Poly 154 - Décembre 2012

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N°154 DÉCEMBRE 2012 www.poly.fr

Magazine 30 ans des Frac Plongée dans les collections Festival Ososphère Art & musique à la Coop Illustration Loustal, Papier Gâchette et Central Vapeur Romane et Richard Bohringer Les Brigades rouges à la Manufacture


Abonnement de Noël «Classique» 09.01.2013 «The Hilary Hahn Encores» Hilary Hahn photo: Olaf Heine

05.02.2013 Jerusalem International Chamber Music Festival Elena Bashkirova photo: Alfredo Martinez

22.03.2013 «Ouschterconcert» Orchestre Philharmonique du Luxembourg MDR Rundfunkchor / Lothar Zagrosek Lothar Zagrosek photo: Thomas Mayer

05.05.2013 Wiener Philharmoniker Esa-Pekka Salonen Julia Fischer Julia Fischer photo: Kasskara

Abonnement 4 concerts: 108 / 162 / 225 € (< 27 ans: 72 / 108 / 150 €) (+352) 26 32 26 32 // www.philharmonie.lu


BRÈVES

LE TEMPS DES FLEURS

panoramik

La Ville de Strasbourg organise une programmation culturelle liée à la présidence de la Principauté d’Andorre, du 9 novembre au 16 mai 2013, au comité des ministres du Conseil de l’Europe. Premier volet avec l’expo photo Estatges / Instatges au centre administratif de la Communauté urbaine de Strasbourg (jusqu’au 15 décembre) où les paysages andorrans de Jordi Pantebre dialoguent avec les poèmes d’Andreu Escales. www.strasbourg.eu

Des compositions végétales avec leurs pétales colorés se déployant, complexes et raffinées, sur la toile… Voilà comment se présente l’art d’Anne-Sophie Tschiegg accueilli au Musée historique de Haguenau Chapelle des Annonciades (jusqu’au 20 janvier). Au menu, une plongée au sein d’un univers organique et abstrait empli d’une intense force intérieure, d’une sauvagerie qu’elle tente de contenir dans l’espace du tableau, mais qui dégouline, expressive, joyeuse et, parfois, inquiétante.

© Natasha Razinae

www.ville-haguenau.fr

CULTE !

À Baden-Baden, le Festspielhaus accueille le Ballet du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, un des meilleurs au monde, pour une mini-résidence hivernale. Au programme, Le Parc qui réunit Mozart, et Angelin Preljocaj (21 décembre), Le Lac des cygnes (22 et 23), Casse-Noisette (25 et 26) et un virevoltant gala (27). Danseurs et danseuses perpétuent une tradition d’exigence : technique exceptionnelle, lyrisme revendiqué, classicisme maîtrisé… À ne pas manquer. www.festspielhaus.de

satirik

Le Musée historique de la Sarre de Sarrebruck célèbre Jean Plantureux, plus connu sous le pseudo de Plantu. Si ses dessins satiriques ne sont (malheureusement) plus toujours en Une du Monde, l’exposition Komisches Volk ! - Drôle de peuple ! retrace les relations complexes entretenues par les deux grands d’Europe, de part et d’autre du Rhin, sous les traits aiguisés du dessinateur de presse. www.historisches-museum.org De la chute du Mur à celle de Wall Street, paru dans Le Monde, du 16.10.2008 © Plantu

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Mine d'Artgens BRÈVES

ouverture La Mine d'Artgens

Ça bouge à Sainte-Marie-aux-Mines qui inaugurait, fin novembre, A l'origine de la Mine d'Artgens un nouveau lieu culturel : La Mine d’Artgens. Avec une salle de spectacleWeek-end modulable, un lieu d’exposition et un restaurant, nul d'ouverture doute que la programmation toute en diversité attirera les foules : Programmation Le Rossignol de l’Empereur de Chine (marionnettes jeune public, le 16 décembre) ou encore la chorale À chœur battant et ses chants de Noël de différentes contrées (le 22 décembre). www.mine-artgens.fr

toutes voiles

VOIX

B.A.

© Patrick Nin

POUR

dehors

Après Natalie Dessay ou June Anderson, la mezzo-soprano Sophie Koch, aujourd’hui marraine de ColineOpéra, se mobilise pour l’enfance maltraitée. Avec l’Orchestre national de Lorraine et Jacques Mercier, elle propose une soirée caritative sur fond de romantisme. Elle y interprètera notamment des airs de Wagner et Strauss. À découvrir vendredi 7 décembre, à L’Arsenal de Metz.

Une personne se réveille un matin avec le désir irrépressible de retourner dans son pays natal. Dans une sorte de voyage immobile, le narrateur se livre à un déballage de ses souvenirs où se croisent les voix des personnes qu’il a connues, les paysages qui l’ont marqué et qu’il redécouvre sous un nouveau jour. Tel est le pitsch de Tu devrais venir plus souvent, présenté par la compagnie strasbourgeoise du Théâtre des Voiles, à l’Espace Malraux de Geispolsheim les 15 et 16 janvier. www.geispolsheim.fr

www.orchestrenational-lorraine.fr

AU PARADIS DU PAIN D’EPICES

© Stéphane Louis

Situé au cœur de la Petite France (14 rue des Dentelles), voilà le temple strasbourgeois du pain d’épices, véritable maison de contes de fées où chaque délice vendu est une œuvre d’art à croquer. Chez Mireille Oster, entourés des odeurs les plus suaves, nous avons un vaste choix puisque la palette des douceurs – toutes faites maison – est presque infinie. Miel, cannelle, romarin ou girofle se marient subtilement aux senteurs d’écorce d’orange et d’amandes pour des friandises artisanales savoureuses. À découvrir également au Marché de Noël (place Broglie) jusqu’au 31 décembre. www.mireille-oster.com Poly 154 Décembre 12

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AUAU BOIS BOIS LACTÉ LACTÉ 1313 > 21 > 21 décembre décembre de Dylan de Dylan Thomas Thomas Version Version scénique scénique et et 2012 2012 misemise en en scène scène Stuart Stuart Seide Seide 03 88 03 24 88 88 24 24 88 24 www.tns.fr www.tns.fr

WHISTLING WHISTLINGPSYCHE PSYCHE1010janvier janvier> > 2 février 2 février 2013 2013 de Sebastian de Sebastian Barry Barry MiseMise

en en scène scène Julie Julie Brochen Brochen Création Création du du TNSTNS 03 88 0324 8888 2424 88•24www.tns.fr • www.tns.fr


BRÈVES

VON ELSASS

À l’origine du courant impressionniste en Alsace, Lothar von Seebach (1853-1930) a immortalisé le vieux Strasbourg avec d’innombrables vues de la ville où se découvrent l’animation des rues, le travail des artisans, l’ambiance des ateliers… Précurseur de la peinture moderne, il donne en outre une impulsion décisive aux artistes du Cercle de Saint-Léonard. À découvrir à la Maison de la Région Alsace, du 6 au 31 décembre. www.region-alsace.eu

LEÇON DE BOTANIQUE Jusqu’au 15 mars, la Bibliothèque alsatique du Crédit Mutuel propose une exposition intitulée Liber Herbarius (à découvrir dans le hall du siège de la banque, 34 rue du Wacken, à Strasbourg). Écrits fondateurs, notes, cahiers de famille, traités d’agronomie… livrent leurs secrets et témoignent de la complexité de la botanique au fil des siècles, dans l’espace rhénan. Entre connaissance et imaginaire.

must ear

www.bacm.creditmutuel.fr Kreutterbuch de Hieronymus Bock, 1572

La compagnie strasbourgeoise Le Bruit qu’ça coûte organise la 10e édition de la Semaine du Son du 21 au 27 janvier. Des créations gratuites de tous types : installation sonore engagée au Mémorial de Schirmeck, poésie en action de Germain Roesz à la médiathèque de Sélestat ou encore lecture musicale d’après Le Livre de ma mère d’Albert Cohen au Château de la Petite-Pierre… www.lasemaineduson.org http://lebruitcoute.blogspot.fr

must see

Le photographe sud-africain Pieter Hugo (bien connu des lecteurs de Poly pour avoir fait la couverture du n°143, en octobre 2011) se voit consacrer sa première exposition monographique en France, du 14 décembre au 17 mars 2013, à Stimultania. This must be the place regroupe des clichés frontaux, étranges et inquiétants de plusieurs séries réalisées en Afrique Sub-Saharienne. À ne pas manquer ! www.stimultania.org Gabazzini Zuo, Enugu, Niger, 2008-2009, extrait de la série Nollywood © Pieter Hugo Poly 154 Décembre 12

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vernissag

e jeudi 13

déc à 18h

Château de l’Ile

Aux portes de Strasbourg

La magie d’un Noël au Château ! Découvrez 2 univers féeriques pour des fêtes de fin d’année inoubliables : soirées festives, saveurs de Noël dans nos restaurants, idées-cadeaux... RetRouvez les menus suR nos sites inteRnet www.chateau-ile.com

à Strasbourg Ostwald - 03.88.66.85.00

Château d’Isenbourg

Entre Colmar et Mulhouse

Offrez la vie de Château... Découvrez nos Coffrets Cadeaux à partir de 45 € Plaisirs Gourmands, Bien-être et Exception www.isenbourg.com

à Rouffach - 03.89.78.58.50


C’EST MON

DADA TRUC DE OUF

Voilà un opéra qui nous transporte dans le monde de Ouf 1er, tyran patenté dont l’anniversaire doit être fêté de digne manière… par une roborative exécution capitale. Le décor de L’Étoile de Chabrier (à l’Opéra national de Lorraine de Nancy, du 28 décembre au 3 janvier) est planté et les péripéties vont s’enchaîner jusqu’au triomphe final des innocents sur une musique scintillante et raffinée, dans la droite lignée d’Offenbach.

La Haute école des Arts du Rhin et Central Vapeur (lire page 47) proposent une large sélection de dessins originaux, affiches, gravures, pop-up, revues ou fanzines à La Chaufferie, du 14 décembre au 6 janvier 2013. L’exposition Cheval Vapeur rassemble des pièces de quelque 70 illustrateurs, dessinateurs ou auteurs de bande dessinée de la région (Simon Roussin, Nikol, Anouk Ricard, Agathe Demois…). www.hear.fr www.centralvapeur.org

www.opera-national-lorraine.fr

BÛCHES

HAUTE-COUTURE À l’occasion des fêtes de fin d’année, le pâtissier Thierry Mulhaupt propose deux nouvelles créations gourmandes : une escale aux Antilles avec les parfums légèrement épicés de la bûche en édition limitée de 112 pièces Granada (inspirée de l’île de Grenade) et l’invitation à confectionner soi-même une bûche “en kit”. Entre dépaysement et créativité, la maison strasbourgeoise ne cesse d’innover !

© Ian Stevenson

© Vincent Jacques pour Angers Nantes Opéra

BRÈVES

www.mulhaupt.fr

L’AUTRE PRESLEY

Vous ne jurez que par la pop bancale de Strange Boys ? Vous vénérez le garage crasseux de Ty Segall ? Vous adorerez la musique lo-fi de White Fence, projet de l’américain Tim Presley (en photo) qui bougera son bassin tout en balançant son rock sixties boiteux, mardi 11 décembre au Troc’afé. En guest star : Vincent Vanoli, auteur de BD et DJ du soir. www.facebook.com/panimix Poly 154 Décembre 12

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sommaire

18 Dossier : les Fonds régionaux d’Art

contemporain fêtent leur 30e anniversaire

22 Papier Gâchette, polémique underground 24 Intrusion sur le site de la Coop investi par le festival strasbourgeois Ososphère

29 Fabrice Melquiot installe Alice en Chine pour la Mals de Sochaux

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33 Entretien avec Jean Boillot, directeur du NEST qui monte Théo ou le temps neuf

34 Renaud Herbin, crée Actéon au TJP, second volet de Pygmalion miniature

38 Mathieu Boisadan : Portfolio à Sarajevo 40 Sélection du Printemps de Bourges : notre palmarès dans l’Est

42 Le Musée des Beaux-Arts de Mulhouse rend hommage à Jacques de Loustal

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44 Avec Whistling Psyche, Julie Brochen explore les troubles identitaires au TNS

52 Bal en Chine, nouvelle création de Caterina Sagna, clôture sa résidence à Pôle Sud

58 Interview avec Michel Didym qui s’attaque à la genèse des Brigades rouges.

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62 Promenade au Wasserwald, à cheval sur l’Alsace et la Lorraine

COUVERTURE Cette photographie (recadrée), prise sur le lac de Buochs (Suisse) en 1965 par Arnold Odermatt – qui se reflète dans le rétro du bateau – est présentée dans le cadre de l’exposition que lui consacre La Chambre (lire page 48). Armé de son Rolleiflex à double objectif qu’il emmenait partout avec lui, le policier / photographe a rendu compte, grâce à ses clichés, de sa vie professionnelle, mais aussi personnelle.

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www.la-chambre.org Arnold Odermatt © Urs Odermatt Windich, Suisse, Courtesy Galerie Springer Berlin

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THÉÂTRE / FRANCE, ALLEMAGNE

TAGE UNTER

(JoURs soUTERRAiNs) ARNE LYGRE / sTÉPHANE BRAUNsCHWEiG / DÜssELDoRFER sCHAUsPiELHAUs

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Photo © Elisabeth Carecchio

MAR 22 + MER 23 JANViER / 20H30 MAiLLoN-WACKEN

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OURS / ILS FONT POLY

Ours Emmanuel Dosda Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une dizaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren. emmanuel.dosda@poly.fr

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Thomas Flagel Théâtre moldave, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs algériens… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes depuis trois ans dans Poly. thomas.flagel@poly.fr

Dorothée Lachmann Née dans le Val de Villé, mulhousienne d’adoption, elle écrit pour le plaisir des traits d’union et des points de suspension. Et puis aussi pour le frisson du rideau qui se lève, ensuite, quand s’éteint la lumière. dorothee.lachmann@poly.fr

© Hervé Lévy 2.0

Benoît Linder Cet habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma poursuit un travail d’auteur qui oscille entre temps suspendus et grands nulles parts modernes. www.benoit-linder-photographe.com

Stéphane Louis Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. www.stephanelouis.com

Éric Meyer Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. http://ericaerodyne.blogspot.com/

www.poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49 Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Rédacteurs Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Dorothée Lachmann / dorothee.lachmann@poly.fr Ont participé à ce numéro Henry Greiner, Patrick Lopokin, Pierre Reichert, Irina Schrag, Charlotte Staub, Lisa Vallin, Daniel Vogel et Raphaël Zimmermann Graphiste Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly © Poly 2012. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. ADMINISTRATION / publicité Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Administration, gestion, diffusion, abonnements : 03 90 22 93 38 Gwenaëlle Lecointe / gwenaelle.lecointe@bkn.fr Nathalie Hemmendinger / gestion@bkn.fr Publicité : 03 90 22 93 36 Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Françoise Kayser / francoise.kayser@bkn.fr Vincent Nebois / vincent.nebois@bkn.fr Magazine mensuel édité par BKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100 000 e 16 rue Édouard Teutsch – 67000 STRASBOURG Dépôt légal : décembre 2012 SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130 Impression : CE

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COMMUNICATION BKN Éditeur / BKN Studio – www.bkn.fr


F E S T IVA L À L A F I L AT U R E

L’ I N S O L e N T E C R É AT I V I T É D E S C U LT U R E S D U S U D théâtre, danse, performance, musique, rencontres…

du 15 au 20 janvier 2013 scène nationale – mulhouse www.lafilature.org

Création graphique : Atelier 25 / photographie © END et DNA

le festival les Vagamondes propose un dialogue entre les cultures du Sud à travers la valorisation de la création contemporaine. Cette première édition, en partenariat avec des structures culturelles de la région, sera l’occasion de regarder vers une partie du monde qui, loin de se réduire à une inquiétante actualité économique, fait preuve d’une insolente énergie créatrice !


