Un champ de particules

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Altérité :

caractéristique de ce qui est autre, de ce qui est extérieur à un « soi », à une réalité de référence : individu et par extension, groupe, société, chose, lieu.

Arduino (carte) :

Arduino est un circuit imprimé dont les plans sont publiés en licence libre sur lequel se trouve un microcontrôleur qui peut être programmé pour analyser et produire des signaux électriques, de manière à effectuer des tâches très diverses comme la charge de batteries, la domotique (le contrôle des appareils domestique - éclairage, chauffage...), le pilotage d’un robot, etc. C’est une plateforme basée sur une interface entrée/sortie simple et sur un environnement de développement utilisant la technique du Processing/Wiring.

Artefact :

terme qui désigne à l’origine un phénomène créé de tout pièce par les conditions expérimentales, un effet indésirable, un parasite. Le mot est parfois employé pour désigner de manière générale un produit ayant subi une transformation, même minime, par l’homme.

Atelier :

lieu de production, en principe petit, vient d’un vieux mot français désignant un éclat de bois et inclut en général une idée de travail manuel.

Contre culture :

mouvement culturel contestataire. Dans les cultural studies (courant de recherche transdisciplinaire), une contre-culture est une sous-culture partagée par un groupe d’individus se distinguant par une opposition consciente et délibérée à la culture dominante.

Créativité :

néologisme accepté en français depuis 1972 et synonyme d’inventivité, d’imagination appliquée. Détermine la capacité à inventer du nouveau, à découvrir une solution originale à un problème.

Crowdsourcing :

en français : externalisation ouverte, le crowdsourcing signifie littéralement « approvisionnement par la foule, ou par un grand nombre de personnes ». C’est un terme de management de la connaissance qui désigne le fait d’utiliser, notamment grâce à Internet, la créativité, l’intelligence, le savoir-faire ou les connaissances d’un grand nombre de personne pour réaliser certaines tâches, traditionnellement du ressort de l’entreprise (exemple : wikipédia, le projet Stardust@home, ou OpenStreetMap)

Empowerment :

en français : autonomisation ou capacitation. Processus d’acquisition d’un « pouvoir » (power), le pouvoir de travailler, de gagner son pain, de décider de son destin de vie sociale en respectant les besoins et termes de la société.

Endogène :

qui prend naissance à l’intérieur d’un corps, d’un organisme, d’une société, qui est dû à une cause interne. Contraire : exogène.

Ethos :

mot grec qui signifie le caractère habituel, la manière d’être, les habitudes d’une personne ou d’un groupe social

Excellence Universitaire :

caractère supérieur, tendant à la perfection d’un enseignement ou d’une université et qui en fait un facteur d’attractivité. Elle est mesurée par des classements d’universités, dont le plus connu est celui de l’université Jiao Tong de Shanghai (existe depuis 2003), qui utilise six indicateurs : le nombre de prix Nobel et de médailles Fields parmi les anciens élèves, ceux parmi les chercheurs, le nombre de chercheurs les plus cités dans leurs disciplines, le nombre d’articles publiés dans les revues Nature et Science, les articles indéxés dans le Science Citation Index, ainsi que la taille de l’institution.

Greffe :

opération qui consiste à insérer une partie vivante d’une plante dans une autre plante de manière que le greffon puisse se développer.

Hacker :

de l’anglais « hack » qui signifie tailler, couper, hacher, et par extension bricoler. Le hacker est une personne qui se délecte de la compréhension approfondie du fonctionnement interne d’un système, en particulier des ordinateurs et réseaux informatiques. Cette dernière définition fait écho à celle utilisée depuis les années 1950 par les radio-amateurs, pour qui le hacking est un bricolage créatif visant à améliorer le fonctionnement d’un système.


Jury : Christian Drevet, architecte, enseignant ENSA de Saint Etienne Jacques Schmitt, Direction du Développement et de l’Aménagement Université de Grenoble Nicolas Dubus, architecte, enseignant ENSA de Grenoble Eric Seguin, architecte, enseignant ENSA de Grenoble Catherine Pierre (sous réserve), rédactrice en chef adjointe de la revue AMC Grégoire Chelkoff, architecte, enseignant ENSA de Grenoble (directeur d’études) Yann Blanchi, architecte, enseignante ENSA de Grenoble (représentant de l’UE) Encadrement du master ACSE : Grégoire Chelkoff, responsable du Master ACSE, architecte, professeur Yann Blanchi, architecte, maître-assistante associée Jacques Scrittori, architecte d’intérieur, maître-assistant associé Magali Paris, ingénieure paysage, maître-assistante associée Avec les participations de : Nicolas Tixier, architecte, maître-assistant Walter Simone, architecte, vacataire


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Un champ de particules Pour une rencontre de l’Université et de la créativité : hacker le territoire du Campus Des petites architectures catalyseurs de l’excellence Universitaire et du génie du bidouillage Atelier de l’interactivité : un dispositif sensible qui frissonne


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Le titre du projet “un champ de particule” fait référence à deux courts-métrages qui évoquent, chacun à leur manière, les sciences et les techniques. Le premier, “le chant des particules”, film réalisé par Benoît Bourreau (2010, 15’), met en scène un vieux scientifique qui se remémore la mise en service au début du XXIe siècle d’un accélérateur de particules. L’autre, “le chant du styrène” date de 1958 et fut commandité à Alain resnais par le groupe Pechiney, qui voulait un film à la gloire de l’industrie plastique. Les images, qui font remonter tout le processus de fabrication d’un bol plastique en 19 min, sont d’une captivante beauté.


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Avant-propos

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Sommaire

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Introduction : créer un écosystème de l’innovation ?

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D’où viennent les bonnes [et les nouvelles] idées ?

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1/ Qu’est-ce que l’innovation ?

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2/ Innovation ouverte ou fermée ?

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3/ La créativité, pilier de l’innovation

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4/ Collaboration, expérimentation et le modèle de la relation arts-sciences

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5/ Conclusion

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Entre arts, urbanité, culture numérique et autogestion, revue non exhaustive de pratiques de bricolage

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1/ Les friches culturelles

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2/ Expérimentations architecturales et urbaines

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3/ Pratiques artistiques émergentes et arts numériques

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4/ Bricolage et Do-It-Yourself

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5/ Hackers et fablabs

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6/ Conclusion

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Mise en oeuvre de l’hybridité : un champ de particules

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1/ Expérience physique et enjeu symbolique : la frontière ville - Campus

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2/ Les jardins partagés comme sol augmenté de substrats politiques et sociaux

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3/ Greffe d’un écosystème à un autre : designer la phagocythose

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Atelier de l’interactivité : un dispositif qui frissonne

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1/ Modularité : une implantation géographique évolutive et un plan souple

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2/ Fonctionnalités paramétrable, architecture interactive vis-à-vis du climat et du contexte extérieur

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3/ Double fonction et paradoxe : climatiseur versus sensibilité aux variations extérieures

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4/ Une peau hérissable

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5/ “Mode manuel” / “mode automatique”

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Bibliographie


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Introduction : Créer un écosystème de l’innovation ? En février 2008, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de La Recherche lançait un plan d’envergure nationale visant à « hisser dix grands campus d’excellence* au rang international ». La réponse élaborée par les acteurs grenoblois a été retenue ; le projet “Grenoble Université de l’Innovation” propose une série de mesures opérationnelles, dont la mise en place d’un plan d’aménagement et de renouvellement immobilier censé d’une part renforcer les qualités de vie et de travail des usagers et d’autre part établir un lien étroit entre les deux sites (Saint Martin d’Hères et Polygone Scientifique) du campus grenoblois. Ces dispositions servent une stratégie globale, dont l’idée motrice est « de garantir [au site grenoblois] un développement économique futur basé sur l’innovation* dans toutes ses dimensions. »1 L’innovation est le maître mot de ce vaste projet ; elle est de même au cœur de l’enjeu à Grenoble, qui peut déjà se vanter d’une appellation de “Silicon Valley à la française”. On Grenoble Université de l’Innovation, Note de synthèse de l’Opération Campus, 9 pages, novembre 2008 [http://www.grenoble-univ.info/documents/ beton/Operation-campus/Projet-novembre-2008/GUI_ synthese.pdf] 1

y parle d’un “ écosystème d’innovation endogène*”2, qui met en synergie un terreau de recherche pluridisciplinaire et universitaire fertile, une recherche appliquée et efficace, ainsi qu’un tissu industriel dense et diversifié. Le projet de “Grenoble Université de l’Innovation” a pour ambition de s’appuyer sur ces atouts déjà en présence pour acquérir une place de choix dans la compétition internationale. Pour atteindre ces objectifs, les acteurs du projet s’appuient sur une série d’éléments aptes à faire émerger un modèle territorial d’innovation. Les notions d’interdisciplinarité forte, de décloisonnement de la recherche, de proximité physique et culturelle des acteurs

Grenoble Université de l’Innovation, Note d’intention de l’Opération Campus, 12 pages, avril 2008 [http://www.grenoble-univ.info/documents/beton/ Operation-campus/Note-intention-avril-2008/Note%20 d’intention-avr2008.pdf] 2

et de pédagogie ambitieuse sont quelques unes de ces nouvelles pistes pour créer les conditions de l’innovation, et in fine, favoriser le développement économique. Dans la mesure où nous avons été amenés a nous pencher sur le développement urbain futur du campus de Saint Martin d’Hères, incarné par le Schéma Directeur d’Aménagement Durable 2015 - 2025, il nous a semblé pertinent d’aborder la problématique des conditions favorables à l’innovation.


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fig. 0 : Perspective du projet de la Presqu’île de Grenoble par Claude Vasconi.

Au-delà de l’objectif annoncé de réhabilitation du parc immobilier universitaire partiellement dégradé, quelles propositions concrètes les acteurs du projet de “Grenoble Université de l’Innovation”, en tant que maîtres d’ouvrage, ont-il avancées en termes d’aménagement spatial innovant ? Quelles dispositions spatiales y figurant peuvent être à même de proposer des lieux propices à l’interdisciplinarité, au décloisonnement des disciplines et des pratiques liées au savoir, à l’acquisition de l’autonomie ? Loin d’établir une critique, nous proposons d’aborder l’innovation et son corollaire, la créativité*, au travers du prisme des usages et des pratiques du “faire” déjà en place dans le bassin grenoblois, au-delà du seul cadre académique et universitaire. Nous convoquons dans cette réflexion les ressorts de l’art et de la culture, les savoir-faire amateurs, que nous envisageons comme composantes complémentaires à l’excellence* universitaire et aux partenariats université - industrie. Nous questionnerons la notion même d’innovation et les relations qu’elle entretient avec l’économie, la créativité* et la recherche ; nous verrons les formes très variées que revêtent les pratiques de “bricolage” artistiques, culturelles ou technologiques et qui sont à même de constituer un intrant fertile dans l’écosystème de la connaissance du campus grenoblois ; avant de présenter notre proposition architecturale, basé sur la dissémination de petites architectures modulaires. Au croisement de la recherche universitaire, des nouveaux territoires de l’innovation et des pratiques d’art et de bidouillage numérique, notre hypothèse de travail pour l’aménagement du campus de Saint-Martin d’Hères part du principe que les lieux dédiés à l’innovation au service du développement économique doivent être couplés à des espaces partagés et libres, voués à accueillir les formes les plus diverses de créativité*, d’expérimentation et de fabrication ouverte et collaborative.


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Cadre théorique 1/ D’où viennent les bonnes [et les nouvelles] idées ? L’innovation possède plusieurs sens : il peut s’agir d’une démarche, d’un processus, d’un résultat ou d’un produit. C’est un facteur indispensable de compétitivité et un des principaux moteurs de la croissance. Elle est également, dans la vulgate, associée étroitement aux sciences et aux technologies, au point qu’on la ramène facilement aux technologies innovantes. Il est alors réducteur, alors que les modèles d’innovation ouverte théorisés depuis les années 60-70 atteignent aujourd’hui l’Europe, d’en rester à ces définitions ; l’innovation atteint aujourd’hui les secteurs publics et non-marchands de la société (notamment par le biais des innovations sociales et culturelles) et ne peut donc pas se résumer à un avantage concurrentiel. Nous nous inscrivons dans cette vision étendue de l’innovation, qui admet les changements advenant à tous les niveaux et dans tous les secteurs de la société.

1/ Qu’est-ce que l’innovation ? Innover signifie introduire quelque chose de nouveau dans un usage, un procédé, un système scientifique ou philosophique. C’est la rencontre fructueuse entre un élément singulier, issu de la créativité* ou du génie humain avec un usage partagé par un nombre suffisamment grand de personnes. Car l’invention seule ne connaît pas de développement si elle ne se charge pas d’une valeur d’usage, qui permet l’appropriation. L’innovation diffère donc de l’invention dans la mesure où elle s’inscrit dans une perspective applicative. En économie classique, l’innovation désigne la génération d’une nouvelle idée et son intégra“Currents” d’Emily Ginzburg

L’histoire du four à micro-ondes est un exemple révélateur de ce qu’est une innovation technologique. La technologie des micro-ondes avait été développée dans les années 30 en Angleterre, sans trop savoir à quoi cela pouvait servir. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la société d’armement américaine Raytheon Corp. reprend le magnétron, appareil qui propulse ces ondes courtes, et le modifie pour en faire un équipement de radar et donc une aide précieuse dans la détection aérienne. Cet usage des micro-ondes ne durera pas : un ingénieur de la société fait le constat que les tubes utilisés dans le radar produisent de la chaleur, au point que les ouvriers y font chauffer leur sandwich le midi. Une poignée de grains de maïs déposée dans le faisceau des ondes et transformée en quelques secondes en pop-corn finit de convaincre la société, le four à micro-ondes pouvait être développé.


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13 tion dans un nouveau produit, procédé ou service, menant à la commercialisation et donc à l’acquisition d’un avantage compétitif pour l’entreprise qui la développe. «  L’innovation est ainsi vécue comme vecteur de progrès économique en élargissant les débouchés, en générant des emplois et des qualifications, en permettant de nouvelles pratiques organisationnelles, en augmentant la productivité, en transformant les modes d’usages et les mentalités, et, de façon

ATAMER, T. et al, Développer l’innovation, in La Revue Française de Gestion, 2005/2, n° 155, Lavoisier 3

fig. 3 : Phénotypage cellulaire par imagerie automatisée. Le CEA Grenoble héberge depuis le début 2002 la première plateforme académique française de criblage haut débit dédiée à l’étude des systèmes cellulaires.

ultime, en modifiant les normes ainsi que les référentiels sociaux. » 3 Au sein des firmes, l’innovation se fait traditionnellement au travers des activités de Recherche & Développement (abrégé en “R&D”), qui englobent les travaux de création et de recherche en vue d’accroître les connaissances sur l’homme, les sciences, la culture et la société, de les utiliser pour de nouvelles applications et de développer des prototypes. Jusque dans les années 60-70, l’innovation était conduite dans les entreprises de manière complètement fermée, c’est-à-dire menée et mise en application eu sein de l’entreprise elle-même. Les départements de R&D étaient de véritables forteresses, garantes de la compétitivité des entreprises. Ce qui sous-tendaient alors des choix de management : embaucher un personnel hautement qualifié, allouer des ressources considérables pour le développement des idées, puis contrôler fermement la propriété intellectuelle.

fig. 4 : Le projet BEE-SECURED issu du CEA-Leti propose de recourir aux abeilles pour surveiller l’environnement et collecter des informations diverses (présence de pesticides, OGM, radioactivité, pollution industrielle…).

fig. 1 : départements R&D de Sanofi-Pasteur à Orlando, USA

fig. 2 : bâtiments Minatec à Grenoble


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2/ Innovation ouverte ou fermée ? Depuis une dizaine d’années en Europe et en France, ce paradigme de l’innovation “fermée” et contrôlée disparaît peu à peu au profit de celui de l’innovation “ouverte” ou CHESBROUGH, H., Open Innovation, The New Imperative for Creating and Profiting from Technology, Harvard Business School Press, Cambridge, Massachussets, septembre 2006 4

“externalisée”. L’innovation ouverte est un terme promu par Henry Chesbrough4, professeur

fig. 6 : distribution dans une AMAP grenobloise. Les AMAPS, Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne, sont des regroupements de consommateurs qui, pour s’approvisionner en fruits, légumes et autres denrées alimentaires, traitent de manière directe et solidaire avec des producteurs locaux, favorisant ainsi les filières courtes.

