DE L'ART DE PASSER DES VACANCES TRANQUILLES
Après Lewis Trondheim, Cosey ou bien Tebo, c’est au tour de Frédéric Brrémaud et de Federico Bertolucci de s’attaquer à Disney pour l’éditeur Glénat en signant le très singulier Les Vacances de Donald.
Depuis 2016, Glénat et Disney proposent à des auteurs de la bande dessinée franco-belge de créer des histoires originales. Pour cet onzième opus, ce sont Frédéric Brrémaud et Federico Bertolucci, respectivement scénariste et dessinateur de Love chez Ankama ou Richard Cœur de Lion chez Soleil qui s ’ y collent Et si la collection « Disney by Glénat » est particulière, c ’est parce qu ’elle permet aux auteurs de réellement s ’ approprier les personnages, rendant chaque histoire marquée par ses créateurs, du moment qu ’elle respecte la « charte » Disney. Ainsi, alors que beaucoup d’histoires de canards sont basées sur le même schéma narratif et se démarquent surtout par les thèmes qu ’elles abordent et les lieux qu ’elles nous font découvrir, ici, on a le droit à une série de réécritures, de livres uniques, où les personnages que l’ on connaissait depuis toujours et que l’ on tenait pour acquis sont disséqués, repensés et réinventés.
Comme son nom l'indique, Les Vacances de Donald envoie notre palmipède en congé, loin de la civilisation, de ses bruits, ses lumières et ses odeurs On retrouve donc un Donald en colère, vociférant de toute sa rage habituelle, pour notre plus grand plaisir
Mais l'album est une bande dessinée sans bulles Sans paroles Sans dialogues. Sur cinquante pages, vous ne rencontrerez pas un mot C’est le cinéma muet des
années 1920, mais réalisé en Imax par Michel Hazanavicius Ce n ’est pas un anachronisme, c ’est une figure de style. On est réellement en train de lire un cartoon des années 1940, les compositions de Paul J. Smith en moins. Ce qui frappe le plus en lisant ce livre, c ’est que bien qu ’ aucune onomatopée ne soit écrite, chaque case est sonore Sur les deux premières pages, on devine les bruits d’ une tractopelle, d’ un camion-benne, d’ une poubelle, d’ un moteur, d’ un chien, d’ un chat qui s ’enfuit, d’ une armoire qui s ’ ouvre ou d’ un klaxon. C’est bien simple, ce n ’est pas parce qu ’ils ne sont pas explicitement présents que l’ on ne peut pas lire les « Ziiing » les « Chtonkk » et autres « Vroooum »
Donald va donc quitter cet enfer silencieusement bruyant dès les premières pages pour aller se mettre au vert ; sauf que, bien évidemment, cela ne se passera pas comme prévu Le trajet est un calvaire de bouchons et d’accidents et la forêt est remplie d’animaux (dont Tic et Tac, rangers du risque à leurs heures perdues mais surtout kleptomanes ici) qui n ’avaient pas prévu l’arrivée de cet étrange et lunatique visiteur.
Et c ’est l’ une des deux raisons pour laquelle nous aimons Donald De tous les personnages cultes de Disney, Donald est celui
que l’ on aime voir torturé. Prenons la série des « P’tits Boulots » Il s ’agit d’ une série de gags en une page suivant toujours le même schéma : Donald décroche un job ; Donald provoque une catastrophe ; Donald est licencié et retourne attendre ses allocations sur son canapé Parce que c ’est ça la force de ce canard. On aime le voir malmené, exploité par son oncle, humilié par Gontran et agacé par ses neveux Mais ce qui fait qu'il nous touche autant, c ’est sa bienveillance et son abnégation Donald aime ses neveux et les élève Il aime vivre des aventures incroyables et aider son oncle Et lorsque l’ on tourne la page, Donald a à nouveau le courage d’ essayer un petit boulot, même si l’ on sait tous comment cela va se terminer.
Les Vacances de Donald, c ’est tout ça. Un canard colérique qui veut juste s ’autoriser quelques jours de repos bien mérités, une 313, des gags, des dessins magnifiques, de la poésie, de la musicalité sans aucune note et, à la fin, un sourire heureux d’ un Donald qui, après toutes ces épreuves, aura vécu une merveilleuse aventure. Matthieu Bert
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MPG SPÉCIAL NOËL : VRAIMENT COLLECTOR ?
Sorti en novembre, ce nouveau hors-série collector de Mickey Parade Géant sur le thème de Noël donne envie de s’y plonger tant il nous rappelle les hivers de notre enfance. Pourtant, sous ce titre un peu ronflant, l’ennui pointe vite le bout de son nez !
Avec sa couverture en relief, ses tons rouges, son joli dessin de Donald au volant de sa 313 – signé Andrea Freccero – et sa promesse de « 300 pages à déballer », ce nouveau volume donne franchement envie ; un sentiment d’ autant plus présent, pour ma part, qu ’il m ’ aura fallu écumer près de dix points presse différents pour enfin mettre la main dessus Sur la forme, tout y est : le format est soigné, et près de 11 histoires nous sont proposées, toutes sur le thème de Noël. Au niveau du casting, malgré le Mickey du titre, et comme bien souvent, c ’est Donald qui a la vedette ; la souris n ’apparaît que dans la première histoire, Cap sur Noël, et encore en duo avec notre cher palmipède Côté humain, le casting est exclusivement composé d’auteurs italiens
Cet état de service quasi impeccable ne cache cependant pas longtemps le fait que sur le fond, les histoires sonnent bien vite creux Toutes, ou presque, ont la même mécanique. Dans un premier temps, les héros se retrouvent dans une situation inextricable, comme être bloqué à des milliers de kilomètres de Donaldville, devoir démasquer un imposteur ou se retrouver à voyager dans le temps pour ramener des bébés dinosaures chez eux –jusqu’ici, vous me direz, rien de bien différent de la plupart des histoires Disney. Mais dans un se-
cond temps, le père Noël arrive systématiquement pour résoudre la situation de ses pouvoirs illimités, expédiant la conclusion de l’histoire en une poignée de pages
Au-delà du fait que les personnages tout-puissants sont très agaçants, parce qu ’ils empêchent de sentir les héros dans un quelconque danger, le problème réside surtout dans la place que cela laisse aux autres protagonistes Si vous êtes habitués à un Donald énergique, à un Mickey rusé, à un Picsou inventif ou à des neveux débrouillards, laissez-les tomber, le père Noël est là pour tout résoudre à leur place ! Nos héros ne sont finalement que de simples faire-valoir
Notons tout de même la présence d’ une histoire qui, sans être bien meilleure, a au moins le mérite d’avoir un peu plus d’originalité Retour sur le Mont Ours, qui est la suite du mythique Noël sur le Mont Ours de Barks L’histoire est réalisée par Tito Faraci au scénario, qui dessine principalement des petites illustrations pour les articles de Topolino, et par Giorgio Cavazzano au dessin, le pionnier du renouveau du comic Disney italien depuis les années 1970 Ce récit en 32 pages nous raconte comment Picsou, projeté par un ersatz du père Noël dans son passé, le soir de sa rencontre avec Donald, renonce à punir ce dernier quand il se rend compte de l’affection qu ’il a pour lui. L’idée est intéressante, mais la construction brouillonne ne permet pas de réellement nous émouvoir.