ÉDITO

une culture de proximité Par Hervé Lévy Illustration signée Éric Meyer pour Poly

D

es tomates d’un rouge vif suspect, à la rondeur aguicheuse, poussant horssol quelque part près d’Almería, des aubergines aux formes parfaites estampillées Monsanto et cultivées dans les plaines roumaines, des œufs pondus par des poules qui n’ont jamais vu la lumière du jour (sur)vivant à 200 au mètre carré… Les consommateurs européens, de plus en plus dégoûtés par des produits sans saveur vomis par hectotonnes par l’agriculture industrielle, sont sans cesse plus nombreux à se tourner vers des circuits courts, favorisant une agriculture de proximité et de qualité. La vogue des AMAP (Asso-

ciation pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) – qui ne se limite pas à une tocade de bobo – participe de ce mouvement : on sait ce qu’on achète, à qui on l’achète et pourquoi on l’achète en prenant chaque semaine son panier. Aux beaux jours, il est garni de mille et uns fruits et légumes, l’hiver il est plus famélique… C’est que les fraises ne poussent pas en décembre dans le Nord-Est de la France. Ce qui est vrai pour les cultures commencerait-il à l’être pour la culture ? Plusieurs initiatives allant dans ce sens fleurissent en cette fin d’année. À Strasbourg, dans le cadre du nouveau projet du Hall des Chars, l’association Friche Laiterie souhaite développer une Association pour le Mouvement entre Artiste et Public : pour 30 € par mois, il est possible de bénéficier d’un panier composé à 2/3 d’objets matériels – édition, audio… – et pour 1/3 de spectacles (avec des soirées proposées par les partenaires, TNS, Maillon, Pôle Sud… mais également des formes spécialement imaginées pour l’AMAP comme du théâtre en appartement) auxquels on rajoute quelques surprises… dont Poly, partenaire de l’initiative ! Lancement le 6 décembre à 19h30. Dans le Haut-Rhin, La Vitrine lance un SMS (Système Mulhousien de Surprises) : un panier de créations made in Alsace avec trois versions tarifaires (40 €, 70 € ou 100 € par mois) regroupant des œuvres d’art uniques ou des éditions limitées. Là aussi vous pourrez retrouver Poly dans votre panier puisque nous allons accompagner l’association Old School dans l’aventure. Voilà deux projets parallèles permettant de tisser un lien nouveau entre les artistes et leur public, tout en mettant sur pied des alternatives aux financements traditionnels d’un domaine dont l’État et les Collectivités territoriales se désengagent progressivement. Une sorte de “micro mécénat” en somme. Autre avantage de cette culture de proximité, la possibilité de découvrir des pépites éloignées de l’uniformisation mainstream d’un secteur de plus en plus formaté, lui aussi. Voilà deux belles initiatives qui en appellent d’autres…

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théo ou le temps neuf nest-theatre.fr (0)3 82 82 14 92

+33

CDN de Thionville Lorraine direction Jean Boillot Le Nord ESt Théâtre, CDN de Thionville-Lorraine, est subventionné par le Ministère de la Culture et de la Communication – DRAC Lorraine, la Ville de Thionville et la Région Lorraine

9 › 19 janvier Théâtre de Thionville création | texte Robert Pinget mise en scène Jean Boillot


LIVRES – BD – CD – DVD

Belleville / Johannesburg 2.0

Leporello

Jean-Christophe Lanquetin et François Duconseille, profs aux Arts déco de Strasbourg et duo de (ScU)2, signent deux revues témoignant de résidences artistiques : Play > Ubran, Johannesburg, regroupe notamment les travaux de l’atelier de Scénographie de l’école en Afrique du Sud, requestionnant nos espaces publics à l’aune de dispositifs de pensée renversés. LaBelleVirtuelle constitue la traduction dans la réalité figée d’une résidence virtuelle (car à distance, par le biais des nouvelles technologies) dans le quartier de Belleville, à Paris en 2009. Ce projet des Scénographies Urbaines (le prochain, à suivre en ligne sur www.facebook.com/scenographies.urbaines, se tiendra à Dakar entre le 17 décembre et le 13 janvier) regorge d’idées et de points de vue saisissants : des comparaisons de Bellville (Capetown) avec Belleville en passant par des points de vue politiques acérés (la Fantaisie en faille majeure autour de Pérec) et des remises en question de l’image et de sa place… De quoi lire, voir et penser ! (T.F.) LaBelleVirtuelle constitue le 14e opus de la revue d’art contemporain Livraison, édité par Rhinocéros (15 €) www.rhinocéros-etc.org – www.play-urban.org www.eternalnetwork.org

La jeune illustratrice Juliette Binet, passée par l’école des Arts déco strasbourgeois, signe un superbe album à la technique old school (il se déplie en accordéon, aussi appelé leporello) et originale (les deux extrémités sont faites pour se rejoindre, formant une boucle narrative et visuelle). Avec son format à l’italienne, elle nous conte, sans mots, la rencontre de deux enfants portée par le souffle de l’imaginaire des dessins à l’encre de l’auteure qui soigne parfaitement ses transitions d’une page pliée à une autre. Une poésie panoramique se dégage de cette histoire puissamment silencieuse… (D.V.) Un Courant d’air de Juliette Binet, publié au Rouergue (17 €) www.lerouergue.com

LE TEMPS DE LA CATHÉDRALE Voilà une remarquable plongée au cœur de la plus grande épopée de l’art gothique : la construction de la Cathédrale de Strasbourg. Signée de Marc Jampolsky (et produite par Seppia), cette aventure fait l’objet d’un très beau DVD (agrémenté de 20 minutes de making of). Séquences de fiction, documents d’époque, entretiens avec des spécialistes et images de synthèse, cette étonnante histoire est contée “de l’intérieur” et s’articule autour de la destinée de cinq des plus importants maîtres d’œuvres de l’édifice. Après une heure trente, le bâtiment n’aura (presque) plus de secrets pour vous. (P.R.) Le Défi des bâtisseurs est paru chez Arte Éditions (19,95 €) www.arteboutique.com – www.seppia.eu Diffusion en 3D dans de nombreux cinémas d’Alsace en décembre et sur Arte, samedi 15 décembre à 20h45

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UNE GUERRE

ÉPISTOLAIRE Voilà un ouvrage essentiel donnant un éclairage intéressant sur le drame de l’incorporation de force : il regroupe 120 lettres (sélectionnées parmi 5 000 par un comité scientifique) écrites par les Malgré-Nous alsaciens. Souvent émouvantes, ces missives racontent le quotidien du front, les privations, les tracasseries administratives, les peurs (« Nous mangeons à côté des morts », rapporte René Freudenreich, en mars 1944 depuis l’Estonie) et les espoirs… En dépit de la censure, certaines sont en français et contiennent des messages subversifs qui auraient valu le peloton d’exécution à leur auteur si l’enveloppe avait été ouverte ou mieux lue : « On les aura les Schleus » proclame ainsi Robert Meyer depuis les bords de la Baltique, en avril 1944. Accompagnée de photographies, de dessins et de documents officiel, cette correspondance révèle un visage mal connu de la Seconde Guerre Mondiale. (H.L.) Lettres de Malgré-Nous est édité par La Nuée Bleue en partenariat avec la Fondation de La Poste et la Région Alsace (25 €) – www.nueebleue.com

D’ANTHOLOGIE

PLONGÉE EN 3D

La 3D, très à la mode sur les écrans de ciné, est la dernière folie des strasbourgeoises Éditions 2024. Avec Jim Curious, Voyage au cœur de l’océan, Matthias Picard, sorti des Arts déco en 2007, signe un album muet, à mi-chemin entre BD et livre illustré. Avec l’une des deux paires de lunettes à filtres rouge et bleu fournies (eh oui, il se feuillette même avec sa copine ou son petit frère !), nous suivons la descente dans les profondeurs abyssales d’un scaphandrier, remontant le temps en découvrant un monde au relief incroyable : monstres aquatiques, épaves, algues virevoltantes, cité perdue… se détachent par magie ! Utilisant une technique ancienne, Matthias crée ses effets plan par plan sur des feuilles de rhodoïd transparent sur lesquelles il applique de l’encre (une face noire et une blanche), grattant ensuite la sombre avec des hachurateurs et autres scalpels pour révéler son dessin. Le résultat est tout simplement fascinant et sera du plus bel effet sous le sapin ! (T.F.)

Enregistré en juillet 2011 au Festspielhaus de BadenBaden, ce Don Giovanni a la semblance d’une Rolls-Royce : réunissant une des plus excitantes distributions qu’il est possible d’avoir aujourd’hui (avec, dans le rôle-titre, Ildebrando d’Archangelo, impeccable), il est dirigé par Yannick Nézet-Séguin. Le jeune chef canadien (37 ans) donne, avec un rutilant Mahler Chamber Orchestra, une version de l’opéra de Mozart toute en urgence, en précision et en tension. Au niveau vocal, Luca Pisaroni se montre un Leporello de très haut niveau, le duo Diana Damrau & Joyce DiDonato (Donna Anna et Donna Elvira) s’impose comme une durable référence et Mojca Erdmann (voir page 36) se montre d’une invraisemblable fraicheur dans le rôle de Zerlina qui en requiert tant. Et que dire du génial Rolando Villazón (Don Ottavio) ? Une nouvelle référence made in Baden-Baden… (H.L.) Don Giovanni est paru chez Deutsche Grammophon (39,99 €) www.deutschegrammophon.com

Jim Curious, Voyage au cœur de l’océan de Matthias Picard, Éditions 2024 (19 €) www.editions2024.com – www.matthiaspicard.com

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dossier

les 30 ans des frac D’ici fin 2013, les vingt-trois Fonds régionaux d’Art contemporain de France fêteront leur trentième anniversaire. Retour sur une démocratisation de l’accès à l’art et l’un des dispositifs les plus importants de soutien à la création avec Olivier Grasser, directeur du Frac Alsace, qui commente, pour nous, quelques oeuvres.  Saint Georges Hotel, 2008

Par Thomas Flagel

Elsass Tour, dans toute l’alsace dans plus de 30 lieux, jusqu’à fin 2013 www.culture-alsace.org Pièces montrées, expositions d’œuvres tirées de la collection du Frac Alsace au Musée historique de la Ville de Haguenau, au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, au Frac Alsace de Sélestat et à la Fondation Fernet-Branca de Saint-Louis, du 11 octobre 2013 au 9 février 2014 Programme complet sur www.culture-alsace.org Une exposition collective des 23 Frac aux Abattoirs – FRAC Midi-Pyrénées de Toulouse, du 28 septembre 2013 au 5 janvier 2014 www.frac-platform.com

Lire son interview dans Poly n°134 ou sur www.poly.fr

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Né en 1941, cet historien de l’art français a été Conservateur en chef, Directeur général des Musées de Strasbourg (1986-1993), Directeur de l’Institut d’Histoire de l’art à l'Université Marc Bloch de Strasbourg (1993-2001) et occupe depuis 2001 la Chaire d’Histoire de l'Art européen médiéval et moderne au Collège de France

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Quelles sont les missions des Fonds régionaux d’art contemporain ? Ils ont trois missions : soutenir et promouvoir l’art contemporain qui englobe ce que l’on appelle traditionnellement les arts plastiques mais aussi les arts visuels (photographie, vidéo et certains aspects du cinéma), sachant que les champs sont de plus en plus poreux. La promotion consiste en l’achat d’œuvres, la constitution d’une collection et la réalisation d’expositions au Frac ou à l’extérieur qui participent du parcours des artistes, mais aussi aider ces derniers par le biais des outils de l’édition. La diffusion de l’art contemporain est notre seconde mission. La collection du Frac est nomade, sort de ses réserves pour aller au-devant de publics ayant moins d’habitudes culturelles. Nos collections vont dans des zones où les équipements culturels sont moins implantés. Les publics sont scolaires, associatifs, culturels mais aussi celui des hôpitaux, des prisons… la troisième mission est celle de la sensibilisation : accompagner chaque œuvre d’un ensemble d’outils pédagogiques, didactiques ou autres. Une grande variété a vu le jour depuis 30 ans et aide les publics à mieux comprendre les enjeux formels de sens des pièces présentées. Comment ont évolué vos politiques d’acquisition et d’exposition ces trente dernières années ? La politique d’acquisition s’est affinée parce qu’à la création des Frac, il y avait un champ entier à investir. Nous commencions une collection avec toutes les questions qui vont avec : quels axes choisir ? Par quoi débuter ? Le terme de fonds, par sa nature même implique une hétérogénéité. On parle beaucoup de collection aujourd’hui, ce qui sous-tend qu’il y a des épines dorsales plus affirmées qu’au début. L’évolution est là, caractérisée par le passage du fonds à un ensemble

ressemblant plus à une collection avec des axes thématiques et des lignes de lectures forts. Mais si l’on prend du recul, l’ensemble demeure très ouvert et riche, tout comme il peut être reformulé à l’envi. La seconde évolution a été la conscience de devoir structurer cet ensemble par des lignes spécifiques : en Alsace, nous sommes sensibles aux scènes suisses et allemandes, nous avons beaucoup interrogé la notion de paysage, du territoire, ainsi que, ces dernières années, les questions du sujet et de l’identité. C’est une façon d’acquérir des œuvres en complémentarité les unes par rapport aux autres. Après, nous restons très ouverts sur la question des médiums et des supports : peinture, sculpture, vidéo, son, dessin, photo… Pour fêter cet anniversaire, vous organisez un Elsass Tour. En quoi consiste-t-il ? Il y a deux volets dans le projet régional de diffusion des œuvres du Frac : l’Elsass Tour et Pièces montrées. Le premier est une diffusion territoriale du Nord au Sud de la région, dans les vallées transversales des Vosges, avec près de 35 expositions qui s’échelonnent de novembre 2012 à fin 2013. Ces projets réunissent des partenaires scolaires, des lieux variés (bibliothèques…) ainsi que des musées. Ce sont des partenariats dans lesquels nous amenons des savoir-faire, un professionnalisme, une conscience de l’exposition et une connaissance des œuvres. En retour, nous demandons à nos partenaires de s’impliquer dans le choix des œuvres, la médiation et le rapport au public. Le second, Pièces montrées, est une exposition qui débutera en octobre 2013 dans quatre musées, visant à donner à notre collection une reconnaissance muséale qu’elle n’a pas encore : le Musée historique de la Ville de Haguenau, le Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, le Frac Alsace et la Fondation Fernet-Branca à Saint-Louis. Pour le com-


 Pistoletto, Saïda, 2006

 Walid Jumblat, Mokhtara, 2005

Photographies tirées de la série Expired, ensemble dissociable de six photographies noir et blanc, 6 x (50 x 50 cm). Collection Frac Alsace © Ziad Antar

missariat de ces expositions simultanées, ont été associés les équipes des lieux, mais aussi un artiste invité, Raphaël Zarka1 et un commissaire honorifique : Roland Recht2. Un anniversaire est un regard vers le parcours accompli, mais aussi vers l’avenir. Que souhaitez-vous au Frac Alsace ? Que nous continuions à rester sur une dimension prospective, que celle de recherche artistique et d’expérience soient maintenues, ce qui n’est pas toujours évident. C’est un champ de recherche et il est important qu’il soit toujours considéré comme cela et pas instrumentalisé par la consommation quotidienne. Outre ce rapport à l’art, le Frac est aussi un outil culturel qui doit trouver la traduction de cette recherche par rapport à des contextes politiques, sociaux et territoriaux.

 Burj Khalifa II, 2011

Ziad Antar « Ce qui se passe au Liban est le révélateur de beaucoup d’événements du Moyen-Orient. Dans ce pays des situations locales complexes entravent la création artistique et en même temps on y trouve un très haut niveau d’enseignement, une diaspora qui essaime dans le monde entier. Paradoxalement, les artistes sont au fait des mouvements de pensée et des enjeux artistiques internationaux. Ils revendiquent leur appartenance et traitent du local – la question de la guerre – avec le danger de devenir anecdotique. Ziad Antar est un de ces jeunes artistes qui a travaillé avec du papier trouvé dans le studio de Hachem Al Madani, un artiste important de Beyrouth qui a photographié un nombre de gens assez incroyable. On a retrouvé ainsi un fond colossal de portraits de la société libanaise sur 20 ans. Ziad a fait des photos sur du papier périmé d’Al Madani, donc sans savoir ce que ça allait vraiment donner. D’où ces images pleines de “bruit”, de personnalités ou de lieux emblématiques de la guerre gardés en l’état pour la mémoire : l’artiste Pistoletto, l’homme politique Walid Jumblat, l’Hotel Saint-Georges, là où a commencé la guerre… Il y a donc un rapport fort dans l’utilisation du médium mais aussi une volonté de dialogue avec le lieu et l’histoire. »

Nouvelle bâtisse au Frac Franche-Comté Dans leur tout nouvel écrin de la Cité des Arts de Besançon (regroupant le conservatoire de musique et le Frac, inauguration les 6 et 7 avril), réalisé par Kengo Kuma au pied de la Citadelle Vauban et le long du Doubs, le Frac Franche-Comté démarre de la plus belle des manières sa troisième décennie. Pour l’occasion, l’exposition Tacet regroupera, au Musée des BeauxArts de Dole du 22 juin au 8 septembre 2013, des œuvres de la collection choisies par Francis Baudevin. www.frac-franche-comte.fr  Cité des arts, Besançon - Kengo Kuma & Associates / Archidev © Nicolas Waltefaugle

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Les 30 ans au Frac Lorraine En parallèle de Frac Forever (près de 200 œuvres de sa collection photographique, voir ci-dessus, exposées au Centre Pompidou-Metz, jusqu’au 25 février), le Frac Lorraine invite deux créatrices, la polonaise Monika Grzymala et la chilienne Cecilia Vicuña, à réaliser des installations immersives et sensorielles, de mars à juin 2013.

 Sans titre (Je veux dire qu’il pourrait très bien exister, théoriquement, au milieu de cette table[…]), 2008 Installation, billard, plafonnier, matériaux divers, 200 x 400 x 180 cm. Œuvre unique, Collection Frac Alsace. Photo © Stéphane Thidet

www.fraclorraine.org www.centrepompidou-metz.fr

Stéphane Thidet « C’est un jeune artiste dont nous avons acquis l’œuvre en 2011, une installation où il faut penser la salle, la moquette, la lumière et l’objet au milieu. Il crée un rapport poétique et réaliste avec cette table de billard dont le tapis est animé d’un paysage fantastique et organique qui croitrait vers la lumière. Quelque chose de sensible qui est magnifique. » 20

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Installation de 11 photographies et d'une sculpture sur socle. Avec des photographies de : Eric Antoine, Loïc Benoit, Sébastion Charlot, Guillaume Langlois, Dominic Marley, Bertrand Trichet, Marcel Veldman, Alexis Zavialoff. Collection Frac Alsace © Raphaël Zarka

Raphaël Zarka « Je n’ai pas choisi une seule œuvre mais plusieurs parce que c’est un volet de la collection du Frac, quelqu’un que nous accompagnons sur le long terme, dans un suivi proche, allant même jusqu’à l’inviter à venir travailler avec moi sur Pièces montrées. Il ne se positionne pas sur une innovation perpétuelle mais va plutôt repérer comment les formes dans la culture occidentale et l’histoire de l’art se sont créées avant de disparaître et de ressurgir. Nous les rechargeons de sens en les lisant différemment alors que ce sont toujours les mêmes formes, souvent géométriques. D’où son travail sur les skateurs investissant des œuvres dans l’espace public. »

David Claerbout « Section of a happy moment fait partie des œuvres majeures acquises récemment. C’est un artiste international qui produit un travail vidéo absolument incroyable. En l’occurrence, voilà un film réalisé par le montage de plus de 3 000 photos, prises dans un grand ensemble immobilier. Cette même scène d’une famille jouant au ballon est immortalisée de 3 000 points de vue différents, assemblés les uns derrière les autres. Techniquement c’est une prouesse interrogeant l’image, mais aussi la photo et la vidéo. Cette œuvre propose aussi un commentaire sur la place de l’individu dans les grands ensembles constituant une situation urbaine en Chine. De plus, elle est dotée d’une très grande poésie des mouvements faits de gros plans et d’autres très larges qui emportent tous ceux qui la regardent. »

 Sections of a Happy Moment, 2007 Projection vidéo noir et blanc sonore (4/3). Durée : 26'. Collection Frac Alsace. Captures vidéos © David Claerbout & Bick Productions

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dossier

 Riding Modern Art, une collection photographique autour de Spatial Composition 3 (1928) de Katarzyna Kobro, 2007.


