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L’architecture peut-elle sauver l’opéra ?

Mary Lou Aleskie

Mary Lou Aleskie est la Howard L. Gilman ’44 directrice du Centre des arts de Hopkins à Dartmouth où elle dirige l’avancement des arts et de la créativité. Elle était auparavant la directrice exécutive du Festival international des arts et des idées basées à New Haven.

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L’opéra, souvent pensé en des termes grandioses et opulents, est fait d’échanges intimes. Pensez à tous ces duos d’une beauté déchirante. Imaginez la nostalgie, l’étreinte, le drame de la musique et le souffle des chanteurs en échange intime. Enveloppés dans les bras de leurs compagnons de scène, ces moments intenses d’humanité sont amplifiés par les forces musicales considérables de l’orchestre et du chœur et des décors et des costumes majestueux dans un théâtre somptueux. Conjointement avec un public qui anticipe chaque note, nos émotions les plus intimes nous font sentir plus vivants dans ces moments que ce qui est possible dans notre vie quotidienne. Nous sommes une salle de milliers de personnes qui respirent comme un seul homme, tandis que la beauté et la gloire du spectacle nous envahissent. Et lorsque le rideau se baisse, nous pouvons laisser derrière nous les moments enchantés d’amour et de douleur, de triomphe et de perte, et revenir à notre réalité indemne et renouvelée. Alors, quels éléments de cette forme d’art miraculeuse définissent vraiment l’opéra ? Qui se sent invité à y participer ? Si nous devons penser à un opéra du futur, quels éléments essentiels de l’expérience doivent être pris en compte ? Est-ce la qualité vocale des chanteurs ? Est-ce l’échelle imposante ? Est-ce la mise en valeur dramatique de l’histoire racontée par la musique ? Est-ce les vêtements et les bijoux des créateurs, dans le public et sur la scène ? J’ai posé ces questions de manière informelle à mes amis et collègues travaillant dans le domaine de l’opéra alors que je préparais cet essai. Il s’agissait d’un groupe mixte de professionnels : chefs d’orchestre, compositeurs, chanteurs, producteurs, metteurs en scène,

chorégraphes. Certains travaillent dans l’opéra contemporain, d’autres dans des salles d’opéra traditionnelles axées sur un répertoire familier. Les réponses étaient incroyablement réfléchies et tout le monde a répondu avec enthousiasme à la question, mais les réponses n’étaient pas cohérentes. La seule constance était une passion profonde pour cette forme d’art et une croyance universelle en son pouvoir. Pourtant, le chant de part l’intimité qu’il requiert est l’un des moyens les plus efficaces de propagation du nouveau coronavirus qui provoque une pandémie épique entraînant l’annulation, le report et la fermeture de salles d’opéra et d’institutions culturelles dans le monde entier. Beaucoup de ces grandes institutions pourraient en fait être renversées par la menace existentielle que la pandémie représente pour les normes économiques et artistiques des tournées et des grandes productions. Toutefois, la pandémie n’est peut-être pas tant une menace qu’un facteur de perturbation qui nous aide à rompre avec le passé et à saisir un nouvel avenir vital. L’opéra a survécu pendant des siècles. Il a évolué et s’est adapté comme une espèce qui réagit à son environnement pour survivre. Pendant quelques centaines d’années, nous avons conservé l’opéra dans un écrin. Peut-être est-il maintenant en train de flétrir dans ses retranchements et a-t-il besoin d’une chance de s’épanouir dans de nouveaux décors audacieux pour survivre. Les idées de design des lieux où l’opéra pourrait vivre, qui mettent l’accent sur un sentiment d’accueil pour tous, auront un rôle important dans son évolution et sa pérennité. Bien avant la pandémie, le glas de l’opéra sonnait déjà. L’image d’un public vieillissant, composé principalement de Blancs ayant les moyens de s’asseoir dans un siège évalué au prix d’un mois de nourriture pour une petite famille, jette une ombre sur ceux qui se sentent les bienvenus pour vivre les émotions et la gloire de l’opéra. Même dans les endroits où les subventions rendent l’entrée plus abordable, l’évolution démographique dans le monde, et en particulier aux États-Unis, n’a pas été reflétée sur la scène et rend donc difficile pour les nouveaux publics de se reconnaître et de retrouver leurs propres histoires dans l’œuvre.

