Picsou-Soir n°8

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N°8

ÉTÉ 2021

PRESSE ET GRANDS MÉDIAS À DONALDVILLE


SOMMAIRE 03. ACTUALITÉS

03. Super Picsou Géant change de formule... ... et Mickey Parade Géant aussi ! 04. Saga estivale en quatre tomes : Fantomius 05. La couv' de Mr. Rouxel

06. ANALYSES

06. Dans les petits papiers des grands canards 09. La ménagerie de Donald 12. Une planche très bavarde 14. L'origine des Castors Juniors

16. EXPRESSIONS

16. Coin-coin : les DuckFans ont du talent 17. BD : Herbert à Donaldville

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L'Édito

par Corey, rédacteur en chef Avant de rempiler pour une troisième saison et de fêter les deux ans de Picsou-Soir dans le prochain numéro, l’équipe vous a préparé vingt pages pour vous occuper pleinement pendant vos dernières semaines de vacances – pour ceux qui ont la chance d’en avoir ! La couverture de ce n°8, en plus d’illustrer un article consacré aux médias des canards Disney, rend hommage à votre fanzine préféré, inspiré lui-même d’un célèbre journal donaldvillois. Vous remarquerez d’ailleurs que Donald, épuisé par le rythme de travail exigé par son milliardaire d’oncle, a légèrement modifié le titre du journal ! Au menu, donc, vous retrouverez entre autres les recensions des dernières sorties en presse (ces derniers mois ont été riches en nouveautés Disney), un article sur les animaux de compagnie de Donald, une étude d’une des plus célèbres pages de la « Jeunesse de Picsou », une enquête minutieuse sur la fondation des Castors Juniors... et bien d’autres choses encore ! Avant de conclure, profitons de cet édito pour dire que suite à notre article sur Don Rosa dans le dernier numéro, son collaborateur Jano Rohleder nous a précisé qu’il était en train de travailler avec la nouvelle équipe de Picsou Magazine pour entamer de nouveau une collaboration avec les magazines français ! Affaire à suivre...

PICSOU-SOIR N°8 - ÉTÉ 2021 www.picsou-soir.com Rédacteur en chef Corey

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Couverture Timothée Rouxel Ont collaboré à ce numéro Rémi Barnault • Kylian Bourichet-Passier • Simone Cavazzuti • Alban Leloup • Loris Maiolino • Pierre Mischieri-Peillet

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COMPTE-RENDU

SUPER PICSOU GÉANT CHANGE DE FORMULE...

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couper et posters (dont un géant en deux parties !) –, chose assez inédite dans l’histoire de Super Picsou Géant.

Commençons d’abord par les nouveautés. La maquette générale change, comme le logo, et le format est légèrement réduit mais le magazine conserve son côté « Géant » en comptant désormais 244 pages au total. Le lecteur a droit à une couverture originale (même si elle est un clin d’œil au SPG n°166) dessinée par Andrea Freccero, un habitué de l’exercice qui réalise régulièrement celles du Lustiges Taschenbuch allemand et du Topolino italien. On constate également l’arrivée de cadeaux – jeux de carte à dé-

Côté BD, le magazine alterne désormais entre aventures modernes inédites (d'origine italienne pour les numéros 224 et 225) et histoires anciennes déjà parues en France et republiées avec les couleurs et le lettrage d’origine, ce qui donne une touche vintage fort sympathique ! D’autre part, SPG a toujours aimé les séries et la nouvelle formule ne déroge pas à la règle en inaugurant un cycle sur Picsou-Soir, ce journal où officient Donald et Popop sous les ordres de leur oncle, qui rappellera la fameuse rubrique « En direct de la rédaction » présente dans Picsou Magazine de 1989 à 1994.

lors que le dernier changement de formule datait de 2013, Super Picsou Géant a eu droit avec le n°224 de juin 2021 à un rafraîchissement général.

Enfin, SPG renoue même avec certains éléments de son passé. D’abord, un magazine fictif est à retrouver entre deux histoires de canards : si les plus anciens se souviennent certainement du « Couac ! », voire même du « P’tit Canard », il s’appelle cette fois « L’écho de Donaldville » et est signé Frédéric Felder et Cizo, des habitués de nos magazines Disney. Ensuite, on note le retour d’Erroc, qui connaît bien le bimensuel, et de sa sorcière Philtra qui a hanté la rubrique jeux du magazine dans les années 2000. Super Picsou Géant ne trahit donc pas son ADN avec cette nouvelle formule réussie qui ne manquera pas de plaire aux lecteurs. Corey

COMPTE-RENDU

... ET MICKEY PARADE GÉANT AUSSI !

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t Mickey aussi » aurait pu chanter Fernandel ! Car le magazine créé en 1966 n'échappe pas au grand plan de relooking général initié par l'éditeur Disney français. Quels sont les changements notables apportés par cette nouvelle formule de MPG ? Tout d’abord, le numéro est moins haut à raison de 19,5 centimètres, contre 21 dans l’ancienne formule, mais comme le dit la devise du magazine : « Petit format, grandes aventures ». C’est aussi la fin de la bande de couleur sur le coté gauche de la première de couverture ainsi que sur son haut ; mais à la place, on trouve au bas un bandeau mentionnant les actualités du numéro. Toujours sur la couverture, le logo est désormais bien en vue (et plus coincé dans le coin supérieur gauche) et a subi

un léger retouchage qui lui donne un bel effet de profondeur.

Comme ses cousins, MPG a changé complètement de maquette afin de se moderniser. Dans chaque numéro, deux histoires continuent d’être accompagnées d’un « Gros plan », et la pagination reste la même. Côté rédactionnel, l’Appel aux lecteurs devient tout simplement « Club MPG ». La mythique rubrique où Pat répond aux questions des lecteurs se trouve désormais à la toute fin du magazine ; le lecteur peut aussi découvrir quelques couvertures de numéros étrangers à la fin de cette rubrique. Concernant les bandes dessinées, elles proviennent toujours très majoritairement d'Italie. Finissons avec un bon point en précisant que MPG nous offre désormais un

double poster géant à chaque numéro. On retrouve dans le n°383 deux illustrations italiennes, une signée Andrea Freccero avec Donald à la plage et l’autre de Stefano Turconi avec un étonnant trio formé par Daisy, Géo et Chris Yéyé en hippies. Le point faible est qu’ils sont recto-verso, on ne peut donc pas profiter des deux en même temps. Pour conclure, MPG est plus petit et retrouve ainsi sa fonction de magazine poche (on ne comprend d’ailleurs toujours pas pourquoi on a accolé un « Géant » à son nom en 2002...) et reste riche en histoires en trois bandes par page. De plus, il a échappé à l’augmentation de prix, et c’est heureux ! Rendez-vous à présent en 2022 pour la nouvelle formule du Journal de Mickey... Rémi Barnault