ASSOCIATION

laissez parler les p’tits papiers En cette fin d’année, les “squatteuses” de l’imprimerie Papier Gâchette, après avoir été expulsées de la route des Romains, se sont retrouvées au cœur d’une vive polémique. L’occasion de mettre en lumière leur activité. Et de questionner la place des cultures alternatives dans la cité. Par Emmanuel Dosda Illustration de Pauline Poisson / Papier Gâchette

Les ouvrages édités par Papier Gâchette sont disponibles aux librairies Quai des Brumes et Kléber (MAMCS) à Strasbourg www.papiergachette.blogspot.fr

Papier Gâchette participe au festival Central Vapeur (voir page 47), du 3 au 16 décembre www.centralvapeur.org

L’Espace européen Gutenberg a pour objectif de créer un Conservatoire des Métiers d’Art graphique http://espace-gutenberg.fr

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Le délégué à la vie étudiante a notamment été « sollicité afin d’améliorer la situation » du squat Mimir, « devenu un squat légalisé autour d’un projet culturel et social ». Une convention d’occupation a ainsi été signée entre la collectivité et les habitants www.maison-mimir.com

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ous rencontrons Marie, Emmanuelle et Pauline une vingtaine de jours après leur expulsion du 2 route des Romains à Strasbourg / Koenigshoffen. Sereines, elles ont réaménagé au 8 rue du Rempart (entre le Bastion et la Semencerie) dans un bâtiment appartenant à la CUS. Au milieu de « sept tonnes de matériel », les plasticiennes évoquent leurs (més)aventures. Typographie, sérigraphie ou gravure… créée en 2009, l’imprimerie associative est spécialisée en éditions limités. Sensibles au travail artisanal et « allergiques à l’informatique », les trois filles accumulent du matériel d’imprimerie old school, notamment auprès de l’Espace européen Gutenberg1. Seules ou en compagnie d’autres auteurs, elles éditent des ouvrages de divers formats : un conte géorgien, une nouvelle russe, un recueil traitant de botanique ou encore un texte illustré de Pierre Louÿs. Papier Gâchette prête également son matériel pour la réalisation d’affiches, de pochettes de disque ou de fanzines et propose des interventions dans des festivals ou auprès du jeune public. « La notion de transmission est importante » pour celles qui ont été chassées avec perte et fracas du squat des Romains où elles œuvraient depuis six ans aux côtés d’autres “locataires”… La CUS, souhaitant libérer le bâtiment occupé pour y bâtir de nouvelles constructions, voulait reloger le trio dans l’ancien centre de tri postal lui appartenant à Schiltigheim, bâtiment en cours de réhabilitation. Sauf que le Maire de la cité brassicole n’a pas vu les choses du même œil, refusant caté-

goriquement que des « zones de non-droit » s’installent dans sa ville. Raphaël Nisand « assume cette décision. Autour de Papier Gâchette gravitent toutes sortes de gens plus ou moins recommandables. Personne ne peut me garantir de ce que ces squatters vont faire de l’endroit. » Selon lui, Strasbourg a « essayé, sans concertation avec Schiltigheim, de se débarrasser du problème. » Papier Gâchette : une patate chaude qu’on tente de se refiler de quartier en quartier ? « Au contraire, il faut être fier d’avoir une association comme celle-ci à Strasbourg », s’insurge Paul Meyer, conseiller municipal s’étant (sans être l’élu en charge du dossier) très largement exprimé sur le sujet qui l’intéresse particulièrement2. « Comment être une grande ville européenne sans laisser de l’espace aux cultures alternatives ? Je me battrai pour que, dans le prochain mandat, il y ait un nouvel axe concernant le développement de ces cultures à Strasbourg ! » Paul Meyer s’est vivement attaqué au Maire de Schiltigheim qui, selon lui, « commet une grave erreur politique en rejetant des artistes qui auraient dynamisé sa ville, tous frais payés par la CUS. » Pour l’heure, Papier Gâchette regrette surtout de s’être fait « éjecter de cette manière », en compagnie de ses camarades. « Nous nous sentons parfaitement à notre place rue du Rempart, en face d’un campement Rom et à proximité d’un centre d’accueil de SDF », balancent les filles en déballant leurs cartons pleins à craquer.


BISCHWILLER HAGUENAU NIEDERBRONN-LES-BAINS REICHSHOFFEN SAVERNE SOULTZ-SOUS-FORÊTS WISSEMBOURG

www.scenes-du-nord.fr

15 26 VIDÉO CHANT THÉÂTRE MUSIQUE MAGIE NOUVELLE MENTALISME

JANVIER 2013


COOPératif Intrusion au centre névralgique de la Coop, au Port du Rhin, nouveau lieu investi par le festival Ososphère qui offre un dialogue entre cultures électroniques et patrimoine industriel.

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FESTIVAL

Par Emmanuel Dosda Photos de Stéphane Louis pour Poly

L’Ososphère, du 7 au 16 décembre au 1 rue de La Coopérative au Port du Rhin à Strasbourg (à 5 mn à pied de l’arrêt de tram Place d’Islande) + 2 nuits de concerts électroniques, les 14 et 15 décembre, au même endroit + des croisières sonores sur les canaux de l’Ill, du 12 au 16 décembre 03 88 237 237 www.ososphere.org

* Tremblement de mer “Mutation”, mercredi 12 décembre à 15h, samedi 15 et dimanche 16 décembre de 16h à 18h

«L’

entreprise qui accueille le festival a bien compris que nous n’étions pas insensibles à son histoire et que nous n’allions pas “pirater” le lieu. Il ne sera ni effacé, ni travesti », insiste Thierry Danet, directeur d’une manifestation instaurant un échange entre la musique électronique, les installations plastiques et l’espace industriel fantastique. Au risque d’éclipser les propositions artistiques par le contexte ? « Évidemment, nous ne sommes pas dans un cube blanc. C’était déjà le cas à L’Aubette et à l’Entrepôt Seegmuller et les artistes ne se laisseront pas “bouffer” par le cadre qui n’est pas qu’un simple décor. Ils proposeront une expérience globale, un travail coopératif. » À quelques semaines de l’événement, nous parcourons le site, visualisant l’emplacement des deux Magic Mirrors – chapiteaux “à l’ancienne“ où auront lieu une partie des sets de DJs (Étienne de Crécy, Kode9, Kavinsky…) et lives d’électroniciens (Breakbot, Gramatik…) – puis pénétrant dans un bâtiment jouxtant le siège social de la Coop, longé par une voie ferrée. Sur les différents niveaux de cet édifice de béton (aujourd’hui vacant mais remis aux normes de sécurité pour l’occasion), prendront place un dancefloor (avec notamment l’écurie techno allemande Kompakt), des interventions d’artistes (sur trois niveaux) et un café-conversatoire (pour des discussions autour d’un verre, dans l’ancienne “Siroterie”).

Au long du « parcours artistique in situ » en ce lieu remarquable où étaient mis en bouteille des produits estampillés Coop, nous croiserons des plasticiens fidèles au festival : GroupeDunes, Cyprien Quairiat, Cécile Babiole ou le collectif LAb[au], lequel investit, avec Binary Waves, un espace ouvert sur l’extérieur par une large baie vitrée. Cette installation est composée de grands panneaux animés par des leds réagissant aux flux environnants et évoquant étrangement le monumental tableau de bord que l’on retrouve plus loin. Dans l’espace en question était gérée, par un gigantissime ordinateur, l’arrivée des containers de vin, stockés puis embouteillés. « Bienvenue dans la salle des machines de la ville », rigole Thierry Danet, présentant cet endroit improbable, sorte de tour de contrôle évoquant James Bond ou Star Wars. Un vrai faux décor de fiction où gisent, bien réels, des stylos ou documents divers, abandonnés là, comme si les occupants avaient pris la fuite. Un cadre rétro-futuriste idéal au Tremblement de mer* de Jean-François Laporte qui fera vibrer l’architecture durant son installation / performance nécessitant de lourdes plaques métalliques. « Ce lieu a encore des choses à dire », claironne le directeur d’un festival qui lui donne la parole.

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THÉÂTRE

embarquement immédiat Invitation à un voyage immobile, la dernière création du Théâtre Dromesko est un enchantement visuel où s’entremêlent danse et acrobaties. Sur ce Quai des oubliés, on rêve d’un ailleurs meilleur pour découvrir que le bonheur est ici.

Par Dorothée Lachmann Photo de Christian Berthelot

À Colmar, à la Comédie de l’Est, du 18 au 20 décembre 03 89 24 31 78 www.comedie-est.com www.dromesko.net

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V

oilà un paquet de décennies, Igor jetait les bases d’une nouvelle forme de spectacle, qui ne ressemblait à rien de connu, un mélange un peu bordélique de cirque, de théâtre, de musique tzigane, le tout dans une joyeuse ambiance de bistrot. C’était le cirque Aligre. Puis il rencontra Bartabas et ensemble, ils fondèrent le théâtre équestre Zingaro. Une bonne engueulade plus tard, Igor créait le Théâtre Dromesko, avec sa femme Lily. Vingt ans que dure l’aventure, qu’ils promènent leurs animaux et leurs structures itinérantes – chapiteaux ou baraques – sur les routes d’Europe. Sous la coupole transparente de la Volière, première étape de ce périple en 1990, plus de 200 oiseaux réinventaient un monde, autour d’artistes venus de tous horizons. Depuis, une cocasse ménagerie les suit, de spectacle en spectacle. Et les belles histoires d’amitié glanées en chemin

laissent leurs traces : marionnettistes, magiciens, danseurs ajoutent à chaque étape leur propre étincelle aux créations follement originales du duo. Si l’art Dromesko est d’abord un état d’esprit, il place les amis et la musique au centre de toute inspiration. Pour Quai des oubliés, le dernier né, Igor retrouve le violoncelliste Revaz Matchabeli qui fait naître sous son archet la toile de fond d’un théâtre dansé. Pas de “prestation animalesque” cette fois, mais des corps qui s’expriment sous la houlette de la chorégraphe espagnole Violeta Todo-Gonzales. Danseurs, acrobates et contorsionnistes, les quatre interprètes racontent sans paroles – à peine quelques onomatopées – une histoire burlesque qui dit bien des choses sans avoir l’air d’y toucher. « Mon travail, c’est une peinture impressionniste. J’utilise la matière réaliste de la vie qui s’échappe dans toutes les directions pour révéler sa poésie », raconte-t-il. Sur le quai, quatre personnages attendent. « Ils n’ont rien à voir les uns avec les autres, pourtant ils regardent tous vers le même endroit. » L’horizon, l’arrivée d’un train. Mais les convois passent, grondent, filent sous leurs yeux, et jamais ne s’arrêtent. Désœuvrés, dépités, ces voyageurs condamnés à rester sur place se mettent peu à peu en mouvement, se découvrent, se rencontrent dans des figures improbables, en déséquilibre. « Finalement, ils s’aperçoivent qu’ils n’ont pas besoin d’aller plus loin, qu’ils sont très bien là où ils sont. La valse des trains ne les concerne plus », explique le metteur en scène. Les tableaux se succèdent dans une fresque pleine de malice et de poésie, où l’on pense souvent à Jacques Tati. Il faut parfois rater son train pour faire un joli voyage.


je, tu, il… Avec sa compagnie Le Talon Rouge, Catherine Javaloyès conjugue le théâtre au plus-que-présent, privilégiant les écritures contemporaines expérimentales. Dans Grammaire des mammifères, elle transforme la scène en laboratoire pour observer au microscope cet étrange animal qu’est l’humain.

Par Dorothée Lachmann Photo de Xavier Martayan

À Strasbourg, au Taps Gare, du 6 au 9 décembre 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu À Saverne, à l’Espace Rohan, mardi 5 février 03 88 01 80 40 www.espace-rohan.org À Erstein, au Relais culturel, jeudi 7 février 03 90 29 07 10 www.ville-erstein.fr

S

i l’on se fie au dictionnaire, la grammaire est généralement un « ensemble de règles ». Pour William Pellier, l’auteur de Grammaire des mammifères (2005), il s’agit plutôt d’une « mise à plat d’un système », celui dans lequel évolue l’homme d’aujourd’hui. « C’est un mode d’emploi pour essayer de savoir ce qui reste d’humain dans ces mammifères-là », complète la metteuse en scène strasbourgeoise Catherine Javaloyès. Composé de fragments d’histoires qui s’enchevêtrent, sans personnages mais avec des protagonistes numérotés, ce texte offre une forme théâtrale insolite. William Pellier, lui-même comédien, conseille d’ailleurs les coupes : chaque création est ainsi singulière, laissant au metteur en scène une liberté totale dans le choix de la matière sémantique. « Je me sens comme une couturière : je coupe, je recoupe, puis je rajoute avant d’enlever encore un morceau puis finalement d’en associer un autre. La mise en place du texte est un travail kaléidoscopique avec d’innombrables essais, je le fais toujours éprouver sur le plateau pour me rendre compte », confie Catherine Javaloyès. Le public assiste alors à une sorte de conférence donnée par quatre grammairiens qui font défiler différentes règles afin de com-

prendre l’homme. « On part du corps humain, des os, du masque, de la conscience, pour aller vers le corps social. La recherche se veut scientifique, mais au fur et à mesure, des règles nouvelles apparaissent, l’instinct et l’inconscient venant télescoper les premières. » Ces expériences et ce déraillement progressif se révèlent dans des codes de langage qui ne sont pas loin de ressembler à des formules mathématiques et autres combinaisons ésotériques. « Le texte est une partition que l’auteur donne à travailler, il y a des jeux sur les sonorités, sur le langage, des passages en choralité, des formes de discours hypnotique ou des plaidoiries. Il offre aussi des moments d’improvisation, pour laisser voir ce qu’il y a derrière le personnage, c’està-dire le comédien lui-même », explique la metteuse en scène. Dans une scénographie composée d’un cube modulable, où chaque détail a valeur de symbole, les quatre protagonistes portent la même perruque blonde et les mêmes lunettes, un costume gris identique qui pourrait aussi bien être un pelage animal. À l’image d’une société devenue « un troupeau où nous sommes tous interchangeables ». Un spectacle qui donne à voir, à ressentir, à questionner. Une quête de vérité dont la seule réponse reste un point d’interrogation. Poly 154 Décembre 12

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ART CONTEMPORAIN

les promesses de l'aubette Dans le cadre de l’exposition d’art contemporain transfrontalière Regionale 13 – coopération entre une quinzaine de pôles artistiques suisses, allemands et français – L’Aubette accueille les projets de jeunes artistes rappelant l’histoire de ce lieu strasbourgeois. Van Doesburg es-tu là ?

Par Emmanuel Dosda Photos de David Betzinger

À Strasbourg, à L’Aubette 1928 & à l’Artothèque (Médiathèque de Neudorf) jusqu’au 31 décembre Soirée performances à L’Aubette (avec Saskia Edens, Andrea Saemann…), vendredi 14 décembre à 18h www.accelerateurdeparticules.net www.musees.strasbourg.eu www.mediatheques-cus.fr

Regionale 13, jusqu’au 6 janvier 2013 dans divers lieux en Alsace (La Kunsthalle de Mulhouse, la FABRIKculture de Hégenheim…) en Suisse (Bâle) et en Allemagne (Fribourg) www.regionale.org

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A

ccélérateur de Particules, association qui porte le projet Regionale à Strasbourg, a sollicité la responsable de L’Aubette Camille Giertler pour habiter cet endroit mythique le temps d’une exposition placée sous la thématique des Jeunes Premiers. « Nous sommes partis de l’histoire perdue de L’Aubette », indique celle qui gère l’espace au décor géométrique créé par Theo Van Doesburg, Jean Arp et Sophie Taeuber. « On oublie très souvent que de 1928 à 1938, la salle a fonctionné comme un lieu de divertissement où était notamment diffusé du cinéma d’avant-garde. » Les œuvres choisies mettent en abyme la question du spectacle vivant, du chant, de la danse… conformément à l’axe programmatif actuel – hélas encore trop méconnu – du lieu, autour du son, de la danse, la performance et vidéo. « Nous avons voulu réactiver le principe de synthèse des arts, de croisement des disciplines. Comme nous ne pouvons rien accrocher aux murs de ce bâtiment classé, nous avons choisi des travaux “immatériels”. » Le volet arts visuels et graphiques de Régionale est néanmoins proposé à L’Artothèque. Les travaux “papiers” des cinq artistes (Gertrud Genhart, Maren Ruben…), oniriques et évanescents, sont

« d’une apparente légèreté, mais nourrissent un propos plus profond, avec une réflexion sur les femmes et la création », d’après Madeline Dupuy Belmedjahed, responsable de la structure. À L’Aubette, l’exposition se déploie sur tous les espaces. Dans l’escalier, l’installation sonore de Colin Champsaur « crée une chorégraphie projetée mentalement », selon Camille Giertler, à partir de bruits de pas rappelant les allers et venues en ce lieu, de 1928 à nos jours. Sur l’écran de la grande salle, sera diffusée l’œuvre très cinématographique (« une femme qui a un rapport particulier, d’affection et d’aliénation, avec son réfrigérateur ») de Selen States, faisant un clin d’œil au passé du cinédancing. Plus loin, l’artiste suisse Steven Schoch présente Contemplation II, dispositif circulaire, « dans la filiation de Bruce Nauman », composé de moniteurs équipés de caméras diffusant l’image du visiteur, au centre. Cette œuvre, questionnant « le rôle du spectateur, ici mis au premier plan », semble prendre au mot Van Doesburg qui voulait placer l’homme au cœur de la création.


