (2011-2012), 4 juillet 2012.
dernières années, résultante des dernières évolutions législatives et d’une politique pénale tendant à ramener à exécution toutes les peines d’emprisonnement ferme, y compris les plus courtes, a également « contrarié les orientations de la loi pénitentiaire » et « contribué à brouiller les objectifs poursuivis par le législateur en 2009 ». Le bilan dressé en matière d’aménagements de peine apparaît ainsi très loin des espérances du législateur de 2009. Les co-rapporteurs plaident pour un développement et une diversification de ces mesures, notamment de la semi-liberté, du placement à l’extérieur et de la libération conditionnelle. Et Jean-René Lecerf d’ajouter : « les chiffres [en matière de récidive pour les personnes qui en bénéficient] sont si éloquents qu’il n’y a pas beaucoup d’hésitations à avoir ! ». Les rapporteurs épinglent aussi sévèrement le dispositif des conseils d’évaluation, venu remplacer des commissions de surveillance « dont l’inefficacité avait été depuis longtemps dénoncée ». Selon eux, le pouvoir exécutif n’a en effet pas tiré les enseignements de l’échec de ces commissions et n’a pas donné aux conseils d’évaluation « une composition allégée qui leur permette d’exercer à la fois un rôle d’évaluation et de proposition ».
Une « culture pénitentiaire » rétive au changement L’« interprétation restrictive » par l’administration pénitentiaire de nombreuses dispositions prévues dans la loi, en particulier des droits reconnus aux personnes détenues, est également soulignée. En ce qui concerne le respect de la liberté de conscience et de l’exercice du droit de culte, « les réponses sont encore inadaptées aux besoins de la population pénale » estiment les sénateurs, constatant notamment l’insuffisance Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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d’aumôniers musulmans. Et Jean-René Lecerf de déplorer : « les aumôniers nationaux passent plus de temps à accompagner les personnes détenues aux douches et à les raccompagner ensuite en cellule pour éviter qu’ils ne se fassent frapper ou violer qu’à leur parler de religion ! ». La domiciliation dans l’établissement devait quant à elle permettre de faciliter l’exercice des droits civiques, le bénéfice de l’aide sociale légale et la facilitation des démarches administratives : elle reste pourtant « marginale » en pratique. En mai 2012, seules 275 personnes s’étaient domiciliées dans l’établissement pénitentiaire dans lequel elles étaient détenues, alors que plus de 100 000 personnes sont ou ont été incarcérées dans les prisons françaises depuis l’entrée en vigueur de la loi. Quant à l’obligation © Félix Ledru faite aux établissements de consulter les détenus sur leurs activités, « il faudrait la mettre en pratique ! » s’insurge le sénateur Lecerf, pointant du doigt « la culture pénitentiaire […] rétive à la consultation des détenus », tout autant qu’à « ouvrir les portes de la prison aux journalistes ». Il dénonce par ailleurs une interprétation « très restrictive » du droit à l’image – qui permet à toute personne d’accepter ou de s’opposer à l’utilisation de son image dans un documentaire ou un reportage – désormais reconnu aux personnes détenues. En matière de droits économiques et sociaux, le bilan s’avère aussi « décevant » : avec un taux d’activité de 39,1 %, masquant de fortes disparités entre établissements pénitentiaires, « l’emploi et la formation ne concernent aujourd’hui qu’une minorité de personnes détenues ». Conscient des efforts déployés par l’administration pénitentiaire, les co-rapporteurs restent néanmoins persuadés que « des moyens d’action existent et que des efforts supplémentaires devraient être accomplis » en la matière.
Maintien des liens avec l’extérieur : des objectifs à minima Une section entière de la loi de 2009 – neuf articles au total – traite de la vie privée et familiale et des relations avec l’extérieur des personnes détenues. Les sénateurs notent à cet égard que « le choix d’implanter les nouveaux établissements […] à la périphérie souvent lointaine des centres urbains complique beaucoup l’organisation des visites » et alourdit le coût financier pour les familles. Disposition significative si elle venait à voir le jour, « un remboursement forfaitaire des dépenses de transport engagées pour visiter une personne incarcérée dans une prison éloignée » est préconisé par Jean-René Lecerf et Nicole Borvo. La possibilité pour toute personne détenue de Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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bénéficier « d’au moins une visite trimestrielle » dans une unité de vie familiale (UVF) ou un parloir familial, se heurte quant à elle au manque d’unités dans les établissements pénitentiaires. Au 1er janvier 2012, seuls dix-neuf établissements disposaient d’UVF et neuf de parloirs familiaux relèvent les corapporteurs, qui ne manquent pas de s’inquiéter des objectifs que s’est fixé le ministère de la Justice en matière de construction de ces unités : ce n’est en effet qu’en 2016 que l’ensemble des établissements pénitentiaires devraient en être dotés, avec des durées prévues d’une demi-journée pour chaque parloir familial et une journée pour chaque visite en UVF. Une visée peu ambitieuse « puisque d’ores et déjà des familles peuvent être reçues jusqu’à trois jours consécutifs dans une UVF ». Si l’accès au téléphone pour l’ensemble des personnes est un progrès significatif apporté par la loi pénitentiaire, « l’équipement se réduit souvent à l’installation d’un ou de plusieurs appareils dans les coursives ou les cours de promenade », là où « seule une cabine permettrait de préserver l’intimité des échanges et de garantir notamment le droit des détenus de correspondre librement avec leur avocat ». Les parlementaires notent « l’effort engagé » en matière d’installation de téléphones mais relèvent également que 26 établissements n’en étaient toujours pas équipés au début de l’année 2012. La loi pénitentiaire a également prévu pour les détenus les plus démunis une aide en nature (vêtements, matériel de correspondance…) ou en numéraire (aide financière). Les sénateurs estiment « qu’il n’y a pas lieu de privilégier l’aide en nature par rapport à l’aide en numéraire » comme c’est le cas actuellement. Et vont plus loin en reprenant à leur compte une proposition écartée des débats pendant l’examen du projet de loi, plaidant pour l’instauration d’un revenu minimal carcéral qu’ils estiment à 40 euros mensuels et dont le coût pour les finances publiques serait « modique ». Une aide qui « éviterait par exemple que de jeunes détenus qui souhaitent suivre une formation ne soient obligés d’y renoncer » au profit d’un travail en détention, offrant le plus souvent des tâches manuelles peu qualifiantes, répétitives et abrutissantes.
Une administration qui « souhaiterait que la loi […] puisse être modifiée » La mise en œuvre de certaines dispositions demeure enfin « très problématique ». Il en est ainsi des fouilles intégrales, dont l’usage a été strictement encadré par la loi de 2009 : trois ans plus tard, la plupart des établissements pénitentiaires ont maintenu des régimes de fouilles à nu systématiques,
ACTU notamment après les parloirs. « L’administration pénitentiaire […] souhaiterait que la loi pénitentiaire puisse être modifiée afin d’autoriser le recours aux fouilles intégrales dès lors que les personnes détenues auraient un contact avec l’extérieur », déplorent les sénateurs qui « ne sauraient accepter un tel retour en arrière » et réaffirment clairement que « le recours aux fouilles intégrales […] doit répondre aux principes de nécessité et de proportionnalité – elles ne peuvent revêtir le caractère systématique que présentent les pratiques actuelles ». Ils préconisent, afin de concilier principes de sécurité et de respect de la dignité de la personne, l’installation de scanners à ondes millimétriques, « permettant de visualiser les contenus du corps et de repérer la présence à la fois de substances illicites ou d’objets dangereux sans que la personne détenue ait besoin de se dévêtir ». L’investissement important que représenterait l’équipement de ce type de matériel s’avère « pleinement justifié au regard des enjeux qu’il représente tant vis-à-vis des personnels que des personnes détenues », estiment les rapporteurs. En matière disciplinaire, ils rappellent sans détours que « le rôle dévolu au chef d’établissement au sein de la commission de discipline n’est pas conforme au principe d’impartialité commandé par la Cour de Strasbourg », et préconisent que soit « à minima » conféré aux assesseurs, personnes extérieures à l’établissement siégeant en commission de discipline, une voix délibérative. Le sénateur Lecerf rappelle enfin que la prise en charge des troubles psychiatriques, qui concernent 10 % des détenus « pour lesquels la peine [n’a] aucun sens et qui [n’ont] pas
leur place dans ces établissements » n’a pas été traitée par la loi pénitentiaire. Constatant qu’« une grande loi sur la santé mentale rest(e) à prendre », il estime que cette situation « explique en partie le nombre élevé de suicides que l’on constate dans ces établissements ». Des suicides sur lesquels il n’existe toujours pas « de statistiques fiables et sures ». Le nombre de personnes qui mettent fin à leurs jours lors d’une permission de sortir ou qui décèdent à l’hôpital des suites d’une tentative de suicide en cellule « n’est pas comptabilisé », relèvent les sénateurs qui en profitent pour prendre le contre-pied de la politique de prévention menée par l’administration pénitentiaire : « le problème n’est pas d’empêcher le suicide des personnes détenues mais de leur donner une raison de vivre ». Devant les limites intrinsèques de la loi de 2009 et les nombreux obstacles apparus dans sa mise en œuvre, les sénateurs sonnent la mobilisation générale de l’ensemble des acteurs, « services publics de l’État, collectivités locales, entreprises, représentants de la société civile et citoyens », estimant que « la réussite ou l’échec de la loi pénitentiaire n’engage pas seulement la responsabilité de l’administration pénitentiaire mais celle de la société tout entière ». Sans réelle conviction que cela suffise, d’autant que « l’adhésion à la loi des personnels pénitentiaires reste mitigée ». Et le sénateur Lecerf, devant l’immensité du chemin qu’il reste encore à parcourir, de rappeler que l’« on juge une société à l’état de ses prisons » et d’implorer : « je souhaiterais, pour la France, qu’on nous laisse encore un petit délai ! ». Samuel Gautier
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Le Conseil d’État valide les décrets d’application de la loi pénitentiaire Saisi par l’OIP, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur les décrets d’application de la loi pénitentiaire par trois arrêts rendus le 7 juillet 2012. La Haute Juridiction confirme la légalité des dispositions des textes attaqués, à l’exception de l’article 31 du décret du 30 décembre 2010 portant code de déontologie du service public pénitentiaire, dont elle prononce l’annulation partielle. Cet article prévoyait que les intervenants extérieurs à l’administration pénitentiaire ne peuvent avoir de relations personnelles autres que celles imposées par leur mission avec « des personnes placées ou ayant été placées par décision de justice sous l’autorité ou le contrôle de l’établissement dans lequel ils interviennent ». Pour le Conseil d’Etat, cette restriction se justifie pour les relations avec les personnes actuellement détenues et leurs proches. Mais en l’étendant aux personnes ayant été détenues et à leurs proches, « l’article 31 du décret attaqué instaure une interdiction générale, de caractère absolu et sans aucune limitation de durée », qui méconnaît le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. A propos du même décret, l’OIP critiquait l’obligation pour les personnes concourant au service public pénitentiaire de se conformer, sans limitation, à toute consigne imposée par l’administration pour des raisons de sécurité. Le Conseil d’Etat admet la légalité de cette injonction. Mais il prend soin de rappeler que ces consignes ne sauraient méconnaître l’obligation faite à l’administration pénitentiaire de garantir « à toute personne détenue le respect de sa dignité, [de] respecte[r] le secret médical des personnes détenues ainsi que le secret de la consultation et que tout accouchement ou examen gynécologique […] se déroule sans entraves et hors la présence du personnel pénitentiaire ». Dans cette perspective, le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion de préciser que les personnes détenues ne sont pas tenues de se soumettre à un ordre de l’administration qui serait « manifestement de nature à porter une atteinte à la dignité de la personne humaine » (CE, 20 mai 2011, B. et OIP, n° 326084). S’agissant du décret n° 2010-1634 du 23 décembre 2010, l’OIP contestait la procédure disciplinaire applicable aux détenus, soutenant tout d’abord que cette procédure méconnaît le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Conformément à sa jurisprudence antérieure, le Conseil d’Etat écarte la critique en estimant que cette garantie n’est pas applicable à la procédure disciplinaire dans Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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les établissements pénitentiaires. L’OIP invoquait par ailleurs la méconnaissance du principe d’impartialité résultant de ce que le chef d’établissement, ou son délégataire, cumule à la fois le pouvoir d’engager les poursuites disciplinaires et de prononcer les sanctions. Le Conseil d’Etat rejette ce grief tout en formulant une exigence. La lecture de l’acte par lequel le chef d’établissement décide de l’opportunité de poursuivre la procédure disciplinaire « ne saurait […] donner à penser que les faits visés sont d’ores et déjà établis ou que leur caractère répréhensible au regard des règles à appliquer est d’ores et déjà reconnu ». En troisième lieu, était critiqué le fait que le droit à l’assistance d’un interprète dans le cadre de la procédure disciplinaire ne devait être assuré par l’administration pénitentiaire que « dans la mesure du possible ». La Haute Juridiction confirme la disposition tout en affirmant « qu’il incombe à l’administration pénitentiaire d’accomplir toutes les diligences nécessaires pour que la personne détenue dispose de l’assistance d’un interprète » et qu’ainsi, « sauf le cas dans lequel il s’avérerait matériellement impossible d’en trouver un, la personne détenue a droit à une telle assistance ». En quatrième lieu, le juge souligne que si l’opportunité de l’audition de témoins relève de la seule appréciation du président de la commission de discipline, la personne poursuivie « peut toujours demander à faire entendre des témoins par la commission, sa demande devant être consignée sur la procédure disciplinaire ». Enfin, l’OIP avait critiqué les dispositions du décret relatives aux fouilles en détention au motif qu’elles autorisaient un usage régulier des fouilles intégrales contrairement à ce que prévoit la loi pénitentiaire Là encore, le Conseil d’Etat écarte l’objection tout en soulignant que ces dispositions « n’ont pas pour objet et ne sauraient légalement avoir pour effet de méconnaître la portée des dispositions législatives dont il résulte, d’une part, que les mesures de fouilles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre de l’établissement et, d’autre part, que les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l’utilisation de moyens de détection électronique ». CE, 11 juillet 2012, n° 347148, n° 347146 et n°347147
Nicolas Ferran
ACTU
Centre pénitentiaire d’Annoeullin : le détenu « contestataire » n’a pas commis de violences Des violences contre des surveillants non établies, un usage de la force excessif à l’égard de Malin Mendy, repéré comme « contestataire », des sanctions disciplinaires et pénales pour le détenu… Et cinq mois plus tard, la Cour d’appel qui relaxe le prisonnier des faits de violences, pour un incident parti de rien : Malin Mendy réclamait quelques minutes de plus pour achever la cuisson de son riz dans un office collectif avant de retourner en cellule. Un symbole de méthodes coercitives alors qu’une approche de coopération et de négociation permettrait d’éviter nombre d’incidents en détention.
La Cour d’appel de Douai vient de réformer partiellement une condamnation de Malin Mendy par le Tribunal de grande instance de Lille à deux ans d’emprisonnement ferme pour « violences volontaires » contre des surveillants et « rébellion ». Dans son arrêt du 24 septembre, la Cour le relaxe du chef des violences volontaires mais pas de celui de rébellion. Elle met en avant que le délit de violences n’est pas établi, les blessures sur les surveillants ayant été causées « non par un acte volontaire du prévenu, mais par les débris de verres provenant de la vaisselle renversée lors de l’interpellation ». L’incident remonte au 30 avril 2012, alors que Malin Mendy cuisine avec d’autres détenus dans l’office prévu à cet effet au premier étage du bâtiment C du quartier centre de détention du centre pénitentiaire d’Annoeullin. Alors que plusieurs détenus confirment qu’il leur est habituellement permis, de cuisiner jusqu’à 17h45, même si une note interne prévoit une fermeture à 17h30, un surveillant ordonne ce jour là aux détenus de réintégrer leurs cellules à 17h30. Devant l’inertie de la plupart des détenus, il revient avec sept autres surveillants à 17h40. Un face à face tendu s’engage. Trois détenus sortent de l’office, reste Malin Mendy qui réclame 5 à 10 minutes pour achever la cuisson de son riz. L’ordre de sortir lui est à nouveau intimé. Il est entouré de six surveillants, l’un d’eux le prend par le bras, Mendy se dégage en demandant qu’on ne le touche pas, qu’il va rentrer tout seul en cellule et il commence à rassembler ses affaires. Mais les surveillants décident de l’envoyer au quartier disciplinaire et ils le plaquent par terre. De la vaisselle se brise au sol et le détenu qui résiste un temps au plaquage terminera le visage en sang dans les bris de verre, les deux bras tordus dans le dos.
Trois blessés et un cumul de sanctions Le médecin qui examine Malin Mendy au quartier disciplinaire prononce « un jour d’ITT » au vu de « deux plaies cutanées du visage au niveau de la pommette gauche », « une contusion de la joue et de la pommette gauche », « un hématome au niveau du radius gauche », « une ecchymose sur la face intérieure du coude droit ». Deux surveillants ont également été blessés, l’un a une entaille au genou, l’autre le tendon d’un doigt sectionné, ce qui nécessitera 26 jours d’ITT. Malin Mendy étant porteur du VIH, les deux surveillants subiront une trithérapie préventive sur plusieurs mois. À rebours des recommandations du rapport Lemaire qui pointait les risques que présente « le cumul des sanctions administratives et judiciaires », d’enfermer le détenu dans « une dynamique agressive où la violence physique devient une réponse à ce qui peut être perçu comme une violence institutionnelle disproportionnée »1, Malin Mendy subira quatre sanctions suite à cet incident. Le 2 mai, il est sanctionné par la commission de discipline à 30 jours de quartier disciplinaire pour « violences physiques » à l’encontre des personnels pénitentiaires, « tapage de nature à troubler l’ordre de l’établissement » et refus « d’obtempérer aux injonctions des membres du personnel ». La visite en unité de vie familiale (UVF) programmée avec sa compagne qu’il n’a pas vue depuis plusieurs mois est supprimée et il est transféré au centre pénitentiaire de Laon. En comparution immédiate, le tribunal correctionnel de Lille le condamne en outre le 20 juin à une peine plancher de 2 ans 1. Groupe de réflexion sur les violences à l’encontre des personnels pénitentiaires, rapport de P. Lemaire, mai 2010. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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d’emprisonnement et à de lourds dommages et intérêts pour « violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique » et « rébellion ». Le tribunal était resté en deça des réquisitions du parquet qui avait considéré que Malin Mendy avait « volontairement brisé le saladier pour s’en prendre à l’intégrité des personnels pénitentiaires » et requis une peine de 3 ans d’emprisonnement, estimant que le détenu « aurait intérêt à filer droit ». Tout au long de l’audience, le détenu avait souligné que depuis 1983 et près de 20 années passées en prison, c’était la première fois qu’on l’accusait de violences contre des personnels pénitentiaires. Il évoquait des tensions pré-existantes avec certains surveillants présents lors de l’incident et dont il dénonçait les pratiques depuis plusieurs mois (« tutoiement hostile », « provocations », « pratiques humiliantes »...). À la fin de l’audience, il s’était écrié à la barre : « aujourd’hui, c’est moi la victime, même si mon casier vous Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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fait dire le contraire ! ». Mais le tribunal avait surtout écarté les témoignages de certains surveillants, tel celui d’un lieutenant expliquant dans sa déposition que « le détenu n’avait fait que se rebeller et qu’il n’y avait pas eu de blessure volontaire de sa part », raison pour laquelle les services de gendarmerie n’avaient pas été prévenus dès la survenance de l’incident.
Relaxe en appel pour les violences C’est cette vérité là que la Cour d’appel de Douai a rétablie en relaxant Malin Mendy des poursuites pour violences au motif que « selon les témoignages des surveillants, les blessures relevées sur deux d’entre eux ont été causées, non par un acte volontaire du prévenu, mais par les débris de verres provenant de la vaisselle renversée lors de l’interpellation ». Cependant, elle maintient une condamnation à un an d’emprisonnement estimant que « le prévenu a sans doute possible, commis
ACTU le délit de rébellion qui lui est reproché », puisqu’il a « résisté à son interpellation lorsqu’il a été pris la décision d’user de mesure de coercition dans la perspective de son placement sous le régime disciplinaire ». Pour autant, la Cour ne détaille pas dans ses motifs en quoi a consisté le délit alors que, selon le Code pénal, « constitue une rébellion le fait d’opposer une résistance violente à une personne dépositaire de l’autorité publique. » D’après une décision récente de la Cour de cassation2, en l’absence de violence, il n’y a pas délit de rébellion, « la simple désobéissance aux injonctions de l’autorité, hormis le cas où elle est spécialement incriminée par la loi, ou la résistance passive à de telles injonctions » n’étant « pas susceptibles de caractériser l’infraction » de rébellion. Une certaine contradiction apparaissant entre le fait d’avoir considéré que les violences n’étaient pas établies et de maintenir la condamnation pour rébellion, Malin Mendy a exercé un recours en cassation.
Prévenir ou provoquer l’incident ? Plusieurs groupes de travail3 ont formulé en 2008 et 2010 des recommandations pour prévenir les tensions et violences en prison. La mise en œuvre de certaines d’entre elles au centre pénitentiaire d’Annoeullin auraient certainement permis d’éviter dans ce cas qu’un détenu et deux surveillants ne soient blessés, tel le fait d’instaurer plus de « liberté de mouvement » pour permettre aux détenus de « respirer » et d’être « beaucoup moins dépendants des personnels », de « former les personnels de surveillance aux techniques d’entretien » et de « résolution des conflits », ou encore d’instaurer des « espaces de parole et de conflictualisation » offrant aux détenus la possibilité de s’exprimer. La manière dont a été géré cet incident s’inscrit de toute évidence à l’inverse de telles préconisations. La phase de dialogue prévue dans une note de la direction de l’administration pénitentiaire du 27 février 2007 et qui doit systématiquement précéder l’emploi de la force en cas de résistance par « inertie physique aux ordres donnés » apparaît ainsi avoir été négligée. Cette « discussion avec le détenu concerné » doit avoir pour but « d’obtenir la compréhension et l’acceptation de ce qui lui est demandé ». Dans ce cas, elle n’a pas duré plus de cinq minutes : à 17h30 le surveillant d’étage a donné une première fois son ordre, Malin Mendy a exprimé son incompréhension au regard de la pratique habituelle et demandé à s’entretenir avec un gradé. A 17h40, les gradés sont arrivés. A 17h45, le détenu était placé au quartier disciplinaire. Les motifs de la fermeture inhabituelle de l’office n’ont pas été expliqués au détenu. Et les raisons pour lesquelles il demandait un délai de quelques minutes pour terminer son repas n’ont pas été recherchées. Or, Malin Mendy est porteur du VIH depuis 20 ans et doit prendre chaque jour une trithérapie à heures fixes accompagnée d’un repas conséquent. Une situation connue de tous selon lui. 2. Crim, 26 juin 2012, °11 – 87416. 3. Rapport Lemaire, op.cit., mai 2010 ; Groupe de travail DAP, recommandations, 15 octobre 2008.
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La nécessité du placement préventif au quartier disciplinaire et l’emploi des menottes suscitent également des interrogations. Le Code de procédure pénale prévoit qu’un détenu ne peut être placé préventivement au quartier disciplinaire que si « la mesure est l’unique moyen de mettre fin à la faute ou de préserver l’ordre à l’intérieur de l’établissement ». Or, il apparaît tant dans les dires du détenu, des codétenus que des surveillants que Malin Mendy ne refusait pas de sortir dans l’absolu, mais qu’il sollicitait un délai qui n’exécédait pas l’heure de fermeture des cellules. En outre, il avait verbalisé son intention de rentrer en cellule, et avait commencé à rassembler ses affaires. Enfin, devra être questionnée la pertinence pour les surveillants de rentrer à six dans le local exigu de l’office où se trouvent des objets potentiellement dangereux (ustensiles en verre, couteaux, casseroles emplies de liquides chauds) pour y entreprendre un plaquage au sol... à tout le moins de ne pas stopper l’opération dès les premiers bris de verre. Autant de questions dont le détenu, accompagné de l’OIP, a saisi la mission déontologie du Défenseur des droits. Anne Chereul, Coordinatrice région Nord (OIP)
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Quatre mois en EPM :
un mineur et sa mère témoignent
Basés sur une prise en charge associant éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et surveillants de l’administration pénitentiaire, les six Etablissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) ouverts entre 2007 et 2009 ont fait l’objet de nombreuses critiques. Marvin a été incarcéré dans celui de Meyzieu, près de Lyon, pendant plusieurs mois. Nous l’avons rencontré à sa sortie, avec sa mère Laurence. Ils racontent comment ils ont chacun vécu la prison pour mineurs : des activités inadaptées et des sanctions injustes pour lui ; un manque d’informations et beaucoup d’inquiétudes pour elle.
