dossier pédagogique saison 2012-2013
Der
ferne Franz
Schreker
Klang Opéra en trois actes Livret du compositeur Nouvelle production Création scénique en France
En deux mots Grete est le triste jeu des hommes : abandonnée par Fritz à la recherche de ce « son lointain » – son besoin d’ailleurs –, vendue ou presque par son père, convoitée par le Comte, achetée par les autres, elle ne trouve jamais l’amour auprès d’eux.
Contacts Flora Klein • tél + 33 (0)3 88 75 48 54 • courriel • fklein@onr.fr Hervé Petit • tél + 33 (0)3 88 75 48 79 • courriel • hpetit@onr.fr Opéra national du Rhin • 19 place Broglie BP 80 320 • 67008 Strasbourg Photo www.benoitpelletier-diabolus.fr
a Direction musicale Marko Letonja
Grete Graumann Helena Juntunen
Mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig
Fritz Will Hartmann
Collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel
Graumann, 2e choriste Martin Snell
Une vieille Femme, Une Espagnole Livia Budai Un Aubergiste, Un Policier Patrick Bolleire Mizi Kristina Bitenc
Costumes Thibault Vancraenenbroeck
Sa femme, La Serveuse Teresa Erbe
Lumières Marion Hewlett
Dr Vigelius, Le Baron Stephen Owen
Mary Sahara Sloan
Chœurs de l’OnR
Le Chevalier, Un Individu suspect Stanislas de Barbeyrac
Chant du baryton Jean-Gabriel Saint-Martin
Orchestre philharmonique de Strasbourg Universal Edition A.G., Vienne, 1912
Le Comte, Rudolf, un Comédien Geert Smits
STRASBOURG Opéra
ve 19 octobre 20 h di 21 octobre 15 h sa 27 octobre 20 h ma 30 octobre 20 h
MULHOUSE La Filature
ve 9 novembre 20 h di 11 novembre 15 h
Langue : allemand surtitré en français et en allemand Durée approximative : 2 h 50 (entractes compris) Conseillé à partir de 13 ans : collège et lycée
Milli Marie Cubaynes
1er choriste Mark Van Arsdale
Rencontre avec Marko Letonja et Stéphane Braunschweig animée par Mathieu Schneider Strasbourg, Opéra je 18 octobre 18 h 30 entrée libre colloque « Franz Schreker et son temps » Conférences et débats Strasbourg, Opéra et Palais Universitaire du 18 au 20 octobre plus d’infos sur www.operanationaldurhin.eu
argument Redécouvrir un compositeur, redécouvrir une œuvre L’un des plus injustement oubliés, aujourd’hui encore, des grands compositeurs que les nazis avaient classés comme « dégénérés », Franz Schreker connut pourtant un succès colossal dès son premier opéra, ce Ferne Klang où l’aspiration de l’artiste à l’idéal se voit désespérément contrariée par les bassesses de la vie humaine et ses contraintes matérielles. Ce chef-d’œuvre postromantique attendait encore une création scénique en France !
Acte I Au village où vivent Fritz et Grete Graumann, promis l’un à l’autre, les amoureux se séparent. Fritz a perçu le « son lointain » (der ferne Klang), plus fort que leur amour et qu’il doit suivre. Après son départ, Grete se confie à une vieille dame mais voilà que surgit le père de la jeune fille. Il a perdu aux quilles… et y avait mis en jeu sa propre fille. Grete qui se doit d’épouser de ce fait un aubergiste songe au suicide en se jetant dans le lac. La vielle dame l’en empêche, lui promet un bel avenir et l’invite à la suivre.
Acte II On retrouve la jeune femme à Venise, à la Casa di Maschere, établissement où elle travaille désormais, sous le nom de Greta. Mizi, Milli et quelques autres filles fument, d’autres descendent les escaliers de marbre, ou les montent… Le Comte, qui fréquente comme d’autres hommes le lieu, déclame une belle histoire pour divertir l’assemblée. Surgit le Chevalier qui renchérit et se querelle avec le Comte. Ce dernier déclare sa flamme à Greta et veut l’enlever. Elle refuse. Apparaît Fritz, accablé de dettes et de remords, fatigué et vieilli, au point que Grete ne le reconnaît pas immédiatement. Il lui raconte être revenu au village où ils s’étaient quittés pour la retrouver et l’avoir recherchée jusque-là. Elle se propose de le suivre mais, découvrant son statut, il la repousse en l’humiliant devant le Comte qui la relance. Elle accepte alors ses avances.
