Respect mag 42

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GRATUIT LE MAGAZINE DIVERSITÉ

NUMÉRO 42

automne 2014

SUPPLéMENT

Gaëlle Mignot

Le rugby en première ligne

Tribune à Michel Onfray et Edgar Morin

Ne plus s’excuser d’être soi

dossier Religion, origines, sexe, handicap, diversités…

QUAND L’HUMOUR BOUGE LES LIGNES

Roschdy Zem

Christine and the Queens

« La double culture est une richesse incroyable »


LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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MOTIVER

Lettre de Julia Kristeva à Jacques Chirac Intellectuelle à la renommée aussi célèbre que les disciplines qu’elle embrasse sont multiples - psychanalyse, philosophie, linguistique…-, Julia Kristeva est à bien des égards l’une des grandes intellectuelles françaises. Cette hongroise d’origine, mère d’un garçon en situation de handicap, a mobilisé ce puissant savoir pour adresser en 2003 une lettre au président de la République. Les premiers Etats généraux du handicap ont été organisés dans la foulée, en mai 2005, aboutissant à une loi qui reconnaît le principe de la « compensation », avancée décisive mais incomplète encore.

« […] Il me paraît important de s’attarder sur ce moment particulier où la « question du handicap », pour périphérique qu’elle puisse paraître, se place cependant au centre de l’intérêt public, car elle transforme notre vision de l’humain et du contrat démocratique, et ouvre la voie à un nouvel humanisme. […] La société n’a pas à « répondre aux besoins », encore moins à « réparer » des « mécanismes », physiques ou psychiques en panne. Elle n’a même pas à se « faire peur » en incitant chacun à se convaincre — « Je dois être solidaire, car ça peut m’arriver un jour, à moi ou aux miens ». Plus ambitieusement et plus radicalement, la société se compose de modes d’être différents, et la vie se conjugue au pluriel. […] À ne pas vouloir entendre cet appel à la reconnaissance des autres et de l’autre

en nous, nous ne faisons pas que les exclure de l’humanité, nous nous en excluons nous-mêmes. […] Le ou la handicapé(e) ne sont pas des « exclu(e)s » comme les autres ; car, plus que d’autres « exclus » (par exemple, ceux qui le sont en raison de leurs différences d’ordre économique, culturel, ethnique ou religieux), ils nous confrontent à l’angoisse de notre propre vulnérabilité. […] Et si, au lieu de parler précisément de le « prendre en charge », le handicap nous aidait à réinventer le lien social ? »

Des Lettres est la première maison d’édition consacrée au genre épistolaire, qui anime le site www.deslettres.fr et publie des ouvrages épistolaires. (Re)découvrez les plus belles pepites du genre épistolaire !

« Lettre au président de la république sur les citoyens en situation de handicap, à l’usage de ceux qui le sont et de ceux qui ne le sont pas » de Julia Kristeva © Librairie Artheme Fayard 2003

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édito

Gilles Dumoulin (1961 - 2014) Dirigeant de Presscode, qui a accompagné les aventures du GROUPE SOS et de ses éditions pendant 30 ans.

© darnel lindor

Merci Gilles

N° 42/automne 2014/GRATUIT

Valérie Aider

80, rue de Paris — CS 10025 93 108 Montreuil

Rédactrice en chef

Courriel : redac@respectmag.com Internet : www.respectmag.com Directeur de publication : Jean-Marc Borello : jmb@groupe-sos.org Éditeur : Groupe SOS / Insertion et Alternatives Directeur général : Valère Corréard : valere.correard@groupe-sos.org Rédactrice en chef : Valérie Aider : valerie.aider@groupe-sos.org Rédacteurs : Valérie Aider, Patrick Cœuru, Alexandra Luthereau, Noémie Fossey-Sergent, Célia Coudret, Émilie Gilmer, Matthieu Windey, Jean-Michel Girand, Louise Pluyaud Réalisation : www.presscode.fr Direction artistique : Floriane Ollier : floriane.ollier@presscode.fr Maquettistes : Nicolas Naudon, Floriane Ollier, Christophe Coumrouyan, Peggy Moquay Photographes : Jean-Michel Girand couverture : Marcel Hartmann Illustrations : Peggy Moquay Communication et partenariats : Stéphanie Veaux : stephanie.veaux@groupe-sos.org Anola Balthazar : anola.balthazar@groupe-sos.org 01.56.63.94.59 Développement : Pierre Pageot Ressources : Marine de Percin. Régie publicitaire : Mediathic/Respect éditions Chef de publicité : Pierre Pageot : pierre.pageot@groupe-sos.org 01 56 63 94 56 Assistant : Maxime Soussan : maxime.soussan@groupe-sos.org Responsable des relations presse : Stéphanie Veaux : stephanie.veaux@groupe-sos.org Abonnements : France Hennique abonnements@respectmag.com — 04 96 11 05 89

« Nos cahiers, nos crayons sont nos armes » e 09 octobre 2012, le monde entier découvre l’existence de Malala Yousafzai, jeune pakistanaise pachtoune. En lutte contre ceux qui refusent que les filles de son pays aient une formation scolaire, la jeune collégienne vient de recevoir une balle dans la tête, victime d’un attentat taliban, dans le bus qui la menait à son collège. Nous l’avons alors tous suivie, sur cette route qui l’a conduite jusqu’en Angleterre, à Birmingham, où elle fut soignée et prise en charge. Opération délicate, suite opératoires difficiles… Rien n’aura eu raison de son engagement. Une fois n’est pas coutume, je tenais à saluer le courage de cette petite fille, devenue l’adolescente de 17 ans qui disait, en 2012, après avoir reçu le prix Sakharov, « nos cahiers et nos crayons sont nos armes ». Vendredi 10 octobre, Malala Yousafzai est consacrée prix Nobel de la paix, aux côtés de l’indien Kailash Satyarthi, un disciple de Ghandi également engagé pour la défense des enfants. Récompensés par le comité norvégien pour « leur combat contre l’oppression des enfants et des jeunes et pour le droit de tous les enfants à l’éducation », ils reçoivent leur prix Nobel de la Paix, à Oslo, le 10 décembre. Rimbaud avait tord , on peut être très sérieux quand on a 17 ans.

ISSN : PROV007781. Dépôt légal à parution Impression : Imprimé en France par Aubin imprimeur Distribution : Presse Pluriel Tous droits de reproduction réservés. Les articles publiés n’engagent que leurs auteurs. Impression réalisée sur papier PEFC

Avec le soutien de :

Groupe SOS  102, rue Amelot - 75 011 Paris Tél. : 01 58 30 55 55 — Fax : 01 58 30 55 79 www.groupe-sos.org Avec 12 000 salariés et 350 établissements, le Groupe SOS est une des premières entreprises sociales européennes. Depuis près de 30 ans, il met l’efficacité économique au service de l’intérêt général. Il répond ainsi aux enjeux de société de notre époque en développant des solutions innovantes dans ses cinq cœurs de métier : jeunesse, emploi, solidarités, santé, seniors. Chaque année, les actions du Groupe SOS ont un impact sur plus d’un million de personnes.

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sommaire

SOMMAIRE LE MAGAZINE DIVERSITÉ

3 motiver

Lettre de Julia Kristeva à Jacques Chirac

8 l’interview

respectable

© julien berger

Automne 2014

18 dossier

Roschdy Zem

« La double culture est une richesse incroyable »

12 écouter

Christine and the queens

14 regarder Géronimo

Religion, origines, sexe, handicap, diversités… QUAND L’HUMOUR BOUGE LES LIGNES

16 s’interroger On va chez toi ?

26 entreprendre

Gaëlle Mignot,

Comment échanger savoirs et compétences entre générations ?

rugby(super) woman

28 apprendre

Les chiffres de la pauvreté

30 entreprendre

27 SUPPLéMENT

Bellamoto : le défi d’une bikeuse

32 c omprendre

J’ai arrêté de focaliser sur mon handicap Manager le handicap avec les Serious Games Handicap invisible, difficultés d’emploi visibles

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45 S ALONS, FESTIVALS & expos

47 s’interroger J’ai deux papas, et alors ?

48 Beautés… d’automne 50 partager

Le couscous de Fadila

Tout ce que vous croyez savoir sur… Les intermittents

34 c omprendre Le télétravail, une opportunité pour les travailleurs handicapés ?

44 r encontrer

Breakfast diversité

tribunes

Les liaisons dangereuses des intellos ?

36 A pprendre vivre ensemble

Gardez vos distances !

38 découvrir

Viens chez moi, j’habite dans le 9.3

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l’interview

© jean-michel girand

respectable

Roschdy Zem

« La double culture est une richesse incroyable » Avec Bodybuilder qui sort cet automne et Chocolat dont le tournage commence en janvier, l’actualité ciné de Roshdy Zem est riche de réalisations. Deux films que tout semble opposer: les époques, le décor, les acteurs. Si ce n’est le thème de la différence, chère à l’acteur et réalisateur, chouchou du cinéma français. Rencontre. LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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Réalisation de « Le clown Chocolat » avec Omar Sy et James Thierrée.

2015

Bodybuilder, le film que vous avez réalisé qui sort cet automne se déroule dans l’univers du culturisme. Pourquoi ?

Prix d’interprétation masculine, partagé avec ses partenaires, à Cannes pour le film « Indigènes » de Rachid Bouchareb. Sortie de « Mauvaise foi », son premier long-métrage en tant que réalisateur.

2010

« Hors-laLoi » de Rachid Bouchareb.

2011

Réalisation de « Omar m’a tuer ».

2014

Acteur dans « Bird people » de Pascale Ferran et « On a failli être amies » d’Anne Le Ny. Sortie de Bodybuilder, son troisième film en tant que réalisateur.

Beaucoup de choses sont fascinantes dans le bodybuilding. Comme la volonté de transformer son corps, de le construire à coup d’entraînements intensifs et de douleur, de mener cette quête vers une perfection qui n’existe pas. Mais aussi la contrainte et la privation de tous les plaisirs que la discipline suppose. Les bodybuilders s’impliquent de façon totale pour obtenir une place sur un podium. Sans rien à gagner ni financièrement ni en termes de notoriété. C’est une démarche qui ne peut pas laisser indifférent. Surtout à notre époque. Toutes ces choses-là m’ont séduites et me semblaient être un contexte intéressant pour mon film qui raconte la rencontre entre un père et son fils qui ne se connaissent pas.

2006

Aviez-vous des préjugés sur les bodybuilders avant de commencer le film ?

1987

Naissance à Gennevilliers (92).

1965

En tant que fils d’immigrés, ces thèmes ne peuvent pas me laisser insensible. Quand on est différent on est souvent ostracisé, mal compris, pas accepté. Conséquence, on se ghettoïse comme dans le bodybuilding par exemple. Aujourd’hui les culturistes sont une tribu, avec ses propres codes, ses propres lan-

DATES CLÉS

Les films que vous réalisez (Mauvaise foi, Omar m'a tuer, Bodybuilder et bientôt Chocolat) évoquent tous la différence, les préjugés, les mondes opposés. Des thèmes importants pour vous ?

Figuration dans « Les Keufs » de Josiane Balasko.

1991 et 1993

« J’embrasse pas » et « Ma saison préférée » d’André Téchiné.

2002

Rôle de Frère Jean dans « Chouchou » de Merzak Allouache.

2005

« Va, vis et deviens » de Radu Mihaileanu.

