Dedans Dehors n°88 Religions en prison

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Deux propositions de loi pour faire payer les détenus Radicalisation : après l’impensé, le pensé Nuutania (Polynésie) : enfer et condamnations

Dossier :

Religions en prison Une préoccupation majeure en détention ? Quels droits et quels obstacles pour les pratiquants ? Entretiens avec des sociologues,des aumôniers de prison, d’anciens détenus…

Observatoire international des prisons Section française

7,50 € N°88 JUILLET 2015


EDITORIAL

Le gouvernement tétanisé, et après ? « La gauche est tétanisée qu’on l’accuse d’être laxiste et fait tout pour démentir cette idée. » La phrase est du sénateur de droite Claude Malhuret, après qu’il a voté contre le projet de loi sur le renseignement (Mediapart, 15.06.15). Les promoteurs du « tout surveiller et tout punir » auraient-ils gagné, que le gouvernement en serait tétanisé ? Et les avancées promises sur le plan des libertés balayées au profit de ceux qui parlent fort en assénant des contre-vérités ? L’admettre reviendrait à se résigner, alors qu’il faut au contraire ne pas confisquer la parole de celles et ceux qui, par leur expérience et leur expertise, sont à même de contredire les propos démagogiques et autres postures électoralistes. Les 1 000 postes pour l’insertion et la probation en trois ans, dont les premiers ne sont pas encore arrivés sur le terrain pour cause de formation, font aujourd’hui pâle figure au côté du plan de 33 millions d’euros pour renforcer la sécurité dans les établissements pénitentiaires et des 80 millions débloqués pour lutter contre la radicalisation islamiste. Après une conférence de consensus ayant permis de réfléchir à de nouvelles façons de répondre aux petits délits et mieux prévenir la récidive, la loi du 15 août 2014 fut décevante. Ce qui n’y figure pas devait trouver sa place dans d’autres réformes. L’abolition de la rétention de sûreté (inspirée d’une loi allemande de 1933), la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs (qui vient d’être réclamée par l’UNICEF et encore promise par le ministère de la justice) ne sont toujours pas à l’ordre du jour et risquent de ne plus de l’être avant la prochaine élection présidentielle. Quant à la grande « remise à plat de la procédure pénale », faut-il encore l’attendre ? Les grands « oubliés » de la réforme pénale, les condamnés à de longues, voire de très longues peines, peuvent pour leur part continuer à purger une nouvelle forme de condamnation à mort, politiquement correcte, dans le silence général. Pour ceux qui résistent au vent mauvais, il ne saurait être question de tétanie. De laisser sonner sans rien dire les sirènes hurlantes. Il ne peut être question de renoncer à réformer un système judiciaire et pénitentiaire qui ne doit jamais servir à annihiler un être humain, quel que soit l’acte commis. Delphine Boesel, avocate, nouvelle présidente de l’OIP-section française N°88 Juillet 2015

Sommaire 1 Actu – Participation des détenus aux frais d’incarcération, article de Barbara Liaras – Radicalisation : après l’impensé, le pensé, article de Sarah Dindo – Strasbourg : première alerte en urgence de la nouvelle Contrôleure 8 De facto – Graves atteintes à la confidentialité des soins et au secret médical à Clairvaux – Contrôle illégal de courriers à Bapaume – Conversations téléphoniques : la coursive n’est plus à l’écoute – Loi renseignement : statu quo pour la pénitentiaire – Un mariage empêché à Muret – Rhône-Alpes : sept suicides en un mois – Urgences médicales : préconisations inappliquées 12 Dossier Religions en prison Avec Claire de Galembert, Céline Béraud et Farhad Khosrokhavar, sociologues ; Jane Sautière, ancienne responsable des questions de culte à la DAP ; Bernard et Gabriel Mouesca, anciens détenus ; Hassan el Alaoui Talibi, Philippe Chelly, Brice Deymié et Vincent Leclair, responsables des aumôneries nationales ; Samia Ben Achouba, coordinatrice des aumôneries musulmanes de la région de Lille. 41 La tribune de Krapitouk Un surveillant qui parle de religion en prison, c’est curieux à plusieurs titres… 42 Actu – Faa’a Nuutania (Polynésie) : enfer et condamnations 43 En droit CEDH : les procédures françaises n’offrent pas une protection suffisante ; Exclusion discriminatoire d’un assesseur de la commission de discipline ; Renforcement du contrôle du juge sur les sanctions disciplinaires ; Le transfert d’une personne tétraplégique suspendu 46 « Ils sont nous » Avec Vincent, deux mois de prison : « L’autre devient vite un cauchemar »

DEDANS DEHORS publication trimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directrice de la publication : Delphine Boesel Rédaction en chef : Sarah Dindo, Barbara Liaras Rédaction : Marie Crétenot Clémentine Danet Nicolas Ferran Audrey Martins Delphine Payen-Fourment Camille Rosa Sébastien Saetta Transcriptions : Amélie de Colnet Claire Dimier-Vallet Mireille Jaegle Anna Komodromou Secrétariat de rédaction : Marianne Bliman Diane Carron Identité graphique : MG., L.D. < dlaranjeira@caramail.com > Maquette : Claude Cardot/Vélo © Photos, remerciements à : Samuel Bollendorf, Bernard Bolze, CGLPL, Bernard Desprez, Michel Le Moine, Claire de Galembert, Simon Jourdan, Grégoire Korganow, Michel Séméniako Et à l’agence  : Vu. Impression : Corlet Imprimeur, ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture : © Samuel Bollendorf


Faire payer les détenus pour alléger le poids de l’enfermement sur les finances publiques. Telle est la teneur de deux propositions de loi déposées par des élus UMP en juin 2015. De contre-vérités en mauvais calculs, l’argumentaire tient difficilement la route.

© Bernard Bolze/CGLPL

ACTU

Maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone. La télévision coûte 9 euros par mois par cellule dans les prisons publiques, 18 euros dans celles en gestion déléguée.

Comment « plumer un poulet chauve »

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onsieur Aboud, député (UMP) de l’Hérault, a enre-

gistré une proposition de loi dont l’unique disposition est la suivante : « Les personnes détenues condamnées […] contribuent, par le versement d’une somme dont le montant est calculé en fonction de leurs ressources, aux frais qui résultent de leur incarcération. » Seuls « ceux mentionnés à l’article 31 » de la loi pénitentiaire de novembre 2009 sont dispensés de payer la dîme. Autrement dit les plus démunis, dont les ressources mensuelles sont inférieures à cinquante euros. Dans un second texte déposé à quelques jours d’intervalle, d’autres élus UMP n’ont pas cette prévenance : prévenus, condamnés, responsables légaux des mineurs… tous sont appelés à verser « une participation proportionnelle à leurs ressources et à leur patrimoine 1 ». La trentaine de députés, emmenés par Eric Ciotti, invitent à déterminer le montant exigible en fonction de « l’ensemble des moyens d’existence (comme le logement) et le train de vie, parfois conséquents chez les délinquants ». On se demande comment serait évalué le train de vie des détenus : à partir du nombre de paires de Nike en cellule ? De la valeur de la voiture avec laquelle la famille vient en visite au parloir ? Outre l’allègement des finances publiques, les élus attendent de la mesure qu’elle ait « un effet dissuasif et [puisse] éviter le passage à l’acte de certains délinquants ». Alors que la recherche a déjà montré que des peines de prison plus sévères n’ont pas d’effet dissuasif sur la commission d’infraction, tout comme la peine de mort sur la criminalité, comment la prison « payante » le pourrait-elle ? Dernier atout vanté par M. Ciotti 1 Enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 3 juin 2015.

et ses amis, la mesure « pourrait également inciter les parents à pleinement assumer leur responsabilité parentale. » Taper les parents au porte-monnaie. Une vieille marotte d’Eric Ciotti, qui avait fait voter en 2010 la suspension des allocations familiales aux parents d’élèves absentéistes (mesure supprimée en 2012). Appauvrir encore les « mauvais pauvres », une perche tendue au « bon citoyen », dont la colère doit se détourner des « petits arrangements » entre amis politiques ? Rappelons que les détenus disposent de peu de possibilités de gagner « honnêtement » de l’argent pendant leur incarcération. Et que les appauvrir encore aggraverait le caractère désocialisant et générateur de récidive de la peine d’emprisonnement. Rendre la réinsertion des détenus définitivement impossible, est-ce vraiment un objectif de la France d’aujourd’hui ?

Mauvais calcul Pour faire passer leurs idées, les élus ne s’embarrassent pas d’honnêteté intellectuelle. Les prisons sont surpeuplées et coûtent cher, justifie Elie Aboud dans un entretien à Midi Libre (26/05/15). « Est-il normal que les seuls Français à ne pas contribuer à l’effort soient les détenus ? » Première intox : les détenus sont des contribuables comme les autres qui financent le fonctionnement des prisons en payant leurs impôts, selon les mêmes conditions de ressources que tout un chacun. « Je demande un effort modeste, entre cinq et dix euros par prisonnier par jour. Ce qui pourrait rapporter entre 250 et 300 millions d’euros par an » (France Inter, 28 mai 2015). Erreur de calcul. A raison de 46 982 condamnés détenus (au 1er mai 2015), il faudrait pour atteindre cette somme exiger en réalité 14,50 à 17,50 euros par personne et par jour. Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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© Simon Jourdan

Ayant (mal) fait ses comptes, E. Aboud fustige « l’approche socialiste  » pour régler le problème de la surpopulation et alléger le coût des prisons, qui consisterait à mettre « plus de détenus hors du système carcéral quitte à faire du suivi » (Midi Libre). Faut-il rappeler que depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir, le nombre de personnes détenues a atteint des records (68 648 en juin 2014), avant de revenir à ce qu’il était à la fin de la précédente législature (66 915 en juin 2015 contre 67 073 en mai 2012) ? Quand bien même elle serait effective, l’orientation Maison d’arrêt de Riom. Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail (art. 717-3 du code de procédure pénale). dénoncée par le député est justement celle préconisée sans relâche Et l’addition grimpe encore si l’on exempte, comme le propose par les instances internationales : « Le coût de l’emprisonnele député, les « indigents », qui représentent près du tiers de ment est considérable » observe l’assemblée parlementaire du la population carcérale. Les chiffres annoncés par monsieur Conseil de l’Europe, qui « invite tous les Etats membres à proAboud représentent un budget annuel de 1 825 à 3 650 euros mouvoir énergiquement l’utilisation des peines non privatives par personne détenue. Cet « effort modeste » pour un élu de de liberté, […] évidemment préférables aux peines d’emprila République représenterait un Everest pour nombre de pri- sonnement dans tous les cas, sauf les plus graves » 2. Une posisonniers, même solvables. Les minimas sociaux sont rapide- tion constante de l’instance européenne, pour qui les peines ment suspendus après l’entrée en détention et seul un déte- et mesures purgées hors de prison « constituent des moyens nu sur quatre travaille, faute d’une offre d’emplois suffisante. importants de lutte contre la criminalité et […] évitent les Leur rémunération oscille de 1,92 à 4,23 euros de l’heure, soit effets négatifs de l’emprisonnement » 3. 45 % du smic horaire brut dans le meilleur des cas. La rémunération à la pièce, interdite par le Code du travail, reste cou- « Plumer un poulet chauve » rante. Et tout n’est pas gratuit en prison. Les personnes déte- A l’appui de sa proposition, E. Aboud invoque enfin l’exemple nues doivent payer certains produits de première nécessité, étranger : « Aux Pays-Bas, ils font participer chaque détenu à ainsi que leurs communications téléphoniques (un euro les hauteur de 16 euros par jour pour les frais d’hôtellerie et les cinq minutes depuis les cabines), la location d’un réfrigérateur frais de bouche. » C’est aller un peu vite. Une proposition de ou de la télévision. Le budget mensuel nécessaire est estimé loi en ce sens, introduite en janvier 2014, doit encore être exaà 200 euros. En réalité, ce sont leurs familles qui risqueraient minée par le Sénat néerlandais. Elle n’est donc pas encore d’être encore plus mises à contribution, alors que l’incarcéra- appliquée. Controversée, elle pourrait même se voir enterrée tion d’un proche grève déjà leurs budgets : frais d’avocat, de par la coalition issue des élections mars 2015. « On ne peut déplacement pour les parloirs, envoi de mandats au détenu… pas plumer un poulet chauve » 4 s’est emporté récemment Peter Oskam, porte-parole du Parti chrétien démocrate. Si De l’huile sur le feu le taux d’emploi frise les 85 % dans les prisons des Pays-Bas, « Quand vous sortez de prison, vous avez une allocation tempo- la rémunération horaire n’est que de « 0,76 euros brut de raire d’attente qui varie entre 513 et 1 514 euros par mois. C’est l’heure, avec un maximum de 15,20 euros par semaine » 5 prépas moral quand on a plusieurs enfants de toucher 50 % de plus cise Rein Geristen, philosophe et ancien détenu. En imposant qu’un smicard qui se lève à 7 heures du matin et qui rentre à « une contribution aux détenus, vous augmentez le risque de 19 heures », ajoute monsieur Aboud. Il dit n’importe quoi, mais récidive, car vous alourdissez leur dette ». Bref, là-bas comme la fausse information est passée sans encombre dans la presse. ici, l’idée relève plus du coup d’éclat que de la réflexion. En réalité, le montant maximal de l’ATA s’élève à 340 euros par Barbara Liaras et Camille Rosa mois – soit un tiers du smic et moins que le RSA. C’est le plafond de ressources pour y prétendre qui s’élève à 513 euros men- 2 Résolution 1938 (2013) suels pour une personne seule, et à 1 540 euros pour une per- 3 Rec R(92)16 relative aux Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté sonne avec quatre enfants à charge. Une minorité de sortants 4 www.cda.nl, 7/04/15 de prison en bénéficie, pour une durée maximale d’un an. 5 De Volkskrant, 17/01/14

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ACTU

Radicalisation :

après l’impensé, le pensé Après les mesures sécuritaires stigmatisantes et contreproductives données en gage au peuple, arrive le premier exemple intéressant de prise en charge des détenus dits « radicalisés », ou en passe de l’être. Menée par des chercheurs, en collaboration avec l’Association française des victimes du terrorisme (AfVT), l’expérimentation comporte des séances de groupe et entretiens individuels permettant aux personnes ciblées d’exposer leur vision du monde et de s’interroger sur d’autres modes d’engagement, non-violents.

«O

n nous a annoncé une semaine après les atten-

tats de janvier que nous avions remporté l’appel d’offres. » Les sociologues Ouisa Kies et Eduardo Valenzuela assurent aujourd’hui la première recherche-action sur la radicalisation violente, dans deux maisons d’arrêt de région parisienne : Osny et Fleury-Mérogis. Alors que l’appel de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) date d’octobre 2014, ils arrivent sur le terrain en janvier, peu après le choc « Charlie ». En détention, « le terme de radicalisation est dans toutes les bouches, alors que peu de personnels le connaissaient il y a un an. La confusion avec le fondamentalisme est fréquente, les gens croient que le fait d’assurer un appel à la prière ou d’avoir trois tapis en cellule ont des signes de radicalisation », raconte O. Kies. Et de décrire ses interrogations d’alors : « On se demandait comment on allait pouvoir travailler dans un tel contexte, constituer des groupes de détenus volontaires pour participer à un programme de “déradicalisation”, sans les stigmatiser ! » L’objectif n’est pas de produire un contre-discours religieux en faisant intervenir des théologiens, contrairement à ce qui a été présenté dans la presse. La commande de la DAP tient en deux volets : réactualiser la méthode de détection, expérimenter un dispositif de prise en charge. « Nous avons ajouté un troisième volet, la transmission de la méthodologie au SPIP (Service pénitentiaire d’insertion et de probation), autant que faire se peut », précise E. Valenzuela.

Une adaptation de stages de citoyenneté Leur proposition s’inspire des stages de citoyenneté qu’ils ont conçus et mettent en œuvre depuis 2006, dans le cadre de leur Association dialogues citoyens (ADC). Leur approche consiste à instaurer un espace où chacun peut exprimer sa vision de la religion, des événements dans le monde, des institutions… mais aussi entendre celle des autres. « Il ne s’agit pas de pointer un “mauvais” discours religieux et de leur apprendre “le bon”. Cela ne marche pas », dit Eduardo. Le programme comporte trois phases. Une première de dé-stigmatisation et mise en confiance. Un atelier théâtre vise d’abord à créer une dynamique de groupe, apprendre à se connaître, se mettre à l’aise. Puis vient le temps du débat avec des militants associatifs invités. Ils viennent présenter leur parcours, parler de leur engagement : « Ils ne sont pas là pour faire une conférence ou la morale aux participants, mais pour lancer le débat. » La deuxième phase porte sur les représentations qu’ont les détenus du fait religieux, de l’islam, des discriminations, de la laïcité, des victimes de violences… « On ne définit rien à leur place. Revient souvent cette impression d’être méprisé parce que musulman, ou provenant des banlieues. Notre optique n’est pas de remettre en cause leur révolte (souvent légitime !), mais de trouver avec eux comment s’engager, agir de manière non violente », développe Ouisa. La troisième phase consiste en un « retour sur soi », il s’agit de travailler avec chaque participant sur son parcours Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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© Bernard Bolze/CGLPL

307 personnes étaient incarcérées pour des faits de terrorisme en France en février 2015, dont 172 pour des faits liés à l’islam radical. Parmi elles, 145 étaient en détention provisoire et 135 détenues en région parisienne. Il y a au total 66 967 prisonniers en France au 1er mai 2015 (Statistique mensuelle, DAP).

Cour de promenade, Fleury-Mérogis. La plupart des pays européens se sont attelés au traitement de la radicalisation il y a dix voire quinze ans, bien avant la France (Contrôleur général, 11 juin 2015).

et son projet personnels, comment il peut envisager l’avenir. Plus qu’un projet professionnel, il s’agit de trouver une première réponse aux questions sur sa place sociale, « l’utilité de sa vie ». Parce que le problème de ces jeunes est « avant tout celui là : un manque de reconnaissance, d’estime de soi et de perspectives ». Plus qu’une question de religion, argue Ouisa Kies, qui a travaillé avec Farhad Khosrohkavar sur l’islam en prison. En tout cas pour les dernières générations, ceux qui « reviennent de Syrie, ils vont passer à l’acte mais ne savent pas faire la prière. L’un d’eux a d’ailleurs appris à prier depuis son incarcération, quand il a fait un séjour dans la fameuse unité de regroupement de Fresnes » !

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Particularité française, un programme court Le programme qu’ils expérimentent à Osny et Fleury dure sept semaines, à raison de deux demi-journées de séances collectives hebdomadaires, pour un groupe de 12-15 personnes détenues. Une autre demi-journée est consacrée à des entretiens individuels. Une intervention très courte, comparée aux programmes de « déradicalisation » de six-sept mois mis en place dans d’autres pays européens. Pour les deux chercheurs, ce n’était pas possible en France, en raison d’un grand turn over des détenus en maison d’arrêt. Le groupe « doit nécessairement être le même du début à la fin et nous n’entendons pas nous substituer aux structures de la prison ». Il faut dire aussi que la


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Le « programme citoyenneté » est expérimenté en dehors des quartiers de regroupement des détenus radicaux annoncés par le Gouvernement. Un seul quartier de ce type fonctionne pour l’instant, celui créé à Fresnes avant les attentats. L’ouverture de quatre autres est annoncée pour fin 2015, un à Osny, deux à Fleury-Mérogis et un à Lille-Annoeullin (budget prévu : 15,5 millions d’euros). Des prises en charge différentes devraient y être proposées : quatre appels d’offres pour de nouvelles recherchesaction ont été lancés (avis CGLPL, 11 juin 2015).

DAP a cantonné la recherche-action à une durée d’un an non reconductible. Pour les autres appels d’offre annoncés, des programmes plus longs gagneraient à être prévus. Le parcours de ceux qui en arrivent au radicalisme violent est souvent parsemé de drames familiaux, exclusions diverses, perte de confiance dans les institutions et/ou de troubles psychologiques, qui pourront difficilement être traités en quelques semaines. Ouisa et Eduardo appréhendent leur programme comme une interface, un « déclencheur d’ouverture », avant que les acteurs usuels de la prison prennent le relais pour un suivi régulier. « Il faudrait que les enseignants, les psys, le SPIP et les partenaires habituels des prisons assurent une prise en charge prioritaire aux participants à l’issue du programme, afin que le parcours initié se poursuive », escompte Eduardo. Cela impliquerait pour le SPIP de prendre en charge des prévenus, ce qu’il ne fait pas habituellement. Et plus largement, d’intégrer en France ce que signifie une véritable prise en charge des personnes condamnées, avec un suivi hebdomadaire, et non des rendez-vous tous les trois mois. Et les ressources humaines qui en découlent.

Comment sélectionner ? Pour participer au « programme citoyenneté » en cours, le principe du volontariat est incontournable : « On ne peut obliger personne, surtout pas en détention », indique Eduardo. A Fleury, les détenus du bâtiment choisi ont été informés par affichage et ont reçu un bon d’inscription. Parmi les candidats, les chercheurs en ont sélectionné quize, après une réunion pluridisciplinaire avec des professionnels de l’établissement. « Nous ciblons les détenus fragilisés, ceux qui pourraient basculer », indique E. Valenzuela. Ils représentent environ la moitié du groupe, qui se veut hétérogène, avec l’intégration de personnes incarcérées pour des faits de terrorisme (1/4 du groupe), mais aussi de « leaders positifs qui peuvent entraîner les autres » (dernier quart). A Osny, le système de sélection a été

plus informel, l’administration pénitentiaire, d’autres professionnels et parfois même des détenus, conseillant d’aller faire la proposition à untel. « Nous sommes arrivés à en convaincre certains, qui n’auraient jamais postulé sans nous avoir rencontrés et compris notre démarche », se réjouit Ouisa K. Quid de la grille de sélection ? Celle disponible actuellement pour repérer les radicaux « est encore pire que celle d’avant, fondée sur des stéréotypes et sans possibilité d’écrire des commentaires ». Dans le cadre de la recherche-action, une réactualisation de la grille doit être effectuée. « Les personnels en ont besoin, comme pour la prévention du suicide, les formations dispensées en ce moment ne suffisent pas à prémunir des amalgames », estime Ouisa. Le plus important sera néanmoins pour les chercheurs de convaincre les acteurs de la détention de communiquer entre eux, dans l’idée « d’évaluer ensemble, croiser leurs points de vue, défend Eduardo. Mais il ne faut pas que la détection ait lieu uniquement dans une perspective sécuritaire, comme c’est le cas aujourd’hui : on demande de détecter pour signaler une dangerosité au renseignement pénitentiaire. Nous allons défendre qu’il faut évaluer pour traiter le problème, car un travail en ce sens peut être initié en prison, par une prise de conscience individuelle tout d’abord. » En effet, si nombre de professionnels et intervenants refusent d’échanger leurs informations et analyses avec l’administration pénitentiaire, c’est notamment en raison des conséquences négatives qui pourraient en résulter pour le détenu. La démarche est ambitieuse, peut-être trop optimiste dans un univers fondamentalement disciplinaire. Elle a le mérite d’être pensée. « Ce dispositif fait beaucoup de bien aux personnes détenues, qui ont vraiment l’impression d’être prises en charge, et à partir de là, peuvent se questionner », dit Ouisa. Enfin. Sarah Dindo

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Première alerte en urgence de la nouvelle Contrôleure

«L

es conditions de détention portent gravement

atteinte à la dignité des personnes et représentent un traitement inhumain et dégradant », indique Mme Hazan. Elle rappelle que « des observations relatives à l’état de saleté des cours de promenade […], à la nécessité de procéder à la rénovation des douches et à rendre le réseau de distribution d’eau chaude opérationnel dans les cellules » avaient déjà été formulées à l’issue d’une première visite, en mars 2009. « Force est de constater que […] la situation n’a guère évolué sur ces points, voire que les conditions de détention se sont dégradées. »

Froid et humidité « Malgré les travaux effectués, relèvent les contrôleurs, l’eau des douches est glaciale. » Explication de la garde des Sceaux : « Les installations de production d’eau chaude ont été calibrées pour un effectif théorique de 444 personnes ». Ils étaient 720 au 1er mars 2015. Les détenus continueront donc de subir et la promiscuité et l’eau gelée. « Un haut degré d’humidité règne dans les cellules », susceptible de favoriser « différentes pathologies respiratoires et dermatologiques ». S’y ajoute le froid : 17° dans une cellule du quartier mineurs, en pleine journée. « Afin d’élever la température à un niveau convenable, beaucoup de personnes maintiennent allumée leur plaque chauffante en permanence, risquant ainsi de provoquer des accidents domestiques tels des brûlures ou incendie. » Au quartier disciplinaire (QD), les contrôleurs ont trouvé « une personne punie, transie de froid », par une température de 14,6°. En état de « crise suicidaire », le détenu avait été revêtu d’une dotation de protection d’urgence : pyjama déchirable et deux couvertures indéchirables, l’une « faisant office de drap ». Réponse du ministère : c’est à cause des détenus qu’il fait froid au QD. Le chauffage est en effet « exclusivement 6

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assuré par la distribution d’air pulsé », et ceux-ci bouchent les conduits. Fermez le ban. Quant au recours à la DPU, elle respecte « rigoureusement » la réglementation. C’est vrai. Mais on peut s’interroger sur la nécessité d’infliger un tel traitement à une personne suicidaire, sanctionnée pour la « détention d’un téléphone portable ».

