15 minute read
La salle d’opéra du futur
Ruth Mackenzie Directeur artistique du Théâtre du Châtelet
Pourquoi construire l’opéra du futur ?
Advertisement
Dans une enquête récente, plus de 5 000 personnes aux États-Unis ont été invitées à répondre à la question « Qu’est-ce que la culture ? “. Leurs premiers choix étaient : la nourriture et les boissons —quand on y pense, c’est la façon la plus populaire dont la majorité des gens font l’expérience des cultures du monde. Ils ont ensuite choisi les événements locaux de quartier, les événements à caractère social comme le Mois de l’histoire des Noirs ou des événements culturels populaires comme le cinéma. En bas de la liste se trouvaient les salles d’opéras, avec les salles de concert traditionnelles et les théâtres. Si nous voulons avoir des opéras dans le futur, nous devons créer des salles d’opéras du futur, et elles doivent faire mieux qu’être en bas de la liste.
Pour qui ?
Je travaille dans un magnifique opéra construit en 1862, dans le centre riche de Paris, et nous essayons d’attirer des publics divers venant des quartiers les plus pauvres de la ville. Le magnifique Théâtre du Châtelet (‘Châtelet’ signifie petit palais) est-il un avantage ou un inconvénient ?
Les gens (Les citoyennes et citoyens) Si nous disions que l’opéra doit être axé sur la demande, que nous devions suivre les besoins des divers publics que nous essayons de servir, quel type de bâtiment aurions-nous et où serait-il ? Peut-être ne serait-il pas au centre de la ville, mais près des gens que nous voulons servir ? Peut-être que ce serait un bâtiment ouvert et attrayant pour toutes sortes de personnes ? Il serait centré sur les gens et répondrait aux besoins de toutes sortes de citoyens.
Les artistes Bien sûr, l’autre aspect d’un bâtiment axé sur la demande serait de servir non seulement le public, mais aussi les artistes. Personne ne viendra à la salle d’opéra, aussi ouvert et conviviale soit-elle, si elle ne sert pas également les artistes les meilleurs et les plus passionnants. Nous
devons construire une salle d’opéra dans lequel les plus meilleurs nouveaux artistes puissent partager leur travail avec de nouveaux publics.
Le Grand Paris Et pourquoi Paris ? Une ville qui regorge de salles d’opéra du passé ? Pour une raison simple : Paris est aussi une ville d’innovation et de réinvention, une ville où architectes et artistes, révolutionnaires et activistes ont régulièrement réinventé la ville. En 2024, Paris accueille les Jeux olympiques et paralympiques, avec une vision radicale du ‘Grand Paris’ à partager avec le monde, un nouveau Paris qui unit les banlieues pauvres au centre historique, qui apporte un renouveau économique et social aux communautés les plus pauvres, comme le département de Seine Saint-Denis, avec la population la plus jeune, la plus diverse et la plus pauvre de Paris et où plus de 50 % des événements olympiques seront organisés. Paris 2024 est l’occasion de construire le Paris du futur, et la Seine Saint-Denis, avec un passé et un présent culturels dynamiques, est l’endroit parfait pour construire l’opéra du futur. C’est le défi que nous avons proposé à 11 étudiants en dernière année à l’École d’architecture de Yale dont la renommée est internationale.
Le topo
• Centré sur les gens – pour les personnes qui ne vont pas normalement à l’opéra • Guidé par l’artiste – pour que les artistes créent les opéras du futur • Créer un ‘pop-up’ opéra qui pourrait prendre place dans un lieu intérieur ou extérieur en Seine Saint-Denis, qui soit proche des communautés de Seine Saint-Denis, et qui pourrait tourner dans d’autres sites à Paris, à New Haven, et autour du monde. • Créer quelque chose de beau et de convivial, d’original et de pratique
Les questions
Les personnes De fait, ces jeunes architectes venant du monde entier, qui n’ont pas nécessairement une grande expérience de l’opéra, sont très bien placés pour regarder une salle d’opéra du point de vue des personnes que nous voulons servir. Ils peuvent faire preuve d’empathie envers les personnes qui ont besoin de voir des signes clairs que la salle d’opéra leur est ouverte. Ils peuvent imaginer ce qui rend un bâtiment ouvert, accessible, convivial. Ils peuvent penser aux sortes de nourritures et boissons, par exemple, qui pourraient signaler que c’est un bâtiment destiné à un public varié — devrait-il y avoir un restaurant ou seulement des foodtrucks ? Dans le cas où il y aurait des cafés ou des bars, comment ceux-ci peuvent-ils être liés aux communautés locales ? Est-il nécessaire d’avoir un service de restauration s’il existe déjà des cafés et des bars locaux ? Plus généralement, par quels moyens peut-on permettre aux gens de s’approprier le pop-up opéra ? Quels héritages peut-on laisser aux gens après le départ de la salle d’opéra ?
