Rapport sur les conditions de détention en France, 2011

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LES CONDITIONS DE DÉTENTION EN FRANCE



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LES CONDITIONS DE DÉTENTION EN FRANCE Rapport 2011

9 bis, rue Abel-Hovelaque 75013 Paris


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Rapport OIP–2011 Observatoire international des prisons – section française (OIP-SF) 7 bis rue Riquet, 75 019 Paris Tél. : 01 44 52 87 90 – Fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site internet : www.oip.org Conception et rédaction : Marie Crétenot, Sarah Dindo, Patrick Marest. Rédacteurs : François Bès, Jean-Claude Bouvier, Stéphanie Djian, Elsa Dujourdy, Samuel Gautier, Barbara Liaras, Lionel Perrin, Hugues de Suremain. Remerciements à : Philippe Carrière, Anne Chereul, Stéphanie Coye, Marie-Anne Duverne, Nicolas Ferran, Tito Galli, Alice Lebel, Julie Micheau, Julie Namyas, Céline Reimeringer, Zina Rouabah, Jérémie Sibertin-Blanc, Brigitte Vital-Durand… ainsi qu’à tous les bénévoles de l’OIP-section française. Secrétariat de rédaction : Marianne Bliman. Mise en page et conception graphique : Claude Cardot/Vélo, claude.cardot@veloco.com Photographie couverture : Olivier Touron Photos : Olivier Aubert, Claudine Doury, Sébastien Erome, Nicole Henry-Cremon, Simon Jourdan, Bertrand Lauprete, Felix Ledru, Michel Le Moine, Thierry Pasquet, Jacqueline Salmon, Olivier Touron, Laurent Troude. Merci aux photographes et à Marie Karsenty (agence Signatures). L’OIP remercie chaleureusement les partenaires publics et privés, les barreaux ainsi que tous ses donateurs, en particulier Pierre Bergé et l’agence H, qui ont accepté de soutenir l’élaboration de ce rapport.

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Sommaire Prologue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 1. Politique pénale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 Victimes d’infraction 9, productivisme législatif 10, traitement pénal de la récidive 12, peines plancher 13, aménagements des courtes peines 16, services pénitentiaires d’insertion et de probation 19, politique d’alternatives à l’incarcération 21, aménagements des longues peines 23, mesures de sûreté 24, fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles 25, surveillance judiciaire 25, rétention de sûreté 27, évaluations de la dangerosité 30, surveillance de sûreté 32, injonction de soins 31, justice des mineurs 36.

2. Politique pénitentiaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 Loi pénitentiaire 42, Règles pénitentiaires européennes 45, accueil des arrivants 48, conditions matérielles de détention 50, accès au personnel 52, traitement des requêtes 53, grilles d’évaluation 54, cahier électronique de liaison 55, services pénitentiaires d’insertion et de probation 58, programmes de prévention de la récidive 59, surpopulation 62, aménagements de peine 64, programmes de construction 66, places de prison 69, encellulement individuel 70, contrôle extérieur 72.

3. Régimes différenciés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 Règles pénitentiaires européennes 79, genèse des « régimes différenciés » 81, processus de généralisation 82, hétérogénéité des dispositifs 83, critères d’affectation 85, sanction déguisée 86, recours judiciaire 87, accès aux activités 89, accès aux aménagements de peine 90, tensions et violences 90, prévention de la récidive 94.

4. Sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 Prévention des évasions 97, armement du personnel 98, équipes régionales d’intervention et de sécurité 101, détenus particulièrement signalés 103, isolement 104, fouille individuelle 109.

5. Discipline . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 Fautes disciplinaires 114, violences 116, taille des établissements 118, sanctions disciplinaires 120, garanties procédurales 122, règlement intérieur 123, avocat au prétoire 126, contrôle du juge 128, double et triple sanctions 129, conditions de détention au quartier disciplinaire 131, santé mentale 133, contrôle de compatibilité 135.

6. Santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140 État de santé 142, hygiène et salubrité 144, unité de consultations et de soins ambulatoires 147, consultations spécialisées 148, éducation à la santé 150, VIH et hépatites 151, extractions médicales 153, menottes et entraves 156, secret médical 158, commissions pluridisciplinaires uniques 161, cahier électronique de liaison 162, hospitalisation 163, aménagement de peine pour raison médicale 166, personnes dépendantes, âgées ou handicapées 169.


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7. Psychiatrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176 Crise de la psychiatrie générale 180, expertises psychiatriques 182, irresponsabilité pénale 183, dispositif de soins psychiatriques en prison 186, unités de consultation et de soins ambulatoires 188, services médico-psychologiques régionaux 190, hospitalisation d’office 194, unités hospitalières spécialement aménagées 199.

8. Addictions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208 Politique de lutte contre les drogues et les toxicomanies 210, prévalence des conduites addictives 213, offre de soins 214, alcoolodépendance 216, traitements de substitution 217, réduction des risques 221, continuité des soins 223.

9. Suicides . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228 Responsabilité de la politique de prévention 230, facteurs de sursuicidité 232, profil des détenus suicidés 233, moments à haut risque suicidaire 234, lieux à fort risque suicidaire 234, politique de prévention du suicide 235, surveillance renforcée 236, dotation de protection d’urgence 237, cellules de protection d’urgence 238, codétenus 240, tentatives de suicide et automutilations 243, quartier disciplinaire 244, hausse des condamnations de l’État 246.

10. Liens avec l’extérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250 Correspondances 252, accès au téléphone 254, appels autorisés et interdits 256, contrôle du contenu des communications 257, régime des visites 258, permis de visites 260, réservation des parloirs 262, éloignement géographique 263, accueil des familles 265, mesures de contrôle et de surveillance 266, conditions matérielles des visites 267, unités de vie familiale 269, parloirs familiaux 272, événement grave 272, accès à l’information 274, liberté de communiquer 276, droit d’expression collective 277, droits électoraux 278.

11. Travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284 Droit du travail 287, taux d’emploi 289, qualification 290, rémunération 292, durée de travail 295, accidents du travail 296, classement 298, déclassement 300.

12. Enseignement et formation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 306 Formation générale 308, repérage de l’illettrisme 311, offre de scolarisation 312, accès à Internet 314, formation professionnelle 315, rémunération des stagiaires 319, décentralisation de la formation 320.

13. Droits sociaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 324 Revenu de solidarité active 325, situation socioéconomique des détenus 326, coût de la vie en prison 327, indigence 329, préparation de la sortie 331.

Sigles utilisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335


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Prologue Par Alvaro Gil Robles Professeur de droit administratif, Défenseur du Peuple en Espagne de 1983 à 1993 Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe de 1999 à 2006. Aborder le monde des prisons suppose une immersion dans une réalité que la société ne désire généralement pas connaître. Elle est encore moins favorable à des mesures nécessaires à ce que l’accomplissement de la peine ne soit pas seulement un châtiment, mais aussi une opportunité pour le détenu de se réinsérer dans la société. Pourquoi investir dans des améliorations matérielles qui permettent une vie digne pour les détenus, ou dans l’embauche de personnel sanitaire et d’éducateurs, qui permettraient d’essayer de réintégrer ces personnes dans la communauté ? S’ils sont en prison, c’est qu’ils sont coupables de quelque chose et ils doivent payer pour cela. En poursuivant ce raisonnement, nous oublions qu’un grand nombre de personnes se trouvent en prison de façon provisoire. Nous avons beau répéter que l’accomplissement des peines imposées par un tribunal n’est pas une vengeance de la société ni des victimes, la réalité nous montre que cette conception reste la plus répandue. Dans le cas précis de la France, ce Rapport de l’Observatoire international des prisons l’illustre une fois de plus. L’efficacité de la politique pénale et pénitentiaire est tributaire de plusieurs facteurs : de la clarté de ses objectifs, de l’assurance d’un cadre légal adéquat, et des moyens matériels nécessaires à l’accomplissement de ses buts dans un horizon stable à moyen et long terme. Or ce Rapport montre que ces conditions ne semblent pas remplies, puisqu’un total de dix-huit lois pénales ont été approuvées en cinq ans, en partie pour calmer l’irritation sociale face à certaines infractions. On ne peut pas légiférer dans un domaine aussi délicat et sensible en répondant fondamentalement à des critères d’opportunité. Comment est-il possible qu’aujourd’hui encore le phénomène de la délinquance des mineurs soit traité principalement par la voie pénale, et notamment à travers l’enfermement dans des centres pénitentiaires dont les jeunes ressortent pires qu’ils ne sont entrés, sans analyser et chercher à traiter les causes profondes qui ont motivé ces comportements ? Comment pouvons-nous ignorer que dans la grande majorité des maisons d’arrêt, certaines d’entre elles étant particulièrement vétustes, vivent entassés des milliers de détenus, dans un univers régi par ses propres règles, avec pour seul horizon de voir passer les jours, et ce dans l’entourage de nombreux malades mentaux qui devraient être traités par un secteur psychiatrique qui manque cruellement de moyens ? Dans ces conditions, prétendre que les Règles pénitentiaires européennes sont fidèlement reflétées dans le cadre légal français et dans son application quotidienne me semble relever d’une négation de la réalité et d’un objectif plutôt lointain. Actuellement, les prisons n’accomplissent pas le but que leur confère l’ordonnancement juridique et constitutionnel. La grande majorité d’entre elles ne sont que des établissements où s’entassent des êtres humains, envoyés là par un système légal et juridictionnel dédié à la répression comme réponse exclusive aux exigences sociales de sécurité. Un monde fermé et oublié de la société, où l’administration pénitentiaire ne dispose pas des moyens matériels et humains que l’État devrait mettre à sa disposition. Une société qui ne veut pas voir ni connaître la réalité et des législateurs qui ne répondent qu’à la pression de l’urgence, sans vision d’avenir, sans se rendre compte qu’ils contribuent à semer plus de violence et plus de haine… Il me reste à souhaiter que ce Rapport serve à ce que les responsables qui peuvent remédier à cette situation prennent les mesures adéquates. Je voudrais au moins garder l’espoir qu’il en soit ainsi. Sotosalbos, 14 octobre 2011.


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mots clés : D D D D D

victimes d’infraction productivisme législatif traitement pénal de la récidive peines plancher aménagements des courtes peines D services pénitentiaires d’insertion et de probation D politique d’alternatives à l’incarcération D aménagements des longues peines

D mesures de sûreté D fichier judiciaire national D D D D D D

automatisé des auteurs d’infractions sexuelles surveillance judiciaire rétention de sûreté évaluations de la dangerosité surveillance de sûreté injonction de soins justice des mineurs

1. Politique pénale D’une avalanche de lois pénales votées sous le coup de l’émotion, d’injonctions contradictoires à l’attention des magistrats, de textes adoptés et aussitôt remis en cause, sans même les moyens de les faire appliquer, il se dégage difficilement une véritable politique pénale, au sens d’une « vision d’ensemble, assez élevée pour prendre en compte les intérêts contradictoires en présence, assez forte pour choisir une orientation, et assez précise pour maintenir un cap 1 ». Les orientations et textes de loi adoptés dans la période 2005-2011 sont marqués tout à la fois par un renforcement de l’emprisonnement au stade du prononcé des peines et un aménagement plus systématique des courtes peines d’emprisonnement (en surveillance électronique, principalement). Un véritable « droit de la récidive » dérogatoire au droit commun émerge également, avec une systématisation de la réponse « prison » en cas de réitération. Pour les crimes les plus graves, l’apparition des mesures de sûreté et les restrictions apportées aux possibilités d’aménagement de peine ouvrent la perspective d’un emprisonnement, puis d’un enfermement ou d’un contrôle, de nature perpétuelle, fondés sur une « dangerosité » dont la notion même est décriée par les spécialistes, et l’évaluation particulièrement hasardeuse.

Ancré dans le débat public à partir de la seconde moitié des années 1970, le thème de l’insécurité n’a plus cessé d’occuper en France une place prépondérante. Il connaît depuis plusieurs années une intensité qui pèse sur la mise en œuvre et l’élaboration de l’ensemble des politiques publiques. Le sociologue Laurent Mucchielli décrit les différentes étapes de cette évolution, relatant notamment le tournant opéré par le colloque de Villepinte en 1997, avec l’affirmation par la gauche de la « valeur républicaine » de 1.

T. LÉVY, préface du rapport de l’OIP, Les Conditions de détention en France, La Découverte, Paris, 2005.


© Olivier Aubert

Politique pénale

la sécurité, l’escalade politique et médiatique qui en a résulté, l’impact des attentats terroristes du 11 septembre 2001 et le contexte de la campagne présidentielle de 2002 2. Initiée dans le prolongement des débats qui ont marqué cette campagne, la politique pénale du gouvernement s’est progressivement articulée autour des thématiques sécuritaires – avec l’émergence d’un discours simple et radical, structuré quasi exclusivement autour de la protection des victimes. Un discours qui s’est durci, dès 2003, sous le poids des problématiques développées par Nicolas Sarkozy en tant que ministre de l’Intérieur, et qui n’a cessé ensuite de se raidir au cœur de la bataille présidentielle de 2007. Une véritable inflation législative s’est alors mise en place, s’étendant à tous les domaines de la justice pénale. La généralisation des procédures d’exception, l’aggravation des sanctions, le développement et la création d’incriminations de toute nature ont pu être observés, coexistant avec un accroissement des pouvoirs de police et un développement des dispositifs de surveillance. Jean-Paul Jean, avocat général près la cour d’appel de Paris, évoque une « révolution silencieuse », touchant à l’organisation même de la Justice : « Pour rendre la répression plus efficace, les pouvoirs de la police et du Parquet ont été renforcés dans la procédure, pour ne laisser place qu’à une intervention plus ponctuelle et contingentée du juge 3. » La grande masse des affaires pénales a été ainsi orientée sur des modes de traitement rapide gérés par le Parquet, privilégiant l’urgence et l’effectivité des réponses pénales. Entre août 2005 et novembre 2010, dix-huit nouvelles lois pénales ont été mises en œuvre, soit plus de trois par an en moyenne. Dans ce tourbillon, un bloc législatif se 2.

3.

L. MUCCHIELLI, La Frénésie sécuritaire — retour à l’ordre et nouveau contrôle social, La Découverte, Paris, 2008. J.-P. JEAN, « Les réformes pénales 2000-2010 : entre inflation législative et révolutions silencieuses », Regards sur l’actualité, janvier 2010.

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dégage. Il est constitué par la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, celle du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et, enfin, celle du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle. Ces réformes ont toutes pour objectif affiché de lutter contre la récidive, la criminalité sexuelle et la délinquance des mineurs. Elles se distinguent par les basculements qu’elles génèrent, repoussant les limites et les contours de la peine : elles intègrent dans le droit positif des mécanismes tendant à une remise en cause de l’individualisation du prononcé des peines (peines plancher) ; elles reviennent sur la spécificité du traitement de la délinquance des mineurs – alignant certaines de ses dispositions sur les aspects les plus répressifs du droit pénal des majeurs – ; enfin, elles instaurent des dispositifs de surveillance et de contrainte après la peine, fondés non plus sur la sanction d’une infraction, mais sur la prise en compte de l’« état dangereux ». Les politiques mises en œuvre dessinent les « figures de la dangerosité » à l’encontre desquelles la société doit se prémunir par tous moyens. Un « droit pénal de la dangerosité » est désormais durablement inscrit dans notre système judiciaire : il est le « présent », comme l’écrit le professeur Giudicelli-Delage, l’expression d’une pénalité « qui donne à la société des droits sur les individus en raison de ce qu’ils sont, et non plus à partir de ce qu’ils ont fait 4 ». Ces pratiques, selon la juriste Mireille Delmas-Marty, ne résultent pas d’une « réflexion délibérée et approfondie sur la signification du droit pénal et de la responsabilité pénale », mais seraient la concrétisation d’un discours politique sous-tendu par une « culture de la peur » amplifiée par les chocs des attentats terroristes de New-York, Madrid et Londres 5. Elles renvoient à l’élaboration d’un discours politique à la redoutable efficacité, axé sur l’exploitation des faits divers et sur l’appropriation de l’émotion collective. Laurent Mucchielli décrypte une « stratégie de la dramatisation » qui conduit à la diffusion de contre-vérités et fait obstacle à toute autre analyse. Il fait état d’un « empilement de lois venant réformer le droit et la procédure pénale tous les six mois en moyenne », la lutte contre l’insécurité devenant alors « moins un problème qu’une solution pour les pouvoirs publics : le moyen d’afficher leur détermination et de montrer qu’ils agissent 6 ». Le magistrat Denis Salas décèle également une « pathologie de la punition », la loi pénale devenant « un instrument de régulation des peurs collectives et non une codification réfléchie des sanctions 7 ».

1. La loi de l’émotion Le processus d’élaboration des lois pénales au cours de la période 2005-2011 illustre parfaitement l’utilisation du fait divers et la réaction immédiate à l’émotion qu’il suscite. Réclamée de longue date par Nicolas Sarkozy, la loi du 10 août 2007, qui instaure le 4.

5. 6.

7.

G. GIUDICELLI-DELAGE, Droit pénal de la dangerosité — Droit pénal de l’ennemi, cours au Collège de France, juin 2009. M. DELMAS-MARTY, Libertés et sûreté dans un monde dangereux, Seuil, Paris, 2010. L. MUCCHIELLI, La Frénésie sécuritaire. Retour à l’ordre et nouveau contrôle social, La Découverte, Paris, 2008. D. SALAS, La Volonté de punir. Essai sur le populisme pénal, Hachette, Paris, 2005.


Politique pénale

mécanisme des peines plancher, est bouclée en quelques semaines, dans le prolongement de l’enlèvement puis du meurtre d’une jeune femme, le 6 avril 2007, par un homme déjà poursuivi pour des faits de viol. Le chef de l’État s’implique alors personnellement, donnant le tempo du processus législatif : après avoir reçu, le 1er juin 2007, la famille de la victime, il rappelle « sa détermination à ce que les peines applicables aux délinquants multirécidivistes soient à la hauteur des drames qu’ils génèrent ». En septembre 2009, le meurtre d’une jeune femme dans la forêt de Fontainebleau amène la garde des Sceaux à présenter un nouveau projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et relatif à la castration chimique des délinquants (future loi du 10 mars 2010). « Il ne s’agit pas de légiférer, comme on l’entend parfois, sous l’emprise de l’émotion, mais il s’agit de répondre à une problématique […] extrêmement perturbante pour notre société », déclare la ministre lors de son audition devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale. Le 24 novembre 2009, deux mois à peine après le meurtre de Fontainebleau, le projet de loi est adopté en première lecture par l’Assemblée.

D La référence aux victimes d’infraction est explicitement revendiquée dans le

cadre de l’élaboration des lois pénales. « Les drames récents », précise le député Georges Fenech, lors des séances du 8 janvier 2008 consacrées à l’examen de la rétention de sûreté, « nous invitent à passer de nos réflexions, anciennes et approfondies, à l’action. Oui, c’est une loi de circonstance. C’est une loi pour les disparues de l’Yonne, pour Delphine, pour Céline, pour toutes les victimes de Fourniret, de Bodein et de bien d’autres – et nous l’assumons pleinement. » « Sans sûreté, il ne peut y avoir de liberté », renchérit la ministre de la Justice, Rachida Dati : « Je pense au petit Enis, enlevé et violé à l’âge de cinq ans alors qu’il jouait devant chez lui. Sans sûreté, il ne peut y avoir de vie. Je pense à la jeune Anne-Lorraine Schmitt, violée et tuée alors qu’elle se rendait dans sa famille en RER. » Dans la dramaturgie mise en scène par le législateur, l’urgence est à la protection des victimes, qui ne souffre pas la demimesure. Chaque loi entend aborder de front un problème érigé au rang de priorité nationale et affirmé comme trop longtemps négligé. Lorsqu’il présente en 2005 son texte relatif au traitement de la récidive, le garde des Sceaux Pascal Clément le justifie ainsi : « Notre droit pénal n’est pas adapté à l’évolution de la délinquance ; il reste aujourd’hui un noyau dur de multirécidivistes pour qui la loi n’est pas dissuasive. » En 2007, la même tonalité est reprise par la ministre Rachida Dati devant le Sénat, lors de la présentation de son projet de loi introduisant les peines plancher. « À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. À situation nouvelle, réponse nouvelle », martèle la garde des Sceaux, en évoquant le cas des délinquants « déjà condamnés et à l’égard desquels la menace de la sanction puis la condamnation ont échoué à exercer leur rôle de dissuasion et de réinsertion ». Cette instrumentalisation de la douleur des victimes ne relève pas même d’une véritable analyse et prise en considération de leurs besoins. Présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe, la criminologue belge Sonja Snacken ne manque pas de le rappeler : si les « attentes et besoins des victimes varient entre individus et selon le type de victimisation (crimes contre la personne ou contre les biens) », les recherches victimologiques montrent que les nécessités exprimées le plus fréquemment par les victimes, quel que soit le type de faits, sont « le besoin de se sentir reconnu et

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respecté en tant que victime, le besoin de réparation et de dédommagement par l’auteur de l’infraction, le besoin d’information et d’explication tant du délit que de la procédure pénale, le support émotionnel ». Ainsi, des études empiriques ont démontré que ce sont ces aspects-là qui « conditionnent la satisfaction des victimes et la légitimité du système pénal ou pénitentiaire, et non pas l’allongement des peines ou l’abolition de la libération conditionnelle (McCoy & McManimon, 2002). Ceci se comprend parfaitement dans le contexte des recherches psychologiques sur la procedural justice, qui expliquent en effet que l’acceptation d’une décision judiciaire dépend plus de la perception de la légitimité et de l’équité de la procédure décisionnelle que du résultat (Tyler, 2005) 8 ».

D La répétition des mêmes rhétoriques et le productivisme législatif témoignent

également d’un plus grand intérêt pour la fabrication des lois que pour leur application. Des mesures sont promulguées, qui ne sont pas encore effectives que d’autres sont déjà adoptées. Si le placement sous surveillance électronique mobile est bien instauré en décembre 2005, il ne peut être effectivement prononcé qu’à partir de la parution du décret d’application, le 1er août 2007… neuf jours avant la date de promulgation de la loi relative aux peines plancher. Des dispositions portant sur la récidive, issues d’une loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, doivent être reportées à une date ultérieure, comme le précise une circulaire du 27 mars 2007, en raison de l’absence de décrets d’application. Quelques semaines plus tard, le 13 juin 2007, le nouveau texte sur la récidive est, en revanche, déjà déposé sur le bureau du Sénat. Toutes les occasions sont bonnes pour maintenir la production législative à un rythme effréné : ainsi, c’est dans la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure du 14 mars 2011 (dite Loppsi 2) qu’il faut trouver, perdu parmi des dizaines de dispositions allant de la lutte contre la cybercriminalité au développement de la vidéo-protection, un article relatif à l’extension du régime de la surveillance judiciaire. Le même texte de loi contient également des dispositions étendant le mécanisme des peines plancher à certains délinquants primaires. Le Conseil national des barreaux estime que « cette succession de textes dans un délai très bref, en l’absence d’étude d’impact et d’évaluation, est faite au détriment, d’une part, d’une véritable réflexion de fond sur les moyens appropriés pour prévenir la récidive, notamment des mineurs, et, d’autre part, de la cohérence des dispositifs répressifs en cette matière 9 ». « À quoi servent donc toutes ces lois ? », interroge la sénatrice Nicole Borvo Cohen-Seat en répondant au discours de Rachida Dati devant le Sénat. « La précédente législature avait commencé par deux lois de programmation de sécurité ; en cinq années, huit lois sécuritaires ont été votées à l’initiative du gouvernement. […] Les parlementaires n’ont-ils pas à s’interroger sur l’intérêt des projets de loi et sur leur efficacité au regard des ambitions du gouvernement ? […] Bien sûr, nos concitoyens s’inquiètent des crimes commis par des récidivistes, mais fallait-il une huitième loi pénale en cinq ans alors que celle de 2005 n’est pas appliquée et que l’on en 8.

9.

S. SNACKEN, « Peut-on évaluer l’efficacité des mesures pénales en fonction de la durée de la sanction ? », in Actes du colloque « L’exécution des décisions en matière pénale en Europe : du visible à l’invisible », DAP-Ministère de la Justice, 2009. CNB, « Motion sur le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive adoptée le 22 juin 2007 en assemblée générale à Paris », communiqué du 25 juin 2007.


Politique pénale

a voté une sur la prévention de la délinquance 10 ? » Ces critiques renvoient au malaise de nombreux professionnels de la Justice. Mais elles n’ont aucun impact sur une politique qui privilégie l’instauration de dispositifs d’élimination au détriment de toute autre considération. Populaire, le populisme pénal se suffit à lui-même : il s’entretient dans un mouvement toujours renouvelé – au rythme des drames qui suscitent la peur et dont il se nourrit –, aveugle et sourd à la réalité des phénomènes qu’il prétend combattre.

2. Une justice d’exception contre les récidivistes L’abondante production de textes entre 2005 et 2011 n’a pas même été l’occasion, pour les pouvoirs publics, de développer la recherche sur le phénomène de la récidive : elle a au contraire mis en lumière la méconnaissance et le désintérêt des autorités pour les travaux existants. Au cours de la discussion parlementaire relative à la proposition de loi sur le traitement de la récidive, qui sera adoptée en décembre 2005, des amendements ont ainsi été déposés par les groupes UDF et socialiste, réclamant la création d’un Observatoire de la récidive. Ils seront tous rejetés par la majorité UMP. Des députés du groupe majoritaire déposent, à l’initiative de Christine Boutin, un amendement allant dans le même sens : il est retiré par Georges Fenech, au nom du groupe UMP, sous la pression du gouvernement, du président de la Commission des lois et du rapporteur. Pressentant le risque qu’encourt la majorité à refuser toute évaluation de la récidive, le ministre de la Justice Pascal Clément annonce la mise en place d’une simple commission aux ambitions plus modestes. La « commission d’analyse et de suivi de la récidive », présidée par Jacques-Henri Robert, professeur de droit et directeur de l’Institut de criminologie de l’université Paris-II, est installée en décembre 2005, quelques semaines après que le garde des Sceaux a reconnu que l’approche « scientifique » de la récidive était « insuffisante ». « Nous ignorons également les conditions du nouveau passage à l’acte, chez les majeurs comme chez les mineurs », regrette le ministre, après avoir admis que « la récidive de certaines infractions particulièrement graves, notamment les infractions sexuelles, et les moyens de la prévenir » devaient faire l’objet d’« études spécifiques ». Dans la lettre de mission par laquelle il instaure la commission, Pascal Clément en rappelle les enjeux : « Comment caractériser le problème et comment procéder ? ». Une interrogation quelque peu surprenante de la part d’un responsable politique qui vient de faire adopter une réforme d’ampleur relative au traitement de la récidive. Dans les années qui suivent, les travaux de la commission seront purement et simplement mis de côté. Elle ne sera pas même consultée dans le cadre de la préparation de la future loi du 10 août 2007 de lutte contre la récidive, initiée dès mai 2007 par la garde des Sceaux, Rachida Dati. À l’occasion de la remise de son premier rapport, le président de la Commission confirme que cette dernière « n’a pas été consultée du tout » sur la rédaction du projet de loi. Et délivre au passage quelques piques sur le moteur profond de l’action gouvernementale : « Le rapport de la commission 10.

Compte rendu analytique officiel du 5 juillet 2007, intervention devant le Sénat de Nicole Borvo Cohen-Seat lors des débats autour du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

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a été élaboré par des gens qui ont les mains dans le cambouis et leurs réactions ne sont pas aussi vives et instinctives que celles du bon sens. Il arrive que la sociologie et le bon sens se rencontrent et il arrive qu’ils ne se rencontrent pas. » La réflexion de la commission se situe, il est vrai, à l’opposé de celle du gouvernement. Alors même que celui-ci s’engage dans un nouveau texte imposant des peines minimales d’emprisonnement à l’encontre des récidivistes, la commission ne recommande pas la mise en œuvre d’une loi, estimant que beaucoup a été fait en la matière : elle appelle en revanche de ses vœux une impulsion nouvelle dans le domaine de la recherche criminologique et recommande de généraliser la prise en charge médico-sociale, psychologique et éducative des condamnés présentant le plus de « risques », et ce dès le début de l’exécution de leur peine. À propos des mesures de sûreté, elle relève qu’elles reposent sur une notion de « dangerosité avérée » à la sortie de prison qui apparaît encore peu définie par les praticiens, et préconise prudemment, avant toute nouvelle initiative, une « indispensable » évaluation préalable des mesures déjà votées. À l’instar de toutes les autres recommandations, celle-ci ne sera jamais suivie : la rétention de sûreté sera instaurée quelques mois plus tard sans le moindre bilan d’évaluation de la surveillance judiciaire.

D Les textes sur le traitement pénal de la récidive s’accumulent ainsi en dépit

du manque de connaissance du phénomène. La loi du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive des infractions pénales organise des mécanismes procéduraux dérogatoires au droit commun en cas de récidive. Au stade du jugement, elle multiplie les dispositions facilitant l’incarcération : elle précise que l’état de récidive légale reconnu par un tribunal dispense celui-ci de motiver spécialement le jugement par lequel il prononce un emprisonnement ferme ; elle permet également aux tribunaux de délivrer immédiatement un mandat de dépôt ou un mandat d’arrêt à l’encontre d’une personne récidiviste, et ce quelle que soit la peine encourue – alors que cette possibilité, hors le cadre de la comparution immédiate, n’était jusqu’alors possible que lorsque la peine prononcée était supérieure à un an – ; elle dispense, dans certaines conditions, le tribunal de prononcer une « décision spéciale et motivée » au soutien de son mandat, alors même que cette exigence formelle était ordinairement la règle. La loi du 12 décembre 2005 vient également supprimer la possibilité de prononcer un troisième sursis avec mise à l’épreuve (SME) pour des personnes déjà condamnées pour des délits identiques ou considérés comme de même nature. Cette disposition a été critiquée par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), regrettant que l’octroi du SME soit de la sorte subordonné « à des conditions prenant en compte le passé judiciaire du délinquant », le législateur interdisant « le recours à une mesure qui constitue, dans nombre de situations qui le justifient, l’ultime moyen d’éviter l’emprisonnement ferme 11 ». Le Conseil de l’Europe invite, pour sa part, les États membres à initier un mouvement exactement inverse, en les exhortant à « revoir et élaguer les textes officiels qui empêchent l’utilisation de sanctions et mesures appliquées dans la communauté

11.