Peux-tu nous décrire une « journée type » à l’EPM ? Marvin : On est réveillé vers 7 h 30. Chaque unité (il y en a sept en tout) est divisée en deux groupes : un premier groupe descend pour prendre le petit déjeuner au réfectoire de 8 heures à 8 h 30, le deuxième groupe descend de 8 h 30 à 9 heures Ensuite, on va en cours ou en activités. Sur les coups de 11 h 30, on regagne l’unité pour la distribution des repas : un groupe descend manger au réfectoire, l’autre mange en cellule. L’après-midi ça repart, on a 1 heure ou 2 d’activités, de sport, de cours… Le soir, ceux qui ont mangé au réfectoire le midi mangent en cellule, et vice-versa. Le week-end, on est réveillé plus tard, il n’y a pas d’activités le matin. Est-ce que cet emploi du temps te convenait ? Marvin : On prend le rythme imposé, on s’y habitue. Par contre, ceux que j’ai connus qui arrivaient de quartiers mineurs étaient dégoûtés car ils avaient beaucoup moins de liberté à l’EPM. Des fois, moi non plus je n’avais pas le goût, j’aurais préféré rester seul en cellule. Quand tu n’as pas envie, tu peux refuser d’y aller, mais on te donne un « refus ». Ce n’est pas une sanction, mais ça fait « du contre » le jour où une sanction tombe. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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Laurence : Les refus sont inscrits dans les rapports de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), et peuvent être pris en compte au moment du jugement ou par le juge de l’application des peines comme le signe d’un état de rébellion ou de mauvaise volonté du jeune. Marvin : Il m’arrivait de refuser un peu les cours car je m’y ennuyais. On est quatre ou cinq en cours, mais avec des niveaux très différents. Pourtant, il y a une évaluation du niveau scolaire à l’entrée, mais leurs tests ne servent à rien en fin de compte car on est tous mélangés. Du coup, en cours c’était… le bordel ! Certains apprennent des choses, mais c’est pas tout le monde. C’est pareil pour les formations. Il y avait des formations « maçonnerie », « horticulture » ou « mécanique » mais sans outils. Les formations sont théoriques et inutiles. Laurence : Je n’ai jamais été informée par le personnel qu’il avait passé des tests. On est associés à rien les parents, on est tenu à l’écart. Quelques jours après son incarcération à l’EPM, son père et moi avons pourtant été reçus en entretien avec un éducateur et un surveillant. Ils nous ont expliqué que ce serait comme à l’école, qu’il aurait les mêmes horaires de cours matin et après-midi. Tel qu’on nous l’avait expliqué, je voyais mon fils sur les bancs de l’école toute la journée, je pensais qu’il allait reprendre les cours là où il s’était arrêté dehors. Dans la plaquette de présentation des EPM de 2007, on peut lire que « le succès » de la prise en charge des mineurs « repose sur l’articulation entre les éducateurs de la PJJ et les surveillants de l’administration pénitentiaire ». Comment as-tu perçu les rôles du surveillant et de l’éducateur ? Marvin : En fait, il y a un binôme surveillant-éducateur sur chaque unité. Le travail de l’éducateur est plus social
ACTU
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normalement, lui seul peut organiser des activités en groupe, comme un atelier cuisine par exemple. Sans l’éducateur, on n’a pas de repas communs et on mange en cellule tout le temps, on ne peut pas avoir de promenades non plus. Dans mon unité, il y avait deux ou trois éducateurs assez sympas mais ils ne montaient pas de projet car d’après ce qu’ils disent, ils n’ont pas assez de budget. Ils étaient donc surtout là pour gérer les repas collectifs. L’autre différence c’est que les éducateurs ont un peu plus peur de nous que les surveillants. En général, ils sont plus rapidement démunis en cas de problème, comme des insultes par exemple. Quelles étaient tes relations avec les personnels ? Marvin : C’était un peu chaud avec la plupart des surveillants. Certains nous parlaient mal, ils mettaient de l’huile sur le feu. Dans mon unité, les surveillants ont beaucoup tourné car ils se faisaient trop insulter, il y avait trop de bagarres détenus/ surveillants. C’est vrai qu’on n’y allait pas de main morte avec eux. On était respectueux, mais à partir du moment où un surveillant nous annonçait quelque chose et qu’il ne tenait pas parole, c’était cuit pour lui. On ne les insultait pas gratuitement ou par plaisir, il y avait toujours une raison. Avec les éducateurs, c’était un peu pareil. Ils sont gentils mais trop souvent, ils mentent. Par exemple, si un éducateur nous dit qu’on va avoir une activité le week-end et qu’on ne l’a pas parce qu’il est parti en congés, on ne laisse pas passer. A son retour il se fait insulter, on refuse de le réintégrer… et il part en arrêt maladie.
Est-ce que tu avais une relation de confiance avec les éducateurs ? Marvin : Ben non, ils travaillent pour la justice, je vais pas avoir une relation de confiance avec eux. Laurence : Pour les parents c’est pareil, il n’y a personne avec qui on a une relation de confiance, si ce n’est peut-être l’avocat. Les éducateurs, je pouvais les appeler, même s’il était parfois très difficile de les joindre. Par contre, nous n’avons aucun rapport avec les surveillants alors que je pense que ce serait très utile des deux côtés. Cela pourrait aider les surveillants à comprendre un peu mieux les jeunes, et rassurer les parents parce que les surveillants sont en contact direct avec nos enfants au quotidien. Ce manque de dialogue tient aussi au fait que nous sommes – en tant que parents – considérés comme aussi coupables que nos enfants. On se sent jugés en permanence dès le commissariat, puis dans le bureau du juge, et enfin en prison. La société n’est jamais en cause, c’est forcément de notre faute. Son incarcération a été pour moi une grosse période de remise en question. Je me suis dit que je n’avais pas su le protéger. Vous savez, une maman n’est jamais dans l’inconscience : même si on ne sait pas tout, on voit les choses arriver. Le problème c’est que l’on ne sait pas comment y mettre un frein. Quand il a commencé à relâcher ses études, j’ai vu qu’il partait en roue libre, qu’il fallait faire quelque chose, mais seule je n’y arrivais pas. L’école culpabilise aussi, ce n’est pas là qu’on trouve de l’aide. Du côté de l’entourage, j’ai cherché dans ma famille un adulte qui pourrait être un référent mais personne ne s’est positionné, tout le Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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monde avait l’impression qu’il allait bien et que je m’inquiétais pour rien. Lui même disait que je dramatisais quand j’essayais d’en discuter avec lui. Après, ce sont les jeunes qui détiennent la clé, personne d’autre qu’eux. C’est pour ça qu’il ne faut pas trop les casser en prison, pour qu’ils aient l’envie, en sortant, de résister à tout ça. Il y a un an, un article de presse s’inquiétait de l’alimentation des mineurs à l’EPM1. Que peux-tu nous dire sur la nourriture à l’intérieur ? Marvin : C’est la gamelle ou rien parce que l’on ne peut pas cantiner de plaques chauffantes ni de conserves comme dans les quartiers majeurs. Les quantités ne sont pas top, ce ne sont pas des grosses proportions, c’est pas bon, c’est pas cuit. C’est pire que la bouffe de la cantine ! Si la gamelle arrive à 11 h 30 c’est chaud, mais si on nous la monte à 12 h 15 c’est froid. Et puis il n’y a pas d’eau minérale, on boit l’eau du robinet. Elle a vraiment un goût spécial. Si tu remplis une bouteille d’eau et que tu la bois le lendemain, t’as l’impression que l’eau a périmé en fait. C’est limite imbuvable. Et puis quand il faisait froid, l’eau était gelée et quand il faisait super chaud, l’eau était bouillante. J’en ai plein des détails comme ça… Laurence : En tant que maman, cela m’a beaucoup fait souffrir de perdre la maîtrise de son alimentation. Au quotidien, j’essaie qu’il mange des produits locaux, j’évite les conserves, etc. Les menus sont censés être affichés quand on arrive au parloir mais ils n’étaient jamais à jour. D’un coup, on n’a plus de contrôle sur rien, on n’a plus rien à dire. Nous ne sommes pas non plus informés quand ils prennent des médicaments, alors qu’ils sont mineurs quand même. L’article faisait aussi état de la problématique du tabac, interdit à l’intérieur alors que nombre de mineurs seraient fumeurs. Marvin : A l’arrivée, l’infirmerie propose des patchs et des cachetons à ceux qui fumaient dehors. Mais ils magouillent pour fumer dedans ! Le tabac entre par différents moyens et se troque à l’intérieur : on échange des cigarettes contre une télécommande de télé ou une bouteille de soda… Par contre on n’a pas de briquet donc pour allumer les clopes, il faut utiliser les fils électriques de la télé. J’en connais qui se sont pris de bonnes décharges. Est-ce qu’il y a beaucoup d’incidents à l’EPM ? Marvin : Oui, il y a des refus de réintégrer les cellules et des feux en cours de promenade quasiment tous les jours, voire plusieurs par jours. En général, on fait ça quand ils coupent la télé car parfois il y a des injustices. Par exemple, si les télés de notre unité sont coupées à 23 heures alors qu’on n’a pas particulièrement eu de problèmes disciplinaires dans la journée, et qu’on voit que l’unité d’en face a encore la télé, c’est un feu 1. Rue 89 Lyon, Les mineurs en prison sont ils au régime sec ?, 8 novembre 2011 Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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obligé ! Et harcèlement sur l’interphone aussi. Comme les unités sont faites en « L », deux détenus [chacun dans une cellule opposée du bâtiment en L] se raccrochent ensemble par un yoyo à travers leur fenêtre. Au milieu du yoyo, on réalise une énorme boule à partir de vêtements, de papier, un peu de tout en fait. On tire le yoyo en essayant de placer la boule au milieu de la cour. Le yoyo craque – donc personne ne sait qui l’a fait – et il y a un gros feu au milieu de la cour. Les autres détenus de l’unité peuvent aussi y participer en envoyant du papier, etc. Ça demande un peu de préparation mais ça occupe. Ensuite, les surveillants interviennent pour éteindre le feu. L’intervention prend un peu de temps car c’est le soir et le 1er surveillant est le seul à avoir les clés des unités et des cellules. Il faut l’appeler, le réveiller, et compter le temps qu’il se déplace… Souvent, il arrive avec le sourire, il prend l’extincteur et voilà. Il n’y a pas de risque que ça fasse cramer le bâtiment ou les cellules. Par contre, on encourt quand même des sanctions disciplinaires. Sinon, il y a au moins une tentative de suicide par semaine. Les bagarres sont très rares par contre. La plupart du temps, elles font suite à un refus de réintégration et opposent détenus et surveillants. Est-ce que tu as eu des incidents disciplinaires ? Marvin : Oui, je suis passé plusieurs fois en commission de discipline, avec du confinement et du mitard à la clé. Une fois, c’était suite à une bagarre avec un autre détenu en cour de promenade. On s’est embrouillé, les autres détenus nous ont séparés, la cavalerie est arrivée et j’ai été réintégré. En fait, quand il y a une bagarre, l’éducateur ou le surveillant présent déclenche son alarme. Plusieurs surveillants viennent en renfort, ils arrivent comme une meute autour de toi. Ils ont voulu me faire remonter « moi » en cellule. Je n’ai pas trouvé ça normal car c’est l’autre qui avait causé l’incident. Donc je ne me suis pas laissé faire. J’ai commencé à m’énerver, peut-être aussi à prendre un premier surveillant à partie et là, dès que j’ai bougé, ils m’ont fait une clé de bras et m’ont menotté dans le dos. Je me suis pris quelques coups de genoux au visage et ensuite ils m’ont fait une balayette donc je me suis retrouvé au sol. Après ils m’ont remonté en cellule. Sur le trajet je continuais à être un peu agité. Du coup ils ont resserré les menottes et un peu la clé de bras. Ils m’avaient menotté jusqu’au sang ! J’ai dû prendre cinq jours de confinement avec privation de la télévision pour cet incident. Laurence : Et là, les parents ne sont pas informés. C’est Marvin qui m’a raconté. J’ai seulement reçu un papier 10 voire 15 jours après qu’il soit passé en commission de discipline. C’est dommage parce que les parents peuvent réconforter d’une part, mais aussi ramener un jeune à la raison s’il va trop loin. Quelles sont les sanctions les plus fréquentes à l’EPM ? Marvin : Il n’y a pas beaucoup de cellules de mitard mais elles sont souvent pleines. Les sanctions de mitard sont surtout pour ceux qui ont du shit en cellule, des téléphones, ou qui
ACTU se font attraper avec des « yoyos libérables » (« yoyos » avec des personnes à l’extérieur de la prison). Tout ce qui concerne les surveillants (bagarres surtout, parfois des insultes ou menaces) est aussi sanctionné de mitard. Je crois que le maximum c’est 8 jours de QD, mais en général on reste 4-5 jours… Parmi les autres sanctions, il y a ce qu’ils appellent les MBO [mesures de bon ordre]. C’est plus arbitraire. Les éducateurs comme les surveillants peuvent les poser, pour un oui ou pour un non. Quand tu prends une MBO, tu manges en cellule et tu ne peux pas aller aux activités. Une MBO vaut pour un jour. Mais elles sont cumulables : si tu prends 10 MBO dans la journée, ça dure 10 jours. La plupart d’entre nous passait les trois-quarts du temps en MBO. Il suffit de traîner un peu sur un mouvement, d’une insulte, ou de refuser de serrer la main d’un surveillant… pour prendre une MBO. Dans la plaquette de présentation de l’EPM, il est écrit que « le maintien des liens familiaux est un enjeux fort du projet éducatif ». Qu’est-ce que cela vous évoque ? Laurence : C’est beau sur le papier ! Bon, mais ne soyons pas totalement injustes : on ne m’a jamais refusé de parloirs, je les ai eus aux heures où j’ai voulu, avec un accueil téléphonique agréable. On est arrivé à communiquer « relativement » bien par le biais des éducateurs. S’ils avaient quelque chose à me dire, ils me téléphonaient. Mais je tiens à préciser que le lien familial n’a été tenu que par notre propre volonté. C’était surtout très dur au début de son incarcération car on est restés deux semaines sans se voir, j’avais des nouvelles uniquement par les éducateurs auxquels je téléphonais. Lui par contre, n’a pas vu d’avocat, ne nous a pas vu et n’a pas reçu de courriers pendant cette période car les lettres mettaient un mois pour arriver à peu près. J’ai eu très peur du suicide parce que je me demandais ce que ça pouvait faire de se retrouver d’un coup coupé de tout. Je trouvais ça terrible. Marvin : Pour moi ça allait en fait, les 10-15 premiers jours sont passés assez vite. Je faisais pas mal de pompes, je m’endormais vite le soir donc je n’ai pas trop eu le temps de réfléchir. Et puis après tu prends tellement le rythme des journées, elles passent assez vite finalement. Les parloirs cassaient un peu ce rythme. Je m’en servais comme de repères dans le temps. Dès que je suis arrivé à l’EPM, on m’a dit de ne pas trop rêver par rapport aux appels téléphoniques et que dans le meilleur des cas, on accepterait ma mère et mon père. C’était lié à mon affaire vraisemblablement. Du coup, je n’ai même pas fait la demande de téléphone. En plus, les appels téléphoniques de l’intérieur coûtent super cher. Quant aux courriers, comme ils sont lus, il faut faire gaffe. Les gens qui écrivent n’y
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pensent pas forcément donc parfois tu reçois un courrier et tu fais un peu la grimace car tu aurais préféré qu’ils n’écrivent pas ça… Laurence : On s’écrivait surtout au début et un jour on a dit stop. Je l’ai même écrit dans un courrier pour qu’ils le lisent : j’ai dit stop parce que l’amour c’est intime, on n’a pas besoin de faire savoir à la justice ce qui se passe entre nous deux. Sans compter que l’écrit c’est dur. On écrit pour montrer qu’on est là, pour changer les idées, mais d’un autre côté on n’ose pas tout lui raconter pour ne pas trop remuer le couteau dans la plaie. Et puis c’est au moment où l’on se met à écrire que l’absence se fait ressentir, elle est encore plus palpable. Est-ce que vous voyez les choses différemment après ce passage en prison ? Marvin : Franchement ? La prison ne change rien. Maintenant que je suis sorti, les personnes qui étaient dans mon affaire peuvent se dire que je n’ai jamais balancé et que j’ai fait les choses sérieusement. A la limite, ça pourrait me relancer plus qu’autre chose. Laurence : Oui, pour reprendre leur langage, on pourrait dire qu’il a pris du grade dans son réseau : il n’a pas parlé, il n’a pas dénoncé, il a plus de charisme… Du coup, on pourrait lui donner des responsabilités plus grandes. Par contre, il a peutêtre vu les soucis causés à ses parents. Ce n’est pas la prison en tant que telle qui lui fait peur parce que je suis sûre qu’il se dit maintenant qu’il est capable de gérer, même s’il sait que ce n’est pas une vie. Je pense surtout qu’il aime suffisamment sa famille pour ne pas vouloir nous replonger là-dedans. Ce n’est pas lui qu’il protège mais nous. Marvin : Oui c’est sûr. C’est la chose la plus dure qu’a fait la prison. Si j’étais orphelin, je serais déjà reparti à 200 %. C’est pas la détention qui m’empêche de replonger, c’est pour ma famille que je ne le fais pas. Propos recueillis par Céline Reimeringer et Lionel Perrin Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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Maison d’arrêt de Valenciennes
Aggravation de l’état de santé d’un jeune schizophrène maintenu en prison L’état de santé de M.M., jeune schizophrène incarcéré depuis le 28 avril 2011, s’est considérablement dégradé, faute d’un suivi médical adapté. Un courrier du service médical de la prison d’avril 2012 indique en effet que le psychiatre s’efforce de voir M.M. « tous les mois », mais que « le nombre de patients et les diverses sollicitations ne permettent pas un suivi plus régulier ». Depuis le mois d’août 2012, trois hospitalisations d’office ont dû être ordonnées, pour des séjours de dix à quinze jours. La première fois parce qu’il ne s’alimentait plus et souffrait d’hallucinations auditives. La seconde en raison d’une crise de décompensation l’amenant à se cogner la tête contre les murs. La troisième suite à des actes d’automutilation, M.M. s’arrachant les ongles. Il reste muré dans un mutisme total. « Il apparaît peu probable que le sujet soit en capacité de comprendre le sens de la sanction pénale dont il fait l’objet ». De plus, il est « clair que ces conditions [de détention] ne constituent pas un contexte favorable à la prise en charge de patients souffrant de troubles psychiatrique graves et notamment d’une schizophrénie non équilibrée d’un point
de vue thérapeutique ». Ces conclusions d’un expert psychiatre, mandaté dans le cadre d’une procédure d’aménagement de peine, n’avaient pas convaincu le juge de l’application des peines du Tribunal de grande instance de Valenciennes. Dans un jugement du 19 juin 2012, ce dernier avait rejeté la demande de placement sous surveillance électronique présentée par M.M., suggérant qu’il soit placé plutôt au service médico-psychologique régional du centre pénitentiaire de Lille. Autrement dit, qu’il reste en prison. Il suivait en cela l’avis défavorable du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) à tout aménagement de peine : « ses réponses inaudibles », « ses absences » ainsi que le fait qu’il n’ait pas été « possible de l’amener à réfléchir sur les actes de violences commis » traduisent selon le SPIP un certain « manque d’implication ». M.M. avait été condamné en comparution immédiate, le 28 avril 2011, à 12 mois d’emprisonnement ferme, aussitôt mis à exécution. À cette peine s’est ajoutée la révocation de plusieurs sursis à des peines antérieures, de sorte que sa fin de peine est désormais prévue pour mai 2013. Pour des faits de même
nature, commis trois semaines avant ceux qui lui ont valu cette condamnation, le tribunal avait écarté la procédure rapide et pris le temps de demander une expertise. Dont les conclusions sont explicites : M.M. est atteint d’une schizophrénie et « était [au moment des faits] dans un état de décompensation psychotique aigu qui relèverait du 1er alinéa de l’article 122-1 du Code pénal », c’est-à-dire d’une abolition totale du discernement le rendant inaccessible à la sanction pénale. Par un jugement du 2 décembre 2011, le tribunal l’a reconnu « irresponsable pénalement » et relaxé dans cette affaire. A l’appui de sa demande de placement sous surveillance électronique, plusieurs membres de la famille se sont engagés à héberger M.M. et ont souligné qu’« un rendez-vous a d’ores et déjà été pris auprès d’une structure spécialisée afin de prendre en charge le suivi dont M.M. a besoin ». Le JAP de Valenciennes, qui devait examiner une nouvelle demande d’aménagement de peine début novembre, a renvoyé l’audience au 3 décembre. OIP, coordination régionale Nord
Centre de détention d’Uzerche
Le manque de personnel empêche l’ouverture des UVF « 63 unités de vie familiale (UVF) sont en fonctionnement dans 20 sites » selon l’administration pénitentiaire (Chiffres clé au 1er janvier 2012). Parmi elles, les trois UVF du centre de détention d’Uzerche, dont l’ouverture était annoncée pour 2011, n’ont en réalité jamais fonctionné, les postes de Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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personnels nécessaires n’ayant pas été ouverts. Contactée par l’OIP le 24 octobre, la direction du centre de détention a avoué « n’avoir rien à dire sur les perspectives, aucune décision n’ayant été prise ». OIP, coordination régionale Sud-Ouest
de facto
de facto Maison d’arrêt d’Osny
Un jeune homme souffrant de troubles psychiatriques meurt brûlé dans sa cellule Dans la nuit du 9 au 10 mai 2012, à la maison d’arrêt d’Osny, un jeune homme de 21 ans est décédé après avoir mis le feu à sa cellule. Alertés par des détenus des cellules voisines, les surveillants sont parvenus à maîtriser les flammes avec un extincteur, mais n’ont pas pu le sauver. Le jeune homme souffrait de troubles psychiatriques et avait fait l’objet d’une hospitalisation d’office entre le 16 février et le 7 avril. Il était resté une semaine au quartier arrivants puis avait été placé dans une aile réservée aux détenus considérés comme fragiles et vulnérables. Il avait vu le médecin à deux reprises dans la journée précédant son décès. OIP, coordination régionale Ile-de-France © Bernard Lauprêtre
Saint-Étienne
Le parquet choisit l’incarcération d’un condamné libre, au détriment de sa réinsertion Convoqué à l’hôtel de police pour une simple « notification de jugement » le 5 mars 2012, A.D. y est « retenu » avant d’être écroué à la prison de Lyon quelques heures plus tard. Le parquet de Saint-Étienne a en effet décidé de mettre à exécution un arrêt de révocation partielle du sursis avec mise à l’épreuve de l’intéressé, prononcé par la chambre de l’application des peines de la Cour d’appel de Lyon : « En s’abstenant […] de faire connaître sa nouvelle adresse » au juge de l’application des peines pendant deux années, A.D. « a violé les obligations dont il était débiteur » a estimé la cour dans son arrêt du 4 janvier 2012. Prenant acte de la situation personnelle de l’intéressé à la date du jugement, elle a néanmoins limité la révocation « à un quantum aménageable de deux années » afin de « ne pas entraver sa réinsertion ». Chargé
de mettre à exécution cette décision, le parquet de Saint-Etienne n’a pas entendu l’appel du pied de la Cour pour que la peine soit directement aménagée, et préféré une incarcération. Condamné en 2008 à une peine de quatre ans de prison assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve, alors qu’il était encore mineur, A.D. a pourtant engagé de véritables démarches d’insertion : il a obtenu un baccalauréat littéraire, s’est inscrit en première année de droit à l’Université Lyon II, où il suit les cours avec « assiduité » selon une attestation de plusieurs enseignants, s’est investi dans la vie associative de la faculté et travaille dans un hôtel pour financer ses études. Il vit avec sa compagne et occupe par ailleurs le poste de trésorier au sein d’une organisation politique. Pour justifier l’opportunité de la décision de ses services, le procureur s’explique en
ces termes à l’OIP : « nous sommes obligés de mettre à exécution » les mesures de révocation de sursis car ces mesures « sont exécutoires par provision », c’està-dire qu’elles « s’exécutent tout de suite et dérogent à toutes les autres règles ». L’article D.147-16-1 du Code de procédure pénale visé par le magistrat permet pourtant au parquet de ne pas procéder à l’incarcération « si la situation particulière du condamné le justifie ». Incarcéré à la maison d’arrêt de Villefranche-surSaône où il a été transféré, A.D. explique dans un courrier à l’OIP : « j’ai mis tellement de force et d’énergie à ma réinsertion, baccalauréat, études supérieures, travail afin de payer les frais d’études, que cette condamnation ne me prive pas seulement de liberté mais d’avenir et d’espoir ». OIP, coordination régionale Rhône-Alpes Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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Centre pénitentiaire de Toulon
Un détenu ne peut se rendre aux obsèques de sa mère, faute d’escorte Le 30 mai 2012, M.P., détenu à la prison de Toulon, attend dans sa cellule une sortie sous escorte qui lui a été accordée pour aller se recueillir auprès de la dépouille de sa mère, décédée quelques jours plus tôt. Alors qu’il se tient prêt, il est soudainement informé qu’en l’absence de personnels d’escorte disponibles, son autorisation de sortie ne pourra être exécutée. M.P. n’avait pas revu sa mère depuis les fêtes de la fin de l’année 2011, lorsqu’elle lui avait
apporté un colis de Noël lors d’un parloir. Depuis, âgée de 83 ans, et résidant à Marseille, elle n’avait pu se rendre seule au parloir de la prison de Toulon, trop éloignée. Toutes les demandes de permission de sortir demandées par M.P. pour pouvoir se rendre chez elle avaient fait l’objet d’un refus. Il y a un peu plus d’un an, M.P. n’avait déjà pu assister aux obsèques de son fils, décédé le 4 mai 2011. La première demande qu’il avait faite n’était pas arrivée dans les temps
au juge de l’application des peines. Une seconde demande, déposée cette fois en vue de se recueillir sur la sépulture, avait fait l’objet d’un premier refus en juin 2011, puis d’un deuxième en août. Ce n’est que le 7 février 2012, soit plus de 9 mois plus tard, qu’il avait finalement été autorisé à se rendre sous escorte, accompagné d’une dizaine de fonctionnaires, sur la tombe de son fils. OIP
Les conditions d’accès aux prestations sociales pour les personnes en aménagement de peine enfin clarifiées Le ministère des Affaires sociales a publié le 30 juillet 2012 une circulaire clarifiant l’interprétation des textes sur les conditions d’accès et modalités de calcul du revenu de solidarité active (RSA) et de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), dont les personnes sous aménagement de peine se voyaient privées dans certaines régions. L’accès au RSA ou à l’AAH « doit être garanti, dans les conditions de droit commun propres à chacune de ces prestations », pour l’ensemble des personnes bénéficiaires d’une mesure d’aménagement ou d’une mesure de surveillance électronique de fin de peine (SEFIP). Avec une exception pour les mesures de fractionnement de peine, ou de placement à l’extérieur avec exercice d’une activité professionnelle hors des conditions
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de droit commun : « dans ces deux cas uniquement, la personne doit être considérée comme étant incarcérée, n’étant pas susceptible de répondre à des obligations d’insertion sociale ou professionnelle, et à ce titre ne peut bénéficier d’un droit à l’AAH ou au RSA ». Cette circulaire très attendue devrait mettre un terme à l’hétérogénéité des positionnements des conseils généraux, certains d’entre eux refusant d’accorder le bénéfice du RSA aux personnes libérées en aménagement de peine sous écrou (semi-liberté, placement extérieur ou surveillance électronique), en procédant à une interprétation restrictive de la réglementation. Celle-ci prévoit, en cas de suspension du RSA en raison d’une détention, que le bénéfice de l’allocation reprend « à compter du premier jour du mois au
cours duquel prend fin l’incarcération ». Or, certains conseils régionaux considéraient que l’incarcération prenait fin non pas à la sortie effective de prison, mais à la levée d’écrou administrative, ce qui excluait la majorité des personnes bénéficiant d’une sortie sous forme d’aménagement de peine, alors que cette mesure peut durer plusieurs mois, voire années. Comme l’a reconnu le ministère en mai 2012 en réponse à une question écrite, ces positionnements ne permettaient pas de « réduire les situations d’exclusion que connaissent les personnes démunies à leur sortie de l’établissement pénitentiaire » ni de « prévenir les risques de récidive induits ou aggravés par une situation de dénuement et de précarité ». Circulaire N°DGCS/SD1C/2012/299 du 30 juillet 2012
de facto
de facto Centre pénitentiaire pour femmes de Rennes
Moins de parloirs, faute de personnel Depuis le 1er juin 2012, les familles, proches et visiteurs des femmes détenues au centre pénitentiaire de Rennes n’ont plus accès au service des parloirs les jeudi et vendredi de chaque semaine. Prise sans concertation avec les associations partenaires, cette décision inclue à la fois la fermeture des parloirs et celle du service de réservation. Selon la direction du centre péniten tiaire, elle est rendue nécessaire par des « difficultés importantes liée au manque global d’effectifs » de surveillants. En cause, le non remplacement de cinq des dix agents rattachés au fonctionnement des parloirs, en arrêt maladie ou en congés maternité. Cette décision, prise à titre « temporaire », « n’a pas vocation à persister dans le temps » a souligné
la direction, sans toutefois préciser la durée exacte de la mesure, toujours en vigueur début octobre. Et d’ajouter que « cette décision difficile à prendre n’aura qu’un impact très limité pour les personnes détenues et leurs familles, lesquelles bénéficient déjà de créneaux importants et d’une relative souplesse dans la prise de rendez-vous ». Pourtant, dans cet établissement de compétence nationale pour les femmes condamnées à de longues peines, nombreuses sont celles dont les proches résident à plusieurs centaines, voir plusieurs milliers de kilomètres. Lorsque les parloirs étaient accessibles tous les jours de la semaine, les proches avaient la possibilité de prendre plusieurs réservations consécutives. Ils pouvaient ainsi
passer une semaine à Rennes et bénéficier de parloirs quotidiens. Dans un courrier adressé le 15 mai à la direction de l’établissement, plusieurs femmes détenues ont alerté la direction : dorénavant « nos proches se verront limités à une seule visite pour plus de trois jours de voyage ». Cette situation affecte également les femmes ayant pour seules visites celles de l’un des 18 visiteurs de prison intervenant dans cet établissement pénitentiaire. En raison de la suppression du créneau du jeudi, ces derniers ne peuvent désormais accéder à l’établissement que le lundi après-midi. Une restriction les plaçant dans l’impossibilité matérielle de répondre à la trentaine de demandes actuelles. OIP
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Nouvelles prisons :
« le trou noir de la pensée »
Les programmes de construction se succèdent et se ressemblent. Faute de réflexion politique sur le contenu de la peine, les nouvelles prisons se caractérisent par l’absence de projet de vie sociale à l’intérieur des murs. Seule maître à bord, l’administration pénitentiaire consacre une vision technique de l’architecture carcérale, dont l’objectif se résume à contenir, isoler, empêcher. Avec à la clé de véritables usines carcérales marquées par la déshumanisation.