Acte III Dans le jardin jouxtant un théâtre, Maître Vigelius échange avec un acteur désabusé. Grete apparaît, épuisée. Elle sort du théâtre où l’on joue La Harpe, qui l’a beaucoup émue. Une dispute éclate entre Grete et un homme qui, selon elle, la prend pour une autre, une certaine Tini. Est-ce bien une autre ? On découvre le sort de Grete, que Vigelius prend sous sa protection. Il reconnaît en elle Grete Graumann. Les clients qui ont assisté à l’opéra le critiquent vivement. Grete le soutient. L’auteur de l’ouvrage tant critiqué n’est autre que Fritz, très affaibli, et Grete demande à Vigelius de l’amener jusqu’à lui. L’avocat raconte toute l’histoire de Grete, emmenée malgré elle dans toutes les turpitudes qui ont fait sa vie : son abandon, le sort promis par son père, le séjour à Venise, chez le Comte qui s’est lassé d’elle… Les amants se retrouvent. Fritz implore son pardon et exulte en pensant avoir trouvé une fin heureuse et glorieuse à son opéra, mais il pousse son dernier souffle dans les bras de Grete.
dégénéré
Venise
son lointain
postromantique
La gestation de Der ferne Klang L’histoire de cet opéra ne semble pas simple. Si elle amène Schreker au devant de la scène lyrique, l’élaboration en est longue. Embryonnaire en 1901, le livret est achevé en 1903. La composition nécessite près de dix ans. Robert Fuchs, professeur de composition de Franz Schreker, lui fait part de vives critiques et l’ouvrage est abandonné en 1903. Deux ans plus tard, il se remet au travail, stimulé semblerait-il par la création de Salomé de Richard Strauss à laquelle il assiste. Fin 1911, l’œuvre, et certainement un de ses chefs-d’œuvre, est achevée, mais attend un an avant d’être jouée, en 1912. La critique lui est favorable et en fait un nouvel espoir de l’opéra allemand. L’Histoire, liée dans l’Allemagne des années 30 à la montée du nazisme, ne l’entendra pas de cette oreille .
Franz Schreker Franz August Julius Schreker naît en 1878 à Monaco et son père photographe se voit contraint de voyager avec sa famille, notamment à Paris, Bruxelles, Pola, Vienne ou Linz. Sa mort en 1888 – le petit Franz a 10 ans – fait sombrer la famille dans la précarité. Le jeune garçon, qui dès l’âge de 14 ans donne des cours d’allemand et d’arithmétique pour gagner sa vie, étudie le hautbois, le piano, l’orgue et le violon, mais il s’avère être un musicien moyen. Il étudie et montre de bonnes prédispositions pour la composition au Conservatoire de Vienne avec le brahmsien Robert Fuchs. Il obtient son premier succès en 1908 avec une suite chorégraphique inspirée par la nouvelle d’Oscar Wilde Die Geburtstag der Infantin (L’Anniversaire de l’infante). Le même sujet l’inspirera à nouveau dix ans plus tard, à l’opéra cette fois, dans Die Gezeichneten (Les Stigmatisés). En 1912, le succès phénoménal de son opéra Der ferne Klang (Le Son lointain), salué par une critique européenne unanime, le rend célèbre du jour au lendemain ; la même année, on lui confie la succession de Fuchs au Conservatoire de Vienne. Ses opéras Die Gezeichneten (Le Tragi-comique) et Der Schatzgräber (Le Chercheur de trésor), représentés en 1918 et en 1920, imposeront son leadership sur les scènes allemandes au début de la République de Weimar, aux côtés de Richard Strauss. En 1920, il est nommé par le gouvernement social-démocrate allemand directeur du Conservatoire de Berlin, occupant ainsi, jusqu’à son éviction en 1932, le poste pédagogique le plus important de la jeune République. Sous sa direction, le Conservatoire de Berlin deviendra un centre majeur de la vie musicale européenne, comptant dans son corps enseignant des personnalités comme Paul Hindemith, Artur Schnabel, Arnold Schoenberg, Fischer, Sachs, von Hornbostel, et contribuant à la formation de musiciens comme Jascha Horenstein, Ernst Krenek ou Alois Haba. Au même moment, les orchestres de la ville sont dirigés par Erich Kleiber, Fritz Busch, Bruno Walter, Wilhelm Furtwängler ou encore Otto Klemperer. Ce dernier dirigera la première de Irrelohe en 1924 ; l’ouvrage est salué par le public, mais reçoit un accueil mitigé de la part de la critique. Il en sera de même pour Der singende Teufel (Le Diable chantant) en 1928 et Der Schmied von Gent (Le Forgeron de Gand) en 1932, dont l’insuccès sera en grande partie provoqué par l’opposition de plus en plus farouche de l’extrême droite musicale à un compositeur juif nommé à un poste officiel par un gouvernement social-démocrate. Cette opposition empêchera la création de Christophorus, composé entre 1925 et 1929, ouvrage qui ne sera finalement représenté qu’en 1978. Mis à l’écart de toute position pédagogique par le nouveau régime en 1933, qui ne manque aucune occasion de le « stigmatiser » comme « artiste dégénéré », Franz Schreker décède dans une indifférence quasi générale à près de 56 ans, en 1934.
