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RENDEZ-VOUS

Jean-Pierre Vigato En son domaine enchanté

Par Claire Bonnot Photos Thierry Bouët

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Chef étoilé aux commandes du mythique «Apicius» pendant vingt ans et, désormais de «Disciples» à Paris, Jean-Pierre Vigato aime emprunter des chemins de traverse à la poursuite du bonheur dans le cœur et dans l’assiette. Celui qui dit donner les clés de son cœur lorsqu’il donne celles de sa champêtre demeure nous embarque dans sa joyeuse vie à la campagne. Famille, amis et bons produits au menu!

«J’ai besoin d’être dans cette cuisine. Je cuisine presque plus à la campagne que dans mon restaurant où je suis entouré d’une équipe formidable. J’ai franchi le cap du métier, je crois, et c’est maintenant une détente pour moi, un moment de zénitude, une activité que je fais sans contrainte aucune.» Depuis des années, le chef Jean-Pierre Vigato a pris ses quartiers de campagne en Sologne. Cet épicurien, travaillant à Paris, gourmand de la vie, de la bonne chère et de belles tablées en famille ou entre amis, a trouvé là, un coin de paradis. «C’est un lieu de villégiature et de rencontres pas trop loin de Paris, et facile d’accès avec toute une “faune” particulièrement agréable : je retrouve, sur les terres de Sologne, d’autres passionnés de chasse et de golf.» Après avoir vécu ses moments d’escapade dans une première maison en location sur ce même territoire hors du temps qu’est la Sologne, le cuisinier étoilé a cherché à devenir propriétaire, il y a huit ans. Un coup de foudre. Quoi d’autre pour cet amoureux de la vie, qui cuisine comme il respire, tout en sensibilité… Le voilà alors engagé à écrire la nouvelle histoire d’un havre de paix bien connu des alentours, où tous les voisins des Desjardins — anciens propriétaires au nom prédestiné — venaient chasser et se retrouver : «C’est une ravissante propriété de trente hectares entre étangs et grands chênes entourés d’herbes folles, collée au village. On entend le clocher, on va chercher le pain à pied ou à vélo, on profite de sortir la décapotable sur les jolies routes de campagne. Des poneys, des poules et même un canard sauvage, qu’elles ont fini par adopter, viennent compléter ce tableau d’une famille heureuse à la campagne.» Né citadin, à ConflansSainte-Honorine, dans les Yvelines, Jean-Pierre Vigato a vite pris goût à la vie bucolique et… à la cuisine. L’un ne va pas sans l’autre pour ce magicien des saveurs qui a conservé, de cette initiation d’enfance, l’amour des choses simples : «J’ai passé toute une partie de mes jeunes années chez mes grands-parents dans le Pas-de-Calais, un pays magnifique et très vert. J’y ai eu mes premières émotions de chasse, en regardant faire mon grand-père, et mes premières émotions de cuisine, en humant les plats de ma grand-mère.» Un attrait pour le bon que JeanPierre Vigato a contracté au cœur d’une maison de famille située en plein champ, celle de ses grands-parents : «Gamin,

Amoureux des choses simples, le chef cuisinier cueille les ingrédients pour son dîner dans son potager. The Chef loves simple things, like cooking with ingredients picked straight from his vegetable garden.

j’étais tout le temps fourré là où il y avait de l’activité et en particulier dans la cuisine où ma grand-mère préparait le repas. Ça me vient de là. Ça vient toujours de quelque part, la cuisine. Et puis, à l’époque, il n’y avait pas Top Chef pour s’identifier… Quand il était l’heure de passer à table, on sentait le plat dans toute la maison, les parfums allant nous chercher jusque dans le jardin. On ne se faisait pas prier pour venir mettre les pieds sous la table. Il y avait un plat pour toute la famille et c’était un vrai moment convivial. J’ai le souvenir que l’on mangeait très bien avec des produits simples.» Une vocation était née, guidée par ce je-ne-sais-quoi d’authenticité qui façonne les grandes destinées. Impossible — au grand désespoir de sa mère qui l’imaginait dans d’autres sphères avec ses notes de bon élève, — de faire changer d’avis ce gamin qui avait des étoiles plein les yeux en songeant aux confitures de sa grand-mère — «sa madeleine de Proust» — qu’il pourrait, un jour, égaler. Devenu apprenti, à l’âge de quatorze ans et demi, il y apprend l’école de la vie : «Au début, j’ai regretté amèrement mon choix, car les conditions de travail étaient très rudes, surtout il y a cinquante ans, mais je ne voulais pas revenir en arrière, car je m’étais battu pour quitter la maison.» Sans que sa passion première ne s’émousse pour autant. Le grand chef, fort de ses plus de cinquante ans de métier, est reconnaissant d’avoir eu accès à ces deux essentiels du métier : savoir organiser une cuisine, pour la marche d’un grand restaurant, et avoir plaisir à cuisiner. Une bonne recette, ingurgitée dans la marmite des plus grands établissements — Le Moulin d’Orgeval, l’école Ferrandi, Le Moniage Guillaume, Charlot 1er Les Merveilles des Mers, Chez Albert, Charlot Roi des Coquillages —, qui lui a permis de créer un grand restaurant à son image : Apicius, une étoile Michelin, où il officiera pendant vingt ans de 1984 à 2004, coqueluche du Tout-Paris gourmet et raffiné. Ce sont ces ingrédients qu’il délivre aujourd’hui à ses «jeunes» qui s’affairent dans sa nouvelle adresse, la bien nommée «Disciples» : «En étant apprenti de cuisine, je n’ai pas appris à cuisiner, mais à être un cuisinier. Ça m’a formé, m’a permis de travailler dans ce milieu professionnel difficile, mais je n’ai jamais aimé être cuisinier. J’ai, par contre, toujours aimé cuisiner. Ce n’est pas la même