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nouvelles prisons : « le trou noir de la pensée » « L’extension du parc pénitentiaire devrait être plutôt une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement.1 » Il aura fallu douze ans pour qu’un écho de cette recommandation du Conseil de l’Europe parvienne à influer la politique pénitentiaire française. Sitôt installée place Vendôme, la nouvelle garde des Sceaux a mis un frein à l’extension sans limite du parc pénitentiaire voulue par la précédente législature. L’objectif de porter la capacité du parc pénitentiaire à 80 000 places est ramené à 63 500 pour 2018. Hélas, le véritable coup d’arrêt n’est pas au rendez-vous : cinq constructions du Nouveau programme immobilier (NPI) annoncé en 2011 sont maintenues. Et les cahiers des charges délétères de la dernière génération de prisons restent pour l’instant inchangés. On trouvera ainsi à Beauvais, Lutterbach, OrléansSaran, Riom et Valence « des cellules réduites à 8,5 m², avec 1 600 barreaux équipant 600 cellules et des caillebottis réduisant la luminosité de 50 % », s’étrangle Pierre Botton au nom de l’association Les prisons du cœur.
Multitude d’interdits Dans les « programmes fonctionnels » remis aux architectes, l’organisation spatiale de ces prisons n’est définie qu’autour de préoccupations sécuritaires. L’économie générale des locaux de détention reste focalisée sur la gestion des « risques » d’évasion, d’intrusion de personnes extérieures, d’agressions, de mouvements collectifs ou individuels de protestation, de vandalisme… Empêcher la communication entre détenus, limiter les déplacements, multiplier les sas, les grilles, deviennent autant d’impératifs imposés aux architectes, sommés de se plier à « une multitude d’interdits ». De sorte que « ’’l’exigence de dignité’’ mentionnée dans les programmes architecturaux se réduit essentiellement à des considérations matérielles d’hygiène et de confort » résume le géographe Olivier Milhaud2. Comme si l’amélioration de « l’hôtellerie » dédouanait le politique de toute réflexion sur le projet carcéral, ce que l’architecte Christian Demonchy nomme la « consistance » de la peine : quelle vie entend-on faire vivre aux enfermés ? Un « trou noir de la pensée » qui engendre la « réalité monotone » de l’architecture pénitentiaire française, qui « doit isoler de l’extérieur, parquer des masses de détenus, séparer ces derniers en groupes de taille maîtrisable, surveiller à tout instant où est chacun et ce qu’il fait, éviter la propagation d’un incident et assurer la sécurité des surveillants3 ». Le soin laissé à l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) de définir les programmes consacre une vision purement technique de la conception d’une prison, au détriment d’une réflexion sur ce que reflète une architecture. « En respectant le cahier des charges, on ne peut pas concevoir autre chose 1. Rec(99)22 du Conseil des ministres concernant le surpeuplement et l’inflation carcérale. 2. O. Milhaud, Séparer et punir, thèse de doctorat en géographie, soutenue le 30 novembre 2009. 3. O. Milhaud, ibid.
« Empêcher la communication entre détenus, limiter les déplacements, multiplier les sas, les grilles, deviennent autant d’impératifs imposés aux architectes, sommés de se plier à « une multitude d’interdits » que ce qui a été pensé par l’Agence », affirme l’architecte Augustin Rosenstiehl. « Le cahier des charges est comme un mode d’emploi Ikea, les latitudes existent peu, le prix est déjà fait : il n’y a plus qu’à dessiner4 ». La « vision neuve de l’enfermement » vantée par la brochure de présentation d’un établissement livré en octobre 2008 reste de l’ordre de l’affichage. « Sous un habillage de modernité, on veut faire croire que la prison a changé », soupire le directeur adjoint du centre pénitentiaire de Rennes, mis en service en mars 2010. « C’est plus propre. Les cellules sont correctes. Mais en cent ans, il y a eu peu d’évolution. On conçoit et construit les prisons autour des cellules. Elles sont le cœur du système. La prison devrait être un lieu de vie dans lequel on pratique l’enfermement. Et pas l’inverse.5 »
Plus de technologie, moins de contacts humains Faute d’un véritable projet défini par le politique sur le contenu de la peine, l’administration pénitentiaire s’engouffre dans une surenchère technologique et sécuritaire. « Aujourd’hui, quel que soit le profil du détenu, les établissements sont conçus sur la base des règles de sécurité maximale6 » constatait le député Eric Ciotti (UMP). Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a fait les comptes : 180 caméras au centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville, 120 à la maison d’ar7 rêt de Corbas et 150 au centre de détention de Roanne . On a multiplié, déplore-t-il, « les substitutions de l’homme par la machine (la commande électrique à la clé pour l’ouverture des portes et des grilles), en rendant les personnes moins visibles (efforts de réduction des mouvements, glaces sans tain…)8 ». Un choix dont les « effets néfastes sur les rapports interpersonnels » se perçoivent notamment dans l’augmentation des violences en détention. « En définitive, la sécurité à laquelle on a beaucoup sacrifié, notamment les relations sociales, décline, puisque ces conceptions architecturales, ajoutées au nombre de détenus concentrés en un même lieu, engendrent frustration, conduisant à l’agressivité, elle-même source de violence.9 » Le Comité européen pour la prévention de la torture 4. Prison et Justice n° 105, Farapej, décembre 2010. 5. Le Télégramme.com, 21 novembre 2010. 6. É. Ciotti, Rapport pour renforcer l’efficacité de l’exécution des peines, juin 2011. 7. CGLPL, Rapport d’activité 2009. 8. CGLPL, Rapport d’activité 2011. 9. CGLPL, Rapport d’activité 2010. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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dossier « Au Danemark, les prisons ouvertes représentent 60 % des places en établissement pour peines » (CPT), interpellé lors de sa visite au nouveau centre pénitentiaire du Havre sur « un risque non négligeable d’actes d’intimidation et de violence entre détenus », lie ce phénomène au « nombre restreint de personnel présent dans les zones de détention, ainsi [qu’à] la difficulté et la complexité de la circulation dans l’établissement qui entraînaient des retards manifestes lors des déplacements des surveillants10 ».
Construire vite et en masse « On se mordra les doigts d’avoir construit des maisons d’arrêt pour 600 détenus11 », alerte également le Contrôleur général. Dès 1988, un groupe de réflexion sur « la prison de demain » institué par le ministère de la Justice recommandait de ne pas dépasser les 300 places. Peu importe. Les impératifs que s’est imposé le précédent gouvernement au service d’une politique d’incarcération massive obligent à construire vite. Les cinq futurs établissements maintenus par madame Taubira, de 600 à 700 places chacun selon les cahiers des charges, ne dérogent pas à la règle. Lorsque s’ajoute la volonté de réduire les coûts de construction, l’impact sur la qualité du bâti est inévitable. Ce qu’avait constaté le CPT lors de sa visite en 2010 : « le centre pénitentiaire du Havre, neuf et mis en service depuis moins d’un an, présentait un certain nombre de malfaçons. En particulier, le chauffage ne fonctionnait pas de manière satisfaisante et il faisait froid dans tous les locaux, y compris dans les cellules (à tel point que les détenus qui disposaient d’une plaque de cuisson l’utilisaient comme chauffage d’appoint). […] La délégation a également observé des infiltrations d’eau dans certaines cellules.12 » Difficultés constatées dans bien d’autres établissements du même programme : à Lyon-Corbas, ouvert en mai 2009, le compte-rendu de la réunion du 7 juillet 2009 de la mission de la coordination pour l’ouverture des nouveaux établissements fait état de « la mauvaise qualité de livraison [qui] a contribué à accentuer les dysfonctionnements et les problèmes d’usure. » Des soignants du service médical de la prison déplorent « des énormités » dans la conception : la salle de soins ne comporte pas de point d’eau ni d’évacuation. Il ne s’agit pas pour autant d’ignorer les améliorations matérielles apportées, au premier rang desquelles la présence en cellule d’un bloc sanitaire séparé – mais non entièrement cloisonné – comprenant douche et w.-c. Les programmes intègrent désormais des unités de vie familiale et parloirs familiaux, qui conformément à la loi du 24 novembre 10. Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 28 novembre au 10 décembre 2010. 11. Ouest France, 24 novembre 2009. 12. Rapport au Gouvernement de la République française, CPT, op.cit. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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2009, devraient être accessibles à tous les détenus. Les chauffoirs – cellules collectives – sont proscrits, sans que l’encellulement individuel soit pour autant respecté, surpopulation oblige : de nombreuses cellules individuelles ont été rapidement « doublées », le mobilier ayant d’ailleurs été prévu à cet effet – l’administration avait pris soin de prévoir des lits pouvant facilement être superposés.
Prisons « ouvertes » : le modèle nordique Quelques pays ont choisi une autre voie et conçoivent des prisons fondées sur les principes de « normalisation » – la vie en détention doit s’approcher autant que possible des aspects positifs de la vie à l’extérieur – et de « moindre intervention » – les mesures de sécurité appliquées à chaque détenu doivent correspondre au minimum requis pour assurer la sécurité de leur détention. Deux principes énoncés dans les Règles pénitentiaires européennes, invoquées mais si peu appliquées par l’administration pénitentiaire. Seules deux prisons françaises tendent vers ces principes, les centres de détention de Casabianda et de Mauzac. Le premier répond à la définition d’une prison ouverte proposée par les Nations Unies : « un établissement pénitentiaire dans lequel les mesures préventives contre l’évasion ne résident pas dans des obstacles matériels tels que murs, serrures, barreaux ou gardes supplémentaires13 ». Le second se distingue par une configuration visant explicitement à permettre une vie sociale en son sein : 252 places se répartissent dans 21 pavillons de 12 cellules, entre lesquels les détenus circulent librement. Dans ces deux établissements, constate le sénateur Jean-René Lecerf, « l’emprise foncière 13. Conseil économique et social des Nations Unies ; Résolution 155 (VIII) du 13 août 1948.
nouvelles prisons : « le trou noir de la pensée » particulièrement étendue […] permet de proposer des activités (travail ou formation) sans autre exemple dans les établissements pénitentiaires14 ». Un modèle qui n’aura jamais été étendu, au prétexte qu’il ne serait adapté qu’à une part infime des personnes détenues. Pourtant, au Danemark, les prisons ouvertes représentent 60 % des places en établissement pour peines. « Souvent situées dans un environnement champêtre, la plupart sont dépourvues d’enceinte périmétrique (deux sont entourées d’un grillage). Les bâtiments, accueillants, évoquent un campus, environné d’espaces verts. Les détenus sont tenus de rester dans les frontières invisibles de la prison », explique une criminologue danoise. Tout en soulignant que « les règles internes, et notamment celles qui concernent les liens avec l’extérieur » importent plus encore aux détenus15. A la prison ouverte de Jyderup, faisant figure de modèle, les détenus peuvent recevoir leurs visiteurs dans les unités de vie, y compris leur cellule, mais tous ont également accès aux espaces extérieurs, qui comprennent pelouses et terrains de jeux. L’agencement des lieux vise à favoriser une vie aussi autonome que possible, fondée sur la responsabilisation des personnes. Les détenus ont une obligation d’activité – travail, formation, ou suivi thérapeutique –, et ils préparent leurs repas dans des cuisines communes. Bien que l’objectif ne soit pas toujours atteint, souligne le chercheur Peter Scharff Smith, ces prisons se veulent des espaces d’apprentissage – social, professionnel, sanitaire…
« Une ambiance froide, presque clinique » Cette prison est toute neuve, globalement confortable et propre. Mais je vois déjà qu’elle va très mal vieillir : la qualité de certains équipements (notamment le bloc « salle de bain ») est très mauvaise, avec des pannes, des boutons qui ne marchent pas. Les douches sont super mal conçues (l’architecte de chez Bouygues devait être anorexique). Il y a trop de portes, de grilles (chaque section a un sas de deux grilles) ; des milliers de caméras ; des déplacements inter-bâtiments accompagnés... Tout ça donne une ambiance « froide », presque clinique, et même si ça reste une prison correcte et acceptable pour ceux qui y passent, je plains ceux qui restent ici. Centre pénitentiaire de Réau, personne détenue à l’Unité d’accueil et de transfert (UAT), 2 avril 2012
Une approche que défend aussi Pierre Botton en France dans son projet de nouvelle prison : une imbrication étroite entre le dedans et le dehors, une participation active de la société civile et des entreprises au service d’un engagement des condamnés à s’investir dans leur propre réinsertion. Ses propositions, validées par l’administration pénitentiaire et la Chancellerie, décrivent un régime fondé sur la responsabilisation des personnes : les détenus ont notamment l’obligation de travailler ou de suivre une formation, mais aussi celle de payer un « loyer ». Le fort taux d’encadrement – un éducateur pour douze personnes, en plus des personnels de surveillance – consacre une vision « dynamique » de la sécurité, permettant de limiter les dispositifs de sécurité passive : pas de cloisonnement des circulations au sein de l’enceinte périmétrique grillagée ; les cellules, réparties par deux dans des bungalows disséminés sur le site, sont dépourvues de barreau et d’œilleton. La réponse aux incidents passe par l’analyse conjointe des causes du problème, et leur prévention par la création d’espaces de conflictualisation offrant la possibilité d’exprimer et désamorcer les litiges. Il s’agit de « sortir du rapport de force auquel on est perpétuellement confronté dans une prison ordinaire », revendique Pierre Botton. Barbara Liaras 14. Avis n° 96 (2007-2008) de M. Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des lois, déposé le 22 novembre 2007. 15. Anne Okkels Birk, Open prisons : Will they last ?, Danish Institute for Study Abroad, 2011.
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dossier
Architecture carcérale :
interdire toute vie sociale
Les nouvelles prisons reproduisent un modèle architectural datant du xixe siècle, fondé sur l’enfermement cellulaire et l’interdiction de toute vie sociale. Christian Demonchy met en cause la responsabilité du politique, qui s’est affranchi de toute réflexion sur le contenu à donner au quotidien en détention. Un « trou noir de la pensée » qui a pour conséquence de perpétuer une architecture « contre nature ».
Christian Demonchy, architecte, a conçu avec son associée Noëlle Janet, le centre de détention de Mauzac avant de participer au programme 13 000 et de concevoir le centre pénitentiaire de Ducos en Martinique. Il a écrit de nombreux articles sur l’architecture carcérale.
Vous avez décrit le « modèle général d’architecture carcérale » auquel répondent l’ensemble des établissements pénitentiaires français construits depuis 1830. Les prisons du xxie siècle ont-elles renouvelé le genre ? Ce modèle général, qui perdure jusqu’à aujourd’hui, présente trois caractéristiques architecturales. La première est la continuité du bâti : malgré les différentes fonctions qu’il assure, la prison est un bâtiment unique plus ou moins tentaculaire qui englobe toutes les circulations de liaison. La deuxième tient au mode de gestion des différentes unités destinées aux détenus : chaque unité – cellule, atelier, cour de promenade, etc. – est conçue comme une prison dans la prison. La troisième porte sur les circulations de liaison qui constituent le principal lieu de travail des surveillants et ne sont jamais un lieu de vie pour les détenus : gardiens et gardés ne vivent pas dans les mêmes espaces. La topologie du centre de détention de Mauzac, réalisé entre 1984 et 1986, s’oppose en tous points à ce modèle Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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général. Par exemple, la cour de promenade traditionnelle a été remplacée par une grande place arborée qui sert de liaison entre les pavillons d’hébergement et les espaces d’activités. Elle est le lieu privilégié de rencontres entre détenus, mais également avec le personnel. Mais la construction était à peine terminée qu’Albin Chalandon, succédant à Robert Badinter, préparait déjà ce qui allait aboutir au programme 13 000, avec un cahier des charges des plus classiques. Pour ne reprendre que l’exemple de la cour de promenade, elle devait être entourée de murs et de grillages, jamais contiguë aux façades de bâtiments, contrôlée par un poste surélevé de façon à en surveiller plusieurs si possible. Les nouvelles prisons du xixe siècle étaient des « prisonssalles d’attente », conçues pour le prévenu en attente de jugement, le condamné en attente de libération ou de transfert. Ce modèle continue-t-il d’imprégner les nouvelles prisons ? Oui, et cela révèle l’extraordinaire histoire de la prison dite « pénale ». Ce qu’on appelle « système pénitentiaire » est un système qui a été adopté dans les années 1830. Importé des Etats-Unis, il prescrit dans sa version française l’isolement cellulaire des condamnés de nuit et le travail en commun de jour dans des ateliers avec application de la règle du silence. Il a pour objectif l’amendement du coupable et implique une architecture spécifique où la vie sociale entre détenus est proscrite afin que la prison ne soit pas « l’école du crime ». Mais une architecture cellulaire coûte cher. Les responsables politiques de l’époque se sont contentés d’investir dans des nouvelles prisons pour stocker ceux qui troublaient l’ordre public et venaient d’être arrêtés. C’est pourquoi toutes les nouvelles prisons pour hommes ont été, jusque dans les
nouvelles prisons : « le trou noir de la pensée »
« La doctrine pénitentiaire se refuse à envisager un projet de vie sociale ou collective en détention, alors que cette dimension devrait être au cœur de la conception d’un établissement. »
construction ne définit pas de projet de vie, l’architecture devient forcément contre-nature, il lui manque une dimension essentielle. Tout projet architectural est bâti sur une idée de la vie que l’on souhaite permettre dans ce nouveau lieu. Or la doctrine pénitentiaire se refuse à envisager un projet de vie sociale ou collective en détention, alors que c’est précisément cette dimension qui devrait être au cœur de la conception d’un établissement.
années 1960, des maisons d’arrêt et non des établissements pour peine. Dans ce type d’établissement, prévu initialement uniquement pour prévenus et accusés, la cellule individuelle était une salle d’attente où le détenu « présumé innocent » était censé être préservé de la vie sociale carcérale. Il n’y avait donc aucun « traitement pénal », aucune activité. Le plan était entièrement conçu pour rationaliser la gestion d’un nombre de plus en plus important de détenus avec le minimum de personnels. Puis on s’est dit : « Le prévenu a attendu un mois son procès, il peut bien attendre quelques mois de plus sa libération s’il est condamné à une courte peine ». Des ateliers ont alors été intégrés dans les plans. La maison d’arrêt devenait ainsi, pour partie, un établissement pour peine. La cellule judiciaire du prévenu devenait, sans modification, la cellule pénitentiaire du condamné. Et, dans tous les cas, les responsables politiques étaient dispensés de réfléchir à ce qui constitue réellement la peine de prison, à savoir le mode de vie qu’on impose aux occupants de ce lieu, avec ses privations et ses ressources. Les pratiques pénitentiaires se sont formées dans ce modèle de maison d’arrêt et les établissements pour peine construits depuis s’en inspirent directement.
Quelles sont les conséquences sur l’architecture carcérale de la généralisation de la vidéosurveillance « dans les espaces collectifs présentant un risque d’atteinte à l’intégrité physique des personnes », prévue par la loi pénitentiaire de 2009 ?
Cette absence de réflexion, que vous qualifiez de « trou noir de la pensée », s’explique-t-elle simplement par cette priorité politique accordée à la maison d’arrêt ? Il y a autre chose de plus profond et de plus tenace qui tient à la nature même de la doctrine pénitentiaire. Celle-ci est une récupération politique, un détournement de la notion religieuse de pénitence selon laquelle le pécheur est seul responsable de sa peine. En responsabilisant le détenu, en affirmant qu’il doit être « acteur de sa peine », qu’il « fait sa peine » la doctrine déresponsabilise le pouvoir politique qui punit. A partir de cette imposture intellectuelle, la réflexion sur la conception de la peine que nous infligeons est totalement évacuée au profit d’interminables discours plus ou moins démagogiques sur le sens de la peine : dissuasion, rétribution, réparation, réinsertion, lutte contre la récidive. De là vient le dogme de l’individualisation de la peine appliqué en prison alors qu’elle est, que cela plaise ou non, une peine collective. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant de constater que, dans la loi pénitentiaire de 2009, le Parlement n’a rien à dire concernant la conception des nouveaux établissements en dehors de la vidéosurveillance dans les espaces collectifs. Or, lorsque le promoteur d’un projet de
Il s’agit d’« une simple idée de technologie », pourrait-on dire en paraphrasant Jérémie Bentham quand il vantait au monde entier son modèle panoptique comme étant « une simple idée d’architecture ». On est en droit de s’interroger sur l’effet que peut produire une vie sociale sous vidéosurveillance pendant des mois ou des années. On force des personnes à vivre sous vidéosurveillance lorsqu’elles sont en groupe, alors qu’on est censé les préparer à vivre à l’extérieur. Je suis ainsi convaincu de l’incohérence de l’article 58 sur la vidéosurveillance avec l’article premier de la loi, qui confie à l’administration la mission de « préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions ». Les prescriptions des cahiers des charges des nouveaux programmes, écrivez-vous, « permettent à l’architecte de travailler, en les respectant, mais elles ne dévoilent pas les intentions réelles du client. Le projet, dans son essence, n’est pas dit. » Est-ce une manifestation de ce « trou noir de la pensée » ou y-a-t-il un projet « non dit » ? En l’absence d’un débat démocratique sur la question : « quelle peine de prison, quelle vie souhaitons-nous instaurer en prison ? », l’administration pénitentiaire fait ce qu’elle veut, ou ce qu’elle peut, on ne saurait le lui reprocher. Pour elle, un projet de nouvelle prison doit être compatible avec ses pratiques, conforme à la législation, adapté à ses personnels, et donc très semblable à la majorité des établissements existants. N’ayant aucune compétence politique pour changer de modèle carcéral, elle est nécessairement conservatrice, quelles que soient les améliorations qu’elle envisage. Alors, le cahier des charges qu’elle établit décrit très précisément les dispositions architecturales qui figuraient dans celui établi pour la précédente réalisation, en y intégrant les modifications qui lui paraissent souhaitables. Evidemment, la philosophie de ce modèle, dont elle n’a pas à être responsable, n’apparaît jamais. A l’inverse, le projet du CD de Mauzac a bénéficié d’une intervention politique très forte sur la philosophie générale du temps de détention, ce qui s’est traduit dans le cahier des charges par une définition claire de la fonction sociale de chaque partie de l’établissement. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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dossier Au centre de détention de Mauzac, dont vous avez assuré la conception avec Noëlle Janet, les hébergements pavillonnaires comprennent cuisine commune et lieux de rencontre, les détenus ont la clé de leur cellule… L’argument opposé à la multiplication de ce type de prisons est qu’elles ne conviendraient qu’à un petit nombre de détenus triés sur le volet. Que répondez-vous ?
« Lorsque le promoteur d’un projet de construction ne définit pas de projet de vie, l’architecture devient forcément contrenature, il lui manque une dimension essentielle ».
