Poly 164 - Janvier / Février 2014

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N°164 JANVIER / FÉVRIER 2014 www.poly.fr

Magazine



BRÈVES

baisers L’Ô À LA DOUCHE

Russes

Le Régent Petite France«««« : un bel hôtel strasbourgeois magnifiquement situé, sur l’Ill, un délicieux bar à champagne et, dorénavant, un merveilleux spa nommé Ô fil de l’eau. Cet écrin de 200 m2 dédié au bien être se compose d’un sauna, d’un hammam, d’une cabine de gommage, d’une douche sensorielle ou encore d’un jacuzzi idéalement situé, sur la terrasse. Le Régent prend soin de ses convives, clients ou non de l’hôtel. www.regent-petite-france.com

LA ROUE TOURNE Avec sa machinerie de plateaux roulants digne d’un jeu forain en mouvement, la Compagnie Hors Pistes se lance dans un incroyable Travelling Circus perpétuel. Un nouveau spectacle (les 17 et 18 janvier au Théâtre de Hautepierre, à partir de 7 ans) en forme de piège pour cinq cobayes dont le talent n’a d’égal que l’engagement physique total !

Semianyki – la famille, en russe – est un voyage dans le chaos quotidien d’une fratrie russe : un père complètement alcoolo, une mère à deux doigts d’accoucher et quatre enfants jouant à qui sera le plus terrible ! S’appuyant sur une vive folie poétique, ces clowns silencieux nous emmènent au bout de rêves cauchemardesques, surréalistes et décapants. À découvrir à La Coupole de Saint-Louis, mercredi 5 février. www.lacoupole.fr

www.lesmigrateurs.org

DRÔLES DE VOISEAUX © Caroline Vincart

La Maison des Arts de Lingolsheim convie les plus petits (à partir de 3 ans) à un voyage onirique organisé par la compagnie 4Haut, un spectacle sans paroles, mais musical et très visuel. Voiseau (mercredi 5 février) confronte comédiens et images projetées au rythme des saisons qui passent… Dans le cadre du festival Momix (voir page 21). www.lingolsheim.fr

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BRÈVES

IN NATURE

WE TRUST

L’exposition Les Bishnoïs, écologistes depuis le XVe siècle (jusqu’au 23 février) du photographe alsacien Franck Vogel à la Cour des Boecklin de Bischheim fait découvrir la religion des Bishnoïs en Inde et leur manière de vivre en harmonie avec la nature. En accord avec leurs préceptes religieux – selon lesquels arbres et animaux font partie de la famille – ils replantent des arbres, recyclent l’eau de pluie et nourrissent les bêtes sauvages avec une partie de leur récolte. www.ville-bischheim.fr

MUSIQUES

D’AUJOURD’HUI

Les Strasbourgeois de l’Ensemble Linea proposent un très beau concert à L’Arsenal de Metz (15 février) : intitulé La Nouvelle vague américaine, il rassemble des pièces signées Cheung, Sheperd, Wubbels et Carter. Quelques jours plus tard, ils seront à l’Espace culturel de Vendenheim (18 février) pour Tour de flûte, explorant les multiples facettes de l’instrument, de Debussy à Scoddanibio via Stockhausen. www.ensemble-linea.com

Ô PRINCE… Joël Pommerat maltraite à sa façon Cendrillon (du 21 au 24 janvier au CDN de Besançon et du 28 au 30 janvier au Granit de Belfort). Au conte de Perrault et des frères Grimm, il ajoute sa dose de désenchantement et de merveilleux avec une belle-mère abusant de la chirurgie esthétique, un prince aussi maladroit que peu charmant et une fée pas clochette et encore moins heureuse de son immortalité !

© Alex Flores

Version concentrée de La Mouette de Tchekhov, La Nostalgie de l’avenir, qui se déroule de nos jours, est construite sur un flashback puisqu’elle débute par la fin, le suicide de Treplev. La pièce, resserrée sur six personnages, multiplie les inserts (textes, vidéo, musique). À découvrir dans le cadre des Régionales, à Thann (Relais culturel, 31 jan), Saint-Louis (Coupole, 1er fév), Bischwiller (MAC, 4 fév), Wissembourg (La Nef, 6 fév) et Obernai (Espace Athic, 8 fév). www.culture-alsace.org

© Serge Gutwirth

FLASHBACK

www.legranit.org www.cdn-besancon.fr

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BRÈVES

DIS-MOI

© Jen Carey

PAS BARBARE

OUÏE

La Semaine du Son (du 1er au 14 février, dans différents lieux du Bas-Rhin, mais aussi en Suisse et en Allemagne) interroge le son via concerts, performances et autres paysages sonores. Avec L’ombre du vent / Windschatten par exemple, le musicien Philippe Aubry et la plasticienne Maren Ruben rendent hommage au vent (à la médiathèque Olympe-de-Gouges de Strasbourg et celle d’Oberkirch). Dans cette installation, le visiteur traverse un labyrinthe en suivant le bruit de son propre souffle préalablement enregistré.

Les chansonnettes aériennes du Néo-zélandais Connan Mockasin nous convient à nager dans le grand bleu en compagnie de dauphins ou à planer dans la voie lactée parmi de drôles d’oiseaux. Écouter les albums du nouveau meilleur ami de Charlotte Gainsbourg ou assister aux concerts (mardi 11 février à La Kaserne de Bâle et mardi 18 février à La Poudrière de Belfort) de ce sosie de Warhol, revient à faire une cure d’hélium et de champignons magiques.

www.lebruitcoute.blogspot.fr

www.kaserne-basel.ch – www.poudriere.com

PAYSAGES

SONORES © Le Bruit qu’ça coûte

Le point commun entre tous les artistes invités à participer à l’exposition Schizophonie, présentée au centre d’art contemporain La Synagogue de Delme (jusqu’au 16 février) ? Ils sont passionnés par les archives sonores servant de base à leurs travaux. À découvrir notamment, An Ear to the sounds of our history, œuvre de Sharon Hayes qui a compilé des pochettes d’albums de spoken word, composant une histoire du discours engagé.

© Irina Schrag

www.cac-synagoguedelme.org

HôTEL GRAFFITI

Au 17 de la rue Déserte (à l’angle de la Petite rue de la Course), Vincent Faller vient d’ouvrir le Graffalgar, hôtel au concept original. Chacune des chambres a été confiée à un artiste : graffeurs (Chifumi, Dan 23…), photographes (Zvardon, Christophe Urbain…), illustrateurs (Marie

Meier, Mo Barroux…). Dans ce musée urbain où l’on dort à prix modéré (entre 60 et 100 € la nuit), les Strasbourgeois et amateurs de passage peuvent aussi venir boire un verre et manger. www.facebook.com/graffalgar Poly 164 Janvier / Février 14

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BRÈVES

SAUVAGE ? Pas très difficile d’apprivoiser les compos electro, le melting-pop sucré façon Micky Green ou Lykke Li, de Zara et Fred, réunis sous le nom rugissant d’As Animals. Le duo aux influences métissées présentera son premier album éponyme (sortie le 27 janvier chez Atmosphériques) mercredi 29 janvier aux Trinitaires de Metz, jeudi 30 au Grand Casino de Bâle et samedi 1er février au Grillen de Colmar. www.lestrinitaires.com www.grandcasinobasel.com www.grillen.fr

MANIMAL

© Daniela Schwartz

Durant une nuit obscure, dans un coin de nature retiré, seule la lumière de la lune permet d’y voir clair. Quatre chasseurs avancent, fendant la végétation, traquant la bête, à l’affût, dans un parfait mimétisme avec le gibier afin de s’en approcher. En pénétrant dans cette Clairière rouge, Dégadézo s’apprête à vivre (et à partager) un voyage initiatique dansé, une aventure sonore – la création musicale étant toujours essentielle pour la compagnie alsacienne –, une chasse à courre en territoire inconnu, une course à la recherche du fauve au plus profond de notre être. Cette pièce chorégraphique conçue par Antje Schur et Régine Westenhoeffer, décrit, selon elles, une battue qui « sort du cadre, les chasseurs se mettant à traquer à l’intérieur d’eux-mêmes ». Dans une tension des corps, Clairière rouge évoque les rituels ancestraux durant lesquels les humains entrent en osmose avec l’animal : les deux se confondent, comme dans Wilder Mann, série photo de figures folkloriques signée Charles Fréger où les hommes, répondant à des coutumes anciennes, se déguisent en revêtant des peaux. Laissons exprimer le sauvage qui est en nous, du 13 au 15 février au TJP Grande scène, à Strasbourg (coproduction avec Pôle Sud, à partir de 14 ans). www.tjp-strasbourg.com – www.degadezo.com

© Marion Fayolle

LES PRIX DES BULLES

La sélection officielle de la 41e édition du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (du 30 janvier au 2 février) est tombée et les anciens de la Haute École des Arts du Rhin font fureur : Fabien Mense (Agito Cosmos), Benjamin Adam (Lartigues et Prévert) mais aussi des ouvrages dont Poly s’est déjà l’écho comme La Tendresse des pierres de Marion Fayolle (Poly n°161) qui jouit d’une exposition au Pavillon Jeunes Talents, Ainsi se tut Zarathoustra de Nicolas Wild (Poly n°159) ou encore Heartbreak Valley de Simon Roussin (Poly n°158) édité par les éditions 2024, elles-mêmes fondées à Strasbourg par deux anciens des Arts déco ! L’année de la consécration ? www.bdangouleme.com Poly 164 Janvier / Février 14

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sommaire

18 Le festival du film fantastique de Gérardmer se profile avec Jan Kounen comme président du jury

20 Pour Les Vagamondes, La Filature convie les cultures méditerranéennes à Mulhouse

21 La 23e édition du festival Momix séduit petits et grands !

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22 Le chorégraphe Kader Attou revisite la culture hip-hop dans The Roots

24 La saison de cabaret satirique reprend à La Choucrouterie avec La Moitié des politiques sont des bœufs

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ocus d’hiver à La Méridienne avec Jean-Baptiste André, F entre danse et équilibre

34 La dernière création visuelle et dansante de Gisèle Vienne, The Pyre, éblouit les scènes du Grand Est

40 Amoureux de techno crépusculaire, tapageuse et

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menaçante, Gesaffelstein rend hommage, en live, aux pionniers electro

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46 L’ensorceleuse pianiste Alice Sara Ott illumine le Festspielhaus de Baden-Baden

48 Metamatic Reloaded ou les machines à dessiner de Jean Tinguely revisitées par des artistes contemporains

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ommage aux êtres difformes et inquiétants de Thomas H Schütte à la Fondation Beyeler

58 Promenade autour des châteaux du Haut-Andlau et du Spesbourg

62 Découvertes gastronomiques avec La Chenaudière.

Rencontre avec la pétillante Annabelle de la Pâtisserie Koenig

66 L ast but not least : Viktor Lazlo chante Billie Holiday

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COUVERTURE Une toile de Jouy champêtre aux traits baroques, deux damoiseaux batifolant sagement sous un feuillu, lorsque surgit une femme, armée d’un colt qui, lentement nous met en joue et tire ! Le photographe Daniel Spehr a immortalisé l’instant fatal de l’installation de l’artiste allemande Brigitte Zieger. L’hypnotique et interactif Shooting Wallpaper – des capteurs détectent les mouvements du public qui déclenchent les mouvements de cette Calamity Jane à la détente facile – est à découvrir au Musée Tinguely de Bâle, jusqu’à fin janvier (lire page 48).

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OURS / ILS FONT POLY

Emmanuel Dosda Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une dizaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren. emmanuel.dosda@poly.fr

Ours

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Thomas Flagel Théâtre des balkans, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs africains… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes depuis cinq ans dans Poly. thomas.flagel@poly.fr

Dorothée Lachmann Née dans le Val de Villé cher à Roger Siffer, mulhousienne d’adoption, elle écrit pour le plaisir des traits d’union et des points de suspension. Et puis aussi pour le frisson du rideau qui se lève, ensuite, quand s’éteint la lumière. dorothee.lachmann@poly.fr

Benoît Linder Cet habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma poursuit un travail d’auteur qui oscille entre temps suspendus et grands nulles parts modernes. www.benoit-linder-photographe.com

Stéphane Louis Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. www.stephanelouis.com

Éric Meyer Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. http://ericaerodyne.blogspot.com

Œuvre de Maxime Acker, galerie Bertrand Gillig, St-Art 2013 © Geoffroy Krempp www.poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49 Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Rédacteurs Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Dorothée Lachmann / dorothee.lachmann@poly.fr Ont participé à ce numéro Geoffroy Krempp, Pierre Reichert, Irina Schrag, Marco Solo, Lisa Vallin, Daniel Vogel et Raphaël Zimmermann Graphiste Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly © Poly 2014. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. ADMINISTRATION / publicité Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Administration, gestion, diffusion, abonnements : 03 90 22 93 38 Gwenaëlle Lecointe / gwenaelle.lecointe@bkn.fr

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ÉDITO

culture : qui veut noyer son chien… Par Hervé Lévy

Illustration signée Éric Meyer pour Poly

L

a culture ? Un secteur non productif. Ses acteurs ? Des parasites faisant bombance grâce aux largesses des subventions publiques. La conclusion ? Voilà un luxe dont on pourrait se passer en période de crise. La culture, combien de divisions ? Le cliché sous-tend bien des décisions politiques, puisqu’il est plus facile de tailler dans le vif d’un domaine réputé ne servir à rien, si ce n’est à aider à notre compréhension du monde (ce dont tout le monde se fout, cela va sans dire). Il n’est ainsi guère surprenant qu’elle s’annonce comme la grande absente – une fois encore – des campagnes municipales naissantes. Reposant sur des supposi-

tions et quelques idées reçues profondément enkystés dans les cervelles de la plupart de nos concitoyens et de beaucoup de politiques à la pensée étriquée, cette image d’Épinal vient de voler en éclats dans une étude (de près de 400 pages)1 parue au tout début du mois de janvier sur l’apport de la culture à l’économie. Ce travail mené conjointement par l’Inspection générale des Finances et celle des Affaires culturelles fait apparaître que la valeur ajoutée – l’ensemble des richesses créées – du secteur culturel (qui emploie directement 670 000 personnes) est de 57,8 milliards d’euros, ce qu’on pourrait nommer le “PIB culturel”. Soit 3,2% du PIB national, sensiblement autant que l’agriculture et les industries alimentaires (60,4) et presque sept fois plus que l’automobile (8,6). Le tout pour des dépenses publiques de 13,9 milliards pour l’État et de 7,6 milliards pour les Collectivités territoriales. Comme l’a joliment exprimé la Ministre Aurélie Filippetti lors du Forum d’Avignon2 (2012) : « Pas de redressement productif sans redressement créatif ». Loin d’être une danseuse que l’on congédie d’un claquement de doigts en période de disette, la culture rapporte de l’argent et fait figure de secteur économique rentable dont les emplois, qui plus est, ne sont pas délocalisables ! Comme tout domaine porteur, elle doit donc faire l’objet d’une réelle attention. Il devient ainsi impossible de la gérer en balançant des formules sympathiques et un brin désinvoltes, en se contentant de préserver l’existant, se gargarisant de ses acquis, en saupoudrant simplement des subventions à la va comme je te pousse, voire, pire, en baissant lesdites subventions au nom de la bonne gestion. Ce rapport est un réquisitoire contre les certitudes : puissent tous les acteurs culturels s’en saisir… et les politiques s’en inspirer.

L’Apport de la culture à l’économie en France (décembre 2013) est à lire sur www.culturecommunication.gouv.fr

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Boîte à idées au service de la culture et de son dialogue avec le monde économique – www.forum-avignon.org

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LIVRES – BD – CD – DVD

FAUVES Le mystérieux Rémy Bux – alias KG (voir Poly numéro… 49, ça fait une paye) – aime se planquer derrière des pseudos animaliers plus ou moins obscurs (Aigle noir, Total cochon…). C’est pourtant frontalement, sans fard ni masque, que l’artiste alsacien se présente pour ce nouvel album sortant douze ans après son dernier essai. Le membre de Sun Plexus ou d’Ich Bin persiste à creuser un Passage secret entre My Bloody Valentine et le label Warp, shoegazing nineties et électronique eighties, déflagrations vrombissantes et envolées cosmiques, amour et violence. Titres analogico-épiques, comptines en langue germanique, BO stridentes ou atmosphériques… Après plus d’une décennie de captivité, le son KG sort de sa cage : attention les secousses ! (E.D.)