Evidemment, je n’échappe pas à ça, j’avais les mêmes préjugés que monsieur et madame tout le monde. Mais ces a priori se sont effacés naturellement en les approchant, en les découvrant, en gagnant leur confiance. Ces athlètes ont une puissance extraordinaire, rien à voir avec la gonflette. Ils connaissent l’anatomie sur le bout des doigts mais aussi la nutrition, ce que chaque élément peut procurer au corps. Ils sont tout sauf des abrutis ! J’ai découvert des gens animés par la passion qui, souvent, comblent un vide ou une forme de misère mais pour laquelle ils ont trouvé un substitut.

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l’interview respectable

« Faire changer de regard, faire changer les mentalités, c’est le souhait de tout metteur en scène »

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© jean-michel girand

Bonus vidéo de l’interview


gages. Avec ce film j’ai aussi voulu pointer du doigt ce fléau qui fait que l’humain a du mal à accepter, à recevoir, à comprendre celui qui ne lui ressemble pas.

Justement votre histoire et celle de vos parents, que vous ont-elles apporté ? Après la période déstabilisante qui est celle pendant laquelle on se cherche, je me suis rapidement rendu compte que la double culture est une richesse incroyable. À partir du moment où on accepte les deux. J’ai eu la chance d’avoir été bien entouré, très aimé, ça m’a beaucoup aidé. Aujourd’hui j’assume ce que je suis sans le revendiquer non plus. Je crois qu’être seulement Marocain, ça ne m’aurait pas suffi et être Français n’aurait pas été assez.

Chocolat, votre prochain film, relate l’histoire de Rafaël Padilla, le premier artiste Noir français, vedette dans un duo comique au tout début du XXe siècle. Qu’estce qui vous a plu dans ce projet et dans ce personnage, le « Clown Chocolat » ?

Coup de cœur association Roschdy Zem soutient Un cœur pour la paix. Cette association composée de médecins israéliens et palestiniens a pour mission le financement des opérations d’enfants palestiniens nés avec une malformation cardiaque congénitale. La formation de médecins cisjordaniens et palestiniens au dépistage de ces maladies fait aussi partie de ses objectifs. Chaque année environ 300 enfants palestiniens naissent avec ces malformations, principalement dues à la fréquence des mariages consanguins (46 %). Un cœur pour la paix entend donner le même accès aux soins chirurgicaux cardiaques à tous les enfants, quelle que soit leur confession. www.uncoeurpourlapaix.org

“l’humain à du mal à accepter, à recevoir, à comprendre celui qui ne lui ressemble pas”

On m’a proposé ce projet de film, j’ai lu une première version du scénario, et en allant un peu plus loin dans l’histoire je me suis pris de passion pour ce personnage. Rafaël Padilla était esclave à Cuba. Il a été vendu à un maître portugais puis s’est retrouvé à Paris. Il y est devenu une star. Il a été peint par Lautrec, il a eu sa statue au musée Grévin. Et puis, il est mort seul, pauvre, enterré dans la fosse commune d’un cimetière à Bordeaux. C’est ce parcours extraordinaire que je veux raconter dans ce film. Et je vais avoir la joie de diriger Omar Sy et James Thierrée [comédien, danseur, metteur en scène, acrobate, petit-fils de Charlie Chaplin, ndlr].

d’hier trouvera forcément un écho à notre société d’aujourd’hui. Dans les mœurs qui ont, heureusement évolué mais aussi dans le parcours des artistes noirs. Comment ne pas établir de parallèle entre le parcours de Rafaël Padilla et celui d’Omar Sy, l’acteur, l’homme ? « Chocolat » a fait rire dans des numéros souvent humiliants. Quand il va vouloir passer au théâtre et jouer Shakespeare, il subira un rejet total. Omar Sy, qui a aussi démarré en tant que comique, est lui aujourd’hui reconnu comme acteur. Il est même la personnalité préférée des Français.

Un siècle nous sépare de Rafaël Padilla et de cette époque. Quels liens avec aujourd’hui sont-ils possibles ?

Pensez-vous que des films comme ceux que vous faites peuvent aider à faire changer les mentalités ?

Le film se déroulera à l’époque de la France colonialiste où il était admis de considérer les Noirs comme des soushommes. C’est d’ailleurs un aspect qui sera difficile à manier pour moi et toute l’équipe au moment du tournage quidémarrera fin janvier 2015. Cette histoire

Personnellement, des films m’ont fait évoluer. Mais il serait prétentieux de ma part que de prétendre une telle chose. Propos recueillis par Alexandra Luthereau

Playlist idéale C’est assez rock : Bruce Springsteen, Arcade Fire, Alain Bashung, Elvis Costello, Franck Zappa. Je suis très musique de papa mais dans mon film, bodybuilder y’a du Arctic Monkeys par exemple. Et quand j’ai envie d’être bien, de partir loin dans mon esprit, j’écoute de la musique des années 70/80.

Bonus playlist

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écouter

Derrière Christine and the Queens se cache Héloïse Letissier, jeune femme au déhanché charismatique. Alors que son premier album, le bien nommé « Chaleur Humaine », secoue le milieu parfois trop sage de la chanson française, la nantaise a accepté d’évoquer son parcours. Un caractère décomplexé qui nous promène des queers à Beyoncé.

Depuis la sortie de ton album, en juin, le phénomène Christine and the Queens a pris une ampleur folle… Sincèrement, je ne m’attendais pas à ce que Chaleur Humaine trouve un tel écho. Je pense que je touche un public de plus en plus large même si je suis encore loin de Stromae [rires]. Je n’avais rien prévu de tout ça mais c’est un vrai plaisir.

Sais-tu pourquoi ta musique touche autant de monde ? C’est difficile à dire. Mon projet ne s’attache pas à un style en particulier. Je puise un peu dans la chanson française, le RnB américain et la pop anglaise. Le mix de toutes ces influences est assez original. Et puis, j’adore la scène, ma relation au public est intime.

Sur album comme sur scène, le thème de l’identité est central pour toi. Ça m’intéresse forcément puisque c’est un sujet très personnel. Encore aujourd’hui, c’est une réflexion permanente. La question de savoir « qui on est » détint sur mes chansons. À un moment donné de ma vie, le regard des autres était lourd à porter. Je me posais plein de questions comme « pourquoi ce serait mal de se sentir un homme à un moment de la journée ? ». Réconcilier une culture un peu queer avec l’aspect plus commercial de la musique est devenu une sorte de défi pour moi.

« l’Envie de ne plus s’excuser »

Le nom « Christine and the Queens » vient d’une rencontre dans un bar. Que s’est-il passé à cet instant précis ?

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© dr

J’errai dans Londres et je me suis retrouvée dans un bar avec des queers. Il y avait des performances sur scène de femmes et d’hommes qui assumaient totalement leurs contradictions. J’ai vu chez ces travestis une liberté que je ne m’étais jamais autorisée. Ils m’ont donné envie de ne plus m’excuser. Cette rencontre est à l’origine de « moi » version décomplexée.


Selon toi, est-ce plus difficile d’exercer ton métier en étant une fille ? C’est plus compliqué oui. Tout simplement parce que c’est plus compliqué dans la vie de tous les jours. La misogynie existe dans le monde de la musique comme ailleurs. Il y a beaucoup de grandes stars féminines aujourd’hui, que ce soit Lady Gaga, Beyoncé ou bien d’autres. Mais si une fille comme moi, qui ne ressemble pas à ces modèles, réussit dans ce milieu, cela peut être bon signe.

Tu t’es déjà sentie offensée ? Sur scène ou en studio j’ai rarement ressenti de malaise. Par contre, j’ai eu des expériences plus désagréables lors de shootings photos. J’ai parfois dû insister pour ne pas porter de robe ou être seins nus. Des remarques du style : « Mais tu es pourtant jolie, mets-toi en valeur », ça m’est arrivé. J’ai le sentiment qu’une artiste sera toujours plus jugée sur son physique qu’un homme. Tout ce qui touche à l’image est très machiste.

Tu parlais de filles comme Beyoncé ou Nicki Minaj. Qu’est-ce que tu penses de leurs clips ? C’est un vrai sujet de réflexion… J’adore ces filles mais elles transmettent parfois une image de la femme qui me dérange. Récemment, je regardai les MTV Video Music Awards et j’ai réalisé que toutes les artistes portaient le même genre de tenues très sexy. J’aurai aimé voir des costards ou des jeans, des vêtements qui sortent un peu du commun. Beyoncé et Nicki Minaj, ce sont des filles qui représentent un idéal de beauté. Je ne leur en veux pas, mais c’est embêtant de voir que d’autres personnes moins belles ne puissent pas être valorisées. Propos recueillis par Matthieu Windey

bio 1988  : Naissance à Nantes. 2008 : Héloïse intègre l’École normale supérieure de Lyon en option études théâtrales. 2010  : Dans un bar londonien, elle rencontre des travestis, c’est le déclic. 2011  : Héloïse sort son premier EP Miséricorde. 2012  : La Nantaise reçoit le prix « Découverte » du Printemps de Bourges. 2014 : Elle est nominée dans la catégorie « Révélation scène de l’année » aux Victoires de la Musique. Son premier album, Chaleur Humaine parait chez Because.

Après avoir travaillé en résidence en prévision de sa tournée, Christine and the Queens devrait prochainement sortir un nouveau clip ainsi qu’un single. Héloïse Letissier voyagera dans toute la France jusque fin décembre. Elle passera, entre autres, par Lille, Dijon, Blois, Caen et beaucoup d’autres villes. Pour plus d’infos rendez-vous sur : www.christineandthequeens.com

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regarder

les oubliés Dans la filmographie de Tony Gatlif, Geronimo occupe une place à part. Autant inspiré par son histoire personnelle que par son regard sur l’abandon social, le film raconte une histoire moderne des laissés-pour-compte. Pour Respect, le réalisateur décrypte son œuvre la plus sombre.

