Poly 145 -­ Décembre 2011

Page 1

MAGAZINE N° 145 DÉCEMBRE 2011 www.poly.fr

Tomi Ungerer Expo phare pour ses 80 ans José Bové Du Larzac au Parlement européen Vincent Macaigne Le beau cadavre d’Hamlet à La Filature Portrait Renaud Herbin, nouveau directeur du TJP

Vegas à Kirrwiller


home collection c r y s ta l c a n d l e s t i c k b y p h i l i p p e s ta r c k w w w. b a c c a r at. c o m

b o u t i q u e b a c c a r at : 44 rue des hallebardes - strasbourG tÉl. 03 88 32 32 10 e r i c . p o l o - G r i l l o @ b a c c a r at. f r


BRÈVES

pendez-le

haut et court

1953. Deux maîtres du design, Charles et Ray Eames, conçoivent une patère dont le succès ne sera jamais démenti. Preuve avec ces trois modèles – en édition limitée – qui revisitent l’esthétique de l’objet original, sans pour autant en changer les principes fondamentaux : une armature en fils d’acier soudés, surmontée de boules de plastique. Hang it all est le nom évocateur de ce standard, et il faut dire qu’on accroche bien ! Distribués jusqu’en février seulement et disponibles au magasin le Fou du roi, à Strasbourg. www.fouduroi.org

Sophie Zazzeroni : Miss Panda

million dollar baby

Vous pensiez que seules les cimaises de votre salon étaient dignes d’accueillir des œuvres d’art ? Baby Art Shop prend cette idée à rebrousse-poil : cette galerie strasbourgeoise à destination des – petits et grands – enfants rassemble des œuvres signées Ourida Dif, Sophie Zazzeroni, Ana Gabriela Moreno Campos, Virginie Van Den Bogaert ou encore Marina Jolivet. Univers multiples, esprit ludique, ces créations devraient faire germer l’imaginaire de nos graines d’artistes… www.babyartshop.fr

comme au cinéma

Silvi Simon, Filmatruc à verre n°2, oiseau, 2010

Si Silvi Simon fait des films, elle aime aussi les défaire et en interroger le mode de fabrication. À La Chambre (Strasbourg), du 9 au 18 décembre et du 4 au 22 janvier, elle donne corps au cinéma, matérialisant l’image dans l’espace et dans le temps, investissant l’interstice entre projecteur et écran. Filmatruc en construction est le nom de cette expo / installation peu commune qui nous fait entrer dans les entrailles du ciné. Quand fiction et réalité ne font plus qu’un… www.la-chambre.org

be brave

Samuel Rousseau investit l’espace du CEAAC jusqu’au 12 février 2012. Connu en Alsace pour le projet monumental Helioflore, installation étincelante aménagée sur les parois du château d’Andlau, l’artiste élit cette fois domicile à Strasbourg. L’espace d’exposition lui sert de labo où sont rassemblées différentes pièces dont Brave old new world, présentée en 2011 pour le prix Marcel Duchamp, mêlant sculpture et vidéo. www.ceeac.org

Brave old new world © G. Wagner Poly 145 Décembre 11

3


RCS Bourg-en-Bresse 545 920 076

C’EST UN NOËL TRÈS DESIGN.

8 quai Kellermann 67000 Strasbourg – tél. 03 88 23 16 23 5 rue du Commerce 67202 Wolfisheim – tél. 03 88 78 22 26


BRÈVES

la vie du rail En 1855, Le rail manquant compromet l’inauguration de la ligne de chemin de fer, paroxysme de la modernité, qui doit desservir la commune de Soultz-sous-Forêts. L’enquête est ouverte, promettant bien vite d’être riche en rebondissements. Avec cette pièce de théâtre, Gilles Chavanel donne à l’Histoire des sonorités locales, mêlant marche collective et parcours individuels. Les comédiens fouleront les planches de La Saline, les dimanche 4, 11 et 18 décembre, à 17h. www.la-saline.com

travail d’orfèvre

Les ateliers strasbourgeois de Sarah Lang et de Série-K, spécialisés en graphisme et en sérigraphie, accueillent dans leur espace d’expo quatre créateurs de bijoux à la croisée du design et du savoir-faire artisanal : les pièces en argent d’Olfie, ancienne collaboratrice des maisons Dior et Cartier, côtoient celles en bois peint présentées par Nathalie Rolland Huckel. De leur côté, Hirn et Herz (voir photo) revisitent avec talent des motifs issus de la culture visuelle moderne alors que Starpunch réalise l’alliance originale des influences fifties et extrême-orientales. Un bel éventail de la jeune création contemporaine, à découvrir jusqu’au 17 décembre. www.ateliersarahlang.fr – www.serie-k.fr

déséquilibre Intérieur Nuit, c’est le récit d’une introspection minutieuse et obsessionnelle (au Théâtre de Hautepierre, les 13 et 14 janvier 2012). Celle d’un homme évoluant dans un espace confiné, amené à éprouver la solitude et ses implications. À la confluence de la vidéo, de la danse et de la performance, l’audacieuse scénographie, fruit de la collaboration de Jean-Baptiste André, Jacques Bertrand et Christophe Sechet, sert efficacement le propos, bousculant les repères sensoriels du spectateur et le conduisant à revisiter sa perception de l’espace et du temps. www.lesmigrateurs.org

un homme

extraordinaire JP Nataf (en concert vendredi 9 décembre, aux Sheds de Kingersheim et samedi 10 décembre, au Cheval Blanc de Schiltigheim), ex-chanteur des Innocents, mêle, en solo, pop façon Beatles (il est fan) et chanson française à la Nino Ferrer (dont il a repris le Oh ! Hé ! Hein ! Bon !). Pour ce barbu et lunettu, la musique est un sacerdoce et la scène son terrain de prédilection. À découvrir ! www.ville-schiltigheim.fr – http://noumatrouff.fr Poly 145 Décembre 11

5


e itale Capopéenn eur

> 11 décembre 2011 2 lignes TGV se croisent à Strasbourg Francfort Lille Paris

Strasbourg Lyon Marseille Barcelone Ville et Communauté urbaine 1 parc de l’Étoile 67 076 Strasbourg Cedex - France

welcomebyzance.fr

Budapest


BRÈVES

nne

femme, femme, femme le coup de bambou On y trouve Pêle-Mêle bijoux, mobilier et objets vintage, figures de proue et nouvelles têtes de la planète design. Ce lieu situé rue des veaux à Strasbourg, entre galerie, espace d’expo et boutique, rassemble un heureux melting-pot de tendances. Nouvelles découvertes : Sengtaï (voir visuel) et Coco&Co édition. Les premiers conçoivent des meubles en bambou, rehaussés de lignes colorées qui leur confèrent un esprit contemporain, les seconds fabriquent des luminaires épurés et fonctionnels. www.pelemele.eu

Jusqu’au 11 décembre, le Frac Alsace (Sélestat) expose le travail de Chantal Michel, artiste suisse qui se met en scène dans des photos et vidéos, des œuvres à l’étrangeté saisissante où il est question de corps et de féminité. Les photographies exposées, natures mortes ou portraits, sont autant de références à la peinture. Et ses vidéos, présentées dans l’obscurité, autant d’invitations à l’égarement. Pour mieux se familiariser avec son univers, la plasticienne – qui nous convie à une performance, mardi 6 décembre, à 20h au Frac – propose une sélection de vidéos à Pôle Sud (Strasbourg) les soirs de spectacle (jusqu’au 13 décembre). www.culture-alsace.org − www.pole-sud.fr

artiste ch. autre artiste

welcomebyzance.fr

Partenaires particuliers, expo présentée au Crac Alsace (du 4 décembre au 29 avril), conçue par Sophie Kaplan et la plasticienne Virginie Yassef, interroge la notion de signature artistique et s’emploie à rentrer dans le secret de fabrication des œuvres. Fischli & Weiss, Clédat & Petitpierre (voir photo), Philippe Quesne & Vivarium Studio… Un large panorama de la création contemporaine est présenté à Altkirch selon une muséographie qui connecte audacieusement les différents travaux entre eux. www.cracalsace.com

le ciné prend l’O… dyssée Mais qui donc va reprendre le cinéma de la Ville de Strasbourg, L’Odyssée ? Au bout de longs mois de discussions, réflexions et coups de théâtre, il semblerait que la municipalité ait tranché parmi les différents candidats. L’heureux élu ? Les Rencontres cinématographiques d’Alsace… association qui gère actuellement la salle. Réponse définitive jeudi 8 décembre au Conseil Municipal, sauf nouveau rebondissement. www.cinemaodyssee.com

Poly 145 Décembre 11

7



BRÈVES

CECI N’EST PAS

QU’UN PARAPLUIE Philippe Starck, qui a aménagé la Maison Baccarat à Paris en 2003 et dessiné la collection Darkside en 2005, a récemment créé le lustre Marie Coquine (140 cm de hauteur et 110 cm de largeur). Mariage insensé d’un luminaire classique en cristal clair et… d’un parapluie, il s’agit d’un objet luxueux et doucement surréaliste, à découvrir à Strasbourg, 4 rue des Hallebardes. Magritte aurait adoré. www.baccarat.fr

VOL DE CHAUVES-

SOURIS

Fin d’année joyeuse à Strasbourg (du 10 au 27 décembre puis à Mulhouse, du 4 au 8 janvier 2012 et Colmar, le 20 janvier 2012) et Nancy (du 18 au 31 décembre) puisque l’Opéra national du Rhin et l’Opéra national de Lorraine proposent chacun une production de l’opérette de Johann Strauss, La Chauve-souris. Que la fête commence ! www.operanationaldurhin.eu www.opera-national-lorraine.fr

LE GOSPEL

DU CŒUR Fondé par José-Geraldo de Lima, les Elijah’s Gospel Singers explorent un répertoire oscillant entre tradition et modernité… puisque José compose lui-même des spirituals tels Sing sing ou Over yonder. Et comme sa devise est « Là ou il y a un petit souffle de vie, il y a un grand espoir », il n’hésite jamais à se mettre au service des justes cause. À découvrir en l’Église Saint-Thomas (Strasbourg), samedi 17 décembre à 17h dans un concert au profit de l’ARAME, Association régionale d’action médicale et sociale en faveur d’enfants atteints d’affections malignes. http://elijahsgospelsingers.free.fr

© Jutta Missbach

FAST

FAST FOOD

Une envie subite de vous enfiler, vite fait, bien fait, un burger, classique ou insolite ? Ne cherchez plus ! Speed Burger, chaîne de fast-food fraîchement entrée sur le marché, ouvre une enseigne, quai de Paris, à Strasbourg. Tenez-vous bien : le restaurant a développé une gamme de succulents sandwiches élaborés à partir… de standards de la gastronomie française. Pour Noël, goûtez le Merry Burger (voir image) avec ses aiguillettes de canard au piment d’Espelette. Livraison à domicile possible… www.speed-burger.com Poly 145 Décembre 11

9



BRÈVES

FAUT PAS

DÉCALER ! H.I.C. À SHOPPER Accessoires homemade ou pièces vestimentaires stylées… Pour Noël, faites (vous) des cadeaux originaux, loin des grandes enseignes, à la boutique éphémère et nomade Hic & Nunc Store. Une dizaine de jeunes créateurs seront représentés durant trois week-ends à Strasbourg : les 3 & 4 et les 10 & 11 décembre à La Boutique (10 rue Sainte-Hélène) et les 16, 17 & 18 décembre à L’Atelier (1 rue d’Andlau). À découvrir : les corsets d’Aurélie Poret, les bijoux en porcelaine d’Alexandra François ou les pochettes d’Allo ici Sab (voir photo)… www.hicetnunc-store.com

JERU

MARIE JOSEPH Pelpass a beau se présenter comme une simple “association de troubadours fanfaro’disco’hip’rock qui vend des crêpes”, elle nous concocte de sacrés concerts… Mardi 13 décembre, Pelpass propose le show de Jeru the Damaja en guise de cadeau de Noël (pour 8 € à peine, avec également les groupes 1995 et Ancient Mith), au Molodoï. Géant du hip-hop US, proche de Gang Starr, l’auteur du grand classique Come Clean fera souffler un vent new-yorkais sur Strasbourg. Ambiance bang bang garantie. www.molodoi.net – www.pelpass.net

Danse, théâtre, cirque, marionnettes, magie… Riche programme que celle de la quatrième édition du festival Décalages (du 17 au 28 janvier 2012), organisée par Les Scènes du Nord. Sept structures culturelles du Nord de l’Alsace accueilleront ainsi artistes et troupes pour célébrer les arts du spectacle vivant. On retient, entre autres, la présence des Compagnies (dé)battements (théâtre gestuel), azHar (marionnettes) ou Dorina Fauer (danse, voir photo). www.scenesdunord.fr

LA PHOTO EST UN SPORT

DE COMBAT En 1955, le sociologue Pierre Bourdieu s’embarque pour l’Algérie afin d’y effectuer son service militaire. Il découvre un pays miné par la guerre et décide, armé de son appareil photo 6X6, de collecter des clichés d’une société en pleine mutation. Les belles Images d’Algérie, exposées à la galerie strasbourgeoise Stimultania jusqu’au 12 février 2012, témoignent d’un sens aigu du cadrage et de l’observation et d’une volonté de faire de la photographie (en noir et blanc) un outil de travail. www.stimultania.org Poly 145 Décembre 11

11


sommaire

20 Cinq questions à José Bové, défenseur de “l’esprit du Larzac” au Parlement européen 22

Portrait de Renaud Herbin, nouveau directeur du TJP

24

e Rêve de Van Gogh, première application L pour iPad en forme de livre d’art 3.0

27

Reportage au Royal Palace, cabaret de

30

L’Ososphère se pose à La Laiterie pour une nuit electro

27

renommée mondiale installé à Kirrwiller

36 Interview avec les Peeping Tom autour d’À louer, leur dernier spectacle présenté par Pôle Sud

36

38 Tomi et ses maîtres, l’exposition dédiée à Ungerer pour ses 80 ans 44 Pour Regionale 12, rendez-vous transfrontalier d’art contemporain, le jeu s’installe à la Kunsthalle de Mulhouse 56

n regard sur les photos de Patrick BaillyU Maître-Grand et Laurence Demaison exposées à La Filature

72 Noël et la gastronomie

38

80 Kilo, la nouvelle boule de Noël design de Meisenthal

COUVERTURE

© Pascal Bastien

« Royal Palace, c’est Las Vegas en pleine Alsace, c’est la cerise au kirsch sur le gâteau. » La chanson diffusée à la fin du nouveau spectacle du cabaret de Kirrwiller, Crescendo, résume bien l’esprit de cet établissement qui attire les artistes et le public du monde entier… faisant exploser Google après chaque reportage télé. L’article (voir page 27) que nous lui avons consacré dans Poly fera-t-il sauter les moteurs de recherche ? www.royal-palace.com

12

80 56

Poly 145 Décembre 11

M_P


THÉÂTRE, DANSE / SUISSE

GINA D’EUGÉNIE REBETEZ JEU 12 + VEN 13 JANVIER / 20H30 REITHALLE OFFENBURG

www.le-mAillon.com

M_Presse Gina_Poly 200x270.indd 1

03 88 27 61 81

Photo © Augustin Rebetez

EN CO-RÉALISATION AVEC LE KULTURBÜRO OFFENBURG

23/11/11 16:51


OURS

ils font poly Pascal Bastien (né en 1970) Libération, Télérama, Le Monde… et Poly : Pascal Bastien est un fidèle de notre magazine. Il alterne commandes pour la presse et travaux personnels. www.pascalbastien.com

Ours

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Emmanuel Dosda (né en 1974) Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une dizaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren. emmanuel.dosda@poly.fr

Thomas Flagel (né en 1982) Théâtre moldave, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs algériens… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes depuis trois ans dans Poly. thomas.flagel@poly.fr Photo  de Stéphane Louis

Dorothée Lachmann (née en 1978)

Benoît Linder (né en 1969) Cet habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma poursuit un travail d’auteur qui oscille entre temps suspendus et grands nulles parts modernes. www.benoit-linder-photographe.com

Stéphane Louis (né en 1973) Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. www.stephanelouis.com

www.poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49 Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Rédacteurs Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Dorothée Lachmann / dorothee.lachmann@poly.fr Stagiaire rédaction / Sébastien Meyer Ont participé à ce numéro Claire Perret, Geoffroy Krempp, Éric Meyer, Pierre Reichert, Laure Roman, Irina Schrag, Daniel Vogel et Raphaël Zimmermann Graphistes Pierre Muller / pierre.muller@bkn.fr Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly © Poly 2011. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. ADMINISTRATION / publicité Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Co-fondateur : Vincent Nebois / vincent.nebois@bkn.fr

Léna Tritscher (née en 1989) Issue des industries graphiques, jeune photojournaliste, Léna apprécie tous les aspects de son métier, du reportage au portrait. Elle aime faire des images et écrire… www.lenatritscher.fr

Administration, gestion, diffusion, abonnements : 03 90 22 93 38 Gwenaëlle Lecointe / gwenaelle.lecointe@bkn.fr Nathalie Hemmendinger / gestion@bkn.fr Publicité : 03 90 22 93 36 Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Catherine Prompicai / catherine.prompicai@bkn.fr Vincent Nebois / vincent.nebois@bkn.fr Magazine bimestriel édité par BKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100 000 e 16 rue Édouard Teutsch – 67000 STRASBOURG

Flashez et retrouvez Poly.FR

Abonnement Poly est un magazine gratuit. Mais pour le recevoir, dès sa sortie, abonnez-vous.

5 numéros 20 � 10 numéros 40 � Envoyez votre règlement à Magazine Poly Service abonnement 16 rue Teutsch 67 000 Strasbourg

Dépôt légal : décembre 2011 SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130 Impression : CE COMMUNICATION BKN Éditeur / BKN Studio – www.bkn.fr

CONCEPTION REYMANN COMMUNICATION // MONTAGE BKN.FR // LICENCES D’ENTREPRENEURS DE SPECTACLES N° 2 : 1006168 ET N°3 : 10066169

Née dans le Val de Villé, mulhousienne d’adoption, elle écrit pour le plaisir des traits d’union et des points de suspension. Et puis aussi pour le frisson du rideau qui se lève, ensuite, quand s’éteint la lumière. dorothee.lachmann@poly.fr


le e a t i p Ca éenn

Orchestre PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG

p

euro

CONCEPTION REYMANN COMMUNICATION // MONTAGE BKN.FR // LICENCES D’ENTREPRENEURS DE SPECTACLES N° 2 : 1006168 ET N°3 : 10066169

ORCHESTRE NATIONAL

JEUDI 15 & VENDREDI 16 DÉCEMBRE PMC Salle ÉraSMe - 20H30 • Jesus lopez Cobos direction • Adam Laloum piano revueltaS Sensemaya DebuSSy Fantaisie pour piano et orchestre en sol majeur FranCk Symphonie en ré mineur

SAISON 2011

>2012

Renseignements : 03 69 06 37 06 / www.philharmonique.strasbourg.eu Billetterie : caisse OPS entrée Schweitzer du lundi au vendredi de 10h à 18h Boutique Culture, 10 place de la cathédrale du mardi au samedi de 12h à 19h

experts-comptables


ÉDITO

les zombies, la crise et noël Par Hervé Lévy Illustration signée Éric Meyer pour Poly

A

lors que la traduction française du volume 15 de Walking dead, saga phénomène de Rick Kirkman et Charlie Adlard, est annoncée pour février (chez Delcourt) et que la diffusion de la saison 2 de la série TV adaptée de la BD vient de débuter aux États-Unis (11 millions de téléspectateurs pour le premier épisode), on ne peut que s’interroger sur la place du zombie dans la société actuelle. Venu en droite ligne du vaudou haïtien, il est une des rares mythologies nées au XXe siècle. Il a été médiatisé par l’épopée cinématographique de George A. Romero qui débute en 1968 avec The Night of the living dead.

« Le mort-vivant, c’est la phase terminale de l’humain. (…) Pour Romero, c’est une façon de dire non pas “regardez ce que l’homme, au fond de lui, a toujours été”, mais “observez ce qu’il est en train de devenir” », écrivait JeanSébastien Chauvin dans Les Cahiers du Cinéma en 2001. Attaque politique contre la vision du monde made in USA, refus du racisme, critique violente de la consommation… Dans les différents volets – Day of the dead, Land of the dead, etc. – les créatures de Romero possèdent une puissante charge symbolique. Nous sommes en effet tous en train de devenir des êtres errant entre la vie et la mort : pour le constater, il suffit d’observer les yeux vitreux et la démarche saccadée des joyeux touristes arpentant les allées bondées des différents marchés de Noël. Tous aux abris, une horde de zombies coiffés d’un bonnet de Santa Claus clignotant va se ruer sur l’Alsace ! Reste qu’en ces temps de crise, l’allégorie s’est renversée : dans Walking dead, les héros ne sont plus les morts-vivants, ce sont bien les humains (avec leurs histoires de cœur et de cul en pleine catastrophe mondiale) qui tentent désespérément de s’en sortir. Le parallèle avec un autre survival, plus intime et émouvant celui-la, La Route de Cormac McCarthy, est évidemment tentant. Le zombie n’est plus qu’une métaphore de la menace multiforme qui pèse sur l’humanité – effondrement économique, catastrophes écologiques, attaques terroristes… – et une incarnation des angoisses contemporaines. Il fait tapisserie. Tapisserie effrayante, mais tapisserie quand même, vidé qu’il est de tout sens. Très loin du mort-vivant old school, son homologue contemporain n’est donc plus qu’un élément du décor qu’on explose à coups de flingue ou de hache dans de grands flots cracra d’hémoglobine. Cette inversion symbolique est le signe inquiétant d’une société malade, repliée sur elle-même, dans laquelle chacun ne pense plus qu’à lui, oubliant les combats collectifs essentiels.

