Picsou Soir n°4

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PI CSOU N°4

SOI R

ÉTÉ 2020

LES ANNÉES 1960 DANS L'ŒUVRE DE CARL BARKS


SOMMAIRE 03. ACTUALITÉS

03. Un nouveau chef à Picsou Magazine 04. Young Donald Duck n°1 : Méga dégats Le coin du professeur Ludwig von Drake 05. Le retour du Cycle des Magiciens La couv' de... Stefan Binter

06. ANALYSES

06. Les sixties à Donaldville 10. Entretien avec Luciano Gatto, le « Chat » qui dessinait des souris 12. Carl Barks : July Fourth In Duckburg (1976) 14. Coup de projo : Louis Santels, alias Tenas

16. EXPRESSIONS

16. Coin-coin : les fanarts des lecteurs 18. Donaldville par Pablo Raison 20. Gag : Le sens de la discrétion

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L'Édito

par Corey, rédacteur en chef Ce quatrième numéro conclut une première année d'existence riche en expériences pour Picsou Soir. Nous continuons de tout mettre en œuvre pour vous fournir un fanzine de qualité, et c'est avec plaisir que nous resignons pour une nouvelle saison ! Dans ce numéro, vous retrouverez (entre autres) : un entretien avec Jean-Baptiste Roux, le tout nouveau rédacteur en chef de Picsou Magazine – profitons-en pour saluer le Professeur Pierrey qui a œuvré pendant 30 ans pour nos canards favoris, et qui nous avait d'ailleurs très gentiment encouragés lors de la création de Picsou Soir, il y a un peu plus d'un an ! –, un dossier sur la période sixties de Carl Barks, un éclairage sur Tenas, un auteur belge assez méconnu et pourtant important dans l'histoire des magazines Disney francophones, ou encore une carte inédite de Donaldville réalisée par un fan français... Nous vous souhaitons donc une bonne lecture et un bon été, en ce mois d'août 2020 marqué par deux événements importants : les 10 ans de la création du site Picsou Wiki, et les 20 ans de la disparition de Carl Barks. P.S. Nous recevons régulièrement des demandes pour une réimpression du premier numéro de Picsou Soir : si cela vous intéresse, vous pouvez d'ores et déjà vous inscrire sur un formulaire disponible sur notre site internet.

PICSOU SOIR N°4 - ÉTÉ 2020 www.picsou-soir.com Rédacteur en chef Corey Couverture Stefan Binter

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Ont collaboré à ce numéro Kylian Bourichet-Passier • JB18V • Alban Leloup • Loris Maiolino • Pablo Raison • Soupic • et un grand merci à Luciano Gatto et Jean-Baptiste Roux !

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ENVIE DE PARTICIPER AU PROJET ? CONTACT@PICSOU-SOIR.COM

Contact E-mail : contact@picsou-soir.com Les images Disney sont © Walt Disney Company, Picsou Soir n'y est pas affilié. Toute reproduction, totale ou partielle, du contenu du numéro est interdite. Version numérique. En collaboration avec Picsou Wiki


COUAC-TUALITÉ

UN NOUVEAU CHEF À PICSOU MAGAZINE

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ux commandes de Picsou Magazine (et des autres magazines de canards Disney) depuis 30 ans, le célèbre Professeur Pierrey tourne définitivement la page et passe le relais à Jean-Baptiste Roux qui a accepté de répondre à quelques questions pour Picsou Soir. Comment avez-vous découvert l'univers Disney, et plus précisément les bandes dessinées de canards et de souris ? Bonjour Picsou Soir et bravo tout d’abord pour votre fanzine, c’est une super initiative qui manquait cruellement en France ! Chez moi, quand j’étais jeune, c’était plutôt ambiance bandes dessinées franco-belges (Spirou, Tintin, Pilote, etc.) et c’est grâce au club Mickey de Saint Quay Portrieux que j’ai lu mes premiers Picsou Magazine, Super Picsou Géant et Journal de Mickey. Je garde d’ailleurs religieusement mon premier numéro lu, le Super Picsou Géant n°16 de mars 1987 ! Quels sont vos goûts en matière de BD Disney : vos auteurs préférés, vos histoires cultes, vos personnages favoris… ? Je ne vais pas être très original mais je place Carl Barks au dessus de tout le monde. Je relis sans cesse ses histoires et je n'arrête pas de m'extasier devant la réussite totale de son œuvre : dessin, histoire, sous-texte, tout est parfait ! Je suis également un grand fan de Don Rosa, son travail d’exégèse de Barks est passionnant et son style graphique, tout comme ses histoires respirent bon la bédé indé ! En dessous de ces deux géants, je voue une grande passion au style de Daan Jippes (il a signé les couvertures des 3 premières couv' de Picsou magazine

sortis depuis mon arrivée ! ). On a la chance de travailler régulièrement avec Giorgio Cavazzano qui en plus d’être extrêmement doué est très sympathique ! Pour les auteurs plus récents, Fabio Celoni et Paolo Mottura apportent un gros vent de fraîcheur à la production italienne. Et puis sinon, il fait surtout des histoires de souris, mais je suis un immense fan de Casty que l’on publie très régulièrement dans Super Picsou Géant. Ses histoires avec Lorenzo Pastrovicchio notamment sont magnifiques ! Pour les personnages je me sens très proche de Donald, j’adore son côté soupe-au-lait, colérique et un peu loser. À côté de ça, il est également un super papa de substitution pour Riri, Fifi et Loulou.

culier ça serait le Guide des Castors Juniors et Picsou Story, écrit par Rodolphe Massé et qui raconte sous forme d’infographies la vie de Picsou. Un ouvrage que j’avais eu le plaisir de me faire dédicacer par Don Rosa !

