dossier pédagogique saison 2013-2014
Jean-Philippe Rameau
Platée
Ballet bouffon (comédie lyrique) en trois actes et un prologue Livret d’Adrien-Joseph Le Valois d’Orville
En deux mots Platée, « naïade ridicule », se croit aimée de Jupiter qui s’en amuse, rendant au passage jalouse son épouse Junon.
Contacts Flora Klein • tél + 33 (0)3 88 75 48 54 • courriel • fklein@onr.fr Hervé Petit • tél + 33 (0)3 88 75 48 79 • courriel • hpetit@onr.fr Opéra national du Rhin • 19 place Broglie BP 80 320 • 67008 Strasbourg Photo Nis & For
www.operanationaldurhin.eu
Direction musicale Mise en scène Chorégraphie Décors et costumes Lumières Dramaturgie
Christophe Rousset Mariame Clément Joshua Monten Julia Hansen Reinhard Traub Clément Hervieu-Léger
PROLOGUE
Thalie Thespis Momus L’Amour
Ana-Camelia Stefanescu Cyril Auvity Thomas Dolié Hanne Roos
La Folie Mercure Cithéron Clarine Platée Jupiter Junon Un satyre
Ana-Camelia Stefanescu Cyril Auvity Thomas Dolié Hanne Roos Emiliano Gonzalez Toro Andrew Schröder Isabelle Druet Frédéric Caton
Chœurs et Ballet de l’Opéra national du Rhin Orchestre Les Talens Lyriques
Société Rameau Parie représentée par Alkor-Editions Kassel
Production de l’Opéra national du Rhin
STRASBOURG
MULHOUSE
ve 13 juin 20 h di 15 juin 17 h ma 17 juin 20 h je 19 juin 20 h sa 21 juin 20 h
di 29 juin 17 h ma 1er juillet 20 h
opéra
La sinne
Langue : français surtitré en français et en allemand Durée approximative : 2 h 20 Conseillé à partir de 10 ans : élémentaire, collège et lycée
rencontre avec Christophe Rousset et Mariame Clément animée par Marc Clémeur Strasbourg Opéra je 12 juin 18 h 30 entrée libre
l’argument Prologue Tandis qu’on célèbre les vendanges, Thespis, inventeur de la Comédie, s’est assoupi sous l’effet du vin. Des satyres et des ménades le réveillent et lui enjoignent de chanter. Thespis se ranime, chante… mais le vin lui fait dire trop crûment la vérité. Son public voudrait maintenant le faire taire… Entrent Thalie et Momus, qui encouragent Thespis à poursuivre. Mieux, ils viennent lui prêter main forte pour inventer un spectacle qui corrigera les défauts des humains – mais qui ne ménagera pas non plus les dieux. L’Amour fait irruption et les interrompt, furieux : comment ose-t-on projeter sans lui un nouveau spectacle ? Thespis, Thalie, Momus et l’Amour, promettent alors un « spectacle nouveau » : la Comédie. Le sujet en sera le « risible stratagème » par lequel Jupiter guérit un jour la jalousie de l’irascible Junon.
Acte I Cithéron se plaint des terribles orages qui sévissent sur terre. Mercure descend des cieux et annonce qu’ils sont provoqués par Junon : pour apaiser les éléments, il faudrait calmer sa jalousie. Cithéron propose un stratagème pour guérir la reine des dieux. Dans le marais voisin règne Platée, une « naïade ridicule » et imbue d’elle-même. Que Jupiter feigne un amour fou pour elle et Junon sera guérie quand elle découvrira que l’objet de sa jalousie n’était en réalité qu’une grenouille repoussante. Arrive Platée, accompagnée de son amie Clarine. Elle recherche le « séjour agréable » où vit Cithéron, qu’elle poursuit de ses assiduités – mais celui-ci la repousse en feignant le respect, au grand désarroi de Platée, qui est convaincue de ses propres charmes. Mercure apparaît et annonce à Platée une nouvelle qui a vite fait de la consoler : Jupiter l’aime, il va bientôt descendre pour se déclarer. Platée, impatiente, se gonfle de bonheur et de fierté. Elle appelle ses sujets, habitants du marais, et défie l’orage qui s’apprête à éclater.
