extraits R35

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N°35

JUILLET/AOUT/septembre 2012 / N°35

www.respectmag.com

asiatiques

de france l'Emergence Mémoire

150 ans de présence asiatique en France Fantasmes

Comme au « bon temps » du sexe colonial ? Mouvements

Citoyenneté, économie : les Asiatiques sont dans la place !

ENQUÊTE

HOMOS ET QUARTIERS

L'ENVERS DU GAYTTO

Des parcours parfois chaotiques, toujours singuliers, pour conquérir sa place dans la société



Directeur de publication : Jean-Marc Borello, jmb@groupe-sos.org Éditeur : Gilles Dumoulin, gd@groupe-sos.org

homardpayette

Respect mag est une publication trimestrielle éditée par Presscode pour l’association Insertion et Alternatives

Impression réalisée sur papier 100 % recyclé

Respect magazine 80/84, rue de Paris - 93100 Montreuil Courriel : redac@respectmag.com Internet : www.respectmag.com

ÉDITO

Marc Cheb Sun

Directeur de la rédaction - www.marc-chebsun.com

Directeur de la rédaction et fondateur : Marc Cheb Sun, marc.chebsun0@gmail.com Rédactrice en chef Web : Maral Amiri, maral.amiri@respectmag.com - 01 56 63 94 52 Rédactrice en chef adjointe technique : Louise Bartlett, louise.bartlett@groupe-sos.org Secrétaire de rédaction : Bernadette d'Ovidio, redaction@presscode.fr Chef de rubrique Agitateurs: Ludovic Clerima, ludovic.clerima@respectmag.com Rédactrice permanente : Aurélia Blanc, aurelia.blanc@respectmag.com Rédacteurs : Fatou Biramah, Rémi Chervier, Charles Cohen, Pascale Colisson, Bilguissa Diallo, Nadir Djennad, Réjane éreau, Wilfried Essomba, David Le Doaré, Karim Madani, Danielle Moraes, Ousmane Ndiaye, Anasthasie Tudieshe, Fatoumata Sakho Stagiaire : Dolorès Bakèla Contributions : Bams, Franco, Prosith Kong, Elsa Ray, Bolewa Sabourin Direction artistique : François Bégnez, francois.begnez@presscode.fr Maquette : Sara Cruz Fernάndez, Françoise Gorge, Martin Laloy, Mickaël Massard (Presscode) Direction photo : Marc Cheb Sun Photographe permanent : Darnel Lindor, darnel.lindor@respectmag.com Photographes : Achac, Damien Carduner, Steve Cute, Yoan-Loïc Faure, Homardpayette, Gauthier Jourdain, Jaouade Lakrouni, édouard Maire, Philip Nenime, Onlyphotos, Johanna Quillet, T. Riol, Omar Sfayhi, Antoine Smith, Tous des K, Wafaa el Yazid Illustrateurs : ElDiablo, Mounir, Hervé Pinel Pôle média Groupe SOS : Guillaume Guitton, guillaume.guitton@groupe-sos.org 01 56 63 94 50 Régie publicitaire : Mediathic Fayçal Boulkout, f.boulkout@groupe-sos.org 06 37 15 34 07 ou 01 56 63 94 58 Lionel Bonneval, lionel.bonneval@groupe-sos.org­ 01 56 63 94 59 Sara Caramel, sara.caramel@groupe-sos.org 01 56 63 94 56 Stagiaires : Aly Bouzwida, Samir Khennouf Partenariats et diffusion : Sandra Grain, sandra.grain@groupe-sos.org - 01 56 63 94 54 Relations presse : redac@respectmag.com Abonnements : Philippe Morlhon, France Hennique, abonnements@respectmag.com - 04 96 11 05 89

Pour un musée des histoires coloniales par Françoise Vergès (politologue), Nicolas Bancel, Pascal Blanchard (historiens), Marc Cheb Sun (journaliste). Extrait.*