et directeur du centre pour l’innovation ouverte à Berkeley, Californie. Cette définition repose sur l’hypothèse que les idées ayant de la valeur peuvent aussi venir de l’extérieur de l’entreprise. C’est un mode d’innovation qui, bien que compatible avec une économie de marché, est basé sur le partage des idées et des connaissances, la collaboration et la sérendipité*. L’innovation ouverte implique de s’ouvrir à des partenaires extérieurs : entreprises du même secteur, intermédiaires, start-ups, consultants, universitaires, laboratoire de recherche privés ou publics, voire même «  inventeurs », «  bidouilleurs », ou communautés d’usagers. Cela a comme conséquence l’assouplissement du management de l’innovation, d’une part en étant capable de travailler avec un plus large panel de partenaires et d’autre part en adoptant des outils novateurs comme le design thinking, l’intelligence collective, le crowdsourcing*, la mise en réseau des connaissances et des compétences, le brainstorming,

sociales ou organisationnelles ; elle nécessite une participation accrue des différents acteurs,

etc.

la mise en commun de ressources et la diffusion par différents moyens  : éducation, forma-

Mais les principes de l’innovation ouverte débouchent aussi sur des démarches liées

tion, transfert de technologie et/ou de connaissances.

aux alternatives éthiques ou solidaires de partage libre de savoirs et de savoir-faire, qu’on peut ranger sous le terme d’innovations sociales ou culturelles. L’innovation sociale réside

Même si l’innovation sociale et

dans la conception et la mise en œuvre de solutions créatives et nouvelles pour répondre

l’innovation de marché diffèrent dans

à des aspirations ou des besoins sociaux. Cette dernière se démarque de l’innovation tech-

leurs finalités respectives, il est intéressant

nologique car elle ne répond pas exclusivement à une logique de marché, de concurrence, ou

de remarquer que le décloisonnement de la

de besoins d’une clientèle. Elle répond très souvent à une urgence d’améliorer des pratiques

recherche et les dynamiques de co-création en sont des constantes transversales, que

fig. 5 : Ideas Lab de Minatec, un plateau d’innovation partagée multipartenaire (CEA - France Télecom - STMicroelectronics Hewlett Packard - Bouygues)

l’on peut retrouver dans d’autres secteurs de la société (dans les politiques publiques, par exemple, avec l’avènement de la démocratie participative). Ce phénomène est global ; et la révolution numérique en est largement responsable, matérialisée par l’accroissement exponentiel du potentiel des NTIC* et du web 2.0 qui donnent Le terme prosommateur, vient de l’anglais prosumer, néologisme formulé par Alvin Toffler, écrivain et futurologue américain. Dans son ouvrage La troisième vague (traduit en français chez Denoël, Paris, 1980), il prédit la désintégration progressive des frontières entre le rôle des consommateurs et celui des producteurs, qui vont progressivement fusionner. C‘est un terme qui, par extension, désigne l’élévation d’un certain nombre d’amateurs à un niveau quasi professionnel, ce qui modifie en profondeur les offres du marché. 5

aux usagers, consommateurs, producteurs ou citoyens un pouvoir de discussion,

“Les grandes plateformes du web donnent du pouvoir aux gens. On parle d’empowerment*(ou capacitation) pour évoquer cette montée en puissance du public à l’heure du web 2.0. Et pour Robin, c’est bien là l’enjeu de l’internet : “je veux bâtir des plateformes qui donnent du pouvoir aux gens !”, lance-t-elle comme un credo en évoquant les succès de plateformes comme MeetUp, une plateforme pour organiser des réunions physiques qui en 10 ans d’existence totalise 7,2 millions de membres et propose quelques 250 000 rencontres par mois ; Etsy, ce site fondé en 2006 et qui propose à la vente 1,5 million d’objets fabriqués par les gens  ;  Waze, fondé en 2006 et qui avec ses 2 millions d’utilisateurs permet de partager des informations de trafic depuis le GPS de son téléphone mobile ; AirBNB lancé en 2008 qui permet de trouver des logements chez les particuliers a déjà permis de loger 1,6 millions de personnes depuis son lancement ; Couchsurfing créé depuis 2003 propose 1,2 million de canapés chez l’habitant et a déjà enchanté 5,4 millions de participants.” Hubert Guillaud, dans un article publié sur [http:// www.internetactu.net/2011/07/13/faire-sa-propre-villecomment-les-gens-prennent-ils-le-pouvoir/]

d’évaluation, et de collaboration au travers d’une infinité de plateformes d’échange. Les frontières entre producteur et consommateur, professionnel et amateur, citoyen et représentant de l’Etat semblent s’’estomper peu à peu au profit d’identités ou de statuts hybrides que traduisent des néologismes comme « consom’acteur », « maker » ou encore « prosommateur »*5 .


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3/ La créativité, pilier de l’innovation. L’innovation ne saurait être dissociée de la créativité*, ce processus mental qui donne lieu à l’invention, à l’originalité et à la nouveauté. Elle est fondamentalement le fruit du hasard ou de la nécessité. Cependant, sans talent, ingéniosité, imagination ou curiosité, ni le hasard ni la nécessité ne suffiraient à produire l’innovation. C’est pourquoi aujourd’hui des dizaines d’experts et de consultants insistent sur l’importance d’encourager l’esprit créatif et la curiosité, tant dans le domaine de l’éducation que du management.

> “thinking out of the box” signifie, en anglais américain, penser différemment, de façon non conventionnelle ou selon une perspective nouvelle. Le thinking out of the box implique d’arriver à sortir de ses propres raisonnements habituels. Ce concept est illustré par le problème des neuf points. Il s’agit de relier, sans lever le crayon les neuf points, à l’aide seulement de quatre traits droits qui se touchent. La solution vient lorsqu’on va chercher, hors du cadre, deux points supplémentaires qui permettent de régler le casse-tête.

L’un des plus connus d’entre eux, Sir Ken Robinson, brillant consultant international en éducation, plaide même pour une révolution des systèmes éducatifs : « Nous devons reconnaître que l’épanouissement humain n’est pas un processus mécanique, c’est un processus

Même si nous sommes tous potentiellement des esprits créatifs, comme le martèlent un

organique. Et vous ne pouvez pas prédire le résultat du développement humain ; tout ce que vous

grand nombre d’articles sur le sujet, il n’est pas moins vrai que les bonnes idées surgissent

pouvez c’est, comme un fermier, créer les conditions dans lesquelles il va s’épanouir. Et quand nous

souvent “par hasard”. Intuition ou accident ? Quel rôle joue le hasard dans la génération

considérons la réforme de l’éducation et sa transformation, ce n’est pas pour cloner un système.

des idées ? Beaucoup de découvertes et d’inventions ont été le fruit, non pas de recherches

[…] Il s’agit de l’adapter aux circonstances et de personnaliser l’éducation des personnes à qui Sir Ken Robinson, Révolutionnez l’éducation ! Conférence TED de février 2010 [http://www.ted. com/talks/lang/fr/sir_ken_robinson_bring_on_the_ revolution.html] 6

assidues et de déductions logiques, mais d’ “heureux hasards”, le chercheur ou l’inventeur

vous enseignez des matières. Et faire cela est la réponse au futur. » 6

ayant quelque chose de totalement différent en tête. En fait, c’est la rencontre entre un

L’incitation, voire parfois l’injonction, à la créativité* fait également partie de la rhéto-

esprit chercheur et ouvert avec un événement imprévisible qui engendre une invention ;

rique actuelle dans le monde de l’entreprise, où la faculté à innover, on l’a démontré, est un

cela s’appelle la sérendipité*. Mais dans quelle mesure est-il possible d’inciter ce phénomène

enjeu déterminant. « Que l’on soit assureur ou designer, chercheur ou architecte, programmeur Sid Lee, extrait de l’introduction du “plan d’action” de l’événement C2.MTL commerce + créativité Montréal, événement-conférence sur la créativité et l’innovation à portée internationale, novembre 2010 7

l’on ne cherchait pas. Chaque mot compte et l’on constate que la notion de sérendipité dépasse

En outre, beaucoup de PDG ont témoigné que pour évoluer avec succès dans un monde

largement le simple hasard. A l’accident déclencheur doit s’associer la sagacité, c’est-à-dire le dis-

complexe, la créativité est, devant la rigueur, le management, la discipline ou la vision, LA faculté requise.

fig. 7 : And all the questionmarks started to sing. Installation et performance de la compagnie Verdenstreatet (NOR) à l’exposition Low tech, Mac de Créteil, avril 2012

? « La sérendipité désigne le fait de faire des découvertes, par accident et sagacité, de choses que

ou comédien, la créativité sera le moteur principal de la compétitivité pour les années à venir.» 7

cernement ou le flair qui permettent de détecter une anomalie, de la questionner, de l’interpréter, Michel Alberganti, introduction de l’émission radiophonique “Science Publique” : La sérendipité, quel rôle joue le hasard dans la science ? France Culture, 25 février 2011 8

de la comprendre et de l’exploiter. » 8 Risque, imprévu, intuition, hasard, imagination… la créativité* échappe. Alors qu’il est difficile voire impossible de la planifier, il est néanmoins concevable de la stimuler, d’en réduire les obstacles, de favoriser la prise de risque qui la provoquera. Mais comment cela peut-il se traduire concrètement ? Qu’est-ce qui peut engager des individus et des équipes, notamment des équipes universitaires, à devenir et rester innovants ? Nous avons identifié trois conditions qui, entre autres, peuvent contribuer à alimenter la créativité qu’elle soit individuelle ou collective, ainsi qu’orienter la démarche d’innovation  : le travail collaboratif, l’opportunité de l’expérimentation et le modèle de la relation arts-sciences. Ces trois facteurs ont en commun qu’ils s’incarnent dans l’espace. A l’évidence, la question du lieu est d’importance cruciale dans la recherche de la créativité, et à la fois elle présente un paradoxe : la créativité ne s’exerce que rarement là où on a prévu qu’elle émerge, et pourtant l’homme lui a dédié des lieux, permanents ou éphémères. Voyons l’exemple des grandes écoles, des laboratoires universitaires, des maisons de la création ou des théâtres, mais aussi de tous les types de lieux « alternatifs » : squats, friches culturelles ou artistiques, lieux « off », ou même festivals comme celui de Burning Man, lieu de convergence artistique unique au monde, au milieu du désert du Nevada.


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19 La question qui se tisse entre les lignes concerne alors la programmation et la détermina-

4/ Collaboration, expérimentation et le modèle de la relation arts-sciences

tion à priori de ces espaces, de l’échelle territoriale à l’échelle de l’aménagement intérieur. Comment, forts des observations faites des lieux qui foisonnent et qui innovent, sera-t-il

Nous défendons l’idée de collaboration car elle implique une organisation qui n’est

possible de déterminer des intentions spatiales ?

plus basée sur une hiérarchie verticale mais au contraire sur la souplesse et la réciprocité, où des compétences différentes

fig. 8 : bâtiment 20 du MIT, Massachusetts Institute of Technology, façade sur Vassar Street, 1997 Ce bâtiment est un exemple intéressant d’un lieu devenu créatif spontanément. Celui-ci avait été construit dans la hâte, à la fin de la seconde guerre mondiale ; il présentait de multiples défauts de construction et devait être démoli rapidement. Mais du une affluence d’étudiants au MIT après la guerre, il fut décidé de le conserver. Et cet ensemble, si destructuré, si mal-foutu, est celui qui a donné naissance à bon nombre de théories et de technologies du XXième siècle. “Stewart Brand, dans son essai How Buildings Learn mentionne le bâtiment 20 comme l’exemple d’une structure “mal foutue”, devenue un espace exceptionnellement créatif, justement par ce qu’il n’a pas été voulu ni conçu (un autre exemple en serait le garage de la Silicon Valley). Au final, les scientifiques du bâtiment 20 se sentaient libres de refaire leurs locaux, adaptant leur structure à leurs besoins. Les murs étaient abattus sans permission, l’équipement s’entassait dans la cour de l’immeuble. Quand Jerome Zacharias a développé la première horloge atomique, il a supprimé deux plafonds de son labo pour faire de la place à un cylindre de trois étages…” Rémi Lussan, au-delà du brainstorming, article d’internetactu de mars 2012 [http://www.internetactu.net/2012/03/20/au-dela-du-brainstorming/]

s’additionnent, se coagulent et s’agencent au lieu de se concurrencer. Le mythe du génie solitaire est dépassé  ; les idées, pour évoluer, nécessitent d’être amplement nourries et partagées. Pour exemple, on peut citer le fait que les innovations majeures de la société de l’information (Wikipédia, Ebay, le Wi-Fi, les blogs, le peer-to-peer, Facebook…) sont issues de processus coopératifs réunissant souvent de manière spontanée, des réseaux

> Les 6 principes de la cocréation : Il n’y a pas de spectateurs, comme le montre le festival Burning Man Il faut une diversité de points de vue pour résoudre des problèmes L’humilité est la mère de la cocréation, comme le montre l’open source*. On commence à partager sans attente de retour, on reçoit plus. L’implication des utilisateurs. Barthes a montré que l’auteur était mort. Cela signifie qu’il faut impliquer les utilisateurs La taille de l’écoute détermine la taille de la conversation. La coconception a besoin d’une grande conversation La réponse n’est pas déjà là. La réponse dépend d’un processus de groupe. Prise de note d’Hubert Guillaud à la conférence Lift#11, disponible sur : [http://fing.tumblr.com/ post/3085357860/lift11-vers-de-nouveaux-modelesdinnovation]

d’usagers. « […] On peut mettre en exergue le fait que, même si elle prise dans des relations concurrentielles, la logique de l’innovation repose partiellement sur un esprit de coopération et de mutualisation, d’échanges. A cet égard, le développement d’Internet constitue sans doute un symbole : tout au long de son émergence, la Toile a mobilisé les acteurs d’une culture de la gratuité, remettant ai goût du jour un ethos* qu’on croyait disparu depuis la fin des années 1970. Or, cet ethos s’est exprimé dans les cadres d’une technologie de pointe, et celle-ci ne se serait pas imposée si elle ce s’était pas trouvé stimulée Thierry Menissier, L’innovation entre invention et conquête, un point de vue géopolitiques sur la R&D contemporaine. Intervention dans le cadre du colloque “La relation arts-sciences dans les territoires”, Rencontres-i, octobre 2011 9

par un esprit de créativité, libre et gratuite »9 Qu’ils soient le fait de chercheurs ou d’étudiants, d’artistes ou de hackers, d’usagers du web ou de cadres, le croisement des idées stimule la pluralité des points de vues et l’apport de solutions différentes, mais favoriserait aussi les hasards “heureux”. Le modèle vers lequel convergent ces groupes de “créateurs” met en avant une absence de hiérarchie où chacun est à la fois enseignant et apprenant, et où la propriété intellectuelle perd progressivement de sa force. La puissance de l’intelligence collective est, en outre, fonction de la diversité des parties prenantes, et moins elles se connaissent, plus elles seraient enclines à faire émerger des idées innovantes. « Pour Ben Jones, les chercheurs sont désormais contraints de collaborer, notamment

Remi Sussan, Au-delà du brainstorming, article d’internetactu.net, mars 2012 [http:// www.internetactu.net/2012/03/20/au-dela-dubrainstorming/] 10

parce que les mystères les plus intéressants se trouvent désormais à l’intersection des disciplines »10. Poursuivre un but commun légitime cette possibilité de se rencontrer et d’agir ensemble dans le long terme, mais la force de la réflexion partagée tient aussi à des situations informelles ou éphémères. Dans les rencontres, les colloques, les symposiums et autres festivals ou hackersfest*, les porteurs d’idées rencontrent un terreau fertile, riche d’apprentissages,

fig. 9 : Séance de travail collective d’étudiants en architecture


20

Un hackerfest est un mix d’ateliers, d’expositions, de démonstrations et de conférences favorisant la découverte, l’échange et l’expérimentation autour des technologies (électronique, code, gaming, art numérique...)

d’expériences et d’échanges. Les évènements dans l’espace réel revêtent alors une certaine

21 Expérimenter, c’est mettre le monde à l’épreuve, jouir d’un statut temporaire de petit

magie, donnant lieu à des partenariats, des déclics ou simplement à une solution conduisant

démiurge ; plus encore qu’un “créateur”, c’est devenir un “fabricateur” (ou “maker”). C’est

à l’accélération du projet.

la possibilité de se tromper, l’opportunité d’apprendre. C’est aussi, face aux enjeux éthiques et environnementaux mondiaux, un biais par lequel la société peut s’approprier les sciences

Cependant, une bonne idée, même mûrie, nourrie et développée par des échanges

et les techniques pour développer une compréhension et un esprit critique. L’aspect poli-

multiples, appelle l’essai, le test, le prototype. Nous sommes convaincus aujourd’hui que

tique de la démarche expérimentale nous intéresse particulièrement car elle est de nature

l’expérimentation est indispensable à l’innovation. Déjà l’apanage des sciences dites dures

créatrice, elle tend fondamentalement à faire une proposition de progrès social, technique

et des technologies, qui doivent sans cesse recourir à l’expérience pour pouvoir mettre en

ou scientifique. Loin des contraintes de résultats imposées aux laboratoires scientifiques,

évidence leurs hypothèses, le prototypage aujourd’hui touche des publics très variés  : usag-

la tentative d’utopie devient possible.

ers des technologies, artistes et producteurs culturels, ingénieurs et bidouilleurs, et même

«“Construis, puis analyses” répètent les experts du web. “Publiez fréquemment et dès que pos-

citoyens lambda, personnes inconnues qui créent dans leurs garages... Frank Madlener,

sible”, disent les développeurs de logiciels. IDEO, une firme de design industriel internationale,

directeur de l’Ircam, nous affirme même : « on dirait qu’on a un besoin, dans la société, un

recommande le développement de scénarii concrets, en leur donnant corps à travers le prototypage

besoin irrépressible de prototypes, c’est-à-dire de fonctions nouvelles, de nouveaux usages liés aux

rapide. Exposer et tester ses prototypes favorise un apprentissage rapide, qui à son tour accélère

objets. On sent qu’il y a une envie de nouvelles fonctions. […] La richesse d’un prototype se mesure Frank Madlener, La notion de prototype et l’innovation, vidéo de l’ircam [http://www. dailymotion.com/video/xhbxpb_la-notion-de-prototype-et-linnovation-par-frank-madlener_creation] 11

fig. 10 : croquis d’enfant, atelier d’architecture mené par le collectif Zoom, 2011

au nombre de détournements qu’il va susciter.»

