Poly 162 – Novembre 2013

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N°162 novembre 2013 www.poly.fr

Magazine Pierre Maillet Incursion dans la Factory warholienne Festival Supersounds Le grand saut de Cascadeur Lee Bul Odyssée futuriste au Mudam Alex Beaupain Ses chansons d’amour

Sasha Waltz tableaux vivants



Avec l’opération Sculpture / XXe siècle, des œuvres en volume issues de la collection du Frac Franche-Comté s’immiscent, jusqu’au 5 janvier 2014, au Musée des Beaux-Arts de Lons-le-Saunier. Des pièces signées Stephan Balkenhol, Marie Bourget, Didier Marcel, Markus Raetz ou Helen Frik dont on peut notamment découvrir Soft Option, montrant un travailleur débordé par une envahissante pelote de laine rose. www.frac-franche-comte.fr – www.musees-franchecomte.com

VAND’ FRAIS

Voici la cinquième édition de Vand’ Influences, festival des musiques et cultures du monde, ayant lieu du 15 au 24 novembre à Vandœuvre-lès-Nancy. Au programme : des contes, des spectacles et des concerts world proposés par Winston McAnuff & Fixi (en photo), Bonga ou Gnawa Diffusion. L’ambiance variera entre tonalités reggae roots à la sauce musette, sonorités angolaises et rythmiques venues du Maghreb.

Bulb Light de David Dubois © Guy Rebmeister

ALLUMER

LE FEU

Dans le cadre de la Biennale internationale du Verre (jusqu’au 30 novembre à travers l’Alsace et la Lorraine, voir Poly n°161), le Centre international d’Art verrier de Meisenthal (lire page 64) allume Le feu sacré sur les 1000 m2 des Galeries Poirel de Nancy. Découvrons, jusqu’au 19 janvier, les œuvres réalisées par une soixantaine d’artistes dans les ateliers du CIAV. www.poirel.nancy.fr www.biennaleduverre.eu

Noëlle Truchaud © Pascal Koenig 2012

Helen Frik, Soft Option, 1998, Collection Frac Franche-Comté © Pierre Guénat

LES ENVAHISSEURS

BRÈVES

www.vandinfluences.fr

MÉMOIRE Baptiste Cogitore et Pascal Koenig ont parcouru quelques-unes des 200 (anciennes) synagogues d’Alsace aujourd’hui laissées à l’abandon ou vendues à des particuliers qui ont modifié leur usage originel pour écrire un livre, Les Gardiens des lieux (édité par Rodéo d’âme, 25 €), et composer une exposition itinérante de photographies. Cinéma, caserne de pompiers, atelier d’artiste, garage ou salle de sport font face à leurs occupants à Bergheim (jusqu’au 10 novembre) puis au Collège doctoral européen (à Strasbourg, du 12 au 28 novembre). www.rodeodame.fr

Dans l'ancienne synagogue de Habsheim © Pascal Koenig 2012

COLLECTIVE

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BRÈVES

QUAND Y’EN A PLUS, Y’EN A ENCORE © Pascal Pittorino

Nancy Jazz Pulsations, c’est fini… mais ça continue, grâce à une programmation de concerts, chaque mois, le jeudi soir, au théâtre de La Manufacture de Nancy. Les prochains rendez-vous Manu Jazz Club, concoctés en partenariat avec NJP ? Grégory Privat 5tet (jeudi 28 novembre), le Belmondo Family 6tet (12 décembre, voir photo) et The Volunteered Slaves (9 janvier).

www.nancyjazzpulsations.com – www.theatre-manufacture.fr

DANS LE TEXTE Primeurs ? Un festival (du 13 au 16 novembre) de lectures, mises en espace ou pièces radiophoniques en langue allemande, une « plate-forme interrégionale de l’écriture dramatique contemporaine », ayant lieu à la Alte Feuerwache de Sarrebruck et au Carreau de Forbach. À découvrir, Feues les mains de Robert Redford de Rebekka Kricheldorf, En travaux de Pauline Sales ou Billy (les jours de hurlement) de Fabien Cloutier. www.festivalprimeurs.eu

Primeurs, édition 2011 © Oliver Dietze

LA

MÉMOIRE RETROUVÉE

Redécouvrir les compositeurs écrasés par les totalitarismes : tel est l’objectif de Voix étouffées. Le festival (à Strasbourg, Natzwiller, Ivry-sur-Seine, Paris…) permet d’approcher des œuvres méconnues avec notamment un concert de l’OPS dirigé par Amaury du Closel (en photo) fait de pages de Schreker, Toch, Szpilman (le pianiste du film de Polanski) et Mossolov (8 novembre à La Saline de Soultz-Sous-Forêts et 10 novembre à la Cité de la musique et de la danse de Strasbourg). www.voixetouffees.org

ARTS & MÉTIERS

Seconde édition de Résonance[s], salon européen des métiers d’art, du 8 au 11 novembre au Parc expo de Strasbourg. Organisé par la Fédération régionale des Métiers d’Art d’Alsace et Ateliers d’Art de France, cet événement rassemble plus de 170 créateurs européens. L’invitée d’honneur : la designeuse star, Matali Crasset.

www.salon-resonnances.com

Céramique de Claudia Biehne

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BRÈVES

© Alex Lake

FLYING HIGH

D’après nos sources anglosaxonnes, Morcheeba veut dire quelque chose comme “plus d’herbe” dans la langue de Massive Attack. Pas étonnant, à l’écoute de la musique enfumée du groupe anglais, un des fers de lance du mouvement triphop dans les années 1990. À l’occasion de la sortie de Head Up High, nouvel album bondissant, avec son lots de scratches et de rap, Skye Edwards et sa bande nous donnent rendezvous mardi 12 novembre, à La Rodia de Besançon, et mercredi 13 novembre, à La Laiterie strasbourgeoise.

L’ÂME

www.larodia.com www.artefact.org

RUSSE Jules-Émile Zingg, Jeux de plages (1918) © Claude-Henri Bernardot

PÉRIODE

BRETONNE

Le Musée du Château des Ducs de Wurtemberg de Montbéliard expose jusqu’au 23 mars 2014 une soixantaine d’œuvres japonisantes issues des voyages de JulesÉmile Zingg à Perros-Guirec en Bretagne, entre 1914 et 1930. Le peintre montbéliardais y a notamment travaillé aux côtés des artistes Nabis Paul Sérusier et Maurice Denis dont on notera l’influence. www.montbeliard.fr

Régulières complices, la soprano Olga Romanko et la pianiste Irina Loskova (en photo) nous proposent une plongée au plus profond de leurs racines russes avec des mélodies de Rachmaninoff, Tchaïkovski, RimskiKorsakov et Glinka. Élégance et précision du clavier, somptuosité de la voix… À découvrir en L’église SaintGuillaume (Strasbourg), dimanche 17 novembre à 16h. www.saint-guillaume.org

© Philippe Savoir

PICTURES OF YOU

Polaroid3, trio “d’alternative electric pop” mixant, pêlemêle Miles Davis, Portishead et Emily Dickinson, s’offre une tournée qui passe par la Halle Verrière de Meisenthal (samedi 16 novembre) et les Dominicains de Guebwiller (mardi 19). Quelles surprises musicales vont nous concocter Christine Clément (voix), Christophe Imbs (synthé, Fender Rhodes) et Francesco Rees (batterie) ? www.polaroid3.com Poly 162 Novembre 13

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BRÈVES

MÉCÉN’ART

FROMAGE

© Pascal Bernard

le pays du

Vendredi 22 novembre de 8h15 à 10h, la Région Alsace, la Ville de Strasbourg et ST-ART présentent une table ronde nommée Intérêts partagés, traitant du mécénat d’entreprise dans la création contemporaine et regroupant représentants de sociétés, artistes et acteurs du monde de l’art. Le but ? Celui, notamment, de « dynamiser les relations entre partenaires privés et institutions d’art contemporain en Alsace ».

Une institution strasbourgeoise fête son quinzième anniversaire : les artisans-fromagers-affineurs Lorho (3 rue des Orfèvres). Jusqu’au 15 novembre, de multiples animations et des lots par dizaines vous attendent dans la boutique de Christelle et Cyrille (Meilleur Ouvrier de France). Un sublime Stilton ? Un Napoléon (100% brebis) d’anthologie ? Le meilleur Munster de la terre ? Tout est possible dans ce temple du goût.

www.culture-alsace.org Œuvre de Francis O’Shaughnessy réalisée avec le mécénat de Barrisol-Normal © David Betzinger (détail)

www.maison-lorho.fr

TOMI TACTILE Musé es de

Stras

bour

g

Le Musée Tomi Ungerer de Strasbourg innove grâce au mécénat d’ÉS Énergies et à l’atelier de Didactique visuelle de la HEAR qui a créé trois réalisations présentées sous le nom de Tomi au bout des doigts : la découverte ludique de l’œuvre de l’illustrateur sur table tactile.

©M

. Bert

ola /

www.musees.strasbourg.eu

FORT DE CAFÉ

Les artistes Margot Dien et Baudoin Lindas, élèves de la HEAR et lauréats de l’édition 2013 des Talents Sati, ont été conviés par le torréfacteur alsacien à investir la façade de son usine strasbourgeoise, au port du Rhin, en y installant une œuvre monumentale de 140m2. L’art et l’industrie se rencontrent… autour d’un bon café. www.lestalentssati.com Poly 162 Novembre 13

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sommaire

18 Visite de l’école de cuisine mulhousienne de l’association Épices présidée par Isabelle Haeberlin

24 Incursion dans la Factory warholienne, sur un air du Velvet, avec Flesh / Trash en compagnie de Pierre Maillet

30 Charlotte Lagrange adapte librement L’Âge des poissons d’Horváth, un polar à La Filature

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34 En résidence à Nancy, le chorégraphe Emanuel Gat nous accueille en pleine création au Ballet de Lorraine

36 Entretien avec Cascadeur avant qu’il ne foule les planches du festival Supersounds

38 Interview avec Alex Beaupain, auteur de chansons

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d’amour… rien que de chansons d’amour

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42 Le festival Musiques Volantes convie le senior Lee Ranaldo pour fêter ses 18 ans !

54 Au ZKM, la chorégraphe Sasha Waltz expose les corps de ses danseurs et fait danser les images

56 Découverte de l’odyssée futuriste de l’espace et de l’espèce de la sud-coréenne Lee Bul au Mudam

60 Promenade dans les Vosges du Nord, autour de Windstein, à la découverte de cinq châteaux semi-troglodytiques et quelques casemates

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64 La nouvelle boule de Noël éditée par le Centre international d’Art verrier de Meisenthal prend la forme d’un superhéros des montagnes nommé Sylvestre

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66 Last but not least : Pendentif, pop bordelaise pas bling-bling

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COUVERTURE Le photoreporter Sebastian Bolesch est l’auteur de ce cliché immortalisant la chorégraphie aquatique de Dido & Aeneas imaginée par Sasha Waltz (lire pages 54-55). Sur la musique de Purcell, un ballet de corps en apesanteur rejoue l’histoire d’amour impossible du mythe. La poésie visuelle suspend le temps, laissant les sentiments se révéler dans la douceur d’une apnée si sensuelle qu’elle n’est pas le moins du monde amoindrie par sa transposition vidéo dans les salles du ZKM, offrant au contraire un temps infini à sa contemplation. www.sebastian-bolesch.de www.sashawaltz.de

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OURS / ILS FONT POLY

Emmanuel Dosda Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une douzaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren. emmanuel.dosda@poly.fr

Ours

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Thomas Flagel Théâtre des balkans, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs algériens… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes depuis cinq ans dans Poly. thomas.flagel@poly.fr

Dorothée Lachmann Née dans le Val de Villé cher à Roger Siffer, mulhousienne d’adoption, elle écrit pour le plaisir des traits d’union et des points de suspension. Et puis aussi pour le frisson du rideau qui se lève, ensuite, quand s’éteint la lumière. dorothee.lachmann@poly.fr

Benoît Linder Cet habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma poursuit un travail d’auteur qui oscille entre temps suspendus et grands nulles parts modernes. www.benoitlinder.com

Shiny happy people, 2013 © Geoffroy Krempp

www.poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49

Stéphane Louis Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. www.stephanelouis.com

Éric Meyer Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. http://ericaerodyne.blogspot.com

Irina Schrag Icône du renouveau de (l'extrême) orient immortalisée par Shepard Fairey, Irina use de sa plume dans divers titres de presse, bien souvent undergrounds, au gré de ses voyages et aventures en ex-Yougoslavie, en Afrique de l'Est et en Asie. www.facebook.com/irinaschrag

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Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Rédacteurs Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Dorothée Lachmann / dorothee.lachmann@poly.fr Ont participé à ce numéro Pascal Bastien, Benoît Linder, Geoffroy Krempp, Irina Schrag, Daniel Vogel et Raphaël Zimmermann Graphiste Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly © Poly 2013. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. ADMINISTRATION / publicité Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Administration, gestion, diffusion, abonnements : 03 90 22 93 38 Gwenaëlle Lecointe / gwenaelle.lecointe@bkn.fr Publicité : 03 90 22 93 36 Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Françoise Kayser / francoise.kayser@bkn.fr Nathalie Hemmendinger / nathalie.hemmendinger@bkn.fr Vincent Nebois / vincent.nebois@bkn.fr Magazine mensuel édité par BKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100 000 e 16 rue Édouard Teutsch – 67000 STRASBOURG Dépôt légal : Novembre 2013 SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130 Impression : CE COMMUNICATION BKN Éditeur / BKN Studio – www.bkn.fr

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ÉDITO

walk on the dead side Par Hervé Lévy Illustration signée Éric Meyer pour Poly

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C

omment savoir qu’une époque est révolue ? Des détails imperceptibles. L’air du temps qui prend insidieusement une couleur nouvelle. Parfois, un événement marquant vient sonner le glas. C’est ce qui s’est passé, dimanche 27 octobre, avec la disparition de Lou Reed. Sad song. Avec lui vont plonger dans les limbes de l’histoire – celle qui prend trop vite un H majuscule – les derniers flamboiements sombres des sixties et des seventies dont le chanteur, plus que tout autre, aura composé la bandeson excessive, sulfureuse et foutrement excitante. Le Velvet, Warhol, les films de Morrissey, la Factory et ses icônes trash : Holly, Candy, Little Joe, Sugar Plum Fairy ou Jackie. Toutes présentes dans Walk on the wild side (sur Transformer, 1972). Sexe, drogue et rock’n’roll. Et puis Berlin (1973). Une froide

lame de couteau triturant les entrailles et l’âme, aussi glaciale que les compositions de Joy Division qui n’existe pas encore. L’histoire tragique d’un couple. Amour et haine. Jim et Caroline. La vision d’une ville où Lou Reed n’a pas encore mis les pieds, mais dont il capte l’esprit dans un mix de décadentisme weimarien tendance Kurt Weil ou Hanns Eisler et de dark rock annonçant d’une certaine manière les eighties et la cold wave. Les fils légitimes et les bâtards du chanteur seront légion. Dans les pages de Rolling Stone, Timothy Ferris résume alors l’impression générale qui suinte de Berlin : « C’est un disque amer, sans compromis et l’un des concept albums les mieux maîtrisés de l’histoire. La beauté, le bon goût, les bonnes manières et la moralité n’y ont pas été conviés. » Quarante ans plus tard, la normalité a triomphé des velléités désordonnées et maladroites des apôtres de la liberté, concept clef qui, dans un environnement corseté prenait tout son sens, alors qu’aujourd’hui il sonne creux. Liberté sexuelle, liberté créative, liberté de pensée… On en connaît évidemment les excès autodestructeurs. Tout est fini. Exit le romantisme, bonjour l’asepsie. Rudolph Giuliani qui a métamorphosé NYC en Disneyworld touristique a gagné. Sans doute une bonne chose pour la santé publique… mais pour le reste, c’est une autre affaire. Lou Reed est mort. À soixanteet-onze ans tout de même. Il aura vu la faillite de son monde : l’interlope est désormais rangé au rayon des accessoires folkloriques et des joyeuses curiosités. On ne va pas jouer le coup de la nostalgie mélancolique. Simplement repasser les éclats noirs de ses chansons. En boucle : « Caroline says / While biting her lip / Life is meant to be more than this / And this is a bum trip / But she’s not afraid to die / All her friends call her Alaska. » Et puis, peut-être aller voir Nick Cave en concert à la Rockhal de Luxembourg (vendredi 15 novembre). Berlin encore, Les Ailes du désir… Et l’on se souvient qu’un des rares films dans lequel tourna Lou Reed est Si loin, si proche, la suite de l’épopée des anges de Wenders. Un signe. Flotte-t-il encore quelque chose dans l’air ? Si c’est pas sûr, c’est au moins peutêtre.



LIVRES – BD – CD – DVD

ANATOMIE D’UNE GUERRE

SONORITÉS CONTEMPORAINES Formé autour de la soprano Françoise Kubler et du clarinettiste Armand Angster, l’ensemble à géométrie variable Accroche Note (né en 1981, à Strasbourg) est sans doute une des formations emblématiques de Musica, auquel il a pris part presque chaque année depuis sa création, il y a trente ans. Ce double CD retrace une complicité faite d’exigence et de passion mêlées en neuf pièces créées (et enregistrées) au cours du festival. De Christophe Bertrand, soleil sombre trop tôt disparu, à Philippe Manoury, en passant par Luca Francesconi ou Pascal Dusapin, voilà un parcours rafraichissant à travers le répertoire du XXIe siècle autant qu’une errance inspirée dans l’histoire récente de la musique. (H.L.)

Bientôt vont débuter les commémorations du centenaire de la Grande Guerre : en guise de prélude, deux frères historiens, JeanNoël et Francis Grandhomme, publient un ouvrage de plus de 500 pages, le premier à traiter de 14-18 en Alsace et Moselle de manière aussi complète. Très richement illustré (par plus de 250 photographies, reproductions de journaux, cartes postales…), ce livre est une passionnante synthèse. Le lecteur passe en effet du théâtre des opérations – Hartmannswillerkopf, Linge, Tête des Faux, principalement – aux destinées individuelles qui entraînent les hommes dans les armées allemandes (pour la plupart) et françaises. Un intéressant éclairage est également donné sur les populations civiles où voisinent loyauté envers le Kaiser et élans francophiles. La vision, kaléidoscopique permet une meilleure compréhension de ces années. (H.L.) Les Alsaciens-Lorrains dans la Grande Guerre est paru à La Nuée Bleue (22 €) www.nueebleue.com

Collection Mémorial Alsace-Moselle / Fonds Nicole

30 ans de création musicale, édité par L’Empreinte digitale (20 €)

www.empreintedigitale-label.fr www.accrochenote.com

Un caïman ça trompe énormément

le caïmantoultan est un drôle d’alligator ! un jour, il raconte qu’il en a assez, bien haut, bien fort, comme il le pense, et le lendemain – tiens donc ? – il a tout oublié ! comme s’il avait digéré ses pensées ! À ses gros yeux, ça n’a plus d’importance.

non mais : tu ne trouves pas ça un peu… agaçant ?