« J’AI UN BESOIN DE NATURE. JE N’AIME PAS LES ENDROITS DÉSHUMANISÉS. EN SOLOGNE, JE CUISINE EN INVENTANT MES RECETTES À L’INSTINCT, EN FONCTION DES PRODUITS DE SAISON. »

chose. Et cela, c’est à ma grand-mère que je le dois. Elle m’a transmis un secret primordial : quand je goûte quelque chose, je sais instantanément si c’est bon ou pas!» Le naturel est un ingrédient indispensable chez le maestro Vigato. Il l’a fait grandir, il le fait vivre, il l’inspire. «J’ai un besoin de nature, je n’aime pas les endroits déshumanisés. Chez Disciples, on a mis des plantes et des fleurs un peu partout sur la terrasse. Dans mon appartement à Paris, j’ai fait aménager une grande terrasse où des arbres côtoient les fleurs. Et en Sologne, je ne rate jamais une occasion de bucheronner puis je cuisine en inventant mes recettes à l’instinct, en fonction des produits de saison.» Son fournisseur de recettes? Le potager en permaculture de «la fée» des lieux, sa femme Agnès. «Tout y est naturel. Chaque espèce est protégée par une autre, et l’on y fait pousser des tomates, des asperges, des pommes de terre ou des haricots verts.» Quand il débarque, «pratiquement toutes les semaines», Jean-Pierre Vigato va faire un tour au marché. Les beaux produits, il en

Cuisiner est la première chose à laquelle il s’attelle une fois arrivé. Cooking is the first thing he does when he gets here.

Qu’il hume ou qu’il goûte, Jean-Pierre Vigato sait toujours quand la cuisine est bonne. By smell or by taste, Jean-Pierre Vigato always knows when the food is good.

raffole et en fait profiter ses invités : «C’est une maladie. Que je sois tout seul ou avec des copains à la maison, je ne peux m’empêcher de prendre 500 grammes de girolles au marché.» Il cuisinera, à la volée, un bout de dîner délicieux pour ses hôtes bienheureux, devant cette grande baie vitrée donnant sur les étangs de la propriété et qui le plonge chaque fois un peu plus dans le bonheur d’une vie à la campagne. Surtout lorsqu’il contemple sa femme y pratiquer son yoga matinal. Si la maison est son doux refuge — «feu dans la cheminée, petit verre à la main et la musique qui va bien» — elle est aussi une bâtisse familiale incroyablement conviviale pour ses enfants et petits-enfants. À l’image de ce passionné qu’il est, toujours aux fourneaux pour transmettre à ses «disciples» une certaine culture de la cuisine, celle concoctée aux petits oignons dans un bel esprit de famille!

Disciples, 136 boulevard Murat, 75016 Paris

Jean-Pierre Vigato In his enchanted estate

As a Michelin-starred chef who worked at the legendary Apicius restaurant for 20 years before moving to his current position at Disciples in Paris, Jean-Pierre Vigato likes to blaze his own trail in his pursuit of happiness in his heart and on his plate. He says that he gives his heart away when he hands over the keys to his bucolic residence, and has agreed to take us with him to discover his joyful life in the countryside. Expect a menu of family, friends, and exceptional produce!

« I NEED NATURE, I DON’T LIKE DEHUMANIZED PLACES. IN SOLOGNE, I START COOKING, INVENTING RECIPES BY FOLLOWING MY INSTINCT AND USING SEASONAL PRODUCE. »