CNCDH, Avis sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, 20 janvier 2005.


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pour des délinquants récidivistes ou ayant commis des infractions graves 12 ». En effet, les travaux des criminologues montrent à quel point il peut être contreproductif de sanctionner plus sévèrement la récidive. Comme l’explique Sonja Snacken dans une étude de la CNCDH, « les délinquants n’arrêtent pas du jour au lendemain de commettre des délits. Il s’agit d’un processus, au sein duquel des facteurs sociaux tels que la formation d’une famille et le fait de trouver un emploi jouent un rôle important ». Si une personne se trouve en voie de sortie de la délinquance, le fait de lui refuser un troisième SME et de l’incarcérer a ainsi toutes les chances d’enrayer le processus amorcé. Alors que la sortie de la délinquance commence par « une diminution de la fréquence, de l’intensité et de la gravité des actes », la culture pénale « n’intègre pas cette dimension progressive, la première récidive étant sanctionnée par une incarcération ». La criminologue belge compare ainsi les logiques thérapeutiques et pénales : « En vertu d’une conception à plus long terme de « réduction des dommages », le thérapeute estime que le toxicomane se trouve sur le bon chemin s’il apprend à contrôler sa dépendance. Il continuera à travailler avec lui, même si le toxicomane rechute 13. »

D

En instaurant les peines plancher, soit des peines minimales pour les infractions punies d’au moins trois ans de prison commises en récidive, la loi du 10 août 2007 s’inscrit dans cette même approche d’une répression systématiquement accrue en cas de récidive. Élaborée en deux mois, elle écorne le principe d’individualisation de la peine en contraignant le juge à n’écarter la peine plancher qu’au prix d’une motivation spéciale, en raison d’éléments tenant aux « circonstances de l’infraction », à la « personnalité » de l’auteur de l’infraction ou aux « garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci ». Dans l’hypothèse d’une seconde récidive pour certaines infractions, le juge ne peut déroger à l’application de la peine plancher que dans l’hypothèse où la personne présente des « garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion ». Les peines minimales correspondent à un tiers du maximum encouru pour l’infraction : un an pour les délits passibles d’un maximum de trois ans, deux ans pour un maximum de cinq ans, trois ans pour sept ans, quatre ans pour dix ans 14… Ce texte provoque, dès sa présentation, un exceptionnel tollé. Magistrats, avocats, personnels pénitentiaires, acteurs de la réinsertion, professionnels de l’enfance, éducateurs, psychiatres et enseignants multiplient les appels et interventions. La mobilisation réunit jusqu’à des institutions peu habituées à ce genre d’interventions publiques – comme la Défenseure des enfants, la Conférence des premiers présidents de cour d’appel, ou encore le président d’Unicef France. La ministre de la Justice balaie toute objection et insiste sur les vertus de son dispositif : « S’agissant du lien entre le quantum de la peine et la récidive, l’instauration d’une peine minimale aura un effet dissuasif. À moins de considérer qu’aucune loi n’a d’effet dissuasif, il est clair que 12.

CONSEIL DE L’EUROPE, Comité des ministres, Recommandation n° Rec(2000)22 concernant l’amé-

13.

lioration des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, 29 novembre 2000. S. SNACKEN, in S. DINDO, CNCDH, Sanctionner dans le respect des droits de l’homme. Les alternatives à la détention, La Documentation française, Paris, 2007. Article 132-19-1 du code pénal.

14.

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le régime prévu pour les récidivistes réduira le taux de récidive 15. » De nombreuses recherches infirment pourtant le caractère dissuasif de peines d’emprisonnement plus sévères. Dans une synthèse publiée en juin 2007, le chercheur Sebastian Roché, spécialiste des questions de sécurité, résume les principales études menées dans les pays ayant expérimenté un système de peines minimales : « Elles nous montrent que les politiques favorisant un recours à des punitions plus importantes ne garantissent ni une diminution de la délinquance ni une moindre récidive de la part des individus concernés ». Plusieurs études montrent même un « effet inverse à celui recherché en matière de récidive 16 ». Au Canada, « l’avenir de ces peines est incertain », conclut un rapport réalisé en septembre 2005 par Julian V. Roberts pour le ministère fédéral de la Justice : « Il semblerait qu’elles ne soient pas un outil efficace en matière de détermination de la peine, c’est-à-dire qu’elles gênent le pouvoir judiciaire discrétionnaire sans offrir de meilleurs résultats quant à la prévention du crime. Plus de la moitié des juges ont le sentiment que les peines minimales affectent leur capacité d’imposer une peine juste. » De manière générale, des spécialistes européens tels Sonja Snacken expliquent que le fait d’« allonger les peines dans l’espoir de contrer la récidive est un réflexe tout aussi traditionnel qu’inefficace, puisque fondé sur une conception erronée et dépassée de la récidive. Dans la théorie pénale classique ainsi que dans la théorie du choix rationnel moderne, la récidive est un acte volontaire, commis par un délinquant rationnel qui pèse les avantages du crime face aux désavantages de la sanction. Il suffit dès lors d’augmenter la peine pour dissuader les délinquants de récidiver. À la demande du Home Office, l’Institut de criminologie de l’université de Cambridge fit une méta-analyse des études publiées sur les effets dissuasifs de la sévérité des peines et conclut que rallonger la longueur de la peine n’augmente pas la dissuasion (Bottoms, Von Hirsh e.a., 1999) 17 ». En France, Annie Kensey, responsable des études à l’administration pénitentiaire, et Pierre V. Tournier, chercheur, montrent qu’il n’y a « pas de corrélation nette entre le montant de la peine prononcée et le taux de probabilité de récidive » et établissent que pour certaines infractions comme les violences volontaires, le taux de récidive tend même parfois à augmenter quand la peine prononcée est plus sévère 18. Des réserves apparaissent aussi dans les pratiques des magistrats, qui s’avèrent utiliser largement toute possibilité de dérogation aux peines plancher prévue par la loi. Dans les cas où la peine minimale est en principe « obligatoire », une évaluation du ministère de la Justice pour l’année 2008 montre qu’elle n’est en fait prononcée qu’une fois sur deux (44 % des éligibles). Quelque 6,3 % des peines plancher sont en outre assorties d’un sursis total (simple, avec mise à l’épreuve ou avec TIG). Dans les 15.

SÉNAT, Audition de Rachida Dati, ministre de la Justice, sur le projet de loi renforçant la lutte

16.

S. ROCHÉ, Juger les mineurs comme des majeurs, peines minimales obligatoires, peines plan-

contre la récidive des majeurs et des mineurs, séance du 10 juillet 2007.

17.

18.

cher : les effets sur la récidive et la délinquance des mineurs, Pôle Sécurité et Cohésion, CNRS, 15 juin 2007. S. SNACKEN, « Peut-on évaluer l’efficacité des mesures pénales en fonction de la durée de la sanction ? », loc. cit. A. KENSEY et P. V. TOURNIER, « Récidive : la dissuasion de cette loi relève du fantasme », Libération, 3 juillet 2007.


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cas où la peine plancher n’a pas été appliquée, 21,5 % des condamnations ne comportent pas de partie ferme. Au total, les peines plancher concernent une proportion relativement faible de condamnations, même s’il ne faut pas en négliger l’impact en termes d’augmentation des durées d’emprisonnement ferme. Au nombre de 7 350 pour l’année 2008, elles ne représentent que 12 % de l’ensemble des condamnations pour délit en récidive 19. Les pressions de la Chancellerie sur les magistrats du parquet se sont pourtant exercées dès la promulgation du texte. Le 30 août 2007, Rachida Dati convoque le vice-procureur de Nancy, après que ce dernier a critiqué la loi sur les peines plancher dans le cadre d’une audience. Le 26 septembre 2008, cinq procureurs généraux sont convoqués en raison de la faiblesse du recours aux peines plancher dans leurs juridictions. Dans une interview, la ministre se justifie : « Il est normal que je demande aux procureurs généraux de me rendre compte de l’application de la loi. Je veux savoir pourquoi on n’utilise pas les peines plancher […]. Je demande aux procureurs généraux qu’il y ait systématiquement appel du Parquet quand les peines plancher ne sont pas prononcées 20. » Elle annonce dans la foulée qu’elle recevra tous les mois les procureurs généraux des cours d’appel où des statistiques insuffisantes auront été recensées : si la ministre s’est toujours défendue publiquement de vouloir instaurer des peines automatiques, elle exerce, sur le terrain, une pression importante pour que les dispositions dérogatoires prévues par la loi pour écarter le recours aux peines plancher ne soient pas utilisées. Le 11 juillet 2008, la garde des Sceaux dresse un premier bilan de sa loi qu’elle affiche comme « pleinement satisfaisant » devant le Conseil des ministres : elle fait état, depuis la mise en œuvre de la réforme, du prononcé de 10 783 décisions à l’encontre de récidivistes majeurs – dont 51 % ont donné lieu à l’application d’une peine plancher, ce qui revient pourtant à une non-application de la peine plancher pour 49 % des récidivistes ! Si la ministre affiche une détermination sans faille dans la mise en œuvre de cette réforme, elle n’ignore toutefois pas les tensions qu’elle est susceptible de provoquer au sein d’un univers carcéral ravagé par la surpopulation. Si la loi Perben II du 9 mars 2004 avait une tonalité largement répressive, elle a consacré dans un même temps le processus de juridictionnalisation de l’application des peines ; le 24 avril 2006, le ministre de la Justice, Pascal Clément, avait adressé aux magistrats du parquet une directive leur enjoignant de prendre « des réquisitions tendant au prononcé de peines alternatives aux peines d’emprisonnement, de mesures d’aménagement de peine » ; le 27 juin 2007, c’est au tour de Rachida Dati de demander dans une circulaire l’organisation d’une « conférence régionale semestrielle sur les aménagements de peine et alternatives à l’incarcération » dans chaque cour d’appel : « Je souhaite donner une véritable impulsion à la politique d’aménagement de peine, ce sera une priorité », confirme la ministre, le 25 juillet 2007, à l’occasion de la première conférence à la cour d’appel de Rouen ; « les sorties de prison qui ne sont pas accompagnées favorisent la récidive. Encourager les aménagements de peine, c’est favoriser la réinsertion », ajoute-t-elle. C’est ainsi qu’à quelques mois d’intervalle, une loi a instauré les peines plancher, visant au prononcé plus systématique de peines d’emprisonnement, et que 19.

20.

MINISTÈRE DE LA JUSTICE /DACG/PÔLE D’ÉVALUATION DES POLITIQUES PÉNALES, Évaluation de la loi du 10 août 2007 sur les peines minimales d’emprisonnement, mars 2010. 20 minutes.fr, 2 octobre 2008.

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le gouvernement poursuit parallèlement une politique visant à développer l’aménagement des courtes peines de prison, alors que le prononcé de peines alternatives aurait pu être encouragé dès le départ. Il y a là une véritable schizophrénie coûteuse pour le contribuable et pour les personnes condamnées : d’un côté, l’affichage d’une politique répressive, de l’autre, une politique visant à désengorger les prisons de personnes condamnées à de courtes peines dont Nicolas Sarkozy affirmera lui-même, lors de son discours du 13 septembre 2011 à la prison de Réau, qu’elles ne présentent « pas de dangerosité particulière ». À la mi-juin 2008, Rachida Dati présente le projet de loi pénitentiaire qui vient encore renforcer les possibilités d’aménagements de peine. Quelques semaines avant cette communication, un chiffre historique est annoncé : le 1er juin 2008, le nombre de personnes incarcérées en France culmine à 63 838.

3. Les aménagements de peine depuis la loi pénitentiaire Les injonctions contradictoires se succèdent tout au long de la période 2005-2011 : il est alternativement reproché aux magistrats leur prétendu laxisme dans leurs décisions d’aménagements de peine et de ne pas en prononcer suffisamment pour désengorger les prisons. Chaque juge de l’application des peines sait désormais qu’il sera vilipendé en place publique par les plus hautes autorités de l’État en cas de récidive grave d’un condamné auquel il aura accordé un aménagement, tout en ayant la charge de prononcer des mesures dont il est connu qu’elles favorisent une diminution des risques en comparaison des sorties en fin de peine.

D Dans

ce mouvement continuel au gré de faits divers et d’enjeux électoraux, des dispositions en faveur du développement des aménagements des courtes peines de prison peuvent être rapidement remises en cause par ceux-là même qui les ont adoptées. Ainsi en va-t-il du second volet de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, qui concerne le prononcé des peines, les alternatives à la détention et les aménagements de peine. Le texte de loi prévoit qu’en matière correctionnelle, « une peine d’emprisonnement ferme ne peut être prononcée que si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et que toute autre sanction serait manifestement inadéquate ». Dans ce cas, la peine d’emprisonnement « doit, dans la mesure du possible, lorsque les conditions légales le permettent, faire l’objet d’un placement sous surveillance électronique, ou d’une des mesures d’aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 (semi-liberté ou placement à l’extérieur) ». Est ainsi renforcé le principe d’un emprisonnement ferme comme dernier recours en matière de délits. Le texte consacre également l’extension du champ d’application des aménagements de peine avant la mise à exécution de l’emprisonnement aux peines n’excédant pas deux ans (ou un reliquat de peine de deux ans), alors même que la limite fixée était jusqu’alors d’un an. Dans son argumentaire, le ministère de la Justice a précisé que 90 % des condamnations prononcées entreraient de ce fait dans les conditions d’un aménagement de peine. Ces aménagements peuvent être prononcés ab initio par les juridictions de jugement, qui décident alors immédiatement que les peines d’emprisonnement qu’elles viennent de prononcer seront purgées en milieu


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ouvert. Ils peuvent aussi être prononcés par les juges de l’application des peines, qui doivent désormais recevoir les condamnés libres préalablement à la mise à exécution de leur peine d’emprisonnement inférieure ou égale à deux ans 21. Avec l’article 82 de la loi pénitentiaire, le régime de la libération conditionnelle subit également une modification importante : les condamnés âgés de plus de soixante-dix ans pourront se voir octroyer une libération conditionnelle sans qu’aucune condition de délai ne soit exigée avant d’examiner leur demande. La mise en œuvre de cette disposition constitue une réponse à la problématique du vieillissement de la population carcérale. Le phénomène est bien réel, généré notamment par la modification des règles relatives à la prescription des crimes et délits – notamment dans le domaine des infractions sexuelles, où des individus peuvent être condamnés pour des faits commis des décennies plus tôt. La Chancellerie a toutefois prévu un tempérament au principe, qui en amoindrit la portée : quand bien même il remplirait les conditions de fond exigées par le texte (une insertion ou une réinsertion assurée, en particulier s’il fait l’objet d’une prise en charge adaptée à sa sortie ou s’il justifie d’un hébergement), le condamné pourrait se voir opposer un refus « en cas de risque grave de renouvellement de l’infraction » ou si sa libération conditionnelle est susceptible de causer un « trouble grave à l’ordre public ». Ce dernier concept, particulièrement flou, n’avait jusqu’alors jamais été utilisé par le législateur dans le domaine de l’application des peines. À titre d’exemple, la simple constitution d’un comité de protestation contre la libération du condamné pourrait en soi suffire à faire échouer une mesure de libération conditionnelle. Cette réserve mise à part, la loi pénitentiaire permet d’ouvrir la liste des motifs susceptibles d’entraîner l’octroi des aménagements de peine. Jusqu’alors, les textes en vigueur énuméraient limitativement les motifs d’octroi, en faisant état de l’exercice d’une activité professionnelle, d’un stage ou d’une formation professionnelle, de l’assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle, de la participation à la vie de famille ou de la nécessité d’un traitement médical. Désormais, au-delà de ces motifs, il sera possible de recourir à une mesure de semi-liberté, de placement sous surveillance électronique et de placement à l’extérieur afin de permettre à un condamné de rechercher un emploi, ou de mettre en œuvre « tout autre projet sérieux d’insertion ou de réinsertion ». Cet élargissement permet ainsi d’envisager un aménagement de peine pour des personnes ne présentant pas de garanties d’insertion, dans un contexte socio-économique difficile, a fortiori pour des personnes sortant de prison. Cette nouvelle approche semblera néanmoins difficile à intégrer par certains juges de l’application des peines, qui continueront d’exiger dans nombre de cas un logement et une promesse d’embauche pour accorder ces mesures. Les dispositions relatives à la libération conditionnelle, pour leur part, ne prévoient pas explicitement la « recherche d’emploi » comme motif d’octroi de la mesure, mais elles introduisent également le critère du « projet sérieux d’insertion ou de réinsertion », qui recouvre un large éventail de possibilités, au-delà du contrat de travail. Quant à la suspension de peine pour raison médicale – malmenée par la loi du 12 décembre 2005 qui imposait, en sus des critères médicaux, une condition d’octroi relative à l’absence de risque

21.

Dans le cadre de l’article 723-15 du code de procédure pénale.

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grave de renouvellement de l’infraction –, elle voit, à certaines conditions, sa procédure simplifiée : en cas d’urgence, lorsque le pronostic vital est engagé, elle peut être ordonnée au vu d’un certificat médical établi par le médecin de la structure sanitaire dans laquelle est pris en charge le détenu. Il n’est alors pas nécessaire de faire diligenter les deux expertises médicales exigées par la loi pour établir que la personne répond aux critères médicaux d’obtention de la suspension de peine. Présentée par Rachida Dati, la loi pénitentiaire n’est adoptée qu’à l’automne 2009 – sous la férule de la nouvelle ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie. Si la partie consacrée aux aménagements de peine est avalisée par le Sénat en mars 2009, elle est en revanche contestée lors de son passage devant l’Assemblée nationale. Les débats qui s’y tiennent en septembre 2009 sont marqués par un nouveau fait divers (le meurtre d’une jeune femme dans la forêt de Fontainebleau) et la pression de différents lobbies. L’Institut pour la justice, association de victimes, milite contre l’extension des aménagements de peine, incitant chacun de ses membres à écrire à leurs députés. Le syndicat Synergie, qui regroupe des officiers de police, dénonce la « duplicité » du système d’aménagement de peine – déplorant que le projet n’ait pas écarté les récidivistes du champ d’application de la loi – ; à la même période, le syndicat Alliance police nationale rappelle qu’il n’est pas hostile aux mesures alternatives à l’incarcération « mais seulement quand elles s’appliquent à de petites infractions et dans le cas de délinquants primaires ». La ministre de la Justice envisage un temps de revenir sur le seuil des deux ans : « Ce seuil me pose problème », explique-t-elle dans Le Parisien du 5 septembre 2009. « D’une part, il n’est pas en cohérence avec les mesures prises sur la récidive et les peines plancher. D’autre part, certains faits punis de deux ans de prison sont déjà graves, comme les attouchements sexuels. Je ne suis pas contre les aménagements de peine, mais ils ne peuvent avoir pour but de désengorger les prisons. » Elle opte finalement pour une exclusion des récidivistes du champ de cette extension. Rapidement, d’autres suivent. Le texte adopté le 24 novembre 2009 prévoit toujours qu’une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours, en matière correctionnelle, lorsque la « gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur » la rendent nécessaire ; mais il écarte ce principe en cas de condamnation en récidive légale prononcée en application de la législation sur les peines plancher. De même, il prévoit que la peine d’emprisonnement de deux ans ou moins doit faire l’objet d’un examen pour aménagement de peine ; mais il introduit une réserve – la « personnalité et la situation du condamné » – qui permet à la juridiction de jugement de déroger à la règle posée en raison de la dangerosité potentielle du condamné. Pour les personnes dont la peine de prison a été mise à exécution, la loi du 24 novembre 2009 étend également le « sas de sortie » instauré par la loi du 9 mars 2004 (Perben II). La nouvelle « procédure simplifiée d’aménagement de peine » (PSAP) prévoit que les détenus condamnés pour des courtes et moyennes peines fassent nécessairement l’objet, sauf exception, d’un projet d’aménagement de peine. Cette procédure était originellement destinée à éviter les « sorties sèches » des sortants de prison sans contrôle ni suivi, tout en déchargeant des services de l’application des peines saturés. En effet, c’est désormais le service pénitentiaire d’insertion et de probation qui formule la proposition d’aménagement de peine, qui sera adoptée sauf refus du procureur, ou


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du juge de l’application des peines (JAP) dans un délai de trois semaines 22. Aux termes des nouvelles dispositions, sont désormais concernés les détenus condamnés à une ou plusieurs peines d’emprisonnement dont le cumul est inférieur ou égal à deux ans, ou à cinq ans si le reliquat de peine est inférieur ou égal à deux ans (un an s’ils sont récidivistes). Un autre dispositif voit le jour, la surveillance électronique de fin de peine (SEFIP), destinée à faire exécuter de manière plus systématique les derniers mois de certaines peines d’emprisonnement en milieu ouvert avec un bracelet électronique. Deux catégories de détenus sont visées : toute personne condamnée à une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à cinq ans, à laquelle il reste quatre mois d’emprisonnement à subir ; les personnes condamnées à des peines inférieures ou égales à six mois, auxquelles il reste les deux tiers de la peine à subir 23. Un décret du 27 octobre 2010 24 précise que la situation de tous les condamnés susceptibles de faire l’objet d’une SEFIP doit être examinée par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Le directeur du SPIP transmet au procureur les dossiers des condamnés pour lesquels il propose une SEFIP. Le procureur dispose d’un délai de cinq jours pour répondre, faute de quoi la mesure est considérée comme acceptée. En ce sens, il s’agit d’une forme d’automatisation de l’aménagement de peine, dans l’objectif de réduire la surpopulation en détention. Les personnes exécutent leur fin de peine à domicile sous surveillance électronique, sans accompagnement socio-éducatif. Contrairement aux autres mesures de surveillance électronique, la SEFIP connaît des débuts mitigés, certains parquets refusant de la mettre en œuvre au motif que le condamné ne présente pas de gages d’insertion ou imposant des conditions horaires trop drastiques : dans une circulaire du 10 mai 2011, le ministre de la Justice Michel Mercier constate la faible utilisation de la SEFIP, rappelle que cette mesure n’exige pas de projet préalable d’insertion, et précise qu’elle constitue « un dispositif prioritaire dans le champ de l’exécution des fins de peine au profit des personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans dès lors que la voie de l’aménagement de peine n’a pas ou ne peut aboutir ». Au 1er juillet 2011, 460 personnes étaient placées sous surveillance électronique de fin de peine.

D La politique d’aménagement des peines souffre également, sur le terrain, de la

faiblesse chronique des moyens humains mis à la disposition des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), principaux acteurs de la mise en œuvre des mesures et du suivi des personnes sous main de justice. Cet état de fait est dénoncé depuis des années et reste encore très prégnant, en dépit de quelques améliorations : il ne manque pas d’interroger sur la réalité des objectifs poursuivis dans 22.

23.

24.

La proposition d’aménagement de peine est adressée par le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation (DSPIP) au procureur de la République qui, s’il l’estime justifiée, la transmet pour homologation au JAP, qui dispose d’un délai de trois semaines pour prendre une décision. À défaut de réponse du juge dans ce délai, le DSPIP, sur instruction du procureur de la République, peut ramener la mesure à exécution. Les motifs d’exclusion du bénéfice de cette mesure sont l’impossibilité matérielle, le refus du condamné, l’incompatibilité entre sa personnalité et la nature de la mesure ou le risque de récidive. Décret n° 2010-1278 publié le 28 octobre 2010 au Journal officiel.

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le cadre du développement des aménagements de peine – volonté de promouvoir la réinsertion des condamnés et la prévention de la récidive, ou simple nécessité de désencombrement des prisons. De nombreux rapports ont été produits depuis des années, permettant de cerner l’ampleur des difficultés. Ils montrent que des efforts de recrutement de personnels d’insertion et de probation ont été réalisés entre 2003 et 2010, mais qu’ils restent insuffisants au regard du retard accumulé, de l’accroissement des tâches et du nombre de mesures. Entre 1999 et 2010, les postes de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) sont passés de 1 728 à 2 919, et ceux des personnels d’encadrement de 157 à 357. Mais la dernière promotion (16e) annoncée de CPIP pour 2011 prévoit seulement 52 postes, au lieu des 120 à 250 recrutements annuels depuis dix ans 25. Auteur d’un rapport parlementaire de 2003 relatif « aux peines alternatives à la détention, aux courtes peines et à la préparation des détenus à la sortie de prison », dans lequel il recommandait de « renforcer de façon significative le corps des conseillers d’insertion et de probation » afin de « redonner de la crédibilité aux mesures alternatives », le député UMP Jean-Luc Warsmann dresse de nouveau, en 2007, au terme d’une mission d’information sur l’exécution des décisions de justice pénale, un bilan critique de la situation. Il explique que le recrutement de nouveaux personnels n’a « pas permis aux SPIP de disposer de davantage de temps pour le suivi de chaque mesure qui leur est confiée, ni à chaque agent des SPIP de voir le nombre de mesures dont il est saisi baisser significativement. […] Une norme tacite assez communément répandue fixe à une fourchette de 80 à 100 le nombre de mesures que peut suivre un travailleur social. Or, dans un grand nombre de SPIP, chaque agent suit un nombre de mesures compris entre 100 et 200, au détriment de l’intensité et de la qualité du suivi. Une étude réalisée dans l’Indre en 2005 estimait que, compte tenu du nombre de dossiers confiés à chaque agent et des autres tâches qui leur sont confiées (comptes rendus, réunions…), le temps disponible pour le suivi de chaque mesure était de huit heures par an, soit un temps beaucoup trop faible pour assurer un suivi de qualité ». Le rapport relève que des SPIP, dans ce contexte, ont fait le choix « de privilégier la qualité du suivi en appliquant cette norme de 80 à 100 dossiers par travailleur ». Le peu d’intérêt manifesté à l’égard du milieu ouvert, ainsi que la quasi-absence d’informations et d’études sur le suivi des condamnés et sur le travail des SPIP, qui évoluent dans une précarité permanente de moyens, de formation et de méthodes d’intervention, sont également relevés. Thomas Hammarberg, Commissaire européen aux droits de l’homme, relève dans son rapport du 21 novembre 2008 que les conseillers d’insertion et de probation « jouent un rôle de première importance dans la réussite de la libération conditionnelle ainsi que dans la prévention de la récidive. Or, bien que des efforts importants aient été réalisés ces dernières années, il apparaît que ces travailleurs sont en sous-effectif flagrant et que les moyens à leur disposition sont insuffisants ». Une étude réalisée pour la direction de l’administration pénitentiaire 25.

Chiffres de la DAP, Évolution des effectifs réels, du 1er janvier 1997 à 2008/Répartition des personnels de la filière insertion et probation, effectifs réels, situation au 12 mars 2009, cités in S. DINDO, Sursis avec mise à l’épreuve : la peine méconnue. Une analyse des pratiques de probation en France, DAP/PMJ1, mai 2011.


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(DAP) en mai 2011 analyse les manques auxquels sont confrontés les professionnels des SPIP pour mener à bien leurs missions : « Insuffisamment formés, ils ne disposent que de connaissances parcellaires en criminologie. Insuffisamment guidés, ils ne sont pas dotés d’outils de travail propres à leur profession, conçus par des chercheurs sur la base de données probantes. Malmenés, ils doivent suivre entre 60 et 200 personnes chacun selon les départements, ce qui rend plus ou moins impossible de consacrer le temps nécessaire à chaque probationnaire et d’assurer un accompagnement de qualité 26. » Dans ce contexte, les objectifs affichés de la loi pénitentiaire risquent fort de ne pas être atteints. Diligentée en 2009 par le gouvernement avant l’adoption de la loi, une étude d’impact annonçait que le développement attendu des aménagements de peine devrait porter de 200 000 à 210 000 le nombre de personnes suivies en milieu ouvert et en milieu fermé par les SPIP. Il estime alors nécessaire la création de 1 000 postes supplémentaires de conseillers d’insertion et de probation. La Commission des lois du Sénat reprend alors expressément les avertissements de l’étude d’impact – estimant indispensable de réduire de 80 à 60 le nombre des dossiers suivis par chaque conseiller et de prévoir en conséquence la création de 1 000 postes supplémentaires pour un coût évalué, hors dépenses d’investissement, à 32,8 millions d’euros. En dépit de ces avertissements, la loi pénitentiaire ne prévoit aucune disposition budgétaire. Et les lois de finances 2010 et 2011, loin des chiffres espérés, prévoient sur deux ans la création de 336 postes – soit le tiers de ce qui avait été estimé par l’étude d’impact. Dans un rapport relatif au service public pénitentiaire paru deux ans plus tard, en juillet 2010, la Cour des comptes constate une nouvelle fois la faiblesse des moyens et des crédits consacrés à l’activité des SPIP – dégageant en la matière de sombres perspectives. « La capacité de la direction de l’administration pénitentiaire à mener de concert les deux objectifs assignés aux aménagements de peine, réguler la surpopulation carcérale et prévenir la récidive, dépendra des moyens qui seront alloués. Ceux qui sont inscrits dans les lois de finances 2009 et 2010 et les marges de productivité qui pourraient se dégager de la réforme des SPIP ne devraient pas suffire à absorber le surplus d’activité. Face à ce constat, les mesures contenues dans la loi pénitentiaire apparaissent dès lors davantage comme des modalités automatiques d’exécution des peines par l’administration pénitentiaire que comme des aménagements de peine classiques décidés au cas par cas par les juges. En assignant deux objectifs à un même instrument, le ministère court le risque de manquer celui relatif à la prévention de la récidive, voire de n’en atteindre aucun. »

D En

outre, l’élargissement des possibilités d’aménagements des courtes et moyennes peines de prison issu de la loi pénitentiaire ne signifie pas qu’une politique d’alternatives à l’incarcération pour les petites infractions soit désormais durablement à l’œuvre. En effet, les équilibres mêmes de la loi du 24 novembre 2009 se révélaient déjà menacés moins de deux ans après l’entrée en vigueur du texte. Dans la majorité parlementaire, des voix n’ont cessé de s’élever, dès la promulgation de la loi, pour dénoncer certaines de ses dispositions : dans un entretien paru le

26.