Dans la jungle, on n’est pas des sauvages ! Caïmantoultan, drôle d’alligator un brin solitaire et pas très sympathique n’a guère de compagnons de jeux. Les autres animaux (hippo, rhino, serpent, tatou, kudu…) le regardent d’un mauvais œil, lui le rabat-joie qui croit n’avoir besoin de personne, jusqu’au jour où la tempête le coince sur un palétuvier. Une fable pleine de jeux de mots signés Claro, mis en images, tout en rondeurs, par l’illustratrice nancéenne Nathalie Choux. Une chouette histoire, traversant tout un bestiaire luxuriant de bestioles exotiques et colorées, pour les petits d’homme, dès 4 ans. (D.V.) Qui veut sauver le caïmantoultan ? est paru chez Actes Sud Junior (13 €)

www.actes-sud-junior.fr

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LIVRES – BD – CD – DVD

LES SECRETS DE PIERRE De son dernier voyage en Espagne, l’oncle José a ramené un chien en plâtre, capable par ses changements de couleur de prédire le temps du lendemain. Pierre et ses parents l’ont baptisé Costa Brava. Cette douce histoire signée Olivier Douzou va rapidement basculer lorsque Pierre brisera par inadvertance la figurine. Enchainement de maladresses, de mauvais choix et voilà l’enfant croulant sous le poids du secret et de la dissimulation. Cette fable prend vie sous les traits, couleurs et coulures flamboyantes de la nancéenne Frédérique Bertrand qui se joue avec tendresse de la culpabilité enfantine. (I.S.) Costa Brava, de Frédérique Bertrand et Olivier Douzou, paru au Rouergue, à lire dès 4 ans (16 €) – www.lerouergue.com

ROLLING STONES

À lyvre ouvert Bienvenue ! Le nouveau disque de Lyre Le Temps (voir Poly n°125 ou sur www.poly.fr) débute en fanfare par un Welcome sur ressorts, avec scratches sautillants et beats accueillants. Le trio strasbourgeois bondit hors de sa boîte et balance des titres entre hip-hop et charleston. Il s’offre des escapades jamaïcaines (Going On avec Beat Assailant) et autres virées electrojazzesques (Looking like this), courses effrénées dans New York City en taxi jaune, voyages à grande vitesse dans la Swing Machine et incursions Rock’n’Roll, faisant se rencontrer Buck 65 et AC/DC. Outside the Box aligne les tubes à toute blinde : même le mal nommé Relax (à base de samples et de popopopop) ne permet pas de souffler. Aucun répit, avec RY’M, Rhum One et DJ Q. (E.D.)

Rocky, petit rocher suisse tout rondouillard d’à peine sept millions d’années, vit encore accroché dans les jupons pentus de sa maman, gracieuse montagne surplombée d’une coquette calotte de neige. Un beau jour, il est croisé par Erose, jolie roche italienne qui continue sa route tandis que Rocky reste dans le pli de la robe de sa mère, attendant le craquement libérateur… Il faut un cœur de pierre pour ne pas succomber à l’histoire de ces gros cailloux, pour résister à cette fable écolo écrite par Alain Foix et illustrée par Nikol (voir Poly n°153), auteur de grandes planches représentant de magnifiques paysages alpins au style pictural, évoquant les manuels scientifiques d’antan. Le duo nous convie à une escalade ludico-poétique hantée par la question du réchauffement climatique. Qu’on se rassure, Rocky et Erose vécurent heureux et eurent beaucoup de galets. (E.D.) Rocky le petit rocher, édité par Gallimard jeunesse Giboulées (16,50 €) www.gallimard-jeunesse.fr

Outside the Box, édité par Believe Recordings (13,99 €) www.believerecordings.fr En concert à Mulhouse, au Parc Expo, samedi 9 novembre (dans le cadre de Cité Jeune avec Sinsemilia, Patrice…) www.mulhouse.fr – www.lyreletemps.com

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société

épices & love Présidée par Isabelle Haeberlin, Épices a pour vocation de promouvoir l’éducation nutritionnelle et l’insertion sociale. L’association, dont le credo peut se définir par le slogan « faire et goûter », vient d’ouvrir son école de cuisine à Mulhouse. Visite.

Par Hervé Lévy Photos de Stéphane Louis pour Poly

L’école de cuisine de l’association Épices est située 44 avenue Kennedy à Mulhouse www.epices.asso.fr

À

quelques encablures de la Tour de l’Europe, à côté d’un mythique magasin de modélisme ferroviaire mulhousien, l’association Épices a installé son école de cuisine dans un espace clair, fonctionnel et élégant de quelque 200 m2. C’est un jour comme un autre et le vaste local bruisse de multiples voix : d’un côté, des enseignants en charge de Classes du goût1 sont en formation tandis que, de l’autre, des ados en Segpa2 au Collège Kennedy confectionnent une tarte aux pommes après avoir cueilli les fruits dans un verger le matin même, puisqu’il est bien entendu que l’histoire d’un plat commence au jardin. L’engagement d’Isabelle Haeberlin, femme du chef de la prestigieuse Auberge de l’Ill à Illhaeusern3 (triplement étoilée au Michelin) dans Épices remonte à 2009. Cette année-là, elle décide de fonder une association dont l’acronyme signifie Espace de Projets d’Insertion, Cuisine et Santé. Sa philosophie? « La cuisine est un moyen fantastique de relier les gens. En créant Épices, nous avons voulu imaginer un lieu d’échange, d’apprentissage et de partage où la transmission entre les générations est centrale ». Les premières expériences se déroulent à Colmar ou Mul-

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house, « dans des cuisines mises à disposition par les villes dans certains centres sociaux culturels ou dans celles des Segpa, mais aussi dans celles de l’Auberge que nous avons très rapidement “squattées” les jours de fermeture, les lundis et mardis. Il fallait inventer par manque de moyens ». Très vite l’idée est venue d’installer une école pérenne sur un site unique, même si le maillage du territoire se poursuit, aujourd’hui encore, en parallèle, avec des sessions “nomades”. Inaugurée début octobre, elle a vu le jour grâce à un partenariat avec l’Éducation nationale, la Ville de Mulhouse et le Ministère de l’Agriculture4. L’association a su fédérer bien des énergies pour porter haut l’étendard de la qualité et une volonté localiste dans le choix des produits. Ce n’est donc pas un hasard si Épices est soutenue par l’Association française des maîtres restaurateurs5 dont certains membres interviennent – bénévolement – à Mulhouse. Histoire de rappeler que l’alimentation industrielle et les “sachets” ont fait bien du mal à une profession… Si l’aventure a débuté avec les plus petits, un public naturel pour Isabelle Haeberlin, directrice de l’école Maternelle Les Pâquerettes de Colmar, elle s’adresse aujourd’hui à tous :


adolescents, adultes (et les mamans y ont une place centrale), aînés… Au cœur du projet, la transmission est essentielle : « Les adolescents que vous voyez vont également partager ce qu’ils ont appris avec des plus jeunes dans le cadre de “tutorats du goût”. C’est un processus en cascade » explique Muriel Santin, enseignante au Collège Kennedy. « Ce sont des histoires qui s’échangent, des destinées qui se croisent. L’important est que les gens se sentent bien ici, c’est pourquoi nous ne formalisons pas les choses. Tout se passe de manière naturelle, dans le respect de l’autre, sans jamais donner de leçon ex cathedra » affirme Isabelle. Autour de nous, l’atmosphère est à la fois studieuse et détendue : la professeure est dégagée de tout lien d’autorité sur ses élèves « et cela fonctionne parfaitement » conclut-elle. Aujourd’hui, c’est Stéphanie Weill (détachée de la Ville de Mulhouse) qui coache un petit groupe occupé à préparer une

pâte avec un matériel top niveau, un robot KitchenAid : « Nous sommes en dehors du contexte scolaire et nous avons voulu créer un cadre d’excellence. C’est indispensable pour que chacun se sente valorisé. Personne n’aurait été dupe si nous avions pris du deuxième choix. » Apprendre à confectionner un gâteau, découvrir le goût d’une quetsche, composer un petit déjeuner équilibré, créer un nouveau rapport à la nourriture, faire découvrir les potentialités de la restauration afin, pourquoi pas, de générer des vocations, trouver les mots pour nommer les légumes ou les sensations… Les actions menées au sein d’Épices sont aussi variées que les publics auxquels s’adresse l’association. La réussite du projet ? Elle se lit dans les yeux et sur le sourire de Sermina, Morgane et de tous leurs copains et copines qui, ce jour-là, préparèrent une tarte d’anthologie…

1 En primaire, certains professeurs animent de telles séances dans leurs classes avec pour objectif de développer le sens du goût et de verbaliser les sensations gustatives 2 Section d’enseignement général et professionnel adapté. Elles accueillent, selon la définition de l’Éducation nationale « des élèves présentant des difficultés d’apprentissage graves et durables » ne maîtrisant pas « toutes les connaissances et compétences attendues à la fin de l’école primaire » 3

www.auberge-de-l-ill.com

La labellisation Maison de l’Alimentation est en cours

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www.maitresrestaurateurs.com

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la parenthèse (dés)enchantée En compétition pendant Augenblick, festival du cinéma en langue allemande en Alsace, Talea est un film autrichien d’une grande sensibilité.

Par Hervé Lévy

Projections en présence de la réalisatrice Katharina Mückstein (pour les autres séances, consulter le site du festival) : À Strasbourg, au Star SaintExupéry, mardi 26 novembre à 20h À Guebwiller, au Florival, mercredi 27 novembre à 20h www.labandafilm.at

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lle a 14 ans. Vit dans une famille d’accueil, quelque part en Autriche. Se prénomme Jasmin et traîne son blues en plein cœur de l’été. Les filles de son âge se moquent d’elle avec ses kilos en trop, son air buté et sa frange tragique. Plutôt que de partir en vacances en Italie avec ceux qu’elle abhorre, elle décide de rejoindre sa mère, taularde en liberté surveillée, pour une échappée belle théoriquement interdite. Et nous suivons la jeune fille qui pédale à toute berzingue pour échapper à sa destinée sur une musique hypnotique. Voilà le point de départ du premier film – plusieurs fois primé – de la jeune réalisatrice Katharina Mückstein au titre énigmatique plus aisé à comprendre lorsqu’on sait qu’en italien Talea signifie bouture… Nous est ici relatée la découverte d’une mère par sa file (et vice-versa) autant qu’un apprentissage doux-amer de l’existence. Dans ce film mutique aux images composées avec un soin extrême, les personnages évoluent sans cesse sur la corde raide, évitant les écueils du sentimentalisme et du didactisme. Rien n’est “imposé” et chaque spectateur est renvoyé à ses propres réflexions face à ces deux femmes qui tentent de s’apprivoiser, entre moments d’une grande douceur (le partage d’une première cigarette, une soirée où la fille, oubliant sa timidité et ses inhibitions, se met à danser)

et passages où sourd une intense douleur. Voilà une fable sur l’inconnaissance de l’autre dans le monde d’aujourd’hui, toujours en toile de fond, avec ses laids lotissements et ses zones industrielles sans âme. Talea est plein d’une puissante mélancolie et d’un âpre réalisme méditatif. Un instant suspendu où le temps semble s’être arrêté…

direction autriche Cette année, le festival Augenblick donne un coup de projecteur sur l’Autriche et son cinéma dont on ne connaît (presque) que Michael Haneke. Pour cette neuvième édition, un dense menu a été concocté avec plus de trente films (pensons au passionnant Deux mères d’Anne Zohra Berrached primé à la Berlinale, en 2013). Un des temps forts sera aussi la venue de l’immense Ulrich Seidl (rencontres avec le public à Colmar, au Colisée, le 15 novembre à 19h, le 16 à 20h au Star SaintÉxupéry de Strasbourg et le 17 à 14h au mulhousien Bel Air) avec la possibilité de voir l’intégralité de sa trilogie Paradis. Dans dix-neuf cinémas alsaciens, du 12 au 29 novembre www.festival-augenblick.fr



THÉÂTRE ENGAGÉ

révolution de cuisine Dernier volet d’une trilogie commencée avec We are la France et We are l’Europe, Que faire ? (le retour) voit le couple de géniaux comédiens François Chattot et Martine Schambacher 1 refaire le monde dans sa cuisine. Passage en revue des plats de résistance avec monsieur, quand Kant devient tank.

Par Thomas Flagel Portrait de François Chattot par Benoît Linder pour Poly & photo du spectacle par Vincent Arbelet

À Strasbourg, au Théâtre national de Strasbourg, du 13 novembre au 1er décembre 03 88 24 88 24 – www.tns.fr

Rencontre en bord de plateau, mercredi 20 novembre, à l’issue de la représentation

1 Couple à la vie, les deux comédiens jouent ensemble pour la première fois depuis leur sortie de l’École du Théâtre national de Strasbourg, en 1977 (groupe 16)

Édité chez Verticales en 2009 www.editions-verticales.com 2

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Quel était le point de départ du metteur en scène Benoît Lambert : les nombreux textes jalonnant la pièce ou la situation du couple? Il avait une trame précise, un fil conducteur : une boîte, comme une case de BD avec deux figurines, monsieur A et madame B. Deux petits Playmobils dans la cuisine avec les commissions de madame, habillés avec des panoplies interchangeables. Benoît tenait beaucoup à ce côté cinémascope : un plateau tout en largeur, volontairement assez bas pour pouvoir jouer n’importe où, notamment dans des villages qui n’ont pas de théâtre. Cela fait penser aux films de Jacques Tati : l’humour de situation d’un type qui bricole pendant que sa femme rentre avec les courses et se met à faire un boucan d’enfer dans une exagération machinale de gestes quotidiens… Tout à fait, on pense à Tati mais aussi à Pierre Étaix, tous ces univers stylisés. Nous avons dû faire en sorte que nos personnages soient anonymes, comme des spécimens. Si nous devions présenter le spectacle à des Martiens, nous pourrions leur montrer cet appartement témoin qui donne un principe de fonctionnement des animaux que nous sommes. Dans le scénario, Benoît Lambert place un caillou qui bloque le train-train auquel on assiste : un livre. Mais il voulait, avant ça, que le public ait peur d’être tombé dans une de ces pièces hyperréalistes des années 1970 où l’on s’ennuie avec un couple de p’tits vieux qui mangent de la soupe. Ma femme trouve Descartes comme une poule découvre un couteau et tout bascule. Elle n’est clairement pas habituée à lire, il n’y a même pas de livre de cuisine ici ! Nous menons deux vies parallèles au même endroit, sans nous parler. Lui grogne de temps en temps et elle doit gémir à l’occasion, c’est tout. S’ensuit un inventaire en règle de la pensée autour des textes engagés de JeanCharles Massera qui revisite de grands

auteurs (Proudhon, Marx, Nietzsche, Malevitch, etc.) dont vous vous délectez… Tout est tiré d’un morceau du livre We are l’Europe 2 qu’il n’a pas utilisé quand il l’a transposé sur scène. Un énorme chapitre intitulé On garde ? Nous avons fait des choix dedans, il en reste 5%. La révolution russe nous semble nécessaire pour le XXe siècle et l’évocation de 1789 permet de mettre Martine en larmes parce qu’il n’y a plus de roi ! Elle est de ces p’tites dames voulant tout savoir de Lady Di ! Autant d’indices sur les Playmobils que nous sommes. Vous ne tardez pourtant pas à les dynamiter. Votre personnage est cynique et réaliste alors qu’elle se révèle radicale et révolutionnaire… Absolument. Elle est beaucoup plus ouverte à la révolution alors même que je défends des positions social-démocrates, strauss-khanoextrémistes. Benoît Lambert voulait qu’on en vienne rapidement à la castagne familiale suivant toute discussion politique. En s’alpaguant et se rentrant dedans, ce couple se trouve dans un état d’émotions incroyable. Plus ils cherchent de la littérature, plus ils trouvent de l’émotion. Et inversement ! Plus ils se trouvent en somme. On ne peut dévoiler la fin mais elle est aussi extrême que les sentiments et les idées ressurgies… J’aime beaucoup le long passage de Deleuze sur Mai 68 : l’héritage que nous devrions en garder n’est pas celui qu’on essaie de nous faire avaler. La pauvreté du discours actuel fait primer l’événement sur les possibilités qu’il a ouvertes. Comme si nous ne voulions pas les voir… Mai 68 est un événement émotionnel qui a fait réfléchir un tas de monde. Les gens avaient aussi une certaine sensualité avec ce qu’il se passait dans l’instant. Ils faisaient quelque chose d’inattendu. Deleuze le dit bien : l’événement est quelque chose qui n’est pas totalement repérable par la norme. Ce n’est pas la succession chronologique d’événements, de


lois qui aboutissent à cela. Le déterminisme joue sa part, accompagné d’un grain de sable : l’événement qui coagule sans que l’on sache comment, créant une émotion de l’instant. Il est important de le faire ressentir aux gens, surtout avec toutes les caricatures accolées à Mai 68 – et il y avait de quoi faire ! C’est le moment où je sors de scène pour m’adresser directement au public. Un des spécimens quitte sa boîte et nous créons un événement dans la pièce, comme chez Tex Avery : le mot fin apparaît et un personnage continue à déconner… Les sentiments qui vous lient dans la pièce nous font, aussi, vous écouter avec attention… Certainement, car la littérature qui les nourrit les rend sensibles à l’autre. Le public est touché par cela. Il entend les textes politiques avec une oreille ouverte à la sensualité des corps et de la pensée. La pensée peut être sensuelle, ce n’est pas une chose inerte, congelée dans un frigo, faite de concepts ! Dire que, d’un seul coup, la pensée n’a de sens que si on l’éprouve, la ressent, si elle se cultive comme de la vie et peut, ainsi, procurer du plaisir est incroyable ! D’autant qu’à la télé, les émissions où on pense ne sont pas faciles. Avec Bernard-Henri Lévy t’as pas toujours envie de bander ! Dans cet inventaire de cuisine où l’on déplace la pensée dans le quotidien, vous donnez un héritage au public qui doit s’en emparer, garder des choses et en jeter d’autres… Et pas besoin d’être un spécialiste pour le faire, contrairement à ce qu’on essaie de nous dire à longueur de temps ! Ce qu’on garde doit être un outil pour construire une vie moins conne, pour vivre mieux tout seul, à deux, trois ou quatre ! Vivre avec la littérature, la philosophie et la politique c’est comme vivre avec des gens. On se mélange, on bouge, on évolue, ça s’en va et ça revient ! Faire cet inventaire dans une cuisine prouve aussi que c’est de la nourriture : celle du corps et de l’esprit. C’est comme apprendre un texte au théâtre, ça ne sert pas seulement à le savoir par cœur. Il est en toi, comme un alien, un extraterrestre rentré par les mots ! Tu as mangé des constructions de phrases qui ne te sont pas familières, des mots que tu n’utilises pas. Donc ta pensée s’ouvre et tu rentres dans celle de quelqu’un. C’est chamanique, tu es possédé par un texte et quand tu le réanimes, le remet en vie par ton souffle et ta voix, les spectateurs sont branchés en direct avec la pensée de l’auteur, avec une autre époque. Tout cela est extrêmement mystérieux mais se pratique depuis la nuit des temps et pour longtemps. Poly 162 Novembre 13

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THÉÂTRE

into the factory Pierre Maillet et le Théâtre des Lucioles créent leur nouveau spectacle au Maillon, d’après deux films underground de Paul Morrissey avec la bande de la Factory warholienne. Flesh / Trash, ou le quotidien de marginaux, entre prostitution choisie, came dure, troubles existentiels et idéaux perdus.