« Le communautarisme n’existe plus, aujourd’hui les combats sont personnels. C’est l’individu qui est en guerre. »

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des quartiers abandonnés n’ont que leur différence en point de rassemblement. « On a fait un pas immense en arrière », conclut Gatlif. Serait-il devenu pessimiste ? Certainement pas, il pense simplement que le temps est venu d’ouvrir les yeux sur la situation des oubliés du monde moderne. Quel meilleur endroit que le cinéma pour cet exercice ? Matthieu Windey

© DR

ans le sud de la France, le vent souffle et la chaleur insoutenable exalte le désir comme la haine. Tout commence lorsque Nil Terzi, une adolescente turque, échappe à son mariage forcé pour rejoindre Lucky Molina, un jeune gitan du même quartier. L’humiliation est trop forte pour Fazil, interprété par Rachid Yous, qui veut tuer sa sœur pour venger l’affront fait à sa famille. Le personnage central de Geronimo, - joué par Céline Sallette - émane comme une réminiscence de l’enfance du réalisateur. Lui qui a côtoyé les éducateurs lorsqu’il était en maison de correction, à 15 ans seulement. Sans être autobiographique, le film s’inspire de cette

expérience et des autres drames qu’il a pu connaître. « J’ai été tenu par mes sentiments, reconnaît-il. Je ne voulais pas me poser trop de questions mais raconter cette histoire en me laissant guider par mes souvenirs et mes émotions. » Geronimo montre la vie de ceux qui n’ont plus aucune attache avec les institutions de la société. Ce regard s’opère principalement sous l’œil de Fazil. Le frère meurtri par la fugue de sa sœur se réfugie sous le prétexte des traditions de sa famille pour continuer à vivre. Et contre l’avis de son grand-frère et de ses ainés, le jeune homme cède progressivement à la haine, puis à la folie. « Avant c’était la vie ensemble et d’abord. Aujourd’hui de nombreux jeunes vont puiser dans leur passé parce qu’ils n’ont plus rien », constate Tony Gatlif, qui définit ce long métrage comme « une mise en garde ». Mais de son propre aveu, le discours est « plus sombre » cette fois-ci. Ce n’est pas la tradition qui est critiquée mais le raisonnement qui pousse à brandir ses valeurs comme un alibi à la violence. « Les traditions peuvent être belles, mais elles peuvent s’avérer très dangereuse. Surtout pour les femmes, renchérit le réalisateur. 5 000 femmes meurent chaque année à cause des crimes d’honneur ». Son analyse a le mérite d’être claire : « Le communautarisme n’existe plus, aujourd’hui les combats sont personnels. C’est l’individu qui est en guerre. » Geronimo montre à quel point les jeunes

Le fazil de Rachid Yous Après ses prestations remarquées dans Fleurs du mal et La Braconne, Rachid Yous dévoile une nouvelle facette de son jeu d’acteur avec Geronimo. À 28 ans, il interprète Fazil, personnage central du nouveau film de Tony Gatlif. Malgré la complexité de son rôle, Rachid semble habité. Convaincant, il profite de ses qualités de danseur pour donner encore plus de volume à ce jeune, désorienté et transpercé par la colère. Rachid Yous, un acteur à suivre.



s’interroger

On va chez toi ? Patrick Cœuru

1) La vraie vie, expression employée par l’ancienne ministre et députée Michèle Delaunay sur son blog, où, dans un billet publié le 13 septembre 2014, elle pointe du doigt des élus « déconnectés de la vraie vie ». 2) Le Paris solidaire, association à l’initiative du logement intergénérationnel à Paris et en France. 3) appartements en autonomie, initiative du groupe SOS. Les appartements en autonomie accueillent des garçons et filles majeurs (lycéens, étudiants, apprentis). 4) 19e rapport annuel, 2014, Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement en france. 141 500 personnes sans domicile, dont 85 000 vivent dans des habitats de fortune : cabanes, constructions provisoires, camping à l’année, mobil-home. 5) CHU, centre d’hébergement d’urgence. 6) La maison relais est une nouvelle forme de logement social, qui vise à stabiliser des personnes marginalisées dans un habitat adapté à leurs problématiques (physique, psychologique et/ou sociale). Un logement pérenne et un accompagnement social sont proposés aux bénéficiaires.

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dossier

QUAND L’HUMOUR BOUGE LES LIGNES

ersités… iv d , p a ic d n a h , , origines, sexe

R U O M U H ’ L D N A QU S E N G I L S E L E G U BO

© julien berger

Religion

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edy uis le Jamel Com ep D  ! o gb Ta ia ud portent ’Gijol et Cla eaux humoristes boué, Thomas N É uv e ic no s br le Fa a, s m le , né ut nes des télé et au ci Ils sont parto bousculent les lig sur les plateaux t ils t, es ec gu rr en co t e, en èn m connus, Club, sur sc du politique l Légitimus, Les In rsité. Affranchis ca ve as di P la n, aï de m rs S des s eu les coul uscule les lignes ignes héritiers de bo D i s. qu ce ée an ex en pl nv m ité ? proche déco a priori et des co stes de la divers ed, ils ont une ap ri o Fr m et hu ar et m O es u s ? cl o Élie Semoun es qu’il y a 10 an nouveaux specta os s ch ce es nt se êm di m s us e no jourd’hui de préjugés. Mais qu ire ? Et rit-on au ta au un m m co nu Aider Windey et Valérie Le rire est-il deve ergent, Matthieu ey-S eau, Noémie Foss Alexandra Luther

« Mon seul censeur, c’est le public » Pour lui, l’humour c’est du sérieux. Pas question de se censurer ou de faire rire gratuitement. À travers ses spectacles et ses films, Fabrice Eboué s’interroge, et nous avec sur notre société et la question de l’identité. Humour et époque. Dans votre spectacle “Levez-vous” vous vous présentez menotté. Vous vous sentez hors-la-loi ? Il faut croire que j’ai le goût de la mise en scène judiciaire. Déjà quand j’étais inscrit en Deug d’histoire je préférais aller au tribunal de Créteil plutôt qu’à la fac. C’était bien plus passionnant. Un vrai théâtre de la vie. Pour le spectacle, je me suis mis dans la peau de l’accusé. À voir si finalement je serai acquitté ou reconnu coupable.

Selon vous, peut-on rire de tout ? Soit on rit de tout, soit on ne rit de rien. Sinon où est la limite ? Qui va être le censeur ? Je crois qu’il faut d’abord laisser au public son libre-arbitre, le laisser choisir ce qu’il veut aller voir ou non. Dans mes spectacles, j’ai envie de rire de tout en commençant par rire de moi-même. Tous ensemble et sans malveillance.

L’humour d’aujourd’hui est-il moins libre que celui d’hier ? Je ne pense pas qu’il y ait moins de liberté qu’avant. Sur scène, je peux vous assurer, pour y être tous les soirs, que la liberté est absolue. Mais il faut oser. À l’époque de Coluche et de Desproges, la société était plus politisée il me semble. Aujourd’hui, nous sommes dans une

société où ce qui compte avant tout c’est la consommation. Le comique étant souvent le reflet de la société, beaucoup de comiques sont ce que j’appelle de « grande distribution ».

Les humoristes ont investi les radios, les télés, le débat public. Qu’en pensez-vous ? Le comique prend de plus en plus de place et je pense que ça peut être dangereux. Quand le comique propose un fond, un propos, c’est une manière de faire réfléchir, mais quand il ne propose que du rire gras et du rire gratuit, l’humour peut devenir un instrument d’abrutissement. Denis Laferrière, l’académicien d’origine haïtienne, a écrit sur le rire gras et le rire gratuit. Il le compare à celui du méchant qui, dans les films, tue un gentil. Il disait alors « qu’est-ce qu’on tue quand on rit grassement et qu’on rit gratuitement ». Qu’est-ce qu’on tue, la réflexion ? Très certainement. Propos recueillis par A. L. et N. F-S.

Actu En tournée dans toute la France avec le spectacle “Levez-vous”, Fabrice Eboué s’absentera de la scène tout l’été 2015 pour tourner son prochain film où l’on retrouvera Claudia Tagbo.

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dossier

QUAND L’HUMOUR BOUGE LES LIGNES

Ahmed Sylla, humoriste “multilingue”

© william let

Mes parents sont arrivés en France il y a 25 ans. Ma mère a tout de suite voulu nous mettre dans une école privée catholique. Du coup, j'ai vécu une enfance de schizo. D’un côté, les Jean-Eudes, Antoine et Cassandre à l'école et de l’autre les Mohamed et Karim à la maison et dans mon quartier… C'est une richesse qui m'a vraiment construit, qui me nourrit et alimente mes spectacles. J'ai grandi entre deux mondes et ça m'a donné cette capacité à faire plusieurs personnages. Avant d'être une couleur, une religion ou une culture, nous sommes tous des êtres humains. Je n'ai pas de problème à rigoler de telle ou telle communauté. C’est une façon de banaliser les différences et d’ouvrir la porte aux diversités. Jusqu’au 3 janvier 2015 au Petit Palais des Glaces à Paris.

L’humour, un contre-pouvoir ? Au-delà des théâtres, les humoristes ont investi la sphère médiatique. Et parmi eux, ceux issus de la diversité sont en nombre. Pour Nelly Quemener, auteur du livre, « Le pouvoir de l’humour », « les humoristes sont devenus des acteurs majeurs du débat public ». Depuis quand ? Pourquoi ? Et comment utilisent-ils ce pouvoir ? Décryptage... Humour et pouvoir : ça date de quand ?

Un humour à double-tranchant : les stéréotypes en question

Il y a un tournant dans les années 90 avec l’arrivée de Jamel. À la différence de Smain, dans les années 80, qui parlait à travers des personnages de fiction, Jamel est dans le récit de soi. Il ne fait pas de différence entre lui et ses personnages. C’est un moment charnière car on est dans l’énonciation dite authentique. Jamel dote sa parole d’humoriste d’un vrai pouvoir politique.

C’est un jeu compliqué. Dans les sketchs de Smaïn, le stéréotype reste affirmé. Mais quand il fait le Beur président, pour l’époque c’est déjà très subversif. Il incarne une figure fantasmée presque non autorisée. Jamel lui va être sur un autre jeu. Il va donner à voir le stéréotype mais tel qu’il se structure, qu’il soit positif ou négatif, dans le but de montrer que cela construit une structure binaire dans laquelle la personne ne peut pas agir.

Mais avant, qui était la voix des minorités sur la scène de l’humour ? Les humoristes blancs ont longtemps accaparé le discours sur le racisme, estime Nelly Quemener. Coluche, Le Luron, Desproges ont écrit des textes anti-FN. Mais une étape est franchie quand ces humoristes issus de la diversité prennent la parole pour dire eux-mêmes comment se vit ce racisme. LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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et rire de soi, c’est quelque chose dans lequel on se projette beaucoup. Enfin, la société française étant plurielle et multiculturelle, on s’identifie aussi à différentes formes d’humour. N. F-S.

Je ris aux sketchs de Jamel alors que je n’ai pas grandi en banlieue. Ca veut dire qu’il n’existe pas de rire communautaire ? Oui et non. Tout ressort comique reste socialement inscrit . Mais tout dépend de quelle communauté on parle : la culture rap ? la banlieue ?. Pour elle, on rit aussi parce que Jamel fait dans l’auto-dérision

Le Pouvoir de l’humour. Politique des représentations dans les médias en France. 206 p. Ed Armand Colin, 2014.


© laid liazid

Waly Dia, l’anti-clown Quand on rit de quelque chose, on le dédramatise. On en fait un sujet dont on peut parler plus légèrement sans amoindrir sa profondeur. D’ailleurs, dans l’humour si on ne s’intéresse qu’à la surface des choses, on reste dans la banalité. On fait rigoler ses potes mais pas ça ne vaut pas forcément de monter sur scène. Sans tomber dans l’intellectualisation, faire rire doit faire réfléchir, faire avancer les idées. C’est la différence entre un clown et un humoriste. Reprise de son spectacle Garde la pêche au Comedy Club depuis le 17 Septembre (du mercredi au samedi à 20h).

Jarry, la parodie tendre Pendant mon spectacle, j’incarne sept métiers différents, caissier chez Lidl, membre du GIGN, boucher… Et pour écrire, j’ai testé tous ces métiers pendant deux ou trois jours. Au départ, j’avais des à priori sur chacun d’eux. Après les avoir exercés et rencontré les personnes qui tiennent ces fonctions, mes préjugés sont tombés et c’est ce que j’essaie de transmettre dans mon show. Du coup, j’ai décidé de ne jouer aucun cliché sur ces métiers. Plutôt que la caricature, j’ai choisi la parodie qui offre une vision tendre et rend les personnages attachants. Atypique jusqu’en janvier 2015 au Théâtre Trévise à Paris.