“I need to be in this kitchen. I almost cook more in the countryside than in my restaurant, where I’m surrounded by an incredible team. I think I have gone beyond my profession, and now it is a way to relax, a moment of calm, and activity that I do with total freedom.” For many years, chef Jean-Pierre Vigato has had a country residence in Sologne. This hedonist who lives life to the full is a true foodie who loves nothing more than excellent meals shared with family and friends. He currently works in Paris, but has found a slice of paradise in this rural setting. “This is a vacation spot where people come together. It’s not too far from Paris and is easily accessible, with a particularly enjoyable ‘fauna’ – by which I mean other fans of golf and hunting, whom I regularly find in Sologne.” After first escaping to the country with a rented house in the same timeless setting of Sologne, the Michelin-starred chef then started looking for a property to buy eight years ago. It was love at first sight, which is hardly surprising for this bon vivant who cooks like he breathes – with trademark sensitivity. After this purchase, he began writing the story of an oasis of calm whose reputation is well-known in the area, where the neighbors of the Desjardins family – the aptly-named former owners – used meet up and hunt together: “It’s a gorgeous estate spanning 75 acres of ponds and huge oaks surrounded by wild grasses right next to the village. You can hear the bell ringing, you can walk or bike to buy bread, and the pretty country roads are ideal for trips in the cabriolet. Ponies, chickens, and even a wild duck who has been adopted by the others, all complete this picture of a happy family in the countryside.” Born as a city-dweller in ConflansSainte-Honorine in the Yvelines near Paris, Jean-Pierre Vigato quickly developed a taste for rural living – and cooking. For this master of flavors, the two are inseparable, and he has kept this love of simple things from his childhood: “I spent a large part of my youth at my grandparents’ home in Pas-de-Calais, a magnificent, green region. This is where I had my first experiences of hunting, watching my grandfather, and my first experiences of cooking while drinking in the aromas of my grandmothers’ meals.” This passion for good food came from his grandparents’ family home nestled in the fields. “As a kid, I could always be found wherever there was something happening, especially in the kitchen where my grandmother would be cooking. That’s where I get it from. Cooking always comes from somewhere. And back then, there was nothing like Top Chef to show you the way… When it was time for dinner, you could smell the food throughout the house. The aromas would come all the way out to the garden. We didn’t need telling twice! There would be a dish for the whole family and it was a real moment of sharing. I remember that we ate so well with simple products.” This was the beginning of a vocation, driven by that je-ne-sais-quoi of authenticity that forges great destinies. Much to the despair of his mother, who had dreamed of him entering other sectors with his good grades at school, this boy couldn’t think of doing anything else. He had stars in his eyes when thinking of his grandmother’s homemade jams – his “Proustian madeleine” – which he dreamed of one day recreating. After becoming an apprentice at the age of 14 and a half, he started to learn the ropes: “At the start, I bitterly regretted my decision, as the working conditions were very difficult, especially 50 years ago, but I didn’t want to go back because I had to fight to leave home.” His founding passion stayed as strong as ever. The great chef, backed by more than half a century in the profession, is grateful to have had access to two essential tools in the trade: knowing how to organize a kitchen in order to run a leading restaurant, and taking pleasure in cooking. This winning recipe was simmered for years in the pots and pans of the biggest eateries – Le Moulin d’Orgeval, the Ferrandi School, Le Moniage Guillaume, Charlot 1er Les Merveilles des Mers, Chez Albert, Charlot Roi des Coquillages — which all enabled him to launch his own prestigious restaurant in his image: the Michelinstarred Apicius, where he worked for 20 years from 1984 to 2004 as the culinary darling of the gourmet, sophisticated Parisian smart set. These are the ingredients he is now passing down to his “young people” working at his new restaurant, the aptly-named Disciples. “As an apprentice in the kitchens, I didn’t learn how to cook, I learned to be a cook. It trained me, enabled me to work in a harsh professional environment, but I never liked being a cook. However, I have always loved cooking. It’s not the same thing! And I have my grandmother to thank for that. She handed down an essential secret: whenever I taste something, I immediately know if it’s good or not!” Being natural is a must-have part of Master Vigato’s repertoire. It has helped him grow, given him life, and inspired him. “I need nature, I don’t like dehumanized places. At Disciples, we have put plants and flowers all over the terrace. In my apartment in Paris, I have built a large terrace with trees and flowers. And in Sologne, I never miss a chance to chop wood, after which I start cooking, inventing recipes by following my instinct and using seasonal produce.” But where does he get his recipes from? The permaculture vegetable garden managed by the resident “fairy,” his wife Agnès. “Everything there is natural. Each species is protected by another, and we grow tomatoes, asparagus, potatoes, and green beans.” When he comes to the house, “almost every week,” Jean-Pierre Vigato will visit the local market. He delights in all the excellent produce – and so do his guests! “It’s a sickness! Whether I’m on my own or with friends at home, I can’t help but buy 500g of girolle mushrooms at the market.” He then gets to work cooking up a delicious dinner for his happy guests in front of the vast window overlooking the estate’s ponds, which always immerses him a little more in the joys of life in the countryside. Especially when he watches his wife doing her morning yoga. While the house is a gentle refuge – “a fire roaring in the hearth, a glass of something, and a bit of music” – it is also an incredibly welcoming family abode for his children and grandchildren. Entirely in keeping with this passionate artisan who is always on hand in the kitchen to pass down a certain culinary culture to his “disciples,” one lovingly crafted with family in mind!

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