Par Thomas Flagel Photo de Bruno Geslin

À Strasbourg, au Maillon, du 13 au 15 novembre 03 88 27 61 81 www.maillon.eu Rencontre avec Pierre Maillet et l’équipe artistique, jeudi 14 novembre à l’issue de la représentation Exposition de photographies de Bruno Geslin dans le bar du Maillon autour de la création de Flesh / Trash

1 Film underground et expérimental réalisé par Andy Warhol et Paul Morrissey en 1966 qui fut le premier succès commercial de Warhol 2 Rupture brutale dans la continuité d’une scène créée au montage en modifiant de manière visible une partie d’un plan ou d’une scène

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Quand avez-vous découvert ces deux films, Flesh et Trash ? Assez tardivement. J’en avais beaucoup entendu parlé, avec plus ou moins de justesse car l’image qui m’en avait été rapportée était plus sulfureuse, arty et gay… stigmatisée ! Il faut bien se rappeler que c’est cela qui a surtout choqué et pas la nudité et la sexualité, guère explicites comparées à La Vie d’Adèle ! La liberté affichée dans les mœurs n’était pas acceptable… Tout à fait. La nonchalance, l’innocence filmée comme jamais auparavant, notamment l’érotisme et la nudité masculine, sont déstabilisantes pour le grand public ! Les gens avaient du mal à accepter, dans Flesh, que Joe aille se prostituer pour payer l’avortement de la petite copine de sa femme. C’est tellement loin de nos schémas, mais lui ne souffre pas de cette situation, c’est une normalité à l’intérieur d’une marginalité. Souvent les gens se rassurent en plaçant les homosexuels, les travestis et les drogués dans des cases alors que les êtres sont éminemment complexes et qu’ils ont envie de vivre comme tout le monde sans être des rebelles. Les films cristallisent la Factory de Warhol et immortalisent à jamais l’énergie de ceux qui l’animent… Inévitablement, ce sont les témoins d’une époque et d’une aventure. Amener ces films vers le théâtre, m’en emparer comme matière permet aussi de s’en écarter tout en restant fidèle à leur esprit. Les histoires de chacun gagnent en force lorsqu’on diminue l’omniprésence électrique de Joe. Pour m’en affranchir, je n’ai pas non plus collé à la trilogie puisque je regroupe Flesh (1968) et Trash (1970) avant de créer Heat (1972) l’an prochain. Les deux premiers sont conçus sur la même trame dans New York. Heat, plus cynique et dur, se passe à Los Angeles. C’est un brûlot sur l’art devenu mercantile, remplacé par le divertissement, l’entertainment à l’américaine. La solitude des gens y reste pourtant la même.

Paul Morrissey capte la fin d’une époque où les marginaux ne sont plus des hippies, l’ambiance pas très joyeuse. Ils sont malgré tout très libres sans être véritablement heureux ! Tout cela me touche. Dans Flesh, il y a des passages lumineux. Joe se cherche et on attend des scènes sordides sur la prostitution qui n’arrivent pas ! Les gens qu’il rencontre lui veulent plutôt du bien, même s’ils le paient pour coucher avec lui : rien n’est dur, ni glauque, ni sordide ! Les relations entre les êtres sont belles. Il y a quelques moments de pure poésie, par exemple lorsqu’il joue, nu avec son enfant sur un tapis, avant de sortir tapiner. Tout le monde peut ainsi s’identifier à des personnes qui d’habitude sont stigmatisées à outrance. Dans Trash, Joe est toxicomane et la métaphore de la drogue marque la fin de la communauté et de l’idéal. On est avant les années sida et ce sont eux qui vont expérimenter, les premiers, les ravages massifs des drogues de l’époque. On voit des gens se brûler à des choses mais avec beaucoup de vie. Qu’est-ce que Flesh / Trash nous raconte d’aujourd’hui ? Il est important de revisiter cette époque car elle a des idéaux que nous avons perdus. Cette pièce déplace nos regards et les idées préconçues que l’on peut avoir. Des choses terribles ont été dites autour du mariage pour tous. Ce que cela crée de violence envers les personnes et leurs façons de vivre dans une société soi-disant libre, me laisse penser que la liberté est ailleurs ! Malheureusement, nous étiquetons encore bien trop les autres. Comment imbriquez-vous les deux histoires dans un même espace-temps ? À la manière de Chelsea Girls1 où les images étaient projetées sur deux écrans, côte à côte ? C’est ce qui a guidé l’adaptation, avec l’idée de faire jouer Joe par deux comédiens et d’en faire deux frères qui se rencontrent. J’ai choisi de les mettre en parallèle : il y a celui qui va bien


(Flesh) et celui qui souffre (Trash). L’un perturbe l’autre, amène de l’ambivalence et surtout accentue l’effet de groupe puisque ce sont les douze mêmes comédiens sur scène. On passe de la tête de l’un à celle de l’autre dans des allers-retours. On suit plus le parcours de Joe dans Trash, celui de Flesh venant par découpage, comme les jump cuts2 du film. Une longue scène avec le travesti Holly Woodlawn qui l’héberge chez elle dans une petite pièce est au centre du spectacle. Tout s’enchaîne comme s’il avait des flashs : Trash se veut ainsi plus mental. La drogue est pour lui comme un moyen de revisiter des moments passés de sa vie. Quelles armes utilisez-vous pour empoigner ces films ? Le plan séquence est éminemment théâtral mais comment rendre la sensualité de la peau, les gros plans charnels ? Il y aura très peu de vidéo. J’aurais pu faire des projections sur les corps à la manière de Warlikowski. Mais je trouve compliqué de faire des films sur des films. Les noirs répondent au jump cut, mais c’est surtout dans le jeu que cela passera. La sensualité des films vient de la manière dont les acteurs – qui n’en étaient pas – avaient de ne pas jouer, mais d’être. Ils sont là, dans toutes les situations avec une manière de s’en foutre. J’espère que nous arriverons à cela.

Et puis la nudité au théâtre est souvent gratuite, ou tend vers une noirceur et une provocation. Ici, il y a de la beauté. À nous de faire croire que l’on vit sur le plateau. Devrez-vous désapprendre votre métier de comédien pour être comme eux ? C’est le challenge, d’autant qu’à l’inverse d’eux, nous ne menons pas ce type de vie ! Et ce n’est pas rien à faire, ce sont des partitions compliquées. Mais là où Morrissey est très intelligent c’est qu’il cadre les choses, leur donne une histoire. Il n’aurait peut-être pu capter cette énergie et dresser un tel portrait de ces personnes incroyables dans un documentaire. Tous ces travestis, Holly Woodlawn, Jackie Curtis, Candy Darling sont bigger than life, pas banals tout en ayant des problèmes communs. Quelle musique entendrons-nous ? Le Velvet ? Makin’ Wicky Wacky down in Waikiki comme en ouverture de Flesh ? Je me suis instauré une règle : il fallait ne faire que des reprises, comme ce qu’est la pièce par rapport aux films. Du coup il y aura Sweet Jane, Walk on the wild side par le groupe pop Coming Soon, Patti Smith interprétant Nirvana… La seule exception est pour Sunday morning du Velvet !

Morrissey filme comme Cassavetes, en s'intéressant à une population encore plus marginale

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JEUNE PUBLIC

promenons-nous dans les bois

Grinçante et impertinente, la version du Petit Poucet de Laurent Gutmann ne plaira pas qu’aux enfants. Le metteur en scène s’inspire du conte de Perrault pour éclairer avec humour des questions de société : éducation, vide affectif, course effrénée à la consommation… Par Dorothée Lachmann Photo de Pierre Grosbois

À Saint-Louis, à La Coupole, samedi 9 novembre 03 89 70 03 13 www.lacoupole.fr À Belfort, au Granit, jeudi 21 novembre 03 84 58 67 67 www.legranit.org

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uand on a trois bouches à nourrir et seulement les moyens pour deux, qu’est-ce qu’on peut bien faire ? Par exemple, jouer à cache-cache en forêt et abandonner l’enfant qui compte jusqu’à cent. Dans l’adaptation du Petit Poucet de Laurent Gutmann, la pauvreté n’est pas que financière, elle est aussi culturelle et, surtout, prend la forme d’une carence en amour. Un rejeton, même un seul, ça empêche ses géniteurs de s’épanouir dans leur vie personnelle et de faire du sport ! Qui a dit que l’instinct maternel (ou paternel) était une évidence ? La tendresse ne se commande pas… Au fond, quand les parents abandonnent leur gosse,

c’est pour son bien, pour qu’il grandisse. Si Charles Perrault n’a pas osé ce cynisme, c’est que les temps changent. La morale a laissé la place à l’analyse. Pourtant, les histoires demeurent les mêmes… En réécrivant le conte d’un point de vue social, Laurent Gutmann a voulu rester fidèle à sa trame et aux terreurs qu’il suscitait en lui, enfant. Ici, ce n’est pas l’apparence de l’ogre qui est monstrueuse, mais son âme. Quant à Poucet, s’il est petit, il n’est, pour autant, pas un enfant : en choisissant Jean-Luc Orofino, un comédien de petite taille, pour l’interpréter, le metteur en scène lui donne les traits d’un homme de quarante ans. « Si le Petit Poucet est resté petit alors qu’il a vieilli, c’est parce que le regard de ses parents n’a pas changé. Ils continuent de voir en lui un gamin et c’est bien là le problème », explique le metteur en scène. Provocateur, le sous-titre du spectacle, Du bienfait des balades en forêt dans l’éducation des enfants, est juste « une façon de dire une vérité. Pour que l’enfant trouve sa juste place dans la famille et puisse ensuite être un adulte, il faut que les parents l’aident à partir, à quitter la maison. Et si, dans le spectacle, ils l’abandonnent de façon très égoïste, c’est une chance pour lui. C’est paradoxal : il aura grandi grâce à l’abandon ! » Comme chez Perrault, le Poucet de Gutmann compense sa petite taille par une grande intelligence. Attiré par le bling-bling d’une maison en or (exit le pain d’épices), il se retrouve prisonnier d’une ogresse sexy en robe à paillettes et d’un ogre, jeune cadre dynamique en costume-cravate taillé sur mesure. Son habileté et sa roublardise lui vaudront d’escroquer son monde et de retourner chez ses parents avec une valise remplie à ras bord. Il va être accueilli à bras ouverts. Mais au fait, que contient donc cette valise ?


cycle de vie

Découverts en 2008 avec Woyzeck on the Highveld 1, la Handspring Puppet Company 2 revient dans le cadre de la Saison sud-africaine en France avec Ouroboros. Par Irina Schrag Photo de Luke Younge

À Mulhouse, à La Filature dans le cadre du Focus sur l’Afrique du Sud, mardi 26 et mercredi 27 novembre (en anglais surtitré en français) 03 89 36 28 28 www.lafilature.org À Strasbourg, au TJP Grande scène (dès 10 ans, en anglais surtitré en français), vendredi 29 et samedi 30 novembre 03 88 35 70 10 www.tjp-strasbourg.com www.france-southafrica.com

Lire Apartheid de l’esprit, dans Poly n°130 ou sur www.poly.fr

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www.handspringpuppet.co.za

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ondée en 1981 à Cape Town, la compagnie sud-africaine a littéralement conquis le monde avec son théâtre de marionnettes en bois sculpté et l’interaction chorégraphique de ses comédiens manipulateurs – blancs et noirs depuis sa création, un acte de résistance active dans un pays alors en plein Apartheid. Ouroboros, créée en 2011, se reçoit comme un poème dont les images transpercent en laissant trace. Nous sont contés les destins d’un poète, André, et d’une danseuse, Nokobonisa, de leur naissance à leur mort. Cette histoire d’amour donne des ailes à chaque personnage se démenant dans le tourbillon de la vie, entre poids du passé (les disputes parentales, la disparition d’une grand-mère protectrice…) et peurs de ses émotions. Mêlant sauts dans le temps et multiplication de protagonistes secondaires, la trame du spectacle joue du talent rare des membres de la Handspring Puppet Company, toujours visibles sur scène. L’effet “magique”

des mouvements des marionnettes, évoluant seules, est délaissé au profit d’une présence des manipulateurs, à leur hauteur, dans un mimétisme à couper le souffle. L’expressivité et l’intensité de leur jeu comme de leur maniement apportent un supplément d’âme et de sens à chaque action. Et l’on vit toutes les péripéties comme si elles nous arrivaient ! Inspiré du poète américain Billy Collins, Ouroboros, antique symbole représentant le cycle circulaire et répétitif de la vie, met en avant le courage des personnages, suivis à trois âges de la vie. Un bestiaire africain et l’utilisation précieuse du théâtre d’ombres emmène le public, avec douceur, dans les pensées, les rêves et les peurs d’André et Nokobonisa : le cœur qui s’échappe et qu’on offre, l’évocation de la mort emportant une vieille dame aimée, des poissons volant au-dessus du lit familial ou encore la traversée du Styx… Souffrir, aimer et vieillir, et tout recommencer. Poly 162 Novembre 13

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THÉÂTRE

le meilleur des mondes Trois décennies après l’avoir monté, Pierre Diependaële remet sur le métier un texte intemporel de Voltaire. Candide ou l’Optimisme est un conte philosophique écrit au Siècle des Lumières pour lutter contre l’obscurantisme qui n’a rien perdu de son actualité.

Par Dorothée Lachmann Photos de répétition de Louis Ziegler

À Strasbourg, au TAPS Scala, du 12 au 17 novembre 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu À Bouxwiller, au Théâtre Christiane Stroë, du 19 au 23 novembre 03 88 70 94 08 www.theaboux.eu À Vendenheim, à l’Espace culturel, vendredi 17 janvier 2014 03 88 59 45 50 www.vendenheim.fr

C’

est peu banal. Alors qu’il avait déjà mis en scène Candide en 1985, Pierre Diependaële, directeur du Théâtre du Marché aux Grains de Bouxwiller, a ressenti la nécessité de recréer ce spectacle, vingt-huit ans après, afin de « questionner à nouveau l’efficacité du texte. À l’époque, le Rideau de Fer n’était pas tombé, les équilibres mondiaux n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui », explique-t-il. Et pourtant, ce Candide né au XVIIIe siècle trouve toujours un même écho, quelle que soit la période de l’Histoire. « Le texte de Voltaire a été publié en 1759, mais nos guerres économiques ne sont pas moins violentes que les affrontements de l’époque, les inégalités de notre société pas moins scandaleuses. L’insondable bêtise humaine vit toujours. Si le monde n’est plus le même, si les moyens de se battre sont différents, les raisons de le faire sont identiques. » Publié sous pseudonyme, Candide fut brûlé en place publique à Genève, interdit à Paris et mis à l’index par le Vatican. Ce qui ne l’a pas empêché de connaître immédiatement un immense succès, avec pas moins d’une vingtaine de rééditions du vivant de l’auteur. « Ce que nous apprend Voltaire aujourd’hui encore, c’est le devoir d’exercer notre esprit critique pour fonder notre liberté et notre engagement. Mais dans la joie ! Il était un

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homme plein de vivacité, pas du tout désespéré », assure Pierre Diependaële. C’est donc dans la joie que Candide entame son périple initiatique, convaincu par son maître philosophe que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ». Sauf que… de la Bulgarie au Paraguay, de Constantinople à Lisbonne, jusqu’au pays d’Eldorado, le jeune homme va assister aux multiples catastrophes engendrées par une humanité pétrie de vices, de cruauté et d’injustice. À la façon d’un grand reporter, Voltaire critique l’actualité du monde à travers les yeux naïfs de son héros. Dans cette mise en scène, l’aventure se déroule dans un petit cabinet d’horlogerie. Un voyage immobile et un clin d’œil au déisme de Voltaire, qui croyait en un Grand Horloger aux commandes de l’univers. Mais ce que l’on sait moins est que le philosophe a développé des activités économiques, en particulier une fabrique de montres à Ferney. Double référence, donc, autour d’un choix dramaturgique qui refuse l’adaptation pour lui préférer le texte authentique de Voltaire, porté par six comédiens en pleine activité manufacturière. Quant à la mystérieuse conclusion de Candide, chacun y trouvera sa propre interprétation : « Il faut cultiver son jardin ».


THÉÂTRE

tandis qu’il agonise À 87 ans, le monumental Michel Bouquet reprend pour la quatrième fois Le Roi se meurt d’Eugène Ionesco qui lui valut le Molière du meilleur acteur en 2005. Entre réflexion métaphysique et grand guignol, le spectacle fait étape à Sochaux et Thionville.