U

n lieu pour mettre en contexte et en conversation nos passés, où croiser les mots et les représentations des « peuples autochtones », des esclaves, des colons, des travailleurs migrants dans les colonies, des travailleurs immigrés et de leurs enfants dans l’hexagone, des anciens combattants, des supplétifs des armées coloniales, des harkis, des rapatriés, des bagnards aux colonies, des nouveaux migrants… tous citoyens français, tous ceux sans qui la France ne serait pas la France. Un lieu pour inscrire l’histoire de la société française dans l’histoire globale. Un lieu innovant et nécessaire. Un lieu exemplaire. Un lieu unique dans l’univers muséal européen. Un lieu qui saura s’imposer parmi les grands musées comme une référence, tant au niveau de sa programmation que de sa fréquentation. Un lieu en réseau avec les musées régionaux, les grands musées nationaux et les musées sur des thématiques similaires dans le monde. Un lieu de pédagogie pour les scolaires, de découverte pour les touristes, de rencontres pour tous les Français, d’expression pour les artistes, d’échanges pour des mémoires qui, hier encore, ne se parlaient pas. Le musée du XXIe siècle sera le grand projet culturel, à n’en pas douter, des prochaines années, du prochain quinquennat. Nous défendons aujourd’hui la création d’un espace muséal citoyen, ouvert à tous, où chacun trouvera sa place, pourra débattre et échanger, apprendre et comprendre (...) un véritable espace vivant de nos héritages et du temps présent. *Texte intégral sur www.respectmag.com Soutenu par Jean-Christophe Attias, Esther Benbassa, Pascale Boistard, Ahmed Boubeker, Patrick Chamoiseau, Alexis Corbière, Catherine Coquery-Vidrovitch, Didier Daeninckx, Driss El Yazami, Benoît Falaize, Eric Fassin, Olivier Ferrand, Bariza Khiari, Jacques Martial, Fadila Mehal, Achille Mbembe, Olivier Poivre d’Arvor, Claudy Siar, Benjamin Stora, Christiane Taubira…

Diffusion : NMPP / Presstalis

Tous droits de reproduction réservés. Les articles publiés n’engagent que leurs auteurs. Délégation générale Groupe SOS  102, rue Amelot 75011 Paris Tél. : 01 58 30 55 55 - Fax : 01 58 30 55 79 www.groupe-sos.org Entreprise sociale, le Groupe SOS développe des activités qui concilient efficacité économique et intérêt général. Créé il y a 28 ans, il répond aux besoins fondamentaux de la société : éducation, santé, insertion, logement, emploi… Le Groupe SOS compte aujourd’hui près de 10 000 salariés au sein de 283 établissements et services présents en France métropolitaine, en Guyane, à Mayotte et à la Réunion.

Avec le soutien de

La petite histoire

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Ses origines sont portugaise, chinoise du Cambodge et marrane. Responsable du site de la Zulu Nation France, Jow.L est artiste, rappeur, beatmaker. Coiffé pour la photo par Sara Nasri (thanks), il a croisé la route de Respect mag via Asiatiques de France : www.alakazam-music.com l'émergence. www.zulunation.fr

Prochain Respect mag 16 octobre en kiosque Numéro spécial

Juifs de France

Hier, aujourd'hui, demain

darnel lindor

Gestion et inspection des ventes : Agence AME, 4 rue de Jarente, 75004 Paris N° Vert : 0800 590 593 Terry Mattard, tmattard@ame-presse.com Otto Borscha, oborscha@ame-presse.com Commission paritaire en cours de renouvellement ISSN : 1763-5829. Dépôt légal à parution Imprimé en France par CPI France, Aubin Imprimeur, 86240 Ligugé

Un numéro d’avance… Suite à une erreur technique sur le précédent numéro, Respect mag passe directement du numéro 33 au numéro 35. Pas d’inquiétude, vous n’avez pas manqué le numéro 34, qui n’existe tout simplement pas. Merci de votre compréhension


Sommaire #35

L'envers du gaytto p.54

Religions p.38

Avoir 20 ans p.65

Asian power p.30

Karin Shibata p.46

06

HUMEURS

10

rencontres

10

Blanche et Rokhaya Diallo, des filles de caractère

12

portrait

12

China Moses, chroniqueuse atypique

14

asiatiques de france  : l'émergence

16

150 ans de présence

18

Des clichés au racisme

24

Une intégration « exemplaire » ?

30

Asian power. Citoyenneté, économie, politique... Jeux d'ombre et de lumière

35

L'irruption de la nouvelle génération

38

Comment pratiquer le tao, l'hindouisme ou le bouddhisme en France ?

43

Hip-hop : la fascination Samouraï

45

Thi Thanh et Pang Fan, made in art

48

Sexe et fantasmes : la mentalité coloniale a la vie dure

51

LES Agitateurs

53

Axiom, le rappeur qui « croit en la vie »

54

enquête : homos et quartiers

54

L'envers du gaytto

61

Rap et homophobie

62

L'homonationalisme a le vent en poupe

63

L'humour comme arme

65

Avoir 20 ans

65

Avoir 20 ans à Tunis


Humeurs

question à…

Brigade Anti-Négrophobie

Sihem Souid

Les coulisses d'une guerre invisible

Agent des forces de l'ordre, auteur d'Omerta sur la police et La Suspendue de la république*.

