Dedans Dehors n°94 Justice restaurative : la fin de la logique punitive ?

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OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS / SECTION FRANÇAISE

N°94 / DÉCEMBRE 2016 / 7,50 €

Justice restaurative

LA FIN DE LA LOGIQUE PUNITIVE ? Plan contre la radicalisation Un big brother pénitentiaire

Fin de vie en prison Autopsie d’une anomalie


SOMMAIRE Publication trimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org Internet : www.oip.org Directrice de la publication Delphine Boesel Rédaction en chef Laure Anelli Rédaction Laure Anelli / Marie Auter François Bès / Romane Bonneme Sarah Bosquet / Manon Cligman Marie Crétenot / Hugues De Suremain Nicolas Ferran / Amid Khallouf Gentiane Lamoure / Cécile Marcel Mathilde Robert / Marine Tagliaferri

DÉCRYPTAGE  p. 4 Lutte contre la radicalisation : l’instauration d’un Big Brother pénitentiaire La réforme Taubira au placard

INTRAMUROS  p. 9 Genesis ou la mise en péril du secret médical en prison

ZOOM SUR  p. 36 L’UHSI de Marseille, « un quartier disciplinaire de luxe »

Infographie Camille Rosa

DOSSIER

Contributions bénévoles (recherches et transcriptions) Coralie Dion / Delphine Griveaud Mireille Jaegle / Anna Komodromou Chloé Redon / Céline Pigot Secrétariat de rédaction Laure Anelli / Sarah Bosquet Marie Crétenot / Cécile Marcel Identité graphique Atelier des grands pêchers atelierdgp@wanadoo.fr Maquette Maël Nonet, agence Barberousse barberousse-communication.fr © Photos et illustrations, remerciements à : Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille, Association « Dialogues citoyens », Island community justice society, Pascal Bastien, Bernard Bolze, CGLPL, Sébastien Erôme, Grégoire Korganow, Nicolas Krief, Michel Lemoine, Bernard Le Bars, IJC Canada, Thierry Pasquet, Frédéric Pitchal Et aux agences : Divergence-photographies et Signatures Impression Imprimerie Expressions II 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture : © Bernard Le Bars / Signatures CPPAP : 0917 G 92791

Justice restaurative

LA FIN DE LA LOGIQUE PUNITIVE ?   p. 10 ILS TEMOIGNENT

LE GRAND ENTRETIEN

« Mettre des mots sur une souffrance »

« Pour en finir avec la justice punitive »

  p. 17

  p. 26

Les rencontres détenusvictimes. Le dialogue pour s’apaiser et se reconstruire

ET AILLEURS

  p. 20 ILS TEMOIGNENT Le membre de la communauté, « un regard bienveillant »

  p. 24

Canada : une justice restaurative qui joue sur la peine

  p. 30 Belgique : quand la médiation en prison permet de dépasser les antagonismes

  p. 33


ÉDITO SOUS LE TAPIS DE LA PLACE VENDÔME

DÉCRYPTAGE  p. 40 Fin de vie en prison : autopsie d’une anomalie

ELLES TÉMOIGNENT  p. 44

par CÉCILE MARCEL, DIRECTRICE DE L’OIP–SF

Personnes trans incarcérées : isolement et humiliations

U

DEVANT LE JUGE  p. 46 Surpopulation carcérale : la CEDH statue sur l’espace minimum nécessaire à la dignité

© Bernard Le Bars / Signatures

Sanctions disciplinaires : la Cour de Cassation fragilise les automatismes du JAP

ne surpopulation au caractère « particulièrement indigne », un état d’hygiène « déplorable » avec des rats qui évoluent en masse, dont l’urine s’écoule des faux plafonds et dont le pelage, les excréments et les cadavres dégagent une « odeur persistante », un climat de tension permanente caractérisée par « un usage banalisé de la force et des violences », des pratiques de fouilles à corps qui « violent les droits des personnes détenues »… Le tableau de la maison d’arrêt de Fresnes, dressé dans des recommandations en urgence publiées par la Contrôleure général des lieux de privation de liberté Adeline Hazan, est terrifiant. Et pourtant, la situation de cette prison n’est pas nouvelle. En 2001 déjà, Marylise Lebranchu, alors ministre de la Justice, évoquait les besoins de rénovation de l’établissement. À trois reprises entre 2012 et 2013, l’OIP a fait condamner la direction pour la pratique illégale des fouilles à nu systématiques… qui persiste donc encore en 2016. Tout récemment, l’OIP saisissait à nouveau la justice face à la prolifération alarmante des rats, puces et cafards dans la prison. Aussi dramatiques soient-elles, ces conditions de détention n’ont malheureusement rien d’exceptionnel. Un tiers du parc carcéral français est considéré comme vétuste. Trente-et-un établissements pénitentiaires ont été jugés par la justice française comme exposant les personnes détenues à des traitements inhumains ou dégradants. À dix-sept reprises, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour l’état de ses prisons. Autant de condamnations et de rapports accablants qui devraient inviter à un véritable plan Marshall pour les prisons ? Pas pour le gouvernement, en tous cas, malgré l’annonce d’un plan de construction de 33 nouvelles prisons qui ne fera que grever davantage le budget d’entretien du parc carcéral actuel. Pour le reste, il prend - aux mieux des mesurettes : à Fresnes, indique le ministre dans sa réponse à la Contrôleure générale, l’administration a renouvelé armoires et tabourets, fait l’acquisition de trois nettoyeurs à haute pression, remplacé l’ensemble des caillebotis de deux divisions (ce grillage épais posé sur les fenêtres pour empêcher le jet de détritus, qui plonge les cellules dans une quasi-obscurité), ou encore rappelé au personnel le code de déontologie déjà affiché dans l’établissement. Le plus souvent, le gouvernement se contente de faire trainer, remisant sous le tapis les recommandations des instances de contrôle et tentant d’éviter toute publicité négative. Aussi, le rapport de la visite du Comité européen de prévention de la torture effectuée en novembre 2015 et transmis au gouvernement en juillet dernier attend toujours son aval pour être publié. Et pour le grand soir, il faudra revenir. Le ministre de la Justice a certes annoncé un livre blanc sur les prisons, mais il s’est tristement réduit à un « livre blanc sur la construction pénitentiaire », dont la mise en œuvre échoira… au prochain gouvernement.


DÉCRYPTAGE Isolement, mesures attentatoires aux libertés individuelles, implication (ren)forcée des personnels pénitentiaires dans le recueil d’informations… Avec son troisième plan de lutte contre la radicalisation en prison, le ministère de la Justice franchit une nouvelle étape dans une logique sécuritaire, où la détection des personnes radicalisées se fait sur une grille de critères extrêmement vaste. Tout aussi inquiétant : les personnels qui s’interrogent publiquement sur les risques de ces dispositifs sont sanctionnés par l’administration.

Lutte contre la radicalisation

L’INSTAURATION D’UN BIG BROTHER PÉNITENTIAIRE par MARIE CRÉTENOT

L

Le 25 octobre, le ministère de la Justice a présenté son troisième plan de lutte contre la radicalisation en prison. La presse titre alors « fin des unités dédiées ». Une accroche laissant penser que le regroupement dans des quartiers spécifiques des personnes détenues pour des faits liés au terrorisme dans des quartiers spécifiques était révolu, après l’agression violente de deux surveillants par l’une d’entre

4 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016

elles. Pourtant il n’en est rien. L’appellation « unité de prise en charge de la radicalisation » (UPRA) a certes disparu, mais la logique de regroupement reste bien présente : les cinq unités dédiées ne vont pas fermer. Elles vont toutes être réaffectées en « quartiers d’évaluation de la radicalisation » (QER), destinés prioritairement aux détenus poursuivis ou condamnés pour association de malfaiteurs en


© Grégoire Korganow / CGLPL

DÉCRYPTAGE lien avec le terrorisme. Deux autres QER vont s’y adjoindre à Aix-Luynes II et à Poitiers-Vivonne d’ici 2018. Et six autres unités, appelées « quartiers pour détenus violents » (1) (QDV), vont être créées au sein des bâtiments ultra-sécurisés de maisons centrales pour ceux qui seront considérés comme ayant « une propension au prosélytisme ou un profil violent ». Des prévenus et des condamnés pourront, sur des bases incertaines, y être affectés de manière discrétionnaire et sans voie de recours alors que le régime auquel ils seront soumis sera du quasi-isolement. « Les règles de sécurité les plus strictes leur seront appliquées », souligne le ministre : « fouilles régulières, changements de cellules, limitation des effets personnels... » (2). « Les réunions en cours de promenade seront évitées et ils ne disposeront que de couverts en plastiques », précise la directrice du projet « Lutte contre la radicalisation » de l’administration pénitentiaire (3). De nouveaux crans disciplinaires et sécuritaires sont donc franchis. Et d’autres mesures s’ajoutent à ce dispositif : la réservation, pour les plus « durs », de 190 places d’isolement réparties sur une cinquantaine d’établissements ; la possibilité pour les patrouilles Sentinelles de l’armée de pénétrer dans les domaines pénitentiaires ; mais aussi la constitution d’un gigantesque réseau de fichage de la population pénale, organisé autour du renseignement pénitentiaire. Objectif déclaré : détecter les risques de radicalisation en détention et alimenter en information les directions, les magistrats, les états-majors de sécurité départementaux, les préfectures et les services du ministère de l’Intérieur.

UN RESSERREMENT DU MAILLAGE PANOPTIQUE Avec ce plan, la pénitentiaire réactive, plus que jamais, son idéal panoptique : tout voir et tout savoir des personnes incarcérées. Ce qu’elles font, qui elles fréquentent et même ce qu’elles pensent, dans la perspective de repérer toutes celles qui adhèrent ou pourraient « accepter les idées de l’extrémisme violent » (4). La figure du détenu radical n’est plus la seule cible. L’administration a désormais des ambitions anticipatoires. Elle entend « remonter sur l’amont pour tenter d’identifier les individus susceptibles de s’engager dans cette forme de violence politique » (5). Et « l’ensemble des agents et intervenants des établissements pénitentiaires » sont appelés à y concourir. On les invite à suivre leur « intuition » (6), à ne pas hésiter à faire part de leur « doute ». Et, dès qu’un signalement est émis, toute une mécanique doit se mettre en branle. Le nom de la personne ciblée doit être porté à l’ordre du jour de la commission pluridisciplinaire unique (CPU) à laquelle peuvent participer tous les acteurs de la détention : le directeur, des gradés, des surveillants, des conseillers d’insertion et de probation, le délégué local du renseignement pénitentiaire, les éducateurs et psychologues recrutés dans le cadre de la lutte contre la radicalisation (dits « binômes de soutien ») (7); mais aussi, le cas échéant, le responsable de l’unité sanitaire, celui de l’unité de l’enseignement, voire des personnes extérieures à l’établissement (aumôniers, bénévoles, visi-

teur, etc.) (8). Trois jours avant la CPU, les personnels pénitentiaires en contact avec la personne sont chargés d’agréger des données à l’aide de nouvelles grilles de repérage conçues pour chaque corps professionnel (surveillants, encadrement, conseillers d’insertion et de probation). La zone de recherche est extrêmement vaste.

UNE LISTE D’INDICATEURS EXTRÊMEMENT VASTE

Ces quartiers comporteront une centaine de places.

(1)

(2) Ministère de la Justice, Sécurité pénitentiaire et action contre la radicalisation violente, 25 octobre 2016. (3) Géraldine Blin, Audition devant la CNCDH, 5 décembre 2016.

DAP, Guide d’utilisation des outils d’aide au repérage d’un risque de radicalisation violente, novembre 2016.

(4)

(5) Claire de Galembert, « Le ‘radical’, une nouvelle figure de dangerosité carcérale aux contours flous », Critique Internationale 2016/3, n°72.

DAP, novembre 2016, op.cit.

(6)

50 binômes de soutien (éducateur/psychologue) ont été recrutés depuis 2015. 40 nouveaux binômes devraient être constitués en milieu ouvert et fermé au cours du premier semestre 2017.

(7)

La liste est arrêtée dans chaque établissement par le directeur.

(8)

L’administration a intégré qu’une « pratique religieuse orthodoxe » n’est « en aucun cas un passage obligé et nécessaire » vers le radicalisme violent – comme le « prosélytisme » - mais elle ne l’exclut pas. Aussi, ces critères restent visés.

(9)

L’administration veut tout détecter. Tout catégoriser. Trouver celui qui est « dans la dissimulation », le « vulnérable et perméable à un discours radical », celui « en voie de radicalisation », celui qui « présente des signes préoccupants de radicalisation » avec ou sans « prosélytisme », celui susceptible « de passage à l’acte violent » hors ou en détention. Et, à cette fin, elle s’est constitué toute une série « d’indicateurs » qui s’ajoutent à ses critères premiers axés sur la « pratique religieuse », le « prosélytisme » ou le « refus de s’adresser à une femme » (9). Les personnels de surveillance et d’encadrement doivent « analyser la position du détenu en détention », dire s’il est « influençable », « recherche la protection de leaders » ou « tente d’exercer un ascendant » sur les autres. Ils doivent aussi être « à l’écoute » de ses discussions, noter s’il « se montre critique à l’égard de toute initiative française à l’étranger, des hommes politiques français et des choix politiques » et « être attentifs aux commentaires (…) sur des sujets plus généraux comme la Justice ». Mais aussi relever s’il fait son lit tous les jours, range ses chaussures, demande des produits d’entretien régulièrement... Les membres de l’encadrement doivent aussi mentionner si le détenu ne reçoit pas de visite, ni « aucun subside », ou si ses proches portent des « signes ostentatoires » comme un « voile intégral ». Aux yeux de l’administration, tous ces éléments, combinés à d’autres, peuvent caractériser ou laisser suspecter un risque. Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) ne sont pas en reste. On leur demande de sonder la « personnalité » des détenus et de dévoiler des aspects intimes de leurs parcours. Dire s’ils ont subi des « traumatismes durant l’enfance », ont connu une séparation précoce de leurs parents, etc. Se prononcer sur leur « attrait pour la prise de risque » ou la violence. Relever s’ils semblent « ne pas se projeter dans l’avenir » ou, à l’inverse, avoir « tendance à une surestimation » d’eux-mêmes. Et même signaler s’ils évoquent « un sentiment d’injustice »…

UN FICHAGE QUI S’OPPOSE AU TRAVAIL DE RÉINSERTION Toutes ces informations sont partagées en CPU pour établir le « diagnostic » après croisement de regards. Mais elles ont aussi vocation à alimenter le travail du renseignement pénitentiaire. Le délégué local doit en assurer la remontée à sa hiérarchie, la cellule interrégionale. Et pour chaque situation où un risque n’est pas écarté, une « fichetype individuelle » doit être transmise au bureau central du renseignement pénitentiaire. À charge ensuite au déléDÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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© Grégoire Korganow / CGLPL

gué de l’actualiser régulièrement avec le concours de tous : le prisme s’élargit encore. C’est alors tout type d’information « aussi insignifiante peut-elle paraître » (10) que leur demande de transmettre l’administration, qui requiert même des CPIP les noms des proches des détenus (famille, amis), des indications sur leur projet d’aménagement de peine ou leur lieu de sortie. Et ce, sans compter l’arsenal de techniques de captation de données (sonorisation de cellules, de parloirs ; interception de communications, écoute de l’entourage, etc.) que le renseignement pénitentiaire pourra prochainement mobiliser. (11) Avec pour principe la transmission des « informations recueillies » à une multiplicité d’acteurs extérieurs : les préfets, les services du ministère de l’Intérieur, les états-majors de sécurité, mais aussi les autorités judiciaires afin « d’éclairer » (12) leurs décisions… Le quadrillage est sans limite. Avec ce plan, la pénitentiaire tente de se trouver une légitimité, d’apparaître comme la « troisième force de sécurité » qui lutte contre le terrorisme, ainsi que le garde des Sceaux le répète à loisir. Tout en passant sous silence ce qu’admettent les représentants de l’École nationale de l’administration pénitentiaire : « La radicalisation relève d’une forme de mystification mais nous agissons aujourd’hui comme si elle était objectivée. Nous ne savons pas ce que c’est, mais nous établissons tout de même des critères pour la définir » (13). Une liste qui s’abonde constamment, avec à la clé des effets de surinterprétation, un déploiement de mesures de sécurité et de surveillance disproportionné et attentatoire aux libertés individuelles, des mécanismes d’étiquetage et d’entrave à la réinsertion.

6 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016

DES PROFESSIONNELS MUSELÉS DAP, novembre 2016, op.cit.

(10)

Un décret est en cours de préparation pour leur permettre d’user de ces techniques. (11)

(12) Note DAP, gestion et prise en charge des personnes détenues repérées comme radicalisées ou en voie de radicalisation dans les établissements pénitentiaire, 2 août 2016. (13) P. Mbanzoulou, et G. Brie, respectivement directeur de la formation et enseignant-chercheur en sociologie à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP), audition devant la CNCDH, 25 novembre 2016.

« Cochez la case djihadiste », L’Humanité, 13 avril 2016.

(14)

(15) F. Khosrokhavar, Prisons de France, violence, radicalisation, déshumanisation, surveillants et détenus parlent, Robert Laffont, octobre 2016.

Ces risques, une CPIP, Mylène Palisse, les a évoqués dans la presse, soulignant qu’avec de tels critères « tout le monde se radicalise », « chacune des failles » pouvant être « analysée dans le sens d’une prétendue radicalisation » (14). Les transmissions d’informations peuvent déboucher sur des pertes d’emploi de probationnaires ou de sortants de prison, les services de la préfecture contactant les employeurs. Mylène Palisse déplorait aussi le détournement de sa mission d’accompagnement des personnes sous main de justice et la remise en cause du secret professionnel, indispensable pour exercer ses fonctions. « Comment puis-je faire ce travail si je suis identifiée comme agent de renseignement ? », s’interrogeait-elle. Cette politique conduit, en effet, à l’introduction d’une logique de suspicion destructrice dans une relation qui a besoin de confiance pour fonctionner. Mais ces questionnements, le ministère de la Justice ne veut pas qu’ils s’expriment ; la CPIP a fait l’objet de poursuites disciplinaires pour manquement à son devoir de réserve. Et le 13 décembre, le conseil de discipline a requis à son encontre sept jours de suspension avec sursis. Enferré dans sa logique panoptique, le ministre de la Justice entend museler les professionnels qui constatent que la stigmatisation générée par ces mesures risque plutôt de renforcer le mal qu’elles prétendent contrer. Comme il refuse d’interroger la prison dans son fonctionnement même. Or, comme le rappelle le sociologue Fahrad Khoroskhavar, « si on considère l’islamisme radical comme une forme de vengeance, la prison l’encourage en raison même de la distorsion qu’elle fait subir aux relations humaines en son sein » (15). n


DÉCRYPTAGE

LA RÉFORME TAUBIRA AU PLACARD La loi du 15 août 2014 sur l’individualisation des peines avait prévu un bilan à deux ans pour évaluer l’impact de la réforme introduisant la contrainte pénale et la libération sous contrainte. Une réforme que l’OIP avait jugée dès 2014 aussi indispensable qu’inaboutie. Le 6 décembre, le ministère de la Justice a présenté son rapport au Parlement : comme attendu, l’objectif d’une promotion des alternatives et des aménagements de peines n’est pas atteint, mais il n’entend pas y remédier. Une façon d’enterrer la réforme et les ambitions qu’elle portait sans le dire.

L

L’annonce en grande pompe d’un plan de construction de 20 000 nouvelles places de prison, en prévision d’une progression de 10 % de la population détenue dans la décennie à venir, avait déjà donné le ton. Le bilan de la réforme Taubira – déposé un mois plus tard dans un coin du site internet du ministère de la Justice – le confirme. L’ambition d’un moindre recours à l’emprisonnement est enterrée et le ministère ne compte pas combler les lacunes de la loi du 15 août 2014. Ce n’est un scoop pour personne, la contrainte pénale, élément phare de la réforme, ne prend pas. Elle n’a été prononcée que 2 287 fois en deux ans, là où l’étude d’impact en prévoyait 8 000 à 10 000 chaque année. Cette nouvelle peine de probation, pensée comme une alternative à l’emprisonnement de courte durée, ne représente que 0,35 % des peines prononcées (1) dans un contexte où prédomine encore la prison. Plus d’un tiers des condamnés placés sous écrou le sont pour exécuter une peine de moins d’un an d’emprisonnement (2). Dès l’examen du projet de loi, l’OIP avait pointé les risques qu’un projet inabouti passe à côté de son objectif (3). Et en amont, le jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive avait prévenu : pour que la probation trouve un essor, il faut la rendre plus « lisible ». Et, à cette fin, mettre un terme au millefeuilles des sanctions en milieu ouvert pour les fusionner en une seule, articulable autour de trois axes : une dimension de « réparation (médiation, réparation du préjudice, travail d’intérêt général, rencontre

par MARIE CRÉTENOT

auteur-victime) », un suivi individualisé susceptible de modifier le comportement à l’origine du délit; et un travail « sur les facteurs de réinsertion (accès au logement, recherche d’emploi, formation professionnelle, accès aux soins, etc.) » (4). Cette voie, le Gouvernement et le Parlement ne l’ont pas prise, se contentant d’insérer la contrainte pénale dans l’éventail des peines en la distinguant à peine dans son contenu du sursis avec mise à l’épreuve (SME).

UN ÉCHEC PRÉVISIBLE La contrainte pénale prévoit un « accompagnement socio-éducatif soutenu » (5) assorti d’obligations et d’interdictions, pouvant consister en un travail d’intérêt général (TIG), en une obligation de se soumettre à des soins, une interdiction de fréquenter certains lieux ou personnes, etc. Soit peu ou prou la même chose que pour le SME, si ce n’est que celuici n’intègre pas le TIG et que l’intensité du suivi n’est pas soutenue par principe, mais modulable selon les situations. Dès lors, comment s’étonner que de « nombreux magistrats », comme le relève le rapport, « n’ont pas perçu [la] valeur ajoutée » (6) de la contrainte pénale ? Celle-ci est pourtant plus qualitative en divers aspects, notamment procéduraux, car, dans ce cadre, les obligations et interdictions ne sont pas prononcées

© Frédéric Pitchal / Divergence

à l’aveugle mais à l’issue d’une « évaluation de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné ». Ce bilan à deux ans était l’occasion de repenser la réforme et de suivre les recommandations de la conférence de consensus en créant une peine de probation unique, non référencée à l’emprisonnement. Mais aussi de franchir un cap en ne faisant plus de la prison la seule référence de l’échelle des peines. La loi du 15 août 2014 y invitait en prévoyant une réflexion sur « la possibilité de sanctionner certains délits d’une contrainte pénale à titre de peine principale » (7). Toutes ces options ont été balayées d’un revers de main par le nouveau garde des Sceaux. La question de la fusion des différentes peines de probation existantes n’a même pas été abordée, le ministre ayant décidé de prendre la tangente. Dans son rapport, il souligne qu’il ne lui apparait pas « pertinent », pour « promouvoir la contrainte pénale », de supprimer le SME et le sursis assorti de l’obligation DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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d’accomplir un TIG, car « certaines personnes ne nécessitent pas un suivi renforcé ». Certes… Mais le but était justement de créer un cadre individualisable, après évaluation des besoins, dans une approche plus qualitative de prévention de la récidive.

DE L’ART DE POSER LE DIAGNOSTIC SANS EN TIRER LES CONCLUSIONS Concernant la révision de l’échelle des peines, la réponse a été expéditive aussi. Le rapport conclut qu’il « n’apparait pas opportun de faire de la contrainte pénale la peine principale pour certaines infractions, en supprimant la peine de prison encourue ». Pourquoi ? Le garde des Sceaux ne développe pas. Il se borne à dire que le choix de prononcer une peine de probation doit intervenir « principalement au regard du profil de la personne poursuivie et des problématiques identifiées chez elles en lien avec sa délinquance et ce, quels que soient les faits commis ». Une manière de sous-entendre que l’emprisonnement de courte durée pour des petits délits

À peines encourues comparables, c’est-à-dire les délits passibles de moins de cinq ans de prison. Après le 1er janvier 2017, le champ de la contrainte pénale sera étendu à tous les délits, comme le prévoyait l’article 19 de la loi du 15 août 2014.