11

la créativité et oriente l’actualisation des solutions fonctionnelles. Mettre les idées en action est Laurent Simon, professeur de management à HEC Montreal, Where do Ideas Come From ? article de C2.MTL, février 2012 [http://c2mtl.com/fr/where-doideas-come-from-2/] 12

aussi une garantie du processus de renouvellement des idées. »12 L’expérimentation est indissociable du processus d’innovation, que celle-ci procède de la technologie, du fait social, de l’art ou du fonctionnement institutionnel. La problématique qui nous tient à cœur réside dans le fait que ces espaces de l’expérimentation, ouverts et collaboratifs, sont rares ; et quand ils existent, ils procèdent ou d’une volonté institutionnelle (cas des Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau, ouverts à un public cela dit assez restreint : les étudiants) ou d’une volonté spontanée de la société civile, souvent organisée de manière informelle (cas des associations, des collectifs ou des squats). Entre les deux, des territoires où l’expérience est beaucoup plus diffuse, moins perceptible ; Ces acteurs de la démarche expérimentale y sont isolés géographiquement, ils se rassemblent donc au travers de communautés d’intérêts à travers Internet.

fig. 11 : “Tapage Diurne”, évènement de DIY organisé par Jérémy Dupuy et Joseph O’Sullivan en collaboration avec le CCSTI, juin 2011, Jardin de Ville, Grenoble

fig. 12 : Constructions à l’échelle 1 aux Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau


22

23 Nous invoquons finalement la relation entre arts et sciences comme nouvel axe contemporain, voire même nouvelle référence, pour penser l’innovation et la création. Opposées en apparence, ces deux activités humaines ont des finalités applicatives diamétralement différentes : l’une cherche l’explication rationnelle du monde tandis que l’autre en explore la sublimation. Néanmoins, l’art et la science ne sont-elles pas toutes deux en quête de sens, induisant une tension vers le futur ? Ne sont-elles pas autant affaire de savoir que d’intuition et d’interprétation ? Bien sûr, souvent les outils, les registres, les procédés diffèrent, quoique l’art emprunte de plus en plus à la science pour l’explorer poétiquement, « la science moderne

Jean-Marc Andolphe, Analogies et interférences, dossier « l’art met la science en jeu » de la revue Mouvement n°62, janvier-mars 2012 13

ayant produit un imaginaire diffus, objet de rêveries et de fantasmes. »13 « Les artistes inventent

fig. 13 : Installation interactive individuelle, salon Exeprimenta, rencontres Arts- fig. 14 : Installation les cordes. Reactable qui permet de construire ou déconstruSciences, Minatec, octobre 2011. ire des réseaux sonores de cordes à piano. Exposition les mécaniques poétiques du collectif Ez3kiel (FR) au CCSTI de Grenoble.

fig. 15 : The Tenth Sentiment, de l’artiste Ryota Kuwakubo (JP) à l’exposition Low tech du MAC de Créteil. Accrochée à la locomotive du train miniature qui circule dans l’obscurité autour de la pièce, une petite lampe LED est allumée. Le train traverse lentement la pièce, rencontre dif-

férents «objets», petits et grands, et projette leurs ombres sur les murs et le plafond à mesure qu’il avance. Grâce au mouvement de la source lumineuse, les ombres de ces «objets» fixes se déplacent, et ressemblent aux visions que l’on a depuis la fenêtre d’un train. Elles entourent le spectateur, comme s’il était un passager du train.

de nouvelles façons d’explorer les thèmes mis au jour par la recherche, transformant processus, Stephen Wilson, cité dans le même article, Art + Science, Thames&Hudson, 2010 14

outils et concepts en installations et performances publiques. […] Les artistes à la fois démystifient

La relation arts-sciences, au-delà des productions artistiques ou scientifiques qu’elle

la science et permettent au public de participer au débat. » De l’autre côté, les défis de la

amorçe, nous intéresse parce qu’elle permet surtout de penser l’innovation hors de sa

complexité, de l’incertitude, des logiques floues, des discontinuités, tout comme la théorie

dimension concurrentielle. Par exemple, elle offre l’opportunité de reconsidérer nos usages

du chaos obligent la science à s’éloigner d’une attitude cloisonnée pour adopter une posture

des technologies, laissant ouverte la possibilité d’un autre rapport aux artefacts* qui nous

de plus en plus créative.

entourent, moins consumériste et plus responsable. L’introduction d’un registre esthé-

14

Les chercheurs d’ailleurs collaborent de plus en plus concrètement avec les artistes,

tique dans la rhétorique sur l’innovation questionne les finalités de cette dernière, qui

comme en témoigne l’Atelier arts-sciences, initiative grenobloise née du partenariat de

sont aujourd’hui essentiellement d’ordre économique. Et si la contribution des différentes

l’Hexagone - Scène nationale de Meylan avec le CEA - Léti. En organisant des résidences

disciplines artistiques pouvait mener à autre paradigme de développement ? L’apport

entre artistes et équipes de scientifiques ou de chercheurs, ces expériences contribuent à

philosophique et sensible de l’art dans la production technique et technologique est-il en

croiser les imaginaires, et ainsi à développer des dispositifs innovants qui ensuite pourront,

mesure de réorienter la notion de progrès de manière plus démocratique ?

ou pas, trouver des applications industrielles ou artistiques.


24

25

4/ Conclusion Bien loin des partenariats public-privé, des structures instituées et des cabinets de coaching en créativité*, nous plaidons pour une innovation autre. Citoyenne ? Partagée ? Transversale ? Une innovation désintéressée, à visée universaliste, portée par les valeurs de la mutualisation, de l’échange et de l’interdisciplinarité. Décrite ainsi, cette vision peut bien évidemment inspirer les méthodes d’enseignement actuelles, qui nécessitent une refonte en profondeur. L’éducation aujourd’hui fait face à des transformations sociales (mutation du rapport au savoir et à la connaissance, besoin d’épanouissement et d’expression personnelle, culture de plus en plus numérique) qu’elle pourra accompagner quand son fonctionnement

fig. 17 : Cartographie de la diversité des lieux d’innovation à Grenoble.

lui permettra d’être plus curieuse à l’égard des êtres humains qui la vivent et plus audacieuse en ce qui concerne les initiatives expérimentales. Cette vision pour le futur se base sur la croyance que ce sont majoritairement les gens,

Innovallée Meylan

les utilisateurs, les citoyens et autres usagers qui, lorsqu’ils entrent en synergie, sont porteurs de projets innovants. Les politiques d’encouragement à l’innovation, à l’instar des politiques en matière d’éducation et de culture, doivent selon nous accorder leur confiance aux communautés informelles et à leur capacité à explorer, à combiner, à inventer de nouveaux territoires, usages et pratiques. Nous gageons de surcroît qu’en identifiant leurs nombreuses

Polygone Scientifique

CHU

pratiques et surtout en les inscrivant dans l’espace, c’est le territoire tout entier qui peut en bénéficier. Nous souhaitons nous attacher à la création d’un espace où toutes ces pratiques,

Campus

CCSTI

ces expérimentations peuvent prendre corps, un espace du « faire », qui matérialiserait en trois dimensions une communauté en réseau de « bidouilleurs ».

EVE

Pour cela, il nous apparaît intéressant d’examiner quelles sont les histoires et les pratiques de tout ces artistes, programmeurs, performers, bidouilleurs, hackers, artistes et autres activistes, qui peuvent tout aussi bien, à l’ère des identités multiples, assumer en même temps leur poste de consultant en communication ou de professeur d’université.

fig. 16 : Illustration de Francesco Cingolani pour l’article “open source urbanism / open source city” [http://ecosistemaurbano.org/tag/fragmented/]

Cap berriat

La Bifurk

pôles de compétitivité entreprises écoles, universités et laboratoires de recherche associations, lieux culturels et acteurs informels


26

27

B/ Entre arts, urbanité, culture numérique et autogestion, revue non exhaustive de pratiques de bricolage Résidents de friches culturelles, collectifs d’artistes hybrides, électrons libres évoluant au gré des rencontres et des partenariats, hackers porteurs de projets socialement innovants, entrepreneurs culturels de toutes sortes, ingénieurs ou artisan bidouilleurs, aujourd’hui les identités sortent des catégories préétablies et se dissolvent dans des “tiers statuts”, hybrides et mouvants. Ceux qui il y a quelques décennies se réclamaient de la contre-culture* et instauraient leurs pratiques à la marge de la société, sans pour autant s’être institutionnalisés, acquièrent aujourd’hui une certaine reconnaissance due au dynamisme de leurs initiatives. Le réseau européen des friches culturelles, les collectifs d’artistes ou de militants, d’architectes ou d’acteurs sociaux, le mouvement mondial des fablabs, les communautés de “makers” et de hackers, etc., mouvements jusqu’à présent qualifiés “d’alternatifs”, prennent une place de plus en plus importante dans le paysage culturel français. Leur principal trait commun tient, selon nous, dans l’expression “bottom-up”, car ils ont tous en commun d’émerger de rêves, d’idées et de désirs d’individus et de communautés qui sont sur le terrain. “Bottom-up” car ces individus prennent des décisions et construisent le réel en partant du réel, des ressources matérielles et humaines disponibles, peu à peu, pas à pas. On retrouve aussi la caractéristique expérimentale comme donnée transversale ; que l’on pense aux green guerilleros, aux nouvelles formes du théâtre marionnette, aux projets de hackerspaces* ruraux, aux installations éphémères de Raumlabor ou au développement de fours solaires écologiques, tous ces projets ont une dimension de prototype tant ils développent des actions, des idées sortant des modèles préétablis, où le détournement tient une place de choix. Ces expérimentations aboutissent-elles toutes à des innovations ? Certainement pas et ce n’est pas dans ce but qu’elles sont conduites, mais il est clair que dans leur recherche de nouvelles formes esthétiques, comme dans l’exploration de nouveaux modes de vie, de ces lieux de la bidouille sociale, créative ou écologique émergent des solutions réellement innovantes. photo des installations “Trash Paulette” de Zoomarchitecture, Grenoble, 2008


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29 Ce qui se trame comme expériences artistiques, culturelles, sociales et citoyennes

1/ Les friches culturelles et artistiques

dans ces lieux nous intéresse à deux égards : premièrement parce qu’il s’y développe dans De friches en laboratoires, de lieux de fabrique en espaces intermédiaires, les “nou-

une même espace-temps des formes de décloisonnement et de coopération artistique et

veaux territoires de l’art” désignent ces espaces ouverts dédiés à la création artistique et au

culturelle et deuxièmement parce que l’incertitude, l’interrogation et l’expérimentation y

croisement des disciplines où, depuis une trentaine d’années, sont menées des expériences

occupent la place de valeurs à part entière et que l’indétermination est une condition sine

atypiques et utopiques réunissant créateurs, médiateurs culturels et société civile. Prenant

qua non d’existence et de vie de la friche.

place dans des lieux de production désaffectés, dans les centres comme à la périphéries des

La transdisciplinarité à l’œuvre dans les friches est souvent à la mesure de la générosité

villes, ces “espaces-projets” renouvellent de manière extrêmement diversifiée le rapport de

du lieu : avec presque 50000m2 de surface utile, la Friche de la Belle de Mai à Marseille

la culture avec l’espace urbain. D’abord parce que les friches traduisent une volonté de

accueille des praticiens de tous les domaines : cinéma, arts plastiques, arts visuels, arts

réappropriation territoriale et d’ouverture de la culture sur la ville, et que cette volonté est

urbains, danse, théâtre, marionnette, graphisme, photographie, musique, littérature, archi-

revendiquée par les individus comme un manifeste de resocialisation, hors des logiques

tecture, gastronomie. Bien que regroupées en 70 structures indépendantes, ces formes

vécues comme normatives des équipements existants. Ensuite, c’est autour de la notion

s’entremêlent, se rencontrent et s’hybrident continuellement. « Le rassemblement sur un

d’accessibilité, déclinée sous la forme d’accès au lieu et d’accès aux manifestations cul-

même site d’activités et de disciplines artistiques habituellement séparées semblent exciter les

turelles proposées dans et par le lieu, que se pose la question de l’ouverture de la culture sur

imaginations. Les producteurs ou artistes peuvent être sollicités en fonction des besoins du projet

la ville. Ces lieux sont à la fois des espaces de travail, de médiation, de manifestation et de

de l’un d’entre eux. On peut voir par exemple un plasticien s’associer aux organisateurs d’une

représentation, parfois de vie, qui, dans leur conformation physique et dans leurs logiques

soirée techno pour réaliser un décor original, des musiciens travailler avec des comédiens pour une performance commune. Dans ces lieux, les coopérations artistiques apparaissent, disparaissent,

d’usages, savent ménager la tranquillité des artistes comme accueillir tous les publics avec une grande souplesse. Enfin, les friches prennent sens publiquement dans un tissu de relations avec la population au sens large comme avec le voisinage, et ceci à travers des actions co-menées avec des acteurs ou structures locales (écoles, associations, institutions), à travers la diversité des manifestations, moments de rencontres, journées portes ouvertes ou temps

RAFFIN, F. L’initiative culturelle participative au cœur de la cité : les arts de la critique sociale et politique, in Culture & Musées n°4 : Friches, squats et autres lieux. Sous la direction de Emmanuelle Maunaye, janvier 2005, Actes Sud, Avignon. 15

se croisent continuellement, à l’occasion d’un projet. »15 La transdisciplinarité peut donc se traduire comme des ensembles de relations évoluant au gré des rencontres et des besoins des acteurs. Les hybridations qui se produisent alors sont porteuses d’innovation esthétique dont il est difficile de définir aujourd’hui la

festifs proposés ou encore à travers les activités de relais citoyens souvent établis dans la friche

teneur et la portée. Ce qu’il est également intéressant de noter dans le contexte des actions

même (bars, restaurants, commerces solidaires…).

culturelles menées dans ces espaces est la coopération entre les acteurs à toutes les étapes du processus de production. Des techniciens, ingénieurs du son, éclairagistes, régisseurs aux spécialistes en relations publiques, l’ensemble des compétences nécessaires au bon fonctionnement de la chaine de production est présent dans le même espace. L’entraide, l’échange et la mutualisation des compétences ne concernent donc pas uniquement l’aspect créatif et le dialogue interdisciplinaire, mais sont aussi engagés dans la diffusion, la promotion, la formation, et la médiation de l’art et de la culture. On voit que ces alternatives culturelles se construisent au travers de l’engagement, de l’implication et d’une perspective participative laissant une grande part à la spontanéité et à l’indétermination. Ainsi, si l’enjeu artistique reste central dans la production alternative, le mélange* et l’hybridation avec d’autres domaines permettent de développer une richesse de sens et de renouveler les registres d’action afin de sortir d’une définition de l’art centrée sur la contemplation sage de l’œuvre. « Dans ce processus, une place importante est laissée aux “opérateurs culturels”, aux initiateurs en tous genres, souvent spontanés, autant qu’à l’artiste et à son œuvre dont les rôles deviennent plus ceux d’un “passeur”, d’un “metteur en relation”, que 16

idem

d’un “diseur de beau” »16 Mais au-delà de l’enjeu artistique, c’est toute la singularité du lieu qui est le fruit d’expérimentations diverses.

fig. 18 & 19 : l’intérieur de la traverse des 400 couverts, squat culturel et autonome de Grenoble actif jusqu’en 2006.