Acte II Mercure informe Cithéron qu’il a envoyé Junon sur une fausse piste à Athènes. Tous deux se cachent pour observer le succès de leur plan : Jupiter descend dans un char formé de nuages et, aux yeux ébahis de Platée, il se transforme en âne puis en hibou. Platée, conquise, appelle les oiseaux des bocages pour célébrer son amant, mais leur charivari fait s’envoler le hibou. Platée se désole... quand une pluie de feu révèle enfin le roi des dieux, qui lui fait sa déclaration. Tandis qu’on célèbre la fiancée, la Folie survient, accompagnée de fous gais et tristes. Elle a dérobé la lyre d’Apollon et entend montrer comment, par son art, elle sait aveugler les foules : elle est capable de composer une musique triste sur un thème gai, comme de trouver des accents joyeux pour accompagner un sujet lugubre. Enfin, tous chantent en chœur à la gloire de Platée qui, abasourdie, ne peut que répéter : « Bon, bon, bon. »
Acte III Junon revient bredouille d’Athènes. Furieuse, elle accable Mercure de reproches ; il lui conseille la patience. Le cortège nuptial arrive. Platée, impatiente d’épouser son amant, s’étonne de l’absence d’Hymen et de l’Amour. Paraît Momus, travesti en Amour, dont il apporte les présents : peurs, douleurs, cris, langueurs. « Fi, fi, ce sont là des malheurs ! », s’écrie Platée. La Folie arrive et raille le grossier déguisement de Momus, tout en continuant à flatter Platée, qui reçoit même la visite de trois fausses « Grâces ». Tous dansent, chantent et célèbrent les « charmes de Platée ». La plaisanterie traîne toutefois en longueur au goût de Jupiter, qui, au moment d’« épouser » Platée, commence à s’inquiéter de ne toujours pas voir arriver Junon. Mais celle-ci arrive en trombe et interrompt la fête. Arrachant le voile qui cachait la mariée, elle voit son erreur… et éclate de rire. Les dieux réconciliés remontent alors dans leur céleste demeure, tandis que Platée, déconfite, est la cible des quolibets et des moqueries de tous. Tour à tour humiliée, implorante, menaçante, elle a beau tempêter, elle ne peut que constater qu’elle a été bernée et retourne dans son marais ruminer son amertume.
la création de platée en 1745 Platée est commandée à Rameau pour le mariage en 1745 des jeunes enfants de souverains. Louis-Ferdinand, fils de Louis XV, a 10 ans lorsqu’on le fiance à l’infante Marie-Thérèse, qui en a 13. Sa sœur aînée, 12 ans, épouse l’infant Philippe d’Espagne. Ces mariages sont sensés réconcilier les deux branches des Bourbons. En 1744, Louis XV tombe malade à Metz. Mené par son précepteur, le jeune Louis-Ferdinand, 14 ans, est déclaré apte à accéder au trône. L’année suivante, à l’âge de 15 ans, Louis épouse donc sa cousine l’infante d’Espagne Marie-Thérèse-Raphaëlle de Bourbon, deuxième fille de Philippe V, au Château de Versailles. Les deux époux se heurtent à la nouvelle favorite, la Marquise de Pompadour. Marie-Thérèse meurt l’année suivante, peu de temps après avoir donné le jour à une petite fille qui ne vit que deux ans. Veuf à 17 ans, Louis-Ferdinand est très affecté par la mort de son épouse. Platée fait l’effet d’une petite révolution lors de sa création à Versailles. Déjà de par son sujet : nombreux sont ceux qui ont vu des allusions au mariage royal dans l’intrigue entre Jupiter et Platée, notamment à cause de la réputation de laideron qui entourait la pauvre Marie-Thérèse. Mais Platée est également le premier ouvrage purement burlesque. À la différence de l’opéra italien, l’opéra français n’admettait guère le mélange des styles, pourtant constitutif du Baroque. Dans la « Tragédie lyrique », qui demeurait le modèle des théâtres musicaux de ce temps, il était parfois permis de sourire, mais jamais davantage. C’est aussi parce que l’œuvre elle-même est un énorme pastiche de l’opéra français traditionnel. Tous les poncifs, les tics, les manies du genre y sont regroupés, et il suffit juste de déplacer un accent ou de les replacer dans un autre contexte pour en souligner l’aspect comique. Et comme le sujet le plus courant de l’opéra traditionnel est l’Amour, avec toutes ses vicissitudes, il est normal que la parodie s’étende à ce sujet et que Platée présente une image grotesque et dérisoire du « doux lien ». Sur le plan musical, Rameau joue de la même ironie et, pour traduire la maladresse et le ridicule de la pauvre Platée, invente des accords dissonants et malmène les règles, sacrées au XVIIIe siècle, de la bonne prosodie. Rarement l’orchestre ramellien a été si séduisant et si inventif que dans cette cruelle mais hilarante histoire.
repères mythologiques Thalie
Son nom vient du grec Thaleia, qui signifie la florissante, l’abondante. Originellement muse de la poésie pastorale, elle est la muse de la comédie et aimée d’Apollon.