Climat délétère « La détention est apparue livrée à elle-même », dénonce encore la Contrôleure générale. Il est fait état « de façon récurrente et concordante d’humiliations et de provocations de la part des surveillants ». Les détenus se sont montrés réticents à rencontrer les contrôleurs « par crainte de représailles », et les correspondances adressées au CGLPL « ont manifestement été ouvertes », contrairement aux dispositions légales. Les contrôleurs dénoncent par ailleurs « l’absence de mesures efficaces prises par le personnel pénitentiaire pour préserver l’intégrité physique » d’un détenu craignant d’être agressé par son codétenu. Informé par un soignant, un gradé a demandé à ce prisonnier, « en présence du codétenu mis en cause, des précisions sur les motifs de son inquiétude. […] Le lendemain, la personne concernée indiquait avoir été victime de viol pendant la nuit. » Là encore, Christiane Taubira vient au secours de ses troupes, affirmant que la demande du médecin « ne revêtait pas un caractère d’urgence ». Démenti d’Adeline Hazan : « J’ai les preuves que le médecin a demandé que ce soit fait non seulement en urgence mais aussi dans la discrétion. […] Ce que dit la Chancellerie est inexact. 1 » Audrey Martins et Barbara Liaras

1 France Info 13/05/15.

© CGLPL

Douches « glaciales », matelas « rongés de moisissures », humiliations de la part de surveillants… Les conditions de détention à la maison d’arrêt de Strasbourg-Elsau se sont encore dégradées depuis la première visite du Contrôle général des lieux de privation de liberté, en 2009. Adeline Hazan a déclenché la procédure d’urgence à l’issue d’une seconde visite, du 9 au 13 mars 2015. Ce qui lui a valu sa première passe d’armes avec la garde des Sceaux.


ACTU

Maison d’arrêt de Strasbourg. « L’humidité est à l’origine de nombreuses dégradations du revêtement des murs et des plafonds » (Contrôleur général, 13 mai 2015).

Chronique

L’homme qui voulait cuire sa mère Ce n’est pas un énième épisode de « Faites entrer l’accusé », ni un nouveau roman policier. Mais le livre que vient de publier l’actuelle responsable du service médicopsychologique (SMPR) de la maison d’arrêt de Fresnes, ainsi que de l’unité hospitalière (UHSA) pour détenus de l’hôpital psychiatrique de Villejuif. Magali Bodon-Bruzel y expose une douzaine de cas cliniques rencontrés en prison, tous auteurs de crimes sanglants et atteints de « ce qu’on nomme des pathologies mentales dangereuses ». Un récit qui serait « avant tout un hommage aux patients qui le traversent », leur « souffrance et leur intimité » ayant été « des cadeaux » offerts à la psychiatre « avec une confiance et une sincérité » et qui l’ont « infiniment touchée », peut-on lire dans l’avertissement de l’auteur au lecteur. Malaise. « Afin qu’ils ne soient pas importunés, et par respect du secret qui couvre le travail réalisé avec eux, leurs noms et prénoms, les périodes et les lieux (…) ont été volontairement transformés. » Hormis ces mentions, rien ne semble pourtant couvert par le secret professionnel dans ce livre. Dès les premières pages, l’on pourra ainsi reconnaître « le plus vieux détenu de France » lors de son retour dans une prison d’outre-mer après plus de quarante ans « alternativement en prison et en UMD » (unité de soins pour malades difficiles). Celui-là

est mort. D’autres sont bien vivants, telle la renommée Louise, sortie depuis peu en conditionnelle, et que des proches ont facilement reconnue en fin d’ouvrage. Forcément, « une femme qui a coupé son mec en morceaux », ce n’est pas commun. Un dossier pénal grand ouvert, le récit d’une patiente (rencontrée une seule fois) utilisé sans son consentement, un jugement professionnel rappelant l’inégalable tonalité des expertises psychiatriques sur l’humain : « Des éléments de manipulation sont repérables, Louise apparaissant peu authentique, détachée, plutôt théâtrale. » Malaise encore, devant la description quelque peu idéalisée de l’UHSA (« Du sur-mesure pour les patients ! ») et plus largement du dispositif de soins pour les détenus : « C’est l’institution qui s’adapte aux patients. » L’ouvrage ne se résume pas pour autant à une appréciation négligente du secret médical. Le Dr BodonBruzel montre l’acte monstrueux, mais aussi la grande souffrance et l’humanité de chacun. De quel droit et avec quelle responsabilité écrire sur ses patients condamnés en les dépossédant de leur parole ? Là est la question. Sarah Dindo Magali Bodon-Bruzel, avec la collaboration de Régis Descott, L’homme qui voulait cuire sa mère, Stock, 2015

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Conversations téléphoniques : la coursive n’est plus à l’écoute des avenants aux contrats passés avec le délégataire de service public chargé d’installer et gérer les équipements téléphoniques. La haute juridiction administrative avait en effet confirmé, en juillet 2014, une décision prise deux mois plus tôt par le tribunal administratif rennais. Celui-ci donnait satisfaction à l’OIP et des organisations d’avocats, qui lui demandaient d’ordonner le cloisonnement des téléphones, un constat d’expert attestant que la configuration des installations ne permettait pas d’assurer la confidentialité des conversations à l’égard des personnes se trouvant à proximité. L’ordonnance du TA imposait à l’administration pénitentiaire « de mettre en œuvre toute mesure » permettant d’y

remédier. L’entreprise est en marche. Les appels téléphoniques (à l’exclusion de ceux passés à son avocat, au Contrôleur des lieux de privation de liberté, aux services d’écoute et de conseil de la CroixRouge et de l’Arapej) restent néanmoins susceptibles d’être écoutés par l’administration, à titre de contrôle. Comme le prévoient les textes. OIP

© Michel Le Moine

La bataille juridique a porté ses fruits. Engagée au centre pénitentiaire de Rennes, elle visait à obtenir l’isolation des cabines téléphoniques installées en détention, afin que les détenus puissent passer leurs appels sans être entendus de tous. C’est gagné pour l’ensemble du territoire : l’administration pénitentiaire prévoit le « remplacement intégral des habitacles téléphoniques actuels situés dans les coursives par des habitacles téléphoniques équipés d’une isolation acoustique de nature à assurer […] l’intimité et la confidentialité des communications téléphoniques » à l’égard des codétenus. Contrainte de « tirer les conclusions » d’une décision du Conseil d’Etat, l’administration a signé en mai 2015

Centre pénitentiaire de Longuenesse. Depuis la loi pénitentiaire de 2009, tous les détenus peuvent passer des appels depuis des « points phone » situés dans les coursives et les cours de promenade.

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de facto Clairvaux

Graves atteintes à la confidentialité des soins et au secret médical Consultations médicales, radios et prises de sang effectuées en présence de personnels pénitentiaires et avec menottes dans le dos. Telles sont les conditions du suivi de Mohamed D. à l’unité sanitaire du centre pénitentiaire de Clairvaux. Ces mesures ont été imposées aux soignants par la direction de l’établissement. Dans un certificat du 24 mars 2015, le médecin responsable de l’Unité sanitaire indique qu’il serait « d’accord pour examiner démenotté et sans la présence de surveillants Monsieur D. mais [qu’il est] obligé d’obéir aux consignes de sécurité imposées par l’administration pénitentiaire ». Détenu dans cette prison depuis juin 2014, Mohammed D. a été informé des consignes de la direction à l’occasion d’un rendez-vous pour une prise de sang, le 6 mars 2015. Refusant d’être soigné dans ces conditions, il obtient ce jour-là que les menottes lui soient ôtées et que les agents, équipés de tenues anti-émeutes, restent postés à l’extérieur, la porte ouverte. Ses protestations sont également prises en compte le 17 mars, lors d’un examen radiologique :

la consigne initiale était de lui attacher les mains à l’aide d’un lien de contention souple. C’est finalement sans menottes, mais en présence d’un surveillant, qu’il subit l’examen. Il ne bénéficiera pas des mêmes égards lors des deux consultations suivantes : le 24 mars, M. D. reste menotté dans le dos pendant l’entretien avec le médecin. De même que le 14 avril, où, de surcroît, cinq surveillants assistent à sa prise de sang. L’administration justifie ces mesures de sécurité renforcées par des antécédents de violences physiques et verbales commises sur des personnels pénitentiaires entre  2008 et 2012, faits pour lesquels M. D. a été condamné au pénal et se trouve encore placé à l’isolement. Elle reconnaît néanmoins qu’il n’a « pas commis de violences physiques à l’égard des personnes depuis deux années ». En outre, il n’a jamais fait l’objet de poursuites pour des violences à l’encontre d’un personnel soignant. Un certificat rédigé le 5 mai 2014 par le médecin de l’Unité sanitaire de la maison centrale de Saint-Maur, où était précédemment incarcéré M. D., atteste

au contraire que depuis le début de son suivi, « le patient n’a pas présenté à [s]on égard d’agressivité et est toujours resté calme dans les entretiens ». En tout état de cause, le type de contraintes imposées à M. D. ont déjà été jugées « hautement contestable[s] tant du point de vue de la déontologie que du point de vue clinique » et « pas de nature à créer une relation de confiance appropriée entre le médecin et le patient » par le Comité pour la prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe (rapport de visite en France, 2010). Pour le CPT, « le principe de confidentialité exige que les examens et les soins médicaux soient pratiqués hors de l’écoute et – sauf demande contraire du médecin dans un cas donné – hors de la vue du personnel ». Il considère que la décision d’« examiner ou soigner des détenus soumis à des moyens de contrainte […] doit appartenir au personnel de santé ». Coordination OIP Nord

Loi renseignement : statu quo pour la pénitentiaire « Dans une logique d’apaisement », le parlement a finalement renoncé à intégrer l’administration pénitentiaire à la « communauté du renseignement ». Contre l’avis du gouvernement, le rapporteur du projet de loi, Jean-Jacques Urvoas avait convaincu les députés de permettre au renseignement pénitentiaire d’accéder à toutes les techniques reconnues aux services spécialisés  : écoute des personnes ciblées et de leurs proches, pose de micros ou de caméras cachées dans n’importe quel local, captation de données, notamment celles contenues dans un ordinateur, etc. Et ce, pour des finalités potentiellement très larges, comme la défense de « l’intégrité du territoire », « la prévention du terrorisme » ou encore « la prévention

de la criminalité et de la délinquance organisées ». Une perspective fortement critiquée par la ministre de la Justice, soulignant le risque de bouleverser les domaines de compétences Intérieur/ Justice. Et de brouiller l’identité de son ministère qui, garant de la protection des libertés individuelles, ne saurait, sans contradiction, user de pouvoirs de police administrative, en dehors de tout contrôle juridictionnel. « L’Etat de droit ne saurait fonctionner avec un ministère de l’Intérieur et demi » a-t-elle rappelé, en évoquant par ailleurs la crainte que la suspicion qui s’en suivrait génère de grandes tensions entre détenus et personnels. Le texte a finalement été épuré, au Sénat puis en commission mixte paritaire, de cette disposition. Le

renseignement pénitentiaire n’acquiert ainsi aucune prérogative supplémentaire. Cependant, le risque d’une évolution n’est pas écarté : les commissions des lois des deux assemblées « ont pris l’engagement de poursuivre la réflexion à ce sujet ». Et la rédaction finale du texte laisse entière la possibilité d’autoriser ultérieurement, par décret en Conseil d’Etat, l’administration pénitentiaire à recourir à des techniques de renseignement. La porte reste ainsi ouverte en cas de changement de ministre ou d’alternance politique. OIP

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© Grégoire Korganow pour le CGLPL

Ronde de nuit « à l’œilleton » dans un centre pénitentiaire, 2011

Rhône-Alpes

Sept suicides en un mois Leur fragilité psychique était connue. Les conditions de leur prise en charge n’ont pas empêché deux personnes détenues signalées comme suicidaires de se donner la mort à la maison d’arrêt de GrenobleVarces, les 10 et 17 avril 2015. Ces deux décès en l’espace d’une semaine font suite à une série de cinq autres suicides enregistrés dans des prisons de RhôneAlpes en un mois. L’un des deux détenus décédés à Varces avait 74 ans. Il se serait auto-strangulé dans son lit à l’aide de sa ceinture, le jour-même de son placement en détention provisoire. Mis en examen pour une affaire de mœurs sur mineurs, il avait déjà tenté de mettre fin à ses jours au tribunal, en déchirant une partie de sa chemise pour en faire une corde. Le juge d’instruction, avisé de cette tentative de suicide, avait requis un placement en détention provisoire et le juge des libertés et de la détention l’avait prononcé. L’incarcération aurait même été décidée pour prévenir tout risque de suicide, alors Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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que « plusieurs études ont montré que l’incarcération était un moment à risque élevé » (Institut national d’études démographiques, 2014). Les magistrats avaient néanmoins alerté « du risque suicidaire important » dans la notice individuelle remise à l’administration pénitentiaire, ajoutant « qu’aucun élément vestimentaire permettant au détenu de se porter atteinte ne [devait] être laissé en sa possession » (commission pénale du barreau de Grenoble, 23 avril 2015). Il a cependant mis fin à ses jours quelques heures après sa mise sous-écrou, à l’aide d’une ceinture qu’il avait pu conserver. Une semaine plus tard, le 17 avril, un jeune homme de 24 ans était retrouvé pendu en cellule dans la même maison d’arrêt. En détention provisoire depuis bientôt deux ans, il avait récemment été signalé « comme souffrant psychologiquement » et faisait l’objet d’une surveillance particulière. Si le taux de suicide en prison marque une légère baisse ces deux dernières

années (14,39 pour 10 000 détenus en 2013 et 13,79 en 2014), il reste sept fois plus élevé qu’en milieu libre et « près de la moitié des décès survenus dans les prisons françaises sont des suicides » (INED, 2014). La prévention du suicide en prison est toujours pilotée par l’administration pénitentiaire (AP), tandis qu’elle est dirigée par les autorités sanitaires dans d’autres pays européens. Or, l’AP privilégie principalement des méthodes visant à empêcher le passage à l’acte suicidaire, dont certaines aggravent l’état de santé mentale des personnes concernées, comme le fait d’être réveillé au moins toutes les deux heures chaque nuit. Le passage à l’acte reste appréhendé comme un « incident », au même titre qu’une infraction au règlement, alors qu’une approche de santé publique intervient davantage sur les multiples causes qui peuvent amener une personne à mettre fin à ses jours. Coordination OIP Sud-Est


de facto Muret

Le mariage empêché Depuis septembre 2013, Martin, détenu au centre de détention de Muret, et sa compagne Glwadys essaient de se marier. En vain. Le Parquet s’oppose systématiquement à leur union, en dehors de tout cadre légal. Martin purge une peine de réclusion criminelle à perpétuité depuis 23 ans. Il est en couple avec Glwadys depuis avril 2012. Déjà pacsés, ils décident de se marier en septembre 2013. Le « mariage revêt un caractère très symbolique de nos engagements respectifs » écrit Glwadys au procureur. Leur première demande étant restée sans réponse, Martin et Glwadys la renouvellent en février 2015. C’est au détour d’un jugement du tribunal de l’application des peines (TAP) du 23 mars – sans aucun lien avec leur mariage – que Martin apprend que

le procureur « s’est opposé » à leur démarche. Il y découvre également une appréciation du TAP sur ses liens avec Glwadys : « Depuis deux ans, il a noué une relation qu’il qualifie “d’amoureuse” avec une femme qu’il a rencontrée par l’intermédiaire de petites annonces et qui lui rend régulièrement visite en détention. » Un avis qui contraint Martin à se justifier : « Je dépense chaque mois entre 400 à 500 euros rien que pour le téléphone avec ma femme. » Par un courrier du 30 mars, le parquet informe finalement Martin que le procureur n’autorise pas l’officier d’état civil à se rendre au centre de détention pour y célébrer le mariage. Par cette interdiction, le magistrat ne formule pas explicitement son opposition au mariage – laquelle doit répondre à des critères

légaux précis (existence d’une fraude ou non-respect des conditions requises : majorité, monogamie, consentement, absence de lien de parenté ou d’alliance). Le couple se trouve dès lors dans l’impossibilité de contester cette décision. Le motif invoqué pour refuser le déplacement de l’officier d’état civil témoigne pourtant d’une grande confusion des genres : « Le juge de l’application des peines (JAP) émet un avis très réservé compte tenu des faits » pour lesquels Martin est incarcéré. La loi ne prévoit nullement de solliciter l’avis du JAP sur le mariage d’une personne détenue, ni de prendre en compte le motif de la condamnation. Coordination OIP Sud-Ouest

Urgences médicales

Préconisations inappliquées « Durant les périodes nocturnes, il semble que les personnes détenues soient véritablement pénalisées et perdent des chances de recevoir les soins adéquats dans un délai raisonnable. » Le constat est déjà connu, l’Assemblée nationale enfonce le clou dans un rapport du 3 juin 2015. Au nom de la Commission des affaires sociales, Catherine Lemorton rappelle que seuls quelques très grands établissements pénitentiaires « (plus de mille détenus) disposent d’une garde médicale sur place, nuit comprise ». Il appartient à l’Unité médicale d’organiser la permanence des soins en dehors de ses heures d’ouverture. En pratique, très peu de médecins exerçant en prison étant « tenus d’assurer des astreintes », le recours au Centre 15 « semble l’organisation la plus fréquente ». Dans ce cadre, une circulaire interministérielle du 30  octobre 2012 préconisait «  la mise en relation téléphonique directe entre la personne détenue et le médecin régulateur » afin de « permettre à

ce dernier d’évaluer la situation sanitaire de l’intéressé. » Une préconisation peu appliquée, principalement en raison d’« obstacles pratiques » selon les députés. D’une part, l’ensemble des cellules n’est toujours pas doté d’un interphone « ce qui rend difficile le contact avec le personnel de surveillance surtout la nuit où les rondes se font toutes les deux ou trois heures ». D’autre part, « les établissements ne disposent pas toujours de téléphones portables mis à disposition des surveillants de nuit » pour qu’ils puissent passer le combiné au détenu malade. C’est alors au surveillant qu’il revient d’expliquer par téléphone fixe au Centre 15 les symptômes du détenu « alors que cette appréciation n’entre ni dans [s]es attributions ni dans [s]es compétences ». Les établissements pénitentiaires peuvent aussi faire appel à « une association médicale de garde de type “SOS médecins” ». Ce qui ne va pas sans difficultés non plus, « en raison des délais nécessaires pour accéder

au détenu malade […] – souvent plus d’une heure ». L’administration s’avère en outre mauvaise payeuse  : « Dans plusieurs départements, SOS médecins s’est désengagé du fait de ces délais et des retards avec lesquels les médecins étaient payés. » Certains établissements ont eu beau proposer « des tarifs supérieurs pour indemniser les médecins des délais d’attente », les majorations n’ont pas eu l’effet escompté. Et la mission parlementaire de (re)préconiser à titre de « premiers objectifs » pour les établissements pénitentiaires : doter toutes les cellules d’interphone ou de sonnette afin de permettre aux détenus d’alerter le personnel de surveillance ; doter tous les établissements de téléphones portables en nombre suffisant afin de « garantir aux détenus la possibilité de s’entretenir directement avec le médecin ». Assemblée nationale, Mission sur l’organisation et la permanence des soins, Rapport d’information, juin 2015

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dossier

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La religion occupe une place importante en prison, mais rarement comme un problème. Elle représente surtout un soutien pour les détenus, un espace où les relations se normalisent, une possibilité d’affiliation à un groupe protecteur au sein d’un univers violent. C’est aussi l’espoir d’une rédemption, ou plus prosaïquement, un moyen de sortir de cellule quand règne le manque d’activités. Comme à l’extérieur, les musulmans rencontrent néanmoins le plus de difficultés. Leur prise en considération n’a émergé que sous le prisme de la lutte contre la radicalisation, marquée d’une suspicion généralisée. La réponse apportée faite de surveillance intensive et d’amalgames, tend à convaincre ceux qui ne l’étaient pas encore du caractère « anti-islam » de la société. Et de produire une fois encore l’effet inverse de celui recherché : plus de rejet des institutions, plus de passages à la violence.


Dossier

«P

ourquoi vous intéresser à la religion quand il y a

tant d’autres problèmes bien plus pressants ? » En près de deux ans d’enquête, en 2011 et 2012, les sociologues Céline Béraud et Claire de Galembert ont été ainsi interpellées à maintes reprises. Pour la plupart des détenus comme des personnels, le fait religieux n’apparaît pas comme une préoccupation majeure du quotidien carcéral. Autre indice : en vingt ans d’existence, la section française de l’OIP n’a presque jamais eu à se pencher sur cette question, qui émerge rarement des sollicitations des détenus et intervenants en prison.