(1)

Ministère de la Justice, Les chiffres clés de l’administration pénitentiaire au 1er janvier 2015, (2)

Voir notamment, « Projet de réforme pénale : aussi indispensable qu’inabouti », Dedans Dehors, n°83, mars 2014. (3)

8 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016

pourrait avoir des vertus. Plus haut, dans son rapport, il relève pourtant que « de nombreuses études montrent que des interventions éducatives ou sociales équivalentes sont plus pertinentes lorsqu’elles sont dispensées en milieu ouvert et que les peines de probation sont plus efficaces que les courtes peines d’emprisonnement », qui donnent lieu à d’importants taux de récidive (plus de 60 %) (8). Mais il s’obstine à ne pas en tirer des conclusions. Même approche concernant la libération sous contrainte, ce dispositif censé limiter les sorties sèches de prison, facteur de récidive, et poser le principe que toute détention a vocation à s’achever par un retour progressif à la liberté. La loi du 15 août 2014 a prévu pour les condamnés à moins de cinq ans des critères allégés d’octroi d’un aménagement aux deux tiers de peine, sans qu’il ne leur soit nécessaire de présenter de projet d’insertion. Celui-ci pouvant être travaillé en milieu ouvert dans le cadre d’une libération conditionnelle, d’une mesure de

« Pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive », rapport du jury de la conférence de consensus, 20 février 2013

semi-liberté, d’un placement à l’extérieur ou sous surveillance électronique. Seulement, là encore, la mesure s’est avérée être un échec. 6 497 libérations sous contrainte ont été octroyées depuis sa mise en œuvre en janvier 2015. Soit en moyenne 309 par mois, contre 5 500 sorties « sèches » (sans accompagnement). Le dispositif s’est même accompagné d’une diminution des aménagements prononcés dans le cadre de la procédure classique, c’est-à-dire avec l’exigence d’un projet à partir de la mi-peine pour la libération conditionnelle. 17 089 aménagements ont été accordés en 2015 (soit 1 424 en moyenne par mois), contre 17 654 en 2014 (1 471 par mois) et 17 833 en 2013 (1 486 par mois). On assiste donc, en partie, à un jeu de vases communicants que le garde des Sceaux n’interroge absolument pas. La situation devrait pourtant le questionner tant en termes de lutte contre la surpopulation carcérale que de prévention de la récidive. Le taux de recondamnation diminue de plus de vingt points en cas de libération conditionnelle et d’une prise en charge adéquate en milieu ouvert (9). Or, plutôt que d’y consacrer des moyens humains et financiers, et d’oser, comme le suggèrent les organisations représentatives des conseillers d’insertion et de probation, consacrer le principe d’un aménagement systématique aux deux-tiers de peine (à l’instar de la Suède), le ministre n’offre comme perspective qu’une mesurette sans impact sur le nombre de libérations sous contrainte prononcées. Bien au contraire : il propose, pour alléger la charge de travail des magistrats et des personnels pénitentiaires, de supprimer l’exigence d’un examen en commission de l’application des peines pour « l’ensemble des personnes condamnées ayant fait connaître leur refus de bénéficier d’une libération sous contrainte »... Au terme du quinquennat, que reste-t-il de l’engagement de François Hollande de lutter « contre la fuite en avant vers le tout carcéral » qui ne « résout rien » (10) ? Pas grandchose. Le bilan est amer. n

(4)

(5)

Article 131-4-1 du Code de procédure pénale.

Jean-Jacques Urvoas, ministre de la justice, Rapport sur la mise en œuvre de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, 21 octobre 2016.

(6)

(7)

Article 20 de la loi du 15 août 2014.

DAP, Les risques de récidive des sortants de prison, Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, n°36, mai 2011.

(8)

(9)

Ibid.

Le Monde, François Hollande veut retrouver des prisons « dignes de notre pays », 15 mai 2012.

(10)


INTRAMUROS

SANTÉ

GENESIS OU LA MISE EN PÉRIL DU SECRET MÉDICAL EN PRISON Métafichier de partage d’informations, le logiciel Genesis déployé dans les prisons compromet le secret médical. Mais plutôt que marquer une opposition nette et franche, le ministère de la Santé indique aux professionnels de santé comment l’alimenter.

E

n octobre, les associations de soignants en prison, l’APSEP et

et de l’indépendance professionnelle du soignant. L’Ordre des

l’ASPMP (1), ont découvert « avec étonnement et irritation » (2)

médecins avait pourtant formellement marqué son opposition.

que leur autorité de tutelle, le ministère de la Santé, soutenait,

En décembre 2015, il avait rappelé que les professionnels de santé

dans une instruction ministérielle, l’accès « des personnels des

« n’ont pas à enregistrer dans le traitement Genesis des informa-

unités sanitaires au système d’information du ministère de la

tions concernant la santé des personnes détenues » car cette

Justice Genesis » (3). Ce logiciel pénitentiaire de partage de don-

transmission représenterait une entorse à la déontologie, mais

nées met en jeu le secret médical et l’indépendance profession-

aussi à la loi pénale. L’Ordre soulignait alors que celle-ci « ne les

nelle des personnels de santé à plus d’un titre. Les modalités

autorise pas à enregistrer ailleurs que dans le dossier médical

d’accès à ce dispositif sont d’ailleurs signifiantes : le chef d’éta-

[ces] informations. » (4)

blissement remet aux soignants des cartes à puce d’« agents

Forts de ces principes, l’APSEP et l’ASPMP ont appelé leurs adhé-

extérieurs justice » comme s’ils étaient des collaborateurs de

rents et les personnels de santé à refuser la carte à puce et

l’administration pénitentiaire. Ils peuvent aussi se voir affubler

l’accès à Genesis. Certains y parviennent, sans grande consé-

d’une adresse mail « @justice.gouv.fr »…

quence sur leur activité quotidienne. « Les changements de

Le logiciel Genesis, acronyme pour « Gestion nationale des per-

cellule restent transmis aux infirmières par des mails quotidiens.

sonnes écrouées pour le suivi et la sécurité », est une nouvelle

Les entrants sont signalés en temps réel ou le lendemain à huit

illustration de la volonté de l’administration pénitentiaire (AP)

heures », confie un médecin. Mais d’autres se heurtent à la résis-

d’assimiler les professionnels de santé. Sous le vocable de la « plu-

tance de l’AP, qui ne délivre plus d’information en dehors du

ridisciplinarité », elle les incite à s’associer à la gestion de la déten-

logiciel. « À titre personnel, je déplore Genesis, mais nous sommes

tion en transmettant des informations sur leurs patients. Gene-

contraints de l’utiliser pour connaître la position des détenus »,

sis inclut en effet une application qui les invite par des items « oui,

regrette ainsi un médecin. « Il nous est de plus en plus difficile

non, ne se prononce pas » à donner des indications sur les anté-

d’obtenir des informations pourtant évidemment utiles (date

cédents de suivi psychiatrique des personnes qu’ils rencontrent

de sortie, adresse, n° de sécurité sociale, etc.) », appuie un autre.

(hospitalisation d’office, placement en unité pour malades diffi-

Autre problème : si les soignants n’utilisent pas Genesis, les sur-

ciles, etc.), à révéler si elles ont des problématiques d’addiction

veillants des unités sanitaires, eux, le font pour communiquer

ou si elles ont eu des antécédents familiaux de suicide. Le logiciel

les listes des rendez-vous médicaux. Certaines équipes réus-

comprend aussi un « agenda partagé » que l’AP dit prévu pour

sissent à contourner le dispositif « en indiquant non pas le nom

faciliter les déplacements. Dès lors, tous les utilisateurs, quels

du médecin consulté, mais la salle où il consulte. Mais certaines

qu’ils soient, personnels pénitentiaires ou intervenants, peuvent

n’y sont pas parvenues » (5) raconte la médecin et essayiste Anne

non seulement savoir quand les personnes se rendent en consul-

Lécu. Dans tous les cas, une question reste en suspens : combien

tation mais aussi avec qui. Le logiciel, qui intègre un volet « ges-

de temps la résistance pourra-t-elle tenir sans inflexion du minis-

tion des requêtes », pourrait également emporter la fin des boîtes

tère de la Santé ?

aux lettres dédiées à recueillir les courriers que les personnes

— Romane Bonneme et Marie Crétenot

détenues destinent exclusivement aux soignants. L’AP n’en est pas à son coup d’essai pour tenter d’imposer sa notion toute pénitentiaire du « partage opérationnel d’informations » ou du « secret partagé » - soit rien d’autre que du non-secret. Seulement cette fois la digue du ministère de la Santé a sauté, oubliant que la confiance, élément fondamental d’une relation thérapeutique, ne peut s’établir sans garantie du respect du secret médical

Respectivement Association des professionnels de santé exerçant en prison et Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire.

(1)

(2)

Communiqué APSEP/ASPMP, 10 octobre 2016.

Instruction interministérielle du 4 juillet 2016 relative à la fourniture de cartes à puce « agents extérieurs justice » aux professionnels de santé. (3)

Conseil national de l’Ordre des médecins, section éthique et déontologique, circulaire n°2015-112, 8 décembre 2015.

(4)

(5)

Anne Lécu, Le secret médical. Vie et mort. Les éditions du cerf, 2016.

DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

/ 9



R E I S S O D

Justice restaurative

LA FIN DE LA LOGIQUE PUNITIVE ? Placer la réparation des préjudices au cœur de la réponse à la criminalité, c’est le principe de la justice restaurative, introduite en France dans la loi du 15 août 2014. Avec une trentaine de projets pour 2017 sur une vingtaine de cours d’appel contre cinq en 2016, elle est aujourd’hui en passe de connaître un développement exponentiel. En quoi consistent ces pratiques ? Que peut-on en attendre ? Sont-elles en adéquation avec la philosophie d’origine ? Éléments de réponse dans notre dossier.

ILS TEMOIGNENT

ILS TEMOIGNENT

ET AILLEURS

« Mettre des mots sur une souffrance »

Le membre de la communauté, « un regard bienveillant »

Canada : une justice restaurative qui joue sur la peine

  p. 17 Les rencontres détenusvictimes. Le dialogue pour s’apaiser et se reconstruire

  p. 20

  p. 24

  p. 30

LE GRAND ENTRETIEN « Pour en finir avec la justice punitive »

Belgique : quand la médiation en prison permet de dépasser les antagonismes

  p. 26

  p. 33

J

© Bernard Le Bars / Signatures

Par LAURE ANELLI

Jusque-là balbutiante, la justice restaurative semble, à l’orée de 2017, en voie de généralisation en France : vingt-cinq services pénitentiaires d’insertion et de probation, soit un quart d’entre eux, seraient engagés dans des programmes de justice restaurative, bien que la majorité n’en soit encore qu’à la phase préparatoire. De son côté, l’Institut français pour la justice restaurative (IFJR), association créée en 2013, affirme avoir formé plus de 580 professionnels de la justice et de l’aide aux victimes un peu partout en France depuis 2014, passant de trois sessions de formation à vingt-six en 2016. Trente-trois programmes de justice restaurative seraient DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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en route sur vingt-deux cours d’appel, essentiellement des rencontres condamnés-victimes [lire notre encadré].

AUX ORIGINES DE LA JUSTICE RESTAURATIVE C’est à un agent de probation canadien que l’on devrait les premières expériences de justice restaurative – aussi appelée restauratrice ou réparatrice. À la suite d’un banal fait divers, ce dernier aurait eu l’idée, en mai 1974, d’amener les deux délinquants mineurs à rencontrer leurs victimes, réinterprétant ainsi les expériences de justice communautaire qui se développaient à la même époque en Amérique du nord. De cette expérience seraient nés, en Ontario, les premiers programmes de réconciliation victime-délinquant [lire en page 30]. Le principe se serait ensuite diffusé par le biais d’organisations religieuses. Les racines de la justice restaurative seraient également à chercher en NouvelleZélande, où, à la même époque, l’on puisa dans les traditions indigènes « pour exhumer une réponse à la surpénalisation » des jeunes aborigènes, relate la chercheuse Sandrine Lefranc (1), avant que ce dispositif ne soit importé en Australie, au Canada puis aux Etats-Unis. « Mais la doxa restaurative oublie le plus souvent de mentionner qu’elle fut surtout la résultante des luttes politiques initiées dans les années 1960 aux États-Unis et qui traverseront les sociétés occidentales » (2), du combat pour les droits civiques des minorités aux revendications post-coloniales, en passant par les mouvements de soutien aux victimes d’actes criminels et par les courants de criminologie critique, qu’ils soient marxiste ou féministe... Quoiqu’il en soit, ce mouvement quasi mondial (3) n’aurait pas connu le même essor sans la contribution d’un expert américain, considéré comme le père fondateur de la pensée restaurative : Howard Zehr, pasteur responsable du développement de la médiation victime-auteur pour l’Amérique du nord.

RÉPARER PLUTÔT QUE PUNIR Howard Zher définit la justice restaurative comme « un processus qui vise à impliquer, dans la mesure du possible,

Sandrine Lefranc, « Le mouvement pour la justice restauratrice : "An idea whose time has come" », Droit et société, 2006.

(1)

(2) Jacques Faget, « Les dynamiques de transfert des idées restauratives », Raisons politiques, 2015/3 (n°59). (3) La justice restaurative est présente dans les pays anglophones (États-Unis et pays du Commonwealth), en Europe (Belgique et Pays-Bas) et dans certains pays du sud (Brésil notamment).

Howard Zher, The little book of restorative justice, 2002.

(4)

(5) Sandrine Lefranc, op.cit.

Robert Cario, « La justice restaurative : vers un nouveau modèle de justice pénale ? », AJ Pénal, 2007, n° 9.

(6)

toutes les parties concernées par une infraction spécifique, et qui cherche à identifier et à traiter de manière collective les souffrances, les besoins et les obligations, de façon à guérir et réparer autant que faire se peut » (4). Les crimes et délits sont, dans cette approche, considérés non pas comme une infraction à la loi, une atteinte à l’ordre public et à l’Etat, mais comme une atteinte aux personnes et au lien social. En outre, le choix de la réponse à ces crimes et délits n’est

LA JUSTICE RESTAURATIVE EST « UN PROCESSUS QUI VISE À IMPLIQUER, DANS LA MESURE DU POSSIBLE, TOUTES LES PARTIES CONCERNÉES PAR UNE INFRACTION SPÉCIFIQUE, ET QUI CHERCHE À IDENTIFIER ET À TRAITER DE MANIÈRE COLLECTIVE LES SOUFFRANCES, LES BESOINS ET LES OBLIGATIONS, DE FAÇON À GUÉRIR ET RÉPARER AUTANT QUE FAIRE SE PEUT ». 12 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016


DOSSIER INVENTAIRE NON-EXHAUSTIF DES MESURES DE JUSTICE RESTAURATIVE Dans une note de janvier 2016, le Secrétariat général de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (Sadjav) présente les principales mesures de justice restaurative expérimentées en France, ou en passe de l’être. Ces mesures sont supposées être applicables à tous les stades de la procédure. Pour le moment, elles sont toutes limitées à la phase post-sentencielle. • Les rencontres condamnés-victimes (RCV) et rencontres détenusVictimes (RDV). [lire page 20] Elles reposent sur un dialogue entre des auteurs d’infractions et des victimes ne se connaissant pas mais ayant été impliqués dans le même type d’affaire. C’est la mesure la plus développée en France. Seize services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) ont mis sur pieds des RCV ou projettent de le faire pour 2017, huit pour les RDV. • Les cercles de soutien et de responsabilité (CSR). Nés au Canada, ils concernent des personnes condamnées qui présentent un risque élevé de récidive, accentué par un grand isolement social. Initialement destinés aux auteurs d’infractions à caractère sexuel, ils ont été élargis à toute personne détenue en fin de peine (Cercles d’Accompagnement et de Ressources - CAR). Ils accompagnent la réinsertion sociale de l’intéressé grâce au soutien de bénévoles formés constituant le « cercle d’accompagnement », doublé d’un « cercle ressource », composé de professionnels bénévoles, qui intervient en appui du premier cercle. Ce dispositif est expérimenté depuis le début de © Thierry Pasquet / Signatures

plus le monopole de l’Etat et des professionnels du droit, mais repose sur la participation active des principaux intéressés et du corps social, à travers un processus d’échange direct – ou indirect – entre les personnes en conflit. Surtout, dans cette perspective, c’est l’objectif même de la justice qui est reformulé : « Plutôt que de se préoccuper de savoir si les "délinquants" ont reçu la punition qu’ils méritent, la justice réparatrice se concentre sur la réparation des préjudices causés par le crime. » « La justice n’a [donc plus] pour fonction de punir, de traiter ou de protéger mais de (faire) réparer ou compenser le plus possible les préjudices causés par un délit », appuie Lode Walgrave, l’un des principaux théoriciens de ce champ de recherche en construction [lire son interview page 26]. À partir de ce socle de principes communs, les approches divergent. Lode Walgrave distingue deux principaux courants : le premier, minimaliste, souligne les avantages liés aux arrangements volontaires et informels et exclut toute intervention étatique. L’ambition des minimalistes est alors d’élargir au maximum les possibilités de traitement des infractions en dehors de l’institution judiciaire. Le second courant, maximaliste, a au contraire pour objectif de coloniser la justice pénale actuelle : « en cas d’échec des délibérations, cette deuxième optique envisage le recours à des obligations prononcées par la justice classique en vue de

l’année 2014 par le Spip des Yvelines, pour des personnes suivies en milieu ouvert. Sept Spip seraient concernés par leur mise en œuvre. • La médiation restaurative ou médiation auteur/victime. Elle consiste en une rencontre, directe ou indirecte, entre la victime, et un auteur d’infraction, en présence d’un animateur formé à cette mesure, et permet d’échanger sur les conséquences et répercussions des faits commis. Une première expérimentation a été menée en 2008 par l’association Citoyens & Justice dans le cadre d’un projet européen. Une autre a été menée entre 2012 et 2014 en Indre-et-Loire, dans le cadre d’un travail universitaire, en collaboration notamment avec le service de l’application des peines du TGI de Tours. • La conférence restaurative ou conférence de groupe familial. Audelà du face-à-face entre auteur et victime d’infraction, elle propose la participation des proches et personnes de confiance de chacun d’entre eux. Elle permet ainsi d’envisager les modalités du soutien que l’environnement familial et social est susceptible d’apporter aux intéressés. Ce type de mesure serait à l’étude dans le cadre de programmes de lutte contre la radicalisation. Deux SPIP travailleraient à leur mise en œuvre. • Le cercle restauratif. Il concerne des situations ne permettant pas d’engager l’action publique (prescription des faits, faits non suffisamment constitués, ordonnance de non-lieu, relaxe ou acquittement...). Il s’agit dès lors d’offrir un espace de parole pour répondre aux nombreuses questions relatives au traitement judiciaire des faits. Aucune expérience n’a encore été menée en France.

DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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© Association Dialogues citoyens

CE QUE DIT LA LOI réparations ou compensations partielles. (…) La vision maximaliste prolonge donc l’objectif réparateur jusque dans la justice criminelle elle-même, et pénètre la sanction judiciaire », afin de lui donner une visée réparatrice plutôt qu’afflictive. Mais que ce soit dans l’une ou dans l’autre des perspectives, « la justice restauratrice incarne pour ses promoteurs "un futur où la punition serait marginalisée" » (5).

La loi du 15 août 2014 a modifié le Code de procédure pénale en y introduisant l’article 10-1, posant un cadre pour le développement des pratiques de justice restaurative en France. « À l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, la victime et l’auteur d’une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative. » « Constitue une mesure de justice restaurative toute mesure

UN PANEL DE MESURES AUX BÉNÉFICES MULTIPLES

permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infrac-

Concrètement, les pratiques de justice restaurative se déclinent à travers le monde sous trois principales formes : la médiation entre l’auteur et la victime d’une infraction, la conférence restaurative – qui réunit, en plus de la victime et de l’infracteur, les proches de l’une et l’autre et des représentants d’institutions ayant intérêt à la résolution du conflit – et les cercles de sentence, ces derniers étant élargis à tous les membres de la communauté concernée et dont le but est de s’accorder sur la détermination d’une peine. D’autres formes d’inspiration restaurative sont également pratiquées, telles que les rencontres entre personnes condamnées et victimes ne se connaissant pas mais impliquées dans un même type d’affaire – c’est la première mesure développée en France [lire page 20] – et les cercles de soutien et de responsabilité, originellement conçus pour les infractions à caractère sexuel [voir encadré].

tion de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission. Cette mesure ne peut intervenir qu’après que la victime et l’auteur de l’infraction aient reçu une information complète à son sujet et consenti expressément à y participer. Elle est mise en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet, sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de l’administration pénitentiaire. Elle est confidentielle, sauf accord contraire des parties et excepté les cas où un intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions justifie que des informations relatives au déroulement de la mesure soient portées à la connaissance du procureur de la République. »

14 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016

Environ 30 % de récidive en moins pour les participants à une médiation par rapport aux non-participants ; pour les cercles de soutien et de responsabilité, le taux de récidive est inférieur de 70 % à 83 % par rapport à celui des non-participants; pour les jeunes ayant participé à une conférence restaurative, la baisse de la récidive est de 38 % par rapport au groupe de contrôle (Source : justicerestaurative.org).

(7)


Justice restaurative

DOSSIER

« ON A TOUJOURS PENSÉ QUE CE N’ÉTAIT PAS EN ALOURDISSANT LE SORT DES INFRACTEURS QUE LES VICTIMES ALLAIENT MIEUX », OLIVIA MONS, FÉDÉRATION NATIONALE D’AIDE AUX VICTIMES ET DE MÉDIATION. Ces mesures aboutissent généralement à des accords, repris et éventuellement complétés par le juge lorsque la mesure est intégrée au processus judiciaire. Ces accords conduisent à deux types de réparation, selon que l’infraction touche une personne physique, une personne morale ou la communauté. Dans le premier cas, la réparation prend souvent la forme d’une indemnisation, qui a pour intérêt d’avoir été négociée. Dans les deux autres, elle consiste généralement en un travail d’intérêt général. D’autres modalités de réparation sont également possibles : restitution des objets volés, excuses à la victime ou à la communauté, participation à des programmes d’éducation ou de formation, programme de sensibilisation au vécu des victimes, suivi de programmes sanitaires en cas d’addiction, de thérapies spécialisées (dans les cas de violences sexuelles ou conjugales) (6)... Et les bénéfices seraient multiples. Les justiciables s’estimeraient « mieux reconnus dans leur globalité de personne ». En jouant « un authentique rôle d’acteur à la résolution du conflit », ils auraient le sentiment d’avoir pu « se l’approprier dans le cadre d’un processus équitable ». La justice rendue serait perçue comme plus équitable et respectueuse de la dignité des personnes. Responsabilisation et intercompréhension seraient aussi favorisées et « la peur du crime » fortement diminuée chez la victime. Le travail des magistrats en serait facilité et le taux d’accomplissement effectif des accords négociés amélioré. Le taux de récidive serait également beaucoup moins élevé (7). Ce alors même que les sanctions infligées aux auteurs sont globalement moins nombreuses et moins sévères, avec notamment un moindre recours aux courtes peines de prison (8).

UNE LENTE INTRODUCTION EN FRANCE Alors que le système rétributif, dominant en France depuis plusieurs siècles, n’en finit plus de montrer ses limites, la justice restaurative a de quoi séduire. D’autant que l’augmentation significative, depuis bientôt trente ans, du recours à la prison (malgré une surpopulation endémique), s’avère un échec patent : près des deux tiers des incarcérations se soldent par une nouvelle condamnation. Pour le sociologue Jacques Faget, c’est d’abord à travers la médiation – notamment pénale – que la pensée restaurative

Robert Cario, « La justice restaurative : vers un inévitable consensus », Dalloz, 2013, 1077. Voir aussi L’efficacité des pratiques de la justice réparatrice, Métaanalyse, Ottawa, Direction de la recherche et de la statistique, ministère de la Justice du Canada, 2001.

(8)

Jacques Faget, op.cit.

(9)

La question de savoir si la médiation pénale fait ou non partie de la justice restaurative fait aujourd’hui débat. Utilisée comme une alternative aux poursuites, elle ne peut être engagée que sur proposition du procureur avec l’accord préalable de la victime, et pour des petits délits. Le consentement de l’auteur est aussi requis, mais s’il n’y souscrit pas, les poursuites peuvent être engagées. À l’issue de la médiation, le procureur détermine les suites à donner. Il peut classer l’affaire ou poursuivre l’auteur des faits si aucun accord n’a été trouvé ou s’il ne le satisfait pas. Des réformes successives ont abouti à judiciarisation croissante : désormais, l’accord fait l’objet d’un procès-verbal, qui peut être utilisé par la victime devant un tribunal civil pour obtenir indemnisation.

(10)

s’est introduite en France. Elle fut expérimentée dès le début des années 1980, à l’initiative de quelques universitaires, juges, travailleurs sociaux et militants « inspirés par des expériences étrangères et par une réflexion critique de "gauche" sur le rôle de l’État et de la bureaucratie dans la vie sociale » (9), avant d’être institutionnalisée en 1993 (10). Mais la diffusion de la justice restaurative en tant que telle est surtout le fait d’une poignée de criminologues « à la position hybride, entre science et pratique » (11), recherche et militantisme, au premier rang desquels figure Robert Cario – qui fondera, en 2013, l’Institut français pour la justice restaurative (IFJR). Et c’est en adoptant plus spécifiquement le prisme des victimes que l’expert a contribué à faire advenir en France la justice restaurative. Ce dernier a en effet co-fondé l’Association pyrénéenne d’aide aux victimes et de médiation (Apavim), membre administrateur de l’Inavem, fédération nationale d’aide aux victimes et de médiation. Cette dernière, qui fut l’une des premières à expérimenter les pratiques de médiation dans les années 1980, tint un rôle clé dans l’introduction et dans l’institutionnalisation de la justice restaurative en France.