Quel a été votre parcours avant de prendre la tête de Picsou Magazine ? Vous travaillez depuis un certain temps chez Hachette, n'est-ce pas ? J’ai passé quelques années en effet chez Hachette Heroes, un label dédié à la pop culture au sens large et à Disney plus précisément. J’ai travaillé sur plein de projets super, mais si je devais faire ressortir deux livres en parti-

Comment s'est passée la transition avec Pascal Pierrey ? Et avez-vous déjà réussi à prendre vos marques dans la rédaction de Picsou Magazine ? Les numéros de l’été ont été réalisés dans des conditions assez acrobatiques : coronavirus, crise de Presstalis et départ, au-delà de Pascal, de la secrétaire de rédaction historique du titre, Catherine Prost. Nous avons pu heureusement nous appuyer sur une équipe solide : directrice artistique, rédactrice en chef technique, pigistes, maquettistes, illustrateurs... pour que les magazines sortent dans les délais ! Et puis j’ai pu également rencontrer Pascal quand la situation sanitaire s’est calmée et nous nous sommes parlés au téléphone. En partant, il m’a laissé un vade-mecum sur chacun de ses titres. Il n’y a pas de mode d’emploi du parfait rédac' chef, mais ce qu’il m’a laissé est ce qui s’en approche le plus ! Propos recueillis par Corey

Avez-vous déjà des projets et des changements en tête pour les magazines Disney ? Pascal nous a laissé trois super magazines (Quatre même en comptant les Chroniques de Fantomiald ! ) pour lesquels il va falloir trouver le bon équilibre entre respect de la formule et évolution logique des contenus et de la maquette. Un magazine, c’est comme une bicyclette, si ça n'avance pas, ça tombe – pour plagier Che Guevarra !

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COMPTE-RENDU

YOUNG DONALD DUCK N°1 : MÉGA DÉGÂTS

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ne nouvelle parution vient de sortir en kiosque en ce début d'été, Young Donald Duck n°1, sous-titré « Méga dégâts ». Dans la lignée de la série Donald Junior que l'on peut lire dans Mickey Parade Géant depuis plusieurs années, on suit ici les aventures du même Donald, adolescent, plus enclin à faire des gaffes qu'à suivre les cours du collège Jérémy Ratt, au grand dam du proviseur mais pour le plus grand plaisir de ses copains. Toute la bande habituelle est là en version ado : Daisy, Mickey, Dingo et Minnie entre autres. Donald est en effet envoyé dans un internat, au collège, et en ville, loin de la campagne habituelle de Grand-Mère Donald. Il y découvrira bien vite la vie en colocation, les règles de l'établissement et fera la rencontre de Daisy. Entre leçons barbantes, projets scolaires un peu fous, cours de sports ou de théâtre, le jeune Donald n'est jamais à court d'idées. Le dessin est très moderne, tout en adoptant un style visuel des années 90

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(on peut rapidement penser à Dingo et Max au vu de la couverture par exemple). Cependant, le reste est bien plus ancré dans une période moderne des années 2010, voire 2020, avec téléphones portables, Internet, réseaux sociaux ou jeux de rôle, ce qui parlera aux jeunes lecteurs, comme aux moins jeunes. L’étape universelle du collège permet à tout le monde de s’identifier à l’un ou l’autre des personnages – même si, personnellement, je n’ai pas eu droit à autant de péripéties lorsque j'avais 15 ans ! Le ton est résolument dans l'humour avec une pointe d'aventures

(comme avec l'épisode de la journée à la plage), et le rythme est assez soutenu. Ce sont 8 histoires au total que l'on retrouve dans ce tome, pour 160 pages de bandes dessinées. Hélas, le tarif est celui d'un hors-série Mickey Parade Géant, avec pourtant deux fois moins de pages ! Personnellement je n'étais pas très emballé au début, mais la formule a pris au fil des pages, et je pense surveiller les prochaines parutions. Apparemment, il existe encore de quoi faire deux autres tomes avec deux autres séries de huit histoires, selon la base INDUCKS. En attendant, profitez de la fin de l'été ! JB18V

Le coin du professeur Ludwig von Drake « Bonjour professeur, comment les murs du coffre de M. Picsou font-ils pour tenir avec tout cet argent ? » Rémi B. Grüß Gott, jeune Rémi ! Comment font-ils pour tenir ? Eh bien, comme aurait dit Fernand Raynaud : « C'est étudié pour ! ». Plus sérieusement, maintenant. Sans intervention humaine, les matériaux granulaires ou pulvérulents (tels que la terre, le sable, ou, en l'occurrence, les pièces de monnaie) tendent à se conformer en un tas pyramidal présentant une pente naturelle. Les murs qu'on interpose autour d'un tas doivent donc se substituer à la partie « manquante » de la base de cette pyramide ; il faut alors s'assurer que leur structure et leur poids soient capables de résister aux pressions sans pour autant se déformer. Pour ce qui est du

coffre de Picsou, les murs sont faits en béton armé, un matériau composite qui allie la résistance d'une armature d'acier à la compression du béton. En plus, il ont une épaisseur de 10 pieds anglais, soit un peu plus de 3 mètres. Ce chiffre n'a pas été choisi au hasard, mais grâce à une de ces formules dont les architectes ont le secret – malheureusement, le Code des Experts ne me permet pas de vous la révéler, et ça nous prendrait de toute manière plus qu'une colonne ! En d'autres termes, rassurezvous, Rémi : les murs du coffre sont suffisamment épais et solidaires pour reprendre les charges induites par le poids de l'argent. Et ce n'est pas du hasard : c'est de la science !

L. von Drake

Vous aussi, envoyez-nous par e-mail vos questions au professeur von Drake, spécialiste des mystères non résolus en matière de canards.


COMPTE-RENDU

SAGA ESTIVALE : LE RETOUR DU CYCLE DES MAGICIENS

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ragons, sortilèges et mondes féeriques : tels sont les ingrédients de cette grande saga de fantasy appelée « Wizards of Mickey » en version originale. Le Cycle des magiciens est une production italienne, publiée pour la première fois en 2006 dans Topolino et peu de temps après chez nous dans Mickey Parade Géant, qui catapulte Mickey, Donald et Dingo dans un univers médiéval baigné de sorciers et de créatures mythiques. Premier d’une collection en 4 tomes publiée tout le long du mois de juillet, les éditions Unique Héritage Entertainment entendent relancer cette série dont les 4 premiers cycles ont déjà fait l’objet d’une intégrale en trois volumes en 2014 ainsi qu’une publication en version cartonnée chez Glénat. On commence avec un préquel intitulé « Les Légendes Oubliées », se déroulant avant le premier cycle et scindé en trois histoires indépendantes tournant autour de Picsou, qui revêt pour

l’occasion le titre de roi. Il y sera question de trésors, de châteaux hantés et de tapisserie maléfique avec un Donald apprenti-sorcier plein de malice. Toutes scénarisées par Maria Muzzolini, chacune des histoires ont un dessinateur différent, mais le trait très dynamique avec beaucoup de hachures de Roberto Vian se démarque néanmoins. On fait ensuite un grand bond en avant puisque l’on passe au cinquième cycle « La Lémurie », qui voit la team des Wizards résoudre un complot mêlant dragons, orques chauve-souris et guerriers métalliques. Bien construit, fluide et riche en rebondissements, la narration du créateur originel Stefano Ambrosio est secondée par le dessin tout en rondeur de Lorenzo Pastrovicchio qui n’a pas son pareil pour donner vie aux créatures ailées, dans une mise en page classique mais très cinématographique. On finit par le sixième cycle « L’héritage », où nos trois compères vont devoir affronter les