Mur

LA KG AUX

-Mur

En août 2013, la compagnie Rodéo d’âme (voir Poly n°147) s’installait en résidence artistique dans le camp palestinien d’Aïda, à Bethléem. Au programme : fanzinothèque, workshops artistiques et création d’une pièce de théâtre sur le conflit israélo-palestinien interprétée par des réfugiés. Cette dernière, Frères ennemis, a remporté le prix des Journées de Lyon des Auteurs de théâtre et le Premier Prix des initiatives étudiantes pour l’éducation au développement. Un texte à découvrir dans une édition bilingue français / arabe, agrémentée d’un carnet de photos, d’entretiens et d’articles menés des deux côtés du mur… (T.F.) Rencontre avec Claire Audhuy, samedi 18 janvier à la Librairie Kléber de Strasbourg, autour de la publication de Frères ennemis dans la Collection L’Oiseau-Mouche Retrouvez aussi Les Théâtres de l’extrême, journal de recherche de Claire Audhuy et Nicolas Lefebvre, aux éditions Rodéo d’âme (19 €) – www.rodeodame.fr

KG, Passage secret, édité par Herzfeld (sortie le 29 janvier, 12 €) www.hrzfld.com En concert en mars, lors du festival Supersounds printemps www.hiero.fr

VOYAGE DORÉ Sacrés dénicheurs que ces Éditions 2024 qui font revivre une bande dessinée de jeunesse du grand Gustave Doré, né en 1832 à Strasbourg. 56 pages en noir et blanc dans un format à l’italienne soigné (reliure cousue et dos toilé du plus bel effet) pour ce Des-agréments d’un voyage d’agrément datant de 1851. Un vrai-faux carnet de voyage de César Plumet, reconnaissable à sa casquette à longue visière, en vacances avec sa femme Vespasie et leur chien dans les Alpes, où l’humour de l’auteur, qui s’immisce dans le récit, rugit à souhait. Entre imagination débordante et ignorance trop brillante, Plumet est le symbole d’une bourgeoisie cherchant l’aventure de la vie pastorale, au grand dam de madame qui multiplie les « grandes discussions au clair de lune sur la passementerie genevoise » ! Même l’éditeur, sous la plume de Doré bien évidemment, s’excuse des mensonges et du comportement de ce personnage drôlement attachant… (T.F.) Des-agréments d’un voyage d’agrément de Gustave Doré, aux Éditions 2024 (19 €)

www.editions2024.com

À voir, les expositions Gustave Doré (1832-1883), L’imaginaire au pouvoir, au Musée d’Orsay, du 18 février au 11 mai et Doré & Friends, au Musées d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, du 21 février au 25 mai // www.musee-orsay.fr – www.musees.strasbourg.eu

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LIVRES – BD – CD – DVD

APOCALYPSE NO En gros plan, une journaliste avoue s’apprêter à traiter un sujet « sur le fait qu’il ne se passe rien ». Mis à part quelques illuminés et autres amis des petits hommes verts, personne ne croit au cataclysme annoncé par le calendrier maya dont serait miraculeusement épargné le Pic de Bugarach où a été tourné ce film, durant les huit jours précédents ce fameux 21 décembre 2012 fatidique. Chacun est conscient de servir un « buzz médiatique » alimenté par des journalistes qui n’ont aucune autre alternative que de s’interviewer entre eux, dans un vertigineux jeu de miroirs et d’arroseurs arrosés. « S’il y a du monde, c’est une information » se défend un reporter de France 2 conscient d’être pris dans une spirale infernale. FIN, beau documentaire du vidéaste Robin Lachenal, jeune diplômé de la Haute École des Arts du Rhin, est un grand saut dans le vide. (E.D.) FIN de Robin Lachenal, DVD édité par écart production (10 €) www.ecartproduction.net

COLLECTOR

LE LIVRE

DEs MORTS

La série de monographies dédiées aux collections permanentes des Musées strasbourgeois s’enrichit de deux ouvrages. Le premier est une plongée dans le très riche fonds juif du Musée alsacien où l’on découvre de magnifiques pièces d’art populaire, Mizra’h (tableau placé sur un mur indiquant la direction de Jérusalem) du XIXe siècle, main de lecture, assiette réservée aux laitages, lampe de shabbat… Le second est une invitation à la flânerie dans les salles du Musée de l’Œuvre Notre-Dame où est conservé un bel ensemble dédié au Moyen-Âge et à la Renaissance. Voilà un voyage de la révolution plastique opérée par Nicolas de Leyde au milieu du XVe siècle, à l’art délicat de Sébastien Stoskopff avec ses merveilleuses natures mortes, en passant par la statuaire de la cathédrale, vierges folles et sages face à face… (H.L.) Mémoires du judaïsme en Alsace – Collections du Musée alsacien et Musée de l’Œuvre Notre-Dame – Arts du Moyen Âge et de la Renaissance sont parus aux éditions des

Musées de Strasbourg (25 € chacun) – www.musees.strasbourg.eu

Deux cadavres mystérieux ont été retrouvés à Strasbourg. Tête tranchée et corps posés dans une étrange position, les jambes en l’air. Sur leur poitrine a été peinte une inscription rapidement identifiée comme l’œil oudjat (celui d’Horus) de l’ancienne Égypte. Entre polar se lisant avec plaisir et ouvrage aux résonances archéologiques, Emmanuelle Riss – qui vit près de Colmar et s’auto-édite – développe une mécanique bien huilée où son héroïne, une jeune antiquaire, mène l’enquête. (R.Z.) Meurtres à l’égyptienne est paru chez l’auteur (15 €) www.emmanuelle-riss.fr

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FESTIVAL

dans l’antre de la folie « Heureux de revenir à Gérardmer, pour découvrir des films que j’espère créatifs, audacieux et barrés » : Jan Kounen, président du jury de l’édition 2014 du Festival du Film fantastique, promet une manifestation haute en couleurs, à son image.

Par Marco Solo

À Gérardmer, dans différents lieux, du 29 janvier au 2 février 03 29 60 98 21 www.festival-gerardmer.com

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L

ongtemps, le Festival du Film fantastique de Gérardmer a pâti, du moins auprès des fantasticophiles acharnés, du désintérêt plus ou moins voyant des membres du jury pour le cinéma de genre. Et puis il y eut cette incroyable édition 2008 et son jury mythique (n’ayons pas peur des mots), avec à sa tête Stuart Gordon, flanqué entre autres de Neil Marshall, Sean S. Cunningham, Takashi Shimizu, Nicolas Winding Refn… et Jess Franco, pape du cinéma bis espagnol. Reprenons pour ceux qui n’auraient pas été saisis de vertige. Cette année-là, officiaient donc Monsieur Reanimator, le père de Jason le mort-vivant, le futur réalisateur de Drive et, cerise sur le gâteau, l’auteur des Possédées du diable, une des plus grandes perles du cinéma de quartier déviant… Rajoutons

le très insolite Incinérateur de cadavres du cinéaste tchèque Jura Herzl. Difficile de faire plus œcuménique. De fait, il a soufflé comme un petit vent de folie sur le lac de Gérardmer. Autant dire qu’avec un cinéaste aussi peu consensuel et chahuté que Jan Kounen, on est en droit de s’attendre à quelques fulgurances du meilleur ordre. Souvenons-nous de sa carte blanche impeccable, entre classicisme aventureux et cinéphilie délurée, à L’Étrange Festival, en 2012. Associer un sommet du film d’exploitation crade (Blood Freak) à des monuments de cinéma de “recherche” comme le Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio et L’Homme à la caméra de Dziga Vertov, il fallait oser. Pour que la fête soit réellement belle, ce n’est pas le Kounen de Vibroboy ni de Dobermann – avec son montage épileptique, sa caméra virevoltante et ses délires “texaveryens” – que l’on voudrait invoquer ici mais plutôt celui de Blueberry, l’expérience secrète, faux western mais vrai trip hallucinatoire, et D’autres mondes, son documentaire ahurissant sur les guérisseurs / chamanes Shipibo d’Amazonie. En somme, sa cinéphagie dissidente porte en creux la promesse de tous les inattendus possibles. Et l’on se prend à rêver très fort qu’il soutienne un film faisant figure d’exception à la règle, par delà ses qualités ou même ses défauts, quitte à faire l’impasse sur ce qui pourrait être perçu comme une évidence incontournable. Un précédent s’impose : celui de Tim Burton, autre grand cinéaste féru de genre, portant à bout de bras un film d’un obscur thaïlandais au nom imprononçable (Apichatpong Weerasethakul) et au titre tout aussi improbable (Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures), reparti de Cannes, contre tous pronostics, avec la Palme d’Or. On peut toujours rêver…


FESTIVAL

trop chou Chatouiller Stravinski avec des poireaux, réveiller Kraftwerk au son des citrouilles… Les Autrichiens du Vegetable Orchestra, présents au festival Décalages, fabriquent leurs instruments directement dans le potager. Les mélomanes ne vont pas en croire leurs oreilles !

inclassable

Par Dorothée Lachmann Photo de Zoe Fotografie

À Haguenau, au Théâtre, mercredi 15 janvier 03 88 73 30 54 www.relais-culturel-haguenau. com www.vegetableorchestra.org

L

es musiciens entretiennent généralement une relation privilégiée avec leur luthier, leur facteur de trompette ou autre accordeur de piano. Ceux du Vegetable Orchestra sont en excellents termes avec… leur maraîcher. Il faut dire qu’ils sont plutôt bons clients, leurs instruments finissant en soupe de légumes après chaque concert. Dans les villes où ils se produisent, ces artistes insolites repèrent d’abord la place du marché, première étape du spectacle. Le choix des produits est crucial et se fait évidemment à l’oreille : tel chou ne produira pas le même son en froissant ses feuilles que son voisin moins joufflu, telle cucurbitacée ne résonnera pas de manière aussi grave que sa camarade à la forme plus allongée. Aussi toqués que les grands chefs, les membres ce cette singulière formation reconnaissent d’instinct ce qui relèvera leur petite cuisine sonore. Arrive alors la deuxième étape : la fabrication des instruments, à l’aide de couteaux et de perceuses. On évide, on perfore, on creuse, on assemble. Reste ensuite à accorder ces engins étranges, car si on veut bien jouer avec la nourriture,

Organisé par les Scènes du Nord-Alsace, le festival Décalages présente des spectacles surprenants en s’amusant à détourner les conventions scéniques. On y découvrira le duo des Belettes et leurs Chansons polyzyglottes, qui voyagent du blues japonais à la salsa norvégienne, en passant par la chanson française méditative (à La Saline de Soultz-sous-Forêts, le 14 janvier). Notre coup de cœur ? Mademoiselle Maria K dans Médée de Sénèque, en solo, en intégrale (ou presque), titre à rallonge pour spectacle qui marie avec brio l’art du clown et la tragédie. Si le rêve de cette demoiselle est de jouer Médée, il va s’avérer un peu plus compliqué d’incarner en même temps tous les personnages, y compris le chœur antique. D’incidents en catastrophes, ce clown au féminin livre un numéro époustouflant (à l’Espace Rohan de Saverne, le 21 janvier). À Reichshoffen, Niederbronn-les-Bains, Haguenau, Saverne, Wissembourg, Bischwiller et Soultz-sousForêts, du 14 au 24 janvier www.scenes-du-nord.fr

pas question de négliger la qualité musicale. Les aubergines deviennent ainsi des castagnettes, les carottes des flûtes, le céleri se transforme en guitare et le poireau en violon, tandis que la citrouille fait son entrée dans la famille des percussions. Derrière son image frappadingue, l’orchestre viennois et 100% bio est dans une quête de sons inédits, que ne recèlent pas les instruments traditionnels. Du jazz à l’electro, en passant par la musique classique et contemporaine, rien ne résiste au Vegetable Orchestra. Le Sacre du Printemps est ici accommodé à la sauce vinaigrette et se déguste avec les oreilles. Par ici la bonne soupe ! Poly 164 Janvier / Février 14

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Timeloss © Mani Lotfizadeh

Transe © Sylvain Lefeuvre

folklore du temps présent La seconde édition du Festival Les Vagamondes offre un aperçu du bouillon de culture méditerranéen actuel en conviant danseurs, musiciens, metteurs en scène et artistes d’ici et d’ailleurs. Par Irina Schrag

Festival Les Vagamondes, à La Filature, à l’Espace Matisse de l’Afsco et au Cinéma Le Palace (Mulhouse), à l’Espace Tival (Kingersheim), à l’ED&N (Sausheim), du 14 au 23 janvier 03 89 36 28 28 www.lafilature.org D’après une histoire vraie, à La Filature, mardi 14 janvier à 20h Transe, à l’Espace Matisse (Mulhouse), samedi 18 janvier à 15h Timeloss, à La Filature, mercredi 15 janvier à 20h et jeudi 16 janvier à 19h

À voir également, Sakinan Göze Çöp Batar de Christian Rizzo et L’Association fragile, les 19 et 20 février, à Pôle Sud (Strasbourg)

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2 Lire notre article sur Amid the clouds lors de son passage au festival Témoins d’Ailleurs du Théâtre de la Manufacture de Colmar dans Poly n°126 ou sur www.poly.fr

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onvier les cultures du sud et du pourtour méditerranéen, c’est plonger au cœur de sociétés ancestrales qui ont su conserver un rapport vivace et vivant à leurs traditions. Ce pont entre passé et modernité, Christian Rizzo1 l’a expérimenté intimement il y a une dizaine d’années lors d’un voyage en Turquie. De ce souvenir éclatant, il crée D’après une histoire vraie au dernier Festival d’Avignon. Dix danseurs se lancent dans une offrande aussi horizontale que verticale des corps qui frappent le sol pour mieux s’y soustraire tandis que deux batteurs composent des rythmes psychédéliques enveloppant la fraternité naissante de leur entrain survolté. Pour la Transe, il faudra regarder du côté du chorégraphe Fouad Boussouf. Sa recherche d’harmonie collective avec sa Compagnie Massala nait de corps survitaminés, pris de pulsions et soubresauts, d’énergies instables. Ce trentenaire questionne ici sa double identité francomarocaine. La poésie de Mahmoud Darwich récitée, sur scène en arabe, retentit comme une révolte des mots face aux bavardages du mouvement, avec ce leitmotiv d’urgence, livré

par le poète : « Il n’y a pas de temps pour le lendemain. » Côté théâtre, la directrice de La Filature Monica Guillouet-Gélys et son équipe ont eu l’excellente idée d’inviter l’iranien Amir Reza Koohestani2, un des jeunes metteurs en scène les plus talentueux qu’il nous ait été donné de découvrir. Timeloss est en quelque sorte la suite de son premier grand succès, Dance on glasses, dans lequel il racontait sa propre séparation amoureuse. Le couple, de part et d’autre d’une table était alors incapable de quitter sa chaise, comme cloué sur place par ce tournant de leur vie. Une décennie plus tard, ils nous font face, chacun à leur propre table, rejouant les fragments d’un discours amoureux dans la douceur et la mélancolie d’une langue perse chatoyante. Sur les images de Danser sur du verre défilant derrière eux, les comédiens livrent l’intimité de leurs sentiments d’aujourd’hui autour des souvenirs d’alors, sachant pertinemment qu’on ne revient jamais en arrière, même si le cœur nous y engage.


FESTIVAL

l’émotion sous le casque Après avoir remporté le Prix Momix en 2012 pour sa bouleversante Histoire de Clara, la compagnie (Mic)zzaj est de retour à Kingersheim avec Danbé. Une autre expérience de concert narratif sous casques retraçant le destin extraordinaire d’une jeune fille d’origine malienne.

Par Dorothée Lachmann Photo de Gilles Tordjeman

À Kingersheim, au Hangar, dimanche 9 février 03 89 50 68 50 www.momix.org

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l est possible d’oublier l’histoire, ses d é t a i l s , s e s p e r s o n n a g e s . Im p o s sible en revanche de ne pas se rappeler l’émotion qu’elle a laissée. En offrant à chaque spectateur de devenir le réalisateur de son propre film intérieur, la compagnie (Mic)zzaj propose un concept unique, où les sensations s’insinuent jusqu’au plus profond de soi. « Le casque audio constitue une véritable armure, isolant l’auditeur d’un environnement sonore porteur d’agressivité et fabriquant une bulle de solitude où il est agréable

des yeux d’enfant Momix est loin d’être réservé au jeune public. Novateur, inventif, curieux, le festival propose d’abord des spectacles exigeants, capables de charmer toutes les générations. Pour sa 23e édition, il accueille une quarantaine de compagnies, dont Arcosm, qui réunit deux danseurs et deux musiciens dans Bounce, un travail autour de ce qui n’aboutit pas mais ouvre d’autres voies. Pour les tout petits dès deux ans, la Boîte à Sel a conçu Play peuplé de petites voitures et de figurines, qui raconte combien le jeu est essentiel dans la construction d’un enfant. En partenariat avec La Filature, le festival propose Tête haute, un texte de Joël Jouanneau, par le collectif MxM. La très jolie histoire, en ombres chinoises et projections numériques, d’une petite fille qui part faire le tour du monde en quête du sens des mots qu’elle ne connaît pas. À Kingersheim (mais aussi Mulhouse, Rixheim, Huningue…), dans différents lieux, du 30 janvier au 10 février 03 89 50 68 50 – www.momix.org

de se retrouver. C’est un formidable outil au service de l’écoute, exhausteur de sensations auditives et porte ouverte sur l’imaginaire », explique Pierre Badaroux, directeur artistique de la compagnie. Assis ou allongé sur des coussins, le spectateur vit une expérience originale, où « l’intime le dispute au collectif. Le théâtre rejoint le concert, l’art radiophonique se mue en cinéma pour l’oreille ». Après le destin de Clara, petite fille juive pendant l’Occupation, c’est celui d’Aya qui est murmuré par la comédienne Olivia Kryger. Avec l’histoire de cette enfant d’aujourd’hui issue de l’immigration, la compagnie continue de poser un regard sur la société française, en se tournant vers la lumière. Écrit à quatre mains par Marie Desplechin et Aya Cissoko, Danbé raconte le parcours de cette dernière, née en France de parents maliens et devenue championne du monde de boxe après bien des tragédies. Grâce au courage de sa mère, qui ose s’opposer à la tradition, elle apprend à construire son destin. Dans une ambiance sonore insolite, jouée en live pour accompagner dans le casque la voix ensorcelante de la comédienne, le texte nous pénètre doucement. Une voix susurre, au creux de l’oreille, qu’il est temps de lâcher prise pour accueillir totalement l’histoire d’Aya. Poly 164 Janvier / Février 14

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attou maître Revenant à ses premières amours, le chorégraphe Kader Attou signe, avec The Roots, une ode au hip-hop agréablement éloignée des clichés du genre.