Il y a un an, presque jour pour jour, le collectif Anti-Négrophobie a dévoilé, sans   le   vouloir,   les   coulisses   d’une hypocrisie :   l a   c ommémoration   d e l'abolition de l'esclavage. Nous avons été expulsés à cause de notre T-shirt Brigade / Collectif   Anti-Négrophobie. Cela révèle au grand jour le manque de respect que l'État français témoigne quotidiennement aux Africains et descendants d'Africains déportés. il s'agit clairement d'un racisme d’État. Cette arme   subtile   d'aliénation   massive, dépréciant tout ce qui a trait au monde noir, après avoir créé la gigantesque entreprise criminelle productrice d'esclaves « nègres » à la chaîne. Aujourd'hui, cette même idéologie marginalise, plus subtilement, l'ensemble des Noirs dans les domaines du logement, de l'emploi, de la justice... En nous agressant ce 10 mai 2011, l'État français, par l'intermédiaire de son bras armé, nous a adressé un message clair : « Contentez-vous de ronger l'os qu'on vous lance, sans jamais contester notre discours officiel censé rimer avec l'illusion du pays des droits de l’Homme. » Et quoi qu'en pensent les esprits formatés, mes acolytes et moi-même étions en possession de notre « invitation officielle », nommément adressée par l'ex-président de la République. Ce laissez-passer, provenant des plus hautes sphères de l'État, ne nous a pas épargné les désagréments causés par la suspicion envers notre couleur ébène. Ce que j'ai pu ressentir face à une telle injustice ? Rien du tout. Cette expulsion est à l'image des discriminations raciales quotidiennes qui ont jalonné mon existence. Un Noir, même en possession de sa carte nationale d'identité française, a plus de chance d'être traité comme citoyen à part que comme citoyen à part entière. En témoignent les multiples contrôles au faciès dont nous sommes victimes. Nous ne connaîtrons jamais le respect, ni l'égalité des droits, en dehors des sentiers de la lutte. darnel lindor

En tant que fonctionnaire de police, qu’attendezvous du nouveau gouvernement ?

T. Riol

Je souhaite qu’il travaille davantage sur les questions   d e   d iscrimination dans la police nationale. Même si ce type de comportement reste minoritaire, il porte atteinte aux valeurs républicaines. On ne peut pas demander aux citoyens d’être exemplaires, de respecter leurs voisins quelles que soient leurs origines ou leurs orientations sexuelles, si nous ne le faisons pas. Je me suis battue pour que Claude Guéant mette en place une cellule de lutte contre les discriminations. Ce travail de prévention serait instauré dès l'école de police afin d’y sensibiliser les jeunes officiers. Des agents traitent, soi-disant pour rire, leurs collègues de « bougnoule ». Beaucoup de bavures policières sont d'ordre discriminatoire. Les coupables sont rarement sanctionnés. Souvent, celui qui dénonce est puni. On m'a saisi six mois de salaire après les révélations que j'ai faites. Mes supérieurs parlaient de « manquement au devoir de réserve ». Le corporatisme gangrène notre police. Travailler sur ces questions permettrait de restaurer le lien entre policiers et citoyens. Je n'accepte aucun débordement. J'aime la police et je la veux exemplaire. Propos recueillis par Ludovic Clerima *Éditions Le Cherche-Midi

Franco, porte-parole du collectif Anti-Négrophobie

Côté gauche

damien carduner

Une victoire inachevée ?

8 RESPECT MAG n°35

La gauche sort de 17 longues années où la droite s’est assumée dans des idées de plus en plus radicales. La nouvelle droite n’est plus celle du gaullisme. Il n’y a qu’à comparer la chiraquie, droite de Tulle, avec le sarkozysme, made in Neuilly. Aujourd’hui, Sarkozy a perdu mais la droite décomplexée a gagné. Ces élections n’ont pas permis la naissance d’une gauche qui, elle-même décomplexée, parlerait des questions ethnoraciales sans, pour autant, leur accoler le thème sécuritaire. Une gauche qui évoquerait les quartiers populaires sans renvoyer les gens à la question de leurs origines. La campagne électorale nous laisse un goût d’inachevé. Mais ce nouveau quinquennat nous fait espérer l’avènement d’une gauche 2.0, qui saura remettre les citoyens en mouvement. Aujourd’hui le sarkozysme, qui se fondait sur le diviser pour mieux régner, a perdu. Espérons que le hollandisme se fondera sur le rassembler pour mieux gouverner. Elsa Ray et Bolewa Sabourin, membres de Cités en Mouvement