r
Opéras ▪ Flammen : 1901-1902 ▪ Der ferne Klang (Le Son lointain) : 1903-1910 ▪ Das Spielwerk und die Prinzessin (Le Jouet et la Princesse) : 1908 / 1909-1912 ▪ Das Spielwerk (Le Jouet) : 1915 ▪ Die Gezeichneten (Les Stigmatisés) ▪ Der Schatzgräber (Le Chercheur de trésor) ▪ Irrelohe : 1919-1922 ▪ Der singende Teufel (Le Diable chantant) : 1924 / 1927-1928 ▪ Christophorus (oder Die Vision einer Oper) : 1925-1929 ▪ Der Schmied von Gent (Le Forgeron de Gand) : 1929-1932
Une autobiographie sarcastique Je suis « un document grandiose du déclin de notre culture ». Voici un extrait de l’autoportrait de Schreker, publié dans Musikblätter des Anbruch en avril 1921. Il se veut une réponse sarcastique et ironique aux violentes polémiques auxquelles le compositeur a été confronté (on l’accuse notamment de manipuler les médias et d’employer des effets faciles)… « Je suis impressionniste, expressionniste, internationaliste, futuriste, vériste musical ; juif et ayant fait son chemin grâce au pouvoir du judaïsme, chrétien et « fabriqué » par une clique catholique placée sous le patronage d’une princesse viennoise archi-catholique. Je suis artiste du son, esprit chimérique du son, magicien du son, esthète du son (…). Je suis un mélodiste du sang le plus pur, mais – bien qu’étant un musicien pur sang – je suis pourtant un harmoniste anémique et pervers ! Je suis (malheureusement) érotomane et agis de façon nuisible sur le public allemand (l’érotisme est selon les apparences mon invention la plus authentiquement personnelle, malgré Les Noces de Figaro, Don Giovanni, Carmen, Tannhäuser, Tristan, La Walkyrie, Salomé, Elektra, Le Chevalier à la rose et autres). Mais je suis aussi idéaliste (Dieu merci !) et symboliste, je me situe à l’aile la plus radicale des modernes (Schoenberg, Debussy), je ne suis pourtant pas tout à fait à gauche, je suis inoffensif dans ma musique, j’utilise des triples accords, même encore l’accord de septième diminuée totalement « trivial », je m’appuie sur Verdi, Puccini, Halévy et Meyerbeer ; je suis absolument singulier et spécule sur les instincts des masses : je suis un compositeur dramatique pour le cinéma : je suis un homme « tirant ses forces de la nostalgie et de la morbidité » ; j’écris de manière exclusivement homophone, ma musique est pure et propre (...) ; je suis « un document grandiose du déclin de notre culture », un fou, une tête calculatrice, un chef d’orchestre misérable mais aussi une personnalité de la direction d’orchestre, je suis un technicien brillant, je suis capable de ne pas diriger une fois mes œuvres (et je les dirige constamment) ; je suis en tout cas un « phénomène », je suis en outre un mauvais poète mais un bon musicien (…), ma musique jaillit de ma poésie, ma poésie de ma musique, je suis un antipode de (Hans) Pfitzner, le seul successeur de (Richard) Wagner, un concurrent de (Richard) Strauss et de (Giacomo) Puccini, je flatte le public, j’écris seulement pour fâcher tout le monde et ai eu récemment l’idée d’émigrer vraiment au Pérou. Ce que – pour l’amour du ciel – je ne suis pas ? Je n’ai (encore) pas déraillé, je n’ai pas la folie des grandeurs, je ne suis pas aigri, je ne suis pas un ascète, un gâcheur ou un dilettante et je n’ai jamais encore écrit de critique. » Extrait du programme de concert Franz Schreker, Théâtre des Champs-Elysées, 11 octobre 2009
Der ferne Klang Vers 1900, Schreker pense déjà à un opéra qui ne reposerait pas seulement sur la musique, mais qui serait la musique même. Le poète Ferdinand Saar sera le seul à le soutenir pendant la phase d’élaboration, tandis que d’autres amis, y compris son professeur Robert Fuchs, tenteront de le décourager. Ses idées paraissent trop insolites, et Schreker n’achève qu’en 1910 l’instrumentation de sa première grande œuvre pour la scène, dont la création connaîtra un succès phénoménal et une véritable consécration de sa carrière de compositeur lyrique. L’opéra sera alors joué sur toutes les grandes scènes jusqu’à son interruption par le régime national-socialiste. En dépit de son aspect romantique, cet opéra se veut profondément anti-romantique. Point de destin d’artiste au cœur du sujet, mais la misère de ceux qui restent. Le fin mot de l’histoire est que la réalisation du bonheur personnel, tout comme l’accomplissement artistique, ne se situent pas dans un lointain éblouissant, mais dans la proximité des choses indignes. Au tournant du XXe siècle, les artistes viennois octroyaient une place importante au rêve et au monde du subconscient en général. Son personnage principal, Fritz, demeure au bord du rêve, dans l’utopie des beaux-arts, et comme la Lorelei, l’attire dans le royaume des morts. Schreker fut à la fois le compositeur le plus populaire d’un art lyrique influencé par la psychologie des profondeurs, avec des sujets symboliques d’une extrême intensité, écartelant de manière pathétique les conflits sexuels, et le maître des timbres expressifs qui épuisa toutes les possibilités du chromatisme.
