OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS / SECTION FRANÇAISE
N°99 / MARS 2018 / 7,50 €
Malades psychiques en prison
UNE FOLIE
SOMMAIRE Publication trimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org Internet : www.oip.org Directrice de la publication Delphine Boesel Rédaction en chef Laure Anelli
DÉCRYPTAGE p. 4 « Refondation » pénale : des paroles et des actes à contre-sens
p. 8 Plan radicalisation en prison : une dangereuse régression
INTRAMUROS p. 10 Grève des surveillants : deux semaines de galère p. 51 Violences à Béziers : quand les portes se referment
sur les victimes
Rédaction Laure Anelli / François Bès Sarah Bosquet / Zakia Boudad Alice Collinet / Marie Crétenot Nicolas Ferran / Mathieu Francés Amid Khallouf / Nina Korchi Anaïs Le Breton / Cécile Marcel
DOSSIER
Et aussi Jean-Manuel Larralde / Sébastien Saetta Iconographie Pauline De Smet Contributions bénévoles (recherches, transcriptions et traductions) Melina Constantinidis / Jeanne Du Tertre Amélie Gutieres / Mireille Jaegle Sébastien Maron / Salomé Onyszko Chloé Redon / Virginie La Regina Claire Simon / Sylvain Thonier / Amélie Vaz Secrétariat de rédaction Laure Anelli / Marie Crétenot Pauline De Smet / Cécile Marcel Identité graphique Atelier des grands pêchers atelierdgp@wanadoo.fr Maquette Maël Nonet, agence Barberousse barberousse-communication.fr © Photos et illustrations, remerciements à : Romualdo Barillaro, Mikael Bénard, Willy Berré, Constance Decorde, Jane, Flore Giraud, Benoit Guénot, Grégoire Korganow, Michel Lemoine, Soazig de la Moissonniere, Robert Terzian Et à APIJ, CGLPL, Divergence-images, Hans Lucas, Médecins du Monde, Régie des bâtiments (Belgique), Ville de Montréal Impression Imprimerie ÇAVA Expressions 114 rue de Meaux, 75 019 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Illustration de couverture : © Jane CPPAP : 1119 G 92791
Malades psychiques en prison
UNE FOLIE p. 12 « Les experts ne concluent pratiquement plus à l’irresponsabilité » avec Caroline Protais
p. 14 TAULE STORY L’errance absurde de Zubert Gougou
p. 20 ENQUÊTE Soins psychiatriques en prison : un pansement sur une plaie béante
p. 22 Quand la prison rend malade, avec Christine-Dominique Bataillard
DÉCRYPTAGE La libération pour troubles psychiatriques : une chimère juridique
p. 35 TÉMOIGNAGE « J’ai vu l’état de mon fils se dégrader au fil des années »
p. 36 ILS INNOVENT Sortants de prison : poursuivre les soins, une étape essentielle
p. 38 DÉCRYPTAGE
p. 26
Comment les psy ont investi le pénal, et pourquoi c’est un problème
ZOOM SUR
p. 40
Château-Thierry : une prison pour les « fous »
ET AILLEURS
p. 27
Entre soin et peine, la défense sociale belge
ENQUÊTE
p. 44
UHSA : le coût éthique d’une meilleure prise en charge
p. 31
ET AILLEURS Éviter la prison, l’expérience du Québec
p. 47
ÉDITO TRAVAIL EN PRISON : L’HEURE A SONNÉ DE LÉGIFÉRER !
p. 55 Mulhouse : un détenu souhaitant déposer plainte pour violences se voit refuser l’établissement d’un certificat médical p. 55 Caen : Formation professionnelle en péril au centre pénitentiaire
par CÉCILE MARCEL,
DEVANT LE JUGE
directrice de l’OIP-SF
p. 56 Un refus d’obtempérer n’implique pas
Il est « loisible au législateur de modifier les dispositions relatives au travail des personnes incarcérées ». C’est ainsi qu’en 2015, le Conseil constitutionnel renvoyait aux parlementaires la patate chaude du statut hors normes, pour ne pas dire a-normal, des travailleurs détenus, tout en jugeant de son côté que les dispositions en vigueur n’étaient pas contraires à la Constitution. Le temps est désormais venu. Les conditions de travail des personnes détenues, privées de droits, corvéables à merci, ont fait l’objet de trop de rapports critiques, de réprobation, de condamnations en justice, pour être encore ignorées. La nécessité d’une remise à plat est désormais posée au sommet de l’État. « Je souhaite que le droit du travail, en étant adapté évidemment à la réalité et aux contraintes de la prison, puisse s’appliquer aux détenus », a déclaré le président Macron en présentant le 6 mars dernier son Plan sur le sens et l’efficacité des peines. Car « on ne peut pas demander à des détenus de respecter la société, de pouvoir se réinsérer en elle, si on nie la dignité et les droits de ces individus ». Dont acte. La commission des lois de l’Assemblée nationale s’est certes emparée du sujet dans le cadre de ses groupes de travail sur la détention. Mais trop timidement. Concentrant ses recommandations sur la qualité et la quantité de l’offre de travail en détention, elle considère qu’il est « difficile d’appliquer les règles du droit du travail en prison » et invite, à ce sujet, à une réflexion ultérieure. On ne peut pourtant pas repenser l’organisation du travail en prison sans considérer la question du statut des travailleurs détenus. Une évidence soulignée jusque dans les recommandations de l’Institut Montaigne – qu’on ne peut pourtant pas taxer d’utopisme « gauchisant » – qui vient de rendre un rapport sur le sujet. Pour lui, l’absence de contrat de travail « porte préjudice au détenu et à son employeur potentiel » et « fait que ni les détenus, ni les entreprises, ni l’administration pénitentiaire ne perçoivent le travail en prison comme une première étape d’un parcours professionnel pouvant être déclinée en dehors ». Ses propositions reprennent par ailleurs plusieurs des pistes évoquées dans le précédent numéro de cette revue : rapprocher autant que possible le statut du travailleur détenu du statut du travailleur à l’extérieur, articuler offre d’emploi et de formation, développer le dispositif de l’insertion par l’activité économique (IAE) et créer une agence nationale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle chargée de penser et de gérer l’organisation du travail en prison. D’autres pays, comme l’Espagne et l’Italie, se sont engagés dans cette voie et il serait bon que la France ne soit pas, une fois encore quand il s’agit du respect des droits en prison, à la traîne de ses voisins. La balle est désormais dans le camp du législateur. En attendant, l’OIP continuera à maintenir la pression, y compris par la voie contentieuse, pour que soit mis fin à une situation que chaque jour qui passe rend plus intolérable.
© Jane
toujours sanction p. 57 Suspension en urgence d’un retrait de permis de visite p. 57 De l’utilité du référé-instruction pour engager une procédure indemnitaire
DÉCRYPTAGE À Agen, le 6 mars dernier, le président de la République a prononcé des mots importants sur la pénalité. Devant les élèves de l’École nationale de l’administration pénitentiaire, il a reconnu que, trop centré sur la prison, le système pénal était à bout de souffle et source d’importantes atteintes à la dignité en détention. Cependant, entre incohérences et duplicité, la réforme qu’il propose risque surtout d’alimenter le mal qu’il dénonce.