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COMPTE-RENDU

SAGA ESTIVALE EN QUATRE TOMES : FANTOMIUS LE GENTLEMAN CAMBRIOLEUR

A

près le Cycle des Magiciens l’année dernière, Unique Héritage Entertainment renoue avec la saga de l’été : quatre tomes disponibles tout le long du mois de juillet pour une intégrale inédite en France ! Cette fois, il s’agit de mettre en lumière un personnage créé par Guido Martina et Giovan Battista Carpi en 1969 : Fantomius, le gentleman cambrioleur de Donaldville. C’est en découvrant son journal secret que la fibre de justicier naîtra chez Donald, revêtant le costume de ce mystérieux voleur pour devenir le fameux Fantomiald. Voleur, oui ! Mais gentleman ! Lord Quackett est un aristocrate des années 1920 qui ne supporte pas l’injustice. S’il passe pour un benêt aux yeux de ses semblables, c’est pour mieux les détrousser lorsqu’il revêt cagoule et cape pour incarner Fantomius. Il est aidé par Lady Dolly, son acolyte féminin qui, habillée en collant rouge avec oreilles de chat, devient Dolly Paprika. Ils pourront compter sur le génie fantasque d’Albert Trouvetou, aïeul de Géo, pour leur créer des gadgets leur servant à commettre des larcins afin d’échapper au colérique commissaire Alcméon Pinko. En vingt-sept histoires dont quatre encore jamais publiées en France, l’auteur Marco Gervasio ajoute avec brio sa pierre à l’édifice des Ducks. S’appuyant sur quelques bases connues du noble chapardeur, il développe depuis 2012 un background très réussi du Donaldville des années 1920. Ce dessinateur-scénariste italien,

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introduit par Carpi lui-même à l’Académie Disney en 1996, est un habitué des (més)aventures de canards, notamment avec Fantomiald et Powerduck. Son style, à la fois cartoon et très précis, s’inscrit dans la continuité d’un Giorgio Cavazzano et d’un Massimo de Vita, voire même d’un Jacovitti dans sa façon de dessiner les humains. S’y ajoute un goût du détail que l’on retrouve dans les automobiles et autres engins aux ambiances steampunk, comme le Gyrocoptère ou le Nautimius, gigantesque sous-marin à la Jules Verne en mode gastéropode métallisé. Ces histoires suivent d’abord le schéma classique de l’objet précieux que souhaite dérober Fantomius, qui se trouve être un faux, obligeant notre voleur à mener l’enquête. Mais au fil des épisodes, ce vol de trésor devient un prétexte pour approfondir le passé de chaque protagoniste et en-

richir considérablement les caractères de nos héros. Le trésor du Doge et La naissance de Fantomius sont ainsi des épisodes constellés de flashbacks donnant de la profondeur au personnage de Lord Quackett, tiraillé entre le goût de justice de Robin des Couacs et le travestissement de Zozzo (avatars de Robin des Bois et Zorro). Un épisode en deux parties sobrement intitulé Dolly Paprika raconte quant à lui la rencontre entre Lady Dolly et Fantomius, faisant écho à Pas de passé pour le futur, tout premier texte de Gervasio servant de prologue à la saga. Le voleur et le milliardaire fait intervenir Nikola Trouvetou, frère maléfique d’Albert prêt à tout pour voler Picsou, tout comme sa Némésis Gripsou qui prend le rôle d’ennemi de Fantomius à de multiples reprises. C’est d’ailleurs l’occasion pour l’auteur d’introduire un nouvel adversaire : la voluptueuse cane


Jen Yu, alias Lady Moutarde, jeune voleuse et ex fiancée de Fantomius. Autre embûche pour notre amateur de cambriole, faire face aux redoutables enquêteurs Hercule Poireau et Jarlock Holmes (ersatz du détective belge d’Agatha Christie et du célèbre Sherlock Holmes), notamment dans les épisodes Becphégor et Le chien des Barkserville. De Donaldville à Paris, en passant par Venise et le Devonshire, le lecteur suivra les péripéties de ce canard tout en collants et en élégance. Les scripts de Gervasio font la part belle aux hommages divers allant de la littérature avec l’Atlantide de Pierre Benoit dans Fantomius dans les sables émouvants, aux films des années 19201930 comme King Kong dans L’incroyable Gong, La momie dans La malédiction de Toutankouacmon, ou les acteurs de l’époque tel Douglas Fairbanks dans Silence on tourne, remarquable épisode sans paroles à la manière des films muets. Ce côté vintage est d’ailleurs accentué par les couleurs sépia et vieillies de chaque épisode. On ressent aussi l’attrait de l’auteur pour la pop culture avec des occurrences discrètes mais plaisantes aux séries télévisées que sont La croisière s’amuse dans Personne ne le mène en bâteau ou même Stranger Things avec le début du récit gothique Notre-Duck. Mais la virtuosité scénaristique de cet auteur complet se retrouve surtout dans les nombreuses références à la chronologie des Ducks qui parsèment sa saga : à la manière de Don Rosa pour la « Jeunesse de Picsou », Gervasio se sert de moments-clés créés par ces illustres prédécesseurs pour alimenter ses intrigues et enrichir l’univers des canards. No-

tamment ceux de Carpi et de Scarpa sur Fantomius qui ont apporté les origines de Fantomius et Dolly Paprika (les costumes, le repaire secret de la Villa Rosa…), mais aussi Carl Barks avec l’utilisation d’objets fétiches de Picsou comme la pépite d’or œuf d’oie du Klondike dans Deux vengeurs masqués, ou le rubis à rayures. Il tente même la création d’une généalogie avec la famille Trouvetou et surtout la famille Quackett, par l’utilisation du Duc Dément (créé fugacement par Barks en 1966 dans La Maison diabolique) comme ancêtre de Lord John Quackett et l’attribution de la création de la cathédrale Notre-Duck à Henri Quackett, frère de Fantomius. Se concluant avec brio par une aventure en quatre épisodes regroupant Fantomius et Donald dans un méli-mélo temporel, cette compilation est parsemée de bonus tels les deux premiers épisodes de Fantomiald des années 1960, un récit tardif de Carpi au top de son style dans les années 1990 avec Le secret de la Villa Rosa, un curieux et dynamique épisode du duo danois Andreas Pihl & Mårdøn Smet, Fantomiald : la légende, très typé années 2000 avec un vieux Fantomius grimé en moine shaolin, et trois épisodes de Fantomiald par Gervasio faisant intervenir Fantomius, mais écrits antérieurement à sa saga. Au niveau du contenu éditorial, quelques résumés sur les personnages, une interview de Gervasio et des croquis et dessins préparatoires de l’auteur rendent cette intégrale complète et sans défaut. Elle est vendue avec sa boîte de rangement (dans le n°1) afin de pouvoir revenir à loisir sur cette saga divertissante et originale. Loris Maiolino

LA COUV' DE MR. ROUXEL Timothée Rouxel travaille dans l'illustration depuis maintenant dix ans, pour des jeux de société, des jeux vidéos, des couvertures de livres... Abonné à Mickey Parade dès son plus jeune âge et toujours fan des canards depuis, il apprécie tout particulièrement Carl Barks et Don Rosa qu'il a redécouvert récemment grâce à son neveu, ainsi que Giorgio Cavazzano et Corrado Mastantuono. La « Jeunesse de Picsou » est sa bible et l'inspire tant pour le scénario que comme un modèle de vie (« être plus dur que les gros durs, plus malin que les petits malins, tout en restant honnête et carré »). Il aimerait aujourd'hui travailler officiellement chez Disney pour réaliser des illustrations et des histoires complètes.