Ce nouveau hors-série de Mickey Parade Géant, s ’il n ’est pas mal réalisé, peine donc à intéresser le lecteur, tant les enjeux sont creux et les scénarios convenus Je pourrais vous conseiller, comme
cela se fait souvent dans ce cas, de réserver la lecture de ce volume à un lectorat jeune, voire très jeune. Pourtant, je considère qu ’enfantin ne veut pas dire bête, et qu ’il existe de nombreux récits mettant en scène nos amis palmés qui, tout en restant sur des enjeux compréhensibles pour des enfants, ne font pas preuve de paresse dans leur écriture Les magazines Disney regorgent d’histoires de Noël intéressantes et touchantes qui seront un peu plus stimulantes pour un enfant et qui lui laisseront un souvenir plus marquant Et si vous vouliez l’acheter pour vous, en tant qu ’adulte, à moins d’avoir la collectionnite aigüe, je vous conseille plutôt des histoires comme Noël sur le mont Ours ou La quête du Kalevala, qui sentent aussi bon la neige et l’esprit de Noël, sans pour autant se reposer sur un personnage omnipotent à bonnet rouge. Le monde des comics Disney est suffisamment large pour ne pas se contenter de la médiocrité, alors, pour ma part, je vous souhaite de bonnes fêtes de fin d’ année et de joyeuses lectures Mathias Lenarduzzi
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COMPTE-RENDU
COMPTE-RENDU DOUBLEDUCK, ACTE IV
Retour sur le dernier hors-série de la collection Donald, centré sur la saga qui retrace les états de mission (pas) très secrets du canard en smoking.
À l’image de sa couverture, Donald bondit une nouvelle fois en habit d’agent secret dans ce nouveau numéro compilant sept histoires de la série DoubleDuck Une saga toujours en cours qui voit notre palmipède gaffeur parcourir le monde au nom de l’Agence, organisation tellement secrète qu ’elle n ’ a pas de véritable nom. Des Amériques à l‘Asie, en passant par l’Europe, notre canard en costard continue sa traque de méchants en tout genre pour démanteler des complots très sérieux pour un univers disneyien
Dans le premier épisode, Opération Opéra, Donald embarquera Daisy à Milan pour un week-end en amoureux tous frais payés par son organisation, mais se retrouvera assez vite à devoir jouer un double jeu afin d’ assurer la sécurité d’ un styliste farfelu Si la légèreté de ce premier épisode reste plaisante, les suivants sont beaucoup plus pointus et la narration mieux travaillée
L’histoire Code Olympus a pour toile de fond les Jeux Olympiques de Londres où Donald devra partir à la recherche de Guizmo, leur agent scientifique (sorte de Q au long bec), qui aurait dérobé un appareil gardé par l’Agence capable de décupler la force physique Le quatuor de dessinateurs à l’ œuvre (Giorgio Cavazzano, Paolo Mottura, Marco Gervasio et Francesco D’Ippolito) laisse une empreinte dynamique et cohérente à ce récit signé Francesco Artibani qui rend hommage aux
meilleurs films de James Bond
Il est encore question de sport dans les deux épisodes qui suivent. Dans Pole position, c ’est l’univers de la Formule 1 qui est au programme, où, de Monte Carlo à Shangaï, notre agent très secret tentera de retrouver la trace de l’inventeur du PERS, un turboréacteur 100 % non polluant qui attise les convoitises Bourré d’humour, le dessin très cartoon et déformé de Stefano Intini fonctionne très bien Pour Coup d’envoi final, place au football et à la Coupe de la Ligue à Londres où Donald n ’ aura guère le temps de faire quelques dribbles, trop occupé à devoir assurer la protection d’ un scientifique malheureusement déjà entre les mains de l’Organisation, némesis de l’Agence
LA COUV' DE KAPPA JACK
Celui qui a réalisé la couverture de ce numéro est un fan italien qui croque canards et souris depuis une vingtaine d'années Kappa Jack a découvert cet univers très tôt puisque, comme beaucoup d'enfants de l'autre côté des Alpes, il a appris à lire avec les Topolino de sa mère Formé à la Scuola Internazionale di Comics de Naples de 2016 à 2020, il apprécie particulièrement Carl Barks, Luciano Bottaro et surtout Giovan Battista Carpi dont il s'est beaucoup inspiré pour le dessin Enfin, notre dessinateur aime surtout les histoires de Fantomiald et le Mickey de Gottfredson
page énergique et le trait angulaire de Francesco D’Ippolito donnent un épisode plus adulte, déconcertant mais réussi Un dessin particulièrement moderne que l’ on retrouve avec Claudio Sciarrone, adepte de PowerDuck, dans Opération Unknow où les néons flashy de Hong-Kong guideront Donald dans les méandres des circuits hacktivistes d’Unknow (ersatz d’Anonymous) Enfin, la disparition d’ un agent du contreespionnage, expert en cryptologie, dans Jusqu ’à la fin du monde entraînera Donald sur la cité la plus australe du monde, à la recherche d’ un super-ordinateur
Les trois derniers épisodes font plus comics grâce à des scénarios davantage contemporains, soulignés par le trait plus réaliste de trois dessinateurs. Retour à Monaco pour Donald dans Mnémon afin d’enquêter sur d’innocents millionnaires qui verseraient sciemment de grosses sommes pour l’Organisation. La mise en
Avec ses 325 pages de BD, ce quatrième hors-série du Super Picsou Géant tiendra en haleine tous les lecteurs, du plus jeune au plus âgé, avec des histoires intenses et bien construites où notre canard se révèlera beaucoup plus roublard qu ’il n ’ y parait
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Loris Maiolino
QUAND DONALD ET MICKEY INSPIRAIENT LE POP ART
Au sein du mouvement du pop art, Donald
Duck et Mickey Mouse ont tenu une place particulière que nous allons vous présenter en rendant visite à quelques artistes emblématiques.