Le chaînon manquant ou la musique de Schreker « Si l’on définit une échelle linéaire un peu triviale dans l’histoire de la musique, Schreker en est comme le chaînon manquant. Wagner avait utilisé le langage romantique, initié par Beethoven, jusqu’à s’aventurer dans un chromatisme* tout à fait moderne, dont Tristan et Isolde sera l’un des emblèmes. Arnold Schoenberg, Alban Berg et Anton Webern, les trois maîtres de la Seconde école de Vienne, abandonnent ce chromatisme en créant le dodécaphonisme**. On peut placer Schreker entre ces deux approches. Il est l’adepte d’un chromatisme poussé au paroxysme, s’aventurant parfois dans la polytonalité et dénonçant ainsi timidement la hiérarchie tonale qu’ignorera définitivement le dodécaphonisme. Ce que Mahler avait commencé à pratiquer, Schreker l’a installé. Ces audaces ne se limitaient pas à la seule question du langage. Elles intéressaient aussi l’orchestration. Schreker a, là aussi, reculé les limites, imaginant de nouvelles sonorités par le jeu d’assemblages non encore expérimentés. Ces inventions accompagnaient bien le souci de modernité des artistes de cette période. L’irruption de la psychanalyse poussait à ces recherches : un espace imaginaire nouveau s’ouvrait enfin. Il était en rupture totale avec un passé épique ou mélodramatique. La modernité de l’écriture de Schreker est donc triple : par les sujets choisis, leur traitement et le langage. Il était donc naturel que l’essentiel de l’activité d’écriture de notre compositeur concernât l’opéra, genre offrant le plus de richesses. Schreker a également écrit quelques rares pièces instrumentales ou orchestrales. Elles sont des œuvres de jeunesse ou des champs d’étude pour ses ouvrages lyriques. (…) L’histoire de la musique, quand elle traite de Franz Schreker, retient essentiellement l’érotisme de son œuvre, parfois même en travestissant la réalité. On peut ainsi lire dans une encyclopédie musicale, au sérieux par ailleurs unanimement reconnu, que Die Gezeichneten traite du destin d’individus touchés par la syphilis. L’approche historique a donc dévié pour ne retenir que l’aspect culpabilisant, finalement destructeur de la sexualité, quitte à affirmer une contre-vérité. On ne pouvait donc évoquer ce sujet qu’en termes péjoratifs et caricaturaux. Peut-être Schreker dérange-t-il vraiment ? Commodément présenté aujourd’hui encore comme un compositeur dégénéré, pour en faire parfois un argument mercantile, n’est-il pas temps d’oser abandonner ce prétexte pour ne voir simplement en lui qu’un compositeur méritant d’appartenir à l’histoire de la musique pour son seul talent et son apport à l’évolution de l’art en général, comme du langage musical en particulier ? » Philippe Hui, extrait de « Un musicien sacrifié », in Franz Schreker, programme du Théâtre des Champs-Elysées, 11 octobre 2009
* Le chromatisme désigne la division de l’octave en douze intervalles égaux (un demi-ton) ; une musique chromatique utilisera donc douze demi-tons ; comme il n’existe que sept noms de notes différentes alors qu’il faut en nommer douze, cinq de ces notes conservent leur nom, mais sont chacune pourvues d’un accident (dièse ou bémol). Définition Encyclopédie Universalis * * Le dodécaphonisme est une technique de composition initiée par Arnold Schoenberg au tournant du XXe siècle. On peut également parler d’atonalité : en effet, cette musique se base sur les douze sons de la gamme chromatique, en excluant toute reconnaissance tonale.