ON EN PARLE

Huit pages sont consacrées à la « Jeunesse de Picsou » et à Don Rosa dans le n°10 de RétroLazer, la revue consacrée à la pop culture (12,90€ en librairie). Le fan aguerri n'apprendra peut-être pas grand chose de nouveau dans ce papier signé Vincent Jourdaa, mais l'initiative est à saluer car il n'est pas si fréquent de voir la presse non-canardesque traiter de Picsou.

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DONALDISME

DANS LES PETITS PAPIERS DES GRANDS CANARDS

A

rgent, magouilles et jeux de pouvoir : plongée au cœur de ces médias donaldvillois qui n’en finissent pas de faire parler d’eux. Des secrets du petit écran aux mystères des grands canards, nous vous livrerons tout ce qu’a révélé notre enquête exclusive. (Générique) La presse écrite : média de référence dans la vie des canards À Donaldville, la presse écrite est indiscutablement la reine des médias, au sens des moyens de diffusion auprès de l’opinion publique. De nombreuses histoires nous montrent qu’elle est très efficace pour communiquer massivement et rapidement des informations. Ainsi en est-il par exemple dans Bombie le zombie (Barks, 1949) : alors que Donald vient de se faire piquer par une poupée vaudou, « en quelques heures, toute la ville est au courant » grâce à la presse locale qui publie immédiatement

des éditions spéciales couvrant l’événement, aidée par les vendeurs à la criée. De plus, la presse a parfois une portée très large, comme dans Au nord du Yukon (Barks, 1965) où Soapy Slick, qui se trouve en Alaska, apprend dans le magazine Voilà (ou Jolt en VO, dont la couverture nous laisse à penser qu’il est une parodie du Life américain ou du Paris-Match français) que son vieil ennemi Picsou est devenu richissime. La presse est également très présente par les lieux qu’elle occupe dans la ville. On trouve ainsi de nombreux kiosques à journaux dans les rues ; des exemplaires sont régulièrement abandonnés sur les bancs publics ou dans les parcs, ce qui permet à Picsou de lire le journal de la veille gratuitement. Le fait que les journaux soient vendus à la criée, comme le fait Donald au début de Sprint galactique (Barks, 1948) ou dans Mickey journaliste (Gottfredson,

1935), les rend d’autant plus présents. En outre, les plus célèbres titres de presse occupent de grands buildings très voyants qui les rendent connus de tous. Chez nos canards, le marché de la presse semble dominé par trois grands quotidiens. D’abord, Picsou-Soir, titre détenu, comme son nom l’indique, par le milliardaire Balthazar Picsou et qui paraît le soir. Ensuite, son grand concurrent : le journal de Flairsou, dont le nom varie selon les histoires (c’est par exemple La voix de l’information dans La guerre des journaux, L’échotier dans Tous les coups sont permis, Flairsou-Soir dans Le grand jeu ou encore Flairsou-Infos dans Panique à Picsou-Soir). Enfin, le Grillon Bavard (ou Grillon qui parle) dirigé par Gédéon Picsou. Cependant, de multiples autres journaux, des plus généralistes aux plus spécialisés et dont la périodicité varie, coexistent aussi à Donaldville : vous en trouverez quelques exemples dans le cadre ci-contre. L’audiovisuel : info ou divertissement ? Si la presse écrite est considérée par les canards comme le média de référence, la télévision semble prendre de plus en plus de place dans leur vie. Peut-on pour autant les mettre sur le même plan ? Le petit écran, comme la radio d’ailleurs, dispose certes d’atouts incontestables pour concurrencer les journaux traditionnels : il permet notamment de faire connaître une information très rapidement, comme dans S.O.S. Tempête de neige (Barks, 1956) où Riri, Fifi et Loulou parviennent à faire éviter le télescopage de deux

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trains quelques heures seulement après avoir appris la nouvelle à la télévision. Dans Fantomiald contre le régime diététique (Pezzin & De Vita, 1989), les émissions du docteur Magret font un tel carton, que toutes les donaldvilloises convainquent leur conjoint de faire un régime. De plus, le reportage y est par définition plus visuel et donc plus frappant, à l’image de l’émission « Le Monde en marche » aperçue dans l’incipit du Reclus du manoir McPicsou (Don Rosa, 1994) qui montre des images de l’effondrement de l’empire Picsou. Cependant, la télévision amplifie un des défauts de la presse écrite : la recherche de l’audience à tout prix. Aussi, une émission comme « Droit de riposte » avec Paul Émic, qui apparaît dans l’histoire éponyme (Halas, Avenell & Hernandez, 1987), prétend démasquer les escrocs mais tombe vite dans le simple clash, ce qui ne manque pas de plaire à Donald. De plus, les programmes de pur divertissement, des émissions de caméra cachée comme dans Souriez c’est pour la télé ! (Sisti & Soave, 1996) aux séries comme « Oasis et Mirago » et « Madame se repose » aperçues dans Donald privé de télé (Michelini & Perina, 1992) et dans Madame se repose (Faria Jr. & De Mello, 1990), en passant par les jeux comme « Questions à gogo » et le « Jeu des 99 », semblent remplir la majorité de la grille. Les contours du paysage audiovisuel donaldvillois apparaissent beaucoup moins précis que ceux du marché de la presse. On sait qu’il existe une chaîne possédée par Picsou, qui prend tour à tour les noms de Picsou TV, Picsou Chanel, Télé Picsou ou Canal Picsou ; sa principale concurrente est TV Flairsou. Par ailleurs, dans La nouvelle du siècle (Borciani, Tulipano & Leoni, 1996) apparaît TV

Le show de Paul Émic, un rendez-vous que Donald ne manque jamais...

Donaldville, où officie un certain Marc à l’« Info-Journal » du soir. Cette même histoire nous montre par ailleurs la puissance qu’a fini par acquérir le média télévisuel puisque la simple annonce de la faillite, factice au départ, de Picsou provoque la réelle ruine de ce dernier. D’autres histoires confirment l’existence de TV Donaldville.

La radio, quant à elle, apparaît peu en tant que média d’information ; elle se réduit souvent à diffuser des jeux comme dans Radio Quiz (Barks, 1948) ou dans Bombie le zombie – où sont mentionnés les studios XXYZ –, de la musique comme dans La reine de la meute de dingos (Barks, 1966) ou encore de la publicité comme dans Propriétaire tout-terrain (Barks, 1963). D’après l’histoire inédite en français La grande corsa Paperopoli-Ocopoli (Boschi & Faccini, 1998), il existe aussi une Radio Donaldville.