16

Poly 145 Décembre 11


NOËL AU MUSÉE • EXPOSITIONS • CONCERTS • DÉCOUVERTES

La Folie des sapins EXPOSITIONS Le Sapin : des regards neufs, variés et personnels C’est au Musée de la Folie Marco que l’association «la Cigogne à Tiroirs» et «les Artistes Barrois» sont invitées à exposer durant les trois week-ends du marché de Noël. De manière classique ou abstraite, chacun a exprimé sa sensibilité avec différentes techniques de peinture ou de sculpture. Des illustrations, des formes abstraites ou contemporaines permettent ainsi de voir le sapin sous un autre jour.

Un sentier photographique Depuis la place de l’Hôtel de Ville, une vingtaine de photographies permettra aux visiteurs de découvrir le sapin sous d’autres regards.

PERFORMANCE ARTISTIQUE Dans la cour du musée, juste à côté du parc arboré, vous découvrirez le monumental sapin de Jean-Jacques Rath, ferronnier d’art : six mètres de haut pour une installation pleine d’originalité. Ses branches accueillent des socles arborant fièrement sculptures et peintures extérieures.

ANIMATIONS MUSICALES

BARR

• Samedi 3, 10 et 17 décembre à 16h, 16h30 et à 17h : Spectacle de danse «WORMS» • Dimanche 4 décembre à 15h : Concert • Dimanche 11 décembre 2011 : Concert • Dimanche 18 décembre 2011 à 16h: Spectacle de la Compagnie Art’Thémis

DE 14H À 18H • ENTRÉE LIBRE

MUSÉE DE LA FOLIE MARCO • 30 RUE DU DR SULTZER • BARR


LIVRES – BD – CD – DVD

Derrière le mur de briques Encore une trouvaille des éditions strasbourgeoises La Dernière Goutte. En sept nouvelles, traduites du hongrois et réunies dans ce recueil, l’incroyable diversité de plume de Tibor Déry (1894-1977) nous submerge et nous emporte. L’insurgé de 1956 à Budapest, emprisonné pour ses mérites, dépeint le quotidien des sansle-sou, l’écrasement de l’usine ou encore les bassesses humaines avec une douceur effilée et une justesse tranchante. Le mur de briques entourant l’usine de la nouvelle donnant son titre au livre n’est pas sans rappeler celui de Sartre : mur des consciences en chacun de nous mais aussi brutalité concrète d’un système carcéral. Dans un réalisme truculent, l’auteur use d’une savoureuse ironie pour dévoiler les preuves d’amour fraternelles, les postures de résistance et l’imagination débordante de gens ordinaires vivant au cœur d’un communisme moribond, peu enclin à tolérer la contradiction et, finalement, à placer l’homme en son centre. (T.F.) Paru aux éditions La Dernière Goutte (18 e) www.ladernieregoutte.fr

18

Poly 145 Décembre 11

Il faut marier

Maria

En 208 pages, près de 800 photos et bon nombre de documents d’archives inédits, le wissembourgeois Ambroise Perrin (ancien journaliste à FR3 devenu administrateur du Groupe Socialiste européen) et l’alsacienne d’adoption Irena Tatiboit (ancienne danseuse à l’Opéra de Varsovie, créatrice de Carré d’Art) content les diverses péripéties de “l’événement du XVIIIe siècle” : le mariage à Strasbourg, le 16 août 1725, d’une princesse étrangère et du roi de France... L’on découvre le quotidien de Maria Leszczynska, polonaise quittant sa résidence de Wissembourg pour vivre à Versailles, chez son époux Louis XV. Mêlant habilement histoire et enquête sur le mode du feuilleton, l’originalité de l’ouvrage réside en son mélange de danseurs, musiciens ou comédiens replacés dans des décors d’époque, et inversement. (D.V.) Paru aux éditions Bourg Blanc, à Schiltigheim (32 e) www.editionsbourgblanc.com

LES MALGRÉ NOUS DE LA KRIEGSMARINE Avec cet ouvrage, Jean-Noël Grandhomme, Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg, entraîne son lecteur sur les mers en compagnie des Malgré Nous alsaciens et mosellans de la marine. Des redoutables U-Boote aux immenses destroyers, de l’Océan atlantique à la Mer Égée, voilà d’étonnantes odyssées. Les nombreux témoignages et documents d’archive (agrémentés d’une riche iconographie, le plus souvent inédite) se mêlent en effet dans un livre passionnant qui met en lumière un aspect des plus méconnus de l’histoire du deuxième conflit mondial dans notre région. Certains, par exemple, sont “volontaires” pour embarquer afin d’éviter d’aller mourir sur le front russe et retarder le plus possible le moment du combat : dans la Kriegsmarine, les périodes de formation sont plus longues que dans l’infanterie… Ce sont ces stratégies et

bien d’autres – des actes de résistance à l’engagement idéologique – qu’explorent quelque 400 pages très documentées et fort bien écrites. (H.L.) Paru à La Nuée Bleue (25 e) www.nueebleue.com Rencontre avec l’auteur à la librairie Kléber (Strasbourg) samedi 17 décembre à 11 h www.librairie-kleber.com


Hermetic

Delight Ne pas se fier aux apparences. Si, sur la pochette, les choses sont bien rangées, à plat, ordonnées, les six titres du premier (mini) album d’Hermetic Delight s’avèrent bouillonnants, déstructurés, hirsutes. On songe à une collaboration hypothétique entre des Pixies supra énervés et une PJ hargneuse. La voix perçante de Zey K. (attention les tympans), les guitares tranchantes (attention les doigts) et

la batterie qui marque le rythme (très soutenu), mêlées dans une urgence punkoïde, composent le disque de ce jeune quintet strasbourgeois, balançant ses riffes et criant sa rage. Hermetic déboîte. (E.D.) Universe Like Thousands of Red Alternatives (6 e, en vente sur le site du groupe) – http://hermeticdelight.com En concert jeudi 15 décembre à Metz (Péniche Lucarne) Tournée en Turquie début 2012

safari nuit Le crapaud, confus, attrape la lune tombée dans la mare.

Le saviez-vous ? Une curieuse faune se meut dans nos villes une fois nos paupières et nos volets fermés. Et pas que les chats (tous gris, forcément), les papillons (de nuit, logique) et les oiseaux (idem). Durant notre sommeil, chats domestiques, bufo bufo (des crapauds, comme on l’apprend dans les pages “pédagogiques” de la fin du bouquin) ou pipistrelles (chauvessouris) se livrent à un étrange ballet nocturne, entre chasse urbaine et partie de cache-cache dans les rues et les squares. Bestioles grignotant les câbles des voitures ou fouillant dans

les poubelles… voici tout un remueménage(rie) que la chouette, haut perchée, observe de ses grands yeux scintillants. Réalisé par les strasbourgeois Stéphanie Baunet (textes) et Claude Grétillat (illustrations), Safari nuit évoque à la fois les photomontages de Max Ernst et les silhouettes animales d’Enzo Mari, Les Fables de La Fontaine vues par Gustave Doré et une Nuit du chasseur transposée au cœur de la cité. (E.D.) Le baron perché, dès 4 ans (16 e) www.editionslebaronperche.com

QUINZE JOURS EN ROUGE Après une aventure de Sherlock Holmes dont le cadre était l’Alsace (voir Poly n°130), Jacques Fortier récidive… Cette fois, le journaliste des DNA ne met pas en scène le personnage de Sir Arthur Conan Doyle, mais Jules Meyer, un jeune garçon, croisé dans le roman précédent, qui a maintenant vingt ans. L’hommage cependant est clair puisque notre détective en herbe a des méthodes des plus holmésiennes ! Le lecteur est transporté en novembre 1918, pendant l’éphémère soviet de Strasbourg : dans ces circonstances troubles, notre héros, troublé lui-même par deux jeunes femmes, devra élucider le meurtre d’un professeur de harpe. Dans cette intrigue à rebondissements multiples – qui montre que l’auteur est un fin connaisseur de l’univers musical – se croisent soldats mutins, Alsaciens bon teint et Russes blancs ou rouges. Le livre se lit d’une traite et vaut autant pour les mécanismes (policiers et autres…) qu’il développe que pour la description historique scrupuleuse d’une période oubliée, où le drapeau rouge flottait sur la Cathédrale… D’ailleurs c’est Jules Meyer qui l’y a hissé. (H.L.) Paru au Verger dans la collection “Les Enquêtes rhénanes” (9,50 e) – www.verger-editeur.fr

Poly 145 Décembre 11

19


CINQ QUESTIONS À…

josé bové Député européen depuis 2009, l’ex-faucheur d’OGM et démonteur de fastfood s’est-il assagi ? Pas tant… Au sein d’Europe Écologie-Les Verts, il a toujours l’ambition de faire souffler “l’esprit du Larzac” sur l’hémicycle. Rencontre avec un loup altermondialiste dans la bergerie libérale.

Par Hervé Lévy Photo de Benoît Linder pour Poly

Tous au Larzac est sorti mercredi 23 novembre dans les salles

Pour en savoir plus, on lira Du Larzac à Bruxelles, un long entretien avec Jean Quatremer, correspondant de Libération auprès de l’Union européenne, paru au Cherche midi en février www.cherche-midi.com www.jose-bove.eu

20

Poly 145 Décembre 11

Alors que sort un documentaire, Tous au Larzac, que reste-t-il du combat que vous avez mené au début des années 1970 ? Cette histoire parle encore aux gens. Même si le mouvement à proprement parler n’a duré qu’une dizaine d’années là-bas, il ne s’est pas achevé en 1981, lorsque François Mitterrand a décidé d’annuler l’extension du camp militaire. Le Larzac est devenu le symbole de la mobilisation des citoyens face au pouvoir de l’Armée et de l’État. Ce combat du pot de terre contre le pot de fer a ouvert un espace de résistance nouveau, devenant la matrice des luttes futures, celles contre la mondialisation – le démontage d’un Mac Do – ou contre les OGM. Le Larzac illustre le présent et donne de l’espoir à des jeunes – pas encore nés au début des années 1980 – qui ont appris à ne jamais renoncer à leurs idéaux… Ce n’est pas parce que tout est ligué contre vous et que vous êtes tout petit qu’il faut baisser les bras !

des institutions traditionnelles. D’une certaine mesure, en effet, ils sont tous les héritiers du Larzac.

1 3 2 4 Qui porte aujourd’hui cet “esprit du Larzac” ? Les Indignés ? Le Parti pirate ? Le Larzac n’est pas un label. Tous peuvent s’en revendiquer librement… Les deux mouvements que vous citez sont de bons exemples. Si les Pirates ont fait des résultats intéressants dans les urnes en Allemagne, c’est peut-être parce que les écolos sont devenus mous du genou en s’institutionnalisant. Ce type d’initiative, qui n’est lié à rien, ni à personne et n’est tributaire d’aucun accord électoral, est salutaire. Ces mouvements montrent que certains ont dépassé le stade du ras-le-bol non constructif pour aller plus loin. Les cadrer ou vouloir les récupérer politiquement n’a pas de sens. Ce qui compte est qu’ils posent les bonnes questions, qu’ils bousculent le ronron

Vous êtes aujourd’hui vice-président de la Commission de l’agriculture et du développement rural du Parlement européen alors que vous avez longtemps combattu la politique agricole commune. Avez-vous souhaité devenir député européen pour faire entrer l’esprit du Larzac dans l’institution ? J’ai voulu continuer le combat d’une autre manière : pour moi, la politique n’est pas un métier, mais un engagement. Un exemple concret de mon action ? L’année passée, nous avons réussi à montrer que la présidente de l’Autorité européenne de sécurité des aliments était aussi membre de la direction d’un des plus importants lobbys agro-alimentaires rassemblant les entreprises les plus puissantes du secteur.

Quelle est votre Europe rêvée ? Je m’étais battu de manière très claire pour le “non” au traité constitutionnel : il ne s’agissait pas de s’opposer à l’Europe, mais de lutter contre l’Europe des marchands et contre l’Europe qui déshumanise. La situation actuelle me fait dire que j’avais raison sur le fond en dénonçant les institutions économiques et financières et la façon dont les États font face à la crise. On le voit de manière caricaturale avec ce qui se passe en Grèce et en Italie où sont nommés, à la tête des gouvernements, les anciens des Banques centrales ou de Goldman Sachs ! C’est ça la solution à la crise ? C’est du grand n’importe quoi ! La seule possibilité aujourd’hui est un surcroît d’Europe, une Europe sociale écologique et solidaire !


Les politiques, qu’ils soient à l’UMP ou au PS, se servent de l’écologie lorsque ça les arrange, pour appâter l’électeur

5

Pensez-vous que l’écologie sera au cœur de la campagne présidentielle à venir en France ? Elle s’y trouve déjà, et de manière frontale, même si je ne sais pas, aujourd’hui, sur quoi cela va déboucher. Lorsque j’entends le candidat du Parti socialiste parler du nucléaire et avouer, sans honte, qu’il a pris ses ordres chez Areva et EDF avant de prendre position, cela me paraît invraisemblable. Je suis choqué qu’il n’apparaisse pas de manière évidente à tous les politiques que, plus que jamais, les questions d’écologie, de réchauffement climatique ou d’énergie doivent être au centre

du débat. Prenez le Grenelle de l’environnement : la discussion entre les partenaires a été correcte et c’était tout à l’honneur de Sarkozy de l’initier. Mais à un moment, la contradiction a été totale entre cette volonté écologique et la réalité des lobbys industriels, le poids de tous ceux qui n’acceptent pas que les choses changent. Deux ans après Sarkozy a dit, en résumé : « L’écologie, ça commence à bien faire. » Aujourd’hui, les politiques, qu’ils soient à l’UMP ou au PS, se servent de l’écologie lorsque ça les arrange, pour appâter l’électeur. Ça a un nom : le green washing…

Poly 145 Décembre 11

21


PORTRAIT

un homme (pas) pressé Marionnettiste à la ligne artistique plutôt “expérimentale”, Renaud Herbin vient d’être désigné pour tirer les ficelles du Théâtre Jeune Public à Strasbourg. Choix audacieux, mais sage : le jeune homme a la tête bien vissée sur les épaules.


Par Emmanuel Dosda Photo de Benoît Linder pour Poly

TJP Grande Scène, 7 rue des Balayeurs & Petite Scène, 1 rue du Pont Saint Martin à Strasbourg 03 88 35 70 10 www.theatre-jeune-public.com

Prochains spectacles Un chant de Noël, TJP Grande Scène, du 3 au 8 décembre Thelma, TJP Petite Scène, du 9 au 11 décembre Tours et Détours, TJP Petite Scène, du 7 au 14 janvier 2012 L’été où le ciel s’est renversé, TJP Grande Scène, du 17 au 21 janvier 2012

P

arce qu’il est auteur de spectacles parfois un peu flippants comme Vrai ! Je suis très nerveux, en 2003, on se questionne… Va-t-on avoir affaire à un anxieux, un agité ? « Au contraire, je suis du genre à prendre du temps avant de dégainer », affirme, calmement, celui qui vient d’être nommé1 pour remplacer Grégoire Callies à la tête du TJP dès janvier 2012. Renaud Herbin était-il prédestiné à remplir cette fonction ? Pas vraiment… Vers 18 ans, au début des années 1990, ce fils de parents travaillant dans l’Éducation nationale tombe « par hasard », dans le Vieux Lyon, sur un spectacle de rue. « Voir une marionnette – matière inerte à laquelle on donne du souffle, de la vie, par le mouvement – s’animer sous mes yeux a été un choc esthétique, une expérience forte et fondatrice. » Après un cursus scientifique, il devient documentaliste, fait un stage rue de Valois, au Ministère de la culture, avant de postuler, au culot, à l’École supérieure nationale des Arts de la marionnette de Charleville-Mézières, « une école qui ne formate pas ». Il en sortira diplômé, en 1999, et y dégottera ses acolytes, Julika Mayer, puis Paulo Duarte, membres de sa compagnie, LàOù2, sorte de monstre tricéphale où chacun « se nourrit de l’histoire et de la sensibilité des autres ». La structure rennaise monte Un Rêve (d’après Kafka, en 1999) et Vrai ! Je suis très nerveux (basé sur une nouvelle de Poe), spectacles « un peu nostalgiques avec des décors expressionnistes, faisant référence à des maîtres comme Gavin Glover3 » dont il revendique l’héritage. Ces pièces de Renaud Herbin mettent en scène des personnages tourmentés, confrontés à leurs propres angoisses. Il tempère : « Mais ça n’est jamais très grave : ce sont des marionnettes. Elles sont troublantes car elles permettent d’aller très vite dans l’illusion » et peuvent nous rappeler aussitôt leur condition de simples pantins articulés.

Par le Ministère de la culture et de la communication, la Ville de Strasbourg, le Conseil régional d’Alsace, le Conseil général du Bas-Rhin et la CUS 2 Julika Mayer et Paulo Duarte de la compagnie LàOù seront conviés durant la saison du TJP et lors du festival des Giboulées de la marionnette pour présenter leurs nouvelles créations – www.laou.com 3 Marionnettiste britannique polyvalent qui a fondé la compagnie Faulty Optic à la fin des années 1980 4 Élément de décor où se cachent les marionnettistes 1

Progressivement, Renaud Herbin cherche « à inventer des esthétiques plus contemporaines, affirmer les choses plastiquement, être sur des écritures moins narratives pour interroger le plateau, la marionnette, les corps… » Dans ses spectacles, souvent portés par une musique electro aiguisée, il se donne à voir sur scène. « Je n’ai rien inventé : depuis les années 1970, les marionnettistes sont sortis du castelet4, mais je m’intéresse à ce qui relie

l’homme à la marionnette, comment leurs mouvements se rencontrent. Ceci m’amène à fréquenter des danseurs, à me pencher sur l’écriture chorégraphique », affirme un artiste privilégiant l’interdisciplinarité. Sa curiosité l’amène à développer, en 2003, le projet Centres Horizons avec l’architecte et vidéaste Nicolas Lelièvre. Fascinés par les villes en construction, « en évolution tangible », ils s’interrogent – « comment se croisent les échelles du politique, de l’urbaniste, de l’architecte et de l’habitant ? » – puis livrent un travail vidéo et des spectacles, comme Mitoyen (2006) et Lopin (2008). Mis de côté depuis 2008, Centres Horizons renaîtra sans doute… à Strasbourg. « Je suis fasciné par la morphologie de cette ville qui ressemble à un puzzle, avec des tranches bien découpées. J’ai envie de la sonder au travers de pièces : ça serait un beau moyen de me présenter. » Le nouveau directeur du TJP, Centre dramatique national d’Alsace « qui a pour mission la diffusion et la création », rappelle-t-il, désire implanter la structure dans le territoire, notamment en programmant des spectacles (comme Reprendre son souffle de LàOù) dans l’espace public. « Jouer sur le dedans et le dehors d’un théâtre » auquel il veut associer des artistes « qui ont cette capacité à s’inscrire dans la cité et de tricoter avec les associations, les Musées, l’Université ou les théâtres pour développer leurs propositions ». Aussi, Renaud Herbin poursuivra l’ouverture du CDN aux adultes et valorisera encore la marionnette, « un art à part entière et une pratique poreuse ». Sans pour autant délaisser le jeune public et la pédagogie, le TJP deviendrait donc, « progressivement », un théâtre des arts de la marionnette, un « pôle européen », notamment en favorisant les échanges avec l’Allemagne où il a vécu. Ce créateur qui revendique la dimension expérimentale de son travail, mais fait la distinction entre ses préoccupations artistiques et sa « responsabilité par rapport à ce bel outil qu’est le TJP », annonce dès lors « une évolution, sans révolution ».

