UP #1

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5 €

VIE LOCALE AUTOMNE 2013

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ET SI ON PRENAIT LE POUVOIR ? Tour d’horizon d’actions citoyennes qui peuvent tout changer…

INTERVIEW

NOUVEAU

« On sortira de cette crise avec l’économie sociale et solidaire ! »

Créer plutôt que consommer !

Sans cuisine fixe !

Le concept ouvert des FabLabs débarque en France…

La cuisine mobile réinvente la restauration de rue

André Dupon, Mouvement des entrepreneurs sociaux

TENDANCE GOURMANDE



sommaire

6 9

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actus

santé (vie active)

Burn-out

Cessez le feu !

uppercut

C’est bientôt fini, tout ce gaspi ?

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© marion bocahut

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conso (gourmande)

La cuisine mobile

et si on prenait

C’est bon comme un camion !

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le pouvoir ?

conso (responsable)

De l’eau à la bouche Reportage embarqué avec l’association « Marché sur l’eau »

économie (culturelle)

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L’artisanat à la page

« Rêve et réalise »

© Grantegle

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société (collaborative)

FabLabs

Faites-le vous-même !

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société (philantrope) Le microdon

économie (ville durable) Le parcours de Charlotte Niewiadomski

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Remettre en selle 34

société (créative)

Les Roms face caméra

En marge de la rentrée littéraire

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Le concept américain d’empowerment, visant à donner aux habitants une véritable capacité d’agir à l’échelle locale, fait son chemin en France. Actions collectives, cafés citoyens, services chez l’habitant… Rencontre avec ces idées locales venues du bas.

économie (sociale)

Interview

d’André Dupon, président du Mouvement des entrepreneurs sociaux

42

monde (solidaire)

Turquie

Une agora dans Istanbul

45

médiathèque

© FANNY FONTAN

28

©DARNEL LINDOR

12

dossier


© darnel lindor

édito

Emmanuel MOSSON, directeur de la rédaction

Abonnements Presscode — France Hennique 27, rue Vacon — 13 001 Marseille — Tél. : 04 96 11 05 89 01

inspirer le quotidien

80, rue de Paris — CS 10 025 — 93 108 Montreuil Courriel : contact@upmag.fr

www.upmag.fr Directeur de la publication Jean-Marc Borello (jmb@groupe-sos.org) éditeur Gilles Dumoulin (gd@groupe-sos.org) Directeur de la rédaction Emmanuel Mosson (redaction@upmag.fr) RÉDACTEUR EN CHEF Emmanuel Mosson (redaction@upmag.fr)

abonnements@upmag.fr LES médiaS DU Groupe SOS Direction générale : Valère Corréard (direction@upmag.fr) Communication et partenariats : Stéphanie Veaux (communication@upmag.fr) Développement : Pierre Pageot (commercial@upmag.fr) Ressources : Laetitia Nettelet Régie publicitaire : Mediathic (commercial@upmag.fr) Tél. : 01 56 63 94 57 Groupe SOS

Rédactrice en chef adjointe Emilie Drugeon

102, rue Amelot — 75 011 Paris

(redaction@upmag.fr)

Tél. : 01 58 30 55 55

Secrétariat de rédaction Magali Jourdan,

Fax : 01 58 30 55 79

Marie-Line Lybrecht

www.groupe-sos.org

Ont participé à ce numéro Lucie Aubin, Christelle

Le Groupe SOS est un groupe d’entrepreneuriat social

Destombes, Wiliam Elland-Goldsmith, Fanny Fontan,

qui développe des solutions conjuguant utilité sociale et

Romain Le Roux, Alexandra Luthereau, Marie-France

efficacité économique. Créé en 1984, il compte

Makutungu, Valentine Pasquesoone, Fabien Soyez,

aujourd’hui près de 10 000 salariés au sein de 300

Olivia Villamy, Sylvie de Taroni

établissements et services présents en France

Direction artistique François Bégnez

métropolitaine, en Guyane et à Mayotte. Ses 37 entreprises

(francois.begnez@presscode.fr)

sociales (associations, sociétés commerciales,

Maquettistes Françoise Gorge, Martin Laloy,

coopératives) sont investies dans les secteurs de

Peggy Moquay, Floriane Ollier

la santé, du social, de l’éducation, de l’insertion,

Photographe Darnel Lindor

de la presse, de la solidarité internationale,

Couverture : Presscode

du développement durable et de la finance solidaire.

Photothèque : Thinkstock Impression Loire Offset Titoulet

Avec le soutien de :

ÉDITÉ PAR :

libre à chacun…

© groupe sos

nspirer le quotidien ! Ces mots résument à eux seuls le nouveau magazine UP dont vous découvrez le premier numéro. En succédant à la revue Interdépendances qui, pendant près de 10 ans, a contribué à faire connaître l’économie sociale et solidaire (ESS), la rédaction de UP a souhaité aller plus loin en proposant un magazine en phase avec son époque. Une société qui prend enfin conscience de l’intérêt de l’ESS, du développement durable et de la consommation responsable. Le magazine UP se veut un magazine optimiste par nature, réaliste et indépendant, inspirant votre quotidien dans tous les domaines (économie, environnement, emploi, etc.) via tous les supports (presse, web, tablettes numériques). Permettre à chaque lecteur de découvrir, de comprendre et si possible de « s’approprier » les initiatives et les idées concrètes inaugurant un cadre de vie à la fois plus social, plus durable et plus responsable. Symboliquement, le premier dossier UP est consacré au pouvoir d’agir des citoyens. A cette volonté de se replacer au centre du dispositif de décision et d’action au sein de la société. Mais la démocratie participative est l’affaire de tous comme la recherche d’une économie plus sociale et plus solidaire. Fautil encore que le grand public soit informé et concerné. Comptez sur nous. Allez, UP !

Depuis près de 30 ans, le GROUPE SOS a toujours fait avec la réalité… sans jamais l’accepter. Que ce soit pour faciliter l’accès aux soins, améliorer l’accompagnement de personnes âgées, perfectionner les dispositifs de réinsertion sociale, encourager des pratiques plus respectueuses de l’environnement, ou dessiner les contours d’une autre finance, nous ne cessons de remettre en cause l’existant, et avant tout, nos propres actions. C’est la condition préalable pour être résolument innovant, et donc apporter de nouvelles solutions aux problématiques sociales et sociétales. Au quotidien, nous construisons avec les pouvoirs publics, travaillons avec des associations et des entreprises « classiques » recrutons jeunes diplômés et salariés plus expérimentés… A leur tour ces derniers sont également amenés à interroger leurs pratiques. Comptant parmi les premières entreprises sociales européennes, il est de notre devoir de donner à tous les moyens de devenir acteur du changement. Loin de se prétendre donneur de leçons, UP se veut inspirateur. Lire pour mieux choisir. Libre à chacun de s’approprier les initiatives que ce nouveau magazine mettra en lumière. Libre à chacun de repenser, ou non, sa manière de se déplacer, consommer, voyager, militer, travailler ou entreprendre… Libre à chacun d’accorder ses choix de vie à ses convictions. Libre à chacun de ne plus subir, mais bien de choisir SON quotidien.

42 964 Saint-Étienne

UP est un magazine trimestriel édité par Presscode pour l’association Insertion et Alternatives Presscode — RCS : Paris 444 576 508 — www.presscode.fr Tous droits de reproduction réservés. Les articles publiés n’engagent que leurs auteurs. Commission paritaire : en cours - ISSN : en cours

www.presscode.fr

jean-marc borello, directeur de la publication et président du directoire du groupe SOS



actuS

DANS LA RUE

haque 3e weekend de septembre a lieu le Parking Day dans le monde entier depuis 2005. Le temps d’une journée les citadins peuvent prendre possession des places de parking dans la rue et les transformer, au gré de leurs envies, en espaces végétalisés, artistiques et conviviaux. Autant de propositions pour une ville plus verte et plus agréable à vivre. Parking Day est une manifestation organisée par Dédale, agence dédiée à la culture, aux nouvelles technologies et à l’innovation sociale en Europe. Elle réunit citoyens, artistes, urbanistes, paysagistes et militants écolo. www.parkingday.fr

concours

Prix de l’Étudiant entrepreneur en économie sociale La LMDE, mutuelle étudiante, organise la 6e édition du prix, en partenariat avec le programme Jeun’ESS. Ce concours s’adresse aux étudiants et aux jeunes diplômés de moins de 30 ans. Deux catégories sont représentées : l’économie sociale et solidaire, ainsi que le développement durable. Les deux lauréats recevront respectivement 6 000 € et 3 000 €. Dépôt du dossier avant le 25 octobre.

www.lmde.fr

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septembre octobre novembre 2013

© LES GARSONS

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économie

E PARTENAIR

© Martin Leers, 2 010

Projet de loi sur l’ESS

à couper le souffle !

22e édition du Festival du vent

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SZUMNY

Le Festival du vent s’installe une fois de plus sur la baie de Calvi, en Corse, du 23 au 27 octobre. Cet événement familial dédié à l’écologie et au développement durable est parrainé depuis plusieurs années par Isabelle Autissier et Yann Arthus-Bertrand. Concerts, venues d’artistes et de personnalités en tout genre en font un espace de création, surnommé Festiventu par les amoureux de ce festival atypique.

©

Trois questions à Carina Orru, présidente de l’association « Les amis du vent » et directrice du Festival du vent. Propos recueillis par Marie-France Makutungu

pourquoi un festival autour du vent ? Le Festival du vent se déroule à Calvi, une région assez venteuse. Le vent est pour nous le symbole de la liberté. On ne peut pas le mettre en cage ni le maîtriser. De plus, le vent permet la pollinisation. Une de nos valeurs est justement de prôner la pollinisation des idées, des initiatives culturelles et artistiques.

Que célèbre cet évènement ? La vie, le partage et l’échange ! Il s’agit d’une initiative éco-citoyenne et pluridisciplinaire. Plus de 450 artistes dont des plasticiens, chanteurs, sportifs sont présents. Il y a toujours une manifestation pour rythmer Calvi durant cette période. Comme des spectacles de rues pour enfants et adolescents.

Pourquoi vous être associés au collectif Clean Art Planet ? L’affiche cette année est réalisée par ce collectif, composé de Gilles Cenazandotti, artiste plasticien, Thierry Ledè, photographe, et Charlie Sansonetti, réalisateur. Ils utilisent des déchets, récupérés notamment sur les plages du Cap corse, pour nous inviter à réfléchir à l’impact de ce que nous rejetons dans les mers.

www.lefestivalduvent.com

Un projet de loi sur l’économie sociale et solidaire a été présenté par Benoît Hamon, ministre délégué à l’ESS et à la Consommation, mercredi 24 juillet, en Conseil des ministres, avec pour ambition de doper et de donner une reconnaissance à ce secteur. Une première pour ce domaine d’activité qui emploie près de 2,35 millions de personnes. Retrouvez les mesures phares du projet en page 35.

FINANCE

La 6e édition de la Semaine de la Finance Solidaire Comment épargner de façon solidaire ? Réponse lors de la Semaine de la finance solidaire du 4 au 11 novembre 2013 dans toute la France. Le label Finansol, à l’origine de l’initiative, assure qu’il est possible d’épargner tout en finançant des causes telles que l’accès à l’emploi ou au logement pour des personnes en difficulté et l’entrepreneuriat.

www.semainede-la-financesolidaire.com

découverte

Le mois de l’ESS Les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire proposent un mois de découverte et de sensibilisation du grand public à l’ESS. De nombreuses entreprises, associations et initiatives solidaires auront ainsi l’occasion de s’illustrer à travers des conférences, animations et divers ateliers. Ainsi, du 1er au 30 novembre a lieu le 15e anniversaire de la Course en solidaire à Lille. Ce concours régional existant depuis 1998 est organisé par la Mutualité française Nord-Pas-de-Calais. Autre exemple, le marché des initiatives locales et durables s’installe sur Harfleur le 24 novembre. L’occasion de rencontrer les acteurs locaux de l’ESS tels que les producteurs, commerçants et artisans. De nombreuses autres manifestations auront lieu partout en France.

www.lemois-ess.org septembre octobre novembre 2013

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COLLOQUE

concours

Le « prix 1 000 pionniers qui changent le monde »

Paris accueille l’événement « 1 000 pionniers qui changent le monde » du 19 au 24  septembre. Organisé par les plateformes Shamengo, Newmanity et les rencontres LH Forum, la manifestation prend la forme d’un concours Web, où plusieurs domaines d’activité sont représentés : environnement, solidarité, bien-être, santé, éducation, mode, design ou encore architecture. Le nom des vainqueurs de ce concours sera annoncé le3 décembre au cours d’une cérémonie. Trois prix seront décernés : le 1er prix, le coup de cœur du jury et le prix du public. Les trois lauréats recevront un lot commun : la réalisation d’un portrait sur le site Shamengo, une publicité médiatique de la part du réseau social Newmanity d’une valeur de 30 000 € Le premier prix remporte également un voyage d’une valeur de 5 000 € lui permettant d’aller rencontrer un des pionniers Shamengo dans le pays qu’il désire. Dépôt du dossier de candidature avant le 15 octobre : www.1000pionniers.com

Rendre la ville aux piétons, pourquoi et comment ? C’est le thème d’un colloque qui aura lieu à Strasbourg le 17 octobre. Y seront débattus les avantages de la marche comme activité gratuite et totalement écologique. Strasbourg a d’ailleurs établi un plan 2012/2020 visant à favoriser l’espace dédié à la marche dans la ville. Ce colloque rejoint plusieurs évènements dédiés à la mobilité douce.