La religion comme refuge Si les problèmes religieux restent dérisoires en comparaison de l’oisiveté, la surpopulation, la violence et l’impuissance qui font le quotidien du détenu, la demande spirituelle est forte en détention. Un phénomène de « sur-religiosité » y est observé. Non pas à travers une pléiade de conversions, peu nombreuses d’après les chercheurs. On assiste plutôt à une intensification des pratiques chez ceux qui avaient, avant leur incarcération, un ancrage religieux, même léger. Derrière l’appel spirituel se niche le besoin de trouver du sens, dans un environnement qui en est dépourvu. Ainsi le résume Anne Lécu, médecin à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis et sœur dominicaine : « Quand on est face à soi, les questions existentielles émergent. On s’interroge sur ce qui vous a amené là ou comment vivre avec l’acte commis. » Les questions de la culpabilité et du pardon sont forcément très présentes. « S’acquitter de ses devoirs religieux constituerait une manière d’“effacer l’ardoise” ou de “repartir à zéro”. » 1 L’observance des règles religieuses apporte aussi une discipline qui restructure le quotidien et peut se révéler « parfois un instrument de sortie de la délinquance » (Béraud, Galembert, Rostaing). Le recours à la religion s’explique encore par le besoin vital de créer des solidarités et systèmes de protection, au sein d’une institution faisant peu de cas du respect de la personne et de son intégrité. Gabi Mouesca témoigne du renforcement de sa foi au cours de ses dix-sept années de détention. Il évoque des « béquilles évangéliques », décrivant le soutien que lui a apporté la lecture quotidienne des textes chrétiens pour « résister au mal carcéral ». Le militant basque estime

aussi que la sensibilité de certains aux sirènes de la religion est avant tout « un problème de misère sociale » : « L’abandon dans lequel se trouvent certains prisonniers, leur situation économique désastreuse, peut les conduire à chercher une solidarité effective, qui passe par les affinités nationales, culturelles ou religieuses. » La sociologue Ouisa Kies étaye ce constat : « Les détenus les plus fragiles, ceux qu’on appelle les “indigents”, qui n’ont pas de contact avec leur famille, pas de parloir, pas de mandat (pas d’argent dans la prison) sont souvent pris en charge par des détenus qui les accompagnent socialement et économiquement. » Parmi ces « protecteurs » se trouvent des caïds, mais aussi des religieux. « C’est par une approche d’abord économique et sociale qu’ils essaient d’entraîner dans le groupe des individus plutôt fragiles. »12 D’autres prisonniers s’avèrent particulièrement vulnérables et en quête de protection. Hassan el Alaoui Talibi, aumônier national musulman, constate ainsi que « des détenus condamnés pour des faits graves de viol ou d’agressions sexuelles, notamment sur des enfants, susceptibles d’être la cible de violences de la part de leurs codétenus, adoptent parfois les rituels du culte musulman pour se mettre sous la protection de la communauté 3 ». Le culte catholique peut également devenir un refuge pour ces parias entre les parias, et la rencontre avec l’aumônier un moment de socialisation et d’humanité tel qu’il leur en est peu offert. Céline Béraud et Claire de Galembert rapportent que « des détenus [leur] ont raconté les larmes aux yeux l’importance des conversations banales qu’ils avaient avec les aumôniers et ne pouvaient avoir avec personne d’autre ». C’est une autre dimension de l’attrait pour la religion et du succès non démenti des aumôniers, qui ont « résisté aux différentes vagues de laïcisation et de sécularisation 4 ». Ils pallient aussi, le temps de leur présence, à l’ennui plombant de la journée carcérale. Les activités cultuelles – groupes bibliques, célébrations, etc. – permettent d’échapper physiquement à la cellule et de s’évader mentalement, faute d’activités pour tous. 1 Béraud, Galembert, Rostaing, « La religion en prison au prisme d’une sociologie de l’action », in Le Fait religieux en prison, DAP 2013. 2 O. Kies, intervention au colloque « La France et la République face à la radicalisation », Fondation Res Publica, 9 mars 2015. 3 Projet de loi de finances – Avis de J-R Lecerf, Sénat, nov. 2014. 4 C. Béraud et al., op. cit.

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dossier Longtemps, l’aumônier catholique a rempli pour tous une fonction d’assistance morale. Il « était bien souvent le seul dans l’établissement et il visitait tous les détenus sans aucune réserve » rappelle Jane Sautière. Les jeunes français musulmans d’aujourd’hui ne se satisfont plus de cet expédient. « Instruits dans les écoles de la République, ils connaissent le principe de laïcité et ont bien retenu ce qui concerne l’égalité. » En outre, la pratique religieuse est pour eux liée à « la conquête d’une identité qui leur soit propre ». La religion peut en effet constituer un « bouclier identitaire face au risque de dépossession de soi induit par l’incarcération 5 ». Cette demande interne de meilleures conditions d’exercice de la liberté religieuse se fait plus pressante à partir des années 2000. Elle se voit quelque peu renforcée par la pression du droit. Bernard, un détenu chrétien orthodoxe, raconte pourquoi il a lui-même porté le contentieux visant à obtenir de l’administration pénitentiaire qu’elle propose des repas halal. Il se dit révolté par le refus d’accéder à cette demande de ses codétenus musulmans. « Qu’un chrétien mène ce combat, se réjouit-il, c’est le top ! » Mais cela révèle aussi combien les personnes concernées sont habituées à la non reconnaissance de leurs droits, ne cherchant pas même à les faire valoir, dedans comme dehors. Après avoir obtenu gain de cause en première instance, Bernard perd en appel. L’arbitrage du Conseil d’Etat est toujours attendu.

Religion sous surveillance A la direction de l’administration pénitentiaire (DAP), ce sont les attentats de 2001 qui ramènent la thématique religieuse au cœur des préoccupations, sous la pression politique et médiatique. Sous couvert d’étudier le fait religieux, c’est bien l’islam, pratiqué par une part croissante de la population carcérale, qui amène l’administration centrale à remettre du cadre et du contrôle sur des pratiques religieuses jusqu’ici largement préservées. Accusée d’être le creuset des processus de radicalisation, la prison devient le terrain de la lutte contre la violence islamiste. En 2002, la DAP crée le bureau du « renseignement pénitentiaire », qui suit aujourd’hui « 196 personnes liées à une radicalisation violente 6 ». Et elle se soucie enfin du manque d’aumôniers musulmans. Alors qu’ils n’étaient qu’une vingtaine en 1990, ils sont 69 en 2003, dont 30 indemnisés. A partir de 2006 se met en place une « politique publique de formalisation de la place des aumôniers 7 ». Un aumônier national musulman est désigné en septembre 2006. Des « postes » de vacataires indemnisés sont créés en 2006 et 2007 (répartis à parts égales entre catholiques et musulmans, bien que les besoins des seconds soient 5 C. Béraud et al., op. cit. 6 Christiane Taubira lors d’une formation de lutte contre le terrorisme à l’intention de magistrats et personnels pénitentiaires, 26 mai 2015. 7 Fonctionnaire de la DAP citée in Béraud, de Galembert, Rostaing, « Des aumôniers plus nombreux et plus divers », in Le fait religieux en prison, DAP, 2013. Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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plus importants). Puis plus rien jusqu’aux meurtres commis par Mohamed Merah, en 2012 : trente nouveaux « postes » d’aumôniers musulmans indemnisés sont annoncés. Et il faudra encore attendre les massacres de janvier 2015 pour qu’en soient annoncés soixante autres. Le rattrapage ne se fait pas pour autant : au 1er janvier 2015, on recense 182 intervenants musulmans, pour 1 076 chrétiens. Les efforts entrepris par l’administration pour remédier à un « déséquilibre entre les diverses religions parfois abyssal » se heurte notamment à l’Eglise catholique. Celle-ci se montre réticente à céder une part du terrain qu’elle occupe depuis les origines de la prison moderne. Jane Sautière, référente des cultes à la DAP de 2006 à 2010, raconte les pressions exercées par les plus hautes autorités ecclésiales lorsque l’administration a voulu redistribuer de manière plus équitable des budgets non extensibles : un appel de l’archevêque de Paris à la garde des Sceaux d’alors a torpillé l’initiative. Aujourd’hui, le secrétaire général de l’aumônerie israélite, Philippe Chelly, considère lui aussi que « le vrai problème » se situe dans le fait d’obtenir de nouveau budgets, principalement pour l’aumônerie musulmane, « sans pour autant venir rogner sur ceux des autres aumôneries. C’est au gouvernement de trouver de l’argent ». Pour leur part, les aumôneries chrétiennes ne veulent pas créer de blocage, mais restent défavorables à la création d’un statut professionnel. Adossés à une institution puissante, les intervenants catholiques sont majoritairement retraités. Il n’en va pas de même pour les représentants des autres confessions, notamment israélites et musulmans. Ce sont souvent des actifs que les modalités d’indemnisation pénalisent : celles-ci sont considérées comme des revenus, donc imposables, et peuvent entraîner la suppression ou réduction de certaines allocations. Cet obstacle matériel constitue le principal obstacle à l’arrivée de nouvelles recrues, indique Hassan el Alaoui Talibi. Outre le fait qu’elle constitue une entrave à la liberté d’exercer son culte dont l’administration est en principe garante, la pénurie d’aumôniers musulmans alimente le sentiment d’injustice… et laisse le champ libre aux imams autoproclamés.

Chasse aux sorcières Au fil des ans, dans un amalgame dévastateur entre fondamentalistes et radicaux, les musulmans très observants deviennent l’objet d’une surveillance drastique en milieu carcéral. Farhad Khosrokhavar, auteur de la première enquête sociologique sur l’islam en prison, insiste sur les différences majeures entre les deux. Les fondamentalistes s’inscrivent dans une pratique religieuse rigoriste, sectaire mais non violente. Tandis que les radicaux, dont les connaissances religieuses sont parfois extrêmement superficielles, prônent l’action violente. Comprenant les dangers de l’ostentation, ils rasent leur barbe, ne se rendent pas à la prière… deviennent des maîtres en dissimulation. Pour les repérer, l’administration élabore des grilles. « C’est la grille de TF1, basée sur des idées reçues », déplore Samia Ben Achouba, coordinatrice des

© Michel Le Moine

Revendication identitaire


religions en prison

Centre pénitentiaire de Caen. « Chaque personne détenue doit pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle » (art. R. 57-9-3 du code de procédure pénale).

aumôneries musulmanes pour le nord de la France : « Selon eux, un radical, c’est celui qui va refuser de parler aux femmes, ou qui va refuser la télé dans sa cellule, celui qui hier ne priait pas et prie aujourd’hui… » La chasse aux sorcières découlant de cette psychose porte le stigmate sur tous les musulmans. Beaucoup renoncent à la prière collective, de crainte d’« être fichés comme des extrémistes si on va au culte. […] C’est un moyen d’avoir une liste pour la remettre à la DCRI [direction centrale du renseignement intérieur] pour quand on sortira. 8 » Certains peuvent aussi « trouver dans ce soupçon à leur endroit la preuve du caractère anti-islamique de la société, y trouvant une raison de déclarer la violence comme seul moyen légitime d’y riposter » 9 explique F. Khosrokhavar. C’est ce qu’on appelle une prophétie auto-réalisatrice. Ou l’effet boomerang d’une politique discriminatoire.

Quand la délinquance se voile de religion « Une partie importante de ceux qui sont classés “radicaux” dans les prisons sont des braqueurs, des délinquants qui essaient de donner un habillage religieux et une certaine légitimité à leurs actes, à leur haine et à leur frustration » affirme 8 Cité in O. Kies, « Des aumôniers musulmans en prison », in Le fait religieux en prison, DAP 2013. 9 O. K., « Nouveau paradigme de radicalisation en prison », in Le fait religieux en prison, DAP 2013. 10 M. Loueslati, L’islam en prison, Bayard, 2015.

Hassan el Alaoui Talibi. Un autre aumônier musulman, Mohamed Loueslati, affirme avoir rencontré chez ces jeunes « un islam des banlieues, une sous-culture de la violence. Ils ont intégré la conception d’un islam très simplifié, […] un islam frelaté, belliqueux, qui va jusqu’à prôner la guerre contre l’occident.  10  » Vivant souvent l’exclusion économique, sociale et psychologique, ces jeunes en déshérence trouvent dans la religion un support idéologique. L’adhésion à un islam radical, indique F. Khosrokhavar, « inverse le paramètre de l’indignité. En devenant des chevaliers de la foi, ils deviennent une sorte d’élite. Ils étaient jugés, ils deviennent juges de la société. » Dès lors, il peut être ardu de démêler, dans des attitudes parfois qualifiées de « caïdat religieux », ce qui relève d’une simple volonté de prise de pouvoir, voire d’une certaine forme de vengeance à l’égard des « petits blancs », représentants d’une société hostile. Anne Lécu témoigne de violences exercées à l’encontre de ceux dont le comportement ou le mode de vie sont jugés « non conformes » aux prétendus préceptes de l’islam. Mais elle invite à ne pas analyser sous un prisme uniquement religieux ces problématiques avant tout personnelles et sociétales, renforcées par les conditions de vie en prison. « Sinon, ils ont tout gagné. » Barbara Liaras et Sarah Dindo

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dossier

La religion instrumentalisée

Céline Béraud et Claire de Galembert ont mené, avec Corinne Rostaing, une enquête sociologique sur le fait religieux en prison. Des hommes et des dieux en prison sera publié à l’automne 2015 aux Presses Universitaires de Rennes.

Vous avez écrit que la dimension religieuse « est loin d’occuper une place centrale » en prison. Cette question vous parait-elle surinvestie aux plans de la recherche et des politiques pénitentiaires ? Claire de Galembert : Pas par la recherche. La sociologie carcérale française est passée à côté de cette question. La première étude date de 2004, sous l’impulsion de la sociologie des religions, c’est celle de Farhad Khosrokhavar sur l’islam. Le surinvestissement est plutôt à chercher du côté de la représentation médiatique et politique de la religion musulmane. Contrairement à l’image donnée, les radicaux ne sont pas à tous les coins de coursives, et tous les établissements ne sont pas touchés par cette problématique. Quant à l’intérêt de l’administration pénitentiaire (AP) pour ces questions, il est loin d’être linéaire. Ce n’est qu’à partir des années 2000 qu’on assiste à une revalorisation du dossier, une codification infra-réglementaire croissante, une mise en visibilité institutionnelle des interlocuteurs religieux et le renforcement du « référent culte » au sein de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP). Pourquoi ce retour du religieux dans les préoccupations pénitentiaires ? Claire : De nouvelles expressions religieuses, principalement l’islam, mais aussi le jéhovisme, le pentecôtisme, l’orthodoxie ou le bouddhisme apparaissent parmi les détenus : l’offre encore très largement chrétienne et la demande cultuelles ne coïncident plus. Mais cette pression interne n’aurait pas suffit à mettre le dossier sur l’agenda de la DAP. Parallèlement, Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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Le surinvestissement politique et médiatique autour de l’islam fausse la perception de ce qu’est réellement la place de la religion en prison : le monde carcéral contemporain reste largement imperméable à cette question. Le fait religieux n’est pas pour autant absent des coursives, précisent Céline Béraud et Claire de Galembert. Certains détenus y trouvent un réconfort essentiel face à la vacuité de la peine ou au manque de protection de l’administration pénitentiaire.

des détenus posent la question en faisant de plus en plus appel au droit et au respect de leurs droits. Les Témoins de Jéhovah, en particulier, initient du contentieux pour obtenir des agréments d’aumôniers, ce à quoi ils sont parvenus. Les règles pénitentiaires européennes et la Cour européenne des droits de l’homme accentuent cette pression. L’émergence de la thématique de « la prison, école du terrorisme » constitue le troisième vecteur essentiel. Cela commence dans le sillage du 11 septembre 2001, puis des attentats de Madrid et de Londres, avec un agenda européen de lutte contre la radicalisation. Une littérature internationale d’expertise corrélant fortement terrorisme et prison, notamment chez les anglosaxons contribue à la consolidation de cette représentation. La création d’un service de renseignement pénitentiaire date d’ailleurs de 2002-2003. Céline Béraud : C’est aussi à ce moment, lorsque l’AP en fait un élément utile pour lutter contre la radicalisation, qu’est nommé un aumônier national musulman et que le nombre d’aumôniers musulmans augmente de manière significative. Ils n’étaient qu’une vingtaine à la fin des années 1980, intervenant à la demande d’aumôniers chrétiens qui sont allés chercher les imams du coin, les ont accompagnés dans leurs premiers pas en détention, alors que l’AP ne s’intéressait pas au dossier. Claire : Comme si la seule justification qui puisse être invoquée pour institutionnaliser l’islam en prison était la lutte contre la radicalisation. Au lieu de partir des droits des personnes et de s’acquitter de ses obligations…


religions en prison Le rapport à l’islam en prison passe donc d’abord par la question de la radicalisation et de ses dangers ? Céline : Droite et gauche se rejoignent sur ce point. Après l’affaire Merah, Michel Mercier, ministre de la Justice, demande davantage d’aumôniers musulmans et renforce le service du renseignement pénitentiaire. Un mois après les attentats de Paris, Manuel Valls annonce le recrutement de soixante aumôniers supplémentaires. Il y a une continuité et une absence de contestation de cette approche. Claire : On n’est pas loin d’une gestion coloniale de l’islam : l’Etat revient sur le devant de la scène religieuse pour piloter cette affaire, contrôler le religieux, une affaire beaucoup trop sérieuse pour qu’elle soit laissée… aux religieux ! Qu’appelez-vous les « géométries variables de la laïcité » en milieu carcéral ?

l’aumônier. Les musulmans aussi sont en train suivre ce processus, sous une double contrainte : ils doivent s’inscrire dans un cadre façonné par et pour les chrétiens, et l’administration pénitentiaire les fait rentrer avant tout pour les utiliser comme instrument de lutte contre la radicalisation. Certains aumôniers musulmans sont prêts à jouer ce jeu, y voyant un argument à faire valoir dans leur négociation pour un meilleur statut ; d’autres sont plus méfiants, craignent le porte-à-faux vis-à-vis des détenus s’ils apparaissent comme des agents de l’AP. L’aumônerie est un dispositif encore mal connu des musulmans. L’aumônier national a du mal à recruter, les candidats étant souvent rebutés par les conditions économiques de la fonction. On compte aujourd’hui 186 aumôniers musulmans pour 190 établissements pénitentiaires, ce qui signifie que certains établissements ne reçoivent pas la visite de l’imam, ou très rarement.

Claire : L’univers pénitentiaire laïc manifeste un pragmatisme bienveillant à l’égard du religieux, globalement perçu comme contribuant d’une façon positive à l’équilibre de la détention. Mais cette tolérance fluctue selon les établissements pénitentiaires. Le port de la djellabah, par exemple, est strictement interdit ici, mais toléré là. Dans telle maison d’arrêt, les calendriers de prière musulmans sont affichés un peu partout dans les parties communes ; et dans telle centrale, ils ne sont visibles que des surveillants chargés de vérifier, en cas de rassemblement dans la cour de promenade, qu’il ne s’agit pas d’une prière collective, interdite par le règlement. L’hétérogénéité des salles de cultes en apporte un autre exemple : ici c’est une pièce polyvalente, partagée avec le sport ou des activités manuelles ; là, une chapelle du XIXe. Ces variations peuvent résulter de l’implantation géographique, la prison restant très perméable à son écologie locale : l’ouest imprégné par le catholicisme, les départements de l’est concordataires, le multiculturalisme du sud, la religiosité des territoires d’outre-mer… Les attitudes varient aussi selon la population des surveillants et des détenus. Des rapports de force peuvent s’instaurer : si les musulmans sont en nombre important, ils peuvent peser sur la vie de la détention en imposant un certain nombre de règles. Les surveillants originaires des DOM-TOM sont plus réceptifs à la religion que ceux des régions du centre, relativement laïcisées. La capacité des aumôniers à s’imposer est aussi un paramètre important. De par ces variations, on est souvent proche de la rupture d’égalité.

Pouvez-vous préciser en quoi l’organisation du culte en prison a été pensée « par et pour les chrétiens » ?

Cette rupture d’égalité s’observe-t-elle aussi entre les religions ?

Céline : La gratuité donne pour eux son sens à l’engagement. Mais surtout, ils craignent que si l’administration pénitentiaire versait des cotisations sociales, le nombre de vacations diminue, car l’enveloppe n’est pas extensible. La DAP essaye d’être plus équitable au regard d’une confession musulmane dont on estime, sans pouvoir s’appuyer sur des statistiques, qu’elle est surreprésentée parmi les détenus. Mais les aumôniers nationaux catholiques et protestants sont dans une position de défense d’un gâteau à partager.

Céline : L’investissement historique très fort des chrétiens dans l’espace carcéral fait que leurs aumôneries sont présentes partout, en nombre. Les autres cultes n’ont pas cette tradition. L’ancien aumônier national israélite insistait sur le fait que le droit rabbinique ne comprend quasiment rien sur la prison. Il leur a fallu inventer dès le xixe siècle les modalités et le sens de leur intervention, pour s’approprier la figure de

Céline : L’institution catholique est organisée en structure pyramidale, en parfaite affinité avec la culture administrative française. L’aumônier national répond à la DAP, les aumôniers régionaux aux directeurs des régions pénitentiaires, dans chaque diocèse des aumôniers se répartissent les établissements. Les protestants et israélites se sont moulés sur ce schéma. Les musulmans n’ont pas cette façon de penser l’organisation de leur culte. L’islam est une religion sans clergé ni structure collective, très faiblement organisée. Donc sans interlocuteur identifié pour l’administration, jusqu’à la désignation d’un aumônier national par le Conseil français du culte musulman en 2006. Les aumôniers musulmans restent très atomisés, alors que les chrétiens travaillent en équipe. Ils ont le support d’un collectif qui les rend plus efficaces dans leur présence et dans leurs demandes à la DAP. Par ailleurs, une majorité des aumôniers chrétiens sont retraités, n’ont pas besoin de statut ni d’indemnités. Les aumôniers musulmans sont plus jeunes, autour de cinquante ans en moyenne. Ils sont encore actifs, vivent souvent une situation de déclassement sur le marché du travail, en dépit d’un niveau d’études supérieur à la moyenne. Ils aspirent à pouvoir s’investir autant que les chrétiens, mais demandent pour cela un vrai statut. Les israélites partagent ce mot d’ordre. Pourquoi les catholiques et protestants ne veulent-ils pas d’un statut ?

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dossier Claire : Les effectifs, toutes aumôneries confondues, ont substantiellement augmenté. Mais la part des aumôniers chrétiens tend à baisser légèrement. Ils représentent sept aumôniers sur dix – contre 75 % en 2012. Ce léger décrochage est déjà mal vécu. D’autant que l’arrivée des nouveaux cultes, l’islam mais aussi les bouddhistes, les orthodoxes et plus récemment les témoins de Jéhovah, suscite la formalisation des règles, remettant en question des prérogatives coutumières accordées aux chrétiens, qui se voient confrontés à une restriction de leur périmètre d’action. Comment expliquer que dans les prisons françaises, les seuls intervenants extérieurs ayant les clés et un accès facile aux détenus soient les aumôniers (davantage que les médecins par exemple) ? Céline : Il y a une sorte d’affinité entre le monde pénitentiaire et le christianisme. Ceux qui inventent la prison moderne au xixe siècle donnent d’emblée une place aux aumôniers comme agent de moralisation des détenus, considérant que le travail, le silence et la prière vont permettre d’amender les délinquants. Claire : Cet usage ancien de confier la clé aux aumôniers n’a été formalisé que récemment, dans une note de juillet 2014. Dans notre enquête, sept aumôniers sur dix déclarent avoir accès à une clé, celle des cellules, d’un étage… La clé représente le fait que la relation des aumôniers aux détenus ne peut pas être rompue. La confidentialité de leurs échanges non plus n’est pas rompue : la correspondance se fait sous pli fermé. La religion a aussi été considérée par l’administration comme un outil d’apaisement des tensions. Est-ce encore le cas ? Céline : Cette idée revient souvent dans le discours du personnel. Mais avec une double face, la religion devenant une monnaie d’échange : « Tu me casses les pieds, je n’ouvre pas ta cellule pour aller au culte. » Ou à l’inverse : « En t’accordant une douche supplémentaire pour tes ablutions, je t’oblige. » L’administration se sert parfois de détenus charismatiques, de leaders religieux, comme régulateurs auxquels elle délègue la gestion de l’ordre sur leur étage. Mais institutionnellement, l’outil de pacification reste l’aumônier. Lorsque survient un décès, les aumôniers sont sollicités pour la médiation avec la famille ou les autres détenus. Ils sont aussi très impliqués dans la prévention du suicide : ils sont formés au repérage des risques, sont censés rencontrer les détenus « vulnérables ». Une journée entière, sur les trois que dure leur formation assurée par l’AP, est consacrée à ce thème. Ce rôle leur pose le même dilemme que celui des aumôniers musulmans avec la radicalisation : « Devons-nous alerter l’administration, à partir de « grilles de détection » élaborées par elle, sachant que ça va déclencher des mesures qui peuvent être contre-productives ? » Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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« La place qu’occupe la religion pointe en creux la vacuité du sens de la peine »

La possession d’objets de culte reste-t-elle problématique ? Céline : La note de juillet 2014 dite « circulaire culte » recense les objets autorisés, photos à l’appui : de la clochette des bouddhistes au siwak des musulmans en passant par les diverses formes de chapelets. Cette tentative de clarification ne règle pas tous les conflits sur le terrain. La DAP doit souvent rappeler aux établissements, par exemple, que les tefillin des juifs sont autorisés. Ces lanières de cuir enroulées autour du bras lors de la prière sont vues par certains surveillants comme un instrument potentiel de strangulation. Claire : Une forme d’arbitraire persiste dans ce domaine. On observe chez certains surveillants des relens de racisme ou d’anti-religion, parfois parfaitement assumés. Cela peut se traduire par un manque de respect à l’égard des objets religieux au moment de la fouille des cellules – tapis de prière piétinés, images pieuses déchirées – ou par un côté un peu tatillon lorsqu’il s’agit de faire entrer un coran ou une bible. Par ailleurs, les surveillants commettent parfois des impairs involontaires, comme manipuler sans précautions un objet ayant valeur sacrée pour le détenu. Comment expliquez-vous que l’incarcération soit souvent l’occasion d’un recours accru à la religion ? Céline : Il ne faut pas exagérer l’ampleur du phénomène. Une majorité de détenus reste imperméable à tout circuit religieux. Ceci étant, la prison peut être un lieu où l’on intensifie sa pratique parce qu’on n’a que ça à faire, on se pose des questions existentielles, un aumônier est là pour y répondre. Il y a peu de lieux où l’on rencontre si facilement un prêtre, un pasteur, un imam… Claire : Cela dépend aussi de l’accès à d’autres ressources comme le sport, la famille, la santé, la formation, le travail… Moins les autres ressources sont disponibles, plus la religion risque d’être mobilisée. L’investissement du religieux est ainsi plus faible en maison centrale qu’en maison d’arrêt : on sollicite le religieux quand on est enfermé en cellule 22 heures sur 24, moins lorsqu’une plus large palette d’activités est accessible. Qu’en est-il des conversions, ou des entrées en religion ? Claire : Le rôle de la prison est à relativiser dans les conversions. Il y en a peu et elles sont souvent l’aboutissement d’un processus démarré à l’extérieur. Ce qui domine ce sont les « born again » (christianisme évangélique) ou réaffiliations. De plus, la plupart des convertis – et c’est important de le souligner – avaient une socialisation religieuse préexistante, même minime.


