Poly 174 – Février 2015

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N°174 Février 2015 www.poly.fr

Magazine



BRÈVES

LE ÉTRO CONTRE-ATTAQUE D’origine strasbourgeoise, le concept store Mémé en Autriche se lance à la conquête de l’Est en s’implantant à Nancy (6 rue Saint-Nicolas). Le magasin invite ses clients à déambuler dans un univers kitsch et vintage avec des produits rétro, surfant sur la tendance old school. Mémé compte bien mettre un peu de caractère dans nos intérieurs trop souvent made in Sweden. www.memeenautriche.com

POUR LE PLAISIR

Le fiston de l’auteur de Sex & Drugs & Rock & Roll traîne sa nonchalance et sa gouaille flegmatique tout au long de titres pop relevés par une basse très ronde et un clavier bien trempé. C’est avec un bonheur immense que l’on retrouvera Baxter Dury, auteur du récent It’s a Pleasure, jeudi 26 février à L’Autre Canal (Nancy), mercredi 4 mars à La Laiterie (Strasbourg) et jeudi 5 mars au Moloco (Audincourt).

© Margaux Ract

www.lautrecanalnancy.fr – www.artefact.org www.lemoloco.com

AU COMMENCEMENT… Dans les murs d’un centre dédié à la céramique contemporaine fermé en 2002 est désormais installé Le Séchoir. Cette nouvelle structure pour l’Art contemporain à Mulhouse a ouvert ses portes mi-janvier au 25 rue Josué Hofer avec les expositions Étendue et Les Petits papiers (jusqu’au 22 février). Les artistes prennent possession de l’espace pour lui donner une seconde vie. www.lesechoir.fr

CRISE IDENTITAIRE Le 19 (Montbéliard) accueille l’exposition Le Vol en provenance de Helsinki jusqu’au 15 février. Elle rend compte de la crise identitaire qui traverse un pays européen toujours hanté par le fantôme de l’empire soviétique disparu. Les plasticiens finlandais exposés, comme la photographe Antti Laitinen, utilisent l’art pour replacer l’homme face à sa condition : un être qui a besoin de mythes pour faire face à une puissante nature, magnifique et terrifiante. Antti Laitinen, Voyage (détail), 2008

www.le19crac.com Poly 174 Février 15

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BRÈVES

LE

PRIX DE LA SANTÉ C’est parce que la santé est aussi un commerce que la 5e édition du strasbourgeois Forum européen de bioéthique (2-7 février) a décidé de sonder la relation qu’elle entretient avec l’argent. Parmi les nombreux débats et rencontres, on retrouve la pneumologue Irène Frachon (à L’Aubette, samedi 7 février) auteure du livre controversé Médiator 150 mg : sous-titre censuré (initialement combien de morts ?). www.forumeuropeendebioethique.eu

GOOD VIBRATION

La musique vintage des Allah-Las s’écoute les oreilles au soleil et les orteils plongés dans l’Océan Pacifique. Le dernier album du groupe, Worship the Sun, se déguste sur une plage de Santa Monica, des grains de sable plein la barbe et des mélodies pop dans la tête. Est-il compatible avec la froideur hivernale de l’Est de la France ? Réponse jeudi 19 février à La Rodia de Besançon. www.larodia.com

COUP DE BLUES URBAIN

© Bartosch Salmanski

© Aaron Geisel

Si l’Alsace n’est pas voisine de l’Amérique, il n’y a qu’une oreille séparant l’univers musical de Thomas Schoeffler Jr. du country-blues habité de Johnny Cash période nineties. En attendant la sortie de son second opus Jesus shot me down (en mars), le one-man band strasbourgeois est de passage dans la Boîte Noire de la Halle Verrière de Meisenthal, vendredi 20 février. www.halle-verriere.fr - www.thomasschoefflerjr.bandcamp.com

INTO  THE WILD Le Kunstmuseum de Bâle présente Caspar Wolf et la

conquête esthétique de la nature accessible (jusqu’au 1er février), exposition rendant hommage au peintre paysagiste suisse (1735-1783). Elle retrace son travail autour, notamment, des Alpes en confrontant ses toiles avec des photographies actuelles de ces paysages romantiques. www.kunstmuseumbasel.ch

Vue depuis la Bänisegg vers le glacier inférieur de Grindelwald, 1778, collection privée © Reto Pedrini

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BRÈVES

ICI LA TERRE

Sur son dernier album, Lionel Grob chante la fragilité de la mémoire s’effritant comme des Madeleines qu’on écrase, le monde dans toute sa cruauté libérale (Jack the Trader) ou encore l’alcool triste (Lettre à un pochetron). Le Strasbourgeois qui roule sur les chemins tracés par Têtes Raides ou Renaud nous convie à faire le tour de sa Mappemonde samedi 31 janvier à la MJC Pichon (Nancy), mercredi 4 février à La Laiterie (Strasbourg) et vendredi 20 mars à L’Illiade (Illkirch-Graffenstaden) à l’occasion du Printemps des Bretelles. © Olivier Vax

www.grob-music.com

FRISSONS À GÉRARDMER La 22e édition du Festival international du film fantastique (28 janvier-1er février) est présidée par le réalisateur français Christophe Gans (Le Pacte des loups, La Belle et la Bête). L’événement étend son ambiance dans la ville avec des animations (expositions, rétrospectives, concours de décoration des habitations) dont la célèbre Zombie Walk (samedi 31 janvier, place du 8 Mai 1945, à 14h). www.festival-gerardmer.com

BON ARTPPÉTIT

« Comment dîner et devenir micro-mécène d’un projet artistique » ? Accélérateur de Particules y répond avec la 4e édition (vendredi 13 février) de La Dînée à Strasbourg. Les participants fonctionnent en binôme et imaginent un projet artistique pour tenter de remporter les 500 € cumulés lors des inscriptions (tarif 20 €). Sur réservation à l’adresse suivante : contact@accelerateurdeparticules.net. www.accelerateurdeparticules.net © Alex Flores

PIANO PIANO

Haguenau reçoit la chanteuse et musicienne francobritannique Emily Loizeau (au Théâtre, mardi 3 février). Accompagnée de son ami violoniste Olivier Koundouno, elle revisite ses trois premiers albums dans une tournée intitulée Piano Cello Tour. L’occasion de revivre L’Autre bout du monde, disque d’or en 2007, qui a fait naître son succès outre-Atlantique. www.relais-culturel-haguenau.com © Diane Sagnier Poly 174 Février 15

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THIS IS

HIP-HOP

Si Scarecrow reprend la musicalité du blues américain des roaring twenties pour la confronter au flow et aux samples de la culture hip-hop des années 1990, Mixcity intègre cette dernière dans une mixture plus jazzy, à la limite du funk. De passage au Gueulard + de Nilvange vendredi 27 février, les deux groupes ont en commun une envie de faire partager l’amour d’une musique aux racines afro-américaines. www.legueulardplus.fr

MONSTRE SACRÉ

Baden-Baden accueille – à l’occasion d’un programme dédié à Chopin – un des plus grands pianistes vivants : à plus de 70 ans, Maurizio Pollini pose sur la partition un regard où se mêlent fraîcheur et rigueur. Chacun de ses récitals, dénué des effets faciles qu’affectionnent certains, ressemble à un voyage plein de noblesse et de délicatesse. À découvrir au Festspielhaus dimanche 22 février. www.festspielhaus.de

© Philippe Gontier / DG

ABSURDUS DELIRIUM

Avec Plonk & Replonk, c’est une avalanche de fausses réclames idiotes, de cartes postales détournées, de photomontages monthypythonesques et d’images anciennes piratées. Absurde, surréaliste, fendard… La Galerie Lillebonne (Nancy), espace culturel d’Art contemporain, présente jusqu’au 14 février une exposition de Monuments durables & Métiers éphémères engendrés par le collectif helvétique. www.mjclillebonne.org – www.plonkreplonk.ch

TOU T COURT

Raphaël Thamberger, qui a fait des études de cinéma à Strasbourg, a réalisé le court-métrage Je Suis un peu pas trop sûr sûr de moi dans le cadre de la 5e édition du festival en ligne Nikon Film Festival (jusqu’au 7 février). Avec comme contrainte une durée de 140 secondes et le thème Je Suis un choix, il raconte l’histoire d’un homme en soirée qui s’enivre pour se donner du courage et aborder les filles. Gorgée après gorgée, sa vision retrace l’histoire du cinéma américain. www.festivalnikon.fr Poly 174 Février 15

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Illustration signée Éric Meyer pour Poly

être ou ne pas être (charlie) I ls sont encore nombreux à chercher frénétiquement le nouveau Charlie. Les queues s’allongent devant les kiosquiers, comme à Varsovie, dans les années 1980, lorsqu’on annonçait une arrivée de viande. Des bagarres éclatent. Pénurie. Alors que le canard était subclaquant, il est désormais en tête des ventes. Même si cela procède d’une bonne intention, impossible de ne pas trouver cela un peu ridicule, sans toutefois partager la véhémence de Willem (qui vomit sur tout ce beau monde qui aime subitement Charlie). Impossible de savoir ce qu’auraient pensé Wolinski et compagnie de cette levée en masse en leur faveur. Sans doute qu’ils auraient bien rigolé faisant tonner leurs crayons, armes de dérision massive qui n’épargnaient rien, ni personne. Et surtout pas eux-mêmes, ces galopins irrévérencieux ne respectant rien, s’autorisant tout même si ça blessait certains. Lorsque nous avions rencontré Cabu (Poly n°137, décembre 2010, voir ci-contre), il s’était représenté mort et avait évoqué Thomas Bernhard : l’ancien du Club Dorothée et l’auteur du Neveu de Wittgenstein sont plus proches qu’on pourrait l’imaginer. Lui qui écrivait : « Il n’y a plus rien à enjoliver, dans une société et dans un monde où tout est constamment enjolivé de la manière la plus répugnante ». Merde. Charb (Poly n°127, juillet / août 2009) s’était lui

aussi prêté au jeu de notre Last but not least. On lui avait demandé : « Dernière chose que vous voulez qu’on dise de vous ». Réponse : « Bon débarras ». Un fulgurant résumé de l’esprit de Charlie Hebdo. Ils sont nombreux à 1. Ne pas le savoir 2. L’avoir oublié. 3. S’en foutre royalement. Faites votre choix. Tout – et son contraire – a déjà été écrit sur les attentats qui ont endeuillé le pays. Était-ce nécessaire d’ajouter encore une vague de mots à ce torrent sémantique ? En effet, que dire de plus que « Je suis Charlie. Je suis juif. Je suis musulman. Je suis chrétien. Je suis flic… Je suis français » ? Une affirmation qui sonne comme l’écho spectral d’une vieille chanson des Bérus intitulée Salut à toi. Que dire lorsque la démocratie a été attaquée dans l’un de ses fondements, la liberté d’expression ? Alors que la France se place sous le signe d’une unité nationale retrouvée, mais pas reconquise, par la magie de la compassion collective, il s’agit d’honorer les victimes. Tous différents et tous égaux dans la mort. Le pays entier pleure. Ou presque. Mais c’est une autre histoire, celle de notre avenir, qui reste encore à dessiner. La rédaction de Poly Poly 174 Février 15

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OURS / ILS FONT POLY

Ours

Hervé Lévy Telle une Walkyrie, il chevauche les mots et les harmonise dans une fougue wagnérienne. Son idéal ? Mêler musique, spectacle vivant et arts plastiques en une œuvre d’art totale nommée Poly. herve.levy@poly.fr

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Emmanuel Dosda Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une dizaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren. emmanuel.dosda@poly.fr

Thomas Flagel Théâtre des balkans, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs africains… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes depuis cinq ans dans Poly. thomas.flagel@poly.fr

Dorothée Lachmann Née dans le Val de Villé cher à Roger Siffer, mulhousienne d’adoption, elle écrit pour le plaisir des traits d’union et des points de suspension. Et puis aussi pour le frisson du rideau qui se lève, ensuite, quand s’éteint la lumière. dorothee.lachmann@poly.fr

Benoît Linder Cet habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma poursuit un travail d’auteur qui oscille entre temps suspendus et grands nulles parts modernes. www.benoit-linder-photographe.com

Stéphane Louis Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. www.stephanelouis.com

Éric Meyer Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. http://ericaerodyne.blogspot.com

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Noël à Belfort, 2014 © Irina Schrag

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sommaire

18 R encontre avec Gaël Doukkali nouveau directeur du Point d’Eau d’Ostwald

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Louis Ziegler se met en scène à Pôle Sud

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P rofils, nouvelle création de Renaud Herbin et Christophe Le Blay autour de Cadmos et la fondation de Thèbes

28 Coup de projecteur sur Panique au Bois Béton, conte musical du festival Momix

29 Du mythique combat Ali vs Foreman Nicolas Bonneau signe un ciné-concert

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32 Actu criante pour Matthieu Roy avec Martyr, pièce sur les impasses de l’éducation face au fanatisme religieux

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Rone, tête d’affiche du festival GéNéRiQ, alterne câlins electronica et secousses techno

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39 Entretien avec Brigitte, duo disco pop à paillettes et longues jambes, qui embrasse la vie à pleine bouche

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Jeanne Cherhal chante le sentiment amoureux

44 Le MAMCS convie à une Parade sauvage à travers le travail surréaliste de Perahim

50 La photographe humaniste Françoise Saur expose son Algérie à La Filature de Mulhouse

56 À Rixheim, le Musée du Papier peint explore les intérieurs de la Belle Époque

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58 Rencontre avec Jan Peter Tripp, auteur de peintures au réalisme rigoureux et précis

62 Promenade hivernale et minérale sur le Mont SainteOdile dans le halo mystérieux d’un brouillard glacé

COUVERTURE No comment… Ce dessin signé Willem (grand prix du Festival d’Angoulême 2013) ne nécessite aucun commentaires. Signalons cependant que cette image – faisant tristement écho à l’actualité d’un monde où les religieux de tout poil n’ont décidemment pas le sens de l’humour – est issue de l’ouvrage édité par Reporters sans Frontières : 100 dessins de Cartooning for Peace (initiative dédiée au dessin de presse initiée par Plantu et Kofi Annan). Sorti fin 2013, cela faisait plus d’une vingtaine d’années que le traditionnel album annuel pour la liberté de la presse de RSF n’avait pas mis à l’honneur des dessinateurs. Merci à Salimata Chetima Malam. www.rsf.org www.cartooningforpeace.org

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LIVRES – BD – CD – DVD

DERRIÈRE LES FAÇADES L’historienne de l’Art Catherine Jordy et le photographe Christophe Hamm nous invitent à pousser la porte des plus belles demeures strasbourgeoises. Entre édifices publics (le joyau classique qu’est le Palais Rohan) et habitations privées, il suffit de se laisser aller au fil des pages de ce bel ouvrage pour que l’émerveillement naisse. Raffinement exacerbé de l’intérieur grandiose d’un couple de notables, atelier arty pourvu d’une immense verrière, cabinet de curiosités situé dans une vieille maison alsacienne, atmosphère bohème chic ou antre d’une collectionneuse de photographies… Le voyage est excitant et insolite : on attend avec impatience le tome 2, convaincus que la capitale européenne n’a pas livré tous ses trésors. (H.L.) Strasbourg intime, chez Serge Domini (44 €) www.serge-domini.fr