LES ASSOCIATIONS DE VICTIMES EN PREMIÈRE LIGNE Alors que la surenchère répressive de ces dernières décennies a souvent été menée au nom des victimes, le discours porté par l’Inavem dénote. « On a toujours pensé que ce n’était pas en alourdissant le sort des infracteurs que les victimes allaient mieux, explique Olivia Mons, responsable de la communication de l’Inavem. La très grande majorité des personnes que l’on accompagne ne souhaite pas que l’auteur aille 25 ans, 35 ans en prison. Elles ne sont pas dans une attitude vengeresse. Elles veulent simplement que la peine soit juste et, surtout, qu’elle aide à prévenir la récidive. À ce titre, certains auteurs d’infraction qui ont participé aux rencontres détenus-victimes nous ont confié avoir l’impression d’avoir plus avancé dans leur tête avec ces cinq séances qu’en quinze années de détention. Ça donne à réfléchir... » Des propos qui font écho à ceux que peuvent tenir MarieCécile et Jean-Paul Chenu [lire en page 16], ou encore Brigitte Sifaoui. Ces trois personnes, victimes collatérales d’un crime, ont initié un dialogue avec la personne à l’origine du DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

/ 15


mesure ne conduise à survictimiser les victimes en reformant le couple auteur-victime qui avait été séparé par la décision pénale », rapporte Olivia Mons. L’association ne s’est pas démontée et a profité d’un voyage au Canada de la ministre, en juin 2014, pour lui faire visiter le Centre des services de justice réparatrice. Une stratégie qui s’avérera payante : « Vous m’avez fait toucher du doigt qu’il faut prendre le risque de la justice réparatrice ! », aurait déclaré la ministre à son retour. Aussitôt dit, aussitôt fait : la loi du 15 août 2014 introduit un nouvel article dans le Code de procédure pénale.

À LA SAUCE FRANÇAISE, UNE VERSION AFFADIE

© Island community justice society

drame qu’ils ont vécu, adoptant avant l’heure et sans le savoir une démarche restaurative. « J’ai la conviction que ce n’est pas en faisant souffrir quelqu’un qu’il va avoir des prises de conscience et se grandir. Je crois que la demande de vengeance à l’égard d’un criminel provient davantage de personnes qui n’ont pas vécu le drame directement », confiait ainsi Brigitte Sifaoui à l’OIP en 2011 (12). La rencontre avec le meurtrier de son frère l’aurait aidée à « s’en libérer ». L’Inavem voit en la justice restaurative une modalité d’aide aux victimes. « Notre objectif est que les victimes soient reconnues, qu’elles aillent mieux, qu’elles reprennent le cours de leur vie, qu’elles ne s’installent pas dans un statut de victime. Le procès pénal, bien que nécessaire, ne leur permet pas de prendre la parole comme elles le voudraient. Les mesures de justice restaurative permettent, au contraire, la réappropriation d’une histoire par un dialogue entre victime et infracteur. »

DE L’EXPÉRIMENTATION À L’INSTITUTIONNALISATION C’est en 2007 que le secteur de l’aide aux victimes semble s’être emparé de la thématique de la justice restaurative pour la première fois, à l’occasion d’un Conseil national. Un an après, l’Inavem lui consacrait ses Assises. Un moment charnière puisqu’il fut le point de départ de la première expérimentation française de rencontres détenus-victimes menée à la maison centrale de Poissy, en 2010 [lire en page 20], associant le service pénitentiaire d’insertion et de probation des Yvelines, l’Inavem, la direction de la prison et l’Enap. En 2012, un premier pas est franchi dans l’institutionnalisation de la justice restaurative : une directive européenne (13) invite les États membres à mettre en œuvre des mesures réparatrices, tout en posant les normes minimales à même de garantir « les droits, le soutien et la protection des victimes ». Mais sa transposition dans le droit français tarde à venir... La Conférence de consensus sur la prévention de la récidive donne à cette approche, en 2013, la tribune qui lui manquait. La garde des Sceaux n’est cependant pas encore convaincue. « Christiane Taubira craignait que ce type de

16 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016

Sandrine Lefranc, op.cit. (11)

(12) « Viser la reconstruction, pas la vengeance », Dedans-Dehors n°74-75 (Décembre 2011). (13) Directive 2012/29/UE du 25 octobre 2012.

Gaëlle RabutBonaldi, « La mesure de justice restaurative, ou les mystères d’une voie procédurale parallèle », Dalloz, 2015.

(14)

(15) Robert Cario, « La justice restaurative : vers un inévitable consensus », Dalloz, 2013, 1077.

La loi donne une assise aux pratiques qui se développaient jusque-là de façon isolée et fixe le cadre nécessaire à leur généralisation. Elle ne se contente pas de reconnaître l’existant, qui se limitait à l’époque aux rencontres détenus-victimes. Elle va plus loin, en précisant que des mesures de justice restaurative peuvent être proposées « à l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure » ; et en ne désignant pas un type de mesure en particulier, elle laisse le champ des possibles ouvert. D’un autre côté, avec cette formulation, « la mesure de justice restaurative paraît aussi graviter autour de la poursuite, et plus largement autour de la procédure pénale, sans y être assimilée, et sans – semble-t-il – lui faire obstacle », relève la juriste Gaëlle Rabut-Bonaldi (14). La justice restaurative à la française semble donc se développer parallèlement à la justice pénale, conformément à la vision défendue par Robert Cario et l’IFJR. En 2013, celui-ci plaidait en effet pour une « harmonieuse complémentarité entre traitement pénal – des conséquences – et prise en compte – restaurative – des répercussions du crime » (15). De fait, les mesures de justice restaurative sont pour l’heure développées uniquement en post-sentenciel. Et les principaux acteurs du champ n’ont pas l’air très pressés d’investir le présentiel, et encore moins d’envisager de mettre en œuvre des cercles de détermination de la peine [CF page 33], dans lesquels victimes, auteurs et membres de la collectivité sont invités, aux côtés du juge, à participer à la recherche de solutions pour réparer les dommages et souffrances causés à la victime. « Dire que ça n’arrivera jamais, non. Mais pour le moment, ça paraît quand même très compliqué… », soufflet-on chez les professionnels du secteur. Dans cette perspective, le potentiel réformateur de la justice restaurative en prend un coup : l’approche complémentaire « ne permet pas de remettre en cause le système actuel et sa présomption punitive », caractérisé par le « suremploi de l’incarcération », et « réduit la justice restaurative à une sorte d’ornement », regrette le criminologue Lode Walgrave. Et l’on se retrouve finalement avec deux systèmes parallèles : l’un qui répare, l’autre qui détruit. n


[ILS TÉMOIGNENT] recueilli par SARAH BOSQUET

« Mettre des mots sur une souffrance » « N’hésitez pas à vous faire aider là où vous êtes pour ne pas rester prisonnier de la haine et de la violence. » En 2005, Marie-Cécile et Jean-Paul Chenu décident d’écrire ces mots aux meurtriers de leur fils François, un jeune homosexuel tué par trois skinheads en septembre 2002. La correspondance avec l’un d’entre eux durera trois ans. Une démarche qui s’inscrivait, sans qu’ils ne le sachent encore, dans la pensée restaurative.

C

Comment avez-vous vécu le procès des meurtriers de votre fils ?

avant, pendant et après le procès. Olivier Meyrou (1) a pris énormément

Marie-Cécile Chenu : Durant le procès, on les a beaucoup écoutés,

de temps pour venir discuter avec nous, bien avant de venir filmer

on a essayé de découvrir leur environnement social et familial, ce qui

ou enregistrer. Il a passé de nombreuses journées dans les Ardennes.

motivait leur violence et les agressions qu’ils faisaient. Le procès a

JPC : Au départ, il voulait faire quelque chose sur l’engrenage de la

été très difficile à vivre pour nous, mais aussi pour nos enfants, pour

haine, de la violence. Il avait déjà rencontré les familles, les avocats

nos amis qui étaient là. Ça a été trois jours intenses, mais il fallait

des jeunes. Son projet a évolué et finalement, il a même choisi une

que ça se fasse. C’était nécessaire parce que, même si on n’avait pas

des phrases qu’on avait dite pour le titre de son film.

d’idée de vengeance ni de haine, il fallait que la société reconnaisse

MCC : C’est un peu lui qui nous a poussés à écrire parce qu’il se rendait

ce qui avait été fait et qu’elle pose une punition. Le problème, c’est

compte qu’on avait encore des choses à leur dire. C’est lui qui nous a

qu’on n’a pas pu leur parler directement, le procès ne s’y prêtait pas.

mis le pied à l’étrier. Et puis une fois que lettre a été écrite, il a fallu

On avait encore des choses à leur dire.

qu’on l’envoie. Mais on s’est aperçu que les avocats ne savaient pas

Jean-Paul Chenu : Le président nous a quand même laissé nous

du tout où les jeunes étaient incarcérés. Il a donc fallu nous tourner

exprimer pendant la première matinée, ce qui ne se faisait pas

vers le procureur, lui expliquer notre démarche. Il a donné son feu

habituellement. Il nous a autorisé à parler de François. Donc ces

vert et la lettre a été envoyée.

jeunes ont entendu des choses. On a aussi pu parler avec la tante d’un des condamnés au moment de la délibération.

Après combien de temps avez-vous reçu une réponse ? MCC : Très vite. La lettre est partie un lundi ; le samedi on avait une

Comment vous est venue l’idée d’écrire une lettre aux meurtriers

première réponse. La rapidité de la réponse comme son contenu

de votre fils ?

nous ont étonnés.

MCC : Il nous a fallu six mois pour poser ces mots sur le papier. L’idée

JPC : L’identité de son auteur d’abord : on pensait que ce serait le

est venue au cours du processus du documentaire qui a été tourné

dernier qui répondrait. C’était lui le leader du groupe…

« CE QU’ON VOULAIT, C’EST QU’ILS NE SORTENT PAS DE PRISON PIRE QU’ILS N’Y ÉTAIENT RENTRÉS. MOI J’AI ÉTÉ VISITEUR DE PRISON, JE L’AI CONSTATÉ. C’EST DESTRUCTEUR AU POSSIBLE. » DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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Activités en prison

MCC : … Lui qui était le plus impliqué dans le mouvement skinhead.

pas d’un bon œil les échanges de courriers avec les familles. Nous,

Dans notre lettre, on leur dit qu’ils ont des qualités, qu’il faut les

on attendait, on respectait son silence. Il n’était pas question pour

découvrir et les développer. Il a réagi là-dessus. Il a dit que ça l’a

nous de relances. Par contre, on a toujours accueilli ses demandes,

beaucoup étonné qu’il n’y ait pas de haine ni de ressentiment. Il

en y répondant dans la mesure du possible.

était très touché. Il nous a écrit aussi qu’on était les seuls à lui tendre la main. Deux de ces jeunes vivaient dans des familles où il y avait

De quels types de demandes s’agissait-il ?

beaucoup de violence. Le deuxième nous a écrit aussi, mais beaucoup

MCC : Pendant la troisième année, il nous demandait si on accepterait

plus tard. On n’a reçu qu’un seul courrier de lui, il était illettré. C’était

de le voir s’il avait une permission, ou il proposait qu’on vienne le

un long courrier, intitulé Lettres – confessions. Il a dit des choses mais…

voir au parloir. Du coup, on a pris contact avec la direction du centre

JPC : On sentait bien que ce n’était pas sa façon de s’exprimer.

pénitentiaire. On a rencontré une psychologue, le directeur adjoint et un éducateur. Ils ont écouté, ils ont bien compris notre démarche. La

Vous avez donc entretenu une correspondance avec seulement

rencontre a été autorisée non pas au parloir, mais dans une salle en

l’un des trois jeunes, celui qui vous a répondu en premier. Cela

présence d’un psychologue et d’une éducatrice. Mais elle n’a finalement

représente combien de lettres ?

pas eu lieu car il n’a plus donné suite quand l’administration lui a

MCC : Pas beaucoup, sept-huit peut-être… Sur une période de trois ans.

demandé de reformuler lui-même sa demande. Le personnel nous

Il y avait toujours un délai entre les réponses. On mettait du temps à

a dit par la suite qu’il continuait une formation, qu’il avait un projet

écrire, et pour accueillir ces réponses. Il y a eu aussi une interruption

de vie, qu’il était reparti sur de bonnes bases. Il nous en a parlé aussi

de presque un an, quand il est entré en centre de formation. Il avait

dans ses lettres. Pour nous, c’était juste positif de le savoir comme

perdu l’adresse. Et le centre pénitentiaire où il était incarcéré ne voyait

ça. On se disait toujours, « c’est leur vie, c’est à eux d’en faire quelque chose », on prenait soin de ne pas trop interférer. Est-ce que vous pensez que cette correspondance a eu un impact positif sur le chemin de sa réinsertion ?

DES PIONNIERS DE LA JUSTICE RESTAURATIVE

MCC : Oui, on croit qu’il y a eu un déclic qui s’est fait... JPC : On a su qu’il y avait un retournement concret. Dès le

Par leur démarche spontanée, personnelle et en dehors de tout

premier centre de détention, il avait commencé un travail sur lui.

cadre associatif ou institutionnel, Marie-Cécile et Jean-Paul Chenu

MCC : Aujourd’hui, on n’a pas du tout de nouvelles, mais on sait

font figures de pionniers de la justice restaurative. Ils ne sont pas

qu’il travaille, qu’il a une vie de famille. C’est bien.

les seuls.

JPC : Ce qu’on voulait, c’est qu’ils ne sortent pas de prison pire

En 2005, Brigitte Sifaoui publie L’homme qui a tué mon frère, un

qu’ils n’y étaient rentrés. Moi j’ai été visiteur de prison, je l’ai

récit qui évoque sa rencontre avec l’auteur du crime. « J’ai la

constaté. C’est destructeur au possible.

conviction que ce n’est pas en faisant souffrir quelqu’un qu’il va avoir des prises de conscience et se grandir. Je crois que la demande

Et si un jour il venait à vous recontacter, vous lui répondrez ?

de vengeance à l’égard d’un criminel provient davantage de per-

MCC : On avisera à ce moment-là… Ce n’est pas si simple que ça.

sonnes qui n’ont pas vécu le drame directement »*, confiait-elle

JPC : Parce qu’on ne représente pas toute la famille, tous ceux

à Dedans-dehors en 2011. Pour elle, « le fait de rencontrer l’auteur

qui ont souffert de la mort de notre fils.

du crime peut aider à intégrer le réel ». Elle avait décidé de ne

MCC : Oui, la vie de la famille a explosé… Donc il faut faire avec,

rencontrer le meurtrier de son frère qu’une seule fois. « Il ne s’agis-

composer. Et puis… il y a quand même de la souffrance ; la mort

sait pas de créer un lien, mais de m’en libérer, car il avait été

de François, on ne pourra jamais en faire abstraction. C’est pour

omniprésent dans mon esprit. Et effectivement, cette rencontre

ça que je ne sais pas du tout ce qu’on répondra, on verra bien.

m’a énormément servi dans ma vie personnelle : beaucoup de choses se sont alors débloquées ».

Qu’est-ce que vous a apporté cette expérience de

Stéphane Jacquot, ancien secrétaire national du parti LR, fonde

correspondance ? Des réponses ? Un début d’apaisement ?

en 2010 l’Association nationale de la justice restaurative (ANJR).

MCC : Un apaisement, je ne sais pas... Mais ça a permis de

« L’idée est venue en 2007, pendant le procès qui suivit l’assassi-

mettre des mots sur une souffrance. Après le documentaire, on

nat de ma mère adoptive. C’est là qu’on a échangé avec la famille

a beaucoup témoigné, répondu à des interviews et correspondu

de l’auteur et qu’on s’est rendu compte qu’on avait pas mal de

avec des personnes détenues dans des prisons de femmes et

questions et de ressentis en commun. À l’époque, l’AP nous a

d’hommes. Ces deux démarches nous ont amenés à avancer,

découragés d’entamer une correspondance. On s’est dit qu’il y

à clarifier notre mal-être. Nos amis nous parlaient de pardon,

avait sans doute d’autres familles dans notre cas. »

mais il ne s’agit pas du tout de pardon, on n’en est pas là. Ça a donc contribué à nous permettre d’avancer, mais ça n’empêche

* Recueilli par Sarah Dindo, Dedans-Dehors n°74, décembre 2011.

pas la souffrance. JPC : En parler, ça réveille aussi la souffrance, à chaque fois… Est-ce que votre regard sur la justice pénale et les politiques

18 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016


Justice restaurative

DOSSIER

ð

Jean-Paul et Marie-Cécile Chenu sont respectivement éducateur et animatrice pastorale du diocèse de Reims à la retraite. Trois ans après le meurtre de leur fils François Chenu, ils ont accepté en 2005 de témoigner face à la caméra d’Olivier Meyrou avant, pendant et après le procès des trois auteurs du crime. © DR

carcérales a changé avec cette expérience ?

depuis que le principe de justice restaurative a été inscrit dans

JPC : Je crois qu’on en est toujours au même point. Quand j’entends

la loi de 2014…

dire « il faut recréer des places de prison », je me dis qu’on n’a rien

JPC : Oui, avec l’institutionnalisation, il n’y a plus de dynamique.

compris. On prend vraiment l’opinion dans le sens du poil, et les

Moi je crois plus à l’associatif qu’à l’institutionnel. J’ai été pendant

gens ne se rendent pas compte que ça peut arriver dans leur famille.

dix ans président d’une association en maison d’arrêt pour amener

Enfermer les gens, ça veut dire quoi ? C’est avant qu’il faut travailler,

de la culture en prison, il fallait se battre. Mais c’était important

quand ils sont en souffrance et en difficulté. Il faut faire un travail

que ce soit associatif.

de proximité, aller vers eux et essayer d’améliorer leur situation. On envoie dans le mur un tas de jeunes qui pourraient, s’ils avaient un

Où en êtes-vous aujourd’hui de votre action pour la justice

travail ou autre chose d’intéressant, si l’école les prenait en compte

restaurative ?

un peu mieux, faire quelque-chose de leur vie. Il y a un travail à faire à

MCC : On a énormément témoigné et voyagé après la sortie du

tous les niveaux, même à titre individuel. On ne tient pas compte de la

documentaire. On l’a fait encore dernièrement, mais là, je crois que

possibilité de résilience, de changement des personnes condamnées.

c’est terminé, on a mis un trait final. On n’oublie pas, mais il faut vivre

Il y a des choses possibles et il faut tabler là-dessus avant le passage

pour les enfants et les petits-enfants… Et ça nous prend beaucoup

à l’acte. Il y aurait moins de gens en prison. Et à l’intérieur, avec les

d’énergie. Et puis on préfère s’investir au niveau local. Nous sommes

gardiens il faudrait plus d’éducateurs, de travailleurs sociaux… On

très actifs dans un projet d’écohabitat participatif.

ne va malheureusement pas du tout dans ce sens-là apparemment. MCC : Il faut qu’il y ait un procès, un jugement, une condamnation.

Pour vous, quelles sont les conditions pour qu’un processus de

Et c’est vrai qu’en France, on est très limités, il n’y a que la prison

justice restaurative soit bénéfique pour les deux parties ?

finalement. On ne sait rien inventer d’autre.

JPC : Il faut laisser l’initiative aux familles et aux détenus. Nous, on a correspondu par exemple avec des détenus qui avaient lu des articles

Est-ce qu’à l’époque du procès et du début de la correspondance,

sur notre histoire et qui avaient créé un groupe de réflexion sur le

vous aviez déjà entendu parler de la justice restaurative ?

pardon. C’est venu des détenus, pas de l’administration pénitentiaire.

MCC : Non, pas du tout, c’est Stéphane Jacquot

qui nous en a

C’est comme notre démarche. C’est important de partir des envies

parlé. Il est venu à Charleville, il nous a expliqué son histoire, sa

des gens, pas de celles de l’administration. Si on leur demande « est-ce

démarche. Il avait vu le documentaire « Au-delà de la haine » qui

que ça vous intéresse ? », il y a de grandes chances qu’ils disent oui

parlait de la nôtre.

alors qu’ils ne sont pas forcément prêts, et que la démarche produise

JPC : On a témoigné, il avait trouvé que notre démarche se rapprochait

l’effet complètement inverse à celui souhaité.

de l’idée de la justice restaurative. Il a créé l’association aussitôt

MCC : Moi ce qui me semble important, c’est que ce soit bien

après, on a accepté d’être membres fondateurs de l’Association

accompagné, à la fois du côté des familles et des détenus. Et ce

nationale de la justice restaurative (ANJR) avec lui, mais on l’avait

que ce soit bien préparé. n

(2)

prévenu qu’on ne pourrait pas s’investir dans des réunions à Paris. L’association semble de toutes manières un peu en sommeil,

(1)

Le documentariste et réalisateur du film Au-delà de la haine, diffusé pour la première fois en 2005.

(2)

Ancien secrétaire général de l’UMP et cofondateur de l’ANJR (cf. encadré).

DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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LES RENCONTRES DÉTENUS-VICTIMES Le dialogue pour s’apaiser et se reconstruire Faire dialoguer ensemble des détenus et victimes qui ne se connaissent pas, mais ont pour point commun d’avoir commis, ou subi, le même type d’infraction : c’est le principe des rencontres détenus-victimes, expérimentées depuis 2010 à la maison centrale de Poissy. Une mesure importée du Québec qui a fait des petits en France, jusqu’à présent exclusivement en milieu ouvert. par LAURE ANELLI

J

« J’étais déjà allé en maison d’arrêt dans le cadre de mon travail. Mais quand vous entrez pour la première fois en maison centrale, c’est quelque-chose... » Alain Ghiloni, aujourd’hui retraité, est éducateur de carrière. Ce jour de 2014, lorsqu’il pénètre pour la première fois dans l’enceinte de Poissy, ce n’est pas pour un rendez-vous avec l’un des jeunes qu’il accompagne, mais pour y rencontrer trois détenus – « des meurtriers » – qu’il ne connaît pas. Alain, dont le fils Fabien a été assassiné en 1995, participe alors à la deuxième session (1) de rencontres détenus-victimes (RDV) organisées conjointement par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) des Yvelines et l’Inavem, fédération d’associations d’aide aux victimes. La première avait eu lieu en 2010, dans cette même prison. Une expérience qui reste à ce jour unique en France. Le principe est simple : trois détenus et trois victimes se rencontrent autour d’une table dans une salle spécialement aménagée des parloirs, à raison d’une séance hebdomadaire de trois heures, sur cinq semaines. Les uns et les autres ne se connaissaient pas avant d’intégrer le dispositif, mais ont commis ou subi le même type de faits. Condition essentielle à leur présence, détenus comme victimes participent de façon libre et volontaire à ces rencontres. Ils ne sont pas seuls : deux bénévoles, censés représenter le corps social, participent également aux échanges. Spécialement formés et sans parti pris, ils représentent l’intérêt de la société civile

20 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016

pour les participants et doivent permettre de rompre « l’opposition entre deux groupes potentiellement antagonistes » [lire page 24]. Enfin, deux professionnels de la médiation complètent le groupe, afin d’animer et « sécuriser » les discussions, en s’assurant que les règles de fonctionnement soient bien respectées.

LES ENTRETIENS PRÉPARATOIRES, ÉTAPE ESSENTIELLE Une troisième session de RDV a débuté à l’automne 2016 et n’était pas terminée au moment où nous écrivions ces lignes, si bien que nous n’avons pu rencontrer ses participants.

(1)

Le « recrutement » des participants s’est fait par le biais de l’Inavem pour les victimes et par celui du SPIP pour les détenus. Chacun a été préalablement reçu seul pour des entretiens préparatoires. « Cette étape est essentielle : se retrouver en face d’auteurs d’infraction peut être extrêmement difficile pour les victimes si cela n’a pas été suffisamment préparé, accompagné en amont. Ces rencontres doivent permettre d’apaiser, pas faire plus de dégâts », met en garde Olivia Mons, de l’Inavem. Ces entretiens servent également à s’assurer que ces personnes ne s’inscrivent pas dans une démarche haineuse ou vengeresse vis-à-vis des auteurs d’infraction qui leur feront face. Du côté des détenus aussi, ils permettent d’évaluer si la personne est prête à intégrer le dispositif. « La condition première est qu’elle ne soit pas dans le déni et reconnaisse les victimes en face d’elle en tant que telles. On essaye aussi d’évaluer si la démarche est authentique. La première façon de s’en assurer, c’est de bien


Justice restaurative

lui expliquer qu’elle n’a rien à y gagner en termes d’aménagement ou de réduction de peine », précise Sophie Ruelland, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) présente dès l’expérimentation de 2010 et aujourd’hui pilote des RDV. « Le fait qu’un détenu ait déjà abordé spontanément la question de sa victime avec son CPIP, en s’interrogeant par exemple sur ce qu’elle avait pu vivre, est un bon indice », poursuit-elle. Les personnes détenues sont, comme les victimes, préparées à ce qu’elles vont devoir affronter : « Émotionnellement, ces rencontres sont extrêmement fortes. On se met à nu devant les autres. Quand on est auteur d’infraction, on va avoir à raconter le pire qu’on ait pu faire dans sa vie, l’aspect le plus moche, le plus horrible de soi, de son passé. C’est d’autant plus le cas pour les personnes détenues à Poissy, qui ont généralement commis un crime grave. Cela demande du courage », souligne © Pascal Bastien Sophie Ruelland. Une fois la préparation achevée, CPIP et professionnels de l’aide aux victimes s’effacent et laissent la place aux animateurs. Une surveillance visuelle est assurée par un binôme CPIP-surveillant, « mais on n’entend pas, précise Sophie Ruelland. Ce qui se dit lors de ces rencontres est strictement confidentiel et appartient aux participants ».