Pop art et bande dessinée
Comme le rappelle justement le chercheur Patrick Peccatte dans un article de 2016, des artistes comme Kurt Schwitters, Eduardo
Paolozzi ou Philip Pearlstein représentaient déjà des cases de bandes dessinées dans leurs peintures dès la fin des années 1940. Cependant, le procédé prend une ampleur inédite avec le pop art et la bande dessinée se trouve même au cœur de l’ œuvre de certains artistes du mouvement Ce dernier est né dans le monde anglo-américain des années 19501960 et s'est fondé entre autres sur l'emprunt d’éléments de la culture populaire pour produire un traitement artistique original, rompant ainsi avec l’ expressionisme abstrait (Pollock et de Kooning entre autres) qui dominait aux États-Unis depuis la fin de la guerre.
Les grands acteurs du pop art se tournent donc assez naturellement vers les deux domaines qui nous intéressent aujourd’hui : la bande dessinée et le monde de Walt Disney La BD, d’abord, en raison du « pouvoir de perturbation de ses planches figuratives et coloriées dans un art contemporain dominé par le ‘‘brushstroke’’ [les coups de pinceaux apparents, NDLR] expressionniste et le monochrome fascinant » (Philippe Dagen, 2017) Quant à l’univers Disney, il représente ce que l’ es-
sayiste Terry Ramsaye a qualifié de « Great Common Denominator of the great common art of the commonality », soit une culture partagée par une bonne partie du monde Comme on le verra, le personnage de Mickey Mouse en particulier, dont le peintre Diego Rivera prévoyait déjà en 1932 qu ’il deviendrait l’ un des véritables héros de l’art américain du XXe siècle, a inspiré de nombreux artistes. Enfin, la bande dessinée Disney étant un art populaire, industriel, commercial, de masse – bref : pleinement ancré dans la société de consommation moderne –, elle correspond parfaitement à ce que le pop art veut être. Pour preuve, bien que ce dernier soit apparu de façon assez spontanée et désorganisée (notamment outre-Atlantique), plusieurs de ses membres ont eu en même temps l’idée d’utiliser de la BD dans leurs toiles
Nous allons donc nous intéresser à la façon dont quatre artistes du pop art ont utilisé les figures de Donald et Mickey
Roy Lichtenstein
Le premier – et certainement le plus emblématique de tous
dans ce domaine fut le peintre américain Roy Lichtenstein (19231997) Il approche d’ailleurs très tôt les personnages Disney : on retrouve ainsi Donald et Mickey dans des études réalisées pour une série de tableaux en 1958, à une époque où, professeur à la Rutgers Art School, il n ’ a pas encore complètement trouvé son style et reste influencé par l’ expressionnisme abstrait Son ami et collègue Allan Kaprow le soutient alors dans le choix de ce thème
À l’été 1961, il décide donc de peindre une case de BD géante, première d’ une longue série à laquelle le grand public l’identifiera à tout jamais. Intitulée Look Mickey (voir ci-dessus), l’ œuvre représente Donald et Mickey pêchant sur un ponton ; le premier, croyant ferrer un gros poisson, a en fait attrapé sa propre veste, ce qui fait rire son camarade. Le texte se prête évidemment à plusieurs
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tenstein lui-même, qui affirmait un flaubertien « ce tableau, c ’est moi » : Mickey représente le doute et la gêne face à un Donald qui expérimente
La source utilisée par le peintre pour son tableau a donné lieu à controverse : Lichtenstein a longtemps raconté avoir recopié un dessin trouvé dans un emballage de chewing-gum, mais d’après l’historien de l’art Michael Lobel, aucune fabrique de chewing-gum ne possédait de licence d’ exploitation pour Disney dans les années 1960, rendant ainsi caduque l’ explication fournie par l'artiste, probablement inventée de toute pièce. Il faut en fait attendre décembre 2000 pour que le professeur David Barsalou découvre l’origine véritable de Look Mickey : une page d’ un album pour enfants intitulé Donald Duck Lost and Found, publié en 1960 dans la collection « Golden Books » et illustré par Bob Grant et Bob Totten Autrement dit, contrairement aux analyses développées pendant quarante ans par de nombreux critiques, Lichtenstein a artificiellement fabriqué une case de BD à partir d’ un simple dessin : il a ajouté un phylactère pour le
resserré le plan, éliminé la ective et réduit et saturé la me de couleurs (blanc, bleu, , rouge).
qu ’il en soit, après ce premier Lichtenstein ne peut revenir bstraction et se lance dans res toiles du même type. Il t alors le célèbre galeriste yorkais Leo Castelli qui e d’ exposer son travail en , ce qui lance immédiateson ascension même si la ue n ’est pas toujours tendre. Mickey ne fait en revanche artie du vernissage et il faut dre 1982 pour que l’ œuvre présentée au public Si sa période « comics » ne dure que quelques années, Lichtenstein considère Look Mickey comme une rupture dans sa carrière et va jusqu’à s ’auto-citer dans un des tableaux de sa série « Artist’ s Studio » de 1973. Il réutilisera ensuite le personnage de Donald à plusieurs reprises : dans Study of Hands en 1981, dans Reflections, Portrait of a Duck en 1989, dans Visual Interior en 1995. En 1996, un an avant de mourir, Lichtenstein ébauche un « Mickasso », croisement entre la souris améric i l i l E r
inspirations, il réconcilie une fois pour toutes la culture populaire et l’histoire de l’art, domaines pour lui faussement opposés.