Poly 145 Décembre 11

23


NOUVELLES TECHNOLOGIES

iVanGogh

En créant l’une des premières applications pour iPad conçue comme un livre d’art mêlant toiles interactives, vidéos, photos et textes, la Manufacture numérique d’édition strasbourgeoise (MNESTRA) signe une grande première. Le rêve de Van Gogh ou l’art version 3.0. Par Thomas Flagel

7,99 € www.mnestra.fr www.vangoghsdream.org

Entreprise de communication, de photographie et d’édition www.arthenon.com 2 Spécialiste de la correspondance de l’artiste, il a publié de nombreux livres, notamment Van Gogh – Auvers, aux éditions du Chêne 1

24

Poly 145 Décembre 11

J

usqu’ici, le développement des applications destinées aux nouveaux supports numériques comme l’iPad se limitaient à des fonctionnalités, des jeux ou du contenu (type pdf) calqué sur les magazines ou les livres. Lorsque l’Institut Van Gogh commandite un projet autour du Rêve de Van Gogh – organiser un jour une exposition à lui dans un café –, son conseiller scientifique, le strasbourgeois Wouter van der Veen saute sur l’occasion pour se lancer dans l’aventure. Avec deux autres membres d’Arthenon 1, Loïc Sander (graphiste) et Fouzi Louahem (vidéaste et journaliste à Alsace 20), il fonde MNESTRA. Depuis les sorties des premières tablettes, ils « partageaient déjà un fort intérêt pour l’incroyable potentiel technologique qui se profilait dans la création de contenu mélangeant l’animation et la photo, en passant par les textes et la vidéo, le tout pouvant être combiné de manière interactive pour les utilisateurs », explique Fouzi. En janvier 2011, Adobe met à disposition sa Digital Publishing Suite, version Beta, en test public. L’équipe s’empare alors de cet outil entièrement intuitif, en pionniers défrichant un terrain vierge où tout est à inventer. S’appuyant sur l’expertise de Wouter sur Van Gogh2, ils opèrent des choix éditoriaux précis : ne rien sacrifier du contenu (ni les 80 toiles

peintes à Auvers, ni ses lettres, ni les interviews vidéos de Michel Cieutat sur Van Gogh au cinéma), une écriture concise adaptée au support et le souci de redécouvrir un personnage au-delà de son image romantique. Le “chapitrage” linéaire à multiples entrées qui en découle permet, dans une belle fluidité, une lecture intégrale mais aussi d’astucieux sauts d’une toile à son esquisse, des lettres aux analyses vidéos, pour plus de liberté. Au total, malgré les contraintes techniques liées au poids des vidéos et photos, l’application recèle plus de 80 minutes de vidéos, 150 pages documentées réparties dans trois grandes parties, de la bio raisonnée (démystifiant sa folie, sa pauvreté, sa solitude…) à ses héritiers plus ou moins anonymes en passant par un décryptage de sa pratique picturale (vous découvrirez la possibilité d’isoler dans ses tableaux les couples de couleurs complémentaires utilisées). S’ajoutent à cela douze mises à jour de contenus additionnels prévues pour l’an prochain. Totalement séduits, Apple et Adobe deviennent partenaires du projet présenté à Art Basel Miami, fin novembre. Nul doute qu’au milieu des 600 applications sortant chaque jour, Le rêve de Van Gogh, qui devrait être disponible sur l’AppStore début décembre, tirera son épingle du jeu…


bons baisers de russie Depuis six ans, le Teatr Licedeï parcourt l’Europe avec Semianyki, spectacle à l’humour corrosif et décapant sur la famille. Entre clowns et pantomimes, voyage dans le chaos quotidien d’une fratrie russe.

Par Irina Schrag Photo de Bernard Palazon

À Haguenau, au Théâtre de Haguenau, mardi 6 décembre 03 88 73 30 54 www.relais-culturelhaguenau.com

F

ondé en 1968 à Leningrad par six artistes, ce théâtre de clowns et de mimes n’a eu de cesse de porter un regard critique, amusé et acerbe sur son pays et les comportements de ses concitoyens. Malgré une absence totale de mots, leurs spectacles ne seront jamais du goût des autorités de la grande URSS. Seuls la ténacité et le talent de ces agités du geste leur permettront d’obtenir des bons de sortie pour se produire dans les plus importants festivals du monde. Avec la fin du bloc soviétique, Saint-Pétersbourg remplace Leningrad et les fondateurs de ce qui est devenu une École de clown au sein de l’Académie Théâtrale de l’Université voient leur avenir s’ouvrir. La plupart réalisent leurs envies d’ailleurs en poursuivant une carrière solo ou en intégrant le prestigieux Cirque du soleil. L’âme de Licedeï est confiée à la relève, de jeunes artistes aussi doués et frappadingues que leurs aînés. Exit les nez rouges. Place à la mise en abîme, à l’abolition des frontières du théâtre, de la musique et des genres.

Par-delà les rêves

Semianyki – la famille, en russe – est nourri à l’atmosphère brutale du réel : un père complètement alcoolo, une mère à deux doigts d’accoucher et quatre enfants jouant à qui sera le plus terrible ! S’appuyant sur une vive

folie poétique et une totale absence de logique narrative, cette fratrie nous emmène au bout de ses rêves cauchemardesques et surréalistes. Les relations familiales détraquées sont brocardées sans ménagement avec, comme souvent dans les spectacles venus de l’Est, une violence contenant cette dose d’amour immense qui bouleverse nos sentiments. Dans ce quotidien fait de bric et de broc, tout apparaît laid, foutraque et injuste. On rit de l’humour noir et du grotesque irriguant les dix-neuf tableaux qui se succèdent sur un rythme effréné, mais dans un capharnaüm scénique maîtrisé. Chacun défend sa place avec panache, audace et inventivité. Les bravades face à l’autorité parentale sont une obsession, l’acharnement sur le plus faible que soi une règle, les coups bas un moyen pour arriver à ses fins, et la prise à partie du public un plaisir partagé (préparez-vous, entre autres, à une bataille de polochons dantesque et à un concert sous la coupe dictatoriale d’un chef dangereusement pointilleux). Au milieu des poussettes instables, d’un rocking-chair pour cinq, d’une partie de hockey sur draps, de poupées décapitées par le petit dernier, les cœurs de cette tribu de clowns battent d’un même rythme : rapide, intense et aussi diablement cruel que généreux.

Poly 145 Décembre 11

25


MUSIQUE – GRAND EST

henri dès metal La nouvelle édition de TGV GéNéRiQ, festival fouineur orchestré par l’équipe des Eurockéennes, propose des lives pour les grands tout en pensant à leurs enfants. Par Emmanuel Dosda Photo des Brigitte par Mark Maggiori

Brigitte pour les enfants à Kingersheim, à l’Espace Tival, dimanche 4 décembre à 15h et à 17h http://tival.ville-kingersheim.fr Stromae pour les enfants à Besançon, à La Rodia, jeudi 1er décembre à 17h www.larodia.com Le festival GéNéRiQ, dans divers lieux à Belfort, Dijon, Mulhouse, Besançon ou à Kingersheim, du 1er au 11 décembre www.generiq-festival.com

26

Poly 145 Décembre 11

D

epuis 2007, TGV GéNéRiQ programme des « tumultes musicaux » dans différentes villes et salles du Grand Est : à Dijon, Épinal, Belfort, Besançon ou Mulhouse. Sorte de laboratoire des Eurockéennes, la manifestation mêle pointures (cette année les gars masqués d’Underground Resistance, monstres sacrés de la techno made in Detroit) et artistes pointus d’aujourd’hui ou d’hier (le combo punk US The Men, Michel Gloup de Diabologum…). Les styles embrassés ? Ils vont du hip-hop ardent à la pop pas banale. Dans la première catégorie, citons le tout jeune groupe 1995 (comme l’année de sortie de Paris sous les bombes de NTM) mettant un peu de son neuf dans le rap d’ici, Orelsan qui, lui aussi, rend hommage aux années

1990 (l’émission Rap Line, le Walkman écouté le volume à donf en mangeant un Raider…) sur son dernier album (Le Chant des sirènes) ou encore le collectif mancunien excité Murkage. Trop de scratches et de tchatche ? Laissons-nous porter par les chansons douces de Baxter Dury, fils de celui qui scanda Sex & drugs & rock’n’roll en 1977 et auteur de trois magnifiques albums faussement flegmatiques et réellement addictifs. Abandonnons-nous en écoutant celles, étranges, de High Places ou, lunaires, de Connan Mockasin.

Diabolo menthe & fraises tagada & rock’n’roll

GéNéRiQ, c’est aussi pour les petits, les organisateurs proposant des concerts jeune public, des shows expressément destinés aux bambins, sans pour autant vouloir leur offrir une récré avec comptines gnangnan et reprises de Chantal gaga. L’idée ? Convier des artistes qui ne sont justement pas estampillés “pour les mômes”. Selon Kem, programmateur de l’événement, les gamins « n’écoutent pas qu’Henri Dès, mais aussi et surtout des gens comme Stromae ou le groupe Brigitte ». L’interprète d’Alors on danse et le duo de filles, responsable d’une cover “qui fait bander les bandits” du Ma Benz de NTM, sont conviés à se produire devant les petits, à l’occasion de sets un peu plus courts que pour les adultes (45 minutes environ), un peu moins fort, fidèles à leur répertoire, mais sans gros mots. « Nous avions demandé à Philippe Katerine, qui s’est prêté au jeu en 2007, de biper les grossièretés de ses chansons »… mais le chanteur n’a pas vraiment suivi les recommandations, balançant impunément des “putain” le torse nu et peinturluré devant une salle conquise qui « adooore ». Se sont également déjà essayés à l’exercice, Gaëtan Roussel, Moriarty ou le chanteur des Wampas pour un moment mémorable, selon Kem qui se souvient : « Didier Wampas aime beaucoup les enfants. Ils envahissaient la scène et le concert a fini en pyramide humaine. » Pas de doute, cette année, ça va “zoom zoom zang”.


REPORTAGE

las vegas mégalo

Depuis un peu plus de trente ans, le Royal Palace glisse strass, paillettes et plumes multicolores dans le vignoble alsacien, à Kirrwiller. Ça, c’est Palace ! Par Emmanuel Dosda Photos de Pascal Bastien

Royal Palace, 20 rue de Hochfelden à Kirrwiller 03 88 70 71 81 www.royal-palace.com

V

ision scintillante… Le clinquant édifice apparaît une fois le petit bled de Kirrwiller (même pas 500 habitants) traversé. Impossible de passer à côté de cette imposante bâtisse recouverte de milliers d’ampoules, comme pour mieux dénoter dans le paysage rural. Temple du kitsch ? Antre du tape-à-l’œil ? Le Royal Palace, qui accueille 200 000 spectateurs par an, c’est d’abord une impressionnante success story en rase campagne. Attablés au bar du Carrousel, dans un des salons du Majestic, vaste restaurant (sur six niveaux) dont la déco évoque à la fois Les Mille et une nuits, la Russie des Tsars et l’univers du cirque, Pierre Meyer, une cravate constellée d’étoiles et frappée du logo Royal Palace nouée autour du cou, prévient

d’emblée : « Nous devons notre succès à la qualité de nos spectacles, pas au caractère incongru de la situation de l’établissement qui est plutôt handicapante car il faut faire venir le public jusqu’ici. » Tandis qu’au-dessus de nous défilent les bouteilles, pleines ou vides, notre hôte revient sur l’histoire de l’institution, étroitement liée à celle de l’auberge familiale des Adam-Meyer, dîner / dancing de l’après-guerre. En 1980, lorsqu’il reprend la petite entreprise, Pierre Meyer, des images de Las Vegas plein la tête, réalise son rêve en programmant des shows empruntés aux cabarets parisiens. « Les gens partaient à six heures du matin. On savait faire la fête à l’époque », se souvient le maître des lieux qui gérait tout, de A à Z. « J’étais en cuisine, je cherchais les artistes à la gare de Saverne, assistais aux répétitions et faisais la régie. » Poly 145 Décembre 11

27


REPORTAGE

CABARET– KIRRWILLER

En 1989, exit la scénette sur roulettes, place à un vrai plateau de 200 m2 et à des spectacles qu’il produit lui-même. Pari audacieux, triomphe grandissant… Au milieu des années 1990, le Cabaret Adam-Meyer, financé par « les banques de Bouxwiller », s’agrandit et se transforme en Royal Palace. L’ensemble du site fait aujourd’hui 8 000 m2, avec un théâtre de 1 000 places, une scène de 25 mètres de large pour 20 mètres de haut et deux restaurants, de 800 (Le Majestic) et 160 places (Le Versailles). Petit à petit, boosté par une presse curieuse qui apporte de l’eau au moulin (rouge), le Royal Palace (130 salariés environ), troisième cabaret de France, devient aussi célèbre que le château du Haut-Kœnigsbourg et attire une clientèle internationale, étant le passage obligé des tour-opérateurs.

Papa Noël On vante beaucoup le paternalisme de Pierre Meyer vis-à-vis de ses employés. Selon lui, « c’est normal, nous vivons tous ensemble sous un même toit, telle une famille. » Comme toute grande fratrie qui se respecte, le Royal Palace a concocté de belles fêtes de fin d’année avec des formules Noël d’or (trois menus au choix, de 23 à 46 € par personne, sans le spectacle) et Saint Sylvestre (210 € tout compris). Je goûterais bien la queue de langouste au lait de coco… www.royal-palace.com

28

Poly 145 Décembre 11

La maison ne se repose pas pour autant sur ses lauriers dorés. « Tous les ans, il faut se remettre en question », en proposant de nouveaux spectacles (pas très chers, à partir de 24 € par personne), avec un nouveau chorégraphe et de nouveaux artistes, recrutés dans les festivals et écoles de cirque à travers le monde… tous logés / nourris / blanchis ici, une année durant. « Nous faisons de gros investissements pour notre clientèle. » Dernière folie (bergère) en date : un rideau de LED (600 000 € quand même…), sorte d’écran vidéo qui « permet de dynamiser


REPORTAGE

CABARET – KIRRWILLER

Photos de Passion, la revue précédant Crescendo

Crescendo ». Porté par 35 danseuses, chanteurs ou équilibristes de douze nationalités, ce récent show mêle comédie musicale, revue de music-hall et numéros circassiens. Il y a même des stars : un ténor de la Scala de Milan, des interprètes de Notre-Dame de Paris ou de Starmania et, surtout, l’illusionniste sexy Sophie Edelstein, « la fille Pinder », par ailleurs jury de l’émission La France a un incroyable talent sur M6. « Je l’imaginais plus grande », entend-on souffler dans le public au moment de son arrivée, en grande pompe, sur scène… Pierre Meyer nous avait prévenus : « C’est pas du french cancan. Il faut aller dans le sens de la nouvelle génération qui veut que ça bouge ! » Ballets de girls emplumées et topless, tours de magie pyrotechniques bluffants (mais comment a fait le type pour sortir de la boîte sans avoir été transpercé par les flèches enflammées ?), chorégraphies rappelant Madonna ou les clips de MTV, concours de biceps entre acrobates bodybuildés accrochés dans les airs, boys qui se déhanchent et autres numéros de haute voltige s’enchaînent à un rythme effréné, dans des décors évoluant sans cesse. Nous sortons abasourdis par deux heures intenses, fixant benoîtement une fresque représentant le big boss. Alors, qui est vraiment le patron du Royal Palace ? Un doux

rêveur ? « Non, on ne peut pas investir des millions sans rester réaliste. » Un requin du business ? « Je viens d’enregistrer une émission chez Mireille Dumas, avec les Rothschild et les Dassault, des personnalités qui ont fait fortune… mais personnellement, j’ai réussi, c’est tout. » Un mégalomane ? « Je viens de refuser un reality show à Alexia LarocheJoubert, avec moi en vedette. Je suis flatté d’être sollicité, mais je ne cherche pas du tout à me mettre en avant. Sinon, je ferais comme Michou qui prend un micro pour lancer les numéros ! » Pierre Meyer est « un homme de spectacle, tout simplement ».

On ne peut pas investir des millions sans rester réaliste

Alsacia’s Paradise Du glam, des lights, des danseuses dénudées et des repas / spectacles de musichall : le Paradis des Sources à Soultzmatt, c’est une ambiance Belle époque dans le Haut-Rhin, à 30 minutes de Colmar ou Mulhouse. Nouveau décor, nouveau spectacle, nouveau directeur… le cabaret vient de rouvrir ses portes (le 14 octobre) après de sérieux problèmes financiers. Show must go on… again. www.music-hall-sources.com

Poly 145 Décembre 11

29


MUSIQUE – STRASBOURG

la science des raves Agoria, Para One, Mondkopf… L’Ososphère offre un condensé du meilleur de la scène électronique à La Laiterie qui nous catapulte, une nuit durant, dans un monde cinématique.

Par Emmanuel Dosda

À Strasbourg, à La Laiterie, samedi 10 décembre 03 88 237 237 www.artefact.org

A

vant-hier dans le quartier gare de Strasbourg, hier au Môle Seegmuller près de la Médiathèque André Malraux, aujourd’hui dans les salles de La Laiterie. Le festival L’Ososphère est décidemment imprévisible… même si nous ne sommes pas vraiment déconcerté par une affiche rassemblant des artistes fidèles à la manifestation electro strasbourgeoise : le duo bordelais surexcité Kap Bambino, Tarwater le combo aux sonorités profondes (mises au service d’albums, d’opéras ou de films), Agoria le compositeur lyonnais (qui a réalisé la bande originale du speedé Go Fast d’Olivier Van Hoofstadt) ou Para One et Mondkopf, les cinéphiles. L’électronicien Para One, Jean-Baptiste de Laubier de son vrai nom, est fan de rap et de techno comme de ciné. De TTC comme de JLG. Auprès des premiers, il a fait ses armes en tant que “vrai” musicien professionnel, notamment en produisant le tubesque Dans le club et cinq autres titres de l’album Bâtards sensibles. Il vénère le second, Godard étant un de ses maîtres avec Chris Marker auquel il vient de rendre hommage avec son film expérimental It was on earth that I knew joy. Para One, diplômé de la Fémis (École nationale supérieure des métiers de l’image et du son), est dans la recherche et la création permanentes. Entre un morceau écrit pour les dance-floors et une production pour Birdy Nam Nam (ou… Alizée), il s’occupe de son propre label, Marble, et compose pour la réalisatrice Céline Sciamma. Naissance des pieuvres : beau film, chouette BO.

30

Poly 145 Décembre 11

Mondkopf en plein DJ set...

Mondkopf, Paul Régimbeau dans le civil, toulousain né en 1986, représente la nouvelle génération de musiciens electro hexagonaux. Ce jeune homme songeur (Mondkopf signifie quelque chose comme “tête de lune” dans la langue de Kraftwerk) a hérité son nom d’artiste de l’enfance. Paul, éternel rêveur ? « Je l’étais, je le suis et je le resterai sans doute. Je ne sais pas si c’est une qualité car cela relève surtout d’un manque de concentration qui peut être handicapant dans la vie de tous les jours », remarque l’auteur de titres hypnotiques et torturés sur lesquels plane une mélancolie tenace. Pas étonnant de la part d’un fan de Smog et de folk US en général (« Il y a quelque chose de rassurant dans cette musique ») qui a d’ailleurs réalisé un étonnant remix de Johnny Cash (God’s gonna cut you down), sans même se poser la question du type “mon dieu Johnny Cash, faut pas y toucher !”. C’est cependant le rap sombre, notamment celui du Wu-Tang Clan, qui a influencé les premiers enregistrements de Mondkopf,


guidé par la pratique de DJ Shadow, guru de l’échantillonnage qui l’a convaincu de la possibilité de « faire du hip-hop sans rappeur », armé, au début, de logiciels rudimentaires et de matériel sommaire. Également fasciné par l’électronique cérébrale du label anglais Warp, il sort Galaxy of Nowhere sur Asphalt Duchess en 2009. Avec Rising Doom (Fool House, 2011), il semble s’écarter du style de ses débuts pour glisser vers un univers technoïde plus glacial et martial, plus direct aussi, avec moins de fioritures et sans samples d’enfants jouant dans une cour de récré. Mondkopf conteste : « Je ne pense pas m’être éloigné du hip-hop, au contraire même ! Je crois que The W du Wu-Tang est un album qui me reste toujours derrière la tête quand je compose. The Cold Vein de Cannibal Ox aussi. Ces deux disques sont très sombres et pesants, super urbains et en même temps d’un autre monde. J’ai donc voulu me rapprocher de ce genre d’ambiances pour Rising Doom. » Dont acte.

Sa musique est à la fois physique – avec des beats qui tapent fort –, mentale, s’adressant à la Kopf, mais aussi « au cœur et aux émotions. C’est vrai qu’elle fait travailler l’imaginaire, mais sans aucune image préconstruite. » C’est forcément un peu tarte à la crème concernant l’electro instrumentale, mais on imagine très bien les compos de ce garçon, qui rêvait d’embrasser une carrière dans le ciné, illustrer un long-métrage, une fresque épique et noire si possible. « Le travail d’une BO est quelque chose de vraiment intéressant et de très subtil. J’ai failli en réaliser une, mais des problèmes de production ont annulé le tournage du film. » Si l’occasion se représentait, il n’aurait pas de cinéaste de prédilection, mais penche quand même sérieusement pour quelqu’un qui le laisserait « aller assez loin ».

L’artiste ne doit pas prendre le pas sur sa création Mondkopf

Poly 145 Décembre 11

31


THÉÂTRE – STRASBOURG

réversibilité Le collectif belge tg STAN revient au Maillon avec Le Chemin solitaire de l’autrichien Arthur Schnitzler (1862-1931), analyste hors pair des tréfonds de l’âme. Rencontre avec Damiaan De Schrijver, l’un des comédiens fondateurs de Stop Thinking About Names.