UN PRIVÉ NOMMÉ

MARIANI

Buenos Aires, aujourd’hui. Un antiquaire plombé pour une collection de pièces de monnaie confisquée durant la Seconde Guerre mondiale par des Nazis qui l’emmenèrent avec eux dans leur exil argentin, des numismates et faussaires appâtés par le magot, un privé engagé pour remuer le merdier. Cette plongée dans les barrios plus (la Boca) ou moins (Chacarita) cradingues et dangereux de la capitale à laquelle nous convie Martín Malharro se joue entre cafés traditionnels, airs de tango et matés partagés au coin des rues. Mariani, détective aux contours d’anti-héros attachant, dans la veine de ceux dépeints par Vernon Sullivan, va de conquêtes en déceptions, traquant la vérité sans jamais se départir d’une douce répartie. (T.F.) Calibre 45, publié aux Éditions La Dernière goutte, collection Fonds Noirs (19 €) www.ladernieregoutte.fr

RAGING BULL

Une pleine page. Un homme assis sur le bord de son lit, une lettre entre les mains, qui va tout faire basculer. Les couleurs sont ternes, à l’image de la vie de Matteo, jeune homme sec au corps nerveux comme le trait de Vincent Djinda (ex-Arts déco strasbourgeois), évoquant Schiele. Dans cette histoire signée Fred Paronuzzi, le personnage évolue dans le décor en carton-pâte d’une triste ZUP, hanté par le souvenir amer d’un père violent et d’une mère aimante, mais bien trop lâche. Las d’un quotidien qui lui échappe, noyé dans les effluves alcoolisées, Matteo va retourner dans son Italie natale, sur le lit de mort de sa tante Flora. Il enfile ses gants et monte sur le ring de son passé afin de se battre avec ses démons et d’affronter les secrets familiaux les plus enfuis. (E.D) Zia Flora, édité par Sarbacane (23,50 €) www.editions-sarbacane.com

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LIVRES – BD – CD – DVD

MONSTRES & CIE Le conte est bon ! Le dessinateur alsacien Vincent Wagner est l’auteur d’historiettes en ombres chinoises et sans bulles, où l’on croise Sorcières et Magiciens (ouvrage édité par la maison strasbourgeoise Le Long bec). Nul besoin de paroles pour se retrouver, des étoiles plein les yeux, transportés dans un univers fabuleux où l’on croise dragons et hommes à tête de cochon. Au fil de ce recueil de contes ensorcelants, nous faisons la connaissance d’un jeune garçon échappant à la solitude en sortant des compagnons de jeu de son chapeau magique ou d’enfants ravissant le bâton maléfique de la sorcière avant de se retrouver changés en bestioles. Citons encore de sympathiques personnages, pas très grands, mais vaillants, évoluant dans un monde évoquant les aventures de Kirikou. (E.D.) Sorcières et Magiciens, édité par les Éditions du Long bec (11,50 €, dès 4 ans) www.editions-du-long-bec.com

Rêves perdus Le 20 janvier 1778, Lenz n’est pas encore une nouvelle de Büchner. Il n’est qu’un poète chassé par Goethe, tentant vainement d’échapper à sa folie en se réfugiant dans les Vosges alsaciennes. Sylvain Maestraggi est retourné à Waldersbach, sur les traces de son séjour au Ban de la Roche, dans une errance romantique à travers la nature pour composer ce beau livre où il mêle photos d’arbres aux ailes blanches ondoyant sur l’azur profond, silhouettes rocheuses figées dans la glace à des extraits du journal du pasteur Oberlin (qui recueillit Lenz) et des fragments de Büchner. L’auteur nous livre une exquise esquisse d’un personnage s’abîmant dans la forêt, entre vents hurlants et chemins ruisselants sur une sonate en la mineur de Schubert, à la recherche de rêves perdus qu’il ne trouva pas. (T.F.) Waldersbach, publié chez L’Astrée rugueuse (32 €) www.lastreerugueuse.com Rencontre avec l’auteur, jeudi 5 février à 19h, à la Librairie 47° Nord (Mulhouse) et vendredi 6 février à 19h, à la Librairie Les Bateliers (Strasbourg)

MOZART IN THE SKY WITH DIAMONDS

Avec cette intégrale des cinq Concertos pour violon de Mozart (tous écrits en 1775), c’est un très beau double CD que nous proposent La Follia et Hugues Borsarello, soliste et directeur artistique de l’orchestre de chambre alsacien. Le son élégant de son instrument de 1695, un flamboyant et ductile Ruggieri, transporte l’auditeur dans un univers de fraîcheur et de grâce que la phalange éclaire en précision et fluidité. Marqué par l’urgence, cet enregistrement, réalisé en cinq jours seulement, retranscrit la simplicité et la vivacité du jeune et – néanmoins déjà – divin Amadeus. (H.L.) Disque paru chez Arties Records (15,99 €) www.la-follia.org

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© Architectes Denu & Paradon

nouveau point Le Point d’Eau d’Ostwald ? Un nouveau bâtiment en cours de construction, un projet culturel flambant neuf et un directeur fraîchement arrivé. Rencontre avec Gaël Doukkali en plein chantier.

Par Emmanuel Dosda Photo de Benoît Linder pour Poly

Le Point d’Eau d’Ostwald 17 allée René Cassin 03 88 30 17 17 www.ville-ostwald.fr

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L

e calendrier imposé par des travaux d’extension et de restructuration débutés en juin 2013 explique une ouverture de saison au mois de janvier. Ils sont toujours en cours, mais la salle de 260 places (déjà existante, mais rafraîchie) ouvre ses portes en ce début d’année avec de nombreux spectacles, tous genres confondus : danse avec Si Elles m’étaient contées de la compagnie Dounya (31/01 & 01/02), chanson avec Féloche (04/02) et Camélia Jordana (27/02) ou lecture musicale avec Norman Jean Baker… Marilyn Monroe1 (12 & 13/02). En septembre 2015, le nouveau Point d’Eau s’étendra sur plus de 3 000 m2, se composant de deux salles de spectacle reliées par un vaste hall : celle de 260 places et une nouvelle de 700, également de plain pied, avec des gradins rétractables pour davantage de polyvalence. À cela, s’ajoutent les locaux de la nouvelle école municipale de musique, les loges, les salles dédiées à l’administration… Le bâtiment s’est largement déployé grâce à l’intervention orchestrée par Paul-André Ritzenthaler du cabinet Denu & Paradon2. L’architecte évoque une bâtisse tripartite (les deux salles + le hall), recouverte d’une enveloppe en polycarbonate uniformisant

l’ensemble et « changeant de couleur en fonction de l’ensoleillement et des heures de la journée, passant du blanc au rose, rétroéclairée la nuit venue ».

Un Point pour tous

« Sortir du bâtiment et observer les alentours. » Voilà la première chose entreprise par Gaël Doukkali, arrivé au Point d’Eau il y a quelques mois. Pour celui qui veut replacer la salle au centre de la vi(ll)e d’Ostwald, le projet culturel territorial qu’il porte doit « s’adresser à tous les publics » : issus des écoles où de l’Ehpad, associations ou individus. « Nous allons accompagner leurs envies de culture. »Fervent défenseur du « vivre ensemble », Gaël Doukkali compte, par exemple, créer des moments de vie dans le vaste hall (expos, goûters, rencontres autour d’un métier…), mêlant des populations dans un espace d’émulsion artistique créé par les spectacles programmés, les ateliers de danses ou les cours de musique. Alors qu’il décrit un « outil plein de promesses », les ouvriers s’activent dans tous les coins de la bâtisse jouant avec les transparences : « Il s’agit d’un grand chantier, à tous les niveaux, c’est très excitant. »


architecture

Un parcours percutant

Au début des années 1990, pour les 25 ans de la Communauté urbaine de Strasbourg, son père, musicien, monte un groupe intergénérationnel de 600 percussionnistes amateurs de toute la CUS pour défiler dans Strasbourg. Gaël est un gamin, mais participe à cette grande parade donnant lieu à la création d’un groupe, Allons Z’Enfants de la Batterie, qui résidera… au Point d’Eau, au milieu des 90’s. « Tradition familiale oblige », Gaël monte Les 1001 battes en 2009, groupe de Batucada qu’il gère toujours, en parallèle à ses activités. Il débute sa carrière professionnelle dans l’éducation populaire et l’animation socioculturelle en formant les directeurs de centres de vacances puis au sein de la Fédération départementale des Maisons des Jeunes et de la Culture. Gaël Doukkali devient directeur de l’Espace Malraux de Geispolsheim avant d’être désigné à la tête du Point d’Eau d’Ostwald où il sera mené à travailler en étroite collaboration avec le service jeunesse, en demeurant sensible aux questions de médiation culturelle et de développement local. Le nouveau directeur n’exclut pas une manifestation genre Batucada, rassemblant des

participants toutes générations confondues autour d’un projet fédérateur. Humour, théâtre, chanson, jeune public, mais aussi danse ou musique, accueil de spectacles en dialecte, de compagnies locales (parfois pour des résidences au long cours) ou de têtes d’affiche : la saison 2015 / 2016 se profile, tout comme l’idée d’associer des artistes, régionaux ou internationaux, au nouveau projet. Ainsi, l’humoriste belge Jos Houben, auteur de la conférence / spectacle L’Art du Rire, serait convié à Ostwald durant une semaine entière, afin de présenter son show entre burlesque et masterclass, mais aussi de rencontrer des amateurs et de travailler avec des professionnels de la région sur l’écriture de sketches présentés au Point d’Eau. « Petit à petit, j’aimerais qu’on multiplie ce type d’action. » La prochaine saison ? Gaël Doukkali compte l’étoffer avec le bassiste jazz Marcus Miller, le rappeur-qui-a-du-cœur Oxmo Puccino, le trompettiste illusionniste Ibrahim Maalouf3 ou le spécialiste des revues de presse permanentées Alex Lutz. De quoi faire rayonner le Point d’Eau qui, même en plein chantier, reste ouvert au public.

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Voir Poly n°161 ou sur www.poly.fr

Agence strasbourgeoise responsable de L’Axone (Zénith) de Montbéliard, de La Rodia à Besançon ou des Archives communautaires de Strasbourg – www.denu-paradon.com 2

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Voir Poly n°173 ou sur www.poly.fr

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danse

la vie est un songe Co-fondateur du Théâtre du Marché aux Grains de Bouxwiller, Louis Ziegler, 64 ans, est l’une des figures artistiques emblématiques alsaciennes. Ex soixante-huitard pourfendeur des standards édictés par l’élite intellectuelle, il présente deux créations à Pôle Sud autour de la disparition.

Par Thomas Flagel Photo de Benoît Linder pour Poly

Quand vient la nuit – Bref ! pièce pour un spectateur à la fois (rendez-vous à prendre à l’achat du billet), à Strasbourg, à Pôle Sud, du 5 au 8 février Quand vient la nuit – Enfin, à Strasbourg, à Pôle Sud, mardi 24 mars 03 88 39 23 40 www.pole-sud.fr

Q

uarante ans qu’il travaille à Bouxwiller, entre créations artistiques et ateliers avec la population. La crinière a blanchi, mais la carrure est restée la même. Louis Ziegler est le genre à rester droit dans ses bottes. Des convictions, il lui en a fallu en s’implantant avec ses compères Christiane Stroë et Pierre Diependaële dans cette commune du Nord de l’Alsace qui, dans les années 1970, était « dialectophone à 90%, protestante, de culture très germanique, avec une histoire compliquée, qui le reste d’ailleurs aujourd’hui. » Ils sont alors marqués par le Théâtre du Soleil, la révolution Béjart et l’aventure du Théâtre du Peuple à Bussang, « un moment de révélation entre ce qui pouvait se créer entre du patrimoine et un quotidien ». Eux commencèrent « vierges, sans sortir d’écoles mais de l’Université » se formant « sur le tas, en travaillant. Pierre est resté à l’école du terrain, en faisant, et moi j’ai suivi 3 ans les cours du chorégraphe et danseur américain Alwin Nikolais au CDN d’Angers. » Il avait mis 23 ans à s’extirper d’une éducation dans « la philosophie d’un classique de bon aloi » où ses parents lui interdirent de faire de la danse, réservée à sa sœur. Il participera de manière active au Barabli, travaillera aux côtés de Koltès à Strasbourg, fera de l’impro et de la composition instantanée son cheval de bataille. Il y a quelques années, il prend conscience de sa disparition. « Ça m’a envahi au point que je doive en faire quelque chose sur scène », confie-t-il. « Je me suis rendu compte que quasiment tous mes spectacles abordaient cette notion de fin.» Naissent donc deux spectacles. Dans Quand vient la nuit – Bref !, Louis Ziegler convoque le public à passer 30 minutes dans ses archives personnelles

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(textes, photos, budgets, agendas personnels, carnets de notes, dossier de santé, K7 audio, vidéos…) avant de le rencontrer, individuellement sur un temps très court. « Je leur demanderai simplement ce que je peux faire pour eux et tenterai d’y répondre », glisse-til, espiègle. Quand vient la nuit – Enfin sera un spectacle plus classique, un processus de trois ans pour approcher au plus près le phénomène d’effacement. L’idée est de « remettre à jour mon intuition première, la plonger dans les abysses pour voir ce qui en remonte jusqu’au moment où se formalise quelque chose. » Louis Ziegler n’en dira pas plus, il faudra attendre le soir de la première.


danse

un miracle Le Granit et le CCN de FrancheComté – Belfort s’associent pour proposer Frimats, temps fort dédié à la danse contemporaine (Joanne Leighton, Thomas Lebrun…) pour une grande fête populaire au cœur de l’hiver.

