Radicalisation en prison : une question prise à l’envers ? Krapitouk, l’autre voix des surveillants Enquête : Difficile accès aux permissions de sortir
Mineurs détenus :
la justice des enfants peine à résister au vent répressif
Observatoire international des prisons Section française
7,50 € N°87 AVRIL 2015
EDITORIAL
Réhumaniser C’est une conversation entre Barack Obama et l’auteur de la série The Wire. Une vidéo postée sur le site de la Maison-Blanche. Le président a souhaité échanger avec David Simon sur l’incarcération de masse aux Etats-Unis. Simon précise que l’on incarcère pour des durées de plus en plus longues, pour des faits moins graves : la proportion de condamnés pour des violences dans les prisons fédérales est passée de 34 à 7 % en treize ans. Et Obama de pointer l’effet contre-productif de cette politique : « Les détenus coûtent très cher à l’Etat, alors qu’ils deviennent souvent de pires criminels une fois en prison. Ils sortent, ne trouvent pas de travail et finissent de nouveau en prison. » Simon renchérit : « Ils sortent complètement grillés. Ils ne peuvent pas voter. Ils ne peuvent pas prendre part à la communauté. » Obama aborde le défi de convaincre le grand public. Ce discours n’est « pas populaire parce que personne ne veut trouver d’excuses aux criminels ». Dans le propos du président, l’argument de la « ruine fiscale » pour une politique d’incarcération « qui ne marche pas » revient plusieurs fois. Il faut dire que nous dépensons « plus pour emprisonner ces jeunes que cela nous coûterait si on les envoyait à l’école et même à l’université ». Deuxième argument pour convaincre : « Réhumaniser ceux qui sont présentés dans les médias comme des rebuts de la société » en racontant « leurs histoires ». Un air d’Ils sont nous se jouerait-il outre-Atlantique ? Philippe Claudel, l’un des auteurs de Passés par la case prison poursuit la campagne de l’OIP dans Nous sommes Charlie, un recueil de textes post-attentats. « J’ai lu et entendu qu’ils étaient des monstres. Leurs actes sont monstreux (…). Mais ils ont été commis par des hommes qui sont nés et ont grandi dans une société qui est la nôtre, (…) leur nature profonde n’était pas différente de la nôtre, l’école qu’ils ont fréquentée était la nôtre, ils ont grandi sous des présidences que nous avons connues »… « En quelque sorte, ils sont nous, et nous sommes eux. » Une approche à rebrousse-poil du besoin d’exclure, de réprimer par la force « légitime », de parquer dans des unités pénitentiaires pour radicaux… Non par naïveté, mais pour agir sur les causes profondes, au lieu de lancer des flammes dignes d’un Patriot Act, carbonisant chaque jour un peu plus les libertés et le vivre ensemble. Sarah Dindo N°87 Avril 2015
Sommaire 1 Actu – Radicalisation en prison : une question prise à l’envers ? – Krapitouk, l’autre voix des surveillants – Interview Christian Mouhanna : « La complexité du changement en milieu carcéral » – Enquête : Difficile accès aux permissions de sortir – Il voulait mourir en prison 16 De facto – Parloirs de Fresnes : le ministère réticent à appliquer ses propres directives – Un couple sanctionné pour un câlin au parloir à Vivonne – Privée de permis de visite à Villefranche, pour un joint fumé cinq ans plus tôt – Trois suicides en quinze jours à Gradignan – Le Défenseur des droits demande la révision du dispositif de contrainte durant les extractions médicales – Enseignement à distance : Auxilia en péril 20 Dossier Mineurs détenus : la justice des enfants peine à résister au vent répressif Avec Laurence Bellon, juge des enfants ; Philip Milburn, sociologue ; Morgan et Sam, anciens détenus ; Myriam et Nathalie, éducatrices en prison pour mineurs ; Jose Luis de la Cuesta, Institut basque de criminologie Zooms sur le quartier mineurs de Fleury-Mérogis et sur l’EPM de Meyzieu 53 De facto Infractions disciplinaires : le Défenseur des droits demande la preuve par l’image 54 En droit Trois pays sanctionnés par la Cour européenne des droits de l’homme pour l’indignité de leurs prisons ; Un détenu handicapé fait condamner la France ; Le Conseil d’État annule le refus du directeur de Fleury de fermer le quartier disciplinaire des femmes ; « Un chien est mieux logé qu’un détenu à St-Brieuc » 57 « Ils sont nous » Avec Marie, dont le fils est incarcéré depuis dix ans 61 Lettres ouvertes « La boite à lettres doit être un broyeur à papier » ; « Je me suis réveillé de l’anesthésie les deux mains menottées au lit » 62 Tribune Troubles psychiatriques en prison : casser la spirale (Médecins du monde)
DEDANS DEHORS publication trimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directeur de la publication : Antoine Lazarus Rédaction en chef : Sarah Dindo, Barbara Liaras Rédaction : François Bès Marie Crétenot Clémentine Danet Nicolas Ferran Amid Khallouf Delphine Payen-Fourment Transcriptions : Alice Benveniste Amélie de Colnet Claire Dimier-Vallet Anaïs Duraffourg Mireille Jaegle Anna Komodromou Laurent Mabille Olivia Moulin Michèle Vital-Durand Secrétariat de rédaction : Marianne Bliman Identité graphique : MG., L.D. < dlaranjeira@caramail.com > Maquette : Claude Cardot/Vélo © Photos, remerciements à : Sébastien Erôme, Corentin Fohlen Bernard Le Bars, Félix Ledru, Michel Le Moine, Georges Mérillon, JeanPierre Rey, Vincent Nguyen, CGLPL, Cyril Sollier Et aux agences : Divergence, Riva Press, Signatures. Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture : © Jean-Pierre Rey/Divergence
© Georges Mérillon/Divergence
ACTU
Prière des détenus avec l’aumônier musulman dans la salle cultuelle, maison d’arrêt d’Osny, janvier 2015
Radicalisation en prison : une question prise à l’envers ?
Les annonces précipitées pour lutter contre la radicalisation islamiste ont tout des réponses simplistes et contreproductives avancées en matière de sécurité publique. Elles omettent aussi d’interroger l’emprisonnement comme facteur aggravant des exclusions sociales et des phénomènes de violence en général. L’administration pénitentiaire tente désormais de donner un contenu à l’option du regroupement des détenus « radicalisés » sur la base de l’expérience de Fresnes indûment érigée en modèle.
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ne fois encore, le Premier ministre a fait de la commu-
nication, en annonçant, seulement quatre jours après les actes terroristes des 7 au 9 janvier, des mesures destinées à lutter contre le radicalisme islamiste.
Unités de détention pour « radicaux » Cinq quartiers spécifiques pour des « détenus considérés comme radicalisés » seront créés avant la fin de l’année « sur la base de l’expérience menée à la prison de Fresnes », a annoncé Manuel Valls le 13 janvier 1. La base en question s’avère pourtant chancelante, « pas un modèle à suivre » conclut un rapport de l’Inspection des services pénitentiaires (ISP) 2. Le chercheur Farhad Khosrokhavar avait déjà pointé les effets pervers de la surveillance spéciale des islamistes par l’administration pénitentiaire. Elle peut « provoquer, en retour, ce que l’on appelle la prophétie auto-réalisatrice, le soupçon de radicalisme pouvant finir par pousser certains dans cette voie. A un moment donné, certains d’entre eux peuvent trouver dans ce soupçon à leur endroit la preuve du caractère anti-islamique de la société, y 1 AFP, dépêches des 13 et 21 janvier. 2 Inspection des services pénitentiaires, Rapport relatif à l’expérimentation du regroupement de personnes détenues poursuivies pour des infractions de terrorisme en lien avec la pratique d’un islam radical au sein de la maison d’arrêt des hommes de Fresnes, 27/01/2015. Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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© Michel Le Moine
Prière en cellule, centre de détention de Loos, octobre 2004
trouvant une raison de déclarer la violence comme seul moyen légitime d’y riposter. 3 » Pourquoi le directeur de Fresnes a-til dès lors décidé qu’il fallait non plus seulement assurer une surveillance spéciale, mais en sus regrouper les détenus suspectés ? La réponse à cette question ne figure « dans aucun document de l’établissement », souligne le rapport d’inspection. Et d’ajouter : « A la logique d’éparpillement qui était la règle jusque-là, s’est substituée une logique de regroupement, sans qu’une analyse particulière de type avantages/inconvénients/bénéfices attendus/faisabilité n’ait été réellement menée et justifie cette nouvelle approche. » Devant l’Assemblée nationale, Christiane Taubira a répondu le 24 mars à une question sur les critiques de l’ISP. Elle reconnaît les limites de l’expérimentation de Fresnes, mais affirme ensuite : « Le rapport montre surtout que le niveau de tension a baissé dans l’établissement. » En réalité, l’Inspection indique, sur la base d’échanges avec plusieurs interlocuteurs, que la « réorganisation des affectations semble bénéfique à l’ambiance » au sein de la prison. Mais elle ajoute aussitôt : « Toutefois, faute d’un dispositif d’évaluation et d’indicateurs, il est impossible d’évaluer objectivement l’influence de la création de l’unité de prévention du prosélytisme sur le climat en détention. » Des crédits réorientés Autre annonce du Gouvernement : le renforcement du Renseignement pénitentiaire. Structuré en trois niveaux (administration centrale, directions interrégionales, réseau de personnels dans les établissements), il compte « environ 70 équivalents temps plein », indique le responsable de l’état-major de
3 Le fait religieux en prison : configurations, apports, risques, Actes des journées d’études des 28-29 oct. 2013, Travaux et documents n°83, DAP, nov. 2014.
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la sécurité 4. Et d’ajouter : « Nous allons en quelques mois doubler cet effectif. » Au total, le plan de lutte contre la radicalisation prévoit 483 créations d’emplois pénitentiaires en trois ans et des crédits à hauteur de 80 millions d’euros. Sans minimiser le phénomène, l’on peut tout de même s’interroger sur l’ampleur des moyens dégagés. D’autant que ces investissements devront bien entendu être compensés « par des économies sur l’ensemble du champ de la dépense publique », a précisé le Premier ministre. Le public visé au départ représente 172 personnes incarcérées pour des faits liés à l’islam radical 5 (quand la France compte 66 270 détenus au 1er janvier 2015). Notons au passage que 145 d’entre eux (84 %) sont en détention provisoire, donc non condamnés définitivement, soit présumés innocents. En outre, les mesures conçues pour eux vont inévitablement s’appliquer à d’autres. Les moyens dégagés pour l’AP lui serviront ainsi à « densifier le réseau du renseignement pénitentiaire, se doter d’outils rénovés en matière de renseignement, mieux exercer la veille sur les réseaux sociaux, mieux canaliser les outils informatiques utilisés par les détenus 6 », annonce la directrice de l’administration. L’AP compte aussi se doter de « brouilleurs d’ondes de téléphones portables “nouvelle génération” 7 ». Pour empiler de nouvelles techniques de sécurité et de surveillance, les fonds ne manquent jamais… Des critères de détection douteux Le bureau national du renseignement pénitentiaire a élaboré plusieurs versions d’une « grille de détection des 4 B. Clément-Petremann, auditionné par la commission d’enquête parlementaire sur les filières jihadistes, Assemblée nationale, 9/2/2015. 5 Commission d’enquête parlementaire, op.cit. 6 Environ 2 400 détenus possèdent un ordinateur privatif, qu’ils utilisent en cellule, sans connexion internet. 7 I. Gorce, auditionnée par la commission d’enquête parlementaire sur les filières jihadistes, 9/2/2015.
ACTU comportements radicaux ». Une première en 2005, une seconde en 2009, mise en œuvre en 2010, une troisième « récemment, à l’aune des observations de M. Khoroskhavar », indiquent les responsables de l’AP 8. Les travaux de ce chercheur montrent en effet que surveillance spéciale mise en place ces dernières années a eu au moins un effet sur le comportement des extrémistes : ils dissimulent désormais leur foi, ne cherchent plus à constituer ou à participer à des réseaux jihadistes, refusent les contacts avec les aumôniers musulmans, ne pratiquent pas de prosélytisme à l’égard des autres détenus mais s’allient à un ou deux complices, etc. 9 A Fresnes, il apparaît que cette grille n’est pas utilisée, les personnels pénitentiaires la jugeant « trop développée et complexe à renseigner, préférant opter pour le CEL [cahier électronique de liaison, base de données partagée] et sa forme de “libre expression” ». Rappelons que cette grille comporte 38 items auxquels il faut répondre par oui, non, ou « ne sait pas ». Son utilisation apparaît surtout inutile au personnel de Fresnes, au vu du critère d’affectation retenu pour un placement dans l’unité de prévention du prosélytisme, qui ne s’embarrasse pas d’une quelconque finesse d’appréciation. Sont concernées toutes les personnes écrouées pour organisation ou participation à « une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme, en lien avec une pratique radicale islamiste ». Quelques absurdités en découlent, relevées par les inspecteurs. L’un des 22 détenus placés dans l’unité s’avère fermement opposé à adopter les règles de vie des autres. Déclarant vouloir fumer, « regarder tous les programmes de télévision y compris ceux présentant des images de corps dénudés, écouter tout type de musique », il a dû être changé de cellule à plusieurs reprises. A l’inverse, il a été découvert dans la cellule de deux détenus écroués pour des faits de droit commun, donc ne relevant pas du critère de placement dans l’unité, un document de 150 pages « évoquant la création de l’Etat islamique » et contenant des photos de Syrie, ce qui n’a pas déclenché de « dispositif de surveillance ou de suivi spécifique » 10. Enfin, des exceptions sont pratiquées : il a été fait le choix de ne pas affecter dans l’unité deux personnes détenues répondant au critère judiciaire retenu, mais « réputées comme les plus nocives, leur capacité de leadership sur le groupe étant considérée comme un facteur à haut risque ». C’est ainsi que le dispositif de prévention du prosélytisme ne s’applique pas aux plus… prosélytes. Regrouper, pour quoi faire ? L’expérimentation de Fresnes avait pour seul objectif de faciliter la surveillance des détenus « radicalisés » et de mettre fin aux pressions qu’ils exerceraient sur les autres. « Un choix de police intérieure », commente Isabelle Gorce. S’ils n’ont pas le droit d’aller en promenade ou sur les terrains de sport extérieurs avec les autres détenus, c’est parce qu’il s’agit « de lieux 8 Commission d’enquête parlementaire, op.cit. 9 F. Khosrokhavar, in Travaux et documents n°83, op.cit., nov. 2014. 10 Inspection des services pénitentiaires, op.cit., 27/01/2015.
L’unité de Fresnes et ses atteintes au droit Le rapport de l’Inspection pénitentiaire que s’est procuré l’OIP ne montre pas seulement « un choix peu argumenté et préparé » et « des résultats contrastés au regard des objectifs recherchés ». Il témoigne d’un dispositif bien pensé pour ne pas être juridiquement contestable. Le régime de détention y est le même qu’ailleurs, aucune séparation avec le reste de l’aile n’a été aménagée, aucune grille ni matériel de sécurité spécifique au sein des cellules intégrés. Les détenus ne sont pas à l’isolement, ils peuvent accéder aux activités et à la salle de musculation. Ils ne sont regroupés entre eux que pour la promenade, l’accès à la bibliothèque, aux activités de culte et de sport en extérieur. Dès lors, ces conditions de détention n’apparaissent pas, selon l’Inspection, « susceptibles d’être assimilées à une mesure faisant grief » et seraient donc « insusceptibles de recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif ». Néanmoins, aucun « mécanisme de sortie » de l’unité n’a été prévu. Pour les inspecteurs, la sélection initiale devrait pourtant être « réversible en cas d’erreur manifeste et dès lors que le comportement évolue dans le bon sens ». Le placement dans cette unité laisse notamment craindre des conséquences sur les décisions d’aménagement de peine et les possibilités de réinsertion. Il entraîne aussi pour les proches du détenu l’impossibilité de réserver leurs parloirs au moyen de la borne électronique disponible. Ils ont l’obligation de « passer par le standard téléphonique sans que l’on en connaisse les raisons et les bénéfices attendus ». Un obstacle de taille, l’OIP ayant constaté à plusieurs reprises l’engorgement de cette ligne et les plus grandes difficultés à obtenir un interlocuteur. Quant au droit des détenus à l’exercice de leur culte, les inspecteurs déplorent l’intervention d’un seul aumônier musulman à Fresnes, alors que 1 000 personnes y ont suivi le dernier ramadan.
incontrôlables de par le positionnement des personnels de surveillance » (ils n’y vont pas), où il est impossible « d’écouter les conversations des uns et des autres » 11. En revanche, ils sont admis à participer aux autres activités (travail, salle de sport…) qui se déroulent dans des espaces plus réduits et en présence d’un surveillant. Tout voir, tout savoir, pour que l’ordre règne en détention. Si le phénomène de la radicalisation n’a jusqu’à présent « pas été traité comme un problème particulier » par l’AP, explique sa directrice, c’est d’ailleurs parce que « les détenus fondamentalistes ne recherchent plus de relation conflictuelle avec l’institution. Ils se comportent de façon beaucoup plus discrète, donc nous n’avons pas de problème majeur de discipline de ce fait. » L’AP n’avait donc pas 11 Inspection des services pénitentiaires, op.cit. Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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Renforcement et professionnalisation des aumôniers Un vrai problème pointé de toutes parts, le manque d’aumôniers musulmans en détention. Ils ne sont que 182, trois à quatre fois moins que les catholiques, quand 18 000 détenus ont suivi le dernier ramadan. Le gouvernement annonce la création de 60 postes supplémentaires. En fait, il n’existe pas de statut, donc de postes, pour une telle fonction. En juin 2014, les aumôniers musulmans avaient publiquement demandé un statut professionnel, à l’instar des aumôniers militaires et hospitaliers. « Les autres religions ont un budget plus conséquent et des institutions derrière les aumôniers pour leur permettre de faire leur travail de manière convenable, de payer les charges et leur couverture santé. Nous, le CFCM n’a absolument pas les mêmes moyens », explique Hassan El Alaoui Talibi, l’aumônier national. Ainsi, les nouveaux moyens annoncés par Manuel Valls serviront à mieux dédommager « des vacations pour les aumôniers intervenants » 13. Parce que l’Etat est garant, dans des lieux fermés, de l’exercice du droit de culte ? L’administration a surtout « trouvé dans l’aumônier musulman un élément clé de son dispositif de lutte contre la radicalisation », commentent des chercheurs 14. La directrice de l’AP précise en effet vouloir assurer « une meilleure indemnisation » des aumôniers musulmans afin qu’ils augmentent leur temps de présence en détention. Aujourd’hui, ils interviennent « essentiellement le vendredi et sont peu présents le reste de la semaine, principalement pour des raisons de rémunération ». Or, « c’est justement une présence plus continue qui peut nous permettre de créer un contre-discours, éviter que des détenus s’autoproclament imams et prennent 12 I. Gorce, audition commission d’enquête parlementaire, op.cit. 13 www.saphirnews.com, 24/01/2015. 14 C. Beraud, C. de Galembert, C. Rostaing, « Des aumôniers plus nombreux et plus divers », in Travaux et documents n°83, DAP, nov. 2014.
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l’ascendant sur les autres ». Hassan El Alaoui Talibi proteste pour sa part contre la pression mise sur l’aumônerie musulmane. Avant de passer par la case prison, les personnes radicalisées ont souvent fait face à « un échec scolaire, rappellet-il. Met-on en question l’institution scolaire ? Ou l’éducation en foyer par où sont passés Nemmouche et les Kouachi ? […] La responsabilité doit être partagée par tous les acteurs de la société. » Pour certains, le « facteur prison » dans les processus de radicalisation apparaît amplifié. La prison, facteur de radicalisation ? De concert, la garde des Sceaux et la directrice de l’administration pénitentiaire rappellent que parmi les 172 personnes détenues pour des faits liés à l’islam radical, seules 21 avaient déjà été incarcérées 15. La première en déduit « que nous devons travailler sur les 86 % qui se radicalisent ailleurs, en particulier sur internet et les réseaux sociaux 16 ». La seconde conclut « qu’il n’y a pas de relation de cause à effet directe entre le fait d’avoir été incarcéré et de se retrouver aujourd’hui en prison pour des faits de terrorisme ». Les auteures d’une étude sur le fait religieux en prison vont dans le même sens, sans en tirer les mêmes conséquences. « Si des phénomènes d’intensification religieuse sont présents » en détention, « ils ne sont pas massifs comme le suggère le ton alarmiste des médias et des pouvoirs publics soucieux de donner des gages en matière sécuritaire ». Ne faut-il pas davantage s’interroger sur ce qui a conduit un Merah ou un Coulibaly en prison et « voir en eux avant tout les enfants de l’accumulation des défaillances des institutions de socialisation (famille, école, travail) et de contrôles (services sociaux, police, renseignements) ? », interrogent-elles. Quant aux formes de « caïdats religieux » et « d’emprise » en détention, ils sont surtout « révélateurs de l’incapacité dans laquelle se trouve l’AP de juguler des phénomènes dont l’islam est loin d’avoir l’exclusive » et de son impuissance « à assurer la protection de ses “usagers” » 17. Dans un contexte de focalisation émotionnelle et politique sur la radicalisation islamiste, l’on oublie qu’un passage en prison a tendance à aggraver, pour tous, les problématiques de violences, d’exclusion sociale et de radicalisation en général. Que les mauvaises rencontres, rapports de domination et menaces diverses sont le lot quotidien de l’ensemble des détenus, certains parvenant à s’en protéger, d’autres non. Que le système carcéral français est profondément dysfonctionnel, tel le dernier maillon d’une chaîne de ratés institutionnels qui caractérise la trajectoire de vie de la majorité des personnes incarcérées. Sarah Dindo
15 Isabelle Gorce, audition commission d’enquête parlementaire, op.cit. 16 Assemblée nationale, 24/03/2015. 17 C. Beraud, C. de Galembert, C. Rostaing, « La religion en prison au prisme d’une sociologie de l’action », in Travaux et documents n°83, DAP, nov. 2014.
© Michel Le Moine
encore intégré qu’elle avait d’autres missions que la discipline carcérale, telles que la préparation de la sortie et la prévention de la récidive. En toute cohérence, « aucun début de prise en charge particulière n’a accompagné les personnes détenues » regroupées dans l’unité, regrettent les inspecteurs. La directrice de l’AP l’explique clairement : « Nous n’avons pas d’expérience de “déradicalisation”, nous ne faisons que commencer à travailler sur ces questions. » Avec pour projet de créer, à l’instar de plusieurs pays européens, des programmes ou tout au moins des « prises en charge qui permettent d’interroger [les détenus concernés] sur les choix qu’ils sont en train de faire, de créer du contre-discours ». Avec l’aide de l’Association française des victimes de terrorisme, la DAP étudie notamment « ce que font les Anglais, qui n’hésitent pas à travailler avec d’anciens terroristes pour accrocher les détenus qui se sont radicalisés » 12. Une perspective intéressante, mais pour tous les détenus, que celle d’être suivis par des personnes ayant autrefois connu la délinquance et l’emprisonnement (cf. expériences de KRIS en Suède et Finlande, ou de User Voice en Angleterre, Dedans-Dehors n° 86 et 85).
ACTU
Centre pénitentiaire de Longuenesse, septembre 2009
Krapitouk,
l’autre voix des surveillants Pendant les trois derniers mois de 2014, un surveillant pénitentiaire a tenu un blog sous le pseudo de Krapitouk sur le site de Mediapart. Une série de billets bien éloignés du discours clivant et extrémiste des syndicats majoritaires. Qu’est-ce qui a motivé cette démarche d’ouvrir un blog ? Une indignation grandissante, dans un contexte d’élections professionnelles, par rapport au rôle des syndicats et au discours qu’ils entretiennent en interne. Au niveau local, ils ont un pouvoir énorme. Ne serait-ce que pour transmettre des informations et des notes aux surveillants, les directions passent par eux. Il y a aussi des gradés dans les syndicats, des premiers surveillants qui tiennent la boutique et maintiennent une culture professionnelle rétrograde. Et les personnels sont obligés d’adhérer à leur discours, tout au moins en apparence, parce qu’autrement ils se retrouvent vite mis à l’écart.
Que rejetez-vous dans le propos syndical ? Il est binaire et incompatible avec nos missions : il se résume souvent à une distinction entre les « pro » et les « anti voyous ». Il n’y a rien entre les deux. Si vous ne tenez pas un discours hyper sécuritaire, réclamant toujours plus de sanctions et restrictions contre les personnes détenues, on vous soupçonne immédiatement d’une certaine corruption morale « pro voyous ». L’accusation est totalement fictive, mais elle sert à entretenir des mentalités qui datent de la fin du bagne. C’est le discours entretenu localement au sein des établissements pénitentiaires que je vise, et la solidarité quasi obligatoire avec des tracts que je trouve parfois simplement honteux. Pouvez-vous expliquer en quoi ce discours est incompatible avec vos missions ? Concrètement, nous sommes supposés donner aux personnes détenues accès aux mouvements [déplacements en détention, ndlr], au sport, aux requêtes, aux cantines, nous devons veiller à ce que toutes les distributions soient faites, etc. Et selon Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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Blocage de la maison d’arrêt de la Santé par les syndicats pénitentiaires, Paris, 2009
le discours syndical, il faudrait être une espèce de « Terminator » inflexible, qui ne communique pas avec les détenus, ne négocie rien. Au lieu de rendre service à la profession, ils nous mettent dans une position schizophrène. Ils oublient que nous sommes des serviteurs de l’Etat et les seuls représentants de l’intégralité de ses services auprès des détenus. Et vous comprenez pourquoi, dans quel but ? Non, ça n’a pas de sens. Peut-être qu’ils s’accrochent à une image selon eux valorisante de guerrier viril, parce que nous ne sommes pas reconnus socialement et ne pouvons pas communiquer à l’extérieur. Cela génère un entre-soi défensif. C’est une profession endogame, les surveillants se marient entre eux, font des enfants qui deviennent surveillants. Il y a aussi beaucoup d’anciens militaires et gendarmes dans la profession. On baigne dans une culture assez archaïque. On ne peut pas se positionner en simples agents d’un service public, il faut être dans une bataille permanente contre les « voyous ». En réalité, il n’y a pas de guerre, et cet état d’esprit est nuisible tant pour nous que pour les détenus. Avec quelles conséquences sur les pratiques des surveillants ? Pour une majorité, cela crée surtout un malaise lié au fait de devoir afficher quelque chose qu’ils ne font pas en réalité. 6
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Car beaucoup comprennent assez vite que la confrontation permanente avec les détenus est intenable. Pour une minorité, cela peut encourager des débordements, par exemple un usage excessif de la force lors d’interventions. Je l’ai néanmoins rarement constaté. Ce qu’on observe plus souvent, ce sont des pratiques génératrices de conflit. Au lieu de régler un problème en discutant tranquillement, le surveillant ne veut rien entendre et entre en conflit. Pourtant, si vous vous adressez à un détenu comme à une personne normale, et non comme à un danger potentiel, ça se passe étonnamment bien. Pour des personnes qui sont enfermées, ils pourraient être beaucoup plus hostiles. Rien dans le règlement n’interdit de discuter pendant une demi-heure avec des détenus. Mais c’est très mal vu dans la profession. Au début, on vous dit en plaisantant : « Tu fais du social ? » Si cela devient un mode de fonctionnement régulier, on commence à vous surveiller, vérifier tout ce que vous faites, par exemple si vous ne passez pas du tabac d’une cellule à une autre. Le pire des crimes ! Cela en reste à des petites pressions ? Oui, ce sont des plaisanteries, de petits mots sur votre pratique, même pas une demande d’explication directe de la part de la hiérarchie. Mais cette forme de pression suffit largement à faire peur. Ce monde est régi ainsi. Pour alimenter la lutte contre les détenus, les syndicats jouent beaucoup sur l’idée :
ACTU ce qu’on leur donne à eux, on nous le retire à nous. Pourtant, il est évident que meilleures seront les conditions de détention, meilleures seront nos conditions de travail.
« On attend d’avoir de mauvais échos de la part des détenus pour vous reconnaître comme un bon surveillant ! »
Comment se fait-il que la majorité des surveillants ne perçoivent pas cette évidence ? Parce que dans le discours anti voyous, le détenu a toujours trop. La télé c’est trop, les vêtements c’est trop, la douche c’est trop, les parloirs c’est trop… Il faudrait les laisser nus dans des cellules vides sans fenêtre ni rien, et encore ! C’est un discours extrémiste, il ne s’adresse pas à la logique. Nous sommes aussi les seuls à avoir des syndicats qui réclament plus de travail : plus de fouilles, plus de contrôles… Moi je préfère fouiller deux détenus que soixante ! Un syndicat de la métallurgie qui réclamerait plus de pièces à l’heure pour le même salaire, on le prendrait pour un fou.