« Refondation » pénale : des paroles et des actes à contre-sens par MARIE CRÉTENOT
L
La parole d’un Président sur la prison et la pénalité est rare. Surtout lorsqu’il s’agit de se démarquer du populisme pénal, cette vision « politico-médiatique » de la peine déplorée par Emmanuel Macron dans son discours d’Agen – vision où l’enfermement est brandi « pour répondre à une émotion », sans s’interroger sur son sens, ni sur son impact. Il a posé alors un constat lucide : « L’emprisonnement ne cesse d’augmenter parce qu’au fond, cela reste la solution qui contente symboliquement le plus de monde. » Reconnaissant de fait l’« impasse » d’un système qui coûte « extrê-
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mement cher » à la collectivité sans pour autant la protéger, car il « empêche ceux qui le pourraient de se réinsérer et de sortir de la délinquance ». Étrillant l’univers carcéral, le Président a rappelé qu’être condamné à une peine de prison ne devrait pas signifier être condamné à « perdre tous ses droits, sa dignité ou à vivre à trois dans 9m2 ». Il a ainsi annoncé qu’il reconnaîtrait enfin aux personnes incarcérées un droit du travail adapté et un droit de vote effectif. Mais aussi qu’il augmenterait de manière significative les budgets alloués aux acti-
vités – dont la formation – pour que les détenus ne soient plus cloîtrés l’essentiel de la journée, ce qui constitue « une insulte à l’idée que nous nous faisons de la dignité ». Enfin, il a promis le déploiement de fonds pour rénover les établissements vétustes et insalubres, pour que les personnes détenues n’aient plus à « vivre en compagnie de rats et de punaises de lit ». Ces engagements sont importants. Encore faudrait-il qu’ils soient traduits en actes.
collectif » sur le système pénal, le réflexe populiste persiste. Les 15 000 places dont il n’a pas fait mention à Agen sont bien maintenues dans les « Chantiers de la Justice » comme dans l’avant-projet de loi transmis au Conseil d’État : 7 000 places construites durant le quinquennat et 8 000 autres programmées, en laissant la facture au prochain gouvernement. Tout en dénonçant la sur-incarcération, le Président l’accompagne. Il joue sur deux tableaux – dont l’un est nécessairement perdant : la déflation carcérale.
© Soazig de la Moissonniere / Présidence de la République
PRISONS : INCOHÉRENCE ET FAUX-SEMBLANTS
RÉDUCTIONNISME PÉNAL : LE COMPTE N’Y EST PAS
Or, pour l’heure, les actes n’y sont pas. Et rien ne laisse présager que la future loi de programmation fasse de ces engagements une priorité. Le dossier « Chantiers de la Justice » présenté par le ministère n’en contient d’ailleurs aucune trace. Ainsi, alors qu’Emmanuel Macron déplore que la prison soit synonyme d’« annihilation sociale et morale », le dossier détaille la création de structures ultrasécuritaires, étanches du reste de la détention et censées regrouper les détenus considérés comme radicalisés et/ou violents. Il faudrait au contraire quitter cette logique et consacrer le principe de normalisation promu par le Conseil de l’Europe en alignant « aussi étroitement que possible » la vie en prison sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur. Cela supposerait de limiter les dispositifs de sécurité coercitifs pour privilégier le renforcement de relations « positives » entre personnel et détenus, responsabiliser ces derniers en leur permettant une plus grande autonomie, développer les échanges avec l’extérieur, etc. Or cette approche, qui devrait donc être la règle pour tous quel que soit le régime de détention, le gouvernement entend en fait la
Réduire le recours à l’emprisonnement suppose de s’attaquer aux facteurs de l’inflation du nombre de détenus et de donner une traduction législative au scepticisme affiché vis-à-vis des vertus de la prison. Et donc de conduire une réforme volontariste de la politique pénale : limiter l’usage et la durée de la détention provisoire, diminuer le périmètre de la justice pénale en confiant à d’autres formes de régulation (civile ou administrative) certains conflits et à d’autres instances – telle que la santé publique – la prise en charge de problématiques comme l’addiction aux stupéfiants. Mais encore, réduire l’échelle des peines, développer les sorties de détention anticipées – avec encadrement et accompagnement adaptés, et ne plus faire de la prison le référentiel unique des sanctions. Or, la « refondation pénale » d’Emmanuel Macron ne contient pas cela. La détention provisoire, qui ne cesse de croître (+20 % en trois ans) (1), est laissée de côté. Il n’est pas prévu de réduire sa durée, ni de redéfinir les critères permettant d’y recourir, comme l’avait suggéré le rapport Cotte-
IL JOUE SUR DEUX TABLEAUX – DONT L’UN EST NÉCESSAIREMENT PERDANT : LA DÉFLATION CARCÉRALE réserver à quelques-uns seulement – notamment aux personnes incarcérées dans les établissements dits à « sécurité adaptée » – pour ne pas dire allégée. Ces établissements auront vocation à accueillir certains détenus en fin de peine, mais aussi des personnes condamnées à de courtes peines de prison. Ces mêmes courtes peines que le Président comme le ministère affirment vouloir éviter. On le sait pourtant, augmenter le nombre de places de prison – et a fortiori pour de courtes peines d’emprisonnement – produit un appel d’air. C’est surtout faire « d’un problème politique, social et moral un problème immobilier » – Emmanuel Macron l’a dit dans son discours, comme s’il prenait enfin conscience de la fuite en avant que représente l’objectif de 15 000 nouvelles places. Mais, en dépit de ces mots, en dépit de l’appel à un « examen de conscience
Les prévenus représentent près d’un tiers de la population détenue (31 % au 1er février 2018).
(1)
(2) 250, 300 ou 600 euros selon que l’amende est payée immédiatement, dans le délai imparti (45 jours) ou hors délai. (3) Il suffit par exemple d’alléguer que le risque de renouvellement d’infraction n’est pas levé.
Minkowski sur « le sens et l’efficacité des peines » qui devait pourtant orienter la réforme. Toute forme de dépénalisation est aussi écartée. Si le gouvernement entretient l’idée d’un allègement de la répression concernant l’usage de drogues ou la délivrance d’alcool à des mineurs, il n’en est rien dans les faits. Cela reste des délits passibles de prison. Seule la possibilité d’éviter des poursuites par le paiement d’une amende forfaitaire est prévue – pour ceux qui le peuvent (2). Quelques pas sont certes franchis pour favoriser les sorties de détention : l’avant-projet de loi harmonise à la mi-peine l’accessibilité à la libération conditionnelle (sauf période de sureté) et pose le principe d’une libération sous contrainte d’office aux deux-tiers de peine pour celles inférieures ou égales à cinq ans. Mais les critères pouvant justifier un refus du juge sont tellement larges (3) qu’il est à craindre que cela MARS 2018 / DEDANS-DEHORS N°99
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ne modifie pas substantiellement les pratiques. Les magistrats n’en accordent en moyenne que 4 000 par an, quand près de 50 000 personnes détenues pourraient en bénéficier (4). En dépit de l’invitation du rapport Cotte-Minkowski à se saisir de la question des peines les plus longues, la réforme la néglige. Laissant intacte la verrue que constitue dans notre droit la rétention de sûreté.