LA COUV' DE... STEFAN BINTER La couverture de ce n°4 a été dessinée par Stefan Binter, un fan de canards Disney allemand qui travaille avec nos confrères du Bertel-Express depuis de nombreuses années. Nous avons d'ailleurs déjà publié quelques planches de son cru dans de précédents numéros – et il n'est pas impossible que nous recommencions !

maléfices du Fantôme Noir et contrecarrer les plans machiavéliques de Pat Hibulaire, des Rapetou et de Miss Tick, à grands renforts de formules magiques. Sous la plume de Matteo Venerus, les aventures de nos magiciens deviennent épiques et riches d’un bestiaire fantasy où la lutte du Bien contre le Mal met en avant le courage, la sincérité et l’amitié. Vendu avec sa boîte de rangement, ce premier tome de l'intégrale 2020 présente des histoires rythmées où le trio Mickey-Donald-Dingo n’est pas toujours au premier plan, et laisse de la place à de nombreux personnages de l'univers Disney, permettant aux auteurs d’étoffer leurs récits. Les tomes suivants présenteront la suite de la saga avec les cycles 7 à 10 ainsi que des histoires courtes inédites. À suivre... Loris Maiolino

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BARKSOLOGIE

LES SIXTIES À DONALDVILLE

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e n'est peut-être pas la période préférée des fans, mais les histoires de Carl Barks réalisées dans les années 1960 ne manquent pas d'intérêt, notamment car elles reflètent assez bien les préoccupations d'alors, entre modernité et crise de la société.

En traduisant une interview de Kari Korhonen, parue dans le précédent Picsou Soir, j’ai été interpellé par ce qu’il disait sur le travail de Barks lors des sixties : « Dans les années 1960, Barks transforma ses personnages en répliques de ces années-là. Vous rappelez-vous de cette histoire très drôle où Gontran s’était fait pousser la barbe et jouait de la guitare comme un hippie, ou un beatnik ? Ou cette grande aventure où Picsou se faisait de l’argent grâce à la mode des perruques qui touchait Donaldville, un véritable phénomène des années 1960 ? On n’a pas vu plus de hippies ou d’autres phénomènes contemporains parce qu’il prit sa retraite en 1966. Mais il a toujours évolué avec son temps. » Ces propos m’ont ravivé de vieux souvenirs, me rappelant l’existence de toutes ces histoires de Barks se déroulant dans les années Picsou pilotant son avion rempli de perruques.

L’exposition universelle de Donaldville avec son Space Needle.

1960, et s’inscrivant dans la culture de cette époque-là. Carl Barks était toujours dans le cours de son temps, c’est ainsi que ses histoires des années 1960 comportent de nombreux éléments les inscrivant dans cette époque. La culture hippie était alors très importante, intimement liée à l’opposition à la guerre du Vietnam. La ville des années 1960 Dans ces histoires, on découvre une Donaldville marquée par l’architecture et les idées des années 1960 : on remarque une réplique quasi-parfaite du Space Needle de Seattle à l’exposition universelle de la cité des canards, dans Le génie du stand (1962) ; la tour futuriste originale avait été construite à Seattle entre 1960 et 1961, pour l’exposition universelle de 1962 (Barks la déplacera à quelques centaines de kilomètres au sud, à Donaldville). C’était donc un élément extrêmement moderne que Barks incluait dans son histoire, puisque le Space Needle n’avait été achevé qu’un an auparavant. Les espoirs de modernité, et les idées futuristes sont également présents dans ses histoires. Dans

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Monstreville (1961), l’Homme des canards imagine une ville ultramoderne conçue par Géo, mais celle-ci s’avéra être une véritable dystopie : l’inquiétude face au modernisme est déjà pressentie dans cette histoire. Dans L’île dans le ciel (1960), on découvre une autre vision de Donaldville ultramoderne, où les fusées étaient devenues un moyen de transport courant. Les sixties étaient une période où l’imaginaire avait une place importante, la révolution culturelle qui s’opérait laissant également les idées futuristes prendre de l’ampleur. Les Hommes rêvaient alors de modernité, imaginaient le futur avec des yeux émerveillés, rien ne semblait arrêter le progrès de l’Humanité, qui n’avait alors plus de frontières, ni même celles de l’espace. Une nouvelle mode Kari Korhonen faisait référence dans son interview à l’histoire Le mystère perruque (1964), où Barks met en scène un Picsou investissant dans la mode. Celui-ci profite en effet de la mode des perruques touchant Donaldville pour en vendre à ses habitants. Les perruques étaient en effet un accessoire de mode assez courant


dans les années 1960. On verra Daisy en porter dans plusieurs histoires, notamment dans Un albatros en trop (1966) ou Le château de la reine des sirènes (1967). On a alors presque du mal à reconnaître la fiancée de Donald, cachée sous d’imposants cheveux, généralement blonds. D’autres personnages récurrents changèrent radicalement, à l’instar de Gontran Bonheur, qui prit l’apparence d’un beatnik dans Un albatros en trop (1966), agrémenté de cheveux longs, d’un béret noir et d’une guitare. Dans Professionnel de la beauté ! (1966), Donald prit même des cours pour devenir esthéticien et ouvrir son propre salon. Il devint alors la coqueluche de Donaldville, réussissant à relooker des femmes très laides ; il dut cependant fermer son salon après avoir essayé de sublimer Daisy, ce qui se termina en échec en raison de sa constante malchance… Néanmoins cela montre que Donald eut aussi une expérience avec la mode de son temps. La place des femmes évolue Un nouveau personnage apparaît dans Rencontre hystérique sous le signe de Midas ! (1961) : la sorcière napolitaine Miss Tick. Celle-ci n’a alors qu’un seul but : prendre possession du sou fétiche de l’homme le plus riche du monde pour le fondre dans les laves du Vésuve, et créer une amulette qui la rendrait infiniment riche, tirant tout cela d’une vieille prophétie. Cette sorcière élégante va vite devenir l’un des principaux antagonistes du milliardaire, aux côtés des Rapetou et d’Archibald Gripsou. Pourtant, elle contraste totalement avec l’image que nous pouvions nous faire des sorcières : au lieu d’une vieille mégère inquiétante, nous découvrons une belle et jeune cane, dynamique mais pas