de l’autre côté du miroir La Chine serait-elle devenue le Pays des Merveilles ? C’est en tout cas dans ce nouveau centre du monde que Fabrice Melquiot installe son Alice. À mille lieues de l’imagerie traditionnelle, il invente un poème visuel mis en acrobaties par le Nouveau Cirque national de Chine. Étourdissant ! Par Dorothée Lachmann Photos de Li Xiao Hui

À Sochaux, à la Mals, jeudi 13 décembre 0 805 710 700 www.mascenenationale.com

C

inéma, opéra, chanson, manga et jeux vidéo… L’histoire d’Alice a été mise à toutes les sauces depuis sa création par Lewis Carroll, en 1865. « Tout le monde la connaît et en possède au moins une représentation, une idée », estime Fabrice Melquiot. Et même si personne n’est vraiment capable de résumer ce conte complexe, « chacun en a une impression, une empreinte ». L’idée de l’auteur est donc « moins de raconter son histoire que de donner à voir l’Alice que nous partageons, au temps présent, presque hors du livre ». Pour cela, il fait un pari : celui de traduire en images vivantes les mystères et les jeux du langage labyrinthique de Lewis Carroll. Place au cirque pour visiter le Pays des Merveilles parce qu’il « sait concentrer, dans ses techniques, sa virtuosité magique, les mouvements d’une langue littéraire », explique le dramaturge, en quête des « chemins qui nous mènent d’une poétique à l’autre ». Mise en scène par Renaud Cohen, grand connaisseur de l’Empire du milieu, cette étonnante transposition du conte est portée à bout de bras par la troupe acrobatique de Tianjin. Car cette nouvelle Alice, après sa chute dans le terrier du Lapin blanc, se re-

trouve projetée dans une mégapole chinoise du XXIe siècle. Jungle urbaine, foule pressée, néons fluorescents, ambiance électrique, bars, discothèques, casinos… Le voyage initiatique de la fillette vers l’adolescence se fait par un dédale de rues et d’impasses peuplées de menaces et de tentations. « L’enfance ne se quitte pas sans blessures », glisse Fabrice Melquiot. En seize tableaux, les vingt-cinq artistes du Nouveau Cirque national de Chine racontent ce périple. Aucun des habitants du Pays des Merveilles ne manque à l’appel. Le Chat du Cheshire est là, perché au sommet d’un mât, et offre un spectaculaire numéro de contorsion. Le Roi et la Reine de Cœur apparaissent en chefs de bandes rivales, dans une street battle chorégraphiée façon West Side Story. Le Chapelier fou, le Loir et le Lièvre de Mars font figure de clochards célestes, qui sacrifient la cérémonie du thé pour jongler avec des bouteilles de bière sitôt leur contenu avalé. Numéros de grande illusion et de transformisme, ombres, acrobaties, tissu aérien, échelles : toute la tradition du cirque chinois est ici au service d’une écriture contemporaine, de quoi composer un spectacle inclassable et résolument féerique.

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filantes étoiles David Bobee VS William Shakespeare, Round 2. À la morgue humide de son Hamlet de 2010 répondent la chaleur et la sensualité du décor de Roméo et Juliette, nouvelle création pleine de fulgurants échos à l’actualité.

Par Irina Schrag Photo de Groupe Rictus

À Mulhouse, à La Filature, du 19 au 21 décembre 03 89 36 28 28 www.lafilature.org À Belfort, au Granit, jeudi 31 janvier et vendredi 1er février 03 84 58 67 67 www.legranit.org À Forbach, au Carreau, mardi 26 et mercredi 27 mars 03 87 84 64 34 www.carreau-forbach.com www.rictus-davidbobee.net

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e leader de la compagnie Rictus, étoile montante de la scène hexagonale s’est, comme pour sa précédente pièce, tourné vers Pascal Collin pour établir une nouvelle traduction du drame shakespearien et ainsi retrouver « l’impact » de sa langue. « Roméo et Juliette est une sorte de creuset bouillonnant de paroles et de corps, chauffés à blanc, où la guerre n’est pas seulement celle entre les Capulet et les Montaigu, mais entre le discours normé de l’arbitraire et la révolution poétique des sentiments », analyse le traducteur. « À travers le langage des amants, jusque dans son maniérisme, le désir fou de l’individu ne peut désormais se formuler sans le respect indiscutable dû au désir de l’autre. » Au sein d’une scénographie toute métallique et cuivrée, sorte de temple illuminé de torches, la troupe d’acrobatesdanseurs-comédiens se tient « entre le drame élisabéthain, le conte oriental et la tragédie contemporaine ». Ils nous emportent dans l’âpreté de l’archaïsme vendettal bafoué par la sublimation de l’être aimé, où la loi des pères est renvoyée à la barbarie.

Entre les braises des sentiments et le feu du carnage, David Bobee offre un brasier de corps échaudés dans une chorégraphie moderne célébrant la force du texte de Shakespeare et ses liens avec le monde d’aujourd’hui : les mariages forcés, la violence de la haine entre bandes rivales dans les quartiers difficiles sur fond de crise des banlieues. « En cinq jours seulement, les Capulet et les Montaigu vont s’entretuer », confie le metteur en scène. « Et, à travers Roméo et Juliette qu’au début tout devrait opposer, ils vont se rencontrer, s’aimer, se déclarer, se marier, faire l’amour, se faire expulser, feindre (ou non) le suicide, “ressusciter”, se resuicider... Cette pièce a l’incroyable chronologie d’une course à bout de souffle pour rattraper le temps. » Avec sa poésie visuelle des corps en mouvements consumés par les passions et l’influence cinématographique de son travail, Bobee sert un écrin à la volonté du dramaturge, décrite par Pascal Collin, « de voir s’affronter, dans le clos d’une société de superbe architecture et d’idéologie sclérosée, le fanatisme de la mort et la liberté du désir ». Vous avez dit d’actualité ?


Visuel Kathleen Rousset, graphisme Polo

TAPS SCALA DU MER. 16 AU SAM. 19 JAN. À 20H30

J’AI 20 ANS QU’EST-CE QUI M’ATTEND ? TEXTES D’AURÉLIE FILIPPETTI MAYLIS DE KERANGAL ARNAUD CATHRINE JOY SORMAN FRANÇOIS BÉGAUDEAU MISE EN SCÈNE CÉCILE BACKÈS CIE LES PIÉTONS DE LA PLACE DES FÊTES COMMERCY – CRÉATION 2012 www.taps.strasbourg.eu ou 03 88 34 10 36


EXPOSITION – PFORZHEIM

perles rares À Pforzheim, une exposition nous plonge dans l’univers des perles. Le Schmuckmuseum y dévoile tout un monde de luxe et de délicatesse qui transporte le visiteur au cœur d’une épopée de plusieurs siècles, de l’Antiquité à nos jours.

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Par Raphaël Zimmerman

La Perle dans l’histoire du bijou, à Pforzheim, au Schmuckmuseum, jusqu’au 27 janvier 2013 +49 7231 39 21 26 www.schmuckmuseumpforzheim.de Projection des Brodeuses d’Éléonore Faucher (en français), vendredi 18 janvier à 21h, lundi 21 et mercredi 23 à 19h, au cinéma municipal de Pforzheim Concert du Südwestdeutsches Kammerorchester Pforzheim intitulé Perles du romantisme avec des œuvres de Schubert et Mendelssohn, dimanche 20 janvier 2013 à 19h Légendes des photos 1. David Bielander, broche Perlsau, 2003 © Schmuckmuseum Pforzheim, photo de Rüdiger Flöter 2. G. Paulding Farnham pour Tiffany, broche Florida Palm, 1889 © Tiffany & Co. Archives

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u’est-ce qui fascine tant dans une perle ? La perfection sphérique de sa forme en premier lieu, mais aussi ses reflets irisés et la difficulté de se la procurer, puisqu’elle est la rare réaction de certains mollusques (principalement les huitres) à la présence d’un corps étranger. « Voilà notre domaine / C’est ici que le sort / Tous les ans nous ramène / Prêts à braver la mort / Sous la vague profonde / Plongeurs audacieux / À nous la perle blonde / Cachée à tous les yeux » chante ainsi le chœur, au tout début des Pêcheurs de perles, fameux opéra de Bizet. Dès la plus haute Antiquité, les perles évoquent le raffinement : dans le bassin méditerranéen on les décrivait avec une charmante expression, les larmes d’Aphrodite… De la délicatesse d’une croix byzantine ornée de perles à une paire de boucles d’oreilles seventies (de la maison Bulgari) portées par Elizabeth Taylor, en passant par un étrange chien des années 1560 où l’or se mêle à la nacre,

cette exposition montre la place centrale des perles dans l’art du bijou au fil des siècles et la variété de leur utilisation. Altière épure d’un pic à cheveux signé Cartier (1919), luxuriance d’une “rivière de perles” à cinq rangs de la même maison (1930), élégance d’une broche Florida Palm imaginée par Tiffany pour l’Exposition universelle de Paris de 1889 qui a la semblance d’une puissante vague d’émail, de diamants et de saphirs, complexes efflorescences Art nouveau d’une bague de Georges Le Turcq, royal diadème de René Lalique… L’exposition du Schmuckmuseum – qui présente aussi des œuvres signées de créateurs contemporains – est un fascinant parcours qui met la perle dans tous ses états. Notre pièce préférée ? Une broché pleine d’humour imaginée par David Bielander en 2003 et représentant un riant porcelet tout rose qui rappelle irrésistiblement le séduisant kitsch d’un Jeff Koons.


THÉÂTRE

le présent éternel Œuvre testamentaire de Robert Pinget, Théo ou le temps neuf est un texte intimiste et optimiste, une ode au pouvoir de la création. Entretien avec Jean Boillot, metteur en scène et directeur du NEST, Centre Dramatique National de Thionville-Lorraine.

Par Dorothée Lachmann Photo de Jean Boillot par Virginia Castro

À Thionville, au Théâtre, du 9 au 19 janvier 03 82 82 14 92 www.nest-theatre.fr

Vous évoquez Robert Pinget comme votre « amour de jeunesse ». Vingt ans après, que retenez-vous de cette rencontre ? J’ai découvert cet auteur grâce aux spectacles de Joël Jouanneau et en suis tombé amoureux d’une façon totale, comme un jeune homme peut l’être. Ma première mise en scène, en 1995, alors que j’étais encore au Conservatoire, était un de ses textes, Autour de Mortin. J’ai été séduit à la fois par l’oralité de son écriture, par sa grande inventivité verbale et poétique et par sa musicalité. Nous avons en commun d’avoir été musiciens tous les deux… Aujourd’hui, Pinget est devenu une “langue mineure”, alors qu’il fut le grand ami de Beckett, qu’il participa à l’aventure du Nouveau Roman, des Éditions de Minuit… Mais il est en train d’être redécouvert. Vous avez choisi de mettre en scène l’un des tout derniers textes de Robert Pinget, Théo ou le temps neuf, où l’on retrouve ce fameux Mortin… C’est en effet une variation autour de personnages que l’on rencontre d’un roman à l’autre. Ici, Mortin est un écrivain très âgé. Pour rédiger sa grande œuvre, celle qui lui garantira l’éternité, il décide, à l’image des alchimistes, de s’enfermer dans sa chambre et de n’en sortir qu’une fois le travail achevé.

Mortin entre alors dans un état second et, peu à peu, des voix surgissent. Ces voix, si présentes dans sa tête, deviennent des personnages réels, car au fond, ce qui existe et ce qui est vrai, c’est ce qu’on aime. Pinget évoque la puissance de la création et du rêve qui subjugue notre réalité et la rend vivable. Le comédien Philippe Lardaud est seul en scène. Par quel procédé incarne-t-il les différents personnages ? Je travaille beaucoup sur le théâtre sonique. La voix de l’acteur est traitée en direct par un sonographe compositeur, qui va générer d’autres voix, d’autres sons. Cette technique permet de créer différentes profondeurs de champ et de donner corps à l’inconscient. Parmi ces personnages, il y a le petit Théo. Que représente cet enfant ? Il est la muse de l’artiste. Grâce à la pureté de son cœur, il va réinventer un monde. Tous les deux ont de magnifiques dialogues, très simples mais essentiels, sur ce qu’est l’amitié, le temps, la littérature, la nature… Il s’agit d’un texte très optimiste, qui commence mal et finit bien. Mais le plus important, c’est la création du livre, la revanche sur le vieillissement. Cette grande œuvre qui va offrir à Mortin le “temps neuf”, le présent éternel.

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qui va à la chasse perd la vie Renaud Herbin, marionnettiste à la tête du TJP, construit un diptyque en créant Actéon, le second volet de Pygmalion miniature, basé sur les Métamorphoses d’Ovide. Confidences durant la création d’une fable initiatique qui finit mal, où l’humain se frotte au divin..

Par Emmanuel Dosda

À Strasbourg, au TJP (petite scène), du 11 au 19 janvier 03 88 35 70 10 www.tjp-strasbourg.com À Mulhouse, à la Filature, jeudi 4 et vendredi 5 avril 03 89 36 28 28 www.lafilature.org

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Voir Poly n° 147 ou sur www.poly.fr

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ygmalion miniature *, présenté l’an passé durant les Giboulées de la marionnette) raconte l’histoire d’un amour impossible entre un sculpteur / manipulateur et sa création qui passe « du minéral à la vie » selon l’artiste et directeur du TJP. Au cours de la création d’Actéon miniature, inspiré par ce récit mythologique « vieux de 2 000 ans » que sont les Métamorphoses, Renaud Herbin explique : « J’entreprends, au XXIe siècle, une réinterprétation de ce texte archaïque fondamental dont on ne connaît pas vraiment l’origine, avec les moyens d’aujourd’hui », annonce-t-il humblement, assis au bord de la scène, devant le décor rudimentaire. Pygmalion et Actéon sont deux solos – masculin et féminin – des formats courts, des

formes légères, se répondant tout en restant indépendants. Le rapport d’échelle – le corps interprète et le corps miniaturisé – est au centre du propos de ces spectacles traitant du lien entre les hommes et les dieux.

Dévoré par ses chiens

À la fin d’une partie de chasse entre amis, le jeune adulte Actéon se perd au fin fond de la forêt où il aperçoit Diane, dévêtue, qui se baigne dans un ruisseau. Furieuse, la déesse chasseresse transforme le pauvre bougre en cerf… qui prend la fuite et se fait déchiqueter par ses propres chiens. La transgression d’Actéon lui coûta cher ! À partir de cette épopée au synopsis relativement simple, Renaud Herbin tisse un spectacle d’une quarantaine


de minutes. « Je suis dans un principe d’écriture qui s’appuie sur la trame narrative, mais qui peut venir amplifier un moment, un détail, un regard… Il ne s’agit pas d’un récit linéaire. J’essaye par instants de rentrer dans la sensation d’un moment, de pénétrer dans la tête de Diane ou d’Actéon, de donner à voir un corps qui peut devenir paysage. » Passant de la narration à l’évocation, la pièce entreprend des changements de points de vue, offre des jeux de pistes et de regards. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les choses ne sont pas encore fixées, le temps de documentation, de recherche sur le terrain, est toujours en cours. Le marionnettiste – qui avait envie d’« aller plus loin que de regarder des émissions à la télé » – a participé à une battue, a écouté le brame du cerf et a questionné des chasseurs « pour savoir quelle quête ils mènent en passant des heures à traquer la bête. J’ai compris que la chasse permettait de se situer en tant qu’humain. Il ne s’agit pas d’une simple mise à mort, d’un désir de dominer la nature, de chercher des expressions de sa supériorité : le chasseur se mesure au monde sauvage, à l’univers des dieux. » Durant ses expéditions, Renaud Herbin s’est rendu à la lisière de la forêt, près d’une clairière, « un lieu théâtral, espace d’apparition » qu’il tentera de matérialiser sur scène, dans un jeu d’ombres et de lumières, « entre chien et loup ».

Promenons-nous dans les bois

Sur le plateau presque nu, nous remarquons des marionnettes à fils, une peau de bête suspendue dans laquelle le comédien / manipulateur va pouvoir se lover ou un cerf en tissu – à l’échelle 1 –, sorte de grosse poupée rembourrée représentant l’animal chassé et figurant celui que deviendra Actéon. Rempli de terre, son contenu va se déverser sur scène durant le spectacle. « Cette matière, qui n’est pas qu’un simple élément de décor, sortira du sac comme les entrailles de l’animal. » Il n’y aura sans doute pas de texte, de dialogue, mais le son, comme souvent dans les spectacles de Renaud Herbin, aura une place considérable. Morgan Daguenet part de sonorités concrètes qu’il enregistre, accumule et retravaille. Le musicien précise : « Ils peuvent accompagner le récit, accentuer une émotion, ou l’emmener ailleurs et proposer un décalage. Ils sont comme un nouveau personnage traversant la pièce. » Le spectateur va-il se perdre dans les méandres de cette forêt, ces sous-bois sinueux où les hommes, les divinités et la nature sauvage se rencontrent ? Où les êtres se métamorphosent et les rôles s’inversent ? Poly 154 Décembre 12

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CLASSIQUE

welcome in vienna Placés sous le signe de la famille Strauss et de Franz Lehár, les concerts de la Saint-Sylvestre et du Nouvel an de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg entraînent le public à Vienne. Valsons !