DOSSIER

leur dire, qu’ils comprennent que nous, on est condamné à perpétuité par ce qu’ils ont fait. » Dans un seul but : « Qu’ils ne recommencent pas. » D’autres victimes y vont surtout pour « comprendre » et combler le manque d’explications ressenti durant le procès, comme en témoigne Yoon dans une vidéo de l’Inavem : le procès d’assises « ne m’a pas apporté les réponses, confie-telle. Ça a juste posé les choses, en disant "OK, vous êtes victime, il est coupable". (…) Ça ne m’a pas expliqué pourquoi, on ne m’a pas dit "je regrette" (…) J’avais besoin de comprendre qui ils pouvaient être, ce qui faisait qu’à un moment donné dans une vie, on en vient à briser d’autres vies. » La rencontre est aussi l’occasion pour les victimes de questionner les condamnés sur leur quotidien en détention et de lever certains malentendus sur la prison « quatre étoiles ».

EXPLIQUER ET COMPRENDRE Lors de la première séance, chaque participant est invité à se présenter et à évoquer les faits qu’il a commis ou subis. À partir de là, le contenu des échanges est libre. Alain Ghiloni arrivait pour sa part avec une idée très précise de ce qu’il voulait exprimer : « expliquer » tout ce qu’il n’avait « pas pu dire au procès », « la douleur, le manque, mais aussi tout ce qu’on avait traversé nous, les proches, les parents, depuis l’assassinat de Fabien, à cause du drame ». « Cela va de la question du don d’organes, à la reconstitution des faits, au procès et au passage devant la Civi (2), qui a été pour nous très violent. Et puis il y a l’impact sur le quotidien, les problèmes de santé, de travail... Ma maman est décédée deux mois après le procès, mon beau-père le lendemain de la date anniversaire du meurtre... Quand il a fallu retrouver du travail, ma femme a été confrontée à une employeuse qui lui disait qu’elle était désolée, mais qu’elle ne pourrait pas travailler en face d’elle, qu’elle ne pourrait se détacher de son histoire. Après ça, ma femme a commencé à avoir des problèmes de santé, elle n’a plus jamais travaillé... C’est tout ça aussi, les répercussions du crime. J’avais besoin de

(2) Commission d’indemnisation des victimes d’infraction.

Quant aux détenus, « au départ, ils disent y aller surtout pour les victimes », résume Sophie Ruelland. Le témoignage de Roméo dans la vidéo de l’Inavem plaide en ce sens : « Ils cherchaient des réponses. Moi, j’étais là pour les aider à les trouver, en m’aidant moi-même aussi. » Les détenus viennent aussi raconter « ce [qu’ils ont] sur le cœur, ce [qu’ils n’ont] pas pu dire », ce qu’ils vivent aussi depuis leur condamnation, la peine et ses répercussions sur leur existence, et notamment la rupture de leurs liens familiaux.

« MOINS DE CULPABILITÉ ET PLUS DE RESPONSABILITÉ » Il y a ce que les participants viennent chercher, et ce qu’ils trouvent, parfois sans s’y attendre. Si Alain Ghiloni dit y DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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« CE SONT DES DÉTENUS ET DES VICTIMES QUI ENTRENT, CE SONT DES PERSONNES QUI RESSORTENT. » avoir trouvé une forme « d’apaisement », les RDV ont permis à une autre victime « se relever », au propre comme au figuré : « Elle s’est redressé physiquement, au fil des rencontres. C’était flagrant ! », s’étonne encore Sophie Ruelland. « Certaines victimes nous ont dit avoir retrouvé confiance en elles, en l’Homme avec un grand H, mais aussi dans les hommes, ceux qu’elles avaient en face eux, et plus largement en la société », abonde Olivia Mons, de l’Inavem. Les RDV semblent être le moyen de dépasser les figures du monstre et de la victime vengeresse, comme de ne plus se réduire soi-même à l’acte commis ou subi. « Ce sont des détenus et des victimes qui entrent, ce sont des personnes qui ressortent », résume Bénédicte Préveaux, CPIP également pilote des RDV. Sophie Ruelland rapporte encore le cas d’un auteur d’infraction qui « s’infligeait des peines supplémentaires depuis son incarcération. Par exemple, il adorait dessiner. Mais pour se punir, il s’obligeait à dessiner de la main gauche, alors qu’il était droitier. En fait, il s’interdisait toute forme de plaisir. À la fin du processus, il a repris son crayon de la main droite ». Aussi, pour la conseillère, les RDV permettent aux détenus d’évoluer vers « moins de culpabilité et plus de responsabilité ». La prise de conscience des dommages causés aux vic-

(3) Un cahier des charges élaboré avec l’appui de Jean-Jacques Goulet, Catherine Rossi, professeur de criminologie à l’université de Laval au Québec, Paul Mbanzoulou, responsable du département de la recherche à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire et animateur lors des premières sessions de RDV, et Robert Cario, criminologue et fondateur de l’Institut français pour la justice restaurative (IFJR), membre de la communauté lors de la première session.

DES CPIP AMENÉS À QUESTIONNER LEURS PRATIQUES Pour Nathalie Baquié, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) dans les Yvelines, la justice restaurative a pour intérêt « de nous conduire à reconsidérer la place de la victime et à l’intégrer à nos pratiques. En faisant exister la victime dans l’accompagnement, on invite l’auteur d’infraction à se décentrer de sa propre expérience et à se responsabiliser ». Jean-Baptiste Tabi, CPIP dans le Val d’Oise, voit aussi en ces mesures un outil de prévention de la récidive. « Les personnes placées sous main de justice nous le disent : "Si je pense à la victime, je ne peux pas recommencer". Prendre en compte la victime, c’est donc déjà être en voie de sortie de la délinquance ». Il considère que la justice restaurative contribue surtout à renouer avec la recherche de l’adhésion du probationnaire. « Ces dernières années, on avait pris l’habitude de travailler avec des obligations. Mais dans ces rencontres, la participation doit être volontaire et sans contrepartie. Il faut amener le détenu à adhérer au dispositif pour qu’il l’intègre et surtout s’y maintienne sur la durée. Le travail d’accompagnement reprend tout son sens. »

22 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016

times comme les réponses qu’ils doivent leur apporter les aide à évoluer. « Cela leur permet d’assumer et de dépasser l’acte commis pour se réapproprier leur vie. C’est comme ça qu’ils vont reprendre le contrôle dessus et ne pas récidiver. Ça n’efface rien, mais ça solidifie, pour faire face aux difficultés qu’ils pourront rencontrer à la sortie. » Sur les six détenus qui ont participé aux précédentes sessions, aucun n’a récidivé, assure la conseillère. Étant donnés la faiblesse des échantillons et le peu d’années de recul, difficile cependant d’en tirer des conclusions sur l’efficacité de la mesure en termes de prévention de la récidive. C’est néanmoins aussi dans cette optique que le Spip des Yvelines s’était lancé dans l’expérimentation à la fin des années 2000.

UNE EXPÉRIMENTATION PORTÉE PAR DES PERSONNELS CONVAINCUS « C’est à François Goetz, à l’époque directeur du SPIP des Yvelines, que l’on doit le dispositif », relate Bathilde Groh, directrice adjointe du service. Ce dernier avait assisté à une conférence sur la justice restaurative organisée par l’Inavem, en 2008. Jean-Jacques Goulet, ancien coordinateur des rencontres détenus-victimes au Québec, y racontait cette expérience. Pour François Goetz, c’est le déclic. Un voyage d’étude est mis sur pied, auquel participent deux CPIP, un cadre et le directeur. Il faut ensuite deux ans à l’équipe pour mettre en place ses premières RDV, avec le soutien rapproché du spécialiste québécois. « Finalement, ces mesures innovantes sont le fruit de la volonté d’une personne, qui a su donner l’impulsion au sein de l’institution, en y emportant toute son équipe », souligne Bathilde Groh. « Ça n’a pas toujours été simple, se souvient Sophie Ruelland. On nous renvoyait qu’on jouait les apprentis sorciers, qu’on mettait en danger les victimes. On était totalement isolés. Les réajustements, on les a fait tout seuls, puisqu’on n’avait même pas matière à comparaison. L’expérience du Canada a été très soutenante. Si on a persisté, c’est parce qu’on était sincèrement convaincus de la pertinence des RDV. » Un cahier des charges a pu être élaboré (3) facilitant la mise en œuvre des sessions de 2014 et 2016. La consécration de la justice restaurative dans la loi du 15 août 2014 a néanmoins été accueillie avec soulagement par les équipes. « Elle nous a confortés dans notre pratique et a permis d’impulser une vraie dynamique nationalement, tout en laissant suffi-


Justice restaurative

samment de marge aux services pour s’autoriser à réfléchir sur la manière dont ils souhaiteraient l’intégrer à leurs activités », commente Bathilde Groh.

DES RENCONTRES CONDAMNÉS-VICTIMES EN MILIEU OUVERT L’expérience de Poissy a en effet essaimé depuis 2014, notamment en Ile-de-France. La création, cette même année, d’un service régional de justice restaurative (SRJR) au sein de l’Apcars (4), association socio-judiciaire, y est sans doute aussi pour quelque-chose : celui-ci est chargé d’impulser des partenariats afin de renforcer progressivement l’offre de mesures. Ses deux animatrices, Aude Le Roué et Héloïse Squelbut, formées à la méthode portée par l’IFJR, maîtrisent parfaitement le protocole des rencontres, désormais rodé. Quelques Spip se sont lancés à leurs côtés, faisant le choix de décliner la mesure en milieu ouvert, avec des auteurs d’infraction en probation : on parle alors de « rencontres condamnés-victimes » (RCV) (5). Le Spip du Val-d’Oise en a organisé trois sessions depuis 2014, sur des affaires de violences volontaires, vol avec violence et braquage. Le Spip du Val-de-Marne s’est lui lancé cette année autour des violences routières. Les principes sont les mêmes que pour les RDV : la démarche doit être volontaire pour victimes comme probationnaires, ces derniers doivent avoir reconnu les faits pour lesquels ils ont été condamnés et ne peuvent attendre de contrepartie à leur participation. Enfin, le contenu des échanges est confidentiel, aucun rapport n’étant fait ni au CPIP référent, ni à l’autorité judiciaire. Seule différence : les rencontres sont coanimées par l’une des animatrices du SRJR et... par un CPIP. « Dans le cadre des RCV, il est animateur, pas CPIP. Pour s’en assurer, la règle est que le CPIP-animateur ne doit avoir aucun des participants en suivi », précise Aude Le Roué.

UNE OFFRE INÉGALEMENT RÉPARTIE À l’heure actuelle, l’offre est cependant loin d’être uniforme sur le territoire national. Et encore moins s’agissant des rencontres en détention, puisque l’expérience de Poissy reste isolée. « C’est un vrai problème, ne serait-ce que par principe d’équité entre les personnes sous main de justice », souligne-t-on au Spip des Yvelines. S’il faut laisser le temps à la diffusion des pratiques et à la formation des professionnels en France et que certaines lenteurs sont inhérentes aux mesures elles-mêmes – les rencontres sont précédées d’une longue phase de préparation – les professionnels identifient aussi certains « points de blocage ». Principal problème : le manque de « candidats » du côté des victimes. Pour le SRJR d’Ile-de-France, la difficulté provient essen-

Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale.

(4)

(5) D’après l’IFJR, cinq programmes de ce type ont vu le jour en France en 2016, notamment dans l’Hérault, les Pyrénées-Atlantiques et à La Réunion.

DOSSIER

tiellement d’un défaut d’information. « Atteindre les condamnés, c’est simple, dans la mesure où c’est un public "captif". Mais pour les victimes, il y a un vrai problème d’accès à l’information : nous communiquons sur les dispositifs essentiellement par le biais du bureau d’aide aux victimes. Le problème, c’est que seulement 10 % d’entre elles s’y rendent, expliquent Aude Le Roué et Héloïse Squelbut. Et sur ces 10 %, il y a de la déperdition : parce qu’on n’a pas pu les contacter (elles n’ont pas renseigné leurs coordonnées ou en ont changé entre temps) ou parce qu’elles ne sont pas intéressées. » Pour certains, le manque de candidats victimes pourrait aussi être dû au dispositif lui-même. « On a constaté que pour beaucoup de victimes, rencontrer des condamnés qui n’ont rien à voir avec leur affaire a moins de sens que de rencontrer l’auteur de l’infraction dont elles ont été victimes. » © CGLPL

ñ

Une de cour de promenade de la maison centrale de Poissy.

Reste que, dans certaines juridictions, plus de 90 % d’entre elles ne sont simplement pas informées qu’elles en ont la possibilité, faute de relais au sein de l’institution judiciaire. Si, d’après l’IFJR, l’offre devrait se généraliser en 2017, avec 33 programmes sur vingt cours d’appel différentes, jusqu’ici, la justice restaurative semblait se développer un peu au gré des personnalités. Alors que la plupart des juridictions s’impliquent, dans d’autres, ses promoteurs rencontrent parfois plus de résistance. Aussi, pour le SRJR d’Ile-deFrance, la réticence de certains magistrats s’explique aujourd’hui par l’attente, depuis 2014, d’une circulaire qui doit poser le cadre de la mise en œuvre des mesures de justice restaurative dans les juridictions. Une circulaire à la fois attendue et redoutée par les professionnels du Spip des Yvelines. « En fixant un cadre clair, elle devrait nous sécuriser, nous permettre de sortir de l’artisanal et de parvenir à convaincre plus largement. Mais d’un autre côté, il y a le risque de perdre la marge de manœuvre qui nous avait permis de nous autoriser à faire preuve d’innovation. » n DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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DOSSIER

[ILS TÉMOIGNENT] recueilli par LAURE ANELLI

Le membre de la communauté, « un regard bienveillant » Christiane Legrand intervient dans les rencontres condamnés-victimes depuis deux ans en tant que « membre de la communauté ». Elle raconte comment elle en est venue à s’engager bénévolement dans la justice restaurative et explique son rôle au sein de ce dispositif.

C

Comment en êtes-vous venue à participer aux

© Christiane Legrand

temps – et encore, quand ils en voient un... En

rencontres condamnés-victimes en tant que

termes de réinsertion, c’est aussi très limité. Je me

membre de la communauté ?

dis qu’on dépense beaucoup d’argent bêtement.

Christiane Legrand : J’ai pris ma retraite il y a bientôt quatre ans. Auparavant, j’étais consultante en

Quel est l’intérêt de ces rencontres d’après vous ?

études de marché. Donc absolument rien à voir. Je

Pour la plupart des gens, faire dialoguer auteurs

n’avais jamais mis mon nez dans la justice. J’étais

d’infractions et victimes paraît totalement impro-

dans ma voiture quand j’ai entendu une émission

bable, presque contre-nature. Pour moi, le fait que

sur l’expérience de rencontres entre victimes et

ces gens que tout oppose puissent se parler a for-

détenus qui avait eu lieu à Poissy. A cette époque,

cément un bénéfice : cela permet de recréer du lien

j’étais en train de réfléchir à ce que je voulais faire

social, de changer les images que les uns peuvent

après, et je me suis dit : « C’est ça ! » J’ai sauté sur

avoir des autres – ou d’eux-mêmes – et cela permet

Internet en rentrant à la maison et me suis aperçue qu’il ne se passait

à tous d’avancer. Pour les victimes en particulier, je pense que ces

malheureusement rien en France en dehors de cette expérience. De

rencontres apportent un apaisement, en leur permettant de poser

fil en aiguille, je suis tombée sur l’Association nationale des visiteurs

les questions qu’elles n’ont jamais pu poser, parce que le procès est

de prison et je me suis dit : « Voilà, je vais commencer par faire ça »,

derrière elles, où parce qu’elles n’ont pas pu s’adresser directement

tout en continuant à me tenir informée sur la justice restaurative

aux agresseurs. Assez rapidement, elles se rendent compte qu’il y a

– j’ai même suivi une formation sur le sujet. Quand le Service régio-

des humains derrière la figure du monstre, c’est aussi réconfortant

nal de justice restaurative d’Ile-de-France s’est ouvert, en 2014, j’ai

de découvrir qu’on n’a pas forcément que de la haine à porter. Pour

appelé immédiatement. On m’a très vite proposé de participer aux

les auteurs, l’intérêt est de prendre conscience qu’il y a des victimes

rencontres détenus-victimes en tant que membre de la communauté.

et de mesurer ce que le délit qu’ils ont commis peut provoquer chez ces personnes. Dans les cas de violences volontaires surtout, les

En quoi votre expérience de visiteuse de prison a pu conforter

condamnés n’ont pas vraiment conscience de la lourdeur des effets

votre intérêt pour la justice restaurative ?

sur les victimes : ils n’imaginent pas que les gens, trois ans après,

Ce qui me frappe, et dont je n’avais absolument pas conscience avant

puissent encore sursauter lorsqu’ils sentent une présence derrière

de rentrer en prison, c’est à quel point mettre des gens en prison et

eux. Dans les cas des violences routières, c’est un peu différent, car

les en ressortir X années plus tard, quasiment sans aucune autre

les auteurs sont vraiment traumatisés par ce qu’ils ont fait. Ces

forme de prise en charge, est dramatique. Ce sont des personnes

rencontres leur permettent aussi de pouvoir parler d’eux et d’être

qui ont besoin d’évoluer, et la prison ne les aide pas, au contraire.

reconnus en tant qu’individu, en n’étant pas diabolisés. Et finale-

J’en ai vus pas mal qui auraient besoin d’un traitement médical ou

ment, de renouer aussi le lien avec la société - même s’ils ont déjà

d’un suivi psychiatrique, et qui ne voient un psy que de temps en

commencé puisqu’ils sont suivis en milieu ouvert.

24 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016


Activités en prison

DOSSIER

© Pascal Bastien

Et vous, en tant que membre de la communauté, quel est votre

je garde bien ma place ? ». En même temps, il faut être spontané

rôle ? En quoi diffère-t-il de celui d’animateur ?

et authentique, ce qui n’est pas très compliqué finalement, dans

Dans une rencontre, un animateur rappelle les règles et répartit la

la mesure où, franchement, l’intérêt pour les gens vient très très

parole. Mais, sauf exceptions, il ne va pas relancer sur le contenu. Nous,

vite. De temps en temps, je pose une question parce que j’ai envie

en tant que membres de la communauté, nous sommes là pour écou-

de comprendre mieux, mais j’écoute surtout. Le plus important est

ter, pour partager des ressentis ou poser des questions parce qu’on

de garder à l’esprit que c’est leur rencontre. Ils la font à leur rythme.

n’a pas très bien compris, ou qu’on aimerait bien que quelque chose

Les silences parfois sont aussi importants que les mots et en disent

soit approfondi. Ce sont donc deux rôles très différents. Nous avons

long. Par moments ça tourne en rond, mais probablement parce que

aussi la mission de prendre soin des participants. Il y a des moments

c’est trop dur d’aller plus loin.

d’accueil, des pauses, nous sommes là aussi pour aller vers eux, discuter, accompagner quelqu’un dehors s’il sort fumer une cigarette.

On lit parfois aussi le terme de « représentant de la communauté ».

On a vraiment ce rôle de lien que n’ont pas les animateurs. Les par-

Qu’est-ce que ça veut dire pour vous ?

ticipants comprennent bien que nous connaissons les animateurs

C’est vraiment une expression sur laquelle nous avons réfléchi

et que, d’une certaine manière, nous faisons équipe, mais en même

et qu’on a écartée. Elle me posait un problème de légitimité : qui

temps, on est tout autant participants. Même si ce qui les réunit ne

suis-je pour représenter autre chose que moi-même ? Pour moi, les

nous est pas arrivé, nous sommes là pour partager avec eux et expri-

membres de la communauté sont simplement des citoyens qui se

mer notre ressenti par rapport à ce qu’ils ont vécu, avec bienveillance.

soucient du lien social, de l’harmonie sociale.

Quelle est votre position ? Vous êtes une sorte d’arbitre ? D’obser-

Pour vous, qu’est-ce qu’une rencontre réussie ?

vateur neutre ?

Quand je dis que c’est quelque chose qui leur appartient, ça signifie

Nous ne sommes pas du tout là pour arbitrer. En fait, les choses se

qu’il ne faut pas se faire une idée de ce qu’ils vont en retirer, avec

font assez naturellement : c’est avant tout un échange, dans lequel

nos critères à nous. Pour quelqu’un, le fait de simplement parvenir

chacun est impliqué et porte de l’intérêt à l’autre. Ce sont de vraies

à prendre la parole devant le groupe, à poser des mots, même très

rencontres entre des personnes. Alors c’est vrai qu’on s’interroge

peu, peut être un énorme pas en avant.

toujours avant de prendre la parole : je ne veux pas m’immiscer dans les moments où ils ont besoin de se comprendre l’un l’autre. Dans

Pourquoi y participez-vous ? Que retirez-vous de ces expériences ?

ces cas-là, je n’interviens pas, je suis simplement là, avec eux. Le lan-

D’abord, je rencontre des gens très différents. Et puis ça me permet

gage du corps est vraiment important. Parce qu’il ne faut pas non

de comprendre ce qui se passe quand ces choses vous arrivent ou

plus adopter une position de voyeur : on n’est pas là juste pour les

quand vous les commettez. Surtout, j’ai plaisir à voir les gens avan-

regarder et dire « Ah d’accord, ces animaux-là fonctionnent comme

cer, et à cheminer avec eux. J’avais envie d’être aux côtés de ces per-

ça », pas du tout ! En fait on se questionne beaucoup : « Est-ce que

sonnes qui reprennent le pouvoir sur leur vie. n

DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

/ 25


LE GRAND ENTRETIEN Et si les principes de la justice restaurative pénétraient totalement notre système pénal, se substituant à l’approche afflictive qui prévaut actuellement ? C’est l’ambition de la conception maximaliste de la justice restaurative, dont Lode Walgrave, psychologue et criminologue belge, est l’un des principaux représentants. Il revient sur ses principes et fondements, et pointe les limites des approches qui prévalent actuellement en France.

« POUR EN FINIR AVEC LA JUSTICE PUNITIVE » Recueilli par LAURE ANELLI

Q

Qu’est-ce que la justice restaurative ? Lode Walgrave : C’est un champ d’intervention et de recherche encore en construction, qui voit cohabiter plusieurs définitions. On peut néanmoins énoncer certains principes communs à ces diverses approches. D’abord, dans la conception restaurative, la justice n’a pas pour fonction de punir, de traiter ou de protéger mais de (faire) réparer ou compen-

26 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016

ser le plus possible les préjudices causés par un délit. Tout délit entraîne des dommages et des souffrances, non seulement pour la victime directe, mais aussi pour sa famille, son entourage... La société, la collectivité souffrent également de l’occurrence de ce délit, dans la mesure où celui-ci érode le lien social et la confiance des citoyens entre eux, mais aussi en la loi et l’assurance qu’elle soit

respectée. L’objectif de la justice doit être de réparer les souffrances et dommages causés par le délit, le lien social, mais également de rétablir la confiance en la loi et en une société sûre et respectueuse des droits.

Comment propose-t-elle d’y parvenir, concrètement ? Les rencontres entre victimes et délinquants


Justice restaurative

DOSSIER

sont au centre de la pratique. Elles peuvent aboutir à une délibération et potentiellement à un accord sur la façon de réparer ou compenser les dommages causés à la victime et à la collectivité. Ce processus est bien plus restauratif pour la victime, pour la collectivité et pour l’auteur de l’acte que si l’on imposait simplement à ce dernier une sanction judiciaire, c’est démontré par une série encore croissante de recherches empiriques. Cela s’explique assez simplement : ces rencontres permettent un exposé approfondi de la souffrance vécue et conduisent plus facilement à l’expression authentique d’un remord, de compassion, d’excuses et de pardon que le cadre d’un procès pénal. Quand on interroge les victimes ayant participé à des médiations ou à des conférences restauratives, on constate que la très grande majorité attache beaucoup plus d’importance au dialogue, à la compréhension, au fait de constater que l’auteur de l’infraction est embarrassé, qu’il se sent coupable et qu’il est prêt à réparer ce qu’il a fait, plutôt qu’au dédommagement ou aux sanctions qui peuvent être décidés.