DOSSIER

: asiatiques de france  l'émergence

power p. 30 150 ans de présence p. 16 / Asian s p. 47 Culture p. 42 / Sexe et fantasme

asiatiques de france

l'Emergence

Une grande diversité d’origines et de migrations, post-coloniale pour certains, économique ou politique pour d’autres. L'affirmation d’une créativité ancrée dans les mouvements urbains, d’une citoyenneté. La confrontation aux durs visages de l’exclusion, celle des sanspapiers notamment. L’émergence, aussi, d’un investissement qui se nourrit de débrouille, de solidarité, ou d’appétit entrepreneurial. L’amorce, enfin, d’une visibilité politique... Le cheminement d’une pluralité qui se heurte au cliché du « péril jaune », un épouvantail qui revient en force au centre de nos sociétés. Marc Cheb Sun Responsable du site de la Zulu Nation France, Jow.L est artiste, rappeur, beatmaker. Photo : Darnel Lindor

14 RESPECT MAG n°35


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DOSSIER de france : es u q asiati l'émergence

150 ans de prEsence

Chinois de France

DARNEL LINDOR

Une mosaique sur un socle commun Tournage du film Shanghaï-Belleville.

DARNEL LINDOR

Principalement structurés autour de trois communautés, les Chaozhou (appelés aussi Teochiu), Wenzhou et Dongbei évoluent entre refus des clichés, dynamisme économique et nouvelle citoyenneté. Trois points de vue.

Maryline Zheng Association des jeunes Chinois de France, créée en 2009 Quels sont les clichés que vous entendez le plus ?

« Appartements-raviolis, vendeurs de nems ou de produits bas de gamme, espions »… On souhaite agir pour casser cela. La maîtrise de la langue et l’éducation permettent de combler le manque culturel de nos parents. Nous sommes leurs voix. Quelles sont vos actions ?

Surtout du soutien scolaire et de la communication. Les jeunes nés en France 24 RESPECT MAG n°35

comme moi ont besoin d’un coup de pouce. Leurs parents ne peuvent pas souvent les aider. Les études supérieures sont l’un des problèmes majeurs. À 18 ans, les parents demandent aux enfants d’entrer dans la vie active ou d’aider à gérer les affaires familiales. J’ai envie de remédier à cette désaffection pour l’enseignement supérieur. Il y a un manque d'information. Nous compensons par l'expérience, mais l’éducation est la voie royale pour s’intégrer et monter dans l’échelle sociale. Des manifestations contre l’insécurité ont eu lieu en juin 2010 à Belleville. On entendait peu parler de ces agressions avant…

Il y a eu un ras-le-bol. La génération de mes parents n’osait pas en parler. Ce n’est pas une situation si nouvelle, même si la fréquence et la brutalité ont augmenté. Les jeunes générations s’expriment et se montrent. Quelles sont les victimes de ces agressions ?

Tout le monde est touché, les jeunes comme les vieux... Et les agresseurs ?

Je refuse d’alimenter la haine. C’est le fait de délinquants, de voyous. La manifestation n’était pas contre les autres communautés. On voulait juste défendre notre tranquillité contre la délinquance en général.

Quelle est la priorité pour les jeunes ?

Réussir ses études, sortir de la ghettoïsation professionnelle (restaurateur, tenancier de bar-tabac), occuper les professions libérales et intellectuelles telles que le journalisme, la magistrature… Cela se produira avec les générations à venir. Les élites politiques asiatiques émergent doucement. Recueilli par Maral Amiri

Et les Chinois d'outre-mer ? Depuis le XIXe siècle, des Chinois vivent dans les territoires d’outre-mer. Notamment à La Réunion, où les Sinwa, originaires du sud de la Chine, sont imprégnés d’une culture créole et française. Pour la plupart commerçants, ils entretiennent peu de liens avec la Chine, même si certaines associations militent désormais pour la promotion et la transmission de la culture chinoise sur l’île. Schéma similaire à Tahiti, où les Hakkas se fondent dans une société polynésienne à caractère pluriethnique. Charles Cohen


DARNEL LINDOR

Entre business, vie associative et implication politique à l’UMP Pourquoi créer le Conseil représentatif des associations asiatiques de France ?