© Corentin Fohlen/Divergence
Comment expliquez-vous le refus d’appliquer les dispositions de 2009 sur les fouilles corporelles ? Je pense que c’est lié à la peur de perdre du pouvoir sur les détenus, le seul que nous avons. Il y a toujours eu des agressions, des trafics, des portables et de la drogue qui rentraient. Les fouilles en pagaille n’y ont rien changé. Et puis si les détenus utilisaient vraiment leur téléphone pour préparer des évasions, il y en aurait tous les jours. Je pense que les arguments avancés ne sont pas la vraie raison des blocages. Tout progrès pour les détenus est juste systématiquement réprouvé par ces syndicats, et donc par l’ensemble de la profession. Y a-t-il un problème au niveau de la formation dispensée par l’ENAP ? Non, il y a surtout des problèmes au niveau du recrutement, trop d’amateurs de « bleu marine » – on va le dire comme ça. Il est vrai qu’il n’y a pas autant de postulants qu’on pourrait l’imaginer vu le taux de chômage. C’est particulier comme métier : il faut être prêt à subir et voir des violences, verbales ou psychologiques. Ne serait-ce que voir des gens se taillader, ce n’est pas anodin. Il est très mal vu en interne de dire que c’est dur, que la prison a un impact sur nous. Tout le monde le cache, et puis un jour ça ne va plus… Le taux de suicide est aussi terrible côté surveillants. Il existe des psychologues pour les agents que quasiment personne ne va voir. Je pense qu’il faudrait mettre en place une sorte de contrôle de l’état mental des gens qui font ce métier. Je rappelle aussi l’espérance de vie très réduite d’un surveillant qui est de 62 ans, il doit bien y avoir des raisons… Vous en mesurez les effets sur vous ? Le premier effet visible, c’est une perte d’affect, une sorte d’insensibilisation. Petit à petit, quand on voit par exemple quelqu’un tomber dans les pommes dans la rue, ou bien une bagarre, le truc qui fait parler les gens pendant six mois, ça ne vous fait plus rien, vous y êtes émotionnellement indifférent. Quand vous prenez des congés, il faut au moins une semaine
et demie pour sortir de la prison, que les images disparaissent de votre esprit. Et la formation, donc ? Je trouve qu’elle est relativement bien faite, le droit bien expliqué. Mais aussitôt sur le terrain en tant que stagiaire, on vous dit d’oublier ce que vous avez appris à l’ENAP. Et on vous juge sur votre faculté à rester ferme et inflexible, à vous opposer aux détenus, à créer du conflit et à l’encaisser, plutôt que sur la gestion des problèmes et la résolution des conflits. On attend d’avoir de mauvais échos de la part des détenus pour vous reconnaître comme un bon surveillant ! Ce n’est pas officiel, bien sûr. C’est quand même épatant de voir un service public où un fonctionnaire est officieusement jugé sur sa capacité à générer du conflit avec les usagers. Le discours de certains directeurs, qui vantent les mérites de la médiation et de l’approche de sécurité dynamique, ne passe pas du tout dans la profession ? Non, ils sont immédiatement affublés de l’étiquette « pro voyous ». Tout ce qu’ils pourront dire tombera à l’eau. On leur répond « oui oui, monsieur le directeur », mais aussitôt la discussion terminée on entend « c’est n’importe quoi, il est avec les détenus ». Et les surveillants comme vous, qui ont des discours et des pratiques plus conformes au droit, pèsent-ils dans la machine pénitentiaire ? Non, pas du tout. Nous arrivons à discuter entre nous, mais on ne passe pas, sauf auprès de certains directeurs. Et il y a encore la barrière de la hiérarchie intermédiaire et de la majorité des surveillants qui essaient de se conformer à cette image de mâle dominant. Comment êtes-vous arrivé à cette profession ? Un peu accidentellement. J’avais travaillé dans le privé et j’avais besoin d’assurer un revenu fixe pour ma famille. Dans la fonction publique, il n’y avait que l’administration pénitentiaire qui recrutait. Je n’avais pas d’a priori, j’ai pris la formation de l’ENAP au pied de la lettre, je me suis beaucoup intéressé au droit. Confronté à la réalité du terrain, j’ai constaté le gouffre entre les deux. Alors que rien n’empêche l’application du droit en détention. Beaucoup disent pourtant que si l’on applique le règlement à la lettre, on fait exploser une prison… Oui, appliquer le droit ne veut pas dire être rigide, il faut s’adapter aux situations. A l’ENAP, on nous explique que la ligne droite est le règlement, mais qu’il peut être nécessaire de s’en écarter légèrement dans certaines situations, pour Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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« Si vous ne tenez pas un discours hyper sécuritaire, on vous soupçonne immédiatement d’une certaine corruption morale “pro voyous” » éviter d’aggraver le problème. Faute de quoi c’est intenable pour le surveillant, qui va encaisser du conflit du matin au soir. Il n’empêche que la ligne directrice reste le droit. Parvenez-vous à exercer votre métier en restant en accord avec vos valeurs ? J’essaye, oui. J’arrive à n’être en conflit ni avec moi-même, ni avec les détenus, ni avec ma hiérarchie. Il y a un juste milieu à trouver, alors que nous sommes constamment tiraillés dans trois ou quatre directions différentes : le règlement, le discours syndical, notre propre idéal. Nous ne sommes jamais sûrs de ce que nous faisons. L’interdiction de s’exprimer en tant que surveillant hors syndicats ne favorise-t-elle pas un entre-soi appauvrissant ? Si, bien sûr. Le devoir de réserve ne devrait s’appliquer qu’à des cas exceptionnels. Etre menacé de sanction alors qu’on dit simplement ce qu’on pense de son travail, c’est vraiment excessif. Tant qu’on ne tient pas des propos qui tombent sous le coup de la loi ou portent atteinte à la sécurité, pourquoi ne pourrait-on pas dire ce qu’on pense ? Sans compter que plus vous êtes haut dans la hiérarchie, plus vous avez de latitude pour parler. Pourquoi une certaine catégorie n’est pas menacée, et les surveillants oui ? Quant aux syndicats, qui ont la liberté d’expression, ils en profitent pour tenir des propos injurieux, des incitations à la haine. Au lieu de faire peser la sanction sur ceux qui tiennent un discours modéré, pour l’application du droit en prison, l’administration ferait mieux de poser des limites à ceux qui voudraient rétablir le bagne. La hiérarchie devrait à un moment leur signifier qu’il n’est plus possible de tenir de tels propos. Or, c’est l’inverse qui se produit. La hiérarchie intermédiaire les valorise. Est-ce que la crainte d’être identifié est la cause de la fermeture de votre blog ? Pas seulement. Je consacrais du temps à écrire ces billets et comme je recevais surtout des insultes et menaces, il valait mieux arrêter. Beaucoup ne comprenaient pas ce que j’écrivais, ils mélangeaient tout, parce qu’ils ne connaissent pas le droit. D’autres vous injurient simplement parce que vous êtes surveillant. Et, à l’inverse, il y avait ceux qui me trouvaient trop souple, pas assez dur, invoquant les victimes à tout bout de champ. Vous ne pensiez pas risquer quelque chose au niveau professionnel ? Sur la durée, si, bien sûr. Même si j’estime n’avoir absolument rien écrit de déshonorant, ni pour l’institution, ni pour la
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profession, au contraire. A un moment, quelqu’un vous reconnaît forcément et votre quotidien professionnel peut devenir impossible. Une campagne de recrutement de l’administration pénitentiaire a eu pour slogan « la prison change, changez-la avec nous ! ». Un commentaire ? En réalité, les textes changent, mais pas la prison. Et je ne crois pas que cela puisse venir de l’intérieur. Il faudrait surtout que le grand public connaisse la prison et veuille qu’elle évolue en profondeur. Sur quels aspects en particulier les citoyens devraient être sensibilisés ? Déjà, il faudrait qu’ils puissent visiter des établissements. Je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas des « visites citoyennes » pour montrer dans quoi les détenus vivent, au bout de combien de temps en moyenne ils perdent leur épouse, la garde de leurs enfants et ainsi de suite. Je ne comprends pas non plus qu’il n’y ait pas de cours de droit à l’école, tout citoyen devrait avoir étudié les règles qui nous régissent. Un Etat qui se dit « de droit » et ne l’enseigne pas aux enfants, c’est une aberration. Enfin, sensibiliser sur les taux de récidive et leurs causes. Si le toujours plus de sécurité et d’incarcération avait marché, les prisons seraient vides aujourd’hui. Si c’était si dissuasif, également. Enfin, chacun devrait savoir que ça peut arriver à n’importe qui. Même en n’ayant rien commis. Il suffit de ressembler à quelqu’un, de se retrouver au mauvais endroit. Quand je pense à tous ceux que j’ai vus en détention provisoire pendant un an, parfois deux ou trois ans, et qui n’ont finalement pas été condamnés. Pendant tout ce temps, j’ai surveillé des innocents. J’ai vu leurs familles au parloir, leurs enfants pleurer et, au bout de quelques mois, ne plus venir. Vous voyez les drames se dérouler petit à petit. Peutêtre qu’ils seront indemnisés après, mais en attendant, ils ont subi un traumatisme terrible. Et pour ceux que la justice condamne, quels impacts d’un passage en prison observez-vous ? Que ce soit en maison d’arrêt ou en établissement pour peine, en tant que prévenu ou condamné, un passage en détention marque définitivement un parcours. J’en vois qui reviennent. C’est lié aux conditions sociales extérieures. Mais aussi à l’incarcération, car ils perdent tout très vite pour la plupart d’entre eux : famille, travail, argent, statut. Je comprends l’intérêt de la privation de liberté pour mettre la société à l’abri de quelques individus vraiment dangereux. Mais pour les autres, il faut mesurer que, dans la situation économique actuelle, quelqu’un qui a été incarcéré a très peu de chances de s’en sortir après. Cette réponse est parfois trop définitive. Recueilli par Sarah Dindo
ACTU
La complexité du changement en milieu carcéral Chargé d’évaluer les dispositifs de consultation des détenus, d’expression collective et de médiation initiés dans quelques prisons françaises, le chercheur Christian Mouhanna mesure les difficultés de leur mise en œuvre sur le terrain.
Chercheur au CNRSCESDIP, Christian Mouhanna a participé à plusieurs groupes de travail sur la violence en prison. Il est l’auteur d’études sur les procédures rapides de jugement, la police urbaine et l’exécution des sanctions pénales en milieu ouvert.
Quel est l’objet de l’évaluation qui vous été confiée par la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) ? Evaluer les dispositifs de consultation, d’expression collective des détenus, de médiation entre les acteurs d’un conflit (détenus, ou surveillant-détenu), ou de participation des détenus à un certain nombre de décisions. Différentes expérimentations ont en effet déjà été menées, soit à l’initiative de certains directeurs, soit à l’initiative de la DAP, à la suite du rapport Brunet-Ludet sur l’expression collective des détenus. Cette nouvelle mission s’inscrit dans la lignée de précédents travaux sur les violences en milieu carcéral auxquels j’ai participé. Il existe toute une série de rapports qui établissent un lien entre violence et manque de dialogue, la violence survenant quand tout autre type d’expression a échoué. Ce nouveau travail vise à repérer les conditions pour qu’un dispositif puisse être mis en place et fonctionner. Le rapport n’est pas publié, mais nous mesurons d’emblée la difficulté de passer de préconisations nationales à un ancrage dans les pratiques sur le terrain. Quelles sont ces conditions à réunir pour que des dispositifs de consultation et médiation soient mis en place ? En premier lieu, il faut une volonté de l’administration centrale. Il y a des endroits où si la centrale n’impulse pas, rien ne se passe. Or, la dynamique d’expérimentation varie énormément d’un directeur de l’administration pénitentiaire à l’autre. La DAP ne doit pas non plus imposer un cadre trop précis, il
faut que les acteurs locaux puissent adapter la « bonne idée » à leur situation : particularité de l’établissement, des publics accueillis, des modes de gestion antérieurs, des habitudes prises… Toute la difficulté est de passer du bricolage autorisé à un dispositif institutionnalisé, mais qui ne définisse pas de manière microscopique ce qu’il faut faire, sur quels sujets doit porter le dialogue par exemple… Cela déresponsabilise les acteurs. Nous avons pu voir en effet que sur la consultation des détenus, les textes sont plus restrictifs que certaines expériences locales, si bien qu’un directeur a par exemple restreint le champ de la consultation après le décret sur l’article 29 de la loi pénitentiaire. Oui, au lieu de donner de l’air, la loi ou les directives peuvent renforcer le carcan. J’ai d’ailleurs observé que les dispositifs marchent souvent mieux quand ils sont « clandestins », ou tout au moins discrets. Il y a des dispositifs informels de consultation de détenus qui fonctionnent depuis très longtemps dans quelques établissements. A une époque dans l’administration, il y avait une sorte de « droit à l’expérimentation ». De ce point de vue, on a fait un saut en arrière. Au niveau d’un directeur de la prison, quelles sont les conditions pour parvenir à mettre en place ces dispositifs de médiation ? La grande majorité des directeurs que nous rencontrons sont favorables à cette approche de renforcement du dialogue. Mais il faut plus, le chef d’établissement doit s’impliquer fortement, comme le montrent les exemples où cela a fonctionné. Et qu’il dispose d’une « fenêtre de tir » : que du haut en bas, tout le monde soit à peu près d’accord. Il suffit de l’opposition de trois syndicalistes pour bloquer le système ou d’une situation exceptionnelle, par exemple un afflux massif de détenus, suite à la fermeture d’une prison de la région. Toute l’énergie est consacrée à gérer cette arrivée et les dispositifs passent à la trappe. Le partenariat public privé dans les prisons en gestion déléguée restreint aussi les marges de manœuvre : sur Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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© Vincent Nguyen/Riva Press
« Toute la difficulté est de passer du bricolage autorisé à un dispositif institutionnalisé de consultation des détenus »
Réunion de la commission « menu » du conseil de vie sociale, avec des détenus, des personnels pénitentiaires et le prestataire chargé de la restauration, CD de Val de Reuil, avril 2014
certains aspects de la vie quotidienne, l’AP n’a plus de prise, comme les menus par exemple. Il ne sert à rien d’en discuter avec les détenus, les contrats passés avec le prestataire privé étant impossibles à modifier. Enfin, il faut que le directeur ait le temps de mettre en place les dispositifs, mais aussi de les faire évoluer, d’apporter des corrections après évaluation. Or, beaucoup ne restent que deux-trois ans au même poste. On a pu voir un chef d’établissement fortement engagé dans plusieurs dispositifs, remplacé par un nouveau directeur qui n’en n’avait rien à faire : tout est tombé à l’eau. Et au niveau des surveillants, quelles sont les conditions pour que ces dispositifs puissent voir le jour ? Il est nécessaire que les surveillants soient un minimum investis. C’est là que tout se complique. Comment faire comprendre au surveillant de base qu’il a intérêt à ce que ce type de dispositif soit mis en place, alors qu’il s’en sent souvent exclu et que les discours syndicaux sont très hostiles ? Il faut que les personnels aient l’impression d’y gagner quelque chose. Sinon, le surveillant peut se dire : « Je dois bosser plus et je n’ai rien en retour. » Pourtant, les effets bénéfiques de ces dispositifs en termes d’apaisement des tensions et de diminution des violences sont évidents. Pourquoi les surveillants se sentent exclus lors de la mise en place de ces dispositifs ? Parce qu’on reste dans un modèle où les bonnes idées descendent du haut vers le bas. On gère les surveillants comme il y a vingt ou trente ans, alors que ce ne sont plus les mêmes. Ils ont plus de qualifications, ils pourraient très bien proposer des choses, initier des bonnes pratiques. Or, si on ne leur demande jamais leur avis, la plupart disent quand le dispositif Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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leur est présenté : « On écoute les détenus et pas nous. » Pourquoi ne serait-il pas possible que cinq surveillants se mettent autour d’une table dans un établissement et fassent des propositions ? Si les personnels ne s’approprient pas un dispositif, il sera abandonné au premier problème de sécurité, et même désigné comme responsable. Les dispositifs que vous observez ont pu être l’occasion d’expérimenter de nouveaux modes d’organisation au sein d’un établissement ? Rarement. Le plus souvent, cela manque de cohérence avec le reste. L’incohérence est criante dans les prisons modernes, où l’intervention demandée aux surveillants se limite à appuyer sur des boutons. Leur marge de manœuvre se situe dans le fait d’ouvrir ou pas la porte de la cellule, ou de mettre cinq minutes au lieu d’une seconde pour ouvrir la porte du sas. Or, c’est tout l’inverse qu’il faut faire pour réduire les tensions : il faut plus de dialogue, mieux se connaître. Et que l’interaction avec le détenu soit encouragée et reconnue comme faisant partie intégrante des missions de surveillant pénitentiaire. Vous évoquez là un changement en profondeur du métier de surveillant… Oui, on ne pourra pas imposer aux surveillants de faire de la médiation et de la consultation des détenus : il faut une véritable formation et réflexion commune, avec de la formation continue pour relancer, rappeler… La médiation n’est pas une approche évidente à intégrer. Il n’est pas facile pour le surveillant impliqué d’accepter la médiation assurée par un supérieur, par exemple. Les détenus non plus n’adhèrent pas nécessairement à l’idée de la médiation. Il peut y avoir beaucoup de freins et de résistances de part et d’autres. Faute
ACTU d’une démarche ambitieuse de « conversion » des surveillants, il y aura dans chaque établissement quelques personnels qui adhèrent au dispositif, une masse qui regarde et une minorité hostile très virulente avec un discours démagogique sur les « prisons quatre étoiles » et la « voyoucratie ».
« Il y a une intelligence individuelle des surveillants, mais leur discours collectif s’inscrit presque à l’encontre de leur pensée personnelle »
L’administration centrale est-elle prête à cette évolution ? La centrale m’apparaît ambivalente : elle veut développer des dispositifs de médiation/expression, et en même temps que perdure cette organisation visant à tenir à distance surveillants et détenus pour éviter la collusion, les trafics, etc. Cette espèce d’homologie et de jalousie récurrente des surveillants vis-à-vis des détenus provient notamment du fait qu’ils se sentent eux aussi suspectés, contrôlés, encadrés par leur administration. Ce qui n’empêche pas les trafics d’ailleurs, comme pour les détenus, mais on ne veut pas le reconnaître. Il semble y avoir des fractures entre personnels, certains commençant à valoriser le dialogue avec les détenus, d’autres stigmatisant fortement cette approche. Oui, il y a une vraie fracture sur ces questions, parfois entre syndicats, mais aussi à l’intérieur d’un même syndicat. Et globalement les blocages ne viennent pas tant des surveillants individuellement que des syndicats. Antoinette Chauvenet dit toujours qu’il y a une intelligence individuelle des surveillants, mais que leur discours collectif s’inscrit presque à l’encontre de leur pensée personnelle. Qui peut être contre un dispositif qui fait baisser les tensions et violences ? Cela rappelle inévitablement les débats dans les années 1990 sur l’arrivée de la télévision en cellule, avec d’un côté des surveillants qui avaient depuis longtemps proposé cette idée et s’étaient vu répondre que ce n’était pas pensable. De l’autre, des surveillants résolument contre. Quelques années après, plus aucun ne pouvait envisager qu’il en soit autrement. Pareil pour les UVF, qualifiées de « bordels » par certains syndicats lors de leur création, alors que tout le monde en reconnaît l’utilité aujourd’hui. Comment mesurez-vous si les dispositifs marchent ou pas ? C’est toute la question. Il est possible de mesurer l’évolution du nombre d’incidents, de procédures disciplinaires… Mais des facteurs de pérennisation tels que l’adhésion d’une majorité de surveillants, c’est plus difficile. Nous réalisons des entretiens avec les acteurs dans les établissements concernés. Sur la question de la consultation des détenus, il est notable qu’aucun directeur dans les endroits où nous sommes allés n’a prévu d’élection de représentants des détenus, contrairement à d’autres pays. Jusqu’où sont allés les dispositifs les plus ambitieux ? Jusqu’à la délégation aux détenus d’un petit budget à gérer pour qu’ils organisent des loisirs, activités, interventions extérieures. Mais cela reste plus limité qu’ailleurs.
Le plus simple à mettre en place, n’est-ce pas la médiation, permettant de répondre aux incidents autrement que par une sanction disciplinaire ? Je ne vois pas beaucoup d’exemples de médiations conçues comme alternative à la procédure disciplinaire. Ce dispositif est accepté par le personnel quand il intervient à côté ou après la sanction. Il s’agit seulement de regrouper les protagonistes d’un incident pour comprendre comment ils en sont arrivés là, comment peut-on continuer à vivre ensemble, clarifier les choses… Ce que vous dites n’est pas très encourageant… J’en suis désolé, mais il faut à mon avis affronter la complexité, faute de quoi on reste au niveau des bonnes intentions et d’initiatives peu pérennes. La première chose à faire dans un établissement, c’est un diagnostic sur les facteurs de violence. Par exemple, la cour de promenade est souvent le lieu des pires phénomènes. On peut l’expliquer par le manque d’activités dans certaines prisons. Les détenus sont toute la journée enfermés, sauf deux heures de promenade, si bien que lorsqu’ils sortent, c’est le défouloir. Augmenter le temps d’activité hors cellule réglerait pas mal de problèmes. La cour est aussi un espace où souvent, il n’y a pas de surveillants. C’est ambivalent, parce que plus on a de surveillance, moins on a de liberté, mais s’installent alors des logiques de violences et sujétion. De même, dans certains centres de détention où les portes des cellules sont ouvertes en journée, certains détenus préféreraient que ce soit fermé pour se protéger des autres. Ces problèmes sont compliqués, ils obligent les surveillants à s’impliquer plus dans la gestion des groupes de détenus, ça oblige à des remises en cause des pratiques à tous les niveaux. N’y a-t-il pas une nouvelle impulsion à la DAP pour relancer ces dispositifs ? Si, mais les gens sont quand même échaudés, beaucoup ont peur d’apparaître laxistes, c’est souvent ce qui arrive quand la gauche est au pouvoir. En ce sens, la loi Taubira est certes bien en deçà de ce qu’on pouvait en attendre, mais je trouve déjà exceptionnel qu’elle ait été adoptée. Dans d’autres ministères, il n’y a pas même le début d’une telle approche. Il est hors de question au ministère de l’Intérieur de dire que l’on va faire de la police de proximité, privilégier la prévention et le dialogue, alors que tous les ténors guettent pour hurler à l’angélisme. Recueilli par Sarah Dindo et Marie Crétenot
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La permission de sortir peine à entrer dans les mœurs judiciaires La permission de sortir devrait rythmer le parcours de toute personne détenue, afin de préparer le retour à la vie libre et limiter les effets désocialisants de l’incarcération. Pour autant, elle reste souvent réduite à une faveur récompensant un bon comportement en détention.
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ejetons la demande de permission de sortir » en
raison d’un « mauvais comportement » et d’un « mauvais état d’esprit ». Telle est la réponse du juge de l’application des peines (JAP) reçue en juin 2014 par Monsieur F., détenu en Rhône-Alpes. Huit jours plus tôt, la commission pluridisciplinaire unique (qui réunit les différents professionnels en contact avec le détenu) avait pourtant estimé dans une synthèse communiquée à M. F. qu’il présentait depuis son arrivée en juin 2013 « un bon comportement ». Elle saluait « ses efforts » (formation, emploi d’auxiliaire, versements volontaires aux parties civiles, suivi régulier avec la psychologue) et l’invitait à les poursuivre. Des permissions accordées au compte-gouttes
Nombreux sont les détenus qui voient leurs demandes de permission refusées pour des motifs contestables. Le nombre moyen de permissions accordées en 2013 est de 0,91 par condamné. Au total, cela représente 55 302 octrois pour un nombre moyen de condamnés de 60 803 1. Un chiffre dérisoire au regard de celui de l’Allemagne : 879 500 permissions accordées en 2010 pour un nombre moyen de 62 000 condamnés. Soit une moyenne de 14 permissions par détenu, qu’elles soient de plusieurs jours consécutifs pour des « congés pénitentiaires », ou d’une journée pour un motif particulier 2. En France, des permissions d’un jour peuvent être accordées pour se présenter à un examen, rencontrer un employeur, participer à un événement sportif ou culturel ou se rendre dans un centre de soins (article D143 du Code de procédure pénale). Des permissions plus longues sont possibles pour préparer la sortie de prison (trouver une structure d’accueil, un hébergement, une formation, un emploi…) ou maintenir les liens avec ses proches et préparer sa réinsertion (articles D145 et D146). Des pratiques hétérogènes Passage nécessaire pour préparer sa réinsertion ou mesure exceptionnelle à réserver aux détenus les plus méritants ? « Il 1 DAP, Séries statistiques des personnes sous main de justice, 1980-2014. 2 F. Dünkel, « L’aménagement de la peine et la libération conditionnelle en Allemagne », in Travaux et Documents n° 79, DAP, 2013. Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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y a vraiment une ligne de fracture entre les juges de l’application des peines », relève Laurence Blisson, qui a exercé cette fonction à Meaux pendant plus de trois ans. Les uns appréhendent la permission de sortir comme « une sorte de récompense d’un bon comportement, une bonne évolution », les autres la considèrent comme « une mesure nécessaire en soi ». Pour Jean-Claude Bouvier, responsable du service de l’application des peines de Créteil, la permission devrait « jalonner assez naturellement le parcours d’exécution de la peine », comme des « étapes nécessaires » pour permettre aux personnes « de maintenir leurs liens familiaux ou d’engager des démarches de réinsertion ». Le chercheur Christian Mouhanna confirme ces disparités et distingue les « JAP [qui] sont très “aménageurs”, et le revendiquent » des « JAP très réticents, qui s’affirment “répressifs”, et qui n’accordent des aménagements qu’avec parcimonie, à condition que soient réunies de fortes garanties » 3. Une fonction disciplinaire Le détournement des permissions de leur fonction de réadaptation et réinsertion résulte souvent de pressions concordantes. L’administration pénitentiaire (AP), le parquet, les responsables des services de l’application des peines ont tendance à demander aux JAP de refuser les permissions « pour sanctionner des mauvais comportements et incidents en détention », explique Jean-Claude Bouvier. A l’occasion d’une commission d’application des peines (CAP), le représentant de l’AP « va dire qu’il est défavorable, car cette personne a eu un incident récemment. C’est très compliqué de resituer le débat et rappeler qu’une personne peut avoir un comportement inadapté en détention » et que, pour autant, cela ne la prive pas de « tous ses droits, notamment le maintien des liens familiaux ». La permission n’a pas pour fonction « d’apaiser les tensions en prison, ce ne devrait pas être un moyen de pression, on est dans une autre logique », insiste Jean-Claude Bouvier. En pratique, le motif du comportement est omniprésent. En février 2013, Monsieur P., incarcéré au centre de détention 3 C. Mouhanna, « Les aménagements de peine au prisme des relations judiciaires/pénitentiaires », in Travaux et Documents n° 79, DAP.
© Thierry Pasquet/Signatures
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Audience chez le juge de l’application des peines, Laval, 2009
(CD) de Roanne, voit sa demande de permission rejetée en raison de son « comportement en détention » et d’un « compte rendu d’incident » (CRI). Un simple compte rendu, rédigé sans contradictoire par un seul surveillant, avant même qu’il soit décidé d’une sanction disciplinaire ou non, peut suffire à refuser une permission. Dans les formulaires utilisés par certaines juridictions, la mention à cocher n’est pas « sanction disciplinaire du… date », mais « CRI du… date ». Pour Thierry Sidaine, président de l’Association nationale des juges de l’application des peines, ce n’est pas le CRI mais « la comparution devant la commission de discipline qui est importante. Si [le détenu] a reconnu les faits, il n’y a pas de difficulté, si au contraire il les conteste, le JAP n’est pas tenu par la commission de discipline. » D’autres JAP vont plus loin, ne considérant pas le comportement en détention comme critère. Laurence Blisson estime même que « plus la détention se passe avec des accrocs, plus l’aménagement de peine va être pertinent, donc plus la permission de sortir est importante ». Elle utilise ainsi parfois la permission « maintien des liens familiaux » pour « permettre à un détenu de souffler ». Préférence faite à la réinsertion Pour permettre aux personnes détenues de réintégrer peu à peu le monde extérieur, le Code de procédure pénale prévoit que les « condamnés ayant exécuté la moitié de leur peine et qui n’ont plus à subir qu’un temps de détention inférieur à trois ans » peuvent bénéficier de « permissions de sortir d’une
durée maximale de trois jours » en vue du « maintien des liens familiaux ou de la préparation de la réinsertion sociale » (art. D145). Laurence Blisson souligne que ces permissions peuvent donc être délivrées simplement pour permettre « de garder un lien avec la société, d’être un moment avec sa famille, avec ses proches ». Elle constate néanmoins que pour nombre de ses collègues, « la réinsertion [socio-professionnelle] prime la question du maintien des liens familiaux » et qu’en l’absence de projet professionnel, la permission n’est pas même envisagée. Certaines associations comme le Secours catholique proposent même aux personnes détenues en situation de rupture familiale de se faire héberger par une famille d’accueil. Madame N. a pu profiter de ce dispositif lors de son incarcération au CD de Rennes : « Cette relation m’a permis de ne plus me retrouver entre les murs, de prendre un contact avec la vie extérieure, de partager des moments de chaleur, de sentir un espoir et un avenir », témoigne-t-elle 4. Outre ces permissions qui prévoient la possibilité de sortir de prison pendant plusieurs jours, les personnes détenues peuvent être amenées à demander l’autorisation de sortir quelques heures pour se présenter à un examen, rencontrer un éventuel employeur, mais également participer à une activité culturelle ou sportive. L’article D143 précise qu’elles sont destinées aux personnes condamnées à moins de cinq ans de 4 C. Véran-Richard, « Prison : la famille, pilier de la réinsertion », Secours catholique, 24/11/2014. Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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prison ou qui ont effectué la moitié de leur peine. Là encore, ce type de permission est souvent accordé aux plus « méritants » et peut être jugé « non prioritaire » par rapport à des demandes ayant pour objectif la réinsertion professionnelle. Incarcéré au CD de Bourg-en-Bresse, Monsieur B. a déposé cinq demandes de permissions sportives entre le 8 mars et le 2 mai 2014. Elles ont toutes été rejetées par le JAP en raison de leur caractère « non prioritaire ». « Fin de peine trop éloignée » La permission de sortir est aussi appréhendée comme une mesure à accorder une ou deux fois juste avant la libération, bien qu’aucun texte n’aille dans ce sens. En octobre 2012, Monsieur A., incarcéré au CD de Roanne, fait une demande de permission pour se rendre chez un employeur. Elle est refusée par la JAP en raison de sa « demande prématurée eu égard à la date de fin de peine ». Monsieur A. entrait pourtant dans les critères temporels de recevabilité et avait effectué les démarches pour bénéficier d’un aménagement de peine, généralement accordé aux seules personnes détenues présentant une promesse d’embauche. Comment y parvenir sans rencontrer des employeurs potentiels ? Cette motivation est régulièrement avancée par les procureurs de la République siégeant en CAP pour estimer une demande de permission infondée. Une JAP rhônalpine explique ainsi qu’il « est très fréquent [qu’elle] rende des ordonnances d’octroi alors que le ministère public n’est pas d’accord, notamment en raison d’une date de fin de peine qu’il juge trop éloignée ». Les refus de permission pour un tel motif génèrent souvent du découragement, voire des renoncements, auprès de détenus ayant engagé des démarches pour monter un projet de réinsertion. C’est ce qui est arrivé à Monsieur M., détenu au centre pénitentiaire d’Aiton. Alors qu’il réunissait l’ensemble des conditions fixées par la loi, le JAP a estimé sa « demande prématurée » pour se rendre auprès de sa famille et rencontrer un employeur. Dépité, Monsieur M. a décidé de cesser toutes les activités auxquelles il était inscrit et a refusé un soir de réintégrer sa cellule. « C’est le seul moyen pour qu’on m’écoute », s’est-il défendu. Cet incident lui a valu une sanction de quartier disciplinaire. Et les nouvelles demandes de permission qu’il a déposées par la suite lui ont été refusées en raison de son « comportement sur la période récente qui ne permet pas l’octroi d’une mesure de confiance ». Le rapport d’enquête rédigé à la suite du refus de réintégration de sa cellule spécifiait que Monsieur M. « est très respectueux du personnel » et qu’il « ne pose aucun problème en détention » ! Et des obstacles juridiques… Outre les obstacles liés à l’appréciation du juge, le demandeur d’une permission de sortir (PS) doit faire face à quelques injustices légales. Ainsi, l’article D146 du Code de procédure pénale élargit considérablement les critères de recevabilité (un tiers de la peine exécuté, permissions pouvant aller
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« La permission n’a pas pour fonction d’apaiser les tensions en prison, ce ne devrait pas être un moyen de pression, on est dans une autre logique »
jusqu’à 10 jours) pour les personnes détenues en CD, mais pas pour celles incarcérées en maison d’arrêt. Une JAP rhônalpine explique que « cette règle serait tolérable dans un monde où les détenus qui devraient être en CD le soient bien », alors que la réalité montre qu’on est bien loin de cette situation. « On retrouve souvent des personnes condamnées à de longues peines en maison d’arrêt parce qu’elles sont en attente d’affectation », décrit-elle, sans oublier « les personnes ayant effectué une longue détention provisoire ». C’est ainsi qu’un condamné à une longue peine maintenu en maison d’arrêt ne pourra pas demander les mêmes permissions que ceux affectés en centre de détention. Autre anomalie des textes, l’absence de contradictoire. S’il est possible d’interjeter appel dans un délai de 24 heures contre un refus de permission, dans la très grande majorité des cas, la décision a été prise sans que le détenu ou son avocat n’ait été entendu par la CAP. Laurence Blisson considère que « c’est un des gros problèmes de la CAP. Les avis ne sont pas contradictoires et il n’est pas prévu que la personne détenue soit représentée par son avocat ». L’article D49-28 du Code de procédure pénale a beau autoriser le JAP à faire comparaître le détenu, nombreux sont les juges qui ne le font pas, en raison de l’engorgement des CAP et du nombre de dossiers à traiter dans un contexte de surpopulation carcérale. Pourtant, comme en témoigne Thierry Sidaine, « l’expérience montre que les avis des membres de la CAP peuvent changer après une audition, j’ai vu des procureurs, même des plus répressifs, changer d’avis sur l’octroi d’une permission de sortie parce que j’avais ordonné l’audition du détenu et que ses explications avaient démontré son sérieux ». Pour parachever le tout, deux décisions récentes de la Cour de cassation viennent mettre à mal le droit à un recours effectif pour les déboutés d’une demande de permission 5. Le 29 janvier 2015, la chambre criminelle de la Haute cour a en effet estimé qu’un pourvoi portant contre une demande de permission de sortir dont la date est dépassée est « sans objet ». Et la juriste Martine Herzog-Evans de souligner que ces arrêts « sonnent le glas de tout recours en examen de la légalité en matière de permission de sortir 6 ». Amid Khallouf, Milena Le Saux-Mattes et Céline Reimeringer
5 Cass. Crim., 29/01/2015, n° 13-83.960 et n° 13-87.534. 6 Martine Herzog-Evans, Requiem pour le pourvoi en matière de permission de sortir, AJ Pénal, janvier 2015.
ACTU
Il voulait mourir en prison Tutéhau Bea, 59 ans, était incarcéré à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré. Atteint d’un cancer, il est décédé le 28 octobre 2014 à l’unité hospitalière sécurisée (UHSI) de Bordeaux. Il n’avait pas voulu demander une suspension de peine médicale, si bien que l’administration pénitentiaire et les soignants l’ont laissé mourir sous écrou.
D
’origine tahitienne, Monsieur Bea purgeait sa peine en
© Mélanie Desriaux Sans titre, extrait de la série 6m2
métropole. A l’instar de nombreux ultra-marins condamnés à une très longue peine, souvent contraints de l’exécuter dans l’Hexagone, les établissements pour peine de l’Outre-mer étant pour la plupart extrêmement surpeuplés. Comme plus des trois quarts de la population pénale de Saint-Martin-de-Ré, Tutéhau Bea ne recevait aucune visite ni courrier. Aucun lien familial ne lui était connu, ni aucun contact avec l’extérieur. Seul, Monsieur Bea n’avait pas essayé d’obtenir une suspension de peine pour raison médicale, dispositif permettant aux détenus dont le pronostic vital est engagé de finir leurs jours en liberté.