Les artistes Chaque artiste se soucie de sa relation avec le public et tous se posent des questions techniques sur la manière de faire vivre au public une expérience de la plus haute qualité —les lignes de vue, la qualité du son, la capacité à éclairer et à ajouter une dimension visuelle, surtout la flexibilité de modifier la relation entre les artistes et le public en termes de scène et de sièges, voire de ne pas avoir de sièges pour des raisons artistiques. Mais ils se soucient également de leur vision et de la nécessité de la partager dans les meilleures conditions possibles. Ils font toujours pression pour que les bâtiments leur donnent plus de flexibilité, plus de choix, plus de possibilités d’inventer de nouvelles façons de travailler. Tout comme les architectes, ils ne peuvent pas voir dans le futur, mais ils veulent un bâtiment qui soit à l’épreuve du temps, qui puisse accueillir les possibilités technologiques au fur et à mesure qu’elles sont inventées, par exemple.
Paris Comme l’a fait remarquer l’un des étudiants, Paris a une grande histoire de bâtiments temporaires révolutionnaires — la Tour Eiffel étant peutêtre l’exemple le plus réussi d’un bâtiment temporaire qui est devenu non seulement un bâtiment permanent, mais aussi un symbole mondialement connu de l’esprit d’innovation et de la beauté de sa ville. La barre est déjà haute pour les pop-ups opéras du futur en Seine Saint-Denis pour créer de nouveaux symboles, tout aussi surprenants, beaux et populaires. Le moment est venu de montrer au monde entier, à Paris 2024, un nouveau Paris, plus grand, plus diversifié, une ville mondiale au sein du C21 partageant les problèmes et les solutions aux défis mondiaux de l’inégalité et du changement climatique
Collectivité et COVID Pour le public comme pour les artistes, l’expérience collective est au cœur de tout bâtiment où se déroule un spectacle— la façon dont la musique, par exemple, unit les artistes et le public, transforme les individus en un collectif qui fait l’expérience d’une œuvre d’art ensemble, qui, dans le meilleur des cas, crée une mémoire collective, qui peut donner du plaisir, provoquer, inspirer, voire changer les gens. Lorsque le confinement a commencé à Paris et à New Haven où les étudiants étudiaient, la réalité de l’expérience collective en personne a disparu. Les questions posées par les étudiants sur la taille des pop-ups opéras ont anticipé le débat dans les opéras du monde entier sur la façon de survivre après le confinement. Au niveau pratique et technique, les étudiants n’ont pas pu intégrer toutes les réflexions en pleine évolution sur la façon dont les salles d’opéra existantes pourraient servir les artistes et le public, mais la réflexion créative et originale qu’ils avaient menée autour de l’opéra du futur, pour une approche flexible, pop-up et agile, est devenue d’autant plus pertinente.