Après 40 années de présence sur le territoire national, nous Chenva Tieu avons acquis une certaine maturité politique. Nous sommes Français. Nous avons compris comment fonctionne la République. Nous voulons être plus actifs et mieux représentés. Depuis que la Chine est un pays fort, nous entretenons des échanges économiques intenses. Beaucoup de Français pensent que cette relation est préjudiciable à leur industrie, d’où la tension qui existe sur ces sujets. Les Chinois essaient de corriger ce « déséquilibre » afin de ne pas avoir une « mauvaise réputation. » La discrimination est-elle une réalité ?

La discrimination est évidente. L’insécurité au quotidien alarmante, notamment dans les zones urbaines. Nous observons, depuis deux ou trois ans, une montée effroyable du nombre d’agressions dont sont victimes les Chinois. Surtout à Paris. On les croit riches. Comme s’il y avait toujours un butin à amasser après une agression. C’est un terrible préjugé. La communauté chinoise est-elle unie ?

Il existe un socle civilisationnel commun mais la réalité quotidienne est très différente. La Chine est une mosaïque, une fédération d’ethnies. Malgré 2 000 ans de confucianisme, personne ne se ressemble. Existe-t-il des mariages mixtes ?

On en constate beaucoup entre Asiatiques et Français. Chez les Chinois de Chine populaire, la mixité est rare. On voit plus de mélange chez les migrants de l’Asie du Sud comme les Vietnamiens ou les Cambodgiens. Des progrès à faire en matière de vivre ensemble ?

Les choses évoluent dans le bon sens. Il faut laisser le temps aux gens de s’installer. On l’observe chez les primoarrivants. Ils ne sont pas volontairement fermés, juste pas assez stables socialement. Tant qu’ils ne se sentent pas établis, ils auront besoin de rester dans la communauté. Les Chinois sont-ils victimes de « clichés positifs » ?

Ils bénéficient incontestablement d’un capital de sympathie. Les raisons en sont assez simples : pour eux, la France est une terre de liberté. Ils lui sont très reconnaissants. C’est là qu’ils souhaitent planter leurs racines. De plus, les Asiatiques possèdent une valeur fondamentale : le travail. Dans leur esprit, ce n’est pas une aliénation, mais une émancipation. La conjugaison de ces deux facteurs fait que les choses se passent plutôt bien. Cependant, la Chine fait toujours peur. On parle de « péril jaune » (cf. l’affaire d’espionnage chez Renault). Sans compter que les médias entretiennent les clichés. Recueilli par Maral Amiri


150 ans de prEsence

DARNEL LINDOR

DOSSIER de france : es u q asiati l'émergence

Donatien Schramm président de l'association Chinois de France-Français de Chine La réalité aujourd’hui ?

Les Dongbei sont arrivés récemment. Une majorité de femmes d'un certain âge, venues des grandes villes. Elles fuient le chômage – officiellement inexistant en Chine – qui frappe l'industrie textile et sidérurgique, principal employeur des femmes. Elles arrivent avec, en tête, l'histoire des Wenzhou, des paysans qui ont réussi. Sauf que personne ne les accueille. Elles se retrouvent souvent dans une grande précarité, nounous dans des familles chinoises d'expatriés ou de gens

qui connaissent ces réseaux. Elles font la vaisselle et le ménage 24 h sur 24, veillent sur les enfants, les emmènent à l'école. En échange, elles sont nourries, logées, parfois blanchies, et gagnent un peu d'argent, environ 700 euros. Sur cette somme, elles envoient l'équivalent du salaire moyen mensuel chinois à leur famille restée au pays, aux alentours de 200 euros. Elles laissent croire qu’elles sont devenues riches, ce qui suscite de nouvelles vocations, et ne racontent pas la réalité de leur condition en France. Certaines bossent dans des magasins, des restaurants chinois, aux postes les plus durs, jadis beaucoup plus souvent occupés par les Africains et les Pakistanais. Les Wenzhou, présents depuis longtemps, ont acquis la nationalité française. Qu’en est-il de la prostitution ?

Les femmes se font aborder en permanence et n'en peuvent plus. Comme le souligne ma femme : « Pour eux, on est toutes des prostituées. On cuisine des raviolis et on file notre argent à la mafia ». Je ne dis pas que la mafia n'existe pas, mais tous les Corses ne sont pas des bandits. C’est pareil pour les Chinois. La mafia, adossée aux bars-tabac ?