S. DINDO, Sursis avec mise à l’épreuve, op. cit.

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17 septembre 2010, le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, fait état de sa volonté de voir modifiée l’extension à deux ans du seuil de recevabilité des aménagements de peine : « Avoir quasiment l’assurance de ne pas effectuer sa peine de prison, quand on est condamné à moins de deux ans, est un dispositif parfaitement inadmissible pour les citoyens et totalement incompréhensible pour les policiers et les gendarmes. Comment les Français peuvent-ils admettre qu’ils soient sanctionnés dès qu’ils dépassent de deux kilomètres/heure la limite de vitesse autorisée, tandis qu’un délinquant condamné, lui, à dix-huit mois de prison pour vol avec violences, cambriolage ou trafic de stupéfiants, ne passera pas un seul jour en prison ? On marche sur la tête 27 ! » Au Parlement, un travail de lobbying intense continue d’être mené par le très influent Institut pour la justice et c’est le député UMP Éric Ciotti qui, au nom des parlementaires récalcitrants, mène le combat : dans un rapport remis le 7 juin 2011 au président de la République, comprenant une cinquantaine de propositions destinées à renforcer l’exécution des peines de prison, il recommande notamment de revenir sur les seuils des aménagements de peine prévus par la loi pénitentiaire. Le 13 septembre 2011, Nicolas Sarkozy annonce une loi de programmation sur l’exécution des peines annonçant l’ouverture de 30 000 places de prison supplémentaires pour 2017. Il souhaite en particulier que « l’on puisse ouvrir rapidement des prisons dédiées aux condamnés pour courtes peines, ne présentant pas de dangerosité particulière. Cette catégorie de détenus constitue aujourd’hui la majorité des personnes incarcérées, et la plupart des peines qui sont en attente d’exécution sont précisément de courtes peines 28 ». C’est ainsi que le président annonce un renoncement à la politique d’aménagement des courtes peines de prison renforcée sous son règne avec la loi pénitentiaire, au bénéfice de leur exécution dans des établissements pénitentiaires spécifiques. Le processus engagé reste également dépendant d’injonctions inverses du gouvernement qui, à législation constante, peut adresser aux parquets des instructions de mise à exécution des courtes peines d’emprisonnement, comme celles qui ont suivi l’affaire de Pornic de janvier 2011. Le suspect mis en cause pour le meurtre d’une jeune fille, Laëtitia Perrais, sorti de prison depuis un an, aurait en effet dû être suivi dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), qui n’avait pu le prendre en charge notamment en raison d’un manque de personnels. L’affaire suscite une violente réaction du président de la République qui, avant toute conclusion des inspections diligentées, promet des sanctions à l’encontre des magistrats et des personnels du SPIP. Si la déclaration du chef de l’État entraîne l’un des plus importants mouvements de protestation au sein de l’institution judiciaire et pénitentiaire, elle constitue également une pression susceptible de peser sur les pratiques des magistrats. « L’affaire de Pornic a changé la donne », confie un directeur d’établissement pénitentiaire dans une interview au journal La Croix le 23 mai 2011. « Depuis janvier dernier, nous voyons arriver en prison des personnes condamnées à de toutes petites peines, parfois pas plus d’un mois. Il suffit qu’un condamné sous bracelet électronique oublie de se présenter à un rendez-vous fixé par le service

27. 28.

« Les propositions chocs de Brice Hortefeux », Le Figaro Magazine, 17 septembre 2010. Allocution du président de la République au centre pénitentiaire de Réau, 13 septembre 2011.


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d’insertion et de probation pour qu’il soit immédiatement envoyé en prison. On ne voyait jamais cela par le passé. » Dans les semaines qui ont suivi le meurtre de la jeune fille, le ministre de la Justice, Michel Mercier, a annoncé la mise en œuvre d’un plan national d’exécution des peines dans quatorze tribunaux de grande instance dans lesquels a été recensé le plus grand nombre de peines d’emprisonnement en attente d’être exécutées. L’objectif du plan, déclare le ministre le 2 février 2011, est d’« aider ces juridictions à résorber le stock des peines non exécutées, à améliorer les délais de mise à exécution des peines et plus largement à mettre en œuvre les orientations réaffirmées en matière d’exécution et d’aménagement des peines ». Au cours du premier trimestre 2011, une brusque augmentation des entrées sous écrou est observée (23 622 entrées, contre 21 631 pour la même période en 2010). Elle s’explique principalement par une très forte hausse de la mise à exécution de peines d’emprisonnement comprises entre un an et trois ans (+50 %). Dans le même temps, le législateur a poursuivi une politique qui, de facto, affirme la prééminence de l’emprisonnement au stade du prononcé des peines. Traduisant les orientations sécuritaires développées par le président de la République dans son « discours de Grenoble » du 30 juillet 2010, la loi Loppsi 2 adoptée en mars 2011 constitue une illustration saisissante de cette culture politique : à l’instar de nombreuses autres réformes qui l’ont précédée, elle crée de nouvelles infractions punies d’emprisonnement (distribution d’argent sur la voie publique, usurpation d’identité sur Internet), transforme des contraventions en délits punis d’emprisonnement (vente à la sauvette), aggrave le quantum de certaines peines (pour certains vols aggravés). Alors même que le nombre d’incarcérations est reparti à la hausse, la loi introduit une disposition étendant le mécanisme des peines plancher à certains délinquants primaires : dans le cas de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours, la peine prononcée ne pourra désormais être inférieure à dix-huit mois d’emprisonnement – sauf à y déroger par une motivation spéciale.

D Par ailleurs, les différents dispositifs et mesures adoptés pour développer les amé-

nagements de peine ne concernent que les courtes et moyennes peines d’emprisonnement, tandis que les possibilités d’aménager les longues peines ou celles prononcées contre des récidivistes se voient de plus en plus limitées. La loi du 24 novembre 2009 exclut ainsi les récidivistes des extensions prévues pour l’octroi de la semiliberté, du placement sous surveillance électronique et du placement à l’extérieur. Elle ne prévoit aucune procédure particulière susceptible de favoriser l’aménagement des longues peines – à l’exception de celui prévu pour les personnes âgées. La loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, adoptée le 6 juillet 2011, contient également des dispositions qui complexifient l’accès aux aménagements des longues peines. D’une part, le texte introduit la présence de jurés populaires au sein des juridictions de l’application des peines lorsqu’elles sont amenées à statuer sur la libération conditionnelle d’une personne condamnée à une peine égale ou supérieure à cinq ans (le même dispositif est prévu pour certaines audiences correctionnelles). Officiellement destinée à rapprocher la justice des citoyens, la mesure a été annoncée par le président de la République en novembre 2010, quelques semaines après la mise en cause par Brice Hortefeux de la

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légitimité des juges professionnels à libérer des criminels 29 : elle repose sur le postulat que des jurés, réputés plus sévères, brideront les velléités des magistrats. Une « idée fausse », selon le magistrat Denis Salas, qui rappelle que « dans les faits, les jurés sont tantôt plus sévères, tantôt plus indulgents, selon le type d’affaires qu’ils ont à traiter et leur système de valeurs 30 ». D’autre part, la loi du 6 juillet 2011 impose qu’une libération conditionnelle accordée aux condamnés pour les infractions les plus graves soit obligatoirement assortie d’un placement sous surveillance électronique mobile. Les personnes concernées sont les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, à une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à quinze ans pour une infraction pour laquelle le suivi sociojudiciaire est encouru (infractions à caractère sexuel, crimes contre un mineur, violences conjugales…), ou à une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle égale ou supérieure à dix ans pour une infraction faisant encourir une rétention de sûreté (assassinat ou meurtre, torture ou actes de barbarie, viol, enlèvement ou séquestration…) 31. Cette nouvelle disposition constitue une première dans la mesure où elle contraint la juridiction à prononcer en toutes circonstances une mesure de sûreté, y compris lorsqu’il est estimé que la personne ne représente plus de risque majeur de récidive.

4. L’irrésistible essor des mesures de sûreté D Outre un durcissement des peines, avec la limitation des possibilités d’aménage-

ment de peine, une personne ayant commis un crime grave a désormais toutes les chances de se voir imposer, au-delà de sa peine, une mesure de sûreté privative ou restrictive de liberté. C’est ainsi que le système pénal français renoue avec les peines sans fin, qui plus est imposées non plus pour les seuls faits commis, mais sur la base d’une présomption de risque aléatoire. Théorisée à partir des travaux des criminologues italiens du XIXe siècle tels que Lombroso et Ferri, la mesure de sûreté est décrite par le professeur Cornu comme une « mesure de précaution destinée à compléter ou suppléer la peine encourue par un délinquant, qui, relevant en principe de l’autorité judiciaire, ne constitue pas un châtiment mais une mesure de défense sociale imposée à un individu dangereux afin de prévenir les infractions futures qu’il pourrait commettre et que son état rend probable 32 ». Ainsi entendues, les mesures de sûreté n’avaient jamais été développées dans le droit positif français. Toute mesure prononcée par le juge pénal était une peine, soumise à tous les principes d’un droit pénal qui, rappelle Geneviève Giudicelli, « prônait, notamment, qu’une peine n’est juste qu’autant que l’acte est reprochable, ce qui écartait toute possibilité de punition en dehors de toute imputabilité morale, et que la peine a tout ensemble une fonction rétributive et préventive spéciale, ce qui écartait toute possibilité de séparer culpabilité et dangerosité 33 ». Ces principes n’ont désormais plus cours. En l’espace de quelques 29. 30. 31. 32. 33.

Interview dans Le Figaro magazine, 17 septembre 2011. Interview dans Libération, 25 juin 2011. Article 706-53-13 du code de procédure pénale. G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, Paris, 2005. G. GIUDICELLI-DELAGE, Droit pénal de la dangerosité - Droit pénal de l’ennemi, cours au Collège de France, juin 2009.


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années, le législateur a instauré des mesures de sûreté qui couvrent tout le spectre des mécanismes de surveillance, de contrôle ou de contrainte – de la mise en œuvre d’un dispositif permanent de localisation des personnes à leur privation de liberté pour une durée indéterminée par la loi.

D C’est la loi du 9 mars 2004 qui a ouvert la voie à cette évolution en créant le fichier

judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (FIJAIS). Si le FIJAIS présente à première vue les caractéristiques habituelles de ce type de dispositif – il organise de manière classique le fichage des délinquants sexuels –, il oblige également les individus à justifier régulièrement, longtemps après l’exécution de leur peine initiale, de leur résidence. Cette obligation, dont le non-respect est sanctionné d’une peine d’emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 euros, peut s’étaler sur des décennies – la durée de l’inscription étant de trente ans pour les crimes ou délits punis d’au moins dix ans de prison. Concomitamment à cette mesure, qui organise pour la première fois en France un dispositif de localisation d’une personne susceptible de se prolonger largement au-delà de l’exécution de sa peine, un rapport sur la prévention de la récidive est rendu public en juillet 2005 par la commission santé-justice présidée par le magistrat Jean-François Burgelin. Il insiste au préalable sur la nécessité de distinguer la dangerosité psychiatrique, qui renvoie « à un risque de passage à l’acte principalement lié à un trouble mental et notamment au mécanisme et à la thématique de l’activité délirante », de la dangerosité criminologique, qui se manifeste, elle, par une absence de pathologie psychiatrique et par l’existence d’un risque de réitération d’une nouvelle infraction empreinte d’une certaine gravité 34. Ses recommandations s’ordonnent autour de trois axes : développer les études et la recherche en matière d’évaluation de la « dangerosité » et renforcer le rôle des experts dans l’exécution des peines ; juger les personnes déclarées irresponsables devant une juridiction spéciale pouvant leur imposer des mesures de sûreté ; créer un ensemble de mesures de « suivi de protection sociale » allant du placement sous surveillance électronique à l’ouverture de centres fermés de protection sociale (CFPS) destinés à accueillir, une fois leur peine purgée, les personnes estimées encore « dangereuses ». Cette mesure serait décidée pour un an, et reconductible jusqu’à la disparition de la dangerosité, c’est-à-dire sans limitation de durée. Le rapport Burgelin reconnaît, tout en la maintenant, que cette proposition porte « particulièrement atteinte à la liberté individuelle » et admet que « les études internationales sur la récidive des criminels atteints de troubles mentaux et les auteurs d’infractions à caractère sexuel font apparaître une forte proportion d’individus dont la dangerosité a été surestimée (faux diagnostics positifs) ou sous-estimée (faux diagnostics négatifs, ces derniers étant proportionnellement moins nombreux) ». Lorsque le rapport est rendu public, les débats relatifs à la loi Clément sur la récidive font rage : ils assimilent clairement la notion de dangerosité à celle de risque de récidive. Si les parlementaires rejettent un amendement proposant la création de CFPS, ils élargissent, en revanche, le registre des mesures de sûreté.

D La loi du 12 décembre 2005 étend ainsi le champ d’application du FIJAIS et crée

la mesure de placement sous surveillance judiciaire, qui peut être décidée à 34.

« Santé, justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de la récidive », Rapport de la Commission santé-justice présidée par Jean-François Burgelin, juillet 2005.

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l’encontre de condamnés à une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à dix ans en raison d’une infraction pour laquelle le suivi sociojudiciaire est encouru (infractions à caractère sexuel, crimes contre un mineur…), ayant effectué l’intégralité de leur détention. La mesure est ordonnée aux « seules fins de prévenir une récidive dont le risque paraît avéré », au vu d’une expertise médicale du condamné « faisant apparaître sa dangerosité ». L’étendue du suivi est en tout point similaire à celui traditionnellement mis en œuvre à l’encontre des condamnés en milieu ouvert : la personne doit notamment répondre aux convocations du JAP et du CPIP… Elle peut se voir imposer certaines obligations particulières : se soumettre à des mesures d’examen médical ou à des soins, indemniser la victime, justifier d’un travail ou d’une formation en cours… La juridiction de l’application des peines peut également décider d’assortir la surveillance judiciaire des obligations spécifiques au suivi sociojudiciaire, telles que l’interdiction de paraître dans des lieux accueillant habituellement des mineurs ou d’exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs. La durée du placement sous surveillance judiciaire ne peut excéder celle correspondant aux réductions de peines qui ont pu être accordées au condamné durant sa détention. L’intéressé peut également faire l’objet d’un placement sous surveillance électronique mobile (PSEM), qui emporte l’obligation de porter un émetteur permettant à tout moment de déterminer sa localisation sur l’ensemble du territoire national. Le PSEM ne peut être ordonné qu’à l’encontre d’une personne majeure condamnée à une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à sept ans et dont une expertise médicale a constaté la « dangerosité ». Préalablement à la réalisation de l’examen de « dangerosité », une « commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté » doit être saisie pour un avis consultatif, qui porte essentiellement sur le repérage d’éléments de dangerosité et l’opportunité d’un placement sous surveillance électronique mobile. Mises en place en août 2007, les huit commissions pluridisciplinaires des mesures de sûreté (Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Paris, Rennes et Fort-de-France) sont composées d’un président de chambre à la cour d’appel, du préfet de région, du directeur interrégional des services pénitentiaires, d’un expert psychiatre, d’un expert psychologue, d’un représentant d’une association d’aide aux victimes et d’un avocat 35. Le bouleversement opéré par l’instauration de la surveillance judiciaire est considérable. Elle est l’exacte réplique du suivi sociojudiciaire, mais alors que celui-ci est une peine, prononcée à titre de sanction par une juridiction de jugement ayant statué sur la culpabilité d’une personne, la surveillance judiciaire est décidée par un juge de l’application des peines en raison de la seule dangerosité présumée de l’individu. Le Conseil constitutionnel entérine ce basculement dans une décision du 8 décembre 2005 lourde de conséquences. Il estime que la surveillance judiciaire reposant non pas « sur la culpabilité du condamné, mais sur sa dangerosité », elle a « pour seul but de prévenir la récidive » et qu’à ce titre, elle « ne constitue ni une peine ni une sanction ». Il rappelle que la liberté de la personne « ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire » et examine, de ce point de vue, la validité de la mesure la plus contraignante attachée à la surveillance judiciaire – le placement sous surveillance 35.

Décret n° 2007-1169 du 1er août 2007 portant modification du code de procédure pénale et relatif au placement sous surveillance électronique mobile, et arrêté du 23 août 2007 fixant la localisation et la compétence des commissions pluridisciplinaires des mesures de sûreté.


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électronique mobile. Rappelant que le PSEM a « pour objet de prévenir une récidive dont le risque est élevé [et] qu’il tend ainsi à garantir l’ordre public et la sécurité des personnes, qui sont nécessaires à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle », le Conseil estime que les contraintes associées à cette mesure, au regard de la gravité des infractions commises et des peines prononcées, ne présentent pas un « caractère intolérable » et qu’elles sont « en rapport avec l’objectif poursuivi par le législateur 36 ». L’aval du Conseil constitutionnel est un signe fort – qui ouvre le champ libre à l’avènement de la rétention de sûreté. Dans un rapport remis en octobre 2006, le député UMP et ancien magistrat Jean-Paul Garraud affirme que « la société doit pouvoir se protéger du risque encouru par ses membres à raison de l’état de dangerosité de l’un d’entre eux, quelle que soit la nature de cette dangerosité ». Il recommande au Premier ministre la création de CFPS ainsi que le développement d’une mesure de protection sociale en milieu ouvert – insistant sur la nécessité de mettre en place des outils d’évaluation associant entretiens cliniques et méthodes actuarielles 37. Dans un ultime tour de chauffe, la loi du 7 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance modifie le contenu du FIJAIS, accentuant le dispositif de contrôle. Les personnes condamnées pour un crime ou pour un délit puni de dix ans d’emprisonnement doivent justifier de leur adresse une fois tous les six mois en se présentant au commissariat ou à un autre service. Si la dangerosité de l’individu le justifie, il peut être ordonné que cette présentation interviendra tous les mois – cette décision étant obligatoire si la personne est en état de récidive légale. Deux mois après l’adoption de cette loi, le gouvernement présente son texte sur la « rétention de sûreté et la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ».

D La rétention de sûreté est une mesure visant à maintenir enfermés des détenus

après leur fin de peine dans des « centres socio-médico-judiciaires de sûreté ». Elle a vocation à s’appliquer aux personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour des faits d’assassinat ou meurtre, torture ou acte de barbarie, viol commis à l’encontre d’un mineur de quinze ans et qui présentent « une probabilité très élevée de récidive parce qu’elles souffrent d’un trouble grave de la personnalité 38 ». La mesure implique que ces détenus pourront être enfermés au terme de leur peine de prison pour une durée d’un an, qui peut être renouvelée chaque année indéfiniment. La situation des personnes est examinée, au moins un an avant la date prévue pour leur libération, par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, afin d’évaluer leur dangerosité. Dans cette optique, la commission demande le placement de l’intéressé, pour une durée d’au moins six semaines, dans un service spécialisé aux fins d’une « évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité assortie d’une expertise médicale réalisée par deux experts 39 ». Si la commission conclut à la « particulière dangerosité » du condamné, elle peut proposer que celui-ci fasse l’objet d’une rétention de sûreté. C’est la juridiction régionale de la 36. 37.

38. 39.

Conseil constitutionnel, décision n° 2005-527 DC du 8 décembre 2005. « Réponses à la dangerosité », rapport sur la Mission parlementaire confiée par le Premier ministre à Jean-Paul Garraud, député de la Gironde, octobre 2006. Article 706-53-13 du code de procédure pénale. Article 706-53-14 du code de procédure pénale.

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rétention de sûreté, composée de trois magistrats de la cour d’appel, qui prend alors la décision. Si la commission estime en revanche que les conditions de la rétention de sûreté ne sont pas remplies mais que le condamné paraît néanmoins dangereux, elle renvoie le dossier à la juridiction de l’application des peines pour qu’elle apprécie l’éventualité d’un placement sous surveillance judiciaire. En parallèle, le projet de loi restreint, pour certains condamnés, l’accès aux aménagements de peine. La libération conditionnelle pour les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité ne peut ainsi être accordée par le tribunal de l’application des peines qu’au vu d’un avis favorable préalable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. Le texte introduit par ailleurs un dispositif en vertu duquel une personne déclarée irresponsable « pour cause de trouble mental » pourra se voir contraindre, en raison de sa dangerosité, à des mesures restrictives ou privatives de liberté. Le texte instaure ainsi un nouveau type d’audience où sera établie l’imputation matérielle des faits, à l’issue de laquelle pourra être prononcée une hospitalisation psychiatrique, dès lors qu’une expertise établira que les troubles mentaux de l’intéressé nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public. Il pourra être également prononcé, pour une durée maximale de dix ans en matière correctionnelle et de vingt ans en matière criminelle, des mesures telles que l’interdiction d’entrer en relation avec la victime, l’interdiction de paraître dans certains lieux et l’interdiction d’exercer une activité professionnelle. À la « dangerosité sans culpabilité » observée par Mireille Delmas-Marty, succède ainsi une « culpabilité sans imputabilité 40 ». Les dispositions contenues dans le projet de loi suscitent de vives oppositions, la rétention de sûreté focalisant l’ensemble des critiques. Pour Robert Badinter, sénateur socialiste et ancien ministre de la Justice, « il ne s’agira plus seulement pour le juge de constater une infraction et de prononcer une peine contre son auteur. Après l’achèvement de sa peine, après avoir “payé sa dette à la société”, au lieu d’être libéré, le condamné pourra être “retenu” […] en fonction d’une “dangerosité” décelée par des psychiatres et prise en compte par une commission spécialisée […]. Nous quittons la réalité des faits (le crime commis) pour la plasticité des hypothèses (le crime virtuel qui pourra être commis par cet homme “dangereux”) 41 ». « Enfermer les criminels sexuels […] après l’expiration de leur peine », appuie Thierry Lévy, avocat et auteur de L’Éloge de la barbarie judiciaire, « ce n’est pas punir un individu libre et responsable avec l’espoir de le ramener dans la communauté humaine, c’est tenter de prévenir un danger ou un risque sans considérer la réalité de la faute et l’intention de la commettre. Cela revient à voir dans chaque personne une menace, la cause potentielle d’un dommage, et à la traiter comme une chose ou un animal 42. » Dans une note adressée au Premier ministre et au garde des Sceaux, la CNCDH – qui n’a pas été saisie par le gouvernement du projet de loi – s’inquiète également 40.

41. 42.

M. DELMAS-MARTY, « Études juridiques comparatives et internationalisation du droit », L’Annuaire du Collège de France, 2010. R. BADINTER, « La prison après la peine », Le Monde, 27 novembre 2007. T. LÉVY, « Loi pénale : l’escalade de Sarkozy », Le Monde, 29 août 2007.


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de l’introduction, au cœur de la procédure pénale, du concept flou de dangerosité, « notion émotionnelle dénuée de fondement scientifique », et rappelle que « le système judiciaire français se base sur un fait prouvé et non pas sur la prédiction aléatoire d’un comportement futur 43 ». Certes, l’autorité judiciaire intervient dans le processus de mise en œuvre de la mesure de sûreté mais son contrôle, relève Mireille Delmas-Marty, ne porte désormais plus sur la preuve de la culpabilité. Il intervient « sur un diagnostic de dangerosité et un pronostic de récidive, une simple probabilité qui, par son incertitude même, exclut la preuve contraire : alors que l’accusé présumé innocent bénéficie du doute, la dangerosité est nécessairement présumée 44 ». Le texte résonne également comme un aveu d’impuissance et renvoie aux dramatiques insuffisances des accompagnements psychologique, criminologique et social pendant l’exécution de la peine. Martine Herzog-Evans, professeur de droit et sciences criminelles, relève que « si l’on en arrive à prolonger indéfiniment des peines qui ont été purgées, c’est qu’on n’a pas su, en amont, réfléchir à une meilleure adéquation de la peine et de son exécution 45 ». Cette critique est reprise par les organisations syndicales de magistrats : l’USM déplore l’absence de mesures relatives au suivi en milieu médical et l’absence de moyens pendant l’incarcération ; le Syndicat de la magistrature souligne que « c’est la peine de prison qui doit être le temps utile pour travailler sur le passage à l’acte et préparer la sortie 46 ». « Faute de donner les moyens de traitement, de suivi et de soutien social nécessaires pour offrir une chance de reconstruction aux personnes concernées, votre texte manque définitivement au devoir d’aide à la réinsertion et se limite à prolonger, inefficacement, l’enfermement 47 », relève également la députée Jacqueline Fraysse à l’occasion des débats parlementaires. Un travail de recherche canadien, portant sur les mesures d’enfermement après la peine, conforte ces craintes. Il a fait valoir deux effets pervers, de nature à « accroître le risque auquel le public est exposé » : d’une part, le désintérêt porté par les condamnés concernés « aux programmes de traitement ou de prévention de la récidive », sachant que leur fin de peine est désormais inconnue, pouvant se prolonger indéfiniment, et, d’autre part, le refus de certains condamnés d’entreprendre un suivi psychologique de peur que leurs propos puissent être retenus contre eux au moment de l’évaluation de leur dangerosité 48. Ces critiques n’auront aucun impact sur le projet de loi instaurant la rétention de sûreté. Dans sa version finale du 25 février 2008, le champ d’application de la mesure 43.

44.

45.

46. 47.

48.

CNCDH, Note sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental, 4 janvier 2008. M. DELMAS-MARTY, « Les politiques sécuritaires à la lumière de la doctrine pénale du XIXe au XXIe siècle », séminaire au Collège de France, juin 2009. M. HERZOG-E VANS, « La loi n° 2008-174 du 25 février 2008 ou la mise à mort des “principes cardinaux” de notre droit », Actualité juridique - pénal, n° 4/2008. « Professionnels et politiques fustigent les mesures antipédophiles », L’Humanité, 22 août 2007. ASSEMBLÉE NATIONALE, compte rendu analytique de la séance du mardi 8 janvier 2008, intervention de Jacqueline Fraysse, projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. M. PETRUNIK, Les Modèles de dangerosité : analyse des lois et pratiques relatives aux délinquants dangereux dans divers pays, Université d’Ottawa, 1994.

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a même été élargi aux personnes condamnées à une peine de réclusion égale ou supérieure à quinze ans pour des crimes, commis sur une victime majeure, d’assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé, d’enlèvement ou de séquestration aggravé. Alors qu’un recours devant le Conseil constitutionnel a été engagé, les initiatives se multiplient dans les quelques jours qui précèdent sa décision. La riposte ne se fait pas attendre. Le journal Le Parisien publie une liste « confidentielle » élaborée par la DAP à la demande du ministère de la Justice, recensant trente-deux détenus libérables d’ici à 2010 qui seraient susceptibles d’être concernés par la rétention de sûreté. Dans sa décision du 21 février 2008, le Conseil constitutionnel adopte le même raisonnement qu’à l’occasion de l’examen de la surveillance judiciaire et considère que la rétention de sûreté – qui n’est pas expressément prononcée par une cour d’assises – repose « non sur la culpabilité de la personne condamnée par la cour d’assises, mais sur sa particulière dangerosité » et « a pour but d’empêcher et de prévenir la récidive par des personnes souffrant d’un trouble grave de la personnalité ». En ce sens, ce n’est « ni une peine, ni une sanction ayant le caractère d’une punition ». Le malaise de la Haute Juridiction est cependant décelable : prenant en compte la nature privative de liberté de la rétention de sûreté et sa durée indéfinie, les neuf sages s’opposent à l’application de la mesure pour des personnes condamnées avant l’entrée en vigueur de la loi, ou condamnées postérieurement pour des faits commis avant l’entrée en vigueur de la loi. Pour le président de la République, la censure, même partielle, est déjà de trop : Nicolas Sarkozy saisit Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, d’une demande de « toutes propositions utiles d’adaptation de notre droit pour que les condamnés, exécutant actuellement leur peine et présentant les risques les plus grands de récidive, puissent se voir appliquer un dispositif tendant à l’amoindrissement des risques ». La manœuvre est superflue car le texte de loi a créé une autre mesure – la surveillance de sûreté – qui est rétroactive et a notamment vocation à s’appliquer à la suite d’une surveillance judiciaire, dès lors que la personne concernée purge, en raison de certains crimes très graves prévus par la loi, une peine d’au moins quinze ans de réclusion criminelle : or, comme le souligne Martine Herzog-Evans, la violation de ses obligations par la personne placée sous surveillance de sûreté, dès lors qu’elle révèle de nouveau sa « particulière dangerosité », peut entraîner son placement en rétention de sûreté 49.

D Outre les atteintes qu’elles portent aux principes du droit et aux libertés individuelles,

les mesures de sûreté reposent sur des évaluations de la dangerosité demandées aux psychiatres et autres professionnels, qui se révèlent dénuées de tout fondement scientifique. D’une part, dans les pays qui pratiquent des expertises criminologiques alliant observations cliniques et outils d’évaluation, personne ne prétend plus mesurer la « dangerosité » d’une personne, mais les « facteurs de risque » de commission d’une nouvelle infraction, auxquels elle est exposée à un instant T : ces facteurs relèvent aussi bien de sa situation sociale (absence d’activité, isolement, relations cantonnées au milieu délinquant…) que de son rapport personnel à la loi et aux limites (croyances de ne pas pouvoir agir autrement, que l’acte délinquant est justifié, etc.). Des chercheurs

49.

M. HERZOG-E VANS, « La loi n° 2008-174 du 25 février 2008 ou la mise à mort des “principes cardinaux” de notre droit », loc. cit.