Par Hervé Lévy Photo de Felix Broede

À Strasbourg, au Palais de la musique et des congrès, lundi 31 décembre et mardi 1er janvier 03 69 06 37 06 www.philharmonique. strasbourg.eu

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our terminer l’année en beauté et / ou la débuter en fanfare, le directeur musical de l’OPS, Marko Letonja, a choisi de proposer une escapade viennoise dans la plus pure tradition des mythiques prestations des Wiener Philharmoniker. Il n’existe pas de plus beau symbole de la légèreté inspirée des valses que la famille Strauss… C’est pour cela que les œuvres de Johann (le fils) – dont sera no-

tamment donnée la fameuse Tritsch-Tratsch Polka et Unter Donner und Blitz qui clôturera la soirée dans une atmosphère tourbillonnante et enivrante – et Josef qui ouvrira le bal avec Sphärenklänge (Musique des sphères), une page pleine de délicatesse, forment le cœur de cette soirée. Sera notamment jouée la Kaiserwalzer (Valse de l’Empereur) de Johann Strauss fils, un des exemples les plus aboutis du genre. Tout aussi classique est la présence d’œuvres du maître de l’opérette qu’est Franz Lehár : de Giuditta – l’histoire de la femme d’un marchand qui abandonne son mari pour suivre un soldat et finit danseuse dans un night-club marocain – à La Veuve joyeuse, son plus grand succès. À côté de ces “tubes”, Marko Letonja a choisi de présenter des partitions moins connues signées de Franz Schrecker, dont il avait assuré, en octobre dernier, la création scénique française de l’opéra Der ferne Klang ou de Robert Stoltz qui fut surnommé “le roi de la mélodie” par Albert Einstein et dont les opérettes, un peu oubliées aujourd’hui, connurent un immense succès (Studentenulke, Die eiserne Jungfrau ou encore Das Busserlschloss). Cerise sur le gâteau, on pourra découvrir Grande vitesse, une pièce d’Émile Waldteufel, compositeur natif de Strasbourg mondialement célèbre pour sa Valse des patineurs qui fut appelé le “Strauss français”. Dans ces aventures musicales bondissantes et heureuses, l’Orchestre sera accompagné par la voix d’or de l’exquise soprano allemande Mojca Erdmann, une des stars de la galaxie lyrique dont le talent irradie les scènes du monde entier, du Metropolitan Opera de New York au Festspielhaus de Baden-Baden où elle y a notamment chanté Zerlina dans une version concertante de Don Giovanni de Mozart, en octobre 2011.

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Visuel Kathleen Rousset, graphisme Polo

GRAMMAIRE DES MAMMIFÈRES DE WILLIAM PELLIER, ÉDITIONS ESPACE 34 MISE EN SCÈNE CATHERINE JAVALOYÈS CIE LE TALON ROUGE STRASBOURG – CRÉATION 2012

TAPS GARE LAITERIE DU JEU. 6 AU SAM. 8 DÉC. À 20H30 DIM. 9 À 17H

03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu

Loustal

Media Création / D. Schoenig

Un itinéraire en bandes dessinées

Musée des Beaux-Arts 1 er déc. 2012 - 20 janv. 2013

tous les jours (sauf mardis et jours fériés) de 13h à 18h30

Entrée libre


PORTFOLIO

tricéphale par mathieu boisadan

www.boisadan.org

En résidence avec la galerie Le Duplex 10m2 www.duplex10m2.com

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2 Au Museum of Contemporary Art Republic of Sperska pour une exposition collective franco-allemande Art and it’s Context(s) en partenariat avec Apollonia www.apollonia-art-exchanges.com http://msurs.org

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ercredi 4 juillet 2012 à La Mandragore : « Je pars à Sarajevo en résidence pour une période de deux mois. Je vais y rejoindre Marianne Maric1. » Silence… « Super endroit pour passer l’été… Fais gaffe aux mines et durant les mariages, lorsqu’ils vident leurs chargeurs. » Pour moi, la Bosnie-Herzégovine, c’est un souvenir d’une résidence très enrichissante à Banja Luka2, l’autre capitale. Il est vrai que ce pays tricéphale (trois présidents, trois gouvernements, trois administrations) réserve toujours des surprises. Lorsque je séjournais en République Sperska, les Serbes me mettaient en garde contre ces fous d’Allah bosniaques de Sarajevo, tous en burka et prêts à t’égorger ! Cet été pourtant, la fashion tendance se déployait autour du très court et du très serré. Samedi 4 août à Baščaršija, quartier ancien de Sarajevo, discussion avec un ami : « De-

main, on part avec Marianne pour Prijedor, au milieu de la partie serbe du pays, pour la commémoration des camps de concentration serbes de Bosnie où de nombreux Bosniaques et Croates sont morts. » Notre ami répond : « N’y allez pas, c’est une question de vie ou de mort, les Serbes sont prêts à vous tuer et à violer vos enfants ! » Je n’ai pas d’enfants et je suis toujours en vie… La Bosnie, c’est souvent ça. Des citoyens de l’ex-Yougoslavie qui se sont séparés ethniquement et radicalisés pour se sauvegarder pendant, durant et après la guerre. Un pays où les bourreaux et les victimes se ressemblent et vivent toujours ensemble. Un pays ubuesque où la dérision et les moqueries en tous genres sur la guerre et sur la situation fusent constamment. Un pays où les préjugés ont, comme les habitants, la peau dure.


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inouïs du printemps de bourges

and the winner is… Dans chaque région, les différentes antennes du Printemps de Bourges sélectionnent des artistes qui auront peut-être la chance de se produire lors de l’édition du festival, du 23 au 28 avril. Avant les spot lights “printaniers”, les groupes doivent passer des auditions en public, devant un jury qui choisira, ou non, de les y envoyer. Voici notre palmarès, dans l’Est. Par Emmanuel Dosda.

iN Yr SHOES (rock français bricolo, Franche-Comté)

Télémaque (hip-hop fourre-tout, Lorraine)

iN Yr SHOES pratique un genre non formaté, qui « s’est affranchi des codes imposés par l’industrie musicale », dixit un groupe proposant de longs voyages musicaux entre rock, jazz et impro.

Du hip-hop sans barrières culturelles, sans chichi, ni clichés, imprégné de beats electro qui percutent. Les gros ego-trip, propres au genre sont bien présents… avec des thèmes comme « la détresse affective ».

Comment avez-vous débuté Au début, nous voulions être une sorte de groupe terroriste, jouer de la variété avec une batterie d’enfant, des amplis à pile et s’installer dans les files d’attente des festivals et des salles qui nous refusaient. De quoi parlent vos morceaux ? La fugue, par exemple, raconte de façon simple l’histoire du film Taking Off de Milos Forman, celle d’une adolescente de 15 ans qui fugue de chez ses parents, psychorigides new-yorkais… Quels sont les modèles d’iN Yr SHOES ? Si notre musique avait un modèle, ce serait Marilyn Monroe : belle et alcoolique. Vous sentez-vous bien dans vos shoes ? Citons Godard : « Mon pays, c’est l’imaginaire et j’ai le sentiment de vivre dans un pays occupé par des gens que l’imaginaire n’intéresse pas. » Qu’attendez-vous de votre sélection au Printemps de Bourges ? Une courte mise en lumière avant de retomber dans l’oubli et l’indifférence générale.

On songe à des gens comme James Delleck à l’écoute de Télémaque… Nous avons effectivement été influencé par toute une frange de hip-hop abstract français. Gravité Zéro, La Caution ou TTC nous ont permis de nous rendre compte qu’il était possible d’avoir un autre discours dans le rap, qu’on pouvait aborder des choses plus légères, parler de science-fiction, voire même d’amour. Quelle est la philosophie de Télémaque ? C’est quelqu’un qui ne comprend pas le monde qui l’entoure, les autres, les filles… Et ça va le mettre en colère… ou le rendre triste. Ça a quel goût, le Coca sans bulles ? Celui du Coca mais sans le pétillant qui rend la chose intéressante. Cette chanson parle des relations qu’on s’évertue a garder vivantes alors qu’elles sont déjà mortes… jusqu’au point où ça finit par faire mal. Qu’attendez-vous de votre sélection au Printemps de Bourges ? Que ça permette de porter notre projet au-delà des frontières de notre région.

Les auditions Franche-Comté, vendredi 7 décembre au Moloco de Montbéliard avec Catfish, Slide On Venus et Pihpoh www.lemoloco.com

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Auditions Lorraine / Luxembourg, jeudi 13 décembre à L’Autre Canal de Nancy avec Laura Cahen, Capture, Open Seas et Natas Loves You www.lautrecanalnancy.fr


© Hugo Genetier

Grand Kino (rock bigarré, Bourgogne)

D-Bangerz (hip-hop poivré, Alsace)

Rock, pop, hip-hop, world, musique traditionnelle… Grand Kino voit les choses en cinémascope. Comme ses amis musiciens au Canada, au Sénégal, en Afrique du Sud ou ailleurs, ils cherchent à aller « au bout de [leurs] convictions, de [leurs] envies, de [leur] art ».

Les D-Fenderz et les HeadBangerZ ont fusionné pour donner D-Bangerz, regroupement de MCs et producteurs passant le hip-hop dans un gros shaker après y avoir vidé le poivrier. Un rap plus fort que le Tabasco !

Auditions Bourgogne, jeudi 20 décembre au Silex d’Auxerre avec Black Balls, Toro Piscine, Jeremie Feels et O.R.A.N.G.E.B.U.D www.lesilex.fr

Comment décrire votre musique en un mot ? Ouverte. No limit. Nous sommes des potes qui faisons de la musique hybride et éclectique en allant toujours plus loin, sans se mettre de barrières. Et oui, épicée ! Et de plein de saveurs différentes. Qu’est-ce qui vous lie ? Le bordel, l’amitié, les blagues et les biches en parachute. Est-ce qu’on compose un morceau de D-Bangerz comme on fait la tambouille ? On mélange, on teste, on assaisonne, on goûte, on change la recette si besoin… Le but est de servir un bon plat digeste et copieux à nos convives. Qu’attendez-vous de votre sélection au Printemps de Bourges ? Partager, évoluer et faire le plus de scènes possible en s’exportant hors de l’Alsace. Auditions Alsace, samedi 8 décembre au Noumatrouff de Mulhouse avec Spiders Everywhere, Thomas Schoeffler Jr, 1984 et The Walk www.noumatrouff.fr

Où se situe votre style ? L’étiquette la plus précise serait “rock du monde”. Nos divers voyages et rencontres nous ont enseigné de nouvelles sonorités, de nouvelles influences et surtout de vraies envies d’amener toutes ces idées dans un seul et même projet artistique. Quels sont les modèles de Gran Kino ? Nous écoutons tant de choses différentes que nous pourrions ouvrir un magasin de disque ! Quelle est la philosophie de Gran Kino ? Depuis plusieurs années, nous allons jouer à l’étranger, en Europe, en Asie… Nous faisons en sorte de croiser d’autres artistes. Notre dernière tournée en Afrique du Sud n’a pas manqué à la règle : rencontres et sessions avec des rappeurs zoulous. Qu’attendez-vous de votre sélection au Printemps de Bourges ? D’être sélectionné ! C’est l’occasion de présenter notre spectacle à un nouveau public, dans une belle salle. Même si l’exercice – 5 titres en 30 minutes – est difficile…

www.reseau-printemps.com Poly 154 Décembre 12

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NEUVIÈME ART

atmosphère, atmosphère Avec Un Itinéraire en bandes dessinées, le Musée des Beaux-Arts de Mulhouse rend hommage au très chic Jacques de Loustal, un des plus étonnants voyageurs de la BD actuelle.

Elle court, elle court, la chanson, dessin pour La Vie, 2011

Par Hervé Lévy

À Mulhouse, au Musée des Beaux-Arts, jusqu’au 20 janvier (visites guidées avec JeanJacques Billing, collectionneur et commissaire de l’exposition, dimanches 16 décembre et 20 janvier à 15h) 03 89 33 78 11 www.musees-mulhouse.fr www.loustal.com

Dernier album paru Pigalle 62.27, Casterman – www.casterman.com

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Paru chez Alain Beaulet www.alainbeaulet.com

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3 Avec qui il a publié Les Amours insolentes (Casterman, 2010) qui montre « qu’il peut aussi y avoir un Loustal drôle »

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A

uteur prolixe avec des albums comme Cœurs de sable, Les Frères Adamov ou Barney et la note bleue1, peintre, élégant promeneur qui ramène de merveilleux carnets de voyages de ses pérégrinations, maître du fusain (on avait pu le découvrir à la strasbourgeoise Galerie Nicole Buck, il y a quelques années)… Jacques de Loustal est un créateur protéiforme, un dandy du trait dont « l’art transcende la définition traditionnelle de la bande dessinée » selon le commissaire de l’exposition, Jean-Jacques Billing. Il « trouve ainsi parfaitement sa place au musée. » Preuve en est donnée avec cet itinéraire thématique construit autour des principales sources vives irriguant la création de l’auteur (de l’Afrique aux États-Unis, en passant par la musique, le romantisme ou le roman noir) et rassemblant plus de 150 pièces, couvertures, planches originales issues d’opus majeurs, dessins d’illustration… Expressionnisme allemand des années 1920, peinture naïve mexicaine, œuvres de Hopper ou de Hockney, tentations fauvistes… À la

croisée de multiples influences, Loustal crée des atmosphères surprenantes qui lui sont propres, immédiatement reconnaissables, où la lenteur côtoie la nostalgie. Il propose au lecteur des espaces mentaux précieux invitant à la contemplation et à un voyage d’essence métaphysique. Giorgio De Chirico n’est pas loin. Même lorsque l’exotisme est palpable, presque gluant, comme dans un exquis mini portfolio de 1985, 80% d’humidité 2, il sait garder un aristocratique détachement, restituant, avec une immense sensibilité, l’atmosphère d’un lieu, mais aussi les états d’âme des personnages qu’il met en scène. « Il y a un Loustal crépusculaire et un Loustal solaire » affirme l’écrivain Tonino Benacquista3. Entre lumière crue du Miami des eighties écrasé par le soleil et roman noir du New York des années 1930, ambiances interlopes de la scène jazz et salsa cubaine qui réchauffe le cœur, cette belle exposition explore la diversité créatrice d’un auteur majeur qui a placé le voyage – géographique ou intérieur – au centre de ses préoccupations.



THÉÂTRE

confession d’un masque Avec Whistling Psyche de l’Irlandais Sebastian Barry, la metteuse en scène Julie Brochen explore les troubles identitaires de deux femmes bravant les codes sociaux de l’époque victorienne : le Dr. Barry, travestie toute sa vie en homme, et l’infirmière émérite Nightingale. Interview sur le mode « Qu’avez-vous appris… »

Par Thomas Flagel

À Strasbourg, au Théâtre national de Strasbourg, du 10 janvier au 2 février 03 88 24 88 24 – www.tns.fr Rencontre avec l’équipe artistique, samedi 26 janvier, à 11h à la Librairie Kléber

Qu’avez-vous appris du titre Whistling Psyche ? Beaucoup ! Il signifie En appelant Psyché, désignant le caniche du Dr. James Miranda Barry, le personnage principal qui aurait eu plusieurs de ces chiens auxquels il aurait donné le même nom. Nous avons découvert qu’Arthur Schopenhauer a eu une succession de caniches appelés Atma. Il pensait qu’il y avait dans chacun un seul et même principe de vie. Sebastian Barry devait en avoir connaissance. Lorsqu’on pense aux propos du philosophe sur la guerre et les femmes, ses comparaisons entre hommes et animaux, sa dernière action faisant de son caniche son seul héritier, on retrouve énormément de lui dans le personnage du Dr. Barry. … de la psyché ? Psyché est un miroir, l’endroit où l’on ne peut pas être et qui nous reflète de manière inversée. Qu’est-ce que l’inversion de soi ? Portons-nous, tous, les deux sexes en nous ? Le Dr. Barry est une femme qui a été un homme toute sa vie. L’auteur lui fait très mal vivre, en tant que spectre venant hanter les dernières heures de Nightingale, le fait que son secret ait été éventé après sa mort. Si Sebastian Barry a puisé chez Schopenhauer pour construire le Dr. Barry, celui-ci échappe à l’arbre généalogique de sa propre famille en devenant fictif et théâtral, allant du philosophe au personnage historique. … du Dr. James Miranda Stuart Barry (1795-1865) ? J’ignorais tout de cette femme-homme, précurseur en chirurgie qui est l’un des premiers à avoir pratiqué l’accouchement par césarienne. Elle me fait penser à George Sand ou à Louise Bourgeois qui ont révolutionné le milieu dans lequel elles étaient et fait avancer les mentalités. Le Dr. Barry a disparu dans les abysses de l’histoire et seul Sebastian Barry la

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réhabilite grâce au théâtre en cherchant dans l’incroyable famille dont il est issu la matière de ses histoires. … de Florence Nightingale (18201910) ? Nightingale a été décorée de la Croix de la Couronne britannique décernée par la Reine et a reçu la médaille de l’Ordre du mérite pour avoir, avec une poignée de femmes, affronté la Guerre de Crimée en apportant des soins à des hommes à l’agonie, avec des moyens dérisoires dans des conditions effroyables. Elle aurait pu être une jeune bourgeoise jouant du piano dans une maison de famille cossue en Angleterre, mais a choisi d’être infirmière de guerre, au nez et à la barbe de ses parents. Le Dr. Barry a cinquante ans de moins que Nightingale qu’elle vient hanter dans ce qui sera un couloir d’Hôpital, sorte de purgatoire inventé à la place de la gare Victorienne du texte original. L’une est infirmière britannique reconnue, l’autre, une irlandaise travestie en homme depuis ses 13 ans. Elle vit jusqu’à 70 ans dans les habits et la peau d’un homme, chose qu’elle a toujours caché, jusque dans son amour et sa “maternité”. … de cette pièce féministe ? Je crois que ce spectacle est mon premier spectacle féministe. Penthésilée était un monde d’hommes que j’avais féminisé pour le rendre encore plus cruel. Là, je me passionne pour ces femmes. Il m’intéresse de voir à quel point ça nous dérange encore alors que ces événements se sont passés à la fin du XVIIIe siècle. L’espace scénique sera un couloir avec des couches de tulle sur lesquelles Alexandre Gavras va projeter de la vidéo, ce qui est une grande première pour moi. Nous avons trouvé des images de 1872, avant les frères Lumière donc, qui sont terribles. La première opération divisant des sœurs siamoises où les médecins sont des bouchers !