Atteint d’un cancer en phase terminale, il avait rédigé « des directives anticipées » afin de « mourir à proximité de ses camarades en détention et de ses objets personnels ». Sa famille, c’était eux. « Il a souhaité leur dire adieu et distribuer ses objets personnels à ses amis codétenus » explique l’Agence régionale de santé. Sa volonté de mourir auprès de ses codétenus n’a néanmoins pas été respectée. Prendre l’air à l’ombre Suite à une aggravation soudaine de son état de santé, il a été hospitalisé en urgence le samedi 25 octobre dans une unité hospitalière sécurisée (UHSI). Il y était régulièrement suivi et venait d’y être hospitalisé une dernière fois entre le 20 juin et le 20 octobre. Il avait à ce moment émis le souhait de retourner dans sa cellule de l’île de Ré, pour « prendre l’air », disait-il à l’équipe médicale. Une nouvelle hospitalisation en soins palliatifs avait alors été planifiée pour début novembre. En détention, sa maladie était connue de tous… ou presque. Un codétenu le décrit dans un courrier comme « morbide », ayant des « difficultés pour marcher seul et pour manger ». « Il respir [ait] la mort », confie-t-il. C’est ce même détenu qui a alerté son avocat quand Tutéhau Bea a passé toute la journée du 23 octobre sans bouger de son lit. Ses codétenus ont alors pu bénéficier d’un « dispositif dérogatoire » de « visites organisées » dans sa cellule afin de le veiller jusqu’à son départ à l’UHSI. Ils avaient auparavant menacé de bloquer la cour de promenade, face à sa situation alarmante.
Coursives de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, 2006
L’unité sanitaire n’a jamais établi par certificat que le pronostic vital de Monsieur Bea était engagé, ni jugé nécessaire d’alerter les autorités judiciaires. C’est donc avec surprise que la juge de l’application des peines de la Rochelle a appris son décès, quand l’OIP l’a saisie. Elle a alors trouvé « curieux » que « personne n’ait attiré [son] attention sur [sa] situation », côté médical ou pénitentiaire. Monsieur Bea avait demandé à être incinéré et que ses cendres soient dispersées dans les îles du Pacifique. Impossible néanmoins de savoir si cette dernière volonté du détenu a été mise œuvre. Selon l’Agence régionale de santé, la responsabilité en revenait à l’UHSI. Laquelle estime n’avoir « pas d’obligation concernant la dispersion des cendres de M. Bea » et renvoie la question à l’administration pénitentiaire. Delphine Payen-Fourment Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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Fresnes
Ubu au parloir Elle donne des instructions… et conteste une décision de justice demandant leur mise en œuvre. Les voies de l’administration pénitentiaire (et de sa tutelle, le ministère de la Justice) sont parfois impénétrables. Saisi par l’OIP, le juge des référés de Melun a enjoint le ministère, le 19 janvier 2015, de « mettre fin à l’existence des murets séparant les parloirs » de Fresnes dans un délai de cinq mois. Ce, en application d’une note de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) du 21 mai 2014, demandant d’assurer sans délai leur destruction dans les prisons en étant encore dotées. En application d’une circulaire de… mars 1983 ordonnant de supprimer tous les dispositifs de séparation au sein des parloirs ordinaires. En toute incohérence, le ministère a formé un pourvoi en cassation contre cette décision du tribunal administratif (TA) de Melun. Il se justifie en rappelant que l’essentiel des installations de séparation, à savoir le dispositif « hygiaphone »
(matérialisé à Fresnes par un « grillage fin ») a déjà été supprimé. « Seuls les murets qui en constituaient le socle sont restés en place. » Des murets d’une hauteur de 80 cm, surplombés d’une tablette de 25 cm de large séparant le détenu de son visiteur. Pour le ministère, la présence du muret diminue certes « la possibilité de contact physique entre la personne détenue et son visiteur », mais ne le « rend toutefois pas impossible ». La garde des Sceaux précise encore « qu’aucune poursuite disciplinaire n’est engagée en cas de franchissement desdits murets par les personnes détenues ou par les visiteurs ». C’est heureux. Mais en pratique, ce franchissement est tout de même interdit par certains surveillants, menaçant d’interrompre le parloir, voire de supprimer le permis de visite. Le pourvoi du ministère ajoute que le directeur de Fresnes « doit établir une note de service à l’attention des personnels » pour leur rappeler l’autorisation de franchissement des murets. Ce
que demandait déjà la note de la DAP du 21 mai 2014 et n’a donc toujours pas été fait. Autre argument de la Chancellerie : les contraintes budgétaires. Le ministère évalue « le coût de destruction des murets » à un minimum de 250 000 euros – sans toutefois produire le moindre devis. L’argument ne tiendrait pas devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui impose aux Etats membres d’organiser leur « système pénitentiaire de telle sorte de la dignité des détenus soit respectée », quels que soient les obstacles matériels ou financiers. Pour contester le caractère d’urgence de la décision du TA, le ministère ajoute que « le principe de l’absence de séparation dans les parloirs est établi depuis 1983. Il y a donc plus de 30 ans » que le dispositif de Fresnes aurait pu être « contesté » en justice. Une rhétorique confirmant qu’en maison d’arrêt, l’application de la loi peut attendre… Coordination OIP Ile-de-France
Poitiers-Vivonne
Un couple lourdement sanctionné pour un câlin au parloir Parole contre parole, le détenu perd toujours. Un surveillant accuse Patrick et sa compagne d’avoir eu un rapport sexuel durant un parloir le 3 janvier 2015 au centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne. L’intéressé conteste. Il indique qu’il enlaçait sa compagne, assise sur ses genoux, lorsqu’un surveillant a interrompu le parloir au motif qu’il les aurait « surpris en plein acte sexuel ». Patrick dément formellement et soutient qu’ils étaient tous deux intégralement vêtus, elle étant assise à califourchon sur lui. Aucune disposition du Code de procédure pénale ou du règlement intérieur ne leur interdit d’établir un contact physique. Une circulaire de 2012 prévoit même expressément que « les personnes visitées doivent pouvoir étreindre leurs visiteurs ». Face à deux versions contradictoires, la direction a refusé d’entendre les témoins présents ce jour-là et de visionner les enregistrements de vidéosurveillance, s’en remettant aux seules allégations du surveillant. La visite de 48 heures dont le couple devait en principe bénéficier en Unité de vie familiale (UVF) deux semaines plus tard est annulée. A titre provisoire, la direction impose à Patrick des visites en parloir hygiaphone avec l’ensemble de ses visiteurs pour le mois suivant et suspend le Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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permis de visite de sa compagne pour une durée d’un mois. Le 26 février 2015, le directeur supprime la possibilité pour le couple de se voir sans dispositif de séparation, pour une durée de deux mois supplémentaires, cette fois-ci à titre de sanction disciplinaire. Patrick est également sanctionné de 10 jours de quartier disciplinaire avec sursis. Le tribunal administratif de Poitiers a rejeté, le 27 mars, le recours formé par Patrick contre ces sanctions. Si aucun texte n’interdit expressément les relations sexuelles en prison, le fait d’« imposer à la vue d’autrui des actes obscènes ou susceptibles d’offenser la pudeur » constitue une faute disciplinaire, permettant de fait de sanctionner la sexualité au parloir. Seules les visites en UVF et parloirs familiaux, à l’abri du regard d’autrui, autorisent les rapports sexuels entre le détenu et son visiteur. Fin 2014, seuls 29 établissements sur 190 en étaient dotés. Partie intégrante du droit à la vie privée, protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le droit à la sexualité est loin d’être respecté dans les prisons françaises. Coordination OIP sud-ouest
de facto
de facto Villefranche-sur-Saône
Privée de visite pour un joint fumé cinq ans plus tôt que « ces éléments ne tendent pas à favoriser la réinsertion sociale ou professionnelle » du jeune détenu (courrier du 18 novembre 2014) ! Julie et Romain entretiennent une relation depuis deux ans. Elle suit des études de droit. Dans sa demande de permis de visite, elle indiquait vouloir soutenir son petit-ami, qui reçoit uniquement des visites de sa grand-mère, et lui apporter « la motivation nécessaire à se remettre dans la bonne voie ». Interloquée par le motif
de refus, Julie a déposé le 15 janvier un recours gracieux auprès de la Direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Lyon. N’ayant pas répondu dans un délai de deux mois, ce qui équivaut à un rejet, la DISP confirme implicitement la décision. La privation pour ce jeune couple du droit fondamental au respect de sa vie privée semble bien disproportionnée… Coordination OIP sud-est
© Grégoire Korganow pour le CGLPL
Julie a 14 ans lorsqu’elle est interpellée pour avoir fumé un joint de cannabis dans la cour de son collège. Elle écope d’un rappel à la loi, non mentionné au casier judiciaire et ne pouvant entraîner de poursuites judiciaires. Mais enregistré dans les fichiers de la police… Cinq ans plus tard, cet incident est invoqué pour lui refuser le permis de rendre visite à Romain, son petit ami détenu à la maison d’arrêt (MA) de Villefranchesur-Saône. La direction de la MA estime
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Gradignan
Trois suicides en quinze jours Série noire au centre pénitentiaire de Gradignan. Le 26 février, Madame B. se pend dans la cellule qu’elle partage avec quatre autres détenues. Elle était sous surveillance spéciale (contrôle toutes les heures), après deux précédentes tentatives. Le 10 mars, Monsieur H. attente à ses jours et décède 48 heures plus tard à l’hôpital. Ecroué depuis deux jours, il « aurait dû être orienté vers la psychiatrie » selon l’unité sanitaire. Le 12 mars, Monsieur A. est retrouvé sans vie dans sa cellule du quartier d’isolement, où il se trouvait depuis juin 2014, à sa demande. Il devait être présenté au tribunal le jourmême, et avait déjà fait plusieurs tentatives de suicide. Jugée « à risque » par le ministère de la Justice en 2009, la maison d’arrêt de Gradignan figure dans la liste des vingt
prisons ayant enregistré le plus grand nombre de suicides de 1996 à 2008. En janvier 2013, des parlementaires girondins ont aussi alerté la garde des Sceaux sur la situation de cette prison qui « se distingue malheureusement par la survenance récurrente de suicides » (courrier du 23 janvier 2013). Une caractéristique que ne parvient pas à enrayer le dispositif des « codétenus de soutien », formés aux premiers secours, à la détection des risques suicidaires et à l’écoute active de leur codétenu. Développée dans neuf prisons, ce serait pourtant « l’une des mesures les plus efficaces » en matière de prévention du suicide selon la directrice de l’AP (AFP, 2/12/14). Elle a toutefois pour limite de faire peser une lourde responsabilité sur les détenus retenus pour cette fonction.
A Gradignan, ils sont sept pour toute la détention et n’interviennent qu’au quartier « hommes », à l’exclusion des quartiers d’isolement et disciplinaire (rapport d’activités 2013). Et l’on peut se demander ce que pèsent leurs efforts dans le contexte de surpopulation préoccupante dans cette prison (151 % en novembre), de manque criant d’activités (les personnes détenues indiquent passer en moyenne 20 heures sur 24 en cellule) et d’offre de soins médico-psychologiques très insuffisante. Interrogée sur les récents suicides, l’unité sanitaire de la maison d’arrêt déplore que l’administration n’ait « pas les moyens de prendre en charge correctement les détenus les plus fragiles ». Coordination OIP sud-est
Cellule de « protection d’urgence » utilisée dans le cadre de la prévention du suicide, 2012
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de facto
de facto Défenseur des droits
Revoir le dispositif de contrainte durant les extractions médicales
© Grégoire Korganow pour CGLPL
« Une baisse du niveau général de surveillance lors des extractions, des soins et du séjour hospitalier. » Telle est la demande du Défenseur des droits (DDD), qui dans une décision du 15 février 2015, recommande « une réforme d’importance des textes applicables » en matière d’utilisation des menottes et entraves (une circulaire du 18 novembre 2004, deux notes du 24 septembre 2007 et du 26 mars 2008). Si le principe d’une appréciation au cas par cas est posé, l’application des critères énoncés « conduit souvent à un niveau excessif de sécurité », estime-til. Et l’ensemble « reste très en deçà des principes posés par la Cour européenne des droits de l’homme ». Le DDD recommande de supprimer des documents destinés au personnel pénitentiaire pour décider du niveau de sécurité, le critère éminemment flou d’« autres troubles à l’ordre public ». L’avis des personnels médicaux devrait aussi être pris en compte « dans la définition des mesures de sécurité à l’hôpital ». Enfin, la responsabilité des personnels ne devrait pas pouvoir être engagée en cas d’incident, « s’ils ont décidé du niveau adéquat de sécurité au vu des éléments en leur possession ». En revanche ils pourraient « être mis en cause pour avoir décidé d’un régime de sécurité excessif ». Le DDD était saisi de la situation de M. A., détenu au centre de détention de Muret et victime d’un infarctus dans la nuit du 15 juillet 2010. Emmené en urgence à l’hôpital, M. A. a été menotté et entravé,
alors même qu’il « était porteur d’un masque à oxygène, d’une perfusion, d’un scope (monitoring), avait des patchs et tuyaux sur le haut du corps, et [que] la surveillante W. était dans le véhicule des pompiers ». Le médecin urgentiste a eu beau « expliqu [er] aux personnels pénitentiaires que son pronostic vital était en jeu et qu’il n’était pas susceptible de s’échapper », M. A. fut soumis au niveau maximal de sécurité. Pour la raison qu’à trois reprises, en 2001, 2003 et 2005, M. A. n’est pas revenu de permissions de sortir et a donc été considéré comme évadé. Malgré la demande du médecin, le chef d’escorte a aussi refusé d’ôter les moyens de contrainte à l’hôpital. Les actes médicaux ont été réalisés soit avec les menottes, soit avec les entraves, sous le regard des surveillants. M. A. est ensuite resté menotté et entravé dans sa chambre, pourtant gardée par deux surveillants. Il est en outre privé des visites de sa compagne. Le patient a finalement préféré, contre l’avis médical, regagner le centre de détention, plutôt que de subir encore pareil traitement. Le DDD ne se prononce pas sur ce cas particulier, dans la mesure où « le tribunal administratif a considéré que les moyens de contrainte employés lors du trajet étaient adéquats au vu du profil de M. A ». Il s’appuie néanmoins sur cet exemple pour demander une révision de la réglementation. Défenseur des droits, décision du 9 janvier 2015
Enseignement à distance : Auxilia en péril Remise à niveau, préparation au Bac ou capacité en droit… quelque 3 000 détenus recourent aux services d’enseignement à distance d’Auxilia, y trouvant un accompagnement personnalisé, adapté à leur niveau. L’association assure 65 % des formations par correspondance réalisées en prison. Elle se trouve aujourd’hui en « grand péril du fait d’un changement de législation sur la taxe d’apprentissage ». Cet impôt, versé par les entreprises, est redistribué aux organismes de formation. Mais les critères ont été modifiés en mars 2014, et Auxilia n’est plus habilitée à le percevoir pour ses activités d’enseignement à distance. L’association se trouve ainsi privée « de la part la plus importante de ses ressources financières (environ 50 à 70 % selon les années) » et menacée d’un dépôt de bilan. Ses administrateurs ont demandé aux ministères de la Justice et de l’Education nationale de revaloriser la subvention qu’ils lui octroient et de l’aider à obtenir une dérogation lui permettant de continuer à percevoir cette taxe. Elle a également sollicité le soutien des entreprises « prestataires de gestion déléguée » du ministère de la Justice. Sans résultat à ce jour. Quand on voit les sommes aujourd’hui dégagées pour lutter contre le radicalisme islamiste en prison, les restrictions budgétaires ne peuvent plus être invoquées. Et quand on sait l’importance pour des détenus ayant souvent un faible niveau scolaire d’accéder à un enseignement ou une formation pour se donner une chance de réinsertion et sortir de la délinquance… l’on a fini de se convaincre que les pouvoirs publics n’ont aucun sens des priorités. Auxilia, communiqué du 10 février 2015
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dossier
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Mineurs détenus
Mineurs détenus :
la justice des enfants peine à résister au vent répressif Le nombre de mineurs incarcérés reste relativement stable depuis dix ans – autour de 3 000 par an. C’est encore trop : 62 % sont en détention provisoire et les infractions les plus graves (crimes et homicides, violences sexuelles) ne concernent que 12,5 % des condamnés. Si l’on ajoute les quelque 1 700 placements annuels en centre éducatif fermé, se révèle une place croissante accordée à la contrainte dans la réponse à la délinquance des enfants et adolescents. Et une politique de rapprochement progressif, depuis 2002, du régime pénal des mineurs de celui des majeurs. Le mouvement inverse peut encore être défendu. La justice des mineurs repose sur des principes que celle des majeurs gagnerait à intégrer : accompagnement éducatif personnalisé, de préférence en milieu ouvert, acceptant les échecs inhérents à un processus d’apprentissage… Après dix ans de déconstruction sarkozyste, cette justice à part se trouve fragilisée. Une réforme annoncée par le gouvernement devait en restaurer les fondamentaux. Dedans Dehors N°87 Avril 2015 Elle ne figure plus à l’ordre du jour. 21
dossier
U
n anniversaire sans cadeau.
Les 70 ans de l’ordon-
nance du 2 février 1945 devaient marquer le lancement d’une réforme… qui n’aura probablement pas lieu. Conviés par la Chancellerie à une « journée de débats et prospectives », les acteurs de la justice des mineurs espéraient une réponse sur le devenir d’un aggiornamento attendu… et disparu du calendrier. Le besoin de simplifier et redonner sa cohérence à un texte 36 fois modifié fut maintes fois affirmé. Mais de date, point. Un avant-projet a pourtant été soumis aux syndicats dès l’automne 2014, et Christiane Taubira s’est engagée devant l’Assemblée à faire adopter la réforme au « premier semestre 2015 ». Elle n’est pas parvenue à imposer son agenda au gouvernement, peu enclin à affronter de nouveaux procès en laxisme. Les attentats de janvier ont achevé de bousculer les priorités, et remis sur le devant de la scène les habituelles réponses sécuritaires et démagogiques – telle l’instauration proposée par le Premier ministre d’une « unité de renseignement au sein de la Protection judiciaire de la jeunesse » (PJJ) pour pister les futurs jihadistes. Au ministère, on fait mine de rien et on assure continuer à travailler sur la réforme. Réaffirmer les principes de la justice des mineurs Maintes lois ont, depuis 2002, rapproché la justice des mineurs de celle des majeurs. C’est un mouvement inverse que revendique l’exposé des motifs du document de travail : « Le traitement de la délinquance des enfants et des adolescents ne doit pas être une déclinaison de la procédure applicable aux adultes, mais bien un droit spécial. » Tournant le dos aux discours sur la « racaille » et les jeunes d’aujourd’hui qui n’auraient plus rien à voir avec ceux de 1945, la réforme affirmait la nécessité d’apporter une réponse à leurs actes délinquants, « en conscience des caractéristiques de leur âge, du contexte environnemental dans lequel ils grandissent et dans l’objectif primordial de construire, avec eux, leur vie d’adulte ».
Mesure symbolique, la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs (TCM). Instaurés par la loi du 10 août 2011 pour durcir la répression à l’égard des récidivistes, dès 16 ans, ils sont restés marginaux : 1 % des affaires traitées par les juridictions pour enfants. Mais ils illustrent les coups de boutoirs contre deux principes fondateurs de la justice des mineurs : la spécialisation des juges et la continuité du suivi. Le juge des enfants, magistrat spécialisé, assure la continuité de l’action judiciaire entre éducatif et répressif, il garantit un accompagnement au long cours. L’enfant connaît « son » juge, et vice-versa. Or, le magistrat présidant le TCM n’est pas celui qui suit habituellement le jeune, et ses assesseurs ne sont pas spécialisés. Le texte entendait aussi réserver aux procédures rapides la possibilité de recourir au défèrement (présentation au juge dès la fin de la garde à vue). « Il s’agit d’une procédure grave » explique Laurence Bellon, juge des enfants, « qui entraîne mécaniquement des demandes plus sévères de la part du Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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parquet. Dans les grandes villes où j’ai travaillé, plus de 20 % des mineurs entrent dans le circuit judiciaire par cette voie. » Cet afflux a conduit les magistrats à organiser des permanences pour recevoir à tour de rôle les jeunes déférés. « Cela conduit à un système paradoxal, poursuit Laurence Bellon : l’adolescent récidiviste, qui a le plus besoin de cohérence et de continuité dans les réponses judiciaires, est présenté à cinq ou six juges différents, qui ne le connaissent pas. » Laurence Blisson, secrétaire du Syndicat de la magistrature (SM), complète : « Aujourd’hui, le parquet peut demander un défèrement quelle que soit la procédure. Même un dossier « léger » peut donner lieu à ce traitement très dur. » Dès lors, restreindre les défèrements représenterait pour le SM un progrès « extrêmement positif 1 ». Une autre mesure, en complément, aurait consisté à limiter les procédures rapides introduites en 2002, développées en renforcées en 2005 et 2011 : présentation immédiate et comparution à délai rapproché ; convocations par officier de police judiciaire, visant elles aussi à raccourcir les délais, dont le champ a été étendu en 2011. La part de ces procédures « expéditives », selon le SM, s’élève à 70 % en 2013, contre 58 % en 2003 2. Rien n’est prévu sur ce terrain. Un manque compensé par l’introduction de la césure pénale, deuxième mesure phare, qui entendait conjuguer « impératifs de rapidité comme de pédagogie » et s’appliquerait à la quasitotalité des procédures. « Il s’écoule aujourd’hui en moyenne 17,8 mois entre les faits et le jugement » indique Catherine Sultan, directrice de la PJJ, chargée de la refonte de l’ordonnance (Libération, 22 septembre 2014). La césure instaure une « audience d’examen de la culpabilité » devant se tenir dans un délai de dix jours à deux mois. Puis une période de six mois à un an, durant laquelle « un accompagnement individualisé provisoire » peut être décidé, sous forme de « mesures éducatives personnalisées ». C’est seulement à l’issue de cette période que serait éventuellement prononcée une mesure éducative ou une peine « adaptée [aux] progrès » du jeune. Une source d’inspiration Par bien des aspects, la justice des mineurs pourrait inspirer des évolutions à la justice des majeurs. Dans la perspective de 1945, un enfant délinquant est aussi un enfant en danger, qu’il convient de protéger et d’accompagner par des mesures prioritairement éducatives. Dans nombre de cas, il en est de même pour un majeur délinquant : l’infraction apparaissant comme le symptôme d’une dérive personnelle et sociale n’ayant pas été prise en charge en amont, de déficits éducatifs jamais comblés. Pourquoi, passée la barre des 18 ans, un délinquant deviendrait réductible à son acte ? « En un après-midi, en correctionnelle, on peut juger trente affaires. Au tribunal des mineurs, dans le même temps, on en examine deux, trois, quatre… rarement cinq. On donne la parole aux éducateurs, 1 Syndicat de la magistrature, Observations sur le projet de réforme pénale des mineurs, février 2015. 2 Ministère de Justice, « Justice, délinquance des enfants et des adolescents, Etat des connaissances », 2015.
© Olivier Touron/Divergence
Mineurs détenus
Audience au tribunal pour enfants de Lille, février 2010
aux psychologues, aux parents. C’est une justice qui prend son temps. La question n’est pas : comment on va le condamner, mais bien, peut-on et comment le tirer de là ? 3 » Pierre Joxe, ancien ministre de l’Intérieur devenu avocat, explique ainsi les principes d’intervention à l’égard des enfants délinquants. « Bien plus que le fait matériel reproché au mineur », c’est « sa véritable personnalité qu’il importe de connaître » afin de déterminer « les mesures à prendre dans son intérêt » énonce l’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945. Les mesures en milieu ouvert restent la clé de voûte de la prise en charge, l’incarcération des mineurs faisant figure d’exception. Avant le jugement, le placement en établissement éducatif, la liberté surveillée ou la réparation représentent 60 % des mesures prononcées – la détention provisoire, 4 %. L’intervention des éducateurs vise alors à inscrire le jeune dans un processus d’apprentissage de la loi et des valeurs sociales, éventuellement en le mettant à distance de son environnement habituel. Mais aussi à valoriser ses compétences ou aptitudes, par exemple dans les activités liées à une mesure de réparation. Les condamnations sont elles aussi marquées par une prépondérance du milieu ouvert. « Il s’agit le plus souvent d’une admonestation (27 %) – réprimande solennelle du juge des enfants –, d’une mise sous protection judiciaire (8 %) – qui permet un accompagnement éducatif au long cours, à domicile ou dans le cadre d’un placement – ou d’une remise à 3 Pierre Joxe, La Dépêche, 5/01/2015.
parents (7 %) » 4. Les peines d’emprisonnement ferme et avec sursis partiel représentent 10 % des condamnations. Des prisons pour mineurs en questions Le recours préférentiel aux mesures éducatives et la stabilité du nombre de mineurs écroués (718 au 1er janvier/2000 5 et 704 début 2015) ne doit pas écarter les interrogations sur la place et les effets de l’enfermement. La privation de liberté a pris de l’ampleur, via le basculement de certaines prises en charge du milieu ouvert sur des structures plus ou moins fermées. Aux quelque 3 000 mineurs incarcérés au cours de l’année 2013, s’ajoutent 1 793 placements en centre éducatif fermé (CEF) 6. Si ces mesures restent numériquement limitées, leur impact sur l’activité de la PJJ ne peut être ignoré : « La part des mineurs incarcérés dans le total des mineurs suivis par la PJJ en 2012 ne représente que 1,7 % de l’activité », mais 5 % de l’effectif des éducateurs pour une « intervention continue en détention » 7. Les CEF absorbent aussi 11,6 % du budget de la PJJ en 2014 8. Enserré dans les contraintes pénitentiaires, le travail éducatif en quartier mineurs reste « difficile à appréhender, et son impact est limité » témoignent 4 5 6 7 8
T. Mainard, Infostat Justice n° 133, février 2015. DAP, séries statistiques 1980-2014. Annuaire statistique de la justice 2014. J-P. Michel, La PJJ au service de la justice des mineurs, Sénat, 18/12/2013. Projet de loi de finances pour 2014. Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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dossier nombre d’éducateurs. En établissement pour mineurs (EPM), la « suractivité disciplinaire 9 » caractéristique des premières années a été allégée suite à des incidents graves, causés par des adolescents ne supportant pas ce régime. Pour autant, l’alternative laissée aux jeunes détenus reste celle de la solitude angoissante de la cellule ou celle de l’activité permanente en collectif sur-encadré. Le sociologue Philip Milburn reconnaît certains apports du dispositif EPM : qualité de la prise en charge scolaire et des éducateurs intervenants. Mais il conteste tout impact sur les trajectoires des jeunes, avec des durées de détention majoritairement inférieures à trois mois. En CEF à l’inverse, il évalue à « zéro » la prise en charge des « problématiques de fond sur la délinquance ». Dans ces structures, l’équipe éducative se consacre essentiellement au maintien de l’ordre. Un rapport d’inspection révèle à cet égard que dans les CEF gérés par le secteur associatif, « 30 % des éducateurs faisant fonction étaient sans diplôme » (IGAS/ IGSP/IPJJ, 2013).
Nombre de mineurs détenus racontent la prison « comme un épisode inévitable, ou normal, d’une trajectoire de vie », indique le sociologue Gilles Chantraine. Elle n’est qu’une des manifestations d’un enfermement qui revêt bien d’autres formes : « pauvreté, déscolarisation, déracinement, multiplications des condamnations ». La prison peut ainsi favoriser la « professionnalisation délinquante » engagée par certains pour « quitter une délinquance de misère et […] s’orienter vers des activités plus rentables et plus sûres » 10 : elle confère un statut, permet des rencontres avec plus expérimenté que soi. A Fleury, la sociologue Léonore Le Caisne a aussi observé comment « une fois “arrivés” en prison, les garçons retrouvent souvent des connaissances, directes ou indirectes ». Ils atténuent ainsi le sentiment d’exclusion créé par l’emprisonnement, relativisent cet événement – « ça n’arrive pas qu’à moi » – et le fait même de commettre des infractions – « dans mon quartier, tous les jeunes sont délinquants ». Ils vivent ainsi « le sentiment d’un destin collectif et social des membres d’une classe d’âge vivant sur un territoire spécifique, les “cités” » 11. Pour d’autres, la prison marquera un coup d’arrêt. Certains jeunes eux-mêmes lui accordent ce mérite. Ainsi Antoine, 17 ans, qui vit sa première incarcération : « C’est pour te corriger, pour te remettre bien et sur moi ça a marché. […] Moi je suis sûr de ne plus revenir. » Boris Cyrulnik, pédopsychiatre, reconnaît l’utilité d’une coupure quand le jeune évolue dans un environnement « toxique ». Mais il s’empresse d’ajouter : « La prison est la pire des réponses. […] Elle provoque l’isolement sensoriel, l’arrêt de l’empathie, l’augmentation de l’angoisse, entretient les relations toxiques et l’humiliation. En sortant de prison, on constate que l’enfant n’est plus apte à réguler 9 G. Chantraine, Trajectoires d’enfermement, Cesdip, 2008. 10 Ibid. 11 L. Le Caisne, Jeunes en prison, Ethnographie d’un « quartier mineur », Synthèse, CNRS-EHESS, 2005. Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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« La prison est la pire des réponses »
Cour de promenade du quartier mineurs de Villeneuve-lès-Maguelone
ses émotions. » 12 D’autres solutions existent et gagneraient à être renforcées, pour répondre à ce besoin de coupure, pour substituer le temps nécessaire un environnement sain et des adultes référents à celui qui a été nocif. L’association Seuil propose par exemple des marches de 1 800 kilomètres, pendant trois mois, accompagnées par un adulte. Sans compter les « séjours de rupture » proposés dans des fermes, ou parfois sur des actions humanitaires à l’étranger. Si la prison est l’école de la récidive, tel est particulièrement le cas pour les jeunes. Une étude sur les sortants de prison avance un taux de recondamnation des mineurs de l’ordre de 70 % (Benaouda, Kensey, 2010). Néanmoins, ce chiffre ne doit pas occulter le parcours d’une « majorité silencieuse (et peu médiatique) des personnes dont la première rencontre avec la justice est également la dernière, après des mesures aussi bénignes que le rappel à la loi ou la remise aux parents, voire même le classement 13 ». Critiquée, malmenée, la justice des mineurs tient tant bien que mal le cap d’une réponse usant avec souplesse des dimensions éducative et punitive, adaptée à la très grande majorité de ceux qui lui sont confiés. Pour son anniversaire, la dame aurait bien mérité le cadeau d’une réforme lui redonnant un second souffle. Barbara Liaras 12 Justice des mineurs. Questions majeures, Unicef, 2009. 13 S. Delarre, « Evaluer l’influence des mesures judiciaires sur les sorties de délinquance », in M. Mohammed, Les sorties de délinquances : théories, méthodes, enquêtes, La Découverte, 2012.