Andy Warhol
Impossible évidemment de parler de pop art sans évoquer le nom d’Andy Warhol (1928-1987), devenu lui-même une icône. Et lui aussi est évidemment influencé par l’univers de Walt Disney : à l’âge de sept ans, sa mère avait accepté de lui offrir un projecteur pour diffuser des cartoons de Mickey Mouse, et il répéta tout au long de sa carrière qu'il tenait Walt Disney pour un des plus grands artistes de son temps, ajoutant même : « Mickey Mouse est mon acteur préféré ! »
En 1981, Warhol peint pour la première fois un Mickey Mouse pour sa série « Myths » qui regroupe aussi Superman, l’oncle Sam et même le père Noël Il réutilise pour cela un dessin de 1935 où Mickey prenait une de ses poses les plus célèbres, et l’ ancre définitivement dans l’imaginaire collectif en mettant bien en valeur le visage parfait (trois cercles toujours bien ronds) de la i Il é li i D bl
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fois-ci l’ensemble du corps de Mickey et plus seulement son visage, ainsi qu ’ un Quadrant Mickey Mouse répétant quatre fois la tête de Mickey comme il l’avait fait pour Marilyn vingt ans plus tôt
Peu après, en 1984, pour le cinquantième anniversaire de la création de Donald Duck, Warhol réalise The New Spirit (voir page précédente), une série de dessins montrant Donald marchant au pas avec un balai pour fusil
L’image est tirée du dessin animé de propagande éponyme, sorti en 1942 pour encourager les Américains à payer leurs taxes au nom de l’effort de guerre À cette occasion, Warhol apparaît quelques secondes en train de peindre le canard à vareuse dans l’émission
Donald Duck's 50th Birthday diffusée sur CBS The New Spirit appartient à la « Ads Series », une série warholienne inspirée par les publicités des années 1980 pour Volkswagen, Apple ou Paramount et par les icônes comme James Dean ; elle s ’interrogeait sur le rôle des médias de masse, d’où la référence à un film de propagande
Equipo Crónica
Dans les années 1960, le collectif de pop art espagnol « Equipo Crónica » (1964-1981), constitué de Rafael Solbes, Joan Antonio Toledo et Manolo Valdés, a réalisé une toile intitulée America, America (voir ci-dessous) qui reprend aussi la figure de Mickey Le tableau est découpé en vingt cases quasiment identiques, à la manière des séries warholiennes ; la souris de Disney en occupe dix-neuf, et une vingtième case représente un champignon atomique. Deux idées se dégagent alors de cette juxtaposition a priori contradictoire : d'abord, la critique de la société de consommation et de la domination culturelle américaine, par la répétition de ce Mickey souriant, symbole par excellence de l'Amérique heureuse et triomphante ; ensuite, la dénonciation de l'autre revers de la médaille, c'est-à-dire de l'impérialisme militaire des États-Unis, par la référence à la bombe atomique. La spécificité de ce collectif espagnol, par rapport au reste du pop art, est l'utilisation de ce procédé de la rupture, ainsi qu'une ambition plus directement politique Il est toutefois intéressant de souligner que la critique du système américain passe par l'art américain !
Keith Haring Issu d’ une autre génération, Keith Haring (19581990) est un enfant des artistes évoqués précédemment Après avoir passé toute son enfance à dessiner Mickey sur ses carnets, et même rêvé travailler un jour
pour les studios Disney, il apparaît normal que la souris s ’introduise dans son œuvre dès 1981 Il expliquera d’ailleurs qu ’à ses yeux, rien ne représente mieux l’Amérique. En 1985, il crée la figure de « Andy Mouse », ersatz de Mickey affublé d’ une perruque claire et de lunettes de soleil, pour rendre hommage à Andy Warhol qu ’il admire depuis toujours et fréquente depuis peu. Par ce geste, il lui donne le statut d’icône absolue, d’autant plus qu ’il le fait cohabiter dans ses dessins avec le symbole du dollar ou le logo de Coca-Cola.
En bref, des années 1960 aux années 1980, Donald et Mickey ont occupé les ateliers de nombreux peintres, et ne les ont plus quitté depuis puisqu'ils ont plus récemment inspiré des artistes comme Erró ou Damien Hirst Corey
Références
• Philippe Dagen, « Sens dessus dessous Art contemporain et bande dessinée », Le Débat n°195, 2017
• Patrick Peccatte, « Roy Lichtenstein et les comics – un art suffisant », Blog Déjà vu, 2016
• Stephen Short, « Things You Didn’t Know About Walt Disney ’ s Relationship With Art », CoboSocial.com, 2020.
• Pierre Sterckx, « Une case en plus », Arts Magazine hors-série n°2, 2014.
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PRISE DE BEC DE DRÔLES DE PAROISSIENS
Le débat sur l’appartenance religieuse des membres de la famille Duck est assez récurrent. Nous essayerons ici de répondre à cette question en analysant les informations fournies par les historiens mais aussi des données démographiques et sociologiques réelles, afin de déterminer quelle est la réponse la plus probable !
Les Duck sont-ils croyants ?
Les canards ne sont pas athées. Dans un strip de Bob Karp et Al Taliferro de 1960, on voit que l’ un des trois neveux de Donald prie avant de s ’endormir (« Amen ! »), signe d'une croyance religieuse familiale Dans un autre strip des mêmes auteurs de 1938, on voit à nouveau Riri, Fifi et Loulou prier pour que Dieu protège leur père, leur mère, et leur oncle Donald, mais aussi pour qu ’Il aide ce dernier à tempérer son mauvais caractère, ce qui énerve le concerné qui écoutait discrètement la scène Les canards font également appel à Dieu dans des situations de danger, par exemple dans l'histoire La vallée des volcans (Barks, 1947) lorsqu’ils sont à bord d’ un avion dont le pilote s ’est assoupi en plein vol De plus, les interjections telles que « Mon Dieu » sont récurrentes dans les dialogues.
Les Duck sont très probablement chrétiens En effet, Balthazar Picsou admet avoir visité une dizaine de fois la cathédrale Notre-Duck à Donaldville dans Le fantôme de Notre-Duck (Barks, 1953). Cela apparaît d’autant plus logique que la religion chrétienne est extrêmement majoritaire aux ÉtatsUnis, et que les différentes allusions religieuses dans les histoires sont quasi-exclusivement chrétiennes (Noël, Pâques, les références citées par les personnages chez Barks, etc ), exceptées celles liées à des mythes anciens autour desquels gravitent des trésors intéressant Picsou Quelques strips de Karp et Taliaferro publiés à la fin des années 1930 nous montrent qu'il arrive même aux Duck d'aller à la messe, où la quête est d'ailleurs souvent un mauvais moment à passer Parleurs voyages à travers le monde, nos canards fréquentent régulièrement des monuments et lieux chrétiens (le Dôme de Milan, les cathédrales de Saint-Basile à Moscou et de Saint-Étienne à Vienne, l'église Saint-Olaf à Talinn, un ancien couvent à Bogota ) et semblent bien connaître cet univers : ils s'adressent naturellement aux écclésiastiques en disant « mon père » ou « mère supérieure »
De multiples
veut participer n est pas intéressé par cette performance car elle n'est pas inédite puisque Jonas l’avait faite quelques milliers d’années auparavant « Yahvé fit qu ’il y eut un grand poisson pour engloutir Jonas Jonas demeura dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits Des entrailles du poisson, il pria Yahvé, son Dieu […] Yahvé commanda au poisson, qui vomit Jonas sur le rivage » (Jonas 2:1-11) Une histoire courte de Géo Trouvetou est même nommée d’après le prophète Jonas.