Les musiciens cités en référence ▪ par Philippe Hui : Richard Wagner (1813-1883) Gustav Mahler (1860-1911) Arnold Schoenberg (1874-1951) Alban Berg (1885-1935) Anton Webern (1883-1945) ▪ par Franz Schreker : Ceux auxquels il s’identifie : Claude Debussy (1862-1918) Jacques Fromental Halévy (1799-1862) Giacomo Puccini (1858-1924) Giacomo Meyerbeer (1761-1864) Arnold Schoenberg (1874-1951) Richard Strauss (1864-1949) Giuseppe Verdi (1813-1901) Celui duquel il estime être aux antipodes : Hans Pfitzner (1869-1949)
Au milieu de tout ça... Dans son « autobiographie sarcastique », Franz Schreker dit : « Je suis impressionniste, expressionniste, internationaliste, futuriste, vériste musical, … » Resituons ces mouvements, ces théories, pour comprendre comment le compositeur se situe au milieu d’eux.
Impressionnisme Le mouvement est d’abord pictural et français : Monet, Renoir, Cézanne, Degas, Manet, Seurat, Pissarro, quelques noms de ceux qui ont porté le mouvement à son sommet. Il marque la rupture avec l’académisme et gagne la musique plus tardivement avec Claude Debussy notamment, auquel Franz Schreker se réfère entre autres.
Expressionnisme Le mouvement voit le jour au début du XXe siècle en Allemagne et plus généralement en Europe du Nord en réaction à l’Impressionnisme. L’intensité expressive suscitée par les formes qu’il revêt tend à provoquer une réaction émotionnelle. Ancré dans cette époque pré-apocalyptique qui précède la Première Guerre mondiale, il est classé comme art dégénéré par les nazis. Quelques noms pour le situer dans le domaine des arts plastiques : Edvard Munch, Otto Dix, Wassily Kandinsky, Ernst Ludwig Kirchner, Emil Nolde, Max Pechstein, Egon Schiele, Karl Schmidt-Rottluff et même un précurseur, Théo Van Gogh. Der Blaue Reiter et Die Brücke sont des groupes qui en sont issus. En musique, Alban Berg, Anton Webern et Arnold Schönberg, que Schreker cite volontiers, en sont les dignes représentants. Le cinéma qui se développe en ce début de XXe siècle compte Fritz Lang, Friedrich Murnau parmi les cinéastes expressionnistes.
Internationalisme Doctrine qui prône le bien et l’intérêt général international au-delà de ceux des états. Elle s’apparente au communisme. E. Munch, Le Cri, 1894, dans La Revue Blanche
Futurisme Mouvement artistique né en Italie au début du XXe siècle. Il proclame des idées de rupture avec le monde du passé, exaltant la modernité, la civilisation urbaine, la technologie, la vitesse.
Vérisme Mouvement artistique italien lui-aussi, issu du naturalisme français (Zola, Maupassant, Balzac). Il s’exprime particulièrement dans l’opéra, et Puccini se situe parfaitement dans cette veine. Il décrit la réalité de la vie.
1912
Antonio Sant’Elia : architecture futuriste
Le contexte de la création
Cette année qui précède de peu la Première Guerre mondiale se situe dans un contexte intellectuel et artistique très riche, dans lequel se mêlent des mouvements encore vivaces, comme l’Impressionnisme, ou naissants, comme le Futurisme. Wassily Kandinsky, Franz Marc, August Macke, Alexej von Jawlensky, Marianne von Werefkin, Gabriele Münter, Lyonel Feininger, Albert Bloch, membres fondateurs du groupe « Der Blaue Reiter » (Le Chevalier bleu) participent à une exposition itinérante du même nom à travers l’Allemagne. Hans Arp est, entre autres, un des invités de cette tournée. Le 30 avril paraît Le Cavalier bleu, un almanach conçu par Wassily Kandinsky, Franz Marc et August Macke, qui regroupe 140 œuvres et 14 textes, dont l’article d’Arnold Schoenberg sur la relation au texte et un facsimile de son lied Herzgewächse. Il contient également des facsimiles d’arrangements d’airs d’Alban Berg and Anton Webern.
Georges Braque, Hommage à Jean Sébastien Bach, 1912
Développement du Cubisme Le mouvement artistique, né en 1907, prend son envol. Parution de Du Cubisme de Jean Metzinger et Albert Gleizes, un ouvrage qui pose les bases théoriques de ce mouvement. Georges Braque réalise ses premiers « papiers collés ». Exposition à Paris d’œuvres de Albert Gleizes, Francis Picabia, Jean Metzinger et Fernand Léger qui forment la « Section d’or cubiste ».