Sans la diversité raciale et culturelle de la majorité mondiale, l’opéra est intrinsèquement affaibli, comme le sont tous les éléments de la société qui sont insulaires et homogènes. Une perspective de conception efficace pour l’opéra du futur incarnerait la promesse que l’expérience de l’opéra est disponible et accessible à tous. La programmation d’un espace réussi éliminerait les barrières culturelles, physiques et économiques en priorité afin de créer une destination attrayante qui se trouverait être une plateforme pour l’opéra. Heureusement, les compositeurs et les librettistes trouvent de nouveaux producteurs, flexibles et innovants, qui les aident à créer des œuvres sur des thèmes contemporains pour de nouveaux types d’espaces moins dépendants des grands opéras formels des XVIIIe et XIXe siècles. L’opéra peut et doit évoluer, en invitant chacun à participer à sa magnificence. L’élitisme d’exclusion qui communique « vous pourriez ne pas être à votre place ici » n’a pas sa place dans la représentation, l’expérience globale ou la structure conçue pour soutenir l’événement. Dans ce projet, nous voyons la possibilité de remplacer toute atmosphère de prétention par des liens sociaux ludiques qui rassemblent les communautés, encouragent le partage entre amis et annoncent un retour à la détente, à l’évasion et au divertissement général qui ont fait partie de la popularité de l’opéra pendant une grande partie de son existence. A son origine, l’opéra a été créé comme un divertissement pour le peuple et donc c’est au peuple qu’il doit revenir. Ma propre expérience de l’opéra est la raison pour laquelle mon cœur s’est emballé lorsque j’ai écrit la description présentée dans mon premier paragraphe. J’admets qu’elle est également alimentée par les expériences vécues au Metropolitan Opera. Lorsque les lustres se lèvent et les lumières tombent et que le chef d’orchestre arrive sur le podium pour donner le tempo, cela ne manque jamais de me remplir d’admiration et d’anticipation. À ce moment, je remercie mon grandpère dont l’amour de l’opéra était aussi intrinsèque à son existence que respirer. Il a immigré d’Italie au début du siècle, et bien qu’il ait vécu la majeure partie de sa vie à moins de 50 kilomètres du Metropolitan Opera et que cette forme d’art soit née de sa patrie et de sa culture, il n’a jamais pu ou même voulu voir un opéra en direct au Met. Le Lincoln

Center, avec son opulence moderne et le déplacement d’un quartier ouvrier culturellement diverse qu’il a provoqué, n’avait pas de place pour lui. C’est grâce aux émissions de radio du Met, où son imagination a créé le décor et où il a été confortablement emporté dans l’opéra, qu’il a été transporté, au moins pour quelques heures, de son petit appartement du New Jersey. Je me suis assis avec lui le samedi après-midi, « voyant » l’opéra à travers ses yeux pendant que nous écoutions et rêvions. L’opéra n’a jamais été étranger dans notre maison. C’est le coffret à bijoux dans lequel il vivait qui nous a permis de rester de l’autre côté de l’Hudson pendant tant d’années.

Can Architecture Save Opera?

Mary Lou Aleskie

Mary Lou Aleskie is the Director of the Hopkins Center for the Arts at Dartmouth where she leads the advancement of arts and creativity. She was formerly the Executive Director of the New Haven-based International Festival of Arts & Ideas.