Alors que les villes confinées nous ont donné des exemples pratiques de la manière dont nous pouvons améliorer les niveaux de pollution atmosphérique, rééquilibrer le rôle de la nature dans nos villes, intervenir plus positivement en termes de changement climatique, l’importance de cet agenda pour les nouveaux bâtiments comme nos salles d’opéra est devenue d’autant plus passionnante. Au niveau des valeurs et des principes, il est apparu d’autant plus clairement que le COVID a également mis en lumière les inégalités de notre société et notamment la manière dont les opéras actuels reflètent, voire renforcent, ces inégalités. Alors que le mouvement Black Lives Matter secoue en particulier le monde anglophone, mais pas seulement, il est devenu évident que le racisme institutionnel dans les institutions culturelles établies devait changer. En Seine Saint-Denis, le nombre de morts dû au COVID est incroyablement plus élevé que celui des quartiers riches de Paris, la souffrance de ses communautés diverses et défavorisées n’en étant que plus grande. Le besoin de soutien artistique et culturel en ces temps difficiles est bien sûr énorme : les sociétés se sont toujours tournées vers les artistes pour les aider à comprendre les problèmes auxquels elles sont confrontées, pour les aider à construire un avenir meilleur. Le besoin de l’opéra du futur est donc d’autant plus urgent, et la nécessité de créer quelque chose qui puisse aider à construire ce futur meilleur est d’autant plus importante.
Les architectes
J’ai beaucoup appris sur la créativité et la générosité des architectes à travers ce projet, sur leur double rôle d’artistes créateurs et de créateurs de visions urbaines, sociales et politiques sous forme de bâtiments. J’ai mieux compris le défi de créer des bâtiments dont la mission n’est pas seulement d’être beaux, pratiques, et de servir leurs utilisateurs (les artistes et le public), mais aussi de créer de nouveaux exemples de la façon dont une nouvelle société plus verte et plus juste peut fonctionner, de créer les icônes d’un avenir meilleur.
Les étudiants de la place Seine-Saint-Denis The students at the Seine-Saint-Denis plaza
Quelle est la prochaine étape ?
Le processus a été inspirant. Les résultats sont magnifiques et suscitent la réflexion. Les architectes nous ont-ils montré les icônes d’un avenir meilleur, d’un nouveau Grand Paris ? Seul l’avenir nous le dira.
Ruth Mackenzie Artistic Director of the Théâtre du Châtelet
WHY BUILD THE OPERA HOUSE OF THE FUTURE?
In a recent survey, over 5,000 people in the US were asked to answer the question “what is culture? “. Their top choices were food and drink – and when you think about it, this is the most popular way most people experience cultures of the world. Their next choices included local neighborhood events, socially motivated events such as Black History Month, or popular cultural events such as cinema. Bottom of the list were Opera Houses, with traditional concert halls and theatres close to bottom. If we want to have opera houses in the future, we need to create opera houses of the future, and they have to do better than being bottom of the list.
WHO FOR?
I work in a magnificent opera house built in 1862, in the wealthy center of Paris, and we try to attract diverse audiences from the poorest districts of the city. Is the magnificent Theatre du Chatelet (“Chatelet” means a small palace) an advantage or disadvantage?
The people (the Citoyennes and citoyens) If we said the opera house should be demand-led, that we should follow the needs of the diverse audiences we are trying to serve, what sort of building would we have and where would it be? Maybe it would not be in the center of town, but close to the people we aim to serve? Maybe it would be a building which was open and attractive to all sorts of people? It would be people-centered and meet the needs of all sorts of citizens.
The artists Of course, a demand-led building should serve not just the audiences but also the artists. Nobody will come to the opera house of the future, however open and friendly, if it does not also serve the best and most exciting artists. We need to build an opera house in which the best new artists can share their work with new audiences.
The Greater Paris And why Paris? A city which is so full of opera houses of the past? A simple reason, that Paris is also a city of innovation and re-invention – a city where architects and artists, revolutionaries and activists have regularly re-invented the city. And in 2024, Paris hosts the Olympic and Paralympic Games, with a radical vision of ‘le grand Paris‘ to share with the world, a new Paris that unites the poor suburbs with the historic center, which brings economic and social renewal to the poorest communities, such as the district of Seine Saint Denis, with the youngest, most diverse, poorest population of Paris and with over 50% of the Olympic events due to be staged there. Paris 2024 is the chance to build a Paris for the future, and Seine St Denis, with a dynamic cultural past and present, is the perfect place to build the opera house of the future. This was the challenge we offered to 11 final year students in Yale’s world-famous School of Architecture and Urban Design.