Mineurs détenus
Le moustique et le gourdin Laurence Bellon, juge des enfants depuis trente ans, est vice-présidente du tribunal pour enfants de Lyon. Elle a publié L’atelier du juge (Eres, 2011)
Quels points communs identifiez-vous dans les parcours des jeunes auteurs d’infraction que vous recevez en audience ? Soixante-dix pour cent des jeunes qui passent devant le juge des enfants ne commettront pas de nouvelle infraction durant leur minorité. Soit parce qu’il s’agissait d’un accident de parcours, soit parce que la réponse pénale a été adaptée, nous n’entendrons plus parler d’eux. Dans les 30 % qui restent, une majorité sera impliquée dans quatre ou cinq affaires, concentrées sur une courte période de six mois ou sur deux ou trois ans. Seuls quelques-uns entrent dans des processus beaucoup plus graves. Beaucoup ont en commun le décrochage scolaire – déscolarisation complète ou très grandes difficultés. J’ai observé un second point commun chez les récidivistes : 80 % sont des garçons qui ont été témoins de violences conjugales graves, lorsqu’ils avaient entre 5 et 8 ans. Ils vivent à ce moment-là une expérience triplement traumatisante : 1) c’est la loi du plus fort qui s’exprime ; 2) la relation de protection est inversée – car ils sont mis en position de protéger leur mère ; 3) ils vivent l’impuissance et la rage. Cette expérience évolue à bas bruit, puis explose à l’adolescence, avec une perte de confiance dans l’autorité, dans la loi, dans l’ordre des choses. Enfin, les enfants que nous recevons vivent souvent dans une grande précarité. Certains ne mangent pas tous les jours. La presse et les politiques évoquent des actes de plus en plus violents commis par des enfants de plus en plus jeunes. Est-ce que cela correspond à une réalité ? Ce n’est pas mon expérience. Ce sont le regard porté sur les infractions des mineurs et le traitement judiciaire qui ont évolué. Quand j’ai commencé ma carrière, je n’étais jamais saisie en matière pénale pour des enfants de moins de 13 ans, leurs actes étaient analysés sous le prisme de la protection de l’enfance. Cela arrive maintenant pour des enfants de 10 ou 11
La « tolérance zéro », en vogue depuis trente ans, entend sanctionner tout acte de délinquance commis par un mineur. Elle conduit à une surenchère des réponses, parfois disproportionnées, souvent inefficaces. En surchauffe, la machine judiciaire peine de plus en plus à prendre la mesure du parcours des jeunes. Explications avec Laurence Bellon, juge des enfants.
ans. Un collègue a récemment entendu un enfant de 10 ans, arrivé menotté après avoir attendu dans les geôles du tribunal. Son grand frère le maltraitait, il en a eu marre et lui a planté des coups de fourchette dans le dos. Le parquet l’a analysé comme une tentative d’assassinat. Pour le juge des enfants, il relevait d’une mesure de protection de l’enfance, assortie, bien sûr, d’une mise au point sur la question de la violence… pour les deux frères ! En quoi la « tolérance zéro » a-t-elle suscité cette évolution ? La tolérance zéro, mise en œuvre à l’égard des mineurs à partir des années 1980, suppose que tout acte délinquant ait une réponse judiciaire. En se focalisant sur l’acte, la prise en compte de la personnalité de l’enfant et de l’adolescent a progressivement perdu de son importance, alors qu’elle est essentielle pour adapter la réponse et permettre l’apprentissage de la loi pénale. En outre, il se produit un effet mécanique. Les juges des enfants ne pouvant traiter un tel volume de dossiers, une grande partie sont orientés vers la « troisième voie » : un délégué du procureur, souvent un gendarme ou un policier à la retraite, fait un rappel à la loi ou propose une mesure de réparation. Les délégués du procureur n’étant généralement pas formés au diagnostic éducatif, ils ne savent pas toujours analyser s’il s’agit d’un incident isolé, ou si l’enfant est en train d’entrer dans un processus de délinquance. Si la réponse n’est pas appropriée, le parcours délinquant se poursuit et le jeune va accumuler des rappels à la loi, pour des petits faits. Jusqu’au moment où le parquet considérera qu’il faut passer à la vitesse supérieure et saisir le juge des enfants. Mais on a perdu un temps précieux pour le traitement éducatif. Et aux prochains passages à l’acte, on monte rapidement en puissance jusqu’aux mesures de contrôle judiciaire et d’enfermement en centre éducatif fermé (CEF) ou en détention. Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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dossier La réponse devient mécaniquement plus dure en cas de nouvelle infraction ? S’il y a récidive, la justice est censée condamner plus sévèrement. Or, nous sommes face à des enfants et des adolescents en phase d’apprentissage des lois de la société, et en difficulté personnelle. Il est normal que leur progression ne soit pas linéaire, qu’il y ait des phases d’échecs et des phases de réussites et qu’il faille du temps pour enrayer une dérive délinquante. Il faut pouvoir alterner soutien éducatif et punition, mais la tolérance zéro est peu compatible avec cette nécessaire souplesse. Elle est renforcée par l’exigence d’une justice visible et rapide, conduisant à une augmentation considérable des défèrements, qui répondent à ce double impératif : dès la fin de la garde à vue, la personne est conduite au tribunal menottes aux mains. Il y a 15 ans, 5 % des jeunes entraient ainsi dans le circuit judiciaire. Dans les grandes villes où j’ai travaillé, Lille et Lyon, cela concerne maintenant plus de 20 % d’entre eux. S’agissant d’une procédure grave, elle entraîne mécaniquement des demandes plus sévères de la part du parquet : sur cinq défèrements que j’ai traités lors de ma dernière permanence, le parquet a demandé deux placements en détention provisoire et trois contrôles judiciaires. Cette orientation ne correspond pas à une augmentation proportionnelle de la gravité des infractions, mais à une évolution dans la façon dont la société veut répondre à la délinquance des mineurs. Quelle autre approche serait possible ? Pour l’essentiel, la société s’en remet à la justice pénale pour punir les transgressions, là où il faudrait retrouver confiance dans une démarche de transmission des valeurs, par l’ensemble des adultes. Après les attentats de janvier, un adolescent a fait l’objet d’une procédure pénale pour avoir craché sur une affiche « je suis Charlie » dans le couloir du tribunal. On aurait pu questionner autrement cet acte, lui demander de réfléchir avec des adultes à une affiche qui aurait dit quelque chose comme : « Je suis d’ici, je suis d’ailleurs, je suis croyant, je suis différent… je suis la République et on peut se parler. » On met alors l’accent sur les valeurs de la société plutôt que sur la sanction des transgressions par le seul juge. De même, lorsque des enfants de 10 à 13 ans commettent des infractions sexuelles, le réflexe est de saisir la police et la justice pénale. Or, dans 90 % des cas, il s’agit d’erreurs dans l’apprentissage de la sexualité et non pas d’une entrée dans la perversion sexuelle. Il serait plus efficace de leur proposer un accompagnement éducatif et thérapeutique adapté à leur maturité et à la phase de découverte de la sexualité. La plupart de nos voisins européens travaillent ainsi, leur loi interdisant de saisir le juge en matière pénale en dessous de 13, 14 ou 15 ans. Quelle réforme de la justice des mineurs serait, selon vous, nécessaire ? Il faudrait pouvoir remettre en question le dogme de la tolérance zéro, remobiliser d’autres instances sociales pour Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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assumer la prévention et laisser la justice s’occuper des situations les plus difficiles. Pour accompagner ces adolescents et les punir à bon escient, les juges doivent disposer d’outils sophistiqués, notamment de l’aide de psychologues et de psychiatres permettant de comprendre ce qui se « joue » dans tel comportement ou dans telle escalade de passages à l’acte. Il est devenu difficile de trouver des établissements éducatifs travaillant dans cette démarche pluridisciplinaire. Les passages à l’acte, les fugues, les violences, le désinvestissement scolaire sont interprétés comme des échecs qui doivent être sanctionnés. Et on entre dans l’escalade qui va entraîner, de rejets en exclusions, un enfermement en CEF ou en détention. L’autre réforme importante consisterait à réduire le nombre de défèrements. Face à l’afflux de mineurs déférés dans les grandes villes, les juges des enfants ont dû organiser des permanences de journée pour les recevoir à tour de rôle. Cela conduit à un système paradoxal : l’adolescent récidiviste, qui a le plus besoin de cohérence et de continuité dans les réponses judiciaires qui lui sont apportées, va être présenté à cinq ou six juges différents qui ne le connaissent pas. Ils vont certes lire le rapport de synthèse de la PJJ sur sa personnalité, mais auront tendance à se repérer par rapport à la gravité de l’acte. Or, quand on analyse la situation d’un adolescent délinquant à l’aune de la seule gravité de l’acte, on se plante. Vous dénoncez aussi un recours excessif au contrôle judiciaire avant le jugement. Pourquoi ? Cette mesure oblige le mineur à respecter certaines prescriptions : répondre aux convocations des services éducatifs, ne pas paraître dans certains lieux ou ne pas rencontrer certaines personnes… Il peut être assorti d’obligations – aller à l’école, suivre une formation, soigner une dépendance au cannabis. Sa révocation peut entraîner un placement en CEF dès 13 ans, voire en détention s’il ne respecte pas le placement en CEF. L’erreur, c’est de penser que le contrôle judiciaire va réussir à imposer, par la peur du CEF ou de la prison, ce que l’on veut obtenir sur un plan éducatif : le retour à l’école, l’arrêt de la toxicomanie, etc. Ça ne peut marcher que pour un adolescent bien structuré et encadré. Pour les autres, quand vous leurs dites, sous couvert du contrôle judiciaire, « arrêtez de fumer du cannabis » ou « allez à l’école », vous leur demandez d’arriver à un résultat qui, normalement, découle d’un apprentissage et d’un accompagnement par les parents et par les professionnels. Par l’artifice de la menace du CEF ou de la prison, les adultes se défaussent de leur responsabilité éducative. Ils renvoient la responsabilité de l’échec sur l’adolescent, alors que, dans une logique d’apprentissage, le maître et l’élève sont engagés tous les deux dans le processus. Mesures éducatives, sanctions éducatives ou peines : que recouvre cet éventail de réponses ? Les sanctions éducatives ne sont quasiment pas utilisées. Elles ont été créées pour opérer une synthèse idéologique entre sanction et éducation, sans véritable contenu original.
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Défèrement d’un mineur, tribunal pour enfants de Lille, février 2010
En revanche, la distinction entre mesures éducatives et peines est importante. Une première catégorie de mesures éducatives vise à rappeler au jeune qu’il vient de commettre un acte interdit : l’avertissement solennel, l’admonestation, la réparation, la mesure d’activité de jour (activités d’insertion scolaire ou professionnelle encadrées par la PJJ). C’est utile pour des jeunes ayant suffisamment intégré les règles pour comprendre l’avertissement ou la punition. Une autre catégorie peut servir lorsque le jeune a besoin d’être aidé et encadré pour acquérir ces repères éducatifs qui lui manquent. Par exemple, dans le cadre d’une liberté surveillée ou d’une mise sous protection judiciaire. Un éducateur le rencontre régulièrement, l’accompagne à la mission locale ou au lycée, chez le dentiste, dans un club de sport. Il vient dans la famille, parle avec les parents, va le récupérer s’il traîne dans les caves. L’objectif n’est pas de « l’occuper », mais de soutenir une prise de conscience de l’adolescent et de sa famille pour qu’il puisse se mobiliser et sortir du processus de délinquance. Certains éducateurs de la PJJ font preuve de beaucoup d’imagination, obtiennent des miracles qui ne sont pas assez valorisés. On peut aussi recourir à un placement éducatif, lorsqu’on pense que la mise à distance de son milieu peut favoriser ce processus de remobilisation. La grande force de ces mesures est leur souplesse et leur diversité. C’est comme avec un gros fumeur : il ne suffit pas de lui dire qu’il va mourir d’un cancer pour qu’il arrête. Il faut qu’il puisse tenter des expériences, accepter la rechute, recommencer autrement.
Parmi les peines, on peut prononcer des travaux d’intérêt général (TIG) et des peines de prison, fermes ou avec sursis. Le quantum est généralement plus faible que pour les majeurs. Mais il faut savoir que les lois et l’esprit du temps sont devenus beaucoup plus sévères pour les mineurs. J’ai siégé dans une cour d’assises qui a condamné un mineur à 19 ans d’emprisonnement, une peine plus longue que la vie qu’il avait vécue. Y a-t-il des mesures ou sanctions que vous privilégiez ? J’utilise autant que possible la mesure de réparation (qui n’existe que pour les mineurs) et le TIG. Ces mesures permettent de réparer symboliquement un acte interdit, en payant de son corps et de son temps. Elles ont une fonction dans le réel, instaurent un lien avec le monde des adultes. Le jeune travaille dans le temps, il prépare d’abord la mesure avec le service qui va l’accueillir, la mairie, le Resto du Cœur, puis il l’exécute. Le TIG est plus sévère, car le condamné ira en détention si les heures ne sont pas correctement effectuées. Pourquoi les mesures éducatives sont-elles souvent perçues comme une absence de sanction par les mineurs et leur entourage ? Elles sont des graines qui vont germer, on ne le perçoit pas immédiatement. Je pense aussi que la qualité de l’audience et du débat entre le jeune, les parents, la victime et les professionnels, est primordiale, plus que la décision finale. Enfin, pour avoir du sens, les différentes réponses judiciaires doivent Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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« Il est normal qu’il y ait des phases d’échecs et des phases de réussites, qu’il faille du temps pour enrayer une dérive délinquante. La tolérance zéro est peu compatible avec cette idée. » secteur associatif. Or, concentrer en un même lieu une population uniquement constituée d’adolescents délinquants pose de très grandes difficultés. Il semble que la PJJ ait décidé récemment d’évoluer un peu sur ces questions…
Audience au tribunal pour enfants de Lille, février 2010
être cohérentes : il faut qu’un même juge indique où se situe la ligne à ne pas franchir, annonce la sanction encourue, et la mette à exécution si cela se produit. Si un autre juge, au gré des permanences, va dans un sens différent de la parole précédemment engagée, il y a rupture de cette cohérence. Il reste un pourcentage de mineurs pour lesquels aucune mesure ne marche, on ne le sait pas d’avance. Mais un jour, l’emprisonnement tombe et ils partent pour plusieurs mois en détention. Au sein de la PJJ, beaucoup disent que la création, en 2002, des EPM et des CEF a eu pour effet le délaissement du milieu ouvert et des placements en foyer ordinaires. Partagez-vous cette appréciation ? Il est vrai que les CEF et les EPM concentrent toutes les attentions du grand public, des journalistes, des politiques… et des responsables de la PJJ. Les CEF ont introduit la logique du « placement-sanction » qui, petit à petit, infiltre les établissements éducatifs classiques de la PJJ. Les équipes se laissent entraîner dans une logique incidents-sanction-exclusion et elles en arrivent à demander le placement de l’adolescent en CEF ou en détention. Face à la « visibilité » de la pédagogie de l’enfermement en CEF ou en EPM, la pédagogie de l’accompagnement éducatif en milieu ouvert paraît bien dérisoire. Comment faire comprendre le travail de fourmi, souvent immatériel et aléatoire, que doit réaliser un éducateur de milieu ouvert pour créer le lien de confiance qui fera levier et permettra au jeune d’amorcer une évolution ? Il est pourtant essentiel. Il ne faut pas oublier aussi le coût exorbitant des CEF et des EPM : 600 à 700 euros par jour et par mineur en CEF, plus de 1 000 euros en EPM. Ces établissements absorbent une très grande partie du budget de la PJJ, au détriment des autres formes de prise en charge, des innovations, des expérimentations. Depuis quelques années, la politique de la PJJ conduit à un cloisonnement étanche entre adolescents en danger et adolescents délinquants et limite les possibilités de placement dans le Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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Pourquoi la majorité des mineurs détenus le sont dans le cadre d’une détention provisoire ? Si on respecte la loi, on ne peut ordonner une détention provisoire que pour des nécessités de l’instruction ou comme garanties de représentation, si aucune autre solution n’est possible. Mais lorsqu’un juge voit arriver un mineur par le biais du défèrement, il sera enclin à penser qu’il vaut mieux le punir à chaud, sans attendre une éventuelle condamnation. Dans l’esprit du juge, c’est censé être plus pédagogique et plus clair. Croyez-vous à la fonction éducative de la prison pour les mineurs ? A certains moments, il faut punir et la prison peut être cette punition. La privation de liberté fait souffrir, en particulier la privation des liens avec la famille. Cette expérience de l’enfermement et de la contrainte à chaque étape de la journée les fait réfléchir, et tant mieux s’ils y sont aidés par la présence d’éducateurs, d’enseignants, de psychologues. Mais la détention ne tient pas lieu en soi de traitement éducatif. Elle reste un monde clos, où les tensions s’exacerbent et où les rapports de force demeurent présents. Il faut rester très vigilant à ce sujet. Certains souhaitent que la justice des mineurs ressemble de plus en plus à celle des majeurs. Est-ce que l’inverse vous paraît envisageable ? Je n’y crois pas, la logique de répression prédomine trop. La justice est parfois même plus sévère pour les mineurs que pour les majeurs, comme lors de l’exécution immédiate des courtes peines d’emprisonnement pour l’adolescent comparaissant libre à l’audience. C’est surtout le détricotage du principe de « continuité personnelle », liant un enfant à « son » juge, qui rapproche de plus en plus la justice pénale des mineurs de celle des majeurs. Le juge des enfants était comme un enseignant, en charge de transmettre un savoir, disposant de temps pour le faire, qui explique, répète, connaît les capacités de chaque élève, punit quand il le faut… Il se transforme en un examinateur du Bac sanctionnant l’acquisition des savoirs par un adolescent anonyme, seulement accompagné de son « dossier unique de personnalité ». C’est le processus le plus grave que connaisse actuellement la justice pénale des mineurs. Recueilli par Barbara Liaras
Mineurs détenus
« Les autres détenus sont restés une menace » Incarcéré pendant vingt-deux mois en 2005-2006, Morgan était un jeune détenu atypique : sans difficultés sociales ni passé judiciaire, en première S lors de son incarcération pour homicide, il a passé son bac en prison. Un profil qui lui a fait bénéficier d’une attention particulière des personnels. Mais ne lui a pas épargné les tensions et violences omniprésentes entre jeunes.
Comment se déroulaient vos journées ?
Durant sa détention au quartier mineurs de Gradignan, Morgan a participé à un atelier BD animé par le dessinateur Bast. En Chienneté (éditions La Boite à bulles, 2013), raconte cet atelier.
A 7 heures on est réveillé par les bruits, le sommeil est léger, on dort péniblement dans cet endroit. A 8 heures, la journée démarre avec une heure de sport, puis des cours et une activité. On termine l’après-midi par une heure de promenade. Les repas étaient pris en cellule, à 11h30 et 17 h 30. Après, la porte reste fermée jusqu’au lendemain matin. J’avais un privilège, le droit de descendre discuter et boire un vrai café avec le surveillant après la fermeture des portes, jusqu’à la fin de son service à 18 heures. Ils ont tout fait pour installer une bulle protectrice autour de moi.
Quel a été votre parcours judiciaire ?
Quelles étaient les conditions matérielles ?
Je suis resté vingt-deux mois en détention, dont un an et demi au quartier mineurs de la maison d’arrêt de Gradignan. D’abord prévenu, puis condamné, pour homicide. C’était mon premier contact avec la justice, contrairement à la très grande majorité des jeunes que j’ai croisés là-bas. Compte tenu de la gravité des faits, j’ai compris la décision de m’incarcérer. Depuis ma sortie fin 2006, je n’ai plus eu à faire à la justice.
La cellule, individuelle, mesurait 9 m², avec une douche et l’eau chaude. Il y avait une télé, coupée de minuit à 7 heures Il fallait optimiser l’espace, je suis devenu très ordonné. Chacun assure le ménage de sa cellule – tout le monde ne le fait pas. J’ai pu commander un poste de radio, une console de jeux que je cachais : dès qu’on a quelque chose de plus que l’autre, on passe pour un riche : « Il a 24 cannettes de Coca, 12 canettes d’Orangina »… pour celui qui n’a rien, ça peut créer des envies.
Comment s’est déroulée votre arrivée au quartier mineurs ? Je suis arrivé en pleine nuit, sans aucun repère, terrorisé. Confronté à l’inconnu et à la peur de l’autre. On m’a dit : « Tu te mets là et tu verras les surveillants demain. » Le lendemain, un surveillant référent mineurs m’a expliqué calmement ce qui allait se passer, il m’a rassuré. J’ai passé la première semaine en observation, sans participer aux activités. J’ai rencontré l’éducateur de la PJJ, puis les responsables de l’enseignement – un peu surpris de voir débarquer quelqu’un qui était en première S. Je me suis souvent entendu dire que j’étais « le cas atypique ».
Vous avez poursuivi votre scolarité ? J’ai reçu un soutien considérable de mes professeurs de lycée, qui sont venus me donner des cours, pour que je puisse continuer ma première et viser le bac. Le corps enseignant et le responsable de l’éducation de la prison ont tout mis en œuvre pour que je puisse finir l’année en restant inscrit dans mon ancien lycée et pour financer une inscription au CNED l’année suivante, tout en ayant les cours particuliers de mes anciens profs. Je suis le seul à avoir eu mon bac à la maison d’arrêt cette année-là. Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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dossier Quelles étaient vos relations avec les éducateurs ? Ils m’ont soutenu. Je n’étais pas le cas le plus problématique, il n’y avait pas d’urgence, de sortie à préparer. Ils m’informaient de l’avancement de ma procédure pénale, ce qui allait se passer lors du jugement… Dans la maison d’arrêt, le soutien est surtout venu des surveillants référents. J’étais le gars sans histoire. Ils me parlaient de dehors, des films qu’ils allaient voir. Nos relations étaient amicales, je pense que de l’affection s’est installée, même s’ils ne devaient pas le montrer, pour ne pas me mettre en défaut par rapport aux autres.
Oui, c’est dur de se retrouver complètement seul. J’ai réussi à mettre des barrières, me blinder par rapport aux autres, à me servir de ma tête, faute d’avoir les muscles pour me défendre. Mais je ne pouvais pas le faire tout seul, j’ai demandé à être suivi par le psychologue, pour me rassurer, pour parler tout simplement. Je tenais aussi un calendrier, je marquais les journées : +, ++, -, --. Il y a beaucoup de moins-moins.
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Vous avez eu besoin d’un soutien psychologique ?
Cellule d’un mineur, février 2014
Comment décririez-vous l’ambiance entre les jeunes ? Tendue. Toujours dans la provocation. Qui va s’imposer, être le plus gros caïd, qui a commis le pire ? Qui va « mettre à l’amende » le surveillant comme ils disaient, le rendre dingue. Pendant un an et demi, ceux qui sortaient me narguaient : « Toi tu es là pour dix ans, moi je sors demain. » Je répondais : « A bientôt », et je les revoyais le mois suivant. Ils n’arrivaient pas à comprendre que je passe le bac : « Tu es là pour dix ans, ça te sert à quoi ? » Ces jeunes étaient durs, leur niveau scolaire très faible. Ils sont toujours restés une menace. Vous avez été témoin de bagarres, de violences ? Témoin et victime. Ces jeunes n’ont pas vraiment de limites, ils ne savent pas où s’arrêter. Quand une bagarre éclate, on ne sait pas si c’est juste pour savoir qui est le plus fort ou si c’est pour faire mal. Nous étions peu nombreux au quartier, autour de dix en moyenne. Plus on était, plus c’était tendu. L’effet de groupe est affolant. Ça va très, très vite. Il m’est arrivé de ne pas aller en promenade pendant deux semaines : on y Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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est tous seuls entre détenus, le surveillant est dans le mirador. Je ne profitais que du sport, où deux surveillants étaient toujours présents. Avez-vous pu maintenir des liens avec votre famille ? J’ai eu beaucoup de visites au parloir, amis, professeurs, famille. Au début, le contrôle du courrier me mettait mal à l’aise. Les lettres arrivent et partent ouvertes, on se sent épié. On s’y habitue petit à petit, on se lâche un peu plus, mais on est quand-même retenu dans ce qu’on écrit. On ne sait pas trop qui va le lire, comment ça va être interprété. A votre majorité, vous avez été transféré au quartier des majeurs, comment l’avez-vous vécu ? Je suis né en mai, mais ils ont attendu que j’aie passé le bac, en juin, pour me transférer. Gradignan est à 150 % d’occupation, donc forcément deux ou trois personnes par cellule. Hors de question de passer le bac dans ces conditions. Le passage
Mineurs détenus a été très délicat. On m’avait promis de me sélectionner un codétenu sans histoires. Je me suis retrouvé avec un monsieur un peu à l’ouest, mais très gentil au premier abord. J’ai très vite participé aux activités, fait des connaissances (heureusement, car les personnes isolées sont plus visées par des agressions et humiliations). Au bout de deux, trois jours, je me suis aperçu que mon codétenu prenait des médicaments, se levait la nuit, faisait des bruits bizarres… J’ai dormi avec une poêle à la main, toute la nuit. Dès l’ouverture de la porte, j’ai crié, c’est la première fois que je me suis rebellé. Je suis resté seul quelques jours, puis j’ai eu un nouveau codétenu. Il ne voulait pas être avec moi, je ne voulais pas être avec lui, c’est le seul point sur lequel on s’entendait. On a remis un courrier expliquant qu’on ne se supportait pas, que ça allait dégénérer et au bout de deux jours j’ai à nouveau été tranquille. Le psychiatre a finalement demandé que je sois seul en cellule, il a vu que ce n’était pas un caprice. Les promenades vous angoissaient autant qu’au quartier mineurs ? Non, alors qu’il y avait beaucoup plus de monde, ça s’est bien passé. Je n’ai jamais eu de soucis et je sortais beaucoup plus. Parce que je me retrouvais avec des adultes avec qui je pouvais discuter, avoir d’autres sujets de conversation que « t’as du shit ? ». Votre sortie a-t-elle été préparée ? Non, elle a été avancée de près d’un an, suite à une erreur de greffe. Un soir, on me dit « changement de programme, il faut sortir, on ne peut pas vous garder ». La sortie a été violente. Ne serait-ce que traverser la route, regarder à gauche et à droite, être conscient du danger… J’avais l’impression que la route était immense, que le monde était immense. Le confinement réduit la perspective. J’ai eu la chance de retrouver un cadre familial, d’intégrer la fac, avec l’aide d’un étudiant du Génépi chargé de cours. Je me suis orienté vers le droit. Aux partiels, j’ai été interrogé sur la Cour d’assises : mon domaine de prédilection ! Avez-vous eu une forme de suivi ? J’ai eu un suivi du SPIP pendant un an. Une formalité, vérifier si j’étais encore là, vivant, si je n’avais pas déménagé. Pensez-vous encore à la prison ? Il n’y a pas un jour sans que je me réveille en me disant « je suis chez moi, tout va bien ». Dix ans après, il reste des réflexes. J’ai une petite claustrophobie, qui s’atténue. Au début, quand j’étais chez quelqu’un, j’attendais qu’on m’ouvre la porte. Je n’aime pas les imprévus. Tout est tellement cadré, tellement minuté en prison. Le dimanche, on reste en cellule toute la journée, sauf une heure de promenade. Aujourd’hui, j’ai absolument besoin d’être actif le dimanche. Quand quelqu’un fait une allusion à la prison, je me demande toujours : « Est-ce qu’il fait cette blague parce qu’il sait ? »
Cette expérience reste stigmatisante ? Je n’aime pas qu’on vienne m’en parler. Mais c’est parfois très frustrant, quand je discute avec quelqu’un que j’aime bien, qui ne connaît pas mon passé. J’ai une pensée liée à la prison, envie de raconter une anecdote, et je me retiens, je me dis qu’il va me voir autrement. Ça ne me dérange pas d’en parler, mais j’ai toujours peur du jugement de l’autre. Recueilli par Barbara Liaras
« Quand je suis sorti, j’avais l’impression d’être une star » « La liberté, c’est un truc de fou… Surtout quand tu es un mineur de 14, 15, 16 ans il y a trop de tentations, on veut toujours avoir le plus de choses. Moi c’est l’argent. L’argent ça me rend fou. Moi je ne peux pas rester dehors une journée sans avoir minimum 200 euros. Ah je ne sais pas quand j’ai commis mon premier délit. La première chose, c’était voler des affaires dans les magasins, les trucs les plus chers. Je ne me faisais jamais prendre. Après je rentrais dans les cités et je vendais aux grands. J’étais souvent tout seul quand je volais. Personne ne m’a appris. C’est à force de traîner avec des gens que je regardais faire. Moi au départ je n’étais pas trop tenté, j’avais peur, peur de me faire arrêter, après tu essayes et après ça réussit et après ça ne s’arrête plus. Après ça devient des pro. Quand tu es mineur à chaque fois tu dis que tu vas arrêter, mais tu as du mal, tant que tu n’as pas 17 ans tu fais que des bêtises et ça a du mal à s’arrêter. […] Parce que toi dans ta tête tu es encore mineur, tu vas aller en prison, tu vas faire deux, trois mois, six mois et tu vas ressortir, c’est rien, ça va passer vite, c’est pas comme les majeurs. […] Je suis sorti, il y a un grand de mon quartier qui m’avait insulté et je voulais me battre et les autres ils lui disaient : « attention, il sort de prison » et après dès que j’ai entendu ça ils m’ont pris pour un dangereux. Quand je suis sorti, j’avais l’impression d’être une star, tous les gens ils me disaient : « ah, tu as été en prison » et moi j’étais fier. J’étais trop libre dans ma tête. Ça m’a rendu fier, à mort. Les grands de mon quartier ils me donnaient des 100 euros, des 200 euros comme ça, ils étaient fiers de moi juste parce que j’étais allé en prison, c’était un truc de fou. La prison elle ne m’a servi à rien, rien du tout parce que je me retrouve là [à nouveau détenu]. C’est vraiment inutile, et c’est comme si j’étais en foyer. À mes copains, j’ai dit que la prison, c’était trop de la bombe. En fait aux mineurs, c’est comme si tu étais dans un foyer. Moi je trouve, les CER c’est plus dur qu’une prison de mineurs. » Guillaume, 17 ans, seconde incarcération – Extrait de G. Chantraine, Trajectoires d’enfermement, récits de vie au quartier mineurs, Cesdip, 2008
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Des moyens considérables… au mauvais endroit Depuis 2002, des moyens considérables ont été dévolus aux centres éducatifs fermés et établissements pénitentiaires pour mineurs. En pure perte, selon Philip Milburn. Pour le sociologue, ces structures ne permettent pas une prise en charge éducative satisfaisante, et ne jouent aucun rôle dissuasif. Il en appelle au réinvestissement de suivis intensifs en milieu ouvert. le transfère en QM… On échappe ainsi au projet initial, assignant des objectifs spécifiques à chaque catégorie d’établissement : c’est le parcours du jeune au sein de chaque structure qui est déterminant. Philip Milburn, sociologue et professeur à l’université de Rennes 2, conduit des recherches sur les établissements privatifs de liberté pour mineurs.
Qu’est-ce qui distingue les centres éducatifs fermés (CEF), les établissements pour mineurs (EPM) et les quartiers mineurs (QM) ? Les CEF dépendent de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ils privilégient un objectif éducatif très renforcé, sans dimension carcérale ni présence de personnel pénitentiaire. Ils sont néanmoins fermés, les jeunes n’ont pas le droit d’en sortir. La durée de séjour est de six mois, renouvelables une fois. EPM et QM sont des structures pénitentiaires, où interviennent des éducateurs de la PJJ. La durée moyenne d’incarcération est de deux mois et demi. Les EPM répondent à l’idée qu’en incarcérant les mineurs dans des établissements spécifiques, sans contact avec les détenus adultes, avec un très fort encadrement d’éducateurs, d’enseignants et une présence médico-psychologique, une large place peut être accordée à l’éducatif. Les quartiers pour mineurs restent des unités réservées aux mineurs au sein d’une prison pour majeurs, l’éducatif et la scolarité sont très peu présents. En EPM comme en QM, le fonctionnement reste surdéterminé par le carcéral. Y a-t-il une hiérarchie entre les trois types d’établissements ? Pas dans les textes. Mais il y a une forme de gradation liée au parcours institutionnel du mineur : le juge décide d’un placement en CEF parce que les mesures en milieu ouvert ont échoué, puis en EPM s’il réitère ou a violé les règles du CEF ; et, s’il s’avère intenable en EPM, l’administration pénitentiaire Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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Dans les trois types d’établissements, tensions et violences semblent omniprésentes. Comment l’expliquez-vous ? Le degré de violence me semble assez conforme au profil des gamins accueillis : si l’on rassemble des bagarreurs dans un même endroit, ils vont se battre, c’est peu différent de ce qu’ils vivent dans leur quartier. Mais ces violences focalisent l’attention, du fait de leur concentration. La tension permanente me semble pourtant une difficulté plus prégnante, on passe constamment de situations de crise à des contextes plus détendus. Le séjour en CEF, avec un encadrement très fort, 24 heures sur 24 pendant six mois ou un an, s’avère extrêmement astreignant pour les gamins : pas de cannabis, de télé ou de jeux vidéo, obligation de se lever à 8 heures du matin. Le régime leur apparaît comme dur, l’ambiance entre les jeunes aussi, les anciens bizutent les nouveaux. Pour un mineur qui n’a pas connu d’autre placement, c’est extrêmement angoissant d’être projeté dans ce contexte. Certains se rebellent dès le départ, d’autres tiennent trois ou quatre mois, puis fléchissent et explosent, agressent un éducateur. C’est encore plus marquant en EPM. Le niveau de contrôle limite dans un premier temps les possibilités de violence… jusqu’à ce que le sur-encadrement devienne insupportable pour certains. Les CEF accueillent-ils effectivement les « multiréitérants ou récidivistes » à qui ils étaient initialement destinés ? Le public s’est élargi à des jeunes moins ancrés dans la délinquance. Entre 2002 et 2012, la sécurité occupait une grande place sur l’agenda politique et les CEF sont apparus comme une panacée permettant de tenir à l’écart des quartiers les mineurs très difficiles, qu’on ne savait pas où mettre ailleurs. Des foyers classiques ont été transformés en CEF, politique délibérée appuyée par la PJJ et le secteur associatif habilité qui
développait ainsi son activité [en 2014, 33 CEF sur 50 sont gérés par des associations, ndlr]. Des places en CEF ont été créées au-delà du nécessaire, au détriment d’autres structures extrêmement efficaces – centres éducatifs renforcés, centres de placement immédiat – qui permettaient de sortir assez brièvement le jeune de son milieu pour le recadrer. De sorte que les juges pour enfants n’ont plus le choix : il n’y a de place qu’en CEF, qui deviennent dès lors « la pire des solutions à l’exclusion de toutes les autres ».