Le milieu journalistique La profession de journaliste jouit d’un certain statut auprès d’une partie des Donaldvillois, comme le montre Donald grand reporter (Pavese & Perego, 1962) où Donald s’engage dans le journalisme en s’inspirant de grandes plumes du métier comme Pat Aquès, Jean Brouilletou ou Théodore Deboux. Ce même Donald est très fier de travailler pour son oncle Gédéon dans Mystère en sauce (Scarpa, 1956). Dans L’important c’est Donald (Rodrigues, 1988), Daisy, reporter à Picsou-Soir, est invitée à la soirée du prestigieux Club des Pachydermes. Et un « prix Fullitzer », aperçu dans La nouvelle du siècle, récompense chaque année les meilleurs journalistes. Toutefois, cette réputation est loin d’être complètement acquise. Picsou, par exemple, refuse très souvent d’accorder du temps aux journalistes, et ce n’est qu’avec l’acharnement de son neveu qu’il accepte d’en rencontrer un dans Au nord du Yukon ; dans Catastrophe astrologique (Barks, 1960), il dit même ne lire que « la date et l’horoscope » dans le journal. Ils sont parfois vus comme des colporteurs de mensonges, toujours à l’affût d’un scoop qui fasse vendre : on aperçoit ainsi une manifestation anti-presse dans La page financière (Aragão & Fukue, 1986).

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En ce qui concerne le milieu médiatique en lui-même, la concurrence rude entre les journaux permet difficilement des rapports apaisés entre leurs journalistes ou leurs directeurs. Espionnage et coups tordus sont donc très fréquents, quitte à ne pas jouer à la loyale. Cela peut tout de même arriver comme à la fin de La guerre des journaux (Tulipano & Bozzano, 1996) où Donald, Popop et Lusky, l’assistant de Flairsou, se réunissent pour travailler au Nouvel Informateur.

Donald recevant le prix Fullitzer.

Derrière les grands médias, une bataille de businessmen ? Tout lecteur aura pu s’en rendre compte, une bonne partie des grands médias est détenue par des financiers et des hommes d’affaires. Aux yeux de Picsou et de Flairsou, être à la tête d’un titre de presse ou d’une chaîne de télévision s’inscrit dans une stratégie triple : réaliser des bénéfices (vendre), disposer d’un outil de pouvoir (pour faire la publicité de ses produits, disqualifier un ennemi...) et garantir une bonne image d’eux-mêmes (c’est particulièrement le cas pour Picsou qui a donné son nom à son journal). Aussi est-il normal que la question de la santé économique du journal soit un motif récurrent dans les histoires de Picsou-Soir – nombre d’entre elles s’ouvrent d’ailleurs par un graphique montrant la chute des ventes ou des abonnements au journal. La guerre des journaux illustre bien

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ce que peut engendrer la rivalité entre les deux magnats donaldvillois sur la qualité de leur presse : ils multiplient les rubriques, créent des suppléments (« L’Hebdo » et « Le Semainier »), organisent des concours et offrent des cadeaux, à tel point qu’ils en oublient de faire de l’information. Finalement, Pol McNews récupère tous leurs lecteurs en fondant le Nouvel Informateur, un journal ne proposant que de l’actualité authentique. En revanche, le Grillon Bavard de Gédéon – bien que ce dernier soit le frère de Picsou –, fort de ses plus de quatre millions de lecteurs, semble résister à cette dynamique et garder une certaine indépendance. Il se revendique en tout cas comme « un quotidien libre et objectif qui représente la véritable conscience du pays ». On apprend d’ailleurs dans Mystère en sauce que Picsou a cherché à le racheter pour deux millions de dollars, en vain. Et Gédéon n’hésite pas à se fâcher avec les influents, ni même avec la police dans sa quête de la vérité journalistique. Étude de cas : Picsou-Soir Nous l’avons évoqué plus haut, Picsou a fondé un quotidien qui porte son nom. Si l’on ignore la date exacte de sa création, on sait que le journal fête ses vingt ans dans une histoire de 1988 (Teixeira & De Mello). L’équipe de Picsou-Soir est plus ou moins nombreuse selon les sources : Donald et Popop en sont des membres quasi-permanents et s’occupent des reportages sur le terrain et de la rédaction des articles ; on y croise parfois aussi Daisy et Clarabelle qui ont surtout en charge les pages féminines et notamment le supplément Picsou-Mode qui apparaît dans Remue-ménage (Teixeira & Rodrigues, 1986). Les méthodes de Picsou-Soir sont

L'imprimerie de Picsou-Soir à deux époques différentes.

plutôt discutables : des histoires comme Donald, Popop et la météorite de la paix (Mastantuono, 2019) ou Panique à Picsou-Soir (Martina & De Vita, 1974) montrent que ses journalistes recopient les nouvelles des autres journaux ! Côté audiences, l’effet s’en fait d’ailleurs ressentir puisque le quotidien semble sans arrêt perdre des lecteurs, au grand dam du patron. Picsou-Soir reste cependant une institution dans la vie médiatique donaldvilloise : dans Picsou et l’horoscope improvisé (Mastantuono, 2019), toute la ville se met à lire le journal grâce à la nouvelle rubrique mise au point par Donald et Popop. De plus, il dispose d’un building entier sur lequel est inscrit son logo, et on aperçoit même un véhicule floqué au nom du journal dans Patrimoine en péril (Herrero, 1991). Avec le temps, Picsou-Soir s’est modernisé, ce qui tend à montrer qu’il a tout de même réussi à perdurer sur la longueur : les ordinateurs ont remplacé les machines à écrire et les rotatives se sont améliorées ; dans certaines histoires récentes comme Les mystères de Picsou-Soir (Buratti & Pochet, 2014), le journal s’occupe même d’un site internet. Corey


DUCK STORY

LA MÉNAGERIE DE DONALD

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n chien dans sa niche observe, l’œil méfiant, un chat qui joue les équilibristes sur la palissade. Pendant ce temps, la tortue grignote sa feuille de laitue sur la pelouse, tandis qu’à l’intérieur les poissons rouges attendant, la bouche en O, qu’on saupoudre leur pitance à la surface de l’eau. Cette description tient du cliché, et pourtant, les animaux de compagnie sont très présents dans les foyers étasuniens. Au pays de l’Uncle Scrooge, plus de 63 millions de ménages ont au moins un chien, et plus de 42 millions au moins un chat !