LA PRISON TOUJOURS EN RÉFÉRENCE Surtout, le Président qui déplore un système « prisoncentré » ne parvient pas à s’en émanciper lui-même. Jusqu’à valider le raisonnement de nombreux magistrats qui, plutôt que d’envisager la prison comme dernier recours, se demandent d’abord, face à un délit, combien de temps de détention les faits méritent avant de réfléchir à la possibilité d’une alternative. Cette logique de conversion, qu’il s’agissait de combattre, se retrouve en fait au cœur des propositions de réforme. En effet, le message envoyé aux magistrats pourrait concrètement être résumé ainsi : « Ne changez pas votre référentiel prison. Mais lorsque vous envisagez une peine de moins d’un an, des alternatives doivent être plus ou moins recherchées. De manière systématique quand vous songez à moins d’un mois de prison (5) ; par principe quand vous vous arrêtez sur une peine inférieure ou égale à six mois ferme (l’aménagement (6) est la règle, mais le tribunal peut le refuser (7)) ; de manière facultative quand la peine est comprise entre six mois et un an ferme, assortie ou non d’un sursis simple ou probatoire (la partie ferme peut être aménagée, le bracelet électronique privilégié). Au-delà d’un an, plus d’aménagement à rechercher, la peine doit être exécutée en prison. » Par ailleurs, la réforme fait disparaître la contrainte pénale de l’échelle des peines et revient ainsi sur un symbole important acquis par la réforme Taubira de 2014 : la reconnaissance d’une existence propre à la probation, en tant que peine permettant d’agir sur les facteurs de passage à l’acte par un suivi individualisé tout en évitant la désocialisation carcérale. Si la contrainte pénale n’était pas pleinement déconnectée de la prison (le non-respect des obligations pouvant conduire en détention), elle avait toutefois le mérite d’exister comme peine autonome : une peine pouvant se substituer à l’emprisonnement, et non une
IGAS, IGSJ, IGF, Rapport sur l’évaluation des politiques interministérielles d’insertion des personnes confiées à l’administration pénitentiaire par l’autorité judiciaire, juillet 2016.
(4)
(5) Le gouvernement veut proscrire ce type de peine pour les remplacer par du travail d’intérêt général, des joursamende, voire de la détention à domicile.
Bracelet électronique, semi-liberté ou placement à l’extérieur.
(6)
Par une décision spécialement motivée.
(7)
déclinaison de celui-ci, à l’instar du sursis avec mise à l’épreuve (SME). Ici, le gouvernement propose de fusionner le SME avec la contrainte pénale et avec le sursis-TIG (travail d’intérêt général). Cette proposition a le mérite d’en faire une mesure unique, plus lisible, aux contenu et contraintes modulables selon la situation des personnes et selon leur évolution. Mais, plutôt que de la conserver comme peine autonome – et même de l’ériger en peine maximale encourue pour certains délits afin de lui donner une véritable portée, la réforme la rattache à l’emprisonnement au point de la fondre dedans sous l’appellation « peine d’emprisonnement avec sursis probatoire ». Et à nouveau, la prison est au premier plan. À la place de la contrainte pénale, le gouvernement introduit une nouvelle peine, le bracelet électronique (8). En lui donnant au passage un nom plus carcéral : la « détention à domicile sous surveillance électronique ». Dans l’échelle des peines, la principale alternative à la prison prend donc la forme d’une surveillance accrue. D’autant que l’avant-
SURTOUT, LE PRÉSIDENT QUI DÉPLORE UN SYSTÈME « PRISON-CENTRÉ » NE PARVIENT PAS À S’EN ÉMANCIPER LUI-MÊME.
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© Constance Decorde / Hans Lucas, Fresnes, 2017.
DÉCRYPTAGE
projet de loi prévoit que cette peine puisse n’être qu’une assignation à résidence, avec autorisations d’absence réduites, sans mesure d’aide, ni d’assistance : en somme, la prison chez soi, avec possibilité d’envoi en établissement pénitentiaire en cas d’écart. Cette approche risque d’accroître et de banaliser le contrôle et la contrainte en milieu libre, sans pour autant faire diminuer le recours à l’emprisonnement ni favoriser la prévention de la récidive. En réalité, en consolidant le prison-centrisme et sans modifier en profondeur les conditions dans lesquelles les personnes sont jugées, cette réforme qui est présentée comme une avancée et un moyen d’éviter la prison à des milliers de personnes risque grandement de produire l’effet inverse : mener à un nombre toujours croissant de détenus.
VERS UNE AUGMENTATION DE LA POPULATION CARCÉRALE ? La réforme supprime la possibilité d’aménager les peines comprises entre un et deux ans de prison ainsi que la saisine obligatoire du juge de l’application des peines pour celles de six mois à un an. D’après le Président, limiter les possibilités d’aménagement des peines permettra de confronter les tribunaux au poids de leurs décisions. À ses yeux, autoriser qu’une peine d’emprisonnement prononcée en audience publique puisse être aménagée « par un autre juge, dans son cabinet, déresponsabilise toute la chaîne judiciaire ». Cela s’entend. Mais c’est ignorer les raisons pour lesquelles ce dispositif a été créé : pallier le manque de temps qu’ont les tribunaux pour comprendre les parcours des personnes qu’ils jugent, s’intéresser à leurs problématiques, étudier les mesures qui pourraient être mises en place en milieu ouvert pour y remédier. C’est
Qui n’existait jusque-là qu’en aménagement d’une peine de prison ou en alternative à la détention provisoire.
(8)
SNDP, communiqué du 8 décembre 2017.
(9)
Le Parisien, 8 mars 2018.
(10)
aussi et surtout faire fi du recours croissant à la comparution immédiate et des dangers que cette procédure présente. Symbole d’une justice expéditive, le temps d’audience y dépasse rarement une demi-heure, dont six minutes de plaidoirie pour la défense. Les seules informations dont disposent les juges proviennent d’enquêtes sociales rapides réalisées en quelques dizaines de minutes par des associations, qui ne peuvent mener de vérifications poussées. À en croire le gouvernement, la situation pourra s’améliorer, d’une part, par le recrutement de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. Hélas, le nombre de recrutements envisagés (1 500, contre 750 annoncées initialement), s’il traduit un effort, reste bien insuffisant par rapport aux besoins : il aurait fallu doubler ce chiffre pour atteindre le quota de 40 dossiers par agent (contre souvent plus de 100 actuellement) et ainsi permettre aux conseillers ne seraient-ce que de suivre, dans des conditions convenables, les personnes dont ils ont déjà la charge. Il mise aussi sur la procédure de césure du procès pénal : on se prononce sur la culpabilité, puis on prend le temps de mener des investigations plus approfondies avant de déterminer la peine. Cette procédure, qui nécessite plusieurs audiences, suppose cependant des moyens que la justice n’a pas. Il y a, dès lors, peu de perspectives réelles de transformer les modalités de jugement. Et le risque d’aboutir, par défaut ou par réflexe, à des peines d’emprisonnement est, quant à lui, accru. Pour les peines de moins de six mois, le gouvernement admet d’ores et déjà que l’aménagement – posé comme règle – ne sera pas pleinement respecté et que, dans 40 % des cas, les personnes continueront d’être envoyées en prison, à la suite notamment d’une comparution immédiate. Quant à la suppression des peines de moins d’un mois de prison – mesure avant tout symbolique, elle n’aura quasiment pas d’impact. Car si, aujourd’hui, des sanctions de ce type sont effectivement prononcées, très peu