Thespis
Poète et dramaturge grec ayant vécu au VIe siècle avant J.-C., il est considéré comme le premier acteur et le plus ancien tragique grec. Flirtant avec les dieux dans Platée, considérons qu’il fait partie de leur panthéon.
Momus
Dieu de la moquerie, son nom vient du grec ancien et veut dire « la raillerie ». Il a une place de bouffon de cour auprès des divinités. Mais après s’être moqué de tous les Dieux, il est prié d’aller railler ailleurs, et s’installe chez Dionysos. Statue de Thalie à l’Opéra de Strasbourg, réalisée par Landolin Ohmacht
Mercure
Alter ego d’Hermès chez les Grecs, il est le dieu du voyage et du commerce. Messager des autres dieux, il protège les routes et leurs voyageurs, les commerçants mais aussi les voleurs. Il est le fils de Jupiter et de Maïa, fille d’Atlas.
Jupiter
Père de Mercure, il est l’équivalent du dieu grec Zeus. Dieu des dieux, il est la principale divinité du panthéon romain. Il règne sur le ciel, la lumière, la foudre et le tonnerre.
Junon
Reine des dieux et protectrice des femmes mariées, elle est la déesse romaine de la nature féminine, et a comme équivalente grecque Héra. Épouse de Jupiter, elle en est aussi la sœur.
Cithéron
Un mont porte son nom et pour cause : il est roi de Platée qui, outre le nom de l’héroïne de l’ouvrage, est aussi celle d’une cité de Béotie au pied du fameux Mont. Dans la mythologie grecque, c’est lui qui conseille une ruse à Jupiter, lorsque ce dernier, amoureux de la nymphe Platée, ne veut éveiller la jalousie de son épouse Junon. Jupiter place ainsi dans son char une statue de femme voilée. Héra, jalouse, se rue sur la statue et lui arrache son voile. Constatant son erreur, elle se met à rire, et cesse durant un temps de soupçonner son mari.
Satyre
Parfois aussi appelées Silène, c’est un faune chez les Romains. Dans la mythologie grecque, c’est un être sauvage vivant dans les forêts, proche de Dionysos, dieu du vin et de la végétation. Dionysos et Satyres, poterie de Brygos
la folie selon mariame clément, metteur en scène La Folie représente sans doute le plus grand défi pour un metteur en scène qui aborde Platée. On a beaucoup dit, avec raison me semble-t-il, que ce personnage incongru, extérieur à l’action, incarne la position de Rameau qui affirme à travers elle le pouvoir de la musique (voire sa supériorité sur le texte). Si cette interprétation est pertinente, je ne la trouve pas d’une grande aide pour concevoir concrètement le personnage. Tout d’abord, les personnages symboliques sont difficiles à mettre en scène : comment interagissent-ils avec les autres personnages ? Comment influent-ils sur l’action ? Par ailleurs, je confesse une certaine méfiance vis-à-vis de la tendance que nous (gens de théâtre) avons à voir partout notre propre image. Pour intellectuellement pertinente que soit cette vision de la Folie comme symbole du génie musical, je crains qu’elle ne soit concrètement pour le spectateur que d’un intérêt limité, et qu’elle ne tourne vite à l’autocélébration. Sans vouloir révéler la solution que nous avons trouvée pour traiter le personnage, je dirais que nous avons cherché un regard un peu plus impertinent, plus critique, qui désacralise un peu cette vieille dame indigne mais somme toute tellement respectable qu’est la Folie. Il nous importait aussi, tout en lui laissant son côté à la fois incongru et abstrait, de l’inscrire dans le contexte dans lequel nous avions choisi de situer l’action, afin qu’elle aussi participe à cette « illusion démocratique ». En vérité, nous nous sommes bornées à prendre le personnage au pied de la lettre : elle vient sans cesse interrompre l’action, tout le monde entonne quelques mesures à sa gloire, et elle affirme qu’elle peut faire avaler des textes gais sur de la musique triste et vice-versa, en d’autres termes qu’elle peut vendre n’importe quoi… Qui est-elle donc ? Je crains d’en avoir déjà trop dit ! Extraits d’un entretien avec Mariame Clément, novembre 2009