Par Thomas Flagel Portrait de Damiaan De Schrijver par Kris Dewitte Photo du spectacle par Tim Wouters

À Strasbourg, au MaillonWacken, du 5 au 7 janvier 2012 03 88 27 61 81 www.le-maillon.com Rencontre avec l’équipe de tg STAN et le metteur en scène Mathias Moritz (qui crée Antiklima (x) d’après Werner Schwab, du 15 au 18 mai 2012 au Maillon) autour des auteurs autrichiens, samedi 7 janvier, à 15h, à la librairie Kléber

Comment résumeriez-vous cette pièce ? Ce n’est pas une histoire qu’on peut raconter (rire)… Après un long moment d’absence, un homme revient voir des amis, une famille dont la mère est déjà morte. Le père légitime n’est pas le père biologique, qui n’est autre que cet homme qui réapparaît. Il y a des artistes ratés, dont le professeur Wegrat qui se qualifie lui-même de « fonctionnaire artistique ». La pièce est pleine de ratés : l’une veut se suicider pour un amour perdu, l’autre s’échappe à l’étranger pour fouiller des ruines d’anciennes civilisations… Tous fuient ! Écrite en 1904, la pièce a pour toile de fond le milieu bourgeois de Vienne. Vous vous dégagez de cette époque et l’on découvre la contemporanéité criante du texte… C’est très contemporain car nos problèmes restent les mêmes : les désirs qu’on ne peut assouvir, les amours non réciproques… La vie ne fait pas de cadeaux. Arthur Schnitzler était médecin, comme Tchékhov avec lequel il partage cette capacité d’analyser les âmes au scalpel, mettant à jour les pensées, les habitudes et les stratagèmes de ses personnages. Notre plateau sera nu, quelques petits objets jalonnant l’espace. Pas question de jouer dans le noir, ni entre des rideaux rouges et un canapé d’analyste, nous éclairons le tout de lumière blanche pour mieux montrer les difficultés existentielles des gens. Les comédiens s’échangent sans cesse les rôles au fil de la pièce, dynamitant les codes habituels de la narration. Cela accentue l’écoute tout en insistant sur l’universalité du propos… Nous avions déjà fait jouer plusieurs rôles à un même comédien ou mis des femmes dans la peau d’hommes. Ici, nous allons plus loin. Pendant un même dialogue, nous intervertissons les rôles, ce qui donne au comédien la

32

Poly 145 Décembre 11

possibilité de comprendre le point de vue de l’autre. Nous évitons ainsi de tomber dans la psycho-analyse. Nous préférons dévoiler les personnages de la manière la plus dépouillée possible, sans rien cacher. Le public devient notre complice et notre témoin. Il permet de jouer la pièce car, sans lui, on ne saurait l’ouvrir. C’est le public qui décidera à la fin et l’on espère qu’il sera difficile de dire qui a raison… Freud disait de Schnitzler : « Je pense que je vous ai évité par une sorte de crainte de rencontrer mon double. » Les personnages livrent leur mépris, aspirations, peur du devenir et de l’avenir. Tous cherchent quelque chose dans leur passé… Ils ne cessent de le clamer. Les phrases que


Schnitzler leur met en bouche sont pleines d’une beauté et d’une sagesse incroyables. Il livre le cerveau de l’homme. À nous, comédiens, d’être les avocats des personnages pour le faire comprendre au public. Vous avez travaillé avec l’artiste Erwin Wurm sur les éléments de décor : quelques objets éparpillés au sol (grillepain, tourne-disque, valise…). Que recherchiez-vous, l’humour et l’étrange de ses installations détournant le quotidien ? La pièce est assez statique et nous avions besoin de corporel car nous ne sommes pas danseurs. Que faire avec nos corps durant toute la pièce ? Mettre les mains dans les poches ne suffit pas… Nous avons donc cherché à manipuler des objets qui sont autant d’images abstraites du quotidien, étranges à souhait. Je mets par exemple un livre ouvert comme un chapeau, d’autres se baladent fourchette et couteau en main… Autant d’approches différentes des personnages que le public peut interpréter de multiples façons. tg STAN s’est constitué dans le refus du metteur en scène. Parlez-nous de ce mode de fonctionnement et de création atypique, plaçant l’acteur au centre de tout… Cela fait 25 ans que nous travaillons ensemble, sans leader ni directeur artistique. Le noyau créateur de quatre comédiens décide de tout : dramaturgie, décors, lumières, traductions des textes… Nous discutons de toutes les possibilités dans la recherche d’un consensus qui

est une réinvention collective de démocratie car chaque comédien se bat pour ses mots, ses synonymes, ses coupures. Quelques jours avant la première, on règle “le trafic” et ne garde que ce qu’il faut. Au comédien, ensuite, de remplir et de surprendre l’autre en réinventant, chaque soir, les intonations, les pauses et la façon de se regarder des personnages qu’il interprète. Nous essayons de ne pas être paresseux, de nous renouveler, sans cesse, n’improvisant que la façon de dire, pas le texte. Il y a une certaine verticalité, une raideur des postures et des corps mais aussi beaucoup d’humour… Il en faut suffisamment. L’auteur ne se prend pas trop au sérieux et le rire qui naît dans le public montre notre complicité et notre compréhension mutuelle de ce qui est en jeu. Votre volonté de mettre « en évidence les divergences éventuelles dans le jeu » est poussée à son plus haut point lorsque différents comédiens s’emparent des mêmes rôles dans la pièce, leur donnant leur propre résonance… Nous essayons d’enlever la poussière, de ne pas devenir les personnages mais de dévoiler la stratégie à l’œuvre entre eux. À nos yeux, les arguments priment sur la métamorphose d’un comédien en devenant un autre. Il est d’ailleurs intéressant de voir pourquoi le texte devient plus clair comme cela. Ce n’est pas moi qui l’invente, mais Diderot : les personnages ne sont que les fantômes et les fantasmes d’un écrivain.

“ Vous qui continuez à vivre, arrêtez de pleurer

Poly 145 Décembre 11

33


à corps et à cris La compagnie strasbourgeoise Mémoires Vives poursuit son œuvre de « décolonisation des esprits » avec Beautiful Djazaïr, un duo poignant de mots et de danse qui dit l’urgence de regarder l’Histoire en face.

Par Dorothée Lachmann Photo d’Agathe Poupenet

À Strasbourg, au TAPS Scala, du 29 novembre au 4 décembre 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu À Colmar, à La Comédie de l’Est, mardi 6 décembre 03 89 24 31 78 www.comedie-est.com www.cie-memoires-vives.org

I

l y a des colères salutaires. Celles de la compagnie Mémoires Vive en font partie. Avec le spectacle À nos morts (2006), elle posait la première pierre d’un puissant projet artistique : mêler rap, slam, théâtre, danse hip-hop pour évoquer, de façon documentée, l’histoire des immigrations et de la mémoire collective. Après cet hommage rendu aux combattants indigènes, elle mit en scène l’exposition coloniale de 1931 dans Folies-Colonies. Place désormais au troisième volet de ce triptyque, baptisé Beautiful Djazaïr. « La forme est totalement différente des deux premiers spectacles, moins didactique, plus introspective, avec un vrai travail sur l’esthétique », explique Yan Gilg, metteur en scène, auteur et interprète. Une nouvelle approche due à la rencontre avec le danseur et chorégraphe Hamid Ben Mahi. « Lui est issu de l’immigration, moi pas : on n’a pas le même rapport à la France. Moi j’ai envie d’expliquer l’histoire, de dire ma colère, Hamid est plus dans une intériorité », poursuit Yan Gilg. « Le propos du spectacle est le besoin de parler de cette déchirure entre la France et l’Algérie parce que le silence fait trop souffrir. On est face à deux jeunes hommes issus des deux

34

Poly 145 Décembre 11

rives de la Méditerranée, qui n’ont pas directement vécu cette histoire mais qui disent ensemble la nécessité d’en débattre aujourd’hui. Parce que ça nous bouffe et qu’on se bouffe entre nous à cause de ça ! » Beautiful Djazaïr est un voyage profond dans l’intimité des deux artistes, l’un s’exprimant avec ses mots, l’autre avec son corps. Une pièce plus complexe, où « il faut lire entre les lignes. On évoque nos souffrances personnelles, les méandres, les traumatismes, les séquelles qu’on porte tous les deux. Ça nous implique corps et âme », souligne Yan Gilg. Mais quelles souffrances, quelles séquelles quand on n’est pas soimême le fruit d’une immigration ? Celles des valeurs républicaines bafouées, de l’humanisme oublié, de la vérité niée. « Arrêtons d’être dépendants des considérations économiques : tant qu’on n’aura pas mis l’humain au-dessus de tout, l’humain sera en dessous de tout. Avec les peuples méditerranéens, on est une grande famille que les dirigeants ont divisée. Ce qui me met le plus en colère, c’est que je sais combien les rapprochements sont faciles, il suffirait d’une volonté, de connaître et d’admettre notre propre histoire. Parlonsen ! Parlons-en ! C’est ça que nous crions dans ce spectacle. »


EXPOSITION – HAGUENAU

prenons-en de la graine Didactiques et poétiques, six expositions consacrées à la forêt prennent racine à Haguenau. Herbiers revisités, photographies, land art… La palette est vaste.

Par Sébastien Meyer

À Haguenau, à la Médiathèque de la Vieille Ile et à la Bibliothèque des Pins, jusqu’au 11 février 2012 03 88 90 68 10 http://mediatheque.villehaguenau.fr

S’

il semble que le monde de la forêt soit un univers aux possibilités infinies, Haguenau s’est employé à en offrir une vision aussi large que possible, convoquant artistes et fervents défenseurs d’un environnement dont la richesse et la fragilité ne sont plus à démontrer. Parmi les créateurs, authentiques “gardes forestiers artistiques”, l’illustratrice Émilie Vast présente 38 estampes issues de deux petits traités de botanique dont elle est l’auteure, Arbres feuillus d’Europe et Petite flore des bois d’Europe. Ses représentations, très stylisées, privilégient l’épure et le contraste, adaptés à la vocation didactique de ce type d’ouvrages. Le fort contenu historique et mythologique des espèces représentées est mentionné en marge. Dans la même lignée, Isabelle Mazzucchelli a elle aussi choisi de présenter des planches d’herbiers. Ses travaux rendent hommage à Buffon, dont l’Histoire naturelle, publiée entre 1749 et 1788, marqua durablement l’étude des sciences

de la vie et de la terre. Par ailleurs, la faune est mise à l’honneur avec Animaux de la forêt de France et d’Europe, des images où l’on met en exergue la multiplicité d’espèces peuplant nos bois... La forêt – Une communauté vivante, opère une synthèse en insistant sur l’équilibre fragile des écosystèmes forestiers, où espèces végétales et animales interagissent. Vingt photographies légendées, signées Marc Dozier, Jurgen Freund ou encore Yann Arthus-Bertrand ont été rassemblées à cet effet. Plus contemplatives, les images de GRAPh – groupe de recherches et d’actions photographiques – sont une méditation sur les variations de la nature liées aux saisons. De son côté, Patrick Straub s’inscrit dans la tradition du land art, imaginant un dispositif capable de détecter les sons environnants, bruissements et craquements, qui sont autant de signes d’une vie végétale et animale foisonnante. On n’a jamais autant apprécié de se mettre au vert...

Ramifications haguenoviennes L’année 2011 a été décrétée année internationale des forêts par l’assemblée générale des Nations Unies. À Haguenau, commune réputée pour sa surface boisée de plus de 14 000 hectares, l’appel lancé a été volontiers entendu. Jusq’au mois de février 2012, La forêt s’invite à la médiathèque autour d’un ensemble d’expositions, de conférences, d’ateliers, de projections, de contes et de présentations documentaires. Au moment où la question environnementale apparaît comme cruciale, cette manifestation s’inscrit dans une dynamique générale de sensibilisation devenue vitale À Haguenau, à la Médiathèque de la Vieille Ile et à la Bibliothèque des Pins, jusqu’au 11 février 2012

Poly 145 Décembre 11

35


DANSE – STRASBOURG & MULHOUSE

burn after living Depuis plus de dix ans, la compagnie Peeping Tom nous délecte de trouvailles gestuelles au service de spectacles renversants. Rencontre avec le chorégraphe Franck Chartier autour d’À louer, leur nouvelle création sur la finitude des choses. Une plongée de l’autre côté du miroir.

Par Thomas Flagel

À Mulhouse, à La Filature, jeudi 1er et vendredi 2 décembre 03 89 36 28 28 www.lafilature.org À Strasbourg, au Théâtre de Hautepierre, mardi 6 et mercredi 7 décembre 03 88 39 23 40 www.pole-sud.fr www.peepingtom.be

D’où est venue cette idée de départ que tout pourrait être « à louer » ? D’une multitude d’idées qui s’accumulent : Gabriela Carrizo (co-metteuse en scène, NDLR) est argentine. Suite à la crise de 2001 qui a abouti à la dévaluation de la monnaie, son pays était étouffé. Un grand théâtre de Buenos Aires s’est retrouvé à louer et même à vendre. Des gens se sont mobilisés contre le projet d’en faire un business center. Plus tard, sur un marché aux puces de Bruxelles, une femme d’une cinquantaine d’années, interpellée par un vendeur lui a dit : « Ma maison a brûlé, j’ai perdu toutes mes photos. Toute ma vie. Alors ces petits objets ne m’intéressent plus… » Nous sommes partis de la perte, de cette idée que rien n’est capitalisable. La pièce prend place dans un décor de théâtre à l’infini, avec une multitude de salles qui partent à droite et à gauche. On circule de porte en porte. À Louer est l’histoire d’une écrivaine ou d’une créatrice qui raconte une histoire, doute d’elle-même et de ses propres doutes. Elle décrit la vie d’une soprano qui vieillit. Ses succès de jeunesse s’éloignent et elle se met à décliner. Tout s’en va et nous file entre les doigts. Il y a un parallèle avec votre pratique de danseur et de créateur qui est, elle aussi, incertaine et peut s’arrêter brutalement… Oui, pour un danseur, à 40 ans, c’est fini ! L’artiste est très fragile, surtout en période de crise. On se questionne : Sommes-nous nécessaires ? Mais aussi à l’inverse, les grosses coupes dans la culture sont-elles indispensables ? N’y a-t-il pas un autre moyen d’envisager les choses ? Nous explorons ce déclin, cette décadence. Si tout brûlait, que se passerait-il après ? Cette perte et ce feu, c’est peutêtre nous. Comme l’écrivait Marcel Schwob :

36

Poly 145 Décembre 11

« Bâtis ta maison toi-même et brûle-la toimême. » Peut-être est-ce une étape dans la vie. Peut-être faut-il, à un moment donné, tout brûler… Vous jouez à mélanger l’espace mental et la réalité… Nous avons essayé de créer et d’explorer un monde parallèle à la réalité. Comme lorsque vous discutez avec quelqu’un tout en pensant à autre chose. Quand on revient à la personne qui nous parle, on ne peut dire combien de temps nous avons passé dans ce monde de la pensée. Nous utilisons ces décalages dans le mouvement car ils sont très beaux, jouant d’accélérations, de ralentis, à “freezer” le temps et les corps. La pièce s’échappe de la réalité vers la fiction. Les temps de recherche de mouvements sont assez longs dans votre processus créatif. On sent les personnalités de chaque danseur… En effet, nous recherchons du matériel et des pistes chaque jour, pendant plusieurs mois. On s’engouffre dans plusieurs directions, poussant les idées le plus loin possible. À la fin, 90% part à la poubelle. Mais ce travail est nécessaire car les scènes disparues ont tout de même été vécues par les danseurs et restent dans leur corps, dans leur tête. Ils en sont riches, même s’ils ne les reproduisent pas. Vous mélangez danse, théâtre et chant pour habiter des espaces aux ambiances et à l’esthétique très cinématographiques qui créent des univers surréalistes où tout semble simple alors que rien ne l’est, ni techniquement, ni dans les sujets abordés ? Nous aimons partir d’un décor et d’images assez réalistes pour les travestir et les dépasser.


Le montage de la pièce débute par la psychanalyse des personnages, chose qu’on n’aborde pas du tout lors de la recherche du matériel chorégraphique. Au montage, on recadre et choisit. Dans À louer, l’abîme était immense puisque nous voulions nous perdre dans la pensée des personnages. Il nous fallait déstructurer en permanence, choisir des lignes claires et les casser. La pensée est très volatile et nous devions en rendre compte. La pièce reste un travail en cours que vous peaufinez… Absolument. On sait dans nos têtes ce qu’on veut mais on travaille encore sur deux ajustements. Pour des raisons techniques, il y a une ou deux scènes qui sont en stand-by. Ce sont des dédoublements de personnages tellement incroyables qu’ils sont très compliqués à organiser. Vous vous livrez beaucoup. N’est-il pas difficile de piocher aussi loin en soi dans ses souvenirs, ses peurs, ses cauchemars ? Nous avons beaucoup parlé de ça durant la création suite à la mort d’Amy Winehouse. Amy écrivait sa vie comme dans Rehab et d’autres chansons. Elle a dû la chanter pendant quatre ans, même après l’avoir dépassée et avoir changé. Si on chante les textes

d’un autre, on est protégé. Nous écrivons nos propres choses. La fragilité de notre position est délicate, même si ce sont des fictions et des emprunts à nos réalités. Vos ambiances sonores sont toujours très travaillées. Que nous avez-vous concocté ? Nous sommes partis d’une structure classique avec des arias. Quand on passe dans la tête des gens, retentissent des sons déformés de vinyles ralentis et accélérés pour renforcer l’impression du temps qui s’arrête et redémarre. Ces sensations sont aussi données par de la musique électronique et des arrangements faits avec des instruments classiques à grands renforts de pizzicatos au violon. Vous êtes un couple à la vie avec Gabriela Carrizo. Qu’est-ce que cela apporte à vos mises en scène ? Il y a dans notre travail commun la féminité et la masculinité, la recherche d’un équilibre entre les deux. Nous nous sommes rencontrés dans le travail et avons évolué comme cela. Lorsque notre fille a eu trois mois nous l’avons intégré au Salon qui a pris la direction de nos questionnements : la peur de perdre un enfant et l’élaboration d’une fiction à partir de là. C’est très inspirant de partir d’une histoire de couple. Un couple c’est toujours un rêve…

Bâtis ta maison toi-même et brûle-la toi-même Marcel Schwob

Poly 145 Décembre 11

37


EXPOSITION – STRASBOURG

le monde de tomi Tomi Ungerer et ses maîtres est le point d’orgue de la célébration du 80e anniversaire de l’artiste. L’exposition ressemble à une mise en perspective, puisqu’y sont explorées ses influences, ses connexions et ses affinités.

Par Hervé Lévy

À Strasbourg, au Musée Tomi Ungerer, jusqu’au 19 février 2012 03 69 06 37 27 www.musees.strasbourg.eu Pour célébrer les 80 ans de Tomi Ungerer se tiendra aussi un colloque, Image modèles, images déplacées, jeudi 1er et vendredi 2 décembre à l’Auditorium des Musées Dans le même lieu, dimanche 11 décembre à 15h son anniversaire sera fêté… pour les enfants (dès 5 ans)

C

sans aucun doute l’écrivain alle’ est mand Friedrich Dürrenmatt qui, dans

la préface du cultissime Babylon, décrit le mieux le rapport de Tomi Ungerer aux autres créateurs en affirmant qu’il « n’imitait personne, mais utilisait beaucoup ». Preuve en est apportée avec éclats dans cette exposition, dont l’essence est toute entière résumée dans son titre, Tomi Ungerer et ses maîtres, et son sous-titre, Inspirations et dialogues. Pour une des premières fois, sont illustrés les liens complexes et multiples existant entre le dessin d’illustration et l’histoire de l’Art, avec son “A” majuscule, un brin prétentieux et intimidant. « Enfant, j’ai été essentiellement impressionné par Mathias Grünewald, Dürer, Schongauer, ainsi que par Hansi et Schnug, tous les deux des artistes alsaciens. Plus tard par Goya, Bosch, les dessinateurs japonais (Hokusaï, etc.), les vieux numéros du Simplicissimus et Wilhelm Busch » explique Tomi. Souvent, la juxtaposition de ses œuvres avec celles de ses prédécesseurs est saisissante. Ses sorcières dépenaillées – qui tirent le diable par la queue (au sens propre), caressant, mutines, les testicules du démon avec la paille de leurs balais – ressemblent à une version de la fin du XXe siècle du sabbat que dessina Hans Baldung Grien vers 1510. Les deux entretiennent, dans leur ambiance chromatique brunâtre, une indéniable parenté.

Le point sur Tomi Ce passionnant livre est le fruit d’entretiens menés par Stephan Muller. Divisé en huit chapitres, il ressemble à une (auto)biographie qui aurait pris l’insolite forme d’une interview. Des réponses définitives ? Le titre de l’ouvrage, Un Point c’est tout, pourrait le laisser penser… mais chez lui rien n’est jamais gravé dans le marbre, l’imprévu

38

Poly 145 Décembre 11

Dans l’esprit de Tomi Ungerer, toute l’histoire de l’art semble s’être sédimentée de manière curieuse, comme s’il avait absorbé un gigantesque flot d’images et en recrachait de sublimes fragments transfigurés. Les portraits au vitriol que fait George Grosz des bourgeois des années 1920 trouvent leur expression dans la haute société décadente et grotesque des sixties de The Party. Le cas de la relation à Hansi, lui, est (très) particulier puisque s’y développe une surprenante dialectique admiration / répulsion ou amour / haine, pour parler plus clairement. Après l’avoir servilement copié dans son enfance, il prend une belle distance critique à l’âge adulte avec le patriotisme sans nuances de Jean-Jacques Waltz. Lorsque le premier chausse de lourds croquenots pour caricaturer la relation entre France et Allemagne avec un brio extrême, certes, mais de manière ultra cocardière, le second pose un regard plus affuté et distancié sur une situation éminemment complexe, dont l’Alsace est l’épicentre… Et le plus acerbe n’est pas toujours celui qu’on croit ! L’univers intellectuel de Tomi se nourrit aussi de l’art de Dubout ou de Savignac, du cinéma, de la bande dessinée… L’on découvre que son érotisme ressemble à un curieux mélange entre le glamour soft des années 1960 version Barbarella dessinée par Jean-Claude Forest et celui, plus hard, tout en cuissardes et latex, de la Sweet Gwendoline de John Willie.

étant toujours au coin de la page. L’Art de la provocation, vous le pratiquez depuis longtemps ? Comment avez-vous découvert l’idéologie nazie ? Comment expliquezvous ce besoin de collectionner et d’accumuler ? Les réponses à ces questions – et à beaucoup d’autres – dans les 180 pages et quelques du livre ! Paru chez Bayard (24 €) www.bayard-editions.com


1.

2.

3.