sont mises à exécution sans aménagement. En revanche, le durcissement pour les peines supérieures à six mois va avoir des effets désastreux. Pour le Syndicat national des directeurs de prison, une telle réforme aura pour conséquence une « augmentation de la population carcérale de l’ordre de 8 000 détenus à brève échéance » (9). Et la tendance sera d’autant plus lourde si le gouvernement met en place, comme annoncé, un mandat de dépôt différé pour les peines de moins d’un an, c’est-à-dire la possibilité de laisser quelques jours ou quelques semaines entre le prononcé de la peine et l’incarcération : la prise de corps se passera en coulisses, et les magistrats ne seront plus confrontés aux conséquences de leurs décisions. Facilitant ainsi le détachement et la déresponsabilisation des juges, pourtant pointés comme au cœur du problème. Pour une juge de l’application des peines de l’Union syndicale des magistrats, le bilan est clair : avec une telle réforme, teintée « de durcissement et d’incohérence », le risque est grand que, plus qu’hier encore, « les juges deviennent des machines à incarcérer » (10). n MARS 2018 / DEDANS-DEHORS N°99
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R E I S S O D
Malades psychiques en prison
UNE FOLIE Une personne détenue sur quatre souffrirait de troubles psychotiques. C’est huit fois plus que dans la population générale. Face à la présence massive de malades psychiques en détention, les gouvernements successifs ont fait le choix de faire entrer le soin en prison plutôt que de faire sortir les malades. Faisant fi de ce qui tient autant du principe que du constat : la prison n’est pas, et ne peut pas être, un lieu de soin. « Les experts ne concluent pratiquement plus à l’irresponsabilité » avec Caroline Protais
Quand la prison rend malade, avec ChristineDominique Bataillard
p. 26
p. 14 TAULE STORY
ZOOM SUR
L’errance absurde de Zubert Gougou
Château-Thierry : une prison pour les « fous »
p. 20
p. 27
ENQUÊTE
ENQUÊTE
Soins psychiatriques en prison : un pansement sur une plaie béante
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UHSA : le coût éthique d’une meilleure prise en charge
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DÉCRYPTAGE
DÉCRYPTAGE
La libération pour troubles psychiatriques : une chimère juridique
Comment les psy ont investi le pénal, et pourquoi c’est un problème
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p. 40
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« J’ai vu l’état de mon fils se dégrader au fil des années »
Entre soin et peine, la défense sociale belge
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ILS INNOVENT
ET AILLEURS
Sortants de prison : poursuivre les soins, une étape essentielle
Éviter la prison, l’expérience du Québec
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« Un voisin de cellule a totalement disjoncté du jour au lendemain. Il végétait dans sa crasse. Pour le sortir en promenade ou lui apporter les repas, les surveillants venaient avec casque et bouclier. Dans la nuit, il poussait des cris de bête, je faisais des bonds dans mon lit. C’était des cris inhumains. J’en ai connu un autre qui ne dormait pas pendant plusieurs jours. Il restait assis devant sa table, parlait avec les murs et se prenait pour un lion. Je me rappelle aussi d’un mec qui disait, au moment de la distribution des gamelles, "attendez trente secondes, je suis en correspon-
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© Jane
par LAURE ANELLI
Malades psychiques en prison
dance avec ma femme". Sa femme, il l’avait trucidée vingt ans en arrière ! » Il n’est pas nécessaire de passer, comme cet ex-détenu, une trentaine d’années en prison pour partager ce constat : quiconque en franchit les murs, ne serait-ce que pour quelques heures, en ressort « stupéfait par la présence, en nombre, de personnes y souffrant de pathologies psychiatriques ». C’est ce que décrit le député Stéphane Mazars lors de la présentation des conclusions du groupe de travail de l’Assemblée nationale chargé de réfléchir à la prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques (1). Un phénomène malheureusement insuffisamment documenté, puisqu’il n’existe qu’une seule étude de grande ampleur sur le sujet, qui date de 2004 (2). Elle révèle que huit hommes et sept femmes
Rapport en conclusion des travaux des groupes de travail sur la détention, Assemblée nationale, 21 mars 2018.
(1)
(2) Falissard B. (dir.), Enquête de prévalence sur les troubles psychiatriques en milieu carcéral. Étude pour le ministère de la Santé (Direction générale de la santé) et le ministère de la Justice (Direction de l’administration pénitentiaire), décembre 2004.
« consolider et homogénéiser les moyens » consacrés à la prise en charge des détenus. Il préconise en particulier « le lancement de la seconde tranche des UHSA en tirant les conclusions de l’évaluation de la première tranche ». Ou comment mettre la charrue avant les bœufs : ne serait-il pas plus judicieux de dresser le bilan de l’existant, avant d’en préconiser la généralisation ?
TOUJOURS PLUS D’HÔPITAUX-PRISON Créées en 2002, les UHSA sont des structures hybrides : des institutions psychiatriques sécurisées par l’administration pénitentiaire. Il est vrai qu’elles ont permis une amélioration de la prise en charge. Il est vrai aussi que les places en UHSA sont concentrées en un petit nombre de
AU-DELÀ DU MANQUE DE MOYENS, LA PRISON – PAR SON ARCHITECTURE, SES NORMES DE SÉCURITÉ, SA FONCTION D’ENFERMEMENT MÊME – EST UN TERRAIN INTRINSÈQUEMENT HOSTILE AU SOIN. détenu.e.s sur dix sont atteint.e.s d’un trouble mental (trouble anxieux, dépression, trouble bipolaire, psychose, etc.), la majorité cumulant plusieurs troubles et/ou une problématique addictive. On y apprend aussi qu’un détenu sur deux souffre d’un trouble anxieux (contre un sur cinq en population générale), un sur quatre d’un trouble psychotique (contre 3 % en population générale). Ce que cette enquête ne dit pas en revanche, c’est si ces troubles préexistaient à l’incarcération des personnes, ou si elles les ont développés entre les murs. Une enquête à dimension régionale, menée récemment dans le Nord-Pas-de-Calais (3), montrait à ce sujet que 70 % des personnes entrant en prison souffrent d’au moins un trouble psychiatrique, près d’une sur deux en cumulant plusieurs. « Les gens arrivent très malades en prison, résume le psychiatre Thomas Fovet. Dans cette enquête, quasi tous les troubles sont entre deux et quatre fois plus représentés chez les personnes entrant en prison que dans la population générale », précise-t-il. Face à l’incarcération massive de personnes souffrant de troubles psychiatriques, la prison « s’est adaptée sans pouvoir faire face à l’ampleur du phénomène », pouvait-on lire en 2010 dans un rapport parlementaire (4). Un constat toujours d’actualité (lire page 22) et partagé par le groupe de travail de l’Assemblée nationale : offre de soins ambulatoires incomplète avec des postes de psychiatre non pourvus, insuffisance de places en unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA – lire page 31) et problème de répartition sur le territoire… Le groupe de travail propose ainsi de
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(3) Plancke L., Sy A. (stagiaire), Fovet T., Carton F., Roelandt J.-L., Benradia I., Bastien A. (interne en psychiatrie), Amariei A., Danel T., Thomas P., La santé mentale des personnes entrant en détention, Lille, F2RSM Psy, novembre 2017.
« Prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français ? », rapport d’information du Sénat, 5 mai 2010.