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et psychiatres de l’Institut Pinel au Canada expliquent que les dernières générations d’outils d’évaluation ne s’inscrivent plus dans une perspective de prédiction du comportement, mais dans l’« identification de facteurs de risques » : dès le début des années 1990, « on s’avoue (enfin !) que la prédiction du comportement humain est bien trop complexe pour être totalement fiable […]. Aucun outil d’évaluation, actuariel ou clinique, aucun jugement clinique seul ou étayé par des outils systématisés ne peut apporter de certitude dans ce domaine. La prédiction pure est donc abandonnée au profit de l’évaluation du risque de violence. Il s’agit de tenter de donner une réponse probabiliste à cette question de la prédiction, et non plus catégorique. Les décisions prises dans ce contexte s’appuient donc sur l’identification des facteurs de risque de violence qui sont de mieux en mieux connus dans la littérature scientifique 50 ». C’est ainsi que l’évaluation des facteurs de risque, qui peut évoluer continuellement pour une même personne, se distingue d’une évaluation de la « dangerosité », impossible à réaliser et relevant d’une conception erronée selon laquelle un individu pourrait être intrinsèquement « à risque », indépendamment de tout contexte. Plutôt que de servir à décider de mesures de sûreté ou d’aménagements de peine, les évaluations des facteurs de risque gagnent à être utilisées pour mieux cibler l’accompagnement des personnes sur les facteurs permettant de les aider à sortir de la délinquance. D’autre part, l’évaluation clinique seule, telle que pratiquée en France, a été maintes fois critiquée par les chercheurs qui la qualifient d’« informelle, subjective et impressionniste ». Il est reproché à l’approche clinique de « manquer de spécificité dans la définition des critères utilisés » pour l’évaluation, les praticiens fondant « leurs jugements sur des corrélations illusoires » et ne tenant « pas compte, à tort, des informations relatives à la situation et au milieu de vie 51 ». Comme l’a rappelé le psychiatre Évry Archer, une autre critique fréquente à l’adresse des cliniciens est qu’ils surévaluent les risques. « Du seul fait de sa formation », le clinicien « privilégie des signes cliniques et des grilles théoriques qui mettent en relief des éléments défectologiques de l’individu examiné auxquels il est plus attentif qu’aux ressources propres de celui-ci 52 ». Par exemple, « pour établir le degré de dangerosité », il « tentera de découvrir des indices qui démontrent » des « tendances à l’agressivité », un « manque d’affectivité », etc. « Ainsi, un certain nombre d’éléments positifs susceptibles d’atténuer sérieusement le diagnostic sont laissés dans l’ombre. Autrement dit, le point de vue qu’adopte au départ le clinicien rend probable qu’il trouvera ce qu’il cherche : les facettes négatives du comportement 53 ». De tels mécanismes se retrouvent inévitablement au sein des juridictions et commissions pluridisciplinaires des mesures de sûreté en France, comme le montre d’ores et 50.

51.

52.

53.

F. MILLAUD, B. POULIN, R. LUSIGNAN, J.-D. MARLEAU, « Outils d’évaluation en psychocriminologie », in J.-L. SENON, G. LOPEZ, R. CARIO (dir.), Psycho-criminologie, Dunod, 2008. D. GIOVANNANGELLI, J.-P. CORNET, C. MORMONT, Étude comparative dans les 15 pays de l’Union européenne : les méthodes et les techniques d’évaluation de la dangerosité et du risque de récidive des personnes présumées ou avérées délinquants sexuels, Université de Liège, septembre 2000. É. ARCHER, « Difficultés et limites de l’expertise de prélibération. Les questions posées à l’expert, contribution à l’audition publique », Expertise psychiatrique pénale, janvier 2007. J. POUPART, J. DOZOIS, M. L ALONDE, « L’expertise de dangerosité », Criminologie, vol. 15, n° 2, 1982.

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déjà une étude publiée en juin 2010. Interrogé par les auteurs, un expert psychiatre, appelé à se prononcer sur la dangerosité des personnes susceptibles de faire l’objet d’une surveillance judiciaire à l’issue de leur peine, a ainsi par exemple déclaré avoir a priori une « position très conservatrice », car il estime que les « personnalités psychopathiques », les « personnes qui ne respectent pas les règles sociales », les « consommateurs de toxiques », « bagarreurs », « passent leur temps à récidiver ». Un directeur de centre pénitentiaire, siégeant dans une commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, souligne également que le « point de vue » formulé sur la personne par les membres de la commission « est moins en lien avec son parcours, ses évolutions, ses efforts, la problématique d’une prise en charge sur le plan du soin ou autre, que dans une logique de risque que l’individu est susceptible de faire courir à la société ». Il se dit « frappé par la différence qu’il y a aujourd’hui à aborder la lecture » d’un même dossier « dans la logique aménagement de peine-perspective d’insertion » ou dans celle de l’évaluation de la « dangerosité » : « Vous modifiez complètement la perception », souligne-t-il. « Les mêmes mots, les mêmes conclusions, les mêmes analyses peuvent conduire à des résultats radicalement différents 54. »

D Pleinement

consacrées dans le droit positif français, les mesures de sûreté connaissent désormais un développement sans limite. Moins de quatre mois après l’adoption de la loi sur la rétention de sûreté, le rapport Lamanda préconise déjà de nouvelles modifications qui, sous prétexte de suppléer à la moindre faille susceptible de déboucher sur la levée de la surveillance des délinquants « dangereux », aboutissent à la constitution d’un écheveau inextricable de dispositifs de sûreté. Dans la foulée, des dispositions réglementaires viennent donner corps à la surveillance de sûreté : l’enjeu est de taille, le non-respect de cette mesure étant susceptible d’entraîner l’application immédiate d’une rétention de sûreté. Un décret du 4 novembre 2008 précise ainsi que la surveillance de sûreté peut être prononcée et renouvelée à la suite d’une surveillance judiciaire, d’un suivi sociojudiciaire ou d’une rétention de sûreté, à l’égard des mêmes condamnés que ceux visés par la rétention de sûreté. Les obligations auxquelles la personne peut être soumise comportent notamment l’injonction de soins et le placement sous surveillance électronique mobile. Dans le prolongement de ces dispositions, la loi du 10 mars 2010 « tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle » multiplie les passerelles entre les différentes mesures de sûreté, accroissant ainsi dans des proportions considérables la durée du contrôle du condamné ; dans certains cas, elle permet même de faire succéder une mesure de sûreté à un aménagement de peine, alors même que celui-ci n’a pas été révoqué et qu’il a été mené à son terme. La loi augmente la durée de la surveillance de sûreté, en la faisant passer à deux ans, alors même qu’aucun bilan n’a été tiré d’une éventuelle insuffisance de la durée antérieure d’un an. Elle abaisse le seuil à partir duquel une surveillance judiciaire peut être mise en œuvre (peine privative de liberté égale ou inférieure à sept ans, pour dix ans auparavant). La loi développe les processus de détection des condamnés susceptibles de faire l’objet d’une surveillance judiciaire : elle prévoit ainsi que leur situation soit obligatoirement examinée avant la date prévue pour leur libération. Elle autorise l’administration d’un traitement inhibiteur de la libido, 54.

A. MORICE, N. HERVÉ, Justice de sûreté et gestion des risques, approche pratique et réflexive, L’Harmattan, Paris, 2010.


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dans le cadre d’une injonction de soins – le médecin traitant étant désormais compétent pour prescrire tout traitement indiqué pour le soin du condamné. Seul tempérament à l’extension des dispositifs de sûreté : le placement en rétention de sûreté implique au préalable que l’intéressé ait, pendant sa détention, bénéficié d’une prise en charge médicale, sociale ou psychologique adaptée. La loi crée également un répertoire des données à caractère personnel collectées dans le cadre des procédures judiciaires : il est destiné « à faciliter et à fiabiliser la connaissance de la personnalité et l’évaluation de la dangerosité des personnes poursuivies ou condamnées pour l’une des infractions pour lesquelles le suivi sociojudiciaire est encouru, et à prévenir le renouvellement de ces infractions ». Il centralise les expertises, évaluations et examens psychiatriques, médico-psychologiques, psychologiques et pluridisciplinaires des personnes concernées qui ont été réalisés au cours de l’enquête, de l’instruction, du jugement, de l’exécution de la peine, préalablement au prononcé ou durant le déroulement d’une mesure de rétention de sûreté ou d’une hospitalisation d’office. Enfin, la loi prévoit que l’identité et l’adresse des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à trois ans soient dorénavant communiquées, à l’issue de leur incarcération, par l’administration pénitentiaire aux services de police ou de gendarmerie du lieu de résidence des intéressés. Les dispositions de la loi du 10 mars 2010 ne sont pas encore toutes effectives quand une nouvelle modification est entérinée avec la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi 2), adoptée le 14 mars 2011 : le texte prévoit une extension considérable du régime de la surveillance judiciaire, désormais applicable pour les personnes condamnées à une peine égale ou supérieure à cinq ans, pour un crime ou un délit commis une nouvelle fois en état de récidive légale.

D Initialement prévue dans le cadre du suivi sociojudiciaire institué par la loi du 17 juin

1998, l’injonction de soins intègre désormais le champ des mesures de sûreté – surveillance judiciaire, surveillance de sûreté, rétention de sûreté. Tout comme celui des peines alternatives (sursis avec mise à l’épreuve) ou des aménagements de peine (libération conditionnelle). À chaque fois que le suivi sociojudiciaire est encouru et qu’une expertise psychiatrique en a confirmé la pertinence, le principe est désormais de systématiser l’injonction de soins : pour y déroger, le juge devra spécifiquement en décider autrement. Cette mesure consiste en une obligation de soins, dans le cadre de laquelle un médecin coordonnateur est désigné pour assurer l’interface entre le soignant qui va suivre la personne condamnée et la justice. Choisi sur une liste départementale de psychiatres ou de médecins ayant suivi une formation spécifique, le médecin coordonnateur est chargé d’inviter le condamné à choisir un médecin traitant et, si celui-là en fait la demande, de le conseiller sur ce choix. Il peut l’inviter, en plus ou à la place du médecin traitant, à choisir un psychologue ou psychiatre ayant exercé pendant au moins cinq ans. Le médecin coordonnateur transmet au JAP ou au CPIP les éléments nécessaires au contrôle du respect de l’injonction de soins. Le soignant chargé du suivi peut aussi obtenir, par l’intermédiaire du médecin coordonnateur, les copies des pièces du dossier pénal. Le soin contraint en détention est également organisé : le JAP peut désormais ordonner le retrait du crédit de réduction de peine lorsque la personne condamnée pour certains crimes ou délits graves refuse, pendant

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son incarcération, de suivre le traitement qui lui est proposé ; de même, aucune réduction de peine supplémentaire ne peut être accordée, sauf décision contraire du JAP, à une personne condamnée à un crime ou un délit pour lequel le suivi sociojudiciaire est encouru, qui refuse pendant son incarcération de suivre les soins proposés ; dans la même veine, toute libération conditionnelle est interdite à la personne condamnée pour un crime ou délit pour lequel le suivi sociojudiciaire est encouru, dès lors qu’elle refuse de suivre le traitement qui lui est proposé : elle ne peut davantage lui être accordée si elle ne s’engage pas à se soumettre, après sa libération, à l’injonction de soins. Ces dispositions consacrent la prééminence du fait psychiatrique dans l’appréhension des phénomènes de délinquance : tout auteur d’un délit ou crime « grave » est considéré comme atteint d’une pathologie mentale et relevant donc d’une prise en charge médicale, ce que démentent l’ensemble des données statistiques. Directeur scientifique des Cahiers de la Justice, le magistrat Denis Salas commente en ce sens une « enquête réalisée par l’OMS-Lille portant sur 40 000 Français » qui « montre que les Français associent nettement meurtre, inceste et folie. On sait pourtant qu’un homicide est commis par un malade mental dans un cas sur vingt à cinquante selon les pays (soit 2 % à 5 %), et chez les auteurs de violence sexuelle une pathologie psychiatrique n’est retrouvée que dans 3 % à 5 % des cas 55 ». Cette évolution visant à traiter la délinquance par le soin est d’autant plus importante que le champ des infractions pour lesquelles le suivi sociojudiciaire est encouru – et donc l’injonction de soins envisageable – a été considérablement élargi. C’est ainsi que le crime de dégradations par incendie ou le délit de violence commis sur un conjoint encourent désormais une peine de suivi sociojudiciaire. Les soignants se trouvent ainsi de plus en plus appelés, non seulement à effectuer des expertises qui aboutiront ou non à des condamnations ou autres mesures pénales, mais aussi à développer des « traitements de la délinquance », les faisant sortir en partie de leur champ de compétences et mettant à mal les principes de l’éthique médicale. Entrés en prison pour mettre en œuvre des actions de diagnostic des maladies mentales et répondre aux demandes de soins des personnes incarcérées, les professionnels des secteurs de psychiatrie se sont ainsi vu attribuer le rôle supplémentaire d’administrateurs de « thérapie [s] destinée [s] à limiter le risque de récidive 56 », à destination de publics soumis à l’alternative : y souscrire ou perdre le bénéfice tant des réductions de peine que de la possibilité de bénéficier d’une libération conditionnelle. Or nombre de soignants s’échinent à expliquer que « le traitement n’a pas (et ne peut pas avoir) pour objectif la prévention d’une récidive délinquante mais la mise en œuvre d’un travail (difficile et incertain) d’élaboration psychique qui permet au sujet souffrant engagé dans le travail de repérer son fonctionnement mental, son mode relationnel et leurs conséquences, et le cas échéant d’y remédier. Dire cela ne constitue pas un désengagement coupable mais une nécessité thérapeutique, particulièrement en psychiatrie. Le soin peut, peut-être et de surcroît, contribuer ainsi à la prévention. En cette matière, il faut dire avec humilité mais détermination que le risque zéro n’existe 55.

56.

DAP-MINISTÈRE

DE LA JUSTICE, Actes du colloque « L’exécution des décisions en matière pénale en Europe : du visible à l’invisible », 2009. Article 721-1 du code de procédure pénale.


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pas et que le futur ne se prédit pas, mais que tout homme a en lui des capacités évolutives et des aptitudes au changement 57 ». Ils alertent également sur le phénomène de psychologisation de la délinquance : « La majorité des soignants considère que la société les met dans l’obligation d’élargir à l’excès leur domaine d’intervention au risque de déserter leur mission de base, celle de prendre en charge les malades mentaux et notamment les psychotiques chroniques dont la dangerosité est souvent en rapport avec une rupture de soins. […] Le récent retour en force des politiques et du législateur à un modèle psychologique ou psychiatrique du crime est très préoccupant pour les soignants 58. » De telles perspectives mettent les soignants en difficulté au regard des principes fondant la relation soignant-patient. Notamment le principe, bien ancré en doctrine française, de la nécessité de se départir, dans une approche clinique, de toute logique de contrôle social pour permettre la rencontre, comprendre la manière d’être au monde de l’autre et favoriser l’expression d’un réel désir de changement. Mais également les repères fondamentaux que constituent la confidentialité et le consentement. Certains évoquent l’« imposture 59 » et le caractère « non responsable 60 » de décréter par la loi qu’il existe des thérapies destinées à prévenir la récidive, a fortiori dans un système où le risque de récidive est placé comme critère permettant la rétention d’une personne à l’issue de la peine. Ou encore les effets délétères du « chantage au traitement 61 » en prison et les atteintes multiples au secret médical qui en découlent. Confrontés à des « pressions récurrentes » pour délivrer des informations sur le type de soins prodigués, particulièrement leur lien avec l’infraction commise, appelés à indiquer la fréquence des entretiens voire à émettre un avis détaillé sur l’évolution mentale des patients encourant une injonction de soins, des soignants évoquent une mise « en péril de [l’] action thérapeutique et [de] son éthique 62 ». Rappelant que le secret médical est essentiel au cadre thérapeutique. Et que bien souvent le réel engagement du patient n’émerge « qu’après des mois d’hésitation, d’arrêt, de reprise d’une démarche thérapeutique », et que s’il est attesté que « la démarche est purement formelle » dans un premier temps, « il paraît évident » que le juge de l’application des peines « refusera » notamment « les remises de peine supplémentaires, que le patient en voudra à ses thérapeutes et aurait un bon motif pour arrêter ses efforts 63 ».

57. 58.

59.

60.

61. 62.

63.

CCNE, La Santé et la médecine en prison, avis n° 94, octobre 2006. J.-L. SENON, C. MANZARENA, « L’obligation de soins dans la loi renforçant la lutte contre la récidive », Actualité juridique - pénal, septembre 2007. C. PAULET, présidente de l’ASPMP, « À propos du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des mineurs et des majeurs et de la systématisation de l’injonction de soins », Kamo, n° 6-2007, juillet 2007. M. DAVID, président de Socapsyleg, « Communiqué sur les soins psychiatriques aux personnes sous main de justice à l’occasion de la commission Couty », Kamo, n° 6-2008, juillet 2008. CCNE, La Santé et la médecine en prison, avis n° 94, 2006. O. VERSCHOOT, secrétaire générale de l’ARTAAS, « Demande de suivi/demande de soin et traitements du déni », Journée nationale ARTAAS, 3 juin 2005. M. DAVID, « On veut des renseignements ! Les juges d’application des peines et les SMPR », Kamo, n° 6-2007, juillet 2007.

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5. Le démantèlement de la justice des mineurs D Un dernier bouleversement opéré en matière de politique pénale dans la période

2005-2011 réside dans une remise en cause répétée, à coup de déclarations et textes de loi, des principes régissant la justice des mineurs depuis 1945. Une justice définie sur la base d’un modèle humaniste instaurant prioritairement, tant à l’égard des mineurs en danger que des mineurs délinquants, des mesures de protection éducative : depuis le début des années 2000, elle fait l’objet d’un « détricotage » qui entraîne son alignement progressif sur le régime des majeurs. Ce glissement s’était opéré pour la première fois dans la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, dite loi Perben I, qui fait désormais reposer le principe de la responsabilité du mineur non plus sur son âge mais sur la notion, plus mouvante, de ses « capacités de discernement ». Le même texte introduisait des sanctions hybrides, à mi-chemin entre les peines répressives et les mesures éducatives (confiscation, interdiction de paraître dans certains lieux, interdiction de rencontrer certaines personnes…), désormais applicables à l’encontre de mineurs dès l’âge de dix ans. Revenant sur la fermeture, en 1979, des derniers établissements fermés pour mineurs, il a également créé des « centres éducatifs fermés » (CEF), établissements publics ou privés dans lesquels les mineurs sont placés en application d’un contrôle judiciaire ou d’un sursis avec mise à l’épreuve. La loi du 9 mars 2004, dite Perben II, prolonge dans certaines situations la durée de la garde à vue jusqu’à 96 heures. Elle modifie l’ordonnance du 2 février 1945 en appliquant cette possibilité aux mineurs de plus de seize ans. La loi du 25 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance instaure, pour sa part, une « procédure de présentation immédiate devant la juridiction des mineurs », qui rappelle la « comparution immédiate » des majeurs : « Alors que les travers et les effets pervers de la comparution immédiate sont presque unanimement dénoncés », relève Christine Lazerges, « le législateur s’est autorisé à élargir le champ de la comparution immédiate devant un juge pour enfants ou un tribunal pour enfants aux mineurs de plus de treize ans, défigurant ainsi, malgré les conditions prévues par la loi, un modèle de protection fondé sur une juste appréciation et connaissance de l’acte commis et de la personnalité de son auteur 64 ». Elle permet également, dans certaines circonstances, pour les mineurs de seize à dix-huit ans, d’écarter le principe de la diminution de peine applicable au droit des mineurs. Cette tendance se poursuit avec la loi du 10 août 2007 relative au traitement de la récidive : celle-ci autorise notamment le tribunal pour enfants à écarter, sans motivation spéciale, le principe de la diminution de peine à l’égard du mineur de seize à dix-huit ans récidiviste – permettant ainsi le prononcé de peines d’emprisonnement ou d’amende analogues à celles encourues par un majeur récidiviste ; dans l’hypothèse où il s’agit d’une deuxième récidive, l’atténuation de la peine est purement et simplement écartée. Le 15 avril 2008, la ministre de la Justice, Rachida Dati, installe une commission chargée de formuler des « propositions pour réformer l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante », à la tête de laquelle est nommé le recteur André Varinard. Son rapport, remis le 4 décembre 64.

C. L AZERGES, « Un populisme pénal contre la protection des mineurs », in L. MUCCHIELLI, La Frénésie sécuritaire, La Découverte, Paris, 2008.


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2008, intervient dans un climat tendu, aggravé par la proposition de Frédéric Lefebvre, député UMP des Hauts-de-Seine, d’une détection des troubles du comportement chez l’enfant dès l’âge de trois ans – proposition qui avait été émise une première fois en 2006 suite à un rapport de l’Inserm. Si la commission Varinard choisit de ne pas reprendre cette mesure, elle préconise en revanche la possibilité d’emprisonner un enfant dès l’âge de douze ans en matière criminelle et l’instauration d’un tribunal correctionnel spécifique pour les 16-18 ans. Dans les premiers mois de l’année 2011, de nouvelles lois interviennent. Adoptée au Parlement le 8 février 2011, la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi 2) prévoit notamment la possibilité, pour le Parquet, de citer directement un mineur devant le tribunal pour enfants, si des investigations supplémentaires sur les faits ne sont pas nécessaires et lorsque des investigations sur la personnalité ont été accomplies dans les six mois précédents. Ce rapprochement avec le droit des majeurs, notamment quant au mode de poursuite, est censuré par le Conseil constitutionnel : dans sa décision du 10 mars 2011, il relève que le texte n’établit pas de distinctions en fonction de l’âge du mineur, de l’état de son casier judiciaire ou encore de la gravité des infractions poursuivies, et qu’il ne garantit donc pas que le tribunal puisse disposer d’informations récentes sur la personnalité du mineur « lui permettant de rechercher son relèvement éducatif et moral ». Néanmoins, le coup d’arrêt du Conseil constitutionnel n’entame en rien la frénésie législative : une semaine avant sa décision, le Conseil des ministres a déjà publié un communiqué annonçant un nouveau texte comportant d’importantes modifications de l’ordonnance de 1945. Le 6 juillet 2011, le Parlement adopte le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs. Il franchit un grand pas dans le processus d’alignement du traitement des mineurs sur celui des majeurs en prévoyant notamment que les récidivistes de plus de seize ans, ayant commis des délits passibles d’au moins trois ans d’emprisonnement, seront désormais jugés par un tribunal correctionnel pour mineurs composé d’un juge pour enfants et de deux magistrats non spécialisés. Aux termes de dispositions pratiquement identiques à celles censurées par le Conseil constitutionnel, le législateur donne au procureur la possibilité de poursuivre directement devant le tribunal pour enfants, par le biais d’une convocation par officier de police judiciaire, soit un mineur âgé d’au moins treize ans soupçonné d’avoir commis un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement, soit un mineur d’au moins seize ans soupçonné d’avoir commis un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement – la procédure ne pouvant être mise en œuvre que si des investigations sur les faits ne sont pas nécessaires et si les investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies au cours des douze mois précédents. Dans une tribune parue le 21 juin 2011 à l’initiative de plusieurs associations et syndicats, le texte est dénoncé comme signant la « disparition de la spécialisation de la justice des mineurs […]. L’objectif avoué de la réforme est de renforcer la répression de la délinquance des mineurs en entretenant l’illusion que la crainte d’une sanction plus forte suffirait, de façon magique, à dissuader des adolescents déstructurés d’un passage à l’acte ». Objectif illusoire, selon les organisations, pour lesquelles « la véritable

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urgence est celle de la mise en œuvre de solutions éducatives afin de prévenir la répétition d’actes délinquants », les tribunaux pour enfants devant disposer des moyens et des structures pour pouvoir apporter une « réponse rapide et individualisée. […] À l’opposé de cette démarche, le projet fait quasiment disparaître le tribunal pour enfants où siègent au côté du juge des enfants deux assesseurs recrutés pour leur intérêt pour les questions de l’enfance ; les voici congédiés au profit du tribunal correctionnel, augmenté dans certaines affaires d’assesseurs citoyens tirés au sort et où le juge des enfants servira d’alibi 65 ». Le 8 juillet 2011, une nouvelle attaque est portée à l’encontre de la justice des mineurs, émanant cette fois du Conseil constitutionnel. Au nom du respect du principe d’impartialité des juridictions, il déclare inconstitutionnelles les dispositions permettant au juge des enfants ayant suivi un mineur dans le cadre d’une affaire pénale et l’ayant renvoyé devant le tribunal pour enfants de présider cette juridiction de jugement. Jusqu’alors, le principe selon lequel on ne peut juger une affaire où l’on a exercé des fonctions d’enquête était écarté s’agissant de la justice des mineurs – la nécessité éducative d’une continuité du suivi de l’enfant par le même juge prévalant sur toute autre considération. Comme le résume Catherine Sultan, présidente du tribunal pour enfants de Créteil et de l’Association française des magistrats de la jeunesse, « la philosophie de cette justice est de juger une personne plus qu’un acte 66 ». En mettant à bas cette exception, qui avait pourtant été validée tant par la Cour de cassation que par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le Conseil constitutionnel renforce le processus de réorganisation de la justice des mineurs engagé par le législateur – contribuant à la progressive disparition de sa spécificité.

65.

66.

« Appel intersyndical et interprofessionnel du 22 juin 2011 contre la mort annoncée de la juridiction des mineurs », Libération, 21 juin 2011. AFP, 8 juillet 2011.


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mots clés : D loi pénitentiaire D Règles pénitentiaires D D D D D D

européennes accueil des arrivants conditions matérielles de détention accès au personnel traitement des requêtes grilles d’évaluation cahier électronique de liaison

D services pénitentiaires D D D D D D D

d’insertion et de probation programmes de prévention de la récidive surpopulation aménagements de peine programmes de construction places de prison encellulement individuel contrôle extérieur

2. Politique pénitentiaire La politique pénitentiaire des années 2005-2011 se caractérise par une confusion de plus en plus grande entre les notions et principes dont se revendique désormais l’administration et leur traduction concrète. Ainsi en va-t-il de la « mission de prévention de la récidive » consacrée par la loi du 24 novembre 2009 ou du dispositif d’application des Règles pénitentiaires européennes… qui peinent à dissimuler des conditions de détention relevant toujours de l’atteinte à la dignité humaine dans nombre d’établissements, ou une surpopulation que l’accroissement sans fin du parc carcéral ne parvient pas à enrayer.

« On peut certes justifier la privation de liberté par la nécessité de la sanction, de la neutralisation ou de la dissuasion, mais nous sommes encore loin de pouvoir apporter une réponse définitive à la question suivante : est-il possible de former des citoyens libres et responsables en les privant de liberté ? Ou encore, peut-on espérer que de l’irresponsabilité sortira la responsabilisation 1 ? » Ces questionnements essentiels formulés par deux générations de criminologues de l’université de Montréal n’auront pas trouvé de réponse dans la loi « pénitentiaire » du 24 novembre 2009. Le législateur s’est en effet contenté d’ériger la prévention de la récidive en principale mission de l’administration pénitentiaire, sans en définir les contours ni lui donner de contenu. Il s’est également refusé à suivre la « feuille de route » préconisée par le premier président de la Cour de cassation en mars 2000 : « Pour résoudre le paradoxe qui 1.

M. VACHERET, G. LEMIRE, Anatomie de la prison contemporaine, Presses de l’université de Montréal, Montréal (Canada), 2006.


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consiste à réinsérer une personne en la retirant de la société, il n’y a d’autre solution que de rapprocher autant que possible la vie en prison des conditions de vie à l’extérieur, la société carcérale de la société civile. Le traitement du détenu doit donc être conforme aux principes fondamentaux d’un État régi par la prééminence du Droit et l’objectif primordial de la garantie des droits de l’homme. On ne peut réinsérer une personne privée de liberté qu’en la traitant comme un citoyen 2. » En abandonnant la prison à son univers d’exception culturelle et juridique, le législateur a de toute évidence renoncé à la « transformation radicale des prisons 3 » qu’appelait de ses vœux Robert Badinter lors du lancement des États généraux de la condition pénitentiaire en mars 2006. Il a évité de s’inscrire dans une logique de droits des personnes détenues garantis par un État de droit. Il s’est satisfait d’une série de dispositifs tels que la mise en place de quelques Règles pénitentiaires européennes, qui dissimulent de plus en plus mal des conditions ordinaires de détention qui valent désormais à l’État des condamnations en série pour non-respect de la « dignité inhérente à la personne humaine ». Il s’est peu préoccupé des conditions artisanales de l’introduction d’outils d’évaluation des détenus, notamment avec l’apparition de « grilles d’évaluation de la dangerosité ».

2.

G. CANIVET, Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires : rapport au

3.

garde des Sceaux, ministre de la Justice, La Documentation française, Paris, 2000. D. SIMONNOT, « Avec Badinter, la présidentielle n’échappera pas à la prison », Libération, 8 mars 2006.

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Il a accepté de donner un cadre légal à des « régimes différenciés » qui, non contents d’entraîner un durcissement du régime de détention pour certains détenus, entérinent des pratiques inégalitaires fondées sur des motifs de discipline interne, à rebours d’une démarche fondée sur les besoins de chaque personne en termes de réinsertion et de prévention de la récidive. Il a décidé d’un nouveau report (à novembre 2014) pour permettre à toute personne incarcérée le souhaitant de disposer d’une cellule individuelle, ce qui constitue pourtant l’« une des plus fortes garanties de la dignité des conditions de détention 4 ». L’illusion d’une loi pénitentiaire « créant un système humaniste centré sur le détenu 5 » se dissipe à la lecture de chaque nouveau rapport de visite, recommandation ou avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Quant au leurre d’une résolution du phénomène de surpopulation par la multiplication des programmes immobiliers, il se révèle à mesure de l’ouverture de chaque nouvel établissement.