1. Tomi Ungerer, dessin pour The Party, vers 1966. © Diogenes Verlag AG Zurich / Tomi Ungerer. Musées de la Ville de Strasbourg / Mathieu Bertola 2. Georg Grosz, Paris, 1925. Stiftung Stadtmuseum, Berlin. Photo : Stiftung Stadtmuseum Berlin. © Adagp, Paris 2011 3. Tomi Ungerer, projet pour la campagne publicitaire Regenbogen Siegwerk Farben, 1975. © Tomi Ungerer .Musées de la Ville de Strasbourg/ Mathieu Bertola 4. André François, Novum Gebrauchsgraphik, 1982 Bibliothèque Forney, Paris. La Parisienne de Photographie, © Adagp, Paris 2011

4.

Poly 145 Décembre 11

39


EXPOSITION – STRASBOURG & ERSTEIN

culture nature Dans le cadre de la Biennale internationale du verre, découvrons les œuvres de l’artiste néerlandaise Caroline Prisse dans deux expositions, l’une monographique à La Chaufferie, et l’autre collective au Musée Würth. Par Hervé Lévy Photo de Geoffroy Krempp (Chemical plant n°1 et n°2)

À Strasbourg, à La Chaufferie, jusqu’au 17 décembre 03 69 06 37 77 www.esad-stg.org À Erstein, au Musée Würth (dans le cadre de l’exposition Éclats), jusqu’au 4 mars 2012 03 88 64 74 84 www.musee-wurth.fr www.carolineprisse.nl

T

outes les œuvres de Caroline Prisse reposent sur une volonté simple, celle de tisser « des liens entre ce qui est créé par la main de l’homme et ce qui est créé par la nature ». Un de ses matériaux de base est la verrerie utilisée dans les laboratoires. Avec des tubes et des ballons – qui servent aux chimistes à essayer de comprendre la structure du vivant – elle recrée des plantes arachnéennes se déployant en complexes arborescences translucides et argentées dans la salle d’exposition. Ces fragiles forêts de verre oscillent entre l’artificiel – celui de leurs composantes élémentaires – et le naturel de ce qu’elles sont supposées “représenter”. Cette ambiguïté se retrouve dans des titres possédant plusieurs lectures possibles. Ainsi Chemical plant pourrait signifier, au premier degré, “plante chimique” mais est généralement traduit par “usine chimique”. Toujours cette même dualité… Comme le personnage central de La Carte et le territoire de Michel Houellebecq, l’artiste se sert, dans un autre volet de sa création,

40

Poly 145 Décembre 11

de cartes routières comme matière première. Elles représentent « notre capacité à associer une pure abstraction et le réel le plus tangible » mais sont aussi significatives de la dialectique artificiel / naturel et de la possibilité de les faire se rapprocher – si ce n’est coïncider – dans l’esprit humain. Caroline Prisse découpe la carte, la colle sur un support et l’accole à une planche anatomique représentant la circulation sanguine. Les deux réseaux sont proches, tellement proches… « J’essaie de m’interroger sur l’idée que la nature dépendra de plus en plus de l’homme, qu’elle jouera simplement un rôle dans notre environnement manipulé. Je veux mettre en évidence la manière dont le corps humain se comportera face à cette situation », explique l’artiste. Au-delà de toute tentative de compréhension cependant, les œuvres de la plasticienne font sens par elles-mêmes et entrainent le visiteur, même celui qui n’en a pas le “mode d’emploi”, dans un univers intriguant où la délicatesse et la fragilité des matériaux utilisés donnent une singulière force à l’ensemble.


SPECTACLE – STRASBOURG

hiroshima mon amour Porteur d’un théâtre de peu de mots, Bruno Meyssat nous convie avec Observer, sur les traces de la première utilisation de la bombe nucléaire. Comment représenter ce qu’on peine à imaginer ? Comment approcher un passé et une réalité en pensée et en sensibilité ?

Par Thomas Flagel Photos de Michel Cavalca

À Strasbourg, au Théâtre national de Strasbourg, du 10 au 22 janvier 2012 03 88 24 88 24 www.tns.fr Rencontre avec Bruno Meyssat, lundi 16 janvier 2012, dans le cadre de “Théâtre en pensées”, au TNS

(Re)lire Hiroshima mon amour, scénario et dialogues de Marguerite Duras, éditions Gallimard (1972) et (re)voir le film d’Alain Resnais, sorti en 1959 2 Dans Hiroshima est partout, Éditions du Seuil, collection La Couleur des idées (2008) 1

Décembre 2006. Le metteur en scène Bruno Meyssat voyage au Japon. Sur le conseil d’une amie qui connaît son intérêt pour l’histoire, il se rend à Hiroshima, « étonné qu’elle existe encore » après la terrible explosion de la bombe nucléaire du 6 août 1945. Sensation de trouble, si bien décrit par Marguerite Duras1 : pouvoir marcher dans cette ville sans avoir de clé pour comprendre et voir ce qui s’y est passé. La visite du musée de la Paix provoque un choc. Au-delà de ce qu’il pouvait imaginer. Il appréhende les reliques qu’il y découvre « comme les seules traces de centaines de milliers de personnes qui ont été pulvérisées. Autant d’attestations que cela avait eu lieu, de signes parvenant jusqu’à nous de gens qui n’étaient plus. » La décision d’en faire un spectacle prendra deux ans et demi, beaucoup de lectures et de documentation pour arriver à Observer, englobant les événements des 6 et 9 août 1945 croisés avec ce que le nô et l’écriture traditionnelle japonaise génèrent de fantomatique. La difficulté d’un théâtre visuel sur un sujet où le visuel fait défaut.

Chape de plomb. L’histoire de ces deux attaques nucléaires mettant fin à la Seconde Guerre mondiale est enseignée dans les écoles mais n’en demeure pas moins recouverte, idéologiquement et historiquement, d’une chape de plomb. Dans les écrits du philosophe allemand Günther Anders – notamment L’Homme sur le pont 2, journal rédigé en 1958 – Bruno Meyssat trouve un surplomb philosophique lui ayant permis de comprendre ce qu’il y avait comme travail à entreprendre. « Anders m’a appris que si l’on n’est pas épaulé par le savoir, on ne peut se représenter les choses, et donc avoir de rapport sensible à elles. Et si nous ne sommes pas sensibles, nous quittons l’éthique. » Après la bombe, les Japonais ont hésité à reconstruire, mais pas longtemps, pressés par les Américains occupant l’île. Il ne reste rien de cela. Une réalité s’éloigne. « Et quand on veut savoir, on se rend compte que les livres sur la Guerre du Pacifique et Hiroshima manquent. »

Poly 145 Décembre 11

41


L’intensité mémorielle et sensorielle atteint des zones proprement intimes sur lesquelles travaillent les comédiens

Caractères (ou sinogrammes) japonais

3

42

Poly 145 Décembre 11

L’invisible et le silence. L’échelle des choses est troublée, sans commune mesure avec d’autres faits de l’Histoire. « C’est le contenu d’une cuillère et demie de matière fissile qui a déclenché tout ça. » Les Américains avaient, eux, prévu la destruction de la majeure partie de cette ville de 250 000 habitants, interdisant même à leur avions d’approcher à moins de 80 km. L’avant et l’après sont silencieux. « Les Ibakusha (les irradiés) se sont soignés comme ils pouvaient, et on les a laissés à leur propre vie. Souffrants de maladies chroniques, on disait d’eux qu’ils étaient mauvais travailleurs. Ils cachaient leur condition à leur famille. Les kanjis3 relatifs à la Bombe atomique ont été ôtés des imprimeries du pays par les Américains. Impossible donc d’en parler comme d’en montrer des photos. Le black-out fut total jusqu’à l’indépendance. » Distance. Anders rappelle que dans la technologie moderne, le déclenchement d’une action et son effet ne cessent de se séparer et de s’éloigner, empêchant la représentation de

ses actes. Bruno Meyssat nous fait entendre la réalité crue de la mort avec son cortège de mouches, de verre projeté dans les corps, de brûlures… « Je fais entrer en collision ce qui se passe dans l’avion lâchant la bombe à 9 500 mètres d’altitude et l’en dessous », insiste le metteur en scène. « Quand on rentre dans le musée, le seul plan bref de l’explosion qui existe, vu de l’avion, est projeté. Ce qui m’a saisi, c’est qu’on sent qu’il faut faire un effort d’imagination pour se représenter ce qui se passe au pied du champignon atomique, dans une magnifique journée d’été. L’horreur et l’invraisemblable de cette situation hors norme est inimaginable dans le confort et la plénitude à 9 000 mètres. Ça parle de notre société, de ruptures anthropologiques des perceptions humaines que procure l’usage des technologies modernes : de l’horreur industrielle des camps où la confrontation est directe, nous passons à une irresponsabilité que l’on reconnaît à cette façon dont personne ne pourra être tenu pour responsable de cette chaîne de décision. »


SPECTACLE – STRASBOURG

Voyage. Il était nécessaire de retourner avec ses comédiens sur les lieux. Tokyo, Kōbe… Hiroshima. Sortir d’un rapport livresque avec l’événement, leur faire rencontrer des gens, voir des paysages. Rapporter des objets. Sentir une ville, appréhender une culture. « L’intensité mémorielle et sensorielle atteint des zones proprement intimes. C’est là-dessus que travaillent les comédiens, sur ce qu’ils ont emmagasiné en mémoire profonde, des moments d’émotion intimes. » Travaillant avec l’objet en improvisation, il faut bien de l’humain pour y répondre. Pas de l’intellectuel. Esthétique cérémoniale. Un homme en kimono fixe le public en pleurant. Lentement, il s’allonge dans un espace délimité par des bûches posées verticalement au sol. Cette séquence ouvrant la pièce a quelques attributs de “japonicité” : bois, kimono, socques anciennes et cheveux artificiels. « Ce n’est pas quelque chose que j’ai voulu et dessiné. Les images que je garde dans un spectacle sont arrivées à l’improvisation, à un moment qui procède aussi du voyage d’un comédien découvrant le japon du XVe siècle. Cette scène d’ouverture permet de rentrer dans la pièce par une action qui décélère le temps, peutêtre la seule action lente d’ailleurs. Ses cheveux qui s’échappent sur un crâne chauve, rasé, nous rappellent ces récits de gens dissimulant leur cancer derrière des perruques. » Hors norme. « 194 000 morts, la hauteur du champignon représentant deux fois celle du Mont Blanc… Tout est hors norme et donc avoir 100 mètres carrés de plateau lorsqu’on débute une création comme celle-là est difficile. On sait qu’on sera dans la métaphore continuelle. » Reste à éviter deux écueils : la sur-représentation tombant dans le pathos et, inversement, la création d’images totalement déconnectées du sujet qui empêcheraient le spectateur de faire le lien. « La troisième partie de la pièce vient de là : au départ le spectacle était presque entièrement silencieux mais ça n’allait pas dans le sens du partage. Nous l’avons donc ouvert en deux, plaçant 20 minutes de paroles au milieu. Ça le changeait beaucoup, mais c’est un moment précieux qui a levé une inhibition quant à la parole dans mon travail. » Plateau nu. Sur scène, peu de décors, beaucoup de matières froides (verre, métal…) dominées par des objets éparpillés : carcasse de lit, lavabo, valise contenant des centaines

de moulages de dentiers… Une esquisse du jour d’après dans toute sa complexité qui s’est « élaborée au fur et à mesure. Le décor n’existe qu’à la fin, lorsque le ressenti des choses s’est confronté à son partage. » L’eau tient un rôle prépondérant pour étancher la soif, panser les plaies… « Beaucoup de bois a brûlé. Béton, ferrure et verre cassé sont le plus restés. Les objets “meubles” devaient nous permettre d’improviser et d’être le support d’un resurgissement de la mémoire d’un geste. Ils sont comme un crayon par lequel l’action doit s’écrire. » Reste au spectateur à agencer les morceaux. À reconstruire les histoires. À se laisser envahir par la nuit et le brouillard.

Poly 145 Décembre 11

43


ART CONTEMPORAIN – GRAND EST

faites vos jeux Dans le cadre de l’exposition d’art contemporain transfrontalière Regionale 12, la Kunsthalle de Mulhouse se transforme en terrain de jeux en rassemblant de nombreux works in progress d’artistes. Rien ne va plus…

Par Emmanuel Dosda

Remise en jeu, à La Kunsthalle de Mulhouse, jusqu’au 8 janvier 2012 03 69 77 66 47 www.kunsthallemulhouse.fr Regionale 12, jusqu’au 8 janvier 2012 dans divers lieux en Alsace (Le Maillon-Wacken à Strasbourg, la FABRIKculture de Hégenheim…) en Suisse (Bâle) et en Allemagne (Fribourg) www.regionale.org

L

e but de Regionale ? Encourager la complémentarité et la coopération entre une quinzaine de pôles artistiques suisses, allemands et français. Faire en sorte que les acteurs culturels, les créateurs et les publics du canton de Bâle, du Bade-Wurtemberg et d’Alsace circulent, traversent les frontières. Regionale, ce sont des centaines de dossiers envoyés, épluchés et sélectionnés… mais aussi, depuis deux ans, des plasticiens directement sollicités par les structures qui construisent un propos à partir d’œuvres reflétant la création contemporaine. Accélérateur de Particules rassemble par exemple une vaste sélection de vidéos au Maillon-Wacken (Strasbourg) tandis que l’Ausstellungsraum de Bâle invite des plasticiens à transformer l’architecture de leur espace d’exposition. Il sera question de solitude au Kunsthaus Baselland (Bâle), de vitesse, ou plutôt d’éloge de la lenteur, au Projektraum M54 (Bâle), de flux d’information au Kunstverein Freiburg ou de Remise en jeu (titre de l’expo) à la Kunsthalle de Mulhouse…

Jeux (pas) interdits

Une exposition foisonnante, ludique, joyeuse comme une veillée de Noël dans le très sérieux centre d’art contemporain de la Ville de Mulhouse ? Non, Sandrine Wymann, directrice de la Kunsthalle, n’est pas tombée sur la tête et n’a pas décidé de changer de cap : « Nous revendiquons le choix d’accueillir des artistes qui sont parfois difficiles d’accès, comme Benoît Maire, mais il y a un temps 44

Poly 145 Décembre 11

Exfoliant, 2011 © Encastrable

pour tout. » Elle envisage cette manifestation « trépidante », qui invite créateurs et visiteurs à « jouer », comme une parenthèse (enchantée) en cette fin d’année. Pour Régionale 12, la Kunsthalle n’a pas eu recours à un commissariat d’exposition, mais a rassemblé un jury qui a choisi des artistes et un cadre pour une exposition vivante, offrant beaucoup d’entrées possibles et permettant des participations multiples. L’ancienne fonderie sera divisée en différents espaces avec leur propre modus operandi. Certains, comme la poignée d’élèves en cinquième année du Pôle Alsace d’enseignement supérieur des arts (soit Le Quai + l’Ésad), font évoluer leurs pièces durant le temps de l’exposition. Ils ont été invités à consulter les dossiers des candidats avant de choisir un artiste et de développer un dialogue. Les étudiants et leurs binômes (parfois confirmés et bien souvent d’une autre


nationalité) ont, depuis septembre, commencé à produire des œuvres originales résultant d’une conversation et donnant naissance à des formes sculpturales, de très nombreuses performances (avec des rendez-vous précis au cours de l’expo), de (nombreux) dessins, des travaux vidéo ou peintures in situ.

Nettoyage à sec

Outre les œuvres participatives (« pour impliquer les visiteurs ») issues des collections de L’espace Gantner de Bourogne, la Kunsthalle présentera aussi une projection permanente d’une vingtaine de vidéos. Mises bout à bout et diffusées en boucle, ces six heures font songer aux « 24h du Mans : ça tourne sans arrêt durant toute la journée. » L’espace se transforme également en atelier, voire en officine, avec les Strasbourgeois d’Encastrable. « Enfin, ce sera plus la fête de la science que le

labo scientifique », s’amuse la directrice de la Kunsthalle. Le collectif composé d’Antoine Lejolivet et de Paul Souviron a pour habitude de squatter les grands magasins type Casto pour y puiser la matière nécessaire à leurs sculptures faites à partir d’outils et matériaux. Avec le projet Exfoliant, ces bricol’boys mettent en marche des machines à laver durant le temps de l’exposition (sponsorisée !). L’idée ? Lessiver d’anciennes toiles, des “vieilles croûtes” dégottées sur les étalages poisseux de marchés aux puces. Le 5 janvier, une vente aux enchères, en présence d’un commissaire-priseur, permettra d’acquérir ces œuvres “nettoyées” et ré-encadrées. Démarche hygiéniste ? Attitude iconoclaste ? Critique de la société de consommation ? Ironie quant au système qui uniformise ? Geste éco-citoyen visant à recycler des toiles oubliées dans les greniers, afin de les “remettre en jeu” ? Poly 145 Décembre 11

45


du nord au sud Deux chefs charismatiques, Jesús López Cobos et Kirill Karabits, ont imaginé deux programmes passionnants pour l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Le premier nous entraine dans la chaleur cubaine, tandis que le second met le cap au nord. Par Hervé Lévy Portrait de Kirill Karabits par Sasha Gusov

À Strasbourg, au Palais de la musique et des congrès, jeudi 15 et vendredi 16 décembre (programme Revueltas / Debussy / Franck) ainsi que jeudi 12 et vendredi 13 janvier 2012 (programme Sibelius / Grieg) 03 69 06 37 06 www.philharmonique. strasbourg.eu

A

u cœur de la froidure de décembre, Jesús López Cobos a décidé de plonger l’auditeur dans l’univers méconnu, sous nos latitudes, de Silvestre Revueltas, compositeur mexicain du début du XXe siècle. Avec Sensemayá, page inspirée d’un poème du cubain Nicolás Guillén, il « évoque un rituel magique s’achevant par la mort d’un serpent. Cette pièce – notamment employée dans la bande originale de Sin City – utilise nombre de rythmes populaires mexicains et laisse une grande place aux percussions jusqu’à, parfois, faire penser à Stravinsky », explique le chef espagnol. Après ces crépitements caribéens, il nous propose deux pages françaises tout aussi chaleureuses et lumineuses : la Fantaisie pour piano et orchestre de Debussy et la Symphonie en ré mineur de Franck qui ressemble à une brillante réflexion introspective sur l’homme. Changement complet d’atmosphère avec un deuxième concert dirigé par Kirill Karabits, un habitué des scènes strasbourgeoises. Il a en effet souvent été au pupitre de l’OPS et entretient une relation privilégiée avec la phalange. Le chef ukrainien a choisi de nous entrainer

46

Poly 145 Décembre 11

dans les solitudes glacées du nord de l’Europe. L’image de Sibelius est celle d’un compositeur qui, à la fracture du XIXe et du XXe siècle, s’est transformé en barde de sa terre natale, la Finlande, exprimant le lien puissant et indissoluble l’unissant à sa patrie : Karelia (1893) est une belle illustration de cette relation charnelle, puisque l’œuvre exalte le berceau de la nation finlandaise. Réduire le musicien à son image de porte-parole des aspirations nationalistes bouillonnantes de tout un peuple serait cependant une profonde erreur puisqu’il fut, selon le musicologue britannique Cecil Gray, le « plus grand symphoniste depuis Beethoven ». Preuve en est apportée avec cette Symphonie n°4. Entre les deux partitions du compositeur finlandais, sera joué le Concerto pour piano et orchestre d’Edvard Grieg interprété par le virtuose macédonien Simon Trpčeski : s’y croisent lyrisme et tendresse, accents schumanniens (il est écrit en la mineur comme l’unique Concerto pour piano du compositeur allemand) et influences folkloriques norvégiennes. Voilà sans doute la pièce maîtresse de cette odyssée sonore nordique.