Donald et ses neveux aux côtés de Daisy arborant une de ses perruques.

moins dangereuse. Et ce personnage paraît être un symbole de l’émancipation des femmes dans les sixties : pour la première fois est présentée une femme de caractère (elle cède souvent à la colère lorsque le sou fétiche lui échappe de peu), aventureuse et aussi un peu sulfureuse, qui va véritablement devenir une opposante de taille à Picsou. Les femmes ne sont plus réduites à un simple rôle de figuration comme ça a pu l’être auparavant, intimement liées aux personnages masculins préexistants (Daisy apparaissait exclusivement en tant que fiancée de Donald, par exemple). Elles obtiennent désormais des rôles majeurs. On remarque aussi que Daisy prend de plus en plus d’ampleur. La série de L’Agenda de Daisy (Daisy Duck’s Diary), pourtant créée en 1954, ne prend véritablement de l’importance que dans les années 1960. Carl Barks en réalisera ainsi quelques histoires, permettant de peaufiner le personnage de Daisy resté

Miss Tick, la sorcière italienne au fort caractère.

jusque-là plutôt dans l’ombre. On découvre alors une femme active, et désireuse de plus de droits accordés aux femmes. Dans Un baraqué à la baraque (1960), on la voit révoltée de l’omniprésence des hommes dans la société de l’époque. Même si elle se résigne au final à manifester une haine viscérale pour tous les hommes, elle décide tout de même de reprendre son couple avec Donald en main… L’Attraction du pouvoir (1960) montre une Daisy travaillant pour l’oncle Picsou, assumant le rôle difficile de secrétaire du milliardaire : dans l'Amérique de l’époque, la majorité des femmes travaillaient encore au sein de leur foyer, cette représentation de Daisy était donc assez moderne. Néanmoins, Barks montre toujours que les hommes sont indispensables aux femmes, Daisy n’arrive donc pas à s’émanciper totalement : ce changement de mœurs reste donc assez limité, mais même s’il n’est pas révolutionnaire, il contraste avec la vision des femmes dans les décennies précédentes. Le personnage de Miss Frappe (une autre femme qui travaille pour Picsou…) apparaît épisodiquement dans l’œuvre de Barks des années 1960, dans Rencontre hystérique sous le signe de Midas ! (1961), puis dans Pour une poignée de muscade (1962). Elle ne prendra de l’importance que dans l’œuvre de Don Rosa, quelques décennies plus tard,

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Daisy exaspérée par l’omniprésence des hommes dans la société.

mais reste tout de même l’une des premières secrétaires de Picsou – les histoires des fifties montrant uniquement des hommes travaillant aux côtés du milliardaire, ce qui reflétait assez bien, par ailleurs, la réalité de l’époque. Les sixties voient donc de nouveaux personnages féminins apparaître, et/ou prendre de l’ampleur : des femmes qui étaient alors mises en scène uniquement en tant que compagnes des hommes, apparaissent désormais parmi les personnages principaux de l’histoire. L’évolution sensible de la place des femmes dans la société de l’époque ressort donc tout particulièrement dans l’œuvre de Barks. Des années primordiales pour la musique Les années 1960 furent très importantes dans l’histoire de la musique : en effet, elles furent marquées par un rock de plus en plus populaire, et par l’apparition progressive de la pop, ces styles

étant liés à l’origine à la culture hippie. Une première évocation par Barks de la musique de son époque a probablement lieu à la veille des années 1960, dans Sur un air de cha-cha-cha (1959). Dans cet histoire, le couple Donald-Daisy affrontait le couple Picsou-Rosita lors d’un concours de cha-cha-cha, une danse très populaire à l’époque ; il est nécessaire de préciser que Rosita n’était autre que la professeur de chacha-cha, Picsou disposait donc d’un avantage crucial sur ses concurrents. Finalement, Donald et Daisy réussirent à remporter le concours grâce à l’aide de Riri, Fifi et Loulou. Dans La reine de la meute de dingos (1966) apparaît la pop-star anglaise Tweedy Teentwirp, numéro un des charts à peu près partout dans le monde : ce personnage est une parodie des célébrités du monde de la musique qui apparaissaient à cette époque. Picsou se plaignait du fait que les Britanniques eussent délaissé ses théâtres shakespeariens pour écouter sa musique - la culture se popularise ; il fut surpris de découvrir que ses trois petitsneveux faisaient partie de ses plus grands fans. Ce personnage et sa musique peuvent paraître ridicules, pourtant ils réussirent à charmer une jeune sauvage australienne, qui devint finalement une femme typique de son temps.

Le chanteur pour adolescents Tweedy Teentwirp et sa fameuse chanson résonnant dans le désert australien.

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La guerre du Vietnam, un sujet politique au cœur des années 1960 La guerre du Vietnam est probablement l’un des principaux éléments de l'Amérique des années 1960, étant primordial dans la naissance de la culture hippie. Barks y fait référence implicitement dans Le trésor de Marco Polo (1964). Le Vietnam y devient le Toufoul-Kang, un pays asiatique déchiré par la guerre où Picsou et ses neveux se retrouvèrent malencontreusement. On reconnaît facilement les soldats du NordVietnam parmi les troupes de Kitu-Tou, et Barks montre son opposition à la terreur et à la folie de cette guerre meurtrière qui secoua l’opinion publique américaine. L’Homme des canards établit comme solution étonnante au conflit le retour d’une monarchie, avec le prince Charmang qui reprit le pouvoir dans Toufoul-Kang : serait-ce un message implicite contre le communisme et pour le retour à des valeurs traditionnelles ? Barks, a toujours nié faire passer des messages dans ses bandes dessinées, cherchant seulement à divertir ses lecteurs, mais certains fans repèrent de nombreux messages moraux voire politiques dans ses histoires, que les plus jeunes lecteurs ne peuvent discerner. Il s'est d'ailleurs plusieurs fois emparé de problématiques po-litiques des années sixties. Il s'amuse ainsi régulièrement des récents mouvements hippies, comme dans Business à bulles ! (1963) où l'on aperçoit une foule de manifestants aux slogans pacifiques mais plutôt énervés venir s'asseoir au stand de limonade de Rifi, Fifi et Loulou.