Par Thomas Flagel Photo de João Garcia

À Sochaux, à la MALS, mardi 4 février (dès 12 ans) 03 81 94 16 62 www.mascenenationale.com Rencontre / débat avec la Compagnie à l’issue de la représentation sur le thème De la rue au plateau, les racines du hip-hop À Besançon, à l’Espace de la Scène nationale, du 12 au 14 février 03 81 87 85 85 www.scenenationalede besancon.fr

Découvrez Yo-Gee-Ti de Mourad Merzouki au Carreau de Forbach (mardi 8 avril – www.carreauforbach.com), à la Commanderie de Dôle (mardi 15 avril – www. scenesdujura.com) ou au Festival de danse Steps à Lörrach en Allemagne (mercredi 14 mai – www.steps.ch)

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2 Nom donné dans la danse hip-hop aux mouvements circulaires et répétitifs des jambes

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À

bientôt 40 ans (le 6 février), Kader Attou peut regarder avec fierté le chemin parcouru depuis son enfance dans la banlieue lyonnaise aux côtés d’un autre grand chorégraphe actuel, Mourad Merzouki1. Ensemble, ils découvriront les acrobaties du cirque avant d’user leurs survêtements dans les battles de danse à l’explosion du phénomène en France, dans les années 1980. Kader met aussi les gants sur le ring, développant un rapport particulier à l’effort et aux déplacements dans l’espace qu’il n’aura de cesse de réinvestir depuis, sur scène. Autant de racines chevillées au corps qui l’accompagnent : celles de ses parents immigrés algériens au cœur de PetitesHistoires.com ou de sa compagnie – Accrorap, fondée en 1989 avec Mourad Merzouki notamment – se déplaçant dans le Poitou-Charentes lorsqu’il devient directeur du Centre chorégraphique national de La Rochelle, en 2008. The Roots, sa dernière création, revisite l’apport du hip-hop à la danse contemporaine et s’échine magistralement à régler son compte aux étiquettes collant (encore) au genre gangréné par un versant spectaculaire, technique

et démonstratif. Kader Attou s’attache à développer une narration intime et profonde, une fulgurance de mouvements approchant la matérialisation de la profusion des pensées. Sur scène avec onze danseurs, il fait merveille dans l’art de réunir des individualités pourtant affirmées et flamboyantes dans leurs propres styles et influences. Entre beats electros, envolées classiques (Brahms, Beethoven…) et refrains algériens poignants, les solos de créativité pure (ballets de doigts ondulants, danse au sol les jambes repliées, corps malléables) succèdent aux phases2 classiques. Autour d’un fauteuil oblique aux pieds sciés et du vinyle de Break Machine, la démultiplication des personnages fait la part belle aux armes du hip-hop : saccadé, ralenti et isolation de gestes ou de membres troublent l’intensité et la nature même des mouvements. Des prouesses sont réalisées avec une fluidité aiguisée en ivresse de facilité déconcertante tandis qu’en contrepoint, le chorégraphe se plait à multiplier les ruptures rythmiques dans une esquisse d’états d’âmes et d’influences menant de Gene Kelly au breakdance, de la solitude à la fraternité collective.


l’âge de glace L’Ateuchus nous convie au Prélude à la fuite dans l’intimité d’une salle de bains qui, grâce à l’imagination d’Ariane, prendra des allures de banquise. Avis de grand froid sur le TJP. Par Emmanuel Dosda Photo de Whenyouhavetoshootshoot

À Strasbourg, au TJP Petite scène, du 6 au 8 février (à partir de 11 ans) 03 88 35 70 10 www.tjp-strasbourg.com www.lateuchus.blogspot.fr

L’

Ateuchus ? Drôle de nom, concède Gabriel Hermand-Priquet, metteur en scène : « Nous avons longuement traîné ce terme désignant un scarabée bousier avant de nous l’approprier. » Le mot (la-teu-chu, “la chute” en verlan) évoque le mythe de Sisyphe et le mode de travail de la compagnie, « par sédiments » : elle part d’une idée qui, telle une boule de boue que l’on roule, grossit très lentement pour donner une pièce ayant lentement mûrie avant d’être façonnée sur scène.

La troupe alsacienne créée il y a dix ans par Gabriel et Virginie Schell, comédienne et marionnettiste, modèle Prélude à la fuite depuis quelques années déjà, inspiré par le personnage féminin de Belle du Seigneur : Ariane. Virginie a longuement tourné autour du livre d’Albert Cohen, touchée par cette figure qui s’invente un monde pour tromper son ennui. Une première mouture – un Opus 1, petite forme d’une vingtaine de minutes – a vu le jour en 2012 lors du festival Orbis Pictus de Reims. Pour le TJP, le duo travaille actuellement sur une version extended d’une heure. Dans la pièce, la femme, prenant son bain, tente de fuir le réel en se projetant dans un univers mental. Elle convoque intellectuelle-

ment Roald Amundsen (1872-1928), explorateur matérialisé par une marionnette manipulée par l’actrice propulsée dans le Grand Nord, sa baignoire devenant traineau et le plateau, plongé dans une lumière bleutée, se transformant en paysage polaire. Le vent, le froid, la neige, la glace… Ses rêves d’aventure, ses envies d’ailleurs qui se cristallisent. « Les pôles, comme les déserts, sont des lieux de fantasme », affirme Gabriel. Selon lui, « nous sommes tous inadaptés au monde et seul le jeu peut nous permettre d’échapper au quotidien. La fuite nous connecte à l’essentiel. » Pourquoi faire intervenir un pantin ? Gabriel nous renvoie au pédopsychiatre Donald Winnicott disant « que l’enfant fait l’expérience du principe de réalité lorsqu’il se rend compte qu’il n’est pas dieu, qu’il ne lui suffit pas de crier pour obtenir le sein de sa mère. Afin de l’accepter, le petit met en place un espace de jeu où il peut exercer son pouvoir. D’après moi, la marionnette est un objet transitionnel. » Grâce à elle, Ariane peut contrôler l’univers qui l’entoure. « L’origine du mot est petite Marie, qui fait le lien entre l’homme et le sacré », rappelle le metteur en scène d’un spectacle questionnant la condition humaine en même temps qu’un art ancestral. Poly 164 Janvier / Février 14

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CABARET

satire dans tous les sens La vingtième revue satirique de la Choucrouterie prétend que La Moitié des politiques sont des bœufs. Roger Siffer et ses complices n’y vont pas de main morte : à déguster sans modération en français ou en alsacien.

que fera la Chouc’ maintenant que le plus pétaradant des politiques locaux s'est retiré ? Quant aux deux plus sérieux prétendants à la Mairie de Strasbourg, ils apparaissant notamment dans Asteries et Kelleropatre (en alsacien uniquement, malheureusement), lui apathique et somnolent, confondant campagne électorale et maison de campagne, elle toujours au bord de la crise de nerfs qui braille, martiale, vêtue d’un battle-dress et coiffée d’un béret de para : « J’ai changé, j’ai changé ! » Pas mal vu. Les autres ne sont pas oubliés, de Waechter le « Vert solitaire » aux espèces en voie de disparition comme le Richertus alsaticus que le comédien Guy Riss – quel talent ! – accepte dans un zoo dont il est l’inquiétant directeur au regard fou. Par Hervé Lévy Photo de Jean-Marc Loos

À Strasbourg, au Théâtre de la Choucrouterie, jusqu’au 23 mars (du mercredi au samedi à 20h30 en alsacien et à 20h45 en français, ainsi que le dimanche à 17h et 17h15) 03 88 36 07 28 www.theatredelachouc.com

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a revue en alsacien débute à 20h30. Celle en français à 20h45. Neuf comédiens font le va-et-vient à toute berzingue entre les deux scènes dans un spectacle au titre intriguant que Roger Siffer explique d’emblée, donnant le ton d’une soirée oscillant sans cesse entre humour potache, vision acerbe et acérée de la politique et réflexion drolatique (souvent subtile, sous les apparences) sur la société. Le tout, émaillé de quelques vannes graveleuses, déclenche des rires en cascade auxquels chacun participe avec bonheur. En période électorale, tout le monde en prend pour son grade, mais certains sont plus “gâtés” que d’autres comme Gilbert “Bac moins cinq” Meyer. Le maire de Colmar est victime des piques de « Lu-Siffer ». Autre star habituelle, Robert Grossmann se voit consacrer une chanson stromaeénne (Grossmann, où t’es ?). Mais

À côté de la politique, la troupe de la Chouc’ s’attaque à quelques problèmes de société avec plus ou moins de bonheur (mariage pour tous, délocalisation des vieux dans des maisons de retraite polonaises ou omniprésence du portable) et rend hommage, dans un sketch plein de tendresse, à son père spirituel, Germain Muller. Une revue sans Racing serait incomplète… Le club, qui traîne ses guêtres en National, est une cible de choix dans une chanson hilarante (uniquement en français, hélas). Tout cela est excessif et, porté par une énergie incroyable, se déguste avec un sel supplémentaire en dialecte, ne serait-ce que pour la musique de la langue et les sempiternelles blagues sur les Lorrains, les Haut-Rhinois et, plus généralement, tous ceux qui n’habitent pas le paradis sur terre qu’est le Val de Villé. Autant de bonbons sémantiques, souvent intraduisibles.


HUMOUR

lost in translation En résidence à Niederbronn-les-Bains, Christophe Feltz et le Théâtre Lumière rendent hommage à Raymond Devos avec un spectacle où l’amour des mots se met au service de l’absurde.

Par Hervé Lévy Photo de Raoul Gilibert

À Niederbronn-les-Bains, au Moulin 9, vendredi 31 janvier et samedi 1er février 03 88 80 37 66 www.niederbronn-les-bains.f À Vendenheim, à l’Espace culturel, du 6 au 8 février 03 88 59 45 50 www.vendenheim.fr À Metz, à la Salle Braun, samedi 15 février 03 87 55 27 94 www.sallebraun.com À Erstein, à l’auditorium du Musée Würth, dimanche 16 mars 03 88 64 74 84 www.musee-wurth.fr À Saint-Louis, au Caveau du café littéraire, jeudi 20 mars 03 89 69 52 23 www.saint-louis.fr www.theatre-lumiere.com

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nterventions en milieu scolaire, lectures publiques, répétitions ouvertes, formation d’un groupe de spectateurs étroitement associés au work in progress créatif etc. En 2013 / 2014, le Théâtre Lumière passera beaucoup de temps à Niederbronn-les-Bains, une présence qui culminera avec la première de Matière à rire fondé sur des textes de Raymond Devos. Le titre fait du reste référence à l’ouvrage regroupant ses œuvres intégrales… Il s’agit d’une « suite naturelle au travail mené autour de Pierre Desproges en 2010 » pour Christophe Feltz, directeur de la compagnie, à la fois metteur en scène et acteur, qui s’est emparé avec gourmandise d’un immense corpus. Un travail de près de deux ans a été nécessaire pour passer de quelque 600 textes à environ 25 qui forment une trame narrative cohérente, comme un long poème. C’est l’histoire d’un mec « perdu, seul dans une mégalopole, sur les coups de 18h20. Tout va bien en apparence, mais il va complètement craquer. » Accompagné d’un pianiste avec lequel il entretient un dialogue complice – le très brillant

Grégory Ott – Christophe Feltz donne chair aux mots dans un décor épuré où un cercle rouge rappelle le nez de clown dont aimait s’affubler le comique. Voilà un bel hommage à cet équilibriste du verbe qui jonglait comme personne avec toutes les ressources sémantiques de la langue française. L’objectif avoué est de faire « remonter à la surface la profondeur de ses sketches en montrant leur aspect surréaliste et kafkaïen à la fois. Il faut plonger dans le “sous texte” pour en extraire la substance, celle d’un cauchemar éveillé, d’un théâtre de l’absurde où, bien souvent, Beckett n’est pas loin. » Et c’est un être perdu qui apparaît devant nous, brinquebalé dans un univers de plus en plus déshumanisé auquel il ne comprend plus rien. Grâce à un travail de scénographie en forme de mise en abyme – une réflexion sur le “théâtre dans le théâtre” avec un double rideau de scène – et à des références à Magritte et aux surréalistes prenant la forme de projections, le Théâtre Lumière nous plonge avec tendresse dans l’univers poétique et sensible de Raymond Devos où le non-sens fait sens.

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CRÉATION THÉÂTRALE

de l’esclavage moderne Ancienne élève de l’École du TNS, Aurélia Guillet1 revient à Strasbourg pour créer une nouvelle pièce avec Jacques Nichet dans laquelle nous suivons une journée de la vie de quatre jeunes actifs, ballotés par la marche à pas forcés du libéralisme. Des survivants, esclaves de leurs carrières, Pulvérisés2 par la mondialisation. Rencontre.

Par Thomas Flagel Photo de Benoît Linder pour Poly

À Strasbourg, au Théâtre national de Strasbourg, du 4 au 21 février 03 88 24 88 24 – www.tns.fr Rencontre / débat avec Alexandra Badea et Barbara Engelhardt « Quels types d’individus nos sociétés fabriquent-elles à l’ère de la globalisation ? », lundi 17 février à 18h45, à la Librairie Quai des Brumes www.quaidesbrumes.com Théâtre en pensées : Petit miroir de la civilisation occidentale avec Aurélia Guillet et Blandine Savetier (metteuse en scène de Love and Money), samedi 18 janvier à 14h30 au TNS www.tns.fr

1 Diplômée en section Mise en scène, en 2004, avec le Groupe 34 de l’École du TNS 2 Pièce de la jeune auteur d’origine roumaine Alexandra Badea, publiée par L’Arche (2012), qui a reçu le Grand Prix de littérature dramatique du Centre national du Théâtre en 2013 – www.cnt.asso.fr

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Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce texte d’Alexandra Badea : son absence de dialogues ? Sa succession de situations laissant une grande liberté de mise en scène ? Nous nous posons la question de la représentation du monde d’aujourd’hui. Le thème de la crise traverse toutes les pièces antérieures de Jacques, que ce soit avec Dario Fo ou La Ménagerie de verre de Tennessee Williams (autour de celle de 1929 aux ÉtatsUnis, NDLR). Pulvérisés – que nous avons choisie avant même qu’elle ne soit publiée, notamment pour l’oralité du texte, écrit à voix haute – fait totalement écho à la crise actuelle tout en permettant une forme d’invention. Autant de prises de risque qui nous apparaissent totalement essentielles. L’utilisation de la forme directe à la seconde personne (« Tu es… ») entraîne une distance étrange avec les quatre personnages que nous suivons mais aussi une matérialisation de la manipulation subie et intériorisée de la mondialisation… Tout à fait. Cette forme de tutoiement est assez intuitive chez Alexandra Badea. C’est à la fois sa propre voix mais aussi un tutoiement intime, celui qu’on s’adresse à soi-même. Il livre des choses fugaces, des sensations, comme si un regard tourné vers l’intérieur s’exprimait. Bien entendu, elle nous interpelle aussi, sous forme d’injonction extérieure, aux personnages, symbole de l’ordre qui les dépasse et les contraint à agir. Ce glissement de l’extérieur vers l’intérieur impose des choix. Deux comédiens seulement inter-

prètent les quatre personnages représentés par des photos : une ingénieure roumaine, un cadre français supervisant des succursales, un chef de plateau sénégalais et une ouvrière chinoise. Ils sont comme des anonymes, la masse des travailleurs du monde. Ils jouent tous les protagonistes à deux voix, la solitude de celui qui parle prise en charge par l’un, l’autre restant dans l’ombre, comme une sorte de fantôme, de double. Les visages des personnages sont représentés en grand, yeux fermés, mais pas figés afin de donner corps à l’environnement oppressif qui les entoure (surveillance généralisée, privations des droits…) mais aussi à leurs pensées, échappatoires imaginaires et tourments (cauchemars nocturnes, solitude…) ? Ce sont des photos qui se floutent et évoluent lentement au fil du spectacle. Trouver ces clichés nous a demandé un gros travail car nous touchons là au versant documentaire du texte. Nous voulions de vraies portraits de photoreporters. Il nous fallait des regards forts avec lesquels jouer pour les faire apparaître, disparaître, venir en contrepoint des voix… Nous zoomons littéralement dans les regards pour pénétrer à l’intérieur de ces êtres, dissociant ce que l’on voit de ce que l’on entend pour montrer comment ces solitudes existent et évoluent. Les corps des acteurs sont ainsi comme la scène de l’imaginaire des personnages. En lisant le texte, nous sommes touchés par le mélange de réalisme d’un quo-


tidien répétitif, déshumanisant et par le tournant sarcastique et cynique des pensées des personnages : le « Responsable Assurance Qualité Sous-traitance français » se donne bonne conscience en se disant que s’il ne faisait pas ce job, un autre le ferait à sa place, le recruteur sénégalais instaure un rapport pathétique de domination avec les candidats qu’il reçoit, masquant la réalité de sa situation sociale… Effectivement ils le sont mais Alexandra Badea, dans son écriture, ne les présente pas avec cynisme. Ils sont pris en flagrant délit de cynisme mais cela les montre dans toute leur humanité, dans leur tendresse pour l’autre même s’ils sont, parfois, amoraux ! Le Lyonnais n’est pas qu’un connard sans cœur et le Sénégalais, pour progresser dans la hiérarchie de sa boite, va collaborer avec ses dirigeants, sans être jugé pour autant par l’auteur. Leurs contradictions pour survivre sont mises au jour. Certains actes sont impardonnables mais montrés dans la réalité de leur complexité qui explique pour beaucoup les comportements. Le titre renvoie à l’état de leur vie, pulvérisée et sans grande humanité. Chacun d’entre eux « apprend l’oubli », de soi, de ses rêves, de ses aspirations, broyés par l’extrême dégradation des conditions de travail et des relations entre les hommes… Cet oubli est à double sens : celui de leurs rêves de départ, d’échappatoires mais aussi celui permettant de continuer à vivre et à tenir. Il est très ambigu, nécessaire à la survie ! Ils vont faire face à quelque chose qui se dévoile peu à peu. Mais tout n’est pas écrit, le Français qui perd son enfant a, par exemple, encore une possibilité de changement devant lui… En cette phase de création, vous méfiezvous de la noirceur du texte, du danger de sombrer dans le désespoir face au peu d’échappatoires laissées par l’auteur ? Elle fait confiance au spectateur, sans donner de solutions toutes faites. Elle libère une énergie et regarde des zones qui peuvent paraître banales alors qu’elles sont bien souvent occultées. Il y a une vraie jubilation dans la langue, avec des traits d’humour forts. Je me rappelle souvent cette phrase de Jean Genet parlant des femmes palestiniennes qui ont tout perdu mais conservent une forme de gaieté qui n’espère plus. Une pulsion de vie

intérieure se révèle dans ces situations de crise. Mais l’affronter, si difficile que cela soit, n’est pas forcément ployer sous le tragique. Au contraire c’est peut-être une manière d’y mieux faire face. Le spectateur regardera les photos et le plateau comme depuis un audelà, au sens où Roland Barthes dit qu’il y a toujours quelque chose de l’ordre de la mort dans une photo. Tout ce qui est au présent est joué comme des flashbacks, des persistances dans la tête des personnages. La dureté du texte ne doit pas nous faire tomber dans une culpabilité d’occidentaux mais plutôt amener un élan de réflexions.

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THÉÂTRE

l’engrenage Pauline Ringeade, sortie de l’École du Théâtre national de Strasbourg1 en 2010, reprend Les Bâtisseurs d’Empire ou Le Schmürz de Boris Vian. Une pièce profondément engagée, âpre et gorgée d’humour à découvrir au Granit de Belfort.