Vous évoquiez l’existence de plusieurs courants au sein de la justice restaurative. Quels sont-ils et en quoi divergent-ils ? On peut distinguer deux grandes conceptions de la justice restaurative. La première, dite minimaliste ou diversionniste, insiste sur le processus d’échange entre victime et auteur, qui doit avoir lieu en marge de la procédure, parfois sous mandat judiciaire, parfois en dehors du circuit pénal classique. S’il n’y a pas de délibération satisfaisante possible, la démarche a atteint ses limites et le processus est interrompu, la justice pénale prenant le

relais. Dans une deuxième conception, dite En quoi consisterait une « sanction resmaximaliste, la justice restaurative ne s’arrête taurative » ? pas dès que les rencontres volontaires s’avèrent Les travaux d’intérêt général, par exemple, impossibles ou insatisfaisantes, car plus que ont une dimension restaurative, dans la le processus, c’est l’objectif de réparation des mesure où ils permettent à l’auteur de l’inpréjudices qu’elle érige en priorité. En cas fraction d’offrir une compensation, en trad’échec des délibérations, cette deuxième vaillant pour le bien commun dans les hôpioptique envisage le recours taux, les cantines scolaires, à des obligations prononcées etc. Une sanction restaurapar la justice classique en tive est une sanction vue de réparations ou de constructive, au service de compensations partielles. la qualité de la vie sociale. Ces sanctions judiciaires L’approche punitive essaye n’offrent pas le même calibre de rétablir l’équilibre social restauratif, dans la mesure dans une démarche de venoù la médiation a échoué et geance en infligeant au délinqu’elles ont dû être imposées quant, par la punition, une par un juge, mais la portée souffrance qu’on suppose de la réparation ne se réduit proportionnelle à la gravité pas au tout ou rien. Il faut de son délit. Le taux de soufaccepter qu’il y ait des france est doublé. La JR tente LODE WALGRAVE est pronuances, des degrés de répaplutôt de rétablir l’équilibre fesseur émérite en crimiration. La vision maximaliste en s’efforçant de réduire ou nologie à l’université de prolonge donc l’objectif répamême de réparer le préjuLeuven, en Belgique. Il a été le président du Interrateur jusque dans la justice dice subi. Au lieu de doubler national Network for criminelle elle-même, et la souffrance totale, on essaie Research on Restorative pénètre la sanction judiciaire. de la diminuer. Et on compte Justice et du International Association for Criminology Selon cette vision, on serait sur l’auteur de la transgresof Youth. Ces travaux les dans un système restauratif sion pour contribuer actiplus récents portent sur les bases socio-éthiques si tous les parquets et tous vement et de façon signifide la justice restaurative les magistrats, après avoir cative à cette diminution, à et sur son contexte légal. constaté le délit, se posaient la réparation des préjudices cette question : « Qui souffre individuels, relationnels et ici et comment peut-on faire pour réduire ou sociaux causés par sa conduite. Au lieu de amenuiser la souffrance ? » La différence avec mériter une punition proportionnelle à son la justice actuelle est que l’intervention judi- acte, le délinquant doit faire un effort prociaire vise en priorité à réparer le préjudice portionnel pour contribuer à cette réparation. de la victime et de la vie sociale, pas à infliger C’est une grande différence avec la justice une peine à l’auteur. pénale classique, dans laquelle l’auteur est © DR

© Bernard Le Bars / Signatures

« LA DIFFÉRENCE AVEC LA JUSTICE PÉNALE ACTUELLE EST QUE L’INTERVENTION JUDICIAIRE VISE EN PRIORITÉ À RÉPARER LE PRÉJUDICE DE LA VICTIME ET DE LA VIE SOCIALE, PAS À INFLIGER UNE PEINE À L’AUTEUR. »

DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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passif : il se voit confronté à sa responsabilité par le système et est soumis par la justice aux conséquences de son comportement. La justice punitive fait payer le délinquant. La justice restaurative le fait aussi, mais dans un sens plus constructif.

supérieure ou égale à la punition. C’est pourtant le cas. Dans la pratique, on constate que de nombreux jeunes, confrontés à leurs victimes, comprennent que ce qu’ils ont fait est mal, beaucoup plus que s’ils passaient directement devant un tribunal.

La prison fait-elle partie de la palette de sanctions restauratives ? Il faut parfois enfermer les gens pour préserver la sécurité publique. Mais la mission de la justice ne s’arrête pas une fois qu’on a enfermé le meurtrier ; elle ne fait que commencer. Ce qui va être mis en place à partir de là est essentiel et la justice restaurative a un rôle à jouer, y compris en prison. Cependant, la justice pénale traditionnelle envoie beaucoup trop de personnes en prison. Souvent, une simple réponse restaurative aurait été bien plus bénéfique pour le délinquant et pour la société, dans la mesure où la prison aggrave les choses et que beaucoup ressortent de prison plus ancrés dans la délinquance qu’ils ne l’étaient en y entrant.

Cela suffit-il à résoudre le problème ? Pas toujours, malheureusement : même s’ils ont été très impliqués dans la mesure restaurative, ces jeunes finissent par se retrouver à nouveau confrontés aux mêmes conditions de vie, dans les mêmes quartiers, avec les mêmes copains, les mêmes familles une fois le processus terminé. Nous avons été assez naïfs pour croire qu’une rencontre de quatre heures suffisait à changer complètement une vie qui allait mal parfois dès la naissance. En réalité, la rencontre restaurative doit être complétée non seulement par l’exécution des sanctions qui ont été conclues, mais aussi par un suivi, un accompagnement social global. Il faut associer restauratif et réhabilitatif.

Mais alors pourquoi continue-t-on à enfermer, à votre avis ? Une majorité de professionnels et de la population présume qu’une réaction punitive à la délinquance est indispensable, comme si c’était une loi naturelle : il faudrait nécessairement punir pour dissuader. Ce n’est pourtant pas évident. Il n’y a qu’à voir les taux de récidive après une peine de prison pour s’en convaincre ! Malgré tout, on a du mal à s’imaginer qu’une réponse non punitive puisse avoir une intensité dissuasive

Dans cette optique, quel est le rôle de l’institution judiciaire ? Elle a d’abord le rôle de constater qu’un délit a été commis, d’établir la culpabilité et de définir la responsabilité du délinquant. À partir de là, le parquet doit donner l’occasion à des organismes de tenter une médiation entre les victimes et les délinquants, comme c’est le cas en Belgique par exemple pour les mineurs. Si le parquet veut poursuivre le délinquant devant le tribunal sans médiation, il doit le justifier et expliquer pourquoi il n’a

pas envisagé cette possibilité. Si le dossier est transmis au juge, ce dernier a là encore la possibilité de proposer une médiation. Le juge conserve alors un rôle de supervision : il contrôle que tout le monde a bien eu le droit de s’exprimer et que l’accord reste légal. Il peut aussi compléter l’accord : dans la pratique, on constate que les échanges portent surtout sur les dommages et souffrances de la victime et que la dimension publique est facilement oubliée. Le juge peut donc ajouter des obligations au service de la communauté et de l’intérêt général par exemple.

« LA RENCONTRE RESTAURATIVE DOIT ÊTRE COMPLÉTÉE NON SEULEMENT PAR L’EXÉCUTION DES SANCTIONS QUI ONT ÉTÉ CONCLUES MAIS AUSSI PAR UN SUIVI, UN ACCOMPAGNEMENT SOCIAL GLOBAL. IL FAUT ASSOCIER RESTAURATIF ET RÉHABILITATIF. »

28 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016


DOSSIER Photographie prise au tribunal de Dinan en 2010. Dans l’approche maximaliste défendue par Lode Walgrave, le système pénal reste en place. Seul son objectif change.

© Bernard Le Bars / Signatures

ï

Que deviennent les avocats ? Le droit à la défense légale est important. Le problème, dans le système actuel, c’est que les avocats sont entraînés à gagner des guerres, alors qu’ils devraient surtout avoir le souci de faire la paix. Finalement, vous vous rendez compte que les deux systèmes, punitif et réparatif, reposent sur des fondements comparables : un système spécialisé dans le traitement des crimes et délits, avec des avocats, des juges, qui doivent continuer d’avoir un pouvoir coercitif… Tout cela reste en place. Ce sont les buts qui sont différents. La médiation pénale s’est développée en France dans les années 1990 et correspond à une approche diversionniste de la justice restaurative. Depuis 2010, une nouvelle approche se développe, que ses promoteurs qualifient de « complémentaire » à la justice punitive, et se pratique essentiellement de façon post-sentencielle. Que pensez-vous de cette justice restaurative version française ? Le problème avec cette approche est qu’elle cantonne la justice restaurative à la marge du système pénal et laisse ce système, luimême très problématique, hors de sa visière. Dans la pratique, on constate que l’optique diversionniste mène à une sorte de bifurcation de la réponse à la délinquance. Cela pose

deux problèmes : d’abord, une sélection sociale se produit. On observe dans les pays qui ont adopté cette approche que les délinquants de classe moyenne, considérés comme plus « récupérables », plus « raisonnables », plus « capables » de négocier profitent davantage de la voie restaurative, alors que les autres délinquants continuent à être renvoyés vers les procédures punitives. Ensuite, le système pénal se décharge des cas considérés comme moins graves pour les renvoyer vers le restauratif, et se concentre sur ce qui dans le système est considéré comme la vraie criminalité sérieuse.

C’est plutôt positif, de retirer les petits délits du champ de la justice pénale, non ? Ça l’est, mais c’est sans considérer l’une des conséquences de cette bifurcation : le risque d’exclure les victimes de crimes sérieux du processus de justice restaurative, alors que ce sont celles qui souffrent probablement le plus et pourraient en profiter le plus. Si la justice restaurative s’inscrit en complément du système pénal et que les rencontres se font aussi en post-sentenciel, ces personnes pourront encore en bénéficier… Très certainement. Mais le problème avec cette vision complémentaire, c’est que le système punitif actuel reste en place, avec

tous ses dysfonctionnements, et surtout le suremploi de l’incarcération. Cette vision ne permet pas de remettre en cause le système actuel et sa présomption punitive, et réduit la justice restaurative à une sorte d’ornement, un accessoire très bénéfique pour la minorité qui en profitera mais qui ne changera rien à l’expérience de la justice de la majorité. Dans sa version maximaliste, la justice restaurative est une alternative à part entière à la justice afflictive, et remplace l’apriorisme actuel qui postule qu’un délit doit être puni, au profit d’une justice dont l’objectif principal est la réparation de la conséquence des délits.

Des chercheurs du domaine considèrent que ce projet est irréaliste. Que leur répondez-vous ? Tout comme la justice des mineurs ne s’est pas faite en un jour, on ne passera pas au paradigme restauratif en un claquement de doigts. La justice punitive existe depuis des siècles, et se présente comme une institution indispensable pour maintenir l’ordre public tout en prenant en compte les droits des citoyens. Si ce système fonctionnait bien, il n’y aurait aucune raison de réfléchir à autre chose. Mais il ne fonctionne pas. La justice pénale se trouve face à une crise de légitimité, tant sur le plan pratique, empirique, que dogmatique. Toutes les grandes traditions éthiques et spirituelles condamnent l’infliction intentionnelle de souffrances à autrui. D’un point de vue pratique, la recherche a démontré clairement que l’existence et l’application d’un droit punissant ne produit pas de résultats positifs systématiques. Bien au contraire. L’accent trop unilatéral sur la répression conduit surtout à plus de coûts humains et financiers, plus d’exclusion sociale, plus d’amertume, moins d’éthique, moins de sécurité et une moins bonne qualité de vie sociale. Le discours et le fonctionnement complet de la justice pénale actuelle montrent de graves défauts de conception. Il faut le refonder et tendre vers le modèle restauratif, même si l’atteindre complètement un jour peut sembler relever de l’utopie. n DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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ET AILLEURS Pays pionnier en matière de justice réparatrice, le Canada a vu se développer une mosaïque de structures organisant des rencontres entre auteurs d’infraction et victimes. Zoom sur la province d’Ontario, dans laquelle un projet innovant propose d’aller au-delà d’un simple face-à-face. Un dispositif qui semble avoir un réel impact sur la détermination de la peine.

Canada : une justice restaurative qui joue sur la peine Par GENTIANE LAMOURE et SARAH BOSQUET

U

« Une vieille idée avec un nouveau nom » : c’est ainsi que l’université de criminologie Simon Fraser décrit la pratique canadienne de la justice restaurative (aussi appelée réparatrice). Une idée que l’on devrait aux premières nations d’Amérique du Nord. Afin de résoudre les conflits qui pouvaient les traverser, celles-ci avaient recours à des cercles de

30 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016

parole auxquels chacun des membres de la communauté était invité à participer, autour de l’auteur et de la victime. Dans la culture indigène, la délinquance est « entendue comme l’expression de l’éloignement de l’individu de sa communauté d’origine » et l’on considère « qu’il est de la responsabilité de tous d’aider à la reprise de cette relation »,


© Commission Internationale de Juristes du Canada (ICJ Canada)

Justice restaurative

analyse en 2008 une étude du ministère de la justice française (1). Une définition qui sera au fondement de la justice réparatrice. À cet héritage s’ajoute plus tard l’influence du protestantisme, et notamment du mouvement mennonite (2). Une « petite histoire » serait à l’origine de la diffusion du concept : en 1974, un agent de probation chrétien propose à un juge d’organiser une conciliation entre deux jeunes ayant vandalisé des propriétés suite à une soirée trop arrosée et leurs victimes. Pour la politiste et sociologue Sandrine Lefranc (3), ce « récit des origines » permet surtout « d’unifier ce qui n’est que l’un des avatars de la rencontre de mobilisations variées, sinon incompatibles : des groupes féministes, des revendications indigénistes, des mouvements religieux dissidents, etc. ». Depuis, si le système canadien reste centré sur une approche punitive, de nombreux programmes de rencontre entre auteurs et victimes ont émergé, notamment pour les personnes issues des communautés autochtones, surreprésentées dans les prisons canadiennes. En 2001-2002, ils représentaient environ 18 % des détenus, « alors qu’ils ne constituent que 2 % de la population canadienne » note la sociologue et criminologue Mylène Jaccoud. (4)

« Inventaire des dispositifs et des procédures favorisant les rencontres entre les victimes et les auteurs dans le cadre de la mise en œuvre de la justice restaurative », 15 juillet 2008.

(1)

(2) Un courant évangélique anabaptiste. (3) Lefranc Sandrine, « Le mouvement pour la justice restauratrice : ‘an idea whose time has come’ », Droit et société, 2/2006 (n°63-64), p. 393-409.

Jaccoud, M., 2006, Les cercles de sentence au Canada, Les cahiers de la justice, No 1, Revue semestrielle de l’École nationale de la magistrature (ENM), Paris, Dalloz.

(4)

DOSSIER

ment diverse : certaines sont spécialisées dans la résolution de conflits, d’autres s’occupent uniquement de contrevenants mineurs... L’animation des rencontres peut y être effectuée autant par des travailleurs sociaux professionnels que des bénévoles. Dans la province d’Ontario, les premières retombées d’un projet de « justice coopérative » initié non pas par des associations mais « par le haut » semblent plutôt positives.

UN IMPACT SIGNIFICATIF SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE Depuis 1998, le palais de justice d’Ottawa accueille le « Projet de Justice Coopérative » (PJC), initié par le Conseil des Églises pour la justice et la criminologie. Dans ce cadre, « c’est comme si l’affaire était temporairement soustraite au processus pénal habituel et prise en charge par un système parallèle de justice réparatrice, avant d’être renvoyée au système traditionnel », explique en 2005 un rapport d’évaluation du projet. Particularités de ce projet pilote : intégrer les crimes les plus graves, comme des agressions sexuelles, mais aussi développer le soutien et le renforcement du « pouvoir d’agir »

MÊME SI DES DÉLINQUANTS ONT REÇU UNE PEINE PLUS CLÉMENTE, IL NE FAUT PAS EN CONCLURE QU’ILS S’EN SONT « TIRÉS À BON COMPTE ». Ces programmes, souvent gérés par des associations (parfois religieuses), mais aussi par la police ou des services de probation, ont peu à peu mené à l’institutionnalisation relative de la justice restaurative. En 1988, un rapport parlementaire recommande (5) la promotion du concept et des expériences permettant la réconciliation entre auteurs et victimes. Le Code Pénal canadien fixera en 1996 des objectifs liés au prononcé des peines (assurer la réparation des torts causés et susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants) et pose le cadre général de l’utilisation de mesures extrajudiciaires en cas de poursuites. En 2003, une loi sur le système de justice pénale encourageant le recours à la justice restaurative pour les adolescents entre en vigueur. La province du Manitoba a elle voté en 2014 une loi permettant le recours à des mesures de justice réparatrice à tout stade de la procédure (dans le cas d’infracteurs adultes). En parallèle, chaque province canadienne ayant compétence en matière d’administration de la justice a développé ses propres programmes, à l’échelle d’une province ou d’une collectivité. Les structures organisant les rencontres, leurs modes d’actions et leurs objectifs sont de nature extrême-

(5) Nommé « rapport Daubney ».

des personnes concernées. L’équipe est constituée d’agents formés à la médiation et à la résolution des conflits. Les dossiers renvoyés vers ce programme par le juge, le ministère public, les avocats de la défense ou les services de probation doivent remplir trois conditions : l’infraction doit être passible d’une peine d’emprisonnement, la victime doit accepter de participer au programme et le contrevenant doit reconnaître sa responsabilité. Le tribunal ajourne alors l’instruction pour permettre l’organisation d’une rencontre. Si le contrevenant et la victime souhaitent participer au programme sans se rencontrer, des échanges écrits ou vidéos intermédiés par un travailleur social peuvent être envisagés. Lorsqu’une rencontre a lieu, elle prend habituellement la forme d’une table ronde à laquelle peuvent aussi participer les proches de la victime et du contrevenant. La rencontre est censée permettre à ce dernier d’exprimer des regrets, de présenter des excuses, de poser des questions ; et à la victime d’obtenir des informations, d’expliquer l’impact que le crime ou le délit a pu avoir sur elle, de se sentir active dans le processus de décision. Les responsables du projet rédigent ensuite un rapport incluant un « plan de réparation », un ensemble de mesures devant permettre la réinDÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

/ 31


LA « COMMUNAUTÉ » INTÉGRÉE DANS LE PROCESSUS DE JUSTICE RÉPARATRICE : L’EXEMPLE DES CERCLES DE SENTENCE En 1992, Phillip Moses, né dans une communauté autochtone du

de la peine. Pour Mylène Jaccoud (1), chercheure à l’université de Mon-

nord du Canada, est accusé d’avoir tenté d’agresser un policier.

tréal, il permet aussi une « connaissance plus approfondie de la réa-

Élevé dans la violence et l’alcoolisme, le jeune homme de 26 ans

lité » et « contribue à réduire l’écart entre les justiciables et les justi-

n’en est pas à son premier délit et risque la prison. Mais dans son

ciers ». Mais Jaccoud insiste aussi sur les limites d’une telle procédure

jugement sur l’affaire, le juge Barry Stuart

: comme d’autres mesures de justice res-

décide alors de mettre en place une pro-

taurative, ces programmes sont soumis

cédure originale : un cercle de détermi-

au pouvoir discrétionnaire du juge, qui

nation de la peine, aussi appelé « cercle

n’est pas tenu d’accepter le renvoi à un

de sentence ». Un processus qu’il dit

cercle de détermination de la peine, ni de

directement inspiré des coutumes autoch-

tenir compte des résultats du cercle (qui

tones de résolution des conflits. Depuis,

peut avoir préconisé des mesures répa-

l’idée a essaimé dans plusieurs provinces

ratrices ou punitives). Au Canada, les

du Canada, mais aussi aux États-Unis

cercles restent peu utilisés, et le plus sou-

ou en Australie.

vent pour des délinquants autochtones.

Les cercles de sentence ne constituent

Outre la lenteur du processus (deux à huit

pas une mesure alternative au système pénal, mais font bien partie

heures pour un cercle, plusieurs mois pour fixer la décision finale),

du processus judiciaire. Leur mise en œuvre, demandée par le juge,

Mylène Jaccoud remarque aussi que les cercles, censés permettre

mobilise les victimes, auteurs, des « membres de la collectivité », mais

une prise de décision égalitaire, restent néanmoins traversés par des

aussi du personnel de la justice pénale. Ainsi, policiers, avocats, Minis-

rapports de domination et ne suffisent pas à gommer l’influence des

tère public, et juges peuvent faire partie de ces cercles, dans lesquels

leaders communautaires.

la présence des victimes n’est pas obligatoire. L’objectif du collectif est de trouver un accord sur la sentence qui doit être prononcée et donc, dans un second temps, de guider le juge dans la détermination

tégration dans la société des deux parties. Un rapport dont le juge doit tenir compte lors du prononcé de la peine (6), qui peut avoir lieu plusieurs mois plus tard. Le traitement des affaires par le PJC peut déboucher sur une palette de mesures (travaux compensatoires, dédommagement, traitement…) qui pourront être avalisées ou/et modifiées par le juge dans un second temps. S’il est difficile de dresser un bilan récent de ce programme, une première évaluation officielle a permis en 2005 de montrer que la majorité des plans de réparation (7) étaient validés par la Cour, même si, dans la plupart des cas, celle-ci a ajouté des éléments. D’après cette étude, 95 % des contrevenants participant au projet avaient le sentiment que justice avait été rendue, ainsi que 78,8 % des victimes – un taux de satisfaction plus élevé que dans un groupe témoin passé par la justice pénale classique. Un résultat qui doit être relativisé par un biais statistique : les personnes sélectionnées étaient initialement volontaires pour participer à l’expérience. Autres chiffres intéressants relevés par les chercheurs : dans ce panel, la victime et le délinquant se sont rencontrés dans la moitié des cas seulement, et moins de la moitié (47,3 %) des victimes contactées ont accepté de participer au PJC. « Les deux raisons invoquées le plus souvent pour justifier leur refus de participer étaient qu’elles avaient le sentiment de s’être déjà remises de l’incident et qu’elles ne voulaient pas communiquer avec le délinquant ». Le rapport souligne aussi l’asymétrie des besoins entre les victimes et les auteurs : les premières auraient en effet de

32 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016

(1) Jaccoud, M., 2006, Les cercles de sentence au Canada, Les cahiers de la justice, No 1, Revue semestrielle de l’École nationale de la magistrature (ENM), Paris, Dalloz.

plus fortes attentes que les seconds. Certaines victimes auraient en outre été motivées par l’expérience en pensant qu’elle pourrait solutionner des problèmes relevant moins de la justice réparatrice que de la compétence spécifique des structures d’aide aux victimes.

PEU DE PEINES DE PRISON PRONONCÉES

Pour en savoir plus, voir : www. collaborativejustice.ca.

(6)

Les plans et les ententes de réparation établis prévoyaient notamment des travaux compensatoires, un dédommagement, un traitement ou une intervention, des études et la conservation d’un emploi.

(7)

Dans la même évaluation, on apprend surtout que si la plupart des délinquants étaient passibles de prison au début de leur participation au PJC, peu d’entre eux se sont vu imposer une peine d’emprisonnement à la fin de leur participation. « Même si des délinquants ont reçu une peine plus clémente, il ne faut pas en conclure qu’ils s’en sont "tirés à bon compte" : en fait, faire face à sa ou à ses victimes et tenter de réparer le tort causé peut être plus pénible que de purger une peine d’emprisonnement », notent les rapporteurs. Enfin, s’il appelle à de nouvelles évaluations, le rapport souligne certains effets bénéfiques du projet par rapport au système pénal traditionnel, comme par exemple une « légère influence favorable » sur la diminution de la récidive. Si l’expérience d’Ottawa est innovante, sa portée, comme celle d’autres expériences canadiennes, est à relativiser. Au Canada comme ailleurs, encore peu d’affaires bénéficient de mesures de justice restaurative. Leur utilisation reste soumise au pouvoir discrétionnaire du personnel judiciaire (police, juge, ministère public, avocats ou agents de probation selon les cas) – et à l’accord des parties civiles, qui est loin d’être toujours gagné. n


Justice restaurative

DOSSIER

Belgique

Quand la médiation en prison permet de dépasser les antagonismes Depuis 1998, l’association Médiante organise en Belgique francophone des médiations restauratrices, rencontres directes entre un auteur d’infraction et sa ou ses victimes. Les médiations peuvent être lancées à tous les stades de la procédure pénale et pour tous types de crimes et délits, en lien avec l’autorité judiciaire. Antonio Buonatesta, directeur de Médiante, tire le bilan de plus de quinze années d’expériences.