L’ambassade donaldvilloise de Toufoul-Kang détruite par un soldat, sous les yeux de Picsou. L'histoire de Barks Le trésor de Marco Polo est une référence claire à la guerre du Vietnam.

Dans Garde forestier (1962), il avait raillé la jeunesse molle et sans enthousiasme, en faisant passer à trois beatniks (dont Donald), un test d'embauche pour un poste de ranger. L'un des gardes forestiers se lamentait d'ailleurs : « où sont passés les gaillards d'antan ? ». Enfin, sur un tout autre sujet, avec l'histoire Pour une poignée de muscade (1962), Barks ironise sur l'utilité des Peace Corps, créés par le président J. F. Kennedy en 1961 pour diffuser la culture et la connaissance dans les pays en développement : on y voit Donald, devenu « professeur coopérant », être envoyé chez les indiens Cura de Coco en haute Amazonie pour leur apprendre la vie moderne et les us et coutumes du monde « civilisé » – même si l'opération se transforme rapidement en leçons de cuisine et en cours de bongo.

Mickey Mouse s'engageant au Vietnam.

Bien que ça ne soit pas lié directement à l’œuvre de Barks, comment parler de la guerre du Vietnam sans évoquer le court-métrage Mickey Mouse in Vietnam ? Ce dessin animé indépendant, sorti en 1969, met en scène la célèbre souris, s’étant engagée dans la guerre du Vietnam, fière de défendre les couleurs de sa patrie. Cependant, à peine arrivée, elle reçut une balle en pleine tête, qui la tua sur le coup. La violence de ce court-métrage, impliquant Mickey qui prend ici le rôle de n’importe quel soldat américain, cherchait à faire comprendre au spectateur l’horreur et l’absurdité de cette guerre dans laquelle périrent plus de cinquante mille soldats américains. Ce court-métrage fut perdu pendant des années, jusqu’à ce qu’il fût posté par surprise sur YouTube dans les années 2010. Des histoires souvent délaissées La plupart de ces histoires des années 1960 ne sont pas comptées parmi les plus grands classiques de Barks ; elles sont souvent laissées de côté, sous prétexte d'être moins abouties que les grandes aventures de la décennie précédente. Don Rosa lui-même semble à peine les prendre en compte, en déclarant que les

aventures de Picsou et Donald se déroulent approximativement entre 1947 et 1955 ; il délaisse ainsi toute une période pourtant importante dans l’œuvre de Barks. Parmi ces histoires, peu d’entre elles sont restées dans les mémoires, mis à part – peut-être – Au nord du Yukon ! (1965), qui introduisit le personnage de Soapy Slick. Pourtant, bien que réalisées peu avant que l’Homme des canards ne prenne sa retraite, elles restent souvent très divertissantes. Je me rappelle avoir découvert Carl Barks principalement avec ces histoires tardives, et ce sont celles-ci qui m’ont permis d’apprécier les histoires de Donald Duck. Malgré quelques-unes qui ne méritent pas d’être prises en considération, comme Une lettre pour Vénus (1964), ces histoires ne doivent pas être oubliées, car elles constituent un héritage important de l’œuvre de Barks, et permettent aussi une immersion dans l’Amérique des années 1960, qui connaissait alors une véritable révolution culturelle qui modifia considérablement nos mœurs, et plus généralement notre société. Soupic

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DES CANARDS ET DES HOMMES

LUCIANO GATTO, LE « CHAT » QUI DESSINAIT DES SOURIS

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uciano Gatto, qui aime à se surnommer « le Chat » (gatto en italien), est un dessinateur historique de Topolino. Il a commencé en encrant les planches de Romano Scarpa, et a poursuivi sa carrière pendant 60 ans. Il répond aujourd'hui à Picsou Soir. Comment avez-vous découvert l’univers Disney ? J’ai découvert le monde Disney, dont je suis tombé amoureux, enfant, en lisant les journaux des éditions Nerbini, puis en continuant avec Topolino des éditions Mondadori après-guerre, qui m’a captivé dès le premier numéro. Pour quels auteurs Disney avez-vous une préférence ? Dès le début, c'est Floyd Gottfredson qui m’a le plus captivé avec ses aventures de Mickey, puis Romano Scarpa qui m’a confié l’encrage de ses planches. Le premier m’a influencé pour son travail graphique sur Mickey, et le deuxième pour la structure de ses cases et de ses planches.

Pourquoi avez-vous décidé de réaliser des bandes dessinées ? J’aimais lire des bandes dessinées et en dessiner en recopiant certaines scènes. Mais je ne savais pas encore que près de moi, en Italie, quelqu’un avait commencé cette activité. Quand j'ai su qu’à Venise quelqu’un avait commencé à dessiner des histoires, j'ai immédiatement chercher à le contacter pour avoir quelques informations

Deux cases extraites de l'histoire Donald de Picsou en l'an 2001, grand classique de Luciano Gatto réalisé en 1961.

sur comment entrer dans ce milieu. Ma passion pour le dessin et la bande dessinée m'a poussé dans cette direction un peu par hasard. Comment et quand avez-vous commencé à travailler pour Disney ? J’ai commencé indirectement à travailler pour Disney en encrant les planches de Romano Scarpa, mais avec comme objectif de rapidement devenir un véritable auteur. C'est arrivé assez vite, fin 1956 en collaborant avec les éditions Il Ponte de Renato Bianconi, puis en étant convoqué à Milan par le directeur de Topolino le 18 mars 1958. Durant votre longue carrière, avez-vous vu la manière de faire des BD Disney changer ? Au fil des décennies, les bandes dessinées Disney ont pris différentes directions. Selon moi, elles ont un peu été « contaminées » par le monde des super-

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héros. Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose, mais ce mélange de styles ne correspond pas à ma façon de voir les BD Disney. Combien d’histoires avez-vous écrites et dessinées ? J’ai dessiné pour différentes éditeurs plus de 18 000 planches de bandes dessinées, dont plus de 15 000 rien que pour Disney, c'est-à-dire autour de 550 histoires. D’autres se sont ajoutées au moment où je me suis éloigné de Disney. Avez-vous une préférence parmi vos propres histoires ? Zio Paperone e la magica atmosfera di Natale, sur un scénario de Fabio Michelini [Histoire de 1989 encore inédite en France, que l'on pourrait traduire par « Oncle Picsou et la magie de Noël », NDLR].

Le début de Zio Paperone e la magica atmosfera di Natale.