Par Thomas Flagel Photo de Benoit Bretagne

À Belfort, au Granit, mardi 11 et mercredi 12 février 03 84 58 67 67 www.legranit.org

www.limaginarium.org

1 Membre du Groupe 38, section mise en scène – www.tns.fr 2 Lire notre interview avec Pauline Ringeade dans Poly n°153 ou sur www.poly.fr

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ette première création de Pauline Ringeade était l’un de nos coups de cœur de la saison passée 2. Une jeune metteuse en scène se frottant avec sa compagnie L’iMaGiNaRiuM Collectif à un répertoire quasiment jamais monté au théâtre, une écriture singulièrement inventive et drôle sur des sujets loin de l’être. Cette pièce de 1957 raconte l’étrange histoire d’une famille fuyant – sans que l’on sache pourquoi – un bruit, quittant précipitamment son appartement pour se barricader, sans cesse, à l’étage supérieur. Le nombre de pièces rétrécit, des personnages disparaissent (le voisin, la bonne, la mère…), laissant le père seul avec le Schmürz, celui qui ne semble pas être là mais sur lequel tout le monde se défoule avec furie. Dans un intérieur coquet où la bienséance est de mise, on fait la conversation sans jamais aborder les questions qui fâchent. « Quand ça coince, on le déporte sur le Schmürz », explique Pauline. « Ce personnage brutalisé, qui sert d’exutoire à chacun, est lié au passé militaire du père avec lequel ce dernier entretien un rapport quasi amnésique. » Boris Vian distille ses indices avec doigté, instillant de l’étrange dans un quotidien bien ordonné. Au détour d’une conversation anodine on apprend que le

chef de famille a été militaire et « équarisseur à Arromanches, un des lieux du Débarquement. » Un métier terrible – « un peu comme sculpteur mais en plus vivant » écrit l’auteur dans une ironie pinçante –, clin d’œil à une autre de ses pièces, L’Équarrissage pour tous, écrite en 1947 dans laquelle le personnage principal dépeçant les bêtes, mais aussi les soldats qui trainent par là ! Sur scène, un ingénieux plateau de planches amovibles et deux portes servent de décor manipulé par les comédiens. La lumière rétrécit le tout, les portes refusant petit à petit de s’ouvrir à mesure que l’on s’enfonce dans l’enfer(mement) de la tête du père qui s’est réalisé socialement mais demeure hanté. L’histoire qui nous est contée est celle d’un traumatisme familial, un événement modifiant tout, avant cette fuite en avant. Une peur refoulée, ce bruit qu’ils ne veulent pas identifier mais fuir. Peut-être la torture pratiquée du temps où cet homme, se révélant être profondément anti-militariste, œuvrait sous les drapeaux et qui rôde, comme un fantôme dans son quotidien, l’empêchant de se regarder en face comme d’avoir de vraies relations avec ses proches.


THÉÂTRE

racine au carré Pour sa première approche du répertoire classique, Xavier Marchand fait coup double avec Britannicus et Bérénice de Racine. Un diptyque en forme de variation sur la métamorphose des hommes face au pouvoir. Par Lisa Vallin Photos d’Éric Reignier

À Colmar, à la Comédie de l’Est du 21 au 25 janvier (Britannicus) et du 28 au 31 janvier (création de Bérénice). Intégrale des deux spectacles samedi 1er février 03 89 24 31 78 www.comedie-est.com

* Lire Le Témoignage est un sport de combat à propos de Germaine Tillion dans Poly n°129 ou sur www.poly.fr

Vos précédents spectacles portaient la parole de poètes, de cinéastes ou d’ethnologues*, loin des textes dramatiques. Qu’est-ce qui vous a décidé à vous attaquer à Racine ? Mes choix passés ont été guidés par les langues ciselées, et je m’étais toujours dit qu’une fois dans ma vie j’aborderais la grande langue du XVIIe siècle. La réentendre est aussi important que de revoir de grands tableaux. Quatre cents ans après, elle est toujours opérante et conserve force et beauté. J’ai choisi Racine car ses personnages ne sont jamais univoques. Tous ont une part de lumière et d’ombre. Il y a toujours la possibilité pour le spectateur d’être en empathie avec eux. Quels liens mettez-vous en relief entre Britannicus et Bérénice ? Dans les deux pièces se trame l’accession au pouvoir et les possibilités qu’il offre sur les êtres et les choses. Mais elles sont comme des miroirs inversés. Le Titus de Bérénice est en quelque sorte la consolation du personnage fou et sanguinaire de Néron dans Britannicus. Bérénice et Agrippine sont deux versants de l’âme féminine : la première représente la passion désintéressée, incompatible avec la

rigidité des lois romaines, la seconde, mère de Néron, n’hésite pas à tuer pour assouvir sa soif de pouvoir. Les deux pièces ont surtout de profondes différences structurelles : Britannicus se déroule sur une journée truffée d’événements, Bérénice est une tragédie où il ne se passe strictement rien, où seuls importent les mouvements intérieurs des personnages. La pièce tourne en rond pendant 1 500 vers mais grâce à la langue, on retrouve la même magie qui se dégage d’un impromptu de Schubert. Comment avez-vous mis en scène ce contraste à l’intérieur du diptyque ? J’ai pris le parti d’utiliser les mêmes éléments de décor pour les deux spectacles, mais de façon très différente, selon le rythme de chacun. Les comédiens sont les mêmes aussi, mais leur travail varie d’une pièce à l’autre, entre action et intériorisation. Ils sont comme des artisans ou des musiciens qui font des gammes encore et encore. C’est une langue dans laquelle on peut vraiment s’égarer en pensant que les vers se suffisent à eux-mêmes, mais il est nécessaire que le comédien apporte un imaginaire suffisamment construit pour que la langue révèle toute sa potentialité.

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CIRQUE & DANSE

la séduction des corps Circassien touche-à-tout tombé dans la danse, le talentueux JeanBaptiste André pose ses valises à La Méridienne de Lunéville. Un Focus d’hiver marqué par un duo sensuel et une soirée cabaret où il réunit les artistes qu’il apprécie. Showtime !

Par Thomas Flagel Photos de Blandine Soulage

Pleurage et scintillement, au Théâtre de Lunéville (dès 10 ans), mardi 21 janvier 03 83 76 48 60 www.lameridienne-luneville.fr

Master class avec Jean-Baptiste André, jeudi 23 janvier à La Méridienne

En Suspension, soirée cabaret composée de formes courtes à l’invitation de Jean-Baptiste André avec Claudio Stellato, Jörg Müller et Aurore Gruel, accompagné des mets gastronomiques du chef Denis Tabouillot du Petit Comptoir, vendredi 24 janvier, au Théâtre de Lunéville (dès 12 ans) 03 83 76 48 60 www.lameridienne-luneville.fr

1 Photographe suédois, auteur de Café Lehmitz, célèbre série réalisée dans un rade de Hambourg dans les années 1970 qui donna lieu à un livre éponyme paru aux éditions Schirmer Mosel (1978)

Lire Kafka sur le rivage dans Poly n°147 ou sur www.poly.fr

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www.cnac.fr

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www.esac.be

Elle a pris, début janvier la direction du Grand R, scène nationale de La Roche-sur-Yon

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U

n vieux zinc éclairé d’une lumière blafarde, quelques chaises pliantes en bois et un parquet élimé par le temps. Une bouteille de rouge, deux verres. Dans ce bar de nuit, tout droit sorti des photos d’Anders Petersen1 qui les inspirèrent, JeanBaptiste André et Julia Christ fuient leurs solitudes respectives. Les deux équilibristes s’étaient rencontrés en 2004 autour d’une chorégraphie de Gilles Baron, puis retrouvés en 2010 pour le trio Qu’après en être revenu2 créé à Strasbourg. C’est en tête-à-tête qu’ils se sont lancés dans Pleurage et Scintillement, corps à corps de fin de soirée dont le destin n’a pas encore choisi la fin. La poésie du titre renvoie à la déformation du son produite par le ralentissement d’un vinyle, dont on dit qu’il “pleure” ou de son accélération le faisant “briller”. La musique, compagne nostalgique et festive, est omniprésente, rythmant cette rencontre : un titre yé-yé et tout s’emballe, on se toise, s’attire, se lâche et se repousse pour mieux se retrouver une fois la valse venue. Mouvements des corps circulaires et parallèles, pour mieux s’apprivoiser et se laisser emporter par les élans du cœur, du geste, emportés par la foule absente, comme disparue pour ces deux là, autour desquels plus rien n’existe. Leur recherche d’équilibre, au sens propre comme au figuré, relève d’une énergie intérieure commune, qui les tient debout. Autant d’instants de vie cristallisés, entre chien et loup, moments de tous les possibles, où l’on ne veut se quitter au risque de retrouver sa solitude. Après une parodie d’Elvis toute en voltes et ondulations du bassin, la belle ne lâchera plus son partenaire d’un soir, scotchée à son cou tel un pantin dont ce serait là le seul espoir, entre contact charnel et irrépressible besoin d’amour dans l’instant, suspendu.

Jean-Baptiste André et Julia Christ ont en commun des parcours pluridisciplinaires mêlant études de Lettres et de Philosophie, école de cirque (le Centre national des Arts du cirque de Châlons-en-Champagne pour lui3, l’École supérieure des Arts du Cirque de Bruxelles pour elle4) et nombreuses expériences en danse contemporaine. De quoi sauter au gré de leurs envies d’un répertoire à l’autre, mélangeant les influences en piochant dans le réalisme de Jarmusch et Cassavetes, la mélancolie de Nina Simone ou la sensibilité de Cat Power. Insaisissable, Jean-Baptiste André se dévoile un peu plus, à l’invitation de Florence Faivre, directrice de La Méridienne5, dans En Suspension. Carte blanche lui est laissée pour une soirée dans laquelle il invite circassiens et danseurs qu’il apprécie à se succéder sur le plateau, présentant chacun une forme courte. L’occasion de découvrir des choses aussi variées que Mobile, incroyable chorégraphie jonglée de tubes suspendus signée Jörg Müller et L’Autre, distorsions visuelles orchestrées par Claudio Stellato dans lesquelles corps et objets sont mus d’une vie propre et profondément étrange ! Aurore Gruel, danseuse et chorégraphe de la Compagnie lorraine Ormone, qui mélange explorations corporelles et vidéoprojection, présentera une nouvelle création (Digression). Enfin, Jean-Baptiste André clôturera la soirée avec Dis-moi ce que tu vois, je te dirai… Un moment de poésie gestuelle pure, totalement hypnotique, dans lequel il explore un quadrillage sous les révolutions d’une boule à facettes. Le tout sur une bande son nous trimballant d’un morceau electropop à un chant lyrique religieux. Il ne nous faut en dire plus et garder, ainsi, un brin de mystère.


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du racine et des vers Olivier Chapelet met en scène un classique du répertoire où Titus fait passer ses responsabilités d’empereur avant ses sentiments pour Bérénice. Une tragédie de Racine traitée dans une épure permettant « de servir la force de l’émotion » et d’appuyer des « vers bouleversants ».

Par Emmanuel Dosda Photos de Benoît Linder

À Strasbourg, au Taps Scala, du 11 au 16 février À Obernai, à l’Espace Athic, vendredi 21 février À Haguenau, au Relais Culturel, mardi 11 mars À Ribeauvillé, à l’Espace Culturel Le Parc, vendredi 14 mars À Saverne, à l’Espace Rohan, mardi 18 mars À Vendenheim, à l’Espace Culturel, vendredi 28 mars À Sélestat, aux Tanzmatten, jeudi 10 avril À Lunéville, à La Méridienne, jeudi 24 avril www.culture-alsace.org

Metteur en scène de la compagnie OC&CO, il est également directeur des Taps. Lire Le Gardien des âmes dans Poly n°139 ou sur www.poly.fr

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À

quelques semaines des premières répétitions, nous questionnons Olivier Chapelet* quant au choix de Bérénice. Il s’empare d’emblée de l’ouvrage et se lance dans la lecture du quatrième acte de la pièce, « au moment où elle glisse vers l’apothéose », habité par le récit : « Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous / Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ? C’est un joyau d’écriture poétique », s’exclamet-il. L’histoire ? Celle de l’empereur romain Titus renonçant à son mariage avec la reine de Palestine, cette union étant désapprouvée par le Sénat. Lâche, il délègue Antiochus, secrètement amoureux de Bérénice, pour annoncer la nouvelle à sa promise. À l’époque, Racine fut critiqué pour ce spectacle où ne coulent que des larmes et pas une seule goutte de sang, un comble pour un drame… dont l’intrigue est mince de surcroit. Olivier Chapelet se fait l’avocat d’un texte « très dense et traversant le temps. C’est ce qui fait les grandes œuvres : elles parlent des choses qui nous fondent, qu’on soit du XVIIe ou du XXIe siècle. Il est question de sentiment amoureux, de la responsabilité de l’individu face à son propre destin, des doutes qui nous tiraillent ou même

des problèmes liés à la couleur de peau. C’est une tragédie de la pensée et notre rôle est de la rendre palpable, avec souffle et retenue. » Sa version de Bérénice sera présentée dans une grande économie de gestes et de moyens. Selon lui, « plus on surcharge de signes, moins on laisse de place à l’imaginaire du spectateur ». Ainsi, le scénographe, le costumier, l’éclairagiste et le musicien travaillent à la création « d’un paysage très sobre, soulignant le jeu des comédiens. Le théâtre est avant tout un verbe porté, sans artifices, par des interprètes. Grâce à la vigueur, l’entraînement, la technique, l’adresse et la passion, ceux-ci vont rendre le sens des alexandrins le plus clair possible, tout en respectant le rythme du texte. » Le metteur en scène, tel un coach sportif, s’apprête à demander à ses acteurs de faire « des tours de piste » afin « qu’ils le sentent dans les pattes ! Dans chaque scène, il y a un dilemme à résoudre avec urgence : il engage le corps, l’être dans son ensemble. Pour rendre l’enjeu concret, le comédien doit avoir de l’énergie en lui. Il faut mettre du charbon dans la machine. »


le dernier roi d’écosse Au Carreau de Forbach, le Puppentheater de Magdebourg revisite Richard III. Un ovni scénique de dix-huit marionnettes aux traits de personnalités actuelles qui nous entraîne dans les jeux de pouvoir et de manipulation shakespeariens.

Par Irina Schrag Photo de Jesko Döring

À Forbach, au Carreau (en allemand surtitré en français, à partir de 16 ans), mercredi 22 et jeudi 23 janvier 03 87 84 64 34 www.carreau-forbach.com www.puppentheatermagdeburg.de

S

i les drames de William Shakespeare n’ont plus de secret près de quatre siècles après sa mort, certains artistes arrivent encore à en proposer des visions remarquablement inédites et troublantes. L’ascension sanglante et sans états d’âmes de Richard III, duc de Gloucester multipliant complots et assassinats pour accéder au trône d’Angleterre, nous est contée jusqu’à sa chute lors de la bataille de Bosworth face à Henry Tudor, futur Henry VII. La guerre civile des Deux-Roses fait rage entre les York et les Lancastre, lutte intestine et sanguinaire dans laquelle Richard III dit “le bossu”, avide de domination, n’hésite pas à régler son compte à quiconque menace sa dévorante ambition (frère, neveux, femme…). Le clan York se déchire, rongé par les querelles politiciennes, les pulsions et les désirs, avançant à marche forcée vers sa propre perte. La grande trouvaille du Puppentheater de Magdebourg réside dans son actualisation des personnages

dont les traits collent à ceux de Robert de Niro (Richard III), Margaret Thatcher (la Reine) ou encore Daniel Cohn-Bendit (Lord Buckingham), chacun étant pris en charge par un comédien-manipulateur au visage teinté de blanc et aux lèvres rouges débordantes d’avidité. Autour d’une table royale de banquet, la frénésie meurtrière et la folie despotique se dévoilent avec une habileté sans pareille, la troupe allemande fondée en 1958 faisant preuve d’une maîtrise rythmique permettant non seulement une écoute du texte mais aussi l’apport d’une indéniable touche d’humour anglais (of course). La démesure n’est jamais loin comme lorsqu’après son accession au trône, le monarque exige dans un délire de puissance de jouer au golf, debout, sur le corps d’un homme. Il en va ainsi au royaume des tyrans, depuis la nuit des temps.

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femme fatale Continuant à tisser le lien entre danse et arts plastiques, la metteuse en scène Gisèle Vienne présente un spectacle chorégraphique ardent à l’esthétique op’ art, pour le meilleur et pour The Pyre.

Par Emmanuel Dosda Photos de Maarten Vanden Abeele

À Freiburg, au Schauspiel, jeudi 9 et vendredi 10 janvier +49 711 202090 www.theater.freiburg.de À Strasbourg, au Maillon-Wacken, jeudi 16 et vendredi 17 janvier 03 88 27 61 81 www.maillon.eu À Bâle, à la Kaserne, vendredi 24 et samedi 25 janvier +41 61 66 66 000 www.kaserne-basel.ch

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P

ièce tripartite et hypnotique glissant de l’abstraction la plus totale vers la narration littérale, The Pyre1 met en scène une femme, la danseuse Anja Röttgerkamp, effectuant un solo infernal dans un environnement proche de l’art cinétique, sorte de discothèque du troisième type. À bout de souffle, elle se meut dans un tunnel de diodes électroluminescentes. Son corps est comme sculpté par les lumières, tels des scalpels étincelants, tandis que l’espace est habité par la matière sonore 2, une création musicale mêlant guitare électrique et musique électronique jouée live et signée KTL, soit Stephen O’Malley de Sunn o))) et Peter Rehberg de Pita. Gisèle Vienne 3 considère ce premier chapitre du spectacle comme « une partition interprétée

à trois : les musiciens, la création lumineuse et la chorégraphie. Il s’agit de trois instruments qui jouent en tension et en contradiction. Anja se trouve dans un kaléidoscope, un espace vertigineux, un débordement de lumière. Les LEDs et la vidéo permettent des perturbations optiques très fortes, au travers de jeux de couleurs, de mouvements. Avec certaines de mes pièces comme This is how you will disappear 4, le spectateur avait l’impression de se trouver face à des tableaux vivants. Ici, il a une sensation de sculpture. »

Human after all

Cette première partie très plastique laisse poindre des « erreurs » : petit à petit, au bout d’une vingtaine de minutes frénétiques


DANSE

de ballet hyper rythmé, les contours de sa personnalité commencent à se dessiner. Son visage est marqué par les émotions et notre perception de la danseuse s’en trouve perturbée : on passe, par paliers, d’une image fantomatique à une personne incarnée, vibrante. Une femme qui vit la danse comme une échappatoire, mais ne peut fuir sa vie. En filigrane, la pièce parle de l’impossibilité d’appréhender le corps dansant comme une abstraction pure. « On ne s’affranchit jamais tout à fait de l’humain. Chez Merce Cunningham, je peux voir des lignes vertes ou jaunes, mais aussi des femmes et des hommes avec leurs défauts. Dans la peinture abstraite, on aperçoit également le coup de pinceau, le trait de l’artiste : c’est ce qui est émouvant. »

Teenage hallucination

À l’arrivée d’un garçonnet sur le plateau, une narration possible s’amorce. La femme serait une vision de l’enfant convoquant l’image de sa mère (« avec une telle force qu’elle se présente devant lui ») avant de la faire disparaître une fois pour toutes. « Quand il arrive, se développe un rapport de fascination redoublé au travers son regard », précise l’artiste franco-autrichienne. Cette maman qui rayonne lui a été notamment inspirée par l’icône (Velvet) underground Nico qui interpréta Femme

fatale ou I’ll be your mirror aux côtés de Lou Reed : « Je voulais une mère impressionnante, qui irradie et va littéralement se consumer » sur le bûcher (The Pyre) de la vie. « Nous ne sommes pas dans une mise en scène de la relation entre Nico et son fils », insiste-t-elle. Pourtant, comme Ari – rejeton de la chanteuse blonde et d’Alain Delon – avec son livre L’Amour n’oublie jamais, le garçon de la pièce s’avère l’auteur d’un ouvrage où il raconte sa mère. Édité par P.O.L.5 et distribué aux spectateurs, la quarantaine de pages (en réalité écrites par l’américain Dennis Cooper, son complice de toujours) évoque un « personnage bipolaire à la psychologie complexe qui se serait suicidé ». Telle une valse hallucinée, le spectacle se développe ainsi en trois temps. Il se poursuit, chez soi, par la lecture de ce roman biographique rédigé par le jeune devenu écrivain. Avec un style déroutant, tour à tour poétique ou prenant la forme d’un journal intime, il décrit « une personne tiraillée à la fois par un élan vital extrême et des pulsions d’autodestruction. Avec son déploiement de lumière et d’énergie, la mise en scène de The Pyre traduit ces mouvements contradictoires qui, à des niveaux différents, nous animent tous et nous font vivre. »

1 Coproduit et présenté par Pôle Sud et Le Maillon dans le cadre du projet Dance Trip / Triptic, échange culturel dans le Rhin supérieur et de la présidence de l’Autriche du comité des Ministres au Conseil de l’Europe 2 Grâce à la complicité d’un duo issu de l’Ircam ayant travaillé à la spatialisation du son 3

Elle installe sa compagnie en Alsace

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Lire Poly n°155 ou sur www.poly.fr

Le livre, non vendu en librairie, est uniquement distribué lors des représentations 5

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THÉÂTRE

la bonne parole Avec Le Faiseur de théâtre, Julia Vidit met en scène l’une des œuvres, parmi les plus iconoclastes, de Thomas Bernhard. Dans un tourbillon de mots, la pièce est une réflexion sur la nécessité de l’art et sa faculté à éveiller la rébellion.