ThéÂTRE – MULHOUSE

natural born killers Pièce phare du dernier festival d’Avignon pour lequel Vincent Macaigne l’a créée, Au moins j’aurai laissé un beau cadavre revisite Hamlet, entre folle irrévérence et totale démesure. Par Thomas Flagel Photo de Christophe Raynaud de Lage

À Mulhouse, à La Filature, jeudi 5 et vendredi 6 janvier 2012 03 89 36 28 28 www.lafilature.org

I

l y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Définitivement. Metteur en scène impétueux, Vincent Macaigne s’offre le luxe d’exploser le texte le plus emblématique de Shakespeare. Dans un décor de fin de partie, tout le monde a la gueule de bois. Hamlet, lui, est une bête assoiffée de sang et de vérité, plongeant jusqu’aux paupières dans la tombe pleine de boue de son père assassiné par Claudius. L’image romantique du per-

sonnage est électrifiée au profit de convulsions et d’éructations endiablées formant le geste théâtral de la bande à Macaigne. En chef d’orchestre survolté, il harangue le public dès son entrée, depuis le haut des gradins, faisant monter la sauce et augmentant avec furie le désordre ambiant. Tout commence par un massacre à la tronçonneuse, sanguinolent à souhait. Une violence puisée dans le conte danois de Saxo Grammaticus qui aurait inspiré Shakespeare himself ! Un énorme néon surplombant le fond de scène nous avait mis en garde : « Il n’y aura pas de miracle ici. » Dans une violence jamais contenue, le dépassement de toutes les limites amène la démesure d’un humour volontairement potache et gras, mettant à l’épreuve les corps et les voix. Car chez Macaigne, le théâtre déborde de cris, de sexe cru, d’éclaboussures de boue (gare aux premiers rangs !) et d’engueulades successives. On hurle sa difficulté de vivre et de vouloir ce que même nos enfants ont abandonné. La désacralisation du théâtre est totale. La frontière avec le public bannie, cette agora vivante et habituellement passive est poussée à apporter du tragique à la pièce en tenant son rôle. Choqué, emballé, dégoûté ou endiablé, n’hésitez pas, criez-le ! Cette fête funèbre de 3h30 n’en sera que plus folle. Quant à l’entracte, sortez, si vous ne voulez pas vous prendre vingt minutes de Ti Amo dans les oreilles. Au milieu de ces choix dramaturgiques – qui en exaspéreront plus d’un – se dévoileront quelques déclamations lumineuses de modernité et de sensibilité, un déluge de surprises en tous genres à base d’hélium et de souffleries, d’illustrations psychanalytiques bien senties ou de meurtres au poignard et au pistolet. Hamlet est comme un artiste, un poète qui se ferme au monde et ne peut qu’écrire une pièce (dans la pièce) pour trouver la vérité. Le jeu de l’outrance pour tomber les masques. Finalement, nous en prendrons plein la gueule car « nous sommes tous des barbares malgré notre culture. »

Poly 145 Décembre 11

47


girl power Pionnière de la danse hip-hop en France, la compagnie Black Blanc Beur poursuit sa révolution avec un spectacle 100% féminin, My Tati Freeze, présenté à La Coupole. Par Dorothée Lachmann Photo de Laurent Paillier

À Saint-Louis, à La Coupole, vendredi 20 janvier 2012 (dès 9 ans) 03 89 70 03 13 www.lacoupole.fr www.blackblancbeur.fr

D

ans le monde du hip-hop, on n’a pas attendu d’être champion du monde pour savoir que la France était black blanc beur. En baptisant ainsi sa compagnie en 1984, Christine Coudun annonçait la couleur. Ou plutôt les couleurs, car la chorégraphe est nourrie d’une formation multiple : danse classique et contemporaine, orientale, africaine, jazz, claquettes, flamenco… Parallèlement, elle étudie l’histoire de l’Afrique tout en côtoyant les déracinés des banlieues et la génération hip-hop naissante. Depuis plus d’un quart de siècle, elle explore les possibles de cet art né dans la rue en le portant toujours plus loin, hors des sentiers battus et jusque sur les scènes des théâtres. Bousculant constamment les codes du genre, Christine Coudun y introduit la musique classique, la théâtralité… et la féminité. Dès 2001, en créant Défilles, la chorégraphe et ses danseuses s’emparent d’un domaine jusqu’alors réservé aux hommes ; mais c’est surtout avec Au féminin (2006) – évoquant la maternité version breakdance – que prend forme une passionnante réflexion sur l’appropriation de cette danse hyper physique par les femmes. My Tati Freeze creuse avec un bonheur communicatif ce sillon, surfant cette fois

48

Poly 145 Décembre 11

sur les stéréotypes de la féminité pour mieux leur tordre le cou. La ménagère armée de son plumeau, breake et freeze avec la jeune cadre débordée en tailleur et talons aiguilles dans cette pièce ludique et pleine d’autodérision où la légèreté n’est jamais qu’une apparence. Il y a les souffrances, petites ou grandes, les colères et les révoltes mais aussi la tyrannie de la beauté et le froid d’une société déshumanisée. Fluide, virtuose, la danse est sublimée par huit breakeuses qui ont tôt fait de balancer les talons hauts pour affirmer qui elles sont, les pieds sur terre et le poing levé, mais la tête à l’envers, libres de leur fantaisie. « Je n’ai aucune théorie sur la Femme. Je souhaite juste que ce spectacle exprime, bien au-delà du genre hip-hop, que nous sommes capables de mener notre vie sans sacrifier notre féminité et notre intégrité. Pour construire My Tati Freeze, j’ai frappé à la porte de chacune d’entre nous, pour tenter l’imprévu et faire une histoire de femmes qui dansent », confie la chorégraphe. En explorant la singularité de ces danseuses, leurs façons d’être au monde, leurs rapports au corps, Christine Coudun signe un spectacle sensuel, drôle et puissant. Elle relève surtout un bien joli défi.


musique danse tiques arts plas théâtre

à La Filature, Scène nationale – Mulhouse

samedi 14 janvier

CARTE BLANCHE À ALBIN DE LA SIMONE Ciné-concert, sieste acoustique, concerts, exposition, performances, after… au programme de cette joyeuse carte blanche offerte à Albin de la Simone qui invite ses amis, artistes aux multiples talents.

ont s e é p u Mes po up maigri, beauco comprennent elles ne langues pas les res 9h étrangè nvier à 1 edi 20 ja

>VLeens dacrteurs de Bonne f

oi

Cie

our p r o u t Qua ps m e t u la fin dMessiaen Olivier + DSD di 17 février à 19h

à 15 h 30 / musique / dès 5 ans LES PIEDS DANS LE PLAT Pascal Parisot à 16 h 30 / musique SIESTE ACOUSTIQUE Bastien Lallemant à 19 h / ciné-concert FILMS FANTÔMES Albin de la Simone

e

>Vendr Orchestral Contempor

dès 19 h 45 performance – exposition ENTRACTE CABINET PAYEN Marie Payen POCHETTE SURPRISE Gilles Kneusé

ain

le EnsembProduction C / VM

à 21 h / concert ALBIN DE LA SIMONE dès 22 h 30 / concert dansant AFTER 50’s - 60’s Radiomatic pass carte blanche 30 €  l’intégralité des spectacles dans la limite des places disponibles

bar – espace restauration

T +33 (0)3 89 36 28 28

WWW.LAFILATURE.ORG

eim.fr

golsh ww.lin

w

ts eim n des Ar La Maiso âteau - Lingolsh h C 2 8 u d 8 8 e u 8 8r 3 88 7 im.fr tions : 0 e a h v r ls e o s g é n R arts@li s e des Arts d n n o o is > ma la Mais e d il e u c c > ou à l’a rs de 14 à 20h) jou s le s u o (t


L’ILLUSTRATRICE

claire perret D’après la légende familiale, la petite Claire décrète, à trois ans, qu’elle fera des livres pour enfants, après avoir dessiné un diplodocus broutant une fougère arborescente. Elle débute par des cours de dessin divers et variés, puis passe trois ans dans l’atelier d’illustration des Arts déco de Strasbourg. Depuis son diplôme en 2006, elle travaille essentiellement pour la presse et l’édition jeunesse, aspirant à écrire ses propres histoires pour “boucler la boucle”. Claire Perret aime sortir des sentiers battus : ses images se font volumes et tendent vers l’objet… Des allées et venues autorisées par la technique des papiers découpés. http://perretclaire.ultra-book.com À découvrir jusqu’au 7 janvier 2012, au restaurant La Vignette, 78 route des Romains à Strasbourg-Koenigshoffen www.lavignette.fr

50

Poly 145 Décembre 11


Roméo et JULIette 2 2 nove mb re > 1 0 d é c e m b re 2011 • De W illiam S hakeSpeare • Mise en scène O livier P y • 03 88 24 88 24 • www.tns.f r

L’EUROPE DES ESPRITS OU LA FASCINATION DE L’OCCULTE, 1750-1950

MUSÉE D’ART MODERNE   ET CONTEMPORAIN,  STRASBOURG WWW.MUSEES.STRASBOURG.EU Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture et de la Communication/ Direction générale des patrimoines / Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État. Sous le patronage de Monsieur Thorbjørn Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe.

Henry Fuseli, Robin Goodfellow-Puck, 1787-1790, Sturzenegger-Stiftung, Schaffhausen, Museum zu Allerheiligen Schaffhausen. Graphisme : Rebeka Aginako

8.10.2011     12.02.2012


LITTÉRATURE

est / ouest Pour son dixième opus, Douglas Kennedy nous emmène dans le Berlin, d’avant la chute du Mur. Rencontre, à Paris, avec le romancier américain à l’occasion de la sortie de Cet instant-là, un ouvrage singulier, entre reconstitution historique, réflexion philosophique et love story.

Par Léna Tritscher (texte et photo)

Rencontre avec l’auteur à Strasbourg, à la Librairie Kléber, mercredi 7 décembre à 16h 03 88 15 78 88 www.librairie-kleber.com

Cet instant-là est paru chez Belfond (22,50 €) www.belfond.fr www.douglas-kennedy.com

52

Poly 145 Décembre 11

N

é en 1955, Douglas Kennedy qui se décrit comme « un enfant de la guerre froide », commence une carrière de dramaturge avant de connaître le succès littéraire, à 42 ans, avec un deuxième roman L’Homme qui voulait vivre sa vie. Depuis, il est plébiscité par le public et la critique, ses œuvres sont adaptées au cinéma… Dans ses livres, il utilise certains éléments autobiographiques, les adapte et les injecte dans les évolutions des personnages. Comme le narrateur de son dernier roman, « je suis américain, j’ai une cinquantaine d’années, je vis dans le Maine et j’ai aussi rédigé des récits de voyage » explique-t-il. L’histoire est celle d’un écrivain new-yorkais, Thomas Nesbitt qui reçoit, en plein divorce, un mystérieux paquet envoyé depuis l’Allemagne par un certain Johannes Dussmann. La valse du souvenir peut commencer puisque tout le livre tourne autour d’une histoire d’amour qui s’est déroulée vingt-cinq ans plus tôt entre le narrateur et Petra, jeune est-allemande passée à l’Ouest. On découvrira, au fil des pages qu’elle n’est pourtant pas celle qu’elle paraît être de prime abord…

Pour parvenir à reconstituer Berlin alors coupé en deux, Douglas Kennedy s’est évidemment énormément documenté, mais a aussi utilisé ses souvenirs d’enfance et ceux d’un voyage effectué en 1983 au cours duquel il réside à cinq mètres du Mur et rencontre des habitants du quartier de Kreuzberg, berceau de la contestation anarchiste. La RDA est décrite comme un univers oppressant où règne une « ambiance noir et blanc ». Le contraste avec le bouillonnement coloré de la RFA est énorme. On replonge avec joie dans ces années en compagnie d’un héros parti en Allemagne pour y écrire un récit de voyage et qui travaille, pour gagner quelques Marks, dans une station de radio américaine chargée de faire de la propagande. Grace à une restitution historique minutieuse et à une mécanique dramatique bien huilée dans laquelle les destins basculent irrémédiablement, le livre fait mouche et bouleverse son lecteur… pour longtemps.


Passion Godard / Deuxième ! Visuel Kathleen Rousset, photo Philippe R. Doumic, graphisme Polo

Les dernières minutes d’Adrienne Collectif Les Foirades, Strasbourg Création 2011 Taps Gare (Laiterie) du mar. 10 au sam. 14 janvier à 20h30 dim. 15 janvier à 17h

Les Taps info. 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu

spectacles festivals 5,50 € cinéma 4 €

la carte gratuite des 15/25 ans Demandez la carte VitaCulture 2011/2013 en ligne www.vitaculture.com Valable jusqu’au 31 août 2013 dans plus de 50 structures organisatrices de spectacles ou festivals en Alsace* et 12 salles de cinéma. *en dehors de la CUS et des villes de Colmar et Mulhouse


LES HOMMES DE L’OMBRE

dialogue de sons Comment passe-t-on d’un film étranger en version originale à sa version française? Bernard Lapointe nous révèle les secrets du doublage au cœur du studio de post-production Télétota.

Par Laure Roman Photo de Benoît Linder pour Poly

Teletota Alsace 2, rue Wencker, à Strasbourg 03 88 37 00 55 www.teletota.fr

C’

est dans un immeuble historique situé au centre de Strasbourg que se cache l’un des studios de post-production les plus importants de la région. En 1993, lorsque le siège d’Arte s’installe à Strasbourg, Télétota Paris décide d’ouvrir une antenne dans la capitale alsacienne. Bernard Lapointe y débute comme stagiaire ingénieur du son, trois mois seulement après l’ouverture : « Je me rappelle même avoir posé la moquette, cela crée des liens et pour preuve, j’y exerce depuis maintenant 16 ans ! » Aujourd’hui directeur artistique, il est responsable d’un film dans son ensemble, de son arrivée en V.O. à sa transformation en langue française. Si Arte est son principal client, Télétota Strasbourg travaille également pour la publicité, des musées ou des éditeurs de méthodes de langue. Les facettes de ce métier sont nombreuses et le travail est réparti entre les cinq employés.

Pour que naisse la V.F. d’un documentaire pour Arte, il faut compter en moyenne trois semaines. « Les étapes sont précises », explique Bernard : « À la réception du film, nous l’envoyons d’abord en traduction puis, dans un second temps, chez un adaptateur qui réoriente la traduction pour répondre à la ligne éditoriale de la chaîne. » Dans ce même temps débute la phase de casting. Si Télétota Strasbourg regroupe aujourd’hui près de 300 voix, constituées à 80% d’acteurs de théâtre ou de cinéma, le casting se fait cependant au quotidien pour tenter de dénicher, encore et toujours, de nouveaux timbres. Une fois ces voix choisies et validées par le producteur, une journée d’enregistrement est généralement nécessaire pour un “52 minutes”. Pour gagner en temps et en efficacité, les comédiens doublent souvent seuls. Les dialogues et la narration sont ensuite assemblés lors du mixage. Installé dans une cabine d’enregistrement à côté du studio, le comédien se repère à l’aide d’un timecode figurant sur le texte dactylographié et sur l’écran vidéo où défile le film. Les indications de Bernard sont dans un premier temps d’ordre général : contexte du film, style, ambiance, degré d’énergie que le comédien ne peut avoir à la simple lecture du texte. Une grande liberté est laissée pour conserver le naturel et quelques retouches techniques – mot à mettre en avant, articulation, ouverture de phrases – sont ensuite apportées. « Ce que je préfère dans mon métier c’est ce lien, cet échange… C’est à ce moment que se fabrique vraiment le film en français », explique-t-il. Aujourd’hui, après tant d’années à travailler sur des documentaires, son rêve serait néanmoins de sortir de l’ombre et de réaliser le sien.

54

Poly 145 Décembre 11


03 84 21 22 24

Le Pays de Montbéliard se réinvente à GRANDE VITESSE !

GAGNEZ 2 PLACES Johhny HALLYDAY au stade Bonal à Sochaux le 5 juin 2012

En renvoyant vos billets TGV au départ ou à destination de la gare Belfort Montbéliard TGV, avec vos coordonnées inscrites au dos, à Pays de Montbéliard Agglomération Concours TGV/ Johnny - 8 avenue des Alliés 25200 MONTBÉLIARD. Tirage au sort, participation gratuite. Date de clôture : 31 janvier 2012


UN regard Par Emmanuel Dosda et Thomas Flagel

Exposition de Laurence Demaison & Patrick BaillyMaître-Grand, à la galerie de La Filature (Mulhouse), jusqu’au 18 décembre 03 89 36 28 28 www.lafilature.org

56

Poly 145 Décembre 11

bobine de laurence demaison Le propre corps de la photographe demeure son modèle de prédilection. Peut-être par simple commodité. Ses séries d’autoportraits – son visage se réfléchissant, tel Narcisse, à la surface de l’eau, par exemple – ne sont souvent que des “reflets”, dans tous les sens du terme, de la réalité. Jeu d’effets lors des prises de vue, travail chimique sur le film… l’image de Laurence Demaison,

la figure brouillée, déformée, voire ensanglantée, n’est parfois plus que celle de son fantôme. Ici, la Strasbourgeoise se dissimule sous une Bobine de laine, sorte de masque tissé, moelleux mais inconfortable, doux et SM. Telle une chrysalide, elle semble attendre sa mue. Bientôt, elle sortira de son cocon, transformée, évoquant encore les Métamorphoses d’Ovide.


gueule cassée de patrick bailly-maître-grand Voilà trente ans que Patrick BaillyMaître-Grand nous délecte de séries étranges, d’images travaillées pour leur singularité fantastique. Cette Gueule cassée est celle d’une poupée en carton que le photographe strasbourgeois s’est amusé, en 2009, à écrabouiller sans ménagement, aplatie comme la tête d’un héros de cartoon à la Tex Avery. Son « plaisir à décortiquer les

choses » se fait jour, le caractère obsédant et dérangeant des billes formant le regard des poupées – les mêmes que celles utilisées par les taxidermistes pour donner un supplément d’âme à leurs bêtes empaillées – continuant de nous transpercer. Seul le maquillage rappelle l’état antérieur de ce jouet déformé par la torture sadique d’un grand gamin photographe donnant naissance

à une face qui n’est pas sans rappeler Le Voyage dans la Lune de Georges Méliès, astre humain percuté dans l’œil droit par une cabine en forme d’obus. Lorsque l’imaginaire de l’enfance passée bouscule la raison adulte…

Poly 145 Décembre 11

57


EXPOSITION – PFORZHEIM

d’or et de diamants À Pforzheim, Serpentina est une exposition fascinante et intrigante. Le Schmuckmuseum y explore avec finesse la symbolique du serpent dans le bijou à travers les âges et les civilisations.

Par Raphaël Zimmerman Photo du Bracelet au serpents (troisième siècle, Musée historique national de Suède) par Gabriel Hildebrand

À Pforzheim, au Schmuckmuseum, jusqu’au 26 février 2010 +49 7231 39 21 26 www.schmuckmuseumpforzheim.de

58

Poly 145 Décembre 11

L

a symbolique du serpent est difficilement saisissable. Elle glisse, ondule et varie selon les lieux et les époques. Nul autre animal ne possède de signification aussi protéiforme. Parfois, le reptile renvoie à l’éternité et au cycle sans fin de la vie : en témoigne l’Ouroboros – le serpent qui se mord la queue – de la mythologie égyptienne. Chez les Grecs et les Romains, il est synonyme de guérison (et s’enroule autour du caducée d’Esculape). Dans la chrétienté, il est indissolublement lié au pêché originel, tandis que le toltèque Quetzalcóatl connaît des interprétations multiples… et parfois contradictoires. C’est toute cette variété que l’exposition nous permet d’explorer à travers 140 pièces exceptionnelles de toutes les cultures et des époques les plus variées. « Plus nous nous sommes occupés de ce thème, plus il apparaissait clairement qu’il était riche et fascinant » explique la directrice du musée, Cornelie Holzach. De l’antiquité au XXe siècle, un étonnant voyage… Autour de 1900, voilà un briquet d’agent de la maison Fabergé en forme d’inquiétant crotale.

Plus angoissant encore est ce nid de vipères (qu’on entend presque siffler) imaginé, à la même époque, par René Lalique… Drôle de bijou où se mêlent volupté et danger de mort. Plus apaisés sont ce bracelet torsadé glamourissime aux têtes serpentines stylisées venant de Suède et datant du troisième siècle ou cette étonnante chope de bière berlinoise avec son dragon aux ailes déployées faites de subtiles efflorescences argentées. Voilà un bestiaire d’or, de diamants, d’émail, de vermeil et de platine bien séduisant. Dommage simplement que ces chefs-d’œuvre demeurent enfermés dans des vitrines alors qu’on leur rêverait une utilisation plus… baudelairienne : « Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur / Ce monde rayonnant de métal et de pierre / Me ravit en extase, et j’aime à la fureur / Les choses où le son se mêle à la lumière. »


Bischwiller Haguenau Niederbronn-les-Bains Reichshoffen Saverne Soultz-sous-Forêts Wissembourg

DANSE THÉÂTRE MARIONNETTES ARTS DU CIRQUE MAGIE NOUVELLE

17 28 JANVIER 2012 www.scenes-du-nord.fr

À MEISENTHAL

EXPO / DÉMOS / VENTE 12 NOV.—29 DÉC. SAUF 24 & 25 DÉC. / TOUS LES JOURS / 14H—18H / ENTRÉE LIBRE

À STRASBOURG

MARCHÉ DE NOËL / PETITE FRANCE / PLACE B. ZIX 26 NOV.—31 DÉC. POINTS DE VENTE GRAND EST COLMAR / SELESTAT / BOUXWILLER / OTTMARSHEIM / BESANCON / NANCY / METZ / SARREGUEMINES INFOS : 03 87 96 87 16 / CIAV-MEISENTHAL.COM


EXPOSITION – BADEN-BADEN

l’antre de l’alchimiste Plomb, peinture, plantes séchées, avions ou bateaux de métal… Les immenses tableaux d’Anselm Kiefer ornent les murs du Museum Frieder Burda. Entre histoire et mystique.

Der Fruchtbare Halbmond, 2009 © Anselm Kiefer, 2011

Par Hervé Lévy À Baden-Baden (Allemagne), au Museum Frieder Burda, jusqu’au 15 janvier 2012 +49 72 21 398 980 www.museum-frieder-burda.de

Voir Poly n°139 ou au www.poly.fr Militant du NSDAP et membre de la SA (1907-1930) abattu par un militant communiste au cours d’échauffourées et devenu la figure, par excellence, du martyr pour les nazis. Le Horst Wessel Lied était l’hymne officiel du parti 3 Un ordre hermétiste dont les membres apparaissent souvent comme les héritiers des chevaliers du Graal et des Templiers 1

2

60

Poly 145 Décembre 11

C

omplément idéal de l’exposition récemment présentée au Musée Würth d’Erstein 1 – qui faisait la part belle à l’œuvre de jeunesse de l’artiste – celle de Baden-Baden est centrée sur les trente dernières années. Elle est composée d’une sélection d’une trentaine de pièces de la collection rassemblée par Hans Grothe, aujourd’hui âgé de 81 ans, qui est venu à l’art « en voulant acheter une Porsche. Le concessionnaire était fermé. Je me suis alors promené à Düsseldorf, suis entré dans une galerie et ai acquis un tableau. » La passion, rapidement dévorante, est centrée sur les peintres allemands majeurs : Baselitz, Polke, Richter et Kiefer dont il possède un ensemble imposant. Les œuvres exposées, de dimension monumentale pour leur plus grande part, reflètent le rapport étroit et complexe qu’entretient Kiefer à l’histoire de l’Europe… Wege der Weltweisheit : Die Hermannschlacht ressemble ainsi à une réflexion sur l’âme germanique dans ses multiples replis, y compris les plus sombres : s’y déploient notamment les visages d’Arminius, Kant, Heidegger, Hölderlin… ou Horst Wessel2.