Je réponds que c’est faux. Et à l’époque, beaucoup de personnels pénitentiaires le pensaient aussi. Dans les prisons fédérales canadiennes, 60 % des condamnés peuvent vivre de cette façon. Ce qui est en revanche complètement irréaliste, pour ne pas dire « angélique », mais bien conforme à la doctrine pénitentiaire, c’est de croire qu’il est possible de n’accueillir en prison que la partie criminogène des arrivants, leur péché en somme, afin de la faire traiter par des spécialistes cliniciens et criminologues. Ce faisant, on oublie l’essentiel. La réalité est qu’il faut bien les accueillir et les faire vivre dans la globalité de leur être, avec leurs désirs, leurs goûts, leurs capacités de réflexion, leurs qualités et leurs défauts. C’est toute cette matière humaine ordinaire, qui constitue le quotidien de la vie en détention, qui devrait être prise en compte, dans la conception de la communauté carcérale. Cette idée – révolutionnaire ? – a émergé juste après l’abrogation de la règle du silence en 1972 : puisque les détenus peuvent désormais se parler, ils pourraient également « vivre » ensemble. En fait, les détenus n’avaient pas attendu 140 ans pour communiquer entre eux et pour se resocialiser avec les moyens du bord, c’est-à-dire illicites. La nouveauté était la reconnaissance officielle de la vie collective et la volonté de l’organiser. C’est ainsi qu’il y a eu des tentatives d’ouverture des cellules à certaines heures, la coursive faisant office d’unité de vie. Mais l’architecture existante n’était pas adaptée et les personnels n’étaient pas non plus formés pour que cela marche. La conception du centre de détention de Mauzac a élargi ce concept de « vie sociale » à l’intérieur de tout le centre, dans des infrastructures adaptées.
suicides…) et sur la gestion administrative. La mission de l’administration devait dès lors assurer aux détenus l’accès à ces services de la façon la plus sécurisée possible.
De quelle manière le programme 13 000 lancé en 1987, a-t-il « marqué un point d’arrêt à la volonté de changer la vie en détention » ? Les décideurs politiques ont voulu faire preuve d’efficacité en réalisant un vaste programme immobilier dans un délai relativement court et avec un souci d’économie, en construction comme en gestion. A cette fin, ils ont considéré que la prison n’était qu’une addition de prestations nécessaires et suffisantes qu’il fallait précisément identifier pour les faire chiffrer, puis gérer, par des opérateurs privés. Le système pénitentiaire s’est alors trouvé divisé : un système régalien assuré par l’administration pénitentiaire en charge de la direction, de la gestion et de la sécurité ; tout le reste (formation, santé, travail…) pouvait être délégué à des prestataires de service. De ce fait, les prérogatives de l’AP se sont trouvées concentrées et renforcées sur la sécurité (agressions, mutinerie, évasions, Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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Les constructions pénitentiaires réalisées ces dernières décennies font aussi apparaître un gouffre entre les déclarations d’intention des architectes et le vécu des usagers (détenus et personnels). Pouvez-vous l’expliquer ? L’architecte se situant dans un rapport de travail avec un client ne peut pas se permettre de critiquer le programme quand il est censé le développer. Pour gagner un concours, il faut tenir un certain discours attendu par le client, qui lui-même va l’utiliser pour persuader sa hiérarchie ou le public que son programme a permis l’innovation. Les déclarations d’intention des architectes sont ainsi très souvent biaisées. Il n’est pas rare aussi que, une fois le projet de l’architecte sélectionné, l’administration décide de certaines modifications afin de mieux l’adapter à ses pratiques habituelles. Par exemple, toutes les cours de promenade de notre projet du CP de Ducos en Martinique, initialement prévues engazonnées, ont finalement été bétonnées. J’ai eu également l’occasion de faire partie d’un groupe de travail en 1994-1995, chargé de faire des propositions pour l’élaboration des futurs programmes. Afin de limiter les circulations et leurs désagréments pour les personnels comme pour les détenus – contrôles, sas, ouvertures à commande électrique, temps d’attente etc. – nous avions proposé de créer, y compris en maison d’arrêt, des quartiers équipés d’activités décentralisés et organisés autour d’un espace extérieur ouvert directement sur les unités de vie, un peu comme à Mauzac. L’AP a retenu l’idée de quartiers relativement autonomes pour avoir moins de déplacements à gérer, mais n’a pas repris l’idée de vie de quartier. Résultat dans le cahier des charges du programme 4 000 : cloisonnements habituels, unités d’hébergement classiques, cour de promenade classique et sentiment de confinement chez les détenus encore plus grand que dans les précédents programmes. Mais encore une fois, tout cela résulte du fait que les responsables politiques et donc les citoyens ont laissé à l’administration la responsabilité de la politique carcérale. Propos recueillis par Barbara Liaras
nouvelles prisons : « le trou noir de la pensée »
Programme 13 200 :
la parole aux « usagers » Le quotidien dans des établissements du programme « 13 200 » décrit par un détenu et deux surveillants. Le premier est incarcéré en centre de détention, les seconds travaillent dans deux centres pénitentiaires distincts. Ils reconnaissent l’amélioration des conditions matérielles en cellule, mais disent la déshumanisation, la bureaucratisation, les défauts de conception… qui caractérisent leur lieu de vie ou de travail. Vous êtes incarcéré/travaillez dans un établissement pénitentiaire issu du programme 13 200. Ces nouvelles prisons sont souvent décrites comme « déshumanisantes ». Qu’en pensez-vous ? Détenu : Lorsqu’un problème surgit ou que l’on a besoin d’un renseignement, il faut passer par une commission. Autrefois, il suffisait d’aller voir le chef, qui réglait la question. Aujourd’hui, il répond qu’il n’a pas le pouvoir. Il faut attendre, la décision est reportée, parce que la commission ne se tient pas nécessairement séance tenante. Quand un fusible a disjoncté dans la cellule, il faut le signaler au surveillant mais lui ne peut rien faire, c’est au privé de venir réparer. Ça prend plus de temps. C’est devenu trop procédurier. Il faut faire des papiers pour tout. Par exemple pour le linge. Lors de ma dernière permission de sortir, j’ai emmené un sac de linge. J’ai sorti quatre chemises, quatre slips, deux maillots de corps. Et bien il faut faire une demande d’autorisation au chef pour ça. On doit donner des repas aux détenus ? On les donne. Mais que le gars mange ou pas, que les repas partent dans les poubelles, tout le monde s’en fout. On ne s’occupe pas du détenu, de
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l’améliorer, on s’occupe juste du fait qu’il fasse sa peine. C’est ça la déshumanisation. Surveillant 1 : La segmentation des tâches détériore les relations entre surveillants et détenus. Ce ne sont plus les surveillants qui ramènent leurs cantines aux détenus, qui peuvent traiter sur le champ d’éventuels problèmes. Lorsqu’un détenu signale un problème de cantine, nous lui disons de faire un mot à Eurest. Pour une ampoule grillée, nous devons établir une fiche informatique qui va être transmise. Cela crée des lenteurs qui peuvent exaspérer les personnes concernées. Le surveillant signale les problèmes au prestataire privé, mais ne peut rien faire d’autre. Ça peut être dur à comprendre et à vivre pour les détenus. La nature de notre travail a beaucoup évolué. Il nous est demandé d’avoir une approche plus psychologique – par exemple pour l’évaluation des détenus – mais nous avons moins de temps à leur consacrer. Les caméras, qui permettent un contrôle de tous nos déplacements, nous incitent également à rester à notre poste, isolé – nous sommes en principe deux par étage, mais c’est très rarement le cas, faute de personnel. Nous ne pouvons pas apprendre à connaître les détenus, et vice versa, car nous changeons de quartier quotidiennement. Les personnels sont divisés par quartier, puis en fonction des roulements, de sorte que les équipes en poste sont constituées de quatre personnes tout au plus. Cette organisation nous divise et déshumanise notre travail. Surveillant 2 : Les coursives ont été agrandies pour que chacune comprenne plus de cellules. Le surveillant est souvent seul à l’étage, et les mouvements ont été multipliés. Notre quotidien est une course permanente, et ce manque de temps conduit à des tensions : quand un détenu attend une demi-heure derrière la porte parce que vous n’avez pas le temps de venir lui ouvrir, la pression monte, vous vous faites insulter, voire agresser. La gestion de la maintenance nous pose également beaucoup de problèmes. Nous ne pouvons plus du tout intervenir, même pour le plus petit problème, le prestataire privé étant responsable de toutes les opérations. Le contrat prévoit un délai maximal pour chaque intervention, avec pénalités en cas de dépassement. Le prestataire va donc traiter en priorité celles qui entrainent les plus grosses pénalités. Qui ne sont pas forcément celles qui sont prioritaires pour nous. Une chasse d’eau bouchée dans une cellule, ou une ampoule grillée dans un escalier, ne sont par exemple pas prioritaires pour le prestataire. De plus, les pénalités reviennent au Trésor public et non à l’établissement – la direction n’a donc aucun intérêt à se fâcher avec le prestataire en les exigeant. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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Dernières constructions :
l’axe sécuritaire Le nouveau programme immobilier (NPI) initié en 2011 s’inscrit dans la lignée de nouvelles prisons conçues à partir d’un cahier des charges tout orienté sur des préoccupations de sécurité défensive. En juin 2012, la garde des Sceaux a annoncé poursuivre ce programme en le limitant à la construction de cinq établissements, au lieu des 25 prévus. Mais aucune modification du cahier des charges de construction n’est annoncée.
Il suffit de s’atteler à la lecture du cahier des charges des établissements du dernier programme immobilier pour mesurer l’emprise de la contrainte sécuritaire et de l’approche coercitive dans la conception des nouvelles prisons. Dans le « programme générique fonctionnel » du Nouveau programme immobilier (NPI) élaboré par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ), les « principes structurants de l’organisation spatiale » des futures prisons sont déterminés à l’aune de trois critères : « les risques », « la protection » et « la riposte aux divers incidents ». A l’exclusion de toute préoccupation de vie collective en détention, d’organisation du quotidien carcéral et plus largement d’un projet de réinsertion. Parmi les « risques », on retrouve « l’évasion », les « possibilités d’intrusion » de personnes extérieures, les « agressions », les « mouvements collectifs » (refus de réintégrer les cellules, mutineries), ou encore les « mouvements individuels de protestation » (« automutilation, tentative de suicide, grève de la faim », tentative de « monter sur les toits ») de « nature à favoriser les manifestations collectives ». Afin de prévenir ces risques, des grands principes de « sûreté » ont été édictés. Il s’agit de privilégier le « cloisonnement » par le biais d’une « sectorisation des zones », d’une séparation « des détenus en groupes de taille maîtrisable » et de la mise en place d’une « série d’obstacles physiques (barrières, sas, etc.) » pour étanchéiser chacun de ces espaces. Mais aussi d’organiser une « surveillance constante » afin de « savoir à tout instant où est chacun et ce qu’il fait ».
Cloisonnement et surveillance constante Concrètement, cela se traduit par « une juxtaposition d’espaces cloisonnés » afin de « répartir et de localiser » les « groupes à l’intérieur de zones délimitées ». Les espaces d’hébergement des détenus sont divisés en quartiers (de 160 places), eux-mêmes subdivisés en unités (de 40 places) complètement hermétiques. Des « sas » contrôlés en délimitent Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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l’accès pour empêcher les détenus de « se rendre d’une unité à l’autre ». Chaque quartier est conçu comme un « ensemble semi-autonome », dans lequel des locaux d’activités doivent être implantés afin de limiter au maximum les déplacements hors quartier. Pour contrôler les circulations, « l’entrée des locaux d’activités est munie d’un sas », de même que « l’accès à la cour de promenade ». Cette logique de confinement se double d’une logique de différenciation des régimes selon le « comportement » des détenus. Ainsi, les cahiers des charges intègrent désormais les « régimes différenciés » dès le stade de la conception des nouvelles prisons. Il est établi que les détenus considérés comme « dangereux » envers eux-mêmes, autrui « et/ou l’institution » ou incapables de « partager un espace commun avec d’autres personnes » et de « respecter les règles de vie en collectivité » sont placés dans des quartiers dits en « mode fermé ». Les autres doivent être affectés dans des quartiers en « mode ouvert » où ils ont la possibilité de circuler au sein de leur unité la journée et, à des horaires déterminés, dans les locaux communs de leur quartier. Dans les quartiers fermés, les détenus sont confinés en cellule, à l’exception des temps d’activité ou de promenade. Les déplacements sont accompagnés par un personnel de surveillance et « les parcours sont scandés en des séquences contrôlées » : « les horaires des activités sont définis de manière à éviter les déplacements simultanés de détenus et leur croisement dans le quartier ». Un « seul groupe entre à la fois dans la zone, le suivant ne pouvant entrer ou sortir que lorsque les détenus du premier groupe ont été installés dans leur salle de destination ». Les espaces de promenade sont également divisés en deux cours afin de permettre « une meilleure maîtrise des regroupements de la population pénale ». De manière générale, pour éviter les évasions et les communications d’un espace à un autre, « toutes les ouvertures et fenêtres donnant sur l’extérieur des bâtiments ou sur les
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« Ma cellule est au premier étage, l’architecture empêche toute vision au loin. J’ai calculé que la distance de vision la plus grande est de moins de 10 mètres. » Centre pénitentiaire de Réau, personne détenue au quartier maison centrale, 29 mars 2012
circulations intérieures sont barreaudées ». Dans les « locaux sensibles » (contenant du matériel estimé dangereux) ou dans « les cellules des quartiers en mode fermé », celles des quartiers d’isolement et disciplinaire, le barreaudage est renforcé par la pose de caillebotis : du treillis en acier ne laissant que quelques percées sur l’extérieur. Des principes de « non covisibilité » et de « non communicabilité » entre quartiers sont aussi prescrits. Selon le cahier des charges, les bâtiments doivent être conçus de sorte que les détenus des quartiers fermés ne puissent avoir vue sur les fenêtres des cellules ou les cours de promenade des autres quartiers. Aucun propos ne doit pouvoir être perçu de manière intelligible d’un bâtiment à un autre, « même à voix forcée ». Quant aux quartiers disciplinaire (QD) et d’isolement (QI), leur « implantation » doit être « étudiée de manière à empêcher les échanges par la parole entre détenus du même quartier, entre QI et QD, ou avec des détenus d’autres quartiers, et à empêcher strictement les contacts
visuels avec la population détenue de tous les autres quartiers d’hébergement ». Cette logique de ségrégation et d’isolement se retrouve dans la gestion des déplacements des détenus hors des zones d’hébergement, appréhendés comme l’un des « moments les plus délicats sur le plan de la sécurité ». Le cahier des charges recommande ainsi de les réduire au maximum. Afin d’empêcher les évasions et les déplacements des détenus en cas de mutinerie, il est par ailleurs demandé aux architectes de concevoir les zones de circulation comme un agrégat de grilles, de sas et de passages devant des postes de contrôle. Pour se rendre aux parloirs, un détenu devra franchir une multitude de grilles et passer par quatre sas sécurisés commandés par des surveillants postés dans des kiosques protégés : le premier à la sortie de l’unité d’hébergement, le second à la sortie du quartier, le troisième au niveau des zones d’activités communes à l’établissement et le dernier à l’entrée de la zone des parloirs. À chaque fois, un contrôle d’identité sera opéré. Ces kiosques, complètement fermés et rendus opaques par des vitres sans tain, doivent également servir à « la surveillance constante » des détenus. A cette fin, ils sont dotés d’écrans de vidéosurveillance, des caméras étant postées dans toutes les espaces de la détention.
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Déshumanisation et tensions Le cahier des charges de ces futures prisons témoigne de la conception défensive de la sécurité dont font preuve l’administration pénitentiaire et l’APIJ. « Tout est fait pour séparer les détenus des uns des autres, pour les maintenir à une distance 1 de protection, et les séparer des uns des autres », expliquent des chercheurs. Il s’agit de « maintenir un rapport de force » qui permette « de garder le contrôle » en empêchant les détenus de se créer « un espace de parole et d’action en commun » et ainsi « de devenir une puissance d’action » pouvant déstabiliser l’institution. Poussée à l’extrême dans les nouveaux établissements – au niveau de l’organisation spatiale et du recours à des dispositifs automatisés de sécurité – cette approche aboutit à une forte diminution des contacts humains. Les établissements du programme « 13 200 places » mis en service à partir de 2007 ont été conçus sur un modèle similaire et les acteurs du monde carcéral ont pu d’ores-et-déjà en constater les effets. « La haute-technologie est présente partout, télévisions et caméras de surveillance s’invitant dans tous les recoins des prisons. L’univers carcéral se déshumanise complètement. Les structures sont bétonnées, ultra-sécurisées, sans aucune proximité. Les caméras et interphones amènent le personnel à limiter ses contacts avec les détenus. Chacun est de plus en plus isolé2 », peut-on entendre du côté des personnels pénitentiaires. Même son de cloche du côté des détenus : « Tout est automatique. Vous ne voyez presque plus de surveillants. Vous passez devant des postes de contrôle aux vitres sans tain. Eux vous voient. Vous, vous ne les voyez pas. Il y a des interphones, ils ne se déplacent plus3 », « on remplace les surveillants par un système de badges et de bips devant les portes. 1. A. Chauvenet, F. Orlic, « Une structure sociale défensive et labile » in La violence carcérale en question, GIP, « Mission de Recherche Droit et Justice », janvier 2005. 2. C. Verzéletti, secrétaire générale de la CGT pénitentiaire, Le JDD, 27 juillet 2010. 3. A. Cangina, ancien détenu à la MA de Lyon-Corbas, Libération, 24 février 2010. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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On a l’impression d’être parqués dans une cage… Beaucoup se sentent cassés par la structure4 ». De telles conceptions architecturales conçues pour accroître la sécurité semblent en réalité accroître les incidents. Ces établissements « génèrent des tensions, et donc des échecs multiples, incomparablement plus fréquents5 » que dans d’autres, estime le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. « Il y a dans ces prisons une multiplication des frustrations, et par conséquent un accroissement inévitable de l’agressivité, engendrant violence contre soi et contre autrui6 ». Le tout étant lié à la perte de « la relation humaine entre les surveillants et les détenus7 ». De nombreux personnels pénitentiaires appuient ce constat : « L’humain, les contacts entre personnels et gardés, c’est ce qui nous a toujours permis » de « désamorcer les conflits naissants8 ». Lorsqu’il y a moins de contacts et de possibilités de dialogue, les surveillants ne sont plus perçus par les détenus comme « des interlocuteurs, des personnes avec qui on a quelque chose à échanger » mais comme « des fonctionnaires qui évitent le contact ». « Devenant plus exceptionnelle que naturelle », la rencontre se fait « souvent dans un climat de tension », puisqu’elle n’intervient que consécutivement « à des crises ou à des dérangements ». Détenus et surveillants se posent ainsi un peu plus « en groupes étrangers l’un à l’autre. Méfiant, chacun réduit l’Autre à un rôle de perturbateur, à celui qui risque à tous moments de créer des désagréments ». Il en résulte « une tension permanente […] immédiatement perceptible dans les manières de s’interpeller ou de 9 se répondre ». 4. Témoignage d’un détenu du CP de Nancy-Maxéville, octobre 2012. 5. Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), rapport d’activité 2010. 6. CGLPL, Le Nouvel Observateur, 10 mars 2010. 7. CGLPL, rapport d’activité 2010. 8. E. Chambaud, délégué syndical UFAP à la MA de Lyon-Corbas, 20minutes. fr, 10 mars 2010. 9. P. Pottier, « Approche de la violence en établissement 13 000 » in Violences en Prison, département de la Recherche, ENAP, octobre 2005.
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Les usines carcérale déshumanisent le prisonnier et le personnel pénitentiaire « L’architecture possède sa grammaire ; elle a un but et une signification. Dans les prisons dites modernes, la préoccupation première des gouvernements est la sécurité dite passive : pas de place pour l’humanité ! Les personnels sont isolés et enclavés à l’intersection de plusieurs couloirs fermés par des grilles. Pris au piège. Piège de l’isolement, de la folie, de la violence accentuée par cette architecture digne des geôles de l’état-prison que sont les États-Unis. Les plafonds sont bas, la luminosité artificielle agresse la rétine, les grillages cerclant les fenêtres des cellules sont immondes et ne laissent pas passer l’existence de l’autre. Vision parcellaire en schéma caillebotis. Sensations d’étouffement. Angoisses accentuées par le fait que les usines carcérales sont implantées soit dans des zones industrielles, soit isolées du reste du monde : en dehors de la vie. Structures monstrueuses de 700 ou 800 places. Détresses amplifiées et vertiges de l’anonymat. De plus, les déplacements sont ralentis par les systèmes de sécurité. Dimension hors norme du temps. Ce n’est pas pour rien que l’administration pénitentiaire a interdit la diffusion à la télévision du documentaire « Le déménagement ». Celui-ci montre bien que nouveautés et avancées technologiques ne signifient pas forcément mieux être et progrès. […] Si les anciennes prisons situées en centre ville permettent aux détenus d’être encore dans la vie et dans le temps, leurs architectures autorisent les personnels à ne pas être isolés dans leur coursive. […] Les structures ont une taille humaine. […] Ces nouvelles prisons dites modernes, dégradent les conditions de travail des personnels et les conditions de détention des personnes incarcérées. Et c’est bien dans les usines carcérales qu’il y a le plus d’agressions, de suicides : elles déshumanisent l’être et accentuent sa condition d’objet. […] Dans la mesure où les nouvelles structures accentuent le mal-être, elles ne peuvent être la vitrine de la modernité et du progrès. » Céline Verzéletti, secrétaire générale de la CGT pénitentiaire, Libération, 27 janvier 2012.
À rebours des recommandations européennes Cette conception défensive de la sécurité à laquelle s’accrochent les autorités pénitentiaires françaises se situe exactement à rebours des recommandations du Conseil de l’Europe. Celui-ci promeut un modèle de sécurité « dynamique », reposant sur le principe que « le bon ordre dans tous ses aspects » n’a « des chances d’être obtenu » que « lorsqu’il existe des voies de communication claires entre toutes les parties10 ». Dans ce schéma, la sécurité passe notamment par le fait d’aménager la vie en prison « de manière aussi proche que possible des réalités de la vie en société », d’offrir aux détenus des possibilités de « faire des choix personnels dans autant de domaines que possible de la
10. Conseil de l’Europe, commentaire de la Règle pénitentiaire européenne n°49, 2006.
vie quotidienne de la prison11 » et de favoriser la communication avec le personnel pénitentiaire : « lorsque le personnel et les détenus ont des contacts réguliers, un membre du personnel vigilant et bien formé sera plus réceptif à des situations anormales pouvant constituer une menace pour la sécurité ». En d’autres termes, la prévention des tensions et incidents passe, pour le Conseil de l’Europe, par le développement de canaux d’expression et de marges d’autonomie pour les détenus. Et des « expériences étrangères montrent que cela est possible12 », soulignent les sociologues Antoinette Chauvenet et Françoise Orlic. Tel est le cas notamment de l’expérience menée en Écosse au sein la prison de Barlinnie à partir des années soixante-dix. Les détenus les plus violents et les moins « adaptés » sont sélectionnés pour être transférés dans une unité spéciale, conçue pour enrayer le cycle infernal rébellion/répression. Les décisions concernant les règles de vie en détention sont prises en commun par les surveillants et les détenus. Ils prennent leur repas ensemble et participent à des activités communes. Chaque détenu est impliqué dans le traitement de ses propres difficultés avec l’aide d’un psychologue, mais aussi dans celles de ses codétenus. Les cellules aménagées par leurs occupants sont ouvertes et chacun peut circuler librement au sein de l’unité. Grâce à ce régime, « la violence a diminué de façon spectaculaire13 ». Une étude réalisée à partir des dossiers de 25 détenus de la prison souligne que si leur comportement « était demeuré inchangé », il « se serait produit 105 attaques dans l’unité ». Or, « il n’y en au eu que deux14 ». De même au niveau des « incidents » (tentatives d’évasion, prises d’otage, vandalisme, mouvements collectifs…). Sans changement, « il aurait dû se produire 154 incidents. Or, il ne s’en est produit que neuf ». Pour l’auteur, cela montre que les « caractéristiques d’un régime peut jouer sur le niveau de la violence dans les prisons » et que « l’absence de communication entre le personnel et les détenus a une influence puissante sur le comportement de ces derniers ». L’unité spéciale fut néanmoins fermée en 1994, car « les autorités finirent par considérer que ce régime semblait offrir une prime aux comportements difficiles, puisque les détenus “difficiles” qui s’y retrouvaient jouissaient de meilleures conditions que les détenus “tranquilles”15 ». Mais cette expérience montre que « d’autres moyens que le tout surveiller et la neutralisation au quotidien peuvent fonder la sécurité16 ». Marie Crétenot
11. Conseil de l’Europe, Rec(2003)23. 12. A. Chauvenet, F. Orlic, « Sens de la peine et contraintes en milieu ouvert et en prison », Déviance et Société, Vol. 26, n°4, 2002. 13. Ibid. 14. D. J. Cooke, « La violence dans les prisons : le cas de l’Écosse » in La violence dans les prisons, le suicide chez les détenus et l’automutilation, Recherche sur l’actualité correctionnelle, Vol.4, n°3, 1992. 15. S. Snacken, Prisons en Europe. Pour une pénologie critique et humaniste, Larcier, coll. « Crimen », 2011. 16. A. Chauvenet, F. Orlic, op.cit. 2002. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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dossier Un détenu et deux surveillants décrivent comment les améliorations matérielles apportées par les nouvelles constructions, telles que la douche en cellule, sont amoindries par des défauts de conception. Très rapidement, l’établissement pénitentiaire « moderne » dévoile ses malfaçons, ce qui fait dire au prisonnier : « Elle a été construite trop vite cette prison ».