Marcel Duchamp, qui sera le père du mouvement Dada en 1916, est présent aux côtés du groupe de la Section d’or en 1912 à Paris pour une exposition à la galerie La Boétie. Il peint Nu descendant un escalier. Claude Monet expose 29 toiles à Venise. Kandinsky expose pour la première fois à Berlin. Naufrage du Titanic le 15 avril 1912.
Marcel Duchamp, Nu descendant un escalier, 1912
Extrait du livret - Acte II Greta
Et pourtant… Je me demande souvent si la beauté est un bonheur ? Depuis bien des années, il me semble, je fais un rêve étrange. Le comte, déconcerté, intéressé, fait signe aux tziganes de s’éloigner Je m’étais endormie dans la forêt par une nuit étouffante. Les arbres murmuraient une chanson surprenante, qui parlait d’un bonheur, indicible et immense… Mais un chuchotement confus, un susurrement flatteur s’est élevé, un bégaiement séduisant : parlant de la beauté des femmes, du désir des hommes, de joies coupables et d’amour honteux… lourd comme un cauchemar, ce rêve pèse sur moi. Murmures et cris : Qu’est-ce que cela signifie ? Quel est ce caprice ? Qu’a-t-elle donc ? Mais parfois, de loin, un rêve dans mon rêve, j’entends du bruit à la cime des arbres. Il me semble alors m’éveiller, je soulève, voilées de larmes, mes paupières lourdes de sommeil —
je vois dans un effroi muet une ronde sinistre. Main dans la main, elle rassemble des vieillards puérils aux mines lascives et de tendres enfants qui paraissent étrangement âgées. De très jeunes garçons s’élancent follement dans la danse enlaçant des femmes flétries. Les fards criards mentent, les rires roucoulent, insolents, sans vergogne, on feint le plaisir et le ravissement. Avec beaucoup d’expression et une profonde pitié Mais les yeux semblent si froids, si malades. Le cercle se resserre de plus en plus étroitement autour de moi, des visages déformés me font la grimace, des mains essaient convulsivement de se saisir de moi… et je ris, effrontée, comme toutes les autres, et je danse comme une folle, jusqu’à perdre haleine ! Elle éclate d’un rire nerveux.
décors Maquettes de décors pour la création en 1912 par Franz Schroeder Acte II
Acte III
Scène 1
Scène 2
s
Mars 2012 aux ateliers de fabrication de décors de l’OnR
Essai de matière (polystyrène pigments)
La sculpture de la quille : réalisée en polystyrène , elle sert de base à la reproduction de plusieurs modèles confectionnés en résine.
Composition de l’orchestre Cordes
12 violons 1 10 violons 2 8 altos 6 violoncelles 4 contrebasses
Harmonie
3 flûtistes dont 2 jouant du piccolo 3 hautboistes dont 1 jouant du cor anglais 3 clarinettistes dont 1 jouant de la clarinette basse 2 bassoniste 1 contrebassoniste 4 corniste 4 trompettistes dont une jouant de la trompette basse 3 trombonistes 1 tubiste jouant aussi du tuba contrebasse 1 percussionniste timbales 4 percussionnistes 2 harpistes 1 joueur de célesta
Quelques particularités à l’Acte II, deux petits orchestres visibles sur scène ou en coulisses interprètent : ▪ de la musique vénitienne Cordes : 1 violon 1, 1 violon 2, 1 alto, 1 violoncelle, 1 contrebasse 1 flûte clarinette La, Sib 3 mandolines 1 tambourin 2 guitares ▪ de la musique tzigane Cordes : 1 violon 1, 1 violon 2, 1 alto, 1 violoncelle 1 contrebasse clarinette Mib, Ré 1 cymbalum 1 célesta
à l’Acte III, présence de musique en coulisses : ▪ Scènes 1 à 3 Cordes : 1 violon 1, 1 violon 2, 1 alto, 1 violoncelle, 1 contrebasse clarinette La, Sib 2 cors timbales harpe ▪ Scènes 11 et 12 celesta piano
Un instrument exceptionnel : le cymbalum C’est un instrument à cordes frappées qui fait partie de la famille des cithares. On en trouve des ancêtres déjà en 3 000 avant JC. Il est présent dans le monde entier, mais particulièrement en Europe centrale et de l’Est. Très populaire, il y est joué dans les villages comme dans les cours, dans les cérémonies religieuses comme au cabaret ou à l’opéra. à la fin du XIXe siècle, il est présent à l’occasion dans les orchestres symphoniques et Stravinsky l’introduit dans la musique contemporaine. Le Conservatoire de Strasbourg possède, chose rare, une classe d’enseignement dédiée à cet instrument. Il convient tant aux musiques populaires, tziganes, klezmer ou jazz, que classiques et contemporaines.