Une référence est faite au mythe de Samson et Dalila dans Biceps blues ! (Barks, 1946) lorsque Daisy cherche à se jeter dans les bras de Donald du haut d’ un précipice, persuadée que son amant dispose d’ une force incroyable, et donc qu ’il est capable de la rattraper. En se jetant, elle lui dit : « Préparetoi Samson ! Ta Dalila arrive ! ». Et tout comme dans le mythe,
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dans l'histoire Les aventuriers de l'arche (Barks & Jippes, 2008) où Riri, Fifi et Loulou cherchent à réunir les animaux présents dans une forêt menacée par un aéroport, pour les transporter par bateau dans une île préservée de toute construction ; l’association pilotant le projet s ’appelle par ailleurs l’A R C H E , et même les enfants déclarent que « le moment est venu de faire comme Noé » au moment où ils allaient larguer les amarres. « Auprès de Noé entra dans l’arche un couple de tout ce qui est en chair, ayant souffle de vie. » (Genèse 7:15) Il est également cité dans Géo à la rescousse (Barks, 1959) par l’ un des neveux de Donald, lorsqu’il remarque que la cave de Grandmère, remplie par tous les animaux de la ferme en prévision d’ une tempête de neige, « ressemble à une arche de Noé ». Enfin, Picsou admet ironiquement dans Un safari à un milliard de dollars (Barks, 1964) que la dernière fois qu ’il a acheté un nouvel animal pour son zoo, c ’était « quand Noé a soldé son arche »
Une référence est faite au prohète Isaïe dans Donald forgeron ! Barks, 1960) puisque la ville de Donaldville, pour fêter cent ans de aix, engage le forgeron Donald à ondre le dernier des canons de la uerre de Sécession pour en faire es socs de charrue « Ils briseront eurs épées pour en faire des socs t leurs lances pour en faire des erpes » (Ésaïe 2:4)
La reine de Saba est évoquée par Barks lorsque Picsou part à la recherche de ses légendaires mines avec ses neveux, dans l'histoire Picsou d'Arabie (Barks, 1964) « La reine de Saba apprit la renommée de Salomon de par le Nom de Yahvé et vint éprouver celui-ci par des énigmes » (1 Rois 10:1) Ce passage biblique mentionne le personnage de Salomon, dont les mines furent également recherchées par Picsou dans l'histoire éponyme de Barks (1957).
Enfin, Balade pour un cow-boy (Barks, 1943) nous montre qu'en vacances dans un ranch, Donald chevauche un vieux cheval nommé Mathusalem, ce personnage biblique dont « toute la durée de […] vie […] fut de neuf cent soixante-neuf ans » (Genèse 5:27)
Toutes ces références confirment la forte présence de la chrétienté dans l’univers des canards. Et malgré les nombreuses évocations de religions antiques, le christianisme reste l’élément central de la culture des Duck, en particulier chez Barks
Comment connaître leur confession ?
Une fois admis que les Ducks sont chrétiens, là où la question se complique, c ’est de savoir de quelle confession chrétienne précise font partie les canards En effet, les États-Unis se distinguent de la France – où le catholicisme romain est extrêmement majori-
taire parmi les chrétiens – par la variété de confessions issues des enseignements du Christ qui s ’ y trouvent, allant des catholiques aux presbytériens, des mormons aux évangélistes, sans omettre les baptistes ou les épiscopaliens. Pour rechercher leur confession, il faut connaître leur origine ; aux États-Unis, les descendants d’immigrés italiens, polonais, espagnols ou français sont généralement catholiques ; les descendants d’immigrés anglais sont épiscopaliens ; les descendants d’immigrés allemands sont luthériens ou catholiques Certaines communautés comme les mormons ou les baptistes sont cependant typiquement américaines (celles-ci se concentrent d’ailleurs dans l’Utah), et résultent d’ une conversion, et non d’ un héritage culturel
Quelle est la confession de Picsou ?
Concentrons-nous d’abord sur la confession de Picsou Il est admis qu ’il est né en Écosse en 1867 ; la religion la plus répandue en Écosse est le presbytérianisme de l’Église d’Écosse, version locale du protestantisme fondée par John Knox Malgré son net déclin ces dernières années, elle restait la religion majoritaire en Écosse au temps de Picsou Une famille noble écossaise aussi vieille que le clan McPicsou est sûrement presbytérienne ; ainsi Fergus et ses frères sont très probablement presbytériens Cependant, une nuance très importante est à apporter : la mère de Picsou, Édith O’Drake, est d’origine irlandaise, sa famille ayant probablement fui la famine ayant ravagé l’Irlande entre 1845 et 1852, et les Irlandais sont à une écrasante majorité catholiques L’Église catholique romaine fut d’ailleurs renforcée dans l’Ouest de l’Écosse par l’immigration irlandaise au XIXe siècle. Ainsi, Picsou peut être ca-
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En effet, le canard va tout naturellement à la cathédrale NotreDuck pour y plonger son fifre dans la fontaine aux souhaits en espérant que cela lui porte chance ; on peut en déduire ainsi que la religion dans laquelle est consacrée Notre-Duck est aussi celle de Picsou. Selon la carte cidessous, dans le comté de Humboldt, en Californie (où se situe la ville d’Eureka, lieu généralement admis comme la situation de Donaldville dans l’univers des canards), plus de 50 % de la population était catholique dans les années 1950, période où se déroulent les histoires de Barks et Don Rosa Ainsi, la majorité de la population donaldvilloise est probablement catholique ; il est donc probable que la cathédrale NotreDuck soit un monument catholique, étant donné sa taille et son importance locale. Nous pouvons en déduire que Picsou a sûrement repris la religion de sa mère, à savoir le catholicisme romain, sa pratique religieuse n ’ en demeurant pas moins assez faible
Et celle de ses neveux ?