CONCOURS 6-13 ans

Les bâtisseurs de possible Pourquoi ne pas intégrer les enfants

ÉVÉNEMENT

© Marianne Brunhes

au changement social ? Syn-lab, association en partenariat avec le Groupe SOS et plusieurs structures éducatives ont décidé de lancer une expérimentation auprès des plus petits. Inscrits par leur enseignant, animateur

La voie est libre

ou éducateur, des enfants de 6 à 13

Le 22 septembre a lieu la 5e édition du festival « La voie est libre » sur l’autoroute A186, en Seine-SaintDenis. L’espace d’une journée, on végétalise le goudron et les participants à vélos, skates ou à pieds se réapproprient le lieu. A découvrir : concerts, théâtre, performances, dégustations !

problème sur les thématiques du

www.lavoieestlibre.org

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INTERNATIONAL

La Semaine de la solidarité internationale

www.strasbourg.eu

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A ne pas rater ! Des acteurs du changement venus du monde entier seront présents sur les berges de Seine à Paris les 21 et 22 septembre.

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Sept jours pour sensibiliser des milliers de personnes aux notions d’équité, de solidarité et de développement durable. C’est l’objectif de la 16e édition de la Semaine de la solidarité internationale qui se déroule partout en France du 16 au 24 novembre. Le Centre de recherche et d’information pour le développement (CRID) coordonne la semaine. Des journées à thèmes, des conférences ou encore

des spectacles seront proposés tout au long de l’évènement. Réza, célèbre photographe iranien, est le parrain de l’événement, qui réunit chaque année des milliers de personnes. www.lasemaine.org

ans ont pour mission d’identifier un développement durable, de la solidarité et des diversités. Ils doivent ensuite imaginer des solutions, concrétiser leurs idées et enfin les partager avec le plus grand nombre. Un des enjeux majeurs étant de faire prendre conscience aux plus petits qu’ils peuvent être acteurs du changement.

Date de début du concours : le 2 septembre www.batisseursdepossibles.org

DURABLE

Ecocity 2013 sommet mondial de la ville durable Du 25 au 27 septembre, Nantes accueille le sommet mondial de la ville durable Ecocity au centre des congrès. Conférences, ateliers, tables rondes rythmeront ces deux jours. L’enjeu : accélérer la transition écologique des villes, en installant un dialogue entre les acteurs qui contribuent à transformer les espaces urbains en villes durables. Cette 10e édition sera suivie de la conférence annuelle des villes signataires du pacte de Mexico. www.ecocity-2013.com


percut

C’est bientôt fini tout ce gaspi ? Chaque année, les Français jettent individuellement entre 20 et 30 kg de nourriture, soit environ 400 euros pour une famille de quatre personnes. Porter un coup d’arrêt à cet effrayant gaspillage alimentaire aurait une double vertu : soutenir notre pouvoir d’achat et agir pour les générations futures en contribuant à la préservation de notre écosystème. La solution pour y parvenir relève du bon sens : acheter uniquement ce dont on a besoin ! Simpliste ? C’est pourtant ce que préconise le britannique Tristram Stuart. L’auteur de « Global Gâchis » (éd. Rue de l’échiquier, juin 2013) est persuadé que les réponses à opposer au gaspillage alimentaire peuvent être simples et, mieux encore, ludiques. Participer à son Banquet des 5 000 – ou à une Disco soupe, sa petite sœur française (www.facebook.com/DiscoSoupe) – achèvera de convaincre les plus sceptiques, qui pourront déguster salades de fruits et soupes de légumes réalisées à partir de produits destinés à être jetés. Principal enseignement : ces victuailles restent parfaitement comestibles, contrairement à ce que laisse entendre leur date de péremption. Cerise sur le gâteau, elles n’en demeurent pas moins savoureuses ! Grâce à sa capacité à convaincre chacun d’entre nous, consommateurs, producteurs, distributeurs, que nous détenons les clés pour mettre fin au gaspillage alimentaire, Tristram Stuart est devenu l’un de ses procureurs les plus acharnés et respectés. Porte-voix de la nouvelle génération anti-gaspi, il a su retenir l’attention des responsables politiques. Ainsi reconnaîtra-t-on son goût pour la pédagogie plutôt que pour la répression dans le Pacte national contre le gaspillage du ministre de l’Agroalimentaire Guillaume Garot, présenté en juin par le gouvernement. Fédérer plutôt que stigmatiser les acteurs de la chaîne alimentaire, telle est l’ambition partagée, avec en ligne de mire la réduction par moitié du volume des déchets alimentaires d’ici 2 025.

Anticiper, décloisonner, inspirer : ce sont les missions que se fixent les «Up Conferences», la plateforme de l’innovation sociale. Pour découvrir le programme : www.up-conferences.fr

Espace dédié à l’innovation sociale en plein cœur de la Place de la République à Paris, le Café monde et medias, animé par la communauté Up, a ouvert ses portes le 18 juillet 2013. Vous y retrouverez une programmation complémentaire aux Up Conferences dans un esprit plus interactif, plus convivial, plus Up Café ! Prochainement : 2 Octobre, 18h30 / 19h45 : Les médias de l’innovation » 23 Octobre, 18h / 20h : Et si les enfants dessinaient l’école de demain ?

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La « UP Conferences » avec Tristam Stuart en vidéo

William Elland-Goldsmith

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© Pauline Daniel

conso conso (gourmande) (gourmande)

Des produits de qualité, cuisinés presque devant vos yeux dans de drôles de camions, par des jeunes chefs désireux de partager leur passion de la cuisine. L’offre de restauration de rue se renouvelle et la cuisine collaborative se développe pour le plus grand plaisir des urbains curieux, mobiles et gourmets.

La cuisine mobile

C’est bon comme un camion ! © marion bocahut

15 000

professionnels de restauration ambulante en France selon les estimations du site monitinerant. com (qui géolocalise ces cantines mobiles) et de Street Food en Mouvement.

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ur la terrasse de l’ancienne gare d’Ornano, dans le 18e arrondissement de Paris, des camions bigarrés offrent tous les midis, depuis juin, une restauration rapide à valeur ajoutée : burgers inventifs, frites maison, vraie cuisine mexicaine, tartes salées ou sucrées, piadinas ou focaccias. C’est une tendance toute fraîche importée des Etats-Unis, où l’offre de restauration métissée à petits prix se conjugue à la mobilité des urbains et à l’envie de manger ici et maintenant, quelque chose de bon. Et on la voit s’éparpiller aux quatre coins de l’Ile-de-France cet été : au festival Solidays, lors de « l’été du Canal de l’Ourcq », à Vélizy 2, à la Défense… Ces camions de restauration ambulante attirent l’œil et aiguisent l’appétit.

La cuisine en partage Car les food-trucks, comme on les désigne, ne sont ni des camions pizza, ni des friteries. Ils proposent une offre variée, où le goût, la qualité et la provenance des produits priment.

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Sandra Brun, créatrice d’El Tacot, a forgé sa philosophie : « L’impact environnemental m’intéresse, et le fait de manger bon et sain. Nos viandes et produits laitiers sont bio, nos boîtes à repas sont en pulpe de canne à sucre, recyclée, nos couverts en amidon de maïs, recyclables. » La jeune femme a participé au rassemblement de food-trucks organisé gare d’Ornano par Les Camionneuses depuis le mois de juin. Ces quatre filles passionnées de cuisine ambitionnent d’offrir un espace de travail partagé aux « sans-cuisine-fixe » : l’Office. Elles ont découvert ce concept aux Etats-Unis, où près de 200 cuisines partagées permettent de mutualiser les coûts et de tenter l’aventure culinaire. « Les cuisines partagées n’existent pas en France, alors qu’il y a des besoins, relate Anaïs Tarby, l’une des fondatrices. Quelques heures après avoir lancé un questionnaire en ligne, des gens nous appelaient pour savoir quand on ouvrait ! » Un local de 200 m2, doté de matériel professionnel, d’espaces de stockage sec et froid, devrait accueillir l’Office d’ici la fin de l’année. A la


Ma cantine en ville En 2012, la Cité de l’architecture a organisé un concours de microarchitecture ouvert aux étudiants des écoles d’architecture, de design, etc., sur le thème

© Pauline Daniel

« Les grandes carrioles de la Friche » ont été imaginées par des chefs de renommée en duo avec un artiste (scénographe, plasticien, designer), dans le cadre de Marseille capitale européenne de la culture 2013.

carte ou sur abonnement, il sera ouvert à la jeune génération de chefs, prêts à partager leur cuisine, leurs pratiques, et à conquérir l’espace public.

La Cocina, incubateur

culinaire

© Marion Bocahut

Christelle Destombes

Dans le 18e arrondissement de Paris, plusieurs food-trucks se succèdent sur la terrasse de la REcyclerie.

Le concept de cuisine partagée est poussé au maximum de son ambition sociale et solidaire à San Francisco, où la Cocina, implantée dans le quartier pluriethnique de Mission, accueille des femmes récemment immigrées pour leur permettre de développer leur activité. Depuis 2005, le local offre laboratoire de cuisine, assistance technique et soutien au développement d’une entreprise (financement, gestion des produits, marketing, etc.). Une trentaine de business ont ainsi été couvés depuis le début du programme, avant de se confronter à la concurrence extérieure. Soutenue par plusieurs fondations, la Cocina a pour principe que « les entrepreneurs gagent une sécurité financière en faisant ce qu’ils aiment, créant un paysage économique innovant et ouvert ». C.D. www.lacocinasf.org

de la petite restauration de rue. « Ma cantine en ville » expose, du 23 octobre au 2 décembre, les œuvres des lauréats, qui ont réfléchi autour des enjeux de l’alimentation et de l’espace public et se sont vu offrir la possibilité de construire leurs prototypes à l’Ecole supérieure du bois à Nantes. En parallèle, un festival de food-trucks accueillera les visiteurs de l’expo, place du Trocadéro. Cité de l’architecture et du patrimoine 1 place du Trocadéro Paris, 16e. Entrée libre Un livre accompagne cette exposition, en librairies le 10 octobre : «Ma Cantine en ville», sous la direction de Fiona Meadows & Michel Bouisson. Ed. Alternatives, 240 p., 25 €

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Reynald Ducoût pilote depuis un an l’ancien bateau d’ostréiculteur, acheté à Arcachon. Pendant trois heures, il sera « seul au monde à naviguer » sur le canal de l’Ourcq. Rien de commun avec l’encombrement des routes. « Au niveau de l’essence par contre, la consommation est à peu près équivalente aux transports classiques », précise le conducteur. Avec un chargement comparable à celui d’un camion. La voie fluviale, c’est aussi moins de bruit, le désengorgement du trafic routier et la sensibilisation de la population aux alternatives de transport.

Départ du port

2 7h1

Fraises, courgettes, estragon, radis, coriandre… Majoritairement bio ou issus de l’agriculture raisonnée, les produits sont chargés et rafraîchis d’un drap mouillé. Le Potager de la grenouillère, installé à Changis-sur-Marne, fait partie des exploitations choisies dans un rayon de 30 km. « Mon fils ne fait que de la vente directe, témoigne Marie-Hélène Valet, venue livrer les fruits de son labeur. Car la grande distribution exploite aussi bien le producteur que le client. »

Clayes-Souilly, Seine-et-Marne, chargement de la barge

5h4

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Utiliser la voie fluviale pour transporter fruits et légumes : plus que poétique, le concept de l’association « Marché sur l’eau » se veut cohérent. Reportage embarqué, un matin de juillet.

De l’eau à la bouche

conso (responsable)


photos : © Darnel Lindor

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L’association fait un peu de vente en vrac, mais privilégie l’abonnement pour « limiter le gâchis ». « Marché sur l’eau » publie aussi une web-gazette et organise des Dîners locavores (manger local). « Les consommateurs savent que nous ne sommes pas un marché classique, précise Claire-Emmanuelle Hue. Ce qui nous intéresse, c’est faire de la pédagogie, de la sensibilisation à la consommation durable. » Emilie Drugeon

L’intégrale des photos

Flashez ce code avec votre smartphone

« Il faut que les gens se réhabituent aux produits de saison, plutôt que de manger des tomates toute l’année », lance une abonnée. Depuis un an, Catherine vient chercher son panier de fruits et légumes le week-end. Chaque adhérent de l’association est tenu de donner un coup de main pour la distribution, au moins une fois. Ils sont aujourd’hui presque 300. « C’est un vrai succès d’estime auprès des consommateurs », observe la fondatrice Claire-Emmanuelle Hue.

Les paniers sont tous distribués

12h

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Entrée au bassin de la Villette pour la livraison

5 10h

Le Parc de la Villette, par lequel passe la petite péniche, n’est plus qu’à 10 km. Si quelques autres enseignes utilisent les artères du bassin parisien, il s’agit de marchandises manufacturées pour la grande distribution, et non pas de produits frais en circuits-courts. L’inconvénient de ce parcours pour la petite association : la forte teneur en calcaire du canal, provoquant des frais d’entretien importants du moteur.