Notre ami Donald Duck est, par bien des aspects, un spécimen représentatif de l’Américain moyen de banlieue, mais pour ce qui est des animaux de compagnie, il explose les plafonds ! En effet, si la plupart de nos lecteurs connaissent Bolivar le saint-bernard ou Catmembert le chat, qui se souvient que Donald a possédé une vache, un chameau, et même un dinosaure ? (Ça n’est sans doute pas dû au hasard si, dans un segment de Fantasia 2000, notre canard interprète le rôle de l’assistant de Noé !) L’heure est venue de nous intéresser aux nombreux animaux de compagnie – à poils, plumes ou écailles – qui ont vécu auprès de Donald et de ses neveux. L’Arche de Donald Les sources disponibles nous montrent que Donald et les triplés ont accueilli chez eux une foule d’animaux très variée, qu’il s’agisse de créatures trouvées, achetées ou reçues en cadeau. Pour preuve, nous allons vous en fournir une liste qui, sans être ex-

Riri, Fifi et Loulou et le reste de la troupe des Castors Juniors essayant tant bien que mal de faire se déplacer les animaux du Val Brumeux !

haustive, à de quoi donner le vertige ! Au rayon des chiens, nous avons Bolivar, mais aussi Behemoth et Fido, Blabla, Cosmos (vite remplacé par Arlequin) et Dublair. Chez les chats, outre Catmembert, mentionnons une petite chatte noire dont nous ignorons le nom. Les oiseaux sont bien représentés, avec Farragut le faucon, Totsie le manchot, les pigeons Pénélope et Fusée atomique, Hector le martin-pêcheur, Joe de Singapour le perroquet, Randolph le corbeau et Tombola la dinde. Les mammifères herbivores ne sont pas en reste, avec Roscoe le renne, Pâquerette la vache et les ânes Jenny et Basile. Dans la catégorie des petites créatures, nous rangerons Catapulte la grenouille, un poisson rouge dont tout porte à croire qu’il mange trop, Cheltenham le tamia, et Sidney l’écureuil. Concluons cette liste fleuve avec la catégorie fourre-tout des « exotiques », dont Ali le chameau, Bobo l’éléphant, Wandrille le gorille, Vieux Tom l’alligator, Hortense l’autruche, Jingo le singe, Tara la tarentule et Dino le dinosaure. Pour la plupart d’entre eux, ces animaux ne sont connus que par une seule source, ce qui implique

qu’ils n’ont partagé la vie des Ducks que peu de temps. Ce simple constat soulève une question inquiétante : que sontelles devenues, toutes ces bestioles dont on est resté sans nouvelles ? Devrions-nous soupçonner Donald et ses neveux d’abandons en série ? Nous serions en droit d’espérer le contraire. Après tout, Riri, Fifi, et Loulou sont généraux à dix étoiles chez les Castors Juniors, et une telle attitude serait contraire à leur philosophie ! Ils se préoccupent tant du sort des bêtes qu’ils ont conduit personnellement la migration de toute la faune de la forêt du Val brumeux, vouée à être rasée, vers l’île du Bois sauvage (cf. En avant, arche ! de Barks & Wright, 1973 ou son remake par Jippes : Les aventuriers de l’arche, 2008). Ce tour de force les a d’ailleurs rendus impopulaires auprès des Donaldvillois, qui se sont vu envahir par des hordes de cerfs, ours, porcsépics, écureuils, ratons laveurs, pumas, caribous, lapins, souris, taupes, castors, coyotes, sauterelles et tiques, sans oublier les animaux exotiques abandonnés dans la forêt au fil des années, guépards, boas constricteurs, et même un éléphant.

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Un cycle d’entrées et sorties En réalité, nombreuses sont les sources qui évoquent les déboires animaliers de Donald et ses difficultés à gérer l’influx d’animaux chez lui. Nous n’en aborderons qu’une sélection. D’emblée, nous allons poser deux constats : d’abord, lorsque la maison de Donald se transforme en zoo, c’est le plus souvent de la faute de ses neveux ; ensuite, les admissions comme les sorties se font généralement en masse. Ainsi, dans le rapport Bingo Jingo ! (Barks, 1943), Donald arrive à saturation. Il n’en peut plus des chats qui grimpent sur le canapé, des chiots qui déchirent ses pantoufles et des canaris qui jonchent le sol de plumes. Détail intéressant : il ordonne à ses neveux d’enfermer tous leurs compagnons « en attendant que la société protectrice des animaux viennent les chercher. » Il n’est donc pas question de les abandonner à leur sort, mais de les remettre entre les mains d’experts. En outre, Donald précise aux garnements qu’à l’avenir, ils ne pourront plus jamais avoir ni chats ni chiens, ni oiseaux ni grenouilles, ni insectes, ni fourmis, ni chauvesouris, ni poissons, ni reptiles. Mais pour fournie que soit cette liste, elle n’interdit pas explicitement les singes… Devinez ce qui se

passe ensuite ! Dans Le zoo antivol (Barks, 1949), nous voyons que l’interdiction nouvelle n’a pas su s’imposer. En effet, Riri, Fifi et Loulou, de retour du camp, ramènent dans leurs bagages une chèvre, un pivert, un opossum, un écureuil, un sconse et un hibou. Bien entendu, leur oncle n’est pas enchanté. Il exige que les enfants emportent leurs créatures au zoo le lendemain à la première heure. Le naturel déconcertant qui accompagne cette décision sous-entend, d’après nous, que c’est une manière « habituelle » de se défaire d’animaux dans cette maison. Mais la nuit venue, alors qu’un cambrioleur s’introduit dans la maison, les animaux réagissent chacun à leur manière, constituant un véritable système de sécurité. Ravi d’avoir pu maîtriser l’intrus, Donald se sent beaucoup mieux disposé à l’égard de ces bestioles, au point de leur servir le déjeuner dans la cuisine… et d’envoyer les triplés manger dehors ! Vexés, ces derniers décident alors que les animaux devraient retourner à leur place, c’est-à-dire dans la forêt. C’est le monde à l’envers ! D’après Donald fait le singe (Gerstein & Vicar, 1997), les neveux ont dû vite oublier leur rancune, puisque leur tendance à accumu-

Donald servant le petit-déjeuner aux animaux qui l'ont sauvé !

ler les animaux de compagnie y est une fois de plus mise en avant. L’aventure débute avec Riri, Fifi et Loulou, réfugiés dans leur cabane et entourés de tout un aréopage de créatures. Conscients des ennuis que cause cette ménagerie à leur oncle, les triplés décident de prendre une bonne résolution : rendre à la nature tous leurs compagnons (« jusqu’au dernier cafard », précise Loulou) ! Au même moment, sans que les garçons ne le sachent, Donald prend la résolution inverse : à partir de dorénavant, il se montrera plus indulgent envers tous ces animaux. S’ensuit un quiproquo en chassé-croisé — si typique de la vie donaldvilloise ! — où les triplés tentent d’éloigner les bêtes de la maison pendant que leur oncle les y invite. Lorsque Donald comprend ce qui se passe, il décide sournoisement de tirer profit de la situation pour forcer les garçons à rompre leur vœu !