16 mars 1915. Salle d'opération, Washington Asylum Hospital ▼

… de la poésie de Sebastian Barry, dont le flot sublime porte aux nues les sentiments comme les indignations, la beauté et le sordide des damnés de la terre des colonies ? J’aime son côté celte, très granitique, conférant de la matière à la parole qui est dense et parfois indigeste. Mais lorsque nous dépassons cela, nous atteignons ce moment d’écoute où la saturation nous rend disponible à notre propre mémoire qui vient cogner comme en écho avec ce qui se dit, créant une sorte de jeu de lumière diffractée. … des petites morts, personnelle (sa féminité) et réelle (un enfant mort-né, fruit d’une relation interdite) du Dr. Barry ? L’accouchement de ce petit garçon mort est, pour moi, central dans la pièce. C’est le secret que je veux percer chez le Dr. Barry. Elle a sauvé une petite fille par césarienne alors qu’elle-même a perdu un petit garçon. Dans ce jeu de psyché, la petite qu’elle sauve c’est celle qu’elle n’a pas pu être et le petit garçon, c’est elle-aussi : celui qu’elle n’a pas été car on ne peut pas vivre sa vie par procuration.

… de vous-même qui, en février 2011, déclariez avoir une « difficulté plus grande à diriger des actrices que des acteurs », là où vous en dirigez deux : Catherine Hiegel et Juliette PlumecocqMech ? Ce texte a ressurgi il y a peu, alors que ça fait plus de sept ans que je l’ai lu. Lorsque Catherine Hiegel m’a sollicitée, j’ai très rapidement repensé à Whistling Psyche car ce rôle du Dr. Barry lui va sur-mesure. Mais comme Juliette est plus jeune, Catherine m’a rappelé en me demandant si je ne voulais pas qu’elle joue Nightingale car Juliette, très androgyne, correspond bien à Barry. J’ai refusé mais ce côté interchangeable est devenu très intéressant pour moi. Une figure contamine l’autre, il n’y a peut-être qu’un seul personnage finalement, diffracté entre les deux… Je rajoute un rôle tenu par David Martins, infirmier des lieux. C’est la personne réelle de la pièce, de ce couloir d’hôpital psychiatrique avec une chambre centrale mortuaire qui est aussi celle de la naissance. J’avais besoin de transfigurer l’espace pour trouver de la folie, du délirium tremens, de l’inconscient, de la mémoire cassée…

Le flot sublime de la poésie de Barry porte aux nues la beauté et le sordide des damnés de la terre

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l’archet enchanté Entre classiques du répertoire et œuvres contemporaines, émotion et virtuosité, la violoniste star Hilary Hahn a concocté un programme plein de surprises à découvrir au Festspielhaus de BadenBaden et à la Philharmonie de Luxembourg.

Par Hervé Lévy Photo de Glenn Ross

À Baden-Baden, au Festspielhaus, samedi 5 janvier +49 7221 3013 101 www.festspielhaus.de À Luxembourg, à La Philharmonie, mercredi 9 janvier +352 26 32 26 32 www.philharmonie.lu www.hilaryhahn.com

1 Enregistrement réalisé avec la pianiste Valentina Lisitsa (Deutsche Grammophon, 2012) www.deutschegrammophon.com 2 Gravé avec le Swedish Radio Symphony Orchestra et Eiji Oue (Deutsche Grammophon, 2012)

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es études avec Jascha Brodsky – le dernier élève vivant d’Eugène Ysaÿe –, un premier concert à douze ans avec le Baltimore Symphony Orchestra, des choix discographiques payants avant notamment un récent et merveilleux opus dédié aux sonates de Charles Ives1… L’achet de la violoniste Hilary Hahn – un peu plus de trente ans – est un des plus intéressants de la scène musicale actuelle. Alliant fluidité et profondeur, elle a réussi à prouver que le Concerto n°1 de Paganini, considéré comme une pièce de virtuosité pure, n’était « pas que cela » dans un disque d’anthologie2. Ce n’était pas gagné… La musicienne américaine allie une impressionnante rigueur technique et une absolue musicalité, comme si le parfait mouvement de ses doigts retranscrivait directement ce qui se passe dans son âme et dans son cœur. Pour ces deux dates elle sera accompagnée par le pianiste Cory Smythe. Le programme ? Des pages de Bach – dont elle est une des meilleures interprètes aujourd’hui – Beetho-

ven ou Fauré. On entendra sa Sonate pour violon et piano n°1. Ce petit chef-d’œuvre était ainsi évoqué par Saint-Saëns (Journal de la Musique du 7 avril 1877) : « On trouve dans cette Sonate tout ce qui peut séduire, la nouveauté des formes, la recherche des modulations, des sonorités curieuses, l’emploi des rythmes les plus imprévus. Sur tout cela plane un charme qui enveloppe l’œuvre entière et fait accepter à la foule des auditeurs ordinaires, comme choses toutes naturelles, les hardiesses les plus imprévues. » Lumineuse et fraîche, l’œuvre irradie de joie, celle d’un compositeur amoureux qui vient de se fiancer avec Marianne Viardot, et les instruments semblent parfois lancés dans une fantastique sarabande lyrique et un dialogue enflammé. Facette plus étonnante de ce concert, on entendra des pages écrites pour la virtuose par des compositeurs contemporains, Franghiz Ali-Zadeh, Elliott Sharp, Antón García Abril ou encore Mason Bates. De charmantes pépites aux surprenantes sonorités.


un regard

Par Emmanuel Dosda

Exposition à La Chambre de Strasbourg, du 14 décembre au 3 mars 03 88 36 65 38 www.la-chambre.org

policiers au travail d’arnold odermatt Eins, zwei, Polizei ! Le policier debout sur le toit du van Volkswagen, véhicule fétiche des hippies, n’est pas dans une position très (baba) cool : il “immortalise”, de nuit, un accident de circulation avec l’aide de son complice qui flashe. La fumée s’échappant de sa lampe et la lumière produite confèrent à la scène une ambiance étrange. Vous avez dit bizarre ? Les corps humains ont totalement disparu, le cliché n’a aucune dimension dramatique… comme c’est le cas pour toutes les images de carambolages d’Arnold Odermatt,

photographe (autodidacte) pour la police suisse à partir du début des années 1950. Flics s’entraînant au tir en rang d’oignon, expertisant scrupuleusement des pièces à conviction ou rédigeant soigneusement des rapports, képi vissé sur la tête. Mais aussi automobiles accidentées, camions renversés et autres sorties de route : l’art (pas si brut que ça) d’Odermatt est très bien maîtrisé. Cet amateur passionné n’est-il qu’un simple “Facteur Cheval de la photographie” comme on a longtemps voulu le décrire ? Poly 154 Décembre 12

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central vapeur ateliers d’initiation à la sérigraphie. Point d’orgue du festival (illustré ci-dessus) : le dialogue entre le Strasbourgeois Étienne Chaize et l’Autrichien Nicolas Mahler. L’illustrateur outrancier et l’auteur de BD minimaliste font un étonnant ping-pong entre images réalisées à la tablette graphique et dessins faits, d’après Mahler, « à l’ancienne, avec un stylo, de l’encre et des feuilles de papier A4 ». Deux univers entrent en collision. Festival Central Vapeur, à Strasbourg, au Hall des Chars, mais aussi à La Chaufferie, au Star ou au Musée Tomi Ungerer, du 3 au 16 décembre www.centralvapeur.org Réponse de Nicolas Mahler à BubbleGhost BubbleGhost d’Étienne Chaize

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Illustration, BD, dessin, mais également musique (notamment avec les prestations d’artistes du label rock indé Born Bad)… la deuxième édition du festival Central Vapeur offre un parcours à travers Strasbourg, à La Chaufferie (l’exposition Cheval Vapeur, du 13 au décembre au 6 janvier), à l’Université (sur la porosité des frontières entre arts plastiques et BD, vendredi 7 décembre), à la librairie Quai des Brumes (rencontre, samedi 8, avec Léo Maret et Matthias Picard, voir chronique page 18), etc. Le Hall des Chars, le QG de la manifestation, accueille le Salon des indépendants (avec Icinori, Belles Illustrations, L’Employé du moi…) présentant des micro-éditions et autres créations à tirages limités ou des

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ART CONTEMPORAIN

nature sibylline Au CRAC Alsace se déploie une exposition au titre énigmatique. Née de l’imaginaire de la critique d’art américaine Joanna Fiduccia, Coquilles mécaniques illustre notre mauvaise connaissance des phénomènes de la nature qu’une quinzaine d’artistes tentent de “retranscrire”.

Par Charlotte Staub Lucas Blalock, Shramps and Peanuts, 2010 © Jennifer Batkevich

À Altkirch, au CRAC Alsace jusqu’au 13 janvier 03 89 08 82 59 www.cracalsace.com

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«L

orsque j’ai entendu pour la première fois la musique de Colon Nancarrow, j’ai immédiatement été frappée par son caractère extravagant et exaspérant. Puis j’ai lu le petit texte de Paul Valéry L’Homme et la coquille. J’ai été surprise de découvrir une sympathie entre les deux hommes » raconte Joanna Fiduccia pour expliquer la genèse de l’exposition. Ces deux univers, a priori éloignés, se font écho. Dans les années 1940, Nancarrow commence à écrire une série d’études pour piano mécanique, s’intéressant à leur capacité à jouer des partitions trop complexes pour l’homme. Chez Valéry, il est question de notre impuissance à saisir le processus naturel de la formation d’un coquillage. La commissaire a voulu faire entrer cela en résonance avec les travaux de dix-sept artistes européens et américains.

La visite démarre par Orion, installation de Spencer Finch reproduisant, à l’aide de boules lumineuses, une maquette de la fameuse constellation. L’orientation et la distance des “lampes-étoiles” sont fidèles à la réalité, mettant à notre portée, grâce à des objets du quotidien, l’immensité céleste. Même principe chez le Danois Simon Dybbroe-Møller qui s’attache à recréer une aurore boréale avec une chorégraphie. À l’étage, les œuvres de Carol Bove attirent naturellement le visiteur : ses deux tableaux témoignent de l’aura extraordinaire que possèdent des choses à l’apparence aussi répétitive et banale que des rangées de plumes de paon. Tauba Auerbach se montre virtuose : en entrant dans la salle, le visiteur croit distinguer deux simples dalles d’onyx. En s’approchant et en touchant, se dévoile toute la finesse du travail de l’Américaine. Bent Onyx est un livre sur lequel elle a fait imprimer les couches d’un bloc préalablement débité en lamelles. Chez Lucas Blalock, la frontière entre photographie analogique et numérique se distingue à peine. Dans la création de ses images, l’artiste américain accorde la même importance au déclencheur de l’obturateur qu’à la souris de son ordinateur. Dans Shramps and Peanuts et Untitled Study – deux clichés de cacahuètes et de crevettes séchées – tout est question d’illusion et de trompe l’œil. Blalock utilise les outils Photoshop et transforme une simple nature morte en un tableau complexe, absurde et complètement troublant. Toutes les œuvres sont irriguées par une thématique commune : l’idée que, malgré les progrès de la science et l’accès toujours plus large à l’information, l’Homme a toujours du mal à expliquer certaines manifestations naturelles. L’exposition tente de répondre à cette interrogation métaphysique par le biais de l’outil… mécanique.


un art riche Exposée au Kunstmuseum de Bâle, la collection Goetz est un des ensembles les plus riches au monde d’œuvres représentatives de l’Arte Povera. À la découverte d’une révolution artistique apparue en Italie, dans les sixties.

Par Hervé Lévy Photo de Wilfried Petzi, München (© ProLitteris, Zürich) de l'œuvre d'Alighiero Boetti, Mappa, 1988 Courtesy Sammlung Goetz

À Bâle, au Kunstmuseum, jusqu’au 3 février +41 61 206 62 62 www.kunstmuseumbasel.ch

L

’expression est née en 1967, à l’occasion d’une exposition à Gênes, sous la plume du critique Germano Celant qui transposait aux arts plastiques le concept de “théâtre pauvre” forgé par Jerzy Grotowski. Si les matériaux utilisés sont généralement élémentaires – terre, charbon, papier journal, bois, laine… – il est néanmoins impossible de réduire l’Arte Povera à cette seule caractéristique formelle. C’est avant tout une rupture avec l’académisme, un détachement vis-à-vis de la tradition qui caractérise des artistes aux modus operandi profondément hétérogènes sous-tendus notamment par une volonté de réduction du geste plastique, un refus de la hiérarchie entre les matériaux et un désir de dépasser les formes traditionnelles en s’inscrivant dans une dialectique entre nature et culture, anarchie et ordre. Voilà les quelques dénominateurs communs des pièces de Jannis Kounellis, Mario Merz ou encore Luciano Fabro. La centaine d’œuvres exposées représente la diversité de l’Arte Povera (et son influence jusque dans les années 1990). Parmi elles, remarquons les cartes du monde où les pays sont réduits à leur drapeaux nationaux d’Ali-

ghiero Boetti : tissées dans les années 1970 en Afghanistan, elles abolissent toute distinction entre art et artisanat. Comme nombre de ses complices, Michelangelo Pistoletto implique le spectateur dans le processus créatif : dans Donna sdraiata, il peint une femme alanguie et la colle sur un immense miroir, métamorphosant le visiteur du musée en élément indispensable à la finition du tableau, puisqu’il s’y reflète. De la mitraillette faite en vis, clous, pièces de bois… du bricolo boy de génie qu’est Pino Pascali à l’Italie pendue la “tête” en bas de Luciano Fabro – une réflexion sur les rapports Nord / Sud – se dégagent les contours d’une attitude commune face à l’art d’une grande rigueur à peine troublée par le comique involontaire d’une installation de Pier Paolo Calzolari, une nature morte en trois dimensions. Devant un monochrome bleu, il a installé un lit, sur lequel sont posées une rose rouge, une noix et une carafe où nage un poisson rouge. Las, les services vétérinaires du canton de Bâle ont interdit la présence de la bestiole. La carafe vide, le spectateur est invité à imaginer la présence d’un Carassius auratus auratus. La revanche de l’ordre helvète contre les trublions de l’Arte Povera ?

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DANSE

fausse piste Dans une cour d’immeuble multiethnique, chacun épie son voisin, replié sur lui. Mais tous vont se liguer contre l’arrivée d’une famille nombreuse chinoise… Tel est le point de départ de Bal en Chine, nouvelle création de Caterina Sagna clôturant sa résidence au long cours* à Pôle Sud.

Par Thomas Flagel Photos de Gérard Truffandier

À Strasbourg, à Pôle Sud, du 15 au 17 janvier 03 88 39 23 40 www.pole-sud.fr À Besançon, au Théâtre de l’Espace, mercredi 23 et jeudi 24 janvier 03 81 51 03 12 www.scenenationalede besancon.fr À Belfort, au Granit, lundi 8 avril dans le cadre du festival Y a d’l’Europe dans l’Aire (organisé avec MA scène nationale) 03 84 58 67 67 www.legranit.org www.caterina-carlottasagna.org

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Quel regard portez-vous sur votre résidence à Strasbourg ? Pôle Sud nous a donné l’occasion de ne pas simplement présenter notre travail comme nous le faisons sur de nombreuses scènes européennes, mais d’avoir la possibilité d’expérimenter de nouvelles formes de collaborations avec le public comme au sein de notre compagnie. Les ateliers que nous avons menés étaient pour chacun d’entre nous une nouveauté. Ce sont des choses rares car bien souvent, dans les demandes que nous recevons, les ateliers sont déjà préétablis. Nous avons eu, ici, une totale liberté pour expérimenter ce dont nous avions envie avec les gens qui le souhaitaient. Quelle est la genèse de ce titre, Bal en Chine, où l’on peut déceler un jeu de mot avec le célèbre chorégraphe russe George Balanchine ?

Ce titre résume très bien l’atmosphère et le sujet de la pièce. C’est une fausse piste : Bal en Chine ou Balanchine ? Qui n’ont rien à voir… Le spectacle est aussi construit à partir d’une fausse piste qui lui fera prendre une tout autre direction que celle attendue. On parle de la Chine, mais d’une Chine qui n’existe pas, sinon dans la tête des personnages et du public. Vous poursuivez des questionnements récurrents de votre travail (la peur, la différence) en confrontant cinq personnages à une invasion chinoise, prétexte à la dénonciation des « invasions récurrentes d’une invasion supposée » ? La pièce se passe dans un immeuble multiethnique de banlieue où il ne reste qu’une seule Française, qui s’en plaint beaucoup d’ailleurs. Les autres sont des immigrés. Son attitude, mélange de peur, notamment de la différence, est partagée par tous les personnages : deux Italiens, une Japonaise et un Allemand. Ils sont pleins de préjugés et les malentendus se multiplient tout comme les accusations, le tout avec beaucoup d’ironie pour qu’on ne se prenne pas trop au sérieux et que les choses ne deviennent trop lourdes. Le racisme que l’on peut percevoir résulte de la peur des personnages pour ce qu’ils ne connaissent pas. J’entends bien souvent les gens se plaindre à cause des autres, mais ils n’assument que rarement leurs propres peurs. Si les personnages s’accusent de leurs différences respectives, ils finissent par devenir solidaires pour attaquer une famille chinoise qui vient de louer un appartement au sous-sol. La raison de leur malaise devient cette famille louche, dont on ne sait pas très bien combien ils sont… Un écho à cette “invasion” des chinois qui est assez actuelle. Mais ils découvrent qu’il n’y


en a, en fait, jamais eu dans leur immeuble. Ils n’ont personne contre qui se retourner et sont totalement perdus, jusqu’à ce que l’un d’entre eux décide de combler ce vide en se transformant en petite chinoise pour le bien de tous ! On s’ouvre alors au rêve, à la possibilité de trouver le bonheur par l’imaginaire et un tas de clichés, pour construire un monde idéal chinois, avec ce que les personnages en connaissent : les dragons en plastique, le riz cantonnais, les magasins “Tout à 1 €”… Ce thème n’est pas arrivé par hasard : coup de gueule sur notre manière de nous inventer des ennemis, sur nos peurs de l’autre ? Les Chinois ne sont qu’un prétexte pour parler de cette responsabilité. Si les bases de la pièce sont politiques, le spectacle transforme ce sentiment. Même lorsque nous n’avons pas d’ennemis, il faut en trouver ! En Italie, il y a, depuis quelques années, une grande immigration chinoise. J’ai pu observer la peur de mes compatriotes, nés de l’ignorance. Ils décident que ce sont des ennemis, alors qu’ils n’en sont pas. C’est d’ailleurs un sentiment que l’on peut aussi retrouver en France, à une autre échelle. Malheureusement, ce sentiment se diffuse. Ce n’est pas seulement l’étranger qui fait peur, ou l’inconnu, mais aujourd’hui même notre voisin !