Ecluse de Sevran

9h1


santé (vie active)

Cessez le feu ! 10 % des salariés

se consument C’est le pourcentage sur lequel les médecins s’accordent pour quantifier le nombre de salariés français actuellement touchés par le burn-out. (1)

45 %

continuent à recevoir leurs mails et appels professionnels pendant leurs vacances. Ne pas arriver à « décrocher » peut être une des premières causes de burn-out. (2)

En français, on l’appelle le syndrome d’épuisement professionnel. Le burn-out touche un nombre croissant de travailleurs, à tous les niveaux de l’entreprise. Ce mal insidieux n’est pourtant pas reconnu et engendrera de plus en plus de dégâts si rien n’est fait pour l’enrayer.

ensation de vide intérieur, perte d’appétit, troubles du sommeil, fatigue importante… Les symptômes de cette pathologie sociale du xxie siècle sont nombreux et peuvent même conduire au suicide. L’actualité se fait d’ailleurs régulièrement l’écho de ces issues tragiques sans que les pouvoirs publics ne semblent prendre conscience de la gravité de la situation. Or le burn-out est avant tout le mal d’une société où le stress, la rentabilité, la production pour ne pas dire la surproduction, sont devenus les maître mots du monde du travail. La crise aidant, les salariés ont non seulement à cœur de ne pas décevoir, mais cherchent aussi une reconnaissance. Le cercle vicieux est en place ! On en demande beaucoup à un personnel qui ne peut pas se permettre de refuser, et en fait toujours plus par crainte « d’être mal vu » ou de perdre son emploi. Le tout sur fond de pression et de déshumanisation qui contribue au mal-être des employés.

Une maladie non reconnue François Baumann est médecin généraliste à Paris et travaille particulièrement sur cette pathologie. Il y a même consacré un ouvrage* dans lequel il n’hésite pas à parler « d’épidé-

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mie et d’état d’urgence » devant le nombre croissant de cas observés au sein de sa patientèle. Il souligne la difficulté à détecter cette maladie : « De l’extérieur, la personne proche du burn-out semble souvent aller bien, car par définition, il est comme une brûlure interne, qui laisse la façade intacte. » Alors qu’au Japon et aux Etats-Unis, il est reconnu depuis de nombreuses années comme maladie professionnelle – les Japonais le considèrent même comme accident du travail depuis les années 70 – en France, nous en sommes encore à constater des cas de burn-out et à les assimiler à des dépressions plus ou moins sérieuses. Cette non-reconnaissance contribue à la culpabilisation des salariés qui, souvent, attendent l’extrême limite pour se soigner. Sylvie de Taroni

* « Guide anti burn-out » du docteur François Baumann, éditions J. Lyon, 2010, 200 pages, 16 € (1) Source : www.elle.fr/Societe/Le-travail/ Mieux-concilier/Travail-en-vacances-les-cadresdeconnectent-elles-2476022 (2) Source : enquête europe1.fr, juillet 2013



dossier

et si on prenait le pouvoir ?

VIE LOCALE

ET SI ON PRENAIT

LE POUVOIR ?

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dossier

et si on prenait le pouvoir ?

Le concept américain d’empowerment, visant à donner aux habitants une véritable capacité d’agir à l’échelle locale, fait son chemin en France. L’idée attire l’attention des pouvoirs publics, en quête d’une nouvelle politique de la ville. Comment relancer la participation citoyenne des Français en ces temps de crise ? Actions collectives, cafés citoyens, services chez l’habitant… Les initiatives fleurissent. e temps est à l’action et le contexte parfait pour repenser la place des citoyens dans la vie politique française », estime Pascal Aubert de Pouvoir d’agir, collectif regroupant individus et associations cherchant à développer les mobilisations citoyennes. Pour lui, la culture française de « toute puissance des politiques publiques et de l’Etat » est en phase d’affaiblissement. Alors que le pays vit une crise sociale et politique, le moment est venu de repenser la participation des habitants. Militant depuis 2010 dans les cercles de la politique de la ville, Pouvoir d’agir a décidé de passer à l’étape supérieure. À la rentrée, le groupe apportera son soutien à différentes expériences donnant plus de pouvoir aux citoyens, et ce, aux quatre coins de la France.

vecteur de réforme L’une de ces initiatives a lieu à Poitiers, dans un quartier d’habitats collectifs. Là, plusieurs parents se mobilisent pour la réussite des jeunes. A Lille, une idée similaire prend forme dans le quartier de Fives, auprès de parents défavorisés. Il y aura des discussions, un échange de bonnes méthodes entre ces projets. Pouvoir d’agir espère les aider à faire des émules, à mieux s’organiser. Car tous ont en commun le même objectif : l’empowerment, ou la « capacité d’agir » des habitants dans leurs quartiers. Originaire

des Etats-Unis, le concept a récemment attiré l’attention des pouvoirs publics français, dans un espoir de réforme de la politique de la ville. Le ministre délégué à la Ville, François Lamy, a demandé à la sociologue MarieHélène Bacqué et au président d’AC Le Feu — une association visant à faire remonter les problèmes des quartiers populaires auprès des institutions — Mohamed Mechmache, de partir à la rencontre de ces personnes engagées pour plus de pouvoir citoyen. L’objectif : repenser la politique de la ville en associant cette fois-ci davantage les habitants. Après six mois de terrain et plus de 300 entretiens, leur constat est sans appel. « Ça ne se fera plus sans nous » est le titre de leur rapport rendu en juillet. Tous les deux sont convaincus qu’une réforme « radicale » de la politique de la ville est nécessaire, en particulier dans les quartiers populaires. « Il y a une véritable volonté associative et citoyenne, mais beaucoup de freins politiques à laisser les habitants prendre des initiatives », affirme Marie-Hélène Bacqué. La sociologue évoque notamment l’institutionnalisation de la vie associative et le manque, à l’échelle locale, de représentation politique de certains publics comme les femmes et les jeunes. La voie de la réforme pourrait bien être l’empowerment.

Réduire le fossé entre décideurs et citoyens En France, plusieurs sociologues, militants

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© A.C.T.I.F.

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Théâtre-forum à Saintes Dans le cadre du festival « Dire le monde » (février/mars 2 013) à Saintes (17) et d’« ateliers citoyens » portés par Arc-en-ciel théâtre Ile-de-France, une séance de théâtre-forum débute par un jeu : se dire bonjour, mais pour se lâcher la main, en serrer une autre. « Ces ateliers consistent à réunir les habitants d’un territoire par le biais du théâtre et évoquer des situations problématiques qu’ils peuvent vivre dans leur ville », détaille Nordine Salhi, membre d’A.C.T.I.F. De là émanent des propositions transmises à l’adjoint au maire chargé de la démocratie participative. Cette méthode d’intervention sociétale permet « de redonner à chaque citoyen la possibilité d’intervenir et d’agir sur son environnement », selon Nordine Salhi.

et responsables associatifs s’accordent sur le fait qu’il manque dans le pays un pouvoir de décision venu « du bas », des citoyens. C’est à partir de ce constat que s’est lancé l’Espace pour des communautés et habitants organisés (ECHO), une initiative d’empowerment à Grenoble, en 2010. A l’époque, huit personnes aux parcours variés – toutes passionnées par le travail du sociologue américain Saul Alinsky autour de ce concept – se retrouvent pour discuter du fossé séparant les détenteurs du pouvoir et les citoyens. Tous engagés dans le milieu

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associatif, ils mesurent combien le manque d’outils et de méthodes empêche les habitants de participer aux projets de leurs quartiers. Chacun s’inspire alors de son expérience et réfléchit à un projet de collectif citoyen à l’échelle grenobloise. Le groupe se demande si ces méthodes anglo-saxonnes – « community organizing », l’organisation de revendications politiques et de campagnes au sein de communautés – peuvent vraiment s’adapter en France. « Et puis on s’est dit qu’il fallait arrêter de réfléchir. Qu’il fallait se lancer, qu’on ne saurait pas sans expérimenter »,


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se souvient Solène Compingt, ancienne éducatrice spécialisée et l’un des membres fondateurs d’ECHO.

Crise de la représentation C’est cette même année que naît l’initiative Voisin malin, dans le département de l’Essonne. L’association se charge de recruter des « voisins » pour aller à la rencontre d’habitants et les informer sur des sujets tels que les charges locatives ou le tri sélectif. Ces citoyens désormais au nombre de 30 et éparpillés dans quatre villes, sont parfois des responsables associatifs mais aussi et souvent de simples habitants, connus pour être prêts à aider dans leurs quartiers. En créant ce service, Anne Charpy a souhaité remédier à un manque important dans les quartiers populaires : celui d’un contact entre les projets de réhabilitation urbaine et les habitants concernés. Ancienne directrice des groupements d’intérêt public (GIP) Centre Essonne et Grigny/Viry-Châtillon, la fondatrice de Voisin malin compte quinze ans de métier dans l’urbanisme. L’abstention lors des dernières élections municipales dans les villes les plus populaires de l’Essonne a été pour elle un électrochoc. « Cela a été un coup de massue, reconnaîtelle. On a raté une vraie connection avec les habitants. » Dans les réunions de quartiers, elle rencontre souvent plus de professionnels que d’habitants. Les femmes, notamment, sont les grandes absentes de ces réunions. Anne Charpy s’inspire alors de son expérience chilienne — dans le microcrédit (1) entre 1990 et 1993 — pour lancer Voisin malin. « J’étais impressionnée par la capacité des mères de famille chiliennes à monter un système de solidarité » se souvient-elle. Aujourd’hui, huit « voisins » sur dix sont des femmes. Certains habitants commencent à venir aux réunions de quartier, « mais pas encore de manière spontanée » soutient Anne Charpy. « Cela prendra du temps avant que cette culture évolue. Les élus et les responsables locaux doivent apprendre à donner une vraie place aux habitants. » Pour Marion Carrel, maître de conférences en sociologie à l’Université Lille 3, c’est bien cette crise de la représentation et de la participation politique qui est à l’origine de l’empowerment en France. « L’envie est plus forte, parmi la population, de ne pas déléguer son pouvoir pendant cinq ans, explique la cher-

Les élus et les responsables locaux doivent apprendre à donner une vraie place aux habitants

Anne Charpy Voisin malin

cheuse. Les Français ont besoin de dialoguer, de nourrir les décisions des élus. »

Un contre-pouvoir Selon Marion Carrel, certains voient l’empowerment comme une participation des habitants impulsée par les institutions. Or, la vision anglo-saxonne du mot, imaginée par Saul Alinksy dans les années 1930, présente au contraire l’idée d’un pouvoir de participation venu d’en bas, de l’action collective. C’est à partir de cette définition qu’ECHO s’est lancé à Grenoble. Leur objectif était clair : former un contre-pouvoir en ne partant ni des institutions, ni des associations, mais bien des habitants. Sorties d’écoles, cafés, lieux de culte : pendant cinq mois, trois membres du collectif sont partis à la recherche de Grenoblois prêts à se mobiliser. « De contacts en contacts, nous cherchions des personnes reconnues dans leurs quartiers, se souvient Solène Compingt. Jamais nous n’aurions rencontré ces personnes à partir des institutions. » En cinq mois, le collectif a réussi à former un noyau de près de 100 personnes. Charges locatives, conditions de travail des femmes de ménage, guichet pour les étudiants étrangers : ECHO a lancé cinq premières campagnes en 2 011. La revendication la plus récente du collectif, devenu Alliance citoyenne grenobloise, concernait une école qui avait brûlé en juin 2 012 dans le quartier de la Villeneuve à Grenoble. Les parents d’élèves demandaient sa rénovation tandis que la ville refusait. ECHO est allé chercher non seulement les parents, mais tous les alliés possibles — familles et amis, soutiens religieux, syndicaux — pour mener ce projet à bien.

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C’est une remise en cause du modèle de l’Etat centralisé, Jean-Pierre qui devient inadapté à une Reinmann agir café société dynamique Le groupe est allé plus loin, amenant les enfants en plein conseil municipal. « Ce genre d’action coup de poing ne peut pas laisser les décideurs indifférents, soutient Solène Compingt. Nous avons obtenu un rendez-vous avec quatre élus et un compromis a été trouvé. » La ville a finalement accepté de rénover l’école des Buttes, qui ouvre ses portes à la rentrée.

Témoignage

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a case de sa nt

é

Jérôme Host, co-fondateur de la Case de santé

« Depuis 2006, la Case de santé est un lieu d’accès aux droits pour des personnes malades et une association gestionnaire d’un centre de santé agréé. Nous considérons que la santé ne concerne pas que le curatif, le soin ; il faut être capable de s’attaquer aux inégalités sociales. Dès le départ notre projet était basé sur la philosophie de la charte d’Ottawa, qui définit le concept de promotion de la santé. C’est l’idée de faire participer les patients à la réappropriation de leur santé.