30 C’est dans cet espace laissé à la parole spontanée, à l’action expérimentale, à l’interrogation

31 Le Brise-Glace, le Mandrak, les 400 Couverts, l’association Entr’arts, L’ADAEP, le

collective que peuvent se construire du lien et de la mixité sociale et interculturelle. Il s’agit

56... Autant de lieux autogérés, à l’économie fragile, qui revendiquent des cultures popu-

de réinsuffler aux artistes comme aux amateurs, aux créateurs comme aux publics, la confi-

laires et un engagement citoyen, et qui n’ont pas de soutien de la part des institutions. Ils

ance dans le pouvoir d’action et d’entreprendre ; et ceci est rendu possible dans le contexte

ont quasiment tous été détruits aujourd’hui. Il ne reste que le 102, rue d’Alembert, qui a

des friches culturelles car elles disposent de suffisamment d’espace de liberté pour que des

réussi à se pérenniser, leurs locaux appartenant maintenant à la Mairie de Grenoble. S’y

initiatives aussi diverses que farfelues, aussi fantaisistes qu’utopiques voient le jour, ce qui

déroulent des expositions, des représentations de théâtre et de cinéma expérimental, des

aurait été sans doute compliqué dans des structures sociales ou culturelles conventionnelles

concerts, des débats. Des ateliers publics sont organisés, de la sérigraphie, de l’écriture

: cirque participatif, installation de ruches, plage urbaine, potager accessible aux handicapés,

collective… La traverse des 400 couverts, qui a existé jusqu’en 2006, proposait un cadre

stage de théâtre intergénérationnel, workshop de cinémas pour prisonniers, installation

ouvert et citoyen pour un autre mode de vie urbain, plus collectif, plus écologique, non-

artistique permettant de sensibiliser les habitants à l’environnement, etc. La hiérarchie

marchand. Des repas de quartiers y prirent place de nombreuses fois, une zone de gratuité

traditionnelle créateur – spectateur s’estompe au profit de relations artistiques et culturelles

y permettait d’y faire du troc, un four à pain communautaire y était installé, un relais

qui se façonnent dans l’interaction et la citoyenneté, dans un bricolage du réel à plusieurs

d’information, l’Infokiosque, y permettait de s’informer autrement. Mais également des

mains qui développe et réhabilite l’autonomie de chacun.

activités culturelles y avaient lieu : studios de répétition, studio de danse, entrainements d’auto-défense, labo photo, théâtre, atelier vélo...

fig. 20 : “les jeudis du hasard certain” à la Friche RVI de Lyon. Soirées d’improvisations en tout genre..

fig. 21 & 22 : le 102 rue d’Alembert, à Grenoble. Vue du jardin et de l’espace intérieur

Au sein de ce contexte culturel, Grenoble ne fait pas exception. Depuis les années 80, des initiatives artistiques se sont installées dans des espaces en attente de requalification, principalement dans le quartier Chorrier-Berriat et sur l’ancien site industriel de BouchayerViallet. « Ainsi la Frise (devenue le centre d’affaires Europôle) et la cité Terray (transformée en logements) abritaient entre 1982 et 1985 plusieurs plasticiens, des groupes de musique, des compagnies de théâtre. La rue d’Alembert diffuse des concerts de musique expérimentale au 102 depuis 1983, tandis que s’ouvre le squat de Bévière. Il sera pendant trois ans – et jusqu’à sa DOS SANTOS, L., Grenoble, une culture en friches, article publié sur artfactories.com, mars 2006 [http://www.artfactories.net/Grenoble-Une-cultureen-friches.html] 17

fermeture en 1986 – un lieu de rencontre et de travail artistique. »17

fig. 23 : Installation sonore de Firdaouss El Fahari au 102, avril 2012. Firdaouss El Fahiri, membre du collectif Signalbruit à SaintEtienne, a pour habitude de détourner des objets de leur usage quotidien pour les affranchir de leur utilité en les rendant « autonomes ». Pour son travail effectué en résidence au 102, « lieu atypique », Firdaouss a choisi de manipuler une quinzaine de magnétophones à bandes. Transformés en petit orchestre, ceux-ci sont guidés par un actionneur de commandes – la magie technique intervient là comme un outil extrêmement pratique. Si elle attache une certaine importance à l’aspect visuel de ses installations, c’est bien le son qui reste l’objet central de ses recherches, la matière brute des expérimentations à l’œuvre.


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33 De toute cette ébullition culturelle et autonome qui a émulé la ville jusqu’en 2005-2006, il ne reste quasiment plus rien. Aujourd’hui, outre la Maison des Associations, on dénombre trois grands pôles culturels qui hébergent et structurent des dizaines d’associations : Cap Berriat, la Bifurk et l’Espace de Vie Etudiante. Grenoble demeure bien dotée : la vivacité de sa vie associative et de ses collectifs culturels est enviée et reconnue comme un réel atout en terme d’attractivité. Nous pensons qu’il y a là un potentiel de vie, de recherche et d’actions non négligeable qu’il faut inclure dans les réflexions sur le devenir du territoire grenoblois, et non seulement dans le domaine culturel, mais aussi au regard de l’économie locale, de l’intégration sociale ou des questionnements environnementaux.

fig. 24 : cartographie des squats et friches culturelles à Grenoble (2002-2008)

fig. 25 : cartographie -non exhaustives des associations artistiques et culturelles Grenobloises (2010)


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35 Parce qu’ils optent pour des statuts professionnels précaires, et parce qu’aussi ils rev-

2/ Expérimentations architecturales et urbaines

endiquent l’autonomie, ces collectifs de jeunes professionnels sont dans des économies fragiles. Leurs interventions ne coûtent rien ou presque ; elles nécessitent plus de main

C’est en deuxième lieu sur l’exemple des collectifs pluridisciplinaires menés par des architectes ou des urbanistes que nous appuyons notre discours. En France comme dans le monde se constitue depuis environ une décennie une myriade de groupes de travail, qui par défaut d’appellation officielle, se sont nommés “collectifs”, terme vague qui reflète leur mode d’organisation et leur domaine d’activité mouvants, sujets aux géométries variables. Composés d’architectes, mais aussi d’urbanistes, de graphistes, de paysagistes de designers, de jardiniers, d’artistes, de vidéastes, de sociologues ou de spécialistes du multimédia, ces collectifs prennent à bras le corps les problématiques sociales et urbaines des différents territoires où ils sont implantés, pour en faire du projet. Le projet n’est alors pas mené comme un but en soi, mais plutôt comme l’opportunité de renverser ou réveler une situation urbaine, introduire le débat et faire réfléchir, ou encore impliquer des habitants dans l’appropriation plus ou moins temporaire de l’espace public. Leurs outils vont de la maquette interactive à la sérigraphie, des soupes collaboratives à l’installation éphemère dans la ville, en passant par des marches urbaines ; tout est bon pour rentrer en relation, pour communiquer, parfois d’ailleurs en frôlant la subversion. Car introduire un débat sur la ville nécessite parfois d’user de détournements, de provoquer en

fig. 30 : Recyclage et Urbanité, mai et juin 2008; Grenoble. « Recyclage et Urbanité » est une action qui rend « visible » et sensible la masse des déchets sur lesquels nous vivons. Cette installation éphémère fait surgir le flux invisible que génère la ville. La place de cette action dans le paysage urbain tient à créer une forme esthétique et émotive conforme en apparence avec le régime du spectacle généralisé. C’est parce qu’elle joue sur la sensation et sur le système même de la production, que cette action est artistique et architecturale : elle apprend à regarder en face un avenir hypothéqué, fait des résultats non voulus des pratiques habituelles du passé et du présent. [http://recyclage-et-urbanite. blogspot.fr/]

puisant dans l’imaginaire artistique et en réutilisant la matière première disponible dans la ville : mobilier urbain, plates bandes paysagères, déchets,

fig. 26, 27, 28 & 29 : La Piscine, fabrique de solutions pour l’habitat, est un lieu qui a ouvert en janvier 2012 à l’initiative de travailleurs sociaux et de collectifs d’architecture, et grâce au bail précaire concédé par l’EPFL d’Echirolles. Sous la supervision des Arpenteurs, les collectifs ETC, la Semaine des 4 Jeudis, les Glaneurs du Possible, les ateliers de l’ESCA, Zoom Architecture se sont atelés à la remise en état d’un ancien local commercial, en mettant en oeuvre des matériaux de récupération et des fournitures donnés par des professionnels. C’est aujourd’hui un lieuressource, animé toutes les semaines, qui permet à tout le monde, et en particulier aux SDF, exclus, clandestins, squatteurs, ou même voisins de venir bricoler et participer à des projets de construction.

d’oeuvre que de matériel ; elles sont l’oeuvre de l’intelligence constructive et de l’économie de moyens, combiné à une petite dose de technologie (encore que...) ; elles sont réalisées en faisant appel à la récupération, au glanage, à la solidarité ; elles s’inscrivent dans une économie de la gratuité et de l’échange. Mais ces pratiques de “bricolage” ne sont pas seulement expliquées par le fait que le manque de moyens est pallié par l’intelligence de l’assemblage et de la combination. C’est aussi dans la recherche du sur-mesure, de l’objet unique répondant à un besoin spécifique, à une occasion particulière, au caractère d’un lieu donné que se valorise la notion de “bricolage”. « Donner à un sens à ce que l’on construit, c’est envisager des réalités différentes suivant les hommes, les lieux, les climats, l’époque, etc. C’est éviter le prêt-à-servir, la répétition DOR, E. et BOUCHAIN, P., La conception, un abri pour la démocratie. in Construire ensemble le grand ensemble; hors série de la collection l’Impensé, Actes Sud, mai 2010 18

et, au contraire, chercher à exprimer, à chaque fois, une émotion nouvelle - fraîche. » 18 Le bricolage, cette pratique non-professionnelle, non experte, se vit comme un moyen d’expression personnel et citoyen ; elle permet de réhabiliter l’acte constructif et l’engagement du “faire” et d’en faire un outil de capacitation (empowerment*). C’est enfin parce que ces pratiques improvisées de bricolage, de “système D” sont une valeur en soi, garante de créativité*, de fraîcheur, de joie et de partage, qu’elles prennent


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37 un statut de “marque de fabrique”. Elles sont synonymes de beauté, de fierté, du caractère

3/ Pratiques artistiques émergentes et arts numériques

unique des réalisation ; elles vont de pair avec des phases d’échecs et d’apprentissage, mais valorisent fondamentalement l’indépendance de l’individu face aux logiques d’uniformisation

On l’a vu, aujourd’hui de nouveaux modes d’organisation et de production de la culture

de la production des artefacts* qui nous entourent.

sont en plein essor. Ceux-ci présentent une alternative au modèle dominant en s’attachant à des valeurs telles que la diversité culturelle, l’autonomie par rapport aux ressources et aux moyens de production, la solidarité, la coopération avec la population et les associations locales. Et les usages des nouvelles technologies modifient en profondeur les pratiques de tous ces opérateurs culturels, notamment par les modes d’accès à la production ou à la diffusion, mais surtout par les possibilités démultipliées qu’offre l’interface* numérique dans la production de l’oeuvre ou du “dispositif ”, en faisant appel aux réseaux, aux bases de données et aux ressources électroniques.

fig. 32 : Continuization Loop, oeuvre de Wim Janssen, artiste Serbe. Exposition Low tech au Mac de Créteil, avril 2012. Un simple bobine de film en 35 mm passe de bas en haut à travers plus de 150 poulies et crée ainsi un mur de pellicule. Les vignettes sont soit noires, soit transparentes. Lorsque la bobine traverse le mécanisme, l’image des parasites vidéo apparaît. Alors que la pellicule, en tant que medium, fait normalement apparaître les images par projection et déplacement du celluloïd à travers le projecteur, Continuization Loop exclue la projection et seul le déplacement de la pellicule fait appraître l’image. L’installation combine et imite les élements visuels de trois générations de médias : L’aspect matériel de la pellicule, le signal vidéo et la logique binaire du numérique. Mais les propriétés principales de ces médias sont absentes : ni pseudo-espace cinématographique, ni vraie image, ni ordinateur ne sont utilisés.

fig. 31 : montage photo des activités d’Esca Esca, créée fin 2008 à Grenoble, s’ouvre à des disciplines multiples (sciences humaines, architecture et métiers du bâtiment, photographie, graphisme) avec pour objectif d’assister des projets socio-culturels en leur procurant les équipements architecturaux dont ils ont

besoin. Chaque structure produite est unique, originale et réalisée dans une démarche alliant le détournement d’objets industriels au réemploi de matériaux de rebut, de manière à réduire autant que possible son coût économique et son impact environnemental. Par la mise en place de partenariats avec des entreprises

nous faisant dons de matériaux en fin de cycle, l’association teste des modes d’assemblages multiples, à chaque fois renouvelés par les caractéristiques des matériaux récupérés.

Abraham Moles, (1920-1992), est l’un des précurseurs des études en sciences de l’information et de la communication en France. Professeur, il a enseigné à la Hochschule für Gestaltung d’Ulm et à l’Université de Strasbourg. Son étude sur le kitch a fait date. Il est également l’inventeur du morphophone (en collaboration avec Jacques Poullin), l’une des premières chambres d’écho électronique. [http://fr.wikipedia.org/wiki/Abraham_Moles]

Abraham Moles compte parmi les premiers à théoriser sur ce qu’il nomme déjà, au tout début des années soixante-dix, l’art à l’ordinateur. Nombreux sont ceux qui, par la suite, tenteront de définir un art se confrontant aux nouvelles technologies, à celles du numérique et des réseaux ou des médias. On parle aujourd’hui de “pratiques artistiques émergentes” lorsque l’on tente de réunir des tendances contemporaines qu’il est intéressant de mettre en lumière, en relation. « Le terme d’environnement est entré dans le champ des arts au cours des années 1960, en pleine période du décloisonnement des catégories artistiques. À l’époque, celui-ci qualifie déjà un milieu englobant et participatif au sein duquel l’expérience perceptive et critique du spectateur est vivement convoquée. Tandis que l’œuvre se spatialise, le spectateur est invité à pénétrer physiquement et intellectuellement le procès de création. [...] Dans les environnements


38

Valérie Morignat, Environnements virtuels et nouvelles stratégies actantielles, in Arts de la scène, scène des arts, Vol. 3 : Formes hybrides : vers de nouvelles identités, Ecole d’Architecture de Nantes Centre d’études théâtrales de Louvain, 2004. 19

interactifs, “truffés de capteurs invisibles qui interprètent les mouvements et la morphologie du

39 Ces catégories de création, ayant recours à la machine, sont intrinsèquement liées à

spectateur, la sensorialité humaine est immergée dans un monde où elle est sollicitée, interprétée,

l’histoire des sciences et des technologies et en cela en deviennent un miroir instructif :

pour finalement devenir une matrice créative qui informe et régénère l’espace environnant. »19

les oeuvres sont souvent ou bien à la pointe des technologies développées, ou bien uti-

De l’art vidéo à la peinture numérique en passant par le pixel-art ou l’art interactif, ces pratiques contemporaines explorent une gradation sans cesse étendue d’hybridation entre media conventionnels (analogiques) et dispositifs numériques. « La création numérique, c’est quoi ? C’est à la fois des formes traditionnelles qui évoluent parce qu’elles intègrent le numérique : la photo argentique devient numérique, se démocratise et permet de faire plein de choses qu’on ne pouvait pas faire avant. [...] Mais ce sont aussi des formes nouvelles qui émergent qui n’auraient pas pu exister sans l’apport spécifique du numérique. Quand on commence à doter les oeuvres de capacités de voir, d’entendre, d’interagir, d’avoir une autonomie, on rentre dans

Nils Aziosmanoff, co-fondateur du Cube, lieu d’exposition consacré aux arts numériques à IssyLes-Moulineaux, dans la Place de la toile, France Culture, émission du 24 septembre 2011. [http:// www.franceculture.fr/emission-place-de-la-toile-lecube-2011-09-24] 20

un champ qu iest complètement différent. »20 L’ordinateur peut ainsi “venir en aide” aux pratiques traditionnelles artistiques en offrant les services de logiciels ou de technologies en permettant de programmer et répeter des effets et des actions, mixer des sons ou des images ou encore de stocker et de réutiliser un grand nombre de données de ressource. Cette hybridité* réel-virtuel n’a par la suite eu de cesse d’inspirer chercheurs, artistes et ingénieurs,

fig. 34 & 35 : ReFunct Media v4.0 est un projet collaboratif de Benjamin Gaulon, Karl Klomp, Tom Verbruggen, Gijs Gieskes et Niklas Roy, pour le LEAP (Lab for Electronic Arts and Performance, Berlin). ReFunct Media est une installation multimedia qui (re) utilise de nombreux appareils électroniques obsolètes (lecteurs et récepteurs digitaux ou analogiques). Ces appareils sont hackés, détournés et combinés dans une grande et complexe chaîne d’élements. Pour utiliser une analogie écologique, ils “interagissent” au travers de différentes relations symbiotiques : mutualisme, parasitisme, commensalisme. Volontairement complexe et instable, ReFunct Media ne propose pas de réponses aux questions posées par les e-déchets, l’obsolescence programmée et les stratégies de design durables. C’est plutôt une installation qui expérimente et explore les possibilités incontestées de l’électronique “obsolète” et des technologies de medias numériques ainsi que nos relations avec les technologies et la consommation.

pour repousser les limites de la sciences et de la technologie, ouvrant la voie à de nouvelles

fig. 33 : Years, installation artistique de Bartholomäus Traubeck (2011), est une platine vinyle qui lit des tranches de bois. Grâce à une petite caméra capable d’interpréter les anneaux d’un tronc, la machine traduit les informations de l’arbre en arpèges de piano. [http://traubeck.com/years/]

formes esthétiques, de réalités artificielles en mirages réels. Le numérique devient ainsi un

lisent volontairement un langage technique dépassé, “vintage”, appartenant à la décennie

medium à part entière, une nouvelle grammaire artistique alimentée par des possibilités

précédente, soulignant ainsi l’obsolescence programmée des appareils électroniques et

d’articulation mécaniques, électroniques ou biologiques et qui développent d’étonnantes

l’incroyable rapidité de caducité des technologies, logiciels, et formats. D’où un bricolage

interprétations du réel.

constamment renégocié, susceptible parfois d’interroger le spectateur-interacteur sur son rapport à la technologie, à la connaissance et à l’autonomie.