1. Loi pénitentiaire : le rendez-vous manqué D

Dix ans après la mise en évidence, au travers des commissions d’enquête parlementaires et du groupe de travail animé par Guy Canivet, de la nécessité d’une profonde réforme du droit de la prison, une loi pénitentiaire a été adoptée le 24 novembre 2009. Le « grand rendez-vous de la France avec ses prisons 6 » avait été ajourné à deux reprises, les deux annonces de l’automne 2001 sous le gouvernement de Lionel Jospin 7 puis de l’automne 2002, sous celui de son successeur Jean-Pierre Raffarin 8, étant restées lettres mortes. La perspective réouverte le 11 juillet 2007 par la garde des Sceaux, Rachida Dati, va susciter d’autant plus d’espoirs chez nombre d’acteurs du monde carcéral qu’il est rappelé que « la réforme de la politique pénitentiaire, dans le souci de la condition des détenus, est un engagement du Président de la République ». Et que chacun mesure à quel point « la vigilance dont ont fait preuve l’Assemblée nationale et le Sénat en 2000 9 » s’est, depuis, estompée. Placé sous l’égide d’une formule employée par Nicolas Sarkozy durant la campagne électorale – « la prison doit changer, la prison va changer 10 ! » –, le projet de loi adopté en Conseil des ministres le 23 juillet 2008 est présenté comme l’« une des grandes ambitions du gouvernement ». Si cette ambition est partagée par le législateur, sa marge de manœuvre va cependant se réduire à sa plus simple expression, le texte étant frappé d’une procédure d’urgence le 20 février 2009. Après moins d’une semaine de débats – quatre jours en mars au Sénat, puis trois jours en septembre à l’Assemblée –, le texte est conjointement adopté par les deux chambres le 13 octobre, après un passage 4.

5.

6. 7.

8.

9. 10.

J.-R. LECERF, « Projet de loi pénitentiaire, rapport au nom de la Commission des lois du Sénat », 17 décembre 2008. « Trois questions à Jean-Amédée Lathoud, directeur de l’administration pénitentiaire », Cahiers de la sécurité, n° 12, avril-juin 2010. Selon les termes de la garde des Sceaux, Rachida Dati. Un projet de loi sur le service public pénitentiaire a bien été élaboré, mais il n’a fait l’objet ni d’une adoption en Conseil des ministres ni a fortiori d’un dépôt au Parlement. La loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a prévu le dépôt d’un projet de loi pénitentiaire avant la fin de la législature. Disposition restée sans suite. CGLPL, rapport annuel 2010. Le 22 janvier 2007, en marge de sa visite au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes.


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éclair en commission mixte paritaire. Il est publié au Journal officiel du 25 novembre, sans que le Conseil constitutionnel n’en modifie la teneur. Un processus d’élaboration opaque. D’un bout à l’autre du processus engagé aux premiers jours de l’été 2007, des critiques se sont exprimées. Concernant, d’abord, la phase d’élaboration. Elle s’est étalée sur une année, depuis la mobilisation jusqu’en octobre d’un Comité d’orientation restreint chargé de fixer les grandes lignes de la réforme, jusqu’à la présentation de l’avant-projet de loi au Conseil d’État en juin 2008. Cette phase est marquée par l’absence de visibilité sur la nature des dispositions retenues ou écartées par la DAP, placée en position tout à la fois de maître d’ouvrage et de maître d’œuvre de sa réforme. Au point de voir la CGT Pénitentiaire se demander si la future loi « n’est d’ores et déjà pas rédigée pour l’essentiel 11 ». Concernant, ensuite, le calendrier. De longs mois se sont passés après le dépôt du projet de loi sur le bureau du Sénat, sans que le gouvernement ne se décide à le porter à l’agenda de ses discussions, l’inscription ne devenant effective qu’après que les sénateurs ont menacé de rédiger leur propre texte. Cet épisode, ponctué par une « déclaration d’urgence » aussi soudaine qu’incompréhensible, a déclenché le courroux de nombre de parlementaires. La nouvelle procédure issue de la réforme constitutionnelle est ainsi appliquée pour la première fois à l’examen de la loi pénitentiaire. Son effet est de limiter la marge des modifications intervenant en séance, le texte proposé à la discussion n’étant plus le projet initial du gouvernement mais celui issu de la Commission des lois, réputé avoir déjà été amendé. Le procédé suscitera notamment l’interpellation de Martine Herzog-Evans, professeur de droit : « Quelle est donc cette Constitution qui permet de saborder le travail législatif en une seule lecture d’un texte si attendu et si important ? ! Quel est ce gouvernement qui déclare l’urgence, mais fait traîner les choses, puis accélère soudain le rythme pour annoncer qu’il faudra produire des amendements en quelques jours après la rentrée, juste avant les vacances d’août, avec pour résultat de désarmer une opposition qui, pourtant, il faut le saluer, a réussi à produire des centaines d’amendements en un temps record 12 ? » Et, de fait, souligne Jean-Jacques Urvoas, député PS, « le rythme est dense mais le débat sans véritable passion. Le gouvernement et le rapporteur sont inflexibles et rejettent tous nos amendements les uns après les autres. Aucun argument ne semble de nature à les faire douter. Ils ne cessent de nous répéter que ce texte est une “avancée considérable”, qu’à bien des égards, il peut être considéré comme “fondateur”. Las, nous n’y lisons que la consécration de l’existant avec toujours autant de “droits” proclamés et immédiatement soumis à des restrictions. L’arbitraire demain en détention n’est pas prêt de s’arrêter. En fait, c’est un peu comme si le gouvernement réécrivait ainsi le 1er article de la Déclaration des droits de l’homme : “Les hommes naissent libres et égaux en droits, sauf impératif motivé”. Évidemment la force du texte en serait amoindrie 13… » La consécration d’un sous-droit. Le rapporteur du projet de loi pour la Commission des lois au Palais du Luxembourg, le sénateur UMP Jean-René Lecerf, évoque une 11. 12.

13.

Communiqué du 3 octobre 2007. M. HERZOG-E VANS, « Loi pénitentiaire : vivons-nous encore en démocratie ? », blog <http://herzog-evans.com>, 19 septembre 2009. J.-J. URVOAS, « Loi pénitentiaire, suite… », blog <http://www.urvoas.org>, 17 septembre 2009.

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réforme « en demi-teinte », dont l’« économie générale » s’apparente « davantage à un projet de loi relatif à l’aménagement de peines plutôt que comme la loi pénitentiaire attendue ». Et d’ajouter que le texte « semble être resté, sur ce sujet, au milieu du gué », entraînant une « déception largement partagée 14 ». Sur le plan des droits des détenus, force est de constater que « nous avons, au mieux, du droit constant, au pire et en bien des points, des régressions manifestes », souligne Martine Herzog-Evans 15. Un point de vue qui fait écho à celui du spécialiste de droit administratif Éric Péchillon, pour qui « il s’agit souvent d’une simple élévation d’un cran de normes préexistantes dont la valeur juridique était contestable 16 ». Pour que la prison ne soit plus une zone de « sous-droit » où travaillent des personnels pénitentiaires assimilés à des « sous-fonctionnaires » et où vivent des détenus considérés comme des « sous-citoyens », il revenait au législateur de tourner le dos à une situation de fait où « la plupart des normes régissant les droits et obligations des personnes détenues sont de nature réglementaire, alors même que l’article 34 de la Constitution donne compétence exclusive au législateur pour définir les règles relatives à l’exercice des libertés publiques 17 ». Une telle approche aurait supposé d’abroger l’article 728 du code de procédure pénale (CPP), celui-là même qui autorise l’administration à régir la vie carcérale à coups de décrets, de circulaires et de notes. Il revenait également au législateur d’aligner le plus possible le droit pénitentiaire sur le droit commun, notamment en dotant le détenu qui travaille d’un contrat en bonne et due forme, ou en affirmant son droit d’être jugé par un juge indépendant et impartial, au terme d’un procès équitable dans le cadre de la procédure disciplinaire. Mais aussi en renonçant aux mesures et actes les plus attentatoires à la dignité humaine, telle la fouille intégrale. Enfin, la loi pénitentiaire devait être l’occasion de mettre un terme aux expérimentations de l’administration pénitentiaire consistant à opérer une classification des détenus selon leur supposée « dangerosité » et instaurer en conséquence une différenciation des régimes de détention que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait d’ores et déjà qualifiée de « pure et simple ségrégation 18 ». Tel n’a pas été le cas. Sur ces différents points, l’« importance des amendements parlementaires » n’a pas permis de « renverser la philosophie » d’un projet de loi « visant à renforcer l’autorité de la puissance publique 19 ». Maintenu, l’article 728 du CPP ménage toujours une très large habilitation au pouvoir réglementaire au travers de l’élaboration de règlements intérieurs types qui « déterminent les dispositions prises pour le fonctionnement de chacune des catégories d’établissements pénitentiaires ». L’établissement d’un « acte d’engagement 20 » pour encadrer les activités professionnelles des détenus apparaît comme un ersatz de contrat de travail. La présence d’un

14.

J.-R. LECERF, « Projet de loi pénitentiaire, rapport au nom de la Commission des lois du Sénat », op. cit.

15. 16. 17.

18.

19. 20.

M. HERZOG-E VANS, « Loi pénitentiaire : vivons-nous encore en démocratie ? », loc. cit. É. PÉCHILLON, « Regard d’un administrativiste sur la loi du 24 novembre 2009 », AJ Pénal 2009. J.-P. GARRAUD, Rapport n° 1506 sur le projet de loi pénitentiaire fait au nom de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, 8 septembre 2009. CGLPL, « Recommandation du 24 décembre 2008 relative à la maison d’arrêt de Villefranchesur-Saône », Journal officiel du 6 janvier 2009. É. PÉCHILLON, « Regard d’un administrativiste sur la loi du 24 novembre 2009 », loc. cit. Article 33 de la loi pénitentiaire.


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« membre extérieur à l’administration pénitentiaire 21 » au sein de la « commission disciplinaire » reste bien en deçà de ce qui pouvait être espéré d’une formation politique (UMP) ayant pourtant décrit la situation en ces termes : « Les règles relatives aux mesures disciplinaires ne permettent pas d’exclure l’arbitraire carcéral. Si la loi du 15 juin 2000 a autorisé l’assistance d’un avocat, elle n’a pas modifié la composition de la commission de discipline qui constitue pourtant une véritable atteinte aux droits fondamentaux du détenu. Le président est à la fois l’autorité qui a le pouvoir de déclencher les poursuites et celle qui prend la décision finale 22. » Il en est de même de la pratique des « fouilles intégrales » (fouilles corporelles à nu), confortée par la loi, et à laquelle s’est ajoutée la possibilité d’« investigations corporelles internes 23 », ce qui, là encore, détonne par rapport au constat qui avait été dressé par l’UMP : « Les atteintes qu’elles constituent à la dignité des détenus, et d’une certaine manière à celle des surveillants, sont disproportionnées par rapport à l’objet qu’elles poursuivent et aux résultats qu’elles obtiennent. Il est urgent d’adopter des pratiques plus encadrées et plus conformes à la dignité humaine, comme l’ont fait de nombreux pays occidentaux 24. » Quant aux régimes différenciés, leur consécration législative n’a pas même été contrebalancée par l’instauration d’un minimum de garanties procédurales permettant d’écarter le spectre d’un système carcéral reposant sur l’inégalité des droits entre détenus. À l’aube de l’intervention du législateur, l’approche gouvernementale ne dissimulait ni la philosophie de la réforme souhaitée ni la place réservée au législateur : « Il est temps qu’une loi fondamentale reflétant la prison d’aujourd’hui soit débattue car notre société et, en premier lieu, le Parlement, doit connaître et assumer ses prisons 25 ». Voilà qui laissait peu de place à la prétention des élus à reprendre le flambeau de leurs aînés de 2000 et à codifier dans la perspective de la « prison de demain ». La loi du 24 novembre 2009 laisse la condition pénitentiaire à des années-lumière des préconisations du Conseil de l’Europe, empreintes d’une approche résolument réductionniste quant aux restrictions pouvant être imposées aux droits des détenus. Ce faisant, elle laisse en suspens l’une des orientations principales affirmées haut et fort au début de la décennie, s’inscrire dans une logique consistant à passer du « détenu sujet » au « détenu citoyen ».

2. Des Règles pénitentiaires européennes en guise de « cache-misère » D Les années 2005-2011 sont marquées par le choix de l’administration pénitentiaire

de s’emparer des Règles pénitentiaires européennes (RPE) adoptées par le Conseil de l’Europe. Ratifié par la France depuis son adoption en 1973, cet ensemble de 108 règles a été révisé, donnant matière à une nouvelle Recommandation le 21. 22. 23. 24. 25.

Article 91 de la loi pénitentiaire. UMP, « Justice : le droit de confiance, document préparatoire à la convention justice », juin 2006. Article 57 de la loi pénitentiaire. UMP, « Justice : le droit de confiance, document préparatoire à la convention justice », loc. cit. Exposé des motifs accompagnant l’avant-projet de loi adressé au Conseil d’État en juin 2008.

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11 janvier 2006. Le 13 octobre suivant, la DAP annonce son intention de faire du « respect des règles pénitentiaires européennes » un « objectif prioritaire tant en ce qui concerne l’orientation de sa politique de modernisation, que dans ses pratiques professionnelles 26 ». Une telle orientation aurait pu augurer d’un véritable tournant culturel pour l’institution, à la mesure de l’affirmation de Claude d’Harcourt, directeur de janvier 2006 à janvier 2009 : « Les RPE nous permettent de rappeler à nos syndicats que le système pénitentiaire n’est pas fait pour le personnel mais pour les détenus. Tout service public a en effet une fâcheuse tendance à oublier ses usagers et à se replier sur lui-même. Les RPE remettent le détenu au centre du dispositif et nous conduisent à repenser toute l’organisation en fonction de sa prise en charge 27 ». Rapidement, la référence répétée aux RPE apparaîtra comme un outil de communication pour l’administration. Les responsables de la DAP indiquent à l’occasion des réunions du comité de pilotage national que les RPE « doivent devenir un moteur interne en termes de valorisation de l’image de l’administration pénitentiaire 28 » ou un « outil fondamental de structuration et de communication pour l’administration pénitentiaire 29 ». Dans un contexte où « l’institution carcérale est régulièrement et publiquement mise en cause » et « doit démontrer sa capacité à respecter les règles en vigueur, surtout lorsqu’elles concernent les droits fondamentaux des personnes 30 », les RPE vont devenir la figure de proue d’une administration cherchant à redonner crédit à son action. En avril 2007, la DAP présente son plan de mise en œuvre des RPE. Il comporte à la fois la rédaction d’un « référentiel d’application », l’expérimentation de quelques règles, ainsi qu’un dispositif de labellisation « qualité RPE ». Le dispositif d’application des RPE. Élaboré entre septembre 2007 et avril 2008, puis périodiquement actualisé, le « référentiel RPE » est censé être d’emblée applicable dans l’ensemble des services et des établissements pénitentiaires. Il en écarte néanmoins certaines dimensions, telle la règle 50 prévoyant que « sous réserve des impératifs de bon ordre, de sûreté et de sécurité, les détenus doivent être autorisés à discuter de questions relatives à leurs conditions générales de détention et doivent être encouragés à communiquer avec les autorités pénitentiaires à ce sujet ». Le motif avancé est qu’« actuellement, en droit interne, il n’existe pas de droit d’expression collective des détenus 31 ». Par ailleurs, la reconnaissance formelle d’une règle dans le référentiel n’implique aucunement son respect à la lettre et pas davantage celui de l’esprit du corpus dans lequel elle s’intègre. À titre d’exemple, les règles 24.1 et 24.2 prévoient qu’en cas de restriction ou de surveillance des communications et des visites des détenus avec leur famille, des tiers et des représentants d’organismes extérieurs au motif de la prévention d’infractions pénales, la « décision d’une juridiction devrait être requise », car il s’agit de « décisions sur des questions qui ne relèvent pas 26. 27.

28. 29. 30. 31.

DAP, Application des RPE et axes de progrès, communication à la presse du 13 octobre 2006. C. D’HARCOURT, « Le système pénitentiaire est-il réformable ? », École de Paris du management, 19 juin 2008. C. D’HARCOURT, Compte rendu du COPIL du 11 octobre 2007. J.-F. BEYNEL, DAP-adjoint, Compte rendu du COPIL du 14 décembre 2007. DAP, « Les règles pénitentiaires européennes, une charte d’action pour l’AP », avril 2007. DAP, « L’application des règles pénitentiaires européennes en France », août 2006.


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normalement des autorités pénitentiaires 32 ». Il en va différemment dans le référentiel qui, rappelant la réglementation en vigueur, établit qu’un permis de visite ou un accès au téléphone peuvent être refusés ou retirés par l’autorité administrative. En parallèle du référentiel, une phase d’expérimentation est engagée sur la base de huit règles : accueil des détenus entrants (règle 16), répartition des détenus selon leur profil (règle 17.2), maintien des liens familiaux (règle 24.4), possibilité pour les détenus de contacter un personnel à tout instant (règle 52.4), traitement des requêtes (règle 70.3), respect d’un cadre éthique pour les personnels (règle 72.1), information du public sur le rôle de l’AP (règle 90.1), mise en œuvre d’un projet d’exécution de peine dès l’admission (règle 103.2). Débutée en mars 2007 au sein de vingt-huit sites pilotes et trente-sept sites à engagement partiel, cette phase s’est achevée en janvier 2009 avec l’annonce d’une généralisation à l’ensemble des établissements pénitentiaires. Une procédure de labellisation est également initiée, sur les seules dispositions concernant l’accueil des détenus arrivants, aboutissant à la délivrance d’un « label qualité RPE » pour une durée de trois ans par des organismes certificateurs privés (Afnor certification et bureau Veritas) 33. Appelé à l’origine à ponctuer la seule démarche expérimentale des sites-pilotes, le processus de labellisation a été élargi fin 2007 à l’ensemble des établissements. En février 2011, pas moins de soixante-treize « circuits arrivants » s’étaient vus décerner le « label RPE », une soixantaine d’autres devant l’obtenir d’ici à la fin de l’année. Participant à un séminaire organisé par la DAP en 2009, un évaluateur d’Afnor indiquait aux personnels pénitentiaires que la démarche de labellisation consistait « en une mesure de la mise en œuvre de votre métier au quotidien, par rapport à un référentiel que vous avez bâti 34 ». Et, de fait, le processus n’a en réalité d’autre ambition que de garantir le « respect de procédures contrôlées 35 » et de devenir un « outil de management 36 ». En effet est-il précisé : « Il s’agit d’un engagement sur des moyens ou des pratiques professionnelles et non des résultats 37. » L’ensemble du processus a également mobilisé une commission instituée en octobre 2008, « composée de douze personnalités indépendantes et qualifiées 38 ». Chargée dans un premier temps de donner son avis sur l’attribution du label sur la base de l’« expertise » des organismes certificateurs, elle a obtenu à l’automne 2009 d’être déchargée de cette responsabilité, son champ de compétence se résumant dès lors aux questions relatives à la « diffusion ou à l’adaptation et au suivi de la

32.

33. 34. 35. 36. 37. 38.

CONSEIL DE L’EUROPE, Commentaire de la recommandation REC (2006) 2 du Comité des ministres aux états membres sur les Règles pénitentiaires européennes. DAP, Actualités des Règles pénitentiaires européennes, n° 4, juin 2009. P. NOIRET, « La mise en œuvre des RPE », DAP, 10 avril 2009. DAP, Actualités des Règles pénitentiaires européennes, n° 4, juin 2009. DAP, Mission 3 P, Réunion des chefs de projet et référents labellisation, 7 décembre 2010. DAP, Actualités des Règles pénitentiaires européennes, n° 4, juin 2009. Soit « quatre représentants du ministère de la Justice ; quatre membres d’associations ou organismes manifestant un intérêt particulier pour les questions pénitentiaires ; quatre personnalités qualifiées, choisies pour leur compétence et/ou pour leur connaissance du domaine pénitentiaire », note DAP du 18 décembre 2009.

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mise en œuvre des règles pénitentiaires européennes 39 ». Ses membres ont fini par présenter collectivement leur démission en décembre 2010. Avec l’arrivée d’un nouveau directeur de l’administration pénitentiaire, la commission a en effet été placée sous l’égide de la sous-direction EMS (État-major de la sécurité), alors qu’elle était jusqu’alors directement rattachée au cabinet du DAP. Outre l’interrogation soulevée sur la finalité réservée aux RPE au sein d’une sous-direction chargée des questions de sécurité du personnel et des établissements, les membres de la commission ont affirmé que les conditions de leur indépendance n’étaient plus réunies : « Au cours de ces derniers mois, notre rôle et notre place ont été régulièrement remis en cause. Nous avons été gratifiés d’une “secrétaire” dont il nous a été explicitement dit qu’elle ne cessait jamais d’être personnel de l’administration pénitentiaire et, qu’à ce titre, elle devait rendre compte à sa hiérarchie du contenu de nos séances. Il nous a été également dit que nous n’avions pas à réfléchir sur la philosophie des RPE, mais à faire des propositions opérationnelles, et qu’enfin les RPE étaient devenues d’une telle évidence qu’il n’était plus nécessaire d’en faire état comme telles, ni de rattacher notre commission au directeur de l’administration pénitentiaire. Tout ce qui concerne les RPE est désormais dans les attributions de… l’État-major de la sécurité 40. » En guise de réponse, le directeur de l’AP indiquera que le rattachement de la mission RPE à la sous-direction EMS participe du « dessein d’ériger les RPE en charte d’action de l’administration pénitentiaire » et constitue la « preuve de leur ancrage profond dans les pratiques de l’institution 41 ».

D En

application du référentiel, toute une série de mesures régit l’accueil des arrivants. Dès son arrivée, de jour comme de nuit, la personne détenue doit se voir « proposer nourriture, sous-vêtements et accès au local de douche ». Elle doit être placée dans un quartier ou local spécifiquement dédié aux arrivants, dans une cellule individuelle « dès que les conditions locales le permettent » et dotée d’un téléviseur. Un « programme d’accueil » doit être respecté, comportant la remise d’un guide d’accueil et d’un extrait du règlement intérieur. Un document décrivant les modalités de communication avec l’extérieur (famille, avocat) doit être remis, et l’établissement doit proposer un accès gratuit au téléphone dans les douze heures suivant l’écrou 42. L’objectif annoncé est de professionnaliser cette phase d’accueil d’une à deux semaines, en « instituant une standardisation des pratiques et en introduisant une rigueur » dans leur application. Cependant, les différentes mesures restent très inégalement appliquées et, malgré la procédure de labellisation, « il n’y a pas de quartier [arrivants] type avec une organisation type 43 ». Au centre de détention de Melun, labellisé en mars 2010, les détenus arrivants sont placés dans des cellules individuelles équipées d’une télévision, d’un réfrigérateur et de plaques chauffantes mis à disposition gratuitement. Une clé pour utiliser une machine à laver gracieusement leur est également remise, ainsi qu’un 39. 40. 41. 42.

43.

DAP, note du 18 décembre 2009. A. CUGNO, Lettre de la Farapej, n° 16, décembre 2010-janvier 2011. DAP, « Démission de certains membres de la commission RPE », note du 9 février 2011. DAP, « Référentiel d’application des RPE dans le système pénitentiaire français, 2008-2012 », mars 2011. J. CHARBONNIAUD, Mission d’évaluation de la mise en œuvre des Règles pénitentiaires européennes, rapport au garde des Sceaux, juillet 2009.


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crédit téléphonique de 5 euros pour prévenir immédiatement leurs proches. Ils disposent de la clé de leur cellule et peuvent se rendre librement à la bibliothèque, une salle de sport, une salle de jeux, ou en cours de promenade trois heures par jour. En revanche, au centre de détention d’Uzerche, qui a obtenu le label en mars 2009, le quartier arrivants « connaît pour principe un encellulement double 44 ». Seule la télévision est mise à disposition en cellule et le régime est celui des « portes fermées ». Les détenus ne peuvent pas participer à des activités sportives ou socioéducatives et le temps de promenade est limité à deux heures par jour. En outre, seul un crédit téléphonique de 1 euro leur est accordé. Ce montant, qui est le plus couramment répandu dans les établissements se revendiquant du référentiel, ne permet qu’une conversation téléphonique de cinq minutes sur un poste fixe. Et, bien souvent, la possibilité de téléphoner à ses proches ou son avocat dès les premières heures de l’incarcération est réservée aux condamnés en maison d’arrêt, les prévenus – soit plus de la moitié des entrants 45 – étant écartés du bénéfice de cette mesure. Dans de nombreuses maisons d’arrêt, les entorses au niveau de conditions de détention requis par les RPE sont également légion dès le quartier arrivants. À la maison d’arrêt d’Évreux, labellisée en mars 2009, les arrivants sont ainsi affectés dans des cellules de 10,25 m2 meublées d’un lit à trois couchages superposés. La ventilation n’est assurée que par des « trous percés dans un des carreaux de la fenêtre 46 ». Les douches, situées en dehors des cellules, ne sont accessibles que trois fois par semaine pour une durée de quinze minutes maximum. Et le temps de promenade se résume à une heure par jour. En revanche, à la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses, les arrivants disposent de cellules individuelles dotées de douches et équipées de téléviseurs à écran plat. Deux heures de promenade par jour leur sont garanties, et des créneaux spécifiques ont été mis en place pour les personnes les plus vulnérables afin de les prémunir contre toute forme d’agression. Au-delà de ces disparités, des améliorations sont à noter concernant la nature et les modalités de délivrance des effets remis à l’entrée. Une personne détenue en témoigne dans une étude réalisée par deux chercheuses sur la mise en œuvre des RPE : « C’est beaucoup mieux fourni et c’est propre. Alors qu’avant on entrait dans une cellule arrivant et on avait une seule assiette qui était sale, qui avait été laissée là juste avant nous. Dans le paquetage aujourd’hui il y a oreiller, drap, serviette, produit d’hygiène… Il y a même un kit courrier. On peut aussi avoir des vêtements et des sous-vêtements. Tout cela peut paraître des détails, mais cela compte énormément, surtout quand on est primaire [incarcéré pour la première fois]. » La « taille humaine » de ces quartiers, avec des effectifs réduits, favorise également, selon la même étude, de meilleures relations entre détenus et avec les personnels : « L’établissement de relations continues avec les mêmes personnes modifie l’image des surveillants et instaure de meilleures relations. » Les arrivants font l’objet d’une attention bien plus accrue des différents personnels et s’estiment mieux informés et mieux pris en charge : « Il y a beaucoup de choses expliquées. Avant, à l’arrivée, vous étiez livrés à vous-même. » Maintenant, « ça permet d’atterrir, ça fait moins peur, les surveillants sont plus détendus et plus

44. 45. 46.

Centre de détention d’Uzerche, Manuel de labellisation, novembre 2008. Quelque 57,3 % des entrants en prison en 2010 l’ont été en qualité de prévenu. CGLPL, Rapport de visite de la maison d’arrêt d’Évreux, 24-26 février 2009.

49


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cools » ; « il y a toujours quelqu’un qui est à l’écoute. Ça rend moins méchant. Ici, on me répond toujours, voilà. En prison, les détenus ont besoin de parler 47 ». Limité à la phase d’accueil, ce dispositif ne fait néanmoins qu’atténuer ou déplacer le « choc carcéral » lié à l’arrivée en maison d’arrêt, dans la mesure où les détenus trouveront ensuite, en détention ordinaire, des conditions matérielles bien plus difficiles qu’au quartier arrivants, et n’y bénéficieront pas de la même attention. « Si la création du quartier arrivants permet un atterrissage moins brutal en prison, le choc de l’incarcération n’est actuellement pas évité, il est seulement étalé, c’est-à-dire en partie différé », indiquent les auteurs de la recherche sur la mise en place des RPE. « Pour les surveillants comme pour les détenus », « certains des effets positifs obtenus au quartier arrivants ne durent pas, les nouvelles conditions de détention recréant les représentations et les conduites associées à celles-ci, évitement, méfiance, pressions, racket, recours à la violence. » Des détenus témoignent en ce sens : « Je préférerais rester au QA [quartier arrivants], ailleurs je me sens en danger » ; « pourquoi ils donnent une bonne image d’eux et ensuite ils jettent les détenus dans la merde, dans une sale cellule où il n’y a rien ? » Dans les établissements les plus délabrés et surpeuplés, le dispositif RPE des quartiers arrivants peut finalement confiner à l’absurde : « Être placé dans une cellule sale encombrée de matelas par terre, abandonnée aux codétenus, après un séjour de dix jours dans un quartier arrivant neuf près de surveillants attentifs peut apparaître dépourvu de sens 48. » C’est ainsi qu’à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, après avoir connu l’encellulement individuel au quartier arrivants, les détenus affectés au bâtiment D5 se retrouvent dans des cellules de 10 m2 équipées de deux lits superposés. Les toilettes ne sont pas cloisonnées mais entourées d’un muret d’un mètre de hauteur, voire ne disposent d’aucun dispositif de séparation. Les détenus doivent tendre des draps ou des serviettes pour se protéger de la vue des autres. Par ailleurs, les fenêtres sont fréquemment brisées et les murs dégradés en raison d’infiltrations. Au centre pénitentiaire de Longuenesse, « le détenu se retrouve généralement dans une cellule avec deux autres personnes » et le dernier venu « se voit alors proposer un matelas à même le sol », observe encore un député fin 2009 49.

D Les dénonciations des conditions matérielles de détention se poursuivent

inlassablement au cours de la période 2005-2011. Dans son rapport de 2005 concernant la France, le Commissaire européen aux droits de l’homme évoque « des conditions de vie à la limite de la dignité humaine » dans les établissements visités 50. Les directeurs de prison ne sont pas moins sévères en 2011 à l’égard des conditions de détention dans les établissements dont ils ont la charge, comme le révèle une enquête réalisée par le Syndicat national des cadres pénitentiaires : « Lorsqu’on demande aux directeurs de noter eux-mêmes les conditions de détention des détenus (en considérant l’héber47.

48. 49. 50.

A. CHAUVENET, C. R AMBOURG, De quelques observations sur la mise en œuvre des RPE, ENAP, 2010. Ibid.

G. COQUEMPOT, député du Pas de Calais, La Voix du Nord, 9 octobre 2009. A. GIL-ROBLES, Rapport sur le respect effectif des droits de l’homme en France suite à sa visite du 5 au 21 septembre 2005 (MA Paris-La Santé. CP Marseille).