Par Lisa Vallin

À Thionville, au Théâtre en Bois, du 5 au 9 février www.nest-theatre.fr À Thaon-les-Vosges, au Théâtre de la Rotonde, mardi 11 février www.scenes-vosges.com À Bar-le-Duc, au Théâtre, jeudi 13 février www.acbscene.com À Colmar, à la Comédie de l’Est, mardi 18 et mercredi 19 février www.comedie-est.com À Metz, à l’Opéra-Théâtre, jeudi 21 et vendredi 22 février www.opera.metzmetropole.fr À Mancieulles, au Théâtre Ici et Là, du 26 au 28 février www.theatreicietla.com

Et plus tard À Vesoul, au Théâtre Edwige Feuillère, mardi 18 mars À Forbach, au Carreau, jeudi 20 et vendredi 21 mars À Besançon, au CDN, du 15 au 18 avril

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L

a petite bourgade d’Utzbach, au fin fond de l’Autriche. Ses 280 habitants, son “auberge boucherie” Au Cerf Noir. Même le mieux intentionné des guides touristiques ne saurait aller plus loin. Car plus loin, il n’y a rien. Nous sommes dans un trou aussi perdu qu’affreux. Gris, sale, puant, peuplé d’ignorants crasseux. C’est pourtant dans ce calamiteux décor que Bruscon, dramaturge et comédien d’État, débarque pour présenter la pièce sublime dont il est l’auteur. Vaste épopée convoquant les plus grands personnages, de Napoléon à Marie Curie, La Roue de l’Histoire a pour ambition de résoudre tous les problèmes de l’humanité. Il n’en reste pas moins que notre “faiseur de théâtre” va devoir commencer par régler les problèmes techniques, dans un environnement qui n’est pas exactement à la hauteur de ses attentes. La prétendue salle de bal mise à disposition par l’auberge a des airs de vétuste local où se réunissent les adeptes des soirées loto, dans des vestiges poussiéreux d’un passé fasciste. Qu’elle jouxte la porcherie et soit imprégnée d’une odeur de cochon ne serait rien s’il n’y avait cette scandaleuse impossibilité de faire le noir complet. Sans compter que la comédienne tousse… L’heure du spectacle approche et tout s’en mêle pour empêcher l’artiste excédé de porter sa bonne parole. « Tour à tour en empathie ou en désaccord

avec le héros, nous nous trouvons face à notre propre incapacité à organiser le monde tel que nous le rêvons », souligne la metteuse en scène. Quand les spectateurs arrivent enfin, c’est au tour des éléments de se déchaîner. L’orage éclate, la pluie perce le plafond. À côté, le presbytère est ravagé par un incendie qui vole la vedette à la représentation, tout simplement annulée. Dans cette pièce écrite en 1984, le misanthrope Thomas Bernhard s’interroge de manière grinçante sur la fonction du théâtre dans notre société où chacun se replie sur luimême. La parole est accaparée par un seul homme, double de l’auteur, obsédé par la mort et l’échec. « Avec le mot, il construit et détruit au gré de sa fantaisie, assassine le théâtre, le pouvoir, les intellectuels, les prolétaires, les femmes, les pompiers, tout ce qu’il ne supporte pas : les autres, dont il ne peut se passer. Son écriture circulaire, qu’à première vue on pourrait considérer comme une rumination stérile, est au fond un jeu infiniment humain qui consiste à faire et à défaire, à passer de l’ombre à la lumière, à vivre malgré tout », éclaire Julia Vidit. Car Le Faiseur de théâtre raconte d’abord « l’éternel défi que nous devons relever pour inventer nos vies. »



THÉÂTRE

un cri court dans la nuit Découvert en 2008 lors du Festival Premières1, le metteur en scène hongrois Kornél Mundruczó revient au Maillon avec une adaptation crue et sauvage de Disgrâce, roman du Nobel de littérature 2003, J.M. Coetzee. Par Thomas Flagel Photo de Márton Ágh

À Strasbourg, au Théâtre de Hautepierre (en hongrois surtitré en français, à partir de 16 ans), du 20 au 23 février 03 88 27 61 81 www.maillon.eu

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www.festivalpremieres.eu

Lire Affreux, sales et méchants dans Poly n°143 ou sur www.poly.fr

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on Frankenstein Project avait éclaboussé la quatrième édition du Festival Premières dédié aux jeunes metteurs en scène européens. Anormalité, monstruosité ordinaire et questions identitaires y étaient interrogées dans un container où s’entassaient public et comédiens. Trois ans plus tard, Hard to be a god2, immersion infernale dans le trafic d’êtres humains et la prostitution venue de l’Est, était jouée à Pulversheim, sur le carreau de la mine Rodolphe. Pas étonnant aujourd’hui de le voir déstructurer l’un des chefs-d’œuvre du sud-africain John Maxwell Coetzee, contant le sentiment de vengeance et la lutte inhérente au basculement post-apartheid d’une société divisée dans laquelle les opprimés d’avant accèdent au pouvoir. Fidèle à son goût pour un théâtre gorgé de violence ultra réaliste, en forme de dénonciation des rapports de domination entre les hommes, il débute Disgrâce par le viol de Lucy, jeune blanche vivant dans une propriété reculée du veld, la campagne sud-africaine. L’attaque est violente, plusieurs hommes vêtus de perruques crépues – symbolisant les Noirs du roman – arrachent ses vêtements, la violent longuement dans une nudité froide, brisée par les hurlements continus de la jeune femme n’entraînant qu’un redoublement de la cruauté des assaillants : humiliation dans

la terre battue, coups, enfermement dans une cage à chien où elle est maculée du sang de la tête décapitée de son animal. Loin de nous épargner quoi que ce soit, Kornél Mundruczó accentue à l’extrême la sauvagerie du monde qui s’annonce chez Coetzee. Le metteur en scène le clame haut et fort : son théâtre « n’est pas intellectuel, il est à vivre, à éprouver physiquement », quitte à perdre un brin la complexité et la richesse de l’œuvre originale. Ainsi la violence des corps se fait centrale. Le viol de Lucy nous sera livré une seconde fois, projeté sur un drap blanc. Avant cela, ce sont les ébats entre David Lurie (père de Lucie), professeur à l’Université du Cap, et l’une de ses élèves. Renvoyé, son monde s’écroule et il rejoint sa fille, l’autre femme de sa vie dont il ne comprend guère ni l’obstination la poussant à rester dans sa ferme après son agression ni celle de garder l’enfant qui en résulte. « Disgrâce est un miroir de l’homme blanc colonisateur qui se retrouve confronté à l’injustice qu’il pratiquait. Ce qui s’y passe pourrait arriver dans mon pays », affirme Mundruczó. « Les contradictions y sont très importantes et l’on ne peut dire ce qui est bien ou mal, ni qui a raison. » Les hommes, se transformant petit à petit en canidés éructant, ne sont bien souvent que des bêtes…


CIRQUE CONTEMPORAIN

poupée de fils Pantin vivant suspendu par des cordes à une immense croix de fer, Mélissa Von Vépy questionne, seule en scène, la grâce humaine dans VieLLeicht, théâtre vertical entre cirque et marionnette humaine.

Par Thomas Flagel Photo de Christophe Raynaud de Lage

À Bethoncourt, à L’Arche, samedi 25 et dimanche 26 janvier (dès 6 ans) 08 05 71 07 00 www.mascenenationale.com www.happes.org

1 Hans was Heiri, à (re)voir à la Kaserne de Bâle (du 6 au 8 février) ou à la Scène nationale de Besançon (les 10 et 11 avril). Lire notre critique dans Poly n°150 ou sur www.poly.fr 2

www.lesmigrateurs.eu

A

vec sa longue silhouette à chevelure rouquine, la circassienne Mélissa Von Vépy marque les esprits par ses performances et son humour débridé qui faisaient fureur dans le dernier spectacle du duo suisse Zimmermann et de Perrot1. Son premier projet solo, terminé en résidence au Théâtre de Hautepierre avec le soutien des Migrateurs2, lui a été inspiré par une nouvelle d’Heinrich von Kleist, Sur le théâtre de la marionnette (1810). Une réflexion sur la nature de la grâce, du mouvement des pantins animés et de ce rêve (un peu fou mais tellement partagé) de se libérer de toute pesanteur. VieLLeicht débute par un coup de semonce, un air de déluge plongé dans la fumée. Marionnette humaine, Mélissa est emmêlée dans ses fils. Lentement, elle émerge en mouvements désarticulés, saccadés, à la recherche de la fluidité de gestes apparemment redécouverts. Son personnage aimerait bien se détacher de cette structure cruciforme métallique qui l’emprisonne. Tel un cheval ruant, elle tente d’y parvenir par la force avant de se raviser, tournoyant comme au manège, retenue par la bride des lianes. Dans un retournement subtil, la marionnette prend corps, se rebelle avec malice contre son état, parvenant par un

jeux de contrepoids à faire s’élever dans le ciel la lourde croix en fonte. La voilà chevauchant dans un improbable équilibre la structure à plusieurs mètres du sol, tentant de démêler les nœuds la retenant prisonnière de ses mouvements et de ses rêves. La prouesse technique des contrepoids et de l’entremêlement des cordes n’a d’égale que la facilité déconcertante de sa créatrice et interprète évoluant dans un mélange de douceur et d’acrobaties à la fluidité époustouflante. « Comme les elfes, les poupées n’ont besoin du sol que pour le frôler et réanimer l’envolée de leurs membres par cet arrêt momentané », écrivait le poète allemand dans sa nouvelle. Rien n’est moins vrai pour Mélissa, sautant dans le vide pour s’arrêter à quelques centimètres du fracas au sol. Le pantin désarticulé se mue en être aquatique flottant dans l’espace. Le corps suspendu s’aguerrit et se joue avec une dextérité grandissante de l’apesanteur qui devient sienne, multipliant vrilles et ondulations la tête sens dessus dessous. La belle ballerine, finira par s’échapper de la boîte à musique destinée à l’enfermer pour toujours dans une répétition de gestes, contraignant ses rêves d’ailleurs et de liberté. Un défi au créateur, aux éléments et à sa condition humaine, si humaine. Poly 164 Janvier / Février 14

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ELECTRO

liaisons dangereuses Artiste aux doigts d’or, Gesaffelstein s’adresse aux amoureux de techno crépusculaire, tapageuse et menaçante. Une musique à la beauté néoclassique, hommage aux années 1980 du label Mute1 et aux pionniers electro.

Par Emmanuel Dosda Photo d’Emmanuel Cossu

À Strasbourg, à La Laiterie, samedi 1er février 03 88 2137 237 www.artefact.org À Nancy, à L’Autre Canal, vendredi 7 février 03 83 38 44 88 www.lautrecanalnancy.fr

Gesaffelstein, Aleph, édité par Parlophone www.gesaffelstein.com

1 Label britannique de The Normal, Fad Gadget, DAF, Depeche Mode… – www.mute.com

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B

elle gueule ténébreuse et look de dandy des platines, Mike Levy aurait pu défiler pour Slimane ou jouer chez Garrel. Le jeune lyonnais préfère le chant de la machine aux plateaux et projos, l’isolement des studios à l’Actors studio. En quelques années à peine, il a su imposer son style martial jusqu’aux États-Unis, les oreilles américaines étant tombées sous le charme sombre des productions de Gesaffelstein. Sa cote a grimpé en flèche : avant même la sortie de son premier opus, le petit génie des synthés, samplers et logiciels fut convié à gonfler la pop glamour de Lana Del Rey par injection de rythmiques bodybuildées ou encore à produire Black Skinhead, meilleur morceau de Yeezus, dernier album du messie du rap Kanye West. Vers seize ans, l’ado passionné par le dessin et plus généralement les arts visuels découvre la techno via Green Velvet : c’est le Flash (un des titres phares du vétéran chicagoan à la crête verte), la révélation, l’obsession. Mike abandonne l’idée d’embrasser une carrière de graphiste et s’improvise musicien, en autodidacte bidouillant des compositions puissantes, inspirées par une longue liste de références qui feront la richesse de son premier album, Aleph : l’Electronic Body Music baraquée de Nitzer Ebb, la new wave peroxydée de Depeche Mode (dont il a remixé Goodbye), l’électronique historique de Kraftwerk, la techno originelle de Detroit ou de Chicago, celle, autoritaire, de Dopplereffekt (auteur de Gesamtkunstwerk, base de son pseudo, on y revient) ou rageuse de The Hacker qui deviendra son guide. Exit, l’hédonisme rose bonbon et les paillettes disco. Sons vrombissants, parfois aigus, souvent industriels, boucles synthétiques eighties, hurlements inquiétants et surtout rythmes cognant fort. Très fort. Par moments, le calme, le silence :

un tourbillon vertigineux qui laisse un temps de répit. Lors des breaks, l’auditeur respire un grand coup en attendant fébrilement le martèlement sonique s’apprêtant à revenir comme une vague faisant l’effet d’un rouleau compresseur.

Bienvenue à Gattaca

Aleph est un album terriblement homogène, mais pas monolithique. Si Poursuit semble prolonger les choses là où Liaisons Dangereuses les avait laissées avec Los Niños del Parque (1981), Hellifornia s’avère un improbable mélange entre sons gangsta West Coast et ambiances technoïdes infernales. L’inquiétant Wall of Memories ? Une petite musique de nuit glaciale. Values ? La parfaite BO pour un polar polaire, un thriller planté dans un monde régit par les codes génétiques. Hasard, coïncidence ? Duel et Obsession sont également des titres de films (et pas des moindres, respectivement de Spielberg et De Palma), comme si Mike Levy cherchait à transformer les clubs en salles sombres pour y projeter ses angoisses. Contraction de Gesamkunstwerk et Einstein, Gesaffelstein perçoit son travail comme faisant partie d’une œuvre d’art totale. Sa musique est indissociable des clips qui la servent. Celui, hyper léché, illustrant Poursuit, dévoile une société aseptisée et surveillée, hantée par des personnes clonées et de sévères idoles en or. On retrouve le précieux métal dans la vidéo accompagnant Hate or Glory où l’on voit un jeune truand black se recouvrant d’une carapace dorée… qui n’empêchera pas les balles du gang adverse de lui faire sauter le caisson. Son univers dark et violent, gouverné par des figures totalitaires, se veut le reflet de sa vison du mal. Sous les BPM : un gout amer, une insidieuse poésie noire.


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animals we are Truffaz, Murcof, Mahut et Bilal sont réunis autour de Being human being, spectacle multimédia mêlant trompette jazzy, techno minimale et dessins de science fiction. Un spectacle musicalo-visuel auscultant l’être humain. Par Emmanuel Dosda Dessin d'Enki Bilal

À Mulhouse, à La Filature, mardi 4 février 03 89 36 28 28 www.lafilature.org

À Metz, à L’Arsenal, samedi 8 Février 03 87 74 16 16 www.arsenal-metz.fr www.eriktruffaz.com www.murcof.com www.enkibilal.com

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he Dawn et, dans la foulée, Bending New Corners. À la fin des années 1990, Erik Truffaz sortait, sur le label mythique Blue Note, deux albums dans lesquels il incorporait des rythmes drum’n’bass et des phrasés hip-hop (avec le rappeur Nya) dans le jazz. Depuis, le trompettiste n’en finit pas d’amalgamer les genres, faisant évoluer sa musique vers des retranchements inédits et expérimentant sans cesse, notamment en s’impliquant dans des projets sans frontières. Ainsi, il collabora avec l’anglo-pakistanais Talvin Singh, musicien mélangeant éclats acoustiques des tablas et rythmiques produites par des machines, ou avec l’électronicien mexicain Murcof qui eut le privilège (en 2007) de livrer un show royal au Château de Versailles dans le cadre du festival des Grandes eaux nocturnes. Complice un jour, complice toujours ? Fernando Corona, alias Murcof, est à nouveau aux côtés de Truffaz pour Being human being, spectacle musical et graphique qui convoque également le percussionniste Dominique Mahut (l’homme qui tape sur tout ce qui peut produire un son) et le géant de la bande dessinée habitée par des êtres hybrides et inquiétants, Enki Bilal. Les quatre hommes

sont sur scène, alignés. Derrière eux, trois écrans géants diffusent des images que Bilal manipule en live, intervenant sur elles via une console tactile. Les fans reconnaîtront les planches dessinées et celles, plus picturales, de l’auteur d’Animal Z, créateur à l’imagination sans bornes intéressé par le concept de “mécanhumanimal”, lien entre la machine, l’homme et la bête : durant la projection, on verra notamment une femme dont l’inscription Animals we are, en rouge sang, barre les lèvres. Tandis que s’entremêlent les notes soufflées de Truffaz, les éléments percussifs de Mahut et les beats minimalistes de Murcof, fils spirituel et descendant électronique d’Arvo Pärt et de Philip Glass, défilent les images de Bilal. Trait juste, couleurs éclatantes, ambiance sombre, dureté du propos… Des instants hypnotiques et anxiogènes laissent place à des moments d’accalmie dans l’intimité amoureuse de couples. Des hommes armés aux corps sculpturaux et aux visages en sang, puis des filles nues, telle des lianes. Le noir et l’espoir, les notes improvisées, telles des mantras, échos et effets. Une épopée visionnaire, une plongée dans l’aventure humaine placée sous le signe de la totale fusion.