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Il y a trois dimensions : offrir un accueil individuel, créer des actions collectives, être un plaidoyer, c’est-à-dire faire remonter les problématiques aux décideurs. Nous travaillons par exemple avec les Chibanis, la première génération d’immigrés. En s’attaquant aux problématiques auxquels ils sont confrontés, une campagne et un collectif ont été créés [« Justice et dignité pour les Chibanis-a-s » N.D.L.R.] Le concept d’empowerment est à la mode mais il n’a de sens que lorsque les gens se regroupent pour mener des luttes. Aujourd’hui les pouvoirs publics veulent intégrer ce concept dans les politiques locales ; à la Case de santé, nous pensons qu’il faut davantage soupçonner un contrôle social qu’une vraie volonté de donner du pouvoir aux gens. » Propos recueillis par Émilie Drugeon

ROMPRE L’ISOLEMENT D’autres initiatives ont été lancées pour apporter des services manquant dans certaines villes, et rapprocher les habitants de leurs quartiers et de ses ressources. En Essonne et désormais en Seine-Saint-Denis, l’équipe de Voisin malin tente de reconnecter des personnes isolées « à une association, à un service », explique Anne Charpy. Mal informées, elles se sentent oubliées et « ont le sentiment de ne pas compter. » Consultant en prévention urbaine depuis dix ans, Yazid Kherfi est parti du même constat en lançant Pouvoir d’agir 93 en Seine-Saint-Denis. Dans les quartiers sensibles, il ne voyait aucune initiative à l’attention des jeunes en soirée. « Les habitants se sentent impuissants » raconte-t-il. L’année dernière, il décide alors de lancer un projet de « médiation nomade », un véhicule se déplaçant le soir dans différents quartiers, accueillant jeunes et habitants autour d’un thé ou d’un café. Des travailleurs sociaux et éducateurs sont également présents lors de ces soirées. « On parle des problèmes du quartier et de la façon dont on peut les résoudre, raconte Yazid Kherfi. Ça crée du respect et du dialogue. Les habitants sont contents. »

Thèmes locaux et questions de société Ce genre de rencontres incite à débattre non seulement de questions locales, mais aussi des sujets de société. Lancé en novembre 2 012 à Lyon, l’Agir Café réunit une fois par mois des personnes souhaitant faire avancer un projet collectif, visant au mieuxêtre de notre société. A l’origine, un noyau de citoyens intéressés par le concept d’empowerment, issu des associations Convaincre et Ateliers de la citoyenneté à Lyon. Le premier projet a été mené par un groupe d’étudiants de l’Ecole nationale des travaux


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à lire sur le sujet

Pour faire société, on est capables de tout Capacitation citoyenne, éditions Couleur livres, 2013

Marché de la Charmeuse à Goussainville (95)

publics (ENTPE). Ces derniers souhaitaient faire participer des jeunes de 18 à 30 ans à un débat public autour de l’anneau des sciences, le projet du périphérique ouest de Lyon. D’autres idées ont vu le jour au fil des rencontres. Logements intergénérationnels intégrant capacités de soin et locaux collectifs pour les personnes âgées, club de foot pour des jeunes moins encadrés par leur famille, maison de soins palliatifs : en moins d’un an, des projets ont pu se structurer tandis que d’autres sont en développement. Jean-Pierre Reinmann, l’un des fondateurs de l’Agir Café, s’est inspiré de sa propre expérience professionnelle. Ingénieur généraliste travaillant dans l’externalisation du patrimoine des pompiers (2), il a eu l’idée de partir du modèle du volontariat parmi les pompiers, et d’appliquer ce statut dans le secteur

© A.C.T.I.F.

« Les handicapés, c’est nous, mais avec quelque chose en moins », était-il écrit sur une affichette le 8 juin dernier. Arc-en-ciel théâtre Ile-de-France se fait « porteur de paroles », selon une méthode consistant à se rendre dans l’espace public et à questionner la population sur une thématique. « A travers le jeu, on aborde des choses sérieuses, explique Nordine Salhi, responsable de projets au sein d’A.C.T.I.F. Les citoyens ont un droit de regard sur ce qui se passe dans la cité, un droit de contestation et de propositions. A partir de là, on voit ce que l’on peut faire avec les élus, ou sans eux. »

de l’orientation des jeunes. Son projet est désormais d’inviter des volontaires dans les établissements scolaires, afin d’aider les jeunes à choisir un métier. « La citoyenneté active est inévitable, elle s’exercera d’une façon ou d’une autre » affirme-t-il. « C’est une remise en cause du modèle de l’Etat centralisé, qui devient inadapté à une société dynamique », poursuit Dominique Gaudron, autre organisateur de l’Agir Café. « Il faut que les gens puissent faire d’eux-mêmes. »

« A l’heure des révolutions arabes et de l’action des indignés sur les grandes places de nos villes, les acteurs de Capacitation citoyenne veulent témoigner, communiquer leur enthousiasme et leur ferveur », préface le philosophe Patrick Viveret. Ce programme d’actions regroupe une centaine de collectifs depuis 2000.

Engagement durable Une fois la confiance des habitants gagnée, ces différentes initiatives le prouvent : Ceuxci s’engagent dans la durée. Solène Compingt se souvient des premières réactions des habitants face au projet d’ECHO. « Peut-être 20 % d’entre eux se demandaient si on appartenait

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Plusieurs tentatives françaises depuis 30 ans

à lire sur le sujet

L’empowerment, une pratique émancipatrice Marie-Hélène Bacqué, Carole Biewener, éditions La Découverte, 2013

Pourquoi un tel engouement pour l’empowerment ? Cette enquête s’attache à y répondre, en revenant sur la difficile traduction du terme, son histoire via les mouvements féministes notamment, et son importation en France. « Son internationalistion s’est cependant faite au prix de la domestication de la notion », précisent l’économiste et la sociologue.

L’empowerment, concept du sociologue américain Saul Alinsky, né dans les années 1930 à Chicago, n’en est pas à ses débuts en France. Certaines initiatives en sont issues dès les années 1980. A cette époque, les pouvoirs publics « facilitent la vie associative pour renforcer la capacité des gens » à prendre part aux décisions politiques locales, explique Jacques Donzelot, sociologue et historien spécialiste des questions urbaines. Mais l’on demande alors aux habitants de décider de « détails » dans la réhabilitation de leurs quartiers, comme par exemple « la couleur de leurs cages d’escalier », précise le chercheur. Aujourd’hui, Jacques Donzelot considère l’intérêt du ministère de la Ville pour l’empowerment comme « théorique », même s’il voit quelque chose émerger du côté des personnes déjà engagées sur le sujet, telles que Mohamed Mechmache d’AC Le Feu. Le sociologue distingue deux modèles d’initiatives. Le premier consiste en des collectifs de femmes qui, dans leurs quartiers, s’engagent pour des questions de la vie quotidienne telles que les charges locatives. Le second est celui de jeunes actifs et diplômés d’origine maghrébine, qui veulent guider les jeunes de leurs quartiers vers la réussite individuelle. V.P.

à un parti politique, si on travaillait pour la mairie », raconte-t-elle. Mais à terme, « les gens sont toujours là ». L’Alliance citoyenne grenobloise compte désormais 2 000 personnes mobilisées et six victoires obtenues sur huit campagnes. Car il y a chez les habitants un potentiel citoyen que l’on oublie, sur lequel on ne se base pas assez. Tel est le constat que fait Dominique Gaudron à Lyon : parmi les premières personnes à s’être engagées pour lancer l’Agir Café, plusieurs sont retraitées ou en fin de carrière. Il y a là un potentiel à explorer. « Ce sont des gens qui ont beaucoup de temps et l’envie de faire des choses. », soutient-il.

Un coup de pouce pour les associations Mais ces stratégies bénéficient également aux associations, déjà engagées auprès des habitants de leurs quartiers et parfois en difficulté. « Il y a chez les responsables associatifs une très grande attente de changement, et la crainte d’être encore une fois déçus » constate Marie-Hélène Bacqué, après six mois de mission. Anne Charpy, de Voisin malin, se souvient de premières réactions quelque peu méfiantes de la part d’associations, face à son projet. Certaines y voient une concurrence à leur travail auprès des habitants. « Mais en général, elles étaient partie prenantes, poursuit-elle. Elles nous disaient qu’elles n’étaient pas assez nombreuses, qu’il fallait construire des systèmes d’alliance. » En apportant de nouvelles méthodes et en liant de nouveaux acteurs aux associations, l’empowerment peut contribuer à les renforcer. Etudiant à la faculté de droit de Grenoble, Mathieu Ilunga faisait partie du syndicat étudiant Unef lorsqu’il a pris connaissance du collectif ECHO. D’origine congolaise, il cherchait alors à faciliter les démarches administratives des étudiants étrangers à Grenoble. Chaque association d’étudiants internationaux « se battait de son côté » autour d’une même revendication, se souvient-il. ECHO les a mobilisés pour qu’ils fassent cause commune, pour que leur campagne prenne de l’envergure. Connaître le sujet, savoir à qui s’adresser et quels arguments présenter : « On nous a donné les outils pour maîtriser le dossier, pour nous rassembler à partir d’une même colère, Suite page 26

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Interview Ivan Maltcheff, auteur du livre « Les nouveaux collectifs citoyens »

« Il y a un besoin d’implication beaucoup plus fort » une multitude de petits groupes intègrent le facteur humain et se mettent dans la logique de reprendre leur pouvoir d’agir. Ils font des choses (en rapport avec leur objet social) sans attendre que ça vienne d’en haut, conscients de leur propre © Darnel Lindor

puissance en tant que personne et en tant que groupe par rapport à un objectif.

Comment les pouvoirs publics et les citoyens peuvent-ils coopérer dans la cité ? Vous écrivez : « De toute évidence, la démocratie ne peut plus se réduire à sa forme représentative. » Cette affirmation sonne comme une urgence…

Les politiques devraient être ceux qui aident à

Il faut rappeler que c’est parce que nous connais-

talents, à la création citoyenne et aux représen-

sons la démocratie représentative qu’on peut se

tants, de faire en sorte que l’émergence puisse

permettre de dire qu’il faut aller plus loin. Donc

avoir lieu. L’émergence, c’est expérimenter dans

je parle des pays qui la vivent. Aujourd’hui, on se

tous les domaines et faire en sorte que tous les ap-

rend compte que partout les citoyens disent : « Ce

prentissages puissent nourrir le tissu social et lui

n’est pas parce j’ai mis mon bulletin dans l’urne

permettre de changer. Pour cela, il faut apprendre

qu’ensuite je dois être dessaisi de tout avis sur

à déconstruire nos vieux modèles, comme l’école

ma vie de citoyen. » Il y a un besoin d’implication

de Jules Ferry par exemple, puis construire. C’est

des gens beaucoup plus fort. De plus, l’écart se

un projet de civilisation sur plusieurs générations.

creuse entre ce que les gens expérimentent et les instances qui les représentent. C’est un signal ; le système n’est plus adapté.

construire l’espace qui permet l’expression des citoyens. Ils devraient donner les garanties, la méthodologie et les systèmes qui permettent aux

Qu’appelez-vous les in-between ? Cela fait référence à une position inconfortable, mais c’est aussi la meilleure pour engager le chan-

Votre livre est un plaidoyer pour l’action, la transformation ?

gement. J’ai constaté que les personnes ayant

Aujourd’hui nous avons besoin de gens qui pensent

tion de forte créativité, de respect, d’un pouvoir

« émergence », « processus », « interactions », plus

partagé, etc.), font le grand écart lorsqu’elles

que « solutions ». Il faut donc fonctionner par

reviennent dans le « vieux monde » (un modèle

co-constructions, avec l’intelligence de tout le

hiérarchique ancien, les mêmes règles, etc.). C’est

monde et non plus seulement des experts. C’est

une mue qui s’opère pour des personnes qui sen-

l’empowerment de tous les acteurs, dont en pre-

tent que quelque chose d’autre est possible et qui

mier chef les citoyens. Le monde dans lequel nous

commencent à l’expérimenter.

vécu de très belles expériences de groupe (sensa-

vivons appelle des processus radicalement différents et une démocratie qui se revitalise par ces

Propos recueillis

processus. La plupart des solutions n’intègre pas

par Emilie Drugeon

le facteur humain comme l’une des composantes essentielles pour la transformation ; on considère que l’humain c’est juste pour la mise en œuvre.

Qui sont les nouveaux collectifs citoyens dont vous parlez ? Le mouvement Colibris, Dialogues en humanité, Klub Terre… De grandes associations mais surtout,

Paru en 2 011 aux éditions Yves Michel (11 €)

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Un exemple d’Initiative citoyenne européenne

End ecocide in europe

Flashez ce code avec votre smartphone

© An Oriant médias

Voir l’émission Face à RAJE avec Valérie Cabanes, porte parole de l’ICE « End Ecocide in Europe »

Lancée le 22 janvier 2013, « Arrêtons l’Ecocide en Europe, donnons des droits à la terre » est une ICE visant à faire reconnaître la destruction de la nature comme un crime, par une directive européenne. En août, elle a presque atteint 50 000 votes (1 million est nécessaire, émanant de 7 pays différents), dont 15 600 en France. Signataire de cette Initiative citoyenne européenne, Yoann Pageaud est un skipper lorientais portant les couleurs de « End Ecocide in Europe » sur son bateau, au lieu de sponsors. De gauche à droite, rang inférieur : Prisca Merz (allemande) — Viktoria Heller (allemande) — Polly Higgins (anglaise, rédactrice de la loi Ecocide) — Valérie Cabanes (française) — Kadri Kalle (Estonienne) — Vivi Pelteki (Grecque)-Ramón Martinez (espagnol) Rang supérieur : Martin Winandy (allemand) — Tom Scott (anglais) — Thomas Eitzenberger (autrichien), soit un comité de 11 citoyens issus de 9 pays européens.

combien ça côute ? Le budget médian de ces initiatives est de 3 000 € contre 100 000 € pour le lancement de Right water par exemple.