(4)
structures inégalement réparties sur le territoire et qu’une ou deux d’entre elles sont saturées – pas toutes, loin s’en faut, le taux d’occupation moyen étant de 80 %. Mais ce que notre enquête révèle aussi, c’est que certains patients admis en UHSA ne repartent jamais en détention. Parce qu’ils « n’y ont pas leur place », de l’aveu même des praticiens. Alors faute de mieux, on leur offre l’asile dans ces « hôpitaux-prison » où ils occupent des lits, parfois plusieurs années, jusqu’à la fin de leur peine. D’autres, au contraire, ne font que cela, retourner en détention, pour finalement revenir se faire soigner au bout de quelques semaines ou mois parce que leur état s’est à nouveau détérioré (lire page 36). Pas assez malades pour être autorisés à y rester, trop pour que la stabilité mentale qu’ils y ont retrouvée se maintienne en détention, ceux-là multiplient les séjours à l’UHSA. On les « aide à tenir comme ça », là encore « faute de mieux ». Si leur état se dégrade à leur retour en détention, expliquent certains médecins, « c’est parce qu’en prison, ils arrêtent leur traitement ». Le problème réside d’après eux dans l’impossibilité, en l’état actuel du droit, de recourir aux soins contraints en détention. La solution semble toute trouvée : il s’agit d’étendre en prison le « programme de soins » instauré en milieu libre en 2011 qui permet d’obliger les patients sortant d’une hospitalisation à poursuivre leur traitement, sous peine d’être renvoyés à l’hôpital pour se les voir administrer de force. La confusion entre peine et soin atteindrait alors des sommets. Le risque est en outre
réel, dans le contexte carcéral, qu’il soit fait usage de coercition. Des injections ont d’ailleurs déjà été administrées de force au centre pénitentiaire de Château-Thierry (lire page 27). Cette proposition a cependant été reprise par le groupe de travail de l’Assemblée nationale, qui précise toutefois que vues la « sensibilité particulière du sujet, sa complexité juridique et ses implications médicales », il faudra poursuivre « la réflexion et la concertation ». Pour l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, c’est tout réfléchi : « Les soins en milieu pénitentiaire doivent exclure toute contrainte. » (5) Selon elle, une telle mesure ne fera qu’entraver « les possibilités d’inscrire les patients concernés dans une authentique démarche de soin, aggravant encore un peu plus le pronostic psychiatrique à long terme ».
TOUJOURS PLUS DE PRISONS-HÔPITAL Autre préconisation du groupe de travail : « compléter le parc pénitentiaire par deux ou trois établissements pour peine similaires à Château-Thierry ». Une prison qui faisait jusque-là figure d’exception – ou d’anomalie, selon le point de vue – dans le paysage carcéral français. Sa vocation, fixée par une circulaire de 2012, est d’accueillir des personnes condamnées présentant des « troubles du comportement rendant difficile leur intégration à un régime de détention classique mais ne relevant ni d’une hospitalisation d’office, ni d’une hospitalisation en service médicopsychologique régional, ni d’une UHSA » (6). Mais à la lecture de la liste des troubles pouvant conduire à une affectation à ChâteauThierry (lire page 27), on peine à imaginer ce qui pourrait justifier une hospitalisation aux yeux du législateur… Le Contrôle général des lieux de privation de liberté évaluait d’ailleurs lors de sa visite de 2015 qu’entre 80 et 90 % des personnes détenues à Château-Thierry relèveraient en fait de l’hôpital psychiatrique si elles « étaient libérées » (7). De façon consciente ou non, le groupe de travail de l’Assemblée nationale précise sa proposition d’une formule qui renforce l’ambiguïté actuelle : il serait question d’affecter dans ces répliques de ChâteauThierry des détenus « dont la spécificité des troubles psychiatriques rend impossible » – et non plus « difficile » – « leur prise en charge en détention ordinaire ou dans l’une des unités pénitentiaires médicalisées ». Un public cible dont la définition ressemble à s’y méprendre à celui dont la loi fixe qu’il devrait bénéficier d’une mise en liberté : l’article 720‑1-1 du Code de procédure pénale prévoit en effet qu’une suspension de peine peut être ordonnée lorsque « l’état de santé
© Grégoire Korganow / CGLPL (5) ASPMP, Audition sur la prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques, 22 février 2018, Assemblée nationale.
Circulaire du 21 février 2012 relative à l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.
(6)
CGLPL, Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de ChâteauThierry, publié en juillet 2017.
(7)
physique ou mental est durablement incompatible avec le maintien en détention ». La plupart des praticiens interrogés dans le cadre de ce dossier sont pourtant formels : malgré tout le professionnalisme déployé par les équipes soignantes, « la prison n’est pas un lieu de soin. C’est un lieu où l’on souffre, mais ce n’est pas un lieu de soin », assène Isabelle Boisier, qui a travaillé treize ans à la prison de la Santé à Paris, comme infirmière puis cadre de santé en psychiatrie. Parce qu’audelà du manque de moyens que le groupe de travail imagine pouvoir combler, la prison – par son architecture, ses normes de sécurité, sa fonction d’enfermement même – est un terrain intrinsèquement hostile au soin (lire page 22). Pis, elle « favorise, chez des personnes vulnérables, l’éclosion MARS 2018 / DEDANS-DEHORS N°99
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de pathologies qui, dans un autre environnement, ne se seraient sans doute pas exprimées » et aggrave l’état de celles qui seraient déjà porteuses de troubles, explique ChristineDominique Bataillard, psychiatre en prison (lire page 26). Alors, pourquoi ne pas admettre que ces personnes n’y ont tout simplement pas leur place et faire de cette réalité le cœur du problème et, partant, de la réflexion ?
UN PROBLÈME PRIS À L’ENVERS « La question de la prise en compte des troubles mentaux dans la détermination de la responsabilité pénale ne relevait pas du champ d’étude de notre de groupe de travail », écrit, en préambule de son exposé, Stéphane Mazars. Dommage. C’est pourtant par là qu’il aurait fallu commencer. Ce que
© Grégoire Korganow / CGLPL
reconnaissent d’ailleurs les parlementaires – qui n’en sont pas à une contradiction près, en écrivant que les difficultés entourant l’expertise psychiatrique « condui[sent] à placer en détention des personnes dont le comportement et les pathologies justifieraient qu’elles ne s’y trouvent pas et soient plutôt prises en charge par des structures médicales adaptées ». Mais une fois de plus, le politique cède à la facilité de « mesures présentées comme une réponse technique » aux difficultés de prise en charge des malades psychiques en prison, comme l’a déjà constaté par le passé la sociologue Camille Lancelevée. « Face à l’alternative de faire sortir les malades mentaux, le choix est fait de faire entrer un peu plus l’hôpital psychiatrique en milieu carcéral. » (8) Tout en se donnant l’illusion de faire par là le choix du « en même temps » : celui du sécuritaire et en même temps du thérapeutique – quand le premier ne se fait en réalité qu’au détriment du second.
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Lancelevée C., « Quand la prison prend soin : enquête sur les pratiques professionnelles de santé mentale en milieu carcéral en France et en Allemagne », Regards 2017/1 (n° 51), p. 245-255.
(8)
CNCDH, Étude sur la maladie mentale et les droits de l’homme, juin 2008.
(9)
Si l’on rencontre autant de personnes souffrant de troubles psychiques en prison, c’est sans doute d’abord faute de repérage en amont, lors du traitement judiciaire. En matière correctionnelle, l’expertise psychiatrique n’est pas obligatoire. Les conditions de jugement lors des procédures de traitement rapide – et particulièrement en comparution immédiate, qui représente à elle seule plus de 12 % des décisions rendues en matière correctionnelle – ne sont pas non plus propices à la détection de troubles, comme le note la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) (9). Quant aux affaires qui font l’objet d’une phase d’instruction, il appartient au juge instructeur d’en requérir une. Problème : « des études ont montré qu’il existe une distorsion importante entre le type de personnes qui devraient faire l’objet d’une expertise selon le magistrat, et celles qui le devraient selon l’expert », note la sociologue Caroline Protais (lire page 18). Et lorsqu’expertise il y a, les procédures sont tellement longues qu’une personne peut passer plusieurs mois, voire années, en détention provisoire avant d’être déclarée irresponsable – si tant est qu’elle le soit : les déclarations d’irresponsabilité sont en effet de plus en plus exceptionnelles. Leur nombre a été divisé par quatre en trente-cinq ans, si bien qu’aujourd’hui, moins de 0,6 % des affaires criminelles poursuivies se soldent ainsi. À l’origine de cette diminution, une évolution des positionnements dans le champ de l’expertise psychiatrique, amorcée dans les années 1950 : contrairement aux raisonnements qui prévalaient jusqu’alors, il ne suffit plus aujourd’hui d’être diagnostiqué psychotique pour être considéré comme irresponsable de ses actes. Un changement d’approche qui a trouvé sa traduction dans le Code pénal : depuis une réforme de 1994, la « démence » ne constitue plus une cause d’irresponsabilité pénale. Il s’agit désormais de déterminer si un trouble a pu abolir ou seulement altérer le « discernement » et le « contrôle des actes » de la personne. Or ces notions ne sont pas médicales et laissent prise aux positionnements idéologiques des experts : certains, considérant que la peine peut avoir une vertu thérapeutique ou encore que la personne doit faire l’objet d’une prise en charge criminologique au sein du système pénal, vont plutôt privilégier la responsabilisation du malade.