L

La loi de 1994, qui a introduit la médiation pénale en Belgique, en limitait le recours à une alternative aux poursuites pénales pour des faits de moindre gravité. Comment la pratique de la médiation a-telle fait évoluer la loi ? Antonio Buonatesta : Dès le début des années 1990, des médiations menées avec des mineurs en Belgique francophone ont démontré que les victimes pouvaient avoir besoin de dire des choses à l’auteur, quelle que soit la gravité des faits en cause. Dans la partie néerlandophone, l’université de Louvain a entamé des expériences de médiation sur des dossiers qui avaient été renvoyés devant le tribunal, en collaboration avec le parquet et les juges d’instruction. La convergence des résultats de ces différentes expériences de terrain a permis l’émergence, en 1998, d’un projet national visant à développer ces pratiques. La loi de 2005 est une

Recueilli par MARINE TAGLIAFERRI © DR

reconnaissance du bilan sible d’appliquer la médiation positif de ce projet. dans des dossiers plus lourds, Ces expériences pilotes s’insc’est parce que nous avons crivaient par ailleurs dans pu montrer l’intérêt que la un contexte particulier, victime peut trouver dans notamment après l’affaire ce processus. Nous l’avons Dutroux. Les autorités judifait notamment dans des ciaires ont voulu faire évoluer affaires très médiatisées, qui les pratiques pour une meilavaient suscité l’horreur leure prise en compte des auprès du public, avec une ANTONIO BUONATESTA est directeur de l’associavictimes dans la procédure victime qui a pu exprimer tion Médiante. pénale. Des politiques tourpubliquement le bilan posinées vers les victimes ont tif qu’elle avait retiré du prodonc été développées, mais indépendamment cessus de médiation mis en place. du processus de justice restauratrice. Le fait que la médiation puisse aussi répondre aux Comment la loi de 2005 redéfinit-elle la intérêts des victimes ne paraissait pas aussi pratique de la médiation ? évident. La vision de la médiation était encore La grande différence introduite par cette très liée à la médiation pénale, conçue essen- nouvelle loi par rapport à celle de 1994, c’est tiellement pour donner une réponse judi- qu’elle a consacré la médiation comme un ciaire plus adaptée à l’auteur. S’il a été pos- service accessible à tous les stades de la procédure judiciaire, et donc y compris en cas de poursuites. Il n’y a plus de limites sur le En Belgique, les premières expériences de médiation ont été mises en place dans les années type d’infraction pouvant donner lieu à un 1990, à destination de délinquants mineurs. La médiation dite pénale est ensuite introduite processus de médiation, et tout le monde dans la justice des adultes par la loi du 10 février 1994. Elle n’y est alors définie que comme peut en faire la demande, alors que dans le une alternative à l’action en justice et reste limitée aux faits de moindre gravité. À la même cadre de la loi de 1994, seul le Procureur du période, des associations belges démontrent cependant la pertinence de la médiation auteurroi pouvait proposer de mettre en place une victime quelle que soit la gravité des faits, à travers des expériences de terrain dans le cadre mesure de médiation. Or nous n’aurions d’un projet national. À leur suite, des initiatives visant à promouvoir la justice restauratrice en milieu carcéral voient le jour. Les résultats positifs de ces expériences sont entérinés par jamais pu organiser des centaines de médiala loi du 22 juin 2005, qui permet l’ouverture d’une mesure de médiation à tous les niveaux tions par an entre détenus et victimes si nous de la procédure pénale, quelque soient les faits reprochés à l’auteur. Cette nouvelle approche avions dû dépendre de la proposition d’un est qualifiée de médiation « restauratrice ». magistrat. Il n’y aurait jamais pensé. DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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« QUAND NOUS ABOUTISSONS À DES ACCORDS ENTRE LE DÉTENU ET LA VICTIME, ILS SONT TRANSMIS AU TRIBUNAL D’APPLICATION DES PEINES. ILS PEUVENT ÊTRE TRADUITS EN CONDITIONS DE LIBÉRATION CONDITIONNELLE. » Médiante met en place des médiations restauratrices depuis plus de quinze ans maintenant. Quel bilan tirez-vous de vos actions aujourd’hui ? Nous mettons en œuvre entre 1000 et 1200 médiations par an pour l’ensemble des arrondissements francophones, c’est un bilan honorable. 10 % de nos actions concernent des faits de meurtre et 10 % des agressions sexuelles. Cela démontre qu’il y a un vrai besoin de la part des victimes sur des faits particulièrement graves. Malgré cela, nous ne rencontrons pas la collaboration que nous aurions pu attendre au niveau des services d’accueil des victimes. Ils restent encore sur l’idée que la médiation revient à jeter la victime dans les bras de l’auteur. Nous menons tout un travail de sensibilisation mais c’est laborieux. Et cela se traduit dans les chiffre : la majeure partie des demandes de médiation est relayée par des services opérant avec des auteurs, contre seulement 15% de demandes transmises par des services d’aide aux victimes. Nos résultats montrent pourtant bien qu’il y a un besoin inexploré, d’autant que lorsque l’offre de médiation est faite aux deux parties par une instance judiciaire, nous obtenons pratiquement le même taux de réaction de la part des victimes et des auteurs. Sur ce

plan, nous nous heurtons à des difficultés en ce qui concerne l’information systématique des parties sur l’offre de médiation. L’expérience avait démontré l’efficacité de l’envoi d’un courrier tant à l’auteur qu’à la victime dès que la décision d’entamer des poursuites pénales était prise. Mais pour des raisons de coût, il a été décidé que ces courriers seraient envoyés en même temps que d’autres, notamment ceux de convocation à l’audience. Cela laisse peu de temps à la médiation pour aboutir à un accord écrit entre les parties.

Ces accords sont-ils pris en compte par les juges quand ils rendent leur décision ? Dans les premiers temps, on a pu constater que les engagements pris au cours de la médiation étaient généralement transformés en conditions probatoires par le juge au moment de sa décision. C’est plus difficile maintenant d’évaluer l’influence de nos pratiques de médiation sur la décision judiciaire, étant donné que nous avons de moins en moins le temps de finaliser des engagements visibles pour le juge. Mais nous contribuons toujours à l’apaisement entre les parties avant l’audience. Et si ce n’est pas visible au niveau de la décision, cela joue sur la sérénité des débats.

HISTOIRES DE MÉDIATIONS RÉUSSIES Un père condamné pour le meurtre de sa conjointe qui finit par renouer avec sa fille, deux voisins qui se réconcilient après s’être agressés physiquement, un homme politique * qui réussit à faire avouer leur crime aux meurtriers de sa fille… En Belgique, les exemples de médiations réussies ne manquent pas. Dans un article publié en 2011, le magazine L’Express recueillait également le témoignage de Liliane, une conductrice de bus dont le frère est mort accidentellement dans l’incendie de son appartement provoqué par un voisin alcoolique. Si, au cours de la médiation, l’auteur du crime a refusé de revenir de manière approfondie sur cet épisode douloureux, la rencontre a permis à Liliane de comprendre les motivations de l’homme, le caractère « désespéré » de son acte après une rupture avec sa copine de l’époque. « Jusque-là, pour moi, Dominique était l’homme qui avait tué mon frère », reconnaît-elle. « Maintenant, il est celui qui a causé sa mort ». * L’affaire de Jean-Pierre Malmendier, dont la fille Corinne a été assassinée en 1992, a été très médiatisée en Belgique.

34 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016

En parallèle, Médiante a initié très tôt la pratique de la médiation carcérale. Comment a-t-elle été reçue par les personnes détenues ? Les premières expériences en prison ont eu lieu dès 1999-2000, dans le cadre d’un mouvement visant à donner un sens réparateur à la peine. L’offre de médiation carcérale a été bien relayée et l’intérêt de cette pratique s’est rapidement confirmé, avec une demande croissante venant de personnes détenues. Nous observons même maintenant un déséquilibre dans nos pratiques de médiation : lorsque le projet national a été initié, l’essentiel de nos dossiers concernaient des demandes de médiation avant jugement. Mais très rapidement, du fait de ces difficultés d’information des parties avant le jugement, ce sont les demandes de médiation en milieu carcéral qui ont pris le pas. Les personnes détenues sont-elles encouragées à participer à une mesure de médiation ? Pour que la victime trouve son intérêt dans cette pratique, il est important qu’il n’y ait pas de bénéfices automatiques pour les détenus, afin de ne pas exacerber le problème délicat de la sincérité de la démarche. Le détenu est en effet souvent pris dans une double contradiction : s’il fait ce pas envers la victime, il sera accusé d’opportunisme. S’il ne le fait pas, il sera identifié comme manquant d’empathie. Quand nous mettons en œuvre une médiation entre une personne détenue et sa ou ses victimes, nous rappelons donc qu’il n’y a pas d’enjeu prédéfini et nous n’effectuons pas de sélection des dossiers, par exemple en s’interrogeant sur la sincérité de l’auteur. Nous demandons simplement à l’auteur d’être réceptif aux attentes de la victime. Pourquoi cet accent sur les attentes de la victime ? Nous avons dû faire évoluer notre approche de la victime, avec la difficulté première de


Photographie prise lors d’une médiation familiale en France.

ï

© Nicolas Krief / Divergence

lever son appréhension, particulièrement quand la demande de médiation vient de l’auteur. Nous avons identifié deux besoins fondamentaux des victimes : avoir réponse à des questions auxquelles le procès n’avait pas répondu, et exprimer des sentiments assez durs, douloureux qu’elles n’ont pas pu exprimer pendant le procès. Notre démarche est donc davantage orientée vers l’identification des attentes de la victime. Le processus peut sembler quelque peu déséquilibré mais il se fonde sur le constat que, pour toute une série de facteurs, l’auteur perçoit plus immédiatement l’intérêt d’une médiation. Il peut assez facilement exprimer sa disponibilité au dialogue, mais il aura beau vouloir s’expliquer sur certaines choses, il faut encore que la victime accepte qu’il puisse s’en expliquer. Si elle n’est pas intéressée par les informations que l’auteur peut lui fournir, la médiation n’a pas lieu – il faut qu’il y ait une convergence d’intérêts.

Nous nous sommes aussi rendu compte qu’elle répondait à un autre besoin, tout aussi fondamental, que nous n’anticipions pas, à savoir la crainte de la victime à l’approche de la libération de l’auteur. Après l’affaire Dutroux, les autorités judiciaires ont voulu prendre en compte la crainte de la libération de l’auteur par la victime, en essayant d’intégrer ses attentes dans les conditions de libération. Or, ces mesures avaient de nombreux effets pervers. Apprendre que l’auteur va être libéré est générateur d’angoisse. La victime considère généralement, surtout en cas de faits très graves, que l’auteur ne devrait jamais sortir. Elle a tendance à poser des conditions très dures pour encadrer la libération de l’auteur, par exemple en termes de périmètre de sécurité. Or, de telles conditions peuvent se retrouver en contradiction avec le projet de réinsertion de celui-ci. On assiste finalement à une polarisation des positions, entre les craintes de la victime et le projet de libération de celui-ci.

Cette médiation permet donc surtout à la victime d’avoir réponse à ses questions et d’exprimer ses émotions. A-t-elle d’autres intérêts ? Ces échanges peuvent aussi permettre d’aborder des questions pragmatiques, comme les modalités d’indemnisation. La victime, après avoir eu réponse à ses questions, avoir été rassurée sur ce qui la préoccupait chez l’auteur, peut accepter un échelonnement des paiements ou renoncer aux intérêts. Il y a donc une sorte d’incidence sur la décision judiciaire, en érodant parfois les aspects trop sévères de la condamnation civile.

La médiation atténue-t-elle cette polarisation ? En effet. En offrant une possibilité de dialogue entre les deux parties, nous parvenons à gérer de manière beaucoup plus apaisée cette contradiction. La victime est mise au courant du projet de réinsertion de l’auteur, elle peut en tester la pertinence, sa sincérité, et elle sera moins angoissée au moment de la libération de l’auteur. Si elle demande un périmètre au sein duquel il ne pourra pas circuler, ce ne sera pas un périmètre de sécurité mais un périmètre de confort. Elle pourra convenir de conditions de libération

beaucoup plus tolérantes que si elle avait été sollicitée individuellement pour faire part de ces conditions. J’ai l’exemple de cette fois où un père a rencontré le meurtrier de son fils. Il est apparu que le grand-père du meurtrier était dans le même cimetière que le fils de la victime. Il était évidemment hors de question qu’ils se rencontrent au cimetière. Mais tous deux étaient d’accord pour convenir de conditions d’évitement, raisonnées et raisonnables, et compréhensibles pour le détenu. Un détenu ne peut comprendre qu’on l’empêche de circuler à 100 km de la victime alors qu’il a potentiellement toutes ses opportunités de réinsertion dans ce secteur. Par contre il peut comprendre, dans ce cas-ci, qu’il ne peut pas se rendre au cimetière le jour où le père de la victime s’y rend.

Les autorités judiciaires sont-elles favorables à de tels accords ? Quand nous aboutissons à des accords entre le détenu et la victime, ils sont mis à l’écrit et transmis au tribunal d’application des peines. Ils peuvent être traduits en conditions de libération conditionnelle, avec l’avantage que celles-ci ont été établies de manière concertée : elles seront logiquement bien reçues par la victime et davantage respectées par l’auteur. Cet accord de médiation au stade de l’exécution de la peine est donc très bien perçu par les tribunaux d’application des peines, pour lesquels ces situations de polarisation étaient compliquées à gérer puisqu’ils devaient perpétuellement choisir entre le plan de réinsertion de l’auteur et les exigences des victimes. Au final, c’est au sein des prisons que la pertinence de la médiation est perçue avec le plus d’intérêt. C’est un peu frustrant car la multiplication des dossiers de médiation carcérale a absorbé nos maigres moyens et nous n’avons plus eu le temps d’appuyer la circulation de l’information sur la médiation avant le jugement. Pour nous, l’enjeu maintenant est de développer réellement et de consolider la pratique de la médiation avant jugement. n DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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ZOOM SUR

L’UHSI de Marseille

UN « QUARTIER DISCIPLINAIRE DE LUXE » L’unité hospitalière sécurisée interrégionale de Marseille fait partie des huit UHSI réparties sur le territoire national dont l’objectif est d’accueillir les hospitalisations somatiques de plus de 48 heures de personnes détenues. Si la création des UHSI a permis une amélioration de la qualité des soins apportés en milieu pénitentiaire, les conditions d’hospitalisation restent décriées. Absence de cour de promenade, interdiction de fumer… Plusieurs obstacles amènent les patients-détenus à retourner en détention ordinaire, au détriment des soins dont ils auraient pu bénéficier. par AMID KHALLOUF, COORDINATION OIP SUD-EST

S

avec la collaboration de

JEANNE CHAUVIN

Située au cœur de l’hôpital Nord de la ville, l’unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) de Marseille accueille depuis dix ans des personnes détenues principalement issues de la région pénitentiaire PACACorse. Elle compte actuellement 27 lits de © Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (APHM)

médecine-chirurgie obstétrique (MCO) et six lits de soins de suite et de réadaptation (SSR) répartis au sein de deux unités. « À l’origine, il devait y avoir 45 lits répartis en trois unités, mais le projet d’ouverture de l’unité 3 n’a jamais pu voir le jour », explique le docteur Christophe Bartoli, chef du service de médecine en milieu pénitentiaire de l’Assistance publique hôpitaux de Marseille (APHM), qui assure, depuis janvier 2011, la responsabilité médicale de l’UHSI. Dix ans après l’ouverture de l’établissement, l’« unité trois » ressemble à un long couloir fantôme, dont deux chambres ont été transformées en salle de rééducation et d’activités. La faute à des difficultés de recrutement, tant du côté de l’APHM que

Mais aujourd’hui, l’UHSI de Marseille ne désemplit pas ; il a l’un des

de l’administration pénitentiaire (AP), d’après le Dr Anne Galinier, qui

taux d’occupation les plus élevés des huit UHSI de France. En 2015, il

a exercé ici pendant quinze ans avant l’arrivée du Dr Bartoli. Autre

était de 82%, avec un taux de 99,8 % pour les seuls SSR. En novembre

élément d’explication : le taux d’occupation des lits. « À l’époque,

2015, un rapport conjoint des inspections générales des affaires

[il était] largement inférieur au taux d’occupation des hôpitaux.

sociales et des affaires juridiques (IGAS-IGSJ) (1) a d’ailleurs constaté

Ouvrir une unité à moitié vide pouvait être considéré comme une

« les carences de l’offre en SSR, qui repose sur les deux seuls pôles

forme de gaspillage », relate l’ancienne cheffe de service.

de l’UHSI de Marseille (pour 12 lits) et de l’EPSN de Fresnes » (pour

36 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016


64 lits) (2). Le besoin d’ouvrir tout ou partie de cette troisième unité est donc réel. D’autant plus que seuls six des douze lits mentionnés dans ce rapport existent réellement – à cause de la non-ouverture de la troisième unité.

REFUS DE SOIN Ceci-dit, la crainte de sous-occupation n’est pas totalement infondée, les UHSI étant particulièrement confrontées à la problématique du refus de soin par les détenus eux-mêmes. « Beaucoup d’entre eux arrivaient et repartaient directement, parce qu’ils n’avaient pas bien compris qu’ils ne pouvaient pas fumer », se souvient le Dr Anne Galinier. Le rapport d’activité 2015 de l’UHSI indique ainsi que 24 % © CGLPL

(154) des admissions programmées sont annulées. Dans six cas sur dix, l’annulation est due à un refus du patient, un motif qui arrive loin devant les problèmes de places (16 %) et les problèmes d’escorte (3 %). Le rapport indique également qu’en 2015, quarante patients sont partis prématurément de l’UHSI, dont dix le jour de leur arrivée. Pour l’IGAS-IGSJ, « cette réticence chronique des personnes détenues à se rendre à l’UHSI [s’explique

ñ

Un détenu à la maison d’arrêt de FleuryMérogis.

fin de son hospitalisation. « Mais c’était impossible en raison de [son] traitement », termine-t-il. Cette impossibilité d’avoir accès à un espace de déambulation extérieur, caractéristique de tous les UHSI hormis celui de Rennes,

par] la rupture des habitudes de la vie en détention, l’impossibilité

entre pourtant en contradiction avec la législation française,

d’y fumer, l’absence quasi-générale d’espace de promenade ou de

qui prévoit que « toute personne détenue doit pouvoir effectuer

déambulation à l’air libre entraînant pour les personnes détenues

chaque jour une promenade d’au moins une heure à l’air libre » (4). Le Conseil de l’Europe recommande, lui, que « tous les détenus

des conditions de détention plus difficiles qu’en établissement pénitentiaire ». Pour pallier à l’absence d’espace de déambulation extérieur, certains patients ont tout de même la possibilité de « prendre l’air» dans le couloir, sur signalement médical. Ils sont alors accompagnés du kiné ou du personnel soignant – par exemple pour de la rééducation ou pour des motifs psychologiques.

SANS METTRE UN PIED DEHORS PENDANT UN AN Enfermés 24 heures sur 24 dans leur chambre, les patients-détenus n’en sortent que pour un éventuel examen médical sur un plateau technique du CHU de Marseille. Car ni espace de déambulation, ni possibilité de participer à des activités n’ont été envisagés au moment de la création des UHSI. Les patients-détenus admis pour une hospitalisation de longue durée peuvent passer des mois sans sortir à l’air libre. Raphaël C. (3) a ainsi passé plus de six mois à l’UHSI de Marseille entre 2015 et 2016 pour le traitement d’une maladie grave, diagnostiquée alors qu’il était incarcéré à la prison des Baumettes. Il explique être resté « sans mettre un pied à l’extérieur » pendant l’année entière et avoir respiré l’air libre seulement « depuis [sa] fenêtre grillagée ». Les fenêtres sont en effet équipées de barreaux et de caillebotis obstruant considérablement la visibilité extérieure. Sans poignées, elles ne peuvent être ouvertes que sur l’accord d’un surveillant pénitentiaire. « L’UHSI, ça reste bien pour trois ou quatre jours parce que ça vous change de la prison et l’équipe médicale est au top, mais quand c’est pour un long séjour, ça devient oppressant. À la fin, pour moi c’était l’enfer », résume Raphaël C., qui se rappelle avoir supplié l’équipe médicale de le laisser repartir aux Baumettes à la

Évaluation du plan d’actions stratégiques 20102014 relatif à la politique de santé des personnes placées sous main de justice, Inspection générale des affaires sociales – Inspection générale des services judiciaires, novembre 2015.

[doivent] (...) passer chaque jour hors de leur cellule autant de

Établissement public de santé nationale de Fresnes, situé sur le domaine pénitentiaire de la prison disposant de 24 lits de SSR et 40 lits de médecine physique et de réadaptation. Source : www. epsnf.fr.

Marseille, le séjour le plus long était de 243 jours en 2015, le record

(1)

(2)

(3) Pour préserver leur anonymat, les noms des anciens patientsdétenus ont été modifiés.

Art.12, alinéa 5 de l’annexe à l’art. R-57-6-18 du code de procédure pénale.

(4)

Règle pénitentiaire européenne n°25-2.

temps que nécessaire pour assurer un niveau suffisant de contacts humains et sociaux » (5). Ces règles ne semblent pas avoir été prises en compte par le ministère de la Justice. En effet, le cahier des charges prévoyant l’aménagement des UHSI indique que « quel que soit l’emplacement choisi, il n’est pas prévu de cour de promenade spécifique pour les besoins de l’unité » (6). Un cahier des charges en décalage complet avec la réalité : à étant de 21 mois depuis l’ouverture de l’UHSI, « sans que le patient n’ait pu sortir », précisent des membres du personnel soignant. La nécessité d’un espace de déambulation extérieur avec possibilité de fumer est d’autant plus importante quand on sait que 80 % des personnes incarcérées fument quotidiennement (contre 30 % de la population extérieure (7)). Ces conditions d’hospitalisation ont ainsi conduit José M., lourdement handicapé, à interrompre les soins qui lui étaient prodigués. Ne pouvant fumer, ce dernier a préféré retourner vivre dans la cellule surpeuplée de la maison d’arrêt qu’il venait de quitter. Conscient de cette lacune, le ministère de la Justice avait déjà demandé à l’hôpital de mettre en place une cour de promenade au sein de l’UHSI. Plusieurs années ont passé depuis cette recommandation et le projet semble aujourd’hui enterré.

(5)

Art. 1 de l’annexe à l’arrêté du 24 août 2000 relatif à la création des UHSI.