le grand air de la folie acte ii, scène 5 LA FOLIE C’est moi, c’est La Folie Qui vient de dérober la Lyre d’Apollon. MOMUS & LE CHŒUR Honneur, honneur à la Folie, Qui tient la Lyre d’Apollon. LA FOLIE Formons les plus brillants concerts ; Quand Jupiter porte les fers De l’incomparable Platée, Je veux que les transports de son âme enchantée, S’expriment par mes chants divers. Admirez tout mon art célèbre. Faisons d’une image funèbre Une allégresse par mes chants. Aux langueurs d’Apollon, Daphné se refusa : L’Amour sur son tombeau, Eteignit son flambeau, La métamorphosa. C’est ainsi que l’Amour de tout temps s’est vengé : Que l’Amour est cruel, quand il est outragé ! Aux langueurs d’Apollon, Daphné se refusa : L’Amour sur son tombeau, Eteignit son flambeau, La métamorphosa. LE CHŒUR Honneur, honneur à la Folie, Elle surpasse Polymnie ; Honneur à ses divins accents. LA FOLIE Jugez par du beau simple & des sons plus touchants, Si je connais la mélodie. Ecoutez bien... surtout ma symphonie. Que les plaisirs les plus aimables S’empressent à l’envi de seconder l’amour :
Jeux & ris qui formez sa Cour, En égayant ses feux, vous les rendrez durables. Sans cesse accompagnez nos pas, Plaisirs badins, c’est dans vos bras Que notre ardeur se renouvelle. Si Zéphyr ne badinait pas, Flore lui serait moins fidèle. Vous Vous admirez mon art suprême, J’attriste l’allégresse même, Par mes sons plaintifs & dolents. LE CHŒUR Honneur, honneur à la Folie, Elle surpasse Polymnie ; Honneur à ses divins accents. LA FOLIE Je veux finir Par un coup de génie. Secondez-moi, je sens que je puis parvenir Au chef-d’oeuvre de l’harmonie. Hymen, hymen, l’Amour t’appelle Prépare à Jupiter une chaîne nouvelle, Viens couronner la nouvelle Junon. PLATéE, à ce mot de nouvelle Junon Hé, bon, bon, bon. LA FOLIE, MOMUS, MERCURE, CITHERON, TOUS LES CHŒURs & PLATéE, à différentes reprises Que la flamme Qui brûle son âme, Allume ton brandon. Hé, bon, bon, bon, Venez tôt, venez donc. Hé, bon, bon, bon. Venez donc.
Une œuvre absurde ? Mariame Clément le confesse, Platée est une œuvre absurde, d’autant plus si l’on suit la tradition qui fait du personnage principal une grenouille. Un faux mariage est organisé entre le dieu des dieux et un batracien, et tous font mine d’y croire ! La mythologie nous a certes habitués à ces aberrations zoologiques mais pour un metteur en scène, la question se pose de façon très concrète : comment traite-t-on ces situations absurdes, surtout une fois que l’on a choisi d’inscrire l’action dans un contexte relativement réaliste et reconnaissable ? Ce qui est drôle aux yeux de Mariame Clément est donc d’assumer complètement le côté absurde de ces situations, en particulier dans le jeu sur les dimensions, et donc sur les points de vue. Vue par des yeux humains, Platée est un petit batracien. Depuis sa perspective à elle, en revanche, tout est surdimensionné. Ou bien est-elle une grenouille géante, de la même taille que les autres personnages ? La question initiale sur la nature exacte de l’héroïne, entre grenouille, fantasme et être humain reste posée.