UNE TENDANCE À LA SURPÉNALISATION DES MALADES La diminution des cas d’irresponsabilité pénale se double d’une tendance judiciaire à condamner plus sévèrement les personnes lorsque seule l’ « altération » du discernement
Malades psychiques en prison
a été retenue par les experts : elles écopent d’une peine encore plus lourde que les personnes jugées pleinement responsables de leur acte. « Aujourd’hui, avec l’augmentation de la responsabilité des malades mentaux dont le discernement a été altéré, on est passé en fait au principe "demi-fou, double-peine" » (10), dénonçait Jean-René Lecerf en 2011. Pour contrer cette tendance à la surpénalisation des malades psychiques, la loi 15 août 2014 a modifié l’article 122-1 du Code pénal en consacrant, en cas d’altération du discernement de l’auteur au moment des faits, le principe d’atténuation de la peine encourue (11). Sans qu’il soit possible aujourd’hui d’en mesurer les effets.
J.-R. Lecerf, Sénat, examen de la proposition de loi relative à l’atténuation de responsabilité pénale, 25 janvier 2011.
(10)
Le maximum légal doit être réduit d’un tiers en matière correctionnelle, trente ans en cas de crime puni de perpétuité. (11)
Dans ce contexte, comment s’étonner qu’aucune suspension de peine pour raison psychiatrique n’ait, semble-t-il, été prononcée (lire page 35) ? Si le groupe de travail de l’Assemblée nationale propose, à raison, d’en clarifier les conditions d’octroi, on peut craindre que tant que l’on n’accordera pas à la psychiatrie les moyens substantiels que sa remise à flots réclame, les juges ne s’en saisiront pas davantage. Pis, en renforçant encore les dispositifs de prise en charge en milieu pénitentiaire, on valide et raffermit s’il le fallait encore le raisonnement qui amène les magistrats à faire le choix de la prison. Le groupe de travail l’a pourtant bien relevé : « Entre 1997 et 2012, les équipes des unités sani-
IL NE S’AGIT PAS DE RENVOYER CES PERSONNES À L’HÔPITAL PSYCHIATRIQUE MAIS PLUTÔT DE MISER SUR DES DISPOSITIFS ALTERNATIFS EN MILIEU OUVERT. Si l’on surpénalise les personnes souffrant de troubles, c’est, au fond, que la maladie psychique fait peur. Dans l’imaginaire collectif, les figures du criminel et du malade mental se confondent, pour n’en former plus qu’une : celle du fou dangereux. Pourtant, « entre 2 % et 5 % des auteurs d’homicide et entre 1 % et 4 % des auteurs d’actes de violence sexuelle seulement [sont] atteints de troubles mentaux » (12). Quoiqu’il en soit, dans une société obnubilée par le risque – fut-il infime, la question de leur dangerosité fantasmée obsède. Redoutant, en cas de récidive, de voir leur responsabilité engagée sur la place médiatique, les juges préfèrent la prison à l’hôpital. Il faut dire que l’évolution récente des moyens de la psychiatrie donne aux magistrats des raisons de douter de la capacité de prise en charge du secteur.
MISÈRE DE LA PSYCHIATRIE PUBLIQUE Le nombre de lits d’hospitalisation complète en établissement psychiatrique public a été divisé par cinq en quarante ans, passant de 170 000 à 35 000 en 2015 (13). Cette diminution résulte initialement d’une volonté d’ouverture de la psychiatrie : hantée par la mort de plus de 40 000 malades abandonnés à leur sort dans les hôpitaux lors de la Seconde Guerre mondiale, la profession a voulu en finir avec l’asile, cette structure fermée où les gens pouvaient rester captifs indéfiniment. Mais cette fermeture de lits ne s’est pas accompagnée d’une augmentation suffisante des moyens dévolus aux soins ambulatoires et aux dispositifs de prise en charge alternatifs. Si bien que « la pression de la demande en hospitalisation complète est aujourd’hui telle que les établissements connaissent en quasi permanence un manque de lits, qui génère un certain nombre d’effets pervers » (14) pouvant mener parfois aux cas extrêmes de maltraitance dénoncés encore tout récemment par le CGLPL (15).
(12) Professeur J. L. Senon, Audition au Sénat le 16 janvier 2008 (13) DREES, Les établissements de santé, édition 2017
J.-L. Senon, J.-C. Pascal, G. Rossinelli pour la Fédération française de la psychiatrie, « L’expertise psychiatrique pénale », audition publique, 25 et 26 janvier 2007.
taires présentes en détention ont presque doublé. » Mais « ces progrès sont freinés par un contexte défavorable, marqué [notamment] par une progression de la population détenue ». Il y a malheureusement fort à parier que l’histoire se répète.
(14)
(15) Voir notamment les recommandations en urgence relatives au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne (Loire) au Journal officiel du 1er mars 2018.
Fédération française de la psychiatrie/ Haute autorité de santé, Audition publique expertise psychiatrique pénale, Rapport de la commission d’audition, janvier 2007.
(16)
ALORS, QUE FAIRE ? Plus que la maladie mentale, c’est le défaut de prise en charge sanitaire et sociale des publics qui en sont atteints qui constitue le facteur majeur de passage à l’acte. Associées à « l’isolement, [au] manque de ressources et d’habiletés sociales, [et à] l’insuffisance de savoir-faire pragmatique dans les domaines du logement et de l’économie domestiques » qui accompagnent souvent les maladies psychiques, les pertes de contact avec le dispositif de soins exposent les malades à un risque plus important de commission d’une infraction et/ou de passage à l’acte violent (16). Il ne s’agit pas, comme dans un triste retour de balancier de l’histoire, de se contenter de renvoyer ces personnes à l’hôpital psychiatrique – au risque de voir se reformer les asiles d’avant-guerre, ceux-là même dont la fermeture a indirectement abouti à l’incarcération massive de personnes souffrant de troubles mentaux – mais plutôt de miser sur des dispositifs alternatifs de prise en charge en milieu ouvert, à tous les niveaux. C’est le choix qu’a fait le Québec il y a une dizaine d’années, notamment à travers son Programme d’accompagnement justice-santé mentale qui a fait des émules à Marseille, où Médecins du Monde lance une recherche-action qui s’en inspire (lire page 49). Un projet qui a séduit le groupe de travail de l’Assemblée nationale, qui propose d’encourager l’expérimentation de ce type d’alternatives à l’incarcération. Sur ce point au moins, on ne peut qu’approuver. n
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INTRAMUROS En mars 2017, les organes de contrôle constatent l’enlisement d’un climat de violence au centre pénitentiaire de Béziers. Un problème chronique auquel l’administration semble opposer comme principale réponse la fermeture des portes et l’isolement des personnes jugées « vulnérables ». Une approche inefficace qui ne s’attaque pas au cœur des problèmes.