40

41 Pour cela, en plus de la sensibilité esthétique ou conceptuelle nécessaire à la pratique

4/ “Do-It-Yourself”

artistique, les créateurs cultivent aussi des savoir-faire agglomérés d’électronique ou de programmation quand ils n’ont pas déjà une formation d’ingénieur du son ou de biologiste.

Phénomène certes ancestral, le bricolage a connu depuis quelques décennies un

Là résident la bidouille, le bricolage, les tentatives de prototypages ratées puis réussies, les

renouvellement au travers des mouvements “do-it-yoursef ”. Issus aussi bien de pratiques

connaissances fragmentaires s’organisant peu à peu et qui, alimentées par l’expérimentation,

domestiques de décoration que de le la culture punk anti-consumériste, et ayant connu

finissent par former une compétence personnelle inédite. Il faut être un peu chercheur, un

un essor notable en Amérique du Nord, ces mouvements composites et informels se

peu aventurier, un peu “geek”, avoir le goût de triturer, fouiner, démonter, remonter. A

développent aujourd’hui grâce au web. Le terme est utilisé pour décrire les pratiques de

l’évidence, l’accès facilité à l’information par Internet fluidifie énormément les processus de

construction, de modification ou de réparation “faites soi-même”, qui recourrent au sys-

création, tant aujourd’hui les ressources, tutoriels et sites de discussion regorgent d’aide et de

tème D, à la bidouille, à l’ingéniosité et à la créativité* de chacun. On pourrait n’y voir

commentaires. Mais il est rare que les créateurs numériques détiennent tous les savoir-faire

qu’un cliché, des retraités ou des pères ou mères au foyer repeindre le salon, se faire leurs

nécessaires à la production d’oeuvres parfois ambitieuses en terme de taille ou de technicité

vêtements ou fabriquer des bougies qui sentent bon, cliché qui sans doute nourrit diverses

; c’est pourquoi de nombreux projets naissent de partenariats avec des scientifiques, des

récupérations commerciales au travers de produits, de livres ou de “stages” mettant en avant

chercheurs ou des industriels, quand ils ne sont pas produits par des collectifs d’artistes.

le fait d’être soi-même créateur.

En appui à la recherche et à la création numérique, de nombreux organismes culturels proposent de la formation, du soutien à l’expérimentation et à la diffusion, comme le Cube, à

« Mais, même s’il n’a rien de révolutionnaire, ce mouvement, ou plutôt cet acronyme DIY

Issy-les-Moulineaux, qui assiste des projets d’installation interactive, immersive ou généra-

traduit bien un phénomène de société. [...] Évocateur pour toutes et tous, il mélange l’esprit des

tive, ou comme l’Atelier Arts-Sciences, à Grenoble, partenariat entre l’Hexagone-Scène

squats, des fanzines, du troc et des friperies avec les mémoires et les valeurs de la Beat généra-

Nationale de Meylan et le CEA-Léti, qui propose des résidences artistiques, des partenariats

tion et l’inventivité des enfants d’internet. [...] Parallèle aux mouvements décroissants, il peut

scientifiques-artistes et une diffusion à travers le festival des Rencontres-I.

se reconnaitre dans cette volonté d’articulation entre l’individu et le collectif, et cette recherche Eric Donfu, DIY : Comment décrypter ce mouvement « Do It Yourself ? », article publié sur agoravox.fr, janvier 2010 [http://www.agoravox. fr/actualites/societe/article/diy-comment-decrypter-cemouvement-71041] 21

fig. 36 : XYZY, les paysages abstraits, Adrien Mondot et Claire Bardainne, exposition présentée au CCSTI de Grenoble dans le cadre des Rencontres-I. Des expérimentations du monde physique (fragments de réalité tels que marcher dans l’herbe, mettre les mains dans l’eau) sont transposées dans un univers abstrait. Les installations permettent d’explorer le mouvement numérique, amenant le visiteur à se demander comment, en plongeant dans l’espace (x, y, z) et le temps (t), peut se déployer soudainement un univers improbable.

de simplicité volontaire, qui remet en question le concept de croissance économique.  »21 Loin de l’image éculée, un peu hippie, un peu nerd, du do-it yourself, il est signifiant que des tas de profil différents s’en réclament, au point qu’il devient difficile de les définir. Il suffit de faire un tour sur Internet, sur les nombreux sites où des communautés de « makers » viennent discuter, échanger des conseils et des tutoriaux, voire vendre leurs productions, pour s’en convaincre. Par nature, le mouvement s’inscrit déjà dans la révolution Internet, et son corollaire, la société en réseaux. L’apparition des technologies numériques, a depuis 10 ans “boosté” ce mouvement, lui donnant les moyens de s’organiser et de se rencontrer, mais surtout en démocratisant l’usage d’outils de conception et de fabrication avant réservés aux seuls industriels. « Offrir un ordinateur à sa mère, c’est bien. Le personnaliser, c’est mieux. Et il existe une infinité de moyens de le faire. Si la majeure partie des gens se contenteraient d’en acheter un dans un magasin spécialisé, d’autres préféreraient le customiser par eux-mêmes. Certains voudraient par exemple creuser une mine dans leur jardin, et y construire une fonderie, pour fabriquer le boîtier métallique. D’autres préféreraient le faire en bambou. D’autres, enfin, seraient prêts à créer une distribution GNU/Linux spécifique. Les possibilités sont quasi infinies. [...] L’important, c’est l’écosystème, la (bio)diversité, la multiplicité des réseaux : ça fait une

Douglas Repetto, enseignant à l’université de Columbia, artiste et fondateur de Dorkbot, intervention de la conférence Lift #9, propos relayés sur internetactu.net [http://www.internetactu. net/2009/06/25/do-it-yourself-mais-avec-les-autres/] 22

jungle, ou des fractales, mais la créativité des “nerds” est sans limites, et tant mieux. Les gens bifurquent, divergent, la confrontation peut finir par une “guerre des nerds” lorsque les gens sont dans des extrêmes, mais on en a aussi besoin, même si parfois ça bloque les gens, empêche les conversations, et l’innovation. »22


42

43 Magazine et de Maker Fair- cherche à rendre visible cette innovation par la base. En créant Make Magazine, il s’est intéressé à cette communauté de gens qui font des choses et partagent leurs créations. Le réseau social de ces artisans amateurs a permis de sortir les gens de leur garage et de les rendre visibles. Dale a également développé les Maker Faires, ces foires aux makers, qui poussent un peu partout aux Etats-Unis, mais aussi en Europe, en Amérique du Sud et en Afrique. Ces foires ont grossi au fil du temps accueillant de 300 à 8000, voire 20 000 personnes. Elles réunissent un monde d’amateurs et de professionnels qui utilisent les mêmes outils et Mathilde Berchon et Véronique Routin, Makers : Faire société, publié sur internetactu.net, mai 2011 [http://www.internetactu.net/2011/05/25/makers-12faire-societe/] 23

partagent la même passion. »23 Evènements qui célèbrent “les arts, l’artisanat, les techniques, les projets scientifiques et l’esprit do-it-yourself, les Makers Faire permettent aux passionnés de se retrouver in real life, en chair et en os, et de montrer leur savoir-faire et leurs réalisations, de développer leurs réseaux et d’initier les publics aux joies et au techniques du bricolage. Dans la même veine, d’autres lieux comme les TechShops*, les fablabs (voir paragraphe suivant) et ateliers* de tous types, proposent à qui veut un espace de travail doté de machines et d’outils ; ces lieux sont avant tout des espaces d’échange, de collaboration, d’apprentissage, de transmission et de médiation. Mais surtout, ces lieux s’implantent au coeur d’un écosystème qui favorise leur développement : associations, écoles, laboratoires de recherche, espaces d’exposition, start-ups, ce qui rend leur développement particulièrement intéressant.

fig. 37 : drones d’intérêt général, collectif telecomix. “Ce drone n’est pas destiné à butiner dans le clair ciel français mais à aider les Syriens en lutte contre la dictature de Bachar el Assad. Un drone miniature a été présenté dans le cadre d’une rencontre “hackers et ONG“. La bestiole vient tout droit de Bretagne, où une poignée de membres du collectif d’hacktivistes Telecomix s’est attelé à son développement. Au royaume de la do-ocratie chère aux hackers, peu importe les intentions, seuls comptent les actions concrètes. ”Tunisie, Égypte, et donc

Syrie, le groupe a aidé et aide encore les peuples à utiliser Internet en toute sécurité. Le drone doit faciliter la récolte et la diffusion des informations, en se jouant des snipers en embuscade. Ses spécifications obéissent donc à un impératif : “la personne doit prendre le moins de risques possibles, elle doit pouvoir piloter à vue, grâce à une caméra.” La caméra est aussi équipée d’un émetteur pour que les images soient diffusées en direct. Restera un problème à résoudre, amener le matériel : “on va se débrouiller pour les faire rentrer par les réseaux des ONG, via la Turquie, le Liban ou la Jordanie.” Étonnant pour qui méconnait le milieu des hackers, le rapprochement avec les ONG en zone de crise est logique : sens de la bidouille-débrouille, le fameux do it yourself, liberté de communication comme principe sacré, conscience aiguë de la fragilité des infrastructures techniques et donc de la résilience. Telecomix envisage aussi de détourner le concept de la Pirate Box, sorte de boite à lunch qui émet un réseau wifi. L’outil version terrain de guerre pourrait servir à communiquer dans un périmètre critique, un immeuble bombardé par exemple ; plusieurs Pirate Boxes pourraient former un mini-réseau maillé, qui passerait les informations de relai en relai.” article à lire sur [http://owni.fr/2012/06/03/telecomix-syrie-ong-drone/]

Les passionnés ne manquent certes pas d’ambition, ni de goût pour les défis, bien au contraire : sur le site Instructables.com, parmi les instructions servant à fabriquer meubles, gadgets rigolos ou lampes personnalisées, on trouve des tutoriels pour fabriquer soi-même des machines CNC (Computer Numerical Control - machines à commande numérique), permettant de découper de la mousse, du carton, du bois, etc. avec une grande précision. « Qui sont les makers ? On peut comparer cette communauté aux amateurs du monde de la musique : peu de gens sont considérés comme des professionnels, alors que beaucoup de gens en jouent, chez eux ou à l’extérieur. En général on s’intéresse à l’innovation provenant du haut de la pyramide, les makers, eux, sont à la base de cette pyramide. Dale Dougherty - fondateur de Make

fig. 38 : water jet cutter, ou machine de découpe à jet d’eau, au TechShop de Detroit. L’entreprise Ford a mis en place un programme prototype à destination de ses ingénieurs et designers  : les employés se faisant remarquer pour leur inventitvité reçoivent un abonnement gratuit au TechShop de Detroit, afin de “travailler leur muscle créatif “. La compagnie espère ainsi bénéficier d’un apprivisionnement en projets innovants, notamment en ce qui concerne les équipements intérieurs des automobiles, mais souhaite aussi que ce programme agisse comme un catalyseur pour le rétablissement de l’économie en péril de Detroit. [http://www.wired. com/design/tag/maker/]


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45 Les adeptes du DIY tentent de faire tout eux-mêmes. En cela, ils posent un acte

5/ Hackers & fablabs

d’économie, bien sûr, mais aussi d’indépendance. Ce mouvement non constitué se considère comme une alternative à la société de consommation. Puisant dans des savoir-faire

Objets de tous les fantasmes, assez proches de l’esprit pionnier du DIY, les hackers -à

abandonnés comme dans les nouveaux potentiels numériques, à la frontière du bidouillage,

ne pas confondre avec les pirates informatiques- sont initialement des programmeurs et des

de la personnalisation et de l’invention, le DIY s’appuie sur les valeurs qui fondent une

chercheurs en informatique passionnés qui aiment comprendre le fonctionnement d’un

autonomie, artisanale et pédagogique, mais aussi économique, écologique et politique.

mécanisme, afin de pouvoir le bidouiller pour le détourner de son fonctionnement originel.

Considéré aujourd’hui comme l’une des matrices conceptuelles les plus influentes des cul-

Le terme hack vient d’ailleurs de l’anglais qui signifie littéralement tailler ou hacher menu

tures contemporaines, le DIY gagne chaque jour un peu plus de terrain médiatique, au point

et par extension désigne le “bidouillage” ou le bricolage.

par exemple de représenter plus de 160 millions d’occurrences sur le moteur de recherche

Émergeant du milieu des ingénieurs et des physiciens du MIT au début des années

Google.

60, « on doit à la culture des hackers originels la montée de l’informatique interactive, des universités, et des réseaux. Ils ont donné naissance à une tradition d’ingénierie continue qui devait

Le “faire”, assurent ses promoteurs, permet de se réapproprier le monde grâce à une meilleure connaissance des processus de fabrication, permet de prendre confiance en soi et en sa capacité à comprendre et créer, permet aussi de partager son savoir et bénéficier des découvertes de la communauté. Trois objectifs qui en font un peu plus qu’un mouvement, presque une philosophie…

Eric S. Raymond, Une brève histoire des hackers, traduction par Sébastion Blondeel, essai publié dans le livre “Open Sources - Voices from the Open Source Revolution”, édition O’Reilly & Associates, janvier 1999, version disponible sur [http://www.linux-france. org/article/these/hackers_history/fr-a_brief_history_of_ hackerdom-2.html] 24

déboucher, à terme, sur la culture du hacker de logiciel libre d’aujourd’hui. » 24 Des communautés se sont alors progressivement formées regroupant des passionnés qui trouvaient leur plaisir à développer des logiciels et des machines. Ces individus, non contents de s’amuser, contribuèrent surtout à développer les innovations informatiques majeures du XX ième siècle : les systèmes d’exploitation, les ordinateurs, et les réseaux de communication. Mais l’esprit des hackers ne se situe pas seulement dans l’axiome développement-mise sur le marché ; bien au contraire , il tire de la créativité* et de la collaboration une éthique fondée sur l’ouverture, le partage et la participation (“hands-on imperative”, littéralement “impératif à mettre les mains dedans”). Cet esprit, à l’opposé des logiques commerciales,

fig. 40 : Dennis Richie and Brian Kernighan devant un PDP-11, 1971 http://it-material.de/2011/11/kenthompson-sitting-dennis-ritchie-at-pdp-11/

fig. 39 : session d’art lumineux au Tinkering Studio, atelier immersif et créatif situé à l’Exploratorium, musée des sciences et techniques de San Francisco.