Vous avez écrit quelques histoires, était-ce une expérience intéressante ? J’ai écrit seulement deux histoires pour Disney, je suis essentiellement un dessinateur. Ça s'est passé assez simplement : j'ai dit à mon éditeur d'alors, Gaudenzio Capelli, que j'avais quelques idées de scénarios, et il m'a permis de les mettre en œuvre sans rien me demander d'autre. Les scénaristes doivent généralement faire contrôler leur trame pour qu’elle soit

Un des éléments caractéristiques du style de Luciano Gatto : les goutelettes autour du visage (extrait de Frissons à l'équateur, 1961).

approuvée. Cette pleine liberté m’a donc lancé et les deux histoires n’ont eu aucun problème après leur réalisation. Quelle était votre façon de dessiner des histoires ? J’ai eu au fil des années plusieurs méthodes pour réaliser les histoires. Dans mon travail pour Disney, il y a toujours eu des scénarios détaillés, de même pour les personnages de Renato Bianconi, Topo Gigio, Prezzemolo, entre autres. Dans certains cas, les scénarios avec les cases numérotées devaient se diviser en un nombre précis de planches, avec une distribution des cases de notre choix. Pour l’Allemagne, avec les personnages de Rolf Kauka, on me fournissait une trame et des dialogues assez limités, et il fallait les développer dans un nombre restreint de planches. Plusieurs méthodes donc, mais demandant toutes du travail pour interpréter au mieux ces scénarios à ma façon. Pour réaliser mes cases, j’ai toujours imaginé la scène en partant du personnage, que je dessine en

premier, avant de faire par la suite le décor, déjà présent dans mon esprit. Avez-vous également réalisé des bandes dessinées ailleurs que pour Disney ? Au début de ma carrière, j’ai dessiné pour Il Ponte pendant quatre ans, puis par la suite pour divers éditeurs italiens et étrangers, en dessinant différents personnages. On peut voir ces personnages et histoires sur mon site internet : www.luciano.gatto.name. Êtes-vous déjà allé en France ? Je suis déjà allé quelques fois en France, surtout à Disneyland Paris, mais je dois dire que je ne suis pas un grand voyageur, je préfère rester à Venise, ma cité natale où je vis toujours. J’ai déjà réalisé des histoires pour le Journal de Mickey, en passant par la rédaction de Topolino, et aussi pour Pif, mais pas longtemps.

Propos recueillis par Corey et Soupic

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CAN-ART

LES TOILES DE CARL BARKS : JULY FOURTH IN DUCKBURG (1976)

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ouvelle étape dans notre voyage parmi les toiles de Carl Barks : retour en 1976, pour célebrer l'Independence Day et les collectionneurs de comics !

Cet été aura lieu comme chaque année la fête nationale américaine, le 4 juillet, célébrant l’anniversaire de la déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique, rédigée par Thomas Jefferson en 1776. Ce sont des millions d’américains qui se réunissent pour commémorer cet événement, et les donaldvillois ne font pas exception à la règle. En 1976, à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance américaine, Carl Barks réalisa July Fourth in Duckburg. Sur ce tableau, tout Donaldville est réuni à l’occasion de la fête nationale. Au premier plan, Gontran, Picsou et Donald forment la tête d’une parade brandissant fièrement la première version de la bannière étoilée, surnommée le drapeau Betsy Ross, en l’honneur de la couturière ayant – selon la légende – conçu ce drapeau. Ils forment également une parodie de la toile The Spirit of '76 d'Archibald Willard, réalisée en 1875 pour le centeDétail de The Spirit of '76.

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naire de l'Indépendance. À leurs côtés se trouvent Riri, Fifi et Loulou, vêtus de leur tenue de Castors Juniors, et Pluto, qui semble avoir étrangement pris la place du Major Dublair, limier officiel de la troupe de scouts. Géo Trouvetou, grimé en personnage du XVIIe siècle, survole la scène avec sa soucoupe volante où se dresse Filament, brandissant un minuscule drapeau américain ; la sorcière napolitaine Miss Tick survole également la parade, munie de son balai, et accompagnée de son corbeau Algorab. À l’arrière, les Rapetou participent eux aussi à la scène, étant toutefois enfermés

dans une voiture blindée les emmenant probablement en prison. La marque du fourgon « Clinks Express Co. » est un jeu de mot sur clink qui signifie « prison » en argot. Quant à Grand-mère Donald et Gus, ils sont assis sur une réplique « canardisée » de la statue de la liberté, tractée par le taureau daltonien Johnny, apparu dans Cauchemar en bleu (1955). De nombreux personnages issus des histoires de Barks remplissent le tableau, on remarque ainsi sur l’immeuble de gauche l’indien Jivaro apparu dans Le champion de la fortune (1959), l’ermite Her-


man d’Au pays des totems (1950) (reprenant un autre personnage d’ermite apparu dans l'histoire Spécialiste de la vente de 1943), Goldie O’Gilt et son ours Black-

jack, de Retour au Klondike (1953), ainsi que le maire de Donaldville ; tandis que sur l’immeuble d’en face se trouvent le Grand Mogol et Archibald Gripsou, brandissant l'« Orange-Blange-Blou », c'est-àdire l’ancien drapeau sud-africain, symbolisant l’union des Afrikaners et des anglo-saxons (ce qui excluait les Noirs, victimes encore à l’époque de la politique de l’apartheid). Bombie, de Bombie le zombie (1949), est également présent.

Mais surtout, assistent à la parade de nombreux fans, collectionneurs ou vendeurs de comic books, que Barks ne manqua pas d’inclure dans son œuvre. À gauche, se trouvent Donald Ault, universitaire et spécialiste de l'œuvre de Barks (on notera qu'il tient dans ses mains un exemplaire du comic book Donald Duck Finds Pirate Gold de 1942) ; Bruce Hamilton, co-créateur des éditions Another Rainbow fondées en 1981 pour republier les histoires de Barks aux États-Unis ; Michael Barrier, historien de l'animation et de la bande dessinée américaines ; Donald Phelps, auteur de plusieurs essais sur les comics ; Russ Cochran, célèbre éditeur de comics, reconnu comme l'un de ceux ayant contribué à la reconnaissance du travail de Barks et décédé en février 2020, et son fils Vance ; et enfin Barbara Boatner, photographe et auteur de plusieurs travaux sur Barks. À droite, se tiennent Tony Dispoto, éditeur ; Jerry Osborne, collec-

Plant et travaillait à partir de photographies, si bien que ce dernier, en réalité blond, est ici représenté avec les cheveux noirs) ; Burrel Rowe, collectionneur ; et Robert M. Overstreet, célèbre pour avoir publié le principal guide de cotation des comic books américains – on observe d'ailleurs, à l'intérieur de la boutique de comic books de gauche, un tableau intitulé « Overstreet Quotes » montrant la valeur fictive de quelques magazines Disney. De l'autre côté de la rue, seuls les yeux très aiguisés auront reconnu la toile de Barks Blue Persia dans la vitrine de la galerie. À l’arrièreplan se dressent l’immense statue de Cornélius Écoutum, fondateur de Donaldville apparu dans La guerre des statues (1952), et l’imposant coffre de Picsou, deux grands symboles de Donaldville. On remarque également le clocher d’une église, ce qui ne détonne pas dans des États-Unis où la religion occupe toujours une place très importante.