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QUAND L’HUMOUR BOUGE LES LIGNES

« J’ai senti qu’ils se disaient : on me représente » Le film aux 12 millions d’entrées a intégré le Top 10 des films français les plus vus de tous les temps. « Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? » porte à l’écran toutes les diversités et prend le parti de rire de toutes les communautés. Retour sur ce succès avec le scénariste du film.

rencontre avec Guy Laurent, scénariste du film Comment est venue l’idée de ce film ? C’est Philippe de Chauveron, le réalisateur qui l’a eue après être tombé sur un sondage selon lequel, en France, un mariage sur quatre est un mariage mixte.

Vous vous attendiez à ce qu’il rencontre un tel succès ? C’est toujours un peu miraculeux qu’une comédie marche. Quand on racontait l’histoire aux gens autour de nous, ça les faisait marrer. On se disait que si ça marchait sur eux, ça pourrait fonctionner avec d’autres. Mais pour rire, il faut que ce soit profond. Plus c’est grave, plus on rit. Une comédie est plus forte si elle fait écho aux préoccupations de la société.

Comment avez-vous écrit les vannes ? J’ai grandi un peu au Val d’Argenteuil puis j’ai vécu dans le quartier juif de SaintPaul à Paris. Toutes ces vannes je les avais entendues, tout comme Philippe. Tout au long de l’écriture du film, on s’est demandé où était le seuil. On ne voulait ni

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faire un film anti-blancs ni un film raciste. On ne voulait blesser personne. On a testé les blagues dans notre entourage et je crois que Philippe a fait relire le scénario à une personne du Conseil représentatif des associations noires.

d’Afrique noire, des blancs, des Maghrébins... Les gens riaient de leur propre communauté. Certains nous ont remerciés. J’ai senti qu’ils se disaient, ça y est on me représente, j’existe. Propos recueillis par N. F-S.

Pensez-vous que ce film aurait pu marcher il y a 30 ans ? Je ne sais pas. Est-ce que c'est le film qui a été bien traité ou est-ce que c'est l’époque qui a changé ? Rabbi Jacob est sorti en 1973 et avait su trouver son public. L’immigration est un sujet très présent depuis 30 ans. Je me demande si, ces dernières années, il n’y a pas eu une parole qui s’est libérée via les médias et qui fait que maintenant, c’est un sujet dont on peut parler.

Comment avez-vous senti le public ? On a fait plus de 70 projections pour la promo. L’une d’entre elles avait lieu dans le 19e arrondissement de Paris. Il y avait dans la salle des juifs, des personnes

sortie Le film est sorti en dvd et Blu-ray.


Florian Nguyen : génération Y-ouTube La révolution Internet a profondément changé notre façon de consommer le divertissement. Une nouvelle génération décomplexée incarnée par les succès de Norman et Cyprien se fait une joie de colorer la Toile. Alors, y a-t-il plus d’égalité des chances grâce au Net? Le parcours atypique de Florian Nguyen offre quelques éléments de réponse.

l a 22 ans et gagne sa vie sur internet. Florian Nguyen est une de ces stars montantes de YouTube. Une réussite méritée pour ce jeune garçon, né d’un père vietnamien et d’une mère portugaise. Loin d’avoir la grosse tête, le jeune homme livre un regard humble sur le parcours qui l’a mené à 86 000 « likes » sur Facebook et plus de 320 000 abonnés sur sa chaîne YouTube. « J’ai tourné ma première vidéo sans prétention, pour faire marrer mes amis. Une semaine plus tard j’avais 10 000 vues », analyse-t-il. Comment explique-t-il

cette reconnaissance soudaine? « Mes vidéos s’adressent à tout le monde. C’est important d’évoquer des sujets qui nous concernent tous pour que tout le monde y trouve son compte ». Pour faire rire, Florian s’appuie sur son expérience personnelle. Influencé par la culture de son père, il oriente ses premiers sketchs sur le sujet de l’identité, allant jusqu’à consacrer une de ses vidéos aux clichés sur « les Asiatiques ». Si la diversité culturelle n’est pas au cœur de toutes ses vidéos, le comédien avoue qu’il s’agit d’une thématique récurrente. « Les stéréotypes existeront toujours. Rire de ces clichés c’est un moyen de

Abel, collégien, 15 ans, Paris Depuis que j’ai onze ans, je regarde les humoristes sur internet. Ils sont drôles, ils abordent des sujets de la vie quotidienne et c’est jamais méchant. Je pense qu’il a plus de liberté sur le Net.

© rebecca josset

D’Jal, avec le cœur Dans mon spectacle, je parle d’immigration, de religion, de diversité… mais je ne suis pas un donneur de leçons. J’estime ne pas faire de sketches sur les communautés mais sur la France qui est plurielle et riche de diversités. Comme l’amour, l’humour touche avec le coeur et peut donc faire changer des idées forgées par des peurs primaires. Je découvre qu’en étant humoriste sur scène, on fait passer des messages. Le mien c’est la tolérance. Mais avant tout, je veux faire rire ! Jusqu’au 31 décembre 2014 au théâtre les Feux de la rampe à Paris

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les démonter, de montrer qu’au fond on a tous la même vie », défend-t-il sereinement.

Casting géant Comme d’autres humoristes de son âge, Florian revendique sa différence et son talent. Et lorsqu’on interroge le rôle du web dans sa notoriété, la réponse est nette. « Youtube m’a beaucoup apporté. C’est un très bon outil pour se faire connaitre, une sorte de casting grandeur nature ». Catalyseur de carrière, Internet permettrait donc de sauter les étapes et de donner sa chance à tout le monde. À condition d’avoir une connexion, une webcam et assez de courage pour se lancer. Une véritable opportunité selon notre expert en vannes FaceCam. « A la télévision on voit presque toujours

Camille, demandeur d’emploi, 35 ans, Paris On peut rire de tout mais pas avec tout le monde. Le rire c’est une culture commune, même si jeunes humoristes qui sortent du Jamel comedy club me paraissent un peu identiques.

Océanerosemarie, humoriste militante violents, racistes comme dans le film « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ». Selon moi, il décomplexe et autorise une parole raciste du genre « bah tout le monde est raciste, les Blancs, les Noirs, les reubeus, alors c’est pas grave ».

« Les stéréotypes existeront toujours. Rire de ces clichés c’est un moyen de les démonter, de montrer qu’au fond on a tous la même vie » les mêmes personnes. Sur le web ça bouge tout le temps. Ce n’est pas une carrière classique, on peut vite devenir un peu connu. » Alors la grande Toile serait-elle devenu le paradis de l’égalité des chances? Pas si sûr. Comme l’explique Nelly Quemener, Internet utilise les mêmes filtres que d’autres médias traditionnels. Question référencement ou moyens de communication, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Et si comme Ahmed Sylla, Florian Nguyen doit une part de sa réussite au web et aux réseaux sociaux qui l’ont mené « au bout de son rêve », il en subit parfois les cruelles conséquences. « Des critiques il y en a beaucoup, beaucoup. On a la chance d’être en interaction constante avec le public mais ça fait encore plus mal sur internet. Des propos racistes ? Ça arrive souvent. » Il en faudra plus pour décourager Florian qui compte poursuivre son ascension. Pourquoi pas acteur d’ailleurs? M. W.

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Est-ce difficile d’être humoriste et militante ?

Dans votre premier spectacle “La lesbienne invisible”, vous avez choisi l’humour pour faire tomber les clichés, pourquoi ce format ? L’homosexualité féminine est encore taboue, mal connue. Beaucoup de clichés circulent. J’avais envie de parler de cette homophobie bienveillante que nous subissons en tant que lesbienne. L’humour est une arme pour décloisonner.

Selon vous l’humour peut-il faire évoluer les regards ? Il y a deux ans, je vous aurais dit que l’humour est une super arme pour lutter contre les préjugés. Et je me serais arrêtée là. Aujourd’hui, je pense la même chose mais aussi que l’humour peut être une excuse pour légitimer des propos

En tant qu’humoriste militante, je fais attention à ne pas tomber dans les clichés. Je fais gaffe tout le temps, je retourne dans tous les sens chaque ligne que j’écris. Aussi je ne traite que des sujets pour lesquels j’ai une légitimité. Pour faire de l’humour, il faut être dans une vraie réflexion, avoir un vrai positionnement et se demander ce que l’on veut véhiculer comme idées. Cela n’empêche pas d’être rentre dedans et marrant ! D’ailleurs dans mon prochain spectacle, j’y vais plus fort que dans mon précédent. Il traitera du racisme de gauche, notamment de ces bobos bien-pensants qui réfléchissent entre eux, qui prennent la parole à la place de, sans faire intervenir dans les débats les personnes concernées. Propos recueillis par A. L. Nouveau spectacle : “Les chats violents” à partir de fin novembre à la Comédie des Boulevards à Paris


Nom de code JCC Jamel Comedy Club. En trois mots, tout est dit. Jamel, pour Jamel Debbbouze, humoriste originaire de Trappes et de parents marocains. Comedy, parce qu’il s’agit de stand up, concept venu tout droit des États-unis. Et club, parce que s’y fonde une troupe, différente au fil des saisons, et domiciliée à une seule adresse, le théâtre du Comedy Club. À sa direction, Jean-Michel Joyeau partenaire depuis près de 10 ans de Jamel. Pour Respect Mag, il soulève le couvercle de son chaudron magique de la diversité.

Jean-Michel Joyeau Parlez-nous du Comedy Club, c’est un véritable tremplin pour les jeunes humoristes de la diversité ? Fabrice Éboué, Thomas N’Gijol, Claudia Tagbo ont commencé ici. Mais le principe c’est de découvrir des nouveaux comme Djal, Jean-François Cayrey, ou Fary, mis en lumière chez nous et produit maintenant au Point Virgule. On a aussi Sébastian Marx, un Américain qui maintenant joue dans des long métrages.

Que nous disent-ils de la diversité ? Leurs préoccupations n’ont pas beaucoup évolué depuis le début du JCC. La banlieue, les origines des parents, le métissage, les cultures, les couples. Et puis, il sont jeunes alors l’école, l’amour, sont des thèmes qui reviennent sou-

vent. Ils ont besoin d’affirmer leurs origines ou celle de leurs parents. C’est une façon de planter le décor. Ils pourraient aller sur des thèmes plus généraux, mais la plupart ont besoin d’en passer par là. Une façon de s’affirmer, d’exister dans sa différence.

Ils font bouger les lignes du racisme ? Vraisemblablement. Monter un spectacle humoristique, ça rend sympathique. On voit bien qu’ils travaillent, pour qu’on passe un bon moment avec leur spectacle. Audelà des messages qu’ils pourraient faire passer, leur seule présence sur scène est un signe que tous les jeunes ne sont pas des faignants, que ce n’est pas parce qu’on vient d’une banlieue qu’on va casser des voitures et que l’origine des parents n’empêche pas d’avoir des choses à partager avec le plus grand nombre. Ils sont là tous ensemble, pour rire et faire rire, ça ne peut que remuer de bons sentiments, bien sûr. Changer le regard des spectateurs et téléspectateurs.

Vous nagez un plein melting pot… Ils sont d’origine chinoise, vietnamienne, américaine, belge, de plusieurs pays d’Afrique… Une vraie diversité. Mais la diversité, au Comedy Club, même si on est dedans, on la voit pas. On est tous pareils. Ce sont ceux les autres qui la perçoivent, cette diversité.