Dans la mise en scène, on assiste à une mutation progressive du personnage au fil de l’opéra. Si l’idée d’organiser un mariage, même faux, entre Jupiter et une grenouille peut initialement sembler incongrue, tout le monde – les personnages comme le public – s’y habitue peu à peu et finit par trouver cela parfaitement normal. Platée s’humanise à mesure que son entourage se fait à cette idée. Délire collectif ? « À ce sujet, j’ai beaucoup repensé à une nouvelle de Cortázar, Axolotl, où le narrateur se transforme imperceptiblement en l’un des reptiles qu’il observe quotidiennement au Jardin des Plantes. Raconté ainsi, cela paraît absurde, mais tout l’art de la nouvelle consiste à doucement amener le lecteur vers le moment de la métamorphose ; arrivé à ce point où le récit bascule, le lecteur est tellement conditionné qu’il accepte sans broncher de suivre l’écrivain qui l’a mené jusque-là en le tenant par la main. D’une certaine manière, notre travail est le même : amener le spectateur aux frontières du vraisemblable et le lâcher là en espérant qu’il poursuive de lui-même le chemin. Cela relève effectivement du délire collectif. »
La Mise en Scène transposition de l’action dans les Trente Glorieuses Avez-vous choisi une interprétation symbolique ? Ou une transposition ? [...] Face à cette palette d’interprétations – comme face aux interprétations que l’on peut faire du personnage de Platée lui-même –, nous ne voulions pas asséner une signification symbolique unique et forcément réductrice, d’autant plus qu’il s’agit d’une comédie et qu’il nous tenait donc à cœur de conserver une certaine légèreté. Ce qui nous semblait important, c’était de situer l’œuvre dans un contexte qui permette aux spectateurs de piocher dans ces lectures possibles. Il fallait donc trouver un univers dont les référents soient lisibles pour un public d’aujourd’hui. Je crois qu’il n’y a pas de règle en matière de transposition. S’agissant de Platée, il est légitime de penser que les référents ne sont plus vraiment maîtrisés par le public actuel, sauf à s’adresser à un public très averti qui saisirait les effets de parodie musicale, les clins d’œil mythologiques, voire les allusions au contexte historique. Très vite, Julia Hansen et moi avons eu l’intuition que les Trente Glorieuses offraient un contexte pertinent pour mettre en valeur les différents aspects de Platée qui nous semblaient importants. C’est à dessein que je reste floue sur la définition exacte de la période – je préfère parler des Trente Glorieuses que de préciser s’il s’agit des années 50 ou 60, parce que je trouve ce terme incroyablement évocateur. Je crois que l’expression fait immédiatement surgir à l’esprit de tout un chacun un catalogue d’images aux couleurs à la fois acidulées et un peu passées, tellement lisses en apparence, et cachant de telles contradictions ! La femme moderne dans sa cuisine, le progrès technique, Tati, l’Amérique, les bustiers en forme d’obus et les tailles fines, les hommes qui boivent un whisky en rentrant du bureau, une certaine bourgeoisie triomphante, les grosses voitures, le sourire impeccable… La précision historique ou documentaire m’importe peu ; c’est le mythe des Trente Glorieuses qui m’intéresse. Et j’aime le côté suranné, presque ancien régime, contenu dans l’idée de « gloire » – voilà qui nous ramène au siècle de Platée ! En quoi Platée peut-il s’inscrire dans cette mythologie (ou, pour reprendre Barthes, dans ces Mythologies) ? Parce que Platée aspire à un statut qui n’est pas le sien, et que tout autour d’elle l’invite à persister dans cette illusion. Or les Trente Glorieuses incarnent pour moi ce (faux) âge d’or optimiste du « tout est possible », cette époque bénie (croit-on, ou aimerait-on tellement croire rétrospectivement) où l’uniformisation des modes de vie encourage la croyance naïve en un idéal démocratique à portée de main, et où l’idée de libération par la consommation n’a pas encore été remise en cause. Platée se dit : si je fais tout comme il faut, si je possède le même robot électroménager, le même aspirateur, la même cold-cream et le même bustier pointu que Junon… alors moi aussi, je peux être la femme de Jupiter ! Plus tôt, on n’aurait pas osé croire à une telle ascension ; plus tard, on reconnaît ce qu’elle peut avoir de chimérique. La fin amère de l’opéra vient d’ailleurs briser ce bel optimisme. Cette période est aussi celle des apparences impeccables, justement parce que tous les appareils fonctionnent, que le progrès est en marche, que les lessives lavent bien et que tout le monde est heureux. Il me semble que c’est l’ère du refoulement par excellence. Qui veut s’encombrer d’une grenouille repoussante (ou de gens de couleur, ou de désirs inavouables, ou de femmes libérées ?) ? Très concrètement, enfin, pour qui aime mettre en scène des comédies (et, j’espère, pour qui aime en voir !), ce contexte est du pain béni (je n’ai pas cité Tati par hasard) : quand tout doit marcher, justement, il suffit d’un grain de sable pour que la moindre situation quotidienne vire à l’absurde. Je crois donc que notre transposition laisse ouvertes les diverses interprétations de l’œuvre (sociale, morale, psychanalytique, que sais-je encore !) tout en servant son côté comique. Extrait de l’entretien avec Mariame Clément, « Les dieux ? C’est vous, c’est moi ! », programme du spectacle, OnR, Saison 2009-2010
La Construction des décors Du dessin… au spectacle !