© Michel Le Moine

Centre pénitentiaire de Loos. « Les personnes détenues sont autorisées à recevoir ou à conserver en leur possession les objets de pratique religieuse et les livres nécessaires à leur vie spirituelle » (article R. 57-9-7 du code de procédure pénale).

Céline : Certains découvrent ou redécouvrent la religion de leurs parents, notamment pour regagner leur estime. On l’observe en particulier chez les jeunes de tradition musulmane. Beaucoup sont au degré zéro d’apprentissage des pratiques de l’islam. Ils posent des questions basiques : comment faire ses ablutions, sa prière, mon jeûne est-il encore valable si j’accepte par inadvertance un petit gâteau ? Les aumôniers musulmans, surtout de la jeune génération, se définissent volontiers comme des enseignants de l’islam. Leur discours est, d’emblée, plus axé sur des questions religieuses quand les aumôniers chrétiens parlent plus facilement de la pluie et du beau temps. Quels sont les différents usages « tactiques » de la religion que vous avez recensés parmi les détenus ? Claire : Certains détenus les évoquent : aller au culte pour trafiquer, voir des gens qui viennent de l’extérieur, retrouver des détenus dont on est séparé… Ce peut aussi être un moyen d’intégrer un groupe et d’obtenir une protection. Ce qui montre par contraste que l’administration pénitentiaire n’est pas en mesure d’assurer la sécurité de ses usagers. Faire groupe peut aussi permettre d’être entendus, ce qui souligne le manque de canaux d’expression collective. Investir le religieux, c’est aussi accéder à des relations normalisées, revenir à une sorte de civilité ordinaire. L’aumônier personnalise ses contacts, il serre la main, il embrasse… A côté de ses usages tactiques, la religion peut aussi être un outil de mise à distance d’une carrière délinquante par l’observance stricte

de règles qui encadrent le quotidien. Les religions offrent toute une gamme de techniques de restructuration morale, par le retour sur soi, la méditation, la réflexion, l’examen de conscience, etc. Dans certains cas même, on assiste à une transfiguration religieuse de la peine, laquelle est pour la plupart dénuée de signification. La place qu’occupe la religion pointe justement en creux la vacuité du sens de la peine et la perte d’horizon de réhabilitation et de réinsertion, ce qui témoigne de l’échec de la prison sur ce point. Vous avez écrit que les phénomènes de « radicalisation » et de « prosélytisme » restaient « mineurs en comparaison des formes de religiosités apaisées et ordinaires » en détention. Comment analysez-vous les discours et politiques publiques sur cette question ? Claire : Nous sommes confrontés à un phénomène de panique morale qui contraint les gouvernants à donner des gages à un problème complexe. Dans ce contexte la sur-problématisation de la radicalisation à partir de la prison est commode. Il y a là une forme de politique symbolique : l’Etat se donne à voir comme agissant contre le terrorisme, avec des outils de détection, le recrutement des aumôniers, etc. C’est beaucoup plus simple de dire que la radicalisation vient de la prison – ce qui est loin d’être démontré – que de prendre en compte tous les facteurs ayant pu, en amont, déterminer le passage par la prison, et éventuellement au terrorisme. Recueilli par Barbara Liaras Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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dossier

Liberté de religion

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l n’y a pas de sujet à la fois plus vieux et plus actuel que

celui-ci : la prison a des liens archaïques avec la religion (chrétienne, et plus précisément catholique). La conception de la peine, la place de la rédemption, la question du repentir et celle de la pénitence, l’architecture même, portent encore la trace de ces liens, jusqu’au suivi social des détenus confié par l’administration pénitentiaire à l’Eglise catholique jusqu’en 1945. Et puis, tout cela a été récemment remanié par la diversification de la population, dont les caractéristiques se retrouvent fatalement en prison, ce qui a entraîné l’émergence de la religion musulmane, l’arrivée de détenus orthodoxes venant des pays de l’Est, l’augmentation des chrétiens évangéliques liée à la présence de diverses communautés africaines et antillaises et, surtout, une expression maintenant formulée par les détenus d’un droit à exercer la religion de leur choix. Cette demande est forte, elle est aussi irréductiblement liée à la nécessité de trouver un apaisement aux duretés de l’incarcération dans le recours au religieux et aussi une assistance dénuée de jugement auprès des aumôniers.

Le culte musulman tardivement pris en compte La prise en compte de l’aumônerie musulmane mérite ici quelques considérations, non pour de tristes raisons d’actualité, mais parce qu’elle marque un tournant historique. Bien évidemment, la population pénale est issue massivement des problématiques de pauvreté et d’exclusion vécues à l’extérieur. La population immigrée, ou d’origine immigrée, constitue la part la plus importante de ces populations pour des raisons évidentes. La présence des détenus musulmans n’a donc pas été une découverte, ni même un surgissement. Mais ces détenus étaient jusqu’alors étrangers et sans revendication relativement à la pratique de leur religion, comme ils l’étaient Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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d’ailleurs à l’extérieur. L’aumônier catholique était bien souvent le seul dans l’établissement et il visitait tous les détenus sans aucune réserve. Les détenus musulmans ne s’en étonnaient pas, la France n’était-elle pas catholique et, bien souvent, l’aumônerie catholique 1 ne se concevait-elle pas comme la seule référence ? Cette question a été tout autrement posée par les jeunes détenus musulmans, français par le sol et maintenant par le sang. Eux, instruits dans les écoles de la République, connaissaient le principe de laïcité et ils avaient bien retenu ce qui concerne l’égalité. Ils en connaissaient les limites pour s’être bien souvent heurtés au plafond de verre et au béton de leur condition. La conquête d’une identité qui leur soit propre a pris divers chemins et la question de la pratique de la religion a émergé dans ce mouvement. Il en allait aussi de la conquête d’une identité à laquelle la stigmatisation portait atteinte (et encore plus en prison). La découverte d’une pratique dite radicale de l’islam en prison a été – le mot est malheureux – un détonateur. C’est la mise en cause de la prison en tant que base de recrutement pour des actions terroristes et non les demandes légitimes des détenus au titre du respect des principes républicains (liberté, égalité, fraternité) qui a provoqué la remise en cause de la façon dont le « dossier des cultes » était pris en compte jusqu’alors. L’inégalité de traitement est tellement manifeste pour les jeunes Français musulmans qu’il n’y a pas lieu de s’étonner du sentiment de révolte qu’elle peut susciter.

L’Etat garant de la liberté de culte La nécessité de faire une place à sa mesure à l’aumônerie musulmane a emporté de repenser la place de toutes les 1 Catholique, dans sa racine grecque, signifie « universel ».

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Educatrice puis cadre de service pénitentiaire d’insertion et de probation, Jane Sautière a été responsable de la question des cultes à la Direction de l’administration pénitentiaire, de 2006 à 2010. Elle revient sur cette expérience, notamment sur les obstacles mis par les autorités catholiques à une redistribution des ressources en faveur des aumôneries émergentes, principalement musulmane. L’occasion de rappeler les principes qui fondent l’intervention de l’Etat, garant de l’exercice des cultes en prison.


religions en prison

Centre pénitentiaire de Fresnes. Seuls 30 % des aumôniers et auxiliaires d’aumônerie perçoivent une indemnité, pourcentage plus élevé pour les musulmans (44 %) et les israélites (57 %).

aumôneries en prison, de ré-agencer un corpus réglementaire formalisant les pratiques et, surtout, d’intervenir dans le sens de plus d’égalité. J’ai pris mes fonctions au moment où un aumônier national musulman venait d’être désigné, cette nomination permettait à l’administration d’avoir un interlocuteur qui pouvait être consulté sur les aménagements à mettre en place. Rapidement, il m’est apparu évident de renommer ce dossier en « laïcité, liberté de religion, lutte contre le prosélytisme ». En effet, la colonne centrale de cette affaire est bien la laïcité, telle qu’elle est définie par la loi de 1905. Que dit la loi ? Elle instaure la séparation de l’Etat et du religieux, oui, mais elle consacre formellement la liberté de culte. Parmi les modalités de l’engagement de l’Etat à garantir la liberté religieuse, se situe la nécessité de donner les moyens aux personnes privées de leur autonomie de le faire. Ainsi naissent les aumôneries destinées aux malades hospitalisés, aux soldats, aux enfants des pensionnats et aux détenus. L’administration pourvoyant par le versement d’indemnités aux frais que les aumôniers engagent à l’occasion de leur ministère. La position de l’administration n’est donc plus celle d’une simple abstention d’intervenir 2, il lui incombe de mettre en place les moyens pour que chacun puisse vivre l’engagement cultuel 2 Rappelons que l’Etat ne « valide » pas une religion en tant que telle, il ne peut s’opposer à la constitution d’une association cultuelle au titre d’une atteinte à l’ordre public.

de son choix. Si effectivement les choix et les appartenances dans ce domaine de la pratique d’une religion n’ont jamais à être questionnés, ceci n’emporte pas un retrait total de l’action de l’Etat. C’est cette articulation qui est complexe en prison.

Redistribution des ressources empêchée par les autorités catholiques L’égalité a un coût et, à ce titre, est un choix politique (et, justement, pas simplement économique). Ce choix n’a jamais été fait et le déséquilibre entre les diverses religions est parfois abyssal. Surtout, les moyens apportés en matière d’indemnisation des aumôneries ne respectent pas le principe de la réponse à une demande, mais obéissent à l’Histoire nationale. Dans une période de restriction des ressources publiques, la consécration d’un budget mieux abondé n’a pas eu lieu, malgré des demandes réitérées. La crainte de raviver des tensions inter-religieuses en redistribuant les ressources existantes, et aussi les pressions exercées sur le politique par de hautes autorités religieuses (je parle là de l’intervention de l’archevêque de Paris auprès d’une ancienne garde des Sceaux), ont rendu impossible ce choix. Cela a des conséquences graves pour certains cultes. Au premier titre pour le culte musulman, c’est un sujet bien connu maintenant. Il faut rajouter à cette inégalité celle plus Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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dossier

Musulmans privés de prière collective faute d’aumôniers L’application du principe de corréler les besoins exprimés et les moyens à mettre en œuvre n’a jamais pu voir le jour. En effet, pour savoir combien d’aumôniers devaient être affectés dans les établissements, il avait été envisagé de solliciter les personnes détenues lors du processus d’arrivée en prison. Le recueil de l’expression d’une demande était envisagé comme anonyme, facultatif, permettant plusieurs réponses. La sensibilité sur le sujet et l’intervention dont j’ai déjà parlé ont conduit à abandonner ce recueil. Je n’ignore pas la sensibilité sur le sujet, mais il faut bien comprendre que l’affectation du nombre d’aumôniers dans un établissement ne doit plus se faire au doigt mouillé parce qu’il s’agit de répondre aux besoins des personnes détenues, à leur choix, au principe d’égalité et de non-discrimination entre les communautés « historiquement nationales » et les autres. Les modalités de ce recueil ne permettaient en aucun cas de constituer un « fichier ». Une des conséquences la plus manifeste de la discrimination de fait que constitue l’inadéquation entre le nombre des aumôniers et la demande des détenus est de priver certains d’entre eux de célébrations collectives. En effet, et à bon escient, l’animation d’une activité collective cultuelle ne peut être confiée qu’à un aumônier. Or, la prière collective est un des piliers de l’islam.

Nourritures cultuelles, une question non résolue La tension entre la liberté de culte et les impératifs de sécurité a parfois pour conséquence de ne pas respecter le principe de hiérarchisation des normes juridiques. Ainsi, par exemple, il a fallu recourir à l’arbitrage du directeur de l’administration pénitentiaire pour prendre une note de service permettant aux personnes détenues de confession israélite d’allumer dans leur cellule les bougies de Hanouka, cette possibilité ayant été contestée au titre du risque d’incendie (les personnes détenues peuvent utiliser des briquets, parfaitement autorisés en cellule…). L’accès aux nourritures cultuelles est aussi un sujet complexe. L’offre de nourritures cultuelles proposées en cantine extérieure 3 pourrait être facilement améliorée pour peu que 3 Ce qui peut être acheté par les personnes détenues à partir d’un catalogue qui leur est proposé. Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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« Parmi les modalités de l’engagement de l’Etat à garantir la liberté religieuse, se situe la nécessité de donner les moyens aux personnes privées de leur autonomie de le faire. Ainsi naissent les aumôneries »

des normes soient définies : quelle est la cantine extérieuretype que doit offrir chaque établissement pénitentiaire sur l’ensemble du territoire ? Répondre à cette question avec l’aide des diverses aumôneries permet d’éviter des inégalités de traitement et des réponses parfois surprenantes (« cacahuètes halal »). La demande de viande halal et casher est une demande forte de la population pénale. Il serait nécessaire de trouver le moyen d’y répondre convenablement, la diffusion de des produits étant à l’heure actuelle correctement assurée sur l’ensemble du territoire. En revanche, la confection de repas respectant des normes religieuses me paraît extrêmement complexe et il me semblerait préférable de repenser le mode d’alimentation des détenus pour les rendre autonomes dans la réalisation de leur repas, éviter que des tonnes de nourritures soient jetées quotidiennement (la nourriture du geôlier ne sera jamais bonne) et permettre ainsi de favoriser une alimentation qui prend en compte goûts, culture et par la même occasion préceptes religieux (vaste sujet…). Il faut sans cesse réaffirmer les principes fondamentaux : la loi de 1905, le principe de neutralité des agents publics et celui de l’égalité de traitement. D’une part les agents pénitentiaires doivent être correctement instruits et formés à ces principes, mais aussi, les aumôniers ne doivent pas être instrumentalisés par les politiques pénales, ni être utilisés comme des agents de modération dans les établissements pénitentiaires. Or, la focalisation sécuritaire sur le culte musulman risque de rendre les aumôniers comptables des débordements vers la radicalisation, alors même qu’ils sont en nombre dramatiquement insuffisant pour assurer leurs tâches d’aumônerie. La prison n’est pas le monstre de notre société, ni son excroissance ignoble, elle en est le fidèle reflet, c’est l’une des institutions de la République. Se questionner sur ce qu’on veut pour nos prisons, c’est avant tout les regarder en face pour ce qu’elles révèlent des failles (et faillites, parfois) de notre société. L’égalité manque tout autant dehors que dedans. Il me semble que réfléchir l’égalité sans la fraternité, c’est créer ce qui se dessine à l’heure actuelle : des rivalités sans fin entre communautés, entre classes sociales ou générations, entre religions. Jane Sautière

© Michel Le Moine

générale liée à une religion émergente dont les membres n’ont pas les moyens de suppléer le manque de financement de l’Etat pour indemniser leurs aumôniers, alors que partout les besoins sont criants. En outre, si des aumôniers nationaux ont bien été désignés pour les orthodoxes et les bouddhistes, les aumôniers « de base » de ces obédiences ne reçoivent pas d’indemnités du fait simplement de leur reconnaissance récente dans le paysage carcéral, eux aussi devant supporter le poids de l’Histoire.


religions en prison

Centre pénitentiaire de Loos. Un détenu sur quatre déclare suivre le ramadan. Dans la mesure du possible, les jeûneurs sont regroupés en cellule.

« L’administration alimente le sentiment de stigmatisation des musulmans » Chrétien orthodoxe par tradition familiale, Bernard est devenu pratiquant en prison. Révolté par la stigmatisation des musulmans dans certaines prisons, il a engagé des recours contentieux pour défendre leurs droits, notamment pour une distribution de viande halal.

Votre incarcération, de 2009 à 2014, a-t-elle modifié votre rapport à la religion ?

Avez-vous rencontré des entraves à l’exercice de la liberté de culte ?

La prison m’a permis de rencontrer Dieu. On y est très seul, même dans une grande collectivité. Une façon de surmonter cette épreuve est de se tourner vers Dieu. On a aussi le temps de se pencher sur les écritures saintes, de les étudier. Le retour à Dieu concerne un nombre assez important de personnes détenues, à différents niveaux et degrés d’implication.

J’ai commencé ma détention à la Santé, il y avait quatre aumôniers, cinq ou six assistants d’aumônerie, des paroissiens qui participaient à la messe du dimanche et aux grandes célébrations, un chemin de croix le vendredi, une chorale le samedi, un groupe biblique… C’est un des avantages de la prison en centre-ville. J’ai reçu ma Bible le surlendemain de mon incarcération, par l’aumônier. C’était éminemment précieux. J’ai vu des Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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dossier « La vie spirituelle nous redonne un peu ce que l’on a perdu avec l’incarcération » gens de la société civile ou des religieux très engagés auprès des personnes détenues, et ça faisait vraiment du bien. Après, mon transfert à Joux-la-Ville : le désert. L’aumônier était un père franciscain âgé, il faisait de son mieux. Une messe par mois, pas de chorale ni de véritable groupe biblique. Quelles étaient les possibilités pour les autres confessions ? Il y avait à la Santé une petite communauté juive assez soudée. Ils avaient des cultes le mardi. Pour les musulmans, l’imam venait tous les vendredis après-midi pour la prière, et pour les grandes fêtes. A Joux-la-Ville, l’aumônier musulman avait en charge toute la région pénitentiaire centre-est et ne pouvait venir que tous les trois à six mois. Or, pour lutter contre les intégrismes et accompagner les gens dans leur foi, je ne vois rien de mieux que des aumôniers formés. Quand vous n’avez pas d’aumônier, vous allez taper à une autre porte. Vous pouvez tomber sur une personne mal intentionnée, il peut y avoir des dérives qui vont viser les jeunes gens, facilement manipulables, en soif de reconnaissance, peut-être en besoin de figure paternelle. Je suis allé au culte musulman à quelques reprises, à Joux-la-Ville, dans une démarche œcuménique. J’ai été très bien accueilli, j’ai rencontré des aumôniers musulmans extraordinaires. Avez-vous observé des entraves à la liberté de culte ? Le contexte médiatique et l’actualité poussent à stigmatiser les personnes détenues de confession musulmane. Il me paraît important qu’on ne fasse pas d’amalgame entre ceux qui dérivent et ceux qui veulent vivre en tant que citoyens, en France où ils sont nés la plupart du temps, où ils ont grandi, sont allés à l’école de la République. Le retour ou l’entrée dans la foi peut aussi conduire certains à revenir dans le droit chemin, je l’ai vu. Il y a pourtant une mauvaise volonté de l’administration, par ignorance ou crainte de favoriser les extrémismes. Les surveillants s’adressent parfois à ceux qui portent la barbe de façon insupportable. Un jeune détenu musulman, assez ouvert d’esprit, m’a un jour expliqué qu’il ne faisait pas la prière parce que c’est mal vu : « Ça va être noté dans le renseignement pénitentiaire. » Il craignait d’être perçu comme intégriste et que ça accentue la surveillance sur lui. A Saint-Quentin-Fallavier, je suis intervenu plusieurs fois pour des camarades transférés depuis d’autres prisons, qui n’arrivaient pas à récupérer leurs livres religieux, pourtant donnés par des aumôniers. Nous avons dû saisir le Contrôleur des lieux de privation de liberté, le Défenseur des droits, la garde des Sceaux… En 2013, pour l’Aïd el-Fitr, le culte devait commencer à 9 h 30. Les surveillants n’ont ouvert la salle qu’à 10 h 45, sachant qu’il faut retourner en cellule à 11 h 30. Ils ont dit qu’ils n’avaient « pas eu le temps ». L’aumônier musulman, il avait pris une RTT pour assurer l’office. Ces attitudes créent Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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Repas halal : la justice tergiverse L’administration pénitentiaire doit-elle proposer des menus halal ? C’était oui pour le tribunal administratif (TA) de Grenoble, en novembre 2013. Et non pour la Cour administrative d’appel (CAA) de Lyon, en juillet 2014. Saisi suite à cette volte-face, le Conseil d’Etat laisse mijoter son arrêt. En attendant de se prononcer sur le fond, il s’est contenté de suspendre la décision grenobloise. Pour le TA de Grenoble, le principe de laïcité, invoqué par le garde des Sceaux pour justifier son refus, ne fait pas « obstacle à ce que les détenus de confession musulmane se voient proposer des menus comportant des viandes respectant les rites confessionnels de l’islam ». Bien au contraire, ce principe « impose que la République garantisse le libre exercice des cultes ». Conclusion : « Le directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier [devra] proposer régulièrement aux détenus de confession musulmane des menus composés de viandes halal. » CAA ne partage pas cette analyse. Elle juge que les repas sans porc ou végétariens déjà proposés aux détenus font l’affaire. D’autant qu’il est possible « de disposer de repas adaptés lors des principales fêtes et […] d’acheter de la viande halal par l’intermédiaire de la “cantine” ». Le contrôleur général des lieux de privation de liberté a pourtant souligné les limites de cette approche, qui entraîne des « carences alimentaires réelles » chez des détenus « se plaignant fréquemment de ne pas manger à leur faim » du fait de l’absence de repas respectant leurs prescriptions religieuses (avis du 24 mars 2011) et des prix, prohibitifs pour certains, des produits proposés par la cantine.

des cassures, des replis communautaires contre-productifs au vivre ensemble et à la paix sociale. Pensez-vous à d’autres exemples ? Le tapis de prière, parfois piétiné lors des fouilles de cellule. Cela provoque des réactions vives, car c’est un objet de valeur pour les musulmans, même si l’intention des surveillants n’était pas mauvaise. Les surveillants de confession musulmane savent de quoi il s’agit et sont beaucoup plus respectueux. Il y a aussi le refus de l’administration de servir de la viande halal, qui alimente le sentiment de stigmatisation. Il faut que le détenu ait un budget de 200 à 250 euros par mois pour cantiner de la viande. La cantine de Joux-la-Ville proposait différentes viandes fraîches halal. Mais deux escalopes coûtent 7 euros, deux entrecôtes 13 euros… Il faut que le détenu ait un budget de 200 à 250 euros par mois pour cantiner de la viande. Les jeunes de 20-25 ans n’ont pas d’argent. Donc ils trafiquent et se font payer en produits cantinés. A Saint-Quentin, on nous a servi un jour un hamburger : un petit privilège, dont n’a pas pu profiter mon voisin de cellule, Mohamed. Je pense que cette attitude porte atteinte à la


© Michel Séméniako

religions en prison

« Les musulmans à Joux-la-Ville disaient que même le plus grand des athées, s’il fait naufrage en plein milieu de l’océan, se tourne vers le Très-Haut »

réinsertion : « Pourquoi me réinsérer dans une société qui me rejette ? » Cette situation me révolte, j’ai engagé des recours devant le tribunal administratif pour contraindre l’administration à servir du halal. Ces combats contentieux ont apaisé de nombreuses personnes détenues musulmanes, leur amenant le sentiment d’avoir des droits, d’être respectés. Et en plus, qu’un chrétien mène ce combat, c’était le top ! Avez-vous rencontré des personnes qui se tournent vers la religion pour des motifs que l’on pourrait qualifier « d’utilitaires » : gagner la protection d’un groupe, bénéficier de repas spéciaux, de plus d’activités, etc. ? Cette dimension existe, peut-être plus chez les chrétiens que chez les musulmans, en raison du plus grand nombre d’activités : la chorale, les groupes bibliques permettent de sortir plus souvent de sa cellule. Mais c’est minoritaire. Je crois surtout que la vie spirituelle nous redonne un peu ce que l’on a perdu avec l’incarcération, qui plus est quand on est détenu dans des conditions difficiles. La pratique du culte est un moyen de compenser. Les musulmans à Joux-la-Ville disaient que même le plus grand des athées, s’il fait naufrage en plein milieu de l’océan, se tourne vers le Très-Haut. Il y a un peu de cela, toutes confessions confondues. Avez-vous constaté des pressions entre détenus pour des motifs religieux ? J’en ai entendu parler par des médias relayant la parole de certaines personnes de la classe politique, sans jamais moimême en être témoin. On s’encourage, « allez, viens à la messe », quand on voit que quelqu’un n’a pas le moral. La messe peut être un bon moment, on discute après l’office. Beaucoup de personne âgées y participent. Le plus vieux que j’ai connu c’est Jean, à Joux-la-Ville, il avait 88 ans quand je suis parti. On l’accompagnait, on marchait ensemble, mais on n’a jamais contraint personne à aller à la messe, et je n’ai jamais vu ça non plus du côté des musulmans.