Par Irina Schrag Photo de Frédéric Iovino

À Belfort, au Granit (9 000 pas, mardi 27 et mercredi 28 janvier ; Miracle, samedi 31 janvier & Tel Quel !, mercredi 4 février) et à la Salle des fêtes (Ze Dance Party, bal du samedi 7 février) 03 84 58 67 67 www.legranit.org À Belfort, au CCNFC-Belfort (spectacle-atelier Danse en images), mardi 3 février 03 84 58 44 88 www.ccnfc-belfort.org

* Parmi les cinq candidats retenus pour sa succession, l’excellent duo Héla Fattoumi & Éric Lamoureux de Caen, mais aussi la bisontine Nathalie Pernette

N

on renouvelée à la tête du CCNFCBelfort*, Joanne Leighton s’offre un baroud d’honneur au cœur du Territoire de Belfort où elle passa les quatre dernières années à multiplier ateliers, rencontres et créations. Dans sa nouvelle pièce, 9 000 Pas, elle s’intéresse à la fugue, cette « énergie potentielle d’un événement sur le point de basculer : une avalanche sur le point de glisser, un liquide devenant solide, l’eau qui va geler. » Puisant dans la matière des corps en mouvement, la chorégraphe réunit, de Bach à Lady Gaga, toutes les manifestations de cet élan qui se diffuse dans la musique, le cinéma, la sciences ou l’art, dans une variation autour du mouvement vers l’avant composée avec et pour six interprètes. Autre grand nom de la scène danse actuelle, Thomas Lebrun reprend Tel Quel !, spectacle jeune public (dès 7 ans) en forme d’ode à la différence et à la tolérance battant en brèche les stéréotypes des morphologies habituelles des danseurs. Deux filles petites et toniques, un beau gosse et un

immense jeune homme tutoyant le double décimètre nous entraînent dans un pastiche goûteux de taquineries et de jeux de corps et d’esprit tout en sensibilité dans lesquels chacun se livre, s’approche et s’apprivoise, tel quel, avec beaucoup d’humour ! Après un Miracle signé Anne et François Lopez réunissant danseurs (professionnels et amateurs), chanteurs (amateurs) et musiciens (pros) autour du conte de fées du XXe siècle qu’est Miracle à Milan (Palme d’or à Cannes en 1951), un bal pop’ avec strass mais sans paraître sera animé par le CCN : des cours ultra rapides pour danser en solo, duo ou à plusieurs seront distillés par son équipe pour que la fête soit encore plus folle. József Trefeli et Gábor Varga auront d’ores et déjà lancé les festivités de cette soirée avec 103 Jinx, duo d’une vingtaine de minutes où les deux compères issus de la diaspora hongroise revisitent et dépoussièrent les pas des danses folkloriques d’antan avec une virtuosité étonnante. Poly 174 Février 15

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la possibilité d’une ville Avec Profils, Renaud Herbin et Christophe Le Blay cosignent un « poème tactile de corps, de matières, d’images et de sons » autour d’un récit mythologique fondateur : Cadmos et la fondation de Thèbes. Infiltration lors d’une séance de travail.

Par Emmanuel Dosda Photos de Benoît Schupp

À Strasbourg, au TJP grande scène, du 10 au 14 février (pour les 14 ans et plus, présenté avec Le Maillon) www.tjp-strasbourg.com www.maillon.eu À Mulhouse, à La Filature, mercredi 18 et jeudi 19 février www.lafilature.org Et aussi, à Erlangen (Allemagne), lors de l’Internationales Figurentheater Festival, du 8 au 17 mai www.figurentheaterfestival.de

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Voir Poly n°153 ou sur www.poly.fr

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ans la grande salle du TJP, les cinq interprètes de Profils répètent leurs mouvements, guidés par le chorégraphe Christophe Le Blay. Ils manipulent des plaques de mousse, les élevant vers le ciel ou s’y enroulant comme dans un large manteau, une seconde peau, bondissant ou se recroquevillant au sol. Dans les gradins, Renaud Herbin, marionnettiste et directeur du Centre dramatique national, observe, tandis que Morgan Daguenet génère des sons, des “rumeurs”, de sa console, composant en live la BO de la pièce. Quelques réglages lumineux sont effectués, discrets, mais précis. Plus haut, sur une grande table, s’étalent des ouvrages, autant de documents : un Atlas du monde antique, Les Noces de Cadmos et Harmonie de Roberto Calasso, un livre sur les sculptures toutes en courbes et rondeurs d’Henry Moore, un autre de Gilles Deleuze sur Francis Bacon, artiste parvenant à figer le mouvement dans sa peinture. Au milieu : Les Métamorphoses d’Ovide, un puits sans fond pour Renaud Herbin qui a déjà adapté Pyg-

malion et Actéon* et continue de vanter « la richesse de ces récits. Ils viennent nous rappeler que nos questionnements ne datent pas d’aujourd’hui. On peut se réapproprier indéfiniment ces histoires se répétant depuis des millénaires. Cadmos parle de flux humains, du passage du nomadisme à la sédentarisation, de la construction d’une communauté. C’est très actuel. » Les principaux événements du mythe sont inscrits sur un vaste panneau trônant dans la salle. Il s’agit d’une partition à laquelle les protagonistes sont invités à se référer : l’enlèvement d’Europe par Jupiter, le départ de Gadmos missionné par son père, Agénor (roi de Phénicie) pour retrouver sa sœur… Sur ce graphique rythmé par les moments clefs du récit est également évoqué l’exil forcé de Gadmos (il ne peut revenir chez lui, n’ayant pas retrouvé Europe), contraint de fonder Thèbes en Béotie. On y retrouve l’épisode de l’effroyable dragon et de la bataille sanguinolente, y croise des animaux, des hommes et des dieux. Des faits notés sur un tableau, des gestes transposés sur le plateau.


danse & architecture manipulation

Confronter le corps à la matière

Pour Renaud Herbin, il ne s’agit pas « de raconter l’histoire telle qu’elle se présente chez Ovide, mais d’essayer de retranscrire ce en quoi elle nous touche, ce que nous en percevons. » Et d’évoquer le dispositif scénique, les grandes plaques souples de 4m 2 que les protagonistes manipulent et agencent, qu’on coud les unes aux autres, qui se forment et se déforment. Elles deviennent enveloppes charnelles, voiles, écailles (du dragon) ou murailles (de la cité de Thèbes). Pour Christophe Le Blay, leur modularité permet de « façonner les contours de l’histoire », de déployer divers univers et de les faire traverser différents paysages. Il précise : « Nous offrons également aux interprètes la possibilité de laisser transpirer ce qu’ils ressentent sur le plateau. Dans mon travail chorégraphique, j’ai pour habitude d’aborder très concrètement le corps. Ce qui nous touche ici, ce sont les êtres transformés par la matière. »

Des espaces en creux

« Où finit le corps ? Où commence l’objet ? » s’interrogent-ils, donnant à voir au public les étapes de métamorphose d’individus construisant une communauté, qui ont « coupé tous les liens pour partir à la quête d’un nouveau territoire et vont vivre une rencontre avec le monstrueux et le divin ». Renaud Herbin ne s’interdit pas d’imaginer la présence du texte, via les interprètes (deux d’entre eux sont comédiens). « De toute manière, il ne sera jamais très loin » dans cette pièce, ce « poème ». Christophe Le Blay acquiesce : « Ovide rentre dans le détail et décrit précisément les choses, puis au vers d’après, change de paysage. Il semble sauter d’une étape à une autre. » Le duo suit cette voie avec un spectacle où « tout n’est pas dit, laissant des espaces vides pour que le spectateur puisse trouver sa place. Rien de pire qu’une écriture nous dictant ce qu’il faut penser », insistent en chœur des artistes pour lesquels il est important de placer des points de suspension, « des trouées permettant de s’envoler ».

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théâtre & marionnettes

la douleur d’être à soi Après Kafka*, Sylvain Maurice met en scène un autre grand romancier contemporain avec La Pluie d’été. Un texte poétique contenant tout Duras dans une douceur âpre, un appel flamboyant à être à soi comme au monde, porté par la figure centrale d’Ernesto.

Par Thomas Flagel Photo d’Élisabeth Carecchio

La Pluie d’été, à Lons-le-Saunier, au Théâtre, mardi 10 février www.scenesdujura.com À Colmar, à la Comédie de l’Est, mercredi 18 et jeudi 19 février www.comedie-est.com À Thionville, au Théâtre en Bois, du 25 au 27 février www.nest-theatre.fr À Strasbourg, au TJP, vendredi 24 et samedi 25 avril www.tjp-strasbourg.com Histoire d’Ernesto, à Strasbourg, au TJP (dès 10 ans), jeudi 23 et vendredi 24 avril www.tjp-strasbourg.com

* Lire notre interview autour de Métamorphose dans Poly n°155 ou sur www.poly.fr

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orsque paraît ce court roman en 1990, Marguerite Duras a déjà tout connu : l’exil, la guerre, la résistance, l’horreur des camps, Les Feuilles mortes, le désir consumant, l’absence, la solitude et le succès de l’écrivaine comme de la cinéaste. Les dégâts de l’alcool aussi. La douleur et le dégoût. La maladie de la mort (celle de l’amour), celle du corps (un long coma artificiel). Et voilà qu’elle renaît à elle-même avec cette Pluie d’été qui se déroule à Vitry-surSeine. Un pavillon de banlieue où s’entasse une famille d’immigrés italo-slaves : Ernesto, l’aîné autodidacte et solaire d’une fratrie de six « brothers et sisters » qui rejette l’école où on ne lui « apprend que des choses qui ne correspondent à rien » en lui. Le savoir mais pas la connaissance. Lui aimerait apprendre à ne pas apprendre, guidé dans sa quête existentielle par un livre brûlé, déniché lors d’une escapade loin d’un père taiseux et d’une mère dévorante oubliant sans cesse le prénom de ses enfants. Ernesto y découvre philosophie et mathématiques dans l’histoire d’un vieux Roi dont il dit qu’il « croyait que c’était dans la science qu’il trouverait le défaut de la vie. La porte par où sortir de l’étouffante douleur. Le dehors. Mais non. »

La langue de Duras – son art du silence qui dit tout, des dialogues ciselés à l’extrême et des mots jaillissant sans retenue – raconte cet impossible du désir (le besoin et l’incapacité d’aimer), la folie et le désespoir, la pauvreté et le déracinement, l’amour incestueux et tendre pour sa sœur, la vanité du monde. Dans un espace ouvert et non figuratif, Sylvain Maurice se laisse porter par les dialogues où « les pensées les plus hautes se heurtent à la trivialité d’un parler populaire » pour toucher au cœur les spectateurs. Le metteur en scène double même sa pièce d’une version pour marionnettes portées, dites Kokoschkas, technique dans laquelle l’acteur-manipulateur pose sa tête sur un corps (bien plus petit) animé par des baguettes ou des gaines. Dans Histoire d’Ernesto, sept jeunes diplômés de l’École nationale supérieure des Arts de la Marionnette de Charleville-Mézières interprètent à tour de rôle le personnage principal, augmentant d’autant la portée féérique et humaniste de ce roman initiatique.



théâtre

je est un autre En portant à la scène L’Étranger de Camus, Paul-Émile Fourny éclaire un personnage tout en mélancolie, prisonnier de lui-même plus encore que du monde qui l’entoure. Rencontre avec le directeur artistique de l’Opéra-Théâtre de Metz.

Par Dorothée Lachmann Photo de Philippe Gisselbrecht / Metz Métropole

À Metz, à l’Opéra-Théâtre, vendredi 27 et samedi 28 février 03 87 15 60 60 www.opera.metzmetropole.fr

Comment avez-vous envisagé l’adaptation au théâtre de ce monument romanesque qu’est L’étranger ? Je n’ai pas voulu faire une adaptation, mais plutôt proposer une lecture théâtralisée. Le héros du roman, Meursault, se raconte à la première personne : j’ai donc mis en scène un comédien qui se rappelle cette histoire. Face à lui, sa victime, son double muet, dans l’ombre, dont les apparitions et la gestuelle vont venir contredire certaines de ses explications. Pour symboliser la difficulté de Meursault à communiquer verbalement avec le monde extérieur, quatre danseurs vont s’exprimer par leur corps, sur des musiques tour à tour traditionnelles et contemporaines, interprétées en live par un joueur d’oud pour raconter les paysages de l’Algérie et par un violoncelliste afin de traduire le monde du XXe siècle. Qui est Meursault, archétype de l’antihéros ? C’est un monsieur-tout-le-monde, assez banal, qui ne laisse pas paraître ses sentiments, même s’il en a, bien sûr. Il flotte entre deux eaux, vit en Algérie sans être algérien. Ce qui est frappant, c’est l’isolement du personnage, l’enfermement dans lequel il se trouve, son comportement proche de l’autisme. Et puis dans la deuxième partie, pendant son procès, il commence à se livrer et à dire sa vérité sur le crime qu’il a commis. Quand le juge lui offre une porte de sortie en évoquant

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la légitime défense, il refuse de dire autre chose que la vérité. Est-ce que cet homme est malin ou d’une intelligence médiocre ? Je n’ai pas la réponse. Derrière cette fiction, que peut-on déceler de la pensée de Camus ? Ce spectacle ne se veut surtout pas une explication de texte, mais je crois que Camus utilise la banalité des choses pour faire passer des questions sous-jacentes, comme le manque de communication, le racisme, la difficulté à construire un couple. Il a vécu des événements que nous sommes en train d’oublier, la guerre d’Algérie notamment. Son livre décrit clairement la séparation culturelle entre deux mondes, qui reste un phénomène actuel. Ce sont ces nœuds de l’histoire que j’essaie de retrouver, sans trop les intellectualiser. Vous avez souhaité la présence du livre sur scène… Le livre, c’est la mémoire. Il reste le support de ce spectacle sans autre artifice scénographique. La qualité des mots de Camus m’intéresse. Mon rapport à la lecture est très sensuel : je pense que les mots se goûtent et c’est ce que je veux proposer au public avec cette création.



festival

la cité des mômes Vitrine éclectique de la création contemporaine pour le jeune public, le festival Momix réunit les générations autour de spectacles innovants et pluridisciplinaires. Coup de projecteur sur Panique au Bois Béton, un conte musical qui slame contre les préjugés.

Par Dorothée Lachmann Photo de Simon Dehaese

Panique au Bois Béton (à partir de six ans) à Lingolsheim, à la Maison des Arts, vendredi 30 janvier – www.lingolsheim.fr À Mulhouse, à l’AFSCO – Espace Matisse, samedi 31 janvier – www.afsco.org À Kingersheim, à la salle Strueth, lundi 2 février www.crea-kingersheim.com À Colmar, au Grillen, mercredi 4 février – www.grillen.fr

Festival Momix à Kingersheim et ailleurs, du 29 janvier au 8 février 03 89 50 68 50 www.momix.org

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etit spectateur deviendra grand. Depuis près d’un quart de siècle, Momix fait de la culture le terreau de la citoyenneté avec la même exigence de qualité pour les tout-petits que pour les ados et un foisonnement créatif dont témoigne la soixantaine de spectacles programmés. Attentif à l’air du temps, Philippe Schlienger, directeur du Créa qui organise le festival, n’hésite pas à élargir l’horizon avec des propositions plus insolites, comme ce concert de musiques urbaines de la compagnie Soul Béton, baptisé Panique au Bois Béton. « Les arts s’entremêlent de plus en plus, un concert n’est jamais seulement un concert. Il y a une vraie mise en scène, une histoire. Ce spectacle a des allures de bande dessinée, de fresque contemporaine, de conte slamé. » C’est l’histoire de Monkey B, un jeune garçon qui aime se promener dans les rues de la ville avec son chat Pull-over. Allez savoir pourquoi, le matou décide un beau soir de filer en douce en prenant le dernier bus pour la cité du Bois Béton, dont la réputation rend

l’expédition hautement téméraire. Notre héros n’a pas le choix : s’il veut retrouver son chat, il lui faut franchir le périph’ et braver ce territoire hostile. Arrivé dans la cité, il fait la connaissance de La Bricole, qui va l’aider dans sa quête. Grâce à lui, le garçon rencontre les habitants de l’immeuble, galerie de personnages hauts en couleurs, aux caractères truculents et à l’humanité débordante. La réalité reprend ses droits sur les idées reçues et les fantasmes. Pour raconter cette aventure d’aujourd’hui, les deux compères de Soul Béton ont choisi un langage familier des enfants, celui des musiques urbaines, des rythmes ska, punk, reggae, hip-hop. Les mots slamés sont simples, les paroles rigolotes : « L’habit ne fait pas le moine, ne fait pas le man. » Munis d’une guitare rose bonbon, d’un trombone, d’un toy piano ou d’un hélicon, les artistes jouent une musique live sur un échantillonnage de morceaux déstructurés allant de Michael Jackson à la bande originale de Ghostbusters, en passant par des dialogues de vieux films d’animation. Une formule survitaminée et interactive, qui fait danser le jeune public à cœur joie et trouve sa place tout naturellement dans ce festival du spectacle vivant. « Le monde sonore investit de plus en plus les plateaux de théâtre. Pas uniquement la composition musicale, mais un travail sur les sons comme élément de création à part entière. De nouvelles voies se dessinent », conclut Philippe Schlienger.


ciné-concert

rumble in the jungle Le conteur, auteur et comédien Nicolas Bonneau s’empare du mythique combat Ali vs Foreman à Kinshasa dans un ciné-concert au rythme effréné mêlant lutte pour les droits civiques, crochets contre l’Amérique blanche, ego de champion et punch-lines cultes.