Par Dorothée Lachmann Photo de Bernard Richebé

À Thionville, au Théâtre, samedi 9 novembre 03 82 83 01 24 www.theatre-thionville.fr À Sochaux, à la MALS, vendredi 22 novembre 03 81 94 16 62 www.mascenenationale.com

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e Cid a pour toujours les traits de Gérard Philipe, la Dame aux Camélias gardera éternellement les poses alanguies de Sarah Bernhardt et l’agonie de Béranger Ier est gravée à jamais dans le visage émacié de Michel Bouquet. C’est ainsi. Certains acteurs portent si haut leur personnage qu’ils en deviennent indissociables. À tel point que le duo qu’ils composent se transforme en mythe. Depuis 1994, date de la création du Roi se meurt par le metteur en scène Georges Werler, Michel Bouquet n’a eu de cesse d’y revenir régulièrement, comme si ce rôle, incarné à près de sept cents reprises, était inéluctablement le sien. Du sur-mesure pour un comédien au sommet de son art. Évoquant la genèse de cette collaboration, Georges Werler se souvient : « L’œuvre attirait Michel Bouquet et il la craignait, tant le personnage de Béranger Ier lui semblait proche et pourtant inatteignable dans son mystère. Chaque fois que nous l’avons reprise – et c’est aujourd’hui la quatrième – nous avons ressenti la nécessité de repasser par l’innocence et la découverte. » Si la mise en scène demeure la même qu’à la création, elle évolue avec le monde, appuyant de plus en plus sur la farce. « Je n’ai jamais compris, pour ma part, la différence que l’on

fait entre comique et tragique. Le comique étant l’intuition de l’absurde, il me semble plus désespérant que le tragique. Le comique n’offre pas d’issue », écrivait Eugène Ionesco dans Notes et Contre-notes. À la fois drolatique et macabre, cette pièce écrite en 1962 est le rendez-vous d’un roi avec son propre trépas. Dans ce royaume imaginaire, rien ne va plus, l’anarchie gagne du terrain à mesure que la santé du monarque se détériore. Le froid s’installe, les murs du palais se lézardent. Le médecin est formel, il l’a vu dans les astres : la fin est proche. Mais pour le roi, l’inéluctable est impossible, puisqu’il n’a pas décidé de mourir. Autour de lui, la cour s’emploie à lui faire regarder la réalité en face. Malgré ses forces qui le quittent peu à peu, Béranger Ier reste convaincu de son éternité. Doucement il va glisser vers la résignation, scandalisé de n’avoir pas réfléchi plus tôt à sa condition humaine. « J’aime beaucoup le don d’enfance que possède le roi. Il a été un tyran épouvantable mais c’est finalement un malheureux avec quelque chose d’assez enfantin, un pauvre homme ballotté, sans consistance », confiait Michel Bouquet au moment de la création en 1994. En prise direct avec l’incompréhensible, le roi lancera un ultime ordre désespéré : « Que tous meurent, pourvu que je vive éternellement ! » Poly 162 Novembre 13

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THÉÂTRE

la vague Ancienne élève en dramaturgie de l’École du TNS1, Charlotte Lagrange vole de ses propres ailes et crée L’Âge des poissons à La Filature. Une adaptation libre d’Horváth en forme de polar sur la violence intergénérationnelle et son corollaire de passivité et de cynisme.

Par Thomas Flagel Illustration d'Alexanxra Grandjacques et Andrea Baglione

À Mulhouse, à La Filature (dans le cadre de scènes d’automne en Alsace), mardi 12 et mercredi 13 novembre 03 89 36 28 28 www.lafilature.org

Membre du Groupe 38 (diplômé en 2010) comme nombre de ses comédiens tels Julie Palmier, Guillaume Fafiotte, Jonas Marmy ou encore Hugues de la Salle (Groupe 39) et Jean-Baptiste Verquin (Groupe 32) www.tns.fr

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2 Charlotte Lagrange avait signé, pour Poly, deux carnets de bord de création en tant qu’assistante à la mise en scène de Jean-Paul Wenzel autour de Tout un homme (Poly n°147) et de Laurent Vacher autour de Lost in the Supermarket (Poly n°155). À retrouver sur www.poly.fr

L’auteure autrichienne fut lauréate du prix Nobel de Littérature en 2004. Les Exclus est paru en 1981, traduit et publié en français aux Éditions Jacqueline Chambon en 1998 3

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e rencontres en collaborations artistiques 2 , Charlotte Lagrange a vu grandir en elle l’envie d’écrire. Si Jean-Paul Wenzel et David Lescot ont assurément compté dans ce cheminement, c’est la lecture de Jeunesse sans Dieu d’Ödön von Horváth qui fut déterminante. Ce « portrait de l’Homme dans l’état fasciste » comme le décrivait l’auteur lui-même, paru quelques mois avant sa mort en 1937, pointait du doigt la lente plongée de la jeunesse dans un système de pensée et de comportements dictatoriaux. « L’écho de la crise des années 1930 et de celle que nous vivons est flagrante. Pas question pour autant de tisser un lien entre le régime hitlérien et celui de Sarkozy au pouvoir quand j’ai découvert la pièce », tempère la metteuse en scène. « C’est la dramaturgie du roman et son actualité troublante qui m’ont percutée de plein fouet : le pessimisme ambiant menant au repli sur soi, la peur, les petits renoncements individuels et les grands compromis collectifs. Un terreau qui ressemble à celui sur lequel le nazisme a pu prospérer. » Résolue à confronter ses contemporains à leur époque, Charlotte se lance dans « une écriture au plateau naissant après de longues séances d’improvisation des comédiens autour des nœuds de sens » auxquels l’équipe se confronte. Un travail de longue haleine marqué par les faits divers de l’actualité – les photos humiliantes de la prison d’Abou Ghraib, la tuerie d’Utøya et le procès de son auteur Anders Breivik – ou encore par le roman d’Elfriede Jelinek3, Les Exclus, contant la dérive ultra-violente de la jeunesse en Autriche dans un refoulement du passé.

Focale interne

L’Âge des poissons est construit comme un polar en pleine salle de classe, la confrontation extrêmement tendue entre un professeur d’Histoire et trois de ses élèves de Ter-

minale. Il échoue dans toutes ses tentatives pour trouver un langage commun. « La parole est très actuelle : urbaine, rythmique et imagée. Les adolescents n’ont de cesse de se chercher et leur affection se lit aussi dans les insultes qu’ils s’échangent. » L’écart est tel que l’adulte met le doigt dans l’engrenage en espionnant Paul, Théo et Karl, consultant même le journal intime de ce dernier. Un fait anodin qui entraînera… un meurtre ! « Nous tentons d’interroger le rôle de la fiction dans la violence. De voir comment, rongé par la culpabilité et traversé par l’énigme de la mort de l’ado, le prof imagine les diverses possibilités de l’homicide. » Une plongée dans les troubles de sa tête où l’on avance, d’indices en indices, à la manière de Twin Peaks : « Quand on cherche le mobile, tout s’échappe car c’est l’atmosphère générale qui est responsable », confie la metteuse en scène. Le policier (joué par Karl) enquêtant auprès de l’enseignant est-il réel ou est-il son fantôme venant hanter le professeur ? Les taches de sang sur son uniforme pendant les reconstitutions de l’enquête sont-elles une vue de l’esprit ? À mesure que l’on passe de l’autre côté du miroir dans cette mise en abîme d’un adulte perdu et sans repères, la nature sauvage ressurgit d’entre les planches de la scène. L’onirisme reprend ses droits et tente de déjouer la prophétie apocalyptique de la pièce d’Horváth : « L’âme des hommes deviendra impassible comme la face d’un poisson. » Une prise de conscience de « cette ère de peur actuelle, en chacun de nous, de perdre nos jobs qui nous fait accepter des compromis intolérables » mais aussi un questionnement de la responsabilité de chaque génération dans la marche du monde car « la véritable crise actuelle est que nous refrénons notre liberté sans même qu’un régime oppressif l’impose par la force. Nous l’avons intériorisé, ce qui est bien plus vicieux. »


scènes d’automne en alsace La première édition de ce rendez-vous dédié à la création indépendante d’artistes installés dans la région est né de la volonté de trois structures (la Comédie de l’Est, La Filature et le Créa) et du soutien de la Région et de l’Agence culturelle. Un mois précédent les Fêtes pour découvrir les créations de six compagnies qui écrivent « le théâtre

ici et maintenant », s’emparant de grands textes (Misterio Buffo, version burlesque de scènes bibliques signée Dario Fo et Love and Money, drame ultra contemporain de Dennis Kelly) ou prenant la plume dans une écriture souvent collective, dite “de plateau”, pour défier la mort (Rebatailles), l’ennui (Quatre soleils) ou encore la poésie de la vie (Pour la petite histoire).

À la Comédie de l’Est de Colmar, Quatre soleils création de Luc Amoros, du 5 au 9 novembre & Mistero Buffo de Chiara Villa, du 28 au 30 novembre

À l’Espace Tival / Le Créa de Kingersheim, Pour la Petite histoire de la Compagnie Sémaphore (dès 3 ans), mercredi 6 novembre (et à la Salle du Cercle de Bischeim, mercredi 27 novembre)

À La Filature de Mulhouse, Rebatailles d’Alice Laloy, vendredi 15 novembre & Love and Money par Illia Delaigle, à l’AFSCO / Espace Matisse de Mulhouse, du 30 novembre au 1er décembre

03 89 24 31 78 – www.comedie-est.com

03 89 57 30 57 – www.crea-kingersheim.com

03 89 36 28 28 – www.lafilature.org

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bas les masques En ouverture du projet Dance Trip de Triptic*, Yasmeen Godder crée Ghost exercise. Un duo mêlant questionnements identitaires et recherche d’altérité dans un miroir sans visage.

Par Thomas Flagel Photo d’Itzik Giuli

À Strasbourg, à Pôle Sud (coréalisé avec Le Maillon), du 20 au 22 novembre 03 88 39 23 40 www.pole-sud.fr 03 88 27 61 81 www.maillon.eu À Freiburg, au Theater, samedi 21 et dimanche 22 décembre +49 761 201 2853 www.theater.freiburg.de À Bâle, à la Kaserne, jeudi 9 et vendredi 10 janvier 2014 +41 61 666 60 00 www.kaserne-basel.ch

Échanges culturels dans le Rhin Supérieur qui mettent l’accent sur des coopérations transfrontalières entre l’Alsace, le Territoire de Belfort, le Bade-Wurtemberg et la Suisse www.triptic-culture.net

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N

ée à Jérusalem il y a 40 ans et ayant grandit entre son pays et New York, la chorégraphe Yasmeen Godder est devenue l’une des chefs de file de la nouvelle danse israélienne. Expressives et parfois excessives, ses propositions artistiques sont hantées par l’appartenance et l’identité, des sujets qui émergent des répétitions sur le plateau du Theater Freiburg à quelques jours de la première de Ghost Exercise. Deux danseuses aux visages totalement recouverts de fichus bariolés de couleurs se confrontent à une présence impalpable, rodant dans l’air. Une simple chaise de jardin en plastique, ramenée du studio de l’artiste à Jaffa, « sert de support de transmission d’une certaine terreur de l’une à l’autre. Un clin d’œil aux clichés des objets bougeant tous seuls dans les histoires de fantômes », glisse Yasmeen. Au départ, un troisième personnage prenait vie sur scène : Sarah, spectre hanté par un événement violent de son passé. Elle a lentement disparu au profit de questionnements quasi existentiels sur la présence physique, les diverses personnalités composant un être ou habitant un corps… Autant de fantômes possibles et de facettes de soi à rechercher pour les interprètes, avec l’aide du dramaturge Itzik Giuli, passionné par « cette idée qu’il y a

toujours une part d’inconnu chez autrui, sur lequel nous projetons continuellement nos propres fantômes. » L’étrangeté des personnages naît d’un jeu de faux semblants dans un corps à corps oscillant entre découverte à l’aveugle toute en sensualité et amour des feintes déstabilisantes, provocant la part animale de l’homme dans sa peur de l’inconnu. Les spasmes et tremblements d’Amit répondent aux bruits des “piétinements” de la chaise manipulée comme une bestiole par Monica. Alors qu’habituellement Yasmeen Godder travaille intensément l’expressivité des visages, elle les masque comme les corps dont on ne distingue que les doigts derrière un amas de tissus. « Les recouvrir change tout », confie-t-elle. « Cela devient un challenge poussant la créativité de notre langage chorégraphique habituel, entraînant l’invention d’autres manières de se donner à voir, comme d’être vu. » Évoluant devant un fond de scène fait d’une matière ultra réflective qui prend l’aspect d’une lame d’argent ou d’or selon l’éclairage, le duo de danseuses tente de s’apprivoiser dans ce qu’Itzik Giuli appelle « un voyage dans l’assimilation, l’acceptation de l’autre – comme de soi-même – dans toutes ses facettes, afin d’accéder à ce degré supérieur de conscience qui leur ferait atteindre le grandiose du rideau lumineux ».


THÉÂTRE

juste avant l’orage La folie ordinaire d’individus vacillants, l’hypocrisie étouffante des relations familiales, le désir oppressant des corps… En montant La Chatte sur un toit brûlant de Tennessee Williams, Claudia Stavisky plonge dans les tourments de l’âme humaine.

Par Dorothée Lachmann Photos de Christian Ganet

À Nancy, au Théâtre de la Manufacture, du 19 au 23 novembre 03 83 37 42 42 www.theatre-manufacture.fr

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n 1958, sortait La Chatte sur un toit brûlant, film de Richard Brooks. Avec le duo formé à l’écran par Elizabeth Taylor et Paul Newman, on en oublierait presque qu’il s’agit originellement d’une pièce de théâtre. La metteuse en scène Claudia Stavisky le rappelle avec toute la force qui caractérise son engagement artistique : « L’écriture de Tennessee Williams est d’une telle acuité, d’une telle virtuosité qu’elle donne le sentiment de s’adresser intimement à chacun de nous, particulièrement lorsque l’auteur explore le sujet de la famille. Il trace alors une cartographie détaillée du désir et livre un portrait à la fois dense et délicatement ciselé des passions humaines. Cette pièce est pour moi un sommet du genre », confie en effet la directrice du Théâtre des Célestins à Lyon. Dans l’atmosphère asphyxiante, d’une soirée d’été dans le delta du Mississippi, la famille Pollitt est réunie pour célébrer le soixantecinquième anniversaire du grand-père, propriétaire de la plus importante plantation de coton de la région. Tous lui cachent qu’il est condamné par un cancer. Autour de ce mensonge fondamental, ses deux fils, ses belles-filles et son épouse exécutent un jeu de faux-semblants, où les silences, les nondits et les esquives sont autant de garants du conformisme social fustigé par Tennessee

Williams. Au cœur de la pièce, le couple que forment Brick, le fils cadet, ancien champion de football, et Maggie, son épouse délaissée, cristallise les tensions. Dans un magistral monologue d’ouverture, Maggie – la chatte du titre – s’emploie à sauver son couple en dépit des dissimulations et des manipulations. Toute de sensualité, le désir à fleur de peau, elle se heurte à l’homosexualité refoulée de son mari, qui se noie dans l’alcool suite au suicide de son ami. « Je veux privilégier un théâtre du corps et des tensions. Chez Brick, le corps du champion sportif est celui de l’illusion d’une éternelle jeunesse qui a laissé place à un corps blessé. Celui de Maggie est au contraire animé d’une extraordinaire puissance vitale et déborde de désirs mais reste vide et stérile. Leurs deux corps sont aux extrémités d’un arc, et c’est la tension entre eux que je trouve bouleversante », explique Claudia Stavisky. Toute la pièce se déroule dans la chambre du couple, « l’œil du cyclone, seul point calme au milieu d’un ouragan ». Mais peu à peu, murs et plafond vont se dissoudre pour laisser « éclater l’orage des sentiments » et les vérités nues. Et Maggie de s’interroger : « Quelle est la victoire d’une chatte sur un toit brûlant ? Je voudrais bien le savoir… Y rester, je suppose, aussi longtemps qu’elle peut. »

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tête à tête En résidence à Nancy, le chorégraphe Emanuel Gat nous accueille au Ballet de Lorraine, en pleine création de Transposition #1 et Transposition #2 avec les danseurs du Centre chorégraphique national.

Par Thomas Flagel Photos de répétitions d’Arno Paul

À Nancy, à l’Opéra national de Lorraine, Transposition #1 et Transposition #2, du 7 au 10 novembre 03 83 85 69 08 www.ballet-de-lorraine.eu www.biennale-danse-lorraine.fr www.emanuelgatdance.com

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eu disert, mais pourtant pas vraiment taiseux, Emanuel Gat préfère l’observation. Se laisser happer par le flot des mouvements du monde. Si sa double création est l’un des événements phares d’EXP. ÉDITION 01, première Biennale de danse en Lorraine1, cela ne l’émeut pas outre mesure. Le chorégraphe israélien, installé en France avec femme et enfants depuis 2007, développe une démarche singulière de composition. « Je ne suis pas de ces artistes dictant un propos au public dans leurs œuvres. Ma focale reste entièrement ouverte et tout le monde peut appréhender mon travail à sa manière. Seul le mouvement m’intéresse, la création d’une émotion qui me vient de la vie de tous les

jours. » La grande humanité et l’écoute de ses interprètes qui se dégage de ses pièces nait des groupes qu’il « soude en se mettant de plus en plus en retrait. La place que je laisse aux danseurs et la confiance que j’ai en eux est toujours plus grande », lâche-t-il dans un souffle. À l’écouter, il ne serait que « le révélateur de mécanismes d’interactions, usant de consignes communes et de lois contraignantes à respecter pour laisser émerger la créativité de chacun, sous ses yeux. La dynamique collective que nous constituons, l’énergie propre qui nous réunit ensemble est ancrée dans les êtres et se retrouve dans leur danse. » Ainsi dévoilée la recette à l’origine, déjà, de Brilliant Corners2, où des matériaux


DANSE CONTEMPORAINE

chorégraphiques partagés et apparemment simples permettent aux personnalités des danseurs de se révéler au milieu de l’écrin d’un collectif bouillonnant de vie.

De la musique avant toute chose

Au mitan des six semaines de répétition de Transposition #1 et Transposition #2, Emanuel Gat continue d’absorber le monde qui l’entoure. « Tout bouge, tout change », glisse-t-il. « C’est pour cela que je n’aime pas avoir trop de temps devant moi. » Initialement prévues pour cinq et vingt-cinq danseurs, les créations sont chamboulées par le travail au plateau et la matière qui en émerge. Le premier opus a doublé, passant de cinq à dix interprètes. « Je leur ai demandé de

choisir une chanson et d’en tirer une série de mouvements, une phrase chorégraphique. » Le point de départ pour une première transposition de gestes, suivie de nombreuses autres… Ainsi, la veille de notre venue, le studio de danse s’est transformé en cabine d’enregistrement pour chanteurs d’un jour. Ces bandes rejoindront la pléthore de sons qu’Emanuel immortalise avec son équipe : un morceau de piano joué dans la salle attenante, parvenant par l’entrebâillement d’une porte, les gouttes de pluie se fracassant sur les vitres en plastique transparent laissant pénétrer la lumière du jour dans la salle, etc. Autant de choses qui seront réarrangées, retravaillées, transformées et déplacées pour bâtir les pièces en germe. À moins que tout ne change…

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Voir Poly n°160 ou sur www.poly.fr

Lire Le Monde selon Gat, dans Poly n°160 ou sur www.poly.fr 2

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FESTIVAL

l’émotif anonyme Au moment de fouler les planches du festival Supersounds et de sortir son second album, celui qui rêvait de se rendre invisible est placé sous tous les spotlights. Entretien avec un Cascadeur messin faisant faire des pirouettes à la pop qu’il conçoit comme atmosphérique et sensible. Bas les masques !