Comment imaginez-vous ici le travail sur les corps de vos comédiens ? Je cherche toujours des gens aux parcours, aux corps et aux personnalités très variés. Mon rôle est de les aider, les stimuler pour qu’ils trouvent leur propre façon de danser, sans que ça vienne de l’extérieur. Trouver leur intériorité et capturer les moments – et les mouvements – où je suis touché par eux. Une relation étroite se crée entre ma proposition de travail et leur état. Cette correspondante est totalement particulière car ce qui marche pour un danseur ne marche probablement pas pour l’autre. Chacun construit sa propre façon de bouger et son personnage avec son intelligence, sa technique, son propre art et sa personnalité. Beaucoup de couleurs, des couches de kimonos et de drapés constituent une partie des costumes… Ils sont évolutifs. Il y a un travail très pointu car au premier coup d’œil ils donnent l’impression de l’Extrême Orient. Sur scène, nous verrons leur construction, couche par couche. D’un coup, ils deviendront “chinois”. Les costumes suivent le même parcours que l’imaginaire des personnages… et leurs clichés !

Même lorsque nous n’avons pas d’ennemis, il faut en trouver !

Caterina et Carlotta Sagna ont été en résidence à Strasbourg, avec leur compagnie éponyme, de janvier 2012 à janvier 2013, à Pôle Sud. Lire l’article Double Je, dans Poly n°146 ou sur www.poly.fr

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MAISONS D’OPÉRA

le désenchanté À Stuttgart, Andrea Moses monte un Don Giovanni ironique et burlesque où le fringuant séducteur n’est plus que l’ombre de lui-même. Dans un renversement de perspective, il est dépassé par les femmes de l’opéra de Mozart. Par Hervé Lévy Photo de A.T. Schaefer

À Stuttgart, à l’Opéra, les 13, 16, 22 et 25 décembre ainsi que jeudi 10 janvier +49 711 20 20 90 www.oper-stuttgart.de

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es pompes en python, un costume blanc un rien avachi, un Borsalino fatigué, un manteau de fourrure… Don Giovanni (Andrew Schroeder dont le timbre est en adéquation parfaite avec la molle séduction qui sied à cette vision du rôle) n’est pas ici le charmeur flamboyant qu’on présente bien souvent. Ses meilleurs jours sont derrière lui. Entre bellâtre de bas étage et maquereau mafieux, il est un solitaire désabusé errant dans le DG Star Hotel posé au centre de la scène : c’est dans le parallélépipède pivotant sur lui-même que se déploie l’action, dans ses chambres vitrées que tout se passe. Leporello, incarné par l’extraordinaire André Morsch (dont l’interprétation pleine de vitalité, à l’aune de celle qu’il proposa comme Figaro dans Le Nozze di Figaro à Nancy en 2011, confirme qu’il est un mozartien d’exception) ressemble à une petite frappe en jeans et blouson de cuir. Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que le chasseur se métamorphose en bête traquée : de manière jubilatoire et burlesque, la metteuse en scène Andrea Moses transforme le triste héros en marionnette sur laquelle toutes les femmes de l’opéra, des créa-

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tures calculatrices en diable, projettent leurs ambitions et leurs frustrations. Donna Anna cherche une aventure pour échapper à la tristesse du quotidien, Donna Elvira (sensuelle et raide Sophie Marilley en bourgeoise tendance Jackie Kennedy vêtue d’une veste de cuir vert incongrue, mais sexy) aspire à la stabilité et Zerlina, évidemment, à une rapide ascension sociale. Voilà une version très contemporaine de l’œuvre de Mozart plus que jamais désertée de toute présence divine. Des personnages aux rêves brisés, égarés dans une existence creuse, errent sur la scène dans un maelström burlesque et décalé typisch deutsch : jeu avec le souffleur, trouvailles scéniques (dans l’air « Madamina, il catalogo è questo », Leporello égrène la liste des conquêtes de son maître en listant son répertoire téléphonique, tandis que des images hilarantes sont projetées), barbecue avec force saucisses… Le parti pris est d’un cynisme total. Mais n’est-il pas celui qui sied le mieux à notre époque ? Face à un désenchantement aussi global que peut faite notre “héros” ? Il n’a guère le choix : plutôt que d’être englouti dans les flammes de l’enfer – la fin classique de l’œuvre – il préfère se suicider…


maître puntila et son valet matti jeu. 06.12 ven. 07.12 20:30 starHlight ~ Photo : © JMatti Niemi

comédie de l’est

www.lacoupole.fr

03 89 70 03 13

N° de licence d’entrepreneur du spectacle : 1050935-936-937


CIRQUE

la vie est mortelle Après la circo-thérapie de Psy* en juin 2011, la compagnie québécoise de cirque contemporain Les 7 doigts de la main revient dans la région présenter La Vie. Une plongée sans filet dans un purgatoire rempli d’humour noir et d’acrobates… mortels !

Par Irina Schrag Photo de Vladimir Lupovskoy

À Strasbourg, au MaillonWacken, du 12 au 15 décembre 03 88 27 61 81 www.maillon.eu À Mulhouse, à La Filature, du 4 au 8 décembre 03 89 36 28 28 www.lafilature.org www.7doigts.com

Lire notre article dans Poly n°141 ou sur www.poly.fr

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élange de show à l’américaine, d’entertainment à revendre et de talent qui déborde des moindres cabrioles et autres mises en danger d’acrobates virevoltants survitaminés, les spectacles des 7 doigts de la main ne laissent pas indifférents. Passés pour la plupart par le Cirque du Soleil, ils ont préféré sortir du carcan imposé par les directeurs artistiques afin d’inventer leurs propres pièces. La Vie, présenté à Strasbourg et à Mulhouse, nous convie dans un purgatoire où Saint-Pierre porte un costard blanc et une canne immense – à faire pâlir le plus majestueux des chefs africains – pour jouer les Monsieur Loyal jugeant les âmes des spectateurs à grand renfort d’humour noir et de blagues potaches. Car nous sommes tous morts, coincés avec ce maître de cérémonie fantasque et ses acolytes dans un avion de La Vie Airlines – « parce que La Mort Airlines n’a pas passé le test du marketing », nous explique-t-on – en train de se crasher. Différentes âmes (forcément) pècheresses essaieront bien de prouver qu’elles ne méritent pas de continuer à bord de ce vol sans escale jusqu’à l’enfer… mais notre Saint-Pierre en verve est bien décidé

à juger la valeur de nos âmes, sans guère de magnanimité. Qu’ils soient hommes d’affaires corrompus, prostituées, fous, benêts ou seulement maladroits, c’est bien tous les pans de l’existence (tristesse, douleur, dépravation, folie…) des hommes et femmes se succédant à leur dernier entretien qui sont ici passés en revue. Le public, régulièrement pris à partie, se demande à quelle sauce il va être mangé – ne comptez pas sur nous pour lever le voile là-dessus ! – surtout lorsque le dernier pensionnaire arrivé, dans une belle chute depuis les cintres du théâtre sur un tas de cartons, se fait gentiment mais consciencieusement molester pour prouver que notre douleur n’est plus réelle (of course, nous sommes morts) mais une simple vue de l’esprit, un refus de notre présente condition. Sur les mixes inspirés de DJ Pocket, passant du Samouraï de Shurik’N à une géniale recomposition de la BO de Ghost toute en parodie, les numéros se succèdent sur un rythme effréné : trapèze, main-à-main sexy, contorsion pour se jouer d’une camisole de force, tissus aériens, voire chaînes aériennes… On crie, on pleure, on rit, on souffre, on aime et on désire. La vie quoi !


ONE WOMAN SHOW

c’est beau la life Après le succès de Sacrifices, qui lui a valu d’être nommée aux Molières en 2009, la Colmarienne Nouara Naghouche est de retour avec un nouveau solo, entre humour et émotion. Nique la misère ! ou comment faire un joli pied de nez au destin tout tracé d’une nana des cités.

Par Lisa Vallin Photo de Pierre-François Watras

À Haguenau, au Théâtre, mardi 8 janvier 03 88 73 30 54 www.relais-culturel-haguenau. com À Cernay, à l’Espace Grün, vendredi 11 janvier 03 89 75 74 88 www.espace-grun.net À Muntzenheim, à l’Espace Ried Brun, samedi 16 février 03 89 78 63 80 www.cc-riedbrun.fr

O

n l’avait quittée dans la peau de Zoubida, de Marie-France, de Marguerite, toutes ces femmes côtoyées dans le quartier Ouest de Colmar, qu’elle a incarnées avec tendresse dans Sacrifices. On la retrouve dans le rôle de Nouara, épanouie, mûrie, guérie. « Sacrifices a été une thérapie pour moi, l’écriture sortait comme un trop plein. Aujourd’hui, je ne suis plus dans la même démarche », confie la comédienne. C’est que l’eau a coulé sous les ponts depuis les débuts à l’Atelier du Rhin et la rencontre déterminante avec Pierre Guillois, co-auteur et metteur en scène de Sacrifices. Il y a eu l’aventure parisienne, le Théâtre du RondPoint, la reconnaissance du métier avec une nomination aux Molières, mais aussi la tournée internationale, notamment au Maghreb… « Toutes ces expériences et ces rencontres m’ont bouleversée. J’ai découvert plein d’endroits magnifiques et surtout la bienveillance du public. » Alors aujourd’hui, c’est forcément une nouvelle Nouara qui se révèle dans Nique la misère ! Si elle est apaisée, elle n’a cependant rien perdu de sa gouaille et son ton, associé à la plume du fidèle complice Pierre Guillois, reste aussi drôle qu’incisif. Finie la galerie de personnages, cette fois elle raconte sa vie sans masques. Un spectacle 100% autobio-

graphique en forme de regard amusé, mais sans complaisance, sur le monde et sur ce parcours étonnant, où rien n’était gagné d’avance. « Pour parler de mon évolution, il faut que je raconte aussi l’extrême violence qui a fait partie de ma vie. Je veux continuer à faire passer des messages et le public sera peut-être bouleversé, choqué ou ému. » Qu’on se rassure, « les zygomatiques seront mis à contribution » car on n’échappe pas à une telle nature comique. Ce que Nouara constate surtout dans son spectacle, ce sont les changements essentiels survenus dans son existence depuis qu’elle est devenue comédienne. En particulier suite à un déménagement de la cité au centre-ville. « La plus grosse différence avec mon ancien quartier, c’est l’état des chats ! Et puis avant, quand tu mettais un autocollant anti-pub sur ta boîte aux lettres, tu recevais quand même de la pub : maintenant, non. Je suis vraiment passée de l’autre côté de la voie ferrée », s’amuse-t-elle. Alors la comédienne profite de la scène pour réaliser ses rêves, comme celui d’organiser un défilé Karl Lagerfeld ou de danser un slow avec un spectateur. « Heureusement qu’on la rêve, notre life ! C’est vraiment ça qui m’a nourrie. » Et ce n’est pas fini, puisque Nouara l’annonce : « J’ai envie d’essayer un autre registre, après. Pourquoi pas une tragédie... »

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THÉÂTRE

le fond de l’air est rouge Avec J’avais un beau ballon rouge, le directeur du Théâtre de la Manufacture de Nancy, Michel Didym, s’attaque à la genèse des Brigades rouges à travers la trajectoire de Margherita Cagol et sa relation à son père. Deux rôles confiés à Romane et Richard Bohringer, pour la première fois réunis sur scène. Interview.

Par Thomas Flagel Photos de Michel André Didyme

À Nancy, au Théâtre de la Manufacture, du 15 au 25 janvier 03 83 37 42 42 www.theatre-manufacture.fr À Luxembourg, au Grand Théâtre de Luxembourg, dimanche 27 et mardi 29 janvier www.theatres.lu À Épinal, à l’Auditorium de La Louvière, mercredi 20 et jeudi 21 février 03 29 65 98 58 www.scenes-vosges.com À Metz, à l’Opéra Théâtre de Metz Métropole, vendredi 22 et samedi 23 février 03 87 15 60 60 www.opera.metzmetropole.fr

Pourquoi cette histoire sur les années de plomb arrive-t-elle aujourd’hui dans votre parcours ? Cette pièce est un moyen d’y voir plus clair sur un certain nombre d’idées, de concepts, de positionnements qui ont longtemps fait foi, crédités par de nombreux intellectuels et artistes. Adolescent, les Trotskistes et les Maoïstes tenaient le haut du pavé et étaient ceux qui avaient intellectuellement le plus à dire. Qu’en reste-t-il ? Lorsque des personnages racontent que la Chine est un exemple à suivre en 1970, on a l’impression que c’est encore plus loin de nous, que ça date de 1880 ! Un énorme écart s’est produit même s’il y a encore un tas de choses héritées de ces années de plomb qui polluent le débat intellectuel actuel. Sur la forme, cette immersion dans l’histoire est liée aux rapports très intimes d’un père à sa fille. Quelque chose de bouleversant, d’humain, de privé : des gens qui étaient en train d’essayer d’être les acteurs de leur société et de leur vie, finalement n’étaient que de petits jouets, manipulés comme des pions. Cela questionne jusque notre actualité : qui est la marionnette de qui ? Seule l’histoire pourra nous l’apprendre et discréditer ceux qui méritent de l’être. La question de la liberté est au centre de la pièce : le père est assujetti aux

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traditions et à l’Église, sa fille esclave d’idées révolutionnaires avec leur corolaire de théories et de jargon… On a tous envie d’être du côté de la modernité de la fille par rapport au modèle du père, mais finalement il y a quelque chose d’extrêmement italien, comme dans Don Camillo où le maire communiste de la ville tenait à ce que son fils soit baptisé et que sa fille se marie à l’église. Margherita se marie au petit matin, pour qu’un minimum de gens soient au courant. Ce sont des nihilistes dotés d’un rapport à Dieu très fort. Nous avons totalement évacué ce rapport au sacré. La religion comme opium du peuple, idée tout à fait réelle, peut aussi apparaître comme réductrice car finalement, le rapport au sacré est une entrée dans la condition humaine, une façon de la supporter, de vivre son destin d’homme. Il y a parfois un travail de compagnonnage important, quasi social effectué sous l’influence de l’église face au règne de l’individualisme, même si la religion n’a pas empêché les seigneurs de mépriser les serfs et d’écraser les esclaves. Pour rendre compte en français du patois trentin parlé par le père, vous avez travaillé avec les traductrices sur un argot très imagé et populaire… Il y a un très beau traitement de la langue rendu par les traductrices autour du patois


italiano-trentinois. Il est très proche d’un parler antique et paysan, créant beaucoup d’intimité père / fille. Quand elle se radicalise, passant de manifestations étudiantes à des incendies, enlevant des gens puis châtiant des contremaîtres ultra-violents ou des juges d’instruction engagés contre les révolutionnaires, il se produit un retournement : elle refuse cette langue et entre dans la langue de fer, de plomb et de bois du militant qui s’imprègne de Marx et Lénine. Voyant que le Parti communiste italien s’engage sur la voie d’une lutte démocratique, tentant de remporter une victoire par les urnes, se pose la question du positionnement et des révisionnistes. Utilisé par les Révolutionnaires russes pour qualifier ceux qui n’étaient pas dans la ligne, le terme est, depuis, resté péjoratif et les révisionnistes ne méritent que la mort. Ces gens pensent le positionnement politique comme au temps de l’inquisition ! Le PC infiltrait les Brigades rouges et s’en servaient pour agiter un chiffon, montrer qu’il était quand même plus présentable et respectable. À tout prendre, mieux valait le PC en somme ! Quel est votre point névralgique dans le texte ? Ce qui vous a décidé à le monter ? La langue de bois des révolutionnaires qui prétendent n’œuvrer que pour le bien de tous. Ces gens qui disent faire abstraction de leur propre personne m’ont toujours interpellé dans les discours politiques. De l’extrême droite à l’extrême gauche, ils se positionnent au service des autres. Comme s’ils donnaient

leur corps à l’histoire ! Pourtant, ce qu’on appelle “le syndrome Napoléon” se vérifie à toutes les époques : la Révolution française avait quelque chose de magnifique, mais elle débouche sur Bonaparte qui devient empereur. Ce schéma est le même dans toutes les dictatures africaines communistes, à Cuba, en Corée du Nord, en Russie, en Chine... Sous leurs dehors de modernité, c’est en fait très médiéval ! Dans la pièce, Mara se contrefout d’avoir un enfant – sa fausse couche ne l’émeut guère – pour la révolution. Elle vit dans un appartement pourri, sacrifie sa vie personnelle pour la révolution. Cet incroyable sacrifice pour la cause est dangereuse. J’aimerais transmettre cette suspicion au public. Ce casting parfait, Romane et Richard Bohringer incarnant le père et la fille de la pièce, était une évidence pour vous ? J’ai longuement travaillé avec Romane sur un projet qui s’appelle Face de cuillère qui a duré trois ans. C’était son premier solo, elle qui s’était formé avec Peter Brook. Son père était venu de nombreuses fois la voir jouer et me disait avoir envie de monter sur scène avec elle un jour. Dès que l’occasion s’est présentée avec ce texte d’Angela Dematté, j’ai sauté sur l’occasion. C’était parfait, d’autant que ce sont des personnages très loin d’eux. Richard n’est pas du tout dans les chaussons de ce père attaché aux traditions et à son église. Romane est quelqu’un de très engagé mais loin de la veine de Mara. Le projet nous engageait donc tous les trois esthétiquement, plastiquement et éthiquement.

Pour aller plus loin

Ils étaient les Brigades rouges, documentaire de Levi Boucault (14,99 €) – www.arteboutique.com

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GASTRONOMIE

au fil du mékong Entre saveurs asiatiques riches et complexes, parti-pris bio et choix diététiques, La Rivière nous entraîne, en plein cœur de la strasbourgeoise Petite France, au milieu d’un océan de gastronomie orientale.