Centre pénitentiaire de Château-Thierry, 2010. Photo réalisée dans le cadre d’un atelier photographique.

« La religion a complètement changé ma vie »

La prison m’a rendu pratiquant. Dans ma décision d’aller au bout de ma peine, il y avait aussi une idée de repentir. En sortant je n’avais plus de logement, c’est un aumônier qui m’a hébergé pendant trois mois, gratuitement. Depuis, je me suis rapproché d’une communauté monastique catholique, ma pratique religieuse reste quelque chose de positif dans ma vie.

Je suis musulman mais ça m’arrive de voir l’aumônier chrétien, pour discuter avec lui et échanger des paroles. J’aime bien aussi participer à la messe pour écouter ce qu’il dit. Certains surveillants se montrent respectueux envers nous mais pas tous, comme partout même à l’extérieur. Ça m’est arrivé qu’un surveillant marche sur mon tapis de prière en laissant les traces de ses bottes sales alors qu’il sait que c’est un tapis de prière. Je me suis plaint, son supérieur m’a donné raison. Mon rapport à la religion a changé depuis mon incarcération. J’ai trouvé la paix avec moi même et avec les autres. Il y a beaucoup de bien, ça a changé ma vie complètement par rapport à qui j’étais dehors. Toute façon, je suis rentré en prison à l’âge de 18 ans, aujourd’hui j’ai 41 ans, ça fait 23 ans que je suis en prison, je suis condamné à perpétuité.

Recueilli par Delphine Payen-Fourment et Barbara Liaras

Réponse à un questionnaire OIP, mai 2015

Maintenant que vous êtes sortis de prison, la religion occupe-t-elle toujours cette place importante dans votre vie ?

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dossier

Pratique des cultes dans le quotidien carcéral Offices et prières perturbés, aumôniers en nombre insuffisant, absence de salle polycultuelle, convictions moquées par certains surveillants… Si la religion fait partie, à côté du sport, des activités les plus accessibles en prison, des obstacles perdurent.

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igure incontournable du culte, l’aumônier n’est pas tou-

jours présent ou accessible en établissement pénitentiaire. Les confessions catholique et protestante comptent le plus d’intervenants (681 et 345), suivies par les confessions musulmane (182), jéhoviste (105), juive (71), orthodoxe (50) et bouddhiste (7) 1. Et les écarts entre établissements sont importants. A la centrale d’Ensisheim, il y a quatre aumôniers catholiques pour 200 détenus, tandis qu’un détenu du centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville raconte qu’« il a fallu se battre pendant deux ans et demi pour que les détenus qui le souhaitent puissent accéder au culte catholique de manière hebdomadaire ». Au centre de détention de Mauzac, l’aumônier catholique vient deux fois par semaine, « le rabbin rarement », tandis qu’on ne compte aucun aumônier musulman. A la maison d’arrêt de Grasse, pendant quatre ans, il n’y a pas eu d’aumônier protestant. A Chambéry et Aiton, ce sont les représentations orthodoxe et juive qui font défaut.

« Je participe à n’importe quelle religion » Faute d’aumônier représentant leur culte, certains détenus se tournent vers celui d’une autre religion, comme à Strasbourg où l’aumônier bouddhiste rencontre « des personnes d’autres confessions (par exemple des musulmans) mais aussi des personnes ayant des convictions marginales (chamanisme) ou sans aumônerie (des alevis 2 par exemple) ». Y compris des athées, qui cherchent un interlocuteur ou une occasion de sortir de cellule. « Pour certains, c’est juste une façon de remplir le vide, une forme d’adaptation à un vécu difficile de l’enfermement » ajoute l’aumônier bouddhiste. Une situation partagée par un confrère de Savoie : « Il y a des personnes qui viennent pratiquer la méditation sans être bouddhiste, certaines se disent athées. Ces rencontres individuelles ou collectives sont 1 Chiffres DAP 1er janvier 2015 2 Membres de l’islam chiite dits hétérodoxes 3 DAP relative à la pratique du culte en détention, 16 juillet 2014 Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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importantes pour elles, ce sont des occasions d’ouverture et de partage. C’est aussi l’occasion d’évoquer les difficultés avec un interlocuteur qui n’est pas de l’administration pénitentiaire, du médical, de la justice. » C.L. profite ainsi des occasions offertes par chaque culte : « Je participe à n’importe quelle religion. » Bien que « rien ne s’oppose à ce qu’une personne détenue pratique plusieurs cultes 3 » selon les textes réglementaires, C. L ajoute : « On me l’a reproché, dans plusieurs prisons. » En l’absence d’aumônier, certains prisonniers se tournent aussi vers d’autres détenus : « Forcément quand vous n’avez pas d’aumônier, et que vous avez un besoin spirituel, vous allez taper à une autre porte. Donc, si vous avez quelqu’un de mal intentionné, il peut y avoir des dérives qui vont viser les jeunes gens, facilement manipulables » explique D.S., libéré en 2014.

Pas toujours de lieu pour l’office Bien que la loi pénitentiaire de 2009 précise qu’« une salle spécifique » doit être prévue dans chaque prison, les salles polycultuelles servent souvent à l’ensemble des activités. Certaines sont trop petites et insuffisamment disponibles. La note de l’administration pénitentiaire du 16 juillet 2014 prévoit que « la superficie de la salle est en rapport avec le nombre de personnes détenues fréquentant les activités cultuelles ». Une réglementation non appliquée au quartier maison centrale de Réau, d’après E.B. : « Depuis décembre 2014, l’office du culte musulman a lieu dans le local prévu pour les audiences, d’environ 8 mètres carrés, on s’y retrouve parfois à six ou sept. » A la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis, depuis janvier 2015, « l’administration pénitentiaire a décidé que la salle des cultes ne devrait accueillir que quarante personnes. Absente pour raison de maladie, j’ai été rayée de la liste. Beaucoup de détenues ont été choquées de cette restriction pour une salle qui peut recevoir 80 personnes. » Certaines salles insuffisamment disponibles font l’objet de batailles entre intervenants pour en obtenir l’accès. A Réau, « le 11 décembre 2014, comme tous les jeudis, l’imam se rendait sur le quartier maison centrale. Une


© Claire de Galembert

religions en prison

Autel dressé pour la célébration de Noël. Parmi les aumôniers catholiques, environ 560 sont des laïcs, 150 des prêtres, 50 des diacres et une cinquantaine des religieux ou religieuses.

intervenante arts plastiques s’est présentée dans la salle utilisée par l’imam. Elle s’est exclamée “Je vais avoir besoin de la salle !” » raconte E.B. L’office s’est néanmoins poursuivi, mais la semaine suivante, il était décidé que la salle serait désormais réservée à cet horaire pour les arts plastiques. En l’absence de salle pour les offices, l’administration pénitentiaire ne tolère pas pour autant que des détenus se retrouvent en cellule pour prier. « Ils n’ont pas d’endroit. Cela provoque des tensions », raconte un détenu de Mauzac. Tensions encore, lorsque des détenus de confessions différentes partagent une cellule : « Cela m’empêchait de faire ma prière. Quand on est seul, on peut faire une chapelle sur un petit coin de table. Beaucoup de détenus me disent le dimanche à la messe vouloir avoir une cellule seul », écrit un détenu âgé de Fleury-Mérogis. Ce que confirme un autre incarcéré à NancyMaxéville : « La seule chose qui me gêne, c’est quand [mes codétenus] prient : ils chantent à haute voix, on ne peut pas se concentrer. » Un aumônier évoque aussi des conditions de « promiscuité (bruit, télévision, fumée, etc.) qui ne sont pas favorables à la pratique » religieuse. Au point que certains renoncent à la promenade pour s’isoler et prier : « Le mieux pour moi c’est de ne pas descendre en promenade pour rester seul en cellule », confie un détenu de Béziers.

Au bon vouloir pénitentiaire… Les quartiers de détention ne sont pas toujours accessibles aux aumôniers et il manque du personnel pénitentiaire pour leur permettre de rendre visite à tous les détenus demandeurs. Comme à la maison d’arrêt de Borgo, où « la direction

ne souhaite pas que les aumôniers aient les clefs pour se rendre dans les différentes unités, et de ce fait, il semble que ce soit lent et difficile pour faciliter les rencontres en cellule par le biais indispensable d’un surveillant “portier” ». De même à Réau, nouvel établissement pénitentiaire, les aumôniers n’ont pas les clés, contrairement à l’usage. A la centrale d’Ensisheim, les aumôniers catholiques ont les clés et « la liberté de déplacement ». Au centre pénitentiaire de PoitiersVivonne, la situation est encore différente : « Nous avons les clés des cellules mais pas celles des grilles donnant accès aux quartiers, ce qui a pour conséquence des attentes parfois longues devant lesdites grilles. » Plusieurs aumôniers déplorent que les détenus soient souvent emmenés en retard aux offices, voire pas du tout. Un aumônier protestant déclare qu’il y a « souvent des problèmes, dus au manque d’effectifs pendant les week-end. Des détenus de notre liste non appelés par exemple, et ce régulièrement, ce qui génère frustrations et colère de leur part. » Un constat que partage un aumônier bouddhiste : « Le manque de vigilance du personnel au moment où est annoncée l’heure du culte, ou le manque d’attention à la demande du détenu de se rendre au culte (voyant allumé, mais non observé), a pour conséquence que le détenu est privé de se rendre au culte ou de s’y rendre à l’heure. »

Propos mal avisés Les commentaires de certains surveillants sur les croyances et pratiques religieuses semblent ignorer le principe de neutralité du service public. A Fleury, une détenue se rappelle cet épisode : Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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© Michel Le Moine

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Fleury-Mérogis, maison d’arrêt des femmes. Les aumôneries peuvent organiser des groupes de parole, d’étude biblique, des chorales…

« Une surveillante s’est moquée de nous après la cérémonie des Cendres où nous avions une marque : “Qu’est-ce que cette saleté sur votre front ? Allez vous laver !” Le “oh ça pue ici !”, quand le prêtre diffusait de l’encens, ça aussi nous l’avons entendu ! » A la maison d’arrêt de Grasse, un détenu raconte comment les plus pratiquants sont ouvertement moqués par les agents : « Allez les gars, c’est l’heure de vos alléluias et de vos amens » ou « allez les saints, allez vous faire pardonner vos péchés ». D’autres font état de propos plus violents. A Bourg-en-Bresse, un détenu témoigne des mots de surveillants : « Tu devrais avoir honte d’aller au culte vu que tu as tué » ou « tous les catholiques sont des violeurs ». Peu de détenus osent s’en plaindre, comme l’évoque l’un d’eux à Fleury, interpellé par un surveillant : « J’ai trouvé cela très déplacé, mais je l’ai écouté pour ne pas avoir un rapport et surtout ne pas être retiré de la liste pour la messe. » Certains n’échappent pas aux sanctions. A Grasse, un détenu explique que son voisin de cellule, musulman pratiquant, a pour habitude de faire l’appel à la prière depuis sa fenêtre, « ce qui lui a valu plusieurs séjours au cachot ».

Les objets de cultes sujets à litige « Les objets cultuels étant chargés d’une valeur symbolique forte, le personnel pénitentiaire veille à manipuler ces objets avec soin, notamment lors des fouilles », exhorte la note DAP du 16 juillet 2014. Parmi les difficultés les plus constatées, les personnes détenues mentionnent néanmoins le non respect des objets religieux, que ce soit dû à l’ignorance ou à un mépris affiché. « Un jour, j’ai eu une fouille dans ma cellule, un surveillant a arraché le poster du Christ que j’avais au mur. Il me l’a déchiré, et m’a dit que c’est interdit d’avoir des affiches sur les murs », écrit un homme incarcéré à Fleury-Mérogis. D’après l’article D439 du code de procédure pénale, les détenus sont « autorisés à recevoir ou à conserver en leur possession les objets de pratique religieuse et les livres nécessaires à leur vie spirituelle ». Beaucoup regrettent cependant de ne pas pouvoir se procurer de livres religieux, ou de se voir contraints de demander l’autorisation de posséder des objets expressément autorisés. « Le 1er mai 2014, ma femme se présentait au parloir Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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avec des siwaks (bâtonnets utilisés pour purifier la bouche), autorisés par la circulaire de la DAP. Pourtant à la fin du parloir, l’administration m’a expliqué qu’il fallait demander une autorisation », explique E.B. Déjà en avril, ses livres religieux écrits en arabe avaient été retenus et plusieurs tapis de prière lui avaient été retirés. En septembre c’est sa tenue, une kurta, qualifiée de « non réglementaire » et « interdite en détention » qui lui a valu plusieurs comptesrendus d’incident et le refus d’accéder à la cour de promenade, à la cabine téléphonique et au parloir. Sa sortie du quartier disciplinaire a été conditionnée au port d’une tenue vestimentaire non « ostentatoire », sans qu’il ne lui soit apporté de réponses à ses demandes de précisions sur la tenue appropriée stipulée dans le règlement.

L’alimentation à l’épreuve du culte Faute de pouvoir respecter les normes alimentaires prévues par leur religion, certains détenus se tournent vers les régimes végétariens servis par l’administration, bien qu’ils ne souhaitent pas renoncer à la consommation de viande. « Les repas ne sont pas halal, nous sommes obligés de manger végétarien. Les seuls menus, c’est le vendredi : poisson pour tout le monde », explique un homme incarcéré à la maison d’arrêt de Blois. Beaucoup se plaignent d’avoir faim et souffrent de carences alimentaires. Pourtant, les prix ne seraient pas plus élevés pour assurer la distribution de viande halal aux détenus qui en font la demande, selon un avis de 2011 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté : « Les indications recueillies par le contrôle général n’ont pas permis d’établir que le prix de ces aliments serait prohibitif ; tout au contraire, les prix pratiqués apparaissent parfois inférieurs à ceux des produits habituellement achetés 4. » Delphine Payen-Fourment 4 CGLPL, avis du 24 avril 2011 relatif à l’exercice du culte dans les lieux de privation de liberté

« Ici, il ne faut pas être juif » Ici, il ne faut pas être juif, ou ne pas le dire. Dans le cas contraire, vous subissez des actions antisémites. Je les subis. J’en ai informé la direction, pour seule réponse on me propose l’isolement que je refuse, je n’ai pas à être privé de détention normale. A l’extérieur je portais la coiffe des juifs, ici ce n’est pas possible, je suis de suite agressé. Il n’y a aucun rabbin, heureusement que je vois un aumônier protestant, il est là pour faire tampon. Il est impossible d’avoir un régime spécifique, juste un régime alimentaire musulman alors qu’il devrait être casher. Il y a des surveillants antisémites proférant des menaces, j’ai envoyé une plainte au procureur. Réponse à un questionnaire OIP, mai 2015


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Radicalisation : « La prison est la pire des solutions » Suspicion généralisée à l’égard des musulmans, succession d’humiliations et de frustrations, pressions des plus forts sur les plus fragiles… Pour Farhad Khosrokhavar, la prison offre un terreau fertile aux processus de radicalisation. Les politiques mises en œuvre pour l’enrayer – surveillance renforcée et mise à l’écart des « radicaux » dans des unités spécifiques – s’avèrent contre-productives.

Farhad Khosrokhavar, sociologue, a dirigé deux enquêtes sur l’islam en prison. Directeur d’études à l’EHESS, il a publié Radicalisation en décembre 2014 (Ed. de la Maison des sciences de l’homme).

Quelles évolutions du radicalisme islamiste en prison avez-vous observées entre vos deux études, réalisées à dix ans d’intervalle (en 2003 et 2013) ? Il est important de distinguer les fondamentalistes des radicaux. Les premiers, adeptes d’une religiosité rigoriste, restent dans une logique sectaire d’ostentation et de prosélytisme, mais non violente. En prison, ils paient le prix de leur visibilité : sanctions disciplinaires, déplacement dans un autre quartier ou transfert vers une autre prison. Les radicaux, qui prônent le djihad, ont pour leur part totalement changé leur code de comportement entre ma première enquête, de 2000 à 2003, et celle menée entre 2011 et 2013. Au début des années 2000, ils mettaient un point d’honneur à fanfaronner. Aujourd’hui, ils font de la dissimulation la vertu essentielle de leur comportement. Ils ne portent pas de barbe, évitent les interactions avec les autres, y compris avec l’imam, pour ne pas être repérés. Ils ne cherchent plus à rallier le plus grand nombre à leur cause, mais plutôt à établir une relation bilatérale, au plus à trois, avec des personnes fragiles. Une personnalité dominante, le « radicalisateur » assoit son emprise sur une personnalité faible, le « radicalisé », qui devient affectivement dépendant, n’exerce plus du tout son sens critique. Quant à l’amplification du phénomène, elle est très difficile à estimer, aucun chercheur n’ayant une vue d’ensemble des prisons en France. On a observé après les attentats du mois de janvier des manifestations de soutien, des détenus applaudir, crier… Plus que le signe d’une radicalisation, c’est une manière d’exprimer son opposition à la société, de

marquer sa solidarité vis-à-vis d’un héros négatif. Cette attitude existait déjà avec la génération de Kelkal [impliqué dans plusieurs attentats et abattu par la gendarmerie en 1995]. Qui sont les radicaux que l’on trouve en prison ? Je distingue trois catégories de radicaux. Ceux qui, prévenus ou condamnés, sont ainsi étiquetés sur un critère purement judiciaire, l’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’une action terroriste – dont ceux qui reviennent de Syrie. Ceux qui adhèrent à ce discours pour se mettre sous la protection d’un leader afin d’échapper à des pressions exercées par des caïds ou d’autres individus visant à exploiter leur faiblesse ; leur adhésion au radicalisme est parfois une stratégie, au début, mais la dynamique des groupes peut en faire des radicalisés authentiques. Enfin, ceux qui pensent que revendiquer une appartenance à la mouvance islamiste augmentera leur prestige ou leur capacité d’action : pour des détenus qui souffrent d’être des « moins-que-rien », sortir de la mêlée est important. La surveillance étroite exercée par l’administration a plutôt réduit cette dernière catégorie. Quels ont été les autres effets de la surveillance spéciale mise en place par l’administration pénitentiaire bien avant les attentats de janvier ? La préoccupation de dissimuler son radicalisme en découle directement. Plus largement, les surveillants sont perçus comme des espions. Pratiquement tous les musulmans que j’ai rencontrés qui n’ont rien à voir avec le radicalisme pensent que les surveillants prennent des notes sur eux, les transmettent aux renseignements généraux… Beaucoup ne se rendent plus à la prière collective. Le sentiment d’être suspecté parce que musulman est partagé par une écrasante majorité, avec le grief constant de n’être pas traité sur le même pied que les autres. Si vous allez à la messe, les surveillants notent aussi votre nom, mais cela n’entraîne aucune conséquence. Les détenus évoquent cette discrimination comme une évidence. Or, en étendant la suspicion à l’ensemble des Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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© Michel Le Moine

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Centre pénitentiaire de Loos. Sonia Imloul, fondatrice de La maison de la prévention et de la famille, est défavorable à l’incarcération des jeunes de retour de Syrie. « Ils souffrent pour la plupart de problèmes psychiatriques. Leurs conditions de détention ne vont que renforcer les raisons pour lesquelles ils sont partis » (CGLPL, juin 2015).

musulmans, et plus particulièrement aux adeptes du fondamentalisme, on provoque une stigmatisation qui peut contribuer à créer l’effet de radicalisation que l’on souhaitait éviter. Les grilles conçues par l’AP pour identifier les islamistes radicaux sont-elles opérantes ? Avec le passage de l’ancien modèle « extraverti » au nouveau modèle « dissimulateur », les critères de repérage deviennent de plus en plus complexes. Les surveillants, surchargés, ne les maîtrisent évidemment pas. Et la grille existante leur paraît inapplicable, trop compliquée. Pour pouvoir la remplir, il faudrait des facultés d’observation plus fines, des surveillants passant beaucoup de temps avec les détenus. Du coup, la tendance est de se baser sur des stéréotypes, avec le risque de confondre fondamentalistes religieux et islamistes radicaux. La prison serait donc bien un lieu favorisant les processus de radicalisation ? Plusieurs facteurs peuvent peser dans ce sens. La prison impose une cohabitation forcée à des individus qui ont un rapport souvent tendu avec la société et souffrent fréquemment de frustration sociale, d’exclusion économique ou de stigmatisation culturelle. Ils vivent la prison comme une injustice supplémentaire. Le contrôle exercé par les Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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autorités, la succession des humiliations et des frustrations, alimentées par l’incompréhension dont les autorités font preuve à l’égard des demandes légitimes des détenus – accès aux loisirs, au sport, vie décente dans une cellule à deux maximum, conditions moins draconiennes de visite familiale au parloir, etc. – peuvent se traduire par une disponibilité supplémentaire à la radicalisation. Les entraves à l’exercice du culte constituent aussi une source particulière de frustration. Le manque d’aumôniers musulmans en fait partie. Dans de nombreuses prisons, la prière collective du vendredi ne peut pas être célébrée, faute d’imam. Les détenus musulmans vivent cette impossibilité comme une manifestation de mépris. La pénurie d’aumôniers favorise en outre l’influence des individus radicalisés, qui peuvent ainsi s’autoproclamer imams et promouvoir leur interprétation de l’islam. Ils transforment en une colère sacrée la haine que certains détenus portent à la société. Sans un ministre du culte pour empêcher la sacralisation de la haine, l’individu instable – qui n’a connu que l’exclusion sociale et l’indignité – risque de transcrire sa rage sous une forme totalisante, voire de devenir djihadiste. L’inverse existe aussi néanmoins : pour certains, la prison peut représenter le lieu où ils se détournent de la radicalisation, grâce à un approfondissement des préceptes et des lois islamiques.