Flore, enseignante, 38 ans, Paris On ne peut pas rire de tout : la violence faite aux femmes ou aux enfants, la pédophilie, l’antisémitisme sont des sujets trop graves pour être traités avec humour.

Et les filles ? On les voit moins… Les filles sont beaucoup moins nombreuses, en effet, mais souvent, elles vont plus loin. Des filles d’origine maghrébine, on en a vu que deux ou trois en 7 ans. Il y a Anne-Sophie Girard qui a fait « la femme parfaite est une conasse » et Christine Berrou jeune, blanche, blonde

Monique, retraitée, 69 ans, Paris J’adore Desproges, Dupontel... Jamel me faisait beaucoup rire au début, j’aimais sa différence… Mais les nouveaux humoristes issus de la diversité sont très repliés sur eux-mêmes, sur leur communauté. aux yeux bleus qui nous parle souvent du racisme. Mais la « nouvelle », c’est Bouchra Beno. Elle a déjà deux ans de scène ouverte derrière elle. Une lyonnaise d’origine algérienne, une vraie nature.

Ils sont concernés par l’actu ? Pas vraiment. Ce ne sont pas des chansonniers et ils n’iront pas faire de revue de presse. On souhaite surtout qu’ils soient capables de rendre drôles des choses graves. On est là pour rigoler, mais il faut tout de même avoir quelque chose à dire. Comme Bun Hay Mean, il dit des choses dont on ne sort pas indemne. Son pseudo sur Internet, c’est Chinois marrant. Etonnant. Et Frédéric Chau aussi est fort. David Azencot a aussi un discours très concerné. Comme Gaspard Proust, qui parlera du racisme sur un spectacle très écrit. Les voir c’est aussi accepter d’être bousculé. Propos recueillis par V. A. Actuellement sur scène : Tony Saint Laurent et Wally Dia. www.lecomedyclub.com

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entreprendre

Comment échanger savoirs et compétences entre générations ? Le Breakfast de la diversité est organisé par le Respect Mag en partenariat avec l’Association Française des Managers de la Diversité (AFMD). Chaque trimestre, Respect Mag propose une rencontre dynamique et interactive réunissant des professionnels sur des questions centrales liées à la diversité auxquelles ils sont confrontés.

Bonus vidéo de l’interview LE MAGAZINE DIVERSITÉ

En partenariat avec :

Une entreprise est un microcosme. Une société en soi où la question de la transmission des compétences, face aux contraintes de renouvellement, de départs à la retraite ou d’allongement de la vie se pose et doit s’anticiper. Que restera t-il des métiers et compétences d’aujourd’hui ? Comment les plus jeunes peuvent-ils profiter de l’expérience des séniors, parfois indicible ? Comment les plus anciens peuvent-ils s’adapter aux évolutions de leur métier ? Les grandes entreprises l’ont compris : l’expérience, qui n’est pas toujours du domaine de l’écrit, est une richesse dont elles ne peuvent pas faire l’économie. Dans cette perspective, le rapprochement entre générations est essentiel. Sortant des clichés improductifs (les vieux fatigués, les jeunes démotivés ?), de nombreuses entreprises cherchent à optimiser la transmission et l’échange des compétences et savoirs. Qu’est-ce qui lie les générations entre elles ? Comment identifier les compétences ? Quelles sont les attentes selon les générations ? Autour de Respect Mag et de l’Afmd, IBM, Edf, Airbus, BNP Paribas, HSBC, Bouygues Telecom, EDF, L’Oréal, La Macif, SFR, Véolia, et France Télévision partagent leurs approches managériales… Valérie Aider LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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epuis toujours, on est habitué à ce que le savoir circule et se transmette des plus anciens aux plus jeunes, sous le modèle ancien du compagnonnage. Comme une bibliothèque, le senior serait un lieu d’accumulation de savoirs. Ce qui tend à lui conférer un pouvoir, une prédisposition à la capacité à transmettre, que seul l’âge en tant que tel n’octroie pas. Or, certaines jeunes recrues ont, de par leur formation, une maitrise des savoirs théoriques et techniques inconnus des plus anciens. Ils peuvent devenir de véritables ressources pour les accompagner dans l’apprentissage de nouveaux procédés. Louis Schweitzer, alors Président de Renault, avait sollicité de jeunes cadres pour coacher les

membres de son comité exécutif sur les subtilités de l’utilisation de l’internet et des réseaux sociaux. Ce « tutorat inversé » ou « reverse mentoring » continue de faire des émules à l’image de Danone, Orange, Accenture, SNCF et bien d’autres encore. Cette modification du rapport à l’échange de savoirs entre générations permet de se projeter vers une forme de tutorat encore peu expérimentée en France : le « binômat intergénérationnel ». C’est une relation à double sens où la transmission des savoirs serait, en soi, un moyen d’harmoniser les rapports intergénérationnels et de créer une synergie entre les générations. Soukey Ndoye pour l’Afmd Soukey Ndoye est chargée d’études pour l’AFMD et doctorante en sociologie à l’université Paris-Descartes


APPRENDRE

Les chiffres de la pauvreté 977 euros par mois, c’est le seuil de pauvreté identifié en France. C’est peu, mais savez-vous que plus de la moitié des personnes pauvres ont un niveau de vie mensuel qui tombe à 790 euros ? Au-delà des mots, des chiffres édifiants.

Célia Coudret

Un individu est considéré comme pauvre quand son niveau de vie (après impôts et prestations sociales) est inférieur au seuil de pauvreté.

24,8 %

2 millions

de personnes pauvres en Seine-Saint-Denis, c’est le taux le plus élevé de France.

de travailleurs pauvres.

11,5 %

le taux de personnes pauvres le plus bas est enregistré en Bretagne.

38,6 %

5,9 %

des ménages immigrés atteignent le seuil de pauvreté.

C’est ce que représente l’allocation familiale dans le revenu disponible d’une famille modeste.

12  000

57,2 %

30 000 des personnes en situation de grande précariténe mangent pas à leur faim, souvent ou parfois.

De personnes pauvres en 2011.

enfants vivent dans la rue en permanence.

des plus de 75 ans ont un niveau de vie inférieur au niveau de vie médian.

50 %

8,7 millions

enfants sont sans domicile en France.

20 %

des enfants n’ont pas mangé pendant au moins une journée entière au cours du dernier mois.

140 000

sans domicile en France.

2 €

au plus, c’est ce dont disposent, pour se nourrir, les personnes à la rue, en squat ou bidonville.

6 %

des personnes pauvres accèdent à Internet et aux réseaux virtuels.

Sources : Les revenus et le patrimoine des ménages, édition 2014 (Insee, chiffres de 2011). « L’hébergement des sans domicile en 2012 », Insee première n°1455, juillet 2013. Médecins du Monde (étude juin 2012 réalisée entre avril et mai 2014 dans sept centres de soins Médecins du Monde (Bordeaux, Lyon, Marseille, Nice, Paris, Saint-Denis et Strasbourg). Fondation de France, étude publiée en juillet 2011.

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ne Kawasaki 400 ZXR verte et blanche. Une sportive ». Comprendre une petite bombe qui peut monter jusqu’ à 200 km/h. Béatrice Moisson se souvient parfaitement de sa première moto. Elle l’a achetée sitôt son permis passé, à 19 ans. « J’adorais ses lignes, la position du corps quand on montait dessus », se souvient-elle. Assise derrière son bureau, la jeune femme de 37 ans, cheveux blonds ramenés en queue de cheval, reçoit avec le sourire. Sur son bureau, papiers, deux-roues miniatures et tasses à café s’entremêlent dans un joyeux bordel. Au mur : de vieilles photos de pin-up en Harley et une pancarte : « Often the best man for a job is a woman ». Le ton est donné. La moto, Béatrice Moisson a aimé ça tout de suite. Elève d’hypokhâgne, elle a 18 ans quand un ami d’enfance lui propose d’essayer. Elle est immédiatement séduite par « le bruit de la mécanique, l’adrénaline, la li-


entreprendre

Bellamoto : le défi d’une bikeuse Béatrice Moisson a étudié la philosophie et la géopolitique avant d’ouvrir, en 2011, sa concession de motos, à Crosne, dans l’Essonne. Un virage à 180° pour cette tête bien faite qui a su trouver sa place dans un monde d’hommes. berté, cette sensation d’être dans sa bulle, toujours sur le qui-vive, un peu comme un chevalier ». Très vite, elle lâche la place de passagère pour prendre le guidon. Ses parents lui offrent le permis. Après la classe prépa, la jeune fille poursuit sur un DEA de philosophie et un DESS de géopolitique. Une fois diplômée d’un bac +7, la voilà sur le marché du travail, à 25 ans. « J’ai fait quelques stages et CDD en communication publique mais les débouchés étaient compliqués », se souvientelle. Elle devient vendeuse dans un magasin de moto. Et y reste 3 ans. Elle qui se dit « solitaire » se découvre un vrai goût pour la relation client. « Il y avait celui qui achetait sa première moto, les chevronnés, des gens qui avaient arrêté et s’y remettaient… J’ai appris sur le tas et puis le magasin a fermé. Je me retrouvais de nouveau au chômage alors j’ai décidé de me lancer à mon compte, par nécessité. On était en 2011. » Elle embarque Bastien et Philippe, deux mécanos, dans le projet.

La voilà chef d’entreprise. Le parcours du combattant débute. Il faut d’abord convaincre les banques. Mais la jeune

« C’ETAIT COMPLIQUE DE SE FAIRE RESPECTER ET D’ETRE PRISE AU SERIEUX » femme est accrocheuse et Bella moto ouvre en mai 2011, face à un rond-point, dans une zone industrielle de Crosne, la ville où elle vit. L’entreprise propose vente et réparation de scooters et motos. Béatrice Moisson se passionne pour cette nouvelle vie « sans vacances et où il faut tout faire : sortir les motos, répondre au téléphone, passer les commandes d’huile et conseiller les clients… ». Les débuts ne sont pourtant pas évidents : « Je me souviens de cette fois où un client est entré en demandant à parler à quelqu'un qui s'y connaît. Lorsque je lui ai répondu que je pouvais certainement

le renseigner, il m’a dit : « je ne suis pas habitué à parler aux femmes ». Je lui ai rétorqué : « A votre âge il serait temps de commencer ». Même aplomb quand on lui demande où est le patron. « J’essaie de voir le côté positif : j’ai maintenant une clientèle de plus en plus fidèle et qui me fait confiance ». Quand elle n’est pas à sa concession, Béatrice Moisson est à la bibliothèque : « Je potasse des bouquins de marketing, de management. Je me forme, en autodidacte ». Le prix « Créatrice d’avenir » qu’elle reçoit en 2013, catégorie « Métiers non traditionnellement féminins », la confirme dans son choix. « Je l’ai fait par défi et sans doute pour y trouver aussi une forme de légitimité », confie-t-elle. Si vous poussez un jour la porte de Bella moto, vous saurez que le patron c’est elle. Noémie Fossey-Sergent

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© célia coudret

Tout ce que vous croyez savoir sur… Les intermittents

Le sujet fait toujours polémique. Derrière les quelques « stars » du système pour qui tout fonctionne bien se cache un secteur de plus en plus précaire. Tour de piste en trois questions. Ils plombent l’assurance-chômage D’après la Cour des Comptes (1), ils perçoivent 1,27 milliard d’euros d’indemnités. Mais selon l’Unedic, s’ils revenaient au sein du régime général, l’économie ne s’élèverait qu’à 320 millions d’euros par an. La culture est-elle pour autant une dépense à perte ? Ce n’est pas ce que montre le dernier rapport des ministères de l’Economie et de la Culture (2), selon lequel la culture rapporterait gros à l’économie française. Malgré son coût pour la collectivité, elle contribue 7 fois plus au PIB que l’industrie automobile, avec 57,8 milliards d’euros de valeur ajoutée par an.