Si nous concluons que Picsou est catholique, il est donc probable que ses deux sœurs le soient aussi. Ainsi, la mère de Donald et Della, la grand-mère de Riri, Fifi et Loulou, serait catholique Cependant, le cas des familles Duck et
outum est différent. Il est ement admis que la f outum est d’origine né ise, en raison des nombr utumes originaires des s présentes à Donaldville tte famille pourrait être d on réformée Donald, élev grand-mère, pourrait ain confession réformée La f uck, quant à elle, semble origine anglaise (Mathurin cêtre familial, étant mar rvice de Sa Majesté Élis Ière) ; ainsi elle peut être de c sion épiscopalienne Cepe les Duck ont pu partir aux Unis en raison d’ une conf différente de la majorité cane, notamment les Quake les catholiques discriminés en Angleterre pendant les Temps Modernes Néanmoins, un indice majeur nous est donné par Le mariage du siècle (Andrade et alii, 1987), une histoire brésilienne mettant en scène un mariage onirique entre Donald et Daisy qui aurait lieu en la cathédrale NotreDuck. Ce mariage à l’église nous prouve la confession chrétienne de Donald, qui plus est probablement catholique comme son oncle ; nous avons en effet déjà établi que Notre-Duck était très
pp cisme.
Bien sûr, il ne s'agit que de simples déductions, et le christianisme des Duck reste un élément culturel plus qu'une réelle pratique
Références
• Adrien C MIQUEU, « Religions, beliefs and superstitions in Duckburg », Sydnordisk Akademi for Donaldisme, 2009
• Vidar SVENDSEN, « Religion in Duckburg », Vidarland.com, 2006.
Répartition des religions aux Etats-Unis en 1950 (en vert foncé, les régions avec une majorité de Catholiques) D'après John Tremblay, 1962
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Soupic
Le mariage de Donald à l'église.
Edith O'Drake
DES CANARDS ET DES HOMMES
ENTRETIEN : JEAN-PAUL JENNE-
QUIN, TRADUCTEUR VÉTÉRAN
Fanzineur, auteur, éditeu et fin connaisseur ès co mics, Jean-Paul Jenne quin est aussi traducteur pou Disney France depuis près d trente ans ! Au mois d’octobre il a accordé à Picsou-Soir un long entretien dont nous vou livrons ici les meilleurs mor ceaux...
Comment a commencé votre histoire avec la BD Disney ?
Quand j’ai eu trois ans, en 1963 mon père a décidé que j’étais assez grand pour qu ’ on m ’achète Le Journal de Mickey Quand j’ai eu huit ans, il a trouvé que j’étais devenu un peu vieux pour lire ça, et on est passés à d’autres journaux.
En grandissant, j’ai appris l’anglais pour pouvoir lire des comics américains – beaucoup de super-héros
Marvel et DC, mais aussi du Carl
Barks Après avoir fait un peu de journalisme BD, j’ en suis venu à la traduction Un jour, en discutant avec Jean-Luc Cochet, qui était à l’époque responsable des traductions Disney en France, je lui ai dit : « Tu sais, je suis aussi traducteur ! » Je pouvais traduire depuis l’anglais et l’italien, ce qui était plutôt courant, mais également du néerlandais, ce qui l’était beaucoup moins ! C’est ce qui m ’ a permis de commencer à traduire pour Disney C’était vers 93 ou 94, et je suis encore là !
Vous souvenez-vous de la première BD Disney que vous ayez traduite ?
En fait, ça n ’était pas une bande dessinée, mais une histoire sous forme de texte ; je crois qu ’il devait y avoir Dingo dedans. Quelles ont été mes premières BD, par contre, impossible de vous le dire ! Quand
je traduisais les introductions pour l’intégrale Carl Barks qu ’ a publiée Glénat, j’étais bien incapable de me rappeler quelles histoires j’avais traduites dans un volume donné, à une ou deux exceptions près Il y en a eu tellement !
Barks a fait partie de vos premiers coups de cœurs, et vous l’avez beaucoup traduit. Pouvez-vous nous en toucher un mot ?
On pourrait croire de prime abord que l’écriture de Barks est plus « facile » que celle, par exemple, de Don Rosa, qu ’elle ne présente aucune difficulté. Mais on se tromperait ! En fait, Barks joue beaucoup sur les mots ; il aime donner des noms à ses personnages secondaires qui sont de l’humour en eux-mêmes ; il aime insérer des petits jeux de mots qui passent quasi-inaperçus dans l’histoire parce qu ’ils interviennent dans le contexte, et on n ’ y fait pas toujours très attention. Si on traduit Barks en se disant que c ’est pour les enfants de 5 ans, ça va
donner une version très affadie de son travail, alors qu ’il y a beaucoup de sel et d’intelligence dans son écriture !
Pour ce qui est de Don Rosa, vous avez notamment travaillé sur la « Jeunesse de Picsou ».
Pouvez-vous nous en parler ?
La traduction de la « Jeunesse », c ’est toute une histoire ! En fait, ça s ’est passé en plusieurs temps D’abord, il y a eu l’époque où la série était publiée au comptegoutte, à mesure que Don Rosa en terminait les épisodes Je suis arrivé en cours de route, et on ne m ’ a pas confié tous les chapitres.
Je me souviens avoir traduit Le Rêveur du Never Never, ainsi que L’Envahisseur de Fort Donaldville, où on croise le futur père de Donald. (D’ailleurs, on ne m ’avait pas dit qu ’il était déjà apparu dans l’épisode précédent, non traduit par moi, et qu ’il avait reçu le nom français de Rodolphe Je l’ai donc baptisé « Richard-Philippe-Louis », en référence à Riri, Fifi et Loulou, créant involontairement une incohérence ) Dans un deuxième temps, une fois la série terminée, le rédacteur en chef Pascal Pierrey a voulu republier tous les épisodes dans un hors-série Il m ’ a demandé de tout relire pour harmoniser la traduction, corriger des incohérences et traduire une page qui avait été omise lors de la première publication. J’ai aussi fait quelques suggestions par rapport aux couleurs, parce que dans la première VF du Rêveur, l’aborigène Jabiru avait la peau rose ! J’ai appris par la suite que ces premières couleurs avaient été confiées à l’imprimeur en Italie, qui ne devait pas trop y faire attention.
Quelques années après, Glénat a
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Angoulême, il m ’ a dit : « C’est bizarre, dans les premiers chapitres, il y a beaucoup d’ erreurs, et puis tout d’ un coup, il n ’ y en a plus »
Sans vouloir me vanter, ça correspond tout simplement au moment où je suis arrivé !
Et aujourd’hui, êtesvous satisfait du résultat ?