Plus énigmatique est le versant mystique de la création d’un artiste qui ne cesse d’interroger la place de l’homme dans le cosmos, prenant, pour point de départ, les mythologies fondatrices et certains courants de pensée ésotériques. Dans The Secret Life of Plants for Robert Fludd – un ensemble 14 tableaux de grande taille où domine le plomb – il fait, par exemple, référence à un des Grands Maîtres des Rose-Croix3 au XVIIe siècle, à la fois alchimiste, médecin et kabbaliste. S’y trouvent développées, des cosmogonies en noir, gris et blanc, formant une réflexion sur le rapport entre micro- et macrocosme, étoiles et composantes de la vie terrestre. Le regard se perd dans ces constellations complexes où apparaissent des branches d’arbres peintes en blanc ou une oie empaillée. Et Kiefer nous apparaît soudain pour ce qu’il est : le grand alchimiste de la peinture du XXIe siècle commençant.


OBSERVER 10 > 22 janvier 2011 • Conception et réalisation Bruno Meyssat • 03 88 24 88 24 • www.tns.fr


éclats de ballet C’est en habitué des lieux que le Ballet du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg prend ses quartiers d’hiver au Festspielhaus pour quatre spectacles placés sous le signe de l’élégance et de l’exigence.

Par Hervé Lévy Photo d’Alexander Gulyaev

À Baden-Baden, au Festspielhaus, Le Lac des cygnes mercredi 21 et jeudi 22 décembre, Anna Karénine vendredi 23 et dimanche 25, Don Quichotte lundi 26 ainsi qu’un Gala mardi 27 décembre +49 7221 3013 101 www.festspielhaus.de

A

ujourd’hui, le Ballet du Théâtre Mariinsky est redevenu une des plus importantes compagnies du continent, avec pour seul rival en Russie, celui du Bolchoï. Depuis le début du XIXe siècle, le Mariinsky – ainsi appelé pour honorer l’épouse du tsar Alexandre II, Maria Alexandrovna – est, avec sa façade verte et blanche, un des temples européens de la danse. La réputation du lieu s’était quelque peu effritée au cours de la période communiste, où il changea de nom pour se nommer Kirov (en hommage à l’un des premiers bolchéviques) mais, depuis 1991, et grâce à l’action du chef d’orchestre Valery Gergiev, la maison a retrouvé son lustre, se positionnant à nouveau comme un centre de premier plan pour l’opéra et le ballet. Aujourd’hui, danseurs et danseuses perpétuent une tradition d’exigence et de pureté : technique exceptionnelle, lyrisme revendiqué, classicisme maîtrisé… Le corps de ballet et les étoiles du Mariinsky restent fidèles à leurs immenses prédécesseurs : Anna Pavlova, Vaslav Nijinski, Rudolf Noureev ou Mikhaïl Barychnikov. Premier rendez-vous de cette “mini résidence”, le classique des classiques, le célébrissime Lac des cygnes. La musique est de Tchaïkovski, la chorégraphie, où se mêlent

62

Poly 145 Décembre 11

indissolublement extase et introspection, de Konstantin Sergeyev (d’après Marius Petipa et Lev Ivanov). Les corps corsetés par une tradition qui hésite entre vélocité et hiératisme virevoltent, les danseuses du corps de ballet évoluent avec la précision d’une phalange spartiate. Pas une jambe, ni un bras plus haut que l’autre. Tout comme dans une chorégraphie bien moins célèbre, Anna Karénine… Du chef-d’œuvre fleuve de Tolstoï, Alexeï Ratmansky a fait, en 2010, une chanson sans paroles sur une musique quelque peu académique des années 1970 de Rodion Chédrine qui fut président de l’Union des compositeurs soviétiques de 1973 à 1990. Le résultat ? Un ballet cinématographique, une épopée dramatico-glamour à laquelle on se laisse prendre avec jubilation. De cette rencontre improbable entre Hollywood – pour la danse – et Brejnev – pour la musique – nait un spectacle hypnotique, une réinvention pleine d’esprit de la grande tradition, dans laquelle les tourments intérieurs des protagonistes atteignent le spectateur en plein cœur. Changement d’atmosphère avec Don Quichotte chorégraphié par Alexander Gorsky (d’après Marius Petipa) où la danse se fait perpétuelle et sensuelle arabesque et avec le gala final kaléidoscopique en forme de best of des meilleurs moments du répertoire.


illustration : Frédérique Bertrand / alphabet Momix : Daniel Depoutot

87x260momixpoly_Mise en page 1 08/11/11 14:29 Page1

www.momix.org 03 89 50 68 50 créa scène conventionnée jeune public


CIRQUE – FORBACH

y a p’t’être un ailleurs Le nouveau cirque de Mathurin Bolze et de sa compagnie MPTA se pose au Carreau de Forbach. Du Goudron et des plumes, un voyage onirique et fantastique pour cinq acrobates, bannis sur un radeau de fortune. objet de ballant, « espace de métaphore changeant, tout à la fois sol stable quand il repose au sol, oppressant quand il s’élève au-dessus des personnages et comme un radeau dans la tempête lorsqu’il oscille ». Autant d’images du monde, de lectures ouvertes dont le metteur en scène et interprète se garde bien « de donner les réponses ».

Par Irina Schrag Photo de Christophe Raynaud De Lage

À Forbach, au Carreau, mardi 13 et mercredi 14 décembre 03 87 84 64 34 www.carreau-forbach.com www.mpta.fr

64

Poly 145 Décembre 11

S

ouvent mésestimé, le cirque contemporain est pourtant en perpétuelle réinvention, cultivant le décloisonnement des arts avec brio, sans oublier les dimensions particulière de ses disciplines fondatrices : acrobaties, polyvalence des techniques, prise de risques… Mathurin Bolze est de cette génération d’artistes formés au Centre national des Arts du cirque de Châlons-en-Champagne qui ne s’est jamais enfermé dans sa pratique. Le trampoliniste a tourné sous la houlette de Josef Nadj et pourrait « parler pendant deux heures de ce que François Verret lui a apporté et transmis » au fil des quatre créations du chorégraphe auxquelles il a participé. Cirque dansé ou danse circassienne ? « Peu importe, seul l’art du mouvement compte. » Le style a le mouvement et l’image, disait Anatole France. Celle qui préside dans le spectacle, son point de départ même, est ce décor. Une sorte de plateforme suspendue (ou de vaisseau mouvant) comme en apesanteur. Un immense

D’histoire ou de narration classique, il n’y a pas. Les cinq personnages (quatre hommes et une femme) du spectacle sont « comme des bannis » d’on ne sait où, évoluant entre une grande légèreté de mouvements, d’aspirations et le « côté goudronneux de la vie ». Rien du western donc dans Du Goudron et des plumes mais des instantanés de la vie d’un groupe humain, sans cesse dans le déséquilibre, s’appuyant et s’aidant de planches de frêne dans des corps à corps de pantomime. On se touche, s’enlace, chute et se relève pour mieux défier les lois de la pesanteur, s’arracher de son humaine condition, à la recherche d’un ailleurs, de ceux qui « président à la constitution de mes images » confie Mathurin Bolze. Ainsi, du numéro traditionnel de clown en miroir, dos à dos, il crée un saisissant axe horizontal où les personnages sont comme collés par les pieds, tête en haut et tête en bas. « Ces individus cherchent une issue. L’ensemble de mouvements, de tableaux et d’images qui s’imposent constituent une métaphore de la vie soutenue par l’entraide, la douleur, les efforts et la difficulté. Le cirque a cette vertu d’évoquer… » N’oublions pas que sa compagnie s’appelle MPTA pour “Les mains, les pieds et la tête aussi”.


Graphisme : médiapop + STARHLIGHT

foto: carlos azevedo | gestaltung: L2M3.com calouste gulbenkian foundation, lissabon vg bild-kunst bonn 2011

Entrée libre Tél. +33 (0)3 69 77 66 47 kunsthalle@mulhouse.fr

©

25.11 2011 —— 8.01 2012

serpentina die schlange im schmuck der welt 26.11.11 bis 26.02.12

www.kunsthallemulhouse.com

brustschmuck »schlangen« rené lalique, paris, 1898/99 calouste gulbenkian foundation, lissabon

Pôle Alsace d’enseignement supérieur des arts

DÉCOUVREZ PARTAGEZ OFFREZ… PASS MUSÉES 230 MUSÉES – 3 PAYS – 1 PASSEPORT EN VENTE DANS TOUS LES MUSÉES MEMBRES

www.passmusees.com

NOUVEAU EN 2012

RÉGION FRANCHE-COMTÉ & RÉGION STUTTGART 111111_MUSE_AZ_Weihnachtsmotiv_F_180x127_4c_RZ.indd 1

11.11.11 15:12


OPÉRA – ZURICH

le chef-d’œuvre inconnu Trop rarement donné, Palestrina de Hans Pfitzner est monté à l’Opéra de Zurich : voilà une belle occasion de découvrir, sous la baguette experte d’Ingo Metzmacher, l’œuvre maîtresse de celui qui fut directeur musical à Strasbourg, au début du XXe siècle.

Par Hervé Lévy

À Zurich, à l’Opéra, du 10 décembre au 12 janvier 2012 + 41 44 268 66 66 www.opernhaus.ch

A

ujourd’hui, Hans Pfitzner (1869-1949) est bien oublié… Sans doute les compromissions avec le troisième Reich d’un compositeur qui dédia, en 1944, l’ouverture Krakauer Begrüssung à Hans Franck, le gouverneur général de la Pologne, y sont-elles pour beaucoup. Au cours du premier conflit mondial, « l’artiste national s’était politisé pour devenir un nationaliste antidémocratique » explique Thomas Mann dans ses Considérations d’un apolitique. Le musicien n’en demeure pas moins un créateur fascinant, un héritier (très) inspiré de Wagner à qui l’on doit des Lieder parmi les plus beaux du répertoire – que Dietrich Fischer-Dieskau magnifia par de remarquables enregistrements – et des opéras comme les rarissimes Der arme Heinrich (1895) ou Die Rose vom Liebesgarten (1901). Plus souvent monté – il faut le dire vite – Palestrina demeure son chef-d’œuvre. Si l’opéra fut créé à Munich en 1917, il a été composé, pour sa plus grande part à Strasbourg, où Pfitzner, également chef de grand talent, est Generalmusikdirektor entre 1910 et 1916 : au cours de cette période, il dirige en effet non seulement l’orchestre et le Conservatoire (entre 1907 et 1918) mais aussi l’opéra. Dans le prolongement du XIX siècle germanique – Pfitzner est le dernier “grand romantique” – Palestrina, opéra héritier d’une longue tradition, est l’ultime écho « de la sphère schopenhauerienne-wagnérienne » selon Thomas Mann qui y voit logiquement « la dernière pierre apportée à l’édifice de l’opéra romantique » et « la mélancolique note finale d’un mouvement artistique national qui (…) s’achève glorieusement ». En s’attachant à la figure de Palestrina, compoe

66

Poly 145 Décembre 11

Carte postale, aux alentours de 1912

siteur italien du XVIe siècle considéré comme le sauveur de la musique sacrée et le « père de l’harmonie » (Victor Hugo), Pfitzner propose notamment une réflexion sur les rapports entre deux sphères mentales, l’existence intellectuelle et la vie réelle. Comment ne pas se sentir concernés ? Le questionnement central initié par le musicien qui se déploie dans cet opéra se déroulant à la fin du Concile de Trente est tout aussi actuel, puisqu’il porte sur la dialectique permanente entre tradition et modernité dans l’art.


C R A C A l s a c e

Partenaires Particuliers ion t i s o Exp /11 2 1 / 4 du0 /12 4 0 / 9 au2

vien & a l F l , ca n-Pas Petitpierre a e J uth & , Clédat & ler, Peter m s i B l Julien rlo Vulcano eremy De p avec J a op Gianc & Dupuy, iss, Jan K lgi Lee e r eu Decto & David W urélien, S osier & A L i Fischl Ulysse & in, Marie dy Jaye, a , dv Anton imon Bou rridge & L Philippe S -O kas, e avec yer P uch e M o r R B s s n a i a h s Gene , Adolp Studio, Je y n Maho ivarium utang V / o ne Ques re-André B er par Pi om: r o R t c Meye je y o l l r i P W + ppe & e i h c ew S Matth

Vernissage Brunch dimanche 4 décembre à partir de 11h

Le CRAC Alsace bénéficie du soutien de : la Ville d’Altkirch / le Conseil Général du Haut-Rhin / le Conseil Régional d’Alsace / la DRAC Alsace - Ministère de la Culture et de la Communication ainsi que du partenariat du club d’entreprises partenaires du CRAC Alsace – CRAC 40 CRAC Alsace 18 rue du château F-68130 Altkirch : + 33 (0)3 89 08 82 59 / www.cracalsace.com


PROMENADE

la montagne sacrée Canonisée par le “pape alsacien” Léon IX (1002-1054), Sainte-Odile donne son nom à un des sites les plus charmants de la région. Promenade avec vue(s) entre réminiscences celtiques, foi catholique et forteresse médiévale.

68

Poly 145 Décembre 11


Par Hervé Lévy Photos de Stéphane Louis pour Poly

P

arfois, vers midi, notre montagne est dans le soleil, mais la plaine passera la journée sous un brouillard impénétrable. À quelques mètres au-dessous de nous, commence sa nappe couleur d’opale. Sur ce bas royaume de tristesse reposent nos glorieux espaces de joie et de lumière ! C’est un charme à la Corrège, mais épuré de langueur, un magnifique mystère de qualité auguste. » Que l’on aime Maurice Barrès ou que l’on voue aux gémonies le nationalisme échevelé de l’auteur d’Au service de l’Allemagne – dont sont extraites ces phrases – il est impossible de ne pas lui reconnaître la qualité, désormais rare, d’impeccable styliste. C’est avec ces quelques lignes consacrées au Mont Sainte-Odile, lues au lever du soleil, que débute la promenade, devant la plaque rendant hommage à l’écrivain. Elles décrivent étrangement ce que nous voyons : un soleil étincelant dans un ciel d’un bleu d’azur audessus de nous et le brouillard qui enveloppe le couloir rhénan au-dessous. Mais foin de littérature, il faut se mettre en route…

«

Chrétien / Païen

Nous quittons d’un pas encore alerte le havre de paix dédié à la sainte patronne de l’Alsace (depuis 1807) qui naquit aux environs de 650 (et mourut vers 720). La légende ? On la

connaît par la tardive Vita sanctae Odiliae et nombre de documents plus ou moins authentiques, dont le (faux) Testament de SainteOdile n’est que le plus célèbre. La tradition orale a fait le reste. Née aveugle, la jeune noble provoque le courroux de son père qui décide de la faire tuer, ne souhaitant pas d’infirme dans la famille. Paniquée, sa mère cache l’enfant, l’envoie au monastère – sans doute à Baume-les-Dames – où, miraculeusement, elle recouvre la vue à l’instant du baptême. Le paternel repentant fonde un monastère sur le Hohenbourg. Les pèlerins affluent, Odile multiplie les miracles, faisant par exemple jaillir une source. Des siècles que cela dure et que l’endroit est un sanctuaire ouvert à tous où souffle un puissant vent mystique : chapelles (des Anges ou des Larmes) délicatement mosaïquées, chemin de croix en fine marqueterie signé Charles Spindler (1935)… Sur le rocher, au début de notre promenade, quatorze autres stations, monumentales celles-ci, déploient leur foi sulpicienne dans la céramique aux dominantes bleues de Léon Elchinger, à qui l’on doit aussi la très profane façade des Arts déco de Strasbourg. Au fil des pas, le christianisme laisse la place à des rochers immenses et la puissance tellurique des croyances oubliées enveloppe Poly 145 Décembre 11

69


PROMENADE

le marcheur à l’approche du mur païen. Voilà une fascinante énigme archéologique : le lieu serait, selon les interprétations, une forteresse défensive de l’Âge du bronze, un parc à bestiaux de l’Âge du fer ou une place forte de la Tène finale. Peu importe… La rêverie face à ces blocs soigneusement taillés et assemblés avec intelligence est contrariée par des rabatteurs pas très subtils nous déclarant avec grande acrimonie qu’il faudrait peutêtre changer de chemin parce que « l’action de chasse » en cours est susceptible de nous mettre en danger en raison des « ricochets potentiels des balles sur les rochers ». Ces zozos en treillis ne respectent donc rien… Cette grossièreté à tendance agressive est d’autant plus malvenue que nous sommes à quelques dizaines de mètres du lieu où 87 personnes perdirent la vie dans un accident aérien de triste mémoire, en 1992.

Médiéval / Moderne

Le sentier descend paresseusement vers la vallée. La pente se fait néanmoins progressivement plus raide. Avant de s’enfoncer dans la purée de pois, l’arrêt au Kiosque Jadelot est impératif : dans cet octogone massif fait de planches et de troncs, se trouve un des plus beaux balcons – une sorte de plongeoir, plutôt – sur la forêt de toutes les Vosges. Nous dominons les nuages une dernière fois, avant l’entrée dans le brouillard et l’arrivée au Landsberg, où, par miracle (un de plus), le ciel est à nouveau dégagé. Datant du XIIIe siècle, le château – où pousse la très rare Eranthis hyemalis, petite fleur jaune de mars – est des plus fascinants, puisque s’y mêlent comme nulle part ailleurs une lourdeur toute militaire et une étonnante finesse. L’oriel notamment, semble flotter entre terre et ciel. Après le passage devant un centre de vacances à la criarde et incongrue modernité, le Domaine SaintJacques (remarquez son golf miniature glamour vraisemblablement conçu par un admirateur de Miró), nous voici devant les altières , et grillagées, ruines de l’Abbaye de Niedermunster, fondée pour accueillir les pèlerins trop faibles ou trop pauvres pour grimper au sommet du Hohenbourg. Ne reste plus que la longue montée devant nous : nous sommes à 511 mètres d’altitude et notre but – qui était également notre point de départ – est situé 253 mètres plus haut. Heureusement, en chemin, la source miraculeuse et glougloutante de Sainte-Odile nous donne les forces nécessaires pour achever cette longue randonnée.

70

Poly 145 Décembre 11


NORD

Mont Sainte-Odile et Landsberg

Mont Sainte-Odile

715m

Chapelle St Nicolas

D 765m

Distance 17 km Temps estimé 5 h Dénivelé 610 m

Abbaye de Niedermunster Chapelle des Roches

505m

Obernai 10 km

Saint Jacques 571m

336m

790m 781m

Truttenhausen

826m

Mur païen

Kiosque Jadelot

548m

Château du Landsberg

Par-delà les nuages Pour une fois, nous laisserons de côté les jérémiades et n’affirmerons pas que « c’était mieux avant »… même si l’hôtellerie du Mont Sainte-Odile possédait un charme suranné et puissant avec ses planchers recouverts de linoléum qui grinçaient, ses lumières tremblotantes, sa literie d’une autre époque et ses radiateurs antédiluviens. Complètement refaites, ses 105 chambres offrent un niveau bien supérieur à l’unique étoile dont est parée le lieu. Dans un écran de bois clair, meublé avec goût – on y trouve même des chaises Eames venues de chez Vitra –

Barr 12 km

et sobriété, les nuits sont d’autant plus douces qu’il n’y a pas de télévision. Le repas est exquis (de succulentes paupiettes de bœuf, lors de notre passage, arrosées d’un jaja des plus corrects) et les prix sont imbattables (moins de 100 € pour deux en demi-pension). On repense alors aux mots de Gustave Doré invitant l’écrivain Édmond About à séjourner au Mont : « On loge dans un couvent qui est une auberge, on y boit le vin de l’évêque au milieu des ruines splendides, à quatre pas du mur païen et dans un paysage dont tu me diras des nouvelles. » En effet… 03 88 95 80 53 – www.mont-sainte-odile.fr

Poly 145 Décembre 11

71


noël spicy NOËL

À Gertwiller, les papilles se réjouissent au Palais du pain d’épices. Accueillis par le Mannele, guide bienheureux de ce temple de la friandise, les enfants auront la possibilité, tous les mercredis de décembre, de décorer eux-mêmes leur pain d’épices. Les 3 et 4 du mois, ils devraient aussi y rencontrer Saint-Nicolas qui, entre deux gourmandises, prendra le temps de les saluer. www.lepalaisdupaindepices.com

aloha

alsace

Une touche d’exotisme dans le traditionnel foie gras des fêtes ? C’est ce que propose la vénérable maison Artzner (fondée en 1803) – qui sait aussi saisir la vague de la hype – avec ce foie gras de canard entier au sel noir de Hawaï (120 grammes, 18,50 €). Lorsque le sillon rhénan rencontre l’Océan pacifique, naissent de savoureuses saveurs iodées, toniques et extravagantes à la fois. www.edouard-artzner.com

jamais marre de

marmelades Alain Ducasse est fan. Normal, les produits de Christine Ferber, concoctés à Niedermorschwihr, sont aussi appétissants qu’étonnants. Confiture d’ananas, vanille et rhum ou de framboises et chocolat au lait, confit d’oignons blancs au riesling, gelée de vin de Gewurztraminer… Pour les fêtes, la maison Ferber propose une exquise confiture de Noël (7 € en boutique, 8,75 € par correspondance), faite à base de fruits secs. 220 grammes de délices suaves. www.christineferber.com

tout est bon… Au Bürestubel (Pfulgriesheim), on ne fait pas les choses à moitié. Dimanche 4 décembre s’y tient une grande cochonnaille annonciatrice des banquets magistraux de fin d’année. Amateurs de gastronomie alsacienne, vous serez servis… Au menu, des grands classiques : la choucroute royale et le presskopf, mais aussi des mets moins connus comme le sorbet kalamansi arrosé au marc de Gewurtz… www.restaurantburestubel.fr 72

Poly 145 Décembre 11


Rejoignez-nous sur Facebook et votez pour le plus beau sapin de Noël !