L’ « intermittence » c’est quoi ?

Créée en 1936 lors du Front Populaire, l’intermittence permet d’embaucher en CDD « d’usage ». Actuellement, pour bénéficier d’allocations, il faut justifier 507 heures de travail sur 10 mois et 15 jours. LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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Ce sont des chômeurs professionnels Si l’emploi est intermittent, le travail, lui, est permanent. Un « cachet » pour une représentation est évalué à 12 heures de travail, 8 heures lorsque le contrat dépasse cinq jours. Mais les mois de recherches pour créer un nouveau morceau, s’approprier un personnage ou trouver le bon équilibre entre les danseurs d’un ballet… ne sont pas comptabilisés. Comme pour les repérages, les vérifications de matériel qu’incluent les missions des techniciens. Or, pour un festival à préparer en 5 jours ou un film à tourner en 3 semaines, 8 heures de travail par jour ne suffiront jamais. Le « processus créatif » a besoin de temps pour laisser venir l’inspiration.

Ils sont privilégiés Seule une minorité bénéficie de largesses : en 2013, 1 900 intermittents gagnaient plus de 5 400€/mois (3), sur près de 106 000 allocataires (4). Le statut d’intermittent est par nature discontinu et précaire. Avec des horaires souvent ingrats, la vie de famille peut être compliquée à assumer. Il leur est d’ailleurs presque impossible d’obtenir un prêt à la banque ou de devenir propriétaire, leur statut étant perçu comme « instable ». Célia Coudret

e régime d'indemnisation du chômage L à l'issue des emplois précaires, Cour des Comptes, 26 novembre 2013. (2) « L’apport de la culture à l’économie en France », rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) avec l’Inspection générale des affaires culturelles,décembre 2013. (3) Rapport parlementaire, Jean-Patrick Gille (député PS), avril 2013. (4) Déficit du régime des intermittents : « Au loup, un milliard ! »- Étienne Baldit, Public Sénat, 22 février 2013. (1)

Qui sont-ils ?

es artistes : musiciens, danseurs, D comédiens, réalisateurs… Et des techniciens : machinistes, costumiers, salariés de l’édition musicale, de la gestion des salles de spectacles.


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TRIBUNES

Les liaisons dangereuses des intellos ?

Un livre à quatre mains signé par deux personnalités aux idées diamétralement opposées. C’est le nouvel exercice auxquels se prêtent certains intellectuels. En 2013, sortait « Dialogues désaccordés », le résultat de longs échanges de mail entre un tandem détonnant formé par le critique littéraire et chroniqueur Éric Naulleau et l’essayiste d’extrême droite Alain Soral. Plus récemment, c’était au tour d’Edgar Morin, sociologue et philosophe et Tariq Ramadan, philosophe polémiste et spécialiste de l’Islam, de présenter le fruit d’un long débat à Marrakech dans « Au péril des idées ». Mais que valent ces ouvrages ? Ne sont-ils qu’un coup marketing ou émanent-ils d’une réelle volonté de faire émerger des différences et des convergences ? Ne présentent-t-ils pas un danger de nivellement des idées ? Edgar Morin et Michel Onfray donnent leur avis. Noémie Fossey-Sergent

Trois questions à Michel Onfray

Philosophe français de 55 ans, a fondé l’Université populaire de Caen. Auteur de plus d’une soixantaine d’ouvrages, dont La Puissance d’exister et Contre histoire de la philosophie. Il est traduit dans près de 30 pays.

Que pensez-vous de ces rencontres ?

La passion de la méchanceté Dans son dernier livre, Michel Onfray entreprend de déconstruire le mythe du marquis de Sade. À l’image de défenseur des droits, révolutionnaire et féministe (une image qu’Apollinaire a contribué à forger), Michel Onfray oppose sa contre-histoire qui s’appuie sur des faits historiques. On y découvre un autre visage du divin marquis : celui d’un monstre, coupable de viols, de séquestrations, et de traitements inhumains. Bref, méchant. Editions Autrement, 13 €.

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La télévision ne permet plus le débat, elle ne fonctionne plus que sur ce qui scotche le téléspectateur devant son écran. Dans cette perspective, l’insulte, la grossièreté, la provocation, la mauvaise foi, l’invective sont de meilleur rendement que la raison, le débat, l’échange qui suppose la capacité à écouter l’autre, à répondre à ses arguments et pas à ceux qu’on invente pour mieux s’en scandaliser ou en triompher plus facilement. Les émissions qui respectent les invités n’existent plus sur les grandes chaînes, seul compte ce qui permet l’audimat qui, s’il est élevé, justifie qu’on reconduise l’animateur la saison suivante avec son salaire mirobolant. L’impossibilité de ces débats à la télévision a probablement donné l’idée à des éditeurs de faire ce que la télévision ne fait pas ou plus. Mais, pour ce que j’en ai lu, ces échanges conservent la frivolité télévisuelle : on se rencontre probablement, on enregistre une demie journée de débats, une secrétaire décrypte et

dactylographie, les parties prenantes corrigent, et le livre est en librairie le mois suivant. Or il faut travailler ces échanges. Les livres d’entretiens sont souvent un sous genre télévisuel ou radiophonique…

Est-ce l’occasion de débats qui peuvent élever les consciences ? Sur le principe, ce type de débats pourrait le permettre. Dans la réalité, le marché qui fait la loi à la télévision avec des choses futiles et jetables fait aussi la loi dans l’édition, notamment dans ces livres de pseudo échanges et de pseudo débats.

Toutes les idées ne se « valent-elles » pas, présentées de la sorte ? Le risque c’est que, après la télévision, le livre soit lui aussi contaminé par l’autisme généralisé dans lequel nous nous trouvons. Toute le monde parle tout le temps tout seul sans jamais écouter l’autre qui lui aussi parle tout le temps tout seul. La télévision le montrait. Désormais ce genre de livre le montre aussi.


© olivier roller

Trois questions à Edgar Morin

Sociologue et philosophe français de 93 ans, Edgar Morin est le père de la pensée complexe. Docteur honoris causa de plus de 14 universités du monde entier, il est également directeur de recherche émérite au CNRS. Il est l’auteur de très nombreux ouvrages de sociologie (La rumeur d’Orléans) et d’anthropologie (L’homme et la mort). Son œuvre majeure étant La Méthode.

Ce livre était une idée de Tariq Ramadan et de Jean-Daniel Belfond, l’éditeur, pourquoi avoir accepté ? J’ai accepté parce que j’aime la confrontation et le dialogue. La « diabolisation » de Tariq Ramadan, au lieu de m’inhiber, m’a poussé à découvrir cet interlocuteur.

Cinq mois après la sortie du livre, votre démarche vous semble-t-elle avoir été bien comprise ? Ma démarche a été bien comprise par certains, mal par d’autres…

Avez-vous le sentiment que ce livre a profité à l’un plus qu’à l’autre ? Je suis incapable de quantifier le profit moral ou intellectuel que l’on tire d’un livre. Il a irrité ceux que j’irrite, il en est qui m’ont trouvé courageux. J’espère que ce livre dans lequel Ramadan est loin d’être un fanatique permettra de le dé-diaboliser quelque peu.

Au rythme du monde Sorti cet automne, « Au rythme du monde » réunit les quelques 73 articles écrits par Edgar Morin pour le journal Le Monde depuis 1960. Il y décrypte les mutations de notre société et imagine à quoi pourrait ressembler celle de demain, en parlant vedette de cinéma, rock’n roll, adolescence, mouvement New Age, mai 68, guerres de Yougoslavie et d’Irak. Visionnaire. Presses du Châtelet, 22 €.


Apprendre

vivre ensemble

Gardez vos distances ! Sans être misanthrope, nous sommes quelques-uns à ne pas supporter qu’un voisin de file d’attente s’approche trop près de nous. Quelques-uns seulement. Parce qu’il existe plusieurs façons de rester près les uns des autres. Et que ce soit dans les transports en communs ou à la queue d’une caisse de supermarché, notre culture nous dicte la bonne place à prendre…

Où se trouve ma bulle de protection ?

« Toute rencontre nous encourage à respecter une distance opportune, qu’il vaut mieux observer pour que le contact soit confortable » explique l’anthropologue Edward T. Hall. Une distance à respecter et qui varie de l’un à l’autre : puisque certains apprécient la proximité voire le contact physique, quand d’autres ont besoin d’espace pour se sentir en sécurité. Car dès que la présence de l’autre s’impose et touche nos sens, elle devient envahissante. La tactique consiste alors à ne pas bouger, contracter les muscles tant que le contact est imposé, et s’écarter dès que possible. Et si cette mise à distance attendue n’est pas respectée, chacun peut se sentir agressé. Alors dans les transports en commun, à la queue, chez le boulanger ou dans un ascenseur, comment vivre ces rapprochements ?

Une distance différente d’une culture à l’autre Nous observons tous une distance les uns face aux autres, mais cette distance, la fameuse « bulle » de protection, peut aussi bien se situer à l’intérieur de soi, de sorte qu’une proximité étroite n’est pas mal vécue. Un alsacien qui débarque en Afrique noire peut être choqué par une proximité physique inhabituelle, alors qu’au même moment les autochtones LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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le perçoivent comme trop distant. Tandis que dans une conversation le latin est plus tactile, l’allemand et le japonais sont plus éloignés. La dimension de cette bulle est plus ample dans les pays occidentaux que dans les pays méditerranéens, pratiquement inexistante dans les pays arabes. Bousculades, excuses, seraient finalement plus une affaire de culture que de politesse. Des habitudes culturelles qui nous font prendre différentes places spatiales. Le percevoir et mieux le comprendre éviterait bien de ces petites tensions, à la caisse du supermarché... Célia Coudret

Pour le savoir, faites le test avec quelqu’un qui n’est pas un intime. Tenez-vous à quelques mètres l’un de l’autre, restez immobile, discutez avec cette personne tandis qu’elle se rapproche peu à peu de vous. Dès que vous ressentez un malaise, c’est qu’elle est entrée dans votre bulle de protection.

Ou se situe la distance limite de l’autre ? Repérez à quelle distance se place spontanément votre interlocuteur, au début de l’échange. Dès qu’il a l’air à l’aise, observez s’il se rapproche de vous au cours de la discussion. C’est là que se trouve sa distance idéale pour échanger avec vous.

Pour aller plus loin L’étude des distances sociales ou proxémie a été développée par Edward T Hall. Selon le sociologue, notre « proximité spatiale » est fonction de notre culture. Ses observations lui ont permises d’établir une distinction entre quatre groupes respectant des distances différentes : La distance intime qui se situe entre 15 et 45 cm. La distance personnelle, entre 45 et 135 cm. La distance sociale, entre 1,20 m et 3,70 m. La distance publique, supérieure à 3,70 m. Sources : Pascale Samson « La distance entre personnes » www.le-guide-des-relations.com Edward T.Hall, La dimension cachée, Seuil, Collection Point Essais, Paris, 1971.