© Michel Le Moine
Mineurs détenus
Centre des jeunes détenus de Fleury-Mérogis, la salle informatique, 2002
De nombreux éducateurs ont décrié le nouveau modèle éducatif promu via les CEF et EPM, « intégrant la contrainte au cœur du système de prise en charge ». Ils suivent le mot d’ordre de leurs syndicats, affirmant qu’on ne peut pas éduquer sous contrainte. Ce n’est ni totalement faux, ni totalement vrai. Une prise en charge sous le mode de la contrainte est parfois nécessaire, ils le savent mais ne veulent pas l’assurer. En ce sens, les CEF les arrangent bien. On garde bonne conscience à l’égard des « patates chaudes », les gamins dont on ne sait plus quoi faire : ils ne vont pas en prison, on leur assure une prise en charge éducative, avec l’idée que la contrainte ne devrait finalement pas faire de mal. Dans les années 1980, il n’y avait rien entre le placement classique en milieu ouvert et la prison. Lorsque des gamins devenaient intenables, les éducateurs, qui mettaient un point d’honneur à s’opposer à l’incarcération, rédigeaient parfois des rapports au juge précisant qu’« untel aurait besoin d’un coup d’arrêt », sous-entendu « un petit séjour en prison ». La théorie éducative n’a jamais su répondre au problème des enfants tellement perturbés et turbulents que la pédagogie ne suffit plus. Le contrôle en soi n’est pas pédagogique, mais il en faut pour faire de la pédagogie. Le Contrôleur général dénonçait en 2010 l’absence, dans certains CEF, de « projet de service » et de « document individuel de prise en charge », ainsi qu’un recours « abusif voire usuel à des moyens de contrainte physique ». Vos observations corroborent-elles ce constat ? La faiblesse du suivi est réelle, et renvoie à la difficulté d’assurer une prise en charge pédagogique individualisée là où le collectif est omniprésent. Notre recherche dans six centres 1 montre que les personnels travaillent dans l’urgence, sont accaparés par les problèmes du quotidien : des jeunes qui se 1 C. Lenzi, P. Milburn, Les Centres éducatifs fermés, La part cachée du travail éducatif en milieu contraint, Mission droit et justice (sous presse).
disputent, fument un joint… Ils n’ont ni le temps ni les compétences de mener de travail éducatif positif, serein et continu. La plupart des éducateurs en CEF n’ont pas de diplôme dans le social, sont incapables de comprendre les problématiques des jeunes, d’un collectif. Ils parviennent à obtenir un comportement correct, mais traiter des problématiques de fond sur la délinquance, sur le côté psychologique et social, c’est zéro. Quant à la dimension « contention », c’est un vrai problème en CEF, même s’il est difficile d’estimer précisément la fréquence de ces situations taboues. Lorsqu’un jeune devient violent, les personnels doivent assurer leur sécurité et celle des autres jeunes, mais ne sont pas mandatés pour intervenir physiquement. L’approche qui prévaut est de ne pratiquer de contention, c’est-à-dire bloquer physiquement un gamin, que lorsqu’il menace autrui. Si cela se produit, on le contient le temps qu’il se calme. Il arrive cependant qu’un éducateur « bloque » au sol un gamin surexcité, pas dangereux, mais qui énerve tout le monde. Physiquement ce n’est pas plus violent qu’une prise de judo, mais la violence symbolique est très forte : la puissance institutionnelle s’exprime physiquement. L’équipe en sort très mal à l’aise, parce que ce n’est pas son métier. Et elle doit maintenir une relation censée être pédagogique avec le gamin. Il faudrait restructurer le fonctionnement organisationnel, avec des éducateurs référents assurant le suivi individuel et d’autres, plus proches d’animateurs, orientés sur les activités et le collectif, évitant aux premiers de se retrouver en situation de conflit ouvert avec les jeunes. Cette répartition des tâches – éducation assurée par la PJJ et contrainte par la pénitentiaire – fonctionne-t-elle en EPM ? Oui, paradoxalement, le suivi pédagogique par les éducateurs y est plus efficace qu’en CEF, car les surveillants assurent la dimension de contrôle du comportement. Ils ne trouvent pas forcément ça drôle, mais c’est dans leurs missions et ils ne Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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© Vincent Nguyen/Riva Press
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Centre éducatif fermé de Savigny-sur-Orge, avril 2010
sont pas censés avoir une relation pédagogique avec le jeune. Les éducateurs peuvent ainsi faire de l’éducatif à plein temps. Idem à l’école, les élèves sont trois par classe, un surveillant reste derrière la vitre et intervient à la moindre anicroche. Les enseignants peuvent enseigner, faire un vrai travail de rescolarisation. Au niveau scolaire, les gamins progressent en EPM. Les binômes surveillant pénitentiaire-éducateur, instaurés en EPM, s’inscrivent-ils dans cette logique ? A quelles difficultés se heurtent-ils ? Ces binômes permettent aux surveillants et éducateurs de travailler en bonne entente. C’est tout. Confrontés ensemble aux gamins pendant les repas, quelques loisirs, ils constatent que leur régime de fonctionnement est proche. Les surveillants saisissent la part de contrainte et de rappel à la règle dans le travail des éducateurs, qui perçoivent la part d’éducatif assumée par les surveillants. Les jeunes les voient travailler ensemble, comprennent qu’ils ne peuvent pas les monter les uns contre les autres. Le grand problème encombrant leur cohabitation, c’est que le surveillant se pense comme représentant de l’institution et dernier maillon d’une chaîne hiérarchique, quand l’éducateur se pense comme un professionnel prenant des initiatives individuelles pour répondre aux besoins des jeunes. Qui au besoin s’assoit sur l’institution, parce que pour bien éduquer il faut parfois oublier l’institution pour que l’enfant puisse se la réapproprier. Si un gamin chahute, l’éducateur veut une réponse immédiate. Il l’emmène dans sa chambre, le prive d’un objet ou d’une activité, et discute avec lui de la sanction. Le surveillant est obligé de rédiger un rapport, il craint de se faire taper sur les doigts si la sanction n’est pas légale, que ça crée une émeute, et que ça lui retombe sur le dos. Etonnamment, il préfère souvent ne pas sanctionner, là où l’éducateur pense que c’est nécessaire. Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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Les jeunes comprennent-ils l’ambiguïté instaurée par la cohabitation PJJ/Administration pénitentiaire ? Il y a parfois un déficit de sens dans leur tête. Certains pensent aller en prison « à la dure » pour « payer le prix », et ils se retrouvent un peu à l’école, avec l’éducateur derrière eux en permanence, des activités comme au CEF ou dans n’importe quel foyer. Leurs relations peuvent être meilleures avec les surveillants, sur un registre de rapport de force virile, qu’avec les éducateurs, parfois plus sévères, avec qui il faut causer, ça leur « prend la tête ». S’il était travaillé, ce brouillage pourrait se montrer utile, les obliger à comprendre que la prison ne se réduit pas à payer le prix et être quitte. La brièveté de leur séjour, à de rares exceptions près, ne permet pas ce travail. Au bout de deux mois, ils sont à peine sortis du brouillard qu’ils sont libérés ou en CEF. Pouvez-vous expliquer les mesures de bon ordre et les régimes différenciés en EPM ? Ces jeunes sont susceptibles d’avoir des actes subitement violents. Par exemple, parce qu’ils n’aiment pas les petits pois, ils jettent leur assiette à la figure du surveillant. Ce geste relève de la commission de discipline. Mais de tels incidents sont si fréquents qu’on passerait son temps à ces commissions – on en compte 450 par an dans certains EPM. De plus, la commission de discipline se réunit quatre ou cinq jours plus tard, l’effet sanction est inepte. D’où la création de ces mesures de bon ordre, qui sont des sanctions légères, pouvant être prises immédiatement, en accord avec les éducateurs et les surveillants. Elles peuvent consister à priver l’enfant de ping-pong ou de jeu vidéo le soir. Elles permettent de gérer les micro-sanctions au quotidien, sans mobiliser une procédure très lourde. Le régime différencié, quant à lui, est un système de « carotte et de bâton », rétribuant les bons comportements par un changement de régime : du plus dur, avec très peu de droits et aucune activité de loisirs, à un régime intermédiaire accordant
Mineurs détenus un peu de liberté et à un régime de « responsabilité » laissant les gamins plus autonomes, leur permettant de regarder des films, de rester plus tard le soir, etc. Une régression indique le fait que l’enfant a perdu son droit à l’autonomie parce qu’il n’a pas su être responsable. Elle doit lui faire comprendre qu’il peut récupérer des droits en se comportant mieux. L’affectation des mineurs dans tel ou tel régime est décidée lors des commissions pluridisciplinaires uniques (CPU), selon une équation complexe : comportement, scolarité, ancienneté dans l’incarcération, appartenance à une bande, problèmes psychologiques, risque de suicide (la grande angoisse des personnels, bien plus que l’évasion)… Les débats peuvent être longs, des logiques s’opposent : un enfant peut être vulnérable du point de vue des psychologues, et perturbateur pour les autres. En quoi le régime des QM diffère-t-il de celui des EPM ? Le suivi éducatif est très léger en quartier mineur. Des éducateurs viennent de temps en temps, ils essaient de suivre les gamins, d’établir le lien avec leur famille. La scolarisation est obligatoire, mais aléatoire : quatre jours par semaine, pas pendant les vacances – un jeune incarcéré en été ne verra pas un enseignant –, si les mômes ne veulent pas y aller, ils mettent le bazar. Les gamins peuvent traîner dans leur cellule, regarder la télé, fumer, communiquer avec les majeurs lors de déplacements ou par les projections – ce qu’ils ne peuvent pas faire en EPM. Certains s’acclimatent très vite, le QM devient leur deuxième maison. La relation est généralement bonne avec les surveillants, qui sont leur principal interlocuteur et souvent ne portent pas l’uniforme, au profit du survêtement. Ceux-ci sont généralement volontaires pour l’affectation en QM, ont envie de travailler dans cet environnement. Ce n’est pas le cas en EPM, beaucoup demandent le poste pour retourner dans leur région d’origine. Sans avoir nécessairement les compétences pour travailler avec des mineurs. C’est encore un paradoxe : l’encadrement pénitentiaire est parfois meilleur en QM qu’en EPM. Les jeunes fanfaronnent en disant qu’ils préfèrent le QM, censé être un endroit tranquille où on n’a pas en permanence sur le dos des éducateurs, animateurs, enseignants, psychologues… En réalité, ce quotidien, beaucoup plus proche du « carcéral pur » des majeurs, est dur, tenable sur deux ou trois mois, guère plus. Dans les deux cas, la logique pénitentiaire reste prégnante. Par exemple, on va consacrer 3/4 d’heure d’une CPU à élaborer un projet pour un mineur, en présence de son éducateur PJJ qui a fait 300 km pour être là. Et on apprend le lendemain qu’il est transféré. Tout le boulot est à recommencer. Pourquoi une majorité de mineurs restent détenus dans des quartiers mineurs, quand cinq EPM sur six disposent de places non occupées ? La principale raison, c’est la proximité. Il n’y a que six EPM en France, aucun dans l’Est. Les trajets sont trop chers et trop longs pour les parents, alors que le lien avec la famille est un élément fort. Ne pouvant pas multiplier les EPM, l’administration est obligée de garder les quartiers mineurs. Par ailleurs,
« On ne peut pas savoir ce qui va se passer » « Ici [au quartier mineurs], si tu veux, tu dors. Si tu ne veux pas aller à l’école, tu ne vas pas à l’école. Tu as la télé. Tu es bien. […] En fait, la prison, ce n’est pas ça qui m’a fait arrêter… On va dire que ça ne m’a pas traumatisé… Il y en a, ça y est, je ne fais plus de conneries ! Non, moi, ça ne m’a pas traumatisé, je ne suis pas content d’être là-bas, je n’étais pas content d’être là-bas, j’étais dégoûté… je me dis, je fais des conneries, c’est comme ça… Je n’ai pas envie de refaire des conneries, hein… mais voilà, je dis ça maintenant, mais demain je vais aller voler aussi… c’est pour ça, on ne sait pas, on ne peut pas savoir… c’est ce qui va se passer dans la rue. » Adrien, 16 ans, condamné à six mois dont trois avec sursis – Extrait de G. Chantraine, Trajectoires d’enfermement, récits de vie au quartier mineurs, Cesdip, 2008
l’ouverture des EPM ont porté à 1 000 le total des places de prison pour mineurs, dont une part reste inoccupée. Les EPM devaient permettre aux juges de prononcer des peines conjuguant la dissuasion avec une forte dimension éducative. Ça n’a pas fonctionné, la plupart des juges et tribunaux pour enfants évitent à tout prix l’incarcération, ultime recours selon l’ordonnance de 1945. Ils n’ont pas pris l’option de « la prison éducative », plutôt celle des CEF. Pensez-vous que vouloir faire du temps de détention un temps d’éducation ou de rééducation soit voué à l’échec ? Sur deux mois, c’est de l’utopie. Des moyens considérables sont mis en EPM : 115 adultes pour 40 jeunes, des enseignants de haut niveau, des éducateurs diplômés bac + 3. C’est un dispositif extrêmement lourd, riche en apports, qui pourrait être efficace si les mineurs y restaient plus longtemps. Mais on ne peut évidemment pas appeler à « sur-incarcérer » pour des raisons éducatives, qui ne correspondent pas à l’objet légal de la prison (sanction, rétribution, dissuasion, neutralisation). Dans la mesure où la prison pour les mineurs est prévue par la loi, où les juges et les services éducatifs l’invoquent comme horizon auprès des jeunes et de leurs familles, on ne peut éviter d’y avoir recours, pour de courtes durées, sauf à discréditer l’action socio-judiciaire. Mais les moyens déployés en EPM seraient dix fois plus rentables en termes d’évitement de la récidive s’ils étaient investis dans une prise en charge intensive à la sortie de prison, par un éducateur référent. La prison ne peut avoir de sens pour un jeune que si elle est retravaillée dès la sortie avec son éducateur. Qui fasse un travail de fond, le voie tous les deux jours, l’envoie à l’école, faire du sport, avec le juge dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou autre prise en charge en milieu ouvert. On aurait des résultats et ça ne coûterait pas plus cher. Recueilli par Barbara Liaras Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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Fleury :
La cour de promenade du Centre des jeunes détenus de Fleury-Mérogis, 2002
quartier mineurs en mode majeurs Le plus grand quartier mineurs de France concentre et multiplie les difficultés de prise en charge inhérentes à ces enclaves dans des prisons pour adultes : locaux inadaptés, violence latente et vacuité du temps carcéral.
T
out est démesuré à Fleury-Mérogis.
adultes, les filles (18 en février 2015) sont, depuis 2007, dans une aile réservée au sein de la maison d’arrêt des femmes (MAF), à l’autre bout du site. Toutes les mineures détenues en Ile-de-France y sont rassemblées, afin de limiter leur isolement. Revers de la médaille, les temps de parcours imposés aux familles souhaitant venir au parloir sont allongés.
son qui serait la plus grande d’Europe se trouve le quartier mineurs le plus important de France, avec un effectif oscillant de 70 à 100 mineurs détenus, parfois un peu plus (74 au 1er février 2015). Les difficultés inhérentes à la prise en charge des enfants détenus sont en proportion : les garçons sont coincés au 3e des quatre étages du Centre pour jeunes détenus (CJD), appellation restée d’un temps où les jeunes adultes, jusqu’à 21 ans, occupaient avec les mineurs ce bâtiment situé à 300 mètres de la maison d’arrêt des hommes. Aujourd’hui, 350 détenus majeurs 1 occupent les étages inférieurs et supérieur. De leurs fenêtres donnant sur la cour de promenade des mineurs, ils envoient tabac, haschich, puces de téléphone, aliments… Les « yoyos » – ficelles permettant de faire passer d’une fenêtre à l’autre les objets qu’on y a attachés – font le reste. Tout circule, contribuant au processus de « carcéralisation » et familiarisant les plus jeunes avec la détention des majeurs. Longtemps détenues avec les femmes
« Les équipements sont dans un état lamentable » dénonce Georges, éducateur au CJD durant cinq ans, à la retraite depuis 18 mois. « Les jeunes cassent les fenêtres des cellules en été, pour lutter contre la chaleur » précise Nelly, éducatrice. « Elles ne sont pas toujours remplacées en début d’hiver et il arrive qu’il fasse un froid glacial. » Dans les cellules, individuelles, « le box des toilettes n’est pas fermé » ajoute le Contrôleur général 2. Les enfants ne disposent que d’un lavabo avec un robinet d’eau froide. Six cabines de douche, dans une salle collective, pourvoient aux besoins de l’ensemble des occupants du QM. « Elles sont très
1 Rapport annuel 2012 de la maison d’arrêt.
2 CGLPL, rapport de visite à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, 11 au 22 janvier 2010.
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Au sein cette pri-
Equipements vétustes et temps millimétré
Mineurs détenus dégradées, signale Nelly, plusieurs ne fonctionnent pas. » Dès lors, assurer les trois douches hebdomadaires réglementaires relève du défi. Des infestations régulières de puces et punaises de lit, sans remède durable, accroissent l’inconfort. Seule la rénovation complète des locaux pourrait venir à bout des bestioles, comme ce fut le cas à la maison d’arrêt des hommes.
© Michel Le Moine
Annoncé pour 2016, le chantier enverra les mineurs dans un secteur du « grand quartier », qui leur sera réservé, pour au moins deux ou trois ans. Très attendue, la création d’un escalier dédié devrait fluidifier les déplacements. L’unique escalier desservant les quatre étages du bâtiment constitue aujourd’hui un point de blocage important, la loi interdisant que mineurs et majeurs se croisent. Une contrainte pouvant facilement faire sauter une activité, un rendez-vous médical, réduire un temps de promenade… « Le temps carcéral est millimétré », explique Georges. « Tout changement pose problème. Pour une activité sportive, il faut prévoir des surveillants pour la sécurité, mais aussi pour accompagner les mouvements, emmener les gamins à la douche… » Nelly confirme : « Les jeunes arrivent souvent avec un tel retard qu’on doit annuler. Hier, sur les quinze inscrits au rugby, cinq étaient présents : ils avaient dû choisir entre sport et promenade. » Groupes rivaux
A Fleury-Mérogis sont régulièrement incarcérés des jeunes dépourvus de documents d’identité. Déterminer leur âge emporte plusieurs enjeux : les plus grands doivent-ils être orientés vers le quartier mineurs, ou chez les majeurs ? Les plus jeunes ont-ils atteint 13 ans, âge minimal pour une incarcération ? « En médecine, on se fie à la déclaration du patient », explique un soignant. « Mais la justice a recours à des tests osseux, dont la marge d’erreur est estimée à 18 mois, en plus ou en moins. » Saisi par l’OIP, le Défenseur des droits a ainsi examiné la situation d’un enfant illégalement détenu au quartier mineurs de Fleury du 1er au 18 juillet 2012 : « Le parquet s’est fondé sur un âge osseux estimé qui s’est avéré parfaitement erroné, les multiples doutes et contradictions tenant tant à l’âge supposé du mineur qu’à sa réelle identité n’ont pas profité à ce dernier » (Décision du 19 avril 2013). Les éléments recueillis ont permis d’établir que garçon était en réalité âgé de 12 ans, conduisant le procureur de la République à lever l’incarcération.
confisquer son téléphone. Des surveillants l’avaient repéré, mais il était convaincu qu’un autre jeune l’avait dénoncé. Il lui est tombé dessus en promenade, tout le monde s’y est mis. La veille, c’est un simple regard qui a déclenché les hostilités. » Les surveillants contrôlent la cour de promenade
© Michel Le Moine
Gérer les groupes, éviter la confrontation entre rivaux… représente un casse-tête permanent. « La tension peut très vite monter, dégénérer en bagarre généralisée, y compris chez les filles » indique Nelly. « Un jeune s’est récemment fait
Mineurs isolés étrangers : tests osseux pour déterminer l’âge
Les escaliers desservant les quatre étages du bâtiment constituent un point de blocage lors des déplacements des mineurs, 2002 Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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« Condamnés à s’emmerder » Intervenant au CJD depuis 2005, les éducateurs sont 18. Un effectif « presque délirant au regard des faibles moyens attribués ailleurs » estime un adhérent du SNPES-PJJ, jugeant que ces professionnels seraient mieux employés en milieu ouvert. Le travail éducatif y reste en effet « difficile à appréhender » selon Georges, qui note « un certain détachement des éducateurs, peut-être lié à l’idée que leur travail à ce moment-là n’aura qu’un impact limité. C’est un temps contraint, un peu suspendu, on essaye juste de faire que ça se passe au mieux, de poser des éléments qui pourront servir par la suite. Quand un jeune roumain est là pour la 5 ou 6e fois, qu’on sait qu’il n’y aura aucun accompagnement éducatif après sa libération, notre rôle se limite à un accompagnement bienveillant. » Les possibilités de rencontre avec les mineurs sont limitées, d’autant que le bureau des éducateurs est situé hors de la détention et que la journée pénitentiaire s’arrête à 17 h 30. « La semaine dernière, explique Nelly, j’ai dû monter cinq fois en détention avant de pouvoir rencontrer le jeune que je voulais voir : les surveillants avaient d’autres priorités que me l’amener. » Après avoir travaillé en milieu ouvert, un éducateur s’avoue « surpris par le peu d’accès aux mineurs. C’est encore pire avec les filles, la MAF est à 1,5 km. » Une vingtaine d’activités sont proposées : du ping-pong à la boxe en passant par des jeux de société, ou des interventions d’associations extérieures pour de la prévention sanitaire. Mais entre les difficultés d’organisation et ceux qui optent pour la « playstation » ou la télévision en cellule, « seuls une vingtaine de gamins en profitent », tempère Nelly. « Une majorité reste en cellule une vingtaine d’heures par jour. Quelquesuns, une dizaine, ne supportent pas l’enfermement et parviennent à s’occuper toute la journée. » Selon l’éducatrice, le temps hebdomadaire de scolarisation tourne en moyenne autour de deux à trois heures de cours. « Ceux qui bénéficient de la « liaison scolaire » sont considérés comme scolarisés. Il 3 L. Le Caisne, « La prison, une annexe de la cité ? », in L’expérience collective des détenus mineurs, Ethnologie française, 2009/3, vol. 39. Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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« La justice, elle me dégoûte » « Moi au début, dans ma famille, c’était moi le chouchou de ma famille… Mais depuis que je suis parti en couille, ça y est… je ne suis le chouchou que de ma mère… mon père, il m’a oublié ! […] Mon CP, je l’ai fait normal… CE1, je l’ai redoublé… Je suis allé en CLIS… C’est des trucs, je ne sais pas quoi, de rattrapage tout ça… Hé bah, les deux premières années se sont bien passées… et les trois dernières années… je dormais en cours… Après je commençais à sortir… 13 ans, à minuit, une heure du matin, j’étais dehors… 9-10 ans, j’étais déjà dehors… Parce que mon père travaillait la nuit… il travaillait dans une usine ! Je sais que ma mère venait me chercher, mais voilà… Moi, des fois quand je n’avais pas envie, je rentrais à une heure ou 2 heures… A 13 ans, j’étais à la rue… non, qu’est-ce que je raconte… dès 10 ans, j’étais déjà à la rue… A l’issue de sa première incarcération] Hé ouais, je suis sorti, je me souviens le 26 novembre… je ne peux pas aller aux Assedic, je suis encore mineur… Je ne peux rien faire… ouais, je n’ai pas de sous… Hé ben, ouais, je me souviens bien, le lendemain… le lundi, j’étais en train de voler ! Pourquoi ? Pour que le jour de Noël, je puisse acheter la PSP à mon petit frère et pour avoir des sous pour passer un bon jour de l’An… J’ai volé pour m’habiller. C’est tout ! Ça fait que je recommençais mes conneries ! Parce qu’il n’y avait personne derrière moi… qui venait me dire : « bon, on va essayer de trouver du travail… » Ce que je veux, c’est qu’on me renvoie chez moi mais qu’on m’aide, qu’on me dit d’aller voir là ou là… pour trouver du travail ! Ou pour trouver, je ne sais pas, un apprentissage… ou un patron… un CFA ou quoi… Non, je suis sorti… une semaine après, mon éducatrice, elle m’a dit : « viens me voir ». Moi, je ne suis pas allé la voir… parce que c’était pour aller dans une famille d’accueil… Ici, tu es enfermé du matin au soir… et la prison, franchement, je la ressens mal. La justice, elle me dégoûte ! Comme l’affaire de Clearstream et tout ça ! C’est une grosse affaire quand même ? Hé ben, pourquoi les gens ne sont pas en prison ? On insulte un condé et on va en prison pour ça… pour trois mois, quatre mois ! Franchement, voilà, c’est ça qui me dégoûte. » Hafiz, 17 ans, troisième incarcération – Extrait de G. Chantraine, Trajectoires d’enfermement, récits de vie au quartier mineurs, Cesdip, 2008
s’agit en fait d’une demi-heure par semaine en individuel avec un enseignant, qui monte en détention. » Un autre intervenant observe que les mineurs « sont aussi condamnés à s’emmerder. Ça participe de la dureté de l’enfermement. » Barbara Liaras
© Cyril Sollier/La Provence
depuis l’extérieur. Le temps qu’ils constatent la bagarre et déclenchent les procédures d’intervention, le mal est fait. La cour s’avère pour beaucoup « un lieu criminogène par excellence, estime Nelly, l’effet groupe y joue à plein, avec des phénomènes de bandes, parfois importées de l’extérieur. » Majoritaires, ceux « de Paris et de ses banlieues sud et est, […] occupent leurs journées à transformer leur lieu de détention en une annexe de la cité 3 », selon la sociologue Léonore Le Caisne. Pour éviter les conflits, les enfants venus des pays de l’est, évalués par une éducatrice à 33 % des garçons, ont été regroupés dans « l’aile des roumains » et restent entièrement isolés des autres. « La pénitentiaire les étiquette en “risque de bagarre” avec tout le reste de la détention, ce qui nous interdit de les inscrire sur une activité avec d’autres » déplore Nelly.