Par Thomas Flagel

Dans le cadre du festival Momix à l’Espace Tival de Kingersheim samedi 7 février www.momix.org À la Salle Europe de Colmar avec la Comédie de l’Est, les 10 & 11 février mais aussi au Taps Scala de Strasbourg du 17 au 19 février www.comedie-est.com www.taps.strasbourg.eu

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Dans le cadre des Régionales, à La Nef de Wissembourg (21 avril), aux Tanzmatten de Sélestat (22 avril), à la MAC Robert Lieb de Bischwiller (22 avril), au PréO d’Oberhausbergen (24 avril) et à La Castine de Reichshoffen (25 avril) www.culture-alsace.org

* Voir Poly n°140 et n°157 ou sur www.poly.fr

A

près sa chronique sociale sur l’étiolement de la classe ouvrière (Sortie d’usine) et son polar noir en forme de road movie (Fait(s) divers, à la recherche de Jacques B)*, Nicolas Bonneau poursuit son art du théâtre documentaire dans Ali 74. Le “Combat du siècle” de la catégorie reine des poids lourds entre George Foreman, champion du monde en titre aux 40 victoires dont 37 par K.O., et Muhammad Ali, boxeur de génie capable de « voler comme le papillon et de piquer comme une abeille » ayant de la foudre dans les poings et une vista jamais égalée sur le ring. Bien plus qu’à cet affrontement dantesque, notre conteur-MC-comédien s’attache, à l’image de nombreux documentaires ayant contribué à nourrir et créer sa légende (l’excellent When We were Kings de Leon Gast et le non moins génial Muhammad Ali the Greatest de William Klein), aux dimensions politiques et sociétales de ce match. Ali n’est rien moins que le cauchemar de l’Amérique blanche et du pouvoir en place avec ses positions anti-guerre du Vietnam – « Je n’ai rien contre le Viet Cong, aucun Vietnamien ne m’a jamais traité de nègre » déclarera-t-il au procès qui le condamnera à cinq ans de prison pour refus de conscription –, sa conversion à l’islam et l’abandon de son nom d’esclave

(Cassius Clay), sa défense du Black Power et sa tchatche légendaire qui en fait une icône engagée, charismatique et médiatique. En cette fin de mois d’octobre 1974, près de 68 000 spectateurs sont entassés dans le stade de Kinshasa, au-dessus des geôles dans lesquelles on accuse Mobutu de torturer les opposants à son régime. Sur le sol de leurs ancêtres, deux athlètes noirs ultra-dominateurs s’affrontent pour le titre suprême. Sur fond d’images d’archives savamment choisies mêlant scènes du combat (Ali adossé aux cordes, haranguant un George Foreman lancé dans une furie de coups), ségrégation raciale, cartoon pastichant le mauvais noir en brute épaisse totalement idiote et caricatures d’Oncle Tom serviables, c’est bien la revanche du peuple noir face au pouvoir oppresseur blanc qui nous est contée en direct et en musique. Une grande fête du retour aux sources tant culturelle que sportive et identitaire célébrant la lutte pour les droits civiques des afro-américains (Tommy Smith et John Carlos levant leur poing ganté de noir pendant que retentit l’hymne américain sur le podium des JO de 1968, Angela Davis, Malcolm X) dans une communion avec les Zaïrois reprenant à tue-tête un cri de ralliement devenu culte : « Ali bouma yé ! » Poly 174 Février 15

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théâtre

double face Dans La Bonne Âme du Se-Tchouan, Brecht inscrit la médiocrité de l’humain dans le chaos du monde. Entre fable et réalité, Jean Bellorini met en scène un univers onirique et musical, aussi léger que violent.

Par Dorothée Lachmann Photo de Polo Garat-Odessa

À Forbach, au Carreau, mercredi 4 et jeudi 5 février 03 87 84 64 34 www.carreau-forbach.com

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e théâtre de Bellorini est d’abord poésie. Ce n’est pas par hasard s’il a choisi, parmi les œuvres de Brecht, celle dont la portée lyrique l’emporte sur le didactisme politique. En montant La Bonne Âme du Se-Tchouan, le jeune directeur du Centre dramatique de Saint-Denis poursuit un travail tout en suggestion, préférant les questions aux réponses, au point de supprimer l’épilogue brechtien pour proposer une fin qui n’en est pas une. « Le théâtre, c’est chercher ensemble », tel est le son credo. Si dix-huit artistes sont réunis sur scène, le spectacle est bâti sur la simplicité et la grâce du regard, donnant naissance à la beauté et à la force des images. Dirigeant les comédiens comme des musiciens et vice-versa, le metteur en scène fait fusionner les mots et les notes. Et nous voilà par magie dans cette province reculée de la Chine. Au fond de sa misère, Shen Té n’a pas d’autre choix que de se prostituer pour survivre. Jusqu’au jour où des dieux de passage sur terre, pour la remercier de les avoir logés, lui offrent de l’argent. Shen Té achète alors un débit de tabac. Sortie de l’indigence, désireuse de faire le bien, elle va être abusée par toutes sortes de mendiants et commerçants peu scrupuleux. Pour s’en sortir, la jeune femme s’invente un cousin,

Shui Ta, excellent homme d’affaires, qu’elle incarne elle-même, révélant sous le masque sa part obscure. Pour la comédienne Karyll Elgrichi, qui joue les deux rôles, l’expérience est particulièrement jouissive. « En tant que femme, j’ai forcément certains préjugés sur la façon dont on doit jouer une femme. Mais ne pas savoir ce qu’est réellement un homme m’a permis de laisser jaillir tout ce que j’avais en moi sans me poser aucune question : tout est possible avec ce personnage. » Et la performance d’actrice est de taille, passant d’un rôle à l’autre sans répit, avec changement de perruque, de costume, de maquillage en moins d’une minute. « À la fin, les changements vont tellement vite qu’on ne sait plus si c’est un homme ou une femme. On comprend alors qu’il s’agit de l’humain en général », poursuitelle. L’humain dont l’intrinsèque dualité offre un terrain de combat schizophrénique à la bonté et à la méchanceté. Marque de fabrique de Jean Bellorini, le ciel d’ampoules est ici bleu, invitation au rêve et à la poésie « face à l’insoutenable contemporanéité d’un monde qui assume de plus en plus sa cruauté, d’un monde où la dureté est une valeur qui nourrit la dignité de nos égoïsmes ».


théâtre

jusqu’à la mort Mêlant sa propre histoire à la fin de vie et aux méandres artistiques d’Ingmar Bergman, Isabelle Rèbre a composé Fin, pièce de théâtre portée à la scène par Bernard Bloch et Martine Colcomb, entre démon de la créativité, amours consumantes et mort regardée en face.

Par Thomas Flagel Peinture de Stéphane Lévy

À Vandœuvre-lès-Nancy, au Centre culturel André Malraux (en coproduction avec le Théâtre de la Manufacture de Nancy), du 24 au 28 février 03 83 56 15 00 www.centremalraux.com Navettes de bus gratuites aller/retour au départ du Théâtre de la Manufacture de Nancy Rréservation au 03 83 37 12 99 www.theatre-manufacture.fr

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Voir Poly n°122

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ombant sur un article du Monde à l’automne 2000, qui relatait le pacte passé entre Ingmar Bergman et son acteur fétiche Erland Josephson pour se surveiller l’un l’autre en mesurerant la limite du gâtisme les guettant, Isabelle Rèbre se retrouva « comme happée ». Hantée par la fin de vie depuis plusieurs années suite à l’accident qui vit son père devenir paraplégique, elle « imagine ces deux vieux à moitié sourds et aveugles avec leur dose d’absurde, de gravité et de rire, se regardant pour décider jusqu’où on demeure un homme ». La fiction était posée, restait à la déployer après s’être replongée dans la filmographie du cinéaste. Un cheminement dans l’œuvre qui « imposa la présence des femmes » dans la pièce, bien au-delà des intentions premières de l’auteure. Rien de plus normal : Bergman a eu sept enfants de six femmes différentes, la plupart ayant tourné dans ses films dont la dose autobiographique est largement sousestimée. Après une première mouture mise en espace et la découverte de S’agite et se pavane

de Célie Pauthe*, Isabelle Rèbre ressentait le besoin de « se requestionner et de sentir les choses par son propre regard et pas celui des images du Suédois ». Un voyage sur ses traces était nécessaire. Signe du destin, le cinéaste s’éteint alors qu’elle est à Uppsala, sur les traces de ses grands-parents. Elle qui voulait écrire sur la mort de Bergman se faisait rattraper par la réalité. Elle faisait donc partie de cette histoire. Devait « nécessairement » en faire partie. Un nouveau personnage fit irruption dans son texte, bouleversant sa narration et son essence même : une narratrice, double d’elle-même, apportant un supplément de profondeur à ce développement existentiel entourant le rapport qu’on entretient avec la disparition, mais aussi et surtout la douleur de voir quelqu’un pour la dernière fois. Avec pudeur, humour et force sensibilité, neuf tableaux très rythmés racontent l’insupportable chagrin de Bergman, incapable d’accepter de ne plus revoir sa dernière compagne, faisant face, corps et âme, grâce au démon de la créativité qui ne cesse de l’animer à l’instar de Jo, malgré leur évident déclin physique. Ne reste à Bernard Bloch et Martine Colcomb, co-metteurs en scène, qu’à transformer la parenthèse incertaine du rêve d’une mise en scène qui ne prendra corps qu’avec les acteurs. Sur le plateau, seront bannis les poncifs du mode de vie suédois : les saunas, l’aquavit, les harengs sucrés et les smorebrod, toute la mythologie Ikea… Place au texte, au jeu pur et à ce qui fait de nous des hommes : l’amour. Poly 174 Février 15

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livre assassaint Formé à l’École du TNS, Matthieu Roy1 est de retour à Strasbourg pour la première fois depuis 20092 avec une pièce de Marius von Mayenburg. Martyr ou la terrible critique de l’éducation, de l’école et de ses impasses face au fanatisme religieux d’un ado catholique en quête de pouvoir.

Par Thomas Flagel Photos de Jean-Louis Fernandez

À Strasbourg, au TNS, du 27 janvier au 8 février 03 88 24 88 00 www.tns.fr

Rencontre Théâtre en Pensées avec le metteur en scène Matthieu Roy animée par Emmanuel Behague, samedi 31 janvier à 16h30 au TNS (réservation recommandée)

C’est le quatrième auteur vivant3 que vous montez. Est-ce pour être en prise avec une réalité et des problématiques contemporaines ou pour porter à la scène, comme une page blanche, de nouveaux textes ? Les deux à la fois. J’ai beaucoup eu recours à des commandes d’écriture à des auteurs actuels car il est de notre responsabilité de porter leur parole et leur regard sur scène. Ils ont des antennes pointées vers ce qui se joue et ce qui advient, à l’image de Mariette Navarro écrivant Nous les vagues 4 quelques mois avant l’éclosion du Printemps arabe. Les feux médiatiques sont braqués sur les extrémistes musulmans et leur lecture rigoriste du Coran, oubliant un peu leurs homologues chrétiens. Mayenburg rétablit la balance avec

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Benjamin qui proscrit la vue du corps féminin, l’homosexualité, l’égalité homme-femme… au nom de la Bible. C’est ce qui vous a séduit dans ce texte ? Martyr fait écho aux problématiques actuelles de montée en flèche du populisme et des extrémismes dans les sociétés occidentales. Je l’ai découvert en même temps que l’affaire Merah. J’ai été séduit par la description du radicalisme de cet adolescent qui lit la Bible et pas un autre livre saint. Cette histoire a tout de suite sonné en moi comme une nécessité d’ordre social et politique car elle pose un ensemble de questions et de problèmes criants d’actualité. Benjamin défie ses professeurs en ne parlant plus que par citations des Saintes Écritures. Il est séduisant dans sa répartie même s’il n’est pas si probe


théâtre

que cela, en témoignent son attirance physique pour une camarade et sa malhonnêteté intellectuelle. N’est-il pas un Tartuffe contemporain ? Totalement ! D’ailleurs en répétitions lorsque nous travaillions ce rôle, je disais toujours qu’il devait avoir l’air à la fois très sympathique et ouvert car les figures de l’extrémisme sont attirantes, fascinent et donnent envie de croire. C’est un manipulateur qui n’est pas si connecté que cela à Dieu. Benjamin n’a pas de problème de foi. Il utilise la Bible et les citations qu’il en extrait pour ses propres fins, qui sont loin d’être nobles. La critique des parents et du corps enseignant est cuisante. Benjamin sort des horreurs que tout ce petit monde laisse passer… La responsabilité des adultes est complètement remise en question, leur absence aussi. Ni sa mère, ni le prêtre, ni le proviseur ne lui disent stop. Personne ne prend ses responsabilités. Seule l’une de ses professeurs va l’affronter sur son propre terrain, la Bible. Le texte ne manque pas d’humour, même si l’on rit souvent jaune. L’un des profs a cette saillie : « Tu ne m’impressionnes pas. J’étais communiste quand j’étais jeune. Mais un beau jour il faut gagner sa vie, alors ça passe. » Oui, on rit de choses terribles… Les adultes de la pièce ont perdu tout idéal, utopie et illusion. Ils sont devenus les rouages d’une machine sans indépendance ni humanité. Cette responsabilité-là dans le laisser-faire est collective.