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Viens chez moi, j’habite dans le 9.3 Des habitants, bien dans leur ville et leur quartier, ont décidé de montrer leur 9.3 à eux, loin des idées reçues. Empli d’Histoire avec un grand H et d’histoires du quotidien, métissé, architectural, dynamique, culturel… les qualificatifs ne manquent pas. Ni les endroits à découvrir. Visite par ici.

Le rendez-vous a été donné à la sortie de la station de métro Saint-Denis Basilique. Cindi, une touriste originaire de Washington (USA) et son petit-fils Lucas attendent au pied des immeubles modernes, au milieu de la cohue de ce mardi matin, jour de marché. Michel Moisan arrive avec quelques minutes de retard mais sourire aux lèvres. Cindi et lui se serrent la main. Michel est Greeter au sein de l’association Parisien d’un jour qui propose des visites de quartiers organisées par ses LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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habitants. « Je fais ces balades pour le plaisir de faire découvrir ma ville et partager du temps avec les gens », explique le fringuant sexagénaire. Les deux touristes emboîtent le pas à Michel. Leur balade dans Saint-Denis démarre par le centre-ville moderne, construit dans les années 70 par des architectes qui ont parfois préféré l’ « esthétisme » au pragmatisme. Résultat par exemple : des immeubles aux arêtes pointues et des pièces tellement exigües qu’il est impos-

sible de les meubler. Une architecture qui ne plaît pas d’emblée à notre touriste.

Heureux d’y vivre Michel Moisan explique : « Ma balade reflète ce que je veux montrer : le contraste entre l’ancien et le nouveau centre-ville et l’aspect multiculturel du marché ». Avec un objectif : modifier le regard sur ce département où il vit depuis vingtcinq ans. « On peut bien vivre à Saint Denis, c’est ça qu’il faut montrer ». Même


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Michel Moisan, greeter dyonisien (en bas à gauche, au premier plan) aime faire découvrir la richesse multiculturelle de sa ville. « Saint-Denis reflète toutes les vagues de migration qu’a connues la France. Toutes ces communautés y sont encore présentes : Bretons, Portugais, Espagnols, Africains, Maghrébins… Elles sont notamment visibles tout au long des étals du marché ».

programme pour Mathieu Glaymann, tion cherchent avant tout à « rencontrer co-fondateur de l’association Accueil des gens et montrer leur quartier ». Banlieue : « on veut montrer que notre Seine-Saint-Denis monde quotidien est différent de celui de la violence, du trafic que les médias véhiculent En échange de ce service « qui n’est pas habituellement… même si effectivement gratuit mais néanmoins accessible à ça existe ». Et de prévenir : « contrairetous », les visiteurs prennent le temps de ment à une idée reçue, les habitants du faire une balade avec leur hôte. Loin des 93 ne sont pas assignés à résidence. sites touristiques, ces autochtones-là Beaucoup veulent y rester et sont heupréfèrent les amener chez un commerçant qu’ils aiment bien, leur faire découreux d’y vivre ». Cet homme pétillant et sa compagne se sont « énormément atvrir un aspect de leur ville. « Moi j’aime bien que mon visiteur m’accompagne tachés à ce département » à leur arrivée en 2004. Ils ont eu envie de le faire parle matin quand j’emmène mes enfants tager à d’autres et de à l’école. Un des meil« Chez nous, on a leurs endroits pour voir montrer le dynamisme culturel de ce territoire, le monde entier » la diversité de notre territoire », affirme-t-il son métissage, sa solidarité, son passé agricole… Adeptes de en égrainant des chiffres éloquents. La l’association Accueil Paysans qui permet communauté d’agglomération d’Epinayd’être hébergé chez un agriculteur le sur-Seine, où Mathieu Glaymann vit, temps d’un séjour, Mathieu et sa comcomptabilise 135 nationalités différentes. pagne, décident d’appliquer ce concept à À l’école de ses enfants, sur les 250 écoliers, on compte 42 nationalités. « Chez la banlieue. Ainsi, depuis 2008, l’associanous, on a le monde entier », s’enthoution propose des nuitées chez des habisiasme-t-il. Au total, Accueil banlieue a tants de Seine-Saint-Denis pour 15 euenregistré 800 nuitées entre 2012 et 2013. ros, petit-déjeuner compris. Pas de quoi À cela s’ajoute, des visites originales profaire fortune ! Les membres de l’associaLE MAGAZINE DIVERSITÉ

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posées par l’association, auxquelles tout curieux peut participer. Et il y en a pour tous les goûts : promenade glanage à Epinay-sur-Seine, déambulation dans l’éco-quartier de l’Ile-Saint-Denis. Et bientôt, visite pour les professeurs fraîchement nommés dans le 9.3. « Accueil Banlieue s’adresse à des personnes qui sont angoissées à l’idée de se rendre sur ce territoire ou celles qui pensent qu’il n’y a rien à y faire », analyse Mathieu Glaymann.

Terre de contrastes Mais alors que pensent les visiteurs de la Seine-St-Denis ? « En arrivant les touristes ont en tête les images véhiculées par les médias internationaux au moment des émeutes de 2005. Sur place, ils sont surpris de la réalité », explique Michel Moisan. Comme ce couple de parisiens qui s’est offert un weekend en banlieue, pour voir. « Eux qui pensaient qu’il n’y avait rien d’autre que la Basilique et le Stade de France, ils n’ont pas été déçus », sourit Mathieu Glaymann. Ou cet autre couple venu assister au concert de Mylène Farmer au Stade France et qui en a profité pour visiter les archives nationales


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à Pierrefitte. Retour à Saint-Denis. Après avoir parcouru le centre historique, sa cathédrale, la cour de l’ancien couvent des Ursulines… Cindi, Lucas et Michel achèvent leur promenade au marché. Avant de se quitter, les trois promeneurs décident de déjeuner ensemble, histoire de continuer leur conversation sur les différences entre Washington et Paris (et sa banlieue). « Sans l’association [Parisiens d’un jour, ndlr], je ne serais jamais venue ici », concède la touriste américaine. « J’ai aimé la diversité, la mixité. Mais aussi le contraste entre la ville nouvelle et le vieux Saint-Denis. Ce contraste me fait apprécier la ville nouvelle… ». Vous avez dit changement de regard ? Pari réussi. Alexandra Luthereau

Stainsmonbeaupays : un webdoc par et sur des collégiens de Stains Durant l’année scolaire 2012-2013, deux jeunes réalisateurs, Simon Bouisson et Elliot Lepers, ont animé un atelier de webdocumentaire dans un collège de Stains en SeineSaint-Denis. De ce projet est né StainsMonBeauPays où « 20 ados se racontent, nous racontent, se la racontent » dixit la page Internet du projet. Parallèlement, les deux réalisateurs ont filmé les collégiens en train de se filmer pour confronter leur propre regard à celui de ces jeunes, le tout dans un carrousel d’histoires. Car plutôt qu’une histoire linéaire, le webdoc propose une déambulation à travers des séquences positives, intimes, souvent touchantes de ces jeunes qui nous font découvrir leur ville et leurs kifs.

Vidéo sur respectmag.com

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rencontrer

Gaëlle Mignot, rugby(super) woman

u téléphone, trois jours après la semi-victoire de son équipe, elle est heureuse mais fatiguée. « On est contentes du parcours mais un peu déçues d’être passées si près de quelque chose de réalisable », souffle Gaëlle Mignot. Le 17 août, après son match face à l’Irlande qui lui a permis d’arracher une troisième place, le XV féminin a enchaîné les rendez-vous : du ministère du sport à la rédaction du journal L’Équipe. Les portables ont beaucoup sonné : « On a été félicitées par tous les joueurs du XV de France », confie la capitaine. Et puis il a fallu rentrer fisa à la maison : « Certaines d’entre nous avaient pu négocier quelques jours mais beaucoup retravaillaient dès le lendemain. »

Professionnelle en attente… de professionnalisation Oui parce que les filles du XV de France, à la différence des garçons (depuis 1995 seulement), n’ont pas un statut professionnel. Elles ont toutes un « vrai » métier à côté et pour jouer la Coupe, elles ont dû poser « 6 semaines de congés ». Il y a, parmi elles, une agent de sécurité, une éducatrice LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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spécialisée, une peintre en bâtiment, une ingénieur dans l’agro-alimentaire, pas mal d’étudiantes et même une maman! Histoire de rester dans le bain, Gaëlle a choisi éducatrice sportive… catégorie rugby. Son goût pour le ballon ovale remonte à la primaire. « J’avais 7 ans quand j’ai commencé. Mon père en faisait, je le suivais partout, j’étais plus du genre à taper dans un ballon qu’à jouer à la poupée », se souvient-elle. Les choses se précisent quand, un jour, son cousin lui propose de le suivre dans le petit club de Trélissac. Gaëlle n’y trouve que des garçons mais accroche vite. « Il fallait que je fasse ma place. Mais après, je suis devenue la petite protégée. »

En première ligne Elle aime tellement ça qu’elle enquille sur une école de rugby jusqu’à ses 16 ans avant d’intégrer la première équipe féminine de rugby de Dordogne. Elle met ensuite le cap sur Salon-la-tour, en Corrèze, pour « continuer de progresser ». Les 2h de trajets aller-retour, deux fois par semaine, ne la découragent pas. Et puis en 2008, c’est le coup de fil, décisif, du club élite de Montpellier qui lui propose de jouer à haut-niveau. Elle dit oui

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La coupe du Monde d’août 2014 l’a révélée au public nombreux, venu soutenir son équipe : Gaëlle Mignot, brin de fille d’un mètre 58 est capitaine de l’équipe féminine de rugby. Rencontre avec une jeune femme de 27 ans qui charge les a priori machiste et prend les avants.

PETIT LEXIQUE Charger : aller au contact sans esquiver. Prendre les avants : les avants sont les joueurs qui forment la mêlée. Ils portent les numéros 1 à 8 : deux piliers et un talonneur en première ligne, deux deuxième ligne, deux troisième ligne aile et un troisième ligne centre en troisième ligne. Coller un timbre : plaquer un adversaire. On parle aussi d’arrêt buffet, de tampon ou de caramel.


mais pas question de lâcher ses études. Après un bac technologique, la jeune fille choisit un cursus Staps pour devenir éducatrice sportive. Depuis, Gaëlle ne lâche rien et s’impose dans un monde encore essentiellement masculin. Sur le terrain, ce petit gabarit occupe le poste de talonneur. Un rôle de première ligne. En mêlée fermée, le talonneur est chargé de dégager le ballon vers son camp. C’est aussi lui qui effectue les remises en touches. Une tâche de guerrière, à l’image de ce qu’elle est dans la vie. Entre son boulot et ses propres entraînements, les journées de Gaëlle Mignot sont denses : « À 7h30, je vais courir une heure environ. Je prends mon petit déjeuner en rentrant puis je pars travailler de 9h à midi. Je rentre manger et de 14h à 18h30, je suis de nouveau sur le terrain avec les jeunes. » Elle enchaîne avec ses propres entraînements, seule, ou en collectif, « deux à trois fois par semaine jusqu’à 21h30 ». Une vie de jeune femme sans week-ends ni réelles vacances. Mais qu’elle accepte : « Je ne suis pas quelqu’un qui se plaint beaucoup. Quand on est une sportive de haut-niveau, on fait des sacrifices », balaye-t-elle, en vraie pro. Noémie Fossey-Sergent

le rugby féminin en chiffres Le rugby féminin compte 14 000 licenciées. 15 000 spectateurs sont venus assister à la demi-finale des Bleues contre le Canada, au stade Jean-Bouin à Paris, mercredi 13 août. 1,8 millions de personnes ont suivi à la télévision le match de poule des Françaises contre l’Australie. Les cinq dernières minutes du match ont même attiré 2,3 millions de téléspectateurs. Le rugby féminin a été intégré à la Fédération française de rugby (FFR) en 1989. Mais ce n’est qu’en 2001, avec la loi Buffet, que les joueuses de l’équipe de France se sont vues reconnaître le statut de sportif de haut niveau.