Des rumeurs sans fondement. C'est juste du travail, de l'entraide, de la mise en commun d'argent. Le bar-tabac est un des secteurs très rentables. Les Chinois

sont fumeurs et joueurs ! L'un d'eux s'y est mis et ça a créé un effet boule de neige chez les autres. Pour tenir un bartabac, il faut la nationalité française. Donc, ça concerne une petite frange des Chinois. Seuls ceux installés en France depuis un moment, et qui n'ont pas nécessairement investi dans les études, profitent de l'expérience de la famille. C'est rassurant et ça facilite les choses. Les agressions à Belleville ?

Les tensions ne sont pas intercommunautaires. Il y a un problème social. C'est un quartier très pauvre et en même temps très bobo. Il y a une vraie fracture entre un Belleville populaire et un autre, plus riche. Les manifestations ? Tout est parti d'une pétition. Les manifs ont fait bouger les choses, on ne peut pas le nier. Mais je ne cautionne pas tout. Notamment l'aspect sécuritaire. Une prise de conscience a pourtant eu lieu. Les Chinois se sont rendu compte qu'ils devaient mieux se faire connaître, aller à la rencontre des gens... Mais ils ne savent pas comment. Lors des premières manifestations, en 2010, l'ambassade de Chine a mis son grain de sel et imposé ses relais. En 2011, une manif anniversaire a eu lieu, mais l'ambassade n'est plus intervenue. Les faits de délinquance ont repris, et les associations se sont aperçues qu'elles avaient été manipulées par les relais de l'ambassade. Recueilli par Maral Amiri

Quartier de Belleville, Paris. Liwei, jeune Chinois débarqué de Croatie, fait la connaissance d’un autre clandestin, M. Zhou, qui s'échappe de l'atelier où il travaille. Les deux hommes partent à la recherche de Gine, mystérieusement disparue alors qu'elle tentait de rejoindre l'Angleterre. Avec ShanghaïBelleville (sortie prévue à l’automne 2012), la documentariste taïwanaise Show Chun Lee, en France depuis 20 ans, signe son premier long-métrage. « Je filme la vie des clandestins à Paris depuis 1997. Aujourd'hui, je n'arrive plus à faire entrer une caméra chez eux, ils ont peur des réseaux mafieux et des médias. La fiction est le seul moyen de continuer mon travail. » Dans son film, des femmes se prostituent pour faire vivre leur famille restée en Chine et croisent les « Pokémons », des jeunes à l'aise avec leur double culture, mais aussi des mafieux, des fantômes et des ouvriers sans-papiers... Un peu cliché ? « Non, assure Alice Yin, qui joue le rôle de Meiline. Le scénario fait écho à une réalité. Bien sûr, nous ne sommes pas tous clandestins, mais ces derniers vivent des situations très dures. Ils se cachent ». Anthony Pho, alias Liwei, espère que Shanghaï-Belleville sera diffusé en Chine. « Beaucoup croient encore que la France, c’est l’Eldorado, alors que c’est bien la galère à l’arrivée ». Maral Amiri

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DARNEL LINDOR

Le Belleville de Show Chun Lee


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DOSSIER france : e d es u q asiati l'émergence

Mai Lam N'Guyen-Conan

France, terre d’amour ? Les histoires d'A finissent mal, en général. Mai Lam N'Guyen-Conan a tout pour démentir les paroles enragées de la Ringer. La preuve par son livre : Français, je vous ai tant aimés. L'impossible intégration ?* Avec un titre pareil, impossible de ne pas filer la métaphore amoureuse. Le pitch : son kif à elle, ça a longtemps été la France. Mais un jour, elle s'est lassée. Marre d'aimer à sens unique et de penser que, même pas réciproque, ça reste de l'amour. Pourtant, tout avait assez bien commencé. Arrivée à sept ans en France, la jeune Mai Lam n'a pas eu d'autre choix… Tombée en amour pour son pays d'accueil ! « La libération de Saïgon a poussé mes parents à partir ». Ils accostent comme réfugiés de guerre en Normandie, à Hérouville SaintClair. Coïncidence ? Une fois débarqués, le topo est le suivant : partie avec rien, elle reçoit tout, trop. « Une générosité incroyable s'est organisée. Je suis allée en vacances, j'en ai des souvenirs merveilleux. J'ai découvert la nourriture française. J'ai même 40 RESPECT MAG n°35

vécu en famille d'accueil, pour “m'intégrer” davantage ». La blessure originelle. Il a fallu beaucoup de temps pour mettre un mot sur cette plaie. « On m'a séparée en deux pour “me donner toutes les chances”. Le français, c'est ce qui était bien, le vietnamien, c’était le mal. » Alors oui, pour se construire comme ça, prière de s'accrocher.