46 Ce concept de laboratoire d’un genre nouveau découlait d’un cours très populaire que Neil Gershenfeld donnait au MIT appelé “comment fabriquer (presque) n’importe quoi” (How to make (almost) anything ?) et cherchait plus largement à explorer comment une communauté peut être rendue plus créative et productive si elle a - au niveau local - accès à une technologie. [http://fab.cba.mit.edu/classes/MIT/863.08/]

fig. 41 : Steve Jobs, John Sculley et Steve Wozniak à la présentation de l’ordinateur Apple en 1984. http://tech.fanpage.it/foto/steve-jobs-addioapple/#ixzz1wUXhzWay

47 traction de “Fabrication Laboratory”, les fablabs sont actuellement organisés au sein d’un réseau mondial (135 fablabs ouverts ou en cours de montage, et jusqu’en Afghanistan !) et adhèrent à une charte mise en place par le MIT. Ces “coopératives du futur” sont des ateliers* locaux et collaboratifs, dotés de machines-outils pilotées par ordinateur pouvant fabriquer rapidement et à la demande des biens de nature variée, y compris des prototypes ne pouvant être fabriqués à grande échelle. A la différence des hackerspaces*, où on ne trouve que de l’outillage électronique, on trouve dans un fablab : fraiseuses de précision, découpeuses laser, découpeuses vynile, imprimantes 3D, mais aussi scies, perçeuses,

fig. 42 : le “FabLabSquared”, atelier éphémère monté par la FING à Paris, en 2010. “Le prototype Fab Lab Squared (FL2) a pour objet de créer la “matrice” technique, servicielle et organisationnelle des futurs Fab Labs qui pourront s’installer dans des universités, des campus d’entreprises ou incubateurs, des lieux associatifs et culturels.” [http://fablabsquared.org/?Leprojet-Fab-Lab-Squared]

s’incarne au travers de différentes contre-cultures* et communautés, mais également dans le concepts du logiciel libre, et dans sa traduction fonctionnelle, l’open source* - logiciels dont le code-source est librement modifiable-. « Les logiciels libres sont des programmes dont l’utilisation, la modification et la duplication en vue de sa diffusion sont permises afin de garantir certaines libertés induites, dont le contrôle du programme par l’utilisateur, et la possibilité de partage entre individus. On peut expliquer la base philosophique du logiciel libre en trois mots: liberté, égalité, fraternité. Liberté, parce que les utilisateurs sont libres. Egalité, parce qu’ils disposent tous des mêmes libertés. Fraternité, parce que nous encourageons chacun à coopérer dans Richard Stallman, Free software, free society, Free Software Foundation, 2010. 25

la communauté.»25 Le mouvement du logiciel libre a avec lui entraîné la constitution d’une véritable «  culture libre » qui généralise ces principes à la distribution d’œuvres libres au travers des médias ; cela concerne des domaines aussi variés que l’art, l’éducation, la science, l’information, etc. La gratuité, la liberté d’expression, le partage du savoir, la collaboration, l’ouverture, la dynamique participative, le contrôle donné à l’utilisateur et non à l’auteur sont au coeur de cette culture émergente, dont la portée politique n’est plus à démontrer. Cette dynamique engendre aujourd’hui un décloisonnement de la recherche scientifique, qui vise à rendre abordables aux citoyens et aux amateurs la compréhension et l’expérimentation de technologies actuelles. Les rassemblements, conférences, barcamps, et autres évènements fleurissent aujourd’hui partout en Europe pour faire avancer et débattre de l’avancement de ces connaissances. Conformes à cette éthique et disposés à accueillir tous ceux qui s’inscrivent dans ces pratiques de fabrication, des lieux pérennes et propices à la socialisation ont vu le jour depuis une décennie : fablabs, hackerspaces*, hacklabs, et autres medialabs. Le programme des Fab lab a été créé par Neil Gershenfeld en 1999 et lancé au Media Lab du MIT.Con-

fig. 43 : conférence sur les RepRaps à HAR2009, conférence de hackers qui s’est tenue aux Pays-Bas. Une RepRap est une imprimante de bureau 3D libre capable d’imprimer des objets en plastique et considérée comme auto-réplicable, puisqu’elle peut entre autres imprimer des pièces qui serviront à la construction d’autres RepRap.


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49 ponceuses, machines à coudre, etc. Permettant de passer rapidement de l’idée au modèle

6/ Conclusion

numérique, du modèle au prototype, voire du prototype à l’objet tangible, cet arsenal de machines rend possible la fabrication d’à peu près “n’importe quoi”, du sextoy au moule à tablette de chocolat en passant par l’outil agricole et la puce GPS bon marché

CRAWFORD, M. Éloge du carburateur, essai sur le sens et la valeur du travail, éditions La Découverte, mars 2010. 26

Vincent Truffy, Les fablabs, ou le néo artisanat. publié sur owni.fr, mai 2011, [http://owni. fr/2011/05/29/les-fab-labs-ou-le-neo-artisanat/] 27

Ces “tiers-lieux” originaux, dont le crédo est « toi aussi tu peux le faire » reflètent un goût pour l’émancipation et l’auto-entrepreneuriat, qui peut dans certains cas inspirer la

« Il s’agit de créer plutôt que de consommer : la technologie est perçue comme un instru-

création d’un petit écosystème de start-ups et de micro-manufactures, tout en continuant

ment d’émancipation. La disparition des outils de notre horizon éducatif est le premier pas sur

à adhérer à l’esprit affranchi et hybride des contre-cultures*. Plus largement, le mouvement

la voie de l’ignorance totale du monde d’artefacts dans lequel nous vivons.[...] Ce que les gens

des fablabs, en route vers une démocratisation à grande échelle et qui voit se développer des

ordinaires fabriquaient hier, aujourd’hui, ils l’achètent ; et ce qu’ils réparaient eux-mêmes, ils le

projets d’ouverture chaque mois - plus encore lorsqu’on s’attarde sur toutes ses déclinaisons

remplacent intégralement. » Car loin de l’image d’un lieu réservé aux seuls initiés, les fablabs

: living labs, open labs, media labs - exprime selon nous une tendance de fond de notre

sont fréquentés par des ingénieurs, des chercheurs, mais aussi des designers, des artistes, des

société mondialisée

26

architectes, des étudiants et même des familles, qui viennent fabriquer des objets ordinaires,

Le terme de “laboratoire” vient d’ailleurs conforter la vision d’un monde en profonde

des maquettes, et même des prototypes industriels. N’y voir qu’un artisanat du pauvre ou

mutation, dont chacun peut, à petite ou à grande échelle, contribuer à élaborer le visage

un mouvement de contestation anti-consumériste serait une vision altérée du projet global.

futur. Le besoin de se réapproprier le contrôle sur les objets réels et virtuels du quoti-

« Chaque fablab créé depuis que le réseau est lancé oriente son projet, lui donne une coloration :

dien, de trouver un mode d’expression personnelle, d’avoir accès à la connaissance et à

l’un plus artistique – le remix, le détournement, le sample appliqué aux arts plastiques –, l’autre

l’apprentissage continu qui en découle, d’imaginer des solutions locales et pratiques alliant

plus militant – la base se réapproprie les outils de production   –, le troisième axé sur l’innovation

l’high tech et le low tech trouve pour cela dans les fablabs un environnement extrêmement

ascendante – on abaisse la barrière à l’innovation, de la même façon que le web a abaissé la bar-

fertile.

rière à l’expression publique –, ou encore écologique – la récupération, le recyclage. »

27

Au demeurant, les pratiques de créativité* contemporaines, porteuses d’innovations en tout genre, sont déjà incarnées quelque part à mi chemin de cet univers culturel dépeint jusqu’ici. Pour exemple, citons le couplage de Bioponey, atelier* de jardinerie associatif avec le CCSTI de Grenoble, dont le projet d’installation d’un centre de ressources sur les techniques de culture du végétal en ville sur le toit de la Casemate est organisé par des étudiants de l’École d’Architecture de Grenoble. Le campus de Saint-Martin d’Hères, quant à lui, est riche déjà d’une extraordinaire effervescence intellectuelle et scientifique ; dans l’optique d’y accélerer les mouvements de mixité, de collaboration et de mutation, nous proposons un dispositif architectural au service de la rencontre des projets créatifs non-institutionnels. Dans une logique d’ouverture du Domaine Universitaire à la société civile en générale et à la Ville de Saint-Martin d’Hères en particulier, des lieux voués à l’hybridation des savoirs et des savoirs-faire seront perceptibles par tous.

fig. 44 : diagramme d’usages illustrant le projet de JokkoFablab dédié à l’innovation sociale et digitale à Dakkar, Sénégal. [http://www.ulule.com/jokko-fab-lab/]

fig. 45 : L’Ultimaker du fablab de Grenoble, au CCSTI. Cette imprimante 3D a été conçue au fablab d’Utrecht ; elle est livrée en kit et permet d’imprimer “à la maison”.


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Mise en œuvre de l’hybridité : Un champ de particules « Métissages*, multi-appartenance, hybridation des espaces, des temps et des pratiques 28

Luc Gwiazdzinski, géographe et responsable scientifique du colloque TTT3 “hybride, hybridation, hybridité” à la Cité des Territoires de Grenoble, m a r s 2012

deviennent des figures courantes du monde contemporain. L’individu devient “polytopique”* et les nouveaux espaces qu’il produit définissent de nouvelles hétérotopies* qui hébergent d’autres imaginaires. »28 Le campus de Saint-Martin d’Hères est riche d’une extraordinaire effervescence intellectuelle et scientifique, et nous y proposons un dispositif architectural au service de la rencontre des projets créatifs non-institutionnels. Au gré des rencontres fortuites, les collisions prolifiques entre “particules” issues de champs disciplinaires différents font éclore des espaces et des instants. Le territoire berceau de notre proposition architecturale est le lieu de convergence entre excellence* universitaire, arts, initiative étudiante, nouvelles technologies et micro-agriculture. Et le territoire, support de cette effervescence doit pouvoir refléter ces actions innovantes et en incarner les logiques et les conditions d’existence. « Modelés par les comportements et les transformations humaines, les territoires n’existent qu’à travers l’usage

TEYSSOT, G., L’architecture comme membrane in Explorations in Architecture 29

que l’on en fait »29 , notre envie est de générer un territoire modulable où l ‘impact de l’usager est palpable. Le « faire » modelant l’architecture ainsi que le paysage. Nous le verrons plus loin, une architecture elle-même modelée par le climat et l’environnement naturel. A l’échelle de l’implantation urbaine, les différentes composantes en perpétuelle évolution de notre dispositif interagissent entre elles. Cet écosystème, axé sur la rencontre des publics, des disciplines, des éléments naturels et des sources d’énergie en présence sera le creuset de cette centralité urbaine, lieu d’effervescence que le Schéma Directeur et d’Aménagement Durable 2015 - 2025 appelle de ses vœux. À cette échelle notre travail se définit comme un dispositif.


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1/ Expérience physique et enjeu symbolique : la frontière ville-Campus Le schéma directeur l’affirme sans équivoque : la programmation future du campus universitaire de Saint-Martin-d’Hères s’organisera autour de deux leviers urbanistiques principaux qui prendront les contours de deux axes. A l’ouest, la nouvelle Maison de l’université sera la tête de proue d’un axe Est-Ouest. Pôle Santé, Restaurant universitaire, Maison de la création et laboratoires de recherche jalonneront cet axe entrecoupé de placfig. 46 : Le Campus comme lieu propice à l’émergence d’un écosystème de la connaissance

ettes. Si la Maison de l’Université introduira la future “avenue” déroulant une scénarisation de l’entrée dans le savoir, la nouvelle entrée Sud, programmée au niveau de la zone des Glairons tentera, quant à elle, d’offrir une perméabilité à l’accès piéton sur le flanc Sud du Domaine Universitaire. La zone des Glairons aujourd’hui occupée par de vastes entrepôts, des usines, un dépôt de bus et quelques habitations pavillonnaires, se verra percée à échéance 2025 par un large couloir piétonnier. De part et d’autre de cet axe : des bâtiments hébergeant des entreprises impliquées dans la Recherche et Développement bénéficieront de la proximité immédiate des laboratoires universitaires pour articuler leurs recherches autour de partenariats entreprise-université.

fig. 47 : Le Schéma d’Aménagement Durable 2015 - 2025. En rouge : programmes à échéance 2015 (Plan Campus) et en violet : activités économiques et recherches/application. En vert : trame paysagère.


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55 L’avenue Gabriel Péri est aujourd’hui la proie aux grandes surfaces franchisées. Un Strip à la française, un alignement de hangars de bacs aciers, affublés d’enseignes multicolores. On le sait, le même Vegas du sofa, du revêtement de sol et de la chaussure low-cost se déploie à l’entrée de la plupart des villes moyennes de l’Hexagone. La volonté est forte pour que s’opère une ré-urbanisation de cet axe défiguré. Les modifications du nouveau Plan

fig. 49 : le campus aujourd’hui est connecté à la ville de SaintMartin-d’Hères par deux portes d’entrées. Au milieu, une poche d’urbanisation est enclavée   : la zone des Glairons, zone d’activité en extinction progressive à requalifier.

fig. 48 : L’avenue Gabriel Péri, le Strip de l’agglomération Grenobloise. C’est à ce niveau-ci de l’avenue que devrait, d’ici à 2020, commencer à se déssiner l’embouchure du nouveau mail, porte d’entrée du campus. Le PLU y a été modififé pour que les parcelles de part et d’autre du boulevard puisse accueillir des constructions à R+7, espèrant que des immeubles d’habitations voient le jour en lieu et place des concessionnaires et autres boulangeries industrielles.

[http://www.ville-st-martin-dheres.fr/4-1-2-ZOOMNORD.pdf] 30

Local d’Urbanisme de Saint-Martin d’Hères30 déplafonnent les hauteurs maximales à R+7. Des immeubles d’habitations verront le jour au Sud de l’avenue Gabriel Péri. Les boîtes à chaussures disparaîtront au profit de plus de densité, de plus de ville. Cette dynamique de modification du PLU est évidemment synchrone à l’élaboration du Schéma Directeur du campus. L’interruption urbaine disgracieuse qu’est aujourd’hui l’avenue Gabriel Péri expirera : la ville et le campus bénéficieront d’une nouvelle frange de connexion. Dans cette dynamique de constitution d’une porosité symbolique et physique entre le campus et sa ville, la requalification progressive de la zone des Glairons va de pair avec le dessin d’une nouvelle entrée Sud à même d’identifier le commencement du Domaine Universitaire. Cette nouvelle entrée prendra la forme d’une promenade verte et piétonne qui terminera sa course dans le campus, au niveau de l’espace ouvert entre EVE et l’amphi Weil, abolissant ainsi la frontière sud du Domaine Universitaire. Le “mail” ainsi dessiné serpentera souplement dans une zone où seront implantés des bâtiments de start-ups et de laboratoires, censés incarner l’ouverture de l’Université aux partenariats externalisés, et dont le fleuron ultime sera le PILSI (Pôle International Logiciels et Système Intelligents). Ce PILSI, sorte de vaisseau amiral de la galaxie Campus campera ses 12 000 m2 à l’embouchure du mail sur le campus, faisant face au nouveau restaurant Diderot, devenu un

fig. 50 : Le Schéma Directeur du campus tend à décloisonner le domaine universitaire en prévoyant un mail qui liera la partie Nord de Saint-Martind’Hères avec la partie sud du Campus.