Financer des projets citoyens

Donner aux citoyens les moyens de développer une initiative, dans toute son ampleur, tel est l’objet de Sign, une plateforme qui permet le financement participatif (crowdfunding) de l’Initiative citoyenne européenne. « On s’est aperçu que les premiers collectifs qui s’engageaient dans l’ICE étaient des lobbys et des entreprises », déplore François Dorléans, président et cofondateur de Sign. Le budget médian de ces initiatives est de 3 000 euros, contre 100 000 euros pour le lancement de Right water par exemple. « Pour qu’il s’agisse d’un vrai mécanisme de démocratie participative, il faut donner les moyens d’empowerment, explique François Dorléans. Or, le problème du financement est entier dans un contexte de réduction des dépenses publiques. » Sur le site, chacun peut proposer ses idées et venir consulter les projets d’autres citoyens, ce qui accroit leur visibilité. « La définition de ce qui est d’intérêt général et de ce qui est public n’est plus seulement le monopole de l’Etat. Il y a une société civile assez dense en Europe pour prendre en charge beaucoup de défis et trouver des solutions innovantes. » L’Initiative citoyenne européenne, créée par le Traité de Lisbonne (2007), est un outil exigeant l’obtention d’un million de signatures en 12 mois, à la suite de quoi la Commission européenne est tenue d’étudier la possibilité d’une loi effective. www.clicknsign.eu Emilie Drugeon

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Il y a une peur que les gens d’en bas s’organisent, qu’ils prennent du pouvoir à lire sur le sujet

Faire participer les habitants ? Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires Marion Carrel, ENS éditions, 2013

« La condition de pauvre, couplée avec celle d’étranger ou d’immigré, résidant dans un quartier à mauvaise réputation, est-elle antinomique avec l’exercice de la citoyenneté ? » Alors que les actions des quartiers d’habitat social restent souvent invisibles, l’auteur pointe aussi la dérive de « l’injonction participative » des acteurs de la politique de la ville.

indique Mathieu Ilunga. Cela nous a donné la motivation, la confiance d’agir. » Après un an de campagne, les associations d’étudiants étrangers ont vu leurs demandes entendues. Désormais, elles seront présentes dans les guides universitaires et pourront accompagner les étudiants dans leurs démarches. Un guichet unique de la préfecture est mis à leur disposition sur le campus depuis le mois d’août.

Convaincre les pouvoirs publics Dans le cas de Pouvoir d’agir 93, Yazid Kherfi estime que les municipalités sont « demandeuses » des services que sa « médiation nomade » propose en soirée. « Ils [les pouvoirs publics locaux, N.D.L.R.] n’arrivent pas à toucher certains publics, comme les jeunes », explique-t-il. Mais après dix ans d’expérience, le consultant en prévention urbaine reste sceptique. Selon lui, les institutions sont toujours méfiantes des initiatives telles que la sienne. « Elles n’aiment pas être remises en cause,

Yazid Kherfi POUVOIR D’AGIR 93

affirme Yazid Kherfi. Il y a une peur que les gens s’organisent, qu’ils prennent du pouvoir. » Les membres de l’Alliance citoyenne grenobloise ont un avis plus partagé sur la question. Solène Compingt estime qu’au sein de la mairie, certains voient leur projet d’un mauvais œil tandis que d’autres s’y intéressent. La campagne pour faciliter les démarches administratives des étudiants étrangers a par exemple obtenu le soutien de plusieurs élus locaux. Mais l’ancienne éducatrice spécialisée estime qu’il y a plutôt « une crainte, une envie de nous contourner parmi les institutions locales. Mais cela veut dire qu’on fait bouger les choses. » Un mois après la fin sa mission, Marie-Hélène Bacqué se dit d’un optimisme « raisonnable » quant aux changements de la politique de la ville en France, notamment dans les quartiers populaires. « Cela demande une transformation des pratiques politiques, l’émergence de nouveaux acteurs politiques, explique-t-elle. Et ce n’est pas encore prêt d’être acquis. ».

Des twitts qui ont du sens Véritables outils de lobbying citoyen, les réseaux sociaux facilitent les opérations « choc ». Un exemple avec SenseTwitt, une application qui a permis aux internautes d’envoyer des mini-messages de 140 signes en direction d’hommes politiques, le 3 juillet dernier. Lancée par le Mouvement des entrepreneurs sociaux, MakeSense et La Ruche, la mesure visait « à utiliser le potentiel de Twitter pour une opération de mobilisation politique inédite […] afin que [les élus] s’emparent de la thématique de l’entrepreneuriat social et des solutions existantes pour développer @Mouves_ES ce secteur », indique le rapport d’activité 2 012 du Mouves. @MakeSenseTwitts Au final, 1 000 twitts ont été envoyés à une vingtaine de @HappyRuche députés. www.sensetwitt.it Emilie Drugeon

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La sociologue craint que les politiques urbaines restent impulsées d’en haut et que « les citoyens ne soient interpellés que sur les plus petites choses, les décisions les plus locales ». Dans le rapport qu’elle a rédigé avec Mohamed Mechmache, Marie-Hélène Bacqué préconise environ 30 directions à suivre. La première est celle d’une haute autorité indépendante, donnant aux habitants les moyens d’interpeller les pouvoirs publics. Le duo a également pensé à des lieux de débats, des tables de quartiers locales et une plateforme nationale où l’on pourrait discuter d’initiatives. L’évaluation des services publics – activités de la police, services de santé – par les citoyens pourrait être une autre possibilité. « On a participé à créer une dynamique, soutient Marie-Hélène Bacqué. On attend qu’il en sorte quelque chose. » Valentine Pasquesoone

(1) Un principe visant à offrir des prêts de montant modeste à des entrepreneurs n’y ayant pas accès autrement. (2) Un processus visant à recourir à des opérateurs privés pour favoriser la modernisation du patrimoine immobilier public.

à lire sur le sujet

Interventions sociales et empowerment Martine Bueno-Cazejust, Claire Jouffray, Brigitte Portal, Bernard Vallerie, éditions l’Harmattan, 2012

L’ouvrage propose des pistes de réflexion et d’action aux professionnels de l’intervention sociale, comme le sont les quatre auteurs. Il évoque en particulier l’approche centrée sur le DPA (développement du pouvoir d’agir) des personnes et des collectivités.

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économie (culturelle)

En marge de la rentrée littéraire

© Lucie Aubin

L’ARTISANAT À LA PAGE

uand mon premier livre est paru, j’étais vraiment déçue. Il manquait la moitié de mon texte », regrette Alice Ligier, auteur et bénévole à La Machine folle. « Au bout d’un moment, on en a assez d’essayer de se faire remarquer », ajoute Gwendoline Blosse, illustratrice à Grante ègle. Face à ces difficultés, les membres de ces deux associations nantaises, qu’ils soient écrivains, dessinateurs ou graphistes, ont décidé de concrétiser leurs passions par leurs propres moyens.

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En restant modestes : les premiers tirages ne dépassent pas les 100 ou 300 exemplaires. Cela permet de les réaliser manuellement et ainsi évite d’importants coûts d’impression et trop de stocks à gérer. « Publier 1 000 exemplaires en offset (1), ce n’était pas envisageable », témoigne Lionel Tran, écrivain, cofondateur de Terrenoire, maison d’édition artisanale à Lyon. Papier, crayons, sérigraphie, gravure, pliage, collage, couture… De par leurs formations et leurs échanges, les artistes mutualisent


Faire appel au numérique pour éditer ses propres ouvrages ?

Vous ne les trouverez pas sur Amazon, Priceminister ou à la Fnac. Pourtant chaque année, parmi les plus de 60 000 nouveaux titres recensés dans l’édition française, quelques libraires présentent deux ou trois exemplaires d’ouvrages rares, réalisés à la main par des collectifs de passionnés. Un choix délibéré de maîtriser la chaîne du livre.

Une économie de survie Nombre d’exemplaires par tirage : 100 exemplaires maximum par livre pour La Machine folle et Grante ègle, 300 pour Terrenoire, environ 2 livres par an.

chette 2012 meilleure vente Ha

» « L’appel de l’ange

496 900 exemplaires

rrenoire (en 15 ans) meilleure vente Te

songes « Le livre des men véridiques » 2 000 exemplaires en 15 ans

5 tirages successifs

Budget annuel : Terrenoire : environ 2 000 € : 1 700 € de frais divers, 300 € pour un livre à 300 exemplaires. Vendus 4 à 10 € le livre. Jusqu’à 40 % pour le libraire. 100 % bénévole. Hachette : 2 852 collaborateurs en France, 2 077 millions d’euros de chiffre d’affaires, 14 926 nouveautés Qui gagne quoi sur le prix d’un livre ? La Machine folle : auteur 40 % éditeur 45 % graphiste 15 % Terrenoire : 40 % pour le libraire, 20 % de fabrication, et s’il se vend 40 % pour Terrenoire. Edition classique (source SDGL) : auteur : 10 % éditeur : 20 % fabrication : 15 % diffusion-distribution : 20 % points de vente 35 %

tous les outils et techniques nécessaires pour écrire, illustrer, façonner, relier… à la main.

Collectif artisan « Les auteurs n’engagent pas d’argent, en gagnent peut-être un peu et mettent la main à la pâte », insiste Alice. De l’écriture à la diffusion tout est collectif. « On ne compte pas nos heures », sourit Yanaita Araguas, fondatrice de Grante ègle. Ceci profite aux prix des livres et à la survie des associations, vérita-

bles maisons de micro-édition participatives. Les droits d’auteurs sont parfois revus à la hausse, mais le gain est surtout humain et qualitatif. « Nous donnons aux artistes de nouvelles cordes à leur arc et favorisons les rencontres », précise Marc Ségur, graphiste et bénévole à La Machine folle. Comme dans l’édition classique, certains collectifs se spécialisent : bande dessinée, fiction, poésie, essais ou livres graphiques. L’artisanat permet même de réaliser des « livres-objets ». Ils se

C’est encore une affaire de goût. Concernant la rémunération des auteurs, elle peut atteindre 40 % pour les livres numériques (soit autant que chez certains artisans), tandis que la moyenne est autour de 10 % dans l’édition classique. Mais un livre-objet comme un « popup » dont les pages se déplient en trois dimensions, ne sera pas le même sur une liseuse ! Certains prototypes sont prometteurs, comme aux éditions Volumique, qui sonorisent les livres papiers en mélangeant supports traditionnels et technologies numériques. Du côté des maisons artisanales, si certains artistes restent attachés au papier, via la sérigraphie ou le collage, le numérique n’est pas exclu. A condition que le projet soit réfléchi : interactif, multimédia ou en libre accès, le livre répondra à des expérimentations artistiques ou sociales. Ce support présente aussi pour avantage une diffusion à grande échelle, quoique les achats restent minoritaires : 2,5 % des Français ont acheté au moins un livre numérique en 2012, contre 53 % pour le papier. (source : baromètre multi-clients Achats de livres TNS-Sofres)

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© Lucie Aubin

économie (culturelle)

© Lucie Aubin © Lucie Aubin

© Lucie Aubin

Ecriture collective, sérigraphie, pliage, collage, couture, les techniques sont nombreuses. Pour se financer, les associations d’édition artisanale proposent souvent des ateliers de partage des connaissances.

© Lucie Aubin

Ci-contre : Ce livre pop-up a été réalisé lors d’un atelier pour les enfants, à Grante ègle. « En faisant tout nous-mêmes, on peut se permettre des techniques trop coûteuses pour un éditeur classique », explique Yanaita Araguas. A grande échelle, ces objets sont encore fabriqués en Asie.

© Grandègle

Ci-dessus : Gwendoline Blosse, illustratrice BD et Yanaita Araguas, illustratrice jeunesse et fondatrice de Grante ègle.

déplient, se « dégustent » à l’apéritif, sortent de boîtes à pizzas… Un volet artistique mis de côté à Terrenoire, où « l’aspect brut de l’artisanat valorise un travail de révolte », estime Lionel Tran, écrivain qui en a animé les ateliers pendant 15 ans. Les livres, non

Des Amap papier Bien qu’elle utilise aussi Internet, l’édition artisanale honore les circuits courts. « Il y a 20 % de vente directe, contre 5 % dans l’édition classique », indique l’éditeur The Hoochie Coochie . « On est comme des producteurs qui cultivent leurs légumes avec tout l’art du monde puis les vendent au marché du coin », explique-t-on à La Machine folle. A Terrenoire, afin de sortir d’un milieu underground familier, les livres ont été proposés aux libraires avec 40 % de marge à leur bénéfice. Un pourcentage que certains professionnels engagés acceptent de revoir à la baisse, pour ces petits producteurs. « Les livres faits-main sont souvent très qualitatifs », estime Delphine Gentils, libraire à Nantes, qui les propose à sa clientèle en dépôt-vente, sans avoir à acheter la marchandise à l’avance.