Programme 13 200 :
la parole aux « usagers » (suite) Les nouvelles prisons devaient « améliorer la condition du détenu et faciliter les missions du personnel ». Dans quelle mesure ces objectifs ont-ils été atteints ou pas ? Détenu : Au niveau du personnel, ça n’améliore rien du tout. Les surveillants sont isolés dans leur étage, ils ne peuvent pas quitter leur poste de travail. Au niveau du détenu, il est certain que les conditions matérielles de détention se sont améliorées – je connais la prison depuis plus de 30 ans, j’ai dormi sur les paillasses, il n’y avait pas de journaux, pas de télévision… Je n’avais qu’une heure de promenade quotidienne. Aujourd’hui, si je veux, je peux passer presque six heures de ma journée en promenade : trois le matin, autant l’après-midi. Mais très peu de personnes vont aux activités, il n’y a que trois salles de classes pour 500 places de détention. Les détenus ne savent pas écrire, font des années de prison et ressortent analphabètes. Je suis en CD, en régime ouvert, ce qui signifie que je peux me déplacer dans la prison, aller dans d’autres étages. Les surveillants ouvrent les grilles et nous laissent passer. En revanche, la conception même de l’établissement est catastrophique. Les cours de promenade, par exemple, sont séparées entre elles par un mur de quatre, peut-être six mètres de haut. Elles sont tellement petites… on se sent engoncés. Dans les CD des autres générations, le mur est moins haut, c’est parfois même du grillage ; il y a de l’espace, c’est ouvert, on respire. Ici les murs sont si hauts qu’on ne voit rien, c’est du béton et du barbelé partout. Des problèmes de construction sont Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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perceptibles. Par exemple, quand les gars nettoient les escaliers, ils versent de l’eau par terre, et toute la peinture dans le bas des murs s’effrite. Trois ans après sa mise en service, l’établissement est déjà très dégradé. Les murs de la douche de ma cellule présentent d’énormes fentes, l’eau s’infiltre, les murs cloquent, la peinture tombe. Les murs ont travaillé, les dalles sont fendues, les portes des cellules se sont voilées… Elle a été construite trop vite cette prison. Surveillant 1 : Les avancées matérielles sont considérables pour les détenus. Les habitués parlent de « centre de vacances » : l’encellulement individuel, la douche en cellule, une salle d’activités physiques et une bibliothèque par bâtiment… La question des circulations, qui est souvent soulevée, ne me paraît pas poser de difficulté. Si on me demande d’envoyer quelqu’un à l’UCSA, je vais le chercher, je le sors de l’étage, et après il se débrouille. Un agent à la sortie du bâtiment est chargé de contrôler les entrées/sorties. Les soucis (quelqu’un qui part ailleurs que là où il était censé aller, des règlements de comptes) sont étonnamment rares. Beaucoup de monde circule dans les parties communes, entre les bâtiments, que l’on appelle d’ailleurs « la rue ». Pour nous les personnels, nous disposons d’un bel outil de travail, nous ne sommes pas perpétuellement inquiets de ce qui va s’écrouler, tomber en panne, le confort matériel est meilleur. Mais il y a eu des malfaçons lors de la construction : les pentes des douches sont dans le mauvais sens, il a fallu refaire les
nouvelles prisons : « le trou noir de la pensée » entre les panneaux de béton n’ont pas tenu, on peut passer la main à travers. Le premier hiver, toutes les canalisations ont éclaté. Elles ont été réparées, mais nous avons toujours des fuites d’eau impressionnantes. Dès qu’il pleut, l’eau coule dans les couloirs. Le système de chauffage dans les cellules n’est pas non plus au point, il fait chaud l’été et froid l’hiver. Lorsqu’un problème survient, la société de maintenance s’en tient strictement au contrat, sans essayer de trouver une solution. Je leur ai récemment demandé de nettoyer un filtre de climatiseur, complètement encrassé. Le responsable m’a répondu que l’entretien périodique avait été fait. Terminé. Évoquant les derniers programmes immobiliers pénitentiaires, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté parle d’industrialisation de la détention. Que vous inspire cette expression ?
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sols, remettre des gaines – avec 15 jours de séchage, il a fallu doubler des cellules pendant la durée des travaux. Certaines technologies sont inadaptées ou mal utilisées. Par exemple, le chauffage se fait par des bouches d’aération qui servent aussi pour le désenfumage. De nombreux détenus trouvent le bruit excessif et ont obstrué les bouches, ce qui fait monter la cellule en dépression, et crée un sifflement permanent. Certains bâtiments sont déjà fissurés après quatre ans. Surveillant 2 : Les quartiers disciplinaires sont équipés d’allume-cigares, d’une douche, d’un poste radio… Les cellules ordinaires sont plus spacieuses, mieux agencées – même s’il est vrai que doublées ou triplées, comme c’est le cas au quartier maison d’arrêt, elles deviennent petites. Les détenus de l’ancienne maison d’arrêt, a priori contents de venir, ont vite déchanté. Chaque bâtiment comporte une salle de musculation de 15 places… pour 300 personnes. Le terrain de sport est grand, mais on ne peut pas y faire venir plus de douze détenus en même temps. Idem pour le foot, le gymnase… Il aurait mieux valu prévoir des infrastructures de plus petite taille, mais plus nombreuses. Les premiers plans qui nous ont été présentés prévoyaient d’un côté les cellules, de l’autre des façades complètement vitrées. Nous étions contents d’avoir enfin des bâtiments éclairés, de pouvoir travailler à la lumière du jour. La déception a été rude, il n’y a finalement qu’un bout de lucarne en bout d’aile qui éclaire vaguement. La modernisation n’est pas forcément synonyme d’améliorations : les écrans de contrôle sont suspendus à hauteur de tête, on se cogne systématiquement en se déplaçant dans le poste ; au lieu d’appuyer à gauche pour ouvrir la porte gauche et à droite pour la porte droite, il faut activer un écran, quatre fois pour une porte, quatre fois pour l’autre. La qualité des bâtiments nous inquiète aussi. Dans les secteurs de la buanderie ou des ateliers, les joints de dilatation
Détenu : Je suis d’accord avec le Contrôleur, c’est exactement ça. On ne s’occupe plus du côté humain, on ne se préoccupe pas de ce que le détenu va faire en sortant de prison, on s’occupe de remplir les cellules vides. Il y a 500 cellules, ça veut dire qu’il faut qu’il y ait 500 cellules d’occupées. C’est ça l’usine. Finalement, le problème aujourd’hui n’est pas tant les conditions de détention, parce qu’on se fait à tout. Le fait que ce soient des grosses prisons, mal conçues, n’est pas le plus important non plus. Le problème, c’est que les gens sont condamnés à des peines de plus en plus longues qu’ils ne comprennent pas. Surveillant 1 : Le découpage des tâches entre les différentes catégories de personnels évoque effectivement l’industrialisation, le fordisme. Certains personnels très consciencieux cherchent à suivre les problèmes ; mais à d’autres moments, on se dit « ça va, j’ai transmis, ça ne me concerne plus. » Avec la gestion de l’UCSA par l’hôpital, de la cantine et des bâtiments par le privé, les problèmes sont traités « à la chaîne ». Le nombre d’intermédiaires alourdit le quotidien. L’UCSA voit 200 personnes en consultation chaque jour, vu de l’extérieur, cela donne vraiment une impression d’usine. Dans les vieux établissements, il y avait parfois plus de 1 000 détenus, mais les relations étaient beaucoup moins impersonnelles. Surveillant 2 : Les coursives immenses, les grilles, le béton partout, l’isolement dans les étages rappellent l’industrie. De même, les caméras dans les coursives et les interphones dans les cellules minimisent les besoins en personnel, c’est aussi une façon d’industrialiser. L’objectif est de faire du chiffre, de caser le maximum de détenus par étage ; s’il n’y a plus de place, on met un matelas par terre, sans se préoccuper des conséquences humaines. Un programme de végétalisation a été décidé pour remédier à une impression de « tout béton ». Des îlots – toujours en béton – ont été construits au milieu des cours de promenades. Ça n’avait aucun sens, du coup toutes les plantations ont été arrachées, il ne reste plus qu’un banc de béton et des mauvaises herbes. Propos recueillis par Céline Reimeringer et Barbara Liaras Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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La privatisation des prisons
sous contrôle de l’État La privatisation partielle des prisons enclenchée en 1987 a conduit l’administration pénitentiaire à déléguer une part croissante du fonctionnement de ses établissements au secteur privé. Développement le plus récent de ce mouvement, les partenariats public privé (PPP) font de l’Etat le locataire et débiteur à long terme de groupements d’entreprises du BTP et des services. Pour Fabrice Guilbaud, la stratégie d’expansion de ces groupes peut favoriser la privatisation des prisons, mais ce sont d’abord les politiques étatiques d’externalisation qui créent de nouveaux marchés auxquels les entreprises s’adaptent.
Fabrice Guilbaud, sociologue, maître de conférences à l’Université d’Amiens et membre du Centre universitaire de recherche sur l’action publique et le politique (CURAPPESS)1.
Qu’est-ce qui a motivé, en 1987, le recours au privé en matière de construction et de gestion de prisons ? La loi du 22 juin 1987 sur le service public pénitentiaire marque en fait un retour du privé et non une apparition dans la gestion des prisons françaises. Pendant le xixe siècle, et jusqu’en 1927, les entrepreneurs généraux étaient en effet chargés, dans les prisons départementales et centrales, de fournir aux détenus le travail, l’alimentation, les cantines… L’entrepreneur général était le deuxième homme de la prison, après le directeur. De véritables fortunes locales se sont construites sur ce système, modifiant les rapports de force locaux, sur le plan politique et économique. Les critiques croissantes à l’égard de ce système, motivées également par des préoccupations humanistes, ont conduit l’Etat à reprendre en main la gestion des prisons. Jusqu’en 1987, année qui marque donc un mouvement inverse, avec comme personnage clé Albin Chalandon, ministre de la Justice. Haut fonctionnaire, puis dirigeant de grandes entreprises, il a été ministre dans les années 1970, 1. Il a codirigé avec G. Benguigui et G. Malochet l’ouvrage Prisons sous tensions (2011, Champ Social éditions), dans lequel il signe le chapitre intitulé : « La privatisation des prisons. Entre marché et ‘dogme’ sécuritaire ». Il vient également de publier un article dans la revue Sociétés contemporaines (2012/3, n° 187) : « Contester et subir : formes et fondements de la critique sociale des travailleurs détenus ». Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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notamment de l’Equipement, et a mené à ce titre l’opération de construction et de privatisation partielle des autoroutes. Parfaitement acquis à l’idée, très en vogue dans les années 1980, de revalorisation de l’entrepreneur et de la culture d’entreprise, il partage la conviction que la nécessaire modernisation du service public passe par une forme de privatisation de l’action publique. Trois objectifs sont affichés : la rénovation d’un parc pénitentiaire dégradé ; l’augmentation de la capacité d’accueil du parc carcéral – justifiée par le postulat selon lequel il y aurait une hausse inéluctable de la population pénitentiaire, face à laquelle il n’y aurait qu’une solution : plus de places ; une répartition géographique des constructions neuves facilitant l’accès des familles – même si les réalisations, souvent en pleine campagne, semblent avoir ensuite écarté cet objectif. Est alors avancé l’argument très fort des finances publiques : l’Etat ne pouvant prendre à sa charge l’ensemble des coûts, la participation du privé devient nécessaire. Le projet initial prévoyait d’ailleurs une privatisation complète, inspirée des Etats-Unis qui venaient d’ouvrir leurs premières prisons privées. Tous les programmes immobiliers mis en œuvre après le plan Chalandon de construction de 13 000 places reprennent les mêmes arguments. Ces arguments tiennent-ils après 20 ans de recul ? La réponse à l’augmentation de la population carcérale relève vraiment d’un choix de politique pénale : décide-t-on d’étendre ou de limiter l’emprisonnement ? A mon sens, ce débat est quasiment indépendant, en France, de la question de la privatisation. La question d’un moindre coût pour l’Etat avec la privatisation partielle s’avère, pour sa part, très difficile à évaluer. L’Inspection des finances et la Cour des comptes
nouvelles prisons : « le trou noir de la pensée » produisent régulièrement des rapports montrant que l’administration pénitentiaire a complètement abandonné l’idée même d’une comparaison des coûts entre gestions publique et privée – par manque de moyens, de volonté, de technique comptable aussi. Selon l’Inspection des finances, les coûts sont à peu près les mêmes, la maintenance plus chère, et sur le travail des détenus par exemple, les performances ne sont pas meilleures. Les conditions matérielles, sanitaires sont meilleures dans ces nouvelles prisons, ce qui est la moindre des choses, mais tient à leur construction récente sans que l’on puisse le lier à l’intervention du privé. Avec les partenariats-public-privé (PPP), l’Etat confie à une même entreprise la construction et la maintenance de l’établissement, en plus des autres fonctions habituellement déléguées. Les pouvoirs publics semblent découvrir que cela les engage à payer au prestataire privé des loyers de plus en plus importants, sur plusieurs décennies. Qu’en pensez-vous ? Les PPP permettent à l’administration de signer un contrat de délégation global avec un seul groupe, sur 27 ou 30 ans. Ce contrat porte sur la construction, le financement, la maintenance et toutes les missions qui étaient déjà déléguées. Les PPP auront des conséquences financières importantes à long terme – car il est certain que le coût des loyers sur 30 ans sera bien plus élevé qu’en gestion déléguée classique –, mais l’Etat ne peut pas feindre de le découvrir. On peut dire qu’il s’est placé dans la situation d’une personne endettée qui prendrait un crédit revolving. Tout en mettant en avant le fait qu’il n’a rien investi, et que le risque est supporté par l’entreprise.
« On se retrouve à trois dans 9 m² » Voilà un an que le Centre pénitentiaire de Rennes Vezin a ouvert ses portes. On nous a assuré que nos conditions de détention seraient nettement mieux qu’à l’ancienne prison Jacques Cartier. Vrai, on a les douches en cellule et dès notre arrivée on a obtenu des cellules individuelles. Mais depuis le mois de juillet 2011, on se retrouve à trois dans une cellule de 9 m², une personne sur le lit et les deux autres par terre sur un matelas en pleine poussière. On n’arrive plus à respirer, ni à avoir notre intimité. Il y a de plus en plus de tension entre détenus et même avec les surveillants. Centre Pénitentiaire Rennes-Vezin, personnes détenues, 8 novembre 2011
« La réponse à l’augmentation de la population carcérale relève vraiment d’un choix de politique pénale : décide-t-on d’étendre ou de limiter l’emprisonnement ? À mon sens, ce débat est quasiment indépendant, en France, de la question de la privatisation ».
Les PPP sont-ils eux-mêmes générateurs de certaines contraintes dans la manière de penser les nouvelles prisons ? Ces établissements poursuivent plutôt un mouvement amorcé avec les programmes précédents, celui d’un cahier des charges architectural favorisant des établissements de taille importante – 600 à 800 places – dont les circulations, les dispositifs techniques, la gestion des flux, sont de plus en plus automatisés. Leur conception tend à réduire les contacts humains, en particulier entre détenus et surveillants. Il y a là un paradoxe, alors que l’administration pénitentiaire communique beaucoup sur la revalorisation du métier de surveillant, insistant sur sa dimension humaine et pas seulement sécuritaire, elle place ces nouvelles recrues dans des lieux pensés pour limiter les relations humaines. Quel rôle joue l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) dans ce processus ? Toute administration ou grande entreprise est susceptible de défaillances dans la maîtrise d’ouvrage de son action dès qu’elle lors en délègue tout ou partie à un maître d’œuvre. Le recours à des sous-traitants expose à un risque important de se laisser abuser faute de compétences techniques. L’APIJ a été
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dossier créée pour améliorer une partie de la maîtrise d’ouvrage, assurer la négociation et la contractualisation avec les délégataires ou les partenaires, puis pour évaluer la qualité de la maintenance, de la construction. Discuter avec un grand groupe spécialiste de prestations multi-services suppose d’avoir de solides compétences comptables et techniques, dont ne dispose pas l’administration pénitentiaire en son sein. Le rôle de l’APIJ est notamment de renforcer les garanties juridiques des contrats, et d’améliorer la capacité de négociation de l’Etat. Une des différences avec la privatisation à l’américaine est que les fonctions régaliennes (direction, greffe, surveillance) restent en France du ressort de l’Etat. Cette différence peut-elle être considérée comme un rempart contre « l’industrialisation de la punition » ? Par définition, l’entreprise cherche à s’étendre : elle est par nature intéressée par toute marchandisation et par l’éventuelle privatisation des services publics. Pour autant, l’hypothèse d’un lobby de l’industrie pénitentiaire s’organisant pour faire pression sur le politique pour construire plus de prisons ne me convainc pas vraiment. Que cette éventuelle action soit déterminante me convainc encore moins. L’extension de la logique marchande est extrêmement dépendante de ce que décident les Etats et, dans le cas des prisons, du pouvoir judiciaire qui
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« L’hypothèse d’un lobby de l’industrie pénitentiaire s’organisant pour faire pression sur le politique pour construire plus de prisons ne me convainc pas vraiment. L’ “industrie de la punition” occupe la place qui lui est laissée par l’Etat ».
affirme ses valeurs, oriente le système pénitentiaire et décide de déléguer tel ou tel pan de son action. Certains Etats, tels les Pays-Bas, ont décidé de faire baisser ou de contenir leur population pénitentiaire, sans renoncer à la privatisation. Un pays peut mener une politique réductionniste tout en privatisant davantage son intervention en milieu ouvert (bracelet électronique, suivi des probationnaires). Les Etats-Unis ont fait, pour leur part, un vrai choix assumé d’incarcération de masse, mais le secteur privé des prisons ne représente que 5 ou 6 % de l’ensemble, soit environ 120 000 détenus sur plus de 2 millions. L’« industrie de la punition » occupe la place qui lui est laissée par l’Etat. Que des fonctionnaires de l’Etat assurent le greffe, la direction et la surveillance apporte une garantie plus
nouvelles prisons : « le trou noir de la pensée » sûre d’« égalité de traitement » pour les détenus que si cela était fait par des entreprises. L’Etat assure ainsi son indépendance dans l’application des décisions de justice. Quels sont les effets de la privatisation partielle sur la vie quotidienne des prisons que vous avez étudiés ? Le premier effet historique, c’est la rencontre entre deux mondes différents, dont les objectifs ne sont pas les mêmes : le privé, qui doit dégager un profit, et la pénitentiaire, préoccupée avant tout de sécurité. Au quotidien, cela se traduit par des micro-affrontements répétés. Dans le domaine du travail, par exemple, les contremaîtres privés, qui ont besoin de souplesse pour les entrées et sorties des marchandises, se heurtent régulièrement à des rigidités bureaucratiques et sécuritaires : tel camion qui met trop de temps à entrer, un chauffeur qui se présente à la porte et est refusé parce qu’il a un casier judiciaire. On trouve aussi quelques effets sur la nature des travaux : les travaux nécessitant des produits susceptibles de trafic (denrées alimentaires par exemple) ou dangereux (objets coupants) sont souvent un peu plus faciles à mettre en place dans des gestions publiques que dans des gestions déléguées. A l’inverse, les entreprises délégataires, qui gèrent plusieurs prisons et font partie d’un grand groupe, peuvent jouer de contacts commerciaux que n’ont pas les concessionnaires, souvent des petites entreprises sous-traitantes. Par ailleurs, dans une gestion déléguée, la présence de deux hiérarchies tend à rigidifier les processus. Les relations entre les personnels dépendent beaucoup du type d’établissement, et du turn-over des équipes : des équipes stables apprennent mieux à travailler ensemble et à cohabiter. Enfin, la présence des partenaires privés a modifié le contenu des métiers pénitentiaires. Certains chefs d’établissement et cadres sont devenus des contrôleurs de gestion, et les surveillants restent cantonnés à des tâches de sécurité au sens strict – les places de contremaître ou d’encadrement sont désormais limitées. Ils ont vu se restreindre leur marge de manœuvre sur la gestion de la vie quotidienne des détenus, un aspect très important du métier, qui s’en trouve appauvri. Pouvez-vous expliquer le principe des « pénalités contractuelles », et ce que vous avez pu observer quant à leur application ? Les contrats avec les prestataires ou partenaires privés mettent à leur charge une obligation de résultat – par exemple en termes de taux d’emploi ou de formation, d’entretien des bâtiments ou de qualité des repas. Si ces résultats ne sont pas atteints, des pénalités financières doivent être en principe versées à l’Etat. Ces pénalités peuvent avoir un effet pervers : les opérations de maintenance les plus urgentes pour le prestataire ne correspondent pas nécessairement aux priorités quotidiennes et immédiates des détenus. C’est pourquoi la définition des contrats et les indicateurs qui y figurent sont cruciaux. Le manque de précision de certains contrats leur
enlève beaucoup de pouvoir contraignant car, en l’absence d’indicateur précis, un chef d’établissement ne peut pas faire valoir que tel ou tel objectif n’est pas atteint. Pour cette raison, de nombreuses demandes de pénalités émanant des établissements ne sont pas suivies d’effet. Par ailleurs, les entreprises privées n’hésitent pas à négocier ou à intenter des recours sur le montant des pénalités. Enfin, c’est aussi un mécanisme pratique pour se renvoyer la balle et tenter d’imputer à l’autre la responsabilité d’éventuels dysfonctionnements. Propos recueillis par Sarah Dindo et Barbara Liaras
51 % des places de prison gérées par un prestataire privé Plus de la moitié des places de détention fonctionnent aujourd’hui sur le mode d’une délégation de service public. Trois types de contrats coexistent : Gestion déléguée : ces marchés autorisés par la loi du 22 juin 1987 consistent à confier à un prestataire privé unique l’entretien et les services à la personne dans les établissements pénitentiaires : nettoyage, restauration des détenus et des personnels (mess), hôtellerie et buanderie, transport, cantine, accueil des familles, formation et travail. Au 1er janvier 2012, 50 établissements pénitentiaires sur 191 fonctionnaient en gestion déléguée. AOT-LOA (Autorisation d’occupation temporaire – Location avec option d’achat) : dans cette formule, l’administration pénitentiaire confie à un opérateur privé non seulement le financement, la conception et la construction des bâtiments, mais également la responsabilité de leur entretien et maintenance. L’AP verse en contrepartie des loyers pendant 30 ans, avant de devenir propriétaire. Les services à la personne sont délégués par un marché distinct. Sept établissements, soit 4 480 places, ont été construits dans le cadre du programme 13 200 places via cette formule. PPP (partenariats public-privé) : une ordonnance du 17 juin 2004 a ouvert la possibilité à l’administration pénitentiaire de passer un contrat de partenariat avec un interlocuteur unique qui assure l’interface avec l’ensemble des acteurs et intervenants du fonctionnement d’un établissement pénitentiaire et prend en charge toute la chaîne depuis la conception jusqu’à l’exploitation. Ce contrat couvre à la fois la conception/construction, le financement de l’établissement, les services « bâtimentaires », ainsi que les services à la personne couverts par la gestion déléguée de la loi du 22 juin 1987. Trois établissements de 2 056 places en totalité, dont le centre de détention de Réau (800 places), le centre pénitentiaire de Lille-Annoeullin (690 places) et la maison d’arrêt et le quartier courtes peines (QCP) de Nantes (570 places), ont été construits selon cette procédure.
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États-Unis :
à qui profite la prison ? L’American Civil Liberties Union (ACLU), une des plus importantes organisations de défense des droits humains aux Etats-Unis, revient, dans un rapport publié en novembre 2011, sur 30 ans d’incarcération de masse et de privatisation de la prison. Ou comment le pays a atteint le taux faramineux de 730 personnes incarcérées pour 100 000 habitants (contre 102 pour la France), prenant sur ce terrain le leadership mondial.
« L’ascension rapide de l’industrie privée de l’incarcération au cours des 30 dernières années est allée main dans la main avec l’augmentation explosive des taux d’incarcération », affirme l’ACLU dans son dernier rapport sur la détention aux EtatsUnis. Entre 1970 et 2005, le nombre de personnes incarcérées a augmenté de 700 %, pour atteindre, fin 2010, environ 2,3 millions de personnes détenues1. « L’emprisonnement d’êtres humains à des niveaux jamais atteints est un échec moral – et économique », estime l’organisation, soulignant que « les niveaux actuels d’emprisonnement portent préjudice au pays dans son ensemble » : selon une étude publiée en 1. http://www.prisonstudies.org/info/worldbrief/ Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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20072, de hauts niveaux d’incarcération déstabilisent les communautés visées et aggravent les problèmes sociaux auxquels ils sont censés répondre, le tout au détriment de la sécurité publique. Contrairement à une idée reçue, la part du privé dans ce secteur reste néanmoins modeste : « Environ 6 % des détenus des Etats sont sous la responsabilité de compagnies privées, de même 16 % des détenus fédéraux. » Il n’en joue pas moins un rôle central dans l’industrialisation de la détention. Pour l’organisation de défense des libertés, les grandes compagnies correctionnelles, brandissant des arguments 2. Todd R. Clear, Imprisoning Communities : How Mass Incarceration Makes Disadvantaged Neighborhoods Worse, Oxford University Press, 2007.
nouvelles prisons : « le trou noir de la pensée »
Privatisation « totale » à l’américaine Deux grandes entreprises dominent le marché des prisons privées aux Etats-Unis, Corrections Corporation of America (CCA) et GEO Group. Moyennant un prix quotidien par détenu, elles proposent aux Etats et au gouvernement fédéral de gérer entièrement les prisons sans intervention publique, depuis la conception et la construction des établissements jusqu’à leur gestion quotidienne, y compris les missions de greffe, surveillance et direction. Il s’agit donc d’une privatisation complète, à la différence de la situation française, où ces missions « régaliennes » restent du ressort de l’Etat.
fallacieux, ont en effet promu des politiques visant à enfermer plus et détourné les Etats de solutions alternatives, pourtant moins coûteuses et plus efficaces à tout point de vue.