Mineurs détenus
Les jeunes doivent être accompagnés d’un surveillant dans tous leurs déplacements. EPM de la Valentine, septembre 2009
Educatrices en EPM :
deux lectures d’un même métier Myriam et Nathalie exercent toutes deux en EPM depuis 2011, l’une au sud, l’autre au nord de la Loire. La première voit dans la prise en charge pluridisciplinaire une richesse permettant à certains adolescents de rebondir. La seconde juge son intervention « superficielle » en raison des contraintes de fonctionnement et de la prééminence de l’administration pénitentiaire. Qui sont les mineurs arrivant à l’EPM ? Myriam. Certains sont des primo-délinquants mis en cause sur de graves infractions, d’autres sont réitérants, avec un parcours judiciaire plus conséquent, ou encore des mineurs isolés dont le premier contact avec la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) se fait par la détention. Leurs parcours sont diversifiés, mais souvent marqués par une accumulation de facteurs de fragilité : difficultés familiales, sociales et financières, père peu présent ou absent, carences éducatives ayant pu amener une prise en charge de la protection de l’enfance et de la PJJ. Certains ont un parcours institutionnel étoffé, avec des placements dès la prime enfance, mais ce n’est pas systématique. Nathalie. Très peu sont condamnés – 8 sur 53 début février 2015. La plupart sont en détention provisoire, dans l’attente d’un jugement qui peut se tenir un ou deux ans après. Ils sont parfois remis en liberté, puis à nouveau incarcérés après
le jugement. Tous leurs efforts d’insertion sont alors ruinés. Certains ont des parcours judiciaires complexes, sont passés par des foyers, des centres éducatifs fermés. D’autres sont primo-délinquants, sans suivi extérieur. Nous avons également des mineurs étrangers isolés, trois ou quatre en moyenne, souvent arrêtés après des vols de subsistance. Contrairement aux autres, ils sont jugés très rapidement et sont condamnés à des peines plus sévères. Ils n’ont pas de famille, pas de visites, le groupe refuse de les intégrer. La détention est dure pour eux. Peu de structures les accueillent à leur sortie, certains retournent à la rue. Leur passage par la prison vous paraît-il nécessaire ? Myriam. L’incarcération peut marquer un coup d’arrêt. Certains n’imaginaient pas que cela pourrait leur arriver, le choc carcéral agit pleinement. Ceux-ci vont rebondir à partir de ce que peut offrir un EPM : re-scolarisation, prise en charge psychologique, Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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dossier accompagnement éducatif de proximité. Ils poursuivront à leur sortie un parcours plus valorisant. C’est plus difficile pour ceux qui ont déjà vécu l’incarcération. Il faut tenter de comprendre ce qu’ils éprouvent, ce qui a fonctionné ou pas dans les placements antérieurs, lorsque cela a été le cas, pour ajuster l’accompagnement et individualiser la prise en charge. Nathalie. Certains magistrats pensent que le passage par la case prison peut être utile de façon brève, en réponse à des actes très graves, pour marquer un coup d’arrêt, rappeler l’existence du Code pénal et sanctionner sa violation. Même dans ce cas, je pense que la prison est plutôt néfaste et qu’il faut privilégier l’éducation. Si toutefois l’enfant est incarcéré, il faut que ce soit court et qu’il y ait un accompagnement éducatif pendant et après. Si l’incarcération se prolonge, le risque est de voir les enfants prendre les habitudes du milieu carcéral. Nous avons un jeune en détention provisoire depuis neuf mois. A midi, il attend le repas, prêt devant sa porte ; il se montre très poli avec les surveillants, très formaté. Il n’est plus lui-même. La détention peut aussi conduire à nouer des contacts avec d’autres délinquants, pour monter des « business » après la sortie. Et la violence de cet environnement a parfois un impact terrible. Sur l’unité, un gamin a été deux fois agressé par les autres. Après bien des hésitations, avons décidé de le changer d’unité. Là, il a inversé les rôles : il est devenu violent, parlait mal aux surveillants, cassait tout dans sa cellule. Il y a eu dépôt de plainte, il va être jugé pour ces faits. La détention a rendu violent ce jeune qui ne l’était pas à l’extérieur. Avez-vous choisi d’exercer dans une prison pour mineurs ? Myriam. Oui. Je travaillais dans un foyer d’hébergement, je trouvais intéressant de voir ce que pouvait être le rôle d’un éducateur au sein d’un lieu de détention. Comme de nombreux collègues, j’avais des doutes sur la possibilité de faire de l’éducatif en milieu contraint. Je pense aujourd’hui que nous y avons notre place. Je ne côtoie pas les mineurs autant qu’en hébergement, mais l’EPM permet des moments collectifs. C’est le seul lieu professionnel où j’interviens aux côtés de plusieurs institutions ; la proximité géographique est facilitante, elle permet le lien avec le pôle scolaire, de lever une interrogation sur l’effectivité d’un suivi psychologique, c’est donc assez riche. Nathalie. Lorsque je suis sortie d’école, l’intervention des éducateurs en détention était controversée. J’ai eu envie de me rendre compte par moi-même, convaincue que le travail d’un éducateur est aux côtés des gamins en difficulté, qu’ils soient en milieu ouvert, en insertion, en foyer ou en prison. Après quatre ans, je comprends mieux les réticences de certains collègues. Notre marge de manœuvre est restreinte, nous sommes confrontés constamment aux décisions de l’administration pénitentiaire (AP), qui bloquent souvent les projets. Quel est votre rôle dans la prise en charge des jeunes détenus ? Myriam. En suivi individuel, je les accompagne dans la réflexion sur ce qui les a amenés en détention, sur leur Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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Les cellules d’attente où sont placés les mineurs à leur arrivée, EPM de Meyzieu, mars 2008
parcours, leur trajectoire délinquante, sur les victimes s’il y en a. Lorsqu’ils sont déjà pris en charge par la PJJ, je prends contact avec l’éducateur de milieu ouvert pour maintenir la cohérence avec le travail débuté. Si c’est une première incarcération, je porte une attention particulière à leur ressenti, pour évaluer le choc carcéral ; si c’est une 2e ou 3e incarcération, je m’attache en plus à analyser pourquoi les précédentes n’ont pas mené à une issue positive. Je veux aussi leur faire comprendre qu’un passage par la prison n’empêche pas d’avoir par la suite un parcours valorisant. J’essaye d’amener le jeune à verbaliser un éventuel besoin d’accompagnement psychologique. Dans l’unité, l’éducateur observe la dynamique du groupe, repère ceux qui sont en difficulté, ceux qui cherchent la place de leader, ceux qui n’attendent rien. La présence des éducateurs vise aussi à repositionner l’adulte au sein du groupe, alors qu’il est souvent absent de leur discours ; et par là, à redonner à l’adolescent la place qui est la sienne. Nous nous devons de rétablir leur confiance envers l’adulte, très souvent entamée. Nathalie. En théorie, l’éducateur accompagne le mineur, travaille avec lui sur le sens de son incarcération, maintient le lien avec sa famille et avec l’éducateur de milieu ouvert. Il s’occupe également des projets d’aménagement de peine, en fait très rares compte-tenu du faible nombre de condamnés – j’ai monté deux dossiers en quatre ans. En pratique, nous sommes absorbés par le quotidien, notre intervention reste superficielle. J’ai par moments l’impression d’être un peu animatrice, un peu femme de ménage : mettre en place les repas, lever le couvert, récupérer le linge des jeunes et le mettre à laver… Ce sont des tâches partagées avec le surveillant [en binôme], j’évite tout retard pour ne pas créer de tension – au point qu’il m’arrive d’écourter des appels avec une famille, par exemple, pour ne pas perturber le planning. S’y ajoute l’obligation d’avoir un
Mineurs détenus
© Sébastien Erôme/Signatures
surveillant accompagnant tous les déplacements du jeune. Ces contraintes nous empêchent de décider simplement d’aller chercher untel dans sa cellule pour lui demander d’aider, pour le responsabiliser et l’impliquer dans le fonctionnement de l’unité : il faut demander l’autorisation à l’avance, ajuster le planning du surveillant… Bien souvent, l’AP refuse, parce que ça complique trop la gestion, ou qu’elle craint des difficultés supplémentaires en cas d’incident. Dans cet emploi du temps minuté, aucun créneau spécifique n’est prévu pour nos entretiens avec les jeunes, qui n’ont d’ailleurs pas de fréquence fixe. C’est selon les besoins, et il faut s’arranger avec le collègue surveillant pour insérer ce rendez-vous dans son planning. Les réunions d’équipe hebdomadaires des éducateurs sont souvent consacrées aux informations institutionnelles et pratiques – emplois du temps, évolutions législatives, actualités de la PJJ… Dans le peu de temps restant pour parler des gamins, nous abordons surtout des éléments factuels : « On a eu sa mère au téléphone », « il a tel rendez-vous ». Nous arrivons parfois à analyser la situation d’un ou deux gamins : quelle est sa réelle problématique, qu’en pense sa psychologue, quels projets peuvent être envisagés pour lui ? Mais il nous faudrait dégager un autre temps pour parler vraiment de tous nos gamins. Les services PJJ en EPM n’étant pas rattachés à un service de milieu ouvert – contrairement aux quartiers mineurs – nous avons moins d’échanges avec les collègues en charge des suivis extérieurs, cela affaiblit notre analyse. Comment se déroule la collaboration entre différentes professions, en particulier les binômes surveillant AP-éducateur PJJ ? Myriam. Le binôme avec les surveillants peut être compliqué dans le sens ou, contrairement aux éducateurs, ils ne travaillent pas toujours sur la même unité, sauf celle des arrivants et celle à régime « différencié » ou renforcé. A chaque prise de service, il faut s’adapter à une nouvelle personne, se caler pour gérer la journée des jeunes, prendre la température. Même si on s’entend bien, on ne peut pas créer une dynamique d’équipe au sens strict du terme. Au-delà du binôme, la présence des différentes institutions – éducation nationale, unité médicale, PJJ et AP – est une force. Par exemple, tout mineur arrivant est reçu par la commission pluridisciplinaire unique, où toutes les institutions sont présentes. Sa situation est évoquée afin de
définir les grandes lignes de sa prise en charge. Le lieu unique permet la proximité, même si cela nécessite un gros travail de communication pour comprendre quels sont le champ d’action, les prérogatives et les contraintes de chaque institution. Nathalie. Le binôme surveillant-éducateur n’existe pas, selon moi : nous ne travaillons pas deux jours de suite avec le même surveillant, ils tournent sur les unités (à l’exception du quartier arrivants). Sachant qu’il faudra reprendre à zéro le lendemain, il y a moins d’investissement dans la relation professionnelle. Depuis peu, pour y remédier, l’AP essaye de stabiliser les équipes sur une unité pendant trois mois. Par ailleurs, l’impression selon laquelle éducateur et surveillant travaillent côte-àcôte toute la journée est fausse. Ce n’est que pendant les repas et les activités que le binôme se concrétise. Et encore. Certains surveillants s’assoient à table et discutent ; mais d’autres restent à l’écart, ce temps partagé est trop éloigné de leur culture professionnelle. De même pour les activités, certains participent, d’autres se contentent de veiller à notre sécurité. Quatre administrations interviennent à l’EPM. Mais c’est le lieu de la pénitentiaire, toutes les décisions en émanent. Si elle décide d’affecter un arrivant dans telle unité, les éducateurs ne peuvent que subir, même si nous sommes convaincus que c’est au détriment de la dynamique du groupe. Lorsqu’il faut transférer un jeune, pour libérer une place, notre avis n’est pas toujours entendu. Tous les quinze jours, dans chaque unité, se réunissent le surveillant et l’éducateur de la journée, le lieutenant pénitentiaire, le chef de service PJJ, un personnel de l’unité médicale, les psychologues et un enseignant, pour faire le point sur la situation globale du mineur : comportement en détention, projets à venir, problématiques sanitaires, scolaires… C’est enrichissant, mais les intervenants ne sont pas toujours présents, par exemple pendant les congés scolaires. La semaine dernière, j’étais seule avec le surveillant et le lieutenant. Une part conséquente des informations circule par des rencontres informelles entre professionnels. Le niveau de violence élevé de certains lieux de détention pour mineurs a été souligné à plusieurs reprises, y êtes-vous confrontée ? Myriam. Il y a des bagarres, parfois importées de l’extérieur avec les rivalités entre quartiers, plus souvent après des échanges d’insultes ou lorsqu’un jeune cherche à trouver sa place par le seul biais de la violence, pensant qu’il s’agit du seul mode de reconnaissance. Dans un environnement qui peut être perçu parfois comme insécurisant, le jeune veut montrer qu’il n’a pas peur, qu’il est le plus fort. C’est une dynamique présente dans les groupes d’adolescents, peut être plus importante à l’EPM en raison du nombre d’enfants présents. Il faut pouvoir le reprendre avec chacun, comprendre ce qu’il y a réellement derrière ces attitudes. Nathalie. Rarement. En quatre ans, j’ai vu deux ou trois bagarres. Les surveillants, qui représentent l’institution pénitentiaire, l’autorité, la loi, sont plus confrontés que les Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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dossier
Les temps collectifs ont parfois été décrits comme trop intensifs, qu’en pensez-vous ? Myriam. Pour ce qui concerne les activités, je ne crois pas : les jeunes ont malgré tout du temps en cellule. Pendant les vacances scolaires, les activités sont maintenues, tous les jours, mais l’encellulement est plus important. Ils s’en plaignent et demandent fortement à reprendre un rythme quotidien avec l’école et le sport. Quelques-uns, plus fragiles, ont très peur des temps collectifs, mais c’est plutôt lié au choc carcéral qu’à une intensité excessive de ces moments. Nathalie. C’était surtout vrai dans les premiers temps après l’ouverture. Le régime était très intensif, les activités pas du tout construites : l’éducateur emmenait les jeunes sur le terrain de sport, mais il n’y avait pas de moniteur pour jouer au foot avec eux. Du coup, ils faisaient des parloirs sauvages avec les gamins restés en cellule, ou se battaient. L’organisation s’est améliorée depuis, un pôle a été créé pour proposer des activités avec plus de contenu, en regroupant des gamins de différentes unités. En général, la solitude leur pèse. Les moments collectifs sont parfois très riches. Lors des repas, les conversations entre jeunes, éducateurs et surveillants peuvent être passionnantes. Quelles réponses sont apportées en cas d’incident ? Myriam. Les mesures de bon ordre (MBO) apportent une réponse immédiate, par exemple quand un jeune, lors d’un mouvement, va courir sur le stade au lieu de rentrer directement à l’unité, ou s’il crée un incident au pôle scolaire. Les MBO peuvent être une privation de télé, d’activité. Pour des passages à l’acte plus graves, par exemple une bagarre violente, le jeune est affecté sur l’unité en régime renforcé, avec une restriction des activités et temps collectifs. On répond au mal être du jeune par la mise en œuvre d’un régime de prise en charge différencié, lui permettant d’être au calme, de sortir de la tension du groupe pour pouvoir réfléchir. Les éducateurs sont présents sur cette unité, ils voient à quel moment et dans quelles conditions un retour sur l’unité d’origine est possible Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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« Notre intervention reste superficielle. J’ai par moments l’impression d’être un peu animatrice, un peu femme de ménage. »
ou pas ; ils tiennent compte de l’attitude du jeune, mais aussi des places disponibles. Si l’incident se produit au scolaire et a entraîné une exclusion, une « remédiation », à l’issue de la sanction, réunit les protagonistes, un surveillant et l’éducateur, le proviseur. Ce moment permet de verbaliser la tension dans un temps où elle est moins aiguë, de repartir avec une certaine sérénité et de montrer au jeune la cohérence d’action entre les acteurs. Quelle que soit la réponse, elle doit être complétée par des temps de réflexion et de parole individuelle avec le jeune, pour comprendre ce qui s’est passé, en informer les familles, si nécessaire en discuter avec elles lorsqu’elles viennent au parloir. Par ailleurs, nous avons mis en place un dispositif de réparation et de travail d’intérêt général, prononcé en commission de discipline, afin de donner la possibilité de sanctionner autrement que par le simple « confinement ». Les éducateurs assurent un accompagnement éducatif de réparation de cellules ou divers travaux, occasions prétextes à reparler de l’acte qui a valu la sanction. Il me semblerait intéressant de développer ce type de procédure de réparation et d’excuse. On permet ainsi au mineur d’entamer une réflexion, d’être un acteur positif suite à son acte. En amont, à l’instar de ce qui se fait en foyer, il serait intéressant de prévoir des réunions avec les jeunes, en présence d’un surveillant pour discuter du fonctionnement, de la vie de l’unité. Cela permettrait un échange entre les mineurs et les adultes présents, renforcerait leur vision du travail du binôme. Nathalie. Lorsqu’un gamin doit être sanctionné, sans mériter le quartier disciplinaire (QD), ou s’il a moins de seize ans et ne peut de ce fait être sanctionné de QD, l’unité renforcée permet de l’isoler, le temps de réfléchir à son comportement. Les trois premiers jours, il ne sort pas de sa cellule. Ensuite, il prend ses repas en collectif et suit les activités avec son unité d’origine, qu’il est censé réintégrer au bout d’une semaine, s’il n’y a pas eu d’incident. Ce n’est pas toujours possible, sa place a pu être prise par un autre. L’unité renforcée peut également succéder au QD, si l’AP estime nécessaire de maintenir le jeune à l’écart de son unité, parce qu’il se livre à des trafics, pour observer son comportement, ou en attendant un transfert. L’unité renforcée permet aussi de mettre à l’écart un gamin vivant mal le collectif, même si on essaye en priorité de lui trouver une place dans une unité ordinaire plus calme. Recueilli par Barbara Liaras
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éducateurs aux agressions, notamment verbales. Mais la violence se manifeste surtout par des dégâts matériels, des gamins qui cassent tout dans les cellules : fenêtres, bureaux, télé… C’est selon moi une conséquence de la violence institutionnelle, de l’insécurité induite par l’organisation de la détention, par le taux d’occupation de l’établissement. A leur arrivée, les jeunes voient de multiples interlocuteurs, ils sont complètement perdus. Puis ils sont basculés d’une unité à l’autre en fonction des places disponibles, ou placés en attente à l’unité stricte, le temps qu’une place se libère en unité ordinaire. Certains ne supportent pas cette perte additionnelle de repères. Si on était plus carrés, expliquant au gamin : « Tu vas au quartier arrivants pendant tant de jours, puis tu seras sur telle unité », que ce cheminement était bien repéré, ils seraient moins frustrés et moins énervés. Dans cet environnement contraint, difficile à vivre, la frustration et la colère montent très vite.
Mineurs détenus
Un jeune dans sa cellule, EPM de Meyzieu, mars 2008
EPM de Meyzieu :
une vocation éducative grignotée par le sécuritaire Premier du genre, l’Etablissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) du Rhône a ouvert ses portes en juin 2007, en périphérie de Lyon. Huit ans plus tard, cette prison qui avait pour objectif de placer « l’éducatif au cœur du projet » ne semble pas satisfaire à cet engagement.
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’une capacité de 60 places, l’EPM comporte sept uni-
tés de vie construites autour d’un grand terrain de sport. Chaque unité est de petite taille, le plus souvent dix places. Cinq d’entres elles sont réservées aux garçons, une unité comporte cinq cellules pour les filles et une cellule de protection d’urgence (en cas de crise suicidaire). L’établissement ne souffre pas de sur-occupation, contrairement aux EPM de La Valentine (Marseille) et Porcheville (région parisienne), souvent saturés. Au 1er février 2015, 35 mineurs étaient détenus à l’EPM du Rhône, soit une densité de 58,3 %. En 2013, la durée moyenne d’incarcération y était de 76 jours.
Comme toutes les prisons pour mineurs, l’EPM accueille une grande majorité de prévenus (85 % en moyenne). Les mineurs sont majoritairement à Meyzieu pour des faits de vols (62 % en 2013). Les faits de violences sont plus rares (16 %) tandis que les homicides ou meurtres concernent 5 % des détenus. Un fort taux de personnels… aux cultures professionnelles différentes Outre l’équipe médicale (environ 4 ETP), les enseignants (6,5 ETP), le personnel administratif et les salariés de l’entreprise de gestion déléguée, l’EPM emploie une soixantaine d’agents Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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dossier pénitentiaires qui se relaient 24h/24, et une quarantaine d’agents de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) qui interviennent en journée. Pour une moyenne de 32 mineurs. Le budget faramineux qui en découle a été pointé du doigt par un rapport du Sénat de 2011, puisque le coût d’une journée en EPM était alors évalué à 570 € par détenu, contre 111 € en quartier mineurs 1. Les EPM ont pour particularité le principe du travail en binômes éducateur-surveillant : un système qui fonctionne mal selon les personnels de la PJJ. Une éducatrice résume le problème en ces termes : « Le lien éducatif est la base de notre travail, et je trouve que l’AP freine ce lien, parce qu’au final c’est toujours l’AP qui a le dernier mot et qu’on est en permanence dans des guerres de terrain. » Auteurs d’une étude sur cette question, F. Bailleau et N. Gourmelon expliquent que « le temps éducatif est un temps long, celui du projet, de la transformation du jeune, de son insertion ; celui de l’administration pénitentiaire étant le temps présent : assurer la sécurité, le bon ordre dans la détention, gérer la peine au quotidien 2 ». L’omniprésence de la surveillance et des temps collectifs A l’ouverture de l’EPM, la semaine des jeunes comportait soixante heures d’activités, réparties en un tiers de cours, un tiers de sport et un tiers d’activités socio-éducatives. La majorité des mineurs passant par cette prison étant déscolarisée ou en échec scolaire, ce planning s’est avéré inadapté, les jeunes n’étant pas habitués à un tel rythme de vie. Le régime d’activités a vite été revu à la baisse, passant à un maximum de trente heures par semaine (hors week-end). L’occupation continue des mineurs à des activités collectives reste cependant sujette à questionnements, nombre d’intervenants déplorant l’absence d’autonomie laissée aux jeunes et l’omniprésence de l’équipe encadrante. Un psychiatre intervenant à l’EPM estime que « laisser la personne mieux décider de son environnement serait un acte de prévention fort » pour « diminuer les souffrances » des jeunes détenus, et notamment les passages à l’acte suicidaire. Un surveillant les réveille chaque matin à 7 h 15. Ils ont entre 30 et 45 minutes pour se préparer avant le petit-déjeuner. Au sein de chaque unité, les jeunes sont répartis en deux groupes, chacun alternant la prise de repas en collectif et en cellule. Du lundi au vendredi, la journée d’activité est répartie en six créneaux, de 9 heures à 12 heures et de 14 heures à 17 h 30. S’enchaînent alors les cours dispensés par l’Education nationale, les activités socioéducatives, le sport et les entretiens avec les éducateurs. Le dîner est servi à 18 h 30 et la journée se termine à 20 heures par la « validation des effectifs ». Les détenus se retrouvent alors seuls en cellule et passent généralement le restant de la soirée à regarder la télévision, qui s’éteint automatiquement à 23 heures. Le règlement intérieur prévoit que « les personnes détenues qui n’ont pas d’activité dans la journée bénéficient 1 J-C. Peyronnet, F. Pillet, Rapport d’information du groupe de travail sur l’enfermement des mineurs délinquants, Sénat, 12 juillet 2011. 2 F. Bailleau, N. Gourmelon, « Le binôme éducateur surveillant dans les EPM : un compromis à risque pour l’action éducative », Les cahiers de la justice, septembre 2012. Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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La cour de promenade du quartier disciplinaire, EPM de Meyzieu, mars 2008
d’une heure de promenade par jour ». Ce qui n’est quasiment le cas d’aucun mineur, si bien que la promenade quotidienne à l’air libre, de droit pour toute personne détenue, s’avère impossible à Meyzieu. Cette disposition, déjà dénoncée comme illégale en avril 2014 par l’OIP, n’a pas été modifiée. Un suicide qui a marqué l’EPM En février 2008, moins de huit mois après son ouverture, l’EPM de Meyzieu a connu le suicide de J.K., âgé de 16 ans. La prise en charge de ce jeune, qui avait commis quatre tentatives de suicide en l’espace de dix jours depuis son arrivée, a été fortement critiquée par la Commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS). Dans son avis, elle déplorait son placement plusieurs jours de suite « dans une cellule fenêtre bloquée, sans lumière, sans télévision ni activité ». Elle regrettait aussi le temps écoulé entre la demande de permis de visite déposée par le père de J.K. et sa délivrance, pointant le « sentiment d’abandon ressenti par ce mineur très perturbé qui n’a de fait reçu aucune visite de ses proches » durant la période des fêtes de fin d’année. L’ensemble des personnels a depuis reçu une formation à la prévention du suicide. Les tentatives de suicide restent fréquentes, mais aucun décès n’a été déploré. La réponse souvent plus sécuritaire que sanitaire aux comportements auto-agressifs continue néanmoins d’interroger. Ainsi en est-il du dispositif consistant à contrôler une fois par heure, pendant toute la nuit, que les jeunes repérés comme suicidaires ne sont pas passés à l’acte. La lumière de la cellule
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Mineurs détenus
étant chaque fois allumée, le sommeil du détenu est perturbé, ce qui est « à double tranchant », reconnaît un agent. Les pratiques de sanctions interpellent également, par exemple lorsqu’une jeune fille suicidaire ayant inondé sa cellule et très agitée lors de l’intervention des surveillants a été placée au quartier disciplinaire. Difficile maintien des liens familiaux L’éloignement familial fait partie des principaux problèmes de l’établissement. « Les familles sont souvent dans des situations sociales précaires et viennent de loin, alors que l’EPM est difficilement accessible en transports en commun » constate un psychiatre. De la gare de Lyon-Part-Dieu, il faut compter environ 50 minutes de bus pour arriver à Meyzieu, à des horaires pas toujours compatibles avec ceux des parloirs. Sur place, aucun lieu d’accueil n’est prévu pour l’attente et l’information des familles. Dans un « état des lieux » de mars 2012, l’ancien directeur du service éducatif le signalait, sans qu’aucun changement n’ait été apporté depuis : « Concrètement les familles attendent dehors, quelles que soient les conditions climatiques, sans possibilité de se rendre aux toilettes, avec des parents qu’il faut convaincre de venir et qui viennent parfois de loin. » L’éloignement familial a plusieurs causes : non seulement l’EPM couvre une zone géographique très large (d’Aurillac à Chambéry), mais aussi des transferts de désencombrement ont régulièrement lieu depuis la région PACA, en raison du faible taux d’occupation à Meyzieu. Une partie des
détenus sont ainsi originaires du Sud-Est de la France, ce qui implique de longs déplacements pour leurs proches et réduit le nombre de visites au parloir. Ces transferts sont en outre générateurs de violence, en raison de fortes rivalités entre les jeunes de Lyon et ceux de Marseille. Alors qu’il a passé sept mois à l’EPM entre mars et septembre 2013, Sam explique les difficultés auxquelles il a été confronté pour garder un lien avec ses proches habitant l’Isère : « Ça a mis trois mois et demi pour que ma famille puisse venir me voir alors que mes parents avaient fait la demande dès que je suis rentré à l’EPM. Et le permis a été refusé pour tous mes amis et pour mon frère. Ma mère venait me voir environ tous les quinze jours, parce que ça faisait loin pour 45 minutes de parloir. » Il raconte aussi qu’il ne téléphonait à ses parents « que tous les deux ou trois jours pour 10-15 minutes, parce que c’est trop cher, environ 80 centimes la minute quand on appelle sur un portable ». Il n’existe qu’une borne téléphonique par unité de vie, accessible uniquement entre la fin des activités et le dîner, sur un laps de temps très court. Violences et réponses sécuritaires La prépondérance de la violence verbale et physique, entre détenus, entre surveillants et détenus, est manifeste à Meyzieu. La construction de l’établissement en agora, avec un terrain de sport central et les sept unités de vie positionnées tout autour, permet aux jeunes de voir depuis les fenêtres de leurs cellules tous les mouvements de leurs codétenus. Cette situation accentue chez eux une tendance à invectiver depuis leur cellule toutes les personnes qui se déplacent dans l’établissement. Le même phénomène étant observé entre les cours de promenade, séparées l’une de l’autre par un grillage, l’administration pénitentiaire a décidé que le terrain de sport central ne serait quasiment jamais utilisé (3 à 4 fois par an). En 2010, des panneaux métalliques ont aussi été installés entre les différentes cours de promenade pour empêcher les jeunes de communiquer entre eux. Après avoir visité l’EPM, la députée Nathalie Nieson indiquait en octobre 2014 que si l’installation de panneaux « protège l’ensemble des mineurs et plus particulièrement les filles des divers cris, provocations ou insultes, [elle] a eu pour effet d’obscurcir les cours de promenade et de renforcer le sentiment de confinement que les jeunes peuvent y ressentir » 3. Ces panneaux ont également eu pour conséquence d’obstruer la vue des « cellules du rez-de-chaussée, qui donnent aujourd’hui sur du béton et du métal », déplore une éducatrice. Sans parler des caillebotis (grillages serrés) qui ont été installés aux fenêtres la même année que les panneaux métalliques. Les bagarres sont monnaie courante. L’intervention des surveillants est généralement musclée et se traduit souvent par un placement au quartier disciplinaire (QD), pour les plus de 16 ans. Le fait de pouvoir être observés par ceux restés en cellule peut aussi entraîner un phénomène de posture : « Par exemple, un jeune en altercation avec 3 N. Nieson, Avis n°2267 fait au nom de la commission des lois, sur le PLF pour 2015, Assemblée nationale, 9/10/2014. Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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Le directeur de l’EPM de Meyzieu avec des jeunes, dans la salle de détente, mars 2008
un surveillant va aller jusqu’au bout, quitte à être emmené de force au QD, pour ne pas montrer à ses codétenus qu’il a cédé », explique une éducatrice. Si des sanctions infra-disciplinaires, telles que les mesures de bon ordre (MBO), sont prononcées en cas d’infraction au règlement intérieur, le placement au quartier disciplinaire reste la sanction la plus fréquemment prononcée à l’EPM. Dès 2009, un rapport d’évaluation des Inspections des services pénitentiaires (ISP) et de la protection judiciaire de la jeunesse (ISPJJ) indiquait pourtant que « le disciplinaire [à Meyzieu] est entièrement à repenser et à revoir, le recours à la mise en prévention et l’usage du QD doit être réinterrogé 4 ». Des régimes différenciés La direction de l’établissement a décidé de mettre en place des régimes différenciés au sein de deux unités de vie. Le « régime de responsabilité » appliqué à l’unité 6, est destiné « à accueillir les mineurs qui sont en capacité d’intégrer un collectif avec plus d’autonomie et de s’investir dans le travail éducatif ». Les repas y sont tous pris en commun (sauf si le détenu ne le souhaite pas), les jeunes peuvent participer à la préparation de certaines activités, et la TV est allumée jusqu’à une heure les week-ends et veilles de jours fériés. L’unité de prise en charge adaptée (UPECA) correspond à un autre 4 Rapport conjoint d’évaluation ISP et ISPJJ de l’EPM de Meyzieu, septembre 2009. Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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régime, mis en place au sein de l’unité 7. Celle-ci propose un « accompagnement individualisé renforcé et sécurisant pour les mineurs en situation de fragilité au sein du groupe ou qui posent des difficultés dans le respect de l’autorité ou dans le cadre de vie en détention » indique le règlement intérieur. Seuls quatre mineurs peuvent y être placés, pour une durée maximale de trois semaines. En dehors des activités scolaires, ces jeunes sont extraits du groupe. En principe, ils partagent leurs repas et des temps de détente avec leur surveillant et leur éducateur, ce qui « leur permet d’avoir des discussions plus poussées, sans qu’ils subissent le regard des autres », indique une éducatrice. Et d’ajouter que ces aspects positifs se produisent rarement en pratique, les surveillants de l’UPECA étant souvent appelés dans d’autres unités de vie. En leur absence, les détenus ne peuvent sortir de cellule et doivent communiquer avec les éducateurs au moyen de l’interphone ou à travers la porte. Un placement à l’UPECA prend dès lors l’allure d’une sanction disciplinaire. C’est d’ailleurs « comme ça que les jeunes le considèrent et que les professionnels l’utilisent, c’est même dit ouvertement en réunion », reconnaît un agent. Le problème de l’utilisation de cette unité en guise de sanction était déjà pointé du doigt en septembre 2009 dans le rapport des inspections, qui recommandait de « mettre un terme immédiat aux mesures disciplinaires déguisées (mise au calme à l’UPCEI) », l’ancienne UPECA. En vain. Amid Khallouf et Sarah Dindo
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« Il y avait des bastons, souvent » Sam a passé sept mois de détention provisoire à l’EPM de Meyzieu pour agression à main armée, accusation qu’il récuse. Près de dix-mois après sa sortie, il est toujours sous contrôle judiciaire, dans l’attente de son procès. Si la prise en charge éducative proposée à l’EPM lui a semblé adaptée, il témoigne d’un quotidien marqué par la violence entre les jeunes.
Quel a été votre parcours judiciaire ?
Quelles étaient vos relations avec les éducateurs ?
J’ai passé sept mois en EPM, de mars à octobre 2013. J’avais alors 17 ans, je n’allais plus au collège depuis un an, j’habitais chez mes parents. Je n’avais jamais eu de problème avec la justice. J’ai été mis en garde a vue après avoir été dénoncé, puis déféré devant le juge. L’audience devant le juge des libertés et de la détention n’a pas duré trois minutes. Je suis rentré, il m’a dit « je t’incarcère », je suis parti direct à l’EPM de Meyzieu. L’avocat a obtenu ma remise en liberté, mais l’affaire n’est toujours pas jugée. Je suis sous contrôle judiciaire.
On voit les éducs le week-end et pendant les repas, ils mangent avec nous. Le reste du temps, ils ne sont pas avec nous, on a un entretien avec eux toutes les deux à trois semaines. Il y a un éducateur référent pour l’unité, il t’encourage, il te dit de ne pas lâcher.
Comment s’est déroulée votre arrivée à l’EPM ? La première semaine, c’est compliqué, tu restes en cellule arrivant. Tu rencontres le psychologue, les éducateurs et les matons. Ils nous expliquent l’emploi du temps, comment ça se passe. On reçoit un paquetage, des produits pour nettoyer la cellule, du papier toilettes, shampoing, gel douche… Après, tu t’y fais, tu passes en unité, tu commences à connaître du monde. Je n’avais pas peur, j’étais plutôt en colère, parce que je n’ai rien fait dans l’affaire. Je suis resté trois mois dans l’unité deux, et j’ai fait une demande pour être à l’unité six, où on a plus de privilèges. On a du sport et des activités en plus. Ça a été accepté parce que je me tenais correctement. Comment se déroulent les journées ? Le réveil est à 7 heures. Ils ouvrent la porte, ils tapent dessus ou te demandent si tu es là et ils referment. Un jour sur deux, on descend prendre les repas, l’autre groupe mange en cellule, et le lendemain c’est l’inverse. A la six, tout le monde descend. Le socio [activités au secteur socio-éducatif] commence à 9 heures, jusqu’à midi, puis on reprend pour deux heures l’après-midi. On n’est que cinq ou six par classe, ils ont le temps de nous prendre, de nous expliquer, c’est très bien. J’ai passé mon certificat de formation générale et mon brevet premiers secours.
Comment décririez-vous l’ambiance au sein de l’EPM ? Avez-vous subi ou été témoin de violences ? Il y avait des bastons souvent, deux à trois fois par semaine. Violent. Ça se finit toujours au mitard, et après tu passes en conseil de discipline. Ils peuvent t’en rajouter ou te retirer la télé pendant 15 jours ou un mois. La télé, on a le droit de la regarder jusqu’à 23 heures, ensuite ils la coupent, pour tout le monde. Ça, c’est dégueulasse. C’est ça qui engendre les insultes toute la nuit. Ils mettent le feu à un drap, ils le lâchent et balancent des papiers. Ça dure jusqu’à 6 heures du matin parfois. Moi j’avais des mandats, heureusement. Ceux qui n’en avaient pas, ils avaient 20 euros par mois. Du coup, il y avait des rackets. Il y avait des « chauds », pratiquement tous tombés pour des meurtres… Ils disaient donne-moi du coca, donne-moi ça… Il y avait des gangs qui se faisaient. Par exemple, Lyon et Grenoble vont être plutôt ensemble, contre les Marseillais. Je me suis battu, mais je n’ai jamais été racketté. Je n’ai jamais fait de mitard parce que quand tu ne mets pas le premier coup, tu ne vas pas au mitard. Quelles étaient les relations avec les surveillants ? A l’unité six, on n’avait que des biens, surtout un qui jouait du violon et nous faisait sortir un peu plus. C’est plutôt des jeunes. Certains sont plus compréhensifs que d’autres, ils laissent faire quand tu fumes, d’autres vont faire un rapport. Ceux qui te cherchent, on les insulte. J’ai déjà vu des violences de surveillants, quand il y a des bastons, ils en profitent. La seule action que j’ai vu : ils ont voulu emmener quelqu’un au mitard, il n’a Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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dossier
Deux jeunes dans le réfectoire, EPM de Meyzieu, mars 2008
pas voulu, ils l’ont défoncé dans la cellule. Ça je l’ai vu. Avec le bouclier, tout ça… Quand tu ne veux pas sortir, ils mettent les équipements, ils te menottent aux pieds et aux mains, et ils te prennent comme ça et t’emmènent jusqu’au mitard.
ma sortie, je suis allé à la mission locale, on a direct postulé auprès de plusieurs patrons, on a été les voir. J’ai été pris un mois à l’essai, puis embauché juste derrière.
Avez-vous pu maintenir les liens avec votre famille dans de bonnes conditions ?
Je pointe toutes les semaines à la police, je suis interdit de séjour sur le territoire de la commune où j’habitais, mes parents ont dû déménager.
Ma mère venait tous les 15 jours, parce que ça faisait loin pour 45 minutes de parloir. J’arrivais parfois à avoir des parloirs doubles. Mes frères aussi venaient. Trois potes ont fait des demandes, refusées. J’étais fouillé après. A nu. Tout le monde, tout le temps. Tu descends tout, tu te baisses, tu fais un demitour. Pour le téléphone, tu n’as pas le droit d’appeler après 18 heures J’appelais 10-15 minutes tous les 2-3 jours, parce que ça coûte cher. Dans quel état d’esprit êtes-vous sorti de prison ? Et dans quelle situation sociale, familiale, psychologique… ? Cette sortie avait-elle été préparée ? Mon avocat a fait une demande de mise en liberté, qui a été acceptée au bout de dix jours. Ils sont venus le matin, ils m’ont dit « tu sors demain matin à 11 heures ». Ils viennent te chercher en cellule, tu prépares tes affaires, tu sors et voilà. La première chose que j’ai faite en sortant, j’ai fumé une clope. Je n’ai pas eu d’accompagnement. Pendant les entretiens avec l’éduc, on parlait de nos projets, mais on ne mettait rien en place, il me disait qu’il ne trouvait pas de projet pour moi. A Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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Quelles obligations avez-vous ?