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gement et les installations sanitaires), la moyenne est de tout juste 4,5/10 ». Plus d’un tiers d’entre eux (34,7 %) accordent une note inférieure à 4 sur 10 à leur établissement 51. Se succèdent désormais des condamnations de l’État par les juridictions administratives pour avoir imposé des « conditions [de détention] n’assurant pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine 52 ». La première décision de mars 2008 concernant la maison d’arrêt de Rouen a fait suite à l’initiative d’un détenu et de son avocat Étienne Noël. Après avoir fait constater par un expert que le requérant avait été contraint de partager, durant quatre ans, avec deux autres détenus des cellules d’une superficie de 10,80 à 12,86 m2, où les toilettes, non cloisonnées, se trouvaient à proximité immédiate du lieu où se prenaient les repas, le tribunal administratif a souscrit à la demande et enjoint l’État à verser des dommages et intérêts à hauteur de 3 000 euros. Des décisions similaires ont été rendues entre juillet 2009 et juin 2010 au bénéfice de personnes ayant été incarcérées dans les maisons d’arrêt de Nantes, Clermont-Ferrand et Caen. En juillet 2011, des décisions similaires ont visé les maisons d’arrêt de Bois d’Arcy et Nanterre, de construction bien plus récente puisqu’issues du programme « 13 000 » et mises en service au début des années 1990. À Nanterre, les magistrats ont constaté que le requérant avait été, à plusieurs reprises, affecté avec un codétenu dans une cellule inférieure à 9 m2, alors que le Comité européen de prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants fixe à 6 m2 par détenu l’espace disponible minimal dans une cellule partagée 53. Ils ont, en outre, noté que le dispositif d’aération était obstrué ou défectueux dans chacune des cellules occupées 54. À Bois d’Arcy, les magistrats ont également relevé que la circulation d’air en cellule était insuffisante, le système de ventilation étant « hors de service quasiment depuis la mise en activité de la maison d’arrêt ». Ils ont, par ailleurs, soulevé l’absence de cloisonnement des toilettes et estimé que ces conditions de détention méconnaissent le respect de la dignité des personnes, compte tenu notamment de leurs « conséquences possibles sur [leur] état de santé physique et mentale 55 ». Dans ce contexte, la communication de l’administration pénitentiaire autour des quartiers arrivants et de leur labellisation RPE apparaît à beaucoup comme une « volonté de donner une image déformée de la réalité vécue dans les établissements 56 ». Les syndicats de personnels n’hésitent pas à parler de « cache-misère 57 » ou de velléité de faire croire que « l’administration lave plus blanc que blanc 58 », alors qu’en coulisses personnels comme détenus se désespèrent de l’état de délabrement d’une grande partie 51.

52. 53.

54. 55. 56.

57. 58.

SNDP, enquête présentée dans le cadre des actions de l’intersyndicale Justice, 29 mars 2011. Cinquante-six directeurs des services pénitentiaires, chefs d’établissements ou adjoints y ont participé. TA Rouen, 27 mars 2008, n° 0602590. Décision confirmée en appel. Commentaire de la Règle 18.5 des Règles pénitentiaires européennes, Conseil de l’Europe, 11 janvier 2006. TA Versailles, 8 juillet 2011, n° 00910656. TA Versailles, 8 juillet 2011, n° 1004959. J. CHARBONNIAUD, Mission d’évaluation de la mise en œuvre des Règles pénitentiaires européennes, rapport au garde des Sceaux, juillet 2009. « La colère monte à Gradignan », Sud-Ouest, 25 avril 2011. Expressions pénitentiaires, n° 36, décembre 2010.

51


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du parc carcéral et du surencombrement des établissements. La surpopulation altère le fonctionnement même des dispositifs d’accueil. Elle « pèse sur la disponibilité des intervenants » et conduit parfois à réduire le temps de séjour « en quartiers arrivants à des durées – quarante-huit, voire vingt-quatre heures ! – qui compromettent l’objet même de la procédure 59 ». Un responsable syndical en témoigne : « À la maison d’arrêt de Brest, premier quartier labellisé de la région [Ouest], les [surveillants] dédiés aux arrivants, formés en conséquence, s’investissent énormément mais sombrent dans un certain dégoût car, au lieu des huit jours prévus aux arrivants, les détenus restent péniblement trois jours pour cause de surpopulation pénale. Les Brestois perdent d’autant leurs illusions qu’ils s’interrogent sur l’intérêt de remplir une masse conséquente de formulaires pour un travail saboté car interrompu par l’impact de la détention 60. »

D Au-delà des quartiers arrivants, une autre disposition du « référentiel RPE » prévoit

que les détenus doivent avoir accès à un personnel à tout moment, de jour comme de nuit. Chaque établissement est censé prévoir un « dispositif d’appel et/ou avec report du signal la nuit garantissant que tout appel d’un détenu soit réceptionné et pris en charge dans les meilleurs délais ». Le dispositif est loin d’être assuré dans tous les établissements. Au 1er mars 2010, selon les chiffres de l’administration pénitentiaire, seuls 76 établissements sur 189 étaient dotés d’un système d’interphonie complet. Au centre de détention de Mauzac, labellisé RPE en mars 2010, les cellules ne sont pas équipées d’interphones ou de boutons de signal lumineux permettant d’entrer en contact avec un personnel. Pourtant, détenus comme personnels considèrent le système utile, selon l’étude précitée sur la mise en œuvre des RPE. Les uns « pour demander de l’aide en cas de problème de santé ou de violence en cellule » et « pour recevoir des informations », les autres pour « être informés rapidement et pouvoir intervenir en cas de situation grave 61 ». Il s’agit également de faire baisser la tension dans les coursives : « Cela supprime les cris, les tambourinages de porte, l’inquiétude et l’attente 62 ». Même lorsqu’il existe, ce système de communication ne garantit néanmoins « pas toujours, du moins en journée, la possibilité de joindre immédiatement un membre du personnel. Celui-ci peut être alternativement très occupé, débordé ou disponible, exaspéré ou attentif ». Il apparaît en effet que la « multiplicité des tâches » qu’accomplissent les surveillants les amène à vouloir réserver l’usage de l’interphone aux situations d’urgence, ce qui ne s’obtient pas sans difficulté : « On leur dit que c’est pour les urgences, mais pour eux tout est urgent. » Certains détenus se plaignent que certains personnels « ne prennent même pas l’appel et raccrochent direct », voire « débranchent l’interphone ». C’est ainsi qu’il peut encore arriver, comme plusieurs détenus d’un même quartier l’ont indiqué à des chercheurs, qu’à l’occasion d’une crise d’épilepsie de l’un d’eux, ils aient dû « taper dans les portes avant que n’intervienne quelqu’un 63 ».

59.

60. 61. 62.

63.

J. CHARBONNIAUD, Mission d’évaluation de la mise en œuvre des Règles pénitentiaires européennes, op. cit. Expressions pénitentiaires, n° 29, mars 2009. A. CHAUVENET, C. R AMBOURG, De quelques observations sur la mise en œuvre des RPE, op. cit. J. CHARBONNIAUD, Mission d’évaluation de la mise en œuvre des Règles pénitentiaires européennes, op. cit. A. CHAUVENET, C. R AMBOURG, De quelques observations sur la mise en œuvre des RPE, op. cit.


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D D’autres mesures prévues dans le référentiel restent inégalement appliquées, tel

le système de traitement des requêtes, qui consiste à mettre en place une procédure permettant une « traçabilité des réponses », une « notification de la réponse aux détenus, remise sous pli fermé », ainsi que des délais de réponse « raisonnables ». Les détenus ayant des requêtes à formuler à un personnel ou à la direction sur « leur détention ou l’examen d’une situation donnée » doivent se voir remettre des « formulaires types » ou autres supports écrits. La requête doit être enregistrée par l’administration et un accusé de réception être adressé au détenu. Des modalités spécifiques doivent être prévues pour les personnes détenues illettrées ou étrangères 64. « Vous faites un mot, il y a un accusé de réception. Avant on faisait un courrier et on ne savait pas si c’était arrivé ni si c’était traité. Et on connaît au moins la suite, donc on ne pose pas dix fois la même question au surveillant » ; « c’est important d’avoir les papiers parce que vous êtes un prisonnier, votre parole n’est pas forcément prise en compte », témoignent des personnes détenues dans le cadre de l’étude sur les RPE. Pour autant, le système de traçabilité n’a pas nécessairement pour conséquence d’accélérer le processus de traitement des demandes. « Je ne vois pas d’évolution, il y a toujours autant de délai de réponse », indique un détenu. « Un des objets des plaintes les plus fréquents est la longueur des délais de réponse aux demandes », notamment de la part des CPIP, car « ce traitement implique un important surcroît de travail ». Du côté des personnels, l’on déplore la bureaucratisation engendrée par ce dispositif dans des conditions de sous-effectif : « Cette bureaucratisation s’effectue au détriment du contact, qu’il s’agisse des relations aux détenus ou des relations professionnelles 65 ». Les établissements ayant mis en place un système formalisé de traitement des requêtes restaient minoritaires au 1er mars 2010 : 80 sur 189. Dans les autres, les méthodes antérieures subsistent : requêtes sur papier libre et répercutées par le vaguemestre aux différents services concernés. Rien ne permet aux détenus de savoir si leur courrier est bien parvenu, ni dans quel délai il sera traité. Et, de fait, certains personnels continuent à pratiquer ce qu’ils nomment le « classement vertical », à savoir jeter tout bonnement certains courriers à la poubelle. Dans le cas contraire, les réponses sont généralement opérées de manière manuscrite sur la même feuille, avec des formules pour le moins sommaires. Un détenu de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis qui avait sollicité en juillet 2008 un parloir prolongé avec sa compagne, effectuant un long trajet pour lui rendre visite, s’est vu simplement répondre « Demande rejetée ». En mai 2011, un détenu de la maison centrale d’Ensisheim qui s’inquiétait de ne pas avoir de travail alors qu’il était sur liste d’attente depuis cinq mois a eu pour réponse : « On vous a déjà répondu à ce sujet », à savoir plus d’un mois auparavant. Le règne de l’évaluation « sauvage ». Si certaines dispositions du « référentiel RPE » peuvent comporter des avancées lorsqu’elles sont véritablement appliquées, d’autres inquiètent par la façon totalement artisanale dont l’administration développe des outils d’évaluation, ainsi que par le manque de garanties entourant l’accessibilité des données personnelles recueillies auprès des détenus dans le cadre d’entretiens 64.

65.

DAP, « Référentiel d’application des RPE dans le système pénitentiaire français, 2008-2012 », mars 2011. A. CHAUVENET, C. R AMBOURG, De quelques observations sur la mise en œuvre des RPE, op. cit.

53


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confidentiels avec les personnels d’insertion et de probation ou les soignants. Au nom d’une « individualisation de la prise en charge », l’administration pénitentiaire a ainsi mis en place toute une série de procédures d’observation et d’évaluation des détenus afin d’« identifier rapidement [leurs] caractéristiques (dangerosité, vulnérabilité, risque suicidaire) 66 », de déterminer leur « profil prégnant », puis de « proposer une affectation en cellule » et un « parcours d’exécution de peine 67 ». Une grille d’évaluation du « potentiel de dangerosité et de vulnérabilité » élaborée par la sous-direction « État-major de la sécurité » de la DAP figure désormais dans le cahier électronique de liaison (CEL), développé à partir de 2009 dans la plupart des établissements. Les notions figurant dans cette grille, ainsi que les objectifs qu’elle vise, se caractérisent par leur extrême confusion. À travers différents items, il s’agit de repérer une « vulnérabilité » et/ou une « dangerosité pénitentiaire » qui « se manifeste tant par le risque d’atteintes aux personnes ou aux biens que par les atteintes à l’ordre interne de l’établissement (évasion, mouvement collectif, trafic, prosélytisme…) ». La « dangerosité pénitentiaire » est définie dans une note de la DAP comme un « élément de la dangerosité criminologique », appréciation qui témoigne d’une parfaite méconnaissance des travaux en criminologie, puisqu’une inadaptation au milieu carcéral, tout autant que les velléités d’évasion par exemple, ne constituent en aucune manière des critères significatifs d’un risque de récidive criminelle. La notion de « vulnérabilité » est, pour sa part, considérée comme un élément pouvant assortir cette « dangerosité pénitentiaire 68 »…

D La grille d’évaluation se compose de six parties, comportant chacune des

items censés faire « l’inventaire des facteurs de risque ou d’éléments d’environnement qui méritent d’être examinés », à cocher par « oui », « non » ou « ne sait pas ». À titre d’exemple, la première partie intitulée « risques liés à la condamnation » recense différents motifs de condamnation : « viol, agression sexuelle » ; « violences graves aux personnes » ; « actes de torture et de barbarie » ; « assassinat, meurtre et tentative » ; « criminalité organisée » ; « terrorisme ». Dans la note explicative de la DAP, il est précisé que ces infractions sont classées « selon un niveau de dangerosité croissant ». Pour autant, quelques lignes plus haut, il est souligné que la « dangerosité pénitentiaire » n’est « proportionnelle ni au quantum de la peine prononcée ni à la gravité de l’infraction commise ». S’agit-il, dès lors, d’évaluer un risque de récidive, alors que toutes les études montrent que les probabilités de récidive sont plus importantes dans le cas d’infractions mineures ? D’autres critères apparaissent particulièrement inopérants, tels ceux retenus dans la troisième partie intitulée « dangerosité-vulnérabilité/risques liés à des troubles comportementaux », qui contient des éléments ayant trait à la souffrance psychique des 66.

67.

68.

DAP, « Les règles pénitentiaires européennes, notre charte d’action, bilan 2008, perspectives 2009 », avril 2009. DAP, « Référentiel d’application des RPE dans le système pénitentiaire français, 2008-2012 », mars 2011. DAP, note relative à l’évaluation de la dangerosité et la vulnérabilité des personnes détenues, 7 novembre 2008.


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personnes (« a déjà fait des tentatives de suicide », des « automutilations graves », « addictions », placement en hospitalisation d’office antérieur, etc.). Parmi les critères retenus, figure un « suivi psychologique ou psychiatrique antérieur ou en cours ». C’est ainsi que le simple fait, pour un détenu, d’avoir effectué une démarche ou eu besoin d’un tel suivi est interprété comme un facteur de risque ou de vulnérabilité. S’agissant du risque de passage à l’acte délinquant, les études en « psychologie criminelle » excluent pourtant la plupart des troubles psychiques comme facteur déterminant : ce sont davantage l’isolement et les ruptures de soins qui augmentent les risques. Pour ce qui est de la vulnérabilité, certaines personnes investies dans une démarche de soins pourraient être considérées comme mieux armées ou plus favorablement inscrites dans une perspective de reconstruction que d’autres qui s’y refuseraient. De même, dans la quatrième partie concernant la « dangerosité-vulnérabilité/éléments d’environnement social », figurent aussi bien des items sur l’« instabilité dans l’emploi » ou « dans le logement avant l’incarcération », l’« absence de visites », qu’une éventuelle négation des faits ou le fait d’accepter ou non l’incarcération, les liens établis entre ces différents éléments et la « dangerosité-vulnérabilité » restant là encore globalement obscurs. Pour justifier ce type d’« évaluation », l’administration pénitentiaire se revendique des Règles pénitentiaires européennes 69, qui se réfèrent, elles, à une « évaluation des risques » et non de la « dangerosité », notion largement contestée en ce qu’elle caractérise intrinsèquement une personne sans tenir compte de son évolution et des facteurs circonstanciels, considérés comme déterminants dans tout comportement. Le Conseil de l’Europe précise que « des critères pour cette évaluation [des risques] ont été mis au point dans de nombreux pays. Ils englobent la nature du délit, le risque que le détenu ferait peser sur la collectivité en cas d’évasion, les antécédents d’évasion et d’appel à des complicités extérieures, l’éventualité de menaces sur les autres détenus et, s’agissant de détenus placés en détention provisoire, la menace qu’ils constituent pour les témoins 70 ».

D

L’ensemble des observations et informations concernant une personne détenue sont désormais rassemblées dans le cahier électronique de liaison (CEL), ce qui peut présenter de graves entorses aux secrets professionnels, la personne détenue n’étant plus assurée du respect de la confidentialité de ses entretiens ni de la protection de certaines données personnelles. L’étude publiée en 2010 sur la mise en place des RPE signale d’ores et déjà que les travailleurs sociaux et les soignants reprochent aux personnels de surveillance de divulguer des informations non contrôlées concernant par exemple leurs rapports professionnels avec les détenus et d’interférer dans le suivi médical : « On lit sur le CEL par exemple : “a arrêté seul sa méthadone sans suivi médical, est-ce normal ?” Alors que cette personne était suivie par nous. Ou encore : “a demandé un cachet de X à l’infirmière qui a refusé.” Ou bien ils constatent qu’ils posent des diagnostics psychiatriques péremptoires et définitifs sur les détenus 69. 70.

Règles 17-2, 51-3, 51-4, 51-5 et 52-1. Commentaire règle 51, dans Conseil de l’Europe, Commentaire de la recommandation REC (2006) 2 du Comité des ministres aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes.

55


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ou encore qu’ils étalent la vie intime de ceux-ci à l’occasion de leurs observations 71 ». Alors que les personnels peuvent désormais inscrire au CEL tout type d’appréciations sur les faits et gestes des détenus, certains établissements ont élaboré des « fiches d’aide à l’observation ». C’est ainsi que le centre pénitentiaire de Béziers dote ses personnels d’un document visant à identifier des « profils de personnalité », car il n’est « pas toujours facile de trouver les mots pour décrire un comportement, l’idée que l’on se fait de quelqu’un ». Au titre des profils décrits, se succèdent le détenu « actif », qui se caractérise notamment par les comportements suivants : « entretient sa cellule », « bénévole pour nettoyer les coursives », « ouvert aux autres »… ; le « caïd », qui « emprunte mais ne rend pas », « se mêle de tout », est « en lutte contre le règlement », « connaît le code pénal »… ; le « demandeur », décrit comme « celui qui oublie toujours quelque chose », « dérange l’agent pour un rien », « pleurniche et râle » ou « prend le surveillant pour son portier ». Ce dernier est considéré comme « égoïste », « lunatique » et « immature ». L’« émotif » se caractérise notamment par le fait qu’il « n’admet pas le refus », « pleure quand il reçoit une mauvaise nouvelle » ou « peut être dangereux ». Enfin, il y a le « sans vitalité », qui « subit la vie », « se laisse vivre, faire, aller », « trafique les médicaments, la drogue 72 »…

3. Mission de prévention de la récidive et groupes de parole La loi du 24 novembre 2009 vient pour partie redéfinir le sens de la peine de privation de liberté et les missions de l’administration pénitentiaire autour du concept de prévention de la récidive. C’est ainsi que l’article 1er de la loi pénitentiaire signifie que « le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions 73 ». Dans le droit antérieur, la finalité assignée à la peine privative de liberté était passée de l’« amendement et le reclassement social du condamné » (charte de la réforme pénitentiaire de 1945), à la « réinsertion sociale des personnes confiées par l’autorité judiciaire » (loi du 22 juin 1987), puis à « protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion » (Conseil constitutionnel, 1994). Une mission mal définie. Avec la loi pénitentiaire, la notion de réinsertion ou d’insertion ne constitue plus un objectif en soi, mais l’un des moyens pour parvenir à une « vie sans délinquance ». La Cour des comptes souligne en ce sens que « le législateur a voulu transformer la « réinsertion sociale » des personnes sous main de justice en une mission plus générale », mettant ainsi « la réinsertion au service de la prévention de la

71. 72.

73.

A. CHAUVENET, C. R AMBOURG, De quelques observations sur la mise en œuvre des RPE, op. cit. Centre pénitentiaire de Béziers, quartier d’accueil, « Fiches d’aide à l’observation des comportements », 7 avril 2010. Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, JORF n° 0273 du 25 novembre 2009.


Politique pénitentiaire

récidive 74 ». À aucun moment, les pouvoirs publics français n’ont pour autant défini les contours d’une mission de la prévention de la récidive. Aucun document du ministère de la Justice ou de la DAP ne vient lui donner de véritable contenu, qui serait fondé sur des travaux de recherche sur la récidive, les facteurs de passage à l’acte délinquant, ou les programmes déjà développés dans d’autres pays. Le document de la DAP qui présentait les enjeux de la loi pénitentiaire en juillet 2007 se contente de justifier que la réinsertion est une « mission ambitieuse, qui se heurte à de grandes difficultés », notamment en raison de la diversité des publics et des infractions, le service public pénitentiaire ne pouvant « résoudre toutes les difficultés des personnes qui lui sont confiées », d’autant qu’il ne « maîtrise pas le temps de la peine ». La réinsertion est ainsi considérée comme une « ambition démesurée » à laquelle il convient de substituer des « objectifs atteignables, dans ce qu’on peut nommer une version raisonnée de la réinsertion », dont l’« efficacité se mesure par la non-récidive ». Il est estimé que ce qui réunit les personnes placées sous main de justice est d’avoir « commis une infraction pénale », que « la prison et la probation n’ont pas vocation à traiter le chômage, lutter contre l’illettrisme ou régler les conflits familiaux », ce qui implique comme mission pour l’administration pénitentiaire et comme objectif pour la peine la « prévention de la récidive 75 ». À cet égard, les autorités françaises apparaissent en décalage avec les résultats de la recherche internationale en matière de prévention de la récidive. Plus de quinze ans de travaux de recherche, menés principalement par le mouvement canadien du « What Works », ont ainsi montré que “ce qui marche” pour prévenir la récidive réside dans un accompagnement de la personne ciblé sur ses besoins en relation avec l’acte commis. Les chercheurs répertorient sept principaux facteurs de récidive sur lesquels cibler l’évaluation et l’intervention : 1. attitudes, croyances, rationalisations venant conforter le comportement délinquant ; 2. environnement relationnel (pairs délinquants, essentiellement) ; 3. personnalité dite antisociale ; 4. contexte difficile dans la famille ou le couple ; 5. problèmes d’emploi (absence d’activité, manque de satisfaction…) ; 6. absence d’activités ou loisirs ; 7. addiction (drogue et/ou alcool) 76. Concrètement, il s’agit d’identifier, pour chaque personne, par lesquels de ces facteurs la commission de l’infraction a été favorisée, et donc de travailler avec les uns davantage sur des dimensions internes telles que le rapport aux limites ou la gestion de la colère, avec les autres plus principalement sur des dimensions d’insertion, d’inscription dans un projet d’activité ou de soins. En ce sens, l’option de l’administration pénitentiaire française consistant à décréter que, de manière générale, elle ne va plus intervenir sur des problématiques d’emploi ou de liens familiaux apparaît inadaptée à une démarche de prévention de la récidive et une approche « criminologique » dont elle se revendique. Il ne s’agirait pas, pour les CPIP, d’assurer eux-mêmes des accompagnements de type « accès aux droits sociaux » ou « suivi en toxicologie », pour lesquels ils ne disposent pas de toutes les compétences nécessaires, mais d’élaborer avec la personne, de coordonner et de s’assurer de l’application d’un programme 74.

75. 76.

COUR DES COMPTES, Le Service public pénitentiaire : prévenir la récidive, gérer la vie carcérale, La Documentation française, Paris, 2010. DAP, Projet de loi pénitentiaire - Comité d’orientation - Enjeux, juillet 2007. D. A. ANDREWS, « Principes des programmes correctionnels efficaces », in Compendium 2000 des programmes correctionnels efficaces, Service correctionnel du Canada, 2000.

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d’interventions pluridisciplinaires visant à agir sur des problématiques en relation avec l’infraction commise. Le professeur britannique Rob Canton explique en ce sens que les derniers travaux du courant de la « désistance », qui portent sur « les circonstances dans lesquelles les gens arrêtent de commettre des délits et maintiennent cette désistance », montrent à quel point « les circonstances, les événements de la vie et les réalisations personnelles ont une influence déterminante » dans le processus de sortie de délinquance. « Les changements d’attitude sont importants mais il leur faut un contexte social pour se développer et se maintenir. Les facteurs que l’on sait ou que l’on pense liés à la désistance comprennent le logement, l’éducation, la formation et l’emploi, la santé, la drogue et l’alcool, la situation financière, les prestations sociales et les dettes, les enfants et la famille, les attitudes, la réflexion et le comportement. Ainsi, tout plan d’action visant à limiter les actes délictueux doit s’intéresser au logement et à l’absence de logement, à l’emploi, à l’accès aux soins médicaux et ainsi de suite. L’approche cognitivo-comportementale qui prévalait dans la notion de « ce qui marche » perdait parfois de vue ces influences sociales décisives. Nombre de facteurs cruciaux de la désistance (le logement, l’emploi, la santé, etc.) dépendent de services ne relevant pas des organes de la justice pénale, et l’enjeu des personnels de probation sera d’encourager d’autres organismes à rendre leurs services véritablement accessibles aux délinquants 77 ».

D Avant la loi pénitentiaire de 2009, plusieurs textes réglementaires avaient déjà

redéfini les missions des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) institués en 1999, intervenant en milieu ouvert et en milieu fermé. En 2008, la circulaire relative aux missions et méthodes d’intervention des SPIP avait ainsi érigé la prévention de la récidive comme « finalité de l’action des SPIP ». Parmi les principaux axes de travail retenus, apparaissaient en premier lieu le fait de « contrôler de manière régulière le respect par les personnes placées sous main de justice (PPSMJ) des obligations imposées », puis ceux de « travailler sur le passage à l’acte et le sens de la peine », d’« apporter le soutien nécessaire en terme de réinsertion sociale » et de « repérer les éventuelles difficultés rencontrées dans l’exécution de la mesure 78 ». Les différentes dimensions de l’intervention du SPIP (insertion, travail sur le passage à l’acte, exécution de la peine) étaient ici conciliées, sans que l’une ou l’autre n’apparaisse prédominante. Dans un Protocole relatif à la réforme statutaire des personnels d’insertion et de probation, signé avec une organisation syndicale en juillet 2009, « l’action sur le passage à l’acte » se place désormais au premier rang, positionnant le personnel d’insertion et de probation « clairement sur le champ pénal et criminologique, avec une méthodologie propre et, pour objectif, la prévention de la récidive 79 ».

77.

78.

79.

R. CANTON, Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe, « La probation en Angleterre et au Pays de Galle », novembre 2007. DAP/PMJ, Circulaire JUSJO840001C relative aux missions et aux méthodes d’intervention des SPIP, 19 mars 2008. DAP/SNEPAP, Protocole relatif à la réforme statutaire des personnels d’insertion et de probation, juillet 2009.


Politique pénitentiaire

Si des textes tels que la loi pénitentiaire maintiennent la dimension d’insertion parmi les missions des SPIP, la tonalité du protocole de 2009, ainsi que les consignes adressées plus officieusement aux services incitent ces derniers à se préoccuper de moins en moins des « facteurs externes » du passage à l’acte, d’autant qu’ils pâtissent d’un manque de moyens chronique en personnels. Au sein des établissements pénitentiaires, certains conseillers d’insertion et de probation renvoient d’ores et déjà aux personnes détenues que certaines tâches de « travail social » ne relèvent plus de leur compétence. Ces pratiques professionnelles apparaissent d’autant plus problématiques que des dispositifs de substitution n’ont pas encore été organisés.

D L’arrivée des « programmes de prévention de la récidive ». Alors que le

document de la DAP autour des enjeux de la loi pénitentiaire indique que la mission de prévention de la récidive est « mise en œuvre par l’administration pénitentiaire en organisant et en développant des méthodes d’intervention adaptées », à savoir pour le milieu fermé, le « parcours d’exécution de peine » et les « régimes différenciés 80 », seuls les « programmes de prévention de la récidive » (PPR) développés à partir de 2007 peuvent prétendre s’inscrire dans une démarche de réflexion et d’accompagnement autour du passage à l’acte délinquant. Concrètement, un PPR prend la forme d’un groupe de parole rassemblant des personnes ayant commis le même type d’infraction. Les thématiques des 156 groupes de parole « labellisés PPR » fin 2010 étaient principalement les violences à caractère sexuel (50), les violences familiales et conjugales (47), les violences (22), les délits routiers (16), autres thématiques (21) 81. Un PPR se déroule en dix à quinze séances d’une à deux heures, nécessairement animées par un ou deux conseillers d’insertion et de probation, qui doivent bénéficier de la supervision d’un « psychologue régulateur » pour aider à la conception du programme, participer à la constitution du groupe, préparer et débriefer chaque séance. Les participants au groupe sont invités à partager leurs points de vue et expériences autour de « la loi et l’interdit » (ce que chacun croit autorisé et interdit, pour quelles raisons…), « la peine et la condamnation » (ce que chacun pense de sa condamnation), « les idées ayant précédé le passage à l’acte » (description de l’état intérieur au moment de l’infraction), la « chaîne délictuelle » (description du contexte et de l’enchaînement des situations jusqu’à l’infraction), les « stratégies d’évitement » (ce qui aurait pu être évité, les manières d’agir qui auraient permis de ne pas en arriver à l’infraction), l’« empathie avec la victime » (qu’a-t-elle pu ressentir, retracer le moment de l’infraction de son point de vue à elle…) 82. Les avantages du travail en groupe peuvent être multiples par rapport à des entretiens individuels avec un professionnel. Le professeur de probation néerlandais Bas Vogelvang explique ainsi que le fait d’« apprendre de ceux dont on partage le “sort” constitue une variante d’éducation sociale plus intense que celle offerte par le formateur. En effet, celui-ci est un professionnel rémunéré dont les antécédents diffèrent

80. 81. 82.

DAP, « Projet de loi pénitentiaire - Comité d’orientation - Enjeux », juillet 2007. DAP/PMJ/PMJ1, « Programme de prévention de la récidive », bilan du 3 décembre 2010. DAP/PMJ/M. PAJONI-A. ROBIN, Référentiel « Programme de prévention de la récidive », 2010.

