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Drogues Piqûres, soumission chimique en soirée
Piqûres, soumission chimique en soirée : Strasbourg n’est pas épargnée Drogues
Après une salve d’alertes sur les réseaux sociaux en fin d’année, le phénomène s’intensifie depuis avril sur l’ensemble du territoire national: des jeunes filles et jeunes hommes alertent sur les réseaux sociaux après avoir été drogués à leur insu dans des bars, soit dans leur verre, soit par piqûre. Un phénomène inquiétant, pris très au sérieux par les autorités. Enquête à Strasbourg.
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Mi-mai, Axel, 19 ans, sort en boîte avec des amis. Ils prennent deux verres, vont aux toilettes, et là « c’est une descente aux enfers de quatre heures », raconte le jeune homme en école d’ingénieur. Il se souvient avoir vomi, puis c’est un trou noir de plusieurs heures. « Je n’ai aucun souvenir. Un pote m’a filmé, mon corps était présent, mais j’étais vide. »
Début avril, Coralie (*), 17 ans, prend un verre avec ses copines dans une boîte strasbourgeoise. « On était installées à côté de la fosse, je n’arrêtais pas d’être bousculée, une fille alcoolisée nous criait dessus, se souvient-elle. J’ai quitté la boîte seule, j’ai appelé mon petit ami, et c’est le trou noir. » Par miracle, Coralie parvient à rejoindre son copain à l’autre bout de la ville. Elle arrive dans un piteux état. « Au début je pensais qu’elle avait trop bu, mais j’ai vite compris que quelque chose clochait, raconte Tom, 19 ans. On a pris un Uber, mais elle a été prise de vomissements. Il nous a lâchés avenue des Vosges, j’ai appelé les pompiers. » Ils l’emmènent à l’hôpital d’Hautepierre dimanche à 4h du matin, elle n’en sortira que le lundi à 17h30. « Je me suis réveillée là-bas et j’ai vu mon père, confie Coralie. Au départ, ils pensaient que j’avais trop bu, mais je sentais que c’était autre chose, et je n’avais pris qu’un verre. J’étais extrêmement fatiguée. » Ses analyses ne révèlent aucune trace de drogues « classiques ». Quand elle sort de l’hôpital, l’infirmière lui dit qu’elle a été droguée au GHB.
Ce que réfute le professeur Pascal Kintz de l’Institut médico-légal de Strasbourg, seul laboratoire à être habilité à effectuer des analyses toxicologiques dans la région. Un professeur qui n’hésite pas à tordre les idées reçues. « Le GHB, c’est un mythe sur le territoire ! lâche-t-il. En France, on doit trouver un ou deux cas avérés par an. Le GHB est utilisé par les gens qui font la fête pour contrebalancer les effets de l’ecstasy. Sur le plan clinique, avec le GHB on s’endort, comme anesthésié, et au bout de deux heures on a un réveil rapide et limpide. Alors qu’avec la soumission chimique aux médicaments, on est dans le coaltar. »
«LE GHB, C’EST UN MYTHE»
Et le professeur Kintz d’expliquer les deux phénomènes qui sévissent partout en France. Il y a d’abord la soumission chimique dans les verres. « Dans ces cas-là, ce sont essentiellement des
médicaments qui sont utilisés, comme le Xanax, le Lexomil ou le Rivotril. Un comprimé suffit. Le GHB est très rarement utilisé », insiste-t-il.
Deuxième phénomène très nouveau : l’utilisation de piqûres. « A Strasbourg, nous avons une dizaine de victimes, témoigne le professeur Kintz. Ils étaient en boîte de nuit, ont ressenti une sensation de piqûre, attestée par l’examen clinique aux urgences médico-légales. Les symptômes sont une sensation de malaise, un black-out, des difficultés à marcher ou à parler. Très proches d’une ivresse marquée. À l’heure actuelle, nous n’avons pas débouché sur l’identification du produit utilisé. L’une des hypothèses serait de l’insuline ». Fin mai, huit jeunes filles ont été victimes de piqûres lors d’un concert de rap au Zénith de Strasbourg. La gendarmerie du Bas-Rhin avait lancé un appel à témoins, sans que nous connaissions le résultat à l’heure où nous écrivions ces lignes.
Ce qui est surprenant aussi, c’est que ces attaques ne sont suivies ni d’agression sexuelle ni de vol. « Comme si c’était gratuit », s’étonne le professeur Kintz. Qu’est-ce qui motive ces agresseurs ?