C’est le reflet de notre génération d’adultes qui évolue sans cadre. Celui de la famille, comme de l’école, est flou. Celui de la foi pas clairement défini. De l’identité ? Encore pire dans sa complexité politico-historico-sociale. Benjamin invente le sien, piochant dans la Bible face au manque de clarté d’adultes aux abonnés absents, incapables de fournir des réponses. Vous avez toujours cherché à intégrer les nouvelles technologies à vos dispositifs scéniques. Ici c’est un mélange de procédés cinématographiques et d’amplification sonore quasi interactive qui entrent en jeu pour donner au public le point de vue du personnage principal… Martyr se découpe en 27 courtes scènes dans un flot ininterrompu de paroles qui structure l’espace et la situation. À chaque fois, l’entrée d’un personnage sur le plateau (un espace commun tout à la fois classe, église, piscine municipale, appartement…) fait basculer l’intrigue d’une scène à l’autre. Chaque espace géographique dispose d’une lumière et d’un son propres grâce notamment à des capteurs placés dans le plancher qui résonne de différentes textures. Nous y évoluons par des procédés proches du fondu enchaîné, du cut, du champ / contre champ… mais sans caméra. L’amplification des voix crée une mise à distance avec le spectateur qui se retrouve dans une sorte de thriller où l’on suit la dérive de cet ado, attendant de voir jusqu’où il va aller.

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Diplômé en 2007 avec le groupe 36

Son diptyque Au Temps de l’amour autour de Lagarce et Moravia avait été présenté dans l’édition 2009 du Festival Premières www.festivalpremieres.eu 2

Christophe Pellet, Mariette Navarro (issue de la même promotion de l’École du TNS) et Gustave Akakpo

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Voir Poly n°133 ou sur www.poly.fr

Vous êtes-vous questionnés sur le déclencheur de la crise mystico-religieuse de cet ado ? Mayenburg ne livre aucune information làdessus. Je le prends comme une simple provocation permettant à l’auteur de décrypter les mécanismes de pouvoir et de renoncements que cette posture révèle et met en jeu. Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question dans le spectacle. Je trouve plus fort que chacun reparte avec et tente d’y répondre. Il est intéressant que, pour une fois, l’adolescence ne soit pas uniquement montrée comme un élan de liberté et de renouveau, mais qu’elle soit aussi le lieu de la quête de repères, de cadres et parfois de conservatisme… Poly 174 Février 15

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jeux de rone Rone, tête d’affiche du festival GéNéRiQ, alterne câlins electronica et secousses techno dans une musique propulsant loin du bitume, dans les étoiles. Entretien avec un musicien joueur, auteur d’un nouvel album épique et introspectif, habité par des voix et hanté par de drôles de Creatures 1.

Par Emmanuel Dosda Photo de Timothy Saccenti

À Dijon, à La Vapeur, dans le cadre du festival GéNéRiQ vendredi 13 février www.lavapeur.com À Esch-sur-Alzette, à la Rockhal samedi 14 février (dans le cadre du festival Freeeeze) www.rockhal.lu www.freeeeze.boumchaka.com À Strasbourg, à La Laiterie samedi 21 février www.artefact.org À Nancy, à L’autre Canal vendredi 20 mars www.lautrecanalnancy.fr

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Sur un des titres qui vous a placé sous les feux de la rampe, Bora, on entend l’écrivain Alain Damasio défendre l’idée selon laquelle il faut s’isoler afin d’élargir son univers. Vos morceaux sont-ils autant d’îles où se ressourcer ? On peut voir ça comme ça… Je me reconnais dans le processus de création décrit par Alain : j’ai besoin de passer par une phase d’isolement pour composer. Il y a toujours un moment où je suis seul en studio avant cette étape de partage, durant les concerts, comme récemment aux Trans Musicales de Rennes, avec énormément de public. Se retirer pour mieux retrouver la foule.

jourd’hui un désir de Quitter la ville : on ressent souvent le besoin d’évasion dans votre travail… Il faut rester mobile pour rechercher des stimuli un peu partout. Je préfère mettre en avant un dessin plutôt qu’une photo de moi et, dans mes lives, utilise beaucoup d’images d’animation : c’est un moyen de déconnecter grâce à un univers imaginaire. Je vais puiser mon inspiration chez Alice aux Pays des Merveilles, dans Le Petit Prince, Philémon ou Little Nemo, ce petit garçon qui s’invente des mondes où se réfugier le soir venu. Ces références me bercent depuis l’enfance. J’aime à penser que ma musique est issue du rêve.

Vous disiez Bye Bye Macadam sur votre précédent opus et évoquez au-

Vos titres n’échappent pas totalement à la réalité, on entend même votre bébé


festival

sur Calice Texas. Peut-on percevoir vos disques comme des journaux intimes, à condition de lire entre les lignes ? Complètement ! On entend aussi ma respiration ou ma voix et c’est ma copine, la dessinatrice Lili Wood, qui a réalisé la pochette. C’est très familial, mais mon intimité est dissimulée derrière l’imaginaire. On retrouve ma chair et mon sang dans ma musique. Il y a de nombreux invités sur Creatures : Bachar Mar-Khalifé, Frànçois (sans the Atlas Mountains2) ou Étienne Daho. Pourquoi avoir choisi de poser des voix sur votre electro ? Afin de vous confronter à des univers différents ? J’avais envie de sortir de moi-même : mes morceaux ont été composés dans mon studio, chez moi, en caleçon, au saut du lit, un café à la main. Je voulais faire entrer d’autres personnes dans ma bulle, inviter des gens avec lesquels j’ai des affinités, une petite histoire. Par exemple, je ne connais pas très bien Daho, mais à l’origine, c’est lui qui est venu vers moi pour me demander de remixer son single En Surface. Vous prétendez apprécier le bricolage sonore conduisant parfois à des accidents. Comment les provoquer ? Grâce à mes synthés et boîtes à rythmes que je laisse parler. Je triture la matière sonore et des sons jaillissent : je dois alors les contrôler et les agencer. Les collaborations renforcent cette idée car les invités ont carte blanche et me proposent des choses avec lesquelles il faut rebondir.

génériq, c’est chic La tchatche de Sianna ou les basses de Vali Mo. La classe de My Brightest Diamond ou les riffs de Laetitia Shériff. GéNéRiQ, “festival des tumultes musicaux en villes”, mêle les genres dans une programmation pointue où l’on retrouvera, en haut de l’affiche, Rone ou Kele (photo ci-dessus), leader de Bloc Party qui délaisse, en solo, la fièvre rock’n’roll pour la moiteur R’n’B. Au rayon découvertes, citons Fakear, jeune musicien français qui marche sur les braises ardentes d’une musique électronique toute en finesse, Hay Babies, trio féminin de chanson folk canadienne, Grand Blanc, rock nouvelle vague (voir Poly n°172) ou encore Cotton Claw, quatuor de beatmakers de choc (voir Poly n°168). À Belfort (La Poudrière), Besançon (La Rodia), Dijon (La Vapeur), Montbéliard (Le Moloco) et Mulhouse (Le Noumatrouff), du 12 au 15 février www.generiq-festival.com

Creatures, édité par InFiné (sortie le 9 février) www.infine-music.com

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Ce nouvel album est moins “tohubohuesque”, plus sérieux : la musique demeure-t-elle un jeu pour vous ? Il est plus mature, c’est lié à ma vie personnelle. Ceci dit, ça serait horrible si la musique devenait un job. Il faut qu’elle reste un terrain de jeu, qu’il y ait du relief, du suspens.

2 Voir interview dans Poly n°167 ou sur www.poly.fr

Qui sont les Creatures qui peuplent votre disque ? Ce sont les morceaux eux-mêmes. Parfois, j’ai le sentiment qu’ils prennent vie tout seuls, lorsque je laisse tourner une machine. Je me vois comme un savant fou créant de petits Frankenstein rafistolés. Poly 174 Février 15

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sur le bout de la langue La Coupole innove pour sa saison de printemps, avec un festival de la francophonie curieux de voir ce qui se passe chez nos voisins. En danse, chanson et humour, ce rendez-vous inédit associe des cultures différentes unies par une même langue.

Par Dorothée Lachmann Photo de Vincent Lepresle / GTG

À Saint-Louis, à La Coupole, du 3 au 17 février 03 89 70 03 13 www.lacoupole.fr

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on premier fait un grand écart virtuose entre passé et futur, mon second navigue en marge et en musique, mon troisième carbure au vitriol et mon tout est le nouveau temps fort ludovicien dédié à la “langue de chez nous”. Située à deux pas de La Coupole, la Suisse fait presque figure de voisine de palier. À elle d’ouvrir les festivités avec le Ballet du Grand Théâtre de Genève (mardi 3 février) et ses vingt-deux danseurs. Un programme double qui débute avec Lux, chorégraphie de Ken Ossola sur le puissant Requiem de Fauré, où le dialogue entre vie et mort, lumière et ténèbres, a la force d’un drame porté par la fluidité expressive des danseurs. Avec Glory d’Andonis Foniadakis, on pénètre dans l’univers baroque de Haendel et dans une incarnation de la partition où les corps deviennent musique. L’intensité des danseurs, énigmatique, audacieuse et profondément humaine, témoigne de l’art d’être tout entier dans l’instant présent. Il faut ensuite mettre le cap au sud pour partir à la rencontre de Nilda Fernandez (samedi 14 février), artiste nomade qui a pris l’habitude d’affoler les boussoles tant il chemine par monts et par vaux, s’imprégnant des sonorités et des rythmes venus des quatre coins de

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la planète. Avec une profonde intégrité, l’auteur-compositeur-interprète franco-espagnol a résolument choisi de se tenir éloigné de l’industrie du disque et de « faire autrement », imaginant un procédé de production indépendant. C’est ainsi qu’est né Ya basta !, son dernier album uniquement disponible sur Internet. Vingt-cinq ans après Nos fiançailles, le tube qui l’a révélé, la même voix douce et androgyne chante avec poésie ses révoltes et ses engagements, comme dans Pense à la France, invitation à la résistance face à « ceux qui posent des barbelés pour mieux nous enfermer », ou Le Gang, celui des « gardiens du troupeau et des humanicides internationaux ». Une salutaire bouffée d’oxygène ! Direction enfin le plat pays avec Walter (mardi 17 février). Dans son impeccable costume cravate, sa devise est de rester classe en toute circonstance. Certes il dit des horreurs, mais avec quelle élégance ! Ce nouveau roi de l’humour corrosif, chroniqueur sur France Inter, est irrévérencieux à souhait. Son spectacle Belge et méchant n’épargne rien ni personne, déplorant qu’on ne parle jamais des bienfaits de l’alcool et pointant du doigt les problèmes quotidiens des racistes daltoniens. Une écriture au cordeau, un esprit décapant, ce Walter n’est pas loin d’être irrésistible.



aristocracy in uk Somptueux nouvel album et tournée internationale : Marianne Faithfull, fille de bonne famille qui a connu des sommets et des plus bas que terre, est bien plus qu’une icône des sixties. Portrait.

Par Emmanuel Dosda Photo d’Éric Guillemain

À Sochaux, à La Mals, mardi 10 février 0 805 710 700 www.mascenenationale.com À Strasbourg, au Zénith, dans le cadre du Festival des Artefacts, dimanche 19 avril 03 88 237 237 www.artefact.org

Give my Love to London, édité par Naïve – www.naive.fr

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bbey Road, 1966. Guitare, basse, batterie, tambourin, voix, carillons et sifflets se mêlent. On entend même une fanfare passer. Au milieu de volutes faisant tourner les têtes, les Beatles plongent et partent en vadrouille dans leur sous-marin jaune. John, Paul et les autres ont embarqué quelques amis. Parmi eux, une magnifique sirène aux cheveux clairs et longs. Chemisier col Claudine, jupe mini et lunettes de soleil king size en équilibre sur la tête. Yeux en amande riants ceints de taches de rousseur. Marianne Faithfull incarne à elle seule le Swinging London dans tous ses éclats colorés. Elle se pend au bras de son boyfriend, Mike Jagger, qui lui a offert une jolie chanson, A Tears go by, deux ans auparavant. Les jeunes Rolling Stones, considérant cette romance trop fleur bleue pour figurer dans leur répertoire, s’empresseront de la reprendre, suite au carton de la chanteuse – et actrice, vue notamment auprès de Delon – qui enchaînera les succès. Après le soleil pop, les nuages viennent assombrir le ciel radieux de cette beauté fatale à la Nico (Marianne lui dédicacera un titre sur Kissin’ Time) : les seventies sont un long tunnel ténébreux pour elle. Sexe, drogue et

descente aux enfers. Aujourd’hui, Faithfull regarde cette décennie avec distance et philosophie, jugeant qu’il s’agissait d’une “expérience”, aussi néfaste fut-elle. En 1979, après plusieurs rehabs, celle dont la voix s’est métamorphosée après des années de nicotine, refait surface avec Broken English. Sur la couverture de ce disque très personnel, elle apparaît clope à la main, comme aveuglée par une lumière bleutée. Celle des spotlights et des flashs qui lui ont brûlé les ailes ? On y entend des chansons pour sorcières, du reggae électrique ou encore un grinçant hommage au prolétariat (et à Lennon) avec sa relecture synthétique de Working Class Hero. L’égérie des 1960’s déchue, tel le Phœnix, vient de renaître. Suivront, des compos cabaret rock trahissant sa passion pour Kurt Weill, de magnifiques titres chantés des larmes dans la voix et de prestigieuses collaborations, toutes générations confondues : Nick Cave, Roger Waters, Étienne Daho, Cat Power, Jarvis Cocker ou Beck lui ont prêté main forte. L’héroïne qui chanta Sister morphine fête aujourd’hui un demi-siècle de poignantes mélodies avec un album précieux – Give my Love to London – et une tournée. Elle s’apprête à partager sa mélancolie avec un public accroché à ses airs éraillés et éternels.


CHANSON

double détente Brigitte, duo disco pop à paillettes et longues jambes, embrasse la vie à pleine bouche. Sylvie Hoarau et Aurélie Saada ne font plus qu’une et chantent d’une même voix sur cordes et cuivres. Entretien glam.

Par Emmanuel Dosda Photo de Dimitri Coste

À Strasbourg, à La Laiterie, jeudi 29 janvier www.artefact.org À Esch-sur-Alzette, à La Rockhal, vendredi 30 janvier www.rockhal.lu À Besançon, à La Rodia, vendredi 27 mars www.larodia.com À Dijon, à La Vapeur, jeudi 9 avril www.lavapeur.com À Strasbourg, au Zénith, vendredi 20 novembre 2015 (billetterie ouverte) www.zenith-strasbourg.fr

À bouche que veux-tu, édité par B-Records –www.brigitteofficiel.com

Si vous étiez un duo masculin, pour quel prénom auriez-vous opté ? On nous a déjà posé la question, mais nous séchons… Didier (le vrai prénom de JoeyStarr) ? Pourquoi pas, c’est une proposition intéressante, même si nous ne connaissons qu’un seul Didier qui nous plaise, contrairement aux Brigitte [Bardot, Fontaine… NDLR]. Ma Benz a braqué les projecteurs sur vous, mais il y a aussi Walk this Way ou le viril Allumer le feu : qu’est-ce qui vous séduit tant dans l’exercice de la reprise ? C’est intéressant de s’approprier des titres, les déformer, leur donner une couleur qui est la notre, les chanter en imaginant qu’ils sont à nous. C’est assez grisant, cette espèce de superpouvoir. Les robes échancrées à la Dalida et les strass rappelant Champs-Élysées, c’est une stratégie – payante – pour être invitées par Drucker ? Ce sont vos références… Ça nous évoque plutôt Marilyn Monroe et Jane Russell. Nous portons des robes à paillettes car, petites filles, elles nous faisaient rêver. En nous lançant dans la musique, nous avons décidé de faire tout ce que nous n’osions pas auparavant, comme jouer la diva dans une tenue moulante, sur des talons hauts.