Violences à Béziers : quand les portes se referment sur les victimes par SARAH BOSQUET
U
Une visite conjointe du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) et du Défenseur des droits relève de l’exception. À l’origine de celle qui les a rassemblés en mars 2017 à la prison de Béziers, des alertes sur de potentiels « manquements individuels à la déontologie de la sécurité de la part de surveillants pénitentiaires », ainsi que l’afflux important de courriers évoquant des violences physiques « commises entre personnes détenues et mettant en cause des surveillants » (1). Les courriers reçus à l’OIP racontent aussi un sentiment d’insécurité omniprésent. Il est alors courant que des détenus « bloquent » le quartier
Rapport du CGLPL établi suite à la visite de vérification effectuée du 7 au 9 mars 2016.
(1)
disciplinaire pour demander une protection. Que d’autres renoncent aux activités ou à la promenade quotidienne par crainte d’une agression, restant cloîtrés en cellule des journées entières, voire des mois. « Je vous écris dans une situation d’urgence […] J’ai subi plusieurs agressions physiques, menaces de toutes sortes. J’ai alerté la direction en demandant l’isolement pour éviter que ma situation ne s’aggrave, mais il n’en est rien […] Je suis d’accord pour payer ma dette, mais comme un homme, non comme un animal », écrivait récemment une personne détenue, contrainte d’entamer une grève de la faim et de la MARS 2018 / DEDANS-DEHORS N°99
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soif pour alerter sur sa situation. Un témoignage emblématique, qui fait écho à ceux qui nous parviennent régulièrement de Béziers. Entre 2016 et 2018, de nombreux récits de prisonniers comme de professionnels alertent l’OIP sur le climat de violence de l’établissement.
UNE VIOLENCE OMNIPRÉSENTE Visages tuméfiés, plaies ouvertes, dents ou doigts cassés… Dans les dossiers médicaux, l’équipe de l’unité sanitaire consigne, à une fréquence qui l’inquiète, des lésions souvent graves. D’après les récits des soignants et des personnes concernées, ces agressions auraient essentiellement lieu dans les couloirs, les escaliers, dans les angles morts des caméras de vidéosurveillance. Conséquence : des détenus renoncent parfois aux soins et sont un temps « perdus de vue » par l’unité sanitaire. D’après plusieurs témoignages, des personnes seraient également menacées alors qu’elles se rendent au parloir. « Si ta famille ne passe pas quelque chose au parloir, si tu ne vas pas récupérer la projection de tel jour, il y aura des représailles. Alors il y a des jeunes qui ne veulent plus que leurs proches viennent les voir », se désole Myriam Stefanaggi, infirmière à l’unité sanitaire. « Un de mes patients racketté à l’intérieur a vu sa femme menacée. Il a alors demandé à changer de bâtiment, il a voulu porter plainte. Mais ni la © Grégoire Korganow / CGLPL
direction de l’établissement ni le procureur n’ont répondu à ses courriers », rapporte Nicolas Haegman, psychiatre et ex-chef de service de l’unité sanitaire. Si la plupart des personnes qui écrivent à l’OIP se plaignent de la violence de leurs co-détenus, certaines disent aussi subir brimades, violences et humiliations de la part d’une minorité de surveillants. Des allégations difficiles à vérifier tant les obstacles sont nombreux pour passer outre la peur de représailles, lancer l’alerte et établir les faits en cas de dépôt de plainte. En 2015, le CGLP relevait déjà de son côté que « des surveillants [avaient] été mis en cause par les personnes détenues lors des entretiens menés par les contrôleurs : certains, personnellement, eu égard à des comportements irrespectueux ou mettant en cause leur probité ». Selon le parquet de Béziers et le Défenseur des droits, plusieurs instructions impliquant des personnels de surveillance seraient en cours.
LE MANQUE DE CONFIDENTIALITÉ EN CAUSE À Béziers comme dans d’autres prisons, certains sont plus susceptibles d’être passés à tabac que d’autres : les détenus auteurs d’infractions à caractère sexuel (AICS), souvent péjorativement désignés comme « pointeurs ». « Lorsque vous êtes incarcéré pour une infraction sexuelle, vous êtes directement rejeté, agressé physiquement, verbalement,
INTRAMUROS
SI LA PLUPART DES PERSONNES QUI ÉCRIVENT À L’OIP SE PLAIGNENT DE LA VIOLENCE DE LEURS CO-DÉTENUS, CERTAINES DISENT AUSSI SUBIR BRIMADES, VIOLENCES ET HUMILIATIONS DE LA PART D’UNE MINORITÉ DE SURVEILLANTS. ostracisé », raconte l’une des personnes concernées. Une violence souvent banalisée, ou décrite avec un sentiment d’impuissance. « Tout le monde sait que des détenus se "défoulent" sur des pointeurs. C’est la double peine pour eux », lance un membre du personnel soignant. D’après plusieurs témoignages recueillis, le manque de confidentialité sur le contenu des fiches pénales contribue à cette mise en danger des personnes. « Nous ne pouvons pas nous rendre en promenade, car tôt ou tard un surveillant finit par révéler la raison pour laquelle nous sommes incarcérés », raconte un détenu dans un courrier transmis à l’OIP. Observateurs privilégiés de la vie de la détention (2), plusieurs aumôniers s’indignent de cette situation. « On a l’impression que tous les surveillants connaissent le casier du détenu. C’est répété et parfois amplifié. Chacun sait, ou croit savoir, ce qu’a fait le détenu de la cellule d’à côté… et c’est catastrophique », analyse l’un d’entre eux. « Mais pour que les détenus connaissent les affaires les uns des autres, il n’y a pas besoin que les surveillants parlent. Il y a Internet, la presse locale, etc. », remarque un autre.
LA GESTION PAR L’ISOLEMENT Lors de sa visite de 2015, un phénomène inquiète particulièrement le CGLPL : l’administration pénitentiaire regroupe les personnes considérées comme « vulnérables » en détournant de leur usage théorique le quartier d’isolement (QI), le quartier arrivant (QA), le quartier disciplinaire (QD), mais aussi une aile de la maison d’arrêt, tous dès lors utilisés comme « échappatoires » (3) à la détention ordinaire. Une mesure instaurée en guise de pis-aller, comme dans d’autres établissements pénitentiaires. Mais à Béziers, ce système D atteint des proportions alarmantes. En 2015, environ un cinquième des détenus de la prison sont concernés, avec « des effets délétères sur [leurs] conditions de détention », pointe la Contrôleure : dans ces quartiers, ils sont soumis à un régime « portes fermées » qui limite l’accès aux activités, à une formation ou au travail. Autre dysfonctionnement banalisé : alors que le placement en QI
(2) Les aumôniers sont les seuls intervenants à pouvoir entrer dans les cellules des personnes détenues pour des rencontres individuelles. (3) Rapport du CGLPL suite à la visite de mars 2015.
Lorsque le placement au QI dure, il est considéré comme « un traitement inhumain et dégradant » par le CPT et la CEDH.