MUSIQUE

j’veux du queer En résidence aux Dominicains de Haute-Alsace pour la saison, Greta Gratos prend part à un nouvel épisode de la saga Klassik Lounge 1. Portrait d’une diva aux influences electro, d’une pétasse cosmique dont l’art s’articule autour de la notion de mélange.

Par Raphaël Zimmermann Photo d’Olivier Lelong

À Guebwiller, aux Dominicains de Haute-Alsace, du 14 au 16 février 03 89 62 21 82 www.les-dominicains.com

Un des rendez-vous récurrents de la scène de Guebwiller qui permet, pour résumer, la rencontre explosive entre différentes cultures musicales 1

2 Centre culturel autogéré et haut lieu de l’underground helvète www.usine.ch

G

reta Gratos est née au monde un soir de 1994 lors d’une soirée T dansant de l’Usine de Genève2 lorsque l’acteur Pierandré Boo est monté sur scène pour l’incarner. Un de ses amis lui a alors dit : « Pierandré tu es monstrueux, mais putain ce que tu es belle ». Très rapidement, la créature a connu une existence autonome. Une chanson – improvisée – est devenue l’hymne de la soirée helvète : « Vous les mâles / Soyez un peu femelles / Ça vous fera pas de mal / Petit papa Noël / Quand tu descendras du ciel / Fais les nous femelles / Un peu moins de testostérone / Un peu plus d’œstrogènes. » Le personnage dont la vocation initiale était éphémère s’est ancré dans la réalité et la continuité : « Je ne sais pas si je prends les choses ou si elles me prennent », résume Pierandré / Greta. Ni travesti, ni drag queen, Greta veut bien qu’on la qualifie de queer mais précise que cela s’applique à « tous les êtres. Nous sommes tous étranges, étrangers et différents ». Elle est « une icône, un portrait du Quattrocento sorti du cadre pour aller

dans le monde, une sirène qui observe les humains » et prône « le mélange des genres et des gens ». À ses concerts se croisent ainsi punks à crête, représentants d’une faune underground protéiforme et bourgeoises visonnées et emperlouzées. Si Greta aime chanter dans une atmosphère dark, sur des musiques mélancolico-electro, elle sait aussi s’ouvrir, s’autorisant, par exemple, une reprise de Radioactivity de Kraftwerk avec les metalleux lausannois de Kruger. Entre Tino Rossi, Mahler (ses Kindertotenlieder) ou Kurt Weill, gageons que la diva cosmique saura trouver sa place dans un Klassik Lounge prometteur en forme de mix « des sens et des sons » et qu’elle nous proposera un excitant nouvel album en octobre, réalisé en grande partie à Guebwiller. Sous son masque de tragédienne maquillée comme une voiture volée, elle balance ses états d’âme et l’auditeur plonge, fasciné, dans ses yeux pour apercevoir le tréfonds d’une âme nous promettant une apocalypse joyeuse. Et de conclure en citant Friedrich Dürrenmatt, un autre suisse iconoclaste : « Le monde a fait de moi une putain, je ferai du monde un bordel. » Poly 164 Janvier / Février 14

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endroit / envers En résidence à Metz1, Hervé Niquet et son Concert Spirituel nous entraînent dans les circonvolutions exotiques de The Indian Queen, fascinant masque de Henry Purcell.

Par Hervé Lévy Photos d’Éric Manas

À Metz, à l’Opéra-Théâtre, dimanche 19 et mardi 21 janvier 03 87 15 60 60 ww.opera.metzmetropole.fr La même mise en scène sera proposée à Bâle, au Theater Basel, à partir du 30 avril avec La Cetra Barockorchester Basel dirigé par Andrea Marcon +41 61 295 11 33 www.theater-basel.ch www.concertspirituel.com

À l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole et à L’Arsenal-Metz en Scènes

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www.joachimschloemer.com

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Son frère Daniel l’acheva

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réée en avril 2013 au prestigieux Festival de Schwetzingen, cette mise en scène de The Indian Queen (1695) signée Joachim Schloemer2 a nécessité de redessiner les contours du masque de Purcell, genre musical so british qui combinait, au XVIIIe siècle, les ressources de la poésie et du drame, de l’architecture scénique, du décor, de la musique et de la danse. « Il a fallu tailler dans les parties théâtrales, sinon les représentations auraient duré cinq heures, et réarranger l’ensemble, en ajoutant aussi de nouveaux textes, pour le rendre cohérent », explique Hervé Niquet, fan absolu de cette œuvre – la dernière du compositeur, puisqu’il mourut en écrivant l’ultime chœur3 – un des sommets de l’exotisme dans le répertoire baroque avec sa « pâte orchestrale complexe, mais transparente. L’époque était celle de la découverte du monde, de son organisation. On rentrait des Amériques avec des images colorées plein la tête. » Cet opéra en est le reflet chatoyant puisqu’il narre les guerres imaginaires entre Aztèques et Incas et les amours du général Montezuma et de la princesse Orazia. Sur le plateau, Joachim Schloemer a tout mis sens dessus dessous, imaginant une nouvelle histoire : accompagnés de leur guide, deux touristes arpentent la

forêt primitive mexicaine. Ils tombent dans un trou profond et débarquent dans un univers irréel où tout est inversé : le sol est devenu le plafond et réciproquement. Ce lieu mystérieux est peuplé de créatures étranges, chamanes ou dieux. Le plateau est habité par l’esprit ancestral du continent américain et les personnages originaux de l’opéra de Purcell émergent peu à peu… La réalité se brouille. Sommes-nous dans un rêve ?

requiem À coté de cet opéra très peu monté, Hervé Niquet propose d’autres raretés au cours de sa résidence avec une soirée « restituant ce qui aurait pu être l’enterrement d’une haute personnalité de province au “Grand siècle” français ». Autour du Requiem de Pierre Bouteiller, il a agrégé des pièces de Marc-Antoine Charpentier ou Sébastien de Brossard, maître de chapelle à la cathédrale de Strasbourg entre 1687 et 1698. À Metz, en l’église Saint-Pierre-aux-Nonnains, samedi 22 mars 03 87 74 16 16 – www.arsenal-metz.fr



PIANO

tableaux d’honneur Charmante et exigeante, précise et expressive, la jeune pianiste Alice Sara Ott donne un récital au Festspielhaus de Baden-Baden. Au programme, les fascinants Tableaux d’une exposition de Moussorgski.

Par Hervé Lévy Photo de Felix-Broede / DG

À Baden-Baden, au Festspielhaus, vendredi 7 février +49 7221 3013 101 www.festspielhaus.de www.alice-sara-ott.com

1 À découvrir sur un CD Beethoven paru en 2011 (avec une très belle version de sa Sonate n°21 “Waldstein” ) chez Deutsche Grammophon www.deutschegrammophon.com 2 Pianiste et pédagogue allemand (1930-2012) qui a formé de nombreux virtuoses comme Severin von Eckardstein ou Lars Vogt 3 On le constate sur le disque paru chez DG en janvier 2013

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était en 2011, au Festspielhaus de Baden-Baden, déjà. Nous la rencontrions dans sa loge quelques heures avant qu’elle ne dompte brillamment les grands classiques de la sonate pour piano seul de Beethoven1, telle une cow girl inspirée faisant rendre grâce à un bronco sauvage. Ce soir de novembre, la toute jeune Alice Sara Ott (née en 1988) allait impressionner son public, pieds nus et robe de mousseline, par son interprétation pleine d’assurance et de profondeur d’un répertoire dans lequel nombre de pianistes plus âgés partent en dérapage plus ou moins contrôlé. En interview, le discours était bien rôdé : une découverte du piano à l’âge de trois ans, au cours d’un concert à Munich, et la « ferme volonté, tout de suite, d’en faire mon métier. Très vite j’ai aussi eu la certitude absolue que la musique était quelque chose qui allait bien au-delà des mots et qu’en maîtrisant cette langue, je pourrai me faire comprendre de tous » expliquait-elle. Ensuite, la musicienne germano-japonaise fut l’élève,

pendant huit ans, de Karl-Heinz Kämmerling2. Elle affirme en outre être admirative d’Arturo Benedetti Michelangeli dans Ravel, du Beethoven d’Emil Gilels ou de Glenn Gould pour Bach, dont elle envisage d’enregistrer les Variations Goldberg. Il y a pires références… Représentative d’une scène classique de plus en plus glamour – comme Yuja Wang, Hilary Hahn ou les filles du Quatuor Zaïde –, Alice Sara Ott cache sous son joli minois une volonté de fer et des options artistiques affirmées. On le découvrira dans ce récital composé de pages de Mozart et de Schubert – sa Sonate pour piano n°17 “Gasteiner” – et, surtout, des Tableaux d’une exposition de Moussorgski. Avant d’être une des œuvres pour orchestre les plus célèbres du répertoire (le plus souvent jouée dans l’orchestration de Maurice Ravel, mais il y en eut quantité d’autres), il s’agit d’une série de dix pièces pour piano. La virtuose les cisèle avec grande élégance – se faisant parfois un peu trop altière 3 – se glissant au plus profond de la partition, épousant chaque note avec délicatesse et âme pour nous proposer le plus beau des voyages, du Marché de Limoges à La Grande porte de Kiev.


ready for the twenties Le temps d’un concert, la saison de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg s’éloigne de Beethoven, Tchaïkovski et consorts pour accueillir Max Raabe, son Palast Orchester et leur répertoire qui a la semblance d’une plongée dans les années 1920 et 1930.

Par Hervé Lévy Photos de Gregor Hohenberg

À Strasbourg, au Palais de la musique et des congrès, lundi 10 février 03 69 06 37 06 www.philharmonique. strasbourg.eu www.palast-orchester.de

M

ax Raabe apparaît sur scène, cheveux impeccablement gominés, tuxedo à la coupe parfaire. Nœud papillon blanc et boutons de manchette scintillants, il est accoudé nonchalamment au piano, le regard perdu dans le vide, un sourire narquois aux lèvres. Derrière lui, les membres du Palast Orchester, un ensemble aux allures de big band, se lancent dans un fox-trot enfiévré. La magie d’Une Nuit à Berlin peut commencer : connu dans le monde entier, le chanteur, arpente les plus grandes scènes, attirant plus de 40 000 personnes en ouverture des Wiener Festwochen (2002), remplissant plus de quinze fois l’Admiralspalast de Berlin en novembre 2013, tandis que chacune de ses venues au Carnegie Hall affiche Sold Out. Il y a quelques mois, l’artiste a embrasé le Festspielhaus de Baden-Baden. En France, il est moins célèbre, ses passages au Grand Rex (2011) ou à la Salle Pleyel (2009) ne séduisant que les aficionados. Avant deux rendez-vous à la Beethovensaal de Stuttgart (11 & 12 février), gageons que le concert strasbourgeois, seule date de la tournée dans l’Hexagone, contribuera à réparer cette anomalie.

Le baryton allemand s’adresse en effet à tout le monde avec ses prestations millimétrées dont l’ossature est faite de standards des années 1920 et 1930. Entre humour et nostalgie, exubérance et profondeur, il nous plonge dans l’atmosphère interlope des cabarets de la République de Weimar sous le signe de Kurt Weill, Bertolt Brecht et Hanns Eisler, de L’Opéra de quat’sous, de Moon over Alabama et de L’Ange bleu mêlés. Avec sa voix à nulle autre pareille – travaillée à l’exigeante école du chant lyrique – suave et cassante, tendre et caustique à la fois, comme venue du passé, il balance aussi d’autres rengaines de l’époque, qu’elles soient anglo-saxonnes (Just One of those things de Cole Porter), italiennes ou françaises (Dans la vie, faut pas s’en faire de Maurice Chevalier). Pour obtenir un spectacle de Max Raabe, vous y ajoutez des compositions de sa main, pétries d’un humour distancié comme Küssen kann man nicht alleine (On ne peut pas s’embrasser tout seul), et des reprises très décalées de hits de la pop mainstream. L’entendre chanter Sex Bomb de Tom Jones ou le jubilatoire Ooops, I did it again de Britney Spears est une sacrée expérience… Poly 164 Janvier / Février 14

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cyberpunk art Plus de 60 ans après les premières machines à dessiner inventées par Jean Tinguely, le musée portant son nom à Bâle expose dix œuvres d’artistes actuels revisitant ce procédé à l’ère de l’électronique et du numérique. Métamatic Reloaded repousse les frontières entre l’homme et la machine pour en dévoiler les nouvelles porosités.

Par Thomas Flagel

À Bâle, au Museum Tinguely, jusqu’au 26 janvier +41 (0)61 681 93 20 www.tinguely.ch

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www.metamaticresearch.info

Mouvement culturel et intellectuel international prônant l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains

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Voir articles dans Poly n°125 & 151 ou au www.poly.fr

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Termes de linguistique : l’approche diachronique s’intéresse à l’évolution d’une langue au cours de son histoire, alors qu’une approche synchronique ne prend au contraire en compte qu’un seul et unique état de la langue considérée

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n 1959, Jean Tinguely entrait dans le cycle des “Méta-Matics”, machines à dessiner produisant des œuvres de manière aléatoire et autonome. Une révolution artistique qui marqua le monde de l’art, questionnant à la fois la notion d’œuvre mais aussi l’évolution du rapport homme-machine au sein d’une société (déjà) en plein bouleversement technologique. Avec ses automates tarabiscotés et bruyants en fer forgé, dotés de mécanismes foutraquement géniaux, il détonna dans le monde bien rangé de l’art, au point d’être taxé par certains de bricoleur ludique. L’histoire donna raison à l’artiste helvète au point de voir la très sérieuse Métamatic Research Initiative 1 d’Amsterdam lancer, en 2009, un appel international à projets visant à revisiter le thème et l’idée même de Tinguely. La place de l’homme face

à la mécanisation, le sens et l’idéologie du tout technologique et la notion d’éphémère sont ainsi revues à l’aune des révolutions numériques dans lesquelles le corps humain luimême se voit modifié au point que se développe la notion de transhumanisme2, poussée par le développement exponentiel des nanotechnologies allié à celui des biotechnologies. Pour la première fois, un musée présente les dix œuvres créées dans le cadre de Métamatics Reloaded, une immersion analytique dans le monde d’aujourd’hui, qui est déjà demain.

The Web

Avec l’immense installation du new-yorkais Jon Kessler, nous plongeons d’emblée dans le vif du sujet. Structure labyrinthique aux multiples entrées dont les murs et le sol sont recouverts de représentations d’écrans tac-


ART CONTEMPORAIN

tiles, The Web place celui qui l’arpente dans la peau d’un sujet soumis à l’influence tentaculaire d’Internet et des objets mobiles et interconnectés. Filmés sous toutes les coutures dans des boucles de répétitions, nous découvrons nos propres images. La représentation déformée de l’environnement surchargé de signes dans lequel nous évoluons est projetée à divers endroits. Le plus avide de gadgets technologiques ploie sous la surabondance d’informations renvoyées en direct, tout en étant acteur – même malgré lui – de cet espace avec lequel il entre en interaction dès qu’il y pénètre. L’artiste s’amuse d’ailleurs à utiliser des pantins de crash test, aux faciès soignés et aux looks étudiés (sweat-shirt, pantalon et baskets), qu’il installe dans des hamacs avec iMacs et iPads sur lesquels leurs doigts articulés font défiler des photos de leur visage. La critique de l’omniprésence d’outils dans le quotidien est vertigineuse, l’installation fonctionnant comme un îlot cyberpunk recouvert d’un voilage de camouflage bleu au sein duquel toute humanité semble avoir disparue, noyée sous un torrent d’images et de caméras.

des pages imprimées serpentent du sol au plafond, comme autant de listings indispensables et nécessaires, reliés par des câbles à des écrans sur lesquels se rejoignent et se confrontent propagande et discours érudits, images tirés de Call of Duty et de la guerre du Mali (un soldat français ayant été photographié avec un foulard à tête de mort tiré du jeu, esthétique elle-même inspirée d’une œuvre de Felix Nussbaum, La Mort triomphante). À la manière de mounir fatmi3, Hirschhorn lie par des câbles les livres de grands auteurs (Milner, Trotsky ou encore Saussure dont les concepts de synchronie et diachronie4 sont la clé de voûte de l’œuvre). Dans ce maelstrom d’idées et de concepts reliés, l’homme est interrogé sur sa capacité à penser le monde qui l’entoure, noyé sous des couches de savoirs dans lesquelles se mélangent des données et des influences économiques, sociales, culturelles, politiques dans une tendance à la dématérialisation des supports qui nous fait perdre pieds, et nous agiter dans le grand bocal du monde des idées.

Légendes 1. Jon Kessler, The Web, 2012 © Andrew Ohanesian 2. Brigitte Zieger, Shooting Wallpaper, 2012 © 2013, ProLitteris, Zürich, Photo : Daniel Spehr

Don’t be shy

Plus léger, la Chambre de chant pour personne timide de Ranjit Bhatnagar s’expérimente à deux. L’un entre dans une pièce insonorisée contenant objets et micro, relié à des instruments situés à l’extérieur. Son chant sera traduit en musique sur une guitare slide, un accordéon ou encore un xylophone. La seconde personne profite tranquillement de la partition originale ainsi jouée, fruit de la performance vocale. D’interaction, il est aussi question dans le superbe Shooting Wallpaper de Brigitte Zieger. L’Allemande installée à Paris projette une toile de Jouy champêtre aux traits baroques dans laquelle, en fonction des déplacements détectés du public, des femmes armées d’un colt se lèvent et s’approchent pour nous tirer dessus, avant d’aller se rasseoir, tranquillement, à l’ombre d’un feuillu. Hypnotique et beau comme une attaque à main armée de Bonnie Parker !