SALONS, FESTIVALS & expos Exhibit B de Brett Bailey Au CENTQUATRE-PARIS du 07 au 14 décembre 2014 Le metteur en scène sud-africain Brett Bailey a entendu le sanglot de l’homme noir. Il en a pointé la cause dans la barbarie colonialiste et a accumulé les pièces à conviction témoignant des crimes commis à son encontre. Pour que nul ne prétende les ignorer, il les expose, assemblés en un parcours de douze installations vivantes, rendant compte, entre autres, du racisme scientifique qui faisait florès encore au siècle dernier.

Documentaires en Vues à Belleville en Vue(s) Du 13 au 24 novembre, à Paris et Les Lilas Depuis 10 ans, l’association Belleville en Vue(s) tente de sensibiliser tous les publics à l’image et à la diffusion de films. Parmi les nombreux événements qu’elle organise, la Biennale de Belleville est un incontournable. Cette année, le thème est la déambulation. Dans le cadre du mois documentaire 2014, elle organise aussi la 4e édition du festival des Nouveaux cinémas documentaires. Des approches singulières, interrogeant le geste et le genre documentaire, dans le fond comme dans la forme, seront offertes aux regards des spectateurs. Une manifestation cinématographique qui se tiendra du 13 au 24 novembre.

Osez nos compétences Ile-de-France 2014 Les 4 et 5 novembre 2014 à la Grande Halle de la Villette Fort du succès des deux premières éditions (plus de 2 000 visiteurs), le salon Osez nos compétences lance sa 3e édition qui se tiendra les 4 et 5 novembre 2014 à la Grande Halle de la Villette. Bousculer les préjugés, valoriser la diversité des savoir-faire, démontrer l’expertise métier des travailleurs en situation de handicap, telle est la mission que se donnent les participants et organisateurs mobilisés pour l’événement. Louise Pluyaud LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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s’interroger

J’ai deux papas, et alors ? Attention l’histoire que vous allez lire est d’une banalité déconcertante. Toute ressemblance avec une famille dite classique n’est pas du tout fortuite. Adrien, jeune homme de 17 ans nous raconte sa vie sous forme de long fleuve tranquille avec son père et son beau-père.

drien est un lycéen comme les autres. À ceci près qu’il vit avec ses deux papas, Stéphane et Matthieu. Avec son père et son beau-père plus exactement. Une situation familiale parfaitement naturelle pour le jeune adolescent. Tellement banale pour lui qu’il est presque étonné qu’on lui pose des questions sur cette famille recomposée d’un autre genre. « Ça me fait plaisir d’en parler, c’est vrai que mis à part avec mon meilleur ami, je ne l’évoque jamais ». Non pas que ça le gêne. Mais d’aussi loin qu’il s’en souvienne, il a toujours eu d’un côté sa mère, de l’autre son père et son beau-père. « Mes parents se sont quittés quand j’avais trois ou quatre ans. J’ai rencontré très tôt mon beaupère. Je passais toutes mes vacances avec mon père et lui. J’ai toujours eu de bonnes relations avec eux. »

Pas plus compliqué que ça. Adrien s’est fait de nouveaux amis, qui viennent régulièrement chez lui, les parents se fréquentent, sa nouvelle petite amie vient parfois dormir chez lui aussi, il voit sa maman pendant les vacances scolaires. Et au lycée ? « Tous les deux ont tou-

Heureux avant tout Mais s’il avait eu l’occasion d’échanger avec les détracteurs de cette loi, il leur aurait tout simplement expliqué que pour les enfants des couples homosexuels, « il n’y a aucun problème. Ça ne m’a jamais perturbé. Mon père vit comme il l’entend, je m’en fiche de son orientation sexuelle, du moment qu’il est heureux. Si les gens sont heureux et qu’ils veulent se marier, pourquoi les en empêcher ? », expliquet-il avec sincérité. D’ailleurs, pour ses papas le mariage c’est pour bientôt. Alexandra Luthereau

Familles homoparentales en chiffres

Vie à trois Justement c’est après un séjour à Avignon, tous ensembles, que Stéphane et Matthieu, décident de s’installer dans la région pour laquelle ils ont tous les trois eu un coup de cœur. « Ils m’ont demandé si je voulais vivre avec eux. J’ai réfléchi et j’ai décidé de les suivre ». L’installation entre les trois mecs s’est déroulée sans heurts. « Il a fallu s’habituer à un nouvel environnement, un nouveau lycée et puis la vie quotidienne avec eux puisque jusqu’alors je vivais avec ma mère ».

débat sur le mariage pour tous qui s’est tenu l’an dernier, le jeune adolescent, à l’aise dans ses baskets, le balaie. « On en a un peu parlé en classe mais pour tous mes camarades c’était une bonne chose. Je ne suis pas intervenu pour faire part de mon expérience, je n’y ai même pas songé ».

jours été très investis dans ma scolarité, ils m’aident. Mon beau-père était délégué des parents d’élèves de ma classe jusque-là. Cette année, mon père prend le relais. » À la maison, l’égalité des rôles se retrouve aussi dans les tâches ménagères. « Mon père prépare généralement les repas parce qu’il est bon en cuisine . Pour la lessive, ils alternent ». Quant au

La France compte environ 15 millions de couples, 150 000 d’entre eux seraient des partenaires de même sexe. Le nombre d’enfants résidant avec un couple de même sexe est estimé dans une fourchette de 24 000 à 40 000, la grande majorité vivant avec un couple de femmes. Les associations homosexuelles, quant à elles, parlent de 200 à 300 000 enfants concernés. Source : institut national d’études démographiques.

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beautés

Beautés… d’automne Virginie (ou Vivi sur la toile) tient le blog ivy-mag.com, un blog lifestyle avec une forte place pour la beauté noire et métissée. Elle est aussi chroniqueuse pour ELLE.fr où elle parle de la beauté en mode diversité.

Une peau éclatante Éclats de noix de coco et cacao pour dire au revoir aux cellules mortes ! Le soin visage gommant Niwel atténue aussi les irrégularités des pigmentations cutanées. Résultat : un teint frais, éclatant et plus unifié. 16 €, niwel.fr

L’automne pour les peaux noires et métissées c’est plus qu’un simple changement de saison. Entre légère chute de cheveux, teint grisâtre et peau plus sèche qu’à l’accoutumée, comment passer les prochains mois en douceur ? Avec ma sélection de soins hydratants, à la texture innovante, vous allez être équipée pour les frimas !

Cuir chevelu apaisé et follicules boostés

Toute douce de la tête aux pieds

Je fonds pour la crème coiffante Kreyol Pomad. Un soin made in New York mais avec des ingrédients exclusivement en provenance d’Haïti. Il va permettre de maintenir la coiffure mais aussi de booster la croissance et d’hydrater le cuir chevelu. Surprise, il n’est absolument pas gras et pénètre vite. 18 €, www.rosenadine.com

Le soin corps Extrême Nuhanciam, hydrate, unifie et rend la peau éclatante. Une crème corps qui contient de l’acide hyaluronique et de l’huile de macadamia. À utiliser matin et soir pour voir sa qualité de peau radicalement transformée. 33 €, nuhanciam.com

Des cheveux doux, nourris et hydratés Une fois par semaine, juste avant votre shampooing, nourrissez et hydratez vos cheveux avec des ingrédients qui ont fait leurs preuves : beurre de karité, huile d’amandes douces et miel. Ce trio est réuni dans le masque nourrissant pour cheveux secs, abîmés ou encore colorés de Loren Kadi. 20 minutes de pause pour des cheveux renforcés. 14 €, www.lorenkadi.com

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partager

Le Couscous de Fadila

« Fadila adore cuisiner et parler cuisine. Pour le Goût de l’autre, elle a préparé un couscous. Elle explique que c’est un mot français, que chez elle on l’appelle seksou qui signifie « rouler » en berbère, et que les couscous varient énormément d’une région à l’autre. Dans sa région d’origine, la Kabylie, on consomme un couscous d’orge : le couscous noir. « Autrefois, c’étaient les hommes qui mangeaient le blé parce qu’ils travaillaient à l’extérieur. En hiver, on prépare le couscous noir avec des légumes secs. » Retrouvez Fadila dans « Plats d’existences »

ingrédients

préparation

colliers d’agneau ou un autre 3 morceau d’agneau au choix, ou du poulet selon les goûts.

Laver et éplucher les légumes. Dans une marmite, faire revenir la viande avec les oignons coupés en lamelles.

3 oignons

Ajouter le sel et le poivre, le piment doux, le piment fort, le ras el hanout et le concentré de tomate.

ne ½ cuillère à soupe de piment U rouge doux. 1 cuillère à café de piment fort. Ras el hanout 100 g de concentré de tomate. 1 branche de céleri doré 3 carottes 00 g de haricots verts 5 (facultatif). 3 navets 3 courgettes 300 g de pois chiches en boîte. 600 g de semoule moyenne. 100 g de beurre 1 dl d’huile d’olive sel, poivre

Laisser mijoter pendant 15  minutes et ajouter la branche de céleri, les carottes, les haricots verts et les navets coupés. Cuire à couvert pendant 15 minutes à feu doux. Recouvrir d’eau, laisser mijoter pendant 30 minutes à feu doux, rajouter les courgettes et les pois chiches à la fin de la cuisson puis laisser encore mijoter pendant 15 minutes. Dans un grand saladier, mettre la semoule avec un peu de sel. Ensuite, mouiller et rouler la semoule au fur et à mesure. En mettre la moitié dans un couscoussier, attendre que la vapeur se dégage et ajouter le reste. Recommencer l’opération une deuxième fois, beurrer le couscous et servir chaud.

Passer à table et inviter des convives, français et étrangers, à cuisiner et déguster ensemble, c’est le pari réussi de Nathalie Baschet, Elena Lasida et Florence Mourlon, les auteures de « Plats d’existences » qui paraît cet automne aux Editions de l’Atelier. 18 idées de dîners, 54 recettes du monde entier, ce beau livre est le fruit d’initiatives citoyennes expérimentées par l’association « Le goût de l’autre » depuis octobre 2008. Chaque jeudi de fin de mois, « sans papiers» et « français » se retrouvent ensemble simples « dîneurs ». La règle de ses agapes est simple : hors d’œuvres et desserts sont l’affaire d’une cuisine française et le plat principal est préparé par une personne étrangère qui fait découvrir alors un peu de son pays. Plats d’existences 54 recettes. 18 dîners du monde entier. Nathalie Baschet, Elena Lasida, Florence Mourlon Les Éditions de l’Atelier / 16 € - 208 p.

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