Par Raphaël Zimmermann Photo de Stéphane Louis pour Poly

La Rivière se trouve 3 rue des Dentelles, à Strasbourg fermeture dimanche et lundi 03 88 22 09 25

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ans un restaurant récemment distingué par Gilles Pudlowski (obtenant le titre de “Table étrangère 2013” du Pudlo Alsace), Richard Meier et sa compagne œuvrent en binôme, imaginant, dans leur “cuisine laboratoire”, des plats placés sous le signe de la diététique, du bio et de l’Asie. Elle en cuisine, lui en salle pour nous guider dans une vaste carte des vins et des plats aux saveurs complexes, ils nous invitent à un périple passant par le Vietnam, le Japon, la Corée et la Chine avec quelques influences persanes. On se souvient alors que l’endroit fut, sous le nom de La Rivière des Parfums (tenue par Denise, la maman de Richard) au début des années 1960 (jusqu’en 1993), un restaurant vietnamien de haute volée. Dans un décor chic, parsemé de centaines de livres – Fable de Venise, un des meilleurs Corto Maltese, Une Drôle de traversée d’Hemingway ou Guerres secrètes de Sollers, pour donner le ton – se déploie une cuisine contemporaine où de goûteux Savories (Tataki de bœuf au sanshô ou Sashimi de Saint-Jacques au sésame, 5 €) ouvrent le bal, prestement suivis par des poissons ou des viandes (de 17 à 23 €) cuits à la plancha sans

huile, tous accompagnés d’un bouillon, d’un féculent et d’un légume. Pour Richard Meier, c’est en effet « celui qui le mange qui donne la touche finale au plat ». Si la carte des vins est essentiellement française, la maison propose une large variété de sakés. Histoire de découvrir que l’alcool de riz japonais n’est pas qu’un breuvage tiédasse au goût incertain servi dans des verres dont le fond est orné par les courbes dénudées d’une pin-up. Dans le domaine des alliances entre les plats et les vins (sakés, thés, eaux…), la recherche est sans fin pour le propriétaire de La Rivière. Il a ainsi organisé un déjeuner de travail rassemblant Bernard Noblet (le vinificateur de la mythique Romanée Conti), André Ostertag (un viticulteur alsacien qui a élaboré le Montsecano, un des meilleurs Pinots noirs du Chili), Nana Ding (maître de thé qui connaît tous les secrets des plus rares pu’ers) et un sommelier japonais spécialiste du saké… De ces rencontres métissées naîtront sans aucun doute de nouvelles alliances, des plats au polissage et à la complexité extrêmes.


"Je célèbre tous les jours mon ART" Denis Chia

Mon Métier : EXPERT COMPTABLE

1ER / 10 FÉV 2013 KINGERSHEIM Cabinet Denis Chia Expert Comptable Diplômé Commissaire aux Comptes Expert Judiciaire

Illustration : Elodie Lascar / alphabet Momix : Daniel Depoutot

10, place Broglie 67000 STRASBOURG Tél. 03 88 23 44 23 — Fax. 03 88 23 44 20 E-mail : cabinet-dchia@wanadoo.fr

15 > 25 Janvier 2013

CDN de Nancy - Lorraine

création

J’avais un beau

ballon rouge Texte de Angela Dematté (Italie) Traduction caroline Michel, Julie Quénehen Adaptation, Mise en scène Michel Didym Avec romane Bohringer et richard Bohringer Traduction caroline Michel et Julie Quenehen / Scénographie Jacques Gabel / Lumières Paul Beaureilles Production Théâtre de la Manufacture CDN Nancy-Lorraine Coproduction Le Volcan, Scène Nationale Le Havre, Théâtre Anne de Bretagne de Vannes En partenariat avec Face à face, Paroles d’Italie pour les scènes de France Le texte de Angela Demattè a été traduit avec le soutien de la Maison Antoine Vitez, centre international de la traduction théâtrale www.maisonantoinevitez.com

Les Bohringer servis sur un plateau et c’est la première fois. Petite et grande Histoire se télescopent avec l’évocation de la trajectoire fulgurante de Margherita Cagol, épouse de Renato Curcio, fondateur et idéologue des Brigades rouges. ma, me, ve à 20h30, je et sa à 19h et dim à 15h (brunch à midi) Plein tarif 21 €, réduit 16 €, jeunes 9 €

www.theatre-manufacture.fr

Locations au 03 83 37 42 42 Théâtre de la Manufacture - 10 rue Baron Louis, Nancy du lundi au vendredi de 12h à 19h mercredi de 10h à 19h et le samedi en période de spectacle 15h à 19h

www.momix.org 03 89 50 68 50 Poly 154 Décembre 12

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PROMENADE

tribulations gallo-romaines À cheval sur l’Alsace et la Lorraine, cette promenade nous entraîne dans les limbes du passé : errance archéo-poétique au Wasserwald entre les murets de pierre d’un village oublié.

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Par Hervé Lévy Photos de Stéphane Louis pour Poly

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utzelbourg, charmante cité mosellane d’un peu plus de 600 âmes se love dans le brouillard entre le Canal de la Marne au Rhin (reliant Vitry-le-François et Strasbourg) et la ligne TGV. Habitués à découvrir le paysage depuis les fenêtres du train, nous voilà impatients de voir si la puissante fascination romantique qu’il exerce lorsqu’il nous est proposé par la SNCF tient le choc dans la “réalité”. Garés près du cimetière, la marche peut débuter. Après quelques pas, une pancarte indiquant la Fontaine Trierweiler nous arrache un sourire. Elle fut ainsi baptisée pour rendre hommage à l’ancien président du Club vosgien local, Raymond Trierweiler, la “compagne de…” étant l’ancienne épouse de son cousin germain.

Grès rose

Eugène Koeberlé (1828-1915) s’intéressa à l’histoire et l’archéologie, notamment au Mur païen. En 1909, il publia Les Ruines du château de Lutzelbourg 2 Extraits du procès-verbal des délibérations du Conseil municipal de Lutzelbourg du 6 mars 2012 3 Ou “chemin du bétail” selon l’expression d’Albert Fuchs qui publia, en 1914, Die Kultur der Keltischen Vogesensiedelungen mit besonderer Berucksichtigung des Wasserwaldes 1

La grimpette débute. Le silence se fait. Nous progressons au pied du Rocher du Petit moulin, aimable concrétion typique des Vosges du Nord que l’on escalade grâce à un escalier de 89 marches installé au cœur de la roche. La contemplation du paysage est interrompue par des coups de feu intempestifs et des cris. Les fourrés bougent, quelques chiens aboient, des chasseurs braillent. Ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Un crochet par la mignonette Fontaine Mélusine plus tard, nous voici aux ruines qui donnent leur nom au village (en ancien allemand, Lutzelbourg signifie “petit château”) : véritable verrou de la vallée de la Zorn, la forteresse est perchée à 322 mètres d’altitude sur un éperon

rocheux de grès rose. Fondée au début du XIe siècle, elle a été amplement remaniée au fil des âges et rénovée au XIXe. Sa silhouette est marquée par une tour carrée dite “de Fénétrange” (près de 25 mètres de haut), bâtie en 1160 et par l’amusante Villa Koeberlé de style roman édifiée par le chirurgien passionné d’archéologie qui racheta le lieu dans les années 18901. Bien entretenu par la commune, le lieu évoque, avec ses immenses pelouses vertes, certaines ruines d’Écosse ou d’Irlande… Avec la brume, on s’y croirait. « Terre brûlée, au vent des landes de pierres » se met spontanément à chantonner l’un de nous. Il est temps de partir. Dehors, un chantier, celui d’un “bâtiment agro-touristique” (ouverture prévue au printemps 2013) est posé comme une verrue de béton au cœur de la forêt. Il fait partie d’un plan plus large, « vaste projet touristique à l’échelle du territoire (Rocher du Dabo, Plan incliné, Vallée des éclusiers) ». Dans ce cadre, « le château de Lutzelbourg, village porte d’entrée en venant d’Alsace sera à même de jouer un grand rôle »2 avec animations, jardin médiéval etc. Misère, ne peut-on pas laisser les ruines tranquilles ?

Cailloux moussus

Après un passage, sur la Départementale 98, par Hultehouse, commune sur laquelle il n’y a pas grand-chose à dire – y paît néanmoins un joli et amical cheval noir – nous faisons une halte au Chalet du Limmersberg, géré par le Club vosgien, pour nous sustenter. Merci au domaine Landmann de Nothalten pour les Poly 154 Décembre 12

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PROMENADE

vendanges tardives de son magnifique Riesling grand cru Muenchberg et à la mayonnaise Thomy, l’amie des œufs durs, sans qui cette promenade n’aurait pas été possible. La marche reprend. Le brouillard s’insinue partout. Le soleil n’est pas loin pourtant, pointant le bout de ses rayons à la lisière de la couche nuageuse. Il ne manque presque rien pour que le ciel soit bleu. C’est néanmoins dans une atmosphère spectrale que nous atteignons le but de cette randonnée, les vestiges du village gallo-romain du Wasserwald : des murets de pierre recouverts de mousse, des cases rappelant que se dressaient des maisons dont seule la base était en “dur” (les murs étaient formés de bois et de torchis, le toit généralement en chaume)… Menées par François Pétry dans les années 1980, les fouilles de cette agglomération représentative de la « culture des sommets vosgiens » ont permis de mieux cerner l’organisation des communautés de pasteurs et d’agriculteurs qui y vivaient. Construite autour de chemins bordés de murs disposés perpendiculairement à une voie principale, le Viehweg3, le bourg est composé de maisons et d’enclos (on en dénombre 25, de taille variable, le plus grand faisant plus d’un hectare). Habité par des populations dont les contacts avec le monde romain étaient fragmentaires, le Wasserwald connut son apogée entre 150 et 250 après Jésus-Christ avant d’être abandonné, vraisemblablement au milieu du Ve siècle. Poches de résistance celtiques dans des zones fortement romanisées, les villages de ce type ont développé un genre particulier de monument funéraire, la “stèle-maison”, dont demeurent, à moitié effondrés, quelques exemplaires. Aujourd’hui plongé dans une blafarde lumière verdâtre, le sanctuaire nous accueille : ici étaient vénérées des divinités ancestrales mises à la sauces romaine. Sous le nom de Mercure, se dissimule souvent le gaulois Teutatès. Syncrétisme somme toute banal à l’époque… Lorsque nous quittons ce lieu et ses multiples mystères, non encore élucidés par l’archéologie, le soleil fait son apparition et c’est sous son aimable patronage que s’effectue une descente sans histoires et sans haltes (mis à part un court “stop mémoire” à la Cachette des Malgré-Nous) qui s’achève le long des eaux calmes du canal, bordées par une usine Rapid Staples spécialisée dans la fabrication des agrafes et les magnifiques Douceurs des Rohan (confitures, sirops, terrines…). Miam ! 64

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PROMENADE Saverne 11km Cana

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LUTZELBOURG Château de Lutzelbourg

Rocher du Muguet

lutzelbourg & le wasserwald Départ Lutzelbourg à côté du cimetière Distance 15 km Temps estimé 4 h Dénivelé 250 m

Wasserwald (vestiges gallo-romains)

Colmar 15km

Hultehouse

Strasbourg 60km Chalet Club Vosgien du Limmersberg

une bière pour noël Dans la série des multiples bières de Noël (autrefois surnommées “étrenne des brasseurs”, elles étaient produites avec les dernières récoltes d’orge pour les bons clients et le personnel), on essayera la savernoise Licorne. Spécialement brassée pour les fêtes, elle est ronde et d’une douce amertume, révélant une saveur caramélisée et une note finale sucrée. Son nez franc et légèrement épicé exhale des arômes pleins de douceur. La bière de Noël se distingue par sa robe ambrée, sa mousse dense et crémeuse. Voilà un breuvage incontournable pour les fêtes… qui peut être servi dans un kitsch et charmant verre en forme de botte (en coffret de quatre bouteilles de 33 centilitres + la chope : environ 7,90 €). Ma parole, c’est Noël avant l’heure ! www.brasserielicorne.com

Fondé en 1858, le Musée de Saverne est un des plus anciens d’Alsace : installé dans le Château des Rohan dans les années 1950, il présente une des plus belles collections archéologiques de la région, regroupant notamment les trouvailles faites au Wasserwald. On y trouve de nombreuses “stèles-maisons” découvertes sur le site, ainsi baptisées en raison de leur forme caractéristique évoquant les demeures des vivants : si certaines sont d’une altière simplicité, d’autres sont ornées de bas-reliefs (avec, parfois, la déesse Epona sur son cheval) ou d’évocations d’éléments architecturaux (linteau, fronton, toiture en chaume…). Le site a aussi livré des stèles représentant Mercure et un très beau Cavalier au géant anguipède (une représentation de Jupiter brandissant la foudre qui terrasse un géant barbu à queue de poisson). Méconnu, ce musée recèle de véritables trésors… Musée archéologique de Saverne, Château des Rohan 03 88 91 06 28 – ww.mairie-saverne.fr

© Musée de Saverne / Francis Goubet

le wasserwald au musée

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LAST BUT NOT LEAST

florent marchet chanteur qui croit encore au Père Noël

Par Emmanuel Dosda Photo de Matthieu Dortomb

Noël's songs avec le Santa Claus Orchestra, à Illkirch-Graffenstaden, à L’Illiade, samedi 8 décembre www.illiade.com À Bar-le-Duc (55), à l’ACB Scène nationale, dimanche 16 décembre www.acbscene.com

Vos chansons parlent beaucoup de l’enfance. Dernière fois que vous y avez puisé de l’inspiration. Mes chansons parlent rarement de mon enfance. Il y a d’avantage de réminiscences de choses émotionnelles que réelles. J’ai d’ailleurs peu de souvenirs de cette période et encore moins de mon adolescence, le pire moment de ma vie. Pour rien au monde je ne voudrais revivre mes quinze ans ! Par contre, je pense qu’il ne faut jamais trahir l’enfant qu’on a été.

www.florentmarchet.com

Vos morceaux sont un brin mélancoliques. Votre dernier coup de blues. Je suis dans un état constant de mélancolie… mais j’ai appris à dompter mes coups de blues. Je vis avec. Dernière Douce nuit passée. Hier, je me suis couché tôt et ma fille, qui fait rarement ses nuits, a très bien dormi… Dernière piste noire descendue à Courchevel (titre de votre troisième album). Il y a très longtemps. Les amis de mes parents y avaient un chalet où j’allais jusqu’à mes douze ans. J’avais un bon niveau de ski, mais je n’en ai plus fait après… Alors, quand je regardais la publicité pour Caprice des dieux, qui se passait dans un téléphérique, j’avais un cafard énorme. C’était un gros coup de blues, du coup… L’avant-dernier morceau de ce disque, Hors-piste, est-il devenu un hymne dans les stations de ski savoyardes. Non, mais c’est devenu une façon d’envisager 66

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la création : aller sur des chemins non balisés. La paternité m’a rendu moins casse-cou au quotidien, mais j’aime prendre des risques artistiques. Dans le clip de Benjamin, vous jouez le grand gamin qui, lors d’une soirée, boit trop et se met à dos tous ses amis. Dernière situation embarrassante. Les excès m’ont aidé à me désinhiber car j’étais extrêmement introverti, mais j’oublie ce genre de fait peu glorieux. J’arrive à occulter des pans entiers de ma vie. Vous rappelez-vous quand même de la dernière fête de famille ayant tourné au drame. Pour moi, les mots “fête” et “famille” sont incompatibles. La famille est celle que l’on construit, pas celle dont on hérite. Dernière fois que vous avez décidé de vous raser la moustache. C’était il y a six mois. La fin d’un cycle… Dernières sorties. Coquillette la mauviette, livre / CD avec Arnaud Cathrine, illustré par Aurélie Guillerey (Actes Sud Junior) • Noël’s Songs – Les plus beaux chants de Noël !, livre / CD (Nodiva / Actes Sud Junior) • Noël’s Songs, CD (Novida / Pias)


e e l a t i enn Cap é p o r eu

Orchestre PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG ORCHESTRE NATIONAL

DÉCEMBRE JEuDI 6 & vEnDREDI 7 DÉCEMBRE PMC Salle ÉraSMe - 20h30

CONCEPTION REYMANN COMMUNICATION // MONTAGE BKN.FR // LICENCES D’ENTREPRENEURS DE SPECTACLES N° 2 : 104 79 64 ET N°3 : 104 79 65

JoHn axeLrod direction Fanny cLamagirand violon berlioz Chasse royale et Orage, extrait des Troyens Saint-SaënS Concerto n° 3 pour violon et orchestre en si mineur op. 61 Mozart Symphonie n° 31 en ré majeur «Paris» K.297 ellinGton Harlem MuSique de ChaMbre

DIManCHE 9 DÉCEMBRE StraSbourG auditoriuM de la CitÉ de la MuSique et de la danSe - 11h

SERgE saKharov violon CHRIStInE LarceLet violon FRançoISE guiLLard alto olIvIER garban violoncelle SanDRInE Poncet-retaiLLaud flûte SÉBaStIEn Lentz cor Inga Kazantseva piano ChoStakovitCh / GerShwin / Piazzola / Corea

MERCREDI 12 DÉCEMBRE PMC Salle ÉraSMe - 20h30

Jan Latham-Koenig direction EvgEny Kissin piano

GrieG Marche d’hommage, extrait de Sigurd Jorsalfar suite d’orchestre op. 56

Concerto pour piano et orchestre en la mineur op.16 Peer Gynt : Suites d’orchestre n° 1 et n° 2 op. 45 et 55

>2013

SAISON 2012

Renseignements : 03 69 06 37 06 / www.philharmonique.strasbourg.eu Billetterie : caisse OPS entrée Schweitzer du lundi au vendredi de 10h à 18h Boutique Culture, 10 place de la cathédrale du mardi au samedi de 12h à 19h


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