On ne naît pas français, on le devient

Résultat : Mai Lam n'a quasiment pas de relations avec sa famille de sang. « On n'est pas vraiment proches. Je ne comprendrai jamais pourquoi on m'a séparée d'eux. Ça faisait partie du plan de générosité. Même si c'était trop, même si ça n'était pas logique, il fallait dire merci. » La jeune fille apprend à – mot terrible – « gommer les saillances

ethniques ». Pur produit républicain, elle fait Sciences Po, voie royale pour futurs administrateurs et autres entreprenants de choc. Et c'est dans le marketing qu'elle trouvera son chemin. Au bout de l'absurde, la relation avec cette France, qui la veut et la refuse, finit par l'épuiser. Assez de se cacher pour manger vietnamien, malade du poids de cette dette, d'avoir à se sentir redevable de tant de bienveillance. « J'avais un rapport obsessionnel à mon identité, à ma double culture. Je me suis rendu compte que je ne serai jamais la Française telle qu'on la voulait. Le fameux débat sur l'identité nationale a marqué une rupture. » Un séjour au Viêtnam sera nécessaire pour la remettre sur pied. « J’ai eu besoin de me retrouver moi-même pour m'apaiser ». Ce voyage lui permet de renouer avec son pays d'origine, sans l'idéaliser pour autant.

Coming out de la diversité

Finalement apaisée, ayant retrouvé son unité, Mai Lam dresse un portrait sans concession d'un être à qui on ne dicte pas son appartenance. « Ce n'est pas un bouquin à la Rachida Dati. En réalité, le titre est un contrepied. Le discours amoureux sur l'intégration m'est devenu insupportable, je l'ai repris à mon compte pour le détourner. L'intégration n'est pas un processus linéaire, une route à suivre pour les plus méritants, avec un début et une fin. Ça évolue chaque jour. Ce que je souhaite, c'est pouvoir dépassionner ce concept. » Pari réussi. À ceux qui crieront à l'impudeur, ce récit à forte teneur biographique va loin dans le parcours de la jeune femme, pour mieux tendre à l'universel. Et ça fonctionne vraiment, faites le test, vous verrez. Dolorès Bakèla *Paru en avril dernier aux éditions Michalon.

Racines mobiles Enseignante, chargée de mission pour des projets culturels, Mai Lam a pas mal bougé. Paris-Hanoï (entre autres), Arles désormais. Là, elle travaille pour l'École de photographie, organisatrice de Rencontres d'art bien connues. En août prochain, elle partira rejoindre son époux, en poste à Jérusalem. Ses deux bambines sous le bras. Mai Lam se réenracine où elle veut, quand elle veut, pour le temps qu'elle veut. Une femme libre, quoi. D.B.


ENQUETE

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RTIERS HOMOS ET QUA


Double discrimination

l’envers du gaytto

Entre homophobie et racisme, pression sociale, exotisme et volonté d’émancipation, les homos des quartiers populaires tracent leur route. Des parcours parfois chaotiques, toujours singuliers, pour conquérir sa place dans la société. n « enfer » qui fascine. Depuis près de dix ans, journaux et télévisions pointent régulièrement l’homophobie « en banlieue ». Rentrée 2009, l’engouement atteint son paroxysme. Deux livres passionnent les rédactions : Homo-Ghetto, gays et lesbiennes dans les cités : les clandestins de la République, de Franck Chaumont (1), et Un homo dans la cité. La descente aux enfers puis la libération d’un homosexuel de culture maghrébine, de Brahim Naït-Balk (2). Témoignage après témoignage se dessine le calvaire des homos « de cités », qui seraient victimes de l’homophobie la plus terrible. Épineuse réalité ou déformation médiatique ? Aucune étude sérieuse n’a été menée. En 2005 et 2006, SOS Homophobie a, certes, consacré un chapitre aux banlieues dans ses rapports. Un focus réalisé grâce à 27 témoignages récoltés en 2004 (soit 2 % des cas), et 37 l’année suivante (soit 3 % ). Pas vraiment significatif. Mais « spécifique » selon l’association : en banlieue, 46 % des actes homophobes impliquent des agressions physiques, contre 12 % pour l’ensemble des cas. « L’homophobie n’est pas moins violente dans les couches dominantes de la société, elle est moins visible. Dans le XVIe, des parents qui apprennent l’homosexualité de leur fils l’envoient chez le psychiatre pour