Structure de l’instrument Le cymbalum actuel est monté sur quatre pieds. Il est large d’environ 1,40 m. Il se compose d’une caisse de résonance de forme trapézoïdale, dont la profondeur varie entre dix et vingt centimètres. Il est pourvu d’environ cent quarante à cent soixante cordes. On joue le cymbalum avec des baguettes en bois.
séquence pédagogique par Laurence Grauwet, professeur chargée de mission DAAC auprès de l’OnR
Quelques éléments d’écoute I. Ouverture Deux atmosphères musicales jouées par l’orchestre : ▪ Un temps suspendu, mystérieux, le rêve du son lointain L’écriture tourne autour d’une note fixe (trémolos des cordes, vents graves) : accords tenus, mouvements souples et répétitifs des harpes. On entend également un motif thématique descendant lentement et régulièrement, joué par les bois que l’on retrouve, orchestré différemment, au cours de l’opéra. ▪ Un temps en mouvement, épique et ample, la quête du son lointain Tel un fil conducteur, un thème retentit, amorcé deux fois : cuivres graves, rythme pointé au caractère décidé, en mode mineur. Ce thème parcourt l’œuvre. à la fin de l’ouverture, on repère un petit motif répétitif (ostinato) et dissonant un peu sautillant (cordes) qui est réutilisé plus tard (Acte III, fin de la scène 13 par exemple).
II. Acte I Exemples de repères musicaux Scènes 1 à 4 : ▪ Entrée de Grete, soprano, et Fritz, ténor. Le duo est soutenu par le petit motif dissonant (de l’Ouverture) qui s’étoffe. Phrases expressives des violoncelles. ▪ Dialogue entre Grete et une vieille femme espagnole (mezzo-soprano) annoncée par le tambour de basque, violon, éléments un peu tziganes. Deux phases parlées / rythmées de Grete « Ja, Ja ». ▪ Phrases parlées de Grete et de sa mère (très autoritaire), éclats de voix et bruits (la taverne), l’orchestre crée une atmosphère de suspens. ▪ Scène plus joviale : Elle débute avec les voix parlées de Graumann (basse) et de l’aubergiste (basse). Rythmée comme une sorte de valse un peu grotesque, avec phrasé détaché. Air du baryton, ponctuation malicieuse des percussions, solistes dont Vigélius (basse profonde). Entrée des chœurs.
Scène 8 à noter : Air de la vieille femme espagnole et dialogue avec Grete. Les motifs orchestraux répétitifs dont un en groupes ascendants et rapides aboutissant à un Climax (note aigue tenue de Grete « Ach! ») et à sa chute désespérée « Ich wäre so glücklich! ». La scène et l’acte s’achèvent par l’orchestre seul, puissant et dramatique. Le thème de cuivres réapparaît avec des solos de cor anglais, hautbois, clarinette, en descrescendo, puis les dernières mesures conclusives.
III. Acte II Des éléments structurants : ▪ Les chœurs : Les femmes sopranos et altos émettent des « Ah » dans l’aigu, créant un effet de halo sonore et des espaces différents très lumineux contrastant avec le chant du baryton, de Marie et Milly et des autres solistes. Scène 6 : polyphonie vocale plus complexe où des choristes hommes (ténors, basses) chantent en solistes, toujours accompagnés par les appels des sopranos et altos. ▪ Les orchestres sur scène et en coulisses : Leur juxtaposition et leur alternance créent des croisements de musiques et structurent l’espace sonore. Ils apportent : - Un langage polytonal impliquant des dissonances. - Des changements de rythmes et de tempo fréquents et imprévus (valse par exemple, tempo Alla Zingares, Csardas). - Une orchestration très colorée, audacieuse et stylée selon les musiques interprétées (mandoline pour l’orchestre vénitien, violon à la manière tzigane, le cymbalum par exemple). ▪ Une ambiance sonore étrange oscillant entre drame et fête ▪ Le chant très lyrique et dramatique de Grete
IV. Acte III Scènes 11, 12, 13 à la fin de la scène 10, Fritz s’exclame « Grete - Grete ! » ▪ Ponctué par le piano, un long solo de célesta débute. à noter la spécificité de cet instrument. Il soutient les interventions des voix contrastées des solistes Fritz et Vigélius. Cela produit un effet de temps suspendu, avec les cloches qui sonnent au loin (cloches tubulaires). Nuances Pianissimo et phrasé lié. Arpèges évolutifs, ascendants, véloces, groupés par 8, 10 ou 7 notes (doubles ou triples croches). ▪ Progressivement, un Crescendo commence : Timbales, vents très graves (dont contrebasson). L’entrée magique des cordes en trémolos avec sourdines et des harpes. Fin du solo de célesta. ▪ Derniers accords de l’opéra : Conclusion dramatique en apothéose, accord mineur, Tutti, fff, avec roulements de timbales.