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signés, écrits collectivement par des bénévoles « souvent précaires », interrogent les différences sociales et générationnelles actuelles.

Diffuser avant de grandir Salons, expositions, soirées-spectacles, mais aussi ateliers pratiques, assurent la promotion et de nouvelles recettes. Le succès a fait grandir certains : à Poitiers par exemple, The Hoochie Coochie compte une dizaine de bénévoles, emploie deux salariés et fait appel à un imprimeur pour de grands tirages. Néanmoins, il faut être patient pour écouler les stocks. Dans toute cette micro-économie culturelle et artisanale, les livres prennent leur temps pour naître et trouver leur public. Lucie Aubin

(1) Offset : procédé d’impression par plaque de métal encrée, utilisé pour de grands tirages.



économie (ville durable)

Remettre en selle i-cross, vélos hollandais et autres bicyclettes d’enfants s’exposent dans l’espace accueil de BicyclAide, en attendant des repreneurs. Quelques outils ou chiffons imbibés d’huile de chaîne traînent ici et là. Charlotte Niewiadomski, coquette dans sa jupe rose estivale, pourrait dénoter dans ce décor mécano. Elle y est pourtant parfaitement à l’aise. Et pour cause, elle est la fondatrice de cet atelier de recyclage et de réparation de vélos. Création qui lui a valu le Prix de la femme entrepreneure du développement durable (1) en 2012.

Chemin faisant

© darnel lindor

Après un peu plus de deux ans d’activité, l’association compte 450 adhérents qui à moindre frais, achètent ou réparent leurs vélos, aidés par des mécaniciens en insertion professionnelle. La jeune femme de 35 ans, chevelure blonde, teint diaphane et regard bleu perçant, explique avoir lancé BicyclAide « un peu par hasard ». Avant de trouver sa voie, elle suit des études « disparates » et décroche un diplôme de vente. Puis Charlotte, qui est née et a grandi à Paris au sein d’une famille catholique, s’engage dans l’association « Aux captifs la libération » (2) et s’intéresse aux personnes à la rue. Sujet sur lequel elle poursuivra son étude terrain et théorique pendant ses années de maîtrise en anthropologie et de DEA sociologie. De cette envie de lutter contre la pauvreté et l’exclusion, elle fera son activité profession-

nelle : en 2002, la jeune femme intègre un Lutter contre la centre d’accueil de jour parisien du Secours pauvreté et agir catholique. Quand il est question de rénover en faveur de le local du 17e arrondissement, Charlotte voit l’écologie, là l’occasion de proposer une activité valoric’est l’engagement sante. Pinceaux en main, bénévoles et bénétandem de ficiaires du centre (3) s’activent à retaper le lieu. « Une véritable émulation s’est créée. Les Charlotte personnes accueillies se sont senties vraiment Niewiadomski. utiles », se souvient-elle. Devant le succès de Elle a créé l’opération, Charlotte et son collègue Norbert BicyclAide, une cherchent à réitérer l’expérience d’un chantier association de travail, avec l’idée que la nouvelle activité d’insertion puisse être pérenne. Manuelle, accessible, utile, reproductible et transmissible : la réparation professionnelle de vélo réunit toutes les caractéristiques. promouvant la mobilité douce, Une activité valorisante qu’elle souhaite « J’ai toujours beaucoup circulé en vélo. Lorspopulariser, « pour que je vivais encore à Paris, j’avais l’habitude l’avenir de nos de le réparer moi-même dans la cour de mon immeuble. J’ai pensé que si j’y arrivais sans villes ».

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être technicienne, c’est que c’était à la portée de tout le monde », explique Charlotte. Ni une, ni deux, le centre d’accueil du 17e se dote d’outils et de matériel et créé l’atelier VélocipAide. Une dizaine de bénévoles et personnes en précarité s’affairent régulièrement à réparer les vélos récupérés auprès des habitants du quartier, puis à la fourrière de Bonneuil-sur-Marne (94, Val-de-Marne). Bientôt, l’équipe parisienne de l’association Vélorution (4) se joint aux mécaniciens amateurs. La mixité des publics et le partage d’outils stimulent. « Les participants étaient mobilisés et les habitants du quartier montraient un réel intérêt pour l’activité. Ça avait du sens. Norbert et moi trouvions évident d’aller plus loin mais ça n’entrait pas dans le cadre de mes missions au Secours catholique. Il fallait donc que je m’investisse personnellement en dehors de mes activités professionnelles. » La graine d’un chantier d’insertion professionnelle autour du vélo est semée. Et si « la réparation de vélos est chronophage et laisse peu de temps à l’activité de recyclage », en revanche, l’auto-réparation revêt une dimension écologique forte. « Une personne qui possède les compétences et les outils pour


Insertion économique et sociale Au-delà du volet écologique, la dimension sociale est prépondérante. Pour la jeune femme promue en 2008 responsable de l’unité « De la rue au logement » au siège du Secours catholique, le combat du logement pour tous et celui de l’insertion par l’activité solidaire sont identiques. « Dans les deux cas, il s’agit de lutter contre la pauvreté et pour la dignité des personnes. » En plus d’offrir des emplois aidés, des CDD de six mois renouvelables dans la limite de 24 mois, BicyclAide accompagne ses salariés dans la construction de leur projet professionnel. Et les aide, en fonction des situations de chacun, à résoudre leurs difficultés financières, de logement, de formation. Entre BicyclAide et son activité professionnelle, cette maman de trois enfants jongle au quotidien pour assumer toutes ses responsabilités. « Au début quand on se lance dans un projet, on ne se rend pas compte de l’énergie, du temps et de la ténacité que cela suppose », avance-t-elle. Aussi, elle s’imaginerait bien dans un avenir proche, simple bénévole de BicyclAide pour « profiter de sa convivialité, ses apéros vélos et de son atelier d’auto-réparation », s’amuse-t-elle.

Chaîne de transmissions En attendant, cette femme engagée développe des ateliers mobiles de réparation avec des collectivités, des entreprises, et

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Charlotte Niewiadomski en interview

1,5 million de vélos détruits chaque année Selon le réseau l’Heureux cyclage, sur dix vélos jetés, sept pourraient être remis en état et connaître une seconde vie. En 2012, trois millions de vélos ont été achetés en France et 1,5 million mis au rebut. Fort de ce constat, le réseau entend structurer des filières locales de réemploi des cycles en facilitant le dialogue entre les différents acteurs du vélo, du producteur à l’atelier, en passant par les déchetteries.

© darnel lindor

réparer son vélo le réutilisera plutôt que le mettre au rebut en cas de panne », argumente la présidente de BicyclAide. Pour l’entrepreneuse, l’auto-réparation participe à la promotion de moyens de transport alternatifs à la voiture, d’où le choix de cette activité plutôt que la réparation. Le projet ficelé, s’engagent alors deux années avant la concrétisation de l’atelier. La mairie de Clichy-la-Garenne (92, Hauts-de-Seine) tarde à donner son accord sur la mise à disposition gracieuse d’un local. Finalement, en 2011, BicyclAide ouvre ses portes avec dix salariés en contrat aidé, recrutés via la Mission locale de Clichy et le Pôle emploi. Des hommes mais aussi quelques femmes « pour essayer de respecter une certaine parité même si la mécanique cycle n’attire pas forcément cette population [féminine, N.D.L.R.] », précise Charlotte. Toutes et tous, en tout cas, sont prêts à en découdre avec chaînes de vélo rouillées, boîtiers de vitesse défectueux ou autres pneus à plat.

discute avec les écoles de Clichy-la-Garenne afin d’initier les enfants à l’écologie par ce biais. Autre projet : essaimer le concept de chantier d’insertion par la réparation de vélos. « Pour l’avenir de nos villes, des ateliers de ce type seront incontournables. Je suis persuadée qu’il faut fortement diminuer l’utilisation des véhicules motorisés sinon nous allons tous mourir de la pollution », plaide-t-elle. « Les villes vont continuer à grossir, à se densifier, ça va être indispensable de se déplacer à vélos ou d’utiliser des moyens de mobilité alternatifs à la voiture », continue la femme éco-convaincue. Charlotte Niewiadomski croit dur comme fer à son activité : les salariés aident les adhérents à réparer leurs vélos, les adhérents aident à faire vivre l’association, l’association aide des personnes à retrouver un emploi… Un cercle vertueux : « J’espère que d’autres projets comme celui-ci naîtront ». Alexandra Luthereau

(1) Le Prix de la femme entrepreneure du développement durable est organisé tous les ans par le groupe de presse Mondadori. Prochaine remise des prix en octobre 2013. (2) « Aux captifs la libération » est une association fondée en 1981, qui a pour mission de rencontrer et d’accompagner des personnes à la rue. (3) Les personnes accueillies dans un centre du Secours catholique peuvent participer aux activités proposées en fonction de leurs centres d’intérêt et de leurs envies. (4) Vélorution milite pour la promotion du vélo urbain comme alternative aux voitures.

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économie (sociale)

Interview d’André Dupon Le projet de loi sur l’économie sociale et solidaire a été présenté au Conseil des ministres le 24 juillet. André Dupon, Président exécutif du Groupe Vitamine T et nouvellement à la tête du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves), revient sur les actualités de ce secteur en expansion, qui œuvre à l’intérêt général avec le souci de l’efficacité économique.

Quel regard portez-vous le projet de loi dédié à l’économie sociale et solidaire ?

que l’innovation technologique : déboucher sur un modèle productif opérationnel avec un business plan.

Mieux définir l’économie sociale et lui donner le primat de la reconnaissance républicaine, ce n’est pas rien. Le gouvernement est en train de reconnaître l’ampleur du phénomène : on n’est plus dans une économie d’à-côté, de réparation. Nous ne sommes plus la caution de la crise, la caution morale du secteur privé ni la roue de secours du secteur public. L’ESS est reconnue comme moteur de la compétitivité du pays, tant sur le plan économique que sur le plan social. C’est une fenêtre historique suffisamment rare pour que les acteurs s’en saisissent ; j’en suis heureux.

Pourquoi l’innovation sociale peine-t-elle à trouver des financeurs, des investisseurs ? Beaucoup de dirigeants d’entreprise ne la reconnaissent pas comme étant un acte d’entreprendre et un modèle économique ; c’est une forme de mépris intellectuel. En France, il y a une fracture entre le monde de l’entreprise, qui est réputé le seul compétent pour créer des richesses, l’économie et le monde social. L’innovation sociale est donc renvoyée aux travailleurs sociaux, à la compassion, au doux rêve, elle n’est pas considérée au même niveau [que l’innovation technique, N.D.L.R.]. De ce point de vue la loi va nous aider.

Quelles limites voyez-vous à cette loi ? Elle ne parvient pas à simplifier ce qui est complexe, alors que c’est l’occasion de vulgariser et rendre plus pédagogique la définition de l’économie sociale et solidaire. Deuxième défaut : le projet fait une part trop belle aux statuts coopératifs (voir encadré). Je suis un peu réservé sur ce point. Enfin, la loi n’est pas suffisamment ambitieuse sur l’innovation sociale. Elle doit avoir la même exigence

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© Eric Flogny

« On sortira de cette

600 millions d’euros En dehors de la loi-cadre, le gouvernement prévoit une aide financière de :

500 millions

80 millions

20 millions

d’euros provenant de la Banque publique d’investissement (BPI)

liés aux projets d’investissement d’avenir

en provenance du Fonds pour l’innovation sociale


2 1

Les mesures phares du projet de loi

Redonner du pouvoir aux salariés

Définir le périmètre de l’ESS

3

Créer

Les chefs d’entreprise de l’emploi souhaitant céder leurs Le projet de loi vise sociétés sont tenus d’en à multiplier les informer leurs salariés Il comprend les acteurs pôles territoriaux de (moins de 50) deux mois en historiques (associations, coopération économique amont. L’idée : faciliter la coopératives, mutuelles, (PTCE) pour redynamiser reprise par les salariés (via fondations), mais aussi le territoire dans lequel un statut transitoire pour les entreprises (SA ou ils sont implantés et attirer les investisseurs). SARL) qui appliquent créer des emplois nonL’objectif : doubler le nombre les principes fondateurs délocalisables. de coopératives en cinq ans. du secteur.

crise avec l’ESS » Peut-on dire que l’économie sociale et solidaire « moralise » l’entrepreneuriat ? Je dirais plutôt que les entreprises sociales contribuent à remettre les fondamentaux dans le bon ordre : oui à la création de richesses, dès lors que ça ne se fait pas au détriment de l’emploi, oui au développement local (une entreprise ne peut pas se développer si elle n’est pas inscrite dans son territoire) et du point de vue des pratiques enfin, l’entreprise sociale montre qu’il est parfaitement possible de ne pas avoir de complexe face à l’économie de marché et d’être raisonnable. Cependant, je ne suis pas sûr que dans l’ESS, il y ait plus de vertu qu’ailleurs. Par exemple, Spanghero (1) était une entreprise coopérative.

Comment le Mouves (2), dont vous avez pris la présidence en juin, contribue-t-il à donner une nouvelle image de l’ESS ? Quelles sont ses missions ? Le Mouves est d’abord un plaidoyer : rendre intelligible et possible ce qui paraît improbable. Notre deuxième mission est d’accompagner le changement d’échelle et faire grandir une communauté d’entrepreneurs.