Vous déployez tout un univers dans ce nouvel album. Pourquoi incarner la femme d’aujourd’hui en piochant dans une esthétique disco ? C’est la musique qui nous fait danser. Celle d’aujourd’hui n’a pas le charme du disco qui nous rappelle nos mères et nos tantes, très belles, se maquillant pour sortir. Vous êtes de plus en plus semblables. Pourquoi ce mimétisme ? Personne n’imite l’autre dans Brigitte ! Nous ne sommes plus des adolescentes… Nous avons décidé de semer le trouble car les gens n’arrêtaient pas de nous mettre en rapport de force : qui est la plus timide, la plus sexy, la plus intello ? Comme nous nous ressemblons beaucoup, ça nous agaçait d’être sans cesse comparées : nous avons fait ce pied de nez en devenant doubles. Entre « la profonde et la légère, la femme ou la mère », vous avez choisi de ne pas choisir. Ce grand écart est important pour votre équilibre ? C’est parfois difficile pour les femmes de travailler, d’avoir des gosses, de mener une carrière et d’aller danser le soir. Ça nous tient à cœur de ne rien sacrifier. Vous avez dédié tout un album à la bouche qui vous permet de chanter et d’embrasser… C’est un disque très sensuel qui parle de désir et de plaisir ! Poly 174 Février 15

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CINÉMA MUSIQUE

on connaît la sanson Influencée par Véronique Sanson, Jeanne Cherhal chante le sentiment amoureux, flamme qu’il faut sans cesse entretenir, sur un album à la coloration vintage, hanté par « un souffle fantôme ». Entretien avant sa tournée dans l’Est.

Par Emmanuel Dosda Photo de Frank Loriou

À Belfort, au Granit, mardi 17 février 03 84 58 67 67 www.legranit.org À Florange, à La Passerelle, samedi 25 avril 03 82 59 17 99 www.passerelle-florange.fr À Neuves Maisons, au Centre Culturel Jean L’Hôte, vendredi 10 avril 03 83 47 59 57 www.centrecultureljeanlhote.fr

Histoire de J., édité par Barclay www.universalmusic.fr www.jeannecherhal.fr

* Groupe qui a notamment accompagné Philippe Katerine sur scène

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Est-ce vrai que vous êtes fan de Sonic Youth ? Ado, j’étais fascinée par la personnalité de Kim Gordon et le son de Sonic Youth, reconnaissable entre mille. C’était mon groupe préféré – alors que j’écoute peu de rock indépendant – et je l’ai vu plusieurs fois en concert. Je suis encore très impressionnée par leur élégance dans la violence. Vous pourriez faire un album rock ? Je ne suis pas sûr que ça me corresponde. Avec mon nouveau disque, Histoire de J., je suis revenue à une esthétique “chanson”, même si la tournée avec les gars de La Secte humaine* m’a ouvert des horizons, décomplexée et permis de revenir à mon piano avec davantage de plaisir. Vous êtes tombée Amoureuse de Véronique Sanson à qui vous avez rendu hommage en reprenant son album de 1972, sur scène, quarante ans après sa sortie. Quelle importance a la variété des seventies dans votre travail ? Je revendique l’influence de Sanson, Sheller, Berger, mais aussi de Joni Mitchell ou d’America, des choses qui groovent de manière acoustique. Il n’y a aucun effet sur mon dernier album : j’ai essayé d’aller à l’essentiel, comme dans les années 1970 où l’on entrait en studio à trois ou quatre pour enregistrer, en analogique, un album sur deux jours. C’est la démarche inverse de mon précédent disque, composé toute seule.

Êtes-vous nostalgique ? Non, car je ne regarde pas le passé. D’ailleurs, je n’ai découvert Sanson que tardivement, tout comme Crosby, Stills, Nash & Young, référence importante pour ce disque. Je ne suis pas nostalgique de cette période, même si je fantasme dessus. Quel est le point de départ d’Histoire de J. ? L’envie de vous raconter à travers un personnage fictif, de faire un clin d’œil à Histoire de Melody Nelson ? Le titre vient d’Histoire d’O. Mon album est tellement intime, lié à une histoire d’amour et à des sentiments si personnels, que j’ai voulu mettre un peu de distance en utilisant l’initial J. Le disque débute par J’ai faim. Vous avez toujours autant d’appétit, une quinzaine d’années après vos débuts ? Oui, mais il faut savoir laisser des périodes de creux dans une carrière, afin d’entretenir le désir, comme dans un couple. Si votre album était associé à un élément, il s’agirait… Du feu : il est beaucoup question d’amour et je dis, en ouverture, que je brûle de tout connaître…


CLASSIQUE

montagnes russes Avec des pages majeures signées Tchaïkovski et Chostakovitch, l’OPS invite ses spectateurs à une épopée russe en compagnie d’un chef expérimenté, Vassily Sinaisky, et d’un futur très grand pianiste, Denis Kozhukhin.

Par Hervé Lévy Photo d’Ulla Alderin

À Strasbourg, au Palais de la Musique et des Congrès, jeudi 12 et vendredi 13 février 03 69 06 37 06 www.philharmonique. strasbourg.eu

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ne baguette âpre, imprégnée jusqu’à son tréfonds par l’âme russe : précise, ductile et affutée tout à la fois et souvent happée par une exaltante et féconde démesure. Voilà comment se présente Vassily Sinaisky qui occupa les plus importantes fonctions musicales dans son pays, puisqu’il fut notamment directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Moscou (1991-1996) et du Bolchoï (2010-2013). Il a choisi de débuter cette soirée à la tête de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg avec le diabolique Concerto pour piano et orchestre n°1 de Tchaïkovski, partition pleine de sève et de lyrisme mêlés confiée à Denis Kozhukhin. À moins de trente ans, le natif de Nijni-Novgorod est l’homme de la situation, puisqu’il est considéré comme un des plus habiles virtuoses du clavier de la planète depuis qu’il a remporté le Premier Prix du prestigieux Concours Reine Elisabeth (2010), Éverest des instrumentistes en devenir. Autre monument du répertoire programmé, la Symphonie n°4 de Chostakovitch connut un étrange destin puisqu’elle fut achevée en 1936 mais créée vingt-cinq ans plus tard seulement à la faveur du dégel khrouchtché-

vien. La raison ? En 1934, le compositeur écrit Lady Macbeth du district de Mzensk, opéra qui narre les aspirations à l’amour d’une femme dans une société féodale, sous domination masculine. Cette “Bovary russe” est un triomphe, jusqu’au moment où Staline assiste en personne à une représentation. Nous sommes le 17 janvier 1936 et le spectacle ne plait guère au Petit père des peuples : l’érotisme qui irrigue la partition effraie sans doute le prude Géorgien. Le 28 janvier paraît dans la Pravda un article (non signé, c’est-à-dire qu’il reflète l’opinion du Parti) intitulé Le Chaos remplace la musique où l’on peut lire : « L’auditeur de cet opéra se trouve d’emblée étourdi par un flot de sons intentionnellement discordants et confus […]. Sur scène, le chant est supplanté par les cris. […] La faculté qu’a la bonne musique de captiver les masses est sacrifiée sur l’autel des vains labeurs du formalisme petit-bourgeois, où l’on fait l’original en pensant créer l’originalité, où l’on joue à l’hermétisme, un jeu qui peut très mal finir ». Au vu du style de cette colossale quatrième symphonie, âpre et éloignée des canons du réalisme socialiste, Chostakovitch, prudent et menacé, préféra ne pas jouer avec les nerfs des censeurs. Poly 174 Février 15

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ors baroques À Karlsruhe, Georg Friedrich Haendel (1685-1759) est à l’honneur d’un festival dont c’est la 38e édition. Au sein d’un dense programme se détachent deux opéras, Riccardo Primo, re d’Inghilterra et Teseo, ainsi qu’un exceptionnel récital de Vesselina Kasarova.

Par Hervé Lévy Photo de Falk von Traubenberg

À Karlsruhe, au Badisches Staatstheater, du 15 février au 6 mars +49 (0)721 355 70 www.staatstheater.karlsruhe.de www.haendel-karlsruhe.de

Ville natale du compositeur. Le festival se déroulera du 30 mai au 14 juin www.haendelfestspiele-halle.de

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2 Du 14 au 25 mai www.haendel-festspiele.de

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epuis près de quarante années, en collaboration avec sa Société Haendel, Karlsruhe est devenu une des capitales européennes du baroque avec un festival de premier plan dédié à un compositeur qui n’avait pourtant jamais mis les pieds dans la cité allemande ! Manifestation majeure à côté de celles de Halle1 et de Göttingen2, ces Händel Festspiele permettent de (re)découvrir de rares opéras comme Teseo (les 20, 22, 25 et 27 février ainsi que dimanche 1er mars). Fable mythologique épique et envoutante de 1713, elle entraîne l’auditeur dans le tourbillon des amours de celui qui terrassa le Minotaure. Entre magie – avec le personnage à l’aura maléfique de Médée qui possède une belle intensité – et virtuosité vocale, l’enchantement est permanent. Autre atmosphère dans Riccardo primo, re d’Inghilterra (les 24, 26 et 28 février), puisque nous voilà transportés au temps de la troisième Croisade, alors que Richard Cœur de Lion conquiert Chypre. Le livret de cet opéra de 1727, constellé de nombreuses

lourdeurs dommageables, pêche de plus par une certaine naïveté… Sans doute Haendel souhaitait-il se faire bien voir en Angleterre dont il venait tout juste d’obtenir la nationalité en s’attaquant à un tel sujet. Si l’on peine à s’intéresser aux circonvolutions d’une histoire se déroulant en 1191, la musique nous emporte avec bonheur dès le début de l’œuvre avec une foudroyante tempête. L’émerveillement se poursuit au fil d’une partition – servie par une distribution d’anthologie où figure l’exceptionnel contre-ténor Franco Fagioli dans le rôle-titre – où alternent pathos, tendresse et héroïsme avec des scènes guerrières particulièrement prenantes. Le metteur en scène Benjamin Lazar plonge le spectateur dans un climat hiératique où le pouvoir se manifeste dans des cascades de pourpre et d’or. Dernier temps fort de ces Händel Festspiele, le récital de la mezzo-soprano Vesselina Kasarova (lundi 2 mars), véritable spécialiste de ce répertoire : orgie pyrotechnique et virtuose annoncée pleine de bruits et de fureur, de sensualité et de douceur mêlées. Attention les secousses !


l’amour à mort En présentant Aleko et Francesca da Rimini de Rachmaninov, l’Opéra national de Lorraine propose une réflexion sur Éros et Thanatos et la redécouverte de deux chefs-d’œuvre du compositeur russe.

Par Hervé Lévy

À Nancy, à l’Opéra national de Lorraine, du 6 au 15 février. Conférence d’André Lischke jeudi 5 février à 18h30 (entrée libre) 03 83 85 33 11 www.opera-national-lorraine.fr

Outre les deux présentés à Nancy, il n’en acheva qu’un autre, le très atypique et presque jamais donné Chevalier avare

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2 À Nancy, il a déjà mis en scène Artaserse de Leonardo Vinci (2012). On a aussi pu découvrir sa production de Love and Other Demons de Peter Eötvös à l’Opéra national du Rhin (voir Poly n°135 ou sur www.poly.fr)

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i Rachmaninov a acquis ses lettres de noblesse dans l’histoire de la musique ce n’est surement pas grâce à ses opéras, lui qui n’en composa que trois1. Pages fulgurantes et négligées, elles méritent cependant qu’on se penche plus souvent sur elles : c’est ce que fait le metteur en scène roumain Silviu Purcărete2 dans une production initialement montée au Teatro Colón de Buenos Aires où il en rassemble deux. Aleko (1893) tout d’abord, est une œuvre de jeunesse, un exercice de style écrit en 17 jours seulement pour un examen de Conservatoire. Pétrie d’influences multiples (Glinka, Tchaïkovski ou Borodine en tête), cette musique est néanmoins déjà pleine de l’invention et de la fluidité dont fera preuve le compositeur tout au long de sa carrière. L’histoire ? Elle se déroule dans un campement tsigane, ici restitué avec une pointe de surréalisme dans un cadre – où trônent des caravanes très sixties et une Diane antédiluvienne – qui ressemble à un cirque avec chapiteau, clowns blancs et ours. Aleko, trompé par sa jeune épouse Zemfira, tue sa femme et son amant alors qu’ils se moquent de lui. Il sera banni…

De mort, d’amour et de trahison, il est aussi question dans Francesca da Rimini (1906) inspiré de Dante : dans le premier cercle de l’Enfer, se trouvent les malheureux amants que sont Paolo et Francesca. Flashback à Rimini, où le vieux et laid Lanceotto s’apprête à partir à la guerre laissant sa jeune et jolie épouse à la garde de son frère cadet qu’elle aurait dû épouser. Arrive ce qui devait arriver : les deux tourtereaux succombent à leur passion réciproque et sont tués par le mari jaloux qui fait un retour inopiné, les plongeant dans les souffrances éternelles des âmes damnées. Opéra symphonique où éclate la maestria de l’écriture orchestrale de Rachmaninov, cette œuvre se déploie dans un décor épuré où deux univers plastiques – correspondant aux deux temporalités distinctes – se répondent sans cesse : la tristesse lugubre d’enfers ténébreux et l’incarnation lumineuse et charnelle des amours terrestres.

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l’art de la guerre Le MAMCS nous convie à une Parade sauvage à travers le travail surréaliste et le destin de Perahim. L’œuvre de l’artiste roumain, hésitant entre politique et poétique, est « une éclatante revanche sur la grisaille du quotidien ».

Par Emmanuel Dosda

À Strasbourg, au MAMCS, jusqu’au 8 mars 03 88 23 31 31 www.musees.strasbourg

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our le centenaire de sa naissance, le Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg rend hommage à Jules Blumenfeld, alias Perahim (“fleur” en Hébreux), touche-à-tout talentueux mais méconnu, dont d’étranges tableaux furent montrés lors de la vaste exposition L’Europe des Esprits, fin 2011. Estelle Pietrzyk, directrice du musée, découvre alors un plasticien d’avant-garde, auteur d’une œuvre énigmatique et foisonnante, disséminée dans de nombreuses collections particulières. Esthétiquement proche de Dalí ou de Brauner, son ami, on le qualifiera volontiers de surréaliste. Il s’agit d’un artiste à la production picturale et graphique très libre qu’on ne peut abstraire du contexte historique tourmenté dans lequel il évolua.