biographies Marko Letonja, Direction musicale Le chef slovène étudie le piano et la direction à l’Académie de musique de Ljubljana auprès d’Anton Nanut et suit, en parallèle, les cours de direction d’Otmar Suitner à l’Akademie für Musik und darstellende Kunst de Vienne, où il obtient ses diplômes en 1989. Entre 1991 et 2003, il est directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Slovénie. Il est rapidement très demandé sur la scène internationale, participant à des concerts dans le monde entier et collaborant entre autres avec Mstislav Rostropovitch, Vadim Repin ou Thomas Quasthoff. De 2003 à 2006, il est chef permanent et directeur musical de l’Orchestre symphonique et de l’Opéra de Bâle où il dirige Tannhäuser, La Traviata, Der Freischütz, Tristan und Isolde, Boris Godounov, Rigoletto. Il est invité par les grandes scènes lyriques internationales et dirige La Dame de Pique au Grand Théâtre de Genève, Roméo et Juliette au Teatro dell’Opera di Roma, Médée au Teatro São Carlos à Lisbonne, Nabucco à Dresde, L’Affaire Makropoulos à la Scala de Milan, La Cenerentola à Montpellier, Rigoletto à Perth, Madama Butterfly à Berlin (Staatsoper) et La Traviata (Deutsche Oper), I Pagliacci, Cavalleria rusticana et le Vaisseau fantôme à Cagliari, Carmen en concert avec la Radio de Munich. Après Die Walküre et Siegfried au Sao Carlos de Lisbonne, il y a dirigé Götterdämmerung en 2009. Il est directeur musical délégué de l’OPS à compter de la saison 2011-2012, et directeur musical de l’OPS à partir de la saison 2012-2013. Il a dirigé Die Walküre et Götterdämmerung à l’OnR. Ses projets comptent Rigoletto, Le Nozze di Figaro et La Traviata en Australie, et Les Contes d’Hoffmann à la Scala de Milan. Il donne des concerts tant avec l’OPS que l’Orchestre symphonique de Bâle et l’Orchestre des Arènes de Vérone. Il dirige, au cours de la saison 2011-2012, Der Rosenkavalier à l’OnR. Photo Pascal Bastien
Stéphane Braunschweig, Mise en scène Né en 1964 à Paris, il effectue des études de philosophie à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, puis rejoint en 1987 l’École du Théâtre national de Chaillot dirigée par Antoine Vitez, où il reçoit une formation théâtrale pendant trois ans. Puis il fonde sa première compagnie, le Théâtre-Machine. En 1991, il reçoit le prix de la révélation théâtrale du Syndicat de la critique pour sa trilogie intitulée Les Hommes de neige. Il est directeur du Centre dramatique national / Orléans-Loiret-Centre de 1993 à juin 1998. Il est directeur du Théâtre national de Strasbourg du 1er juillet 2000 au 30 juin 2008. À compter du 1er janvier 2009, il devient artiste associé au Théâtre national de la Colline dont il prend la direction, à la suite d’Alain Françon, en janvier 2010. Il y a mis en scène Rosmersholm et Une Maison de poupée d’Henrik Ibsen en 2009, Lulu de Frank Wedekind en 2010, Je disparais d’Arne Lygre et Tage unter (Jours souterrains) d’Arne Lygre, en allemand, en 2011. À l’opéra, il a mis en scène récemment le Ring de Richard Wagner au festival d’Aix-en-Provence (2006 à 2009), Jenůfa à la Scala de Milan, Pelléas et Mélisande à l’Opéra Comique. En 2011, il met en scène Idoménée au Théâtre des Champs-Élysées, en 2013, il mettra en scène Don Giovanni au Théâtre des Champs-Élysées. À l’OnR, il a mis en scène Elektra de Richard Strauss en 2001-2002, en coproduction avec la Monnaie de Bruxelles.
Arts du son
▪ La musique romantique et post-romantique ▪ Les références musicales de Franz Schreker ▪ Pourquoi le succès de cet opéra ?
Arts du langage
▪ Le rôle de la femme dans Der ferne Klang. Les hommes et Grete. ▪ Le Livret de Der Ferne Klang : disponible en allemand et en français
Arts du spectacle vivant
▪ Stephane Braunschweig, entre théâtre et opéra
Histoire
▪ L’art dégénéré selon les nazis
Arts, ruptures, continuités
▪ Je suis impressionniste, expressionniste, internationaliste, futuriste, vériste musical : signification de toutes ces appartenances ?
prolongements pédagogiques
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