De luxueux séminaires pour convaincre les élus Le rapport de novembre 2011 « montre que l’incarcération de masse représente une aubaine considérable pour un groupe d’intérêt bien particulier – l’industrie pénitentiaire privée ». Corrections Corporation of America (CCA) – « la plus importante des entreprises pénitentiaires privées aux Etats-Unis – reconnaît que les lois pénales en vigueur accroissent les profits réalisés par l’entreprise, en gonflant la population carcérale, et qu’à l’inverse, les politiques visant à réduire l’incarcération génèrent un risque financier pour l’entreprise ». L’industrie pénitentiaire use donc de toutes les méthodes possibles afin de maintenir sa place : financement des élus, perméabilité public/privé, maîtrise parfaite de la communication… CCA entretient ainsi des liens étroits avec une association d’élus des différents Etats, l’American Legislative Exchange Council (ALEC), qui s’est notamment illustrée dans la défense des peines minimales automatiques et autres mesures aggravant la répression pénale. Durant de luxueux séminaires réunissant élus et cadres des grandes entreprises, qui versent de généreuses contreparties à l’organisation, l’ALEC propose à ses quelque 2 000 adhérents des modèles de loi « clé en main », que ceuxci se chargent ensuite de faire adopter dans leurs juridictions. Au cours des années 1990, l’ALEC a ainsi soutenu et contribué à l’adoption, dans 27 Etats, de législations conduisant mécaniquement à l’augmentation de la population carcérale (Truth in Sentencing – peine prononcée, peine purgée – et Three Strikes – prononcé d’une longue peine à la troisième réitération, quel que soit le délit). Et le rapport de souligner que plusieurs cadres supérieurs de CCA faisaient partie de l’ALEC, et notamment d’un groupe de travail à l’origine de plus de 85 propositions de textes visant à durcir la répression pénale et à favoriser la privatisation des lieux de détention. Les enjeux économiques sont tels que les pressions exercées par le secteur privé de l’enfermement ne connaissent pas de limites. L’ACLU rappelle ainsi la condamnation d’un juge
de Pennsylvanie ayant accepté près d’un million de dollars des responsables d’un centre de détention pour mineurs en échange de condamnations – un système que le tribunal a qualifié de Kids for Cash, « des enfants pour de l’argent ». Par ailleurs, le manque d’étanchéité entre secteur public et privé peut créer des conflits d’intérêts et contribuer, selon le rapport, « à renforcer la capacité des entreprises d’obtenir des contrats ». L’ACLU cite l’exemple d’un ancien chef d’établissement privé de la compagnie GEO, devenu secrétaire aux Questions pénitentiaires de l’Etat du Nouveau-Mexique. Ou de deux anciens directeurs du Bureau of Prisons fédéral, recrutés dans l’encadrement supérieur de CCA. Ce phénomène peut notamment conduire les institutions chargées du contrôle des prisons privées à « alléger leur vigilance », comme l’illustre le cas d’employés de la Commission pour la jeunesse du Texas, supposés contrôler et évaluer le fonctionnement d’une prison pour mineurs gérée par la compagnie GEO : louant dans leur rapport le personnel de GEO, les évaluateurs avaient octroyé à l’établissement un taux de conformité avec les exigences contractuelles de 97,7 %. Lorsqu’il est apparu que ces personnes travaillaient pour GEO juste avant d’être recrutées par le gouvernement du Texas, une commission indépendante a été envoyée sur place. Elle y a trouvé, entre autres, « des cellules immondes, sentant l’urine et les excréments ; un environnement malsain tant pour le personnel que pour les enfants ; un régime de ségrégation raciale dans les dortoirs »…
Falsification des bilans financiers L’industrie de l’enfermement engage des sommes considérables dans des actions de lobbying et de financement des campagnes électorales, ce qui fait dire à l’ACLU qu’elle « prospère en partie grâce au recours à des stratégies de marketing efficaces, plutôt qu’en proposant des solutions efficaces ». Les effets néfastes de l’incarcération de masse importent peu à cette industrie et les tactiques qu’elle utilise « fragilisent les véritables solutions à la “sur-incarcération” en encourageant des gouvernements en mal de liquidités à se tourner vers la privatisation plutôt que vers de réelles réformes de la justice pénale ». Différentes études remettent également en cause l’assertion selon laquelle le recours à des établissements privés permettrait aux gouvernements de réaliser des économies. Les services d’audit du gouvernement d’Arizona ont ainsi établi qu’un détenu en régime « sécurité moyenne » coûte quotidiennement 55,89 dollars dans une prison privée, contre 48,13 dollars dans un établissement public. Dans le cadre d’un régime « sécurité minimum », les coûts sont de 47,14 dollars dans le privé, contre 46,81 dollars dans le public3. D’autres rapports mettent en évidence une falsification des bilans financiers. Les services d’audit d’Hawaï, dans un rapport de 2010, ont ainsi dénoncé le département de la Sécurité publique de l’Etat, qui « trompait de façon répétée les politiques et le public en faisant des rapports erronés sur 3. State of Arizona, Office of the Auditor General, Report n° 10-08, Department of Corrections-Prison Population Growth, 2010. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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les coûts de l’incarcération ». Le Département a eu recours à une « méthodologie viciée », a « indiqué des coûts artificiels » et a produit « des rapports financiers biaisés » afin de justifier le choix d’envoyer les détenus vers des prisons continentales gérées par CCA plutôt que dans les prisons étatiques sur l’île. « Le danger que pose aujourd’hui l’industrie privée des prisons est que les législateurs, guidés par l’idée hautement discutable que les prisons privées leur permettront de réaliser des économies, se tourneront vers la privatisation pour des raisons financières, plutôt que de réduire les dépenses pénitentiaires en réduisant le nombre de personnes incarcérées ». Ainsi de l’Arizona, qui a « annoncé un projet de contrat pour 5 000 places de prisons supplémentaires ». Les sommes engagées pour l’incarcération d’un nombre croissant d’Américains plombent les budgets gouvernementaux d’une dette croissante et exacerbe la crise fiscale que traversent différents Etats. Certains ont trouvé, dans les entreprises de l’industrie pénitentiaire, un allié précieux pour surmonter ces difficultés : dans un commuer 4 niqué de presse du 1 septembre 2011 , le Département des prisons de l’Ohio annonçait la vente à la CCA de sa plus grande prison, pour 72,7 millions de dollars. Selon le Hufftington Post5, la CCA aurait contacté 48 Etats, début 2012, pour des opérations similaires, moyennant un contrat de gestion sur 20 ans… et la garantie que les prisons concernées resteront pleines à 90 % au moins pendant toute la durée du contrat. 4. http://drc.ohio.gov/Public/press/press414.htm 5. Private Prison Corporation Offers Cash In Exchange For State Prisons, 14 février 2012. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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D’autres Etats ont toutefois engagé une réflexion de toute autre nature. « La pression énorme que le coût des prisons fait peser sur les budgets des Etats, lit-on dans un éditorial du New York Times du 14 juin 2012, a conduit […] des démocrates et des républicains de différents Etats à réclamer une réforme des politiques pénales […]. Pour la première fois de son histoire, le Texas a fermé une prison l’an dernier, après avoir réduit sa population carcérale en imposant des traitements aux toxicomanes n’ayant pas commis de violences, plutôt que de les emprisonner. La Caroline du Sud et le Mississippi ont assoupli les conditions d’éligibilité à la libération conditionnelle. La Caroline du Sud, l’Alabama, l’Arkansas et d’autres Etats ont augmenté le plafond des montants déclenchant une inculpation pour atteinte aux biens. » En 2010, la Californie avait libéré 6 500 détenus pour alléger son budget… avant d’en libérer 40 000 autres l’année suivante, suite à une décision de la Cour suprême estimant que les conditions de surpopulation dans les prisons de cet Etat exposaient les détenus « à de graves violations de la Constitution ». La crise pourrait-elle mettre un terme à l’expansion sans limite de l’industrie de la punition ? Barbara Liaras
nouvelles prisons : « le trou noir de la pensée »
Une prison différente :
mission impossible ? Fortement marqué par ses années de détention, Pierre Botton mobilise entreprises et personnalités pour donner vie à son projet de construction d’une prison axée sur le respect des personnes et la réinsertion par le travail et la formation. Il raconte l’inertie opposée par l’administration pénitentiaire, le pouvoir exercé par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ), et comment semble verrouillé tout renouvellement de l’architecture pénitentiaire française. Pierre Botton a créé en janvier 2010 l’association Les Prisons du cœur pour lutter contre le choc carcéral et la récidive. Son dernier ouvrage, Moi, ancien détenu, bâtisseur de prisons nouvelles, paru chez Pygmalion en avril 2012, raconte la genèse et la mise en œuvre de ses projets.
établissement pénitentiaire différent. Je me suis entouré de personnes qui connaissent bien la prison : des surveillants, des juges de l’application des peines, des médecins, des professionnels de la réinsertion, des associations de victimes… Contrairement à ce qui a été dit, il ne s’agit pas d’un projet privé ou associatif : je n’ai fait qu’apporter des idées et des convictions. Le projet sera pénitentiaire : j’ai proposé un financement sur des fonds publics, avec, comme dans de nombreux autres établissements, certaines missions confiées au secteur privé ou au monde associatif. Où en est-il aujourd’hui ?
Quelle est l’origine de votre projet de prison ? Dix-sept ans après ma sortie de prison, je suis toujours aussi à vif sur l’incarcération. J’ai gardé en mémoire tout ce que j’ai pu y vivre : être dans un parloir et ne pas pouvoir serrer sa femme dans ses bras ; avoir un frigo d’où s’échappent 300 cafards quand on l’ouvre ; quémander sa douche chaque jour ; perdre de l’acuité visuelle dans des cours de promenade minuscules ; avoir mal aux dents et attendre quatre jours pour être soigné, etc. Michèle Alliot-Marie m’avait confié une mission de lutte contre le choc carcéral et la récidive. La ministre m’a invité à aller plus loin, en proposant des idées pour un
En juillet, le cabinet de Mme Taubira a fait savoir que le projet était « validé techniquement », et en attente d’une validation financière et stratégique. A partir de septembre 2011, nous avons eu tous les quinze jours des réunions de travail à la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) avec les différents partenaires. A l’issue de l’une de ces rencontres, le représentant d’un des partenaires me dit : « Monsieur Botton, votre projet n’existe pas, la pénitentiaire vous balade. » J’ai alors demandé à ce qu’il y ait une journée, qui a eu lieu le 9 décembre 2011, pour rencontrer les uns après les autres tous les services concernés de la DAP et valider nos propositions, point par point. Nous avons fait des concessions : je voulais que l’enceinte ne soit faite que d’un grillage, l’Etat-major Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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dossier
Plan 3 D du centre de détention conçu par Les prisons du cœur
de la sécurité (EMS) a exigé qu’il y en ait deux, avec un glacis de 6 mètres entre les deux. Nous avons dû accepter la vidéosurveillance dont nous ne voulions pas, et ainsi de suite. Pourtant, l’ancien sous-directeur de l’EMS disait bien que 85 % des détenus ne partiraient pas si on laissait la porte ouverte. À la fin de cette journée, l’administration pénitentiaire a produit un document reprenant les soixante-dix points validés. Quatre restaient en suspens : le mode de financement ; l’absence d’œilleton aux portes des cellules – je n’ai pas cédé làdessus et l’arbitrage du ministère m’a donné raison ; le téléphone – je voulais que les détenus puissent conserver leur portable ; et les rondes de nuit, dont je ne voulais pas non plus. J’ai dû céder sur ces deux derniers points. Je fais mienne la formule de Bernie Bonvoisin, le leader du groupe de rock Trust : « Le compromis fait partie de l’éthique, la compromission non. » Nous avons été dans le compromis pour que cela aboutisse, et c’est tout ce que je veux maintenant. Pouvez-vous en rappeler les principales caractéristiques, notamment en termes de conception des locaux et de vie quotidienne ? Le premier des principes est que la seule peine doit être la privation de liberté, rien d’autre. Le second est que ce temps de détention ne doit pas désocialiser le détenu et doit au contraire être mis à profit pour essayer de lui faire retrouver l’estime de lui-même. Qu’il comprenne sa peine, qu’il assimile Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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que la délinquance est avant tout une voie sans issue pour sa propre vie et pour celle de ses proches. Les surveillants sont relativement peu nombreux, mais nous prévoyons un tuteur (éducateur) pour quinze détenus. A la moindre difficulté, la personne serait convoquée, non pas pour être sanctionnée, mais pour un entretien avec son tuteur, pour analyser le problème et trouver ensemble une réponse. L’idée est de sortir du rapport de force auquel on est perpétuellement confronté dans une prison ordinaire.
« Dans cette prison, il n’y aura pas d’œilleton aux portes ni de barreaux aux fenêtres des cellules, les détenus devront travailler ou suivre une formation et seront rémunérés au SMIC, la circulation sera libre à l’intérieur du centre et les repas seront pris en commun dans un self. » La vie quotidienne est axée sur le travail et la formation, obligatoires, mais pour lesquels les détenus sont rémunérés au SMIC. Une part de cette rémunération est prélevée pour contribuer au coût de la détention, une autre pour indemniser les victimes et constituer un pécule de sortie. La palette de propositions est large et, grâce aux entreprises partenaires, de
nouvelles prisons : « le trou noir de la pensée »
« Quatre constructions de nouvelles prisons viennent d’être validées sans aucun changement dans le cahier des charges, avec des cellules réduites à 8,5 m², à l’encontre de toutes les règles existantes, avec 1 600 barreaux équipant 600 cellules et des caillebottis réduisant la luminosité de 50 %. » très haut niveau : régisseur son, régisseur lumière, boulanger, pâtissier, métiers du sport et de l’audiovisuel. Un très grand maroquinier a directement intégré notre site de production dans sa chaîne de fabrication. Selon les besoins des personnes, des cours d’alphabétisation, de permis de conduire, de secourisme ou d’informatique seront également disponibles. L’important est d’élaborer un projet pour la sortie, qu’il y ait une vraie continuité entre le dedans et le dehors. En termes d’infrastructures, cela se traduit par une organisation du centre en deux grands pôles : d’une part, les « lieux d’évolution », dont l’accès est réservé aux détenus, à l’administration et aux encadrants. Il s’agit des hébergements, des salles de cours, des salles d’activité et de sport, des espaces de travail ; d’autre part, les « lieux citoyens », qui sont partagés avec les personnes civiles habitant à proximité du centre de détention. On y trouve des commerces (supérette, bureau de tabac, Fnac, etc.), une salle de spectacle et un terrain de sport. Une entrée distincte de celle utilisée par l’administration est réservée aux familles, ce qui évite aux enfants une confrontation directe et trop violente avec le monde pénitentiaire. Afin d’encourager la socialisation, les repas sont pris en commun dans un self. Il n’y a pas de télévision en cellule, seulement dans des salles communes. Les seuls barbelés et grillages sont périmétriques, il n’y a pas de barreaux mais des rideaux aux fenêtres des cellules, qui sont en fait des bungalows indépendants. Il n’y a pas de clé, l’ouverture
des portes des cellules se fait avec les empreintes. Les cellules ne sont fermées qu’à 22 h 30 et la circulation est libre à l’intérieur du centre en journée. Cet établissement s’adressera à « des primo-incarcérés condamnés à de courtes peines de prison ». C’est pour cette catégorie de condamnés que les peines en milieu ouvert sont particulièrement préconisées. Pourquoi concevoir une prison à leur intention ? Je n’ai pas décidé de la catégorie de condamnés concernée, c’est le précédent cabinet qui l’a fait, de même que du nombre de détenus qui pourraient être incarcérés dans cet établissement. Par ailleurs, s’il me paraît essentiel de privilégier les peines en milieu ouvert, il me semble encore plus important que les condamnés bénéficient d’un suivi, s’engagent dans une formation ou un travail. La pénurie de personnel d’insertion et de probation est connue, et les 53 recrutements prévus en 2013 ne vont rien changer. C’est pourquoi nous travaillons également sur un autre projet : un centre de probation où les personnes suivies viendraient pendant la journée se former ou travailler et rentreraient chez elles le soir, pour éviter de rompre les liens familiaux. Vous racontez les difficultés auxquelles vous êtes confronté dans la concrétisation de ce projet. L’administration pénitentiaire centrale a fait son possible pour l’empêcher d’aboutir, plusieurs syndicats de personnels ont exprimé leur opposition. Comment l’expliquez-vous ? Très sincèrement, lorsque je vois certains tracts dans lesquels les détenus sont traités de « racaille », je pense que mon statut d’ancien détenu n’y est pas pour rien. Ensuite, toute innovation suscite des réticences, a fortiori dans un milieu qui ne veut pas s’ouvrir et reste encore maintenant à l’écart du regard des Français. Je regrette profondément que, malgré toutes mes demandes, aucun des syndicats n’ait accepté de me rencontrer sur ce projet de nouvelle prison. J’ai l’impression que c’est un petit monde très opaque, où personne d’extérieur ne doit assister aux négociations. Vous écrivez dans votre livre que l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) a l’art de « rendre compliquées des choses simples ». Pouvez-vous illustrer cette affirmation ?
Centre de détention de Mauzac
Un seul exemple : j’ai connu trois gardes des Sceaux et trois directeurs de l’administration pénitentiaire, qui ont tous accepté de me rencontrer. Depuis trois ans, je sollicite un entretien auprès du directeur de l’Agence pour l’immobilier de la justice. Deux ministères ont soutenu cette demande, je ne l’ai jamais rencontré, je n’ai même pas pu l’avoir au téléphone. Mon expérience prouve que l’on peut discuter avec la pénitentiaire. Les discussions sont très dures, il faut parfois demander l’arbitrage du ministère, mais on avance. À chaque fois que l’on m’a autorisé à discuter avec la pénitentiaire, j’ai Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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dossier obtenu des résultats, pour les détenus, et je crois aussi pour la pénitentiaire. Avec l’APIJ, il n’est pas possible de discuter. Vous avez découvert la chaîne décisionnelle et opérationnelle des programmes pénitentiaires immobiliers : quelles en sont les caractéristiques ? Les deux principaux acteurs sont l’administration pénitentiaire et l’APIJ, qui sont à couteaux tirés, la première estimant avoir une connaissance du terrain que la seconde n’a pas – ce qui n’est pas faux. Concrètement, l’administration pénitentiaire rédige un cahier des charges, puis le transmet à l’APIJ qui établit un « programme » comprenant un volet fonctionnel et un volet technique, puis lance un appel à projets. Quand les problèmes surgissent, chacun se renvoie la balle : l’APIJ affirme avoir appliqué le cahier des charges et la pénitentiaire dénonce les erreurs de son partenaire. Les cinq établissements dont la garde des Sceaux vient de valider la construction illustrent bien ce brouillage : le volet fonctionnel rédigé par l’APIJ consacre plusieurs pages aux « exigences architecturales anti-anxiogènes ». On y lit notamment que « l’un des facteurs de détente est de pouvoir faire évoluer son regard sur des perspectives différentes. Pouvoir regarder sur l’infini sera l’un des objectifs à poursuivre pour la plus grande partie des locaux possible, y compris depuis les cellules. » Mais le volet technique prévoit, lui, que « toutes les ouvertures des zones accessibles aux détenus (fenêtres, lanterneaux, trappes de ventilation, puits de lumière…) » seront barreaudées. Et comme si cela ne suffisait pas, « les fenêtres des cellules dont l’ouverture est possible seront équipées, en complément des barreaudages, de protections par caillebotis. Cette mesure concerne l’ensemble des cellules du quartier d’isolement, du quartier disciplinaire, des locaux où il existe du matériel dangereux et des cellules des quartiers en mode fermé pour hommes. Pour les cellules des quartiers en mode ouvert des hommes, les dispositions constructives seront conçues pour permettre de fixer des caillebotis. » On peine à croire que l’on parle là des mêmes bâtiments. Autre exemple, la végétalisation des sites. C’était une demande du ministère de la Justice, l’APIJ et la pénitentiaire étaient d’accord sur le principe. Les architectes ont donc prévu des plantations d’arbres. Mais la pénitentiaire est intervenue, en alertant sur des risques de pendaison. Parce qu’il fallait malgré tout obéir à la ministre, on a demandé aux architectes de trouver des plantes qui mesurent moins de 20 centimètres et qui puissent se passer d’arrosage. Au cours du processus, l’idée de la ministre – avoir des arbres, comme en Belgique et dans de nombreux autres pays – s’est concrétisée par des bacs ridicules. Car en plus, il n’était pas question d’augmenter d’un centime la ligne budgétaire correspondante du cahier des charges.
Comment expliquez-vous l’absence de renouvellement dans la conception des nouveaux établissements ? L’administration pénitentiaire est prise dans une obsession sécuritaire et accepte mal de voir remis en cause des principes auxquels elle est fermement attachée. La bataille que j’ai dû mener pour qu’il n’y ait pas d’œilletons ou celle que j’ai perdue pour n’avoir qu’un seul grillage d’enceinte en sont l’illustration. Cette obsession se reflète évidemment dans les cahiers des charges. A l’étape suivante, ce sont quasiment toujours les mêmes architectes qui concourent, car ces projets sont extrêmement techniques et contraignants. Une autocensure s’installe dès le départ puisqu’ils savent d’expérience que, si par exemple ils prévoient certaines cellules sans barreaux, leur candidature sera refusée. Au vu de l’énormité des moyens à mettre en œuvre pour répondre à de tels appels à projet, ils ne veulent pas prendre le risque. Imaginons néanmoins que l’un d’entre eux propose quelque chose de différent : l’APIJ, sans contacter la pénitentiaire, éliminera d’office le dossier, sous prétexte qu’il n’est pas conforme au cahier des charges. C’est la réalité des processus qui conduisent Mme Taubira à valider les constructions de Beauvais, Valence, Riom, Orléans et Lutterbach sans aucun changement dans le cahier des charges, en acceptant des cellules réduites à 8,5 m², à l’encontre de toutes les règles existantes, avec 1 600 barreaux équipant 600 cellules et des caillebottis réduisant la luminosité de 50 %. Que de telles décisions soient prises sous ce ministère me déçoit terriblement. Propos recueillis par Marie Crétenot et Barbara Liaras
« Il règne un sentiment de sécurité maximum » Je suis incarcéré au centre pénitentiaire de Mont-deMarsan depuis début 2009. A mon arrivée, n’ayant connu que des maisons d’arrêt vétustes et surpeuplées (j’en suis déjà à sept ans d’enfermement), j’ai été agréablement surpris par le grandiose et la propreté de l’établissement. On m’a attribué une cellule individuelle de bonne taille (12 m²) avec lavabo, douche, W-C, télévision et réfrigérateur. Au cours des semaines suivantes et après avoir apprécié ce « confort », je me suis rendu compte que les lieux manquaient totalement d’humanité. C’est neuf mais c’est froid. Il y règne un sentiment de sécurité maximum. Pour se rendre aux parloirs, qui ont une durée de 45 minutes, il faut passer huit portes commandées électriquement par un poste de contrôle. On va au sport quand on nous le dit, c’est pareil pour les promenades et la bibliothèque. Nous sommes constamment surveillés par des caméras et surtout guidés. On nous infantilise plutôt que de nous laisser la responsabilité de notre comportement. Centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan, personnes détenue, 10 mai 2012
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nouvelles prisons : « le trou noir de la pensée »
Danemark :
« normaliser » le quotidien des condamnés
Les prisons « ouvertes » représentent au Danemark 60 % des places en établissement pour peines. Sans occulter la prégnance de la préoccupation sécuritaire dans les prisons fermées, le chercheur Peter Scharff Smith décrit un régime pénitentiaire fondé sur le principe de « normalisation », visant à rapprocher le plus possible le quotidien carcéral des conditions de vie prévalant à l’extérieur.
Peter Scharff Smith dirige des recherches interdisciplinaires à l’Institut danois pour les droits de l’homme. Il travaille particulièrement sur les usages et les effets de l’isolement en prison, les droits des enfants de personnes détenues, l’histoire de la prison et les idéologies punitives1.
Le principe de normalisation est au cœur de l’exécution des peines au Danemark. Cela signifie que les conditions de vie en prison doivent être les plus proches possibles de celles qui prévalent à l’extérieur. Comment ce principe se traduit-il au cours d’une détention ? Il importe de préciser que la sécurité reste une préoccupation importante des autorités pénitentiaires danoises, et prend parfois le pas sur les autres principes, y compris la normalisation. Par ailleurs, les conditions de détention des prévenus sont très éloignées de celles des condamnés, et restent basées sur un régime cellulaire. Enfin, une partie du parc pénitentiaire est ancien et la configuration des locaux empêche d’y mettre pleinement en pratique le principe de normalisation. 1. Peter Scharff Smith : « A Critical look at Scandinavian Exceptionalism. Welfare State theories, Penal Populism, and Prison Conditions in Denmark and Scandinavia » in Ugelvik, Thomas and Jane Dullum (ed.) Nordic prison practice and policy - exceptional or not?: Exploring penal exceptionalism in the Nordic context, London/New York: Routledge.