C’est déjà Noël au Vaisseau ! x! u sort de cadeau a e g a in tir ez au faites le ple p i c i t r et Pa

1 bis rue Philippe Dollinger 67100 Strasbourg Tél : 03.88.44.65.65 - www.levaisseau.com


NOËL

Le parvis du Château de l’Ile illuminé

Le Château d’Isenbourg, sa fontaine et ses décorations

luxe, calme et cotillons Des festivités de fin d’année quatre étoiles, dans un cadre majestueux et apaisant ? Une étape aux Châteaux d’Isenbourg et de l’Ile s’impose. Au menu pour l’occasion…

Par Edgar Dynamo Château d’Isenbourg , à Rouffach 03 89 78 58 50 www.isenbourg.com Château de l’Ile, 4 quai Heydt à Ostwald 03 88 66 85 00 www.chateau-ile.com www.grandesetapes.fr

L

e château au ravissement tout versaillais d’Esclimont (Île-de-France), le manoir du Prieuré (Anjou) dominant la Loire, le Château d’Artigny (Vallée de la Loire) planté dans un magnifique parc de vingt-cinq hectares, ou, plus proche de nous, les Châteaux d’Isenbourg et de l’Ile font partie du prestigieux parcours “Grandes étapes françaises”. De quoi s’agit-il ? D’une belle aventure initiée par Simonne et René Traversac, couple qui, dès 1957, commença à transformer de fastueuses bâtisses en espaces hôteliers luxueux. Aujourd’hui, pas moins de neuf lieux font partie des “châteaux-hôtels et demeures de charme” des Grandes étapes françaises, un peu partout dans l’Hexagone.

En 1973, les Traversac décident de restaurer le Château d’Isenbourg, au beau milieu des vignes de Rouffach. Bâti sur des caves voûtées des XIIe et XIVe siècles, cette admirable résidence est l’endroit idéal pour se délecter

Noël ne tombe pas à l’eau Nouveau : du 3 au 30 décembre, le Château de l’Ile et Batorama organisent des promenades sur l’eau, à bord d’un bateau-bar menant du pied du château… au Marché de Noël strasbourgeois, en évitant les bouchons et pour 19 € par personne. Débarquement au Palais des Rohan. Cette année, Santa Claus a troqué son traîneau contre un bateau. www.batorama.fr

74

Poly 145 Décembre 11

d’une cuisine délicate, inspirée par la région et de profiter du panorama, ouvert sur les vignobles. Ça n’est que bien plus tard, en 1994, que Pierre et Sophie Traversac, la nouvelle génération, rénovent le Château de l’Ile, toujours dans un bel écrin de verdure, à quelques kilomètres à peine de Strasbourg, à Ostwald. Les Châteaux d’Isenbourg et de l’Ile : des sites rêvés pour réveillonner en cette fin d’année, les deux lieux proposant une formule festive (220 € par personne) pour passer le cap de 2012 en beauté. La soirée dansante de la Saint-Sylvestre s’accompagnera d’amusebouches, de plats succulents, de desserts et mignardises. Impossible de résister aux mignons de veau cuisson basse température servis avec des panais au caramel de Champagne et un râpé de truffes de Bourgogne (Château de l’Ile) ou au foie gras de canard poêlé et sa mijotée de céleri à la truffe noire (Isenbourg). Et pour trinquer ? Champagne, bien sûr ! Pour profiter pleinement de cette nuit d’exception, n’hésitez pas à vous offrir un forfait (333 et 370 € par personne) comprenant la soirée de réveillon, la nuit en chambre double, le brunch du Nouvel an et un libre accès au spa… pour un – nécessaire – moment de détente, après avoir tant festoyé. Notons enfin que les deux sites proposent également des formules de Noël, du 24 au 30 décembre. Demandez la carte… Ambiance féerique et senteurs épicées assurées.


NOËL

le “it bag” de fin 2011 Noël rime avec consumérisme exacerbé… Certes, mais pas que ! Les fêtes sont aussi l’occasion de soutenir des actions caritatives. À cet effet, Handicap international récolte des fonds avec la commercialisation d’un sac à sapin. Les gains réalisés permettent à l’association d’intervenir dans les régions sinistrées confrontées à de graves crises humanitaires. Cette année, la corne de l’Afrique et la Libye sont ses principaux terrains d’action. www.boutique-handicap-intenational.com

noël

trans-

blue velvet

À Guebwiller, Noël se fête en bleu… en hommage au maître céramiste Théodore Deck, figure emblématique de la ville. À l’occasion de cette troisième édition, le thème des boules de Noël a été retenu pour habiller les façades de plusieurs édifices selon le principe du mapping video (projection sur bâtiment). Les animations ont été réalisées sous la direction artistique d’André Masson. D’autres événements sont prévus : expos, visites en musique, jardins lumineux… sans oublier le traditionnel marché de produits bio du terroir. www.noelbleu-alsace.eu

frontalier Pour Armand Peter, l’âme de BF éditions, le “transfrontalier” n’est pas une notion abstraite : il s’est associé avec un éditeur de Gutach (en Forêt noire) pour proposer En Chemin / Unterwegs, anthologie de Noël multilingue (français, allemand, dialectes…). Poèmes, méditations, contes… 28 auteurs livrent leur version des “fêtes”… et elle est souvent décapante, comme le sont les dessins en noir et blanc de Franz Handschuh qui illustrent ce (beau) livre. Publié conjointement par BF éditions et Drey Verlag (19 €) Soirée de présentation jeudi 15 décembre au FEC (Strasbourg) www.bfeditions.com – www.drey-verlag.com

mon beau

château

© Cedric Populus

À l’occasion des fêtes de fin d’année, le HautKoenigsbourg se pare de ses plus beaux atours. Sur la base de recherches historiques, les décors montés temporairement retracent l’histoire de Noël et de ses coutumes, plongeant le visiteur dans l’atmosphère médiévale du château et recréant l’environnement des grandes réceptions organisées par Guillaume II. À découvrir en famille, dans le cadre d’ateliers ou de visites ludiques, commentées et insolites. www.haut-koenigsbourg.fr Poly 145 Décembre 11

75


NOËL

belle brune En 2009, Christian Artzner, maître brasseur à Schiltigheim, rouvre l’entreprise fondée en 1882 par son aïeul qui avait fermé ses portes en 1971. Répondant à un procédé de fabrication artisanale, sa gamme de bières, déjà colorée, s’enrichit de nouvelles notes à l’occasion des fêtes de fin d’année : la Perle de Noël* est une boisson élaborée à partir de malts caramélisés, d’une fermentation haute et d’un subtil mélange d’épices. www.biere-perle.com

trop de pression ? Quelques gorgées de bière de Noël Meteor* s’imposent ! Son parfum épicé se mêle aux arômes d’agrumes qui lui donnent cette saveur si caractéristique. Un élixir à retrouver temporairement dans les tireuses de nos bars favoris, les rayons des supermarchés et les marchés de Noël de Metz, Colmar et Strasbourg, à consommer à l’apéro comme à la maison. www.brasserie-meteor.fr

whisky

à gogo

Non contente de produire un large éventail d’eaux-de-vie et de liqueurs de fruits, la distillerie Meyer, établie à Hohwarth (Val de Villé), s’est lancée dans la fabrication de whiskies, savourés par les amateurs depuis novembre 2007. Ces précieux nectars – le Blend supérieur* (assemblage de whiskies de malt d’orge et de grain ; 20,90 € ) et le Pur Malt* (obtenu par la seule distillation du malt d’orge ; 48,80 € ) – sont élaborés selon de savants procédés. www.distillerie-meyer.fr

ça bulle ? La maison Malard (située à Aÿ, dans la Marne) fête cette année ses 15 ans… L’occasion de découvrir sa cuvée emblématique, le Champagne Grand Cru Blanc de Noirs*, vendu dans un joli coffret (environ 40 € dans les magasins Nicolas de la région) avec deux flûtes aux courbes gracieuses. Complexité, naturel et puissance sont les trois termes qui définissent le mieux l’élégance de ce divin breuvage aux arômes de mandarine et de mirabelle mêlés. www.champagnemalard.com 76

Poly 145 Décembre 11

* L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.



ARCHITECTURE

m

e

a Maison européenne de l’architecture – Rhin supérieur Europäisches Architekturhaus – Oberrhein

métamorphoses Artiste et penseur universel, père de l’anthroposophie1, Rudolf Steiner (1861-1925) fut également l’un des précurseurs de l’architecture organique. Découverte de l’autre côté du Rhin, à Weil-am-Rhein, d’un personnage controversé.

Par Dorothée Lachmann

À Weil-am-Rhein, au Vitra Design Museum, jusqu’au 1er mai 2012 +49 7621 702 32 00 www.design-museum.de

uand Rudolf Steiner voit le jour en Autriche-Hongrie, en 1861, la société occidentale est en profonde mutation et les repères traditionnels sont sur le point de voler en éclats. L’art suit ce mouvement. L’exposition Rudolf Steiner – L’alchimie du quotidien s’ouvre sur ce contexte foisonnant, clef de la pensée et des travaux d’un étonnant réformateur.

Les deux Goetheanum

Déterminante aussi, fut sa fréquentation fusionnelle des œuvres de Goethe, dont il a publié les écrits scientifiques qui nourrissent sa vision du monde et sa conception de l’humain, inspirant notamment sa théorie de la métamorphose. À tel point qu’il baptise sa Oswald Dubach (attribué à), intérieur de style anthroposophique dans les années 1930 © Rudolf Steiner Archiv, Dornach

1 L’anthroposophie est une science de l’esprit visant à étudier et à expliquer les phénomènes spirituels de la même façon que la science décrypte le monde sensible. Elle cherche à développer en l’homme les forces nécessaires pour appréhender ce qui existe au-delà des sens 2 www.goetheanum.org

78

Poly 145 Décembre 11

réalisation architecturale majeure du nom du poète : le Goetheanum. Construit entre 1913 et 1920 pour abriter le centre d’anthroposophie dont l’enseignement est développé par Steiner dès 1910, cet édifice est totalement novateur pour l’époque. Érigé sur la commune de Dornach (Suisse), à une douzaine de kilomètres au sud de Bâle, le premier Goetheanum est entièrement en bois et englobe une double coupole très imposante, qui surplombe la scène et une salle de spectacle. Le reste du bâtiment suit des lignes fluides et arrondies, tandis que les bordures de toit et les encadrements de fenêtres sont marqués par des formes de lèvres, donnant au lieu le caractère d’un être vivant. L’architecture organique fait ainsi son apparition : comme dans une


Façade ouest du deuxième Goetheanums © Vitra Design Museum. Photo: Thomas Dix, 2010

plante, chaque partie, chaque forme, chaque couleur est en rapport étroit avec l’ensemble et cet ensemble se relie aux éléments par des métamorphoses. Pour Rudolf Steiner, cette architecture fait pleinement écho à sa vision du monde selon laquelle tout, dans le cosmos, est lié de manière intelligente. Mais en 1922, pendant la nuit de la Saint-Sylvestre, un incendie, probablement d’origine criminelle, ravage entièrement le premier Goetheanum, détruisant nombre d’archives et de documents. Très rapidement, sur le même site, Steiner engage la réalisation d’un deuxième Goetheanum2 : il sera le tout premier édifice monumental construit en béton, matériau récent dont les qualités plastiques sont idéales pour obtenir la forme sculpturale propre à l’architecture organique. Le bâtiment contient quatre salles de spectacle, dont une de mille places. À l’intérieur, colonnes, fresques et vitraux évoquent la théorie de la métamorphose, l’évolution de l’humanité, les développements cosmiques et terrestres. Dans la deuxième partie de l’exposition, des croquis, maquettes, vidéos et images révèlent les étapes de ce vaste projet. Cette réalisation emblématique est aujourd’hui le centre de la Société anthroposophique universelle, active dans le monde entier.

Maisons organiques

Autour de ces monuments successifs, une véritable colonie sort de terre, en raison de l’installation de plus en plus d’adeptes de Stei-

ner, sorte de gourou spirituel à Dornach. La plus spectaculaire parmi la centaine de maisons est celle du sculpteur Jacques de Jaager, construite en forme de cristal. Le transformateur électrique est également remarquable, avec ses deux pignons qui semblent se croiser. Le site de Dornach peut être considéré aujourd’hui comme le seul ensemble représentatif de l’architecture organique et expressionniste de cette époque. Avec le temps, le style anthroposophique glisse de la fluidité des courbes vers des formes toujours plus cristallines et polygonales, où affleure l’influence du cubisme : comme le mobilier réalisé par Rudolf Steiner, particulièrement ses chaises, dont la plupart des modèles sont présentés au Vitra Design Museum. « On doit être capable de penser en couleurs et en formes de la même manière qu’on pense avec des termes et des pensées », résumait-il. Représenter plastiquement l’invisible, au point qu’il devienne une force agissante… La suite de l’exposition développe la mise en pratique de la pensée de Steiner dans la société : écoles Waldorf, médecine anthroposophique, biocosmétique, agriculture biodynamique, triarticulation sociale, eurythmie… Loin de tout l’occultisme dont on a pu l’accuser, le visiteur est invité à découvrir, à travers les 350 pièces exposées, les infinies facettes d’un homme, à la fois sculpteur, dramaturge, designer, architecte et philosophe, qui a façonné sa vision du monde à la façon d’une œuvre d’art universelle.

On doit être capable de penser en couleurs et en formes de la même manière qu’on pense avec des termes et des pensées Rudolf Steiner

Poly 145 Décembre 11

79


DESIGN

le poids de la tradition La collection contemporaine du Centre international d’art verrier de Meisenthal s’enrichit d’une douzième boule de Noël. Kilo a été imaginée par les designers de l’Atelier BL119… avec un certain esprit de contradiction.

Par Dorothée Lachmann

On trouve Kilo à Meisenthal, au CIAV (démonstrations de soufflage, exposition et vente jusqu’au 29 décembre) ainsi que sur de nombreux marchés de Noël de la région 03 87 96 87 16 www.ciav-meisenthal.fr www.atelier-bl119.com

G

are aux apparences ! Ce Kilo pèse en réalité 140 grammes. Qui s’en saisit est surpris. Et c’est justement ce décalage qui amuse le plus les deux compères de l’Atelier BL119, Grégory Blain et Hervé Dixneuf, habiles à « réinterpréter les objets du quotidien ». En quête d’une idée ludique pour succéder au Cumulus de Mendel Heit dans la collection du CIAV (voir Poly n°137), les deux jeunes créateurs stéphanois ont choisi de prendre franchement le contre-pied de la tradition. « Grégory avait chez lui des poids

anciens qui lui servaient de cale porte, l’idée de la forme nous est venue comme ça. Mais est-ce que ça allait fonctionner ? C’était toute la question », confie Hervé Dixneuf. La réponse, ils la trouvent finalement dans le plaisir de la contradiction, en créant une boule « anguleuse et pleine d’arêtes ». L’avantage est que l’on peut aussi bien la suspendre que la poser. En copiant cette forme évocatrice et en baptisant leur trouvaille Kilo, ils font de la même façon un pied de nez à la notion de légèreté liée à la boule de Noël.

Détournement

Malgré ce détournement plastique, la légende qui entoure cet objet de décoration n’est pas perdue de vue par les deux designers. « Jadis, les sapins de Noël étaient ornés de pommes. On dit que la boule a été inventée par un verrier pour pallier à la pénurie de fruits suite à une sécheresse. Sur la balance de l’épicier, on pesait les pommes avec des poids. Nous avons juste inversé l’idée. » C.Q.F.D. Pour autant, n’allez pas y voir une démarche tristement prosaïque. « La boule possède sa propre poésie, faite d’humour et de décalage. Elle est inspirée d’un objet ancestral appartenant à l’inconscient collectif. Évidemment, il y a un côté magique à créer une boule de Noël, mais pour nous, le plus étonnant a été de travailler sur un objet de décoration, sans utilité », poursuit le duo.

© Frédéric Goetz

80

Poly 145 Décembre 11

Une fois la maquette réalisée, les proportions définies, c’est le choix des couleurs qui les a occupés. « Nous tenions à rester dans du fumé, qu’on a décliné dans les fuchsia, ambre, gris, bleu, vert…» La boule existe ainsi en huit coloris. Quant à la fabrication, elle n’a pas été sans peine et a mis à contribution toute la science des verriers de Meisenthal. « Nous avons été confrontés à une difficulté tech-


© Guy Rebmeister

nique, car notre boule a un petit rebord sur le dessus. À cause de cela, il a fallu fabriquer un moule en trois parties au lieu des deux habituelles, qui sont utilisées à la façon d’un gaufrier. La boule est entièrement en verre, il n’y a pas de rajout en métal pour l’attache », explique Hervé Dixneuf.

Simplicité

Depuis septembre, 3 000 boules ont été soufflées au CIAV. Un travail collectif, avec une équipe que Grégory Blain et Hervé Dixneuf connaissent bien pour avoir déjà séjourné au Centre International d’Art Verrier en 2010. « Nous étions venus faire des recherches. Ici, nous avions pris le temps d’essayer de multiples techniques : l’émaillage, le soufflage, le verre à froid, etc. De manière générale, nous sommes très attachés aux savoir-faire traditionnels. » Suite à ces travaux, l’Atelier BL119 a créé Lanterne, une série de lampes sans artifices, qui utilisent les propriétés et les traitements du verre pour nuancer la lumière par un dispositif low tech la laissant se propager ou l’atténuant. Auparavant, les designers avaient déjà expérimenté ce matériau en imaginant 100 Watts, leur première création en commun. L’objet rend hommage à l’archétype

de l’ampoule et revisite le fonctionnement de la baladeuse : grâce à différentes potences, elle se fait liseuse, applique ou lampadaire. « Nous aimons détourner des formes pour réinventer leur usage, l’objectif étant de rester dans la simplicité et la forme juste. D’où un attachement au dessin, sans doute aussi à cause de notre formation aux Beaux-Arts de Saint-Étienne. Il est très important pour nous de conserver l’âme du dessin. » L’Atelier BL119 a également réalisé la scénographie de plusieurs expositions, pour la mairie de Saint-Étienne ou l’École du Magasin de Grenoble. Il est l’auteur aussi d’une signalétique composée de mâts pour la Médiathèque d’Yssingeaux, en Haute-Loire. Dans le design d’espace, Grégory et Hervé sont toujours en quête de cette extrême simplicité qui est leur marque de fabrique.

La boule possède sa propre poésie, faite d’humour et de décalage. Elle est inspirée d’un objet ancestral appartenant à l’inconscient collectif

Poly 145 Décembre 11

81


LAST BUT NOT LEAST

claire bretécher

Dernière folie. Croire que ce serait la dernière. Dernier coup de gueule. Nom de… Où sont mes lunettes ? Dernier coup de foudre pictural. L’exposition Sempé à Hôtel de Ville de Paris. Dernier sujet en peinture. Un portrait de Tripoux d’Auvergne. Dernier délire adolescent. Un mélange hasardeux d’alcool et de substances. Dernier sujet d’inquiétude. Le circuit électrique de la maison. Dernière lassitude. L’actualité politique. Dernière frustration. Pas d’idées géniales. 82

Poly 145 Décembre 11

Dernier désir d’avenir. Une idée de temps en temps, même bête. Dernière prédiction. Demain, je bosse. Dernière joie. Le Lacrimosa de Zbigniew Preisner (Erato). Dernier voyage. Place Vendôme. Dernier mot. Aïe ! Dernière volonté. Un cercueil de Philippe Starck. Dernières parutions. Claire Bretécher, dessins et peintures (39,90 €) et Le Tarot divinatoire de Claire Bretécher (19,90 €) aux Éditions du Chêne. www.editionsduchene.fr

CONCEPTION REYMANN COMMUNICATION // MONTAGE BKN.FR // © PASCAL BASTIEN // LICENCES D’ENTREPRENEURS DE SPECTACLES N° 2 : 1006168 ET N°3 : 10066169

dessinatrice


e e l a t i enn Cap é p ro

Orchestre PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG

eu

CONCEPTION REYMANN COMMUNICATION // MONTAGE BKN.FR // © PASCAL BASTIEN // LICENCES D’ENTREPRENEURS DE SPECTACLES N° 2 : 1006168 ET N°3 : 10066169

ORCHESTRE NATIONAL

DIMANCHE 4 DÉCEMBRE StraSbourg auditorium de la Cité de la muSique et de la danSe 11h • Evelina Antcheva violon • Katarina Pavlovic violon • Agnès Maison alto • Juliette Farago violoncello • Richard Bianco contrebasse Webern Langsamer Satz pour quatuor à cordes M.78 SChubert Quatuor à cordes n° 12, Quartettsatz en ut mineur D 703 dvo rˇ ák Quintette à cordes en mi bémol majeur op. 97 B180

SAISON 2011>2012

Renseignements : 03 69 06 37 06 / www.philharmonique.strasbourg.eu Billetterie : caisse OPS entrée Schweitzer du lundi au vendredi de 10h à 18h Boutique Culture, 10 place de la cathédrale du mardi au samedi de 12h à 19h

experts-comptables



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.