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57 édifice tout de transparence et d’accessibilité. Un piéton empruntant le mail expérimenterait

2/ Les jardins partagés comme sol augmenté de substrats politiques et sociaux

une sorte de progression phénomènologique, au sein de ce chemin ondulant tranquillement ; il passerait du front bâti du boulevard Gabriel Péri, urbain et vrombissant à un

On l’a vu, le traitement architectural de la nouvelle entrée du campus renferme en

espace ouvert en coeur de Campus, où étudiants, professionnels, chercheurs, promeneurs

elle-même deux enjeux principaux : le maillage urbanistique avec le futur visage de Saint-

et professeurs se croiseront et auront le loisir de se rencontrer au gré des envies, des usages

Martin-d’Hères au Sud de l’avenue Gabriel Péri et l’évocation symbolique d’un maillage

et des temps.

culturel. Ceci en opérant une brèche de porosité entre sphère universitaire organisée en

L’entrée sud exprimera ce maillage entre société civile et excellence* universitaire en

campus et sphère civile environnante. La résolution de cette double problématique est donc

offrant à l’usager piéton ou cycliste l’expérience de parcours d’un territoire ouvert, paysagé,

une des composantes de notre proposition architecturale.

peu dense, où un dégagement visuel permettra d’embrasser du regard les composantes d’un écosystème complexe. Fini les enseignes.

fig. 52 : la “place centrale” aujorud’hui, un lieu sans image

fig. 51 : le dessin du mail emprunte la forme d’un chemin qui serpente. bâtiments universitaires EST

EVE

amphi Weil

nouveaux bâtiments à l’échéance 2015 place centrale

front bâti de Gabriel Péri, hauteurs redréssées à R+7

PILSI

Nouveau RU

bâti de Saint-Martin-d’Hères

L’axe Nord-Sud que constitue le futur mail piétonnier sera, pour notre projet, une épine dorsale et la parcourir, sera marcher au sein d’un champ-réseau de fonctions, de séquences en dégradé. Du monde universitaire à la ville, de l’industrie à la recherche, du sérail de la culture à la balade du dimanche après-midi. Ici, on se promènera dans un faisceau de connexions, dans un champ de pollens où Ville et Industrie, excellence* et innovation universitaire trouveront un terrain de fécondation réciproque. Si l’envie a priori peut être de mettre en scène (dans une logique d’esthétisation) l’arrivée sur le territoire paysagé remarquable du campus, bénéficiant qui plus est à cet endroit d’une vue majestueuse sur la chaîne de Belledonne, notre parti pris est un peu différent. Car, si il y a aujourd’hui discontinuité entre ville et campus, c’est du fait d’un contraste formel (entre objets urbanistiques et architecturaux très différents puisque adressés à des fonctions très dissemblables), mais c’est aussi et surtout, entre deux sociologies illisibles l’une pour l’autre (celle d’un sérail universitaire, celle de la société civile). Entre ces deux territoires symboliques hétérogènes, nous nous proposons de tisser un trait d’union. Mais quel teravenue Gabriel Péri

rain d’entente, quel catalyseur de rapprochement peut-on proposer entre ces deux publics ? Quel territoire physique pour quelle interaction ? Quelle agora pour quelle rencontre


58 citoyenne ? Les terrains en voie de reconversion de la zone des Glairons seront le lieu du

59 vant un écho dans le catalyseur à civitas qu’est le jardin partagé, l’ensemble du parcours

partenariat de recherche entre université et entreprises techno-scientifiques. Néanmoins, ce

le long ou plutôt, dans ce mail est pensé comme le lieu de la ballade certes, mais plus

sera aussi l’espace d’interpénétration nécessaire de publics complémentaires, deux popula-

encore comme celui du débat public, du métissage* et de l’expérimentation sociale. Le

tions qui participent à la ville et qui en construisent l’altérité*.

campus de Saint-Martin d’Hères s’illustre au demeurant par la richesse de ses initiatives

On le sait, le jardin partagé est un de ces espaces urbains de convergence. On sait aussi que l’enjeu des échanges pour ceux qui s’y rencontrent va bien au-delà des considérations de la technique maraîchère. Proposer un champ de jardins partagé comme paysage à parcourir et comme théâtre de la civitas est pour nous un outil stratégique. Au nord du mail, le Schéma Directeur propose une place permettant de répondre aux exigences de plus d’urbanité, d’une nécessité de constitution d’un pôle. En effet, sur le campus, on se croise beaucoup, on parcourt de grandes distances à pied ou à vélo mais

«Ces jardins-potagers ont germé à l’occasion de la mobilisation anti-précarité qui a eu raison du CPE. Jardins d’utopie est une association qui mélange théorie et pratique : c’est l’apprentissage et la pratique d’un jardinage collectif en milieu étudiant, selon des méthodes respectueuses des sols. C’est aussi de la réflexion et du débat sur de futures sociétés désirables. Une autre agri-culture est possible ! Jardins d’utopie se revendique d’idées écologistes, humanistes et de l’éducation populaire. Pour faire avancer ces valeurs nous recourrons à l’action politique, parfois sous la forme de désobéissance civile. Cela a été le cas lors de la création de ces jardins-potagers. A ce jour, ils n’ont aucune existence officiel ou légale auprès de l’université ou de la ville de Saint-Martin-d’Hères.» [http://lepetitpotager.over-blog.com/] 31

d’associations étudiantes. Parmi elles, Jardins d’Utopie31 qui œuvre depuis 2006 à l’éclosion de jardins collectifs sur le campus. Les Jardins d’Utopie sont nés au printemps 2006 en pleine mobilisation anti-CPE. Alors que la question du devenir de l’université en France était le cœur de débats passionnés lors des Assemblées Générales se tenant dans les amphis occupés, les jardins sauvages étaient un moyen d’expérimentation de modes d’auto-gestion et d’appropriation de l’espace commun à l’échelle 1, un moyen pragmatique de contester le manque de leviers de gouvernance par les étudiants du territoire du campus ; mais aussi un moyen d’attirer l’attention sur la question du relatif désert alimentaire qu’est le campus en ouvrant sur la question de l’approvisionnement maraîcher en filière courte, biologique et qualitative. Les Jardins d’Utopie illustrent bien cette posture pro-active d’implication sociale par le “faire” décrite plus haut et qui est pour sûr génératrice d’innovation, à partir du moment où elle propose une économie, un engagement politique et des modes d’organisation nouveaux et directement incarnés dans le quotidien. Nous pensons qu’il y a là presque un modèle à suivre. Les productions hybrides “ricochant” entre sciences, arts, micro-agriculture, posture politique, expérimentations environnementales et design urbain seront le code du “logiciel” de cette embouchure du mail piétonnier sur l’entrée Sud du Domaine Universitaire. Une zone dédiée à l’utilité et à l’esthétique du faire.

fig. 54 & 55 : Repas préparé par le Jardin d’Utopie, pour la fête des associations organisée par EVE au début de l’année universitaire.

fig. 53 & 54 : le PrinzessGarten, à Berlin, un lieu public d’écologie, d’agriculture, mais aussi de sociabilité.

on ne converge que rarement vers des points à caractère public capable d’exercer une force centrifuge, d’attirer en un centre les éléments périphériques. Le café de EVE (Espace de Vie Étudiante) est un des endroits, si ce n’est l’unique, capable d’une telle attraction sur le campus. L’emplacement de la future place dans le Schéma Directeur nous paraît opportun, puisque s’appuyant sur les effets attractifs de EVE - convergence affective - et du restaurant universitaire Diderot - convergence quotidienne de contingences utilitaires-. Cette place sera une des deux extrémités que nous souhaitons jumeler. Mais comme nous l’avons vu plus haut, le caractère “agora” de la place publique trou-

Le fonctionnement du Jardin d’Utopie est ouvert et collaboratif : ceux qui veulent peuvent venir récolter les légumes qui sont ensuite partagées entre tous les gens en présence.


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3/ Greffe d’un écosystème à un autre : designer la phagocythose fig. 56 : plan masse. Dans les vignettes, les implantations aurpès de EVE (1), du PILSI (2) et du nouveau Restaurant Universitaire (3) sont détaillées.

Si le nouvel écosystème que souhaitons mettre en place a son fonctionnement propre, il n’en est pas moins entièrement connecté aux usages préexistants et aux forces humaines en présence. Le campus de Saint-Martin d’Hères est innervé de l’activité quotidienne des étudiants, des enseignants et des chercheurs mais aussi de celle des très nombreux adhérents d’associations de l’offre culturelle de EVE par exemple. Cet écosystème humain se développe au sein d’un “biotope” architectural s’apparentant à un immense parc paysagé émaillé de bâtiments de taille souvent imposante. De grandes étendues vertes, de grands édifices, de grands amphithéâtres, de grands parvis, une immense place centrale. Une des raisons du succès de la fréquentation de EVE (hormis la bière à la pression) réside sans doute dans son originalité spatiale sur le campus : un petit endroit, un petit bar, une petite terrasse sur un bout de trottoir, abritée par quelques arbres modestes. Dans son rapport à l’espace le corps est ici arrimé, là où partout ailleurs, on flotte dans des immensités. Les micro-architectures que nous proposons viennent se greffer* dans les anfractuosités à cet écosystème architectural. Pour faire écho à notre envie de susciter le mixité, la collaboration, l’hybridité*, et pour évoquer la mouvance, de transformation, de mutation, nous avons pensé à une architecture disséminée en de petites entités fonctionnant en complémentarité, en réseau. Des objets indépendants qui se répondent. Les créations et les créateurs seront multiples, les lieux seront multiples et leur configuration recomposable. Comme le fait un micro organisme parasite, chaque atelier*-bulle tire parti des ressources en place et vient se greffer* pour s’alimenter en fluide (eau, électricité, VRD). Cette implantation en acupuncture, voire parasitaire, est dictée par un besoin « vital » de se brancher à des réseaux existants. Mais parallèlement, nous pensons que cette logique de greffe* enrichit la vie sociale du projet. Au gré des changements et des évolutions, le logiciel d’implantation se mettra à jour. Ces petites bulles seront autant de catalyseurs qui accéléreront, et multiplieront les occurrences de mise en réseau, de rencontres, autour de projets créatifs collaboratifs. L’émergence de ces lieux sera une expression tangible, concrète et palpable de la multiplicité des pratiques de collaboration et de la dynamique des acteurs culturels du Campus. En s’adossant à des bâtiments existants, en se pluggant à un registre architectural en total contraste, en hackant les réseaux de fluides, en jouant les grains de sables, la micro-architecture que nous proposons souhaite créer l’étonnement, susciter l’interrogation pour, progressivement assoir son statut, s’inscrire dans un dialogue quotidien, “se faire oublier” et être identifiée comme lieu légitime d’une activité intellectuelle et manuelle décloisonnée. Chaque atelier pourra à terme être démonté et quitter son emplacement pour venir se greffer* ailleurs, sur une autre veine de fluide quelque part dans le campus, ou en dehors


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Atelier de l’interactivité : un dispositif sensible qui frissonne La notion de dispositif en architecture comme en urbanisme, on le sait, est assez ambivalent. Ici, faire une analyse exhaustive du concept n’est pas le but. Néanmoins, puisque dispositif est la convergence de appareil, mécanisme, méthode et procédé, le terme est utile à notre démonstration. L’imagibilité est un concept de Kevin Lynch, architecte urbaniste, qui apparait dans son ouvrage “l’image de la cité’” et qui se définit comme la mise en oeuvre d’une production d’images “fortes” susceptibles de structurer la ville. 32

Visibilité de l’urbain, de sa totalisation, imagibilité32, identité ou modulation du pouvoir au sein des villes, pour Deleuze, Latour, Foucault ou les Situationnistes, le dispositif urbain revêt un caractère de contrôle coercitif.. En effet, le dispositif est l’agencement à toutes les échelles des composantes matérielles permettant de réaliser un dessein organisationnel. Ces artefacts* s’adressent à la gestion de la ville et de ses usagers. La question revêt donc un enjeu politico-éthique complexe, largement étudié par les sociologues. « La technique met

HEIDEGGER, M., La question de la technique, 1954 cité par Doutriaux E. et Leclerc, C., Les promesses du dispositive in Cultures visuelles de l’urbain, Lieux Communs, 2008. 33

en demeure la nature de se montrer comme un complexe calculable et prévisible de forces »33. Mais le terme dispositif dans son dans son essence, ouvre aussi un imaginaire fertile, car si il permet le contrôle, il permet aussi une certaine puissance de “fictionnalisation” (d’une portion de territoire, par exemple) au travers du projet d’architecture. « En tant que pourvoyeurs de situations », la ville et l’édifice eux-même sont des données statis-

Elizabeth Mortamais, L’hyper, dans Architecture, Editions de la Villette, 2011 34

Action

tiques et numériques (…) »34 Bernard l’hermite, hérisson à longue queue, le design de l’atelier* affirme un statut de folie architecturale propre à suciter l’étonnement. Au delà de ses lignes et de son inscription dans le site, il nous importe de doter cet objet architectural d’une aptitude à l’interaction, d’une capacité de réactivité intelligente aux sollicitations.

fig. 57 : Schéma concept du dispositif. Un exosquelette + une coque en caisson d’ETFE + des poils intelligents.


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65 Chaque atelier* offre 130m d’espace intérieur entièrement modulable. Des open2

1/ Modularité : une implantation géographique évolutive et un plan souple

spaces pouvant convenir aux activités du plus grand nombre. On l’a dit, les projets amenés à prendre vie dans ces espaces sont supposément protéiformes. Mécanique, électronique,

L’éclosion spontanée et le phénomène d’apparition-disparition, sont des images qui ont Le Ptit Vélo dans La Tête est une association grenobloise fort dynamique qui offre pour une modique somme d’adhésion, des ateliers pour se fabriquer et réparer des vélos, et programme des animations tout au long de l’année afin de revendiquer l’alternative du vélo comme moyen de déplacement efficient et écologique

présidé aux premières esquisses de notre projet. « Un étudiant en science et un membre du Ptit Vélo dans la Tête* rencontrent une jeune comédienne et évoquent l’idée d’un projet créatif commun : une bulle d’espace et de temps les englobe. A la vue du phénomène,

fig. 59 : plan souple : subdivision de l’espace à l’aide de parois textiles.

d’autres personnes s’agrègent au projet : la bulle s’étire. Quatre autres étudiants évoquent l’envie de bidouiller un dispositif interactif, un professeur participe dans quelques mois au festival d’arts numérique Transmédiales : une bulle se tisse autour des premiers, le second les y rejoint. Les deux bulles fraîchement écloses attirent la curiosité, le bouche à oreille fait son œuvre et d’autres travaillent à l’apparition d’une troisième bulle qui dialoguera avec les deux premières pour tisser petit à petit une carte d’open-zones, carrefours des disciplines et des envies conceptrices. Cette bulle des premières esquisse recouvre les qualité d’élasticité, de transparence et de signal. Trois orientations que notre projet revêt aujourd’hui.

fig.   58 : images concept de projet   : on a tous rêvé qu’un espace d’intériorité se génère soudainement dans l’espace public pour un besoin pour un autre.

informatique, botanique, arts du spectacle, performance, les ateliers-bulles ont vocation à s’ouvrir aux pratiques hybrides. Hackerspace*, où de simples bureaux accueilleront des ordinateurs ; fablabs où ordinateurs côtoieront petit matériel électronique et fers à souder ; salle noire de projection ; espace de répétition de spectacles vivants ; atelier multi-technique où bois, métal, textiles, polymères seront mis en œuvre pour des réalisations de toutes tailles. Hauteur importante, plan libre facilitant les reconfiguration de l’espace, large ouverture au sud pensée comme une grande porte de garage permettant un accès aisé à l’extérieur et le déplacement d’objets volumineux, sculpture, installation interactive, robot. Bref, les scénarii d’occupation de ces ateliers sont aussi divers que les nouvelles pratiques artistiques sont plurielles et transdisciplinaires. En outre, un système de cloisons textiles permet de venir subdiviser l’espace, cette élasticité du plan cherche à venir en appui à l’aspect protéiforme des activités hébergées.


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2/ Fonctionnalités paramétrable, architecture interactive vis-à-vis du climat et du contexte extérieur

3/ Double fonction et paradoxe : climatiseur versus sensibilité aux variations extérieures L’objet de ce paragraphe est d’engager une réflexion sur la posture du bâtiment face

Actualiser la relation de l’architecture au climat

à son climat dans la logique “Développement Durable”.

Notre architecture est par définition un objet artificiel conçu pour un monde naturel.

HQE, Minergie, BBC, l’exigence environnementale est au contrôle de l’interface* entre

Pour assurer son adaptabilité envers le milieu dans lequel nous l’introduisons, nous l’avons

climat intérieur et extérieur d’un bâtiment. Les solutions sont codifiées par des standards

doté d’hypertélies (ces attributs hypertrophiés ou atrophiés que Gilbert Simondon identifie

dont l’objectif est d’associer amélioration du confort, et à la réduction de la consommation

dans ses réflexions sur les différentes typologies d’objets techniques ). L’enjeu étant, on l’a

d’énergies non renouvelables. Trois principaux leviers sont employés pour arriver à satisfaire

dit de doter les ateliers-bulles d’une capacité de réactivité « intelligente » aux sollicitations.

aux standards : isolation thermique, aération contrôlée et étanchéité à l’air. Il s’agit donc

Attribuer à la vêture de ces espaces un rôle d’inferface* à même d’incarner les notions

d’isoler complètement les bâtiments en empêchant tout transfert de flux avec l’extérieur

d’hybridité* et de corps mutant.