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énormément de ceux des participants et la valeur pratique de son enseignement manque de “vécu” par rapport à la réalité quotidienne que doivent affronter la plupart des participants 83 ». Des personnels d’insertion et de probation ayant animé des groupes relèvent, eux aussi, la force de la « parole des pairs » : « Je pense que certaines choses peuvent être entendues uniquement si elles sont dites par des pairs. Nous incarnons la Justice, nous avons un travail, nous sommes assis dans un fauteuil, nous n’avons pas froid l’hiver. La parole de ceux qui ont connu la galère, ont été SDF, ont été incarcérés, ont vécu des drames invraisemblables, aura beaucoup plus de valeur à leurs yeux. Ils sont très directs, ils ne se font pas de cadeau, ce que nous ne nous permettons pas forcément. » Certains estiment également que le groupe permet d’éviter des écueils « tels que le moralisme ou l’intrusion », qu’ils estiment pouvoir difficilement éviter en tant que professionnels : « Quoi que nous fassions, nous incarnons la Justice et sommes inscrits de ce fait dans une relation particulière. Lorsque nous nous positionnons fortement en tant que “Justice”, il me semble que nous renforçons leurs représentations, c’est contre-productif. Si nous sommes au contraire dans une position de silence sur le passage à l’acte, cela les conforte dans la minimisation ou la toute-puissance 84. » L’arrivée de ces « programmes de prévention de la récidive » a néanmoins suscité nombre de critiques, certains professionnels et observateurs estimant que ce type de pratiques relève d’une prise en charge thérapeutique et qu’un groupe de parole doit être animé par un psychologue. Le « référentiel PPR » diffusé par la DAP indique à cet égard que « la pédagogie utilisée est à visée éducative et d’inspiration cognitivo-comportementale : cognitive parce qu’elle vise à faire prendre conscience aux participants de l’écart existant entre leurs pensées et la réalité ; comportementale en ce qu’elle recherche une modification du comportement par l’apprentissage et non par l’exploration des causes profondes, comme en thérapie 85 ». L’utilisation de méthodes d’inspiration cognitivo-comportementale pose plus de difficultés en France pour des personnels de probation que dans d’autres pays, dans lesquels les agents sont véritablement formés en criminologie et mieux exercés à l’interdisciplinarité. Il apparaît néanmoins que les groupes de parole développés en France sont très éloignés de véritables programmes cognitivo-comportementaux développés dans de nombreux pays occidentaux, qui comportent un nombre de séances beaucoup plus élevé (vingt-cinq à quatre-vingts séances de deux heures), selon un déroulé conçu par des chercheurs, sur la base de connaissances scientifiques, et ne comportant pas seulement des espaces de parole, mais aussi des temps de formation à des techniques de « résolution de conflits », « prévention des rechutes », « compétences en communication », « renforcement de la motivation », « gestion de la colère »… toutes choses inexistantes dans les PPR. Ces programmes sont évalués sur la base d’une comparaison entre un groupe témoin n’ayant pas participé au programme et un groupe l’ayant suivi. L’analyse se poursuit pendant au moins un an après le programme, au terme duquel les effets sur la récidive et la vie des personnes sont mesurés. Le déroulement des

83. 84. 85.

B. VOGELVANG, propos recueillis in S. DINDO, Sursis avec mise à l’épreuve, op. cit. Propos recueillis in S. DINDO, Sursis avec mise à l’épreuve, op. cit. DAP/PMJ/M. Pajoni-A. Robin, Référentiel « Programme de prévention de la récidive », 2010.


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séances est précisément élaboré et l’ensemble du programme structuré, un manuel d’utilisation détaillé est proposé comme support aux animateurs, avec tous les outils et matériaux à utiliser, les références théoriques à connaître… À titre d’exemple, le programme « Raisonnement et réadaptation » (R & R) est l’un des programmes correctionnels d’origine canadienne dont l’usage s’est le plus répandu de par le monde (États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni…). Élaboré par les chercheurs Ross et Fabiano, il se découpe en trente-cinq séances de deux heures, conçues pour des groupes de quatre à dix participants, réunis de deux à quatre fois par semaine. Les séances portent sur l’apprentissage des techniques de résolution des problèmes, l’acquisition de compétences et d’outils pour être mieux à même de réagir autrement dans toute une série de situations (avec notamment des séances sur l’affirmation de soi, l’apprentissage de la négociation, la maîtrise de la colère et de l’émotion). « Le succès du programme repose en partie sur le choix d’une gamme de techniques d’enseignement qui créent une atmosphère agréable pour les participants. Les formateurs mettent à profit les jeux de rôle, la rétroaction filmée sur bandevidéo, l’apprentissage par imitation, les discussions en groupe, les jeux et la revue des travaux pratiques exécutés en dehors des cours 86. » Le programme « R & R » a été conçu de manière suffisamment méthodique et pédagogique pour pouvoir être dispensé par la plupart des professionnels chargés du suivi des personnes sous main de justice, dotés d’un « guide du formateur ». « On trouve une longue description du programme d’enseignement lui-même dans un Guide du formateur, dont les annexes contiennent tous les documents pédagogiques requis (transparents, illustrations, scénarios de jeux de rôles). Les compétences et capacités à enseigner lors de chaque session sont clairement expliquées et replacées dans leur contexte à l’intention des formateurs. En outre, des instructions détaillées point par point sont fournies sur la manière dont il convient de conduire les sessions de formation, avec notamment des propositions de méthodes de présentation des cours, des commentaires, des questions et des conseils sur la conduite des débats avec les participants 87. » Les personnels d’insertion et de probation en France se sont vu, pour leur part, chargés d’élaborer eux-mêmes le contenu des PPR, sur la base d’une trame unique : « Le contenu des séances, la constitution du groupe et son fonctionnement, les outils utilisés et le bilan relèvent de la compétence des personnels d’insertion et de probation avec l’aide du psychologue régulateur PPR 88. » En outre, l’impact des PPR n’a aucunement été évalué avant leur généralisation, si bien qu’il est rigoureusement impossible, comme l’a pourtant fait la DAP dès 2007, de démontrer « la pertinence de ces programmes, initiés par le terrain, [qui] conduit à souhaiter leur développement, comme l’ont fait de nombreux services pénitentiaires étrangers 89 ». De fait, le 86.

87.

88. 89.

L. STEWART et R. ROWE, « Les problèmes d’autocontrôle chez les délinquants adultes », Compendium des programmes correctionnels efficaces, Service correctionnel du Canada, 2000. F. J. PORPORINO, « Les programmes sur les compétences cognitives », Les Délinquants usagers de drogue en prison et après libération, Conseil de l’Europe, 2000. DAP/PMJ/M. Pajoni-A. Robin, Référentiel « Programme de prévention de la récidive », 2010. DAP/PMJ, note relative au « Développement des programmes de prévention de la récidive », 16 juillet 2007.

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développement des PPR en France repose sur une expérience initiée par un SPIP, alors que la plupart des États ont, pour leur part, commencé par importer des programmes complets déjà éprouvés et validés scientifiquement dans d’autres pays. En comparaison, la méthode utilisée en France semble relever – une fois encore – d’une culture artisanale, qui s’explique principalement par l’absence de recherche appliquée en France sur les méthodes d’accompagnement des délinquants, ainsi que sur une méconnaissance de la recherche internationale, tant au niveau des décideurs politiques que des acteurs de terrain.

4. Surpopulation, programmes immobiliers et aménagements de peine Entre 2005 et 2011, le nombre moyen de personnes incarcérées est passé de 58 288 à 60 761, ce qui représente un accroissement de 4 %. Il s’agit du seul chiffre permettant de mesurer l’inflation carcérale. L’administration pénitentiaire se réfère, elle, au nombre de personnes « écrouées », auquel elle intègre les personnes placées sous surveillance électronique et en placement extérieur sans hébergement, qui devraient en principe être comptabilisées dans le milieu ouvert, les personnes n’étant pas détenues en établissement pénitentiaire. L’effectif moyen de la population écrouée a, pour sa part, connu une forte augmentation, passant de 59 360 en 2005 à 66 532 personnes en 2010, soit un accroissement de 12 %. Le taux de personnes détenues pour 100 000 habitants reste relativement stable, passant de 92,9 en 2005 à 93,4 en 2011 (au 1er janvier). Tandis que le taux de « personnes sous écrou » pour 100 000 habitants a augmenté quasiment en continu, passant de 94,4 en 2005 à 103 en 2011. Cette hausse étant intervenue dans un contexte marqué par une baisse tendancielle des flux annuels de placements sous écrou (85 540 en 2005, 82 725 en 2010, mais 90 270 en 2007), elle est la résultante d’une hausse de leur durée moyenne (8,3 mois en 2005 contre 9,7 en 2010).

D L’augmentation relativement faible de la population détenue entre 2005 et 2011

apparaît pour le moins paradoxale dans un contexte de politique pénale affichant la peine d’emprisonnement comme la seule et unique réponse à apporter à un éventail de plus en plus large de comportements, qui a eu pour effet une augmentation des condamnations à des peines de prison ferme. Elle résulte principalement d’une politique de développement des aménagements de peine, de plus en plus de condamnés purgeant une partie ou la totalité de leur peine de prison « à domicile » dotés d’un bracelet électronique, généralement sans aucune sorte d’accompagnement aux plans de la réinsertion et de la prévention de la récidive. Si cette politique gestionnaire présente l’intérêt d’éviter l’incarcération de plus en plus de personnes, elle témoigne néanmoins d’une évolution dans l’approche des aménagements de peine, mobilisés uniquement comme moyen de juguler la surpopulation carcérale : une perspective de « grâce électronique » et de simple contrôle des déplacements vient ainsi se substituer à une logique fondée sur un projet de réintégration par le biais de mesures comme la libération conditionnelle ou le placement extérieur.


Politique pénitentiaire

L’inflation carcérale et la « gestion de flux ». En juillet 2010, la Cour des comptes estimait que « l’impact des dernières réformes de la politique pénale sur la population carcérale, donc sur la capacité à la prendre en charge, ne paraît pas avoir été suffisamment anticipé par le ministère de la Justice 90 ». La critique apparaît pour le moins inappropriée. Durant la phase des travaux préparatoires au projet de loi pénitentiaire, la DAP a élaboré un document qui décrit un certain nombre des « enjeux » qu’elle assigne à la réforme. Elle chiffre globalement l’impact de la politique pénale sur l’évolution prévisible des effectifs, évoquant un « accroissement sensible » de la population écrouée « qui pourrait atteindre 80 000 personnes en 2017 », selon une actualisation d’un « exercice de prospective conduit il y a quelques années ». Elle y fait savoir également que toute prévision sur l’évolution du surpeuplement des prisons est rendue difficile par la « forte zone d’incertitude sur les modalités d’application de la politique pénale par les magistrats, et sur la prise en compte (ou non) de la surpopulation carcérale dans les décisions concernant les aménagements de peine 91 ». Le propos a le sens d’une double interpellation. Celle de l’autorité politique, appelée à tirer toutes les conséquences de ses choix en matière pénale. Celle de l’autorité judiciaire, dont il est pris acte du manque de prise en compte des conditions d’exécution des peines. Pour le moins inaccoutumées de la part de la DAP, ces prises de position ne témoignent pas seulement de son refus, dorénavant, d’endosser des critiques qu’elle estime ne pas avoir à assumer. Elles expriment aussi une conviction qui s’est peu à peu forgée en son sein : il devient impérieux, à l’avenir, qu’elle soit en mesure de « neutraliser une situation de déséquilibre structurel qui lui impose d’accueillir coûte que coûte les personnes que lui confie la société 92 ». Un impératif d’autant plus fort aux yeux de l’administration pénitentiaire que les effectifs derrière les barreaux se trouvent à un niveau critique : 60 698 détenus sont entassés en mai 2007 dans 50 207 places, au moment où le nouveau locataire de l’Élysée prend ses fonctions. Qu’il ne fait aucun doute, pour elle, qu’elle va devoir prendre en charge une population carcérale plus nombreuse : les projets de réformes du chef de l’État en matière pénale augurant d’un effet inflationniste sur le volume de la population détenue, qu’il s’agisse de l’instauration de peines plancher, de la suppression de la grâce collective estivale ou de l’absence de loi d’amnistie post scrutin présidentiel. Et ce, alors même qu’elle sait sa capacité d’accueil rester au même niveau pendant encore près de dix-huit mois : ce n’est qu’à l’horizon fin 2008-début 2009, lorsque débute la mise en service des établissements pour majeurs du programme de construction lancé en 2002, qu’elle peut disposer progressivement d’un plus grand nombre de places. La période qui s’ouvre est donc appréhendée par la DAP comme celle de tous les dangers.

D

Dans ce contexte, l’administration pénitentiaire va opter pour une stratégie à double détente. En militant activement pour qu’un nouveau programme immobilier soit lancé. Et en s’engageant résolument en faveur d’une réduction de l’effectif de la population

90. 91. 92.

COUR DES COMPTES, Le Service public pénitentiaire, op. cit. DAP, « Projet de loi pénitentiaire, Comité d’orientation, Enjeux », juillet 2007. Ibid.

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carcérale par le biais d’un recours accru aux aménagements de peine. Sur le second plan, c’est un tout autre challenge auquel l’institution est confrontée. L’administration pénitentiaire doit convaincre la Chancellerie de la nécessité d’accélérer et amplifier le déploiement des mesures d’aménagements de peine, sous peine d’embolie à brève échéance du système carcéral. Elle présente ces mesures « comme un moyen de rendre compatibles les projections d’évolution de la population pénale et les capacités d’absorption limitées du parc immobilier pénitentiaire à l’horizon 2012 », analyse la Cour des comptes 93. L’idée d’une relative « automatisation » de l’aménagement de peine en fin de parcours carcéral fait son chemin : proposée par les services de la DAP, un dispositif de « libération conditionnelle d’office » est écarté par la Chancellerie, qui lui préfère celui d’une surveillance électronique de fin de peine (SEFIP), applicable aux quatre derniers mois de certaines peines. Une telle option offre au pouvoir exécutif un double avantage : il peut garder son affichage de fermeté absolue dans la mise en œuvre de sa politique pénale, tout en pouvant se prévaloir si besoin qu’il n’a de leçon à recevoir de quiconque en matière de diversification des modes d’exécution de la peine. Ce qu’il n’a pas manqué de faire : « Il s’agit de passer du tout-carcéral à l’aménagement des peines ; seule cette majorité a commencé à inverser la culture judiciaire, en introduisant dans les textes successifs des dispositions en ce sens 94 ». La loi du 24 novembre 2009 élargira ainsi les possibilités d’aménager les courtes peines (voir chapitre 1 « Politique pénale »). Mais la logique employée devient celle d’une gestion de flux : les personnes placées sous surveillance électronique dans le cadre de la SEFIP n’ont pas besoin d’élaborer de projet avec les conseillers d’insertion et de probation, elles ne bénéficieront d’aucun accompagnement et purgeront simplement leur peine à domicile. « La maîtrise de la politique d’aménagement des peines » est devenue une « variable de gestion de l’actuelle population carcérale » qui doit « contribuer à désengorger progressivement les établissements », observe l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) 95. Entre 2005 et 2010, le nombre d’aménagements de peine accordés chaque année passe de 15 495 à 32 946, soit une augmentation de 113 %. Les octrois de semiliberté sont en hausse (passant de 4 128 à 5 531 mesures accordées, + 34 %), comme ceux de placement à l’extérieur (de 1 944 à 2 651, + 36 %). Quant au nombre d’octrois de libération conditionnelle (LC), il passe de 5 848 en 2005 à 8 167 en 2010 (+ 40 %). Les décisions de placement sous surveillance électronique (PSE) observent une ascension fulgurante (3 575 ont été accordés en 2005 contre 16 797 en 2010, + 370 %), au point de supplanter largement l’octroi des autres mesures. Le nombre de personnes suivies en libération conditionnelle reste plus important au 1er janvier 2011, avec 7 347 personnes en LC pour 5 767 sous surveillance électronique. Mais le nombre de PSE en cours devrait, lui aussi, rapidement dépasser celui des LC. 93. 94.

95.

COUR DES COMPTES, Le Service public pénitentiaire, op. cit. PHILIPPE HOUILLON (député UMP du Val-d’Oise), examen par la Commission des lois de l’Assemblée nationale de la proposition de loi n° 2753 de DOMINIQUE R AIMBOURG (député PS de Loire-Atlantique) visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire, Compte rendu n° 15, mercredi 10 novembre 2010. IGSJ, Rapport sur l’évaluation du nombre de peines d’emprisonnement ferme en attente d’exécution, mars 2009.


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L’essor des aménagements de peine a certes « permis de contenir l’augmentation de la population incarcérée », note la Cour des comptes. Pour autant, ajoute-t-elle, ce développement a eu surtout pour objet d’« absorber le surcroît des condamnations à des peines de prison sans que les condamnés soient incarcérés 96 ». Avec un certain succès. Si l’effectif des condamnés incarcérés continue d’augmenter jusqu’en 2009 (39 919 en janvier 2007, 44 279 en 2008, 46 319 en 2009), il commence à baisser à partir de 2010 (45 583 en janvier 2010, 44 842 en janvier 2011). L’évolution de la situation durant le premier semestre 2011 témoigne néanmoins d’une certaine précarité de la stratégie visant à maîtriser l’inflation carcérale à travers le seul développement du PSE. En augmentant de, respectivement, 4 182 et 6 345 personnes en l’espace de six mois, les populations détenue et écrouée se sont haussées, dans cette période, à des records historiques : 64 971 personnes détenues en juin et 73 320 personnes écrouées en juillet 2011. Si cette brusque augmentation n’a fait qu’accentuer le rythme de croissance de la population sous écrou, elle a donné un coup d’arrêt à la décrue de la population détenue obtenue à partir de 2009. Pour autant, la Chancellerie continue de se limiter à des objectifs de croissance « industrielle » de la surveillance électronique, quand bien même celle-ci ne suffirait pas à résorber la surpopulation carcérale et ne constituerait pas la mesure la plus pertinente en termes de réinsertion et de prévention de la récidive. Une nouvelle étude de la DAP est pourtant venue confirmer en 2011 que les plus faibles taux de recondamnation des sortants de prison (dans les cinq ans) concernent les libérés conditionnels (39 %) et les condamnés à une peine alternative (45 %), puis les bénéficiaires d’un aménagement de peine avec écrou dont la surveillance électronique (55 %), les taux les plus élevés concernant les libérés en fin de peine sans aménagement (63 %) 97. La libération conditionnelle, mesure incluant un accompagnement aux plans de l’insertion, des soins, de la prévention de la récidive, apparaît ainsi une fois encore plus efficiente à réintégrer les personnes condamnées dans une « vie sans délinquance » qu’une simple surveillance de leurs déplacements, ce qui rappelle que l’option initiale d’un système de LC d’office proposée par la DAP était plus pertinente que celle retenue par la Chancellerie. En réponse au rapport de la Cour des comptes de juillet 2010, le ministère de la Justice continue pour sa part d’affirmer : « Aussi ambitieux soit-il, l’objectif visant, avec les nouvelles dispositions de la loi pénitentiaire, à avoir 12 000 personnes sous surveillance électronique en 2012 est atteignable. » L’ambition semble avoir été singulièrement revue à la baisse. Une première fois en octobre 2010, comme en témoigne la réponse apportée à la question écrite d’un député : il est alors « envisagé un triplement du nombre de condamnés soumis à un placement sous surveillance électronique entre 2010 et 2014, passant de 4 489 placements sous surveillance électronique (PSE) à 12 635 98 ». Puis une seconde fois, en juin 2011, dans le cadre de la réponse du gouvernement français au Comité contre la torture (Committee against torture, CAT) de l’ONU. Il est désormais fait référence à des objectifs de PSE de 6 009 96. 97.

98.

COUR DES COMPTES, Le Service public pénitentiaire, op. cit. A. KENSEY, A. BENAOUDA, « Les risques de récidive des sortants de prison. Une nouvelle évaluation », Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, DAP/PMJ5, mai 2011. Réponse du gouvernement à la question n° 82091 de M. Pierre Morel-A-L’Huissier, JO du 19 octobre 2010.

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en janvier 2012, 6 458 en janvier 2013 et 6 900 en janvier 2014 99, ce qui équivaut à une réduction de moitié des objectifs initiaux. Immobilier pénitentiaire : un parc étendu et reconfiguré. C’est sur la base de projections alarmistes produites par ses services qu’en 1987 le ministre de la Justice, Albin Chalandon, avait obtenu le lancement du programme de construction de 13 000 places de prison : le nombre de détenus « a toutes les chances d’augmenter encore dans les années qui viennent. On estime qu’il pourrait atteindre les 65 000 à 70 000 vers 1990 100 ». En réalité, 45 000 détenus furent dénombrés dans les prisons françaises à cette date. Ce qui n’empêcha pas l’un de ses successeurs, Pierre Méhaignerie, d’affirmer un septennat plus tard : « Selon un modèle statistique dont les prévisions ne se sont pas démenties depuis 1981, il devrait y avoir 70 000 détenus en France au début du siècle 101. » Ils étaient 51 441, l’échéance arrivée. Mais le subterfuge aura justifié cette fois le programme de construction de 4 000 places. Qu’importe le procédé, dès lors qu’il a déjà permis à l’institution de voir ses exigences immobilières portées sur les fonts baptismaux par le Parlement, il importe d’y recourir de nouveau. Ce qui va se révéler une nouvelle fois efficace. Le 22 juin 2009, dans son discours au Congrès de Versailles, Nicolas Sarkozy annonce sa décision d’accroître de 5 000 places le parc carcéral. L’administration pénitentiaire sait alors pouvoir disposer d’un volume de 68 000 places de détention en 2017. Dans son nouveau programme immobilier présenté le 5 mai 2011, la Chancellerie annonce cette fois un objectif de 70 000 pour 2018, ce qui reviendrait quasiment à un doublement du parc carcéral en trente ans (36 615 places en 1990) 102. Si toute projection concernant l’effectif de détenus présente nécessairement un caractère hypothétique, on pourrait supposer les prévisions de l’administration en termes de capacité d’accueil être moins aléatoires. Il n’en est rien. Dans un document interne, l’administration pénitentiaire projette un volume de 59 207 places pour le 1er janvier 2012 et 60 420 au 1er janvier 2013 103, qui diffère sensiblement des diverses annonces officielles réalisées, qu’il s’agisse des 63 000 places opérationnelles mentionnées dans l’exposé des motifs du projet de loi pénitentiaire, ou des 64 500 places opérationnelles évoquées par la « mission RGPP » (révision générale des politiques publiques). Le simple nombre de créations de places au travers du programme « 13 200 » est sujet à fluctuation : tandis que la Cour des comptes pointe du doigt le fait qu’il « prévoit en réalité la création de 13 393 places », le ministère de la Justice fait état de 14 000 places dans les données indexées au projet de loi de finances 2011.

D L’imprécision qui caractérise la dimension immobilière de l’activité pénitentiaire

s’accompagne d’un déficit flagrant d’information. Ainsi, force est de constater le silence entourant le retard pris par le programme de construction issu de la loi 99.

100. 101. 102.

103.

Réponse du gouvernement français aux questions prioritaires du CAT dans ses observations finales en date du 10 mai 2010, 9 juin 2011. Courrier de la Chancellerie, n° 54, 1987. Témoignage chrétien, 18 mars 1994. MINISTÈRE DE LA JUSTICE, « Le nouveau programme immobilier pénitentiaire », Dossier de presse, 5 mai 2011. DAP, Tableau de bord du 30 juin 2011.


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d’orientation et de programmation pour la Justice de 2002. Alors qu’il était censé s’achever en 2007, une grande partie des places initialement prévues (6 000 environ) seront mises en service postérieurement à 2011, sans certitude pour la moitié d’entre elles d’une ouverture intervenant avant 2013, voire 2014. En définitive, seuls six établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) auront été livrés en temps et en heure. Un tel retard ne peut qu’être interrogé dès lors qu’une littérature abondante avait présenté le « recours à des procédures de construction innovantes » – tels les contrats en maîtrise d’ouvrage publique ou les partenariats public-privé – comme l’unique moyen d’accélérer les délais de livraison. Ce choix de « moyens d’investissement inédits » avait été assorti de la promesse d’une « réalisation en cinq ans 104 ». L’absence d’explication officielle ne semble avoir d’autre raison que de maintenir le voile sur un certain nombre de modifications substantielles. Ainsi, la dimension initiale des établissements a été revue à la hausse en cours de programme. Alors que celuici devait « privilégier la construction d’établissements de taille humaine » dotés d’une capacité, pour la plupart d’entre eux, de 400 à 600 places, huit des neuf centres pénitentiaires ouverts entre 2008 et 2010 ont été mis en service avec une capacité nettement augmentée, à l’instar du centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan. Initialement prévu pour accueillir 400 détenus, il a ouvert ses portes en décembre 2008 avec 690 places. Ce changement de cap s’est traduit par de multiples révisions du cahier des charges des nouveaux établissements : afin d’augmenter leur capacité d’accueil, des cellules initialement prévues pour une personne ont été doublées, et des cellules pour deux ont été triplées, au gré de simples transformations de l’équipement et sans agrandissement de la surface des cellules. Sans compter les pénalités dues par l’État aux entreprises privées du fait de ces modifications contractuelles, dont le montant n’a jamais été rendu public. Les mêmes atermoiements sont observables pour ce qui est des plans de fermeture d’établissements vétustes. Présentés comme la contrepartie des constructions nouvelles engagées, leur effectivité se révèle largement indexée à la situation de surpeuplement en détention. « On notera que l’ouverture des nouveaux établissements devait entraîner la fermeture d’établissements existants. Cependant, la surpopulation carcérale a conduit l’administration pénitentiaire à maintenir en fonctionnement plusieurs de ces établissements dans l’attente de l’ouverture des établissements du programme de 13 200 places 105 », est-il déjà constaté en 2004, avec à l’appui l’exemple du centre de détention de Liancourt. Sa fermeture a été annoncée dans le rapport d’activité 2000 de l’administration pénitentiaire. Le nouveau centre pénitentiaire, sis sur la même commune, est bien sorti de terre en février 2004 mais l’ancien site est encore en service dix ans après. Promise derechef en mars 2010 par la ministre de la Justice, sa fermeture devrait intervenir cette fois « d’ici 2017 ». Le même processus est constaté aujourd’hui. Le cas de « vingt-cinq sites » devant « absolument être fermés d’ici 2012 106 » avait été signalé en juillet 2007, cette perspective étant élargie en 2009 104. 105.

106.

VALÉRIE PÉCRESSE, Commission des lois, 10 octobre 2002, PLF 2003. Assemblée nationale, PIERRE ALBERTINI, Rapport sur la justice, Commission des finances, 13 octobre 2004, PLF 2005. DAP, « Projet de loi pénitentiaire, Comité d’orientation, Enjeux », juillet 2007.

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à quatre-vingt-six fermetures à échéance de 2015. Le 18 janvier 2010, dans le cadre d’une conférence de presse sur sa politique pénitentiaire, la garde des Sceaux de l’époque, Michèle Alliot-Marie, annonce qu’elle a « réduit ce chiffre à une soixantaine », avant de faire savoir quelques mois plus tard, le 28 juillet, à l’occasion d’une communication sur son « plan de modernisation des prisons françaises », que quarante-cinq établissements seront finalement concernés par des fermetures, celles-ci devant intervenir « majoritairement entre mi-2015 et 2017 107 ». Évoquant le « nouveau programme immobilier pénitentiaire », son successeur, Michel Mercier, a, quant à lui, annoncé le 5 mai 2011 « le maintien et la rénovation de quinze établissements supplémentaires par rapport aux annonces de juillet 2010, soit 2 042 places », confirmant néanmoins la « fermeture de trente-six établissements 108 ». Ces valses-hésitations laissent perplexe et ne contribuent pas à dissiper un certain scepticisme quant à la réalité du paysage carcéral dépeint par la Chancellerie à l’horizon 2018 : un paysage « moderne », présentant en toile de fond un parc pénitentiaire de 70 000 places dont la plupart des établissements dits vétustes auront disparu. Impacts sur la surpopulation. L’effectif des détenus en « surnombre », qui s’obtient en calculant la différence entre le nombre de personnes incarcérées et le nombre de places opérationnelles, connaît d’importantes variations, diminuant quasiment de moitié entre janvier 2005 et janvier 2011 (8 135 contre 4 185), tout en atteignant des sommets historiques certaines années (10 383 en 2008, 10 255 en 2009). Il a finalement doublé au cours du premier semestre 2011, s’élevant à 8 645 en juillet 2011. C’est ainsi que, dans un contexte tel que celui de l’affaire Pornic (janvier 2011), qui a entraîné des instructions du ministère de la Justice de mettre à exécution immédiatement l’ensemble des peines en attente, la politique de développement du PSE conjuguée à une augmentation du parc apparaît limitée à agir durablement sur la surpopulation carcérale. Il aura suffi d’une affaire surmédiatisée pour que la surpopulation revienne à son niveau de 2004-2005. Certains bémols doivent en outre être apportés concernant les modes de calcul utilisés par l’administration pénitentiaire pour évaluer la surpopulation carcérale. La DAP fait état mensuellement d’une moyenne nationale de densité carcérale, rapportant le nombre total de personnes incarcérées à celui des places opérationnelles, sans rendre publiques les données concernant les densités par lieux de détention. Seul ce niveau d’information permet pourtant d’appréhender l’exacte mesure de la surpopulation, du fait d’une importante disparité des situations. Au 1er juin 2011, soit au moment même où la population détenue a atteint son niveau record avec un effectif de 64 971 personnes, le taux de suroccupation national s’affichait ainsi à 115,8 %. Mais il s’élevait en moyenne à 130,4 % dans les maisons d’arrêt et quartiers maisons d’arrêt, à 96,2 % dans les centres de détention et quartiers centre de détention, et à 79,5 % dans les maisons centrales et quartiers maisons centrales. Jusqu’en 2008, d’importantes disparités pouvaient également être observées entre établissements à gestion mixte (semi-privée) et établissements en régie directe (publics). En effet, les contrats passés avec les

107. 108.

Réponse publiée au JO le 19 octobre 2010, question n° 82091 de M. Pierre Morel-A-L’Huissier. MINISTÈRE DE LA JUSTICE, Le Nouveau Programme immobilier pénitentiaire, 5 mai 2011.


