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INFIRMIÈRES LIBÉRALES

Véronique Bier (à gauche) et son associée Stéphanie Rançon

SOIGNANTS

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INFIRMIERES LIBÉRALES Elles se sentent abandonnées

Véronique Bier (48 ans) exerce sa profession d’infirmière libérale à Mittelhausbergen et les communes alentour, associée avec Stéphanie Rançon (elle est également syndiquée à Convergence Infirmières 67, un syndicat qui regroupe les infirmières libérales -ndlr). C’est au détour d’une formation à Montpellier, début mars dernier, qu’elle «prend conscience de la gravité de l’épidémie. Le 8 mars dernier, à mon retour en Alsace, on comprend l’ampleur du “cluster” mulhousien et, à titre personnel, je réalise que ce qui nous attend va être grave» raconte-t-elle. «À ce moment-là, je suis encore dans cette croyance que notre tutelle, l’Agence Régionale de Santé (ARS) va nous fournir, via le réseau des pharmaciens, les indispensables équipements de protection nous permettant de nous protéger durant notre travail et aussi, bien sûr, de protéger nos patients. Notre toute première attente concernait les masques car déjà, on tournait avec un seul masque chirurgical par jour, alors qu’en fait on ne pouvait le garder que durant quatre heures. Dans le cabinet que je partage avec une autre infirmière libérale, nous n’en avions plus que quelques-uns. On les a économisés au maximum car on avait très peur de ne pas en avoir. La première dotation organisée par l’ARS fut de cinq masques par infirmière! Faites le calcul : en un jour et demi (huit heures de travail en journée plus deux heures en soirée) nous n’avions plus rien! On a alors alerté la presse et via Or Norme que je remercie au passage et France 3 Alsace, on a appelé au don de matériel avec la consigne de le déposer à l’ARS. Je ne sais pas comment ces dons ont été dispatchés mais toujours est-il que nous avons pu récupérer quelques masques seulement, et encore, bien tardivement… Nous n’avons pas vu la couleur d’un quelconque autre matériel. Ce n’est qu’un mois plus tard, après avoir écrit un courrier à l’attention du président de la Région Grand-Est, Jean Rottner, adressé

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L’ARS a fourni un matériel très mal adapté aux attentes des infirmières libérales.

via le siège régional de l’ARS à Nancy, que nous avons pu obtenir notre dotation de masques. Heureusement, la mairie de Mittelhausbergen a réussi à nous doter de masques FFP2, ce qui nous a bien dépannées. Nous nous sommes mises à appeler toutes sortes d’entreprises. Je suis donc ensuite allée chercher des sur-blouses dans un abattoir, jamais de ma vie je n’aurais pensé avoir à faire ça. J’ai récupéré des lunettes de protection dans une entreprise près de mon domicile qui m’a aussi donné des masques FFP3, encore plus protecteurs que les quelques masques FFP2 que nous avions encore. Des sur-blouses, des calots sont arrivés, offerts par une entreprise de Colmar. Heureusement, cette solidarité a joué à fond car, nous les infirmières libérales, nous étions alors les seules à nous rendre chez les malades chroniques : les médecins ne faisaient plus de consultations, les kinés étaient à l’arrêt et il n’y avait plus d’auxiliaires de vie. Il fallait vraiment s’occuper de tout et notre temps de travail s’est trouvé considérablement rallongé. Et bien sûr, il a aussi fallu gérer notre stress et même notre peur de ce virus. Notre hantise était de contaminer nos patients et notre propre famille. Nous avons eu le sentiment que notre tutelle nous abandonnait. Ah bien sûr, plusieurs fois par semaine, l’ARS nous envoyait toutes sortes de circulaires et de textes concernant le Covid-19. On ne peut pas dire qu’on n’a pas été informées, ça, c’est certain (sourire narquois - ndlr). Mais c’est de matériel dont nous avions désespérément besoin…»

Et, joignant le geste à la parole, Véronique se lève et ouvre une armoire. Sur les deux étagères les plus hautes, un nombre impressionnant de ce qui paraît être des rouleaux de sacs poubelles. En réalité, ce sont des sacs-poubelle avec trois découpes -une pour la tête et une pour chaque bras-, censés se transformer en «sur-blouses» prédécoupées, envoyées tardivement par l’ARS. «Inutilisables» commente-t-elle. «Ces équipements trop fins sont d’une fragilité incroyable, deux fois sur trois on ne parvient même pas à les enfiler sans les déchirer. Et je ne vous parle même pas des manches de fortune soi-disant prévues pour venir protéger nos bras…»

‘‘ Heureusement, cette solidarité a joué à fond. ’’

La deuxième associée du cabinet nous rejoindra in extremis vers la fin de l’interview et conclura avec des mots définitifs : «Nous sommes parmi celles et ceux qui ont fait fonctionner le pays. Malgré tout. En fait, nous n’avons été que de la chair à canon, on nous a envoyées à poil sur le front. Et aujourd’hui, c’est comme si nous n’existions pas…»

Les 120 000 infirmières libérales exerçant en France sont les seules à systématiquement se rendre au domicile de leurs patients, 7 jours sur 7 et 365 jours par an, un atout inestimable pour nombre de patients éprouvant toutes sortes de difficultés pour se déplacer. Comble du comble, elles ne sont même pas représentées dans les tours de tables du Ségur de la Santé, censé revoir de fond en comble toute l’organisation du système de santé publique de notre pays! On marche vraiment sur la tête!

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