le “guérir”. Ce qui vous casse le cerveau. En banlieue, on va vous casser la gueule. Quant au harcèlement homophobe dans l'entreprise, il peut vous conduire à la dépression. Et là, ce ne sont pas les jeunes de banlieue qui sont en cause », analyse Louis-Georges Tin, initiateur de la Journée mondiale contre l’homophobie et président du Conseil représentatif des associations noires (Cran). Violences « Le fait que la société française n’accorde pas les mêmes droits aux homosexuels accrédite l’idée qu’ils sont inférieurs », estime Caroline Mécary. Animatrice du Réseau d'aide aux victimes d'agression et de discrimination (Ravad), l'avocate a ainsi défendu

vécu un cauchemar. Il a 22 ans lorsqu'il emménage aux 3 000 à La Courneuve (93). « Le bruit a couru que j’étais PD. Un soir, j’ai été interpellé par cinq ou six jeunes de 25-30 ans. Ils m'ont agressé sexuellement dans une cave. Après ça, d’autres garçons m'ont interpellé, souvent ». Derrière l’homophobie affichée, la misère sexuelle. Porter plainte ? Pas question. « J’habitais le même quartier que mes agresseurs, répond-il. Je ne voulais pas que mon homosexualité se sache. Et au fond, je me disais que je méritais ce qui m’arrivait ». Tabous Pour Franck Chaumont, journaliste et ancien directeur de communication de Ni putes ni

« Mes parents ne me posent pas de questions… Je n’ai donc pas eu à mentir ! » MOHAMED

pour SOS Homophobie « un jeune homosexuel laissé pour mort dans un parc à Vitrysur-Seine (94). Et Cynthia et Priscilla, qui ont dû déménager de leur cité d’Épinay-sur-Seine (91) après avoir été harcelées ». Insultes, coups… et viols, parfois. Aujourd’hui président du Paris foot gay, Brahim Naït-Balk a

soumises, aucun doute : il existe une communauté homosexuelle à deux vitesses. « D’un côté, les homos des centres-villes ; de l’autre ceux des banlieues, des cités [où] on se planque par peur, écrasé par mille pressions – familiales, culturelles et sociales » (3). Ces homosexuel(le)s, défend-il, « vivent dans des quartiers où RESPECT MAG n°35 55


SPECTACLE

L’humour comme arme Homos sur scène ou à la ville, des humoristes bousculent les stéréotypes et secouent leur public.

dARNEL LINDOR

« Par le rire, on peut tous se mettre d'accord. » Shirley Souagnon

P

as de quartier pour les clichés ! Depuis trois ans, Majid Berhila et Hugues Duquesnes incarnent « Les lascars gays ». Sujet explosif, désamorcé avec humour par les deux comédiens. À l’origine de leur spectacle ? Une rencontre… et des préjugés. « Dans une soirée, il y avait un mec qui nous matait sévèrement. On s’est dit : “il va y avoir bagarre”. En fait il m’a tapé sur l’épaule en me disant : “Il est pas mal ton blouson”. C’était un lascar gay. Un personnage très attachant », raconte Hughes Duquesnes. Quelque temps après, le spectacle est sur pied. Malgré la réticence des programmateurs, tétanisés à l’idée de faire se rencontrer homos et banlieusards. Dans le public pourtant, la mixité est là. Les univers se mélangent. « On bouleverse les codes et les étiquettes, les gens sont surpris », expliquent les humoristes. S’ils campent des lascars gays, les deux comédiens n’abordent pas frontalement la question de l’homosexualité en banlieue. Leurs personnages refont le monde et discutent amour, musique ou politique. Sans prise de tête. « Des mecs

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de banlieues comme ça, qui le vivent bien, j’en connais », confie Majid Berhila. Tout en rappelant qu’ils sont « victimes de la double peine », parce que gays et banlieusards. Du vécu ? « Ça, ça fait partie de notre vie personnelle, esquivent les comédiens. On s’en fout de savoir si on est gays, si on est lascars… ». Barrières À l’inverse, l’humoriste Shirley Souagnon a choisi de révéler son homosexualité, mais n’aborde jamais le thème dans son spectacle Sketch’up. « Je n’en ressens pas le besoin, dit-elle simplement. Quoique je commence à avoir des histoires assez marrantes à raconter, donc je vais sûrement finir par en parler ! » Un frein, l’orientation sexuelle ? « Non, surtout dans le milieu du spectacle, répondelle. Après, dans ma vie, il m’est arrivé de susciter quelques réactions homophobes… mais pas plus que des réflexions racistes ». Métisse, lesbienne… Shirley Souagnon fait sauter les frontières. « La société crée beaucoup de barrières, estime-telle. Mais par le rire, je crois qu’on peut tous se mettre d’accord ». Aurélia Blanc



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