Vous êtes sorti depuis un an et demi, pensez-vous encore à la prison ? Sept mois de prison, ça marque. Personne n’est au courant que j’ai fait de la tôle. J’essaye d’oublier. Je ne sais pas ce qui m’a le plus marqué. L’enfermement, tu ne vois plus rien, tu es coupé du monde. Je suivais les infos et le journal si j’arrivais à l’avoir – il n’y en a qu’un par unité. Par rapport à votre parcours, pensez-vous qu’une autre réaction de la justice aurait été plus appropriée ? Un bracelet ou une semi-liberté auraient été mieux. Pour une histoire banale comme ça, ce n’est vraiment pas nécessaire, la personne a eu 2 ou 3 jours d’ITT. Ça c’est passé un samedi soir, le lundi les flics étaient là. Je n’ai jamais compris comment une enquête peut être faite en 2 jours. Pourquoi de la prison ferme direct ? Je n’ai pas eu d’explication. Recueilli par Amid Khallouf et Barbara Liaras
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« La prison c’est dur et ceux qui vous disent que c’est facile, c’est des mythos » Moi je m’entends bien avec (les surveillants), il n’y a pas de problème. Pour le comportement, mon dossier je l’ai vu et il est excellent, je n’insulte personne. […] Le chef par exemple il est super sympa après sinon ils sont tous normals. Il y en a qui sont stricts, ils prennent leur travail à 100 %, c’est leur métier, je ne vais pas les emmerder alors qu’ils font leur métier.
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Je n’ai pas envie de me bagarrer ici. Si je me bagarre c’est plein de problèmes, l’isolement et tout, blablabla… plus de télé… Je n’ai pas envie que l’on appelle ma mère en disant que son fils est au mitard parce que là déjà je sais que ma mère elle est triste donc voilà quoi j’ai pas envie que ce soit encore plus difficile, qu’elle soit encore plus triste. La prison cela m’aura appris des choses. Je pensais que c’était moins dur parce que quand les jeunes ils sortent dehors ils disent « c’est rien la prison, t’inquiète pas, c’est rien, c’est rien, c’est tranquille » mais en fait cela n’a rien à voir, ce n’est pas rien du tout. Je pensais déjà qu’on se baladait dans les couloirs, je pensais qu’on passait plus de temps dehors. Moi je croyais qu’il y avait beaucoup plus d’activités. Ce qui me manque c’est de voir des gens normals, voir des filles, voir des gens de l’extérieur, marcher. C’est la vie, c’est la liberté qui me manque, aller dehors, prendre le bus, marcher, descendre, sortir quand vous voulez, prendre l’air quand vous voulez, voilà, vivre. A force de rester ici, vous prenez l’habitude, plus tu restes ici, plus tu oublies dehors. On dirait que ton cerveau il stoppe, il oublie l’extérieur, mais c’est mieux d’oublier l’extérieur parce que tu penses moins et quand tu penses moins, t’es beaucoup mieux. C’est la merde ici parce qu’il y en a qui sortent et qui disent que la prison c’est bien mais c’est archi dur la prison, t’es mal, tu ne sors pas, tu es toujours devant ta télé, ça prend la tête à force, c’est répétitif, tu sais déjà ce qui se passe pour chaque heure. À partir de 16 h 20 il y a des trucs bien à la télé qui font passer le temps deux fois plus vite. Sinon, vous avez quoi, 45 minutes de baby, 45 minutes de promenade mais il n’y a rien dans la promenade, il n’y a pas grandchose pour faire passer le temps. La prison de toute façon à force ça rend les gens plus durs, ben ouais la prison, un mineur quand il a fait de la prison il sort dehors, voilà c’est il a fait de la prison il a tout fait. Quand tu sors de prison, la police déjà, tu n’auras plus peur de la police de la même manière. Soit tu te calmes, soit tu deviens encore pire. Depuis longtemps j’ai compris. Je ne vais pas me vanter d’être allé en prison. Ce n’est plus un honneur d’aller en prison, il y a toujours des petits cons qui
disent : « ouais il est allé en prison, ouah ». Pour les mecs comme moi, ils en ont rien à foutre, cela ne change rien, ils vont nous voir de la même manière. Quand tu as fait de la prison tu n’as plus la même mentalité. J’ai changé grave. Tu te rends compte que c’est grave. Tant que tu ne vas pas en prison tu ne vois pas… tu n’as plus de liberté, tu ne vois plus les personnes de l’extérieur et là tu vas commencer à réfléchir. Dans ma manière de réfléchir, à ma manière de vivre. Plein de trucs… et même pour reprendre les études, tu vois, je voulais reprendre les études dehors et même avec la prison, cela m’a encore plus motivé. Ça a un mauvais côté parce que tu n’es pas libre mais sinon comme on dit c’est pour te corriger, pour te remettre bien et sur moi ça a marché, ça a marché sur moi. Les gens qui reviennent ici, moi ça me choque. Moi je suis sûr de ne plus revenir, sûr, même s’il faut que je devienne éboueur pour gagner ma vie et ben je deviendrai éboueur. Je me disais qu’il y avait que la prison qui pouvait me faire arrêter et là pour de vrai cela m’a vraiment arrêté la prison. C’est le mental la prison, c’est le mental, c’est psychologique, c’est ça qui tue. C’est psychologique, cela rend fou, la liberté, tu ne sais pas ce qu’il se passe dehors. Je ne pensais pas que c’était si dur. Non, non parce que dehors les jeunes ils disent : « non, c’est rien, c’est rien, c’est rien » mais ce sont des menteurs franchement. Tu vas en prison, tu deviens fou, fou, pratiquement fou. La prison c’est dur et ceux qui vous disent que c’est facile c’est des mythos, ce n’est pas vrai. Mentalement cela ne va pas. Vous pouvez vous dire : « là je ne peux pas savoir ce que je vais faire dans deux semaines », ben en prison, tu sais ce que tu vas faire dans quatre semaines, tu sais ce qui va se passer, douche promenade, il y aura ça à la télé, tu deviens fou. Cela m’a beaucoup aidé la prison, avant j’étais un taré, j’étais un fou avant, je n’avais peur de rien, je faisais plein de conneries, j’étais toujours dehors, c’était la folie mais la prison cela m’a aidé et je le dirai à la juge. La preuve, là je suis calme, si je n’étais pas allé en prison, là je ferais… des braquages peut-être, je ferais de grosses conneries. Tant que l’on ne t’arrête pas… tu fais des conneries. Je ne veux pas décevoir les gens, ne pas tout casser ce que les gens ils font pour toi… Comme on dit, tout va bien, pourquoi voler ? Ma mère, mes oncles, les éducateurs, tout ça, je n’ai pas envie de décevoir les gens, l’éducateur, plein de gens comme ça et voilà, je reste sur ma ligne. » Antoine, 17 ans, première incarcération – Extrait de G. Chantraine, Trajectoires d’enfermement, récits de vie au quartier mineurs, Cesdip, 2008
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Espagne :
l’enfermement a minima En 2000, une nouvelle loi espagnole a été présentée en France comme la fin de l’incarcération des mineurs. En réalité, de nouveaux centres d’internement ont été mis en place. Leur utilisation représente néanmoins 2,5 % des mesures prononcées par les juridictions pour mineur – quand l’emprisonnement ferme représente 10 % des mesures et sanctions prises par les juges et tribunaux pour enfants en France 1. Mise à exécution par les services sociaux, cette privation de liberté ne saurait être comparée à une peine de prison, selon le professeur de la Cuesta.
Jose Luis de la Cuesta est professeur de droit pénal, directeur de l’Institut basque de criminologie et président honoraire de l’Association internationale de droit pénal
Une loi adoptée en 2000 a profondément réformé la justice des mineurs en Espagne. Pourquoi était-ce nécessaire ? La législation remontait au début du xxe siècle et fonctionnait selon un modèle dit « tutélaire », mêlant intervention protectrice en direction des mineurs délaissés et intervention visant la « rééducation », en direction des mineurs délinquants jusqu’à 16 ans. Ceux-ci ne bénéficiaient d’aucune garantie procédurale. Les tribunaux tutélaires étaient des organes administratifs, la fonction de juge n’étant pas assurée par des magistrats professionnels. Des critiques se sont généralisées dès les années soixante, et plus encore avec la transition démocratique et l’adoption d’une Constitution en 1978. Il a cependant fallu attendre 1991 et une déclaration d’inconstitutionnalité pour qu’un premier texte soit adopté en urgence, annonçant une réforme plus profonde. Ce n’est qu’avec la loi organique 5/2000 régissant la responsabilité pénale des mineurs, entrée en vigueur en janvier 2001, que cet objectif a été atteint. Quelles sont les grandes orientations de ce texte ? Il affirme la notion de responsabilité pénale du mineur de 14 à 18 ans – en dessous de cette tranche d’âge, les auteurs d’une infraction pénale sont confiés aux services sociaux. La 1 Infostats Justice n° 133, février 2015 Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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reconnaissance de cette responsabilité va de pair avec une intervention axée sur la rééducation et la resocialisation du mineur, dans une approche non punitive. La prédominance de la réponse éducative se traduit par la création d’une juridiction pour mineurs, dont tous les intervenants sont spécialisés, et la création « d’équipes techniques » présentes tout au long du processus judiciaire. La loi reconnaît aux juges une importante marge d’appréciation quant à l’opportunité des poursuites et des mesures à ordonner. Les solutions extrajudiciaires, en particulier la médiation, jouent un rôle très important, la majorité des dossiers passe par cette voie. Quels sont la composition et le rôle des « équipes techniques » ? Les équipes techniques doivent au moins comprendre des psychologues, des éducateurs et des travailleurs sociaux. Chacune des 17 communautés autonomes d’Espagne est libre d’inclure d’autres professionnels si elle l’estime nécessaire. L’équipe a un champ de compétence très large. En premier lieu, un rôle d’information et de conseil auprès du magistrat : lui apporter des éléments sur la situation du mineur, explorer les possibilités de conciliation/réparation, proposer le contenu et les objectifs de l’activité réparatrice qui peut amener à l’abandon du procès ou à mettre fin à l’exécution de la mesure en cours. Elle donne son avis sur l’application des mesures provisoires ou définitives, sur leur modification, substitution ou suspension. Elle peut aussi présenter des propositions pour interrompre le traitement du dossier, dans l’intérêt du mineur, si la réponse sociale est considérée comme suffisante ou si le fait de poursuivre est considéré inadéquat étant donné le temps passé depuis la commission des faits. En France, il a été dit que l’Espagne avait renoncé à incarcérer des mineurs avec la loi de 2000. En quoi est-ce vrai ou faux ? L’ancien système ne prévoyait pas non plus de prisons pour mineurs. Il s’agissait de centres qui n’étaient pas intégrés au
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© Jesus Uriarte
Le centre d’internement fermé pour mineurs de Zumarraga, Communauté autonome du Pays Basque, Espagne, 2006
système pénitentiaire, mais se caractérisaient par un régime correctif basé sur une discipline très stricte. À partir de la fin des années soixante-dix, ce système se trouvait dans un tel état de déliquescence qu’il n’était quasiment plus utilisé. L’internement en centre fermé tel qu’il fonctionne aujourd’hui est une privation de liberté. Mais ces centres ne dépendant pas de l’administration pénitentiaire, il n’y a pas de surveillants pénitentiaires. Les personnels qui y travaillent sont des éducateurs, des psychologues… De l’extérieur, les bâtiments des centres fermés peuvent donner l’impression d’être similaires à une prison : ils sont entourés de hauts grillages, avec des personnels de garde. Mais le régime de vie est très différent du régime de détention des adultes. Il s’agit de petites unités, sans phénomène de massification. La programmation éducative est très accentuée. Les centres ouverts ou semi-ouverts sont très semblables à une habitation, en ville. Il peut s’agir d’un appartement, où les jeunes vivent avec un éducateur. Plus de 83 % des mesures d’internement sont exécutées sous ce régime. Quelles autres mesures sont à la disposition de la justice des mineurs ? Il existe une palette assez large. Le juge peut ordonner des soins, des activités en centre de jour, l’obligation de résider dans un centre pendant le week-end, la liberté surveillée (simple ou avec un suivi intensif), le placement dans une famille d’accueil ou un groupe éducatif, des prestations au profit de la communauté, des tâches socio-éducatives, la privation du permis de conduire des cyclomoteurs ou des véhicules… La liste est longue, mais la plupart de ces réponses ne laissent pas une marge suffisante à l’imagination et l’on peut se demander si elles vont réellement aider à la responsabilisation du mineur. Les mesures alternatives à l’enfermement sont-elles privilégiées par les juridictions ? Les mesures d’internement en régime fermé représentent 2,5 % de l’ensemble des mesures prononcées. La mesure la plus fréquente est la liberté surveillée. En 2013, près de 24 000 mesures ont été prononcées, dont 9 500 libertés surveillées,
4 300 prestations au bénéfice de la communauté et 2 945 mesures d’internement en centre semi-ouvert – pour 611 internements en centre fermé et 153 en centre ouvert. Alors que la délinquance baisse en Espagne, on constate néanmoins une tendance du législateur à durcir la réponse pénale, y compris à l’égard des mineurs. Notamment une loi de 2006, qui a étendu les possibilités d’internement en régime fermé, et allongé les durées. Cette orientation politique ne conduit pas pour autant à une augmentation de la répression en pratique : les chiffres sont stables depuis 2007, voire légèrement en baisse pour l’internement en régime fermé. Dans quels cas les mineurs sont-ils envoyés dans un centre d’internement ? Ordonné après la condamnation, l’internement en régime fermé reste une mesure exceptionnelle, seulement possible pour les infractions graves, ou celles commises avec violence, intimidation ou comportant un grand risque pour la vie ou l’intégrité. Il s’applique également aux infractions commises en groupe ou par des mineurs appartenant à une organisation. La durée de l’internement varie en fonction de l’âge du mineur, de la gravité et des circonstances de l’infraction. Il peut durer jusqu’à cinq ans, suivis d’une mesure de liberté surveillée assortie d’une assistance éducative pendant encore cinq ans, voire 10 ans pour des faits qualifiés de terrorisme commis par des jeunes de 16 à 18 ans. La mesure d’internement peut être également ordonnée avant le procès s’il existe des risques que le mineur cherche à échapper à la justice ou fasse pression sur la victime. Cela reste très exceptionnel. Ainsi, pour la communauté autonome du Pays Basque (2,2 millions d’habitants), on compte en 2013, 18 mesures d’internement provisoires, pour 104 fermes. Quel est le contenu de la prise en charge des mineurs dans un centre d’internement ? Les services sociaux sont chargés de l’exécution des mesures, qu’ils délèguent souvent à des institutions privées sans but lucratif. Chaque centre a ses caractéristiques. L’entité qui gère Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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dossier le centre présente au juge des mineurs un programme fixant le cadre dans lequel la prise en charge de chaque mineur s’insérera. Le quotidien est axé sur la resocialisation, par un accompagnement scolaire, des formations professionnelles, des activités de loisir. La dimension thérapeutique est importante, de nombreux psychologues interviennent, des programmes psycho-pédagogiques sont mis en place. L’entourage familial est également sollicité et impliqué dans des ateliers d’éducation socio-familiale. L’équipe technique de l’entité responsable reste présente et garde une voix très importante au sein des centres. Les mineurs sont répartis en petites unités de huit à dix enfants, en fonction de leur âge et maturité, de leurs besoins et capacités sociales. Les possibilités de relations et de sorties à l’extérieur doivent être favorisées. Lorsqu’ils ont effectué un tiers de leur peine, les jeunes peuvent bénéficier de permissions de sortir pour une durée maximale de quatre jours consécutifs et sans dépasser douze jours par an, ainsi qu’une permission de week-end mensuelle. En régime ouvert, les permissions peuvent atteindre trente jours par semestre et tous les week-end. Que se passe-t-il si un mineur ne respecte pas les règles du centre, ou s’il s’en évade ? Les sanctions peuvent être la mise à l’écart du groupe (en cas d’agression, de violence ou de violation grave des règles du centre), la mise à l’écart pendant le week-end, la privation de permissions de sortir, la privation d’activités de loisirs, l’avertissement. On ne peut priver un mineur de ses droits à l’éducation, à recevoir des visites et à communiquer. Les sanctions disciplinaires peuvent être réduites ou suspendues au bénéfice de mesures de conciliation, de réparation ou la réalisation d’activités au bénéfice du centre. Si la violation du règlement est constitutive d’une nouvelle infraction, le jeune peut être présenté au juge. Et si un mineur s’évade, il est ramené au centre. Suite à une visite en 2011, le Comité européen pour la prévention de la torture a dénoncé des mauvais traitements (gifles, coups, coups de pieds) infligés à des enfants par des agents de compagnies privées dans un Centre d’internement. S’agissait-il pour vous d’un cas isolé ou non ? A ma connaissance, de tels actes ne sont pas fréquents. L’Institut Basque de criminologie évalue les centres de la communauté autonome du pays Basque, et nous n’avons pas rencontré d’incidents de cette nature. Les évaluations des centres d’internement sont généralement positives. Quel type d’accompagnement est proposé au mineur au cours de la liberté surveillée consécutive à une mesure d’internement ? L’internement se déroule en deux parties : une détention effective et une liberté surveillée, qui peut-être simple, ou Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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avec supervision intensive. La liberté surveillée simple n’emporte pas de suivi particulier : il peut s’agir simplement de pointer au commissariat, et bien sûr de ne pas commettre de nouveau délit. La supervision renforcée peut comporter des obligations (de suivre une scolarité ou une formation), l’accomplissement de devoirs, le suivi de programmes thérapeutiques… L’équipe technique reste présente pour en définir les modalités et suivre l’exécution. Recueilli par Barbara Liaras
La justice des mineurs moins sévère en Espagne En Espagne, la justice des mineurs traite chaque année un nombre dérisoire de dossiers au regard des volumes absorbés par la justice française : quand les parquets français ont traité 176 000 affaires pénales impliquant des mineurs en 2013, l’Institut national de la statistique espagnol en a enregistré 26 000. Pour le chercheur Tomas Montero Hernanz, ces données doivent se lire à la lumière des facteurs démographiques (la population espagnole est inférieure de 18,5 millions à celle de la France), sociaux (délinquance en baisse de six points en dix ans) et juridiques (responsabilité pénale fixée à 14 ans, contre 13 en France). Sur ce total, le ministère public ibérique « décide de ne pas ouvrir de poursuites dans près de 10 000 dossiers chaque année. Environ 8 000 autres dossiers sont abandonnés en cours de route, si un processus de médiation a été finalisé », explique Tomas Montero. Les équipes techniques assistant les magistrats sont chargées de préparer et accompagner la médiation. Elle peut aboutir à une « conciliation » (présentation d’excuses, activités de réparation) ou à des activités éducatives (formation, prévention sanitaire…) si les efforts de conciliation n’ont pas abouti. Les magistrats espagnols sont néanmoins moins sévères que les français à l’égard des mineurs. Ils prononcent rarement des mesures provisoires avant jugement : dans la Communauté autonome du Pays Basque elles n’ont concerné que 3 % des dossiers et l’internement, 1,8 %. En France, 55 % des affaires dont le juge des enfants a été saisi font l’objet d’une mesure pré-sentencielle, qui est une détention provisoire dans 4 % des cas. Les juridictions espagnoles ont condamné 14 744 mineurs en 2013. Elles ont prononcé à leur encontre près de 24 000 mesures, dont 40 % de liberté surveillée et 18 % de travail d’intérêt général. L’internement en milieu fermé ne représente que 2,6 % des condamnations – quand l’emprisonnement ferme atteint 10 % de l’ensemble des mesures et sanctions prononcées en France. Sources : Chiffres clés de la Justice 2014 ; Infostat Justice n° 133, février 2015 ; Tomas Montero Hernanz, Anuario de informacion sobre justicia penal juvenil, www.paip.es
de facto Infractions disciplinaires : le Défenseur des droits demande la preuve par l’image recueillis » et peut à ce titre « être utilisée […] devant la commission de discipline de l’établissement ». Mais elle précise que le chef d’établissement peut refuser la production et l’exploitation de ce document lorsque les faits sont « suffisamment établis ». Une restriction « critiquable » selon le DDD. En second lieu une circulaire du 9 juin 2011 relative au régime disciplinaire des personnes détenues majeures, qui réserve « au seul enquêteur », pour la phase d’enquête, et au « seul président de la commission de discipline » lors de l’audience, la décision d’entendre ou non les témoins présentés par le détenu. Autant de prérogatives largement employées selon le Défenseur, et « contraire [s] au principe des droits de la défense » notamment en ce qu’elles rompent « l’égalité des armes entre la personne détenue et l’autorité
disciplinaire ». Pour le DDD, l’effectivité du droit de recours aux enregistrements vidéo permettrait également aux détenus, le cas échéant, de « démontre [r] que la faute disciplinaire reprochée a été favorisée ou provoquée par le personnel mis en cause ». Une hypothèse qui n’a rien de théorique. Alors que se prépare un décret en Conseil d’État visant à déterminer les conditions d’accès du détenu et de son avocat au dossier disciplinaire et à « tout élément utile à l’exercice des droits de la défense », le DDD recommande « qu’il soit recouru aux enregistrements vidéo, sauf motif de sécurité publique ou de l’établissement, justifié par des éléments objectifs ». Défenseur des droits, Décision relative à l’accès des personnes détenues aux enregistrements vidéo de l’établissement pénitentiaire lors des procédures disciplinaires, 1er août 2014
© Félix Ledru
Les enregistrements des caméras installées dans les coursives des prisons ont ceci de positif qu’ils peuvent servir de preuve lors des commissions de discipline. En théorie. Car en pratique, il est rarement fait droit aux demandes des détenus en ce sens. C’est à cette carence que demande de remédier le Défenseur des droits (DDD) dans une décision du 1er août 2014. Saisi « à plusieurs reprises » par des personnes détenues s’étant vu refuser cette possibilité, il invoque le caractère « incertain » de la jurisprudence pour réclamer une clarification. Et met en cause plusieurs textes réglementaires. En premier lieu une note du ministère de la Justice du 17 octobre 2011. Elle indique bien que « la vidéoprotection constitue un moyen de preuve, au même titre que les constatations du personnel ou les témoignages
Ecran de contrôle par vidéosurveillance, quartier arrivants, maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, 2007 Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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Trois pays sanctionnés par la Cour européenne pour l’indignité de leurs prisons La Cour européenne des droits de l’homme vient de condamner la Belgique, la Bulgarie et la Hongrie pour avoir soumis des personnes incarcérées à des conditions de détention inhumaines et dégradantes.
T
rois décisions en quatre mois.
La Cour
rappelle aux européens ce que sont des conditions de détention relevant du traitement dégradant. Celui-ci résulte de l’effet cumulé de plusieurs facteurs. La surpopulation carcérale est un élément déterminant et peut, quand elle atteint un certain niveau, constituer à elle seule une violation de l’article 3, notamment quand l’espace disponible en cellule pour le requérant est inférieur à 3 m2. Toutefois, cette violation peut être écartée si l’enfermement en deçà de ce seuil minimal s’inscrit dans des périodes de quelques jours (Muršić c. Croatie 12 mars 2015). La Cour prend en compte d’autres éléments tels que l’exiguïté des cellules, la saleté des locaux, le manquement répété aux règles d’hygiène, le nombre réduit d’activités, l’insuffisance de promenades à l’air libre et l’absence d’intimité lors de l’utilisation des toilettes… L’absence de recours effectifs dans les droits nationaux Outre la reconnaissance d’un traitement dégradant, la Cour retient dans deux affaires la violation du droit à un recours effectif garanti par l’article 13 de la Convention. Cette stipulation exige en effet que les personnes détenues disposent d’un recours leur permettant d’obtenir d’un juge une amélioration de leurs conditions de détention. La seule existence d’un recours indemnitaire, qui n’a pas pour objet de mettre un terme à l’indignité des conditions de détention n’est pas, à cet égard, suffisant. Ainsi, dans l’arrêt Vasilescu rendu contre la Belgique le 25 novembre dernier, la Cour précise qu’en l’absence de recours permettant de faire cesser des conditions de détention contraires à la dignité humaine, le requérant peut saisir directement la Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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Cour européenne sans qu’il puisse lui être reproché de ne pas s’être préalablement adressé au juge interne. Les préconisations de la Cour Dans ces arrêts pilotes, la Cour donne aussi aux gouvernements concernés des préconisations générales pour résoudre les problématiques structurelles constatées. Pour remédier au dysfonctionnement du système pénitentiaire hongrois, elle préconise une réduction du nombre de personnes détenues en développant des mesures alternatives à la détention. Les autorités devront également établir dans les six mois un calendrier pour la mise en œuvre de recours internes efficaces. A la Belgique et la Bulgarie, la Cour recommande de mettre en place des mesures générales, sans précision supplémentaire, afin d’assurer des conditions de détention conformes à la dignité humaine. De nouveaux avertissements pour l’Etat français Au regard de la vétusté d’une partie du parc pénitentiaire français et de la surpopulation endémique, la France, déjà condamnée pour les conditions de détention à la maison d’arrêt de Nancy (Canali c. France 25 avril 2013), pourrait faire l’objet d’une nouvelle condamnation. Après une saisine collective de personnes incarcérées dans les établissements de Ducos et Nîmes, l’étau se resserre. Les requérants français dénoncent eux aussi des conditions de détention indignes et l’absence de recours effectif pour les faire cesser. A l’instar du requérant belge, ils ont saisi la Cour européenne sans s’être tournés au préalable vers le juge français. Ces recours ont pour but de faire reconnaître que les violations alléguées ne sont pas des incidents isolés mais résultent d’un dysfonctionnement général et de l’absence de garanties légales contre les traitements inhumains et dégradants. Vasilescu c. Belgique 25 nov. 2014 ; Neshkov et autres c. Bulgarie 27 janv. 2015 ; Varga et autres c. Hongrie 10 mars 2015 Clémentine Danet
en droit
en droit Le Conseil d’Etat annule le refus du directeur de Fleury de fermer le quartier disciplinaire des femmes demandée par l’OIP. Il a estimé que, compte tenu du non respect des standards minimum d’hygiène et de salubrité, les personnes les plus vulnérables ou celles y étant affectées pour de longues périodes ont pu y être soumises « à des épreuves physiques et morales qui […] excédaient le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et étaient, dès lors, attentatoires à la dignité des intéressées ». Selon le Conseil d’Etat, cette situation aurait dû conduire le directeur à cesser d’utiliser ces locaux disciplinaires. L’annulation de la décision du directeur ne signifie pas pour autant que le juge enjoint l’administration de fermer le quartier disciplinaire des femmes. Toutefois, ces locaux n’ayant pas fait l’objet de travaux depuis 2007, les conditions d’enfermement y restent inchangées. En cas d’inaction de l’administration, l’OIP engagera toute nouvelle procédure afin de faire cesser cette situation contraire à la dignité humaine. Conseil d’État, 30 décembre 2014, n° 364774
© Bernard Bolze
Par un arrêt du 30 décembre 2014, le Conseil d’Etat a tranché sept années de bataille judiciaire, en reconnaissant que les personnes placées en cellule disciplinaire dans la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis pouvaient être exposées à des traitements contraires à la dignité humaine. En juillet 2007, à la demande de l’OIP, un expert avait rendu un rapport accablant sur l’état matériel des locaux disciplinaires. L’OIP demandait alors en vain au directeur de l’établissement de fermer ces locaux qui ne garantissaient pas aux femmes détenues des conditions de détention conformes à la dignité humaine. Plusieurs parlementaires ayant visité le quartier disciplinaire avaient par ailleurs vivement dénoncé cette situation, le Sénateur Louis Mermaz le qualifiant d’« immonde. C’est le moyen âge, un cul de basse fosse. […] Quant à ce qui sert de promenade, on n’oserait pas y mettre un ours. » Sept ans plus tard, le Conseil d’Etat était amené à se prononcer, le 30 décembre dernier, sur la légalité du refus opposé par le directeur à la fermeture
« Un chien est mieux logé qu’un détenu à St-Brieuc » Par une décision du 24 octobre 2014, le tribunal administratif de Rennes reconnaît l’indignité des conditions de détention à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc et alloue une indemnité de 2 500 euros à une personne détenue entre 2009 et 2011 dans cet établissement. Un taux d’occupation oscillant entre 166 % et 198 %, un espace personnel réduit à 4 m2, des cellules insalubres couvertes de moisissures, l’absence de renouvellement d’air suffisant ou encore la prise des repas « à proximité immédiate » des toilettes, séparées du reste de la
cellule par un simple muret… Telles sont les conditions dans lesquelles M. X, enfermé la majeure partie du temps dans sa cellule, a été contraint de vivre pendant deux ans. Constatées par un expert désigné par le juge des référés de Rennes, ces conditions constituent pour le tribunal « une atteinte au respect de la dignité inhérente à la personne humaine entraînant un préjudice moral indemnisable ». Il rappelle ainsi que tout prisonnier a droit à être détenu dans des conditions conformes à la dignité humaine. En cas de non respect
de cette obligation, l’Etat engage sa responsabilité vis-à-vis du détenu et est tenu de l’indemniser. Depuis 2011, la situation au sein de cette maison d’arrêt construite il y a plus d’un siècle, n’a encore cessé de se détériorer. La surpopulation et la promiscuité qui en découle, la vétusté de l’établissement, le manque d’activités ont amené en février 2015, le syndicat UFAP-UNSA a résumer ainsi la situation : « Un chien est mieux logé que les détenus d’ici. » TA Rennes, 24 octobre 2014, n° 1300086 Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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Un détenu handicapé fait condamner la France Le maintien en détention d’une personne paraplégique ne constitue pas en soi un traitement inhumain ou dégradant. Il le devient cependant si l’administration pénitentiaire n’adapte pas les conditions de détention à son état de santé. Telle est la solution retenue par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt du 19 février 2015 qui condamne la France. Le requérant purge actuellement une peine de trente ans de prison. Il est paraplégique et incontinent depuis un accident survenu en 2006 alors qu’il tentait de s’évader. En 2012, il saisissait la Cour pour dénoncer notamment l’absence d’accès à des soins de
kinésithérapie, pourtant indispensables dans son cas, et la nécessité de faire appel à un codétenu pour sa toilette, la prison ne disposant pas de douche aménagée pour personne handicapée. La Cour a jugé que ces circonstances « l’ont soumis à une épreuve d’une intensité qui a dépassé le niveau inévitable de souffrances inhérentes à une privation de liberté et constituent un traitement dégradant ». La France a déjà été condamnée pour manque de soins aux détenus ou pour les conditions de détention imposées à des prisonniers handicapés. Mais pour la première fois, la Cour pose la question de la « qualité des soins dispensés » et
estime que l’administration pénitentiaire doit prodiguer les soins nécessaires pour offrir à la personne détenue une chance de voir son état s’améliorer. De ce fait, elle rappelle que, outre l’obligation négative interdisant à l’administration de soumettre les détenus à des traitements inhumains ou dégradants, celle-ci a également des obligations positives, à savoir en l’espèce, d’adapter les conditions d’incarcération à l’état de santé des personnes enfermées sous sa garde. France, 19 février 2015, Requête n°10401/12
Personne détenue handicapée dans une maison d’arrêt, 2012
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en droit
Campagne « Ils sont nous »
L’impact de l’incarcération dans une trajectoire de vie, cela concerne aussi les proches des détenus. Après les témoignages d’anciens prisonniers, l’OIP recueille la parole de pères, mères, frères, sœurs et amis qui ont connu la prison à travers la détention d’un proche.
« Il y a le temps d’avant ce qui est arrivé, et le temps d’après »
© Grégoire Korganow pour le CGLPL
Depuis dix ans, Marie vit au rythme de la prison. Son fils Damien a été placé en détention provisoire en 2004. Condamné pour crime aggravé en 2008, il purge une peine de trente ans de réclusion, assortie d’une période de sûreté de 20 ans.
Comment viviez-vous avant d’avoir affaire à la justice ?
Pensiez-vous qu’un tel drame risquait d’arriver un jour ?