Opera, often thought of in grand and opulent terms, is made of intimate exchanges. Think of all those heartbreakingly beautiful duets. Imagine the longing, the embrace, the drama of the music and breath of the singers in close exchange. Wrapped in the arms of fellow performers, these intense moments of humanity are amplified by sizable musical forces of orchestra and chorus with majestic sets and costumes encased in a grand theater. Conjoined with an audience anticipating each note, our innermost emotions make us feel more alive in these moments than is possible in our daily lives. We are a room of thousands breathing as one, as the beauty and glory of the spectacle washes over us. And when the curtain comes down, we get to leave behind the enchanted moments of love and pain, triumph, and loss, and return to our reality unscathed and renewed. So, what elements of this miraculous art form truly define opera? Who feels invited to participate? If we are to think about an opera house of the future what are the essential components of the experience that should be considered? Is it the vocal quality of the singers? Is it the grand scale? Is it the dramatic enhancement of story told through music? Is it the designer clothes and jewels, in the audience and onstage? I informally put these questions to friends and colleagues working in opera as I was preparing for this essay. It was a mixed group of professionals: conductors, composers, singers, producers, stage directors, choreographers. Some are working in contemporary opera; others in traditional opera houses focused on familiar repertoire. The responses were incredibly thoughtful and everyone enthusiastically embraced the question yet there was no consistency in the answers.

The only consistency was deep passion for the art form and universal belief in its power. Yet singing and its intimacy is one of the most effective ways to spread the novel coronavirus causing an epic pandemic resulting in worldwide cancellations, postponements and closures of opera houses and cultural institutions. Many of these large institutions may in fact be toppled by the existential threat the pandemic represents to the economic and artistic norms of touring and large productions. However, the pandemic may not be a threat as much as it is a disruptor that helps us break with the past and embrace a vital new future. Opera has survived for centuries. It has evolved and adapted like a species responding to its environment for survival. For a few hundred years we have kept opera in a jewel box. Perhaps it is now withering within its confines and needs the chance to break out into bold new settings to survive. Design ideas for the places opera might live that emphasize a sense of welcome for all will have an important role in its evolution and endurability. Long before the pandemic the death knell of opera was sounding. The image of shrinking audiences of aging, mostly white people with the means to sit in a seat valued at the price of a month’s worth of food for a small family casts a shadow over who feels welcome to the emotions and glory of experiencing opera. Even in places where subsidies make entry more affordable, changing demographics in the world and especially in the US, have not been reflected on the stage and therefore make it difficult for new audiences to see themselves and their own stories in the work. Without the racial and cultural diversity of the global majority, opera is inherently weakened as are all elements of society that are insular and homogenous. An effective design perspective for the opera house of the future would embody the promise that the opera experience is available and accessible to all. Programming of a successful space would remove cultural, physical, and economic barriers as a priority toward creating a well-loved destination that happens to be a platform for opera. Happily, composers and librettists are finding new, flexible, and innovative producers to help create works with

contemporary themes for new kinds of spaces that are less reliant on the large formal opera houses of the 18th and 19th century. Opera can and should evolve, extending an open invitation to all to be part of its magnificence. Exclusionary elitism that communicates “you might not fit in here” has no place in the performance, overall experience, or the structure designed to support the event. In this project we see the opportunity to replace any atmosphere of pretension with playful social connections that draw communities together, encourage sharing among friends and herald a return to the relaxation, escapism and general entertainment that was part of opera’s wide spread popularity for much of its existence. At its heart, opera was created as an entertainment for the people and so to the people it should return. My own early experience with live opera is why my heart soars when I wrote the description offered in my opening paragraph. I admit that it is also fueled by experiences at the Metropolitan Opera. When the chandeliers rise and the lights fall and the conductor arrives at the podium to give the downbeat, it never fails to fill me with awe and anticipation. At that moment I thank my grandfather whose love of opera was as intrinsic to his existence as breathing. He immigrated from Italy at the turn of the century, and though he lived most of his life less than 30 miles from the Metropolitan Opera and this art form was born of his homeland and culture, he never was able or even wanted to see an opera live at the Met. Lincoln Center with its modern opulence and its displacement of a diverse working-class neighborhood had no place for him. It was through Met radio broadcasts, where his imagination created the stage setting and he was comfortably swept up in the opera, that he was transported, at least for a few hours, from his small apartment in New Jersey. There I sat with him on Saturday afternoons, “seeing” the opera through his eyes as we listened and dreamed. Opera was never alien in our house. It was the jewel box it lived in that kept us on the other side of the Hudson for so many years.

Les lustres d’opéra métropolitain The Metropolitan Opera chandeliers

Le théâtre du Châtelet The Châtelet Theatre

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