Quand Riri, Fifi et Loulou tentent de faire fuir leurs animaux hors de la maison, leur oncle Donald les y ramène ! (Extrait de Donald fait le singe)

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Afin de les tenter, il se rend à l’animalerie de la rue Morgue pour y emprunter une créature inhabituelle (les connaisseurs de l’œuvre d’Edgar Allan Poe auront déjà deviné de quel animal il s’agit). Mentionnons encore le document néerlandais À chacun son cirque (Kruse & Milton, 1987), qui, s’il ne parle pas véritablement d’animaux de compagnie, participe d’une dynamique similaire. Alors que Donaldville connaît son hiver le plus froid depuis un siècle, Riri, Fifi et Loulou traversent le parc enneigé et tombent sur une roulotte de cirque, celle de Ricardo et sa troupe d’animaux. Les garçons, constatant que cet homme et ses amis à deux ou quatre pattes sont frigorifiés, prennent l’initiative de les ramener chez leur oncle. Si Donald est peu enchanté de trouver un rat jongleur au milieu de sa cuisine, ça n’est rien à côté du cheval, des deux colombes, de l’alligator et du circassien moustachu qui se réchauffent devant l’âtre. Naturellement, comme il a bon cœur dans le fond, notre canard finit par accepter de loger tout ce petit monde pour la nuit, même s’il manque de changer d’avis quand il découvre un dauphin dans sa baignoire et trois singes dans son lit. Les neveux, avec l’aide de Daisy, obtiendront finalement la prolongation de l’hébergement jusqu’au dégel ! Jusqu’ici, nous n’avons abordé que les cas où Riri, Fifi et Loulou remplissent la maison de créatures, mais il ne faut pas croire que leur oncle est blanc comme neige ! Dans le rapport danois Hôtel pour animaux (Printz-Påhlson & Vicar, 1990), les triplés de retour d’un séjour à la ferme ont un jour découvert que leur oncle a transformé la maison en hôtel pour animaux. Ici, bien sûr, il s’agit moins ici d’un geste d’amour envers le règne animal que d’une tentative

Le temps d’un week-end, Donald a trouvé moyen de faire de la maison un hébergement pour animaux !

de s’enrichir, mais la situation a tout de même dégénéré rapidement. Après qu’un perroquet atrabilaire a alerté la police en appelant au secours, Donald doit maîtriser une véritable meute de chiens partis attaquer le chat d’un passant. Sur ces entrefaites, les chèvres et les ânes en pension s’échappent à leur tour, et le perroquet se remet à crier de plus belle. Un gorille, réveillé au milieu de sa sieste, laisse alors éclater sa mauvaise humeur en faisant s’écrouler la maison… Inutile toutefois de s’inquiéter du sort de tous ces animaux-là, puisqu’ils n’étaient que pensionnaires et avaient tous un propriétaire. Nous citerons enfin Donald et les lolcats (Transgaard & Gattino, 2011), dans lequel les triplés ramènent chez eux un chat errant dont Donald tolère la présence pour peu que les enfants s’en occupent. Naturellement, une fois les triplés partis pour l’école, il ne faut pas plus de quinze minutes à Donald pour être à bout de nerfs, aussi décide-t-il de déposer l’importun greffier au port, où il est certain qu’il ne manquera pas de nourriture. « Je dirai aux enfants qu’il s’est sauvé ! » se dit-il sournoisement. Seulement, voilà, une fois sur place, il décide d’acheter du poisson frais, et à son insu il rentre chez lui avec cinq

chats (l’original plus quatre nouveaux) par l’odeur alléchés. Bien sûr, il lui est impossible de dire la vérité aux neveux, qui s’amourachent immédiatement de ces bestioles. Donald échafaude alors une série de stratagèmes pour se défaire des chats, mais au contraire, il en vient toujours plus, jusqu’à transformer sa maison en refuge. Cette histoire a un dénouement heureux : après que Donald a accidentellement répandu dix bidons d’huile de poisson, envahissant tout le quartier, les chats prouvent leur utilité venant lécher partout cette huile, débarrassant les habitants des mauvaises odeurs. Résultat des courses, les citoyens reconnaissants décident tous d’adopter des chats en remerciement. Conclusion Bonne nouvelle pour les amis des bêtes : Riri, Fifi, et Loulou, en bons Castors Juniors, s’assurent que toutes les braves créatures quittant leur foyer soient relogées humainement. Il faut tout de même mettre un bémol à cette conclusion : vu la fréquence à laquelle ce scénario d’entrée-sortie se reproduit, ne vaudrait-il pas mieux être plus responsable en amont et simplement éviter toutes ces adoptions éphémères ? Alban Leloup

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CAN-ART

UNE PLANCHE TRÈS BAVARDE

L

a Jeunesse de Picsou porte un balancement dramatique, un glissement narratif : conquérant sa fortune, le jeune Balthazar Picsou perd son goût de l’aventure, qu’il ne retrouvera qu’en rencontrant ses neveux. Cette dualité s’exprime dans certaines planches avec force, grâce à la mise en scène efficace de Don Rosa ; la dernière page du Prospecteur de la vallée de l’Agonie Blanche en est un exemple frappant. La mise en page y apparaît pourtant de facture assez classique : trois strips, les deux premiers de hauteur égale, qui partagent une même goutière au centre de la page. Petite originalité, l’emploi d’une case ronde en haut à gauche de la grande case finale. Ce n’est pas un zoom en bonne et due forme : le personnage sautille dans la vue générale. C’est en réalité un gimmick propre à Don Rosa, en particulier pour une page finale. Elle créé un mouvement de recul efficace et immédiat pour le lecteur, un mouvement très cinématographique (on peut penser au rond ouvrant ou fermant des cartoons) qui dynamise la scène. Les rapports d’échelles sont par ailleurs employés de manière très structurée. Dans le premier strip, des plans moyens, voire de demiensemble : le personnage est vu de pied (plutôt de palme) en cape avec un peu de décor. Dans le second strip, une même échelle, un même cadre, qui se rapporte à un plan rapproché. Cette répétition d’un même cadre a son importance, nous nous y arrêterons plus loin. Dans les deux dernières cases, nous retournons à un plan rapproché, avec une vue en

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contre-plongée, puis, dans le même axe, un plan d’ensemble assez spectaculaire, qui figure la nature environnante dans toute sa majesté.

Ainsi, l’argumentation séquentielle de Don Rosa se développe autour d’un geste, celui qu’opère le jeune Picsou à la case 5 : le nettoyage de ce qui se révèle être une pépite en or massif assurant sa fortune. Les deux première case, centrées autour des pensées du personnage, introduisent le problème intime de manière calme et mélancolique. Leur largeur insiste sur cette pose dans le récit. Les quatre petites cases du deuxième strip portent, elles, la vitesse, l’instantané, le mouvement. Leur absence de décor, au profit d’un fond uni, met encore davantage le personnage en valeur. L’expression de ce dernier dans la première case fait écho à celle de la case précédente, permettant de les relier. De même l’expression de surprise et de joie extrême de la quatrième case fait écho à celle de la case ronde. Les pupilles blanches et les petits traits (des gouttes de sueur, des petites plumes ou une représentation graphique abstraite) sont identiques. Ce strip est donc celui de la transition, du mouvement. Il condense à lui seul, de manière quasi muette et donc très graphique, le propos de la planche qui conclut l’épisode, en deux temps : le doute, l’instant mélancolique de l’homme face à une nature idyllique qu’il craint de perdre, puis la joie hyper expressive de la conclusion d’une quête de richesse. Entre les deux cases, les cases 4 et 5, les plus animées par des effets de mouvements, expriment le geste pivot que nous avons déjà évoqué.