Connexions monstres

L’immense installation de Thomas Hirschhorn répond au gigantisme des structures à étages de Tinguely. Un hommage new generation. Sa Diachronic-Pool bordée de murs de pneus contient un long tunnel en aluminium traversé par une accumulation de vieux claviers d’ordinateurs. Des pages et

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BANDE DESSINÉE

planète claire Des précurseurs au revival eighties, en passant par l’âge d’or de la BD franco-belge, Les aventures de la Ligne claire, le cas de Herr G. & Co, explore, avec de multiples planches originales et dessins, les circonvolutions d’un style dont le créateur de Tintin est le plus éminent représentant.

Par Hervé Lévy Illustration de Joost Swarte, Exercices de Style, 2008

À Bâle, au Cartoonmuseum, jusqu’au 9 mars +41 61 226 33 60 www.cartoonmuseum.ch

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e terme est forgé en 1977, dans la catalogue d’une exposition dédiée à Tintin à Rotterdam, par le néerlandais Joost Swarte pour qui la ligne claire désigne « une manière de dessiner qui implique les principes suivants : les surfaces sont délimitées par une ligne d’épaisseur constante, avec des contours francs, elles sont mises en couleur par aplats, sans ombrages ni hachures ». La définition colle parfaitement à Hergé et à ses complices du journal Tintin dans l’aprèsguerre : Edgard P. Jacobs (Blake et Mortimer), Jacques Martin (Alix et Lefranc), Albert Weinberg (Dan Cooper) ou Willy Vandersteen (Bob et Bobette), pour les plus connus. Leurs planches originales sont présentées au Cartoonmuseum avec notamment une merveilleuse couverture de La Vallée des cobras, un album de Jo, Zette et Jocko, série signée Hergé.

Au fil des salles, le visiteur plonge dans les racines de cette ligne claire au cours des années 1930 en Europe (Zig et Puce d’Alain Saint-Ogan) et aux États-Unis (George McManus) puis découvre sa descendance. Après la révolution opérée par Pilote ou Métal Hurlant dans les années 1960-70, reléguant Hergé et compagnie au rayon des gentils ringards un brin gnangnans, la 50

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ligne claire reprend du poil de la bête dans les années 1980 : si le dessin de Serge Clerc, Yves Chaland (Freddy Lombard) ou Ted Benoit (Ray Banana) épouse les canons “historiques”, si leur narration est fluide, leur propos se fait résolument moderne et souvent subversif… C’est aussi le cas du drolatique Léon Van Oukel de Theo van den Boogaard qui allie une limpidité old school du trait et un humour très incorrect, ultra grinçant et vulgaire en diable. Le décalage est parfait tout comme chez Joost Swarte qui alterne scènes de cul rigolotes et recherches typographiques hardies, inspirées du mouvement De Stijl ou du Futurisme, créant des personnages tonitruants comme Jojo de Pojo, face obscure de Tintin (que l’on imaginerait pas, à quatre pattes, lécher le sexe d’une demoiselle gironde) ou le sidérant Anton Makassar. Pour Chris Ware, ultime avatar de la ligne claire made in USA, le Batave « a rendu le monde meilleur depuis qu’il l’a délicatement altéré ». Une définition qu’on peut aussi appliquer à Exem, dessinateur helvète de pastiches délirants de Tintin – alias Zinzin – comme Le Jumeau maléfique dont la couverture présente le reporter à la houppette empalé sur la pointe de l’avion star du premier opus de Blake et Mortimer, l’Espadon. La boucle est bouclée.



ART CONTEMPORAIN

monstres & cie Êtres hybrides où se mêlent formes organiques et traits humains, monstres étranges et fascinants, visages de femmes… Les sculptures aux accents figuratifs de Thomas Schütte ont envahi la Fondation Beyeler pour une excitante rétrospective.

Par Hervé Lévy

À Riehen (dans le canton de Bâle-Ville), à la Fondation Beyeler, jusqu’au 2 février +41 61 645 97 00 www.fondationbeyeler.ch www.thomas-schuette.de

A

rtiste multiforme, l’allemand Thomas Schütte (né en 1954) ne s’est jamais laissé enfermer dans un style, un médium ou un système à l’image de Gerhard Richter qui fut un de ses professeurs. À la Fondation Beyeler se découvre le versant figuratif de son œuvre avec sculptures et dessins, tandis que trois autres expositions concomitantes dans l’aire germanique 1 permettent d’appréhender certaines facettes, plus conceptuelles, de sa création dont ses maquettes et autres objets architecturaux non identifiés qui l’ont fait connaître au début des années 1980.

Grand / Petit

Ils sont alignés comme à la parade. Posés sur le toit du musée, entourés de jarres, valises, cartons… En se dirigeant vers l’entrée, le visiteur les aperçoit, quelques mètres au-dessus

Avec Schöne Grüße Thomas Schütte au me Collectors Room Berlin / Stiftung Olbricht (jusqu’au 23 mars – www.me-berlin.com), Frauen au Museum Folkwang de Essen (jusqu’au 12 janvier – www. museum-folkwang.de) et Houses au Kunstmuseum de Lucerne (jusqu’au 16 février – www.kunstmuseumluzern.ch)

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Sorte de pâte à modeler

Familier / Étranger

Centre d’amaigrissement situé en en Italie – www.palace.it

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La physiognomonie postule qu’il est possible, en observant le visage d’une personne, de déterminer les traits de son caractère

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de lui. Ces Fremden (étrangers), céramiques grandeur nature aux couleurs vives, évoquent, au premier regard, les figurines utilisées pour égayer un réseau ferroviaire à l’échelle HO. Ils sont là, avec leurs bagages, semblant attendre un quelconque train dans une riante gare helvète. Rapidement cependant, le groupe apparait éloigné de cette image heureuse : airs graves, têtes baissées, visages fermés… Au bord du vide, ils incarnent les migrants d’hier et d’aujourd’hui, de Lampedusa, de Melilla et d’ailleurs, ceux dont l’avenir se lit en pointillé dans nos sociétés de moins en moins accueillantes. L’œuvre fit sensation à la dOCUMENTA de Kassel en 1992, révélant un aspect du talent de Thomas Schütte alors méconnu, même s’il avait abordé la sculpture figurative dix ans auparavant, créant des personnages qui deviendront récurrents comme les United Enemies déclinés, au fil des ans, en diverses tailles et composantes dont sont ici présentées deux versions. Celle de 2011 montre deux hommes de près de quatre mètres de haut en bronze patiné, liés par des cordes. Dans celles de 1993, on retrouve les deux mêmes protagonistes sous la forme de créatures minuscules en pâte Fimo2 qui ont la semblance de bizarroïdes marionnettes au faciès grimaçant. Avec ce jeu permanent entre le monumental et l’intime se dévoile une des caractéristiques majeures de l’œuvre d’un sculpteur se servant des matériaux les plus variés, verre de Murano, céramique, aluminium peint, bronze, acier, cire… En contrepoint, ses séries de dessins et d’aquarelles représentent une tentative de se libérer de la pesanteur de la matière en utilisant un médium plus léger et plus fluide autorisant une certaine naïveté et une grande ironie.

1

Thomas Schütte s’inscrit dans la tradition millénaire de la sculpture : statuaire antique ou gothique, œuvres de Rodin ou de Maillol…


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Il est possible de saisir, ici ou là, certaines sources d’inspiration, proches ou lointaines. Reste que ses créations sont profondément ambigües : à la fois très familières et totalement étrangères, elle instillent un profond malaise. Vénus allongée au visage d’une belle précision anatomique mais au corps comme sculpté dans une matière molle évoquant les circonvolutions pâtissières d’une torche aux marrons, sirène aux traits d’une incroyable finesse jaillissant d’une glaise organique informe, créature stupéfiante au sex appeal puissant dont les jambes sont celles d’un inquiétant avorton, groupe de bonshommes Michelin qu’on dirait tout droit sortis d’une cure à Merano 3… Dans un jeu incessant entre le corps rayonnant et la déliquescence des chairs s’installe une étrange dialectique entre achèvement et inachèvement. Schütte développe une fascinante esthétique du monstre semblant extraire l’enflure et la violence qui existent en chacun de nous de manière latente

pour les figer dans la matière, révélant nos travers tel un habile physiognomoniste4, dans des réalisations évoquant parfois les Têtes de caractère baroques d’un Franz Xaver Messerschmidt. Parfois, il mêle aussi, dans le même personnage, un caractère effrayant et des traits grotesques : sa phalange faite de soldats martiaux coiffés de… capsules d’eau minérale Gerolsteiner en témoigne, tout comme ses Krieger (guerriers), œuvre de 2012 mettant en scène deux êtres agressifs aux complexions difformes et aux membres atrophiés. Impossible de prendre au sérieux ces warriors irrémédiablement cassés. Dans de telles compositions l’artiste proclame avec éclat qu’il est devenu impossible d’appréhender le monde de manière idéalisée (voire de le reproduire) après les colosses hyperboréens abâtardis d’Arno Breker et les prolétaires triomphants du réalisme socialiste. Toujours, le réel se dérobe au profit de sa parodie grotesque et angoissante à la fois.

Légendes 1. Innocenti (Les Innocents), 1994 © 2013, ProLitteris, Zurich 2. United Enemies, 2011 (détail) © 2013, ProLitteris, Zurich. Photo : Nic Tenwiggenhorn

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ART CONTEMPORAIN

double face En collectionnant les archives de journaux, qu’elle reproduit sous différentes formes, l’artiste italienne Elisabetta Benassi visite les angles morts de l’Histoire. Intitulée Smog à Los Angeles, cette captivante machine à voyager dans le temps investit le Crac Alsace.

Par Dorothée Lachmann Passato e presente, 2013 Courtesy de l’artiste et Magazzino, Rome

À Altkirch, au Crac Alsace, jusqu’au 26 janvier 03 89 08 82 59 www.cracalsace.com

Lors du finissage de l’exposition, dimanche 26 janvier, le Crac propose la projection de deux films de Pier Paolo Pasolini. Rendez-vous à 15h30 au cinéma Palace d’Altkirch pour La Ricotta et Carnets de notes pour une Orestie africaine.

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C

ôté face, une photo d’archive. Côté pile, sa légende, raturée, soulignée, tamponnée. L’image au recto restera une énigme. Seul le verso intéresse Elisabetta Benassi. En livrant uniquement la description de la photographie, tapée à la machine à écrire, annotée à la main, elle soustrait au regard une réalité imposée pour laisser l’imagination la reconstruire grâce à des indices… souvent obscurs. Issues des archives de grandes agences de presse ou de quotidiens comme La Stampa ou le New York Times, les photos collectées par l’artiste constituent un ensemble de 70 000 pièces. Si certaines témoignent d’événements marquants du XXe siècle, d’autres sont anecdotiques. En sortant ces documents des cartons, elle leur offre une nouvelle matérialité : leur reproduction prend la forme d’installations, de sculptures, de films, de dessins. Jalonnant cette première exposition personnelle en France, il y a d’abord une série d’aquarelles, copies scrupuleuses de la face cachée des archives, qui témoignent de façon quasi archéologique de la moindre aspérité du papier, du plus petit indice laissé par la trace d’un crayon. On peut toujours se demander pourquoi tel mot est entouré de rouge ou à quoi correspond une date ajoutée entre

deux lignes : la réponse restera à jamais un mystère… Mais l’intrigante interrogation suffit à faire revivre puissamment des bribes de la grande Histoire. D’autant qu’Elisabetta Benassi n’hésite pas à donner une forme plastique spectaculaire à ses reproductions, à l’instar de cet immense tapis de laine, sur lequel est tissé le message codé du télégramme envoyé en 1917 par le ministre des Affaires étrangères allemand à son ambassadeur au Mexique, qui fut intercepté par le RoyaumeUni et précipita l’entrée en guerre des ÉtatsUnis aux côtés des Alliés. Sans lui, la face du monde en eut peut-être été changée. Autre interprétation matérielle d’une image, évoquant cette fois la sculpture minimale, une installation de plexiglas et d’acier rappelle la cage pare-balles qui protégeait Angela Davis lors de son discours du 30 juin 1972 à New York. De représentations filmées ou sonores en objets inspirés, l’exposition foisonne aussi de petites histoires où l’âme de Pasolini n’est jamais loin. Parmi les images fortes de ce voyage dans le temps, on retiendra un livre cloué au mur, celui d’Antonio Gramsci, membre fondateur du Parti communiste italien. Une nouvelle forme d’autodafé qui fait dire à Elisabetta Benassi : « Nous sommes cloués entre passé et présent et vivons dans un âge sans histoire ni futur. »


A. R. Penck, Thought of a Kibbutz © ADAGP Paris 2013

liberté d’expression Le cabinet d’Art graphique du MAMCS regroupe pour la première fois L’Expression gravée de Penck, Lüpertz et Kirkeby en mêlant des impressions de voyage, des vanités et même des pochettes de 33 tours. Visite guidée sur un air de free jazz. Par Emmanuel Dosda Photo de Mathieu Bertola

À Strasbourg, au Musée d’Art moderne et contemporain, jusqu’au 19 janvier 03 88 23 31 31 www.musees.strasbourg.eu

L’

accrochage rassemble les œuvres de trois peintres considérant la gravure comme un art majeur : A. R. Penck, Markus Lüpertz et Per Kirkeby, regroupés dans les années 1960 par le galeriste allemand Michael Werner, leur mécène. Des plasticiens néo-expressionnistes qui, aux côtés de Jörg Immendorff ou de Georg Baselitz, ont à l’époque « réagi à l’hégémonie de l’art conceptuel et minimal en revendiquant la subjectivité de l’artiste et en prônant le retour d’un art expressif et figuratif, à des techniques traditionnelles ». La conservatrice Marie-Jeanne Geyer nous invite d’abord à découvrir une donation récente : une série de Penck réalisée au cours d’un voyage auprès du collectionneur israélien Joshua Gessel, une expédition en terre sainte (Expedition to the Holy Land) entreprise en 1983. Ces quinze grands formats rendent compte, à travers un large panel de techniques (eauforte, lithographie, sérigraphie ou aquatinte), de ses expériences et sensations. Dans le triptyque qui ouvre l’exposition, il utilise la pointe sèche avec vigueur, comme un crayon dans un carnet de croquis. La violence s’exprime dans

ses planches témoignant de ce que l’artiste a vu dans les Kibboutz, montrant des hommes armés, évoquant le danger qui planait en permanence sur la contrée. Parmi les détails fourmillants, on décèle le vocabulaire propre à l’artiste, rappelant la peinture rupestre qui l’a influencé : symboles pictographiques, personnages bâtons… autant d’éléments issus de son langage « universel, compréhensible par tous ». Les autres estampes de la salle sont habitées par des êtres colorés s’opposant farouchement, des formes labyrinthiques exprimant la complexité des conflits frappant la région, traduisant l’inextricabilité de la situation politique. L’impression de chaos persiste lors de la découverte des pochettes de Tiple Trip Touch – groupe dans lequel Penck officiait dans les années 1980 – illustrées par l’artiste. Hanté par les sonorités free jazz syncopées et alambiquées dans laquelle la salle est plongée, le visiteur se débarrasse de son malaise une fois passées les magnifiquement terrifiantes Vanitas de Lüpertz, lorsqu’il pénètre les « strates géologiques » de Kirkeby, s’imprégnant de ses beaux paysages imaginaires et colorés. Poly 164 Janvier / Février 14

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© Hans Richter Estate

un regard

Par Emmanuel Dosda

Hans Richter. Traversée du siècle, à Metz, au Centre Pompidou, jusqu’au 24 février 03 87 15 39 39 www.centrepompidou-metz.fr

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vormittagsspuk / ghosts before breakfast de hans richter Convoquons le journaliste à la houppette afin qu’il mène l’enquête : son ami le Professeur Tournesol a-t-il dédoublé et rendu invisibles les Dupondt ? S’agit-il plutôt d’une photographie de René Magritte ? On reconnaît bien son univers énigmatique avec ces chapeaux melons voletant dans les airs et s’élevant jusqu’à la cime des arbres, au second plan. Fausse piste. Ceci n’est pas une œuvre du surréaliste belge, mais un photogramme de 1928 signé Hans Richter, plasticien tout terrain (1888-1976). Cette drôle d’histoire de fantômes chapeautés se promenant avant le petit déj’ évoque à la fois la légèreté des travaux d’Alexandre Calder, l’humour de

Marcel Duchamp et les photos dada de Man Ray. Tous ces artistes sont présents à Metz, dans cette Traversée du siècle l’ayant amené à collaborer avec de nombreux créateurs. Nous avons en tête ses toiles expressionnistes colorées. Mais l’artiste allemand a réalisé quantité d’œuvres cinématographiques d’avant-garde telles que Vormittagsspuk dont est issue l’image. Un film en 35 mm où l’on voit des revolvers et les fameux couvre-chefs s’animant tout seuls tandis qu’une horloge en gros plan égrène les minutes. Ce court métrage narratif réalisé par ce pionnier du ciné expérimental en rend compte : la révolte des objets a bien eu lieu !