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« Le sentiment d’être suspecté parce que musulman la modération. Dans les motivations de la plupart des jeunes Européens qui partent en Syrie, on retrouve un mélange de est partagé par une écrasante majorité »

Quels peuvent être les effets positifs et négatifs du regroupement des détenus qualifiés de radicaux dans des unités spécifiques ? Le principal effet positif est de neutraliser leur influence : cette ségrégation évite aux personnes psychologiquement fragiles d’être influencées par les islamistes. Cependant, les effets négatifs sont énormes. Une majorité des personnes concernées revient de Syrie – c’est le cas à Fresnes, où la plupart sont en détention provisoire. Or, il y a parmi eux des djihadistes endurcis, convaincus de la justesse de leur cause, mais aussi des repentis. Ils gardent certaines convictions idéologiques, mais pensent que les excès de violence dont ils ont été témoins ne servent pas la cause. Il est particulièrement dangereux de les placer aux côtés des endurcis, qui risquent de les convaincre que cette violence est nécessaire et de les ramener vers la radicalisation. D’autres encore sont revenus traumatisés, potentiellement violents parce que mentalement très perturbés. Leur premier besoin est une prise en charge psychologique. Mettre ces trois groupes bien différents ensemble est catastrophique : les djihadistes endurcis vont renforcer leurs liens et avoir un effet d’entraînement sur les autres, qu’il faudrait sauver de leurs griffes. Quelles seraient les pistes à privilégier pour leur prise en charge ? En démocratie, on ne peut prendre en charge les djihadistes que s’ils y consentent. On ne peut pas inscrire une personne contre son gré dans un programme de déradicalisation. Mais ce profil d’endurcis ne représente pas plus de 10 à 20 % de ceux qui reviennent de Syrie. Une très grande majorité, endoctrinés via Internet ou par des personnes charismatiques qui leur ont vanté l’aventure syrienne, n’ont pas été « djihadisés ». Au lieu du spectacle grandiose d’un « Etat islamique », ils ont été confrontés à un Etat corrompu, rongé par le clientélisme et la violence. Leur radicalisation est moins ferme, ils peuvent pencher dans un sens comme dans l’autre. Ce sont eux qu’il faut essayer de sauver. Or en France, la prison les attend tous, le système se referme sur eux. C’est la pire des solutions, car ils la vivront comme un rejet de la société. Ils vont côtoyer les « endurcis » et risquent de basculer du mauvais côté. Plusieurs pays – le Danemark, la Norvège, la GrandeBretagne – proposent des programmes de déradicalisation en dehors d’un cadre pénitentiaire visant à amener les participants à ne plus envisager la violence comme mode d’action. Au lieu d’être parqués en prison, les jeunes qui reviennent de Syrie sont placés dans des centres où ils suivent une psychothérapie, participent à des séances de discussion, à des débats… On ne peut jamais être sûr du résultat, mais on peut raisonnablement penser qu’une partie d’entre eux reviendra à

trois composantes : une préoccupation « humanitaire » (« sauver » les frères musulmans), un fondamentalisme exacerbé (lutter contre un régime chiite qui procède d’un « islam frelaté » et réprime les « musulmans authentiques », les sunnites) ainsi qu’une dimension « ludique », liée au danger et au dépaysement. Il faut travailler sur ces facteurs. Quels intervenants doivent participer à ces programmes ?

Il faudrait qu’ils soient multiples : des psychothérapeutes, des policiers, mais aussi des théologiens musulmans, des « barbes blanches », des anciens de leur quartier qui puissent discuter avec eux. Il est important de proposer des éléments de contre-doctrine, au nom même de l’islam. L’intervention de « repentis » vous semblerait-elle pertinente ? Il faudrait vraiment leur offrir cette possibilité de parler dans l’espace public sans donner le sentiment que l’Etat veut les manipuler. Ils ont un accent de vérité, leur expérience peut avoir un effet bénéfique sur les autres. Les pays anglo-saxons ont pris cette option. On donne aux repentis la parole, un accès aux médias, aux débats. Sans les glorifier. Dans quelle mesure les aumôniers musulmans doiventils être associés à cette politique de lutte contre la radicalisation ? Les aumôniers peuvent être utiles aux détenus pas encore radicalisés à condition d’avoir avec eux des relations personnalisées. Or, elles ne sont pas possibles compte tenu de leur faible nombre – il faudrait qu’ils soient deux ou trois fois plus. Et encore, cela ne suffirait pas forcément : l’ancien type d’aumônier, venu d’Afrique du Nord, d’une soixantaine d’années, ne correspond pas toujours aux besoins des détenus. Au fond, ces aumôniers pensent que les détenus sont de mauvais musulmans ; sinon, ils ne seraient pas en prison. Ils ne comprennent pas toujours qu’un détenu a besoin avant tout de se voir soulagé du poids de la peine, beaucoup plus que d’être incriminé. Ils appartiennent à une génération marquée par une pratique ritualiste de l’islam, dépourvue de vision idéologique. Les jeunes veulent s’en démarquer, ils affirment leur redécouverte de la foi sous une forme militante. Leur islam « idéologisé » va de pair avec une fierté reconquise, un sentiment de supériorité et un besoin de marquer symboliquement leur distance, autant vis-à-vis des musulmans passéistes (parents, grands-parents) que d’une société française laïque. L’instrumentalisation des aumôniers dans la lutte contre la radicalisation ne risque-t-elle pas de les faire passer pour des agents de l’administration aux yeux des détenus ? Et même pour des agents des renseignements généraux, ou du moins collaborant étroitement avec les forces de l’ordre ! Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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dossier Aux Pays-Bas, le regroupement des radicaux pratiqué depuis 2005 est apparu comme « un facteur d’aggravation de la radicalisation ». Les quartiers dédiés ont été fermés en 2011, mais réouverts en septembre 2014, avec la crise syrienne (CGLPL, juin 2015).

© Michel Le Moine

Ce sentiment existe déjà, surtout chez les jeunes de banlieue. Les aumôniers sont pris entre le marteau et l’enclume. Si des détenus soulèvent la question du djihad, ils ne répondent pas. Parce que s’ils répondent, soit ils vont dans le sens de l’administration et les détenus les accusent d’être vendus, soit ils prennent une posture autonome et c’est l’administration qui risque de ne pas être contente. Ils tentent d’avoir une attitude neutre. C’est possible sur beaucoup de questions religieuses assez simples : ce qu’il faut faire ou pas pendant le ramadan… Mais dès lors que les questions abordent des sujets plus politiques, leur posture devient incommode.

source de la radicalisation. Le résultat, c’est que tout ce qu’on peut dire sur les dangers d’une réponse pénale trop sévère ou les effets néfastes du regroupement des détenus de retour de Syrie devient inaudible. Au lieu de tenir compte d’une fragilité et d’y répondre, on s’engage dans la répression. Mais cette orientation aggrave la situation beaucoup plus qu’elle ne fait respecter la légalité et opter pour la non-violence. J’espère que la situation des quelques centaines de jeunes qui reviendront de Syrie ne sera pas automatiquement judiciarisée, parce que c’est cela qui sera dangereux. On inventera de futurs djihadistes.

Que pensez-vous des termes du débat public en France depuis les attentats de janvier ?

Recueilli par Marie Crétenot et Barbara Liaras

Après un tel traumatisme, l’opinion publique est beaucoup plus dure et les politiques ne peuvent pas se permettre trop de tolérance, d’ouverture. Les attentats de janvier ont eu un effet symbolique fondamental eu égard à ces phénomènes de radicalisation islamiste : ce terrorisme est perçu comme étant importé, étranger à la civilisation occidentale, puisqu’il revendique des motifs religieux. Alors que les idéologies meurtrières en Europe depuis une centaine d’années sont totalement sécularisées – Action directe, Brigades rouges… –, l’islamiste radical, c’est l’étrange étranger (même s’il y a maintenant une composante occidentale dans ce mouvement) qui vient par le biais de l’islam et veut tuer. C’est une différence majeure avec la Norvège, qui a réagi aux attentats de juillet 2011 en demandant plus de tolérance et de démocratie. Ces attentats ont été commis par un Norvégien, bien blond, au nom d’une idéologie qui oppose la race blanche aux les musulmans. Il était seul, tandis que l’islam radical est porté par différents groupes. Et il existe dans la société des personnes, dont les fondamentalistes, qu’on peut toujours soupçonner d’être à la

« Ta robe elle fait travelo » J’ai pu assister à des remarques, regards, réflexions des surveillants à l’encontre des codétenus qui pratiquaient, surtout ceux qui portent l’habit culturel arabe (djellaba) en cellule ou qui ont des barbes. Lors des fouilles, les objets de culte sont malmenés, tapis salis, coran retourné, djellaba au sol, sans parler des réflexions verbales : « Va te raser, ta robe elle fait travelo, des livres pareils ça devrait être interdit, c’est plus une cellule c’est une mosquée, etc. »

« Ça résonne dans toute la détention » En période de ramadan, certains détenus émettent des prières à l’aide de la chaîne hi-fi, ça résonne dans toute la détention. Ces pratiques restent limitées à quelques individus, les autres semblent pratiquer le respect et la tolérance des croyances de chacun. Réponses à un questionnaire OIP, mai 2015

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« On interpelle les musulmans comme des mauvais élèves » Confrontés à un manque de moyens financiers, sans institution susceptible de les soutenir, les aumôniers musulmans sont soumis à de fortes pressions des pouvoirs publics. Comme s’ils étaient responsables des phénomènes de radicalisation. Pour l’instant, l’aumônier national et la responsable des aumôneries de la région pénitentiaire de Lille voient surtout les effectifs à la prière du vendredi baisser, les détenus ayant désormais peur d’être « fichés ».

© Gilles Durand/20 minutes

Vous demandez depuis longtemps un véritable statut pour les aumôniers, pourquoi ?

Hassan El Alaoui Talibi est aumônier national musulman. Samia Ben Achouba coordonne les aumôneries de la région pénitentiaire de Lille. Tous deux interviennent dans les établissements de cette région.

A la suite des attentats de janvier, le Premier ministre a annoncé le renforcement de l’aumônerie musulmane. Où en est-on aujourd’hui de la concrétisation de ces annonces ? Hassan El Alaoui Talibi : Après l’annonce politique, nous attendons la validation parlementaire. La mise en application de ce plan doit s’étaler sur deux ans, mais pour l’instant, rien n’a commencé. Nos efforts de recrutement de nouveaux aumôniers ne se sont jamais interrompus, mais on se heurte très vite à la question des moyens : la plupart des candidats n’ont pas les ressources nécessaires pour payer de leur poche les frais de déplacement, sans parler de compenser le temps passé en détention. Nous ne recevons pas d’aide du Conseil français du culte musulman (CFCM), qui n’a même pas les moyens de payer le loyer de son siège social. Et l’enveloppe qui nous est allouée par l’administration pénitentiaire pour indemniser les aumôniers est largement inférieure aux besoins. Nous réfléchissons à créer une fondation pour financer l’aumônerie pénitentiaire.

Samia Ben Achouba : Les indemnités perçues par les aumôniers sont calculées en fonction des kilomètres parcourus et sont considérées comme un revenu, donc imposables. Nous recevons une fiche de paye, sans cotisation de l’employeur. Ni sécurité sociale, ni retraite, ni couverture médicale. Dans mon cas, j’interviens sur cinq établissements, je suis en plus responsable des aumôneries pour toute la région pénitentiaire. Je perçois le maximum d’indemnités possible 1, et l’administration me déclare « à plein temps ». Ce qui a entraîné la suppression d’une allocation que je percevais pour ma fille handicapée, car on considère que ce n’est pas moi qui m’investis auprès d’elle. Un aumônier s’est vu supprimer sa retraite, un autre sa couverture maladie universelle. Et on nous demande dans ces conditions tellement pénalisantes de recruter des aumôniers, comme une exigence, on nous interpelle comme si nous étions les mauvais élèves de l’affaire. Et l’on attend que nous assurions un travail de prévention du radicalisme. Or, cela demande du temps : un aumônier qui vient, célèbre la prière du vendredi et s’en va, ne peut pas accompagner un esprit, partager avec dignité et avancer ensemble dans la réflexion. Il semble néanmoins que toutes les confessions ne partagent pas cette revendication d’un statut : pourquoi ces différences de vues, comment les surmonter ? Hassan : Deux des aumôneries présentes en prison se sont exprimées sur ce sujet. Il y a un aspect matériel : les institutions dont elles dépendent ont bien plus de moyens que le CFCM, et peuvent les aider. Certains pensent aussi qu’un tel statut conduirait à une perte de notre liberté d’agir. Je ne pense pas quant à moi que le statut change quoi que ce soit à l’intervention. Les aumôniers militaires ou hospitaliers en 1 Un arrêté du 1er décembre 2008 fixe à 9,67 euros l’indemnité forfaitaire horaire, avec un maximum annuel de 1 000 vacations horaires. Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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dossier bénéficient déjà, pourquoi ne pas appliquer la même règle partout ? Il est question d’imposer une formation aux nouveaux candidats, qu’en pensez-vous ? Samia : Le projet est de demander à des futurs bénévoles de payer une formation pour venir faire du bénévolat ! Cela n’a pas de sens. Le problème est le même avec la formation continue. Il y a deux ans, j’ai dû organiser une quête à la mosquée pour pouvoir réunir les aumôniers de la région pénitentiaire. L’un d’eux est ouvrier, il a son salaire pour ses quatre enfants, son engagement est suffisant, il ne peut pas prendre plus à sa charge. Le contenu de la formation, d’après les informations que nous avons eues, porterait sur la citoyenneté, la laïcité… Parce que nous sommes des religieux, savons-nous moins bien ce qu’est la laïcité ? Pourquoi l’enseigner seulement aux aumôniers musulmans ? L’aumônier national pose déjà des exigences strictes lors du recrutement des bénévoles. Ce sont souvent des responsables de mosquée, qui ont de grandes connaissances religieuses, une expérience de l’accompagnement spirituel et une connaissance de l’environnement social des détenus.

L’interdiction des statistiques ethniques ou religieuses empêche d’évaluer précisément la proportion de détenus de confession musulmane. Pour F. Khosrokhavar, la vérité se situe aux alentours de 50 % (Nouvel Obs, 23/10/14).

Estimez-vous que l’exercice du culte musulman en prison soit difficile pour les détenus ? Hassan : L’amélioration est nette depuis mes premières interventions, il y a une vingtaine d’années. Il reste des problèmes, mais ce n’est plus dans une dimension institutionnelle, les textes et l’administration protègent le droit d’exercer son culte. Par exemple, j’ai travaillé avec la direction de l’administration pénitentiaire sur les circulaires sur les objets de culte. Avant, la possibilité d’avoir un tapis de prière en cellule dépendait du bon vouloir de la direction. Il peut encore y avoir des dérapages de la part de tel ou tel surveillant, mais ce sont des cas isolés. Samia : En tant qu’aumôniers musulmans, on ne se sent pas toujours bienvenus du côté des surveillants. Or, ce sont eux qui nous permettent d’accéder aux détenus. J’interviens tous les dimanches dans un établissement pour mineurs. Parfois, les surveillants mettent un film juste avant mon arrivée. Essayez d’appeler pour la prière un ado de 13 ou 14 ans qui vient de commencer un film : c’est hors concurrence ! A partir de quand peut-on estimer qu’une pratique de l’islam devient radicale ? Les critères employés par l’administration pénitentiaire vous semblent-ils adaptés ? Hassan : Un radical impose sa vision des choses, religieuse ou idéologique, par la violence, les intimidations. Ils ne sont pas nombreux. Ce terme « radical » est utilisé sans grille concertée entre les gens de religion et les institutions sécuritaires. On crée ainsi le risque d’une appréciation subjective, génératrice d’injustices, qui ne peut que créer de la frustration et induire Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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des phénomènes incontrôlables. Certains, notamment en prison, cherchent dans la religion une dimension affective dont ils ont été privés. Or, dès lors qu’ils se mettent à prier, on les qualifie de radicaux. D’autres ont connu le même sort après s’être simplement laissé pousser la barbe, ce qui n’est absolument pas un signe de radicalisation. Une pratique normale de sa religion doit être possible, sans stigmatisation, faute de quoi on pousse à la dissimulation. Les vrais radicaux ne donnent pas d’arguments à celui qui veut les suivre et faire des rapports. Samia : On met la pression sur les surveillants pour repérer les radicaux, mais en leur donnant la grille de TF1, basée sur des idées reçues : un radical, c’est celui qui va refuser de parler aux femmes, ou qui va refuser la télé dans sa cellule, celui qui hier ne priait pas et prie aujourd’hui… En outre, l’administration raisonne par cercles : les 152 qualifiés d’islamistes radicaux, puis ceux qui sont susceptibles de le devenir, puis ceux qui sont de la même confession… c’est sans limite, au final je me trouve aussi dedans. La première conséquence visible, c’est que de nombreux aumôniers reçoivent des courriers de détenus leur disant : « Je ne peux plus venir te voir actuellement, on a peur d’être fichés. » Les effectifs à la prière du vendredi baissent considérablement. Or, si elles ne trouvent plus auprès de l’aumônier la réponse à leur besoin spirituel, ces personnes iront chercher des explications ailleurs. Auprès de radicaux.


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© Michel Le Moine

« On met la pression sur les surveillants pour repérer les radicaux, mais en leur donnant la grille de TF1, basée sur des idées reçues »

Quelles sont les conséquences pour vous, en tant qu’aumôniers, et pour les détenus que vous rencontrez, des politiques de lutte contre la radicalisation et le terrorisme menées depuis plusieurs années en milieu carcéral, et encore renforcées récemment ? Samia : Quand le Premier ministre, dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme, annonce la création de postes de sécurité, dont soixante aumôniers musulmans, quel effet cela peut-il produire sur les détenus ? Ça veut dire que moi, je deviens un poste sécuritaire ! Vous auriez envie de me rencontrer ? Si vous avez envie d’un peu de liberté, vous allez dire : « J’ai le surveillant, j’ai les renseignements généraux, tout le reste, je n’ai pas besoin de rajouter l’aumônier. » Ceux qui nous connaissent, il n’y a pas de souci, les choses sont claires, et ils passent le message aux autres détenus. Mais ça va être difficile pour les nouveaux aumôniers. Nous nous sentons parfois harcelés, comme si la radicalisation était de notre faute. C’est difficile à accepter. Quel peut-être le rôle des aumôniers dans la lutte contre les phénomènes de radicalisation ? Hassan : Les aumôniers ont leur part dans cette lutte, mais par l’accompagnement des individus dans la compréhension des textes religieux, pour les aider dans leur reconstruction. Pas pour asséner des vérités. Il ne faut pas donner à l’aumônier une casquette de policier, ni de pompier, son

rôle est l’accompagnement spirituel. Nous ne sommes pas des contrôleurs de conscience, ce serait enlever le dernier espace de liberté qui subsiste aux prisonniers, celui de penser par eux-mêmes. Les personnes que nous rencontrons ont souvent subi des parcours difficiles, avec des échecs scolaires, des passages en foyer. Certains ont emmagasiné de la haine. Les « petites peines » me semblent à cet égard une erreur majeure : la radicalisation vient de l’extérieur vers l’intérieur. Notre rôle est d’écouter pour évacuer cette haine. Ce refus de l’injustice doit s’exprimer par des voies démocratiques, par l’intégration. Il faut pour cela des structures associatives, civiles. Samia : Nous pouvons jouer un rôle à condition de ne pas fonctionner à l’urgence. Et c’est ce qui se passe dans notre pays. « Au feu, appelez les pompiers ! », se traduit par : « Où sont les aumôniers ? Que font les aumôniers ? Nous avons prévu des aumôniers ! » Puis on clôture le dossier, qui a juste servi à détourner l’attention, pour ne pas parler des vrais problèmes. Que pensez-vous des cinq unités prévues, sur le modèle de celle existant à Fresnes, pour regrouper les détenus dits « radicalisés » ? Hassan : Une partie importante de ceux qui sont classés « radicaux » dans les prisons sont des délinquants qui essaient de donner un habillage religieux et une certaine légitimité à leurs actes, à leur haine et leur frustration. Ils se prétendent religieux mais sont loin de la religion, qu’ils limitent à certaines pratiques. Ceux-ci doivent être isolés des détenus fragiles, qui souffrent de problèmes psychologiques et sont facilement manipulables. Mais isoler sans proposer un accompagnement psychologique et spirituel ne résout rien. Ces gens sortiront un jour, en ayant accumulé encore plus de haine. Il serait préférable de les mettre en quarantaine, sans les regrouper, pour une période bien déterminée et avec un accompagnement fort. Des pays comme le Liban ou l’Indonésie ont mené des politiques à l’égard des détenus radicalisés, il faut tirer des enseignements de ces expériences. Les responsables pénitentiaires libanais, par exemple, déconseillent le regroupement, qu’ils considèrent néfaste. Samia : Certains jeunes sont partis en Syrie, ont découvert ce qui s’y passait, sont revenus en appelant au secours, et on les place en détention. Regroupés dans cette unité, sans accompagnement, ils subissent les pressions d’autres détenus. C’est la continuité de la dictature. N’est-on plus capable de compassion ? Recueilli par Barbara Liaras Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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Aumôneries en rangs dispersés sur la professionnalisation L’objectif de Manuel Valls annoncé le 13 janvier de « parvenir à une réelle professionnalisation » des aumôniers ne répond pas à une demande de l’ensemble des cultes. Les chrétiens, très implantés en détention, craignent de perdre des postes et libertés historiquement acquises. Les religions intervenues plus récemment n’ont pas même les ressources minimales pour assurer leur présence. Et tous n’ont pas la même conception leur rôle auprès des détenus. Entretien avec les responsables des aumôneries catholique, protestante et israélite.