La case ronde du dernier strip est une véritable image iconique : elle reprend celle utilisée en couverture de l’épisode (rappelons que la série fut d’abord vendue en une série de petits fascicules aux Etats-Unis, obéissant aux règles éditoriales classiques des comics outre-Atlantique). Cette iconisation passe par la forme de la case, le cadrage et l’angle de caméra que nous avons analysés plus tôt. Mais cette héroïsation d’un moment essentiel de la geste picsouienne se trouve immédiatement mise à distance par la case suivante. En dévoilant un panorama superbe qui entoure Picsou, Don Rosa illustre tout ce que cette découverte fait perdre comme autre trésor au personnage. Son cri de joie « Riche » semble se perdre en écho dans les montagnes immaculées du Yukon, sa silhouette devient minuscule, tout comme ses gestes de sautillement et la pépite elle-même. Un dernier détail vient encore davantage appuyer cette distanciation ironique : un oiseau observe Picsou et produit un point d’interrogation, totalement éberlué face à l’excitation du canard qui lui fait face. Cette mise en scène majestueuse illustre ainsi le sens du détail et la maestria graphique de Don Rosa. Cette manière de mettre en contraste deux images et deux points de vue en fin d’épisode est une stratégie narrative très efficace, que l’auteur réutilise à d’autres moments. C’est notamment le cas dans l’épisode 11 de la saga, qui, lui aussi, se conclut par un Picsou, plus âgé, criant le mot « Riche ! » alors qu’il perd dans le même temps quelque chose de précieux : sa famille. On y retrouve la même mise en scène, la même case ronde, et la même mélancolie finale. Mais


cette fois, comme pour éviter au lecteur que la tristesse s’empare de lui, Don Rosa précise : « Ce n’est pas fini ! ». Après ce tour d’horizon général, arrêtons-nous sur quelques effets employés par l’auteur. Don Rosa sait mettre en scène le mouvement épique, celui de l’aventure, du rebondissement, de manière marquante. Quelques exemples extraits mémorables de la Jeunesse de Picsou pourront nous en convaincre. Il se sert la plupart du temps de traits de mouvements, parfois appuyés par des traces blanches. Ils sont parfois aussi relayés par des gouttes de sueurs, éléments graphiques non abstraits. L’expressivité des personnages est elle aussi très utile et efficace : les sourcils en particulier sont d’une efficacité redoutable pour figurer les émotions. On revient de nouveau à l’héritage du cinéma d’animation, qui possède une utilisation très plastique du corps et du visage, mais aussi au dessin de Carl Barks, extrêmement subtil et élégant dans ce domaine. Don Rosa apporte à tout cela sa minutie et son sens du détail, qui permettent de grandes cases d’action épique marquant à coup sûr le lecteur. Le mouvement émotionnel qui nous est figuré ici est néanmoins quelque chose d’original par rapport à d’autres. Nous l’avons déjà

dit, c’est un moment unique de la vie de Picsou. Le geste figuré est très réduit, assez anodin (on imagine combien de kilos de pépites Picsou a dû nettoyer dans sa vie) mais remue le personnage de manière incroyablement puissante. Cette cinétique paradoxale s’exprime bien sûr dans le troisième strip.

Muybridge) et enfin l’eau qui éclabousse les bras de Picsou. L’onomatopée « Splatch ! » rend sonore cette eau mouvante, tandis que le « Oui ! » crié par le personnage (on remarque d’ailleurs la superbe virgule et la forme de la bulle, très énergiques) évoque sa surprise et sa joie face à cette découverte.

L’expression du personnage y est un outil déterminant. Le regard mélancolique de Picsou en case 1, sobre, arrêté, comme en suspension, voit se succéder le regard cupide du personnage vers le lecteur, dont on remarque la pupille en étoile, le redressement du sourcil hyper appuyé, et le tremblement général, jusqu’au détail des doigts qui se crispent sur la pépite, ou la dilatation d’une narine. Puis la surprise de la troisième case, avec de la sueur, des traits d’énergie autour du visage, des cernes autour des yeux, qui louchent légèrement, et même les veines qui se raidissent instantanément. On nous présente aussi de manière très efficace le mouvement des bras plongeant la pépite dans l’eau : les techniques graphiques sont mixtes, des traits de vitesse toujours, un nuage de poussière provenant de la pépite sale, des traits intermédiaires courbes et horizontaux qui reprennent les positions successives de la pépite (on est proche ici d’un mouvement synthétique à la

Cette case, sans doute la plus riche de la planche, est succédée par le face à face visuel entre Picsou et sa pépite. Le mouvement émotionnel atteint son paroxysme. Ses cheveux se dressent, la bouche s’entrouvre, ses yeux s’étendent de manière totalement anti-anatomique, même pour un canard Disney, ses sourcils se dressent jusqu’à former des plis. Les petits traits semi-abstraits que nous avons déjà mentionnés viennent donner un dernier relai à ce mouvement puissant. Face à Picsou, la pépite rutilante apparaît dans toute sa majesté, brillante grâce à de multiples petits traits de lumière pure qui la magnifient. Cette pépite « œuf d’oie », symbolise la fin d’une quête, un moment important dans la destinée d’un personnage qui, pour le lecteur, est tracée d’avance. La mise en scène subtile de ce moment met en lumière les talents de conteur de Don Rosa. Pierre Mischieri-Peillet

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DONALDISME

L'ORIGINE DES CASTORS JUNIORS

E

n s’y attardant un peu, la célèbre organisation de scoutisme où officient Riri, Fifi et Loulou semble avoir une histoire plus compliquée que prévue, en particulier en ce qui concerne son fondateur...

Introduits par une histoire de Barks de 1951 (Castors Juniors à la rescousse), les Castors Juniors sont une organisation de scoutisme encadrée par une hiérarchie aux titres à rallonge ; leurs membres se conforment à des valeurs civiques et éthiques fortes, comme la discipline et le respect de la nature. Bien que le « Good Duck Artist » ait relaté leurs exploits dans des dizaines d’aventures, il ne s’est jamais intéressé à la question des origines de ce groupe. D’où cette question : qui a fondé les Castors Juniors ? En consultant Wikipédia, Picsou Wiki ou n’importe quel site consacré aux canards Disney, on peut lire qu’ils ont été créés par Clinton Écoutum, le fils de Cornélius (luimême fondateur de Donaldville). Cette information nous vient de l’histoire C.E.S.T.D.U. C.H.A.R.A.B.I.A. (Don Rosa, 1997).