Mon mari et moi avons deux enfants que nous avons adoptés : Damien en 1986 et Sophie en 1988. Damien, c’est sa mère de 17 ans qui l’a déposé dans mes bras. J’ai eu un peu l’impression de lui voler son fils. Pour Sophie, une amie avait fait l’intermédiaire avec la famille. Je garde des adoptions un sentiment d’injustice. Contrairement à leurs familles, j’avais les moyens de m’occuper d’enfants. J’étais cadre de santé. Quelques mois après l’adoption de Damien, mon mari s’est retrouvé au chômage. Notre situation financière devenant difficile, nous avons quitté notre appartement en ville et avons déménagé dans notre résidence secondaire, pratiquement sans revenus puisque j’avais arrêté le travail à la crèche. L’adoption n’était pas encore finalisée, et j’avais peur qu’on nous reprenne Damien. La DDASS nous a mis la pression : « Vous n’avez plus les moyens de vous occuper de cet enfant. » A la différence des autres parents, nous n’avions pas le droit d’avoir des problèmes financiers. Heureusement, j’ai trouvé un poste de puéricultrice. Après une année difficile, ça allait bien dans notre famille. Les gens disaient : « C’est merveilleux, vous avez sauvé un enfant. » Moi je répondais « non, j’ai fondé une famille ». Quand Sophie est arrivée, Damien avait trois ans. Au début, il était mort de jalousie. Il était odieux avec moi. Puis en grandissant, il est devenu très protecteur avec sa sœur.
A l’école maternelle et en primaire, Damien a été un enfant brillant. En 6e, on l’a mis dans une école privée très chic, pensant lui offrir ce qu’il y avait de mieux. Et ça s’est très mal passé. Adopté, d’origine étrangère, il était considéré par certains comme venant du caniveau. Quelques professeurs ont été terribles. L’un d’eux lui a dit un jour qu’il n’y avait pas de place pour lui en France. Il a dévissé en 5e, et on n’est plus jamais arrivés à le rattraper. Je suis allée voir la psychologue du collège pour essayer d’arranger les choses, mais j’ai été reçue comme une emmerdeuse. La situation s’est dégradée très vite. Damien ne voulait plus aller à l’école. Je me battais tous les matins pour qu’il se lève. Il s’est fait virer et s’est enfermé dans un mutisme vis-à-vis de nous, il ne nous disait jamais ce qui n’allait pas. Il esquivait, nous envoyait balader. Je n’ai pas dû avoir l’attitude qu’il fallait. Je l’obligeais à se bouger. Il s’est éloigné de plus en plus de nous. Durant sa troisième, je n’arrivais plus à le faire se lever le matin. Il a loupé son BEPC. A 15 ans, il est entré en lycée professionnel. Comme il était trop jeune, personne n’a voulu de lui en stage, et il a raté son année. En 2004, Damien a eu 18 ans. Il vivait dans la « maison d’amis » à côté de la nôtre, avec sa copine. A son retour des vacances d’été, il a trouvé un travail dans un supermarché. Ça a duré 15 jours, au terme desquels des policiers sont venus Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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ils sont nous
Que s’est-il passé ensuite ? L’après-midi de son arrestation, on a été convoqués à la gendarmerie, mon mari d’un côté, moi de l’autre. Je n’arrivais pas à parler. Je ne pouvais toujours pas y croire. Le gendarme n’a pas été désagréable, il a fait son boulot. A un moment, il a semblé réaliser qu’il aurait pu se retrouver à ma place, en tant que parent. Ensuite, on a rencontré l’avocate. Elle en savait plus que nous visiblement, et ne nous disait pas tout. Damien a rencontré la juge le vendredi. Elle nous a laissé le voir un moment avant qu’il soit incarcéré. Il était complètement déshydraté, il n’avait plus de lèvres. Il est parti en maison d’arrêt, où il est resté trois ans, jusqu’au jugement. Vous avez assisté au procès ? Oui, il a duré quatre jours. Dès le début, Damien s’est fermé comme une huître, ce que la Présidente a très mal pris. Au moment de parler des faits, il a demandé que je sorte. Mon mari ne m’a jamais raconté et je ne suis jamais arrivée à lui poser des questions. Au tribunal, on a été présentés comme des bons bourgeois, et ils disaient que Damien avait eu une grande chance de tomber dans un milieu aisé. Comme si ça le rendait encore plus coupable. Il a été considéré et jugé comme un monstre. L’avocat général a demandé la perpétuité, disant que Damien avait certainement prévu d’autres crimes. Pourtant, rien de concret ne montrait qu’il s’était organisé pour faire d’autres choses terribles. Il a pris trente ans avec vingt ans de sûreté. Sa copine a été jugée avec plus d’indulgence. Il l’a toujours beaucoup protégée, même pendant le procès. Elle a pris huit ans, elle est sortie à présent.
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Qu’avez-vous ressenti après le procès ? Juste après son incarcération, Damien m’a écrit : « Maman, ce n’est pas de ta faute, tu m’as appris tout ce qu’il fallait, tu n’es pas responsable. » Je conserve précieusement sa lettre, mais je culpabilise quand même énormément. La première fois que je l’ai vu au parloir, il m’a dit : « Il ne faut pas t’en faire, j’étais mal parti, j’ai fait ce que j’ai fait, il fallait que j’aille en prison. » J’ai dû rester avec ça. Je sais qu’on a eu des périodes difficiles dans notre famille et qu’il les a vécues aussi. Mais je n’arrive pas à m’expliquer ce qu’il a fait. Votre entourage est-il au courant de son incarcération ? La médiatisation de l’affaire nous a fait très peur. Heureusement, c’est resté à un niveau régional, mais ça a été difficile. Après l’arrestation de Damien, on est tout de suite partis se réfugier dans un hôtel au bord de la mer, on avait trop peur de la meute journalistes devant la maison. Puis il a fallu reprendre le cours de la vie. Il y avait Sophie, qu’il ne fallait pas oublier. Elle était en quatrième. J’ai appelé le directeur du collège, lui ai demandé comment je pouvais faire. Je ne me voyais pas déposer ma fille au collège comme si de rien n’était. Il m’a proposé d’attendre que les élèves soient rentrés en classe, puis d’amener Sophie dans son bureau. Il l’a ensuite accompagnée dans sa classe puis a fait le tour du collège pour bien poser les limites. Et elle n’a jamais eu de soucis avec ses camarades. Seul un enseignant, un jour, lui a dit devant tout le monde : « Ton frère, il aurait peut-être pu s’abstenir. » La période a été très dure pour elle, mais elle a tenu. Tout comme mon mari et moi. Nous avons tous les deux pensé démissionner de notre travail, mais notre entourage professionnel nous en a dissuadés. Ce qui était arrivé n’enlevait rien de leur confiance en nous. Ils nous ont beaucoup aidés, tout comme nos amis. Ma mère habitait dans une maison de retraite à côté de chez nous, j’allais la voir tous les soirs. Après avoir hésité à lui en parler, j’ai fini par le faire. Elle a été vraiment gentille avec Damien. C’est une femme très croyante, elle l’a beaucoup aidé. Avec ma sœur en revanche, ça a été rude. Avant le procès, elle a témoigné auprès des gendarmes que je ne m’étais jamais occupée de Damien. Comme je pensais que nous avions de bonnes relations, ça m’a fait très mal. Elle ne m’a jamais demandé de nouvelles de lui. Le premier Noël après son incarcération, Damien a dessiné une carte et l’a envoyée à ma sœur et ses enfants. Elle l’a jetée à la poubelle. Et moi, j’ai coupé tout contact. Quels ont été vos premiers contacts avec la prison ? Le jour du premier parloir, la maison d’arrêt n’avait pas reçu mon permis de visite. Seul mon mari est entré, j’ai dû attendre dehors. Je devais avoir une sale tête car une dame est venue me voir. Elle m’a demandé si c’était la première fois que je
© Félix Ledru
l’arrêter dans la galerie marchande. Mon mari et moi étions à la maison ce jour-là. Vers 6 h 30, on a entendu la cloche sonner. Je n’ai pas bougé. Quelqu’un a tapé dans les volets. C’était un gendarme, qui nous a dit que notre fils avait été arrêté. Mon mari a demandé si c’était un problème de drogue, le gendarme a répondu que c’était beaucoup plus grave, et il est remonté dans sa voiture. Je suis descendue, il y avait des flics partout, avec des chiens. Ils ont fouillé la maison d’amis. J’ai vu sortir la copine entre deux gendarmes. Ils avaient ramené Damien, qu’ils ont fait entrer dans la petite maison. Par une porte entrouverte, je le voyais, assis sur un tabouret, menotté. Au bout de trois heures, ils l’ont emmené et nous ont dit qu’il était suspecté du meurtre d’un jeune d’un village voisin. Je n’y croyais pas. Ça ne lui ressemblait tellement pas. Quand ils avaient trouvé ce jeune mort dans la région, je m’étais demandé comment des parents pouvaient se remettre d’un tel drame. Et Damien n’avait rien manifesté. De mon côté, je croyais qu’il allait mieux, il avait trouvé du travail, les choses reprenaient un cours normal. On ne peut jamais dire que ça va bien, en fait.
ACTU
parcours de vie d’anciens détenus
Centre pénitentiaire de Roanne, entrée des unités de vie familiale, 2012
venais. Son mari était incarcéré. C’est elle qui m’a tout expliqué, comment amener du linge, etc. Damien étant en détention provisoire, on pouvait le voir trois fois par semaine. J’y allais le vendredi, mon mari le lundi et le mercredi, pendant trois ans, jusqu’au transfert de Damien pour son procès. Les parloirs en maison d’arrêt, c’est difficile pour tout le monde. Je supportais mal qu’on soit toujours suspectés de tout, comme si on allait apporter un flingue ou de la drogue. Jamais un mot de gentillesse. Un jour, à la fin du parloir, quand on attendait dans le sas, une dame a demandé si elle pouvait sortir rapidement parce qu’elle avait son train à prendre. Elle était très anxieuse car elle habitait loin. De l’autre côté de la porte, un surveillant a dit : « Si ça ne vous convient pas, vous n’avez qu’à pas venir ici. » Personne ne répond, on a tellement peur que ça retombe sur notre proche qui est dedans.
Comment se déroule la détention de Damien ? Il ne nous parle pas de ce qui se passe à l’intérieur, je pense qu’il essaie de nous protéger. On sait très peu de choses, hormis ce qu’on voit lors des visites ou quand il y a un incident l’amenant au mitard ou à l’hôpital. Après son jugement, il a eu une affectation en centre de détention. Ça s’est bien passé pendant deux ans environ. Puis il s’est frité avec une directrice, c’est monté crescendo et il a passé un an et demi à l’isolement. Il refusait de retourner en détention ordinaire, donc il a fait du mitard. On lui a confisqué son ordinateur, deux ans d’interdiction. Il avait commencé un DAEU, qu’il a arrêté. Ensuite il a passé un CAP d’électricité, avec 18 de moyenne ! Ça me faisait plaisir de l’entendre nous en parler, il était heureux comme tout. Puis pendant un an, il a été placé en hospitalisation de jour en psychiatrie, au sein du centre de détention. Je n’ai jamais compris. Il Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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ils sont nous ne voulait plus qu’on vienne le voir, mais il nous téléphonait. Il a ensuite été envoyé à l’hôpital pour quelques jours, où j’ai pu aller le voir une fois. Quand j’ai appelé pour prendre un deuxième rendez-vous, il avait été transféré, mais on ne voulait pas me dire où. C’était très angoissant, comme à chaque fois qu’on ne vous dit rien. Il s’est retrouvé en maison centrale. Il m’a téléphoné deux secondes pour me dire où il était. Je me suis précipitée sur internet, j’ai cherché des informations et la première chose que j’ai lue, c’est que les centrales accueillent les détenus difficiles, condamnés à de longues peines, dont on estime qu’ils ont peu de chances de réinsertion. J’ai eu du mal à m’en remettre. Mais finalement, en centrale, ça s’est calmé. Il a une conseillère d’insertion et de probation avec qui ça se passe bien. On a des interlocuteurs qui nous parlent. On existe. C’est la prison, c’est strict, mais il y a de l’écoute. Heureusement, parce que Damien ne nous dit pas grand-chose. Il a été ré-hospitalisé en psychiatrie une dizaine de jours mais maintenant il va mieux, il semble plus équilibré. En tant que proche d’un détenu, le contact avec la prison est moins difficile aujourd’hui ? Oui, cette centrale n’a rien à voir avec les autres prisons que j’ai connues. Les surveillants sont gentils, ils font leur boulot mais n’ont pas cette attitude suspicieuse vis-à-vis des familles. Le premier contact que j’ai eu à la centrale, c’est lorsque je suis allée me renseigner pour le colis de Noël. Je n’avais pas encore de parloir et, dans l’établissement précédent, on ne pouvait pas amener de colis dans ce cas. Ici, pas de problème, ils m’ont dit de l’apporter quand je voulais. On avait tout étiqueté, mis dans des boîtes. Le poids de l’une d’elles dépassait la limite autorisée, mais le surveillant l’a laissée passer. Cette indulgence n’existait pas dans les autres prisons. J’ai aussi pu apporter des choses qui étaient interdites ailleurs, c’est complètement différent d’une prison à l’autre, en fonction du règlement intérieur, qu’on ne peut pas consulter. Cela donne une impression d’arbitraire complet. Récemment, nous avons eu notre première visite en Unité de vie familiale (UVF). Pour moi, c’était comme une journée de vacances. Nous nous sommes retrouvés tous les quatre, Damien, Sophie, mon mari et moi. On est arrivés à 8 heures quinze, on a passé les contrôles. Au portique, ma fille a sonné, elle a dû enlever son soutien-gorge. Les surveillants ont été aimables. L’UVF, ce n’est pas le bord de la mer, mais on est tranquilles. Il n’y a pas de surveillant qui regarde. On est restés 6 heures ensemble, le temps de préparer un repas, de manger, de ranger, faire la vaisselle, prendre le café. On a fumé des cigarettes dans la petite cour. Le temps de prendre le temps. De vivre ensemble. Ce qu’on n’avait pas fait depuis dix ans. L’autre jour, j’ai téléphoné pour confirmer le prochain
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rendez-vous, le surveillant m’a dit « ah oui Madame D. ! ». Ça change la vie. Quelles ont été les conséquences de l’incarcération de Damien sur votre famille ? Notre vie a basculé en cinq minutes. Ce qui est arrivé ce jourlà, je crois qu’on ne le comprendra jamais. Peut-être que son psychiatre y arrivera, mais nous… On y pense tout le temps. Il y a le temps d’avant ce qui est arrivé, et le temps d’après. Quand je cherche une date, je calcule en fonction de l’arrestation de Damien. J’angoisse dès que je reste quelques jours sans nouvelle de lui. Notre vie tourne autour de sa détention. On ne peut décider de rien, ni lui, ni nous. Il y a également les aspects matériels, financiers. Tous les mois, on lui envoie 500 euros pour qu’il puisse cantiner ce dont il a besoin. L’AP en prélève une partie pour son pécule de sortie. L’indemnité aux familles a déjà été payée. Les UVF ont un coût aussi. Un jour en rentrant chez moi, j’avais gardé un sac plastique de l’UVF, et dedans il y avait un papier avec le décompte des cantines que Damien avait dû faire pour nous accueillir. Les détenus doivent tout acheter, ça m’a paru cher. Si tu n’as pas de pécule, tu n’as pas d’UVF. Les trajets coûtent cher également. Et les avocats. Heureusement, mon mari et moi avons une retraite de cadres. Je me demande comment font les autres. Quand on a fini de tout payer, il ne nous reste plus rien. Pour le procès on a fait un emprunt, mais pour tout le reste il faut rester vigilant, c’est un gouffre. Ça enlève toute possibilité de faire autre chose. Pas de projets, pas de vacances, aucun extra. Comment voyez-vous l’avenir ? J’ai beaucoup de mal à me projeter dans l’avenir, je n’ose pas. L’avocat nous a dit que dans cinq ans, il pourrait tenter de faire relever la période de sûreté, après 15 ans de prison. J’avoue que je n’y crois pas trop. J’ai tellement peur que je vis à la semaine. Notre prochain parloir, son prochain coup de fil, je ne suis pas capable d’aller plus loin. En ce moment, Damien va mieux. Il a repris un DAEU, qui ne l’intéresse pas trop d’ailleurs parce que c’est littéraire alors qu’il est plutôt scientifique. C’est dommage, mais c’était la seule possibilité. Pour l’année prochaine, il dit qu’il voudrait passer un CAP de cuisinier. Ce n’est pas bête, des cuisiniers on en cherche partout. Mais de notre côté, on attend, sans être jamais sûrs de rien. Si je savais qu’il allait rester dans cette centrale, ce serait rassurant parce que ça se passe bien avec tout le monde. Mais on ne sait jamais, il peut être de nouveau transféré à tout moment. Recueilli par François Bès
« La boite à lettres doit être un broyeur à papier » Je suis dans ma dix-septième année de détention, j’étais depuis 2001 en maison centrale. J’ai de graves problèmes de santé et comme plusieurs membres de ma famille résident dans la région de ce centre de détention récemment ouvert, on m’a conseillé de faire une demande de transfert. Il est accepté, je suis transféré en octobre 2014. Avec un paquetage de plus de 13 ans. A mon arrivée, impossible de faire l’inventaire de mon paquetage. Direction la cellule, « vos effets suivront ». Le lendemain, après plusieurs réclamations, ils me ramènent quelques affaires personnelles, le strict minimum, me disant que j’avais trop de choses et qu’ici c’est interdit, les cellules n’étant pas agencées pour autre chose que le minimum afin de faciliter les fouilles. J’avais acheté ma télévision et un four à la centrale, je les réclame, on me répond qu’ici c’est interdit. Ici, c’est la société Sodexo qui loue la télé, le frigo et qui s’occupe des achats en cantine. J’ai 60
ans. En 1975, pendant les émeutes, remercie sincèrement d’avoir eu le counous demandions déjà un règlement rage de lire le courrier d’un vieux tauintérieur national. lard qui n’avait jamais été confronté à Quelque temps après mon arrivée, une prison aussi inhumaine. j’ai demandé une audience auprès Personne détenue, centre de détention, du directeur et du chef de déten- février 2015 tion. Jamais de réponse. La boîte à lettres doit être un broyeur à papier. Quand j’arrive à parler à quelqu’un de mes problèmes, on me dit : « Oui, vous avez raison » mais rien ne bouge et on me fait comprendre que ce qui est bien pour tout le monde, c’est que je reste dans ma cellule. J’y reste 23 heures par jour, sauf quand je sors en promenade pour l’heure autorisée. La douche en cellule, oui c’est bien mais cela entraîne beaucoup moins de mouvements, pas de dialogue avec le personnel, ou les respon- Boîtes aux lettres destinées à recevoir les demandes des sables des bâtiments. Je vous personnes détenues, 2014
© CGLPL
« Je me suis réveillé de l’anesthésie générale les deux mains menottées au lit » Je souffre d’une hernie inguinale [au niveau de l’aine] depuis un an. Le 22 septembre 2014, j’ai été transporté au centre hospitalier à 16 heures ; à l’arrivée à l’hôpital j’ai été installé dans une chambre, les mains menottées sur la partie latérale du lit sans pouvoir bouger. Vers 20 h 30, une infirmière a demandé à ce qu’on enlève les menottes afin de m’épiler la zone en vue de l’opération. Les deux policiers de garde ne m’ont détaché qu’une seule main et après une demi-heure ils sont venus me remettre les menottes, m’empêchant de pouvoir bouger jusqu’au jour suivant, sans me demander si je voulais aller aux toilettes. J’ai dormi (comme j’ai pu) avec les habits (jeans, ceinture, tee-shirt), sans pouvoir me changer pour mettre quelque chose de plus commode.
Le jour suivant, ils m’ont enlevé les menottes pour la douche avant l’opération puis, immédiatement, ils m’ont menotté de nouveau au lit et m’ont transféré menotté jusqu’à la salle d’opération, chose réprimandée par l’anesthésiste qui leur a dit de m’enlever les menottes une fois arrivé dans la salle d’opération. Ils me les ont enlevées mais quand je me suis réveillé de l’anesthésie générale, je me suis de nouveau retrouvé les deux mains attachées au lit avec une blessure de 11 centimètres due à l’opération. En revenant dans la chambre, j’ai demandé à ce qu’ils me détachent au moins une main, ce qu’ils m’ont refusé. Je suis donc resté quatre jours, détaché d’une main uniquement pour manger. J’ai demandé à plusieurs reprises d’aller aux toilettes, chose permise seulement
lettres ouvertes
trois fois, j’ai été obligé de m’uriner dessus à deux reprises. Quand j’ai quitté l’hôpital pour retourner à la prison, j’ai demandé un fauteuil roulant, ne pouvant marcher à cause de la douleur, ce qui m’a été refusé par la police qui a ordonné de me mettre les fers aux chevilles, la ceinture et les menottes attachées à la ceinture, si bien que je ne pouvais presque pas marcher jusqu’à la sortie. Je pense que mes droits en tant que personne ont plus été violés par la police que par les surveillants : à l’arrivée dans le centre pénitentiaire, ils ont immédiatement mis à ma disposition un fauteuil roulant pour mon transport dans ma cellule. Je me suis senti humilié, je pense que cela ne devrait pas arriver à une personne. Personne détenue, centre de détention, décembre 2014 Dedans Dehors N°87 Avril 2015
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Tribune
Tribunal correctionnel de Dinan, 2010
Troubles psychiatriques et prison : casser la spirale Les personnes souffrant de troubles psychiatriques majeurs sont incarcérées de façon répétée pour des délits mineurs. Pour remédier à cette situation, Médecins du Monde plaide pour un dispositif expérimental d’alternative à la détention provisoire, passant par un meilleur repérage des troubles psychiatriques durant la garde à vue et un accompagnement médico-social avant jugement.
«L
a surpopulation carcérale endémique et la compa-
rution immédiate sont deux travers du système judiciaire français qui s’entretiennent mutuellement au point qu’il serait illusoire de vouloir réduire l’un sans reconsidérer l’autre. La comparution immédiate concerne de fait majoritairement les classes populaires, les jeunes, les personnes issues de l’immigration et celles vivant en situation
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d’exclusion. La prison aussi. Parmi ces populations réprouvées, les personnes sans logement et présentant des troubles psychiatriques sévères se trouvent doublement marginalisées. D’une part, elles sont exclues par le droit lui-même : l’article 144 du Code de procédure pénale exige une garantie de représentation devant la justice, et en particulier un logement, pour bénéficier d’une mesure en milieu ouvert et
tribune
« Grâce à ce type de programmes, on observe chez les personnes vivant avec des troubles psychiatriques sévères et en grande exclusion, une réduction considérable des délits et des incarcérations »
© Bernard Le Bars/Signatures
échapper ainsi à la détention provisoire. Elles sont d’autre part exclues par le système de repérage des troubles psychiatriques, le plus souvent absent en comparution immédiate. Dans ces conditions, des personnes souffrant de troubles psychiatriques majeurs sont incarcérées de façon répétée pour des délits mineurs. Et leur pathologie, de surcroît, ne leur permet pas de se défendre correctement. Les juges les envoient en prison avec pour principal argument qu’ils y seront soignés. Près de 22 % des personnes incarcérées étaient en extrême précarité avant leur entrée en prison, dont sans doute la moitié sans logement ; et 15 % présentaient une schizophrénie ou une psychose. La forte prévalence des troubles psychiatriques sévères dans les prisons françaises est connue et la France a été condamnée plusieurs fois, au niveau européen, pour avoir confondu la prison avec un lieu de soin… Malgré la présence de professionnels compétents dans les services médico-psychologiques régionaux (SMPR), les outils à disposition des soignants ne permettent en aucun cas d’aider les personnes à se rétablir socialement. Or le problème majeur que rencontrent ces personnes avant de rentrer en prison est l’exclusion, qui s’aggravera à cause de la violence et de la désocialisation induites. De fait, la prison n’est pas un lieu de soin et la mortalité de ceux qui en sortent est d’ailleurs plus élevée par rapport à la population générale. Face à cette situation, les initiatives du ministère de la Justice visant à développer les peines alternatives à la détention et à améliorer ses conditions de sortie sont à saluer. Mais en se concentrant sur la récidive et en oubliant la prévention des incarcérations inadaptées, elles laissent de côté les populations les plus à la marge. Pour que ces dernières bénéficient de telles initiatives, il faudrait développer un système efficace qui permette d’estomper les effets délétères de la comparution immédiate et autorise les magistrats à prendre la décision de faire bénéficier de mesures en milieu ouvert ces malades en grande exclusion. Pour répondre à cette exigence de santé publique et d’équité, Médecins du Monde propose un dispositif expérimental d’alternative à la détention provisoire. Celui-ci s’appuie sur un meilleur repérage par des médecins, durant la garde à vue, des personnes atteintes de troubles psychiatriques sévères ayant commis dans leur grande majorité des infractions légères, le plus souvent sur des biens ou contre l’Etat. Par ailleurs, il propose d’offrir, au moment de la comparution
immédiate des personnes « sans chez soi » et présentant un trouble psychiatrique sévère, un accompagnement médicosocial dans un logement sur mesure pendant le délai de droit autorisé par la procédure. Les juges sont ainsi informés par les médecins des troubles psychiatriques sévères du patient. Une fois la personne stabilisée, celle-ci est aussi plus à même de se défendre. Ce programme permettra donc de rassurer les magistrats quant à la possibilité d’un suivi en milieu ouvert et leur donnera la possibilité, au moment du jugement, de décider de mesures alternatives à la détention. Il ne se substituera donc pas au jugement mais permettra un jugement plus équitable et surtout plus serein. De fait, ces dispositifs ont fait leurs preuves à l’étranger. Aux Etats-Unis et au Canada, de nombreuses études ont démontré qu’ils étaient économiquement pertinents car moins coûteux que la prison pour une efficacité meilleure. Grâce à ce type de programmes, on observe chez les personnes vivant avec des troubles psychiatriques sévères et en grande exclusion, une réduction considérable des délits et des incarcérations, en lien avec une amélioration de leur santé et de leur condition de vie. La ministre de la Santé a fait de la prise en charge des patients précaires atteints de troubles psychiatriques graves l’une de ses priorités dans le combat difficile de la lutte contre les inégalités de santé inscrite dans le plan quinquennal de lutte contre les exclusions et la pauvreté. De son côté, la garde des Sceaux, considérant aussi que les prisons ne doivent pas être un palliatif au manque de structures médicales adaptées, a initié une logique de désengorgement des prisons notamment pour des patients qui n’ont rien à y faire. Dans ces conditions, l’heure est à l’innovation médico-sociale. Le gouvernement ne doit pas se contenter d’effets d’annonce. En soutenant une expérimentation médico-sociale d’alternative à l’incarcération, il permettra concrètement aux juges et aux médecins d’accompagner ensemble efficacement, dignement et à terme à moindre coût les patients vivant avec des troubles psychiatriques sévères en grande précarité. » Thierry Brigaud, président et Jean-François Corty, directeur des missions France, Médecins du monde ; Claude-Olivier Doron, historien des sciences et Vincent Girard, médecin
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ADRESSES
Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP-section française ou pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org
Le standard est ouvert de 15h à 18h
L’OIP en région Les coordinations régionales sont chargées des enquêtes sur les établissements de leurs régions. Chaque coordinateur travaille avec un réseau de correspondants et de bénévoles. Coordination régionale Nord et Ouest (DISP Lille et Rennes)
Coordination régionale Sud-Est (DISP Lyon et Marseille)
Anne Chereul 14, contour Saint Martin 59100 Roubaix 09 61 49 73 43 06 63 52 10 10 fax: 03 28 52 34 13 anne.chereul@oip.org
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Delphine Payen-Fourment 7bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 96 06 50 87 43 69 fax: 01 44 52 88 09 delphine.payen-fourment@oip.org
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Les groupes et correspondants locaux de Metz et Nancy assurent l’observation et l’alerte sur la prison de leur ville, en lien avec le secrétariat national.
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Pour les contacter, vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90
Qu’est-ce que l’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales chargées de l’observation des lieux de détention et composées exclusivement de membres de l’OIP.
Les ouvrages de l’OIP 66 Passés par la case prison .......... x 66 Le guide du prisonnier 2012 .......... x 66 Rapport 2011 : les conditions de détention en France .......... x La revue Dedans-Dehors 66 n° 86 « Sortir de prison : le parcours d’obstacle » .......... x 66 n° 85 « Place aux ex-détenus dans la prévention de la delinquance » .......... x 66 n° 84 « Violences carcérales : au carrefour des fausses routes » .......... x 66 n° 83 « Projet de réforme pénale : indispensable et inabouti » .......... x 66 n° 82 « Longues peines : la logique d’élimination » .......... x 66 n° 81 « Réforme pénale : désintox » .......... x 66 n° 80 « Ils sont nous – Parcours de vie d’anciens détenus » .......... x 66 n° 79 « Expression en prison : la parole disqualifiée » .......... x 66 n° 77-78 « Nouvelles prisons : le trou noir de la pensée » .......... x 66 n° 74-75 « Politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois ».......... x Tous les prix comprennent les frais de port. Pour l’étranger, nous consulter.
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le guide du prisonnier OIP/ La Découverte, 2012, 704 p., 40 € (frais de port inclus)
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I N T E R NAT I O NA L
D E S
P R I S O N S
P R I S O N S D E S
À
l’heure où la question de la prévention et de la répression de la délinquance et du crime s’est installée au cœur du débat public, la radiographie de l’univers carcéral français réalisée par l’OIP n’est pas seulement une initiative citoyenne salutaire, elle constitue une véritable démarche d’utilité publique. En retraçant les évolutions des politiques pénales et pénitentiaires au cours de la période 2005-2011, dans toutes leurs nuances et contradictions, ce rapport permet à chacun de connaître l’usage qui est fait de l’emprisonnement et la réalité de ce qui se passe derrière les murs de nos prisons.
INTERNATIONAL
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3 Entrer en prison 3 Vivre en prison Le quotidien carcéral Liens avec l’extérieur Santé physique et psychique Au nom de la sécurité 3 Faire respecter ses droits
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Le guide du prisonnier
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Alors même que l’institution pénitentiaire fait l’objet d’une remise en cause permanente sur sa capacité à respecter l’État de droit et les droits de l’homme, le nombre de personnes incarcérées atteint des niveaux historiques et les plans de construction de nouvelles prisons se succèdent.
L’Observatoire international des Au terme d’un long processus d’élaboration, la loi péniprisons (OIP) est une tentiaire de novembre 2009 n’a finalement pas apporté organisation non d’avancée majeure dans la reconnaissance de droits visant gouvernementale à protéger la personne détenue. Elle vient même entériner dont l’action vise à certaines régressions, telle la mise en place de « régimes favoriser le respect différenciés ». Quant à l’injonction paradoxale faite au juge de la dignité des de systématiser la réponse « prison » (peines plancher) et personnes détenues. de transformer les courtes peines d’emprisonnement en Créée en 1996, la surveillance électronique, elle s’est accompagnée d’un section française de tournant législatif qui ajoute à des peines de plus en plus l’OIP défend les droits longues des mesures de sûreté pour les auteurs d’infracCode_OIP_2011:Codefondamentaux à barres 9/11/11 16:03 des tions les plus graves, sur la base d’une évaluation de la personnes incarcérées « dangerosité » hasardeuse et artisanale. et milite pour le développement des mesures alternatives à l’emprisonnement.
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Un livre à offrir… pour faire savoir ! Passés par la case prison, c’est le dernier ouvrage publié par l’OIP. Magnifiquement illustré par les photos de Philippe Castetbon et Dorothy-Shoes, il raconte l’histoire de huit anciens détenus. Via leurs propres mots sur leur parcours, avantpendant-après la prison. Via les textes d’écrivains qui les ont rencontrés : Olivier Brunhes, Philippe Claudel, Marie Darrieussecq, Virginie Despentes, Nancy Huston, Mohamed Kacimi, Pierre Lemaitre et Gérard Mordillat. Autant d’écritures puissantes et regards singuliers sur la prison dans une vie. C’est l’histoire de Sylvie P., qui a fait de la prison « par amour », après avoir fait évader son compagnon. Celle de Yazid K., passé du statut de « voleur » à celui de consultant en prévention urbaine auprès de municipalités, policiers… et médiateur auprès de jeunes des quartiers. Il y a encore le récit de Sacha Y., condamné dans le cadre des émeutes de 2005, qui voudrait aujourd’hui devenir avocat.
Si vous voulez faire connaître l’univers carcéral à un proche, donner à voir l’humain derrière le fait divers, bousculer les représentations de « monstre » ou de « racaille » souvent véhiculées … Commandez et offrez Passés par la case prison. Bulletin à renvoyer accompagné de votre chèque à OIP section française – 7bis rue Riquet – 75019 Paris ■ J e commande l’ouvrage Passés par la case prison, OIP/ La Découverte, 224 p., 17 € Nombre d’exemplaire(s) : …………………… Frais de port 1 exemplaire : 3 € 2 exemplaires : 7 € 3 exemplaires : 10 € 4 exemplaires et plus : 12 € Ci-joint mon règlement par chèque à l’ordre de l’OIP SF d’un montant total de ……………………
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