Un dessin préparatoire réalisé par Barks pour July Fourth in Duckburg.

Quand ce tableau fut terminé, Barks se rendit compte d’une erreur importante : il avait fait une faute en écrivant Duckburg, l’ayant orthographié « Ducburg », et dut ainsi repeindre cette partie du tableau. Un autre changement de dernière minute concerne le policier du coin inférieur droit : il avait à l'origine un groin de cochon, mais Barks lui préféra finalement une truffe. Cette toile a été vendue aux enchères le 4 juillet 1976, pour la somme de 6 400 dollars, ce qui constituait alors un record pour une telle œuvre. Aujourd’hui, elle fait partie des plus célèbres et des plus recherchées de Carl Barks, réunissant de nombreux personnages de l’univers de Donald Duck, et symbolisant d’une certaine façon l’unité américaine en ce 4 juillet. Soupic et Corey

tionneur de disques et ami de Barks ; Glenn Bray, auteur d'ouvrages sur la bande dessinée ; Bud Plant, propriétaire de nombreux magasins de bandes dessinées dans les années 1970 et 1980 (pour l'anecdote, au moment où il a peint ce tableau, Barks n'avait jamais rencontré

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COUP DE PROJO

LOUIS SANTELS, ALIAS TENAS

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seulement la couverture (signée W. D. P. pour « Walt Disney Pictures », puisqu’à l’époque les auteurs individuels n’étaient jamais crédités), mais aussi la seule planche originale ! En effet, chacun des 34 premiers numéros du Mickey Magazine consacre l’une de ses pages à l’histoire Les mystères de la Tour Eiffel, un récit écrit par André-Paul Duchâteau où Mickey, Donald et Pluto poursuivent des gangsters à travers les rues de Paris.

ans la rubrique « Coup de projo », nous vous présentons un acteur méconnu du monde de la BD Disney. Au programme du premier épisode : Louis Santels alias Tenas ! Il est probable que ce nom ne signifie rien (ou pas grand-chose) pour vous. Pourtant, cet artiste belge a joué un rôle significatif dans les publications francophones Disney des années 1950.

Les débuts

Tenas (Louis Santels de son vrai nom) naît en Belgique en 1926. Jeunot, il commence par imiter les cartoons américains, avant de se tourner vers un style plus réaliste. À seulement dix-neuf ans, il réalise plusieurs illustrations et caricatures pour l’hebdomadaire familial Le Moustique et contribue massivement au magazine Collection Tommy. En 1948, sous le pseudonyme alternatif de Heles (phonétiquement « L. S », initiales de Louis Santels), il illustre un conte et une nouvelle pour l’hebdomadaire Spirou et fournit occasionnellement des pleines pages légendées pour L’Hebdomadaire des Grands Récits. Un dessin réaliste fait pour Spirou.

La couverture du Journal de Mickey n°1 (nouvelle série).

Vers la même époque, il s’associe à Raoul Livain, dit « Rali », pour fonder son propre studio. Ils sont bientôt rejoints par d’autres futurs grands noms de la bande dessinée franco-belge, tels qu’AndréPaul Duchâteau, et Gilbert Gascard dit « Tibet ». Ensemble, les membres du studio animent la majorité des bandes dessinées publiées dans le magazine Bravo ! jusqu’en 1950. Parmi ces séries de styles et de tons très variés, on trouve Cyprien Bravo, Phill BlueEyes, Capitaine Hardell, Ivanhoé, et surtout Morgana.

L'entrée chez Disney

C’est en 1950 que Tenas rejoint la famille Disney. Cette année-là, alors que le Journal de Mickey français ne paraît plus depuis six ans, Armand Bigle lance en Belgique le Mickey Magazine. Ayant réuni autour de lui une équipe de scénaristes et de dessinateurs du cru, Bigle confie la rédaction en chef à Tenas et Rali. Mais Tenas ne fait pas que diriger : il met la main à la pâte, et ce dès le premier numéro. Il en réalise non

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En 1952, le Journal de Mickey renaît enfin de ses cendres ; Tenas offre alors ses conseils à Pierre Nicolas, chargé de former une nouvelle équipe. Tout en continuant à travailler pour le magazine belge, il commence à contribuer à son équivalent français. Encore une fois, c’est à lui que revient l’honneur de la première couverture. C’est pour le journal qu’il dessine cette année-là Le tour de France de Mickey, sur un scénario de Pierre Fallot. La même année, il illustre les cinq premiers épisodes de la série Mickey à traDonald se rend à la pêche en couverture de Mickey Magazine.


vers les siècles, écrite par le même Fallot, avant de céder la main (et le pinceau) à Pierre Nicolas. Pendant les années qui suivent, Tenas continue de créer diverses couvertures et illustrations pour le Mickey Magazine. C’est ainsi qu’il devient le premier non-Américain à croquer officiellement Picsou, pour le numéro du 5 septembre 1952 ! Notons que sur les 468 couvertures qu’a compté le magazine, Tenas en a réalisé au moins 180 – et le nombre réel est certainement plus élevé, car beaucoup de couvertures non attribuées correspondent à son style. À côté de cela, il accomplit divers « petits » boulots en produisant toutes sortes de bouchetrous, essentiellement des cases ou bandeaux-titres en français pour des histoires étrangères. En 1957, il dessine Dumbo, l’éléphant volant, pour la pochette d’un des « Disques Mickey » publiés par la maison Barclay.

La pochette du disque Dumbo l'échappe belle.