1. La Maquette
Un fond de scène très graphique composé de nombreux panneaux coulissants.
Le grand luxe des années 1950 : une automobile, une terrasse…
... et bien sûr un téléviseur !
Des accessoires à la taille de la grenouille star : cendrier, biscuits apéritif, ombrelle à cocktail… À l’arrière, le terrarium dans lequel vit la future épouse de Jupiter.
2. La construction des décors aux ateliers
Des toiles peintes pour un décor de western
La végétation du terrarium
Un détail de la maquette...
... qui prend forme à la menuiserie et subit des finitions à l’atelier peinture.
Des biscuits apéritif géants…
Le fond de scène est monté aux ateliers sur l’aire de montage, pour en mesurer l’évolution.
3. 6 822 heures de travail plus tard : le résultat sur scène
Photos Alain Kaiser
Du dessin au costume Julia Hansen, décoratrice et créatrice de costumes pour l’opéra, le théâtre et la danse, a créé les costumes de Platée. Après être passés entre les mains des ateliers de l’Opéra national du Rhin, les dessins prennent vie.
Maquettes de Julia Hansen
Photos Alain Kaiser
la mĂŠtamorphose en grenouille Emiliano Gonzalez-Toro devient PlatĂŠe... en images.
1745 année de la création de l’Œuvre Histoire
Beaux-arts
• Guerre de succession d’Autriche • François-étienne de Lorraine est couronné empereur romain germanique.
• Louis XV commande à Charles Joseph Natoire Télémaque dans l’île de Calypso, pour l’appartement du Dauphin à Versailles. • Louis Michel Van Loo peint une esquisse de Philippe V, Roi d’Espagne, et sa famille.
Sciences
Littérature
• Charles Bonnet, naturaliste, publie son traité d’insectologie. • Ewald von Kleist découvre le phénomène d’accumulation de l’électricité.
• Grâce à Madame de Pompadour, Voltaire revient à Versailles, et est nommé historiographe du roi. • Montesquieu publie Dialogue de Sylla et d’Eucrate. • Louis-Charles Fougeret de Monbron écrit La Henriade travestie.
biographies
Christophe Rousset, Direction musicale
Né à Aix-en-Provence, il remporte à 22 ans le Premier prix et le Prix du public du Septième Concours de clavecin de Bruges. Il débute sa carrière de chef avec Les Arts Florissants, fonde en 1991 son propre ensemble, Les Talens Lyriques, et est aujourd’hui invité à diriger dans les festivals, opéras et salles de concert du monde entier. Sa discographie à la tête des Talens Lyriques est considérable et compte notamment la bande son du film Farinelli (Auvidis), Mitridate de Mozart (Decca), Persée, Roland et Bellérophon de Lully ou le cycle des « Tragédiennes » avec Véronique Gens (Virgin Classics). Parallèlement à son parcours de chef invité, il poursuit sa carrière de claveciniste et de chambriste, et se produit et enregistre sur les plus beaux instruments historiques. Il collabore avec des structures d’insertion professionnelle à l’instar de l’Académie d’Ambronay, l’Orchestre Français des Jeunes Baroque, le Jeune Orchestre Atlantique, la Junge Deutsche Philharmonie ou le Britten-Pears Orchestra. À l’OnR, il a dirigé ses Talens lyriques pour La Fée Urgèle en 1994-1995, Philémon et Baucis en 2006 et Platée en 2010.