Néanmoins, l’une des caractéristiques du système danois est le recours aux prisons dites « ouvertes », qui représentent un tiers des places de l’ensemble du parc pénitentiaire et 60 % de celles réservées aux condamnés. Le régime de détention y est relativement libéral, et permet le maintien des liens avec l’extérieur dans de bonnes conditions. Une autre particularité est le fait que les détenus préparent eux-mêmes leurs repas, dans toutes les prisons, y compris celles de sécurité maximum. Des cuisines équipées sont mises à leur disposition, avec tout le matériel nécessaire, notamment des couteaux – ces derniers étant désormais attachés au mur par un câble d’acier. Une supérette à l’intérieur de la prison permet d’acheter les denrées nécessaires. Tous les détenus condamnés doivent travailler, étudier ou suivre un programme de prise en charge. La durée de la semaine de travail est la même qu’à l’extérieur, soit 37 heures. Ils reçoivent un salaire et une allocation hebdomadaire pour leurs achats alimentaires et de première nécessité. Comment le principe de l’ouverture vers le monde extérieur se concrétise-t-il ? En particulier, quelles sont les modalités d’exercice des liens avec les proches, de communication vers l’extérieur et depuis l’extérieur, de liberté d’expression… ? Il faut bien différencier les maisons d’arrêt – où les conditions de visite et de communication sont mauvaises et très marquées par l’environnement carcéral – les prisons fermées – où Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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dossier Conseil de l’Europe : la « normalisation » au cœur des régimes de détention Trois principes fondamentaux revêtent une importance particulière dans les préconisations du Conseil de l’Europe en matière de régime pénitentiaire. Le premier est celui de l’individualisation, appelant à l’élaboration d’un plan personnalisé de déroulement de la peine pour chaque condamné. Il s’agit d’adapter les activités et tout ce qui peut être proposé au détenu, en tenant compte de facteurs tels que l’âge, les capacités intellectuelles, le niveau d’instruction, l’origine et la situation sociale, la personnalité, la nature et les circonstances de l’infraction, etc. Le second principe est celui de la normalisation, exigeant que la vie en prison soit organisée de manière à être aussi proche que possible des réalités de la vie hors les murs. Le quotidien pénitentiaire tend habituellement à reproduire une série de routines immuables, souligne le Conseil, qui suscitent chez les détenus, surtout si la détention est longue, de la passivité, un sentiment d’impuissance ou une incapacité à exercer des responsabilités. Une bonne mise en œuvre du principe de normalisation permet au détenu de rester en contact avec les valeurs, responsabilités et réalités qui caractérisent la vie quotidienne en milieu libre, facilitant d’autant sa réintégration dans la société. Le principe de normalisation encourage à privilégier un régime « ouvert » de détention permettant une certaine autonomie. Les détenus peuvent disposer de la clé de leur cellule, circuler au sein de l’établissement, accéder à des espaces en plein air… Les commentaires annexés aux Règles pénitentiaires européennes (RPE) invitent ainsi à permettre aux détenus de bénéficier d’activités les « occupant en dehors de leur cellule au moins huit heures par jour », de percevoir « une rémunération conforme
les autorités s’efforcent d’appliquer le principe de normalisation, avec des résultats mitigés – et les prisons ouvertes, où les conditions sont les meilleures. Dans les prisons fermées, les détenus ont droit à une heure de visite hebdomadaire, mais en pratique, cette durée atteint facilement trois, quatre, parfois cinq heures. Les parloirs sont généralement assez satisfaisants, plusieurs prisons prévoient des aménagements particuliers pour les visites des familles. Certains établissements proposent des appartements dans lesquels détenus et familles peuvent passer jusqu’à 48 heures. L’Institut danois pour les droits de l’homme travaille depuis 2005 sur la question des enfants de parents emprisonnés. Grâce à cette collaboration, de nombreux établissements ont considérablement amélioré les conditions de visite afin de les rendre plus accueillantes pour les enfants. Au début de ce projet, presque tous les parloirs que nous avons visités remplissaient seulement leur fonction première, c’est-à-dire un lieu où deux adultes peuvent se rencontrer et avoir des relations sexuelles. Les parloirs d’aujourd’hui, au moins une partie Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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aux salaires pratiqués dans l’ensemble de la société » ou de se voir proposer un « travail conforme aux normes et techniques de travail contemporaines ». De même, concourent à la sécurité et à l’apprentissage de la responsabilité le fait d’autoriser les détenus à discuter collectivement de « questions relatives à leurs conditions » et de « communiquer » à cet égard « avec les autorités pénitentiaires ». Le principe de responsabilité, très lié à la normalisation, vise à donner aux détenus l’occasion d’exercer des responsabilités personnelles dans la vie quotidienne en prison : prendre des décisions et en mesurer les conséquences. Le Conseil de l’Europe juge essentiel que les administrations pénitentiaires créent des situations permettant cet exercice et que le personnel pénitentiaire apporte son soutien aux détenus en les motivant, les conseillant et les guidant. Au Danemark, par exemple, la loi demande aux directeurs de prison d’instituer des mécanismes de « co-détermination », une modalité répandue à l’extérieur qui permet aux détenus (aux employés) ou à leurs représentants de participer à la prise de décision, y compris sur des sujets importants et dès les premières étapes de la discussion. La loi sur l’exécution des peines (Sentences Enforcement Act) exige que des porte-paroles soient élus dans chaque aile d’une prison, à bulletin secret, sous le contrôle de l’institution et des représentants des détenus. Dans le texte d’application, les services pénitentiaires danois précisent que « l’institution doit prendre l’initiative de discussions régulières avec les porte-paroles élus, qui peuvent également initier de telles discussions ». Les élus peuvent se réunir avec les autres détenus ou entre eux afin de préparer les réunions, ils ne peuvent pas être récusés par l’administration.
d’entre eux, sont adaptés aux familles, offrent un accès à des terrains de jeux, disposent de jouets convenant aux différentes tranches d’âge… Des surveillants dédiés aux enfants ont été formés, ils prennent des initiatives et des responsabilités spécifiques, comme d’améliorer les conditions de visite, de photographier le père ou la mère en cellule afin que l’enfant puisse visualiser ses conditions de vie, ou permettre au parent emprisonné d’enregistrer une histoire pour son ou ses enfants, organiser des groupes de discussion thématiques pour les parents détenus, etc. Après une phase expérimentale, il vient d’être décidé d’étendre le dispositif à toutes les prisons du Danemark. Les conditions de visite sont généralement les meilleures dans les prisons ouvertes. A Jyderup, qui a ouvert en 1988, quasiment tous les espaces extérieurs sont accessibles aux visiteurs, de même qu’une petite chapelle, les cuisines où les détenus peuvent préparer un repas avec leur famille, les terrains de sport où ils peuvent jouer avec leurs enfants… Ces derniers peuvent aussi jouer avec les enfants des autres
nouvelles prisons : « le trou noir de la pensée »
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Prison fermée d’Ostjylland, Danemark
« La prison fermée d’Ostjylland comprend un petit supermarché et chaque unité – de six à douze cellules – dispose d’une cuisine équipée et d’une salle à manger. Il arrive que les surveillants prennent leurs repas avec les détenus. » familles en visite. L’ambiance est détendue. Pendant le weekend, les visites peuvent se dérouler de 9 h 30 à 19 h 30, ce qui permet aux familles de passer ensemble un moment aussi « normal » que possible. Dans certaines prisons ouvertes, les détenus ont accès à Internet, à Facebook, au moins quelques heures par semaine. Ils peuvent parfois conserver leur téléphone portable, qui est alors attaché dans la cellule – et n’est donc plus physiquement mobile, mais qu’ils peuvent utiliser pour téléphoner ou envoyer des SMS – ce qui constitue un progrès considérable. Les conversations et les messages peuvent être contrôlés si nécessaire. Dans les prisons fermées, on est dans un système plus classique de cabines téléphoniques, avec ce que cela implique de manque de confidentialité, de temps d’attente, de coût, etc.
Vous écrivez que le recours aux prisons ouvertes au Danemark, après la Seconde Guerre mondiale, résulte plus d’un hasard que d’un processus planifié et pensé. Pouvez-vous décrire ces circonstances, et nous expliquer comment s’est construite une théorie pénologique autour du fonctionnement de ces établissements ? Ce qui apparaît aujourd’hui, c’est que les prisons ouvertes ne résultent pas d’une politique mûrement réfléchie et planifiée, fondée sur des principes égalitaires, mais découle en fait d’incarcérations massives au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : plus de 40 000 personnes, accusées de traîtrise ou de collaboration, ont été emprisonnées. Cette augmentation massive de la population carcérale a contraint les autorités à utiliser des baraquements et des installations temporaires. Quelques prisons ouvertes existaient avant la guerre, mais c’est avec les incarcérations massives d’après-guerre que les autorités ont pris conscience que des prisons pouvaient fonctionner avec un très faible niveau de sécurité et un régime quotidien relativement libéral. De même, la pratique qui consiste à laisser aux détenus le soin de préparer leurs repas remonte aux années 1970 : le directeur d’un nouvel établissement l’avait initiée, il a été très controversé, l’administration centrale s’y était assez fortement opposée. Par la suite, cette initiative s’est avérée si positive qu’elle a été étendue à tous les établissements et qu’elle est aujourd’hui emblématique du système danois. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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dossier « Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, plus de 40 000 personnes ont été emprisonnées dans des baraquements et des installations temporaires. C’est alors que l’on a pris conscience que des prisons pouvaient fonctionner avec un très faible niveau de sécurité et un régime quotidien libéral. »
La dernière prison qui a ouvert au Danemark, à Ostjylland en 2006, et celle prévue pour 2016 sur l’île de Falster sont toutes les deux des prisons fermées. Leur conception a-t-elle été davantage guidée par des préoccupations sécuritaires ou par le principe de normalisation ? Ces deux prisons ont été construites en remplacement de prisons fermées. Le principe de normalisation a sans conteste été un facteur important lorsqu’il a fallu choisir entre les différentes propositions architecturales. La prison d’Ostjylland, située à une vingtaine de kilomètres de la ville d’Horsens, couvre une surface d’environ 65 hectares. L’architecture tend à rappeler la structure d’un village, c’est-à-dire que les bâtiments sont bas, disséminés sur le site, ils laissent beaucoup d’espace disponible et accessible aux détenus à l’intérieur d’un périmètre hautement sécurisé. L’hébergement est
réparti en cinq unités, avec une capacité totale de 228 places. Lorsque le CPT a visité les lieux en février 2008, il y avait 161 détenus, dont cinq femmes hébergées dans une unité séparée, mais qui participaient aux activités et travaillaient avec les hommes. Les cellules sont individuelles, mesurent 12,5 m² et sont entièrement équipées. Les quartiers de détention sont décorés par des plantes, des œuvres d’art et, dans l’ensemble, de gros efforts ont été faits pour atténuer l’ambiance pénitentiaire. Il y a un petit supermarché dans l’enceinte de la prison, chaque unité – de six à douze cellules – dispose d’une cuisine équipée et d’une salle à manger. Il arrive que les surveillants prennent leurs repas avec les détenus. Chaque unité bénéficie également d’une salle informatique, d’un billard, de tables de ping-pong, de jeux de fléchettes et d’une salle de sport, installations auxquelles les détenus ont accès quotidiennement. Il y a aussi une salle culturelle comprenant une bibliothèque, une salle de musique, une église et une salle de prière pour les musulmans. Ces infrastructures ont clairement la normalisation pour objectif. Mais il n’est pas si aisé de faire vivre ce principe et il semble que le succès ne soit pas totalement au rendez-vous. Par exemple, il était prévu qu’un bureau des surveillants très ouvert soit installé dans chaque aile, ce qui aurait favorisé les interactions et un dialogue normal entre détenus et personnels. Pour des raisons de sécurité, ce bureau a été fermé par une vitre, et le résultat obtenu va à l’inverse de celui attendu : les contacts entre surveillants et détenus sont amoindris. Propos recueillis par Barbara Liaras
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Prison fermée d’Ostjylland, Danemark
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en droit Le maintien à l’isolement d’un détenu doit être strictement justifié Dans un jugement du 12 avril 2012, le Tribunal administratif de Versailles a rappelé que la décision de maintenir un détenu à l’isolement doit être strictement justifiée par des raisons de sécurité et qu’il incombe à l’administration de « fournir toutes indications susceptibles de permettre au juge administratif de se prononcer sur le bien-fondé d’une telle mesure ». En l’espèce, M.X., détenu au centre pénitentiaire de Fresnes, attaquait la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris prolongeant son isolement. Une décision fondée sur le fait que le requérant était incarcéré pour avoir dirigé une association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme, qu’il était inscrit au répertoire des détenus particulièrement signalés et qu’il disposait de réseaux susceptibles de l’aider à s’évader. Le Tribunal administratif de Versailles affirme dans un premier temps que « ni la gravité des faits pour lesquels M.X. est détenu ou la nature des infractions qui lui sont reprochés, ni son inscription au registre des détenus particulièrement signalés, ne sauraient justifier, à eux-seuls,
la prolongation du placement du requérant à l’isolement ». L’administration faisait également valoir que M.X. était connu pour s’être déjà évadé d’un établissement pénitentiaire. Or, le Tribunal souligne qu’elle « ne produit aucune pièce établissant la réalité de ces faits qui, au demeurant, remonteraient à treize ans ». L’administration invoquait également la notice individuelle rédigée par le magistrat instructeur faisant état de la nécessité de placer M.X. à l’isolement en raison de son caractère virulent et dangereux. Cependant, relève le Tribunal, cette note rédigée neuf mois plus tôt « ne permet pas d’établir de façon suffisamment probante, en l’absence d’éléments précis venant corroborer les risques allégués d’évasion ou de troubles au sein de l’établissement » que la décision prolongeant le placement à l’isolement était bien justifiée à la date à laquelle elle a été prise. En conséquence, cette décision est regardée comme « entachée d’erreur d’appréciation » par le Tribunal administratif de Versailles qui prononce son annulation.
Liberté conditionnelle accordée pour éviter « un traitement inhumain et dégradant »
Le droit de cantiner des produits alimentaires bio au titre des « achats extérieurs »
Le maintien en détention d’un détenu gravement malade « pourrait être assimilé à un traitement inhumain et dégradant ». Pour ce motif, le Tribunal de l’application des peines (TAP) de Tarbes a fait droit, le 4 avril 2012, à la demande de libération conditionnelle présentée par un détenu gravement malade du centre pénitentiaire de Lannemezan. Les juges ont relevé que si les experts « divergent sur la constatation de l’engagement du pronostic vital, ils sont unanimes sur les perspectives d’aggravation de l’état de santé de D.A. et sur les risques, à terme, d’incompatibilité de l’état de santé du condamné avec le maintien en détention ». Et ajoutent que D.A. « est exposé en permanence à un risque de nouvelle décompensation respiratoire sur état infectieux et de mort ». En invoquant le risque de « traitement inhumain et dégradant », le TAP ouvre une voie inédite en matière de libération des détenus malades. Une formulation qui porte l’empreinte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Dans un arrêt du 4 octobre 2012, la Cour administrative d’appel de Nancy a constaté l’illégalité de la décision refusant à un détenu de la maison centrale d’Ensisheim l’acquisition de produits alimentaires bio au titre des « achats extérieurs ». La possibilité de se procurer des produits non proposés en « cantine ordinaire » est prévue par l’article D.343 du Code de procédure pénale qui précise que « cette faculté s’exerce sous le contrôle du chef de l’établissement et dans les conditions prévues au règlement intérieur » et qu’elle « peut être limitée en cas d’abus ». Or, comme le relève la Cour administrative d’appel, il ressort des termes du règlement intérieur de la maison centrale d’Ensisheim « qu’un détenu peut acquérir des produits d’origine biologique au titre des achats extérieurs et ceci quand bien même des produits analogues figurent au catalogue de la cantine dite ordinaire ». Dès lors, en refusant au requérant « la possibilité d’acheter des denrées alimentaires autres que celles proposées en cantine ordinaire », l’administration a méconnu les termes de l’article D.343 et du règlement intérieur de l’établissement. CAA Nancy, 4 oct. 201, n°11NC00954
© Michel Le Moine
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« Défendre en justice la cause des personnes détenues » Ainsi s’intitule le colloque de l’OIP qui se tiendra au Sénat les 25 et 26 janvier 2013. Retraçant les luttes juridiques dans le champ carcéral, les intervenants reviendront sur dix ans de défense de la dignité et des droits fondamentaux des prisonniers devant les tribunaux. Du point de vue de l’OIP, avec les interventions d’Hugues de Suremain, à l’origine de la mise en place de la « guérilla juridique » de l’Observatoire, ou de Gabriel Mouesca, ancien détenu et ancien président de l’OIP, d’Olivier Vincent qui témoignera de sa pratique de recours pendant sa détention, à celui d’une ancienne responsable au bureau de l’action juridique et du droit pénitentiaire à la Direction de l’AP – Kim Reuflet – en passant par Jean-Yves Montfort, conseiller à la Cour de cassation et membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Plusieurs juristes, tels Martine Herzog-Evans, Eric Péchillon, Anne Gillet ou Virginie Bianchi, interviendront sur les pratiques de défense des détenus, leurs apports et leurs limites. Une table ronde sera consacrée à la défense de la cause des détenus en Grande-Bretagne, en Californie, en Russie et en Amérique du Sud. Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme assurera un bilan du contentieux des détenus devant la CEDH. « Les contentieux de demain », tels celui sur les droits sociaux, seront explorés par Philippe Auvergnon, directeur du centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, Mattias Guyomar, conseiller d’Etat, et Françoise Tulkens, ancienne juge et vice-présidente de la CEDH. En partenariat avec la CNCDH et le CREDOF (Centre de recherche et d’études sur les droits fondamentaux), les actes
du colloque seront publiés à la Documentation française. L’occasion de mettre en débat la réflexion de l’OIP sur l’effectivité des recours disponibles pour les personnes détenues en France et ce qui demeure un « sous-droit » face à l’éternel argument de « l’anormalité » du contexte carcéral. Contact : Nicolas Ferran, responsable juridique de l’OIP
Nouvelle édition du « Droit pénitentiaire »
droit interne, européen ou international) et le droit pénitentiaire français, ainsi que dans de nombreux exemples de droit comparé. L’ensemble ponctué de décisions jurisprudentielles pour la plupart non publiées… hormis dans une revue juridique interne à l’administration. Martine Herzog-Evans, Droit pénitentiaire, Dalloz, 2012.
« La prison est un moyen coûteux de rendre encore pires des gens mauvais ». Cette citation, extraite d’un rapport du ministère de l’Intérieur britannique, ouvre la deuxième édition de l’ouvrage de Martine Herzog-Evans consacré au droit de la prison : ici, l’analyse juridique est toujours critique. Soulignant « les nombreuses insuffisances » d’un droit resté « un droit d’exception », l’auteure aborde dans un premier temps l’ensemble des aspects de la vie en détention : institutions et personnels, règles relatives au placement en détention, à la vie quotidienne, et enfin, à la vie privée et familiale. Suit une partie détaillée, consacrée à l’« ordre interne » et en particulier au droit disciplinaire. Enfin, d’importants développements traitent des procédures de prise de décision par l’administration pénitentiaire, puis des recours éventuels ouverts aux détenus. L’un des intérêts de l’ouvrage réside dans l’aller-retour permanent entre le droit commun (civil, pénal, principes du Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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La procréation assistée ne doit pas palier à « l’infertilité sociale » due à la détention « Il est exclu qu’une demande d’AMP [assistance médicale à la procréation] soit acceptée du seul fait que la détention fait obstacle à la procréation naturelle ». C’est ainsi que dans un rapport d’octobre 2012, l’Académie nationale de médecine se refuse à déroger pour les prisonniers aux deux conditions ouvrant droit à une AMP, telles que posées par les lois de bioéthique révisées en 2011 : une infertilité médicalement prouvée et la persistance
en actes
en actes d’une communauté de vie. Pour l’Académie, « la séparation due à la détention, ‘‘infertilité sociale’’, ne p [eu] t être assimilée à une infertilité médicale ». Et le remède à cette « infertilité sociale » se trouve dans le développement des unités de vie familiale (UVF) et des parloirs familiaux, permettant des relations sexuelles entre une personne détenue et sa/son partenaire. Les académiciens relayent la mise en garde de certaines personnalités auditionnées : « en aucun cas l’AMP ne devrait devenir une ‘‘rustine’’ visant à palier le manque d’UVF », dont la plupart des prisons ne sont pas équipées. Car « si rien ne s’oppose en principe à ce que les couples puissent avoir des relations sexuelles et procréer naturellement quand l’un des deux ou les deux sont détenus, les possibilités pratiques ne sont pas encore très étendues » déplore l’Académie. Soulignant les difficultés matérielles de mise en œuvre d’une AMP dans un contexte pénitentiaire, le rapport conditionne en outre une décision d’autorisation de procréation assistée à des facteurs tels que « le parcours de l’incarcération, la qualité du projet parental et les relations existant entre les futurs parents, leur état de santé physique et psychique, la cause de leur incarcération et leurs antécédents judiciaires ». Des exigences peu conformes à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui s’est prononcée « en faveur de l’AMP, même en l’absence de la preuve médicale d’infertilité, même en l’absence de communauté de vie, dans un arrêt du 18 avril 2006 concernant l’Affaire Dickson c. Royaume-Uni ». Académie nationale de médecine, Rapport « Procréation médicalement assistée en prison », 23 octobre 2012.
Soulager la folie « Le temps est très très lent. Comme du sable mouvant », explique un détenu à sa psychiatre. Face à cet enlisement dans la prison, dans la folie, le film Etre là accompagne les soignants du Service médico-psychologique régional (SMPR) des Baumettes, à Marseille, et fait entendre leurs patients. Alternant prises sur le vif et textes lus, il donne à voir les questionnements taraudant l’exercice du soin en milieu carcéral : « Qu’est-ce que ma présence cautionne ? Je me demande sans arrêt si je ne vais pas partir. Si j’accepte d’être là en prison, j’accepte l’idée de la prison. Ma position n’est pas de lutter contre, c’est de participer à la création d’un espace de soin dans cet endroit. » Il évoque aussi l’usure qui peut guetter les soignants : « quand tu passes une journée sans avoir personne qui se pend, sans personne qui met le feu, sans menaces suicidaires et que tu vois simplement tes patients tranquillement, sans urgences, de 9 heures à 18 heures, tu as l’impression presque d’être en vacances. C’est vrai qu’il y a des périodes d’apaisement, mais globalement, tu sens bien que l’agitation fait que
tu ne repères plus celui qui est persécuté dans le couloir, celui qui est délirant… c’est trop lourd… je n’y arrive plus. » Et aussi leur révolte : « Quartier d’isolement, quartier disciplinaire. Je me demande ce que je fais là, comment je peux voir ça. Et là, au 5e étage du bâtiment D, surgissent devant mes yeux des images des camps de la mort. C’est la première association qui m’envahit : barbarie et totalitarisme. Je lutte contre les images mentales angoissantes. Je reçois régulièrement des prisonniers placés au quartier disciplinaire qui demandent à rencontrer le psychiatre parce qu’ils ne supportent pas. Alors parfois, la tentation est grande de se prendre pour des gentils soignants face à des méchants pénitentiaires ». Contre le doute, contre l’épuisement, une certitude s’impose néanmoins : la nécessité d’« être là ». En prison certes, mais là quand même, car « le soin peut se trouver dans n’importe quel lieu, même le plus hostile ». Etre là, un film de Régis Sauder, sortie nationale le 7 novembre 2012. Programmation disponible sur demande en adressant un courriel à philippe.hague@gmail.com
Usagers de drogues en détention : apprendre des expériences Une majorité des personnes détenues dans les prisons d’Europe connaissent des difficultés liées à la consommation de produits stupéfiants, conjuguées à de problématiques sanitaires et sociales. Alors que les administrations pénitentiaires répondent traditionnellement à l’usage de produits stupéfiants par une approche centrée sur l’abstinence, le projet européen ACCESS (Access to harm reduction and continuity of care for drug users in custody – accès à la réduction des risques et à la continuité des soins pour les utilisateurs de drogues en milieu carcéral) organisait une conférence, les 5 et 6 octobre 2012 à Milan, pour présenter des exemples de nouvelles politiques, recherches et interventions en matière de traitement et réduction des risques en milieu carcéral. Les utilisateurs de drogues, comme l’a montré une enquête menée par le médecin responsable de l’UCSA au centre pénitentiaire de Liancourt, ne s’arrêtent pas de consommer lorsqu’ils sont incarcérés. Pour autant, « reconnaître l’existence de la consommation de drogues en milieu pénitentiaire reste encore un tabou pour beaucoup, pour le personnel pénitentiaire et pour les détenus eux-mêmes. Le manque de continuité des soins en milieu carcéral, entre l’entrée et la sortie de prison, contribue à des échecs thérapeutiques et de réinsertion. Il produit également des risques importants d’overdoses parfois mortelles* ». www.accessproject.eu * Olivier Sannier et al., Réduction des risques et usages de drogues en détention : une stratégie sanitaire déficitaire et inefficiente, Presse Med, 2012
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Robert Cario, professeur de criminologie
Les rencontres détenus-victimes :
humanité et apaisement
En 2010, trois personnes détenues et trois victimes ont participé, au sein de la maison centrale de Poissy, à une session expérimentale de « rencontres détenusvictimes ». Les protagonistes ne se connaissent pas (il ne s’agit pas de condamnés et parties civiles dans la même affaire) mais ils sont réunis au cours de plusieurs séances de 2-3 heures, en tenant compte de la similitude des actes commis par les uns et ceux subis par les autres. Explications de Robert Cario, qui y a participé comme représentant la société civile. Robert Cario1 est professeur de criminologie et codirecteur du master de criminologie (UJP/CRAJ) à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.
Les rencontres détenus-victimes (RDV) ont été présentées comme une manière de « faire justice autrement 2 ». Elles participent de la philosophie de la justice restaurative, laquelle enrichit le processus pénal comme celui de l’application des peines, par des mesures particulières, en totale complémentarité avec les réponses socio-pénales traditionnelles. Inscrite dans un processus dynamique, la justice restaurative suppose la participation volontaire de tou (te) s celles et ceux qui s’estiment concerné(e) s par le conflit de nature criminelle, afin de négocier, par une participation active en la présence et sous le contrôle d’un « tiers justice » et avec l’accompagnement éventuel d’un « tiers psychologique et/ou social », les solutions les 1. Robert Cario a publié récemment Les Rencontres détenus-victimes. L’humanité retrouvée, L’Harmattan, 2012 ; La justice restaurative. Principes et promesses, L’Harmattan, 2ème éd., 2010. 2. T. de Villette, Faire justice autrement. Le défi des rencontres entre détenus et victimes, Médiaspaul, Montréal, 2009. Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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meilleures pour chacun, de nature à conduire, par la responsabilisation des acteurs, à la réparation de tous afin de restaurer, plus globalement, l’harmonie sociale.
Combler les insuffisances de la justice pénale Expérimenté en Angleterre en 1983, ce « face to face de groupes » fut introduit au Canada en 1987 et est mis en œuvre aujourd’hui au Québec, notamment, par le Centre des services de justice réparatrice (CSJR). Une session expérimentale de RDV a eu lieu dans notre pays en 2010, grâce à un partenariat entre l’INAVEM, le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) des Yvelines et la maison centrale de Poissy. Il s’est agi de combler les insuffisances du système de justice contemporain, inflationniste jusqu’à l’enflure (trop de droit tue le droit) mais en même temps non effectif (classement sans suite de huit procès-verbaux sur dix, « politique du résultat » gesticulée), sévère (doublement des temps moyens
tribune d’incarcération dans un contexte de démographie criminelle indiquant pourtant la baisse réelle des faits les plus graves) mais peu efficace (récidive importante ou, si l’on préfère, resocialisation très compromise : la libération conditionnelle, facteur évalué de moindre récidive, n’est prononcée que dans 4 % des cas), et de donner à la victime sa juste place au sein du processus pénal. Retenons cette belle formule de Paul Ricœur prononcée à propos de l’affaire du sang contaminé : « Derrière la clameur de la victime se trouve une souffrance qui crie moins vengeance que récit. » C’est l’objectif même des mesures de justice restaurative, plus spécialement des RDV. Les rencontres détenus-victimes se situent généralement dans le cadre de condamnations à une privation pénale de liberté, mais rien ne les exclut en milieu ouvert. Encadrées par des médiateurs, plus justement dénommés « animateurs », les RDV n’ont pas les mêmes ambitions que les mesures « classiques » de justice restaurative (médiation, conférence du groupe familial, cercles…) car la sanction prononcée est en cours d’exécution, et la victime a été indemnisée des préjudices consécutifs au crime. Il ne s’agit plus de trouver une solution équitable au conflit qui a opposé les protagonistes, mais de leur permettre de prendre réciproquement conscience des conséquences et des répercussions du crime commis/subi. Ce que les uns et les autres viennent chercher en participant à ces rencontres se situe sur un autre registre, plus symbolique mais pour autant susceptible d’être fortement réparateur : la libération des émotions négatives consécutives au crime qui continuent de les submerger, à défaut d’avoir été effectivement prises en compte dans le cadre du procès pénal classique.