En 1959, Mickey Magazine doit cesser de paraître, permettant au Journal de Mickey de conquérir le marché belge francophone. Comme les personnages Disney n’ont pas toujours les mêmes noms entre les deux magazines, c’est à Tenas que revient la mission de préparer les lecteurs belges à tous ces changements,

grâce à une planche intitulée Faisons connaissance… Il y invente une explication astucieuse : les personnages partent pour un tour du monde au cours duquel ils utiliseront des noms d’emprunt. Voilà pourquoi, explique-t-il aux enfants, l’Oncle Jérémie deviendra l’Oncle Picsou, Giro Gyroscope sera Géo Trouvetou, etc. En 1961, Tenas inaugure son projet le plus personnel et durable : la série Onkr, l’abominable homme des glaces, dont le héros est un homme des cavernes. Bien qu’elle ne mette en scène aucun personnage Disney, la série sera publiée dans le Journal de Mickey jusqu’en 1972. Les aventures d’Onkr s’étalent sur 14 épisodes, scénarisés d’abord par Raymond Calame puis par Yvan Delporte. Le premier épisode occupe à lui seul plus de 400 planches ! (Pour l’anecdote, dans la 2e version française du récit de William Van Horn Vacances caverneuses, Donald et ses neveux rencontrent un homme préhistorique qu’ils baptisent « Face de Onkr », en référence aux cris qu’il pousse. Le traducteur devait être un nostalgique ! ) Dix ans plus tard, Tenas écrit et dessine Mickey An 2.000, une histoire en 10 pages qui se déroule dans les dernières semaines d’une année 1999 au futurisme fantasmé. L'ultime contribution officielle de Tenas au monde de Disney serait une illustration de 1975 annonçant le « Donaldissimo », un grand concours de dessin avec un voyage à Disney World à la clé… Plus tard, son ancien comparse André-Paul Duchâteau, devenu rédacteur en chef du magazine Tintin, commande à Tenas plusieurs histoires en une planche. Malheureusement, celles-ci ne sont pas à la hauteur des attentes. Ensuite, Tenas s’éloigne petit à petit du monde de la BD

Mickey Mouse élu président de la Terre dans Mickey An 2000.

pour se consacrer à la librairie qu’il a ouverte dans le quartier de la Bourse à Bruxelles. Louis Santels nous a quittés en 2012. Si peu d’entre nous le connaissent encore, il a joué un rôle important dans les anciennes publications Disney, aussi omniprésent que discret – si discret que nous n’avons trouvé aucune photo de lui. Il mérite qu’on honore sa mémoire et qu’on lui dise, 70 ans après la sortie du premier Mickey Magazine, un grand merci ! Alban Leloup

Références

– COLLECTIF, « Ténas » sur le site www.inducks.org, consulté le 23 juin 2020. – Frans LAMBEAU, Dictionnaire illustré de la bande dessinée belge sous l’Occupation, André Versaille, 2013. – Michel R. MANDRY et collab., Happy birthday Mickey ! 50 ans d’histoire du Journal de Mickey, Éditions du Chêne, 1984. Nous adressons nos remerciements spéciaux à André-Paul Duchâteau, qui a fêté récemment son 95e anniversaire, et qui a eu la gentillesse de répondre à nos questions sur son ancien camarade Tenas.

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COIN-COIN

LES FANARTS DES LECTEURS Un dessin de Robotik (personnage apparu dans la Bande à Picsou en 1989), signé Kiool.

Envoyez-nous vos plus belles Œuvres par mail à l'adresse contact@picsou-soir.com

Picsou à la barre, par le norvégien Mikkel Hagen.

Pas sûr que Disney aurait accepté ce Donald qui fume au comptoir d'un bar... Il est en tout cas signé Ugo Berliat.

Un tableau qui pourrait être affiché dans les couloirs du coffre de Picsou ! Par @ledraw_dcrmp.

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Deux extraits d'une série de 12 magnifiques dessins réalisés par KnyGraphy et inspirés par des scènes de la célèbre Jeunesse de Picsou de Don Rosa. Il est possible de commander des prints signés de ces dessins, toutes les infos sont sur le compte Instagram de @knygraphy.

• Ci-dessus, une référence au fameux épisode de la bataille entre le jeune Picsou et Argus Whiskerville dans Le Nouveau Maître du Château McPicsou. • À droite, Picsou se recueillant dans le cimetierre de ses ancêtres, clin d'œil à l'histoire Le Milliardaire des landes perdues.

À VOIR SUR YOUTUBE

La chaîne Youtube Hello Maureen (spécialisée dans l'univers Disney) a sorti le 21 juillet dernier une vidéo intitulée « Histoire, projets refusés, secrets de fabrication... BD Disney : 10 questions aux éditions Glénat ! » consacrée au fonctionnement de la maison qui édite les bandes dessinées Disney en librairie. Alors si vous voulez en savoir plus sur la censure chez Disney, sur le processus de production d'un album Glénat ou encore sur la création originale française dans ce secteur, foncez regarder cette vidéo passionante !

Picsou Soir vous propose en pages 18 et 19 une carte inédite de Donaldville, dessinée par le très doué Pablo Raison, étudiant à l'École européenne supérieure de l’image d'Angoulême et fan de Picsou. Les lecteurs attentifs remarqueront que les rues et avenues de la ville portent les noms d'auteurs Disney célèbres ! Pablo Raison a également réalisé de nombreuses cartes et dessins de villes et monuments français, ainsi que des dessins humoristiques et satiriques (dont certains avec les canards Disney, façon Retun to Duckburg Place). Son travail est visible sur Instagram : @pabldrawing.

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BD

LE SENS DE LA DISCRÉTION par Mattia Grossi & Debora Giuliani, 2017 VOUS AVEZ RUINÉ LA MISSION, BANDE DE FEIGNANTS !

PICSOU INTELLIGENCE AGENCY

OU

STOP !

LE SENS DE LA DISCRÉTION

STOP ! À QUEL MOMENT EST-CE QUE NOUS AVONS ÉCHOUÉ ?

JE NE CROIS PAS QUE NOUS AYONS ÉTÉ SUIVIS...

JE N'EN AI PAS LA MOINDRE IDÉE...

NON, CERTAINEMENT PAS !

DU A B LAI !

PEUT-ÊTRE LE BLONK* ?

SI TU LE DIS...

NON PLUS ! ÉCOUTES, DONALD : ONCLE PICSOU EST ÂGÉ. IL PEUT SE TROMPER ET AVOIR DES MOMENTS D'ÉGAREMENT, ET NOTRE RÔLE DE NEVEUX ATTENTIONÉS C'EST DE FAIRE COMME SI DE RIEN N'ÉTAIT !

* AGENCE SECRÈTE CRIMINELLE

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InstaDuck


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