Mariame Clément, Mise en scène Après des études de lettres et d’histoire de l’art, elle effectue ses premiers stages de mise en scène à la Staatsoper Unter den Linden à Berlin. En 2003, elle remporte le 3e prix du Concours européen de la mise en scène pour Hans Heiling de Marschner. Elle signe sa première mise en scène en 2004 : Il Signor Bruschino / Gianni Schicchi à Lausanne. Depuis, elle a mis en scène Le Voyage à Reims à Bern, Oviedo, Tel-Aviv et Anvers, Guillaume Tell de Grétry à Bienne-Soleure, Albert Herring à Lübeck, Pirame et Thisbé à Nantes, Le Comte Ory à Athènes, L’Enlèvement au sérail à Braunschweig, Rigoletto à Nancy, La Traviata, Le Barbier de Séville et La Bohème à Bern, Il Barbiere di Siviglia à Tel Aviv, Giasone à l’Opéra de Flandre, Castor et Pollux de Rameau au Theater an der Wien, Faust à Graz, Don Pasquale au festival de Glyndebourne, La Bohème à Limoges, Agrippina à Anvers et Le Nozze di Figaro à Dortmund. En avril 2013, elle monte Hänsel und Gretel à l’Opéra de Paris. Parmi ses projets figure une création de Philippe Hurel sur un livret de Tanguy Viel, au Capitole de Toulouse. À l’OnR, elle a mis en scène La Belle Hélène en 2006 et 2010, Werther en 2009, Platée en 2010, Der Rosenkavalier et Die Zauberflöte en 2012.
Jean-Philippe Rameau Né à Dijon en 1683, il est le septième de onze enfants. Son père, organiste, assure la formation musicale de la famille : on dit de Jean-Philippe qu’il savait son solfège avant même de savoir lire et écrire. En 1701, se destinant à la musique, il séjourne environ trois mois à Milan. À partir de 1702, il est successivement organiste à Clermont, à Paris chez les Jésuites, à Dijon où il reprend le poste de son père à Notre-Dame, à Lyon puis à nouveau à Clermont. Il compose plusieurs cantates et motets, et approfondit ses connaissances théoriques sur la musique. Il publie en 1722 le Traité de l’Harmonie réduite à ses principes naturels, à son arrivée à Paris. En 1724, il publie son second livre de pièces de clavecin. Il est alors en collaboration avec Alexis Piron, poète qui écrit des comédies ou opéras comiques pour les foires de Saint-Germain et Saint-Laurent. Il continue également ses recherches théoriques en se basant sur les travaux de l’acousticien Joseph Sauveur, et publie en 1726 le Nouveau système de musique théorique. Il épouse cette même année Marie-Louise Mangot, alors âgée de dix-neuf ans (luimême en a quarante-deux). Fille d’une famille de musiciens, elle s’exerce également aux instruments et au chant, et ils auront ensemble deux fils et deux filles. Avant 1727, il rencontre son futur mécène, Alexandre Le Riche de la Pouplinière, l’un des hommes les plus riches de France. C’est notamment grâce à lui qu’il rencontre plusieurs de ses librettistes (dont Voltaire) et obtient la direction de son orchestre privé en 1731. En 1733, à l’âge de cinquante ans, Rameau est un célèbre théoricien, qui n’a cependant pas encore derrière lui une grande carrière de compositeur. Mais ses nombreuses recherches vont rapidement lui permettre de s’accomplir. Il compose cette année-là Hippolyte et Aricie, sur un livret de Pellegrin qui s’inspire librement de Phèdre de Racine. L’opéra ne laisse personne indifférent, le compositeur étant autant encensé pour la science et l’originalité de sa musique, que critiqué par les nostalgiques de Lully. Nul doute en tout cas qu’il établit Rameau comme compositeur reconnu. Le musicien écrit son premier opéra-ballet, Les Indes galantes, en 1735, et est là encore acclamé. En 1736, Samson, sur lequel le musicien collabore avec Voltaire, est interdit par la censure, n’étant pas au goût des autorités religieuses. La même année, Castor et Pollux, tragédie lyrique, est donnée à Versailles et Rameau ouvre son École de composition. Puis, en 1739, les créations se succèdent. Son second opéra-ballet, Les Fêtes d’Hébé, est donné le 25 mai, et Dardanus, le 19 novembre. Si le premier connaît un succès immédiat, Dardanus est initialement mal reçu par le public, notamment du fait de son livret plutôt léger. À sa reprise en 1744, l’œuvre aura été presque totalement réécrite. En 1745, il est nommé Compositeur de la Musique du Cabinet du Roi et se tourne vers une musique plus légère, privilégiant l’opéra-ballet et la pastorale aux tragédies en musique. Platée, comédieballet, est donnée à Versailles la même année. Il compose également La Princesse de Navarre, autre comédie-ballet ayant pour auteur de livret Voltaire, ainsi que Le Temple de la gloire et Les Fêtes de Ramire. En 1748, Rameau compose Zaïs, pastorale héroïque en un prologue et quatre actes, puis un ballet, Pygmalion, et un opéra-ballet, Les Surprises de l’amour. Il rencontre D’Alembert, qui s’intéresse de près à son approche scientifique. Il rédigera d’ailleurs en 1752 Éléments de musique théorique et pratique selon les principes de M. Rameau. Quant au compositeur, il publie en 1750 Démonstration du principe de l’harmonie, dont Diderot a aidé la rédaction. Le triomphe de la reprise de Castor et Pollux en 1754 met provisoirement fin à la Querelle des Bouffons dans laquelle Rameau se trouve engagé depuis 1752. Rameau compose sa dernière œuvre, Les Boréades, en 1763. Il a 80 ans. Pour des raisons obscures, l’œuvre n’est pas jouée. Le compositeur meurt le 12 septembre de l’année suivante. La Querelle des Bouffons l’a relégué avec Lully parmi les gloires du passé.