Jeune morveux

« Sa date de naissance en dit long », note la commissaire de l’exposition à propos d’un homme arrivé au monde à Bucarest en 1914 44

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(et mort à Paris en 2008) dans une famille de « virtuoses » où l’on pratique le théâtre ou la littérature. Jules, surnommé le Puiu (le plus petit, le “poussin”), manie le crayon avec maestria, comme le prouvent ses travaux de jeunesse, « des vestiges, des miraculés ». Dès les années 1930, il participe à différentes revues mêlant textes poétiques et dessins satiriques (et inversement), dont le dadaïste Unu, Alge ou encore Muci (“Morve”). Les jeunes “morveux” s’en prennent au conservatisme ambiant… jusqu’à se retrouver derrière les barreaux pour atteinte aux bonnes mœurs. « Le Ministre de la Culture et des Cultes auquel Perahim, qui a 16 ans, et ses amis ont envoyé la revue n’a pas du tout goûté la plaisanterie ! » Dans une Roumanie voyant l’émergence de groupuscules, où « tout peut prendre feu à chaque instant », il s’attaque à l’autorité et à la religion, comme le montre Profil d’une morale, toile de 1934 où un pope, un rabbin, un pasteur et un curé sont représentés comme des cibles de fête foraine. À la même époque, il réalise des huiles sur


toile dans la veine du surréalisme telle que La Mitrailleuse (1932) avec des éléments que l’on retrouvera tout au long de sa carrière : l’ombre portée inquiétante, la main coupée, le personnage masqué ou les références à l’antiquité. Ses autres travaux sont habités par des corps se dissolvant, des paysages organiques, des êtres caricaturaux, des objets flottants, des figures mythologiques, des créatures hybrides et cadavres exquis qui l’accompagneront toute sa vie.

De l’Axe aux Alliés

Malgré la prison, Perahim persiste à s’en prendre « à la pensée bourgeoise » dans un environnement politique de plus en plus hostile qui conduira à la dictature d’Antonescu au début des années 1940. Retournement de situation en 1944, à la chute du régime et de la Garde de Fer : le pays quitte l’Axe pour rejoindre les Alliés. Perahim est pris en étau entre le fascisme auquel il tente d’échapper et le régime communiste qui l’enrôle de force pour « porter la bonne parole » sur des tracts de propagande. « Emporté dans un tourbillon historique d’une violence ahurissante », il délaissera la peinture : « Le nazisme, la guerre et leur cortège de désastres m’empêchent de rêver », déclara-t-il. Il se concentre sur l’illustration ou la scénographie, loin du réalisme socialiste de rigueur. Il faudra attendre 1964 pour que Perahim repeigne, notamment à partir de taches ou de dégoulinures, laissant agir le hasard.

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Renaissance

En 1969, il quitte la Roumanie de Ceauseșcu afin de s’installer en France. Perahim replonge à nouveau, avec jubilation, « dans l’espace vide de la toile blanche », selon son expression. Il semble spectateur de « miracles » qui « surgissent » d’eux-mêmes. Ses toiles sont organisées, composées et “dessinées”, mais le peintre laisse volontiers les choses lui échapper, réalisant des œuvres comme L’Ange du foyer (1988) : d’une maison en brique au traitement quasi hyperréaliste, s’élèvent des ectoplasmes colorés aux contours flous. Anges protecteurs ou fantômes menaçants ? « Avec la poésie pour moteur », selon Estelle Pietrzyk, l’artiste ne cesse de se référer à l’Histoire de l’Art (Bosch, Böcklin…) et se nourrir de textes de son temps (Lévi-Strauss, Artaud, Breton…). Il réalise des tableaux, où, pour reprendre ses mots, « les formes et les teintes s’enchaînent les unes aux autres, exaltées par l’attraction passionnante des contraires : rigide-molle, droitecourbe, légère-lourde, chaude-froide. » Dans un délicat équilibre, le réel se laisse envahir par l’irrationnel.

Légendes 1. Dans les années 1970, Perahim séjourne en Afrique et produit des toiles colorées comme La Guerre africaine (1976), parade de personnages grotesques et déterminés © Mathieu Bertola, Musées de la Ville de Strasbourg 2. L’Ange du foyer, 1988. Huile sur toile. Collection particulière. Photo Radu Bentze © ADAGP, Paris 2014 3. Perahim entouré de ses céramiques et quelques gravures dans son atelier à Bucarest, 1958. Collection particulière. © F. Dragu

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exposition

all you need is love Sous l’intitulé Tourments, le Musée de l’Image d’Épinal propose deux expositions en connivence. La première est dédiée aux histoires d’amour mythiques, tandis que la seconde présente les vidéos de Cristina Lucas.

Par Raphaël Zimmermann Photo de Christina Lucas, Habla, 2008. Collection Frac Lorraine

À Épinal, au Musée de l’Image, jusqu’au 15 mars 03 29 81 48 30 www.museedelimage.fr

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es amours malheureuses suscitent plus d’intérêt que les amours heureuses » : c’est ce constat qui a poussé la commissaire Martine Sadion à composer Histoires d’amours, fascinant melting pot marqué par une extrême porosité entre les arts où se découvrent des images d’Épinal – cela va sans dire – comme celles narrant les pérégrinations d’Orphée aux Enfers où la tragédie de Roméo et Juliette, mais également de délicates gravures du XVIIIe siècle retraçant les malheurs de Pyrame et Thisbé ou les aventures de Paul et Virginie. L’intelligence du propos est de faire entrer en résonance ces épopées où l’intime se mêle à l’universel en explorant la vaste palette des arts – avec une large place laissée à l’opéra baroque, puisque vidéos et musiques baignent les salles – et en arpentant les époques. Le visiteur découvre aussi bien des pièces signées Daum que des tableaux de Gustave Moreau ou de Seghers (avec une charmante Madeleine repentante). La création contemporaine n’est pas oubliée

avec, par exemple, le Miroir de Patrick Neu, étonnante réflexion sur Narcisse dont bien d’autres avatars peuplent l’exposition. Face à ces Histoires d’amours multifocales, la seconde partie de Tourments est monographique et dédiée à la vidéaste Cristina Lucas (née en 1973). Dans une de ses œuvres, elle nous invite à redevenir sauvage et à nous tourner vers la nature : comment ne pas y voir un lien avec Geneviève de Brabant qui, injustement accusée d’adultère va survivre sept ans dans la forêt avec son enfant ? Très présente dans l’autre section de l’exposition, on la découvre déclinée de multiples façons en images et gravures, mais aussi sous la forme d’extraordinaires marionnettes de bois datant du XIXe siècle qui servaient à la représentation du drame, montée par des “artistes colporteurs” allant de village en village. Ces correspondances subtiles forment la trame d’un événement original invitant autant à la réflexion qu’à la contemplation.


today sucks par ronan guillou Un regard Par Emmanuel Dosda

À Strasbourg, à La Chambre, du 13 février au 5 avril 03 88 36 65 38 www.la-chambre.org www.ronanguillou.com

Cette image de gisant vient directement frapper à la porte de notre inconscient : elle renvoie à bien des films mettant en scène des (anti) héros se fracassant sur le mirage du rêve américain. Nous ne sommes pas dans Easy Rider, mais face à un cliché de Ronan Guillou, Français ayant largement parcouru les États-Unis, vaste territoire éminemment photogénique, en évitant le piège de l’idéalisation. Il zoome et s’approche au plus près de sa réalité, quitte à égratigner le mythe. Issue de Truth or Consequences – du nom de la petite

cité ayant troqué son nom (Hot Springs) pour celui d’une émission radio qui y eut lieu ! –, cette photo dit la vérité, rien que la vérité, de la ville. Sale journée pour cet homme à terre qui s’apprête à se réveiller au beau milieu d’un parking vide, à l’image du désert qui encercle Truth or Consequences. Un fêtard qui a eu son compte ? Un laissé-pour-compte ayant choisi de vivre sa misère sous le soleil du Nouveau Mexique ? Un bagarreur mis K.O. ? Nous ne sommes pas dans un road movie, mais de nombreux scénarios sont possibles. Poly 174 Février 15

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chroniques chromatiques La vaste exposition que dédie la Fondation Beyeler au britannique Peter Doig dévoile un univers pictural monumental. Embarquons dans les canoës peints par l’artiste et naviguons à travers des paysages expressionnistes aussi fascinants qu’hostiles.

Par Emmanuel Dosda

À Riehen, à la Fondation Beyeler, jusqu’au 22 mars +41 61 645 97 00 www.fondationbeyeler.ch

Légendes À gauche, 100 Years Ago (Carrera), 2001, Centre Pompidou, Paris © Peter Doig. All rights reserved 2014, ProLitteris, Zurich. Photo : Jochen Littkemann À droite, Concrete Cabin II, 1992, Courtesy Victoria and Warren Miro © Peter Doig. All rights reserved 2014, ProLitteris, Zurich. Photo : Jochen Littkemann

* Exposé en parallèle à la Fondation Beyeler, voir Poly n°173 ou sur www.poly.fr

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n torrent coloré jaillit des immenses toiles signées Peter Doig. Né à Édimbourg en 1959, l’artiste – vivant entre Trinidad, Londres et New York – dispose la matière par couches, épaisses ou diluées, composant des peintures aux multiples strates qui trompent l’œil avec leur aspect mouvant, parfois fuyant. Il s’agit pourtant d’arrêts sur image, de fractions de réel. Ses tableaux, partant d’un film, d’une photo, d’une carte postale ou d’une coupure de presse, passés par le prisme de la palette de Doig, sont empreints d’une atmosphère pesante, menaçante comme la nature qui envahit la toile. Concrete Cabin II, 
huile grand format de 1992, représente la Cité Radieuse de Briey-en-Forêt, en Meurtheet-Moselle. Cette unité d’habitation rehaussée de couleurs vives chères au Corbusier, bâtie à la fin des années 1950, a échappé de peu à la destruction quelque temps après son édification, au moment où la crise du secteur sidérurgique sinistra la région minière… La bâtisse, icône du modernisme, passe ici au second plan d’une forêt sombre qui semble reprendre ses droits. Peter Doig a par ailleurs représenté le célèbre architecte (Untitled (Jungle Painting), 2007), en le réduisant à une fantomatique silhouette en slip de bain, fendant une végétation exotique et luxuriante. On pense à Rousseau ou à Gauguin que Doig

vénère. Au cours de l’exposition, le visiteur songera également à Daumier, Matisse ou Courbet*, autres modèles du peintre qui se réfère sans cesse à l’Histoire de l’Art. Citons sa série onirique de canoës, écho contemporain à la célèbre Île des Morts du symboliste Arnold Böcklin dont il proposa plusieurs versions à la fin du XIXe siècle. Ses allées et venues entre références historiques et faits récents (l’île peinte par Doig reprend les contours d’un pénitencier au large de Trinidad), participent à l’intemporalité des œuvres d’un plasticien refusant de documenter le temps présent. Il crée des « climats » irréels, entre figuration et abstraction grâce aux jeux de matière devenant fluide, aux reflets dans l’eau ou aux taches lumineuses sur les arbres… À la manière des peintres romantiques, il représente des figures humaines esseulées, mélancoliques, mises en danger par une nature dévorante, telle qu’on pourrait la voir en rêve ou sous l’effet de drogues, parfois flippante comme dans un film d’épouvante (Echo Lake est un clin d’œil à Vendredi 13). Au sous-sol de l’institution, Doig nous convie à une flânerie dans une forêt d’estampes, pendues dans la salle : on s’y perd, comme les personnages se fondant dans les jungles inquiétantes du peintre.


Olin MK IV, 1995 © Peter Doig. All Rights Reserved / 2014, ProLitteris, Zurich. Photo : Jochen Littkemann


le royaume des femmes Première femme distinguée par le prix Niépce en 1979, Françoise Saur est à l’honneur à La Filature de Mulhouse dans une exposition en forme de rétrospective : 40 ans de photographies et de voyages, l’Algérie en tête.

Par Thomas Flagel

Françoise Saur : Voyages en Algérie, 1970-1975, 1999-2010, À Mulhouse, à la Galerie de La Filature jusqu’au 1er mars 03 89 36 28 28 www.lafilature.org

Femmes du Gourara, paru chez Médiapop Édition – Hors Collection (38 €) – www.francoise-saur.com

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ans un grain de sable voir un monde / Et dans chaque fleur des champs le Paradis / Faire tenir l’infini dans la paume de la main / Et l’Éternité dans une heure… » Les vers de William Blake balayent nos pensées à la découverte des images immortalisées sur pellicule par Françoise Saur. Fille de la photographie humaniste dans laquelle elle s’est découverte une vocation, celle qui vit dans une vieille bâtisse retapée sur une place de Wintzenheim a toujours eu la bougeotte, l’envie d’aller voir ailleurs, avide de rencontres et de chemins de traverse en Chine, en Inde, mais surtout en Algérie. Née à Alger avant la guerre d’indépendance, elle ne quitte le pays avec ses parents qu’en 1961, leurs affaires prenant place dans le container d’un des derniers bateaux levant l’ancre. Moins dramatique que beaucoup ayant tout perdu. D’autant que sa famille, pro-indépendance, considère le conflit comme juste. Direction Colmar, son froid sec et le Rhin qui gèle. L’Alsace de son père est bien loin des combats qui l’ont vue grandir. L’envie de retourner sur ses pas la

tenaille déjà au corps. Une petite dizaine d’années plus tard, à tout juste 20 ans, elle profite du départ de ses premiers amis coopérants pour les accompagner. Un voyage très seventies, « en bus et autostop sans se poser de questions, dans l’Est, les Aurès, la frontière tunisienne et le Sud jusqu’à Tamanrasset. »

Tisser des liens

« Quoi qu’ils en disent et même si les Algériens sautent au plafond lorsqu’ils entendent cela, il est difficile de prendre des photos là-bas. Ce n’est pas un pays d’image. Dans mes premiers voyages, j’ai fait très peu de photos car mon Leica, s’il est un instrument de lien – raison pour laquelle j’ai voulu faire ce métier – était aussi un obstacle. Il l’est en partie resté puisque même en 2010, ce n’était pas toujours évident de le sortir. Mais en cette période post-indépendance, le pays conservait encore un élan de liberté magnifique et d’ouverture nés de cet espoir. » Trois voyages entre 1970 et 1975, puis d’autres (1999, 2001, 2004, 2006 et finalement 2010) lui ont permis de saisir la ruralité algérienne


photographie

et ses mutations. La fin d’un monde, celui des ksours (villages fortifiés traditionnels) dans lesquels règnent aujourd’hui encore la loi tribale, érigés en bordure des plateaux, au milieu des dunes de sables. Le regard est sensible. Le temps d’être apprivoisée et acceptée dans l’intimité érigé en nécessité. Le refus de voler une photo un principe absolu. Quitte à se mordre les doigts d’avoir si peu de « ces moments fabuleux dans des châteaux en ruine où je n’ai pu faire de photos : cérémonies, danses jusqu’à la transe d’une intensité et d’une beauté inimaginables… » Françoise Saur proscrit le grain pourtant si cher aux amateurs de noir et blanc. Elle préfère la finesse. Ne jure que par le modelé du moyen format. Et surtout, maintient une distance avec son sujet. Toujours. Le gros plan est absent, « totalement inintéressant » car rien ne vaut « l’individu dans son milieu ».