THE BRIEF
• People centered – for people who do not normally go to opera houses • Artist led – for artists to create the operas of the future • To create a “pop up” opera house which could sit in an indoor or outdoor site in Seine Saint Denis, close to the communities of
Seine Saint Denis, and which could tour to other sites in Paris, in
New Haven, round the world. • To create something beautiful and friendly, original, and practical.
THE QUESTIONS
People In fact, young architects from all over the world, not necessarily with much experience of opera, are very well placed to look at an opera house from the point of view of the people we wanted to serve. They
could empathize with people who needed to see clear signs the opera house was open to them. They could imagine what makes a building open, accessible, friendly. They could think of what sort of food and drink, for example, might signal that it was a building for a diverse public – should it have a restaurant or just food trucks? If it had cafes or bars, how could these relate to local communities? Was it necessary to have catering if there were already local cafes and bars? More generally, what were the ways to give the ownership of the pop-up opera house to the people? What could be the legacies for the people after the opera house vanished?
Artists Every artist cares about the relationship with the audience, and they all have good technical questions about how to give the audience the highest quality of experience – so the sightlines, the quality of sound, the ability to light and to add the visual dimension, above all the flexibility to change the relationship between artists and audiences in terms of the stage and the seats, or indeed to have no seats for artistic reasons. But also, they care about their vision and the need to share the vision in the best possible conditions. They are always pushing for the buildings to give them more flexibility, more choice, more possibilities to invent new ways of working. They cannot see into the future any more than the architects can, but they want a building that is future proof, that can accommodate technological possibilities as they are invented, for example.
Paris As one of the students observed, Paris has a great history of revolutionary temporary buildings – the Eiffel Tower being perhaps the most successful example of a temporary building which became not just a permanent building but a world famous symbol of the spirit of innovation and beauty of its city.
The bar is already high for the pop-up houses of the future in Seine St Denis to create new symbols, equally surprising, equally beautiful and popular. The time is right to show the world in Paris 2024 a new Paris, larger, more diverse, a world city sharing the problems and the solutions to global challenges of inequality and climate change.
COLLECTIVITY AND COVID
Both for people and artists, the collective experience is at the heart of any building with live performance – the way that the music, for example, unites the artists and the audience, turns individuals into a collective who experience an art work together, which at its best creates a collective memory, which can give pleasure, provoke, inspire even change people. As the lockdown began in Paris and in Newhaven where the students were studying, the reality of the collective live experience disappeared. The questions posed by the students of the size of the pop-up opera houses anticipated the debate in the opera houses of the world about how to survive after lockdown. At a practical and technical level, the students could not incorporate all the fast moving thinking about how the existing opera houses could serve artists and audiences, but the creative and original thinking they had done for the opera house of the future, for a flexible, pop up, agile approach, became all the more relevant. As cities in lockdown gave us the practical examples of how we can improve levels of air pollution, re-balance the role of nature in our cities, intervene more positively in terms of climate change, the importance of this agenda for new buildings like our opera houses became all the more exciting. At the level of values and principals, it became all the clearer that COVID had also shone a light on the inequalities of our society and particularly the ways that the opera houses of the present reflected, even re-inforced, those inequalities. As Black Lives Matters shook the Anglophone world in particular, but not only, it became clear that the
institutional racism in established cultural institutions had to change. In Seine Saint Denis, the death toll from COVID was shockingly higher than the death toll in wealthier districts of Paris, the suffering of its diverse and disadvantaged communities all the greater. The need for artistic and cultural support in these challenging times is, of course, enormous: societies have always turned to artists to help understand the problems they face, to help build a better future. So, the need for the opera house of the future is even more urgent, and the need to create something which can help build that better future all the more important.
THE ARCHITECTS
I learnt a lot about the creativity and generosity of the architects on this project, about their double role as creative artists and as the creators of urban, social, and political visions in the form of buildings. I understood more about the challenge to create buildings whose job is not simply to be beautiful and practical, not simply serve the users (the artists and the public), but also to create new examples of how a new, greener, fairer society can work, to create icons of the better future.
WHAT NEXT?
The process has been inspiring. The results are beautiful and thought provoking. Have the architects shown us some icons of a better future, of a new Greater Paris? Only time will tell.
Les étudiants de la place Seine-Saint-Denis The students at the Seine-Saint-Denis plaza