Préparer de manière professionnelle condamnés et victimes De telles rencontres post-sentencielles concernent généralement les infractions les plus graves. Elles sont activées selon un protocole qui ne laisse rien à l’improvisation et impose une authentique professionnalisation des intervenant(e)s. Elles ont lieu à la demande des victimes ou des condamnés, ou sur proposition des services les accompagnant. D’une taille comprise entre trois à cinq personnes, ne se connaissant nullement, les deux groupes (victimes et condamnés) sont constitués par les deux animateurs. A leurs côtés, la présence de deux représentants de la communauté est requise, avec le souci d’un réel équilibre entre les genres. Après avoir rappelé les caractéristiques des RDV (leur cadre, leurs contraintes, leurs limites, notamment), ils vérifient quelles sont les motivations de chacun(e). Autant les postures vengeresses, de domination que d’investissement « pour les autres » sont à proscrire, pour le moins à débattre, car ce ne sont pas là les objectifs de la mesure. Ils doivent encore s’assurer des aptitudes psychiques et psychologiques des intéressé(e)s à s’investir dans ce processus humainement très difficile. Ils informent les participants potentiels de la possibilité de quitter à tout moment le processus et leur rappellent qu’en cas de besoin, un
« L’humain s’est imposé immédiatement » Les rencontres détenus-victimes sont notoirement connues comme moment privilégié de la (re)découverte de l’humain chez chacun des protagonistes. Les victimes sont souvent enfermées dans une représentation (protectrice) du monstre, caractérisé par une grande froideur et une forte violence. Les détenus sont persuadés que les victimes sont habitées par une haine vengeresse, entretenue par les associations qui les soutiennent et/ou par leur entourage. Les rencontres organisées à la maison centrale de Poissy n’ont pas échappé à ces représentations. C’est ainsi que, dans la phase préparatoire, certaines victimes ont cru bon d’insister sur leur souhait de ne pas serrer la main des détenus, alors que ces derniers, à leur tour, s’attendaient à rencontrer des victimes vindicatives et intolérantes. Pour répondre à la demande des victimes, consigne fut alors donnée à tous les détenus de ne pas serrer la main des victimes, tout au moins lors de la première rencontre. Pour autant, l’humain s’est imposé immédiatement. L’un des détenus avait simplement oublié (ou ignoré) cette consigne en prenant l’initiative de tendre la main aux victimes, après avoir serré celle des animateurs et représentants de la société civile. En tant qu’animateur, il était fort possible d’intervenir pour le stopper dans son élan. Le choix fut pourtant fait de responsabiliser les victimes, de les laisser réagir d’ellesmêmes face à ce qui pouvait s’apparenter à un raté en raison du non respect du souhait de l’une d’entre elles. Ainsi, la victime la plus opposée s’y est prêtée, en justifiant sa décision d’accepter la main tendue de ce détenu par le fait qu’elle n’avait vu en chacun des détenus qu’un être humain et que c’est à ce titre qu’elle souhaitait échanger avec eux durant toutes les rencontres prévues au programme de cette expérimentation. R. Cario, P. Mbanzoulou, « Les rencontres détenus-victimes à la Maison centrale de Poissy : un retour d’expérience », Lettre du Cirap, ENAP, novembre 2011.
accompagnement psychologique leur sera assuré. Avant de démarrer les séances, les deux animateur(e)s rencontrent ainsi, séparément et le plus souvent à plusieurs reprises, tous les protagonistes. Ces derniers sont également réunis, en groupe distinct cette fois, avant la première rencontre « de groupes » afin de faire connaissance entre eux et avec les représentants de la communauté. Une visite de l’établissement pénitentiaire où se dérouleront les rencontres est judicieusement proposée aux victimes. Les rencontres (d’une durée de deux-trois heures, étalées sur cinq à six semaines) ont lieu dans un second temps, en milieu carcéral le plus souvent, dans une salle garantissant la confidentialité. Chacun doit pouvoir exposer ce que le crime a provoqué en lui/elle, ce qui demeure non résolu et ce que Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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ces rencontres apportent, pourraient apporter, ou sont sur le point d’apporter (ou non) au fur et à mesure de leur déroulement. Chaque session est placée sous la responsabilité des animateurs, spécialement formés à la médiation et rompus aux techniques de gestion de groupe. Quant aux deux représentants de la société civile, ils manifestent par leur présence l’intérêt porté par la société à la réparation la plus complète des répercussions du conflit né de l’infraction, encouragent les participants dans leur implication, promeuvent ainsi la reconstruction du lien social. Le cas échéant, il leur appartiendra aussi de relever les dommages collatéraux subis par la communauté. De la même manière, ils pourront endosser la responsabilité de la communauté de n’avoir pas pu ou su favoriser l’intégration harmonieuse de tous, prévenir l’aggravation des facteurs de risque et, par là même, éviter la cristallisation du conflit en un acte criminel. Il est essentiel de souligner que les animateurs comme les représentants de la communauté, par leur posture bienveillante, se gardent de tout jugement de valeur lors des échanges avec les participants. La circulation de la parole conduit chacun à s’exprimer, à tour de rôle, dans le respect mutuel. L’utilisation d’un « bâton de parole » se révèle utile au cours du temps, la spontanéité de la prise de parole l’emportant souvent sur l’écoute de ce que l’autre exprime. D’une rencontre sur l’autre, il peut être demandé aux participants de partager la représentation qu’ils se font d’eux-mêmes (ou de l’autre) consécutivement aux faits et/ou en cours de processus, ainsi
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« Les participants cherchent la libération des émotions négatives consécutives au crime qui continuent de les submerger, à défaut d’avoir été effectivement prises en compte dans le cadre du procès pénal classique. »
qu’une réflexion ou une action symbolique (texte, objet, dessins…) autour de thématiques en lien avec les attentes et les ambitions des rencontres.
L’évaluation très prometteuse des RDV : humanité et apaisement A partir des recherches évaluatives dorénavant disponibles, il apparaît que les besoins exprimés par les victimes ou les détenus avant les rencontres sont massivement satisfaits. Apaisement des souffrances, compréhension mutuelle, prise de conscience de l’ampleur des torts commis, cheminement personnel vers une plus grande responsabilisation et (re)construction de l’estime de soi sont les bienfaits le plus souvent relevés par les participants3. De tels résultats sont 3. V. Kone, Rapport d’évaluation portant sur le programme Rencontres détenus-victimes du Centre de services de justice réparatrice, année 2007-2008, Montréal, multigraph., 2008.
tribune dus au fait que les participants ont pu verbaliser leurs émotions, les partager avec le groupe, entrevoir l’humanité, mesurer la nature et l’ampleur des souffrances de chacun. Ils se sont vu également offrir la possibilité de reprendre du pouvoir sur leur vie, notamment psychique, en sortant un peu plus de la honte de l’acte (posé ou subi) que rien n’a vraiment dissipée jusqu’alors par défaut de reconnaissance de leur qualité de personne. Ces résultats sont d’autant plus surprenants que le condamné n’échappe pas à la sanction pénale et, en principe, ne tire aucun profit de la rencontre restaurative. Et si la participation à une rencontre n’est pas susceptible de rejaillir directement sur la nature, le quantum ou l’individualisation de sa peine, il a accompli des efforts remarquables, pour lui-même et les victimes, en termes de réparation de souffrances antérieures ou consécutives au crime, de compréhension de l’interdit qu’il a transgressé comme de la sanction qu’il exécute. Quant aux bénéfices restauratifs pour la victime (verbalisation des affects, démystification de l’infracteur, appréciation de la violence du milieu carcéral, notamment), ils sont réels en termes d’apaisement de ses peurs et craintes diffuses à l’égard d’infracteurs potentiels, de situations qu’elle estime criminogènes. Les questions posées comme les réprobations clairement affichées sont de nature à lui permettre de redevenir active dans sa propre vie. La peur du crime, en tant que conséquence d’une expérience criminelle vécue, la crainte d’être à nouveau victimisées diminuent ainsi fortement chez les victimes4. Les RDV ont pu offrir la chance au condamné d’exprimer des regrets, de présenter des excuses symboliques, autant aux victimes présentes qu’à la société représentée. Le processus restauratif est alors susceptible de conduire à la réconciliation et, au-delà, à la consolidation des liens sociaux. De telles postures évitent de maintenir la victime dans des revendications vengeresses assez courantes dans le système classique (par absence réelle de considération dès la commission des faits, par explication insuffisante des modalités procédurales conduisant au jugement de l’infracteur, par incompréhension de la peine prononcée…). Dans le même esprit, les encouragements prodigués par les représentants de la société civile aux condamnés pour qu’ils développent à l’avenir des comportements plus harmonieux, tout comme les regrets exprimés relativement aux vies fracturées de chacun antérieurement ou consécutivement au crime, participent de la reconnaissance des intéressés et de leur potentielle réinsertion sociale. L’investissement personnel dans les RDV est aussi de nature à produire des changements sur la santé psychologique et physique des participants. Une récente recherche semble le confirmer : diminution notable de la colère, de la peur, de la honte ou de la culpabilité, tout comme de la dépression chez les participants ; améliorations sur le plan de la santé physique 4. L.W. Sherman, H . Strang, Restorative justice : the evidence, Smith Institute pub., 2007.
« Apaisement des souffrances, compréhension mutuelle, prise de conscience de l’ampleur des torts commis, cheminement personnel vers une plus grande responsabilisation et (re)construction de l’estime de soi sont les bienfaits le plus souvent relevés par les participants. » des intéressés ayant pour effet de réduire les problèmes de sommeil, de consommation de produits toxiques ou médicamenteux notamment5. Pour finir et ce n’est pas le moins important, le taux de récidive apparaît beaucoup moins élevé chez les condamnés ayant participé à un processus restauratif. Cependant, les difficultés sociales et, surtout, les perturbations psychologiques de la victime, comme du condamné, ne sont pas pour autant réglées par cette seule possibilité de rencontre. Aussi, un accompagnement psychologique et social, parallèlement à la mise en œuvre des RDV, doit être disponible aux participants. Les promesses de la justice restaurative sont réelles, quelles que soient les mesures mises en œuvre, à quelque stade que ce soit du procès pénal. Les RDV pourraient, le cas échéant, comme les participants en font souvent la demande à l’issue d’une session, déboucher sur des rencontres directes entre le condamné et la victime (ou ses proches) d’une même affaire. Mais il s’agit d’un autre protocole, d’une autre expérience plus délicate à mettre en œuvre6. Quoiqu’il en soit, l’expérience de Poissy doit être institutionnalisée. Il suffit d’une volonté politique forte… s’appuyant sur les piliers de la justice restaurative déjà présents, depuis 1975, dans notre Code pénal en matière de dispense de peine ou de mesure (pour les mineurs), de suspension du prononcé de la peine ou de la mesure et, depuis 1993, dans notre code de procédure pénale (médiation pénale et réparation pénale à l’égard des mineurs). L’œuvre de justice suppose en effet, cumulativement, que l’infracteur soit resocialisé à l’issue de sa condamnation ; la victime réparée (le plus globalement possible), la paix sociale rétablie, au plus près des personnes impliquées. Robert Cario
5. T. Rugge, T.L. Scott, Incidence de la justice réparatrice sur la santé psychologique et physique des participants, Recherche correctionnelle : rapport pour spécialistes, Sécurité publique du Canada, multigraph., Ottawa, 2009 ; T. de Villette, op. cit. 6. T. Rugge, R. Cormier, “Restorative justice in cases of serious crimes : an evaluation (2005)”, In E. Elliott, R.M. Gordon, New directions in Restorative justice, Willan Publishing, 2005; V. Strimelle, La justice restaurative : une innovation du pénal ? 2007, [en ligne] champpenal.revues.org Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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« Ne me dites pas que vous pensez que les téléphones entrent par les parloirs ! » Personne détenue, centre pénitentiaire, octobre 2012 Cela fait plus de vingt ans que je fais de la prison, et je peux vous garantir qu’il y a deux choses qui font très peur aux détenus faisant du trafic de stupéfiants : ce sont les chiens lorsque la gendarmerie fait des contrôles surprise au parloir et les fouilles ERIS [Equipes régionales d’intervention et de sécurité], parce que là aussi, il y a des chiens spécialisés. Tout le reste ne fait nullement peur, parce qu’ils ont toujours en grande partie des mules pour le passage. La vraie question qu’il faut se poser est de savoir si l’administration veut vraiment supprimer les stupéfiants en détention, parce qu’il est évident qu’elle préfère que les détenus soient dans un état « calme » pour mieux pouvoir gérer la population pénale. Si aujourd’hui plus aucune drogue n’arrivait en prison, alors une grande majorité des détenus seraient survoltés et causeraient des mutineries et autres. Pour ce qui concerne les téléphones en prison… ne me dites pas que vous pensez vraiment qu’ils entrent par les parloirs ! Ce serait alors ne vraiment pas
connaître les méthodes des prisons. Les 99 % des téléphones portables qui entrent en détention arrivent par le terrain de sport, toujours très proche d’un mur d’enceinte. Il est donc très facile de faire des « missiles » (envoi d’objets bien emballés) lorsque la personne est sur le terrain de sport et de les remonter sans crainte puisqu’il n’y a aucun portique de sécurité tout au long du parcours pour retourner en cellule. Les prix pratiqués dans les cabines téléphoniques sont vraiment du racket pur et simple. Si on veut rester en contact avec sa famille, cela coûte au minimum 40 € mensuels. 95 % de ceux qui ont un téléphone illicite en prison ne font que téléphoner à la famille longuement le soir ou à leur copine pour une somme beaucoup moins importante que par les cabines, puisqu’un abonnement en illimité le soir ne coûte que 24,90 €, et que pour avoir la même chose dans les cabines, il faudrait dépenser trois fois plus : on doit payer 2,25 € pour un appel local de 20 minutes, qui ne vaut que 0,30 € à l’extérieur.
© Jack Guez/AFP
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lettres ouvertes
lettres ouvertes « En terminer avec cette situation humiliante » Personne détenue, centre pénitentiaire, juillet 2012 Au cours de la fouille, après le parloir avec mes parents, j’ai baissé mon caleçon, le surveillant a pu constater qu’il n’y avait rien. Pourtant, pendant que j’insistais pour en terminer avec cette situation humiliante, il a insisté pour demander le caleçon. Finalement, j’ai glissé le caleçon avec un mouvement des jambes et je l’ai laissé au sol. Le surveillant a commencé à hausser le ton, en exigeant de le lui donner à la main, parce qu’il n’était pas un chien pour le ramasser. Je lui ai répondu que l’humiliation était de rester tout nu et en plus de faire son boulot. Il a appelé le premier surveillant, qui m’a demandé si j’avais un problème et si j’avais refusé la fouille, alors que j’étais tout nu. Je lui ai répondu que ce n’était pas le cas et que je n’avais aucun problème. Il s’est planté devant moi en disant que si je ne le lui donnais pas à la main, il le fouillerait avec les pieds. Sans me laisser le temps de réaliser si j’avais bien compris, il a piétiné le caleçon avec acharnement, comme s’il nettoyait ses bottes.
« Vous n’êtes pas au Hilton » Personne détenue, maison d’arrêt, 26 juillet 2012 Je suis détenu à la maison d’arrêt de S. et je souhaite dénoncer les conditions inhumaines de détention : pour chaque mouvement, on passe par des salles dites « d’attente », qui sont toutes insalubres, on y trouve du vomi, du sang, des crachats et même parfois des excréments ; on nous fait très régulièrement changer de cellule sans motif et surtout, nous sommes trois individus dans une cellule prévue pour une personne (9 m²) ; pour ma part je suis non fumeur et on m’a toujours placé avec des fumeurs malgré mes protestations ; nous subissons des agressions verbales, insultes et humiliations. Un exemple : le surveillant d’étage est entré dans la cellule et a plaqué le matelas du troisième détenu au sol en criant « qu’est ce que c’est que ce bordel ? ». Je lui ai répondu que la cellule était prévue pour une et non pas trois personnes, et que s’il n’était pas satisfait de l’ordre, il pouvait faire un rapport. Il est devenu fou de rage et a crié « vous n’êtes que des grosses merdes, vous n’êtes pas au Hilton, il ne fallait pas faire de conneries dehors ».
« Je vous vois mourir en prison » Personne détenue, maison centrale, octobre 2012 e
Depuis le 20 septembre 2012, j’ai entamé ma 29 année de détention effective. J’ai tout accepté, je suis allé deux fois au CNE avec un très bon dossier. Je suis passé devant les juges de sûreté, leur rapport a été transmis, ils ne s’opposent pas à ma sortie. Depuis 2000, je pose une demande de conditionnelle tous les ans, c’est refus sur refus ! On me propose un transfert pour une autre prison où j’aurai tout à recommencer. Mon
travailleur social lui-même s’oppose à ma sortie, je le cite : « je vous vois mourir en prison ». Je suis marié, j’ai un appartement, mon épouse souhaite mon retour, elle est âgée, 66 ans, elle a besoin de moi. Même une sortie avec un bracelet me conviendrait. […] Je subis une mort lente, dans quelques mois je vais être le plus vieux détenu de France ! Je peux vous faire parvenir mon dossier si vous le souhaitez. Je n’ai pas tué, pas touché à des enfants.
© Félix Ledru
Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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La revue Dedans dehors
rapport 2011 : les conditions de détention en France OIP/ La Découverte, 336 p., 28 (frais de port inclus)
Dedans dehors n°76
Bulletin à renvoyer à OIP, section française, 7 bis, rue Riquet 75019 Paris
66 n° 39 « les prisons françaises en 2003 une descente aux enfers » 66 n° 40 « dix ans après la réforme : la santé toujours incarcérée » 66 n° 41 « loi Perben 2 : vers un raz-de-marée carcéral ? » 66 n° 42 « les dix ans du code pénal : le grand enfermement » 66 n° 44 « droits dedans : pour la reconnaissance des droits des détenus » 66 n° 45 « prison : quelle réforme vaut la peine ? » 66 n° 46 « vieillir et mourir en prison » (épuisé) 66 n° 47 « prison : peine du pauvre, pauvre peine » 66 n° 48 « récidive, récidivistes : ne pas se tromper de débat » 66 n° 49 « sécurité renforcée en prison : la fabrique de violences » 66 n° 50 « le rapport Burgelin : le risque de peines de folie » 66 n° 51 « sida en prison : prévenir la maladie, libérer les malades » 66 n° 52 « étrangers en prison : aux confins de l’absurde » 66 n° 54 « politiques pénale et pénitentiaire : l’Europe en éclaireur » 66 n° 56 « réforme de la détention provisoire : l’occasion gâchée » 66 n° 58/59 « états généraux de la condition pénitentiaire » 66 n° 60 « les alternatives sortent de l’ombre » 66 n° 61 « contrôle extérieur : l’heure du choix » 66 n° 62 « peines minimales, danger maximal » 66 n° 63 « régimes de détention différenciés - l’envers du décor » 66 n° 64 « rétention de sureté et irresponsabilité pénale » 66 n° 65 « la France a rendez-vous avec ses prisons » 66 n° 66 « saisir la réalité de ces lieux secrets » 66 n° 67-68 « Le législateur face à la loi pénitentiaire : l’humiliation pour de la République » 66 n° 69 « Pour que cesse la « honte » Des prisons sans peine, des peines sans prison » 66 n° 70-71 « Prison : le recul de l’histoire » 66 n° 72-73 « C’est l’heure » 66 n° 74-75 « Politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois » 66 n° 76 « Prévention de la récidive : le retard français » (épuisé) 66 n° 77-78 « Nouvelles prisons : le trou noir de la pensée » 66 la série 2001 (du 23 au 28) 66 la série 2002 (du 29 au 34) 66 la série 2003 (du 35 au 40) 66 la série 2004 (du 41 au 46) 66 la série 2005 (du 47 au 52) 66 la série 2006 (du 53 au 58-59) 66 la série 2007 (du 58-59 au 63)
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L’OIP en région Les coordinations inter-régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires des régions concernées en lien avec les groupes et correspondants locaux présents. Pour contacter les coordinations inter-régionales : Régions Ile-de-France, Guyane, Guadeloupe, Martinique, Nouvelle-Calédonie, Polynésie François Bès 7 bis, rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 95 fax : 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org
Régions Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie Anne Chereul 19 place Sébastopol 59000 Lille 09 61 49 73 43 06 63 52 10 10 fax : 03 28 52 34 13 anne.chereul@oip.org
Régions Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes Barbara Liaras 37, rue Gambetta 86000 Poitiers 09 75 46 16 96 06 22 90 27 60 barbara.liaras@oip.org
Régions Rhône-Alpes, Auvergne Céline Reimeringer 57, rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 06 50 73 29 04 fax : 09 55 92 00 34 celine.reimeringer@oip.org
Pour les cinq inter-régions où l’OIP n’a pas encore implanté de coordination, les groupes et correspondants locaux assurent l’observation et l’alerte de la (les) prison(s) présente(s) dans leur ville en lien avec le secrétariat national. Pour les contacter vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90 Aix-en-Provence, Avignon, Bayonne, Laon, Marseille, Metz, Nancy, Nîmes, Toulon, Toulouse (Seysses).
Qu’est-ce que l’OIP ? Considérant que l’emprisonnement est une atteinte à la dignité de la personne, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), juridiquement créée en janvier 1996, agit pour la défense des droits fondamentaux et des libertés individuelles des personnes détenues. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; favorise la diminution du nombre de personnes détenues, la limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales et de groupes locaux en charge de l’observation d’un lieu de détention et composés exclusivement de membres de l’OIP.
Nouvelle édition du
Guide du prisonnier ! La quatrième édition du Guide du prisonnier, après 8 années pendant lesquelles il n’a cessé d’être utilisé, intervient dans une période d’alternance politique marquée par le souhait affirmé de réduction de la surpopulation pénale, d’amélioration du respect des droits des détenus et de leurs conditions de vie. « Les prisons sont pleines, mais vides de sens », affirme la garde des Sceaux Christiane Taubira. Elles le sont, notamment quand elles sont le lieu d’atteintes ou d’entorses aux droits fondamentaux de la personne.
Définie par la loi et ses règlements, la prison est aussi régie par des pratiques et des procédures locales parfois difficiles à connaître, donc à évaluer pour les faire respecter et parfois en interroger la légitimité. Le Guide du prisonnier permet de mieux se repérer dans cette complexité. Il décrit le plus précisément possible l’état du droit et de son application au quotidien. En permettant de voir ce qui devrait changer, il a aussi une fonction de lutte pour accélérer l’entrée inéluctable en prison des valeurs et des transformations de la société du dehors. Tâche difficile car elles sont terriblement filtrées, ralenties, parfois détournées par la culture de pragmatisme routinier de l’institution carcérale et par le scepticisme fier de ceux qui en ont la charge au-dedans. Moderniser ne va pas non plus sans problèmes nouveaux. Si beaucoup d’anciennes prisons sont ou vont être remplacées par des bâtiments, des cellules, des « conditions d’hôtellerie » plus modernes et hygiéniques, le malaise persistant et parfois accru des personnels et des détenus doit être analysé sans cesse pour nous obliger à remettre sur le métier la critique de cette institution devenue le mètre étalon de la punition des sociétés laïques. Contacts impersonnels par interphones, caméras, télésurveillances vont de pair avec l’arrivée de l’eau chaude et de douches individuelles dans certaines cellules. Si la modernisation est souhaitable, il faut refuser qu’elle soit payée trop cher en souffrances psychiques nouvelles quand elle réduit encore plus ce qui fait lien social et ce Dedans Dehors N°77-78 Septembre-Novembre 2012
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qui humanise. Cela serait aller de mal en pire après le temps des vieux murs crasseux que nous voulons bannir. Le droit, les droits des détenus, sont ceux qui permettent et aident à vivre, à survivre, dans ce passage punitif d’un temps de vie contraint par la sanction pénale avant le retour dans le monde ordinaire. Mais c’est aussi par le cadre, la signification et la dynamique qu’ils induisent, l’espace de respect mutuel et d’apprentissage qui dit l’envie et la possibilité après le retour dans la société ordinaire d’y vivre avec les autres hors des champs multiples de la transgression. Les avancées et exigences supranationales de la loi nationale sont parfois en avance sur l’opinion publique et celle des professionnels. « L’administration pénitentiaire garantit a toute personne détenue le respect de sa dignite et de ses droits », affirme ainsi l’article 22 de la loi pénitentiaire adoptée en 2009. Il faut donc se battre pourque les avancées des droits des détenus ne restent pas des énoncés démocratiques et un alibi humanitaire n’existant que dans les écrits du législateur. Respecter réellement les droits tels qu’ils sont et sans contournements, c’est l’intérêt des détenus et de leurs familles, mais c’est aussi l’intérêt de toute la société. Comme pour tous ceux qui sont dépendants et isolés dans une institution fermée, le respect des règles les concernant est mieux garanti quand ils les connaissent et encore plus quand cette connaissance est partagée avec ceux qui les encadrent. C’est bien la finalité de cet ouvrage édité par l’équipe de l’OIP : apporter les connaissances qui protègent et font avancer les droits. Préface d’Antoine Lazarus, président de l’OIP-section française
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Le Guide du prisonnier 2012 Un outil pour défendre et faire avancer les droits. Aidez-nous à le diffuser le plus largement possible dedans et dehors. Observatoire international des prisons section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tél. 01 44 52 87 90 fax 01 44 52 88 09 contact@oip.org http://www.oip.org Association loi 1901 à but non lucratif SIRET 40766804500054 Code APE 9499Z
La quatrième édition du Guide du prisonnier paraît le 1 er décembre 2012. Entièrement revisitée et enrichie, elle intègre l’ensemble des textes adoptés et changements survenus depuis 2004. Destiné aux personnes incarcérées, à leurs proches, aux professions judiciaires, aux intervenants en milieu carcéral et à tout citoyen s’interrogeant sur les droits du prisonnier, ce livre accompagne par un jeu de 873 questionsréponses l’intégralité du parcours d’un détenu, du premier au dernier jour de prison. Les différentes étapes – entrer en prison, vivre en prison, faire respecter ses droits, préparer sa sortie – sont abordées successivement et donnent lieu à une explication claire de la règle de droit, confrontée à son application au quotidien et illustrée par des témoignages, analyses et articles de presse. Depuis sa création, l’OIP met un point d’honneur à mettre gracieusement à la disposition des personnes détenues l’ensemble de ses publications. Comme chaque année, à l’occasion du 10 décembre, journée mondiale des droits de l’Homme, des exemplaires seront envoyés ou déposés dans les bibliothèques des prisons afin que chaque personne incarcérée puisse y avoir accès. Un exemplaire sera envoyé gracieusement à tous les détenus qui en feront la demande. Dès à présent, aidez-nous à diffuser la nouvelle édition du Guide du prisonnier le plus largement possible en le commandant personnellement ou en soutenant sa diffusion gracieuse aux personnes détenues. Merci de votre soutien.
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