Nous sommes 300 aujourd’hui au Mouves, mon objectif est de passer à 1 000 entrepreneurs sociaux dans trois ans. Notre mission la plus opérationnelle, la plus offensive : que cette loi s’applique et que la Banque publique d’investissement dépense son argent ! Nous allons travailler pour que les 500 millions d’euros (voir encadré) soient bien dépensés.

Votre intérêt pour les jeunes est fort. Que pensez-vous de l’accord-cadre (signé le 13 juin par Benoît Hamon) entre les structures éducatives et celles de l’ESS ? Depuis quelques années, l’ESS a pénétré les grandes écoles, les chaires d’entrepreneuriat social à l’Essec, à HEC, Sciences po, etc., mais pas encore le service public de l’Education (les universités, les lycées). Voltaire disait qu’un élève n’est pas un vase qu’on remplit mais un feu qu’on allume. Nous aimerions allumer chez ces jeunes le feu de l’ESS ; elle a une réponse magique à leur apporter et nous sommes un secteur qui vieillit.

Quelle est cette « réponse magique » ? Les jeunes peuvent trouver dans nos entreprises sociales, l’accomplissement de responsabilités

et de l’après-crise. Ils donneront à la fois du sens à leur vie et pourront réaliser leurs rêves. C’est l’âge de tous les possibles. La génération Y notamment, tant décriée, a une autre relation à l’entreprise, au capitalisme, à l’argent, qui est faite à la fois de responsabilité (ou plutôt de réalisme) et de recherche de valeurs, de sens.

Une internaute vous cite sur le réseau social Twitter : « La vie est un mystère à approfondir et pas une corvée à subir, je veux lutter contre le hors-jeu économique »… Je dis cela dans un contexte de déclin et de pessimisme. Ce qui m’intéresse, c’est de remettre la jeunesse au centre du modèle social et économique du pays. Je suis un éternel optimiste sans être pour autant angélique ; on sortira de cette crise et je veux que ce soit avec l’ESS. Il faut que les compétences de notre secteur, qui reste à construire, soient à la hauteur des espoirs qu’il suscite. Propos recueillis par Emilie Drugeon

(1) En janvier 2013, Spanghero est impliqué dans le scandale dit de « la viande de cheval » et accusé de fraude. (2) Le Mouves fédère et représente des dirigeant(e) s d’entreprises sociales (de la micro-entreprise au grand groupe) depuis 2010 ; il était jusqu’alors présidé par Jean-Marc Borello, président du directoire du Groupe SOS.

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société (créative)

Les Roms

face caméra

« Regarde-la, ma ville », c’est le nom du projet imaginé par Sarah Ammour, étudiante de 24 ans en service civique. En permettant à de jeunes Roms d’écrire et de réaliser des courts-métrages, elle espère déconstruire les préjugés par l’approche artistique.

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Bonus vidéo / photos : Court-métrage et reportage

a tourne », murmure Sarah en imitant avec ses bras un clap de cinéma. Ici, pas de projecteurs ni de grosse caméra, juste un appareil photo fixé sur un pied. Sylvia, jeune Rom vivant à Montreuil (93, Seine-Saint-Denis) dans le quartier de la Boissière, joue son propre rôle en remontant l’allée du camp. Derrière l’objectif, l’initiatrice du projet baptisé « Regarde-la, ma ville », donne la parole et la caméra aux Roms en leur confiant la réalisation de cinq courts-métrages.

Préjugés Ce projet, Sarah 24 ans, y réfléchit depuis que sa mère artiste-photographe l’a emmenée à la rencontre de la communauté rom : « J’étais en terminale. J’ai découvert un peuple que

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je ne connaissais pas ou que je confondais avec les manouches. » A mesure qu’elle noue une amitié avec les Roms, elle se heurte aux réactions de son entourage : « Je me suis dit que si je posais une caméra dans un camp, peut-être que les gens verraient ce que je vois », explique-t-elle. Depuis six mois, grâce au programme « Rêve et réalise » (lire l’interview ci-contre) imaginé par l’association Unis-cité, Sarah concrétise son projet.

Un regard critique Accompagnée de Thomas, étudiant en audiovisuel, elle rend régulièrement visite aux habitants du camp de la Boissière et leur propose de participer à des ateliers scénarios. C’est là qu’elle a rencontré Sylvia : « J’ai vite compris combien elle avait envie de partager


photos : © Darnel Lindor

« Donne-moi ta main camarade, toi qui viens d’un pays où les hommes sont beaux. Donne-moi ta main camarade j’ai cinq doigts moi aussi, on peut se croire égaux. » Pour son projet de film autour de la communauté rom, Sarah Ammour (au centre, photo ci-contre) a fait siennes les paroles de la chanson « Bidonville » chantée par Claude Nougaro.

© U n i s-C i t é

Trois questions à

Stephen Cazades, directeur d’Unis-cité

1

Comment est né le service civique ? Le service civique existe légalement depuis mars 2010. Mais en réalité, il est né avec notre association en 1994. Le dispositif permet à des jeunes de s’investir dans des projets sociaux et solidaires, en échange d’une rétribution [une indemnité de 600 euros par mois environ, N.D.L.R.]. Côté entreprise, avez-vous observé des dérives ? Oui, mais elles restent marginales. Ce que l’on redoute, c’est que certains employeurs confondent le service civique avec le stage ; or un jeune en service civique doit être recruté pour son engagement et non pour ses compétences.

2

Votre association propose le programme « Rêve et réalise », de quoi s’agit-il ? C’est un programme conçu comme un mini-incubateur d’entrepreneurs sociaux. Les jeunes ont entre six et huit mois pour mener à bien le projet qu’ils ont imaginé. Ils sont encadrés par un salarié de l’association et par un parrain, lui-même entrepreneur social. Cette année, Jean-Marc Borello [président du directoire du Groupe SOS, N.D.L.R.] parraine le programme.

3

son histoire. » Le récit évoque son mariage à 13 ans, le placement en orphelinat de sa petite fille et son arrivée en France. Une histoire coincée entre le poids des traditions et les barrières occidentales. « Elle a un regard très critique à la fois sur le peuple rom et sur la manière dont on les perçoit en France. C’est ce qui m’a interpellée », indique Sarah.

Découvrir une communauté Lorsque Sylvia s’empare de l’objectif pour filmer l’intérieur des baraques, les habitants se braquent. L’équipe n’insiste pas et commence à plier bagage. Des mères de familles interpellent Sarah pour montrer les voitures dans lesquelles leurs enfants sont obligés de dormir. Gênée, elle promet d’en parler à l’association qui gère le camp : « J’essaye aussi de les aider au quotidien. Je sais que mon projet ne répond pas à un besoin vital, mais il aidera à changer le regard sur la communauté rom. » Olivia Villamy

Propos recueillis par O. V.

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© Jean-Baptiste Paris

société (collaborative)

Dave A. Mellis, diplomé du Massachussets Institute of Technologie, assemble un kit radio FabFM, sans vis ni colle, dont les plans sont disponibles en ligne. Sa réalisation nécessite un cutter, un fer à souder, du fil et une pince à dénuder.

Faites-le vous-même ! Replacer le citoyen au cœur de la machine productive. Derrière cette idée un peu folle, une poignée de geeks convaincus qu’il existe une alternative au consumérisme et à l’obsolescence programmée. S’appuyant sur la démocratisation de moyens techniques, ils investissent des Fablabs pour y fabriquer des objets.

u’est-ce qu’un FabLab ? Abréviation de Fabrication Laboratory, il se compose d’un ensemble de machinesoutils. En tête les instruments de découpe et de modelage à commande numérique comme les découpe-laser ou le scanner 3D. A cet arsenal numérique s’ajoutent des outils plus traditionnels : scies, ponceuses et même machines à coudre. Grâce à cette combinaison, le FabLab propose ni plus ni moins de courtcircuiter le rapport de sujétion du consommateur à l’industrie manufacturière. Votre robot ménager est en panne ? Au lieu d’attendre des mois la pièce de remplacement, pourquoi ne pas la reproduire vous-même ? « Ce que les gens ordinaires fabriquaient hier,

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aujourd’hui ils l’achètent ; et ce qu’ils réparaient eux-mêmes, ils le remplacent intégralement », déplore Mattew B. Crawford, auteur d’« Eloge du carburateur » (éd. La Découverte). Les FabLabs invitent, eux, à créer plutôt qu’à consommer.

Ingénieurs, bricoleurs et simples curieux Aujourd’hui, plus d’une centaine de ces structures réunissent ingénieurs, bricoleurs, artistes ou simples curieux. Car tout le monde à sa place au sein d’un FabLab. On y met sur un même pied d’égalité la conception d’une lampe de chevet et le développement complexe d’un robot conçu pour aider aux tâches


© Maciej Wojnicky

Un atelier de travail du bois au FabLab Tricity à Gdansk en Pologne. La fabrication de meubles est l’une des nombreuses possibilités offertes par les FabLabs.

agricoles. « Le plus important n’est pas les machines mais cette dimension d’atelier ouvert ; l’ouverture est l’essence du FabLab et crée des rencontres » explique Fabien Eychenne de la Fondation internet nouvelle génération (FING).

Des bits à l’atome On retrouve là une philosophie venue du monde de l’informatique : celle de l’open source (1). Une vision aux antipodes du modèle fermé de l’industrie, qui invite à se réapproprier la pratique informatique en bidouillant, par soi-même, selon le principe du do it yourself (fais-le toi-même). Le FabLab est la transposition de ces principes de l’univers abstrait de l’informatique vers celui très concret de la production manufacturée. On passe ainsi « des bits à l’atome » comme le résume la formule qui a donné son nom au Center for Bits and Atoms dirigé par Neil Gershenfeld (voir encadré) au MIT. Une seule règle dans ces ateliers : ne pas travailler seul dans son coin. Chacun est encouragé à documenter ses avancées et à les partager sur un site internet dédié (2).

Robotique et prêt-à-porter Chaque FabLab profite ainsi des avancées de tous les autres et pourra reprendre, améliorer voire détourner des travaux pour les adapter. Car s’ils partagent un certain nombre de valeurs communes – le libre partage et une certaine visée sociale – chacun d’entre eux a sa spécificité, fonction de ses moyens, des enjeux de son environnement et des envies portées par ses membres. On peut ainsi travailler sur un réseau wifi reliant un village,

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société (collaborative)

La révolution FabLab est aussi médicale. En partenariat avec un institut scientifique hollandais, le FabLab HONF basé à Jakarta en Indonésie a développé un modèle de prothèses en bambou et plastique à 40 euros. La scanner et l’impression 3D permettent de les adapter à la morphologie de chaque patient et surtout de les remplacer facilement.

La revanche de Marx ? Porteuse de sens, l’émergence des FabLabs ne va pas sans soulever des interrogations. L’un des défis va consister à impliquer et à former le citoyen non-spécialiste. Une autre question, cruciale, se profile : celle du modèle économique, encore incertain. Soutenus par les pouvoirs publics, les FabLabs sont pour l’heure généralement adossés à une institution qui les finance et accessibles au public sur paiement d’une petite cotisation. Mais la menace d’une récupération commerciale pointe son nez. Quel serait l’impact du lancement de Labs par une grande enseigne d’ameublement sur l’écosystème des FabLabs ? Deux scénarios diamétralement opposés se dessinent : d’un côté une libération de l’Homme d’une ampleur dont même Karl Marx n’aurait osé rêver. De l’autre un nouveau coup marketing à l’image d’Internet, passé en quelques années du statut de promesse citoyenne à celui de nouvel eldorado commercial…

Précurseur ! A la fin des années 90, Neil Gershenfeld, chercheur au Massachussets Institute of Technology (MIT) dresse un constat, aussi simple que révolutionnaire : il est aujourd’hui possible pour un coût abordable de se doter des machines réservées jusqu’alors à l’industrie pour la fabrication des objets. Il lance le premier FabLab au MIT en 2002.

Romain Le Roux

(1) Le terme d’open source désigne les logiciels dont la licence libre autorise l‘échange et l’utilisation gratuite, ainsi que la possibilité d’en modifier le code source. (2) Plate-forme dédiée pour la mise en ligne des plans et des procédures utilisés dans les FabLabs : www. thingiverse.com

L’imprimante 3D, micro-usine à domicile En donnant vie physique à toutes sortes d’objets modélisés sur ordinateur, l’impression 3D ouvre des perspectives dignes de la science-fiction. Le projet RepRap planche par exemple sur une imprimante autorépliquante, c’est-à-dire capable de se reproduire… en s’imprimant elle-même !

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© Keith Kissel

Une vie meilleure grâce aux FabLabs

une ONG et un hôpital en Afghanistan (projet FabFi), sur des émetteurs pour aider les éleveurs à localiser leurs troupeaux (FabLab Hoylandet en Norvège), ou encore s’atteler, au Fac Lab de Cergy-Pontoise (95), à la fabrication de sacoches en cuir imaginées par une néophyte. En France, parmi la dizaine de FabLabs actifs, on en trouve de tous les genres : des pointus orientés high-tech (Artilect à Toulouse) et d’autres comme Net-Iki à Biarne, dans le Jura, qui ont pour ambition de former une population rurale au numérique et d’entretenir la vie sociale.