Il reste encore des erreurs et des contresens, malgré tous mes efforts En fait, ce serait plus simple de retraduire directement l’original. Je l’ai vécu avec Hicksville de Dylan Horrocks Quand la maison d’édition l’Association l’ a publié, j’ai passé en revue la traduction existante et j’ y ai apporté des corrections. Mais quelques années plus tard, quand le livre est passé chez Casterman, je suis reparti de zéro et je me suis rendu compte qu ’il y avait plein d’ erreurs que je n ’avais pas rectifiées Il faudrait faire la même chose avec la « Jeunesse de Picsou », mais ça dépend beaucoup de la volonté de l’éditeur. Les traducteurs, il faut les payer, et les cordons de la bourse
ne se délient pas facilement ! En plus, pour les retraductions, les lecteurs ne sont pas toujours au rendez-vous. Quand j’ai fait publier aux éditions Béthy un album des Quatre Fantastiques reprenant des histoires de Lee et Kirby sous une orme complète et plus idèle à l’original, certains m ont dit : « Pour quoi faire ?
J’ai déjà mes vieux albums Lug ! » On finit par se dire que ça ne vaut pas la peine.
Avez-vous reçu une formation spécifique pour devenir traducteur ?
Non. J’ai fait des études d’anglais à l’université, mais je n ’ai suivi aucune formation spécialisée dans la traduction. Le seul moment où on nous a donné un cours avec cette optique-là, c ’était un cours d’anglais juridique et commercial. Quand on a demandé aux profs si la traduction littéraire était envisageable, ils nous ont dit : « Oh là là ! C’est plutôt la traduction technique qui rapporte de l’argent. La traduction littéraire, peu de gens en vivent » Plus tard, je me suis rendu compte que je pouvais faire de la traduction technique de bande dessinée, puisque j’avais tous les codes et tout le vocabulaire ! Mon cas n ’est pas exceptionnel. Je connais très bien Patrick Marcel, qui s ’ occupe maintenant du Trône de Fer de J.R.R. Martin. Il n ’ a pas non plus
suivi de formation spécifique, mais c ’est quelqu’ un qui a énormément lu et qui connaît très bien la langue anglaise.
Le métier de traducteur BD a-t-il beaucoup évolué ?
Plus qu ’ on ne le croit ! J’ai été amené à refaire pas mal de traductions Disney dont la première version remonte à plusieurs décennies, parce qu ’aujourd’hui, on ne s ’ y prend plus de la même manière. Avant, les BD Disney étaient lettrées à la main (magnifiquement, d’ailleurs !), alors qu ’aujourd’hui tout est numérique, du choix de police à la mise en page Les traducteurs actuels ont donc plus de possibilités. Ça va faire des années que je n ’ai plus eu à me poser la question de la taille du texte ! Dans les années 1990, il fallait parfois raboter pour que ça tienne dans la bulle.
Comment s’assurer qu’une traduction va pouvoir surmonter l’épreuve du temps ?
Quand je traduis du Disney, j’adopte un langage neutre et intemporel J’évite toute forme d’argot qui pourrait vieillir ! Un problème récurrent en France, c ’est que certaines histoires classiques ont été publiées et republiées sous un titre différent à chaque fois Les Italiens, eux, ne font pas ça : quand ils choisissent un nom, ils le gardent jusqu’à la fin des temps ! Dans l’intégrale Glénat, certains récits ont gardé les titres qui leur ont été donnés dans les années 1990 et qui font allusion à des éléments de pop culture que tout le monde a oubliés depuis. Du coup, ces titres sont complètement imbéciles parce qu ’ils ne font plus référence à rien Cela dit, on ne peut pas en vouloir aux gens qui travaillent sur ces intégrales ; c ’est l’éditeur qui n ’ a pas jugé utile de mettre des spécialistes de Disney sur le coup
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Dans votre carrière de traducteur Disney, y a-t-il eu des difficultés particulières qui vous ont marqué ?
J’ en ai quelques-unes avec Don Rosa Par exemple, je l’ai « maudit » le jour où il a créé le Chevalier Noir ! C’est un Français qui parle l’anglais avec un fort accent, mais comment peut-on traduire un truc pareil ? La solution que j’ai trouvée, c ’est de lui faire parler un français archaïque, avec des mots et des tournures un peu étranges, ce qui justifierait la perplexité de Donald qui ne comprend pas toujours ce qu ’il dit C’est un peu tiré par les cheveux, mais j’ai fait de mon mieux et j’espère que ça marche ! Pour l’anecdote, il y a un truc qui m ’ a un peu énervé Ce personnage, évidemment, s ’inspire d’Arsène Lupin. Je l’ai donc baptisé « Lucien Arpène », tout fier d’avoir pu lui donner un vrai prénom français et un nom de famille qui, s ’il n ’ existe pas, sonne vrai. Malheureusement, quelqu’ un à la rédaction a trouvé intelligent d’inverser les deux noms C’est plus proche de la VO [Arpin Lusene, NDLR], mais on perd complètement le cachet d’authenticité ! C’est frustrant de voir que certains secrétaires de rédaction se croient plus malins que les traducteurs…
Sinon, je me suis bien amusé en
travaillant sur Le Pic de la fortune, avec son avalanche de jeux de mots minéralogiques Il y a aussi Le Trésor de Crésus, où Donald n ’arrête pas de chanter Lydia the Tattooed Lady ! J’ai pris la chanson d’origine, que je connaissais du Muppet Show, et je l’ai traduite en français en m ’assurant qu ’elle rime et qu ’elle puisse être chantée sur le même air Quand on traduit une chanson, elle doit rester chantable dans la langue d’arrivée Les traducteurs qui ne font pas cet effort-là sont de gros paresseux !
Hormis cette histoire d’Arpène Lucien, y a-t-il d’autres noms français qui vous posent problème ?
Chaque fois que je tombe sur Donald Dingue, le plus souvent dans une histoire italienne, j’essaie de l’appeler « Professeur Dingue », pour éviter toute confusion. Les Italiens, quand ils veulent l’ appeler juste par son prénom, disent « Pico », mais si en français on fait la même chose, on devra dire « Donald » et c ’est problématique ! Quant à « Gracié Rapetou », je l’appelle toujours « Papy Rapetou » dans mes traductions. « Gracié » n ’ a jamais été son nom, c ’est juste ce qui est écrit sur son panneau, là où les autres ont leur numéro d’écrou, parce qu ’il a reçu une remise de peine. Évidemment,
les Français n ’ont rien compris, comme d’habitude !
Pouvez-vous nous dire un mot sur les problèmes culturels qu’un traducteur peut rencontrer ?