Quelle est votre position par rapport à la création d’un statut professionnalisant les aumôniers de prison ? Vincent Leclair, aumônier national catholique : Nous avons plus de craintes que d’enthousiasme. Nous avons plus de 600 aumôniers et la grande majorité est bénévole. Ceux qui touchent une indemnité la reversent dans un pot commun, qui contribue à défrayer l’ensemble des aumôniers et à la prise en charge des frais généraux. Ce système nous garantit une autonomie à la fois financière et fonctionnelle par rapport aux services de l’Etat. Une professionnalisation entraînerait pour nous un risque de réduction du nombre d’aumôniers et, paradoxalement, une précarisation de leur situation en les rendant tributaires de contraintes budgétaires. On regarde avec une certaine inquiétude ce qui se passe dans les hôpitaux où des postes sont supprimés, regroupés : les aumôniers sont recrutés par l’établissement lui-même et, en cas de coupes budgétaires, c’est sur ces postes-là que l’on fait des économies. Par ailleurs, pour des raisons liées à l’essence même de notre religion, l’aumônerie catholique est attachée au statut d’intervenant bénévole. La raison pour laquelle nous nous rendons en prison, c’est que nos textes fondateurs nous y envoient. Ils nous invitent à nous rendre disponibles pour ceux qui sont enfermés. Il y a donc une certaine « gratuité » dans cette démarche. Un autre risque important serait d’aboutir à un cloisonnement des religions, à un système à l’anglo-saxonne ou chacun Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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s’occuperait de ses adeptes. Or, nous ne sommes pas là, à mon sens, pour nous adresser de manière catégorielle à ceux qui sont étiquetés catholiques. Nous venons en prison pour apporter un soutien spirituel à toute personne détenue qui le demande, dans le respect des convictions et des consciences. Le fait que des détenus puissent librement faire appel à plusieurs aumôniers, participer à plusieurs cultes, me semble très important et tout à fait dans la logique de la laïcité. Brice Deymié, aumônier national protestant : Nos aumôniers sont tous des bénévoles, vacataires pour certains, mais ils reversent leurs indemnités pour faire fonctionner l’aumônerie et financer des actions sociales. Il y a une petite moitié de pasteurs et les autres sont des laïcs. Ils y consacrent au moins une journée par semaine, mais je n’encourage pas à ce qu’ils soient à plein temps. Etre aumônier, c’est quelque chose qui use, c’est difficile. D’ailleurs, le plein temps ne se justifie pas. En revanche, le nombre se justifie car dans les grands établissements, il faut des équipes de 2, 3, 4 voire 5 personnes qui puissent tourner. Quand on mentionne dans la presse le nombre d’aumôniers, on omet de préciser qu’ils sont loin d’être à temps plein. Si on ne peut plus faire appel à des bénévoles, on aura des gens certainement efficaces dans la relation d’aide, mais l’aumônerie perdra un peu de son âme. Nos communautés ne s’intéresseront plus du tout à la prison et on coupera un pont entre l’intérieur et l’extérieur. On restera dans notre petit pré carré ecclésial avec un


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périmètre bien défini. La professionnalisation aurait certes des avantages, en particulier celui d’avoir des personnes dont on pourrait exiger une formation plus importante que celle qu’on peut demander aujourd’hui. Mais globalement, je pense qu’on aurait pas mal à y perdre. Philippe Chelly, secrétaire général de l’aumônerie israélite : Je suis aumônier depuis trente ans et ces discussions existent depuis aussi loin que je me souvienne. Pour moi, la question n’est pas de savoir si on est vacataire ou salarié. Mon souci, c’est que l’administration pénitentiaire (AP) revalorise le rôle de l’aumônier pour susciter de nouvelles vocations. Car on a aujourd’hui un gros problème de recrutement et il y a besoin de motiver les gens. Les aumôniers sont insuffisamment rémunérés. Le principal problème réside dans la limitation à 1 000 par an du nombre de vacations horaires autorisées par l’AP. Je ne réclame pas de nouveaux budgets mais qu’on puisse déjà déplafonner le nombre de vacations par aumônier. Pour permettre plus de latitude sur le volume horaire et sur les rémunérations. Pour pouvoir lui remettre une somme normale, au moins alignée sur un SMIC. Aujourd’hui, un aumônier régional ne peut pas toucher plus de 800 euros d’indemnités par mois, alors qu’il doit parfois faire des trajets de 300 ou 400 km pour se rendre dans une prison où il n’y a pas de communauté juive importante. Nous avons actuellement 66 aumôniers, dont 45 sont des vacataires et le reste des bénévoles. Je préférerais en avoir vingt correctement payés et qui s’engageraient à 100 % de leur temps. Un bénévole, je ne peux pas lui dire : « Il y a une urgence, est-ce que tu pourrais aller à tel endroit ? » Alors que quelqu’un à qui on en donne les moyens, il peut se déplacer rapidement pour aller régler un problème sur un établissement, et il a des comptes à rendre. Craignez-vous une perte d’autonomie ? B. Deymié, aumônerie protestante : Oui, car forcément, nous nous rapprocherions d’un statut pénitentiaire, comme mes collègues européens. Les anglais font partie de l’AP, comme les aumôniers militaires sont partie intégrante de l’armée. J’aurais peur que la professionnalisation fasse de nous des cadres de l’AP plus que des aumôniers. On serait soumis à un contrôle de ce qu’on fait. Le salariat entraînerait plus d’exigences de la pénitentiaire, forcément. Ils diraient « il faut que vous nous soyez utiles ». Moi je préfère que l’aumônerie soit tirée vers l’institution Eglise plutôt que vers l’institution pénitentiaire. Et puis, vis-à-vis du détenu, on est celui qui est libre, hors du système, qui ne connaît pas son dossier pénal. Il ne faudrait pas que cela change.

P. Chelly, aumônerie israélite : Je ne crois pas l’argument selon lequel salarier les aumôniers les transformerait en agents de l’administration pénitentiaire. En trente ans, jamais un détenu ne m’a demandé comment j’étais payé. Ce qui l’intéresse, c’est le moment qu’on va passer ensemble, de me parler de lui. Et de toutes les façons, arrêtons cette hypocrisie, on est déjà payés par le ministère de la Justice. Le système de vacation permet juste à l’AP de s’en tirer un peu mieux financièrement. V. Leclair, aumônerie catholique : Nous risquons un plus fort encadrement de nos activités. Ce n’est pas forcément lié au statut, mais le fait de définir un statut peut y contribuer. Avec la multiplication des religions en prison et le discours selon lequel les surveillants doivent faire attention au prosélytisme, le contrôle de la religion est de plus en plus présent. On le constate déjà : on a des remarques de plus en plus fréquentes, on doit se soumettre à des procédures pour la distribution de publications, on a plus de difficultés à circuler dans la détention. C’est arrivé qu’on dise à des aumôniers qu’ils ne pouvaient pas saluer les détenus qu’ils croisent dans le couloir parce que ce serait faire du prosélytisme. Ou qu’un aumônier se voit refuser l’accès au quartier disciplinaire, alors que c’est un droit de la personne détenue affirmé par la loi pénitentiaire. Nous avons aussi de plus en plus de difficultés à organiser nos activités collectives. Les locaux sont partagés entre les cultes, mais aussi avec d’autres services de l’AP. Il y a des établissements où l’on nous refuse de venir le dimanche, alors que ce jour a une valeur importante dans la vie chrétienne. Dans les prisons modernes, les salles de réunion se situent souvent en dehors des bâtiments d’hébergement et l’administration manque de surveillants pour assurer les mouvements des détenus. Normalement, les personnes détenues sont autorisées à participer à plusieurs cultes mais en réalité on leur dit : « Vous êtes inscrit ici, vous n’avez pas le droit d’être inscrit là ». Alors que la religion, jusqu’à présent, pouvait être un espace de liberté assez grand. Une solution commune aux différentes aumôneries estelle envisageable ? V. Leclair, aumônerie catholique : Pour l’instant, on ne voit pas bien vers où va l’administration pénitentiaire. On attend de voir ce que les déclarations d’intention vont donner dans les faits. Il faudra nécessairement trouver une solution et faire évoluer les choses, je n’y suis pas fermé. Mais cela soulève aussi nombre de questions. Si cela passe par des salaires, comment l’Etat va-t-il pouvoir, dans la situation budgétaire que l’on connaît, débloquer des fonds pour mettre en place un statut professionnalisant qui concernerait les sept aumôneries reconnues ? Et de quelle manière ces postes vont-il être répartis entre les différentes religions, sans que les détenus ne Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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Fleury-Mérogis, maison d’arrêt des hommes, 2006. Rencontre en cellule avec l’aumônier.

soient amenés à déclarer leur religion ? Il y a énormément de problèmes préalables à résoudre.

Au-delà du statut, quelles évolutions seraient souhaitables à vos yeux ?

P. Chelly, aumônerie israélite : Le vrai problème aujourd’hui, c’est la possibilité pour certaines aumôneries, je pense surtout aux musulmans, d’avoir de nouveaux budgets sans pour autant venir rogner sur ceux des autres. C’est au gouvernement de trouver de l’argent et de faire ce qu’il faut pour que la machine puisse continuer à tourner.

V. Leclair, aumônerie catholique : Un respect total de la liberté religieuse et de conscience. A mon sens, le premier agent de lutte contre le prosélytisme devrait être la personne détenue elle-même. C’est à elle d’être suffisamment informée de son droit à recevoir ou refuser une publication ou à rencontrer quelqu’un. Ce devrait être de son ressort de se plaindre si elle est victime d’abus ou de prosélytisme, de la part d’aumôniers ou de codétenus. Mais l’administration pénitentiaire, comme sur des tas de sujets, choisit à la place des personnes. Je crois que ce serait une véritable évolution que d’arriver à considérer que la personne détenue est la première responsable de son parcours pénitentiaire. Pas seulement pour la religion.

B. Deymié, aumônerie protestante : Ce qui est certain, c’est qu’il faut trouver une solution pour les aumôneries musulmanes, qui n’ont pas du tout la même histoire. Le statut actuel est trop incertain et il faut trouver les moyens pour recruter suffisamment d’aumôniers musulmans car, actuellement, ils sont sous représentés. Nous veillerons à ne pas créer de blocage sur ce plan. On risque d’évoluer vers un statut professionnalisant et il faut s’y préparer, mais on a encore du temps. Je ne crois pas que le gouvernement prévoit de fonctionnariser les aumôniers. Cela passera probablement par un statut semi-professionnel, qui pourrait être à géométrie variable. Il pourrait y avoir des personnes salariées et d’autres avec un statut de vacataires. Les musulmans verraient leur enveloppe augmentée, avec une possibilité d’avoir des postes salariés, puisque leur revendication c’est d’avoir des cotisations et une sécurité sociales. Nous, on pourrait rester sur un statut de vacataires et imaginer un système de salariat dans certains établissements, si on le souhaite. Je pense par exemple aux maisons centrales qui demandent une présence différente de celle des maisons d’arrêt. Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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P. Chelly, aumônerie israélite : Il y a actuellement des problèmes de fond plus importants que celui du statut. On peut comprendre que les surveillants pénitentiaires de Fleury-Mérogis, où il manque plus de 200 agents, n’aient pas la tête à s’occuper de l’aumônier qui arrive, alors qu’ils doivent s’occuper d’un mouvement de 200 ou 300 détenus. Il faudrait une véritable refonte de tout le système. Au niveau des conditions de détention aussi. On va rajouter une douche, des toilettes, c’est très bien. Mais en attendant, il y a des détenus qui sont enfermés pendant plus de 21 heures par jour en cellule, sans activités. C’est une question dont la société ne se préoccupe pas. Recueillis par Cécile Marcel


religions en prison

« La foi pour résister au mal carcéral » Dans la solitude carcérale, la religion peut être un secours. Telle est l’expérience de Gabriel Mouesca, sorti de prison depuis 2001, dont la foi chrétienne s’est renforcée au long de ses dix-sept années de détention.

non pas autour de soi, parce que c’est le désert, mais au fond de soi. Et au fond de soi, ce peut être la rencontre avec Dieu. Néanmoins, je n’ai pas rencontré beaucoup de personnes s’inscrivant dans une telle démarche !

Vous avez été incarcéré entre 1984 et 2001 : votre rapport à la religion a-t-il évolué au fil de ces années ? Je n’ai pas découvert la religion en prison, je suis chrétien par tradition familiale, j’ai eu des engagements dans le scoutisme, dans des aumôneries de lycée… Mais être placé dans 9 m², dans une situation d’isolement social – et même total puisque j’ai vécu trois ans dans des quartiers d’isolement – m’a permis de me retrouver seul face à moi-même. Le fait d’avoir été éduqué dans la religion a facilité cette forme d’entretien introspectif. Je ne conseille pas aux gens d’aller en prison pour approfondir leur foi, bien évidemment, mais ce lieu m’a permis de réfléchir en profondeur à ma relation à la religion. Que vous a apporté la pratique religieuse pendant cette période ? Un de mes premiers actes au réveil, c’était de lire les évangiles du jour. Par cette lecture quotidienne, je m’armais pour résister à la journée que j’allais affronter. Une journée déshumanisante, qui allait porter atteinte à ma santé globale. Ces béquilles évangéliques m’apportaient ce petit supplément d’âme qui me permettrait de résister au mal carcéral. Comment expliquez-vous le phénomène fréquent d’intensification des pratiques religieuses en prison ? On y trouve le temps pour s’ouvrir aux questions de la foi, parce que même à quatre ou cinq en cellule, on est seul. Lorsqu’on vit une telle épreuve, la réponse peut être trouvée

Les personnes détenues étant en position de vulnérabilité, la prison ne représente-t-elle pas un vivier pour les prosélytismes religieux de toutes sortes ? L’abandon dans lequel se trouvent certains prisonniers, leur situation économique désastreuse, peut les conduire à chercher une solidarité effective, qui passe par les affinités nationales, culturelles ou religieuses. Le prosélytisme se nourrit de ce terreau. Une des réponses, c’est de donner à chacun les moyens d’être économiquement autonome. Plus qu’un problème de religion, c’est un problème de misère sociale. Quel a été le rôle des aumôniers dans votre parcours ? A un moment, le face à soi a ses limites. J’ai rencontré des aumôniers, prêtres, religieux ou laïcs, qui m’ont invité à aller encore plus au fond dans ma recherche spirituelle, ou même dans ma réflexion de simple humain. A la maison centrale de Lannemezan, nous avons créé Foi et prison, le premier journal religieux dans les prisons françaises, intégralement rédigé et imprimé par les prisonniers. On le devait à une aumônerie extrêmement tonique, qui avait obtenu l’adhésion du directeur de la prison. Néanmoins, certains aumôniers que j’ai connus se montraient à la hauteur de leur mission, d’autres étaient dans le jugement, et ne nous apportaient pas ce qu’on attendait d’eux, à savoir une relation tout simplement fraternelle. Quelques-uns restent attachés à ces vieux dogmes de l’Eglise, entre expiation et rachat de ses péchés. Mais je pense qu’aujourd’hui, une minorité de religieux s’inscrit dans cette tradition. Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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© Michel Le Moine

dossier

Centre pénitentiaire de Loos. Célébration de la messe. Des fidèles extérieurs peuvent assister aux offices en prison.

Le fait de pratiquer votre religion vous a-t-il donné une position spécifique aux yeux des autres détenus ? J’ai vécu les questions de foi ou de croyance de façon extrêmement personnelle, intime. Hormis les temps d’aumônerie, il était très rare que j’aborde ce sujet. Plus généralement, la participation à la messe, aux cours bibliques, aux activités liées à la vie de l’aumônerie est jugée peu virile par la tradition carcérale et demande un certain courage. La stigmatisation vient aussi de ce que la messe est parfois associée au regroupement de détenus qui ne sont pas acceptés par ailleurs, en particulier, ceux qui sont accusés ou condamnés pour des affaires de mœurs. La messe ou les cours bibliques sont pour eux des refuges. Avez-vous rencontré des obstacles à votre pratique religieuse ? La seule entrave que j’ai connue, c’était lorsque je me trouvais au quartier d’isolement : l’accès à la messe m’était interdit. J’ai vécu ça comme une sanction extrêmement forte. Même si, par ailleurs, des aumôniers – et même un évêque ! – sont venus me rencontrer en cellule. Ces rayons de soleil n’ont pas atténué la violence de l’empêchement de participer à la messe qui m’était imposé. Pourquoi écrivez-vous que « la foi est mise à rude épreuve en prison » ? La culture carcérale peut amener à prendre des chemins qui ne sont pas ceux que l’évangile vous invite à suivre. Lorsque

j’étais à Moulins, est arrivé un prisonnier avec un dossier très lourd, très médiatisé, tout le monde savait ce qu’il avait fait. Le lendemain, il est venu à la messe et s’est posé à côté de moi, son bras touchait le mien. Je n’ai pas pu rentrer dans l’état d’esprit nécessaire pour prier. Je m’étais fait bouffer par ce qui se colportait sur cet homme. A mon retour en cellule, je me suis dit « tu es devenu un juge ». J’ai douté de moi par rapport à ma foi, de ma capacité à être à la hauteur. Recueilli par Barbara Liaras

« Quelque chose à quoi se raccrocher » Quand on est au fond du trou, on cherche quelque chose à quoi se raccrocher, la religion peut-être cette chose. Lors des cultes, les discours sont positifs et nous avons besoin de ça pour être en paix avec nous même.

« Fouille à nu après toute visite d’un aumônier » Il y a des difficultés pour les détenus en quartier d’isolement. Il y a une fouille quasi systématique après toute visite d’un aumônier de prison : fouille intégrale nu. Aussi des détenus refusent de voir les aumôniers en raison du caractère humiliant de cette fouille. Après en avoir parlé au directeur, il m’avait certifié […] qu’il ferait le nécessaire. Cependant cela a duré une fois sans fouille et les fouilles à nu ont repris. (aumônier) Réponses à un questionnaire OIP, mai 2015

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La chronique de Krapitouk

religions en prison

Après avoir fermé son blog sur Médiapart, le surveillant pénitentiaire anonyme tient désormais une rubrique dans Dedans-Dehors

Un surveillant qui parle de religion en prison, c’est curieux à plusieurs titres…

C

’est un sujet dont il ne faut justement pas parler et

l’évoquer en détention, c’est toujours commettre un faux pas. Au mieux c’est inutile, au pire nuisible : le sujet est du domaine du privé pour les détenus et il faut le respecter. Si ce n’est pas pour y donner l’accès, leur permettre d’aller aux trop rares cultes des trop rares religions organisés par de trop rares aumôniers, autant ne pas évoquer le sujet : la neutralité est une qualité du serviteur public qu’on doit garder intacte, elle est précieuse. Pour autant, on demande aux surveillants d’observer l’éventuelle radicalisation des détenus, et la récente mise en lumière médiatique de l’observation accrue des détenus qui se radicaliseraient a créé ce qui a déjà été démontré par l’expérience : un individu qui se sait évalué, même s’il en ignore les critères (dans le cas présent, même les observateurs en ignorent les critères !), adapte son comportement à ce qu’il pense être conforme au souhait des observateurs, et tout devient moins visible : le « normal » comme l’inquiétant. Tout le monde se sentant observé, tout le monde se cache. La religion en prison est importante. Elle permet de revenir à soi et à l’existentiel, de sortir du quotidien, des images que chacun a de lui-même (et des autres). Elle est un des rares éléments qui peuvent rappeler aux humains ce qu’ils ont de meilleur et leur donner une espérance en ce lieu de punition. Elle leur permet de créer un lien entre eux, un partage fondé sur autre chose que le matériel. Qui n’a pas entendu dire qu’il était hypocrite de se découvrir une conscience en prison ? A ceux-là, je réponds que s’il y a bien un endroit sur Terre où il est bon de s’en découvrir une et où il est essentiel de pouvoir mobiliser ses nobles sentiments, c’est certainement dans ce lieu où les gens sont punis et relégués par leur société. S’il est bon de faire appel, une fois dans sa vie, à la spiritualité, de transcender le monde, les ennuis et angoisses, c’est probablement quand on est au plus bas.

Pour cela, il faut des moyens : des aumôniers de toutes obédiences, du temps, des lieux. Seule l’offre suffisante de religion, animée par des personnes compétentes dans un cadre acceptable, pourra enrayer en partie le prosélytisme tant redouté en prison. C’est certainement en raison du mélange de défiance, du sentiment de rejet, et de l’absence de présence régulière pour dispenser des explications et analyses fondées théologiquement que certains détenus se fient à d’autres (qui se sont aussi fiés à d’autres auparavant) pour leur éducation religieuse, avec la quasi-certitude de faire et croire n’importe quoi à l’arrivée. A ce sujet, la solution de regrouper les détenus radicalisés entre eux est probablement illusoire : d’abord, elle les condamne à rester entre eux et à radicaliser encore davantage les moins affirmés ; et, en plus, elle doit favoriser le sentiment de stigmatisation (à éviter absolument en cas d’emprise sectaire sur une personne qu’on souhaite en sortir). Et n’oublions pas que la séparation créée n’est que physique et n’empêche pas de prêcher par les fenêtres. La lutte contre l’ignorance religieuse passe par le savoir, le sentiment d’intégration, et l’espoir d’un lendemain possible. Il est important de redonner cela à ceux qui en sont dépourvus, sinon ils iront les chercher ailleurs et surtout n’importe où. Enfin, l’acceptation par les détenus d’une personne accréditée par l’institution pour leurs affaires spirituelles passe aussi par l’amélioration des autres conditions de détention. Ceux qui recrutent chez nous pour des Etats terroristes savent bien exploiter les brèches que nous n’avons pas su combler. La loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat garantit le libre exercice des cultes. L’administration pénitentiaire est tenue de permettre à toute personne détenue de « pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle » (article R.57-9-3 du code de procédure pénale).

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Faa’a Nuutania : enfer et condamnations

© CGLPL

La cour de promenade du centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania, 2012

Etat sanitaire déplorable et record de surpopulation : une situation génératrice de tensions et violences, atténuées par une gestion « humaine » de la détention, selon le Contrôleur des lieux de privation de liberté. Pour autant, les détenus de Faa’a Nutania, en Polynésie, ne peuvent se résigner à pareil sort et mènent des actions devant les tribunaux.

L

e cafard est-il bien cuit ? C’est ce dont s’enquiert le res-

ponsable de la cuisine de la prison de Faa’a Nuutania, en Polynésie, lorsque des détenus « affirment avoir trouvé des cafards dans la nourriture ». Il s’agit de « s’assurer que les protestataires n’ont pas placé eux-mêmes l’animal dans la nourriture “pour faire des histoires” ». Or, des cafards bien cuits, il s’en trouve, relate le rapport de visite du Contrôleur des lieux de privation de liberté, rendu public le 23 avril 2015 : « Il n’est pas contesté que les locaux [de la cuisine] soient infestés de cafards, bien qu’ils soient traités régulièrement. » Les nuisibles ne sont qu’une des manifestations de l’état sanitaire dégradé d’un établissement « qui vieillit mal » : « résidus noirâtres » en suspension dans l’eau du robinet – pourtant qualifiée de potable par les analyses bactériologiques – façades « recouvertes, par endroits, d’algues noires qui prolifèrent dans ce fond de vallée humide », « insalubrité des cabines de douches qui sont, pour la plupart, envahies par les moisissures ».

La politesse apaise les tensions Au moment de leur mission, en avril 2012, les contrôleurs enregistrent une surpopulation de 335 % à la maison d’arrêt des hommes, et 283 % au centre de détention – quand l’AP en annonce 313 % et 220 % respectivement. Côté maison d’arrêt, la situation s’est dégradée depuis, avec un taux atteignant 402 % au 1er mai 2015 (chiffres AP). Afin de « limiter les effets d’une surpopulation qui, partout ailleurs, serait source de violences individuelles ou collectives », les responsables de Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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l’établissement encouragent « une attitude bienveillante de la part des surveillants, des changements de cellules rapides afin de réguler les conflits entre codétenus, des rations alimentaires largement plus copieuses qu’en métropole, une pratique religieuse facilitée et surtout le respect permanent du contexte culturel particulier de la Polynésie. […] En détention, la poignée de main des surveillants et le “bonjour” sont systématiques. […] Cette approche humaine contribue sans doute à atténuer les tensions inhérentes à la surpopulation et à maintenir un calme précaire. »

Protestations Le 16 juin 2015, quatre détenus sont néanmoins restés cinq heures juchés sur le mur d’enceinte, protestant contre leurs conditions de détention. De nombreux autres préfèrent saisir le tribunal administratif. Plus d’une centaine ont déjà obtenu des indemnités, près de 300 autres ont confié leur dossier à un avocat. Le 12 mai 2015, X. s’est vu accorder 12 570 euros pour ses sept ans et neuf mois d’incarcération à Nuutania, à trois dans des cellules de 10 m². Confiné près de 20 heures par jour, prenant ses repas dans une atmosphère insalubre (chaleur, humidité et odeurs nauséabondes), sans système d’aération, dans une lumière naturelle insuffisante et avec la présence de rats et de cafards… Le tribunal a reconnu que « ces conditions de détention, portent atteinte à la dignité humaine et engagent la responsabilité de l’Etat ». Barbara Liaras


en droit

CEDH :

les procédures françaises n’offrent pas une protection suffisante Les voies de recours ouvertes aux personnes détenues dans les prisons françaises ne permettent pas de faire cesser des conditions de détention inhumaines et dégradantes. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France, le 21 mai 2015, pour violation du droit à un recours effectif.

S

ix détenus dans une cellule de

15 m², dont l’exiguïté

obligeait ses occupants à rester constamment allongés sur leur lit. Des conditions d’hygiène déplorables et l’humiliation de devoir utiliser les toilettes, situées à l’intérieur des cellules et servant également de douche, au vu des autres détenus. Telles sont les conditions qu’a subies monsieur Yengo lors de sa détention au quartier maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Camp-Est, en Nouvelle-Calédonie, entre août 2011 et mai 2012. La situation de Camp-Est avait été dénoncée en décembre 2011 par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Invoquant cet avis, M. Yengo avait, sans succès, déposé une demande de mise en liberté, dont le rejet avait été confirmé par la chambre de l’Instruction puis par la Cour de cassation. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a reconnu qu’il ne disposait pas de moyens de recours susceptibles de mettre un terme à ces conditions d’incarcération inhumaines et dégradantes. Elle a condamné la France pour cette violation du « droit à un recours effectif », garanti par l’article 13 de la Convention (arrêt Yengo c. France).