(4)
(5) Le Conseil de l’Europe préconise huit heures par jour à l’extérieur de la cellule.
doit être une mesure exceptionnelle (4) et que son impact sur la santé mentale est bien connu (altération des sens, décompensation psychologique, etc.), des personnes y sont affectées pour des durées particulièrement longues – voire pour toute la durée de leur détention. En réponse à ce phénomène, la direction de l’établissement a créé, en janvier 2016, une aile dédiée aux « personnes vulnérables ». Problème : ces 28 places sont bien loin de pallier les nombreuses demandes de protection. Plus inquiétant encore, le fonctionnement en régime « contrôlé » de cette aile spéciale : les portes y sont fermées nuit et jour, comme en maison d’arrêt, ce qui est là encore incompatible avec le suivi d’une formation ou un travail. Le CGLPL note que ce régime implique par ailleurs une dépendance des détenus vis-à-vis des surveillants pour l’accès au téléphone, à la laverie, à l’office, et à la boîte aux lettres. Une dépendance qui se révèlerait d’autant plus problématique si les allégations qui visent certains personnels se confirmaient. Et si l’affectation dans la zone des « vulnérables » permet de diminuer le sentiment d’insécurité des personnes concernées, elle ne change pas fondamentalement leur quotidien. « Ils sont regroupés comme des brebis galeuses. Ils ne sortent jamais en promenade sinon tout le monde leur tombe dessus », déplore une intervenante. En mars 2017, le CGLPL constate que huit personnes sur vingt-six ne sortent jamais de leur cellule ; et qu’hormis les auxiliaires employés au service général, les détenus y sont enfermés entre 20 et 24 heures par jour (5). Le Contrôle pointe aussi le caractère inadapté des autres mesures de protection proposées, telles que l’accès à une promenade spéciale ou un accompagnement dans certains déplacements : d’une part, par crainte de la stigmatisation, seule une minorité des détenus l’accepte ; d’autre part, comme le déplore Nicolas Haegman, « quand les personnes sont repérées, les violences ont quand même lieu, mais hors de ces déplacements ». Cette situation de confinement contraint ne concernerait pas seulement les quartiers spécifiques, mais des dizaines de détenus dans la prison. Dans la maison d’arrêt, où le MARS 2018 / DEDANS-DEHORS N°99
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taux d’occupation dépasse les 140 % (6), plusieurs personnes ne sortiraient jamais de cellule – même lorsque celle-ci est triplée. Par ailleurs, le CGLPL souligne à l’issue de sa dernière visite que la situation observée en 2015 perdure : « Plusieurs quartiers de détention sont ainsi toujours utilisés comme des échappatoires à la détention ordinaire. » Relevant que l’affectation dans ces quartiers est « attentatoire aux droits fondamentaux », il demande « que soit mis fin à cette situation et que soient élaborées des mesures préventives, en particulier à partir d’une réflexion sur les causes de ces mises à l’écart, sur les logiques internes à la détention et sur leur impact dans la vie quotidienne des personnes détenues ».
UNE RÉFLEXION LAISSÉE EN JACHÈRE Ouverte en 2009 en remplacement de la vieille maison d’arrêt du centre-ville, cette prison bétonnée, à la peinture neuve mais à l’architecture déshumanisée, est souvent décrite comme une « grosse machine ». Au 1er mars 2018, 960 personnes y étaient détenues – pour une capacité théorique de 809 places (7) – et plusieurs centaines de personnes y travaillaient. « Les gens ne se parlent pas, ils se croisent », résume un membre du personnel. Une employée de l’administration pénitentiaire parle de « services hermétiques et sclérosés ». Dans son rapport de 2015, le CGLPL évoque « des tensions au sein du personnel de surveillance. […] De manière générale, l’organisation atomisée du service n’est pas de nature à faciliter la cohésion. » Des tensions qui seraient toujours d’actualité, d’après plusieurs témoignages recueillis. À cette ambiance s’ajouterait un turn over important. Une organisation qui rendrait difficile l’identification des responsabilités, la communication entre les services ou les bâtiments. « Les gens bien se fatiguent. Il faut que ça tourne… Alors tous les problèmes sont étouffés », soupire un professionnel de santé.
142,9 % au 1er mars 2018.
(6)
Statistiques mensuelles de l’administration pénitentiaire.
(7)
Un sentiment d’épuisement renforcé par l’idée, partagée par les détenus comme par le personnel, qu’aucune solution sérieuse n’est proposée. « Les surveillants qui sont au courant des problèmes et les déplorent ont l’impression de ne pas être entendus, ni soutenus », explique Myriam Stefanaggi. « On a alerté la direction, mais leur réaction est toujours la même : c’est la faute des détenus. L’année dernière, on nous expliquait que c’était à cause du manque d’effectifs… Cette année, c’est le déni complet », déplore une intervenante. « On n’est pas écoutés », s’agace un surveillant. « S’il y a un mort demain, ça peut être de n’importe quel côté. On dirait qu’il faut un drame pour qu’on fasse quelque chose. » En 2015, la mise en place d’un plan d’action contre la violence faisait partie des objectifs prioritaires de l’établissement. Un groupe de pilotage local s’est ainsi réuni à six reprises, entre mars 2015 et septembre 2016, mais les réunions se sont arrêtées après le départ d’une adjointe au chef de l’établissement. Ces rencontres, pendant lesquelles un nombre réduit de professionnels a été consulté – et aucune personne détenue – ne semblent pas avoir permis de considérer le problème dans sa globalité. À la lecture des comptes-rendus de réunions, le CGLPL déplore le « peu d’éléments de diagnostic et de réflexion » sur la protection des personnes vulnérables ou sur le blocage de certains quartiers. Seuls projets mentionnés : des formations du personnel pénitentiaire sur la prise en charge des détenus atteints de troubles psychiatriques et la création d’une observation pour les personnes arrivant au centre de détention. Au moment de notre enquête, la formation avait été interrompue après deux séances. La direction de l’établissement et la direction interrégionale des services pénitentiaires de Toulouse n’ayant pas souhaité répondre à nos questions, impossible de savoir si de nouvelles mesures ont été prises. n
EN MARS 2017, LA CGLPL CONSTATE QUE HUIT PERSONNES SUR VINGT-SIX NE SORTENT JAMAIS DE LEUR CELLULE ; ET QU’HORMIS LES AUXILIAIRES EMPLOYÉS AU SERVICE GÉNÉRAL, LES DÉTENUS Y SONT ENFERMÉS ENTRE 20 ET 24 HEURES PAR JOUR.
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QU’EST-CE QUE L’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement.
COMMENT AGIT L’OIP ? L’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté.
OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS SECTION FRANÇAISE
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LA REVUE DEDANS-DEHORS n° 98 Travail en prison : une mécanique archaïque …….. x 9,50 € = n° 97 Engrenage carcéral : la part des juges …….. x 9,50 € = n° 96 Drogues et prison : décrocher du déni …….. x 9,50 € = n° 95 Cinq ans de renoncements : et maintenant ? …….. x 9,50 € = n° 94 Justice restaurative : la fin de la logique punitive …….. x 9,50 € = n° 93 Décroissance carcérale : ces pays qui ferment des prisons …….. x 9,50 € = n° 92 Quartiers et prison : un destin collectif …….. x 9,50 € = n° 91 Activités en prison : le désœuvrement …….. x 9,50 € = n° 90 Sexualité, la grande hypocrisie (en rupture, nous consulter) n° 89 Captifs à l’extérieur (en rupture, nous consulter) n° 88 Religions en prison …….. x 9,50 € = n° 87 Mineurs détenus : la justice peine à résister au vent répressif …….. x 9,50 € = n° 86 Sortir de prison : le parcours d’obstacles (en rupture, nous consulter) n° 85 Place aux ex-détenus dans la prévention de la délinquance …….. x 9,50 € = n° 84 Violences carcérales : au carrefour des fausses routes …….. x 9,50 € = n° 83 Projet de réforme pénale : indispensable et inabouti …….. x 9,50 € = n° 82 Longues peines : la logique d’élimination …….. x 9,50 € = n° 79 Expression en prison : la parole disqualifié …….. x 9,50 € = n° 77-79 Nouvelles prisons : le trou noir de la pensée …….. x 12 € = n° 74-75 Politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois …….. x 12 € =
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