© darnel lindor

société (philantrope)

Petit arrondi pour grande cause L’arrondi solidaire permet de donner à l’association de son choix, via son bulletin de salaire ou son ticket de caisse en supermarché.

ananes, pain, tomates… Pierre-Alexis, 22 ans, dépose ses courses sur le tapis de la caisse enregistreuse. « Vous prenez l’arrondi ? », interroge la caissière. L’étudiant hoche la tête. Au lieu des 12,33 euros dus, il paie 13 euros, faisant don de 67 centimes à la Croix-Rouge française. Le Franprix du 102, rue Réaumur à Paris est le premier magasin en France à avoir mis en place « l’arrondi en caisse ». Un concept importé du Mexique par Pierre-Emmanuel Grange, fondateur de MicroDon en 2009. Son credo ? La « générosité embarquée ». L’idée : rendre le don plus facile, « à travers les transactions de la vie quotidienne ».

L’arrondi sur salaire Première transaction : le salaire. Inspiré du payroll giving né il y a 25 ans en Angleterre, « l’arrondi sur salaire » permet au salarié de faire un micro-don à l’association de son choix, sur son net à payer. Ce don est ensuite doublé, l’employeur donnant à son tour une somme équivalente. Ce système permet à l’APGO (l’association des organisations de payroll giving) de collecter 100 millions de livres par an. En France, MicroDon est la seule structure à proposer l’arrondi. Parmi la quinzaine d’entreprises l’ayant déjà adopté, Accenture. Chaque mois, les salariés du cabinet de conseil peuvent verser un euro à l’Institut du service civique ou à Passerelles numériques,

une association qui forme à l’informatique au Cambodge. En un trimestre, 1 372 euros ont été collectés. « C’est une bonne action : si nous donnions tous un euro par mois, la somme serait énorme », souligne Dominique Calmels, directeur financier d’Accenture.

La générosité en caisse En parallèle, MicroDon a expérimenté pendant quatre ans son système d’arrondi en caisse en grande surface, via des cartes de don d’une valeur de deux euros à « faire passer en caisse comme n’importe quel article », explique Pierre-Emmanuel Grange. Aujourd’hui, l’entreprise sociale propose au client d’arrondir ses achats à l’euro supérieur. A partir d’octobre, une dizaine d’enseignes de la distribution alimentaire rejoindra le supermarché pilote du 102, rue Réaumur. « Si 1 % des clients demandent l’arrondi, plus de cinq millions d’euros par an pourraient être collectés », affirme Pierre-Emmanuel Grange. Au Franprix parisien, en une journée, le montant des dons s’élève à 90 euros. Ils seront reversés à un fonds de dotation, qui les redistribuera à l’antenne locale de la CroixRouge. « L’arrondi à la caisse, c’est plus facile que d’envoyer un chèque à une association », lance Pierre-Alexis, avant de s’éloigner, cabas à la main.

Opération réussie pour Yachad Yachad, à Paris, a bénéficié en novembre de l’une des opérations de générosité en caisse de l’entreprise sociale MicroDon : 1 300 € collectés en 48 heures. L’association de soutien aux familles monoparentales a gagné en visibilité, a pu organiser une fête avec ses bénéficiaires afin de les sortir de l’isolement, et a même recruté quelques bénévoles !

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Bonus vidéo : Pierre-Emmanuel Grange en interview.

Fabien Soyez septembre octobre novembre 2013

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monde (solidaire)

Depuis l’évacuation du parc Gezi, les manifestants occupent 48 parcs d’Istanbul et 26 autres de Turquie. Le parc Abbasağa constitue l’un de ces bastions. A mi-juillet, plusieurs centaines de personnes s’y retrouvaient encore chaque soir. Ensemble, elles réinventent la démocratie.

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© Fanny Fontan

UNE AGORA DANS ISTANBUL


ous rompons le jeûne entre amis sur les tables du soleil », peut-on lire sur une grande banderole au centre de l’amphithéâtre du parc Abbasağa. Ce vendredi 19 juillet, Çarşı le groupe des supporters ultras du club de football de Beşiktaş organise l’iftar, la rupture du jeûne. Chaque soir au soleil couchant, ces héros des manifs offrent à manger à quelques centaines de personnes pour le ramadan. En Turquie, de nouvelles formes de contestations naissent chaque jour pour protester contre le gouvernement. Rompre le jeûne dans les espaces publics est une réaction à ce qu’ils ont vécu comme une provocation. Au premier jour du ramadan, l’AKP — le parti au pouvoir, a installé de jolies tables sur la place Taksim. Il interdit pourtant tout autre rassemblement en ce lieu.

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© Joachim Bel Mokhtar

Bonus : photo reportage

En attendant l’iftar

Sortir l’islam du débat « Gezi nous a appris que nous pouvions partager », raconte Didem Izman, membre de Çarşı A 44 ans, elle organise des congrès internationaux. « Je ne suis pas croyante comme plusieurs d’entre nous, poursuit-elle. Organiser l’iftar, c’est notre façon de protester contre ce gouvernement. C’est aussi faire sortir la religion du débat. Notre combat n’est pas contre l’islam, mais pour la démocratie. » A peine les tables sont-elles rangées, que débute le grand forum dans l’amphithéâtre. Les modérateurs invitent chacun à venir s’exprimer. Ici, on n’applaudit pas mais on agite les mains. Et

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pour protester, on croise les bras. Le but n’est pas d’importuner le voisinage. Ce soirlà, deux autres petits forums sont créés en contrebas par manque de place. Les thèmes évoqués sont relativement les mêmes : paix sociale, écologie face aux projets d’aménagement urbain, réforme de la justice…

Vers une démocratie participative « L’un de nos combats concerne aussi l’impératif minimum de 10 % pour qu’un parti siège au Parlement. Il faudrait changer la Constitution », explique Pınar, doctorante en sociologie et l’un des modérateurs du petit forum. Il s’agit de transformer en force politique l’énergie née à Gezi. « Tout a commencé spontanément, mais nous devenons organisés. Plus que sept mois avant les élections locales. Nous avons encore besoin de temps pour trouver une voix commune. L’idée c’est d’arriver à une forme de démocratie directe et participative. Comme nous le faisons dans ce parc. D’ici-là, le mouvement doit continuer. » Fanny Fontan

© Fanny Fontan

#OccupyGezi

Atelier de discussion

28 mai

www.respectmag.com

31 mai / 5h / 19h

1er juin – > 15 juin 8 juillet

début du sitting dans le parc Gezi contre le projet d’aménagement urbain

la police évacue les manifestants. des milliers de personnes marchent vers Taksim l es manifestants occupent le parc Gezi une cour administrative annule définitivement le projet urbain, réouverture du parc


médiathÈque

cinéma

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« Changer de regard sur les pauvres »

lus de 80 assertions sur la pauvreté analysées, démontées ou nuancées pour apporter un regard juste et démêler le vrai du faux. C’est tout le projet du livre « Pour en finir avec les idées reçues sur les pauvres et la pauvreté », édité par ATD Quart Monde.

Pourquoi ce livre ? Il s’agit du prolongement de notre campagne contre les préjugés vis à vis des pauvres et des immigrés lancés en 2012 pendant la campagne présidentielle. À ce moment, nous avions publié un quatre pages qui démontaient certains d’entre eux, arguments et chiffres à l’appui. Ces feuillets ont été largement distribués et lus. Ils ont permis de lancer la discussion avec des élus et des politiques notamment. Et de leur ouvrir les yeux sur certaines réalités. Mais le nombre des idées reçues dépassait les quatre pages. Nous en avons recensées tellement que le projet d’un livre s’est imposé. Quelles sont les idées reçues les plus vivaces concernant les pauvres ? « Les pauvres ne veulent pas travailler », «les pauvres font des enfants pour

3 questions à…

Marie-France Zimmer Membre de la délégation nationale de l’association de lutte contre la pauvreté ATD Quart Monde et co-auteure du livre « Pour en finir avec les idées reçues sur les pauvres et la pauvreté »

toucher plus d’aides et d’allocations », «les personnes au RSA vivent mieux que celles qui gagnent le SMIC », etc. Ces idées sont entendues et colportées quotidiennement alors qu’elles sont fausses. Malheureusement ces croyances créent des discriminations et de la souffrance pour ceux qui les subissent. Le titre du livre porte-t-il son ambition ? Ce livre se veut un objet de discussions. Il apportera à tout un chacun des réponses concrètes et étayées. Bien sûr, des personnes feront preuve de scepticisme, chercheront à démentir ces propos. Mais si ce livre réussissait, ne serait-ce qu’à changer le regard de certains sur les pauvres, ce serait une grande victoire. En éradiquant ces préjugés, les pauvres et les autres se retrouveraient égaux en droits et en dignité.

La Santé dans l’Assiette Le documentaire de 90 minutes aborde l’hypothèse selon laquelle le renoncement aux produits d’origine animale et industriellement transformés soignerait des « maladies de société », comme le diabète, les maladies cardiovasculaires, ou certaines formes de cancer. Selon le professeur Colin Campbell et le docteur Caldwell Esselstyn, ces pathologies, rencontrées en particulier dans les pays occidentaux, pourraient être évitées en suivant un régime alimentaire à base de produits d’origine végétale. En donnant la parole à des patients et ces spécialistes, ce film, réalisé par Lee Fulkerson, interroge le lien entre alimentation et santé. Sortie le 16 octobre au cinéma.

Propos recueillis par Alexandra Luthereau

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Gastronomie Aquitaine L’Agence aquitaine de promotion agroalimentaire (Aapra) a développé une application gourmande pour promouvoir les produits de la région. « Gastronomie d’Aquitaine » permet en effet de localiser les producteurs des cinq départements de la région et propose des recettes de grands chefs cuisiniers locaux. Par souci de transparence, l’application donne également accès à des informations concernant les producteurs, comme le numéro de téléphone, l’adresse et les produits cultivés. Disponible sur App store

APPLI

« Nous ne pourrons que mener des combats défensifs tant que nous ne serons pas capables d’opposer quelque chose d’anthropologiquement aussi fort que le toujours plus du système productiviste », affirme Paul Ariès, ce militant de la décroissance. Dans cet ouvrage critique analysant tous les courants de gauche (socialiste, chrétien, marxiste, etc.), l’auteur attaque notre imaginaire collectif : celui de l’idéologie du progrès et de la croissance infinie. En écho, le politologue défend la gratuité comme nouveau paradigme, en la définissant comme « l’interdit » de notre société d’hyperconsommation. « La gratuité constitue un vecteur de démarchandisation : elle donne une valeur aux choses qui n’est pas celle du prix, c’est-à-dire celle du marché. » Il affirme que face au capitalisme, « nous devons dévénaliser. » Paul Ariès, éditions La Découverte, juillet 2013, 8,99€

ED

publication

Disponible pour Iphone sur App store. www.zero-gachis.com

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La fabrique de l’innovation sociale

cinéma

En partenariat avec la fondation Crédit coopératif, Alternatives économiques propose un hors-série mettant en lumière des initiatives de l’économie sociale et solidaire. Ces 112 pages présentent 40 structures, parmi lesquelles des associations ou des coopératives. Leur point commun : œuvrer au bien-être de tous, dans les secteurs de l’agriculture, l’alimentation, l’énergie, la mobilité, l’environnement, ou encore les services financiers. Juin 2013, éditions Alternatives Economiques n° 62, 9,50 €

Économie sociale et entrepreneuriat social Guide de l’Europe sociale publication

zéro-gâchis L’application mobile « Zéros-gâchis », lancée à la fin du mois d’août 2013, vise à lister les produits proches de la date limite de consommation, et donc vendus moins chers, disponibles dans les grandes surfaces près de chez soi. Il suffit d’inscrire son lieu de résidence. Un moyen moderne de réduire son budget et lutter contre le gaspillage alimentaire !

La simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance

Cette publication semestrielle, rédigée par l’Institut européen de recherche sur les coopératives et les entreprises sociales, l’Euricse, propose une synthèse « des politiques de l’Union européenne dans les domaines de l’emploi,

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des affaires sociales et de l’inclusion », comme le précise le site de la Commission européenne. Ce volume présente des structures et les différents instruments utilisés aux niveaux européen et national pour soutenir l’économie et l’entrepreneuriat social. Un entretien avec Sotiroula Charalambous, ministre chypriote du Travail et de l’Assurance sociale et président du Conseil, clos cet ouvrage en version numérique et papier. Guide de l’Europe Sociale. Commission Européenne

IL ETAIT UNE FORET « Il était une forêt » est un documentaire réalisé par Luc Jacquet, qui a obtenu un oscar en 2006 pour « La marche de l’empereur ». Ce film, réalisé dans le cadre de l’association Wild-Touch, entraîne le spectateur à la découverte des poumons verts que sont les forêts primaires tropicales. On plonge dans près de sept siècles de développement de la flore terrestre, du Pérou au Gabon. Les éditions Actes Sud publient également un livre tiré de ce film. Dans cet ouvrage, des informations complémentaires sont données sur les êtres vivants qui peuplent la forêt tropicale et qui font d’elle, un lieu à part. Date de sortie du film : 13 novembre 2013 « Il était une forêt », octobre 2013, éditions Actes Sud, 39 €




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