Danger grave Pour la CEDH, les conditions exigées par la Cour de cassation pour envisager une mise en liberté empêchent de considérer cette procédure comme une voie de recours effective : M. Yengo était tenu de démontrer l’existence d’un danger grave pour sa santé physique ou morale, une menace difficile à établir. Par ailleurs, cinq mois se sont écoulés entre la demande de mise en liberté et l’arrêt de la Cour de cassation, de sorte que « la demande de mise en liberté ne pouvait pas présenter les garanties de célérité requises pour être effective ». Enfin, les juges européens ont rappelé qu’en présence de traitements inhumains ou dégradants, la possibilité d’exercer un recours exclusivement en réparation – de demander des indemnités – est insuffisante. Un recours « préventif », c’est-à-dire à même

de faire cesser rapidement les conditions dénoncées, doit également être prévu. Le gouvernement français soutenait que M. Yengo avait la possibilité de saisir le juge administratif, en référé-liberté (une procédure d’urgence), pour obtenir que des améliorations soient apportées à ses conditions de détention. La Cour reconnaît que depuis l’ordonnance OIP du 22 décembre 2012, rendue à propos de la prison des Baumettes à Marseille, « la voie du référé-liberté […] peut permettre au juge d’intervenir en temps utile en vue de faire cesser des conditions de détention jugées contraires à la dignité et à l’article 3 de la Convention par le CGLPL ». Mais elle souligne que cette évolution jurisprudentielle est postérieure au recours de M. Yengo. A la date des faits, le droit français ne lui offrait pas un tel recours.

Réponse concrète Il ne saurait cependant être déduit de l’arrêt Yengo c. France que le référé-liberté satisfait par nature aux exigences du recours effectif. Il faudrait pour cela qu’il permette de remédier concrètement aux mauvais traitements dénoncés, notamment ceux résultant de la vétusté générale de certains établissements pénitentiaires et de la sur-occupation massive des maisons d’arrêt. Par exemple, les voies de recours existantes en Belgique n’ont pas été reconnues comme « effectives » par la CEDH, en raison du caractère structurel des « problèmes découlant de la surpopulation carcérale en Belgique ainsi que [des] problèmes d’hygiène et de vétusté des établissements » (Vasilescu c. Belgique, 25 novembre 2014). Dans un tel contexte, « le Gouvernement n’a pas démontré quelle réparation un juge siégeant en référé aurait pu offrir au requérant, compte tenu de la difficulté qu’aurait l’administration compétente pour exécuter une éventuelle ordonnance favorable au requérant ». Autrement dit, de l’impossibilité de lui trouver une place dans une prison salubre et non surpeuplée. Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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Mesures ponctuelles

Nicolas Ferran

© CGLPL

Quant aux mesures obtenues du juge administratif en référé liberté par l’OIP, elles ont concerné quelques aspects des conditions matérielles de détention aux Baumettes, ou plus récemment au centre pénitentiaire de Ducos : éclairage, enlèvement des détritus, méthode de distribution des repas, propreté des cellules, distribution du nécessaire à l’hygiène personnelle des détenus, éradication des animaux nuisibles… Toutes les demandes relatives à la surpopulation et à une rénovation structurelle des locaux – au-delà d’un simple nettoyage – ont été rejetées. L’OIP demandait en effet la mise aux normes de sécurité et la reprise du système électrique, le cloisonnement des annexes sanitaires et des douches, l’amélioration de l’aération, de l’isolation et de la luminosité des cellules, l’allocation de moyens permettant de mettre en œuvre des aménagements de peine et des alternatives

à l’incarcération, de remédier au manque d’activités proposées aux détenus… Autant de demandes retoquées au motif que de telles mesures « ne pouvaient être prescrites dans le cadre d’un référé liberté ». Ce faisant, le juge des référés s’est montré impuissant à protéger les détenus de mauvais traitements résultant d’une sur-occupation massive et chronique alliée à l’insuffisance d’activités, de travail ou de formation et à des conditions matérielles déplorables. Renforcer le pouvoir du juge, adopter des politiques pénale et pénitentiaire susceptibles de remédier à l’indignité des conditions générales de détention : il s’en faut encore de beaucoup pour que le droit au recours des personnes soumises à des conditions de détention inhumaines et dégradantes réponde aux exigences conventionnelles.

Cellule collective, centre pénitentiaire de Nouméa, 2011

Renforcement du contrôle du juge sur les sanctions disciplinaires Le juge administratif doit désormais contrôler « si la sanction retenue est proportionnée à la gravité [des] fautes » disciplinaires imputées aux personnes détenues. Telle est la teneur d’un arrêt rendu par le Conseil d’État, le 1er juin 2015. Jusqu’à présent, les juges n’effectuaient qu’un contrôle Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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ténu du choix par l’administration des sanctions prononcées contre les détenus, limité à l’erreur manifeste d’appréciation. Seules les sanctions manifestement disproportionnées pouvaient donc être censurées, ce qui était rarement établi en pratique. Reste à vérifier que le renforcement du contrôle

juridictionnel décidé par le Conseil d’Etat ne restera pas théorique, et que le pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière disciplinaire sera effectivement plus strictement encadré à l’avenir. CE, 1er juin 2015, n° 380449


en droit Exclusion discriminatoire d’un assesseur de la commission de discipline La décision du directeur du centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville de ne plus faire siéger en commission de discipline M. G., assesseur extérieur, est discriminatoire. Ainsi conclut le tribunal administratif de Nancy, dans un jugement du 12 mai 2015. Instaurés par la loi pénitentiaire de 2009, les assesseurs, issus de la société civile et habilités par l’autorité judiciaire, participent à titre consultatif aux commissions de discipline. Officiant dans plusieurs prisons, le requérant n’était plus sollicité pour assurer cette fonction à Nancy-Maxéville depuis septembre 2012. Le chef d’établissement a refusé de lui communiquer les motifs de sa mise à l’écart, indiquant que ce choix relevait de son pouvoir discrétionnaire. Avec le soutien de l’OIP, M. G. avait alors saisi le tribunal administratif. Relevant que l’administration « ne justifie pas des raisons qui auraient conduit le chef d’établissement à ne plus avoir recours à ses services », les juges nancéiens ont estimé que la décision d’écarter l’intéressé

de la commission de discipline était par conséquent « discriminatoire ». Ils ont rappelé que l’administration ne peut pas refuser que certains assesseurs extérieurs siègent en commission de discipline, dès lors qu’ils ont été habilités par le président du TGI à exercer cette mission. Les garanties ainsi apportées au principe d’indépendance des assesseurs extérieurs ne prémunissent pas pour autant la procédure disciplinaire des critiques qui la visent depuis des années. Dans un rapport paru en 2000, la commission Canivet soulignait que « sous l’angle de la procédure, les limites de ce ‘‘régime disciplinaire” apparaissent plus évidentes encore, en ce qu’elles méconnaissent les règles du procès équitable, de l’indépendance et de l’impartialité de l’instance disciplinaire ». A cet égard, la création d’un assesseur extérieur n’a pas changé la donne. Comme le relève la juriste Martine Herzog-Evans, « la partialité présumée de la commission est de plus

en plus couramment invoquée dans les recours », au regard notamment de ce que le directeur « réunit une série assez stupéfiante de fonctions antagonistes » : c’est lui qui décide des poursuites, prononce la sanction au sein d’une commission dont il a désigné les membres, dispose du pouvoir d’aménager la sanction prononcée et, en tant que membre de droit de la commission d’application des peines, peut influencer les décisions du JAP en matière de crédit de réductions de peine. Le directeur peut en outre être juge et partie, par exemple lorsqu’une personne détenue fait l’objet de poursuites disciplinaires pour avoir proféré des insultes à son encontre. Ce manque d’impartialité structurel de la procédure disciplinaire est d’autant plus critiquable que doit être soulignée la gravité des sanctions encourues : jusqu’à 30 jours de quartier disciplinaire, dans des conditions matérielles généralement très difficiles. TA Nancy, 12 mai 2015, n° 1402184

Le transfert d’une personne tétraplégique suspendu C’est une première : le juge administratif a accepté de suspendre en référé une décision de transfert entre deux établissements de même nature – en l’occurrence, du centre de détention (CD) d’Uzerche vers celui de PoitiersVivonne. Le 31 décembre 2014, le juge des référés du tribunal administratif (TA) de Paris a accédé, en urgence, à la requête de M. K., condamné à trente de réclusion criminelle, qui faisait valoir une forte dégradation de ses conditions de détention depuis son transfert, le 17 septembre 2014. Tétraplégique et incontinent, il requiert une prise en charge spécialisée et une adaptation des conditions de détention à son état de santé. « Une telle prise en charge est impossible à Vivonne, au regard de l’organisation des soins, du matériel

à la disposition du service médical et des règles de fonctionnement de l’établissement » relève le juge. « D’ailleurs, cette prise en charge s’est nettement aggravée par rapport à celle, pourtant insuffisante, dont il bénéficiait à Uzerche ». S’il dispose désormais d’une cellule adaptée aux personnes à mobilité réduite, il ne bénéficie d’aucune aide pour la toilette et se trouve dans l’impossibilité de se doucher. Souffrant d’incontinence urinaire et anale, il attend de longues semaines pour obtenir des couches de protection et ne reçoit aucune assistance pour nettoyer sa cellule. Cette nouvelle affectation impacte également son suivi médical. La prise en charge renforcée par un kinésithérapeute et les cinq heures de marche quotidiennes qui lui sont

nécessaires se réduisent à des séances hebdomadaires de quinze minutes auprès du spécialiste et deux heures de promenade par jour. Outre la suspension du transfert, le juge enjoint à la ministre de la Justice de procéder, dans un délai de quatre mois, à une évaluation précise, avec le corps médical, de l’état de santé et des besoins de monsieur K. afin de déterminer l’établissement pénitentiaire le plus adapté. Plus de six mois après le prononcé de l’ordonnance, l’administration est bien en peine d’identifier un tel établissement, ce qui ne peut qu’interroger sur la compatibilité de l’état de santé de monsieur K avec un maintien en détention. TA Paris, Ord. 31 décembre 2014, n°1424369/9

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ils sont nous

Vincent, deux mois de prison :

« L’autre devient vite un cauchemar » Dans une période marquée par l’alcool et une grande fatigue psychologique, Vincent a été condamné pour des violences et outrages à agent. Incarcéré en 2007-2008 à Fleury-Mérogis (Essonne), la prison lui a permis une certaine « coupure ». Même si un passage dans une sorte de monastère aurait eu selon lui « le même effet, et de façon beaucoup plus pacifiée ».

Est-ce que vous pouvez décrire un peu votre vie avant d’avoir eu affaire à la justice ? Y avait-il un contexte de délinquance, de violence ? Pas du tout. Mon père a même un profond dégoût de la violence et des armes. C’est lui qui a monté mon dossier pour que je ne fasse pas mon service militaire, par exemple. Il est assez engagé politiquement aussi. J’ai grandi à Clermont-Ferrand, puis vers le Mont Ventoux. La campagne profonde. Mes parents avaient des positions assez confortables, mon père a obtenu la direction d’un centre de vacances là-bas. Disons que la société m’a offert des chances. Et que je ne les ai pas prises. Vous avez fait des études ? J’ai passé mon bac, puis j’ai fait les beaux-arts, trois ans. Ensuite, j’ai eu cinq ans de RMI, entrecoupés de petits boulots. Et j’ai été pris en charge par un centre social qui s’occupait du suivi des « artistes ». Comme je n’avais pas beaucoup d’idées d’avenir, j’ai cru pouvoir échapper à ce suivi en disant que je voulais passer les concours des grandes écoles de cinéma. Mais ça a réussi ! J’ai été accepté dans une école de cinéma à Bruxelles, où j’ai passé trois ans. J’avais 28 ans. Je n’étais pas du tout préparé à la solitude, je ne savais pas me débrouiller seul, hors de mon milieu. Je ne savais pas. Après, je suis redescendu à Paris avec une amie. On a vécu un an ou deux chez les uns les autres, ou dans des squats d’artistes. Je buvais pas mal et ça a commencé, la violence. J’avais une certaine frustration de n’arriver à rien, j’étais dans la dèche et je contrôlais de moins en moins. Ces années sont un peu floues pour moi, maintenant.

Dedans Dehors N°88 Juillet 2015

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Vous avez commencé à avoir des problèmes de violence qui ont finalement abouti à une interpellation ? Oui, je commençais à péter les plombs de plus en plus souvent. Il y a eu une parenthèse de deux ans, pendant laquelle je sortais avec une fille. Je travaillais à l’aménagement du nouveau musée du Quai Branly, c’était un super chantier. Après, la chute a été très rapide, en six mois je n’avais plus rien à quoi me raccrocher. J’avais démissionné pour pouvoir partir avec ma copine au Mexique, où ça s’est très mal passé. La séparation. Ensuite, il y a eu des bagarres répétées. Jusqu’à ma première interpellation quai de Jemmapes, à Paris, avec un patron de bar et ses serveurs qui m’ont sorti et plaqué au sol. La police est venue. Je me débattais de douleur, au sol. Avec un de mes pieds, j’ai abîmé un flic. J’ai passé deux nuits au poste. J’avais une convocation pour passer au tribunal quatre mois plus tard. Mais deux mois après, j’ai revu la femme avec laquelle j’avais passé deux ans. J’étais très ivre, j’avais beaucoup fumé aussi. Et ça s’est mal passé. On s’est disputés. Elle m’a chassé, je suis parti, et je suis revenu à l’interphone. J’ai fait du barouf au pied de son immeuble. Quelqu’un a dû appeler la police. J’ai fait une remarque provocante à un flic, lui disant qu’il faisait une sale tête, qu’il n’avait pas l’air d’apprécier son travail. Et là je partais, mais le flic m’a poursuivi dans la rue, il m’a rattrapé et serré la gorge jusqu’à ce que je ne puisse plus respirer. Après, il a dit que j’avais levé la main sur lui et dans le fourgon, ils s’en sont donnés à cœur joie. Moi, je ne me souvenais pas bien le lendemain, je prenais aussi beaucoup d’antidépresseurs.


ACTU

parcours de vie d’anciens détenus Et vous avez été jugé ?

Comment s’est passée votre sortie de prison ?

Oui, j’ai été emmené au commissariat, placé en garde à vue, puis déferré au tribunal et jugé en comparution immédiate. Je me souviens à peine de ce qui s’est passé au procès, tout s’est passé très vite, la salle était très lumineuse alors que je n’avais pas vu le soleil depuis trois jours. J’ai aperçu mes parents.

J’ai d’abord passé un moment à Clermont-Ferrand chez mes parents. Ça a été un peu dur avec mon père, je l’ai provoqué plusieurs fois. J’ai fait plusieurs petits boulots, mais je n’arrivais plus à en tenir aucun. Finalement, je suis redescendu à Clermont-Ferrand et je me suis fait embaucher en maçonnerie, dans le bâtiment, à couler du béton, pendant trois ans. Comme j’avais les nerfs, ce travail a été le seul moyen de trouver plus dur que moi, pour me calmer, m’user ! D’un autre côté, j’ai milité contre les expulsions de Roms, je me suis engagé politiquement et j’ai rencontré quelqu’un, il y a deux ans. Pour elle, je ne veux pas être un cas, elle a sa vie à vivre, tout à attendre, donc on s’entend, on se complète avec nos défauts en sourdine.

J’ai été condamné à deux mois ferme et deux mois avec sursis. Parce que j’avais un casier vierge. Et j’ai été envoyé à FleuryMérogis. Après trois jours de garde à vue, la saleté, le manque de sommeil, la faim et le déni d’humanité, j’étais content d’arriver en prison. Comment s’est déroulée votre détention ? L’administration pénitentiaire, ils ont eu peur que j’en finisse. Très vite, j’ai eu un poste d’assistant bibliothécaire (j’ai travaillé, je suis même sorti avec 200 euros). La première nuit, j’ai demandé du papier et un crayon pour écrire à mes parents pour les rassurer. Je leur ai écrit qu’il fallait faire la paix et que ça allait se passer. Je pensais surtout à eux. Mes premières sorties dans la cour, c’était sur le toit de Fleury-Mérogis, avec le grillage au dessus [cour pour les arrivants, ndlr]. Après, j’ai pu aller dans la cour du bas, mais ça sentait les rapports un peu trop physiques, la violence qui pouvait démarrer d’un moment à l’autre. Je ne suis plus sorti. J’ai eu la chance d’être seul en cellule presque toute ma détention. Les quinze derniers jours, je les ai partagés avec le gars qui gérait la bibliothèque. Il n’était pas désagréable, mais la télé était allumée en permanence. Tu peux pas dormir quand tu veux, tu dors dans la couchette du haut et tu te sens tout petit, le reste de la cellule ne t’appartient plus, c’est son domaine à lui. Il peut mettre les pieds à terre et toi t’es toujours à penser à lui. L’autre devient vite un cauchemar. Quel a été l’effet sur vous de ce passage en prison ? Je l’ai vécu comme une coupure, la fin de quelque chose. Avant, j’avais commencé une psychanalyse, qui ne donnait pas grand-chose. J’étais toujours dans cet état de peur, de psychose, comme un animal. Après coup, je me suis dit que j’avais cherché le passage à l’acte, que je m’étais jeté dans les bras de la justice pour que ça s’arrête. J’avais toujours eu des épisodes violents, contre des objets ou contre moi, mais jamais contre des personnes. L’alcool était présent depuis longtemps aussi ? Oui, j’ai commencé à boire vers 14-15 ans. Au centre de vacances où travaillait mon père, j’avais accès aux cuisines et aux réserves du bar donc, très vite, je m’en suis servi comme d’un stimulant pour parler, un désinhibiteur.

Et si vous comparez votre vie avant et après le passage en prison ? C’est la fin de l’enfance et la fin du rêve, de l’orgueil et des illusions. Sortir de prison avec toutes les obligations qu’on doit régler, c’est comme se promener avec une étoile au front. Les deux années après ma sortie, j’étais encore très mal, avec des moments d’agressivité, mais il y a une sorte de passage qui s’est fait. Je désactive tout, je me protège de la force de mes émotions, avec un côté pénible parce que tout devient rationnel, pragmatique, utilitariste. J’ai l’impression de faire un pas après l’autre, de construire en faisant attention, en calculant les risques, en pensant à ce qui est « bien pour moi » alors que je suis très pessimiste au fond. C’est un programme que je tiens, loin de la liberté. Vous pensez que la prison est utile ? Je ne suis pas forcément contre la prison, la peine et la séparation peuvent être utiles, mais je pense qu’il y aurait des alternatives dans beaucoup de cas. En ce qui me concerne, un monastère aurait eu le même effet, et de façon beaucoup plus pacifiée ! Je me suis tenu à carreau pendant mon incarcération, parce que je n’y étais pas pour longtemps. Je ne sais pas si j’aurais tenu sur une longue peine. Mais mon problème, ce n’était pas tant la prison que l’alcoolisme et la dépression. En détention, j’ai rencontré beaucoup de clochards, des gens paumés qui n’avaient rien à faire là. Des malades de la pauvreté ou malades mentalement, qu’on a mis à l’écart pour quelques mois, mais dont on se fout profondément. Il y a toute une frange de la population qui est hors société. Mais il y a plusieurs sortes d’inaptitudes à vivre en société. Parce qu’on vit dans une société dure. La dureté, on peut l’accepter si elle a un sens. Mais si elle en n’a pas… Entretien réalisé par Sébastien Saetta et Sarah Dindo

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Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP-section française ou pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org

Le standard est ouvert de 15h à 18h

L’OIP en région Les coordinations régionales sont chargées des enquêtes sur les établissements de leurs régions. Chaque coordinateur travaille avec un réseau de correspondants et de bénévoles. Coordination régionale Nord et Ouest (DISP Lille et Rennes)

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Les groupes et correspondants locaux de Metz et Nancy assurent l’observation et l’alerte sur la prison de leur ville, en lien avec le secrétariat national.

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Pour les contacter, vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90

Qu’est-ce que l’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales chargées de l’observation des lieux de détention et composées exclusivement de membres de l’OIP.


Les ouvrages de l’OIP 66 Passés par la case prison .......... x 66 Le guide du prisonnier 2012 .......... x 66 Rapport 2011 : les conditions de détention en France .......... x La revue Dedans-Dehors 66 n° 87 « Mineurs détenus : la justice peine à résister au vent répressif » .......... x 66 n° 86 « Sortir de prison : le parcours d’obstacle » .......... x 66 n° 85 « Place aux ex-détenus dans la prévention de la delinquance » .......... x 66 n° 84 « Violences carcérales : au carrefour des fausses routes » .......... x 66 n° 83 « Projet de réforme pénale : indispensable et inabouti » .......... x 66 n° 82 « Longues peines : la logique d’élimination » .......... x 66 n° 81 « Réforme pénale : désintox » .......... x 66 n° 80 « Ils sont nous – Parcours de vie d’anciens détenus » .......... x 66 n° 79 « Expression en prison : la parole disqualifiée » .......... x 66 n° 77-78 « Nouvelles prisons : le trou noir de la pensée » .......... x 66 n° 74-75 « Politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois ».......... x Tous les prix comprennent les frais de port. Pour l’étranger, nous consulter.

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I N T E R NAT I O NA L

D E S

P R I S O N S

P R I S O N S D E S

À

l’heure où la question de la prévention et de la répression de la délinquance et du crime s’est installée au cœur du débat public, la radiographie de l’univers carcéral français réalisée par l’OIP n’est pas seulement une initiative citoyenne salutaire, elle constitue une véritable démarche d’utilité publique. En retraçant les évolutions des politiques pénales et pénitentiaires au cours de la période 2005-2011, dans toutes leurs nuances et contradictions, ce rapport permet à chacun de connaître l’usage qui est fait de l’emprisonnement et la réalité de ce qui se passe derrière les murs de nos prisons.

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3 Entrer en prison 3 Vivre en prison Le quotidien carcéral Liens avec l’extérieur Santé physique et psychique Au nom de la sécurité 3 Faire respecter ses droits

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Alors même que l’institution pénitentiaire fait l’objet d’une remise en cause permanente sur sa capacité à respecter l’État de droit et les droits de l’homme, le nombre de personnes incarcérées atteint des niveaux historiques et les plans de construction de nouvelles prisons se succèdent.

L’Observatoire international des Au terme d’un long processus d’élaboration, la loi péniprisons (OIP) est une tentiaire de novembre 2009 n’a finalement pas apporté organisation non d’avancée majeure dans la reconnaissance de droits visant gouvernementale à protéger la personne détenue. Elle vient même entériner dont l’action vise à certaines régressions, telle la mise en place de « régimes favoriser le respect différenciés ». Quant à l’injonction paradoxale faite au juge de la dignité des de systématiser la réponse « prison » (peines plancher) et personnes détenues. de transformer les courtes peines d’emprisonnement en Créée en 1996, la surveillance électronique, elle s’est accompagnée d’un section française de tournant législatif qui ajoute à des peines de plus en plus l’OIP défend les droits longues des mesures de sûreté pour les auteurs d’infracCode_OIP_2011:Codefondamentaux à barres 9/11/11 16:03 des tions les plus graves, sur la base d’une évaluation de la personnes incarcérées « dangerosité » hasardeuse et artisanale. et milite pour le développement des mesures alternatives à l’emprisonnement.

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Un livre à offrir… pour faire savoir ! Passés par la case prison, c’est le dernier ouvrage publié par l’OIP. Magnifiquement illustré par les photos de Philippe Castetbon et Dorothy-Shoes, il raconte l’histoire de huit anciens détenus. Via leurs propres mots sur leur parcours, avantpendant-après la prison. Via les textes d’écrivains qui les ont rencontrés : Olivier Brunhes, Philippe Claudel, Marie Darrieussecq, Virginie Despentes, Nancy Huston, Mohamed Kacimi, Pierre Lemaitre et Gérard Mordillat. Autant d’écritures puissantes et regards singuliers sur la prison dans une vie. C’est l’histoire de Sylvie P., qui a fait de la prison « par amour », après avoir fait évader son compagnon. Celle de Yazid K., passé du statut de « voleur » à celui de consultant en prévention urbaine auprès de municipalités, policiers… et médiateur auprès de jeunes des quartiers. Il y a encore le récit de Sacha Y., condamné dans le cadre des émeutes de 2005, qui voudrait aujourd’hui devenir avocat.

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