(hormis le système de ventilation, seul cordon ombilical faisant connexion avec le contexte

« (…) une conception architecturale ne conduit pas simplement à quelque chose que l’on peut

climatique extérieur), le bâtiment le plus écologique est donc celui qui se coupe totalement

regarder (un objet ou un édifice par exemple), mais devient plutôt un dispositif capable d’offrir Philippe Rahm, enviro(ne)ment : manières d’agir pour demain 35

de son contexte. Le printemps perpétuel du mythe d’Ogygie que Philippe Rahm men-

à l’observateur, c’est-à-dire à l’usager, plus que la chose elle-même » 35

tionne pour évoquer ce qu’il appelle le « continuum climatique global ». Les 21°C à 50% d’humidités sous 2000 lux que l’on a « ici et maintenant » mais aussi là-« bas et demain ». “Il s’agit d’arriver à une architecture libre de prédéterminations formelles et fonctionnelles, 36

idem

déprogrammée, ouverte aux variations météorologiques” 36. Notre projet s’inscrit dans le champ des réflexions prospectives actuelles sur les nouvelles postures habitantes au sein des nouvelles machines à habiter passives. Nos ateliers de création sont autant de dispositifs expérimentaux qui se proposent de mettre en connexion l’usager avec le climat, l’environnement, les ambiances extérieures dans un rapport

fig. 60 & 61 : réactivité de la vêture : stimuli extérieur (nuage, branche, animal...) ou intérieur (configuration manuelle)

complexe, instable, riche, muable, via l’enveloppe interactive du bâtiment. L’ère du dévelAu travers de cet outil qu’est sa pilosité interactive, notre projet d’ateliers* de création est une expérimentation qui cherche à interroger le rapport forme et fonction versus facteurs tiers. Nous avons travaillé à l’élaboration d’une double peau réactive aux agents mutagènes que sont les variations de climat (luminosité, hygrométrie, température). L’atelier devient alors une sorte d’animal doué de réactions réflexes aux stimuli extérieurs. Le climat mute la double peau qui elle même impacte la « météorologie intérieure ».

fig. 62 & 63 : réactivité à l’ensoleillement extérieur : à la captation d’une dose de soleil x (paramétrée préalablement), les poils se courbes pour

obscurcir l’espace intérieur juste à l’endroit où cela est nécessaire (ou voulu).

oppement durable représente aujourd’hui un facteur déterminant des contours formels de la production architecturale. Il y a un avant et un après développement durable dans le traitement des façades, comme il y a eu un “avant” et un “après” béton armé.


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69 Mais aujourd’hui, les bouleversements que génèrent les standards de qualité environne-

4/ Une peau hérissable

mentale sont surtout invisible, en arrière, dans les tripes du bâtiment. Isolants, ventilation double flux, géothermie, éclairage LED, les conditions d’accès au niveau HQE sont de

Pour parvenir à un haut degré de connivence entre notre objet architectural et son environne-

l’ordre de l’intendance essentiellement. Rares sont les hypertélies que développent les bâti-

ment intérieur d’une part et les conditions de climat extérieur d’autre part, nous l’avons équipé

ments hormis les brise soleil ou les panneaux solaires disposés en double toiture (de sorte à

d’une vêture hérissable, dotée de poils érectiles.

bénéficier d’un effet venturi )par exemple. La stratégie environnementale déforme le rapport

Ceux-ci sont autant de brise-soleil « intelligents », qui réagissent aux desideratas des occupants

de force, les outils performants sont des interfaces* machine-bâtiment et beaucoup plus

via un panneau de contrôle. Grâce à la multiplication des cils et à la possibilité de les com-

rarement architecture-usager.

mander indépendamment, la modulation de l’ambiance lumineuse est paramétrable à l’infini.

Philippe Rahm pousse à l’extrême cette hypertrophie de l’appareillage en créant des

Le corollaire à la gestion de l’incidence de la lumière naturelle sur l’espace intérieur est la gestion

architectures vides de forme où la géographie intérieure est composé par le jeu des climatolo-

paramétrable du taux de transparence visuelle depuis l’intérieur vers l’extérieur, les ambiances

gies artificielles que les appareils de climatisation, de ventilation ou de chauffage génèrent

lumineuses et conséquemment thermiques sont modifiables à l’envie.

dans des logiques combinatoires qui ouvrent l’espace intérieur à une multitude d’options, de possibilité quant à l’usage qui peut en être fait. Un espace dessiné par les flux invisibles. Affordances maximales pourrait-on dire puisque forme et matérialité minimales. Cette radicalité est une mise en œuvre d’un manifeste renversant les méthodes traditionnelles du projet en ouvrant son architecture au « surgissement de fonctions ignorées » via l’exposition 37

idem

aux « variations météorologiques, saisonnières, du jour et de la nuit, au passage du temps » 37. L’histoire de l’architecture est pleine d’exemples où la forme architecturale s’adapte au climat et génère un impact urbain et social. Rahm donne l’exemple des campi de Venise. Ces placettes, puissants pôles d’attraction sociale qui se sont développés un peu partout dans la ville sont, à l’origine, des procédés de captation de l’eau de pluie qui converge vers le puits central. La forme, les dimensions de l’espace aujourd’hui considéré comme espace de socialisation est, en fait, un dispositif d’ingénierie designé par/envers le climat. Il en va de même du moucharabieh qui, de part son maillage resserré génère une accélération de l’air. Rentrant en contact avec une surface d’eau voisine, cet air se décharge de ses calories et rafraîchit les espaces. La climatisation était née. Mais était né du même coup un outil

fig. 64 : Il s’agit, ici, de penser une nouvelle gestion thermique, en totale adéquation à l’image du projet,  un épiderme poilu intelligent, régulateur de porosité. La logique BBC convient à un standard de construction plus ou moins architecturé. Nous voulons dépasser ces contraintes généralistes pour adapter les outils d’une gestion thermique efficiente à notre espace particulier. Nos cils réactifs sont notre outil. Enveloppé d’une membrane respirante, ils régulent, à la manière d’un épiderme animal, l’ambiance “micro-climatique” intérieure.

social magique, une sorte de cape d’invisibilité. Voir sans être vu. Pour des femmes parfois interdites de connexion avec le monde extérieur, l’impact social était majeur. Ici, comme dans d’autres exemples, climat + ingénierie architecturale = nouveaux usages.

Danseuse Paroi textile/ Lycra Aimant Linoléum Plaques OSB 2,5 Plots PVC Gaines techniques

Chape Isolant Dalle brut


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71 Posons un scénario de protection à l’ensoleillement direct pour illustrer le propos :

5/ “Mode manuel” / “mode automatique”

les cils des faces à l’ombre s’ouvriront quand ceux exposés au soleil direct se rabattront et ce, dynamiquement, dépendamment de la course du soleil. Ainsi, les « motifs » du

À cette possibilité de manipulation du pelage par l’usager via une interface electronique,

climat extérieur s’imprimeront sur la peau des ateliers et leurs ambiances intérieures. Cette

s’ajoute une fonction « automatique ».

interaction technique/milieu naturel inscrit les atelier de création dans une dynamique

Un système de capteurs photosensibles commande le mouvement des poils érectiles.

qui dépasse la dichotomie objet / nature. Le jeu entre celui qui construit et celui qui est construit débouche sur un phénomène éphémère : un mi-lieu, ce que Simondon appelle « concrétisation ».

fig. 65 : le stimuli venant des variations de climat extérieur, comme la commande manuelle envoyée par l’interafce utilisateur transitent par un contrôleur Arduino, qui ensuite renvoient l’information -mappée- aux poils pour qu’ils se baissent ou restent érigés.

On voit apparaître quelque chose de l’ordre du phénomène quelque part entre l’architecture et les données physiques de l’environnement dans lequel elle s’incarne. «La concrétisation est ici conditionnée par une invention qui suppose le problème résolu ; c’est en effet grâce aux conditions nouvelles créées par la concrétisation que cette concrétisation est possible ; le seul milieu par rapport auquel il existe une adaptation non hypertélique est le milieu créé par l’adaptation elle-même ; ici, l’acte d’adaptation n’est pas seulement un acte d’adaptation au sens où l’on entend ce mot quand on définit l’adaptation par rapport à un milieu qui est déjà donné avant le processus d’adaptation. L’adaptation-concrétisation est un processus qui conditionne la naissance d’un milieu au lieu d’être conditionné par un milieu déjà donné ; il est conditionné par un milieu qui n’existe que virtuellement avant l’invention ; il y a invention parce qu’il y a un saut qui s’effectue (...) On peut dire que l’invention ‘concrétisante’ réalise un milieu techno-géographique(...) L’objet technique est donc la condition de lui-même comme Simondon Gilbert, du mode d’existence des objets techinques 37

fig. 66 : des dizaines de capteurs photosensibles sont encastrés dans l’exosquelette, sur toutes ces faces, et permettent de calculer, en temps réel, l’apport de lumière venant à 360° autour de l’atelier.

fig. 67 : coupe paysagère

condition d’existence de ce milieu mixte» 37.


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Bibliographie


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77 ouvrages

CRAWFORD, M. Éloge du carburateur, essai sur le sens et la valeur du travail, éditions La Découverte, mars 2010. GUIHEUX, A., Action Architecture, Editions de La Villette, collection “penser l’espace”, 2011 HEIDEGGER, M., La question de la technique, 1954 cité par Doutriaux E. et Leclerc, C., Les promesses du dispositive in Cultures visuelles de l’urbain, Lieux Communs, 2008. MORTAMAIS, E., L’hyper, dans Action Architecture, Editions de la Villette, 2011 RAHM, P., environ(ne)ment : manières d’agir pour demain. Editions Skira, collection “Architecture”, 2007 SENNET, R., La conscience de l’oeil, traduction française de Dominique Bill, Editions Verdier, collection Urbanisme et société, 2011 SIMONDON, G., Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, “l’invention philosophique”, 1989 TEYSSOT, G., L’architecture comme membrane, in Explorations in Architecture, sous la direction de Geizer, R., éditions Birkhaüser, 2008, Berlin.

articles de périodiques

ANDOLPHE, J.-M., Analogies et interférences, dossier « l’art met la science en jeu » de la revue Mouvement n°62, janvier-mars 2012 ATAMER, T. et al, Développer l’innovation, in La Revue Française de Gestion, 2005/2, n° 155, Lavoisier BIDDAULT-WADDINGTON, R., Innovation, le rôle de l’art dans les territoires, in métropolitiques, 14 mars 2011 BESSON, R., Comprendre les transformations des villes « post-fordistes », l’apport de la thèse du capitalisme cognitif, septembre 2010 BERRETT, D., Harvard Conference Seeks to Jolt University Teaching, in The Chronicle of Higher Education, 5 février 2012 COTTET, D., CHAMBRU, M., Pour une université coopérative, in Ecorev’, revue critique d’écologie politique, 23 mars 2010 DOR, E. et BOUCHAIN, P., La conception, un abri pour la démocratiE, in Construire ensemble le grand ensemble; hors série de la collection l’Impensé, Actes Sud, mai 2010 DOS SANTOS, L., Grenoble, une culture en friches, in Artfactories, 29 mars 2006 FORAY, D., Ce que l’économie néglige ou ignore en matière d’analyse de l’innovation, in Norbert Alter, Les logiques de l’innovation, La découverte « Recherches », 2002 LEXTRAIT, F., Les nouveaux territoires de l’art, in Culture & Musées, n°4 2004 MÉNISSIER, T., L’innovation entre invention et conquête. Un point de vue géopolitique sur la R&D contemporaine, intervention dans le cadre du colloque « La relation arts-sciences dans les territoires  » des Rencontres-I, 7 octobre 2011 MORIGNAT, V., Environnements virtuels et nouvelles stratégies actantielles, in Arts de la scène, scène des arts, Vol. 3 : Formes hybrides : vers de nouvelles identités, Ecole d’Architecture de Nantes - Centre d’études théâtrales de Louvain, 2004. PILATI, T., et TREMBLAY, D.-G., Cité créative et district culturel ; une analyse des thèses en présence. In Géographie, économie, Société, avril 2007, Vol. 9 POPADIUK, S., WEI CHOO, C., Innovation and knowledge creation : How are these concepts related ? in International Journal of Information Management, vol° 26, 2006 RAFFIN, F. L’initiative culturelle participative au cœur de la cité : les arts de la critique sociale et politique, in Culture & Musées n°4 : Friches, squats et autres lieux. Sous la direction de Emmanuelle Maunaye, janvier 2005, Actes Sud, Avignon.

articles internet

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documents

Grenoble Université de l’Innovation, Note d’intention de l’Opération Campus, 12 pages, avril 2008 Grenoble Université de l’Innovation, Note de synthèse de l’Opération Campus, 9 pages, novembre 2008 Schéma Directeur d’Aménagement Durable 2015-2025, cahier des charges étape 5, Les préssés de la Cité, architectes urbanistes et JNC Agence Sud, paysagistes. septembre 2010 Schéma Directeur d’Aménagement, d’intégration urbaine et de Développement durable du site Est, synthèse, INterland, décembre 2009 Annuaire des Associations du campus Grenoblois, version 2011 - 2012 Lettre des acteurs de L’aménagement du domaine universitaire, Janvier 2011, n°1, Juillet 2011, n°2 et Janvier 2012, n°3 Annuaire des associations et coopératives de projets du réseau Cap Berriat - ADAEP - La Bifurk EVE, 2008


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79

Remerciements : à Alain, de l’INPG à Jean-Michel, du Fablab de Grenoble à Daniel Kaplan, de la FING


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81 Hackerspace :

Hétéroclite : Hétérotopie :

lieu où des gens qui ont des intérêts communs, souvent en informatique, en technologie, en science, ou en art numérique (mais aussi d’en d’autres domaines) peuvent se rencontrer, échanger et/ou collaborer. Les Hackerspaces peuvent être vus comme des laboratoires communautaires ouverts (« Open Community Labs » en anglais) - voir TechShop qui s’écarte des règles, qui n’existe pas normalement présence d’éléments anatomiques en eux-mêmes normaux, en des points de l’organisme où ils n’existent pas normalement. Lieux autres, en rupture avec l’espace environnant

Hybridité :

qualité de ce qui est hybride. résultat du croisement de deux individus inter- ou intraspécifique.

Interface :

plan ou surface de discontinuité formant une frontière commune à deux domaines aux propriétés différentes et unis par des rapports d’échange et d’interaction réciproques.

Mélange :

action de mêler, de mettre ensemble des substances diverses, de réunir en un tout. Produit résultant de l’union de substances incorporées les unes aux autres.

Métissage : NTIC :

qui est mélangé, moitié d’une chose, moitié d’une autre. Référence au sang-mêlé, croisement de races de variétés différentes, de la même espèce. les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, ou Technologies de l’Information et de la Communication, regroupent les techniques et technologies utilisées dans le traitement et la transmission des informations, principalement de l’informatique, d’Internet et des télécommunications. La télécommunication mobile et le GPS peuvent être considérés comme des NTIC.

Opensource :

désignation qui s’appliquent aux logiciels dont la licence présente des possibilités d’accès et de modification au code source, de libre redistribution. A ne pas confondre avec l’appellation Free Software, logiciels gratuits dont le code source n’est pas ouvert.

Polymorphe :

qui se présente sous plusieurs formes cristallines dont les propriétés physiques sont différentes. qui peut prendre plusieurs formes.

Polytopique :

espace vécu qui comprend et englobe l’enchevêtrement de plusieurs lieux en un seul.

Polytopique :

néologisme issu du mot anglais prosumer qui décrit les tendances des consommateurs à se professionnaliser et à s’approcher de plus en plus du producteur dans la société de l’information.

Souple :

flexible, qui peut s’adapter aux situations les plus diverses.

Sérendipité :

du nom des princes du Royaume de Serendip, la sérendipité désigne l’action qui consiste à trouver quelque chose qui n’était pas initialement prévu par la recherche, grâce à la combinaison du hasard et de l’intelligence.

Tiers-lieux :

alors que la maison et les endroits de vie constituent les “premiers lieux”, les “seconds lieux” sont les places de travail où les individus passent le plus clair de leur temps, les “tiers lieux” représentent pour leur part des points d’ancrage de la vie communautaire qui favorisent des échanges plus larges et plus créatifs au niveau local et permettent ainsi d’entretenir la sociabilité urbaine.

Techshop :

espaces dont le principe fondateur est de rendre accessible et à bas coût tout un ensemble de machines, d’outils et d’équipements dédiés à la fabrication personnelle. Ils s’adressent aux inventeurs, aux bricoleurs, aux entrepreneurs, aux artistes, aux designers, etc. qui ne disposent pas d’ateliers de fabrication, de matériels, voire des compétences nécessaires pour réaliser leurs projets.

Transvolution :

qui passe outre les lois de l’évolution en forçant ou en dépassant les processus naturels.


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