Il y en a parfois, c ’est vrai Un jour, on m ’ a demandé de traduire une vingtaine de gags pour le Mickey Parade Géant, et le premier d’entre eux mettait en scène la Befana, un personnage du folklore italien qui apporte des cadeaux aux enfants le 6 janvier. Je leur ai dit : « C’est intraduisible » Même à l’époque de l’internationalisation, c ’est tout simplement trop italien pour passer Sinon, j’ai récemment traduit une histoire de Noël italienne (qui paraîtra bientôt dans Mickey Parade), où on parle de pandoro [un des gâteaux de Noël les plus populaires en Italie, NDLR] Dans ce cas-ci, j’ai tout simplement gardé le nom d’origine, car après tout, les Français connaissent déjà le panettone. Cela dit, certaines barrières disparaissent avec le temps Dans les années 1990, si je tombais sur une histoire où il était fait mention d’Halloween, j’étais bien embêté, parce que personne en France ne connaissait cette fête Quand les Italiens ont publié pour la première fois Donald et la sorcière, ils ont d’ailleurs transposé l’action au carnaval. Mais aujourd’hui, je ne
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me pose plus la question, ça passe comme une lettre à la poste ! On peut donc retraduire pas mal d’histoires du passé selon les normes de ce que connaissent les lecteurs d’aujourd’hui, même jeunes
Actuellement, traduisez-vous beaucoup d'histoires néerlandaises ?
Pour le moment, les seules rédactions qui me le demandent de temps en temps sont le Journal de Mickey et Mon Premier Journal de Mickey, parce qu ’elles utilisent des histoires d’ une à six pages, mais ça fait un moment qu ’ on ne m ’ a pas réclamé d’histoires longues C’est dommage, parce qu ’ on n ’est pas arrivés au bout du travail des frères Heymans, que j’aime beaucoup, et même en dehors d’ eux, il y a plein de trucs très bien. Cela dit, le « défaut » de beaucoup d’auteurs néerlandais, c ’est qu ’ils ont tendance à écrire exclusivement pour un lectorat d’enfants On voit que l’écriture est vraiment ciblée pour un public de 8 ans au plus, alors qu ’ a contrario chez certains Italiens comme Casty, il y a plusieurs niveaux de lecture
Que pensez-vous des auteurs italiens, d’ailleurs ?
J’aime beaucoup les auteurs italiens parce qu ’ils se permettent des histoires beaucoup plus « branques » ! D’accord, il y a quelques récits qui n ’ont ni queue ni tête, mais ça s ’ explique par la loi des grands nombres : après tout, les Italiens ont produit (et produisent encore) énormément. Là-dedans, il y a un tas de pépites, dessinées par Scarpa, écrites par Martina à la bonne période, et tant d’autres Une chose est sûre, c ’est qu ’ en Italie, on voit le résultat d’ une évolution sur plusieurs décennies Depuis les années 2000, il y a vraiment peu de scories Le niveau général des
histoires est très bon, avec des scénaristes de haut niveau comme Faraci, Casty, Sisti J’adore traduire tous ces gens-là, ça me procure beaucoup de plaisir Récemment, c ’est moi qui me suis occupé de la première histoire de 19 999 lieues sous les mers, avant de céder la main à mon collègue Virgile Turier pour la seconde J’ai notamment pris beaucoup de plaisir à trouver le nom d’ un personnage qui devait être compréhensible tout en ayant une consonance anglaise [McLandrin, dont le nom d’origine, Faraboot, fait penser l’italien farabuto, soit « gredin », NDLR].
Vous n’avez pas fait que traduire pour Disney, vous avez aussi écrit une longue série de gags pour la rubrique Donald Speaks English. Pouvez-vous nous en parler ? C’est Jean-Luc Cochet qui avait lancé cette rubrique en se servant d’ un dictionnaire pour enfants publié par Harraps et qui utilisait des gags de Taliaferro. Arrivé au bout de son livre, Jean-Luc a demandé à Philippe Larbier de lui dessiner des choses nouvelles, et quand il n ’ a plus eu le temps d’écrire, il m ’ a refilé le bébé. C’est comme ça que pendant cinq ans j’ai écrit du Donald Speaks English ! Je me suis bien amusé à le faire, et j’ai pu introduire des personnages nouveaux, comme Harry, Barry et Larry, que Donald est le seul à pouvoir distinguer ! Je voulais faire allusion à Un œil pour le détail de Rosa, où on apprend que Donald est le seul qui puisse différencier ses neveux identiques. Soit dit en passant, j’ai inclus un affreux jeu de mots dans le nom d’ un personnage de cette série… C’est la seule fois où j’ai utilisé une grossièreté Personne n ’ a rien remarqué, mais je suppose que personne à l’époque n ’avait le niveau d’ anglais nécessaire pour repérer la blague
Avez-vous jamais envisagé d’écrire des histoires plus longues pour Disney ?
Une fois, Jean-Luc m ’ a fait suivre une demande des Scandinaves, qui voulaient lancer une série de gags sur les personnages Disney dans l’ espace J’avais fait un essai, mais soit il n ’était pas concluant, soit je n ’ai pas poursuivi. Puis il y a eu une période où Jean-Luc voulait produire davantage d’histoires avec Mickey pour héros ; j’ai envisagé d’écrire un scénario, mais pour diverses raisons, je n ’ai pas insisté À un moment donné, il m ’ a aussi proposé d’écrire pour le Minnie Mag, mais le projet est tombé à l’ eau De toute manière, je fais de la BD en dehors de Disney J’ en scénarise, j’ en dessine, et au fond, je préfère écrire dans un univers que j’ai créé. D’ une certaine façon, j’ y suis d’ailleurs un peu parvenu avec Donald Speaks
English.
Quels sont vos travaux les plus récents ?
Je viens de traduire une histoire de Noël illustrée par Arild Midthun et qui paraîtra bientôt [dans le Picsou Magazine n°558 du 10 novembre, NDLR]. En outre, je suis content d’ annoncer qu ’ on va publier prochainement [le 10 décembre, NDLR] un numéro spécial qui inclura les cinq premiers épisodes de « Paperinik New Adventures », dont les épisodes 02 et 03 qui avaient été « zappés » suite à une confusion sur la numérotation Sinon, je suis en train de travailler sur une BD personnelle d’heroic fantasy/science-fiction, que j’écris et dessine à ma manière. Je sais que ça ne sera jamais aussi bien dessiné que si c ’était fait par untel ou untel, mais j’ai envie d’être à fond dans quelque chose, pas juste à moitié ou au tiers !
Propos recueillis par Alban Leloup
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