(6)

MANQUE D’INFORMATION ET VIOLATIONS DU SECRET MÉDICAL Autre cause de refus des soins à l’UHSI de Marseille : le manque ou le défaut total d’information des personnes détenues sur leur

DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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hospitalisation future (toujours d’après le rapport d’activité 2015). Un constat déjà dressé en 2009 par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) (8). « Beaucoup sont très en colère à leur arrivée à l’UHSI, parce qu’il arrive souvent qu’on les prévienne à la dernière minute, qu’ils n’aient pas le temps de préparer leurs affaires », raconte un soignant. « Il est déjà arrivé que des personnes se retrouvent pendant plusieurs semaines à porter les mêmes vêtements que le jour de leur admission. » S’il précise que le chef de service de l’UHSI a demandé à plusieurs reprises à ce que les personnes détenues soient informées d’une éventuelle extraction et des conditions d’hospitalisation, « la communication ne doit pas passer », regrette-t-il. Dans une réponse adressée au CGLPL, le ministère de la Justice assumait en 2009 fermement sa position sécuritaire : « Les patients détenus ne peuvent être informés à l’avance de leur admission à l’hôpital pour des raisons de sécurité et de prévention des évasions (9) ». Mais le rapport IGAS-IGSJ, qui note l’impossibilité de communiquer aux personnes détenues la date précise de leur extraction, propose en 2015 un entre-deux : les « modalités [d’une extraction] et le délai approximatif de sa réalisation pourraient, dans certains cas, être explicités ». Si les patients-détenus ont du mal à être informés, les informa-

© Sébastien Erôme / Signatures

tions relatives à leur santé et à leur intimité semblent en revanche circuler facilement. À l’UHSI, tout le monde semble d’accord pour

avec ou sans moyen de contrainte », le niveau 2 « sous la surveil-

dire qu’en milieu carcéral, le secret médical ne peut être préservé

lance constante du personnel pénitentiaire mais sans moyen de

à cent pour cent. À son ouverture, les portes étaient mainte-

contrainte » et le niveau 3 « sous la surveillance constante (…) avec

nues entrouvertes et le surveillant restait posté devant, si bien

moyen de contrainte ». Dans son rapport, le contrôleur constate

qu’« on n’était jamais dans le secret », se rappelle un soignant. De

pourtant que « le niveau 3 est systématiquement retenu et qu’il

manière générale, pour un membre de l’équipe soignante, « son

convient de négocier régulièrement avec l’administration péni-

respect absolu est une utopie », et c’est pendant les extractions

tentiaire pour abaisser le niveau ». Cette situation n’aurait que

de personnes détenues pour les consultations spécialisées que

très peu évolué depuis 2009.

les violations du secret médical sont les plus fréquentes. Il est en effet facile pour les escortes de déduire la pathologie de la personne détenue en fonction de l’endroit où celle-ci doit être

UNE APPLICATION (TROP) STRICTE DE MÉTHODES SÉCURITAIRES

accompagnée…

Jamais extraits à pied, les patients-détenus sont systématique-

De surcroît, les modalités de ces extractions sont décriées tant par

ment assis sur un fauteuil roulant ou allongés sur un brancard.

les organismes de contrôle et d’inspection que par le personnel

Raphaël C. raconte qu’à chaque extraction, « on vous menotte, on

soignant. Dans son rapport de visite de 2009, le CGLPL rappelle

vous attache les pieds et je crois même qu’on vous attache aussi

ainsi qu’une circulaire de 2004 prévoit les différents dispositifs

le bras au fauteuil ». La personne peut toutefois être recouverte

de sécurité applicables aux personnes détenues, en fonction du

d’un drap afin de dissimuler au public les entraves et menottes.

niveau de surveillance qui leur est attribué. Le niveau 1 permet

Ils sont ensuite accompagnés par deux surveillants pénitentiaires

une consultation « hors la présence du personnel pénitentiaire

et un ou deux aides-soignants jusqu’à la salle d’examen ou au

SI LES PATIENTS-DÉTENUS ONT DU MAL À ÊTRE INFORMÉS DES CONDITIONS DE LEUR HOSPITALISATION, LES INFORMATIONS RELATIVES À LEUR SANTÉ ET À LEUR INTIMITÉ SEMBLENT EN REVANCHE CIRCULER FACILEMENT. 38 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016


en escorte 1 ne doit pas avoir de moyen de contrainte » (11) – ce qui n’est toujours pas le cas aujourd’hui puisque le respect de ce principe n’est pas érigé en obligation. Pour tenter d’expliquer l’emploi de ces méthodes sécuritaires, un soignant de l’UHSI distingue « les surveillants qui savent qu’ils sont à l’hôpital et ceux qui s’imaginent qu’ils sont en détention et qui ont donc la rigidité de l’enfermement ». Raphaël C. va plus loin. Si le comportement de la majorité d’entre eux lui a paru « plutôt correct », qualifiant même certains de « bons, droits et justes », Salle de consultation à l’Hôtel-Dieu de Lyon (2009).

il estime qu’une poignée de surveillants étaient « arrogants voir

ï

personnel parlent ainsi de quelques surveillants qui n’hésitent pas

méchants » avec les patients-détenus. Ce point de vue se retrouve chez toutes les personnes interrogées à ce sujet. Les membres du à provoquer, insulter ou humilier des patients-détenus. L’anecdote ayant le plus marqué les esprits est celle d’une surveillante qui aurait passé un morceau de pain sous ses aisselles avant de le remettre sur le plateau repas d’un patient-détenu. Plusieurs membres de l’équipe médicale affirment ne pas comprendre pourquoi ces quelques surveillants ont toujours le droit d’exercer en milieu hospitalier, « surtout [quand] cette surveillante n’en est pas à sa première fois », confie l’un d’eux.

DES AMÉLIORATIONS EN COURS bloc opératoire. Raphaël C. rapporte ainsi que les surveillants qui

Depuis l’ouverture de l’UHSI, quelques évolutions positives ont

l’ont escorté le jour de son opération y auraient assisté – « c’est

cependant pu être constatées, essentiellement grâce à la vigilance

eux qui me l’ont dit », précise-t-il. Pour un membre du person-

de l’équipe médicale et à l’assouplissement de certaines règles

nel soignant, « ce n’est pas étonnant. Des surveillants nous ont

par l’administration pénitentiaire. Ainsi, des soignants parlent

déjà raconté, impressionnés, avoir été présents lors d’opérations

d’une « petite salle de détente » aménagée dans une chambre de

chirurgicales, ce qui n’est pas normal », regrette-t-il, tout en

l’unité 3 inutilisée. À l’origine, cette pièce n’était accessible que le

rappelant l’existence de protocoles encadrant strictement les

dimanche aux personnes en SSR. Elle est aujourd’hui ouverte à tous les patients-détenus (hormis les personnes ayant un niveau

extractions. Quant aux consultations ou examens médicaux en dehors de l’UHSI, Raphaël C. rapporte que « les surveillants sont soit postés à l’extérieur, soit à l’intérieur à côté de la porte ». Et qu’on lui laisse la plupart du temps des entraves aux pieds. « [Il est] déjà arrivé que le médecin demande aux surveillants de sortir et ils l’ont fait, mais on s’était bien pris la tête », se souvient-il. Mais tous les médecins n’osent pas demander aux surveillants de sortir ou de désentraver un détenu. « Dans la représentation des gens, quelqu’un qui est détenu et qui arrive entravé, menotté, ça fait peur », explique un soignant, « et si en plus de ça, un surveillant, armé et en uniforme vous dit avec une voix autoritaire que la personne est dangereuse, vous le croyez », poursuit le Dr Galinier. « Dans ce cas-là, le surveillant véhicule souvent de mauvaises informations », ajoute l’ancienne cheffe de service, qui affirme n’avoir jamais été agressée physiquement en vingt ans. Les risques d’évasion dans ces circonstances sont par ailleurs minimes. En 2012, sur près de 40 000 extractions médicales réalisées sur le territoire national, seules six évasions sont à déplorer, soit 0,015 cas sur 100 (10). Quand on sait qu’une grande majorité des personnes détenues est classée en escorte 1, le recours au tout sécuritaire pose d’autant plus question. Le dernier rapport IGAS-IGSJ recommande une clarification « de l’ensemble de la réglementation applicable aux conditions de sécurité des escortes médicales et [de poser] le principe selon lequel un détenu classé

Le tabagisme passif en prison : définir une politique factuelle de santé, Patrick d’Almeda Launey, juin 2016.

(7)

Rapport de visite de l’UHSI de Marseille, CGLPL, 13 janvier 2009.

(8)

Réponse de la ministre de la Justice au CGLPL, 21 juillet 2009.

(9)

Données DAPEMS juillet 2015 et OSSD, in rapport IGAS-IGSJ op.cit..

(10)

Évaluation du plan d’actions stratégiques 20102014 relatif à la politique de santé des personnes placées sous main de justice, Inspection générale des affaires sociales – Inspection générale des services judiciaires, novembre 2015. (11)

Évaluation du dispositif d’hospitalisation en soins somatiques des personnes détenues, IGAS-IGSJ, juin 2011. (12)

d’escorte 3 et les contre-indications médicales), deux fois par jour, pour des groupes de maximum six personnes, sur des créneaux d’une heure. Beaucoup de patients-détenus s’y rendent désormais pour fumer. « Comme il n’y a aucun autre moyen de le faire, il y a une forme de tolérance qui s’est installée », confie un membre du personnel. Une tolérance limité car, d’un autre côté, les chambres sont régulièrement fouillées afin, notamment, de saisir des paquets cigarettes introduits illégalement. Outre l’ouverture de cette salle, l’administration pénitentiaire a accepté de lâcher un peu de lest en matière de sécurité, notamment pour renforcer le respect du secret médical. La porte de la chambre peut désormais être fermée pendant les soins pour garantir une meilleure confidentialité. Autres progrès, l’oculus présent sur la porte des chambres qui peut aujourd’hui être fermé, en cas de soins intimes par exemple, ou le retrait des noms des patients sur les portes. « Ils peuvent avoir la totalité de leurs affaires dans leur chambre [avant 2016 ils ne pouvaient garder que l’équivalent de cinq jours d’hospitalisation] et ils bénéficient d’une cantine un petit peu plus élargie qu’auparavant », se félicite par ailleurs un membre du personnel. Maigres avancées qui ne font pas oublier les nombreuses atteintes aux libertés et droits fondamentaux des détenus. Si bien que pour certains, cités par un précédent rapport IGAS-IGSJ, les UHSI s’apparentent à des « quartiers disciplinaires de luxe » (12). n

DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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DÉCRYPTAGE La loi du 4 mars 2002 a introduit la suspension de peine pour raisons médicales, une mesure qui permet la sortie de prison anticipée des personnes condamnées atteintes d’une « pathologie engageant leur pronostic vital » ou présentant un « état de santé durablement incompatible avec leur maintien en détention ». Pourtant, chaque année près de 150 personnes décèdent encore de mort naturelle en prison. Pour interroger ce paradoxe, les sociologues Aline Chassagne et Aurélie Godard-Marceau ont mené au printemps 2013 le projet « Parme ». Une étude inédite pour comprendre et décrire les situations de fin de vie en prison.

FIN DE VIE EN PRISON : AUTOPSIE D’UNE ANOMALIE recueilli par MARIE AUTER

Q

Quels types de difficultés avez-vous repérés en ce qui concerne l’accès aux soins et la prise en charge de la perte d’autonomie ? Aline Chassagne : Les personnes détenues malades que nous avons rencont1rées ont souvent exprimé la sensation d’avoir attendu longtemps. Les malades expliquent que cela faisait des semaines, voire des mois, qu’ils avaient des douleurs, des gênes, et jugent que leur parcours pour obtenir

40 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016

un diagnostic a été long. Le temps de l’accès aux antalgiques aussi : les médecins qui exercent en prison sont partagés entre proposer des antalgiques qui soient efficaces et, parallèlement, ne pas favoriser un trafic de médicaments. Souvent, les détenus n’ont accédé à des antidouleurs efficaces que suite à une hospitalisation. De manière générale, le handicap, la vieillesse et la fin de vie sont difficilement compatibles avec la vie en détention, et


DÉCRYPTAGE © DR

soignants comme détenus éprouvent les limites de leur prise en charge. D’une part, il est difficile d’obtenir les équipements médicaux dont les malades ont besoin. Les professionnels de santé nous ont fréquemment raconté le parcours de combattant pour obtenir un matelas anti-escarres, un lit médicalisé, un fauteuil roulant quand c’était nécessaire, parfois des protections, des alaises, une bouteille d’oxygène. D’autre part, les personnes détenues qui ont des problèmes d’autonomie expliquent ne plus parvenir à s’ajuster au rythme que la prison peut imposer, à accéder au travail, aux activités. Elles avaient aussi des difficultés pour aller en promenade. Si bien que souvent, les détenus plus malades et plus âgés que les autres se font aider par d’autres détenus ou beaucoup plus rarement par des auxiliaires de vie.

ALINE CHASSAGNE est doctorante

au laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’université de Franche Comté. Elle est spécialisée sur les questions de santé et d’accès aux soins en prison. Avant de participer à l’étude Parme, elle a rédigé une thèse intitulée « La peine et le soin. Une enquête sur l’espace et le temps des malades en prison ».

© Grégoire Korganow / CGLPL

© DR

personnes n’ont pas souhaité sortir de prison. L’une d’elles a fini par solliciter une suspension de peine parce que les professionnels l’y ont fortement encouragée, mais les deux autres nous ont clairement expliqué qu’elles ne souhaitaient pas faire cette démarche parce que personne ne les attendait à la sortie. Elles défendaient l’idée que les interactions sociales étaient de leur point de vue plus importantes, plus nombreuses en prison que ce qu’elles pouvaient espérer à l’extérieur. Cependant, pour des raisons éthiques, les différents professionnels de la santé mais aussi de l’administration pénitentiaire se posent la question du sens de la peine à la fin de la vie : la prison peut-elle être le dernier lieu de vie ? A. C. : La fin de vie en prison est une situation difficile à vivre qui est ressentie presque comme un échec par les équipes, notamment quand elles ont essayé de tout mettre en œuvre pour que la personne détenue soit libérée en faisant des demandes de suspension ou d’aménagement de peine et que celles-ci ont été refusées. Mais c’est aussi ressenti comme un échec si la personne elle-même ne souhaite pas sortir, puisque chaque professionnel partage l’idée qu’on ne doit pas mourir en étant détenu, que c’est une double peine, qu’il faudrait que la personne sorte pour mourir en étant libre. Ce genre de situation met vraiment en difficulté les professionnels de santé et pénitentiaires. Même si les professionnels de santé qui interviennent en détention sont majoritairement issus du milieu hospitalier, les unités sanitaires restent des unités de consultations et les professionnels ne sont ni habitués ni formés à accompagner les personnes en fin de vie - encore moins à les accompagner en prison.

Comment sont perçus les aménagements et suspensions de peine par les professionnels et quel usage en est-il fait ? Aurélie Godard-Marceau : La suspension de peine est toujours choisie par défaut. Dès que cela est possible, on opte plutôt pour une libération conditionnelle. Il ne faut pas oublier que la suspension de peine suspend la peine, et que si la personne se rétablit, elle retourne en détention pour finir AURÉLIE GODARD-MARCEAU est son quantum de peine. La suspension de peine chargée de recherche clinique et sociodémographe au centre est donc mise en place quand on ne peut pas faire hospitalier universitaire (CHU) de libération conditionnelle parce que la personne de Besançon. Après avoir travaillé à la Direction Interrégiorisque de décéder très rapidement, ou quand elle nale des services pénitentiaires n’a pas rempli son quantum de peine. (DISP) de Paris, elle est membre A.C. : La suspension de peine porte une symbodepuis 2011 de l’équipe de recherche pluridisciplinaire lique très négative, à la fois du côté des détenus, « Éthique et progrès ». mais aussi du côté des professionnels de santé qui l’utilisent en dernier recours. Quand elle est sollicitée, cette mesure débute souvent par un signalement du médecin au juge de l’application des peines (JAP). La Est-ce que, parmi les patients qui ont demandé une libéréponse du JAP prend quatre mois dans le cadre d’une ration conditionnelle ou une suspension de peine, certains demande de suspension de peine et six mois pour une libése sont vu refuser ce dispositif alors qu’ils y étaient éliration conditionnelle. On comprend donc facilement que la gibles ? durée de la mesure est un facteur important dans le choix de A.G.M. : Oui, nous avons vu plusieurs refus. Les principaux l’aménagement ou de la suspension de peine. Dans tous les obstacles étaient liés aux expertises et à l’absence de solution cas, c’est très compliqué à tenir au niveau du temps car ces d’hébergement à la sortie. Les possibilités étaient assez réduites deux professions s’astreignent à des règles de prudence. Le pour certaines personnes qui ne pouvaient pas revenir sur médecin attend avant d’alerter, il s’assure que la personne a les zones géographiques où leur famille habitait, car elles bien été diagnostiquée, qu’il n’y a plus de solution au niveau avaient l’interdiction de fréquenter certaines villes ou certains curatif. Parallèlement, le juge doit s’assurer de tout un ensemble lieux. Le motif d’incarcération vient également jouer assez de choses liées au comportement de la personne, à l’héberfortement, notamment par rapport aux crimes sexuels : ces gement possible, aux motifs d’incarcération, à l’organisation personnes-là ont beaucoup de difficultés pour accéder à la de la sortie et aux expertises médicales. libération. La personnalité du détenu entre aussi bien souvent dans le mécanisme de suspension de peine. Enfin, nous Les détenus malades se saisissent-ils de ces mesures ? avons également constaté que le processus était très « JAPA.G.M. : La majorité des personnes rencontrées avait fait une dépendant », à savoir que les fonctionnements étaient ancrés demande. Ce qui nous a vraiment surprises, c’est que trois dans un territoire avec des relations particulières avec certains DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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MALADIE ET PERTE D’AUTONOMIE EN PRISON : QUELQUES CHIFFRES Selon un rapport des inspections générales des affaires sociales et des services judiciaires (respectivement IGAS et IGSJ) publié en 2016 *, deux tiers des personnes détenues se plaignent d’une déficience, soit le double de la population générale. 45 % manifestent au moins une déficience intellectuelle, 17 % une déficience sensorielle, 25 % une déficience motrice et 20 % une déficience viscérale. Au 1er janvier 2015, 2509 personnes détenues étaient âgées de plus de 60 ans (dont 115 identifiées en perte d’autonomie), soit 3,62 % de la population pénale écrouée détenue. 1328 détenus âgés de 60 à 65 ans, 688 de 65 à 70 ans, 298 de 70 à 75, 149 de 75 à 80 et 46 avaient plus de 80 ans. Par ailleurs, 329 personnes détenues handicapées sont recensées, soit 0,5 % de la population pénale écrouée détenue. Pour les inspections, « les difficultés soulevées par la perte d’autonomie sont multiples et télescopent le fonctionnement pénitentiaire : les besoins en appareillage, l’adaptation ergonomique en cellule, mais aussi les régimes alimentaires et surtout la question des aides humaines pour les actes quotidiens ». * « Évaluation du plan d’actions stratégiques 2010-2014 relatif à la politique de santé des personnes placées sous main de justice », Inspection générale des affaires sociales – Inspection générale des services judiciaires, novembre 2015.

médecins, certains experts, et que pour des schémas similaires, on pouvait ne pas avoir les mêmes réponses d’une ville à une autre.

Comment sont prises en charge les personnes qui ne bénéficient pas d’un aménagement ou d’une suspension de peine ? A.C. : La plupart des personnes font des allers-retours entre la prison et l’UHSI (Unité hospitalière sécurisée interrégionale), dont le but est d’accueillir les détenus qui ont besoin d’une hospitalisation programmée de plus de 48 heures. Parfois, il est choisi de mettre en place des hospitalisations longues pour que les personnes restent en UHSI. Car pour une prise en charge en chimiothérapie, par exemple, les effets secondaires compliquent le retour en détention, alors qu’hors détention, un patient rentrera chez lui entre chaque chimiothérapie. Dans l’étude, nous avons observé des situations de personnes qui pouvaient passer plusieurs semaines en UHSI puisqu’elles étaient arrivées dans des situations de manque d’autonomie, de douleurs, d’effets secondaires qui faisaient qu’elles ne pouvaient plus rester en détention. Ce n’était pas le rôle premier de l’UHSI, car c’est un lieu de courts séjours, mais c’était une manière de leur permettre des conditions de vie plus « acceptables » qu’en prison. Ces personnes rencontrent-elles des difficultés pour maintenir le lien avec leurs proches ? A.C. : Les personnes détenues ont presque toutes des difficultés de liens avec leurs proches, c’est inhérent à l’incarcé-

42 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016

* Direction Interrégionale des services pénitentiaire.

ration, voire antérieur à l’incarcération. On ne voit pas comment la famille peut accompagner la fin de vie d’un proche, quand, en prison comme en UHSI, les rencontres ne peuvent se faire qu’au parloir. En détention, il arrive que des personnes malades ne puissent pas se déplacer le jour où le parloir est prévu ; elles ne voient alors pas leur famille. Le deuxième problème qui se pose dans le lien avec la famille, c’est que ces personnes sont constamment en mouvement entre le lieu de détention et l’hôpital : il suffit qu’il y ait un transfert un jour de parloir pour que la rencontre n’ait pas lieu. Si la personne est transférée dans une USHI qui ne dépend pas de la même DISP *, il faut redemander les autorisations pour avoir le droit de la rencontrer, ce qui peut être très contraignant pour les proches, sans compter le fait que l’éloignement géographique est parfois difficile à gérer pour des familles souvent en difficultés économiques. Le maintien des liens familiaux est donc très compliqué le temps de la prise en charge de la pathologie. Ce qui n’empêche pas l’AP de faire preuve de souplesse en toute fin de vie, en particulier dans le cadre d’une hospitalisation en UHSI. Une organisation se met alors en place pour que les familles puissent, durant les derniers jours, rencontrer le malade sur des temps autres que les temps de parloir, le voir en chambre, organiser des veillées.

Qu’est-ce que ces fins de vie en prison nous révèlent de la coordination entre la santé et la justice ? A.C. : Cela met en lumière deux mondes qui ont des objectifs et des valeurs assez différentes. Au regard de leurs objectifs propres, ils n’arrivent pas à considérer ceux des autres, cela ne rentre pas dans leur schéma de travail et il n’y a presque jamais de temps prévu pour la rencontre ou la concertation. Je crois que c’est justement l’un des rouages importants dans ces questions de la fin de vie : la difficulté de communication et de compréhension de deux mondes qui agissent en même temps mais pas forcément ensemble. A.G.M. : Comme rien n’est institutionnalisé, s’il n’y a pas la volonté d’organiser les choses, les différents acteurs ont du mal à communiquer. Il y a des lieux où cela se structure plutôt bien, avec toute la difficulté liée au fait que les JAP sont des professionnels qui bougent régulièrement. Ça peut se passer très bien avec un JAP, mais au moment où il est muté, il faut reconstruire quelque chose avec son successeur. Ensuite, il y a la question du secret médical, très importante pour les professionnels de santé, qui se heurte au besoin d’informations du JAP, qui estime parfois


DÉCRYPTAGE rompre le secret médical. C’est très complexe à mettre en place.

© Michel Lemoine

D’après vous, que révèlent ces situations de fin de vie en prison de notre conception de la peine ? A.C. : Avant d’arriver à parler de la peine, il faut faire un détour sur les soins palliatifs et notre vision de la mort. Dans notre société, la représentation de la bonne mort s’est construite sur la culture palliative qui a été intégrée à notre système de santé à partir des années 1980. Cette culture palliative prône une approche assez globale de l’individu, un relationnel très important entre les soignants et les soignés, en incluant la famille. Il y a tout un travail biographique dans cette démarche de soins. Aujourd’hui, c’est impensable, voire inimaginable, de déployer une telle approche dans l’environnement très contraignant qu’est la prison. L’approche palliative telle qu’elle est pensée dans notre société n’est pas reproductible en tant que telle entre les murs de la prison. Tout ça questionne l’enfermement et la peine, puisqu’un dispositif de soin est déjà pensé en prison, mais pour un public relativement jeune et autonome. L’avenir de la peine, c’est aussi, à un moment donné, la réinsertion. Alors que quand on parle de la fin de vie et qu’on parle des soins palliatifs, l’avenir, c’est la mort. Nous sommes donc face à deux lignes qui ne vont pas du tout vers le même horizon, ce qui nous a poussées à conclure que la fin de vie ne peut pas être pensée dans ce monde de la prison. C’est pour ça que pour ces professionnels du monde de la santé, de la justice ou de l’AP, c’est un véritable fardeau que d’être confronté à ce genre de situation. C’est violent pour eux.

ne pas disposer d’assez d’éléments pour monter un dossier. La manière dont le JAP va traiter le dossier se noue sur une relation de confiance ou de non-confiance qui est liée à tout ce qui a pu se passer avant. Si le JAP a donné une suspension de peine à un patient qui a récidivé ou dont la pathologie n’était pas aussi avancée que ce qu’il avait compris, il fera moins confiance au médecin lorsque celui-ci lui présentera une nouvelle demande. Tout cela se construit dans la durée. C’est un travail de longue haleine pour les médecins d’obtenir la confiance des JAP, et pour les JAP d’obtenir la confiance des médecins afin qu’ils acceptent de livrer suffisamment d’informations sur le dossier sans

ATTEINT D’UN CANCER, IL MEURT EN UHSI FAUTE DE SUSPENSION DE PEINE Le 28 octobre dernier, S.E., incarcéré au CP de Lannemezan, mourrait des suites d’un cancer métastasé à l’UHSI de Toulouse. Par deux décisions en juin 2016 et août 2016, S.E. s’était vu refuser la suspension de peine pour raison médicale qu’il avait sollicitée. En cause : la solution d’hébergement choisie. Sa mère et son frère avaient accepté de l’accueillir dans leur appartement à Nice, qui avait été jugé non adapté par le tribunal administratif. Le chef d’établissement de Lannemezan s’inquiétait pourtant du maintien de S.E. au sein de l’établissement au vu de son état de santé très dégradé : il se trouvait parfois dans l’impossibilité complète de s’alimenter et ne pouvait pas compter sur l’aide de ses codétenus pour satisfaire ses « besoins primaires et essentiels ».

ñ

Au centre de détention de Montmedy. En prison, les médecins prescrivent peu d’antidouleurs par peur des trafics de médicaments.