PROMENADE

la fin du romantisme Deux châteaux de granit pris en main par des associations de sauvegarde du patrimoine, le Haut-Andlau et le Spesbourg, composent l’ossature d’une promenade en forme de grand classique de la randonnée dans le massif vosgien. 58

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Par Hervé Lévy Photos de Stéphane Louis pour Poly

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www.chateaudandlau.com

La prochaine se déroulera samedi 22 mars. Chacun peut y participer. Pour plus de détails, consulter le site 2

3 En collaboration avec le Centre européen d’Actions artistiques contemporaines – www.ceaac.org

Association pour la restauration du château du Spesbourg http://ggehenn.free.fr/ARCSpesbourg

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P

our beaucoup de citadins, cette excursion possède un goût prononcé de nostalgie : c’est en effet bien souvent une des premières que chacun, haut comme trois pommes, a fait avec son grand-père. Du moins pour ceux qui sont nés dans le coin… Facile, elle peut débuter de plusieurs endroits, à la sortie de Barr ou dans les dernières maisons d’Andlau. Nous avons pris l’option de partir de la ferme auberge du Hungerplatz où Tatiana Henius a imaginé le Ferme’burger de foie gras de canard et son chutney acidulé accompagné d’un galopin de bière (14 €), la star de la carte. Mais il n’est pas l’heure et nous ne sommes pas là pour manger. Accompagnés par un chat charmeur à la queue coupée – preuve d’une existence aventureuse – nous piquons, au cœur d’une purée de pois en voie de dissipation, sur un sentier doucettement en pente en direction du Haut-Andlau. Autour des tours La forêt, une des plus civilisées de la région, paraît “rangée” avec ses larges chemins, ses coupes de bois dans lesquelles les bûcherons ont fait un travail au cordeau. Il est loin le temps où ces frondaisons obscures et leurs créatures dangereuses faisaient peur à l’homme. C’est du reste ici que fut tué le dernier ours du massif vosgien, en 1695… Dit-on. Posé à 451 mètres d’altitude, le château (construit vers 1250 par Eberhard d’Andlau et modifié à plusieurs reprises) possède une des silhouettes les plus reconnaissables de la région avec son corps de logis flanqué de deux grandes tours circulaires qui en font sa profonde originalité. Contrairement à bien des édifices similaires du Bas-Rhin, bâtis en grès, celui-ci est tout de granit. Les pierres furent extraites sur place, au

Silberberg (montagne d’argent) ainsi nommé en raison de ses multiples affleurements rocheux. De charmantes fenêtres à coussièges – des bancs de pierre – viennent adoucir un ensemble qui fut le dernier château fort de la région encore habité en 1789. Après de multiples circonvolutions, il est de nouveau aux mains de la famille d’Andlau (depuis le premier quart du XIXe siècle) qui a mené plusieurs campagnes de restauration successives. En 2000, Guillaume d’Andlau crée l’association des amis du château1 : « Il ne s’agissait pas seulement de consolider le château. Je voulais également l’animer et réfléchir sur son avenir. Le but est de transmettre aux jeunes générations l’amour du patrimoine. Je rêve que ce lieu devienne un espace de liberté et de créativité », expliquet-il. Le programme ? Journées d’entretien2, sondages archéologiques, concerts, pièces de théâtre ou encore land art. Il y a quelques années, les tours s’étaient ainsi couvertes d’une œuvre de Samuel Rousseau, Hélioflore3, étrange lacis lumineux visible depuis la plaine qui jouait avec l’esthétique romantique des ruines. Le romantisme, justement… Il en prend un sacré coup dans le pif avec ce work in progress permanent métamorphosant la noble ruine en outil pédagogico-ludique où l’on trouve même des QR Codes permettant d’en savoir plus grâce à son Smartphone. Saleté de réalité augmentée… Le réel tel quel ne suffit sans doute pas. La sauvegarde des lieux estelle à ce prix ? La question se posera à nouveau quelques kilomètres plus loin, au Spesbourg. Ruine ripolinée La marche se poursuit vers Barr puis le Col du Crax. Un joli nom qui évoque curieusement le bien connu Cracoucass, méchant Poly 164 Janvier / Février 14

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PROMENADE

volatile bouffeur de Schtroumpfs. Nous croisons ensuite un petit sapin… de Noël qui scintille de mille feux au milieu de ses congénères jaloux. Voilà une manière écologique et originale de participer aux fêtes de fin d’année. Un crochet par le rocher Sainte Richarde d’où la vue sur Andlau « vaut le détour » – comme il est écrit dans les guides vendus par les marchands de pneus –, quelques sandwiches avalés (accompagnés d’une riante bouteille de Champagne Gosset) et nous voilà au second château de la promenade, le Spesbourg, lui aussi entretenu par une association4. Bizarre, les murs de granit semblent plus neufs que dans nos souvenirs d’enfance, même s’ils remontent au milieu du XIIIe siècle. Lui aussi est le théâtre de manifestations : performance dans le cadre du festival Nouvelles, soirée Téléthon avec sentier illuminé, buvette et restauration, etc. On se souvient alors de la controverse qui opposait, au XIXe siècle, Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) et John Ruskin (1819-1900). Pour le premier, restaurer un édifice « ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné ». Le second rappelle, dans Les Sept lampes de l’Architecture, que restaurer un bâtiment est « aussi impossible que de ressusciter les morts ». Pour lui, il est nécessaire de laisser mourir les constructions humaines de leur belle mort. La ruine, en se dégradant, conserve, intact, l’esprit de ceux qui l’ont imaginée, fait naître, puis habitée. Lorsque nous pénétrons dans ces lieux où règne, à jamais, le silence, nous devrions normalement entrer dans une sphère sacrée. Ici ce n’est guère le cas, même si beaucoup apprécient l’endroit (retapé scientifiquement, pas n’importe comment comme à l’époque de Viollet) et le témoignent, autour de nous, avec force éclats de voix. Bah… Papotages, haltes, débats, thé, pains d’épices – « Salut à toi, le Mannele ! » – nous font perdre la notion du temps : une promenade de trois heures et quelque en fait rapidement six ou sept. Il est temps de rentrer. La lumière est spectrale, les ruines prennent un aspect inquiétant et ressemblent enfin à une gravure victorienne. Les arbres s’inclinent vers nous, menaçants… The Cure. « Come closer and see / See into the trees / Find the girl / While you can / Come closer and see / See into the dark / Just follow your eyes / Just follow your eyes / I hear her voice / Calling my name / The sound is deep / In the dark / I hear her voice / And start to run / Into the trees / Into the trees ». 60

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PROMENADE

le spesbourg et le haut andlau Départ Hungerplatz Temps estimé 3 h 15 Distance 11 km Dénivelé 200 m

NORD

D

Strasbourg 35 km

Maison forestière

HUNGERPLATZ

BARR

Le Haut Andlau Le Spesbourg

Col du Silberberg

Col du Crax

Haguenau 25 km

Église abbatiale Sainte Richarde

Rocher Sainte Richarde

ANDLAU

du rhin au rhône sainte richarde et les ours Perle romane, Andlau abrite une charmante église, vestige d’une abbaye qui fut fondée par Richarde (840-896, dates communément admises, mais demeurant incertaines). Fille de la noblesse, elle épouse Charles III dit “le Gros” en 862. Reine, puis impératrice, son souhait de fonder un établissement religieux était ancien. La légende rapporte qu’un ermite lui avait fait une prédiction : une abbaye devait être construite à l’endroit précis où elle verrait une ourse noire creuser la terre pour y enterrer son ourson mort. Une autre affirme qu’elle eut cette vision sur la tombe de Sainte-Odile. Dans les deux versions, la scène lui apparut, un beau jour sur les bords de l’Andlau : elle prit alors le petit animal dans ses bras et le ranima. En remerciement, sa mère vint poser sa tête au creux des bras de la jeune fille, stupéfaite. Le jour de la consécration du couvent, en 882, tous les ours des alentours s’assemblèrent respectueusement autour de l’édifice, constituant la plus étrange des assemblées de fidèles. Richarde fut faite Sainte en 1049 par Léon IX, le “pape alsacien”.

Pionnier de la biodynamie en Alsace, Marc Kreydenweiss l’est aussi dans sa volonté de faire illustrer certaines de ses étiquettes par des artistes (de Tomi Ungerer à Sarkis) et de proposer, depuis le milieu des années 1980, des vins d’assemblage de cépages nobles, autrefois nommés “gentils” et tombés en désuétude. Dans son Clos du Val d’Éléon cohabitent ainsi, à parts égales, Riesling et Pinot gris. Le résultat ? Une minéralité et une tension excitantes en bouche. Également remarquable est la puissance corsée de son Riesling Clos Rebberg. En 1999, le vigneron andlauvien a de plus fait l’acquisition du Domaine des Perrières à Manduel, à quelques encablures de Nîmes. Des vins rouges d’exception sont nés de cette passion comme le Costières de Nîmes Perrieres dont le millésime 2010 a obtenu la note de 90 dans le célèbre guide Parker. Domaine Marc Kreydenweiss, 12 rue Deharbe à Andlau 03 88 08 95 83 – www.kreydenweiss.com

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GASTRONOSCOPE

la revanche d’une brune Réalisant ses rêves de gamine après avoir œuvré dans la finance, Annabelle Cardoso a repris les rênes de la Pâtisserie Koenig depuis sept ans. Une institution qui vient de fêter ses 50 ans.

Par Emmanuel Dosda

Pâtisserie Koenig, 10 rue des Francs-Bourgeois à Strasbourg 03 88 32 28 36 www.patisserie-koenig.com

Quel est le secret de longévité de votre établissement ? La qualité de nos produits, la fidélité de nos clients, des plats du jour simples avec un “petit goût en plus”, une carte proposant des fondamentaux (bouchées à la reine, galettes de pommes de terre, poulet au Riesling…), un esprit familial que je fais perdurer. Vous vous prédestiniez à la restauration ? Pour faire plaisir à mes parents, je n’ai pas entrepris de CAP pâtisserie mais j’ai suivi des études de droit et de gestion. J’ai travaillé dans un service financier jusqu’à l’aube de mes trente ans où je suis retournée à ma passion première, l’alimentaire, en reprenant la Pâtisserie Koenig. C’est ma revanche. J’ai d’autres passions, l’écriture notamment : j’écris beaucoup de petites nouvelles dans des calepins et je raconte des anecdotes dans Les Mots d’Annabelle que j’envoie par mail à mes clients chaque lundi. Dans l’une de vos lettres, vous confiez aimer voyager, ajoutant avoir « tou-

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jours hâte de rentrer pour savourer [vos] petits plats du terroir »… Ce qui me plait tant dans la gastronomie alsacienne ? Les saveurs ! Une choucroute se fait avec du chou longuement mariné dans du Riesling bien sec avec des clous de girofle et du poivre du moulin ! C’est un plat relevé, qui a du caractère, qui est racé, comme la cuisine alsacienne et comme moi [rires]. Ce goût pour le terroir se retrouve dans votre carte ? Bien sûr. Je compte bientôt préparer une épaule de porc avec une croûte de Baerewecke, un pain de fruits secs traditionnel. J’apprécie beaucoup le sucré / salé et le mélange des textures que l’on a, par exemple, dans mes poissons recouverts d’un crumble à la nougatine. Par contre, jamais plus de trois saveurs ! Sinon, nos palais sont perdus. Le chocolat est-il vraiment bon pour le moral ? Je viens d’en engloutir trois barres : à minimum 70% de cacao, c’est le meilleur des antidépresseurs.



GASTRONOMIE

terroirs croisés Arrivé à La Cheneaudière il y a treize ans, Roger Bouhassoun imagine une cuisine entre Alsace et Lorraine, aux gracieux accents localistes, dans un cadre aux puissantes séductions.

Par Hervé Lévy Photo de Stéphane Louis pour Poly

La Cheneaudière se trouve 3 rue du Vieux Moulin, à Colroyla-Roche. Menus de 55 € à 100 €. 03 88 97 61 64 www.cheneaudiere.com

1 Ainsi nommée parce qu’elle a été bâtie en 1973 par Arlette et Marcel François sur le lieu dit “pré de Chenaux” 2

www.relaischateaux.com

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L’

endroit est féérique : nichée dans la verdure et les sapins, dominant le village de Colroy-la-Roche blotti autour de son église au clocher pointu, La Cheneaudière 1 est le plus ancien Relais & Châteaux2 d’Alsace. Hôtel de charme, dont le nouveau spa promet, en totale harmonie avec la nature, le lieu renferme une table réputée depuis bien longtemps. Dans un espace raffiné et classique – où tableaux et sculptures se répondent avec soin – se déploie un service “à la française”, ballet délicat et sobre où défilent des mets d’une belle finesse élaborés par Roger Bouhassoun (et Daniel Stein qui l’a rejoint en 2010) qui a fait ses armes à l’Auberge Saint-Martin de Kintzheim après être passé par l’exigeant Erckmann-Chatrian (Phalsbourg). Le credo de la maison ? « Dans l’assiette, il doit être possible de sentir tout l’amour du paysan pour son produit. » Rigoureuse, la cuisine de Roger Bouhassoun pourrait se

définir en une phrase : la tradition sublimée par une intense sensualité aux résonances localistes. Le sel, par exemple, vient de Lorraine, le pain est cuit sur place trois fois par jour, tandis que sarriette, estragon ou thym sont récoltés dans un jardin aromatique jouxtant l’établissement. Les terroirs d’Alsace et de la toute proche Lorraine, région d’origine du chef, se mêlent alors dans une sarabande sensorielle de très haut niveau qui mériterait sans doute une Étoile au Michelin (mais les voies du Guide rouge demeurent impénétrables). En témoignent des “plats signature” comme les ébouriffants Escargots de la ferme de l’Horloge à Saâles en matelote crémeuse au Riesling du Domaine Kamm, crème fouettée légère ou les alliances mystérieuses et implacables du Blanc-à-fromage d’Alsace et truffes noires en ravioles de pâte fraîche, beurre blanc au parmesan. Notre coup de cœur cependant demeure sucré avec l’aérien, gracile, goûteux et fier Soufflé chaud à l’eau de vie de mirabelles d’Alsace, crème glacée à la mirabelle.


GASTRONOMIE

Féérie pure

Chez Julien est un havre de paix situé à Fouday, dans la vallée de la Bruche, à la fois un hôtel exquis qui n’a rien à envier à ses homologues de Forêt noire, un des plus beaux spas de l’espace rhénan et une halte gastronomique raffinée. Ce livre signé Jacques-Louis Delpal rend un bel hommage à cet ilot de rêve imaginé depuis des années par les inlassables bâtisseurs que sont Gérard Goetz et sa famille. Entre promenade inspirée et alléchantes recettes, il séduit… Julien, l’univers et les recettes de Gérard Goetz est paru à La Nuée Bleue (25 €) www.nueebleue.com – www.hoteljulien.com

Champignons

magiques Régis Marcon (trois Étoiles au Michelin, à Saint-Bonnet-le-Froid) est sans conteste un des plus inspirés au monde lorsqu’il travaille le champignon. Cet ouvrage monumental – qui a obtenu le Prix littéraire Bohrer du meilleur livre de cuisine français 2013 – est le reflet de cette passion. Il inclut 65 planches de champignons avec leurs caractéristiques, l’explication des gestes techniques indispensables et une centaine de recettes, du plus simple à l’extrême sophistication… Voilà la bible du champignon ! Champignons de Régis Marcon est paru aux éditions de La Martinière (45 €) www.editionsdelamartiniere.fr www.prixbohrer.fr

Cocorico Ancien chef triplement étoilé du Buerehiesel, Antoine Westermann vient de publier le livre de recettes d’un de ses établissements parisiens, Le Coq Rico, temple de la belle volaille. Poularde en baeckeoffe, pintade farcie, coq au vin, mais aussi variations autour des abats, de la carcasse ou de l’œuf (qu’on découvre frit, aux amandes) : le champ des possibles est immense et passionnant, le « voyage, sans fin » comme l’écrit Yann Queffélec dans sa préface, puisque tout est bon dans la volaille. Le Coq Rico, la cuisine des belles volailles est paru chez Marabout (25 €) www.marabout.com www.lecoqrico.com

Accords parfaits Signé Maurice Roeckel (textes) et Marcel Ehrhard (photos), cet ouvrage, sous-titré Bacchus à la table des Étoiles d’Alsace, est une variation sur les accords entre mets et vins. 25 grands chefs et artisans alsaciens ont, imaginé trois recettes chacun, choisissant le flacon idéal (de la région, lui aussi) pour les accompagner. Ainsi la Poitrine de pigeon de Philippe Bohrer (Au Crocodile) est-elle proposée avec un Pinot noir “La Louve” de Wolfberger. 100 recettes pour 100 vins d’Alsace est paru aux éditions du Belvédère (34 €) www.editions-belvedere.com – www.etoiles-alsace.com

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LAST BUT NOT LEAST

viktor lazlo nouvelle lady day Par Emmanuel Dosda Photo d’Orélie Grimaldi

À Saint-Dié des Vosges, à l’Espace Georges-Sadoul, vendredi 24 janvier 03 29 56 14 09 www.saint-die.eu À Illkirch-Graffenstaden, à L’Illiade, vendredi 31 janvier 03 88 65 31 06 www.illiade.com Retrouvez l’entretien dans son intégralité sur www.poly.fr

Elle interpréta notamment le Commandant Roussel dans la série TV Brigade Navarro

*

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De spectacle en spectacle, vous découvrez de nouvelles choses sur Billie Holiday. Quelle est la dernière qui vous a touchée. Chaque représentation me replonge dans l’émotion du personnage et je me rends compte que j’ignore encore beaucoup de choses la concernant. Mais ce qui m’intéresse le plus sont les regards neufs qui se posent sur Billie Holiday qui, enfin, ne la font pas passer pour une victime malheureuse. Le dernier en date est celui de l’écrivain Sébastian Danchin qui met en perspective l’époque à laquelle elle a vécu, indissociable des événements qui ont jalonné son existence. Vous dites avoir été profondément marquée par le « cri primal » d’une femme ayant porté un lourd fardeau jusqu’aux derniers instants de sa vie. Faut-il avoir vécu aussi durement que Billie Holiday pour interpréter des morceaux comme Strange fruit. Je chante Strange Fruit comme John Legend, sans pour autant avoir connu la ségrégation raciale, après que Billie Holiday et Nina Simone l’aient interprétée dans la douleur de leur chair. Mais cela ne veut pas dire que je n’ai jamais été confrontée au regard, à la réaction et aux propos racistes d’individus. Dernier moment où vous avez eu envie

de vous réfugier dans les bras d’Humphrey Bogart. Jamais ! Mon homme vaut un million de Humphrey Bogart. Désolée, Humph ! Dernière fois que vous avez joué aux gendarmes et aux voleurs. Je dois avoir une tête de gendarme * parce qu’on ne m’a jamais demandé de jouer les voleuses ! Dernière fois où vous avez Pleuré des rivières. Alors là… difficile vu que je pleure presque une fois par jour… J’ai la larme facile.
Un trop plein d’émotions heureuses ou malheureuses et hop, la cascade ! Dernière folie capillaire depuis Canoë rose (1986). Il y a deux ans, un jour d’automne où je ne savais pas quoi faire de mes ciseaux, je me suis fait une queue de cheval sur le sommet du crâne et coupé quinze centimètres jusqu’à l’élastique en me disant que ça retomberait plus ou moins bien… Depuis, je me fais couper les cheveux par un coiffeur ! Dernier spectacle. Billie Holiday (mise en scène d’Éric-Emmanuel Schmitt) d’après mon livre My Name is Billie Holiday (Albin Michel).




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