Par Emmanuel Dosda Photo de Cyril Gourdin

À Audincourt, au Moloco, jeudi 14 novembre 03 81 30 78 30 www.lemoloco.com À Colmar, au Grillen, samedi 16 novembre, dans le cadre du festival Supersounds www.hiero.fr À Esch sur Alzette (Luxembourg), à la Rockhal, jeudi 13 février 2014 +352 24 55 51 www.rockhal.lu À Nancy, à L’Autre Canal, vendredi 14 février 2014 03 83 38 44 88 www.lautrecanalnancy.fr

Artistes lorrains que nous avons largement défendus dans nos pages

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Ghost Surfer, édité par Casablanca Records (sortie le 3 février 2014) www.casablanca-music.com

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Votre père, ancien directeur des BeauxArts de Metz, a-t-il joué un rôle dans votre construction et celle de votre personnage ? Enfant, nous vivions au-dessus d’une école d’art. C’était mon terrain de jeu : je faisais du skate dans les couloirs et je me déguisais pour aller voir les étudiants. Lorsque je jouais du piano, on m’entendait par les tuyaux du chauffage : j’étais déjà en condition de scène car la pièce avait des oreilles. J’ai eu un soutien important et ça continue, mes parents suivent ma carrière, ils viennent assister à mes concerts. Je dois presque les freiner. J’aimerais vivre ça avec mes propres enfants. Difficile de ne pas évoquer votre casque de pilote de chasse qui fait forcément songer à Daft Punk : coquetterie ou envie de garder votre anonymat ? Avant eux, il y a eu Residents, Space… En me nommant Cascadeur, je ne pensais pas du tout à Daft Punk, même si l’exploration de l’anonymat par la musique électronique me plait beaucoup. J’avais envie de puiser dans l’histoire et étais plus intéressé par l’Antiquité et cette tradition du masque. Ensuite, quand je tournais avec Fugu, Variety Lab ou Orwell1, j’étais un homme de l’ombre et j’avais envie de continuer à l’être. Si on connaît mon histoire, on sait qu’il ne s’agit pas d’une coquetterie ou d’une astuce marketing. J’ai d’abord mis un casque par confort personnel, pour faire des concerts sous mon patronyme et échapper à une pression que je me mettais par rapport aux émotions que je ressentais en chantant. Considérez-vous la pop comme une zone à risques ? Au début, j’étais le représentant de commerce des produits que je fabriquais. Ça n’est pas évident de composer des morceaux puis de se

confronter, sans protection, à la dure réalité d’un système marchand et industriel qui n’est pas toujours dans l’émotion et la sensibilité. C’était douloureux et périlleux. Ça n’est pas parce qu’on est masqué qu’on ne reçoit pas les projectiles. Votre nouvel album2 semble plus ample que le premier. Il s’ouvre sur un grand Casino, proche de Mercury Rev, comme une respiration… Mon premier disque a été composé durant une tournée pour des raisons de planning. C’était épuisant et intéressant car je mettais dans mes morceaux ce que je vivais alors. Il y était question de personnes qui partaient et étaient en recherche d’identité. J’ai eu davantage de temps pour agencer le second, pour respirer. Sur Ghost Surfer, les grands espaces sont davantage explorés, je m’autorise plus de choses. Il y a du souffle. Et beaucoup d’invités : Stuart A. Staples de Tindersticks, le pianiste Tigran Hamayan ou encore Christophe. C’est un luxe que vous avez pu vous offrir ? Il y a un peu de rêve d’enfant qui est de toucher l’intouchable. J’ai pu accéder à des gens qui sont dans mon panthéon. Ces artistes rejoignent mon parcours musical : le monde classique avec la soprano Anne-Catherine Gillet, le jazz avec Médéric Collignon ou encore Tigran qui prend ma place au piano sur Ladyday. Je me retire pour servir le propos d’un morceau qui parle d’une personne imitant Billie Holiday et qui essaye d’exister dans l’imitation. Sur ce titre, je me fais doubler moi-même par un musicien bien plus valeureux : le plus grand pianiste actuel prend mon identité. C’est une forme de cascade… Christophe est également une doublure qui me remplace au chant sur Collector,


Ça n’est pas parce qu’on est masqué qu’on ne reçoit pas les projectiles

tout comme Stuart dans la dernière partie de The Crossing. Vous estimez en apprendre souvent bien plus sur les journalistes que sur votre propre projet, lors des interviews… À partir des questions, révélatrices de celui qui les pose, je constitue un portrait robot, un peu comme un profiler. Chez vous, par exemple, je ressens une grande qualité d’écoute : c’est important dans ces dialogues, ces moments tels que nous en vivons là. Pour moi, la musique est parfois un prétexte à des rencontres, des échanges… C’est un moyen de se faire entendre.

sous le soleil de satàn Le rock lo-fi dépouillé et percutant de Schwervon!, duo made in USA. La transe frénétique d’Electric Electric (lire Poly n°152). Les mauvaises graines bordelaises de J.C. Satàn et leur garage crados. Télédétente et son punk saccadé et saccagé. Les lives de Pharmakon, entre expériences noisy et performances mystico-flippantes. La musique mathématique et épique de 100% Chevalier (lire Poly n°160). Le melting-pot DIY de The Ex. Et cætera, et cætera… Cette édition de Supersounds est particulièrement borderline, mêlant sons bruts et mélodies en sous-sol, rock frondeur et attitude destroy. Festival Supersounds, à Colmar (Grillen…), Freiburg (Räng Teng Teng) et à Strasbourg (L’Auditorium du MAMCS, le Troc’afé), jusqu’au 28 novembre www.hiero.fr

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this is not a love song Artiste bisontin célèbre grâce à ses BOs pour les films de Christophe Honoré, Alex Beaupain écrit des chansons d’amour… rien que des chansons d’amour. Interview avant son concert dans le cadre de GéNéRiQ.

Par Emmanuel Dosda Photo d’Arnaud Lajeunie

À Épinal, à l’Auditorium de la Louvière, mardi 19 novembre, dans le cadre du festival GéNéRiQ 03 29 65 98 58 www.scenes-vosges.com À Schiltigheim, à la Salle des Fêtes, mercredi 20 novembre 03 88 83 84 85 www.ville-schiltigheim.fr

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Ça vous fait plaisir d’apprendre que je n’ai aucune question à vous poser sur François Hollande 1 ? C’est une bonne chose, effectivement, car j’ai beaucoup répondu au sujet de ce bon François Hollande. Quelles sont vos questions, alors ? Après vous l’herbe ne repousse plus, si on en croit les paroles du morceau Après moi le déluge. Vous êtes une sorte d’Attila de la chanson française ? C’est un peu comme si je disais : « Après moi, vous n’entendrez plus jamais rien d’aussi bien. » C’est faux, mais ça m’amuse. Il y a

un peu d’ironie, de second degré, dans mon nouveau disque. Ce dernier album2 est celui qui vous ressemble le plus ? Je me suis beaucoup impliqué dans la production de tous mes disques et encore plus dans celui-ci que j’ai coréalisé. Mes morceaux me ressemblent de plus en plus car je commence à comprendre qui je suis comme chanteur. Pour les arrangements, je ne voulais rien m’interdire par crainte de mauvais goût : le solo de clavier d’Après moi le déluge, qui pourrait venir d’une chanson des années 1980 des


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plus terrifiantes, les cordes disco de Pacotille, etc. Avant, sous prétexte de chic ou d’élégance, j’avais tendance à être davantage policé. Avec ce disque, vous dites avoir cherché à creuser un tunnel sous la Manche afin de connecter la variété française et la pop anglaise… Cette connexion vous permet-elle de casser l’image que vous renvoyiez, de changer de registre ? Je suis associé à Christophe Honoré, qui est identifié comme réalisateur de cinéma dit “d’auteur”. J’ai une image de chanteur intellectuel alors que mes chansons sont simples, populaires ! Pour l’album, mon idée de départ était de réunir mes musiciens et de recréer un son pop, influencé par les Smiths, Pulp ou Divine Comedy. Bien sûr, le résultat est éloigné de mes plans de départ, mais il m’est propre. Il y a beaucoup d’eau dans vos morceaux. Vous avouez même perdre pieds sur Je coule. On a presque envie de vous lancer une bouée de sauvetage… « Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville. » Le truc de la métaphore météorologique, ça vient des poètes du XIXe siècle. Ça marche bien avec la mélancolie… Mon truc à moi, c’est la pluie et l’averse : je suis né à Besançon, je suis un garçon de l’Est, même si j’ai perdu l’accent, c’est un tempérament profond. Je suis un chanteur liquide, d’ailleurs, les gens

pleurent beaucoup à mes concerts. Vous prétendez n’écrire que des chansons d’amour. Les dernières parlent cependant énormément de la fuite du temps qui semble vous obséder… C’est le cas avec Ça m’amuse plus, par exemple, mais à la fin, il y a un resserrage sur une histoire d’amour qui se termine. Je considère que la chanson d’amour est mon élément naturel – en plus de l’eau (rires) – et que j’en fais constamment, en variant parfois les angles, les thématiques… Même un morceau “politique”, comme Au départ, sur mon précédent album, Pourquoi battait mon cœur, est une chanson d’amour ! Votre ami Christophe Honoré considère que votre génération, celle des gens nés dans les années 1970, est méprisée par ses ainés… Vous partagez son avis ? Oui, c’est ce que je raconte dans En quarantaine. Nos parents sont plus cool que nous : ils ont fait la révolution et nous rabâchent les oreilles avec. Quoi qu’on fasse, on a l’impression de faire moins bien qu’eux. Les Baby boomers ne nous ont pas laissé beaucoup de place ! Mais attention, je ne tiens pas un discours anti-Mai 68 à la Zemmour : je suis un indécrottable bobo de gauche et je préfère ça qu’être un vieux con de droite.

La version instrumental d’Au départ d’Alex Beaupain, un des “artistes préférés” du Président, a accompagné ses meetings, lors de la dernière campagne présidentielle

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2 Après moi le déluge, édité par Universal

la terre tremble Séismes soniques en vue, partout dans le GrandEst… Le rock vrombissant produit par Dan Auerbach de Hanni El Khatib (mardi 19 novembre à La Vapeur de Dijon) et la chanson gainsbourgienne et abimée de Bertrand Belin (samedi 23 à l’Espace Mendès France de Quetigny). La beauté bizarre de Christophe (vendredi 15 au Granit de Belfort) et la Tristesse Contemporaine (vendredi 22 au Nouma de Mulhouse et samedi 23 à La Rodia de Besançon) du groupe éponyme. Le ciné-concert de La Terre Tremble sur des épisodes de Tom & Jerry (du 19 au 21, à Dijon, Belfort et Besançon) et le rock raide et kraut d’ESB (du 21 au 24, à Besançon, Saint-Louis, Dijon et Montbéliard), nouveau projet de Yann Tiersen and friends… Avec GéNéRiQ, « festival des tumultes musicaux en ville », nous sommes au niveau 9 sur l’échelle de Richter.

Tristesse Contemporaine © Éric Beckman

Festival GéNéRiQ, dans divers lieux, à Belfort, Dijon, Mulhouse, Besançon ou à Kingersheim, du 15 au 24 novembre www.generiq-festival.com

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pays-bas, jazz up À l’occasion de la 28e édition du festival Jazzdor, focus sur la Hollande, l’autre pays du jazz contemporain. Embarquons notamment avec Luc Ex, Taxi driver qui tord le cou à ce genre musical.

Par Emmanuel Dosda Photo du quartet Luc Ex’ Assemblée

À Strasbourg, à Pôle Sud, au CEAAC ou à L’Auditorium du MAMCS, mais aussi à Lingolsheim (la Maison des Arts), à Schiltigheim (la Salle des Fêtes) ou à Offenburg (la Reithalle), du 8 au 22 novembre 03 88 36 30 48 www.jazzdor.com

Jazzdor, c’est une programmation annuelle à Pôle Sud, un temps fort à Berlin (www.jazzdor-strasbourgberlin.eu), des actions pédagogiques au cours de la saison et un festival en novembre

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Le groupe sera en concert samedi 9 novembre au Grillen de Colmar dans le cadre du festival Supersounds (lire page 36) – www.hiero.fr

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Mercredi 13 novembre à Pôle Sud

En avant-première française, jeudi 21 novembre à l’Auditorium du MAMCS

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Mercredi 13 novembre à Pôle Sud

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écemment labellisé Scène de musiques actuelles (Smac) par le Ministère de la Culture et de la Communication, Jazzdor 1 aura, à l’horizon 2017, un lieu propre sur un bateau, à deux pas de la Cité de la Musique et de la Danse. Un bel espace flottant permettant d’accueillir des artistes en diffusion et en création, un outil indispensable à la structure pour poursuivre son action en faveur d’une musique ayant des racines profondes et des ailes qui se déploient. La nouvelle édition du festival en rend compte avec son grand écart générationnel, célébrant les figures historiques tout en défendant l’avant-garde internationale. Dans la première catégorie, citons le saxophoniste américain David Murray ou le contrebassiste anglais Dave Holland. Le sang neuf ? Il est incarné par le trio berlinois Slavin / Eldh / Lillinger, la chanteuse française Émilie Lesbros ou le contrebassiste allemand Pascal Niggenkemper. Porte-drapeau de l’impertinence made in Hollande, le fouineur Luc Ex, à la charnière entre différents univers, parcourt le monde pour frotter son instrument à des sonorités inédites. Au sein du groupe punk à tendance

anar’ The Ex2, où il officia de 1983 à 2002, le bassiste multiplia déjà les collaborations, auprès de Tortoise et son post-rock enchanté ou de Tom Cora et son violoncelle déchainé. En compagnie de ce dernier, il monta Roof, un des multiples projets de cet ancien chauffeur de taxi qui nous conduit au fin fond de mégapoles inexplorées par les petites routes. Durant Jazzdor, Ex sera présent à deux reprises. Avec Rubatong3, il maniera sa basse aux côtés de la vibraphoniste percutante Tatiana Koleva, du guitariste René van Barneveld et de Hans Buhrs, chanteur / performer qui a le blues… et une présence fabuleuse. Le quartet Luc Ex’ Assemblée4 est une belle illustration du jazz actuel offerte par un artiste catalyseur d’énergie émanant de musiciens d’horizons et d’âges différents : la jeune saxophoniste Ingrid Laubrock ou le mythique batteur Hamid Drake. Autre curiosité venue des Pays-Bas : Boi Akih5, quatuor où les cordes (vocales) de Monica Akihary rivalisent avec celles du guitariste Niels Brouwer. La princesse improvisatrice et le musicien virtuose dialoguent passionnément, nous servant un jazz bavard aux accents folk et world, blues et pop.


steppe by steppe Violons Barbares mêle notes tziganes et percussions bizarroïdes, blues kazakh et chant diphonique, couleurs balkaniques et riffs rock. Sortie d’album et tournée.

Par Emmanuel Dosda Photos de Laurianne Cénéda

À Bischwiller, à la MAC, vendredi 8 novembre À Haguenau, au Relais Culturel, mardi 26 novembre À Obernai, à l’Espace Athic, vendredi 13 décembre À Erstein, au Centre Hospitalier, mardi 14 janvier 2014 À Turckheim, à l’Espace Rive droite, samedi 25 janvier À Cernay, à l’Espace Grün, vendredi 31 janvier À Strasbourg, à l’espace culturel Django Reinhardt, jeudi 7 février www.culture-alsace.org www.violonsbarbares.com

1 Lire Poly n°123 ou sur www.poly.fr www.lassocepikante.com 2 Saulem ai, distribué par Harmonia Mundi www.harmoniamundi.com

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n groupe « caméléon », pouvant être programmé un soir par un festival rock et se retrouver le lendemain matin à jouer devant un public de retraités dans une chapelle. Un combo cosmopolite composé de deux violonistes, Dandarvaanchig Enkhjargal (originaire de Mongolie) et Dimitar Gougov (Bulgarie), ainsi que du percussionniste Fabien Guyot (France). Au départ, il y a la rencontre, lors d’un concert de musique du monde, entre Dandarvaanchig et Dimitar qui est impressionné par le chant « de gorge » intrigant de l’artiste mongol. Ils décident de confronter leurs instruments, si loin, si proches, et font appel à Fabien pour « dynamiser » rythmiquement leur duo.