Auriez-vous des recommandations ? A.G.M. : En France, la société n’est pas prête à voir sortir certaines personnes de prison… Et en même temps, elle n’est pas prête à accepter qu’il y ait un accompagnement de fin de vie en prison puisque cela remettrait en cause ce pourquoi est faite la prison – qui est censée n’être qu’une étape dans la vie et qui doit permettre aux gens de se réinsérer dans la société. Il va falloir se poser la question : comment accompagner une fin de vie si on n’accepte pas de libérer la personne car la société ne veut pas qu’elle soit à l’extérieur ? Est ce qu’on l’accompagne en prison ? Est-ce qu’on crée des lieux spécifiques pour les personnes gravement malades, en fin de vie et détenues ? Cette étude décrit des situations difficiles et montre les difficultés rencontrées par les détenus malades et les professionnels de la santé et de la justice. Nous posons des questions. Un travail doit maintenant être fait pour arriver à des recommandations. n DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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[ELLES TÉMOIGNENT] recueilli par FRANÇOIS BÈS

Personnes trans incarcérées : isolement et humiliations En 2015, Alessandra, femme trans brésilienne de trente-huit ans, a été incarcérée huit mois et quinze jours à la maison d’arrêt des hommes de Fleury-Mérogis, au « quartier spécifique » prévu pour les transsexuelles. Isolement, manque d’activités, attitudes blessantes de certains personnels, la situation racontée par Alessandra en 2016 fait écho au constat déjà établi en 2010 par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

C

« Je suis arrivée à Fleury un soir à vingt-deux heures, complètement

mon lit, qui restait humide en permanence. J’ai eu beaucoup de mal

perdue. L’accueil a été très sec : le surveillant m’a montré la cellule

à changer de cellule. À Fleury, tout prend du temps. Il a fallu quatre

et m’a donné le peu de choses qu’ils fournissent aux arrivants. Il m’a

mois pour que j’obtienne les consultations avec la psychologue, que

montré l’interphone, me disant de ne pas y toucher, qu’il ne fallait

j’avais demandées dès mon arrivée. Pour la moindre demande aux

pas les embêter la nuit.

surveillants, je recevais la réponse au minimum une semaine après.

À Fleury, c’est monotone, tous les jours sont pareils. À sept heures,

J’ai fait une réclamation pour un problème de cantine, je n’ai eu de

ils ouvrent la porte sans frapper pour vérifier si on ne s’est pas sui-

réponse qu’au bout de trois mois. Pour l’accès au téléphone, je n’ai

cidée. On sort la poubelle, puis ils livrent les cantines. On a droit à

jamais eu de réponse. »

deux promenades d’une heure par jour, matin et après-midi, dans une pièce sans plafond au dernier étage, de la taille de deux ou trois

UN ACCÈS TRÈS LIMITÉ AUX ACTIVITÉS

cellules. Il y a quatre cours de promenade au quartier d’isolement.

« Dès mon arrivée, j’ai eu du mal avec cet isolement imposé aux

Nous les trans, on avait toujours la plus petite, qui était aussi la plus

trans. On était peu nombreuses, cinq à la fin de ma détention, et

sale, avec de la fiente de pigeon partout. On ne sait pas où marcher.

on ne croisait pratiquement personne. Heureusement, pendant la

On nous considérait comme des merdes, alors on nous mettait dans

semaine, il y a des associations qui interviennent *. Question activités,

la merde de pigeon.

il y avait un cours de peinture et la petite bibliothèque du quartier

En huit mois de détention, je ne suis sortie qu’une quinzaine de fois.

d’isolement, avec des romans, des journaux d’actualité, un journal

Les trois premiers mois ont été très pénibles. C’était l’hiver et ma cel-

chrétien avec le programme télé et des CD que peuvent emprunter

lule était à peine chauffée. Il y avait une fuite d’eau juste au-dessus de

celles qui ont un lecteur. Pas de magazines féminins. C’était dur d’être

« UN JOUR DE JANVIER, LES SURVEILLANTS SONT VENUS À QUINZE OU VINGT [AU LIEU DE DEUX]. ILS RIGOLAIENT EN NOUS REGARDANT. ON S’EST SENTIES EXHIBÉES COMME AU ZOO. » 44 / DEDANS-DEHORS N°94 / DÉCEMBRE 2016


Activités en prison

DOSSIER

isolées, avec tous les bruits de la détention normale qui remontaient

Heureusement, tous n’étaient pas comme ça : les infirmiers et

jusqu’à nous. Il y avait des cours de chant, mais on ne pouvait pas y

infirmières étaient très corrects. La psychologue s’adressait à moi

participer. Entendre les autres chanter sans pouvoir y aller, ça renforce

en m’appelant « Madame », la dame du Spip [service pénitentiaire

le sentiment de solitude. Ma famille est allée chercher sur internet

d’insertion et de probation] et les infirmières aussi, mais les surveillants,

des informations sur Fleury. Ils y ont vu qu’il y avait des cours, des

non. Au mieux, ils m’appelaient par mon nom de famille. Au quotidien,

formations, des activités. Il a fallu que je leur explique que comme

tout peut devenir insultant. J’ai par exemple commandé en cantine

j’étais trans, je n’y avais pas droit. J’ai eu des cours de français, mais

extérieure du déodorant féminin, je l’avais bien précisé sur le bon. J’ai

à la fin de l’année, je n’ai pas pu participer à la réunion avec les trois ou quatre autres élèves

© DR

dû attendre presque trois mois pour la livraison, et ils m’ont donné du déodorant pour hommes. Je

du quartier d’isolement, parce qu’ils étaient

me suis plainte, j’ai été reçue par un lieutenant.

hommes et que j’étais trans.

Un surveillant était avec lui, et ils échangeaient

Entre trans, ça se passait assez bien. On n’avait

des regards amusés, comme si ma demande

pas de contact avec les autres détenus, sauf avec

n’avait aucune importance. En rigolant avec le

le détenu chargé de la bibliothèque et les deux

surveillant, le lieutenant m’a demandé si la raison

ou trois garçons qui distribuaient les repas ou les

pour laquelle je ne voulais pas du déodorant pour

cantines, toujours en présence de surveillants. Peu

homme était que ça me rappelait des odeurs

de temps avant ma sortie, ils ont installé au même

d’homme, que ça m’excitait. »

étage un quartier de déradicalisation. Deux ou je les ai croisés. Ils ont posé des questions au

DES PROBLÈMES D’ACCÈS AUX SOINS ACCRUS

surveillant : « Mais c’est quoi, il y a des femmes !

« Il faudrait une meilleure sensibilisation des

C’est une maison d’arrêt de femmes ? »

personnels et des soignants sur nos spécificités.

trois fois en sortant du bureau de la psychologue,

HUMILIATIONS ET BRIMADES

Des surveillants d’abord, car ce sont eux qui sont en contact avec nous au quotidien. Certains semblent

Ce qui m’a le plus marquée, c’est l’attitude

déterminés à nous écraser psychologiquement,

de certains personnels de surveillance et de

à nous renvoyer en permanence qu’on n’est pas

médecins envers les transsexuelles. Ils ne sont

normales. Comme si ça ne suffisait pas qu’on soit

pas sensibilisés, pas formés, pas préparés. Ils ont

en prison. Même chose chez certains soignants.

du mal à nous parler correctement. Il y a toujours

J’ai eu plusieurs consultations avec un médecin

des blagues sur le fait qu’on est femme trans mais

qui était toujours embarrassé en ma présence. Il

qu’on se trouve en maison d’arrêt pour hommes : « C’est Madame ou

connaissait mon dossier, savait que j’étais transgenre, que je prenais

Monsieur ? » Beaucoup ont en permanence une attitude ironique,

un traitement hormonal, mais continuait à m’accueillir en disant

ils rigolent devant nous. Ils expriment leur gêne par rapport à notre

« Bonjour, asseyez-vous Monsieur ». J’ai fini par lui demander de

identité en plaisantant entre eux. Normalement, pour la livraison

m’appeler comme les surveillants, par mon nom de famille.

des cantines ou des repas, deux surveillants sont présents. Un jour

L’accès au traitement hormonal n’a pas été trop compliqué pour moi,

de janvier, ils sont venus à quinze ou vingt. Ils rigolaient en nous

c’est allé assez vite. Mais ce n’est pas le cas pour toutes les filles. Refus

regardant. On s’est senties exhibées comme au zoo.

de prescription, problèmes de dosage, effets secondaires non pris en charge – les migraines que ça déclenche notamment. Certains

L’ALERTE DU CGLPL

surveillants refusaient de nous amener chez le médecin pour un simple mal de tête. J’ai été extraite trois fois pour aller à l’hôpital.

Le 30 juin 2010, le Contrôleur général des lieux de privation de

Une fois pour voir un orthopédiste, une fois en cardiologie, et en

liberté (CGLPL) publiait un avis relatif à la prise en charge des

proctologie. La première fois, ils m’ont réveillée à sept heures du

personnes transsexuelles incarcérées suite à une enquête appro-

matin. La fouille par palpation, c’est très brutal. J’ai dû partir avec

fondie basée sur la requête de nombreux témoignages. Le CGLPL

les menottes, la ceinture et les pieds attachés. On m’a fait traverser

dresse alors un constat accablant des « réelles difficultés » dans

l’hôpital public comme ça, devant tout le monde. Les surveillants

la prise en charge médicale et plus généralement dans la gestion

restaient pendant les consultations, j’ai dû me déshabiller devant

de la détention des personnes transsexuelles. Il préconise un

eux, en étant attachée. Et le médecin n’a rien dit. Heureusement,

accompagnement « par une équipe médicale de référence clai-

la psychologue m’a, elle, beaucoup aidée. Elle m’écoutait, et parlait

rement identifiée », un meilleur accès à l’information, mais aussi

aussi aux surveillants de ce rapport au « Madame, Monsieur », de

de « veiller à ce que [l’]intégrité physique soit protégée sans que

ce qu’est la vie quand on est transgenre. Elle m’a dit que certains

cela conduise nécessairement au placement à l’isolement », et

s’inquiétaient de voir que je pleurais souvent. Mais pour d’autres,

une attention particulière au respect du droit à l’intimité et à la

c’était un plaisir de voir qu’on était mal. » n

vie privée des personnes trans. Des recommandations visiblement laissées lettre morte.

* Les associations ACCEPTESS-T, ACMINOP et PASTT interviennent au quartier spécifique de la maison d’arrêt des hommes de Fleury-Mérogis.

DÉCEMBRE 2016 / DEDANS-DEHORS N°94

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DEVANT LE JUGE La Cour européenne des droits de l’homme a confirmé dans un arrêt du 20 octobre que 3 m² de surface au sol par détenu constitue la norme de référence pour apprécier les conditions de détention en cellule collective. Une décision qui a le mérite de clarifier la position de la Cour, mais qui laisse un goût amer jusque dans les rangs des magistrats européens, dont plusieurs jugent la décision insuffisamment protectrice de la dignité des personnes détenues.

Surpopulation carcérale

La CEDH statue sur l’espace minimum nécessaire à la dignité par NICOLAS FERRAN et MATHILDE ROBERT

A

Au regard de la situation de surpopulation alarmante des prisons françaises, la Cour européenne des droits de l’homme vient de rendre, le 20 octobre 2016, une décision importante. L’arrêt Muršić c. Croatie clarifie en effet les conditions dans lesquelles le manque d’espace personnel en cellule peut être jugé contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prohibe les traitements inhumains et dégradants (1). Dans cette affaire, la Cour estime conforme à la Convention la détention de Mr Muršić

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dans différentes cellules lui garantissant un espace personnel de 3 à un peu plus de 7 m2. Elle considère par contre comme une violation de l’article 3 le maintien de l’intéressé pendant 27 jours dans une cellule dans laquelle il disposait de moins de 3 m2. La Cour européenne précise que lorsque la surface au sol par personne est inférieure à 3 m2, « le manque d’espace personnel est considéré comme étant à ce point grave qu’il donne lieu à une forte présomption de violation de l’article 3 ». Une présomption qui peut

être renversée par l’Etat, si trois conditions sont réunies : les réductions d’espace personnel doivent être « courtes, occasionnelles et mineures » ; la privation d’un espace personnel suffisant doit être compensée par une « liberté de circulation suffisante hors de la cellule » et l’accès à un programme « d’activités hors cellule adéquates ». Enfin, la prison doit offrir « de manière générale, des conditions de détention décentes » et la personne détenue ne doit pas être confrontée à « d’autres éléments considérés comme des circonstances


DEVANT LE JUGE

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UN STANDARD DE 3 M² PAR PERSONNE SIGNIFIE EN PRATIQUE QUE LES DÉTENUS EMPIÈTENT EN PERMANENCE SUR LA SPHÈRE PERSONNELLE DE LEURS COMPAGNONS DE CELLULE, ET ENTRENT MÊME SOUVENT DANS LEUR SPHÈRE INTIME. aggravantes de mauvaises conditions de détention » (défaut d’accès à la cour de promenade ou à l’air et à la lumière naturels, manque d’aération en cellule, température trop basse ou trop élevée dans les locaux, absence d’intimité aux toilettes, mauvaises conditions sanitaires et hygiéniques, insuffisance ou mauvaise qualité de la nourriture, etc…). Lorsque la personne détenue dispose en cellule d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m2, la Cour considère que le facteur spatial demeure « un élément de poids dans l’appréciation des conditions de détention ». Dans ce cas, elle peut donc conclure à la violation de l’article 3 « si le manque d’espace s’accompagne d’autres mauvaises conditions matérielles de détention ». Au-dessus de 4 m2, les juges européens considèrent que le manque d’espace personnel ne doit plus rentrer en considération dans l’évaluation du respect de l’article 3. Ce qui ne les empêchent évidemment pas de considérer qu’il y a violation sur la base d’autres critères – par exemple dans le cas de conditions d’hygiène défaillantes ou de la vétusté de l’établissement.

UNE APPROCHE ARITHMÉTIQUE EN DÉCALAGE AVEC LES RÉALITÉS Alors qu’elle est régulièrement saisie par des personnes détenues dénonçant leurs conditions d’incarcération dans des prisons surpeuplées, la Cour européenne se devait de clarifier sa position sur la question de l’espace personnel minimal auquel les détenus peuvent prétendre. Sa jurisprudence manquant de lisibilité sur ce point, les précisions apportées seront utiles pour contester en justice des conditions de détention. La lecture de l’arrêt Muršić provoque cependant un malaise jusqu’au sein de la juridiction européenne. Car loin des réalités carcérales et du vécu des personnes

détenues, l’approche arithmétique choisie par la Cour revient à admettre qu’une variation de quelques centimètres de l’espace personnel sépare les traitements inhumains et dégradants de ce qui relèverait de la « souffrance inhérente à la détention »… Et que la norme minimale de 3 m2 retenue serait suffisamment protectrice de la dignité humaine. Pour rappel, un arrêté du 25 octobre 1982 prévoit que les enclos dans les chenils ne peuvent « en aucun cas » avoir une surface inférieure à 5m2 par chien – au nom du bienêtre des animaux.

LA FRANCE TOUJOURS DANS LE VISEUR DE LA CEDH Pas moins de sept juges européens (sur les 17 qui composaient la formation de jugement dans cette affaire) ont ainsi regretté que la Cour ne se soit pas alignée sur les standards du Comité de prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe : 4 m2 minimum par personne dans une cellule collective et 6 m2 dans une cellule individuelle (2). Les juges Sajó, Lopez Guerra et Wojtyczek ont ainsi estimé que l’arrêt Muršić « conduit à accepter des conditions de détention insoutenables », et qu’ « un standard de 3 m2 par personne signifie en pratique que les détenus empiètent en permanence sur la sphère personnelle de leurs compagnons de cellule, et entrent même souvent dans leur sphère intime ». Or, soulignent-ils, « de nombreuses études montrent qu’une telle promiscuité a des conséquences néfastes sur la personnalité des détenus. Ceux qui en douteraient n’ont qu’à éprouver par eux-mêmes la qualité de vie dans 3 m2 d’espace personnel ». Ce manque d’espace, à l’origine d’une « grande souffrance psychique » chez ceux qui le subissent, implique aussi que « le séjour en prison devient vite totalement dénué de sens ».

Quelles que soient les réserves que peut donc susciter l’arrêt Muršić, les critères qu’il pose conduiront néanmoins à de nouvelles condamnations de la France à Strasbourg. Au 1er novembre, plus de 90 prisons françaises connaissaient un taux d’occupation supérieur à 120 %. Ce taux montait à plus de 150 % pour 46 d’entre elles, et près du tiers des cellules de l’ensemble du parc carcéral pouvaient être considérées comme vétustes, indiquait récemment le ministre de la Justice (3). De nombreuses personnes détenues sont donc durablement contraintes de vivre à trois, 22 heures sur 24, dans des cellules de 9 m2, dans des conditions souvent très précaires : en novembre 2016, 1422 d’entre elles dormaient sur des matelas posés à même le sol et n’avaient pas d’accès à un véritable programme d’activités (4). Aujourd’hui, la menace d’une condamnation européenne est d’autant plus sérieuse que trois vagues de requêtes visant les prisons de Ducos (Martinique), Nîmes et Nuutania (Polynésie) sont en cours d’examen devant la Cour européenne. Des recours s’attaquant aux conditions de détention dans les maisons d’arrêt de Fresnes ou de Nice ont également été déposés avec le soutien de l’OIP, qui ciblera d’autres établissements dans les prochains mois. Objectif : obtenir de la Cour européenne un arrêt pilote qui intimerait à la France d’adopter des mesures structurelles pour remédier aux conséquences de la surpopulation – dont notamment une politique volontariste de moindre recours à l’emprisonnement. n (1)

Cour EDH, 20 oct. 2016, Mursic c. Croatie, req. n°7334/13

Espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires : Normes du CPT, Conseil de l’Europe, 15 décembre 2015

(2)

Rapport « En finir avec la surpopulation… », publié le 20 septembre 2016

(3)

En moyenne, les personnes détenues n’ont accès qu’à une heure d’activité par jour.

(4)

Depuis bientôt deux ans, l’OIP aide des personnes détenues à contester leurs conditions de détention devant la Cour européenne des droits de l’homme, sans passage préalable par les voies de recours internes (qui pour l’association ne constituent pas des recours effectifs). Pour rappel, l’OIP tient à la disposition de toute personne intéressée un modèle de requête ainsi que l’argumentaire juridique détaillé quant à cette campagne.

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DEVANT LE JUGE Un arrêt récent de la Cour de Cassation remet en cause la pratique largement répandue consistant à supprimer des crédits de réduction de peine en cas de sanction disciplinaires. La décision met en évidence la nécessité de rompre cette automaticité, mais reste en contradiction avec les exigences du droit au procès équitable inscrit dans la Convention européenne des droits de l’homme.

Sanctions disciplinaires

La Cour de Cassation fragilise les automatismes du JAP par HUGUES DE SUREMAIN

E

En pratique, les sanctions infligées par la commission de discipline (présidée par le chef de l’établissement pénitentiaire), donnent lieu dans la quasi-totalité des cas à un retrait de crédit de réduction de peine (CRP). Le juge de l’application des peines (JAP) prend en effet pour argent comptant les affirmations de l’administration pénitentiaire (AP) et a très souvent recours, presque ouvertement, à un barème fixe de retrait de CRP par jour de quartier disciplinaire infligé. Jusqu’à récemment, la jurisprudence se

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montrait particulièrement conciliante avec cette pratique. Les incidents sanctionnés par l’administration pénitentiaire étaient perçus comme traduisant un manquement du condamné par rapport à l’exigence de bon comportement dans la prison, ce qui permettait de doubler la sanction disciplinaire d’un retrait de CRP, tout en soutenant que les deux procédures étaient indépendantes l’une de l’autre. Ce cloisonnement des procédures et la référence générale au comportement de la personne détenue permettaient

aux juridictions d’application des peines de s’abstenir de vérifier les faits retenus par la commission de discipline.

DES FAITS INSUFFISAMMENT CARACTÉRISÉS La jurisprudence récente de la chambre criminelle de la Cour de cassation vient – timidement – contrarier cette logique. Par un arrêt du 21 septembre 2016, elle a jugé que le président de la chambre de l’application des peines (CHAP) devait montrer dans les motifs de sa


DEVANT LE JUGE

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LE SYSTÈME DE RETRAIT DE RÉDUCTION DE PEINE EST HAUTEMENT PROBLÉMATIQUE EN SOI, NE SERAIT-CE QUE PARCE QU’IL FAIT VARIER LA DURÉE DE LA PRIVATION DE LIBERTÉ À SUBIR PAR LE CONDAMNÉ EN FONCTION D’IMPÉRATIFS DE BON ORDRE PROPRES À L’ADMINISTRATION.

décision que les faits en cause caractérisent un mauvais comportement, mais aussi répondre aux critiques adressées par le condamné aux considérations retenues en première instance par le JAP. Celui-ci a en effet la possibilité de contester les motifs de cette décision. À l’origine de cette décision, la mise en cause d’une ordonnance du JAP. Selon celle-ci, « le condamné [avait] fait l’objet de trois procédures disciplinaires », la première pour détention de lecteur MP3, écouteurs et chargeur USB le 03/07/2014 ; la seconde pour, le 13/08/2014, détention d’un « morceau d’une substance ressemblant à du cannabis » et, le 19/08/2014, « avoir insulté et menacé des agents de surveillance » ; la troisième pour « s’être battu avec des codétenus » le 03/09/2014. « Ces faits, déjà sanctionnés disciplinairement, constituent des inconduites répétées et de toutes natures, justifiant un retrait du [CRP] à hauteur de trois mois », concluait l’ordonnance. Devant le président de la CHAP, l’avocat du condamné avait alors fait valoir trois arguments. Tout d’abord, le fait que la détention de cannabis avait été écartée sur recours administratif, l’autorité hiérarchique n’ayant retenu en définitive que la possession d’un lecteur MP3 et de ses accessoires. Il rappelait ensuite que, si les faits des 13 et 19 août 2014 avaient été pris en compte par le JAP, ceux du 19 août n’avaient finalement pas été retenus par l’autorité disciplinaire. L’avocat soulignait enfin le fait qu’un rapport administratif avait fait apparaître que l’intéressé, accusé d’avoir été à l’origine de violences, avait été en réalité victime d’une agression de la part de codétenus. Le président de la CHAP avait néanmoins affirmé que « les incidents discipli-

naires des 3 juillet 2014, 13 et 19 août 2014 et 3 septembre 2014, caractérisés par la détention d’objets prohibés, des insultes, menaces ou outrages à l’encontre de membres du personnel de l’établissement et par des échanges de coups entre détenus, constituent [la mauvaise conduite du condamné en détention] ».

UNE DÉCISION À LA PORTÉE LIMITÉE Ces énonciations ont été par la suite cassées par la chambre criminelle, qui a considéré que le président de la CHAP n’avait pas assez motivé sa décision. La chambre explique en effet « qu’en se déterminant par ces seuls motifs, sans répondre aux observations de l’avocat du condamné, le président de la chambre de l’application des peines n’a pas justifié sa décision ». En d’autres termes, les critiques soulevées devant le président de la CHAP auraient dû faire l’objet d’une réponse argumentée de sa part ; le magistrat devait indiquer, à l’aune des éléments précis avancés par le condamné, en quoi les circonstances retenues caractérisaient néanmoins un mauvais comportement en détention. Un tel raisonnement n’est pas sans précédent : la chambre criminelle avait déjà sanctionné une absence de réponse aux observations du condamné (voir crim. 29 avril 2009, n°09-80044). La décision de septembre 2016 parait cependant originale par le degré de précision du contrôle des motifs exercé par la Cour de cassation. Un contrôle qui ne reste possible que si les critiques ont été clairement et précisément énoncées par le condamné ou son avocat devant le président de la CHAP, ce qui n’est pas le cas lorsque, comme souvent, l’argumentation développée

est elliptique ou stéréotypée. La portée réelle de la décision ne doit pas être surestimée. Dans l’affaire en question, le requérant disposait de documents de l’AP lui permettant de contester les appréciations portées par les juridictions de l’application des peines. Même si juridiquement, l’arrêt de la Cour de cassation impose aux juges de se prononcer sur les faits en tenant dûment compte des arguments du condamné, un tel examen risque toutefois, dans la pratique, d’être sommaire lorsque l’intéressé ne dispose pas de pièces de l’administration de nature à appuyer sa position. Le système de retrait de réduction de peine est hautement problématique en soi, ne serait-ce que parce qu’il fait varier la durée de la privation de liberté en fonction d’impératifs de bon ordre propres à l’administration. En toute hypothèse, un tel système ne peut être conforme aux principes du procès équitable énoncés à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (applicable en la matière, comme l’a jugé le Conseil d’État, décision du 24 octobre 2014 n°368.580). En effet, le condamné n’a pas la possibilité de discuter utilement les charges le visant, faute de pouvoir questionner les témoins et d’en convoquer lui-même, faute d’audience lui permettant de développer oralement son point de vue (voir l’arrêt CourEDH Gülmez c. Turquie du 20 mai 2008, No.16330/02), etc. À cette question fondamentale de l’applicabilité de cette disposition européenne, l’arrêt du 21 septembre 2016 oppose une énième fin de non-recevoir. Dans ces conditions, les possibilités de contestation risquent de demeurer largement formelles. — Arrêt n°15-83.954 du 21 septembre 2016

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QU’EST-CE QUE L’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement.

ADRESSES Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP – Section française ou pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France :

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COMMENT AGIT L’OIP ? L’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté.

  Le standard est ouvert de 15 h à 18 h

L’OIP EN RÉGION Les coordinations inter-régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires des régions concernées en lien avec les groupes et correspondants locaux présents. POUR CONTACTER LES COORDINATIONS INTER-RÉGIONALES :

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