C’est un fait intéressant qui comble ce qui était apparemment une lacune. Pourquoi « apparemment » ? Parce qu’en se penchant sur les quatre-vingt-un numéros du magazine américain Huey, Dewey and Louie Junior Woodchucks (l’équivalent de l’ancien

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Castors Juniors Magazine français), publiés de 1966 à 1984, on remarque que les Castors Juniors avaient en fait déjà un fondateur, ou plutôt plusieurs ! • Dans le premier numéro, on trouve une histoire intitulée Quand les mini-Rapetou se font Castors Juniors... (Lockman & Strobl, 1966), dans laquelle le créateur du mouvement est présenté sous le nom de Paden Bowell (ou Pioneer O’Duck en VO).

• Dans une histoire inédite en français, Nature’s Light (Carey, 1977), on apprend que les Castors Juniors ont été créés par un certain Woodrow C. Woodchuck. Dans ce récit, Riri raconte aux nouvelles recrues des Castors Juniors qu’un jour où Woodrow C. Woodchuck s’était perdu dans une vallée (qui portera son nom bien plus tard) et qu’il était pris au milieu d’une tempête de neige, il découvrit une flamme naturelle au sommet du mont Fumio. Depuis, la troupe doit régulièrement l’entretenir pour qu’elle continue à brûler et à briller. La même anecdote est racontée dans Humbles héros ! (Wright, 1978), mais sans préciser cette fois le nom du fondateur.

• Dans Le fantôme du père Castor Senior (Wright, 1974), le fondateur apparaît sous des traits plus canins et semble simplement s’appeller Castor Senior (Woodrew Woodchuck en VO).

• Dans Au pied des héros (Wright, 1977), le fondateur est introduit sous le nom de Silas P. Woodchuck (non-traduit dans la version française) et son apparence ressemble assez à celle de l’histoire Nature’s Light. • Dans Castor malgré lui ! (Gregory, 1976), le fondateur (qui se trouve être aussi l’auteur du manuscrit original du Manuel) change de nouveau de nom et d’apparence et nous est présenté comme s’appelant Cyrus Grancastorus (Cyrus P. Woodchuck). • Dans Mogul Yodler (Wright, 1979), on apprend pour la première fois que les Castors Juniors ont en fait plusieurs fondateurs. Ils


sont même appelés ici les « Pères fondateurs », et on compte parmi eux le Mogul Yodler (Yodel Mogul) du titre et Rip van Woodchuck (clin d’œil au personnage d’une nouvelle de Washington Irving).

• Le roi de la purée ! (Gregory, 1978) raconte comment Cyrus P. Castor a un jour décidé de fonder la célèbre organisation de scoutisme. Le nom en VO (Cyrus P. Woodchuck) et l’apparence du fondateur sont les mêmes que dans Castor malgré lui !, probablement parce que nous avons affaire au même dessinateur.

• L’histoire inédite en français The Time Bag Caper (Lockman & Wright, 1980) reprend l’idée des Pères fondateurs et nous en montre un nouveau visage : Wadly Owlhoot.

• Cyrus P. Woodchuck réapparait dans The Big Sprout et Lure of the Giant Ram, deux histoires de Bob

Gregory réalisées en 1980. Il est cependant représenté sous les traits d’un canard...

• La dernière fois qu’un fondateur des Castors Juniors est mentionné dans la collection des Huey, Dewey and Louie Junior Woodchucks correspond à l’histoire Learning The Ropes (Gregory, 1981), et il est encore question de Cyrus P. Woodchuck. Ce dernier retrouve d’ailleurs son apparence canine (mais sans la moustache), et on apprend l’existence de son arrière-petit-fils Timothy Woodchuck.

• Bien que n’appartenant pas à cette série américaine, mais au Disney Studio (production destinée au marché international), l’histoire Picsou perd... mais gagne 30 ans ! (Fallberg & Strobl, 1974) mentionne un certain Paul Cast (Marmut Marmot en VO) et l’histoire The Great Ram Rescue un Jack Astor comme fondateurs, eux aussi, des Castors Juniors.

Une fois toutes ces données prises en compte, comment répondre à

notre question initiale ? Si l’on considère seulement le facteur numérique, Cyrus P. Woodchuck (qui a eu plusieurs noms en français) semble être le véritable fondateur des Castors Juniors puisqu’il apparaît dans au moins cinq histoires, alors que les autres personnages n’ont à leur actif qu’une histoire chacun. Une autre explication intéressante est que l’organisation a été créée par plusieurs personnes associées. Personnellement, je crois que Cyrus est le fondateur authentique, ou au moins celui qui a eu l’idée originelle (comme on le voit dans Le roi de la purée !), puis qu’il a été rejoint par un groupe d’autres pionniers et explorateurs : Paden Bowell, Castor Senior, Woodrow et Silas Woodchuck (qui ont peutêtre un lien de parenté), Mogul Yodler, Rip van Woodchuck et Wadly Owlhoot. Que faire à présent du Clinton Écoutum rosien qui semble être le seul fondateur à être resté dans les mémoires de nos canards ? Et bien la réponse se trouve en fait dans Les gardiens de la bibliothèque perdue (Don Rosa, 1993) où Riri, Fifi et Loulou font de Clinton non pas le créateur des Castors Juniors, mais celui qui donna aux fondateurs le livre du capitaine Drake pour la rédaction du Manuel bien connu.

Ce dernier élément nous permet de conclure en trouvant un point nouveau qui pourra, je l’espère, être pris en compte par ceux qui traiteront de ce sujet à l’avenir. Simone Cavazzuti

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COIN-COIN

LES DUCKFANS ONT DU TALENT BARKS REMARKS : c’est le nom d’un podcast anglophone créé en mai dernier et consacré à l’œuvre du Good Duck Artist. Chaque épisode est une discussion d’environ une heure autour d’une histoire en particulier, de Donald et le trésor du pirate au Fantôme de la grotte en passant par La vallée des volcans. À retrouver sur toutes les bonnes plateformes de streaming audio.

Vous aussi, Envoyez vos dessins à contact@picsou-soir.com

FLASH SPÉCIAL

Quelques nouveautés ont fait leur apparition sur le site de Picsou-Soir et nous avons depuis peu ouvert une page Twitter (@PicsouSoir) en plus de nos comptes Facebook et Instagram. N’hésitez pas à la rejoindre !

Carl Barks dans sa version canardisée, une caricature signée Justin Sneed.

Un dessin réalisé par CalamityKangaroo en 2016, au moment de l’annonce de la sortie de la nouvelle Bande à Picsou. C’est en fait un remake d’un visuel officiel, sans l’aspect carré des canards que l’auteur n’apprécie pas du tout !

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BD

HERBERT À DONALDVILLE par Pascal Graffica, 2020

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