Le morin khoor, la gadulka, le doun-doun africain, le bendir marocain : des noms barbares pour le commun des auditeurs. Les musiciens les « détournent afin de ne pas s’enfermer dans la tradition », note Dimitar. « Ça fait partie du challenge », ajoute Fabien, « nous cherchons à dépasser l’intensité naturelle de ces instruments », le plus souvent utilisés dans un registre traditionnel, mais que le trio strasbourgeois, membre de L’Assoce Pikante 1, veut conduire sur des voies plus actuelles, sans pour autant tourner le dos au folklore. « Nous allons également puiser dans des aires géographiques qui ne sont pas les nôtres, l’Afghanistan ou le Kazakhstan par exemple, afin de nous sentir étrangers et éviter de nous réfugier derrière nos connaissances », ajoute le percussionniste. Il frappe sur tout ce qui est susceptible de produire du son, tambours africains ou maghrébins, mais aussi saladiers, bouillottes et jerricanes. « Je

ne recherche pas une sonorité en particulier : je prends un objet et me demande ce qu’il peut raconter, ce qu’il peut cacher comme ressources. J’interroge ses possibilités. » Beaucoup de morceaux parlent d’amour… à condition de décrypter les paroles. Nul besoin, cependant, de comprendre le kazakh ou le mongol pour se laisser mener dans le désert de Gobi ou dans les vastes steppes, à dos de cheval, tant leur musique est imagée. « Le galop est un motif rythmique qui revient fréquemment : il colle parfaitement à l’énergie rock que nous voulons insuffler. » Ainsi, les nouveaux titres et le dernier album2 de ces musiciens « gourmands », largement nourris des (nombreuses) expériences live de Violons Barbares, cavalent frénétiquement, sans répit. « Nous nous sommes forgés sur la route », expliquent-ils d’une seule voix avant de filer, au trot. Poly 162 Novembre 13

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majeur et vacciné Musiques Volantes fête ses 18 ans mais continue à défricher grave et à s’éclater dans tout l’Est (et au-delà1). Heureusement, le senior Lee Ranaldo est là pour veiller sur tout ce petit monde agité. Par Emmanuel Dosda Photo de Lee Ranaldo par Michael Lavine

Musiques Volantes, du 6 au 16 novembre à Metz (aux Trinitaires, à L’Arsenal…) mais aussi à Nancy (L’Autre Canal), à Luxembourg (Exit07)… 03 87 37 19 78 www.musiques-volantes.org

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I

nsaisissable, le festival messin fugue sans cesse, partant à la découverte de nouvelles sensations à l’écart des sentiers battus. Impertinent et sans concessions (c’est ainsi qu’il se définit), Musiques Volantes est une bourrasque sonore curieuse, découvreuse, qui est arrivée à maturité. Pour son dix-huitième anniversaire, on dansera mécaniquement sur les beats secs de Factory Floor (un de nos coups de cœur, qui rend un bel hommage

aux années 1980 d’A Certain Ratio and co), on se déhanchera sur la no-wave lo-fi de Vex Ruffin et on se lâchera sur le groove exclamatif de !!! (Chk Chk Chk). On rêvassera, bercé par les complaintes de Matt Elliott, l’electro doucement concassée de Kelpe ou celle d’Uzi & Ari et de Bajram Bili. Lors de cette édition, il s’agira également d’ouvrir grand ses écoutilles étonnées à l’occasion de performances torves : le psychédélisme à la chilienne signé


FESTIVAL

le petit couteau Orval Carlos Sibelius, auteur d’un troisième essai3 luxuriant, poursuit ses explorations, nous menant jusqu’au Burundi ou sur des archipels inconnus, nous propulsant dans les années 1960 en battant des ailes avec les Byrds ou les nineties en marchant dans les pas du collectif Elephant 6. Kaléidoscope pop, millefeuille psyché aux influences multiples, jeu de construction ? L’intéressé nous ouvre les portes secrètes de son studio : « Je construit mes morceaux très simplement en partant de chansons : une mélodie et un refrain, composés avec ma guitare et ma voix. Puis je creuse les arrangements en essayant de trouver des idées folles, différentes à chaque fois, afin qu’on ne s’ennuie pas. » Des squelettes qu’il pare de toilettes fastueuses ? « De belles femmes aux rondeurs appétissantes que j’habille », rectifie-til. Les ambiances varient en fonction des titres – « Ça me permet de titiller l’auditeur : comme si j’avais un petit couteau pointu et que je le piquais dans le ventre à chaque nouveau morceau », explique-t-il –, mais les sixties, période qui le fascine, planent sur son dernier opus qu’il défend sur scène, accompagné de quatre musiciens. « Je n’aurais pas voulu vivre dans les années 1960, mais à cette époque c’était plus facile de faire de la musique hors-cadre. » Qu’Orval se rassure, ses productions sont loin, très loin, des chemins balisés. À Metz, mercredi 6 novembre, aux Trinitaires (avec Bajram Bili + Matt Elliott) 03 87 37 19 78 – www.musiques-volantes.org À Strasbourg, à La Laiterie, vendredi 8 novembre (avec le groupe mulhousien Domino_E) 03 88 237 237 – www.artefact.org

Föllakzoid, le punk arty de Camilla Sparksss ou le rock bruitiste (dé)composé par Za ! Tous ces artistes existeraient-ils sans leurs aïeux, aventuriers soniques à l’éternelle jeunesse, Sonic Youth ?

Comme un ouragan

Panique à l’avant-garde : le groupe mythique new-yorkais met son avenir entre parenthèses et chacun opère en solo, tournant le dos à ses acolytes. Thurston Moore sort des disques rêches avec Chelsea Light Ming tandis que son ex, Kim Gordon, hyper vénère depuis son divorce, casse la baraque au sein de son projet Body / Head, en compagnie du guitariste Bill Nace. L’an passé, nous avons eu droit a une séance de décrassage de tympans, à grands coups de larsens coupants et voix aiguisées, d’effets de pédales et autres distorsions, dans l’obscurité de l’Auditorium du MAMCS : notre corps, nos têtes et nos oreilles bourdonnantes s’en souviennent encore. Parfois, ça fait du bien quand ça fait mal. Dans la famille (éclatée) du clan Sonic Youth, je demande à présent le chanteur / guitariste, tête d’affiche de Musiques Volantes : Lee Ranaldo2 continue lui aussi son petit bonhomme de

Orval Carlos Sibelius © Philippe Lebruman

chemin. Le musicien aux cheveux poivre et sel vient de sortir Last Night On Earth (chez Matador, comme les disques de SY et de ses différents membres) en compagnie de son groupe, The Dust, composé de Steve Shelley (batteur de SY), Alan Licht et Tim Lüntzel. Cet album est une fenêtre ouverte sur les autres. Un grand bol d’air frais ? La bande-son d’une société en crise, la BO de nos désillusions, un album poreux et sombre sur lequel souffle encore Sandy qui s’est abattu sur la côte Est des États-Unis fin 2012 : l’ouragan a donné un avant-gout de fin du monde au musicien, profondément marqué. À Metz, il présentera son œuvre fissurée, faite de tourments et de rage, à deux reprises : lors d’un concert “électrique” aux Trinitaires et d’un show intimiste au Musée de La Cour d’or, dans une configuration acoustique. Durant cette soirée, un éventail de films expérimentaux, sélectionnés par l’association Seconda Voce (Kugelkopf de Mara Mattuschka ou Vestibule de Ken Kobland), sera projeté en 16mm. À l’écran, « des corps meurtris, bizarres ou inquiétants, nus ou déguisés », des images raccords avec la musique angoissée de Lee Ranaldo.

1 Le festival a également lieu du 6 au 26 novembre un peu partout en France (à Tours, Montpellier, Nantes…)

En concert à Metz, au Musée de La Cour d’or, jeudi 14 novembre, et aux Trinitaires, vendredi 15 novembre

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Super format, édité par Clapping Music – www.clappingmusic.com

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MUSIQUE CLASSIQUE

wagner power Depuis 2009, le festival Je t’aime… Ich auch nicht explore les relations musicales entre France et Allemagne. Bicentenaire de la naissance du compositeur oblige, le voyage est, cette année, consacré à Richard Wagner et sa réception dans l’Hexagone.

Par Hervé Lévy Photo de l'Ensemble Oxalys par Marco Borggreve

À Metz, à l’Arsenal, du 8 au 16 novembre 03 87 74 16 16 www.jetaimeichauchnicht.com

1 Sur ce sujet, on visitera avec profit l’exposition présentée à Strasbourg, à la Médiathèque André Malraux jusqu’au 9 novembre. Lire notre compte rendu dans Poly n°161 ou sur www.poly.fr

Voir Poly n°155 ou sur www.poly.fr www.ffguy.net

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L’

édition 2013 de Je t’aime… Ich auch nicht, organisée par l’Arsenal (en partenariat avec l’Orchestre national de Lorraine et la Ville de Metz), est dédiée au wagnérisme en France1. Partons à la découverte d’un musicien qui possède, pour Charles Baudelaire, « l’art de traduire, par des gradations subtiles, tout ce qu’il y a d’excessif, d’immense, d’ambitieux dans l’homme spirituel et naturel ». Au menu, des concerts, évidemment, mais aussi plusieurs tables rondes, projections et conférences dont un emblématique rendez-vous décryptant les liens complexes entre la musique du “maître de Bayreuth” et notre pays dans le contexte de la Guerre de 1870 (vendredi 15 novembre). Parmi les instants les plus attendus de la semaine, figure le concert de l’Orchestre national de Lorraine intitulé Passions fatales (jeudi 14) où entrent en résonance deux versions de Pelléas et Mélisande, celle très connue de Debussy (dont on connaît l’ambivalence visà-vis de Wagner, entre admiration et détestation) et une autre, moins célèbre, signée

Fauré qui avait écrit une musique de scène destinée à la traduction anglaise de la pièce de Maeterlinck. La suite symphonique qui en est tirée en 1901 respecte avec intelligence l’atmosphère symboliste irriguant l’œuvre originale. Fort logiquement ces amours françaises seront confrontées avec Tristan und Isolde dans un volcanique maelström sensoriel. Le duo Wagner / Debussy est aussi au cœur du récital de François-Frédéric Guy (mercredi 13), pianiste habitué des scènes messines2 qui délaisse, pour un soir, son cher Beethoven : « En écoutant la transcription pour piano du Prélude de Tristan, comment ne pas être saisi par l’étrange proximité entre certains préludes de Debussy et celui-ci, si chromatique, dont le piano renforce encore la modernité ? » Mais Wagner croisera également Gounod, dans un attendu récital de la contralto Nathalie Stutzmann placé sous le signe de l’amour, (samedi 9) ou Wolf et Mahler pour une soirée en compagnie de l’Ensemble Oxalys et du baryton Dietrich Henschel (samedi 16) qui explore la postérité de l’auteur de la Tétralogie.



un idéal chambriste Le Festspielhaus de Baden-Baden a invité un des meilleurs chefs de la planète : à la tête du Mahler Chamber Orchestra, le (trop) rare Claudio Abbado arpente le corpus beethovénien.

Par Hervé Lévy Photo de Peter Fischli / Lucerne Festival

À Baden-Baden, au Festspielhaus, dimanche 10 novembre +49 7221 3013 101 www.festspielhaus.de

1 Claudio Abbado a enregistré deux intégrales des symphonies de Beethoven, la première, à la fin des années 1980, avec les Wiener Philharmoniker, la seconde avec les Berliner Philharmoniker au début de ce millénaire. On la retrouve dans The Symphony edition, coffret de 41 CDs récemment paru chez DG www.deutschegrammophon.com 2 Elle est artiste en résidence auprès de l’OPS cette saison – www.philharmonique-strasbourg.com

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a définition que donne Claudio Abbado (né en 1933) du verbe “diriger” est éclairante : le maestro italien affirme que son plus proche synonyme est « zusammenmuzizieren » (faire de la musique ensemble). Dans chaque concert, sa baguette souple tente en effet d’approcher, même dans les œuvres monumentales et complexes du répertoire, une concentration proche de celle de la musique de chambre. Son objectif ? Installer une profonde communication au sein de l’orchestre, tous ses membres devant dialoguer entre eux, et pas uniquement avec le chef. Chacune de ses prestations est donc une expérience unique : dans Beethoven1, un de ses compositeurs de prédilection, il se montre d’une intense fraicheur, livrant des visions de ses partitions qui ont la semblance d’évidences. Le programme débutera avec le Concerto pour violon du “maître de Bonn” interprété par l’extraordinaire Isabelle Faust qu’on avait vue dans le même exercice avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, à la fin du mois d’octobre2 : rigueur absolue et émotion incandescente furent les maîtres mots d’une soirée inoubliable où le lien étroit entre le chef, et les membres de la phalange, d’un côté, et la

soliste, de l’autre, a été d’un brillant équilibre sans que jamais l’un ne l’emporte sur l’autre. Ils se répondirent en s’opposant comme deux adversaires fraternels… L’impatience est donc grande de voir la ductilité de la baguette de Claudio Abbado dans cette page suivie par une des plus célèbres pièces de l’histoire, la Symphonie n°6 “Pastorale”. Contemporaine de la cinquième, elle est pourtant fort différente et, après le défi lancé au destin et au monde – avec ces fameuses premières mesures – sonne comme une réconciliation, pour ne pas dire une fusion entre l’homme et la nature. Des impressions joyeuses de campagne, une scène au bord d’un ruisseau, la fameuse réunion de paysans ou le chant des bergers… C’est une lettre d’amour à la nature qu’écrit le compositeur. Il suffit de rappeler les mots de Berlioz évoquant le quatrième mouvement Orage, Tempête : « Un immense trait chromatique, parti des hauteurs de l’instrumentation, vient fouiller jusqu’aux dernières profondeurs de l’orchestre, y accroche les basses, les entraîne avec lui et remonte en frémissant comme un tourbillon qui renverse tout sur son passage. En vérité, cela donne des vertiges, et bien des gens, en entendant cet orage, ne savent trop si l’émotion qu’ils ressentent est plaisir ou douleur. »


corps à cor L’Orchestre philharmonique de Strasbourg accueille un des meilleurs cornistes de la planète : écouter Radek Baborák est un instant de bonheur, entre absolue précision et délicatesse.

Par Hervé Lévy

À Strasbourg, au Palais universitaire, mercredi 20 novembre (Concert à l’Université réservé aux étudiants ; entrée sur invitation, à retirer à l’Espace Carte culture ou à la caisse de l’OPS) et au Palais de la musique et des congrès, jeudi 21 et vendredi 22 novembre 03 69 06 37 06 www.philharmonique. strasbourg.eu www.baborak.com

1 Manifestation nationale qui met la musique symphonique sous les feux de la rampe du 15 au 24 novembre www.orchestresenfete.com 2 En 2010, il a même fondé, avec ses amis, les meilleurs musiciens de la jeune génération du pays, le Czech Sinfonietta, phalange de 80 membres

D

ans le cadre d’Orchestres en Fête ! 1, le public strasbourgeois aura la chance d’entendre l’incroyable Radek Baborák dans un programme où il jouera une page de Mozart accompagnée de la rareté qu’est Ritual dances from the midsummer marriage de Tippett et du tube de Ravel, son Boléro passé à la moulinette de la pub, du cinéma et des sonneries de portable… mais qu’on écoute toujours avec un intense plaisir en live. Enfant prodige nourri aux sources les plus vives – puisqu’il fut l’élève de Karel Krenek puis de Zdeněk et Bedřich Tylšar – le corniste tchèque trentenaire (né en 1976) est un incroyable virtuose qui sait tirer le meilleur de son instrument, entrant littéralement en symbiose avec le cuivre. Après une trajectoire de musicien d’orchestre qui l’a mené au plus haut puisqu’il fut premier cor solo des Berliner Philharmoniker entre 2003 et 2010, il a décidé de mener une carrière solo, abordant aussi la direction2.

Après l’avoir découvert à Strasbourg, en mai 2011, dans le Concerto de Richard Strauss, nous le retrouverons avec plaisir, sous l’élégante baguette du très viennois Sascha Goetzel, pour une de ses pages favorites, le Concerto pour cor n°3 de Mozart, compositeur qui a su donner ses lettres de noblesse à l’instrument grâce à sa complicité avec Ignaz Leitgeb. Ce dernier, corniste à la Chapelle de la cour de Salzbourg était également… marchand de fromages. Cruel, le divin Wolfgang le prenait souvent pour cible de plaisanteries, parfois très épaisses, que l’on trouve écrites en marge de la portée. Dans ce troisième concerto (le seul des quatre à ne pas être dédié à Leitgeb), le plus difficile de tous, l’auditeur est entraîné, selon Radek Baborák, « dans un univers plus romantique que classique, notamment en raison de la composition inhabituelle de l’orchestre où deux clarinettes et deux bassons remplacent deux cors et deux hautbois ». Poly 162 Novembre 13

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MAISONS D'OPÉRA

quelques heures de la vie d’une femme Pour sa première à l’opéra, la jeune metteuse en scène de théâtre allemande Jette Steckel s’attaque à Tosca de Giacomo Puccini. Le résultat ? Un habile dynamitage de la tradition à découvrir à Bâle.

Par Hervé Lévy Photo de Hans Jörg Michel

À Bâle, au Theater Basel, les 7, 16 et 25 novembre, les 1er, 4, 8 et 27 décembre ainsi que le 1er janvier 2014 +41 61 295 11 33 www.theater-basel.ch

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T

osca apparaît. Robe rouge glamour évoquant les grandes années des studios hollywoodiens. Elle se plante face à un micro et chante, accompagnée d’une guitare électrique, la rengaine écrite par Sonny Bono pour Cher, qui fut ensuite reprise par Nancy Sinatra et utilisée par Quentin Tarantino dans Kill Bill : « Bang Bang / He shot me down / Bang Bang / I hit the ground / Bang Bang / That awful sound / Bang Bang / My baby shot me down. » Comme un ironique résumé de l’œuvre de Puccini, racontée, tout au long de la soirée par une chanteuse – ce qui nous vaut un final en forme de pirouette – dans une intelligente mise en abyme. Le ton est donné… Jette Steckel va ensuite faire éclater le cadre temporel d’un des opéras les plus historiquement déterminés du répertoire, puisqu’il est supposé se dérouler entre le 17 juin 1800 (lorsque la nouvelle de la victoire française de Marengo arrive à Rome) et l’aube du 18. Moins d’une journée où l’amour, la mort, le chantage et l’honneur se mêlent indissolublement. Et cette décontextualisation fonctionne. La matière dramaturgique du livret, presque un « roman policier » pour la metteuse en scène (née en 1982), se prête en

effet particulièrement bien à la plongée opérée dans la psyché des personnages. Le drame se déroule dans un décor contemporain et intemporel à la fois, où d’immenses colonnes noires mobiles créent des espaces sobres et changeants où sont parfois projetées des vidéos illustrant l’action. Mario Cavaradossi (Maxim Aksenov, parfait de précision et de fraîcheur) est un vidéaste qui, dans le premier acte, filme un modèle nu écartant les bras dans une position christique sous une croix de néon rouge, tandis que Tosca (Claire Rutter dont la présence scénique est impressionnante et incandescente) est une chanteuse d’aujourd’hui, dont l’incarnation tatouée est portée par la baguette ardente de Giuliano Betta qui fait merveille à la tête d’un Sinfonieorchester Basel des grands soirs. Quant à Scarpia (Simon Neal, aussi torve qu’il sied d’être), il ressemble à la caricature d’un leader fasciste entouré de sbires inquiétants entrant sur la scène en passant par la salle, ce qui génère un sentiment de malaise. Sa présence maléfique semble bombarder tous les autres protagonistes d’ondes méphitiques permettant à la tragédie, ici décrite au plus près des âmes, de déployer ses ailes sombres.