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entrepreneurs privés prévoyaient des pénalités pour l’administration pénitentiaire en cas de taux d’occupation excédant 120 %, ce qui favorisait une limitation des affectations dans les établissements à gestion mixte et une suroccupation des prisons publiques. Les surcoûts étaient tels, indique la DAP en juillet 2007, que « ce type d’établissement a longtemps fonctionné dans un quasi régime de numerus clausus. Ce sont les établissements en régie directe qui ont supporté l’essentiel de la surpopulation. Nul ne sait si cette situation perdurera avec l’augmentation de la population pénale à laquelle nous sommes confrontés 109 ». Un an plus tard, le directeur, Claude d’Harcourt, annonce que cette clause a été supprimée dans les contrats passés avec le secteur privé : « Dans le passé, les prisons gérées par le secteur privé se voyaient imposer des clauses financières pénalisantes lorsque le taux de surpopulation dépassait 120 %. Pour l’éviter, tout le surplus était pris en charge par les prisons du secteur public. Nous avons supprimé cette clause et la surpopulation est maintenant répartie plus équitablement 110. » La situation au 1er juin 2011 variait également selon les régions pénitentiaires, avec un écart important entre celle qui présentait la densité la plus faible (Bordeaux, 103 %) et celle qui atteignait la densité la plus forte (Paris, 146,4 %). Le contraste peut être tout aussi soutenu au sein d’une même catégorie d’établissements d’une région, telle celle de Rennes, avec une densité moyenne de 145,9 % dans les maisons d’arrêt et de 112,8 % dans les quartiers maison d’arrêt. Là où le quartier maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Rennes était en sous-occupation (55 détenus pour 65 places), la maison d’arrêt de La-Roche-sur-Yon hébergeait deux fois et demi plus de détenus qu’elle n’avait de places (100 détenus pour 40 places).

D La manière dont l’administration pénitentiaire calcule la capacité opérationnelle,

à savoir le nombre de places de prison dont elle dispose, peut également être contestée, dans la mesure où il pourrait être considéré qu’une cellule devrait équivaloir à une place, dans une perspective d’encellulement individuel reportée à plusieurs reprises par le législateur. Depuis une note du 3 mars 1988, le calcul du nombre de « places » se réfère ainsi à la superficie de la cellule : il y a « une place » dans une cellule de « moins de 11 m2 », « deux places » dans une cellule de « 11 à 14 m2 inclus », « trois places » dans une cellule de « 14 à 19 m2 inclus », etc. Jusqu’à une surface de « plus de 94 m2 inclus », qui correspond à un dortoir de « vingt places ». « La capacité opérationnelle d’un établissement n’équivaut pas au nombre des cellules. Elle lui est supérieure. Elle sous-estime, par conséquent, la réalité de la densité carcérale », note le sénateur Jean-René Lecerf, qui relève à juste titre que le mode de calcul utilisé par l’administration témoigne d’un « renoncement de fait au principe de l’encellulement individuel 111. » C’est sur ces bases que l’administration a en effet abordé la discussion parlementaire du projet de loi pénitentiaire. Il ressort des documents préparatoires qu’elle prévoit de disposer en 2012 d’un parc de 63 000 places correspondant à un nombre de 54 750 cellules, parmi lesquelles 17 % de cellules collectives, soit 29 % des places. 109. 110. 111.

DAP, « Projet de loi pénitentiaire, Comité d’orientation, Enjeux », op. cit. C. D’HARCOURT, « Le système pénitentiaire est-il réformable ? », loc. cit. J.-R. LECERF, « Projet de loi pénitentiaire, rapport au nom de la Commission des lois du Sénat », op. cit.

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Les données concernant le nombre de détenus en cellule individuelle ou collective existent, mais se révèlent rarement communiquées. Sollicité à ce sujet par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, le directeur de l’administration pénitentiaire répond en juillet 2010 : « À l’heure actuelle, 40 % des personnes détenues occupent seules une cellule dite cellule individuelle », ajoutant « pour information, 73 % des personnes détenues sont placées dans des cellules dites cellules individuelles 112 ». Alors même que les prisons françaises comptaient 62 113 détenus à cette date, il découle des proportions fournies par le DAP que 24 846 d’entre eux disposaient d’une cellule individuelle, 20 497 occupaient à plusieurs des cellules individuelles et 16 770 des cellules collectives. Autrement dit, 60 % des détenus ne disposaient pas d’une cellule individuelle.

D À plusieurs reprises, les pouvoirs publics ont annoncé une adéquation à brève

échéance du nombre de places, voire de cellules, avec l’effectif de détenus. En juillet 2008, la garde des Sceaux, Rachida Dati, affirme que l’« exigence » du principe de l’encellulement individuel des détenus sera satisfaite « en 2012 à l’achèvement du programme de construction de 13 200 places lancé par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 113 ». La même antienne reste de vigueur dans la bouche de Michèle Alliot-Marie un an plus tard, mais il s’agit cette fois de faire coïncider le nombre de places avec celui des détenus : « En 2012, grâce au plan décidé par le gouvernement en 2002, nous aurons le nombre de places correspondant au nombre de détenus 114. » Dans sa réponse au Comité contre la torture (CAT) de l’ONU en juin 2011, le gouvernement situe désormais cette échéance postérieurement à l’année 2014, tablant tout à la fois sur une population hébergée de « 61 659 personnes au 1er janvier 2014 » et un « nombre total de places d’hébergement d’environ 62 000 d’ici 2015 115 ». Dans un document interne, la DAP situe ce moment au 1er janvier 2015, date à laquelle elle estime devoir prendre en charge une population détenue de 61 562 personnes tout en disposant de 62 155 places mises en service 116. Outre que le respect de tels objectifs s’avère incertain, ils montrent d’ores et déjà que les pouvoirs publics ne visent pas le respect de l’encellulement individuel fixé par la loi du 24 novembre 2009 à échéance de cinq ans, soit novembre 2014. « Soyez assurés que je ferai le maximum pour respecter ce qui est décidé par le Parlement », déclarait Michèle Alliot-Marie le 13 octobre 2009 au Sénat, renforçant son engagement en ajoutant un indicateur portant sur le « nombre de détenus par cellule ». Un an plus tard, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, l’objectif de l’encellulement individuel s’avère déjà reporté à 2017 : « Il s’agit d’un nouvel indicateur introduit au présent projet annuel de performance. L’administration pénitentiaire entend se mettre en situation de répondre aux exigences de la loi pénitentiaire avec la 112.

113. 114. 115.

116.

Lettre du directeur de l’administration pénitentiaire, Jean-Amédée Lathoud, au président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, Jean-Luc Warsmann, 29 juillet 2010. MINISTÈRE DE LA JUSTICE, projet de loi pénitentiaire, exposé des motifs, 23 juillet 2008. Interview de Michelle Alliot-Marie sur RMC Info et BFM TV, 9 octobre 2009. Réponse du gouvernement français aux questions prioritaires du CAT dans ses observations finales en date du 10 mai 2010, 9 juin 2011. DAP, Tableau de bord du 30 juin 2011.


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prévision d’un encellulement individuel réalisé en 2017 117. » Il faut dire que l’institution pénitentiaire est toujours parvenue à s’exonérer de l’obligation de respecter un tel principe, établi dans le code de procédure pénale dès… 1875. D’abord, en jouissant, depuis cette époque, de la latitude d’y déroger au titre de la distribution intérieure des locaux de détention et de leur « encombrement temporaire ». Ensuite, en bénéficiant d’une échéance de trois ans pour tirer toutes les conséquences de la suppression de ces dérogations votée par le Parlement dans le cadre de la loi du 15 juin 2000 (loi « Guigou », relative à la présomption d’innocence). Un moratoire renouvelé à l’initiative du Sénat en juin 2003, pour une période de cinq ans cette fois, alors même que le ministère de la Justice souhaitait, pour sa part, un retour pur et simple au droit antérieur. Le positionnement gouvernemental n’est alors pas sans conséquence. Il forge la conviction de l’administration pénitentiaire qu’elle n’aura pas à traduire l’exigence parlementaire dans la réalité, ce qui la conduit à écarter, à l’automne 2004, l’objectif de « parvenir à l’encellulement individuel » du projet de loi de finances pour 2005, lui privilégiant un autre indicateur, le « taux moyen d’occupation ». Le directeur de l’administration pénitentiaire en poste à l’époque de la discussion sur le projet de loi pénitentiaire viendra même justifier que l’encellulement individuel ne constitue pas un objectif à atteindre : « On peut admettre d’héberger deux détenus dans une cellule de 9 m² – certains étudiants, par exemple, ne sont pas mieux lotis –, mais encore faut-il que cette cellule ait été conçue pour cela. Ceci suppose que, par exemple, les sanitaires soient convenablement cloisonnés et que chaque détenu dispose d’un vrai lit et d’une vraie armoire. » Un point de vue doublé d’une conviction : « L’encellulement individuel pour tous ne doit plus être considéré comme l’objectif à atteindre absolument 118. » Cette doctrine trouve sa pleine traduction dans le programme de construction de « 13 200 » places, décidé en 2002. Le ministère de la Justice fait savoir en septembre 2009 que les « 10 800 places réservées à la réalisation de nouveaux établissements pénitentiaires pour majeurs » se répartissent ainsi : « 70,8 % de cellules simples et 29,2 % de cellules doubles ». Cette proportion implique que 6 300 détenus ont d’emblée vocation à partager une cellule collective. À supposer que cette répartition corresponde effectivement à celle relevée au moment de l’entrée en fonction de ces nouveaux établissements. Lors de l’ouverture de la maison d’arrêt de Corbas en mai 2009, la réalité était toute autre : les trois quartiers hommes, de 180 places chacun, se composent de 50 cellules doubles et 80 simples. Soit un taux d’encellulement individuel prévu de 44 %. En préparation de la loi pénitentiaire, l’administration use également de procédés visant à limiter les demandes de placement en cellule individuelle de la part des détenus. S’il ne fait aucun doute pour elle que le Parlement acceptera de substituer à l’équation « un détenu, une cellule » celle d’« un détenu, une place », le retard pris dans l’élaboration du texte lui impose d’agir sans attendre. En effet, le moratoire décidé en 2003 arrive à échéance le 12 juin 2008, date à partir de laquelle les prévenus seront susceptibles de faire valoir leur droit à disposer d’une cellule individuelle. Dans l’incapacité 117.

118.

Projets annuels de performance, annexe au projet de loi de finances pour 2011, mission ministérielle Justice. C. D’HARCOURT, « Le système pénitentiaire est-il réformable ? », loc. cit.

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de satisfaire aux demandes en ce sens, le ministère édicte un décret le 10 juin 2008, qui invite les prévenus souhaitant être seuls en cellule à « déposer auprès du chef d’établissement une requête pour être transféré, afin d’être placé en cellule individuelle, dans la maison d’arrêt la plus proche permettant un tel placement ». Il renverse ainsi le principe de 1875, en restaurant un système fondé sur l’encellulement collectif où l’encellulement individuel n’est envisageable que par exception à la règle et sur demande. La procédure imposée est à ce point longue et complexe que très peu pourront profiter, dans ces conditions, d’une éventuelle cellule disponible : le prévenu ayant entre-temps soit changé de statut pénal du fait de sa condamnation (ce qui le prive ipso facto de ce droit), soit été libéré. Par ailleurs, les personnes incarcérées dans l’attente d’être jugées n’ignorent rien des conséquences d’une telle demande : elle peut déboucher sur une affectation dans un établissement géographiquement éloigné de celui d’origine, leur imposant de sacrifier la proximité avec leur famille ou leur avocat. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que le Sénat ait déploré « des conditions si dissuasives à l’obtention d’un placement en cellule individuelle que le nombre de demandes est resté très limité 119 ». Le dispositif prévu par le décret consiste bel et bien à anticiper et influer sur le vote attendu dans le cadre de la loi pénitentiaire, en cherchant à convaincre le législateur que l’encellulement individuel ne correspond pas à une aspiration des personnes détenues. Qu’importe si 84 % des prévenus et 82 % des condamnés consultés lors des États généraux de la condition pénitentiaire ont affirmé leur attachement à ce que la faculté – et non l’obligation – d’être seul en cellule devienne réalité. Qu’importe si ce principe n’est rien d’autre que la traduction d’une Règle pénitentiaire européenne : « Chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus 120 ». Le sénateur Jean-René Lecerf aura pointé l’une des nombreuses contradictions de l’administration pénitentiaire : « L’encellulement individuel n’est pas seulement un moyen de garantir des conditions de détention correctes. Il permet aussi de ménager des temps de solitude propices à une réflexion sur soi-même, condition de cette “vie responsable”, désignée par les Règles pénitentiaires européennes comme “l’un des objectifs du régime de détention” 121 ».

5. L’instauration d’un contrôle extérieur des prisons D Les années 2005-2011 sont, enfin, marquées par l’arrivée du Contrôleur général

des lieux de privation de liberté (CGLPL), dont l’instauration par la loi du 30 octobre 2007 ponctue un processus engagé de longue date. En premier lieu, elle vient répondre à l’attente des Nations unies qui, le 18 décembre 2002, ont adopté un protocole 119.

120. 121.

J.-R. LECERF, « Projet de loi pénitentiaire, rapport au nom de la Commission des lois du Sénat », op. cit. Règle 18.5 des Règles pénitentiaires européennes, Conseil de l’Europe, 11 janvier 2006. J.-R. LECERF, « Projet de loi pénitentiaire, rapport au nom de la Commission des lois du Sénat », op. cit.


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facultatif à la Convention contre la torture prévoyant la création d’« un système de visites régulières, effectuées par des organismes internationaux et nationaux indépendants, sur les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants 122 ». En deuxième lieu, elle signifie l’intégration, dans la législation française, d’un principe posé par le Parlement européen depuis 1998 123 et rappelé dans les Règles pénitentiaires européennes de 2006 124. En troisième lieu, elle satisfait tout à la fois à la revendication posée en juin 1999 par un grand nombre d’acteurs du monde carcéral à l’appel de l’OIP 125, et aux recommandations formulées en mars 2000 par le groupe de travail sur l’« amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires 126 » créé en conséquence. L’arrivée du CGLPL a mis un terme à une décennie d’atermoiements des pouvoirs publics qui, après avoir longtemps repoussé l’échéance, avaient opté en 2006 pour un élargissement du mandat du Médiateur de la République. Une perspective interrompue par l’engagement pris en janvier 2007 par l’ensemble des candidats à la présidentielle en faveur de l’instauration d’un dispositif spécifique de contrôle des prisons dans le cadre des États généraux de la condition pénitentiaire 127, et notamment du futur président Nicolas Sarkozy. La nomination au poste de Contrôleur général, le 13 juin 2008, du vice-président de la section du contentieux au Conseil d’État – JeanMarie Delarue – a achevé ce processus, suscitant l’approbation unanime des associations de défense des droits de l’homme qui avaient constaté sa pugnacité à la tête de la Commission nationale de suivi de la détention provisoire depuis 2002. Mandat et moyens. Aux termes d’un projet de loi largement amendé par le Parlement, le CGLPL a reçu pour mandat « de contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux 128 », ce qui équivaut à lui assigner un très large champ de compétence, englobant un ensemble de 4 896 lieux de privation de liberté, et non pas seulement les 191 établissements pénitentiaires 129. Force est de constater que les moyens qui lui ont été alloués ne correspondent pas à cette ambition. En effet, les effectifs dont dispose le Contrôleur général demeurent relativement modestes, le dispositif se résumant à quatorze contrôleurs à temps plein, seize contrôleurs à temps 122.

123.

124.

125. 126. 127.

128. 129.

Ce protocole a été signé en 2005 par la France mais la ratification à proprement parler n’a été effective qu’au travers de la loi n° 2008-739 du 28 juillet 2008 autorisant l’approbation du protocole facultatif. PARLEMENT EUROPÉEN, Résolution sur les conditions carcérales dans l’Union européenne : aménagements et peines de substitution, 17 décembre 1998. Règle 93.1 : « Les conditions de détention et la manière dont les détenus sont traités doivent être contrôlées par un ou des organes indépendants, dont les conclusions doivent être rendues publiques. » OIP, Campagne pour un contrôle extérieur des prisons, 16 juin 1999. G. CANIVET, Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, op. cit. OIP, « États généraux de la condition pénitentiaire : l’engagement sur parole », Dedans dehors, n° 58-59, janvier 2007. Article 1 de la loi du 30 octobre 2007. À l’instar du dispositif proposé par Guy Canivet.

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partiel et sept personnes en charge de la dimension administrative 130. Cependant, la loi d’octobre 2007 a doté le CGLPL de prérogatives fortes. Outre le statut d’autorité administrative indépendante 131, il s’est vu conférer la double possibilité de se rendre à tout moment (y compris la nuit et le week-end) dans tous lieux où des personnes sont privées de liberté, par le biais de visites programmées ou inopinées, et de mener toutes les investigations qu’il estime nécessaires à la suite de saisines directes, notamment par courrier. Par ailleurs, le Contrôleur général a la faculté de donner une large publicité à ses travaux, au travers de la publication des rapports de visite, recommandations et avis qu’il produit ou du rapport d’activité qu’il remet chaque année au Président de la République et au Parlement. En l’espace d’un peu plus de deux années (septembre 2008-décembre 2010), le CGLPL a d’ores et déjà visité près de la moitié des établissements pénitentiaires, 93 sites ayant été investis par une équipe de contrôleurs pour une durée moyenne de cinq jours. Il a eu à connaître, au travers du courrier, de la situation de 2 201 personnes privées de liberté dont 1 317 pour l’année 2010 : 91,4 % concernent les prisons, 80,3 % émanent directement des personnes privées de liberté 132. Si moins de la moitié (43) des constats et préconisations issus de ses visites ont été rendus publics, nombre des observations et analyses réalisées dans ce cadre ont été intégrées à ses trois premiers rapports annuels. La publication des rapports de visite dans un délai de plus de dixhuit mois constitue néanmoins une donnée de l’action du Contrôleur général. Ce délai a pour effet, d’une part, de différer la publicité des observations effectuées et, d’autre part, de rendre publiques des informations devenues pour certaines caduques, des modifications ayant pu intervenir dans ce laps de temps 133. Dès sa nomination, Jean-Marie Delarue a exposé la manière dont il envisageait de mener son action : « J’ai pour mission de vérifier que chaque personne qui n’est pas libre est traitée avec dignité 134 », soit, en d’autres termes, « s’assurer que les droits intangibles inhérents à la dignité humaine sont respectés, qu’un juste équilibre entre le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté et les considérations d’ordre public et de sécurité est établi, mais aussi et surtout prévenir toute violation de leurs droits fondamentaux ». Pour le Contrôleur, il s’agit de s’attacher au traitement subi par les personnes détenues, « mais aussi aux conditions de travail des personnels et des différents intervenants en ce qu’elles impactent nécessairement le fonctionnement de l’établissement et la nature des relations avec les personnes pri130. 131.

132.

133.

134.

Données de référence pour 2010, rapport d’activités du CGLPL. Ce qui signifie tout à la fois qu’il ne reçoit d’instructions d’aucune autorité et qu’il ne peut être poursuivi à raison des opinions qu’il émet ou des actes qu’il accomplit dans l’exercice de ses fonctions. Principaux motifs de saisine du 1er juillet 2008 au 31 décembre 2010 : l’affectation au sein d’un établissement ou le transfert, l’accès aux soins, les conditions matérielles de détention (hébergement, restauration, hygiène, cantine…), le maintien des liens familiaux et les relations avec l’extérieur, l’accès au travail, aux formations et aux activités, la préparation à la sortie et l’aménagement des peines. En date du 31 juillet 2011, le dernier rapport relatif aux établissements pénitentiaires publié sur le site du CGLPL concerne la visite de l’EPM d’Orvault réalisée en novembre 2009. Éditorial de Jean-Marie Delarue sur le site du CGLPL, 15 septembre 2008.


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vées de liberté 135 ». Quant à la démarche de son intervention, il l’a explicitée quelques mois plus tard, en marge de la publication de sa première recommandation, relative à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône : « J’encourage les contrôleurs à se comporter comme des ethnologues, à être descriptifs et froids », s’employant à rendre leur mission la plus objective possible 136. Une administration sur la défensive. Cette recommandation du 24 décembre 2008 a été l’occasion du premier raidissement du côté de l’administration pénitentiaire face au positionnement du Contrôleur général. En janvier 2009, dans le cadre de l’inauguration de la prison de Roanne, le Premier ministre, François Fillon, est apostrophé en ces termes par le directeur de Villefranche : « Les personnels souhaitaient, à l’instar de nombreux pays, la création d’un contrôleur général. Il y avait donc de fortes attentes. Après le temps de l’espoir, ce fut celui de la déception, de la démobilisation. Nous attendons un contrôle nouveau, autre qu’un contrôle sanction. » Après cet épisode, les motifs de crispations vont se multiplier. Notamment autour de la création, par l’administration pénitentiaire, d’« un tableau nominatif national comportant le nom du détenu auteur de la saisine [du CGLPL], le motif de la saisine et la réponse apportée par la direction au contrôleur général », dont il s’émeut dans son premier rapport annuel, en même temps qu’il déplore « que les noms des personnes entendues par les contrôleurs, qu’elles appartiennent aux agents de l’établissement ou relèvent de l’état de privation de liberté, sont soigneusement relevés » à l’occasion de ses visites. D’où sa crainte que le « contrôle institué en 2007 » ne cesse « rapidement, faute d’être alimenté par des correspondances que les détenus n’oseraient plus écrire 137 ». En réponse, le directeur de l’administration pénitentiaire, se disant « surpris à la fois par les insinuations et la méthode », rétorquera : « Vous savez l’importance que nous attachons depuis l’origine à un suivi rigoureux de vos préconisations, dès lors que nous les considérons recevables […]. Que les noms apparaissent dans un tableau n’est rien d’autre que le meilleur moyen de retrouver le dossier dont il s’agit. » Dans son deuxième rapport annuel, Jean-Marie Delarue relate : « Interrogée sur ce point en 2009, la direction de l’administration pénitentiaire a clairement indiqué qu’elle ne renoncerait pas à cette pratique, qu’elle estime nécessaire pour assurer la régularité des réponses au contrôle général 138. » Cette passe d’armes sera soldée par l’insertion, dans la loi pénitentiaire, d’une disposition (article 4) rappelant que « la possibilité de contrôler et de retenir les correspondances prévue par l’article 40 [de la loi] ne s’applique pas aux correspondances échangées entre le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et les personnes détenues ». Quel impact sur les politiques et pratiques ? Sur les suites réservées par les pouvoirs publics aux travaux du CGLPL, il apparaît qu’« une étude de l’administration pénitentiaire faite au début de 2009 estimait à 82 % les recommandations suivies d’effet ». Un pourcentage « trop nettement optimiste », selon Jean-Marie Delarue, « qui ne saurait 135. 136.

137. 138.

<www.cglpl.fr/missions-et-actions/sa-mission>. É. CAILLEAU, « Le contrôleur des prisons offre une photographie du monde pénitentiaire », L’Express, 7 janvier 2009. CGLPL, rapport annuel, année 2008. CGLPL, rapport annuel, année 2009.

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se contenter de l’énoncé de nouvelles règles ou de nouvelles manières de faire » tant « la difficulté en matière de droits de l’homme n’est pas leur proclamation, mais leur effective application 139 ». Il ressort de son rapport de 2010 que les réponses du ministère de la Justice énumèrent les « changements intervenus depuis la visite des contrôleurs » et les « engagements pris pour remédier à la situation décrite sans que ceux-ci soient toujours accompagnés d’échéancier ou de justifications » et « font parfois état de l’impossibilité de donner une suite favorable à des recommandations soit pour des raisons « matérielles », soit en raison d’un désaccord sur leur opportunité même ». « On peut gager », analyse le Contrôleur, « que les mesures sans coût excessif, ou celles qui ne mettent pas en cause – pour l’administration – la sécurité, ou encore celles qui sont jugées acceptables sans doute par la majorité des personnels, ne seront pas très difficiles à faire appliquer. Toutes celles qui ont un effet opposé seront naturellement plus difficiles à faire accepter. » Il s’avère en effet que certaines des recommandations du CGLPL impliqueraient de véritables changements culturels et une nouvelle conception de la prison. Ainsi, des « prisons qu’on construit aujourd’hui », le Contrôleur général note qu’elles « ont gagné en confort : on vante la présence de douches et d’eau chaude dans les cellules », mais aussi « qu’on n’a pas lésiné sur le nombre de détenus. On n’a pas davantage mesuré le béton, y compris pour les cours de promenade, sans arbres ni bancs. On n’a pas été avare de sécurité : on a multiplié les séparations entre quartiers ; on a réduit le plus possible les occasions de contact entre personnels et détenus ». Ajoutant : « Surtout, la base de la vie carcérale n’a pas changé. On ne doit, dès lors, pas s’étonner que, dans ces nouvelles maisons d’arrêt ou centres de détention, l’agressivité monte et, avec elle, la violence 140. » Plus généralement, le Contrôleur général s’emploie à montrer que la prison « ne reconstruit pas, elle déconstruit, en infantilisant, en privant non seulement le détenu de sa liberté d’aller et de venir, mais aussi de sa liberté de choisir », tant « l’autonomie est réduite à peu de chose ». Et, de fait, s’interroge-t-il : « La prison assure sa mission de sécurité durant le temps de sa peine : peu d’évasions (mais beaucoup de souffrance en interne). Elle n’assure pas le retour dans la société d’auteurs d’infractions en capacité de reprendre une vie sociale « normale ». La « réinsertion » (ou l’insertion) se fait avec un peu de SPIP, avec quelques associations, essentiellement à la force du poignet. Mais quelle force reste-t-il aux détenus libérés ? » Soulignant les « efforts entrepris », notamment au travers de l’affirmation d’un rattachement aux Règles pénitentiaires européennes ou de certaines dispositions de la loi pénitentiaire, le Contrôleur général ajoute : « Les visites effectuées montrent que ces évolutions sont encore loin d’avoir transformé le quotidien pénitentiaire ». Pour lui, « la prison doit encore changer 141 ». L’avenir menacé du contrôle extérieur. De rapports de visites en rapports annuels, Jean-Marie Delarue dresse un « portrait de la France captive » de plus en plus précis, correspondant jour après jour davantage à une nécessité mise en évidence par Guy Canivet : « Le contrôle extérieur des prisons s’impose donc, pour s’assurer que sont 139.

J.-M. DELARUE, « Du contrôleur général des lieux de privation de liberté et de ce qu’il en advient », Cahiers de la sécurité, n° 12, avril-juin 2010.

140. 141.

J.-M. DELARUE, « Du contrôleur général des lieux de privation de liberté… », loc. cit. J.-M. DELARUE, « Prisons et relations carcérales », Études, décembre 2010.


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respectés les droits des détenus et donnés à l’administration pénitentiaire les moyens d’une telle politique 142. » Après plus de deux années d’activités, il a d’ores et déjà profondément marqué le paysage carcéral français, reprenant le flambeau de la critique institutionnelle porté par les commissions d’enquête parlementaire en 2000, puis par la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). L’avenir du CGLPL est pourtant incertain. Les âpres débats législatifs relatifs à la loi organique créant le Défenseur des droits ont certes permis, après moult rebondissements, d’écarter l’hypothèse d’une absorption immédiate du Contrôleur général par cette nouvelle instance, la volonté des députés en ce sens s’étant heurtée à un refus catégorique des sénateurs. Le gouvernement ne dissimule qu’imparfaitement l’ambiguïté de ses intentions quant à la pérennité du dispositif à l’issue du mandat de Jean-Marie Delarue, qui s’achèvera en juin 2014. Il a ainsi fait savoir, en novembre 2010, qu’il ne « voit aucune objection de principe » à ce que le Contrôleur général fasse l’objet d’une « intégration au sein de la nouvelle autorité ». À condition que celle-ci intervienne « après 2014 », Jean-Marie Delarue « effectuant sa mission à la satisfaction de tous 143 ». Il n’est pas certain qu’une telle perspective ne soit pas remise à l’ordre du jour à mesure que se rapprochera cette échéance, malgré un double constat dressé par le ministre de la Justice lui-même. En premier lieu, « la mission du Contrôleur présente un certain nombre de particularités : il procède à des contrôles et à des vérifications indépendamment de tout fait signalé ou de tout litige alors que le défenseur jouera plutôt un rôle d’intermédiation dans un litige en cours 144 ». En second lieu, la compétence d’un Défenseur des droits appelé à conjuguer des missions de médiation et de contrôle, de natures très différentes, aboutirait à une configuration qui « pourrait s’avérer contreproductive » puisque « l’efficacité de l’action du défenseur ne serait que difficilement garantie dans certains domaines d’intervention marqués par une technicité particulière 145 ». Jean-Marie Delarue ne dit rien d’autre quand il affirme : « La manière dont le Défenseur des droits entre dans la réalité est le dysfonctionnement. Celle du Contrôleur est le fonctionnement. Le Défenseur constate une désorganisation ; le Contrôleur, une organisation. Le premier s’intéresse surtout à la lésion ; le second s’intéresse, comme il n’a cessé de l’écrire dans ses précédents rapports, autant aux personnels qu’aux personnes privées de liberté, aux conditions de travail comme aux conditions d’existence, parce qu’en matière de prévention d’atteintes aux droits fondamentaux, elles sont indissolublement liées. Ce n’est donc qu’au prix de l’oubli de ces considérations que l’on a pu imaginer que les deux organismes, dès lors qu’ils concernaient tous les deux les libertés publiques, pouvaient être rapprochés sans encombre. Or, précisément, en matière de libertés publiques ou de droits fondamentaux, ce n’est pas ce qu’elle (ou il) peut avoir de vague socle commun qui compte, c’est son point d’application précis auquel il faut veiller. Sinon, on est voué aux généralités faussement protectrices, comme savent le faire un certain nombre d’États 146. »

142. 143. 144. 145. 146.

G. CANIVET, Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, op. cit. ASSEMBLÉE NATIONALE, Commission des lois, compte rendu de la séance du 30 novembre 2010. Ibid. Projet de loi instituant un Défenseur des droits, étude d’impact, septembre 2009. CGLPL, rapport annuel, année 2010.

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