La Querelle des Bouffons Même si les œuvres précédentes de Rameau préfigurent déjà, dès 1733 avec Hippolyte et Aricie, d’un renouveau du style musical français, c’est en août 1752 qu’éclate la Querelle des Bouffons. Durant plusieurs années, elle oppose les partisans de l’opéra italien à ceux de l’opéra français. Lancée lors des représentations de La Serva Padrona de Pergolèse, elle s’inscrit dans un mouvement de défense contre l’hégémonie de l’art français, qui prévaut en Europe à l’époque des Lumières. Jean-Jacques Rousseau, fervent admirateur de l’œuvre de Pergolèse, l’initie en prenant fait et cause pour la musique légère à l’italienne, qui lui apparaît comme profondément nouvelle. Il publie en 1753 sa Lettre sur la musique française, où il critique l’opéra français alors représenté par Rameau, à qui il reproche un manque de naturel dans les récitatifs et de simplicité dans les chœurs. À ses yeux, l’orchestre ramellien serait également trop riche. De plus, la langue française ne serait propre à la poésie, et donc à la mise en musique. À cette vive critique, Rameau répond en 1755 par un libellé : Erreurs sur la musique dans l’Encyclopédie, Rousseau étant en effet celui qui a chargé D’Alembert des textes sur la question. L’opinion se divise en deux groupes. Au coin de la reine, dirigé par Rousseau, rejoint par Grimm et Diderot, riposte le coin du roi. La « guerre » devient littéraire aussi bien que musicale : on ridiculise le merveilleux dans l’opéra français comme on apprécie le réalisme des personnages des intermèdes italiens. Cette période marque notamment le déclin de la tragédie dans les œuvres françaises et la naissance de l’opéra-comique.
prolongements pédagogiques
Arts du langage
• Un livret haut en couleurs, riche en rebondissements • Les allégories, le rôle de La Folie • Situations psychologiques et dilemmes • Les références à la tragédie lyrique (dont le Prologue) et à la mythologie • Molière et les comédies-ballets célèbres
Arts du son
• Une écriture vocale souvent virtuose, l’ornementation • La musique au service des situations comiques : l’imitation, les répétitions et les bruitages • Platée, un rôle travesti • Des extraits de chœurs à chanter • L’orchestre baroque et ses particularités, la fonction des basses • Rameau, compositeur et théoricien, son apport dans le traitement de l’harmonie • Les conventions de l’opéra français du XVIIIe siècle (l’ouverture à la française) et les transgressions de Platée • La Querelle des Bouffons
Arts du visuel
• Le Roi danse de Gérard Corbiau • Vatel, film de Roland Joffé • Les canons de l’art classique français • Imaginer le personnage de Platée au XXIe siècle
Arts de l’espace
• Le château de Versailles, le théâtre de la grande écurie • Le Nôtre et l’art des jardins du château de Versailles
Histoire
• La création de Platée le 31 mars 1745 pour le mariage du Dauphin et de l’infante Marie-Thérèse • Louis XIV et les arts, la création des académies • Le siècle des Lumières • Les Trente Glorieuses
Arts du spectacle vivant
• Infuence du théâtre de foire, entre parodie et situations burlesques • Un livret permettant tous les anachronismes au niveau de la mise en scène et des costumes • à quoi ressemblait la danse au XVIIIe siècle ? Ses « fonctions » à la cour de Louis XIV • Les danses populaires des années 1960 • Machineries et inventions (effets spéciaux) dans le spectacle d’opéra français au XVIIIe siècle • Jouer un extrait de scène de Platée
Arts du quotidien • Vêtements (robes) et objets (voitures par exemple) des années 1960 en référence à la mise en scène