Peter Cook (Archigram), Instant City Visits Bournemouth, 1968 © Philippe Magnon, Collection Frac Centre, Orléans

la vi(ll)e d’artiste L’idée d’e.cité, rassemblant expos, colloques et autres workshops, est de considérer la ville comme un « champ d’actions artistiques ». Cette année, l’équipe d’Apollonia va plus loin en se demandant si l’art peut modifier la conception même de la cité. Par Emmanuel Dosda

e.cité – Europe, à Strasbourg à l'ancien Espace Apollonia et dans divers lieux, du 14 novembre au 1er décembre 09 53 40 37 34 www.apollonia-artexchanges.com

1 Mardi 26 novembre, dans le cadre du Forum mondial de la Démocratie (entrée libre, sur réservation). À voir, sur la façade du Conseil de l’Europe, l’intervention de Laurent Reynes à partir de cordages

Il concerne les élèves de la Hear, de l’Ensas et du Master Critique-Essais de l’Université de Strasbourg

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12 rue du Faubourg de Pierre à Strasbourg (ancien Espace Apollonia), du 15 novembre au 1er décembre

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hacune des éditions d’e.cité zoome sur une ville d’Europe de l’Est (Budapest, Gdansk, Bucarest ou Almaty, l’an prochain) et sur sa création artistique contemporaine. En 2013, Apollonia, association organisatrice de l’événement, ne se focalise pas sur une cité en particulier mais sur l’Europe dans son ensemble. Plus précisément, la manifestation va poser cette question : « Est-ce que les artistes peuvent avoir un impact sur la ville ? » Dimitri Konstantinidis, son directeur, s’interroge : « Comment l’artiste peut-il s’impliquer et transformer la ville qui évolue sans cesse, mais tourne un peu en rond ? La cité de demain pourra-t-elle se construire avec des plasticiens, aux côtés des architectes et des urbanistes au moment de la genèse de nouveaux projets ? » Bien souvent, les artistes n’apportent qu’une touche finale, posant une jolie cerise sur le gâteau urbain… Et de poursuive : « Le regard poétique et, pourquoi pas, farfelu des artistes peut contribuer à ouvrir les horizons. » Ces questions seront abordées lors d’un colloque 1 organisé au Conseil de l’Europe. Des pistes seront évoquées durant le

workshop 2 animé par Claire Dehove et Alain Bublex et proposées à l’occasion de l’exposition Artecitya 3 rassemblant des œuvres issues du Frac Centre qui construit sa collection en interrogeant le rapport entre art et architecture. Parmi les maquettes, vidéos ou installations signées Kader Attia, Ugo La Pietra, Claude Parent ou Paul Virilio, il y a les dessins et photomontages de Peter Cook, architecte anglais fondateur du groupe avantgardiste Archigram. Inventeur de villes utopiques sortant des cadres rigides dont on ne semble pouvoir se défaire, il a notamment créé Instant City (1968-1970), projet d’agglomération aérienne, nomade et éphémère, faite de ballons gonflables. La fantaisie peut-elle se marier avec les contraintes urbanistiques ? L’imagination est-elle compatible avec le bêton ? e.cité pose les fondations et laisse les cartes en main aux pouvoirs publics, promoteurs, architectes, urbanistes et artistes afin qu’ils unissent leurs réflexions pour inventer la ville du futur. Utopique ?


ART CONTEMPORAIN

l’instant présent En accueillant la deuxième partie du projet Sous nos yeux, la Kunsthalle de Mulhouse fait place à des artistes de la “Génération 00” pour une passionnante réflexion sur l’immédiateté dans l’art.

Par Dorothée Lachmann Œuvre de Mohamed Larbi Rahali, Omri © La Kunsthalle Mulhouse

À Mulhouse, à la Kunsthalle, jusqu’au 17 novembre 03 69 77 66 47 www.kunsthallemulhouse.com

Lire son portrait dans Poly n°155 ou sur www.poly.fr

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our qui est habitué au vaste plateau lumineux de la Kunsthalle, l’entrée dans l’exposition Sous nos yeux (partie 2) ne lasse pas de surprendre. À la façon d’un labyrinthe architectural, la salle est morcelée, construite, délimitée. Abdellah Karroum*, commissaire associé de l’institution mulhousienne en 2013, a choisi ce contraste pour répondre au premier volet du projet, dans lequel les œuvres définissaient un espace ouvert. L’exposition intègre néanmoins une même problématique et pose la question de savoir comment le quotidien et l’immédiat interagissent avec l’histoire et le lointain. Issus de la “Génération 00” – celle des années 2000 –, les artistes réunis par le commissaire marocain se positionnent tous comme citoyens et s’interrogent sur la résistance ou la liberté dans le monde. Du Maroc, on découvre d’abord les billets de banque. Ouvrant l’exposition, les grandes toiles de Mustapha Akrim reproduisent d’authentiques billets ayant circulé après l’indépendance. Autant d’images de propagande illustrant une certaine idée de la modernité, avec des ouvriers assistés par des machines et des femmes intégrées dans la société. Plus loin, on s’arrête devant une œuvre insolite de Mohamed Larbi Rahali, baptisée Omri (Ma vie, en arabe). Pêcheur de son état, l’homme

refuse de se déclarer artiste. Pourtant, ce qu’il propose est bel et bien une étonnante forme de création, faite de dizaines de boîtes d’allumettes récoltées dans des cafés, au fil de ses pérégrinations. Des petites boîtes à curiosités, supports de croquis, dessins, schémas, représentant des portraits, des marines, des clins d’œil à l’histoire de l’art. Ces témoignages racontent une tranche de vie entre 1984 et 2009, chacun invitant à deviner le contexte dans lequel il a pris forme. Présentées sur de petites étagères sous vitrine, comme une collection, les boîtes d’allumettes semblent composer un émouvant journal intime. Pour découvrir ensuite le travail de Younès Rahmoun, il est préférable d’incliner la tête : les portes d’entrée et de sortie de son espace sont volontairement basses. Une fois à l’intérieur de cette pièce confinée, il faut au contraire lever les yeux pour admirer une incroyable fleur en verre installée au plafond, dans un globe cerné de huit miroirs, évoquant l’infini. Sous la fleur, une lumière comme un cœur qui bat, symbole de la flamme qui ne s’éteint jamais. Au bout de ce labyrinthe, la vidéo percutante de Camille Henrot raconte l’histoire du monde, de sa création à son chemin actuel vers la destruction. Sous un violent flot d’images scientifiques, mythologiques, ethnologiques, la visite s’achève dans un vertige.

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un regard

Par Emmanuel Dosda

À Montbéliard, au 19 (Centre régional d’art contemporain), dans l’exposition collective Trois fois rien, jusqu’au 24 novembre 03 81 94 43 58 www.le19crac.com www.anutuominen.fi

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landscape d’anu tuominen Ceci n’est pas un amoncèlement de crayons bicolores. Bien sûr que non. Il s’agit d’un paysage. Un Landscape. Une majestueuse montagne rougeoyante se reflétant fièrement dans un lac au bleu profond. Des pics fuselés qui s’élèvent dans le ciel et leur image, en miroir. Anu Tuominen aurait pu dessiner ce massif montagneux sur une feuille de papier. L’artiste d’Helsinki a préféré le représenter en se saisissant du matériel qu’elle a détourné (à peine) de sa fonction et ordonné dans une grande économie de moyens. Et pourquoi pas

une composition faite de vieilles gommes ? Des lettres écrites grâce à des craies simplement disposées ? La Finlandaise l’a fait, tout comme d’autres œuvres réalisées à partir d’amas de pinces à linge multicolores, d’anciennes salières, de paires de chaussettes usagées et autres objets anodins, voire “pauvres”, du quotidien. Pour Anu Tuominen, art moderne rime avec art modeste. Less is more. On peut dire beaucoup avec trois fois rien…



EXPOSITION

les statues bougent aussi À l’invitation du ZKM, la chorégraphe Sasha Waltz a conçu une exposition dans les espaces monumentaux du musée allemand. Entre objets performatifs, sculpture vivante, vidéos réalistes et corps en spectacle.

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Par Thomas Flagel

Sasha Waltz, Installationen. Objekte. Performances, au ZKM Media Museum de Karlsruhe, jusqu’au 2 février 2014 Performances de danseurs les mercredis (10h-13h), vendredis et samedis (15h-18h), les dimanches (11h-14h et 15h-18h) +49 721 8100 1200 www.zkm.de Sacre de Sasha Waltz & Guests, au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg, jeudi 9 et vendredi 10 janvier 2014 +352 47 96 39 00 www.theatres.lu

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n cette fin d’année, le Centre d’Art et de Technologie des Médias de Karlsruhe célèbre de la plus audacieuse des manières un double anniversaire : les cinquante ans de la chorégraphe de renommée internationale Sasha Waltz (née dans cette ville du Bade-Wurtemberg) et les vingt ans de sa compagnie. En lui confiant les clés de l’ancienne manufacture de munitions et du cube de verre attenant, Peter Weibel directeur du ZKM, crée une passerelle inédite. « Sasha Waltz articule le plus clairement et dans un langage artistique éminemment complexe la nouvelle phase d’un tournant performatif : une transformation des formes spatiales passant de la performance à l’exposition. Les images animées se muent ainsi en groupes de sculptures, en “tableaux vivants” dans les installations et inversement. »

Frontières

D’après l’opéra Medeamaterial de Pascal Dusapin sur un livret d’Heiner Müller, 2007

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Ciselant les corps et les espaces, la chorégraphe balaie nombre de ses dernières créations, composant huit grandes installations. Une occasion pour elle de pouvoir « exposer quelques moments et diriger le regard sur les images qui sont comme les icônes de mes spectacles, dans la mesure où il suffit de couper l’avant et l’après dans la chronologie du morceau. La danse est un art éphémère. Dans un musée, il est possible d’ar-

rêter le temps. Je perçois cela comme une grande chance »… de saisir à vif le visiteur est-on tentés d’ajouter. Car subjugués, nous le sommes devant l’immensité de Cloud, cube gonflable blanc tiré de la pièce noBody autour duquel une danseuse met à l’épreuve sa matérialité dans une prise de conscience de la finitude des choses, et la confrontation du corps au gigantisme. Sasha Waltz marque les esprits, tire de son art la quintessence émotive dès l’entrée de l’exposition. Derrière un rideau noir, ce sont trois fantômes errant au-delà de parois de verre, dans un flou photographique jouant sur la profondeur de champ, avant de disparaître dans l’obscurité. Étrangement hypnotique.

Danse & image

Le début du sublime Körper (2000), qui fit le tour du monde, est présenté dans une grande installation vidéo s’incrustant au cœur d’un immense mur d’ébène. Les corps de danseurs dans le plus simple appareil, comprimés contre une vitrine viennent s’empiler et s’encastrer, lentement, les uns avec les autres, avant de disparaître. Du corps à l’image, du vivant à la vidéo, ce mouvement se poursuit dans Dido : un énorme aquarium placé sur un échafaudage à un mètre cinquante du sol dans lequel est projeté le ballet aquatique Didon & Énée (2005), évolution sensuelle en lévitation


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où seules les bulles d’air indiquent la gravité. Singulièrement hybride – les corps sortant du bassin étant coupés net souvent au niveau du buste ou du cou – et pourtant incroyable de réalisme avec la surface qui affleure par le haut et la bande son originale livrant clapotis et bruits d’eau, Dido captive l’attention. L’installation permet surtout d’échapper à la fugacité originale du spectacle chorégraphique au profit d’une contemplation à l’envi, dans la durée.

Corps & installation

L’art de la mise en scène et de l’utilisation des objets de celle qui marqua un tournant contemporain à la Schaubühne de Berlin, avec Thomas Ostermeier au début des années 2000, se dévoile de manière inégale. Si le véritable “tableau vivant” Stammbaum, dans lequel une danseuse est prise en main – de manière brusque mais néanmoins charnelle – par une quinzaine de paires de bras sortant du mur, séduit par sa force narrative et imaginative, le plancher hanté et mouvant tiré de Gezeiten (2005) fait figure d’évocation au rabais du refuge final de la pièce d’origine, peinant à nous entraîner dans un quelconque ailleurs. Paradoxalement, c’est avec une double installation – plus artistique que chorégraphique – autour de sa pièce Médée* que Sasha Waltz nous conquiert totalement.

Dans le cube de verre extérieur du ZKM, une immense soufflerie se met en marche et balaie l’espace circulaire dès que le public y pénètre, les sens secoués par le vent et le bruit des hélices. Le seul hurlement de Médée ébranle Wind, faisant frissonner les plus hardis et penser à la fuite de cette figure traquée et maudite qui, dans le mythe grec, tuait ses propres enfants. Dans une salle plus sombre, l’artiste s’éloigne des écrits de l’Antiquité tout en jouant des codes esthétiques de l’époque : Medea prend la forme d’une frise vidéo très travaillée où cohabiter plusieurs tableaux de personnages s’extirpant de la glaise avec la lenteur de statues, évocation de la face cachée des choses et des êtres.

Légendes 1. Körper [Bodies], chorégraphie de Sasha Waltz, 2000 © Bernd Uhlig 2. [Hängende] Hanging, chorégraphie de Sasha Waltz & Guests © Bernd Uhlig

Avec Sasha Waltz, les statues se meuvent, les corps se figent et l’on peine à dire qui du mouvement ou de l’immobilité fascine le plus. Les danseurs suspendus par des câbles à quelques centimètres du sol (Continu, 2009) en témoignent. En apesanteur, leurs mouvements forment une chorégraphie dénuée de repères spatio-temporels. Tels des mannequins animés au ralenti, ils semblent attirer l’espace qui les entoure. En être les créateurs par leurs déplacements. Comme si le corps, à défaut de créer son environnement, lui donnait sens, dans toute sa splendeur.

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bul à facettes Artiste de renommée internationale, la sud-coréenne Lee Bul s’empare des espaces du Mudam pour construire une véritable odyssée futuriste de l’espace et de l’espèce en forme de psyché cyberpunk.

Par Thomas Flagel

À Luxembourg, au Musée d’Art moderne Grand-Duc Jean (Mudam) jusqu’au 9 juin 2014 +352 45 37 851 www.mudam.lu www.leebul.com

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antalon ample et veste de tailleur à col Mao. Sombre et chic, Lee Bul porte la coupe garçonne depuis toujours, la chevelure brune de sa jeunesse laissant place en cette fin de quarantaine à un poivre et sel tirant sur le blanc. Regard sibyllin, imperturbable. Rien ne semble pouvoir venir troubler la sérénité de celle qui se fit connaître dans les années 1980 par des happenings dans lesquels elle se paraît de costumes tentaculaires, devenant monstre. La guérilla artistique a laissé place à des sculptures au long cours, demandant plusieurs mois de maturation et au moins autant de réalisation. Loin de se contenter de voir réuni le plus grand nombre de ses œuvres dans un musée européen, l’artiste coréenne est venue, un mois durant, investir les espaces monumentaux du Mudam. Le temps de composer un retour vers le futur.

Ghost in the shell

Tout débute dans le grand hall et son impressionnant puits de lumière vitré culminant à plusieurs mètres au-dessus du sol. Y sont suspendues, lévitant dans l’espace, plusieurs sculptures en polyuréthane et silicone de la série Cyborg. Des corps amputés, augmentés façon cyberpunk, échoués dans les abîmes de la galaxie en tant qu’évolutions mutantes frappées d’obsolescence. Comme autant de Vénus de Milo inachevées, ces compositions rétro-futuristes estropiées marquent par leur qualité de détails, le blanc immaculé et mat de leur couleur conférant une matière proche de celle du marbre antique. À ces nouveaux canons de beauté, portant armures et protections technoïdes volumineuses, répondent des bestioles hybrides et tentaculaires aux protubérances organiques inquiétantes. Ainsi


ART CONTEMPORAIN

agrégats d’époques, dégâts d’un temps pas si lointain où la contrée de l’artiste se lançait dans un développement à marche forcée, emboitant le pas des mégalopoles dessinées par Enki Bilal ou François Schuiten. La critique politique n’est jamais loin. Mon grand récit : Weep into stones… symbolise cette ville composite sur échafaudages dans laquelle s’amalgament des archétypes vidés de leur sens : le dôme retourné de Sainte-Sophie en boule à facettes, une tour-montagne de cire où s’agrègent les outils de mineurs et de grandes voies circulaires en descendant comme dans les circuits électriques pour petites voitures de notre enfance. Monde sens dessus-dessous, aux strates apparentes dans tous leurs défauts.

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2013, L’Odyssée morcelée

débute le voyage voulu par Lee Bul, « de la clarté à une certaine obscurité devant nous permettre de mieux voir en nous-mêmes. Quand on rencontre mon œuvre, on essaie d’aller de l’apparence à la profondeur intérieure. Le parcours d’exposition a été pensé comme cela », assure-t-elle. Le sol fait luimême penser à celui d’une planète marquée par des soubresauts, matérialisés par Diluvium, amas de planches en bois composant des protubérances montagneuses que le spectateur a loisir de parcourir, multipliant d’autant les points de vue sur les œuvres audessus de lui suspendues.

La Cité dans le ciel

Le cheminement de l’exposition nous entraine vers les abîmes de l’humanité, au niveau -1 du Mudam. Des villes-bateaux suspendues en matériaux composites flottent dans le vide d’un escalier en colimaçon, écho à des chimères architecturales constituées de perles de cristal et de verre, de chaînes, de filets et d’acier inoxydable qui happent notre imaginaire. A Perfect Suffering mais surtout After Bruno Taut (Beware the Sweetness of Things) sonnent comme des visions flamboyantes et utopiques inspirées par les modernistes et constructivistes du siècle dernier. Totalement déshumanisées, ces villes ne sont plus que des

L’histoire qui se dessine, depuis les cyborgs mutilés et les organismes mutants jusqu’à ces villes abandonnées, trouve son apogée dans la salle la plus sombre – malgré le miroir recouvrant les dizaines de mètres carrés du sol – qui nous place face au reflet fragmenté de notre propre corps modifié par l’environnement. Entrant par un Souterrain aux miroirs kaléidoscopiques perturbant chaque sensation, Via Negativa s’offre à nous : un labyrinthe de glaces ondulées dont le centre névralgique, rempli de myriades d’ampoules se perdant dans l’infini des perspectives, nous guide au milieu des fausses pistes du dédale. Enivrante et troublante cette longue et lente contemplation des éclats multiples de notre visage… « Y voir une métaphore de l’être humain et de sa complexité n’est qu’un premier pas », susurre Lee Bul, du bout des lèvres. « Toute mon œuvre n’est qu’un immense concept sur l’histoire de l’Homme et de son devenir. » Une mise en abîme la poussant à tomber le masque et faire passer le spectateur de l’autre côté des cimaises : « Depuis deux ans, j’ai décidé de montrer mes travaux préparatoires (maquettes, dessins…) en recréant, comme ici à Luxembourg, une partie de mon atelier. En faisant cela, je me retrouve totalement nue devant le visiteur, partageant les nombreuses vies de mes sculptures dans plusieurs étapes, du dessin jusqu’à la forme finale. Se dévoilent ainsi les évolutions de mes propres sensations et les changements d’états d’âmes à la base de tout mon travail. » Autant de connexions spatio-temporelles entre l’ici et l’ailleurs, les différentes faces du Moi… et les êtres.