« La difficulté, c’est qu’on a des témoignages sur les réseaux sociaux, mais il y a très peu de plaintes, rappelle Nadia Zourgui, adjointe au maire à la tranquillité publique. Si on avait plus de plaintes, on aurait un faisceau d’indices, il y aurait une enquête sur place pour voir comment ça se passe. C’est un phénomène qui nous dépasse tous, on ne comprend pas le pourquoi. A aucun moment on n’entend parler de viol, d’agression sexuelle, ou de vol aggravé avec violence. Les jeunes sont drogués mais pas dépouillés. Est-ce un nouveau jeu ? »
Les autorités prennent en tout cas le sujet au sérieux. Selon nos informations, le parquet de Strasbourg a ouvert plusieurs enquêtes, suite à des dépôts de plaintes. La procureure de la République ne souhaite en revanche pas communiquer. « Il faut faire un vrai tri entre les filles trop enivrées qui ne le reconnaissent pas et celles qui auraient vraiment été victimes », témoigne une source proche du appeler les secours (15) en cas de malaise, vomissements, perte de connaissance.
Le président des cafetiers et discothécaires de Strasbourg à l’UMIH, Jacques Chomentowski, souhaite aussi s’associer à la Ville pour mener une campagne de sensibilisation localement.
Après deux années de pandémie, les professionnels du monde de la nuit se passeraient bien de ce genre de publicité. « Il y a des comportements qui ne sont pas acceptables, rappelle-t-il. Chez moi, quand les mecs sont bourrés, qu’ils laissent leur pote prendre la voiture, ce n’est pas responsable. Ce n’est pas acceptable non plus d’accuser un bar. Quand on a une suspicion d’avoir été drogué, il faut porter plainte, faire un test, et là la police peut enquêter sur le bar. »
Restent deux problèmes de taille. Le premier, c’est que les victimes craignent souvent le jugement. « Deux copines de ma fille ont été droguées, l’une à Strasbourg, l’autre en Allemagne, témoigne Virginie, 48 ans. J’ai halluciné que ma fille, en médecine, n’ait pas conduit son amie à l’hôpital alors qu’elle n’arrivait plus à tenir sa tête, comme un nouveau-né. Elle a refusé de porter plainte, alors que je les connais, ce sont plutôt les “Sam” des soirées… Il n’y a pas de honte à avoir été victime, ne pas alerter et porter plainte, c’est donner un sentiment d’impunité et mettre d’autres filles, ou garçons, en danger. »
Deuxième problème : le coût des analyses. « Cela revient à 1100 € HT, soit 1320 € TTC, précise le professeur Kintz. Lorsqu’il y a une expertise judiciaire, c’est la justice qui paye. Mais s’il n’y a pas de plainte, c’est à la charge du particulier. » Un frein certain.
Une campagne de communication devrait être adoptée en conseil municipal en juin, précise Nadia Zourgui : « L’Eurométropole, la police nationale, mais aussi L’Eurodistrict qui connaît les mêmes problèmes, nous sommes tous mobilisés. Nous souhaitons associer l’UMIH, mais aussi les associations Ithaque et “Dis Bonjour sale pute”, pour mener des testings dans des établissements privés, lors de grosses soirées étudiantes, et sensibiliser aux gestes de prévention. » L’adjointe au maire souhaite aussi la création de Safe zones pour mettre à l’abri d’éventuelles victimes et permettre une prise en charge rapide. Avec un appel général à signaler toute personne en danger. S
Le professeur Pascal Kintz, à l’Institut médico-légal de Strasbourg.
«Ce sont essentiellement des médicaments qui sont utilisés, comme le Xanax, le Lexomil ou le Rivotril. Un comprimé suffit. Le GHB est très rarement utilisé.»
Pascal Kintz
dossier qui émet quelques réserves et se demande « s’il n’y a pas un emballement médiatique ». Reste que le ministère de l’Intérieur a lancé une campagne de sensibilisation, affichée dans les bars et boîtes strasbourgeois, pour rappeler les gestes de base – faire attention à son verre, ne pas accepter de boisson d’un inconnu, ne pas sortir seul(e). Mais aussi alerter la police (17) en cas de comportements suspects et ne pas laisser seule la victime. Enfin, (*) Le prénom a été changé.