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Légendes 1. Amaryllis, 1999. Collection Arario, Séoul © Watanabe Osamu. Courtesy Mori Art Museum, Tokyo 2. Souterrain, 2012. Courtesy Studio Lee Bul 3. After Bruno Taut (Beware the Sweetness of Things), 2007 © Éric Chenal. Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac, Paris – Salzburg 4. Cyborg W1, 1998. Collection Artsonje Center, Séoul © Watanabe Osamu. Courtesy Mori Art Museum, Tokyo

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GASTRONOMIE

un grand cru Il y a cinq ans, Pascal Bastian et son épouse Carole reprenaient la mythique Auberge du Cheval Blanc. Retour sur une belle aventure gastronomique au cœur des Vosges du Nord.

Par Hervé Lévy Photo de Stéphane Louis pour Poly

L’Auberge du Cheval Blanc se trouve 4 rue de Wissembourg, à Lembach. Restaurant fermé lundi et mardi toute la journée et vendredi à midi. Menus de 48 € à 95 €. 03 88 94 41 86 www.au-cheval-blanc.fr Membre des Étoiles d’Alsace, l’établissement propose, jusqu’au 31 mai 2014, une Formule jeunes (pour les moins de 35 ans) à un tarif particulièrement avantageux www.etoiles-alsace.com

Depuis 2011, il présente Cauchemar en cuisine sur M6 www.hostellerie-plaisance.com

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www.arnsbourg.com

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histoire d’amour entre Pascal Bastian et le Cheval Blanc est ancienne : natif de Pfaffenhoffen, il découvre l’Auberge comme commis, entre 1996 et 1998. Ensuite, il passera par plusieurs maisons prestigieuses, travaillant notamment avec Philippe Etchebest à l’Hostellerie de Plaisance (SaintÉmilion, deux Étoiles au Michelin) – avant d’être un personnage médiatique1, il est un des chefs les plus délicats de l’Hexagone – et Jean-Georges Klein, en tant que second à L’Arnsbourg 2 (Baerenthal, trois Étoiles).

Retour aux sources donc pour un cuisinier trentenaire qui a su « rajeunir la carte sans perdre l’âme de la maison » que Fernand Mischler avait réussi à porter si haut dans les années 1990. Dans un relais de poste du XVIIIe siècle à la décoration impeccable, avec une imposante et élégante cheminée et un merveilleux plafond à caissons, se déploie un service qui prend la forme d’un doux ballet, supervisé avec légèreté par le sourire de Carole Bastian.

Pendant ce temps, au piano, son époux imagine une cuisine (récompensée, dès 2009, par une Étoile) qui a su intégrer les fondamentaux de l’établissement en y apportant sa touche innovante. S’il est ainsi impossible de se passer du Foie gras d’Oie Cheval Blanc aux senteurs d’un vin chaud, chutney de poire et orange – élu “Meilleur foie gras d’Alsace” 2011 – on testera avec gourmandise le Cannelloni de foie gras de canard poêlé aux champignons des bois, émulsion de truffes noires. L’assiette à peine posée sur la table, le fumet appelle à la plus profonde des voluptés. Cette douce extase se poursuit en bouche avec un jeu de textures et de saveurs automnales d’une parfaite harmonie. Le Filet de maigre rôti, poêlée de girolles et noisettes du Piémont, écume au vin jaune qui suit est au diapason de cette excellence : la chair d’une extrême finesse du poisson satisfera les plus exigeants. La promenade s’achève dans l’allégresse avec le rayon de soleil d’une Tarte fine aux figues et Banyuls, sorbet fromage blanc / citron vert, panna cotta et émulsion nougat.



PROMENADE

le recours aux forêts Cinq châteaux semi-troglodytiques et quelques casemates : cette promenade dans les Vosges du Nord, autour de Windstein, est baignée d’histoire(s). Mais en cet automne triomphant, c’est plutôt la dense forêt aux mille et une couleurs qui exerce ses voluptueuses séductions.

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Par Hervé Lévy Photos de Stéphane Louis pour Poly

1 Race bovine écossaise présente dans certaines vallées alsaciennes et lorraines 2 Avant-corps rectangulaire plaqué en encorbellement sur un mur fortifié qui permet “d’arroser” l’ennemi dans toutes les directions 3

www.chateauschoeneck.fr

Le soleil d’octobre s’est levé, dardant ses doux rayons sur la petite commune de Windstein (moins de 200 âmes) dont l’habitat clairsemé s’étale noblement sur des pentes métamorphosées en admirables mosaïques de jaunes, de verts et de rouges. L’été indien. Le temps de chantonner, avant les frimas. « Avec ta robe longue tu ressemblais / À une aquarelle de Marie Laurencin / Et je me souviens, je me souviens très bien / De ce que je t’ai dit ce matin-là / Il y a un an, il y a un siècle, il y a une éternité. » Mais foin de poésie kitschoïde, il est temps de grimper, sous les yeux indifférents de quelques vaches Highland1 ébouriffées, vers les ruines du nouveau Windstein. Le chemin est rude, la boue colle aux semelles et l’on prétexte le ramassage de quelques châtaignes – en se blessant les doigts sur les piquants acérés de leurs bogues – pour reprendre son souffle. Béton & grès Aucune certitude historique devant ces ruines impressionnantes : les murs datent-ils de 1250 ? Le château fut-il, comme d’autres l’affirment, bâti à la fin des années 1330, après la destruction du vieux Windstein par les soldats de l’Évêque de Strasbourg qui avait interdit de relever ses murailles ? Il est simplement avéré qu’il fut définitivement abattu en 1676 par le Royaume de France. D’orgueilleux vestiges demeurent avec notamment un extraordinaire mur bouclier, dépourvu de toute ouverture et habillé de bossages. Comme bien des châteaux des Vosges du Nord, il est semitroglodytique : ses architectes ont su créer une profonde harmonie entre la nature et le bâti utilisant avec intelligence la roche. Colonnes cyclopéennes évoquant curieusement les

cités mycéniennes du Péloponnèse et espaces gréseux quadrangulaires confèrent un aspect austère à l’endroit… contrebalancé par certains éléments décoratifs d’un grand raffinement comme des fenêtres au gothique délicat. Au final, c’est néanmoins le côté militaire qui domine avec une des plus belles bretèches2 d’Alsace. La marche se poursuit et, de vallon charmeur en hêtraie dense, nous arrivons au Wineckerthal. Des prairies grasses, quelques maisons qui semblent semées au hasard, un ciel d’un bleu plus que parfait. Une idée du paradis. Avant de déboucher sur une route bitumée que nous emprunterons quelques hectomètres, nous apercevons un pommier où des dizaines de fruits nous sourient. Juteux. Délicieux. Les pommes maraudées sont décidément les meilleures même si un immense molosse – le gardien des vergers ? – aboie avec rage, la bave aux lèvres, dénonçant cet intolérable larcin. Et un, et deux et trois châteaux La décision est prise de faire un petit (dé)tour sur le Sentier de la Ligne Maginot serpentant entre eaux noires (tendance marécage) et route. S’y découvre une imposante casemate oubliée. Tout cela semble aujourd’hui si triste. Vain. Acier rouillé, béton glacé et ouvertures béantes où les mitrailleuses Hotchkiss étaient supposées cracher la mort sur l’ennemi. Le fonctionnalisme qui n’a pas fonctionné (puisque l’ennemi vint par derrière !) de ces défenses désuètes laisse circonspect. Retour vers le Moyen-Âge avec la montée vers le Schoeneck sauvegardé et mis en valeur depuis le début du siècle par l’association Cun Ulmer Grün3. Sur ces murs un peu trop fréquentés en cette journée radieuse, Poly 162 Novembre 13

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plane la légende des chevaliers fantômes : un beau soir, au milieu du XVIe siècle, le seigneur du lieu, Cunon de Dürckheim, croisa deux paladins à l’allure fantastique qui semblaient flotter au-dessus du sol plutôt que marcher. Vêtues de heaumes et d’armures démodées, ces silhouettes silencieuses se plantèrent devant lui et dirent : « Vole au secours du château de Windstein avec tes hommes. » Ce qu’il fit, surprenant les assaillant par derrière. Grâce à cette intervention surnaturelle, le château fut sauvé. Provisoirement. La route serpente, heureuse, en direction du Wineck (ou Windeck, il y a décidément beaucoup de vent dans le coin), troisième château de la promenade, installé sur une barre rocheuse transformée en site d’escalade. Personne. Nous en profitions pour pique-niquer au soleil, abrités sous l’immense tour pentagonale… Le munster – fait à souhait – attire d’importunes guêpes. Il est temps de partir en marchant sur la crête dans une abondante forêt. La sente est molle. Douce. Elle vallonne agréablement et mène, en ligne presque droite, aux ruines du Wittschloessel. Et de quatre, même s’il s’agit plus d’un fortin de grande dimension utilisé comme poste d’observation que d’un réel château. Ses ruines que d’aucuns jugent « insignifiantes » ou « peu impressionnantes » méritent pourtant le détour – comme il était écrit dans les guides autrefois – tant elles dégagent un puissant romantisme, posées sur un immense rocher évoquant un saurien préhistorique. On croirait que le jeune Werther va pointer son nez d’une minute à l’autre, ses souffrances en bandoulière. Il est temps de rentrer pour découvrir le vieux Windstein, le “clou” de la promenade : illustration parfaite du qualificatif “semi-troglodytique”, la forteresse, fière mais vaincue, se déploie sur une barre de grès de près de 150 mètres de long et invite à la découverte de ses salles souterraines taillées dans le roc et d’un étrange escalier montant dans la pierre. Entre chaos minéral et architecture complexe, comment ne pas être séduits ? Malgré tout ce qui demeurera dans le souvenir de ces heures passées dans le Nord de l’Alsace est la forêt. Indomptable, charmante, élégante… « Forêt silencieuse, aimable solitude / Que j’aime à parcourir votre ombrage ignoré ! / Dans vos sombres détours, en rêvant égaré / J’éprouve un sentiment libre d’inquiétude. / Prestige de mon cœur ! Je crois voir s’exhaler / Des arbres, des gazons, une douce tristesse / Cette onde que j’entends murmure avec mollesse / Et dans le fond des bois semble encor m’appeler » écrivit Chateaubriand. 62

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PROMENADE

autour de windstein Départ Windstein Temps estimé 5 h 30 Distance 18 km Dénivelé 400 m NORD

Col de Wineck

Wittschloessel

Schoeneck

rthal

Wineck

necke

À quelques mètres du départ de la promenade (sur le parking de la Mairie) se trouve Le Grand grès, unMusmiss menhir dressé qui rappelle que non loi d’ici, au Steinkopf (515 mètres d’altitude) se trouve un abri sous roche du Néolithique muni d’un fascinant polissoir à haches et pointes de flèches. Faisant écho à ces croix ou damiers gravés dans la roche, dix-neuf artistes contemporains ont décoré un gigantesque menhir (qui n’a rien à envier à Carnac) pour saluer l’an 2000. Saurezvous reconnaître les œuvres de Tomi Ungerer, Christophe Meyer, Raymond Waydelich, François Bruetschy ou encore Daniel Depoutot ?

Bitche 28 km

Wi

menhart

Vieux Windstein Casemates

Haguenau 25 km

D WINDSTEIN Nouveau Windstein

Maison forestière Buchwald

une saga industrielle Sur la route menant à Windstein se trouvent, dans le hameau de Jaegerthal, les vestiges pleins de poésie des forges qui y furent fondées en 1602 (et définitivement éteintes en 1890) : ce modeste bâtiment tout d’abord exploité par la famille Jaeger fut acheté par Jean Dietrich en 1684. Le début d’une odyssée industrielle qui fit du petit-fils du fondateur de la dynastie – anobli par Louis XV – le plus grand propriétaire terrien d’Alsace à l’orée des années 1760. En 1778 est imaginé le fameux logo – le plus ancien de l’histoire – qui représente un cor de chasse. Il fut octroyé par Louis XVI à la famille pour protéger la production des contrefaçons. Déjà… La saga se fera ensuite protéiforme se développant au fil des rapprochements et des scissions : matériel ferroviaire et mécanique, construction automobile (avec Émile Mathis et Ettore Bugatti), appareils de chauffage, systèmes pour les industries chimiques ou pharmaceutiques…

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EXPOSITION

design

la boule à héros La nouvelle boule de Noël éditée par le Centre international d’Art verrier de Meisenthal a été conçue par le Studio BrichetZiegler. Son petit nom ? Sylvestre, super-héros des montagnes, parfaite mascotte du CIAV.

Par Emmanuel Dosda Photos de Guy Rebmeister

En vente à Meisenthal (18 € environ), au Centre International d’Art verrier, mais aussi dans les Offices de tourisme de Colmar, de Haguenau, de Forbach, de Metz et de Nancy, aux Marchés de Noël de Montigny-lès-Metz, d’Ottmarsheim, de Sarreguemines et de Strasbourg ou au Caveau SainteBarbe de Sélestat www.ciav-meisenthal.fr www.studiobrichetziegler.com

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S

uspens… Chaque fin d’année, une même question revient avec les illuminations dans les rues, les odeurs de marrons chauds ou les cohues dans les magasins de jouets : quel designer va s’attaquer à la traditionnelle boule de Noël de Meisenthal ? À quoi va-t-elle ressembler après avoir pris la forme d’une boule de pétanque avec Jasper Morrison (Triplette), d’une ampoule avec Philippe Riehling (Tilt), d’un ballon baudruche avec les V8 (Helium) ou d’un pneu-neige avec Thibaut Allgayer, créateur de Vroum (voir Poly n°153 ou sur www.poly.fr) l’an passé ?

Petite révolution dans les Vosges du Nord : le CIAV a dit stop au détournement de formes issues de notre quotidien, « afin de ne pas nous enfermer dans un système », selon Yann Grienenberger, son directeur qui a choisi de confier la boule au studio parisien BrichetZiegler. Caroline Ziegler et Pierre Brichet avaient “détourné”, lors d’une résidence en 2011 / 2012 à Meisenthal, des moules de pièces verrières « qui dormaient dans les stocks du CIAV », explique Caroline. « Nous trouvions intéressant de les réinterpréter en en faisant d’autres objets. Nous avons soufflé ces pièces,


Caroline Ziegler et Pierre Brichet

les avons découpé d’une certaine manière pour leur donner une nouvelle fonction. » C’est ainsi qu’est née Second Souffle, collection de vide-poches muraux qui offre une deuxième vie à des moules de pieds de lampe, carafes ou saladiers…

Super-CIAV

Pas de récup’ pour leur déco de Noël, donc, mais la création d’un personnage : Sylvestre, petit être casqué et pourvu d’une cape qui semble tout droit sorti d’une BD ou d’un dessin animé, quelque part entre Astro le petit robot et n’importe quel héros en “man”… version bouboule ! Pierre Brichet, qui n’est pas spécialement fan de comics : « Pour nous, l’action du CIAV est héroïque : le Centre a réussi à préserver un site, à sauver des savoir-faire et sauvegarder des traditions. » Ainsi, Sylvestre serait une parfaite éventuelle mascotte pour le Centre d’Art verrier, un « mini-héros des montagnes qui ne survole pas les buildings, mais les sapins, un être sympathique qu’on a envie d’adopter. Il est en lien avec la région et son environnement direct. »

Fabrication de Sylvestre

La boule de Noël s’inscrit totalement dans la démarche du duo qui a réalisé beaucoup de meubles, toujours en évitant d’être « dans un systématisme et en poussant le dessin pour qu’il ne soit pas trop simple », d’après Pierre. Mobilier scolaire généreux, étagères aux formes arrondies, bancs urbains aux belles courbes… en céramique, en bois ou en fonte d’aluminium. « Nous n’avons pas de matériaux de prédilection, ni de signature formelle, même si nous privilégions les formes douces. Chaque projet est l’occasion d’explorer de nouveaux répertoires », se réjouit Caroline. Leur boule personnifiée, amusant « patrouilleur de conifère », explore un univers enfantin… et des gammes colorées différentes, allant sur « des tons plus atténués, moins criards et flashies que d’habitude. Avec leurs finitions brillantes ou sablées, les boules ont des couleurs sourdes », proches de la nature. Comme leur micro-héros.

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LAST BUT NOT LEAST

pendentif

pop bordelaise pas bling-bling Par Emmanuel Dosda Photo de Steven Monteau

À Strasbourg, à La Laiterie, jeudi 21 novembre (avec Granville) 03 88 237 237 www.artefact.org

Dernière fois où vous vous êtes jetés à l’eau. Mi-août à Hendaye, à la frontière espagnole, pour tourner le clip de God save la France. Un air estival souffle sur votre premier album qui sort seulement maintenant. Vous n’avez pas eu le dernier mot par rapport au timing. Nous aurions préféré qu’il sorte cet été, mais la maison de disques avait besoin de faire son travail en amont. La dernière fois que vous avez joué en première partie d’Indochine, comment a réagi le public. Très bien : les fans d’Indochine attendent devant la salle pendant huit heure avant l’ouverture des portes… alors, dès les premières notes, ils sont au taquet. Le fonctionnement de votre quintet a l’air très démocratique, mais il y a sans doute des prises de bec… Quelle est la dernière. C’était il y a longtemps, par rapport au choix d’un restau.

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Nous avons des goûts en commun : Real Estate, Toro Y Moi, MacDemarco, Chromatics… Quel est votre dernier coup de cœur. Ducktails : il y a une nonchalance qu’on apprécie. Dernier verre de Bordeaux dégusté. Hier soir nous avons bu un Saint-Julien Château Lagrange 2008 avec des cèpes cueillis par nos soins. Dans la vidéo de Jerricane, on vous voit casser plein de trucs et faire n’importe quoi. Dernière fois où vous êtes conduits en adultes responsables. Quand on a signé notre contrat avec Discograph. Dernière personne embrassée. Barbara Carlotti qui nous a invité à son émission sur France Inter : c’est une super nana comme dirait Michel Jonasz. Dernier album. Mafia douce, édité par Discograph www.pendentifmusic.com




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