Un monde caché

Avec un art rare de la composition, les clichés que l’on peut admirer à La Filature mais aussi dans le dernier livre de la photographe, témoignent, quasi ethnologiquement, des évolutions des conditions de vie des quarante dernières années. Régression de la place de la femme et de sa liberté, modernisation à outrance entraînant un certain abandon des modes de vie et pratiques ancestrales au profit « d’une vie artificielle où les télévisions avec leurs nuées de paraboles et climatisations aux besoins monstrueux en énergie règnent, malheureusement, en maîtres… » Le tout au milieu de décors somptueux croulant sous la touffeur. Les pleines salées se jetant dans l’horizon, les oasis et palmeraies irriguées par les séguias (canalisations à ciel ouvert) comme autant de paradis pour leurs habitants, anciens nomades arpentant les oueds et détestant qu’il pleuve. Les vents de sable pouvant engloutir un village en une seule nuit, les tombeaux saints repeints à la chaux et l’architecture vernaculaire restant de terre et de boue séchée. Se dévoilent aussi sur des tirages plus ou moins grands les outils rudimentaires, les champs minuscules symboles de pauvreté, la lutte incessante contre le sable, les superstitions des nœuds faits aux feuilles des palmiers, le petit commerce où s’échangent artisanat (tissage, poteries) et denrées premières mesurées avec des verres à thé (sésame, encens brûlé pour éloigner le mauvais œil,

parfum pour accueillir les gens). Chose rare, Françoise Saur nous convie au cœur du monde des femmes dans une civilisation qui s’éteint, mute. Dans leurs intérieurs avec très peu d’ouvertures. Sur les terrasses où sèche la semoule. Sous la lumière criarde des uniques puits de lumière. Les hommes sont adossés à l’ombre des mosquées qui fleurissent un peu partout ou sur la place principale, à palabrer depuis toujours. Aux femmes les champs, les enfants et tout le reste. Les deux univers se sont séparés. « L’islam maraboutique est en train de disparaître. Les chants de l’hallali lors des fêtes de marabout sont célèbres. Il y a 20 ans, hommes et femmes étaient ensemble pour les célébrations. Aujourd’hui ils sont séparés et cela ne révolte personne. » La photographe a ses propres icônes. Une adolescente sur un terrain de sport, jouant au hand. Une enfant riant aux éclats sous les assauts capricieux du vent. Cette ancienne, allongée au sol, le torse tordu, en appui sur les avant-bras dans une posture expliquant, pour Françoise Saur, la figure du Sphinx si chère aux Égyptiens. Et puis ces femmes du Gourara, arc-boutées vers le sol avec leur magnifique cambrure de dos – si rectiligne ! –, où qu’elles soient. Encore et toujours. Poly 174 Février 15

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BANDE DESSINÉE

clair obscur Un dessin épousant les canons de la ligne claire au service d’un propos décapant : créateur du très dark Jojo de Pojo, Joost Swarte investit le Cartoonmuseum de Bâle avec ses œuvres multiformes.

Par Hervé Lévy Dessin paru dans le New Yorker intitulé Sœur unique, en 2008

À Bâle, au Cartoonmuseum, jusqu’au 22 février +41 (0)61 226 33 60 www.cartoonmuseum.ch www.joostswarte.com

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C

’est en 1977, à l’occasion d’une exposition sur Tintin à Rotterdam, que Joost Swarte forge l’expression “ligne claire”. Cela tombe bien puisque le dessinateur néerlandais est un adepte du style rendu célèbre par Hergé. Chez lui, la limpidité old school du trait est néanmoins mise au service d’un humour glacé, décalé et, bien souvent, très incorrect. Dans ses bandes dessinées, il revendique en effet les influences de « l’underground américain, mais aussi de Robert Crumb, Will Eisner ou encore Tomi Ungerer ». Souvent, ses recherches esthétiques s’approchent aussi du mouvement De Stijl, des futuristes ou du constructiviste russe Constantin Melnikov. Secouez le tout, vous obtenez des univers délirants qui se déploient dans les salles du Cartoonmuseum. Ils sont peuplés de créatures comme le sidérant et tonitruant Anton Makassar ou Jojo de Pojo, face absurde et obscure de Tintin qui, lui, ne serait pas surpris, au détour d’une case, à quatre pattes, en train de lécher le sexe d’une fille gironde. En fait, « c’est un “personnage concept” où se juxtaposent la culotte de golf du plus célèbre des reporters, un signe sur sa veste venu de Krazy Kat et une coupe de cheveux évoquant une note de musique ». Le contraste est total entre une narration extravagante aux accents surréa-

listes – développant une vision tout sauf optimiste du monde – et un dessin d’une grande netteté fait de contours nets et d’aplats de couleurs franches. L’exposition montre également les multiples autres cordes de l’art de Joost Swarte : illustrateur de talent (notamment pour le New Yorker), typographe, éditeur, créateur d’objets invraisemblables, scénographe (du Musée Hergé de Louvain-la-Neuve construit par Christian de Portzamparc), mais aussi… architecte ! Il a conçu le Toneelschuur, théâtre de Haarlem (où il réside) : « Le budget était insuffisant pour payer un architecte. L’administration de l’institution, avec qui je travaillais régulièrement, m’a ainsi demandé de dessiner le nouveau bâtiment. Quand je suis venu avec les premiers croquis, ils m’ont demandé d’aller plus loin. Au début, tout était très secret : en effet, si les politiques avaient su qu’un dessinateur de bande dessinée allait créer un nouveau théâtre, ce ne serait pas passé. » Le bâtiment est une belle réussite, comme le résumé du credo d’un créateur « qui a rendu le monde meilleur depuis qu’il l’a délicatement altéré » pour reprendre la belle expression de Chris Ware, autre partisan de la ligne claire, doublement primé à Angoulême, en 2003.


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1. Bio bricks, The New Yorker, 2009 2. Raus aus der Stadt, 2011 3. Paris in abstrahierter Form, 2011

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PHOTOGRAPHIE

tous les chemins mènent à rome Le photographe autrichien Alfred Seiland arpente les vestiges et les réminiscences de Rome confrontant de fascinante manière hier et aujourd’hui. Par Hervé Lévy Photos prises à Neapolis en 2008 (gauche) et à Antium en 2012 (droite)

À Luxembourg, au Musée National d’Histoire et d’Art, jusqu’au 22 mars +352 (0)47 93 30 1 www.mnha.public.lu

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L’

Empire romain dans tous ses états. Voilà qui pourrait constituer un résumé du vaste travail à la chambre mené depuis des années par Alfred Seiland présenté à Luxembourg sous le titre Imperium Romanum. Le photographe autrichien nous entraîne en effet des rives de la Mare nostrum au désert syrien, via l’Écosse, Petra ou… Las Vegas, où il shoote le Caesars Palace, pharaonique hommage kitschoïde à l’architecture antique. Le fil directeur du voyage réside dans une collision permanente entre l’ancien et le contemporain, comme dans cette vue des ruines de la villa de Néron, à Anzio : quelques murs de briques posés sur une plage où des estivants font bronzette, des parasols plantés dans le sable. La composition est rigoureuse, tandis que le traitement chromatique évoque les images de Massimo Vitali. Chacun est alors propulsé dans un espace-temps singulier où les vestiges de Rome, même les plus modestes, semblent avoir une étonnante prégnance. Le sentiment est identique dans une vue de Palmyre avec, en avant-plan, un groupe de voyageurs en go-

guette. À l’inverse des images de Martin Parr prenant pour thème le tourisme de masse, ce sont ici les orgueilleuses colonnes érigées à l’époque de la reine Zénobie qui s’imposent au regard et triomphent des visiteurs écrasés par cette élégante magnificence. Entre humour (notamment dans certaines vues des studios de Cinecittà) et inévitable romantisme des ruines, Alfred Seiland interroge le visiteur sur sa relation au patrimoine et à l’histoire, mettant en lumière la permanence de l’Antiquité romaine dans nos civilisations. Heureuse, drolatique ou nostalgique, la confrontation des temporalités se métamorphose parfois en instant de pure grâce comme dans cette photo prise au Musée archéologique national de Naples : une jeune fille est assise sur un banc de bois au centre d’une pièce de marbre blanc, entourée d’une dizaine de sculptures antiques qui semblent l’observer autant qu’elle les contemple. Lorsque la beauté de chair et de sang rencontre la perfection glacée du bronze…



exposition

face au mur À Rixheim, le Musée du Papier peint plonge dans ses collections pour explorer les intérieurs de la Belle Époque, quand l’Art nouveau entrait dans les foyers en étalant ses courbes végétales sur les murs des salons.

Par Dorothée Lachmann Photo de Fleurs © Musée du Papier peint, Rixheim

À Rixheim, au Musée du Papier peint, jusqu’au 15 mai 03 89 64 24 56 www.museepapierpeint.org

S’

il est un élément qui en dit aussi long sur l’Histoire de l’Art que sur celle des mentalités, qui en révèle autant sur la sociologie d’une époque que sur sa créativité et sa technique, c’est le papier peint. En se concentrant sur l’Art nouveau, l’exposition explore vingt années (1890-1910) qui ont marqué la démocratisation du “médium” dans les foyers, grâce à une production de masse. À la fois chronologique, géographique et thématique, ce voyage dans l’intimité des appartements de la Belle Epoque met en lumière un langage artistique où la nature est prégnante. « 95% des motifs de l’Art nouveau représentent des plantes, des fleurs, du végétal, de l’organique. On remarque l’influence du japonisme, de la photographie et bien sûr du mouvement Arts and Crafts, né en Angleterre avec William Morris », explique Isabelle Dubois-Brinkmann, conservatrice du musée de Rixheim et commissaire de l’exposition aux côtés de l’historien de l’Art Jérémie Cerman. Partout en Europe, des fleurs stylisées, des pétales mouvementés, des feuilles crénelées, de longues tiges habillent littéralement les murs. « Les recherches de Jérémie Cerman ont permis d’identifier certains dessinateurs, comme Voysey, dont les compositions symétriques sont proches des tissus médiévaux,

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ou encore Christopher Dresser, un Écossais mort à Mulhouse alors qu’il venait proposer ses dessins à la manufacture Zuber. » Des artistes très renommés en leur temps, qui travaillaient à la fois pour le papier peint et le textile. Car la mode en ce tournant de siècle était de coordonner les deux : murs, rideaux, fauteuils se confondaient en un même motif. Étonnante aussi pour notre œil du XXIe siècle, cette tripartition murale, avec une frise de plus en plus importante, proche parfois du tableau, surmontant un papier peint coordonné, lui-même conclu par une bordure basse. Si l’exposition chemine d’Angleterre en Allemagne, en passant par Paris et la province française, force est de constater qu’il existait bien « un style international, une uniformisation des goûts ». Les techniques se diversifient néanmoins et le traditionnel gaufrage, donnant une impression texturée, côtoie l’irisé ou encore le papier « censé être lavable » – n’oublions pas que nous sommes en pleine période hygiéniste. Mais déjà apparaissent les prémices géométriques de l’Art déco, qui succédera à ce mouvement surnommé “style nouille” par ses détracteurs, à cause de ses arabesques. Le périple s’achève avec un clin d’œil aux années 1970, dont les papiers peints pop ont réhabilité les motifs d’une époque définitivement belle.


exposition

transatlantique CharlElie Couture revient aux sources nancéennes, exposant dans sa ville natale, pour la première fois depuis son départ, il y a onze ans, pour NYC, où il a trouvé un nouvel élan créatif et la liberté de s’épanouir comme plasticien. À la découverte d’un artiste “ multiste ”.

Par Catherine Merckling Tableau Let it be, 5th Avenue, 2012

À Nancy, à la Galerie Poirel, jusqu’au 1er mars 03 83 32 31 25 www.poirel.nancy.fr www.charlelie-officiel.com

E

n considérant le parcours de CharlElie Couture, se découvre un personnage à la fois polymorphe et constant. Enfant, il est initié au piano par sa grand-mère, et éprouve un coup de foudre pour les arts plastiques dans une exposition dadaïste. Plus tard, aux Beaux-Arts de Nancy, il commence à exposer tandis que ses concerts financent ses études. C’est dans la musique que la notoriété arrive d’abord, et l’artiste se laisse porter sans abandonner pour autant ses autres activités. Mais un jour, il est écarté d’un grand projet d’art contemporain à cause de son nom : c’est le déclencheur de l’aventure américaine. À quarante-huit ans, il se jette dans le grand bain de New York et… de l’anonymat. L’artiste exprime sa fascination pour les paysages urbains avec des images fortes. Impossible de ne pas ressentir l’énergie de la mégalopole : taxis jaunes qui fusent, bitume animé de lignes et de signes, perspectives qui vous happent comme le souffle du métro. On pense à Basquiat, sur fond de trame photographique plus ou moins réinterprétée. Il cite également, parmi ses influences, Edward Hopper, David Hockney et Robert Rauschenberg, fondateurs

d’une imagerie mythique de l’Amérique du XXe siècle bien présente dans ses œuvres. Elles se déclinent également sous forme de sculptures associant bois noirci et pièces de récupération dans des totems érigés comme des buildings d’une autre ère. Il reconnaît que son exil l’a poussé à une plus grande introspection et à se recentrer sur l’essentiel. Et le succès est au rendez-vous ! « Les Américains sont en général plus spontanés et enthousiastes. Ils prodiguent des encouragements qui donnent envie de prendre plus de risques. Nous sommes toujours au bord du précipice, le mauvais goût n’est qu’à une pincée de sel du bon. » CharlElie a beaucoup exposé, a été sollicité par des grandes marques pour dessiner montres ou chaussures, et a finalement ouvert son propre espace d’exposition en plein Manhattan, acquérant la double nationalité. Il sait apprécier les bons comme les mauvais côtés des deux pays : « En France, le manque de confiance freine l’esprit d’entreprise, et les artistes sont pris dans la contradiction entre la liberté individuelle et les aides publiques ». CharlElie, en tout cas, a tracé sa voie en-dehors de tout schéma…

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EXPOSITION

la chair du réel Un des peintres allemands les plus secrets de sa génération, Jan Peter Tripp, expose ses œuvres au réalisme rigoureux et précis à Stuttgart, puis à Paris. Rencontre avec l’artiste dans son atelier alsacien de Mittelbergheim.

Matines

Par Hervé Lévy Portrait de Benoît Linder pour Poly

À Stuttgart, à la Galerie Valentien, jusqu’au 31 janvier +49 (0)711 246 242 www.galerie-valentien.de À Paris, à l’Espace Beaurepaire, du 31 mars au 12 avril 01 42 45 59 64 www.espacebeaurepaire.com www.janpetertripp.com

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La Fin du temps

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es contraires s’attirent. Se complètent irrésistiblement. Voilà sans doute la leçon à tirer de l’exposition réunissant les deux complices que sont devenus AnneSophie Tschiegg1 et Jan Peter Tripp (né en 1945). Exquises et envoûtantes plantes vénéneuses, les efflorescences sourdes de la première répondent à merveille au réalisme hiératique du second. En quelques secondes, le visiteur est ainsi brinquebalé entre deux extrémités du spectre pictural, découvrant un des artistes les plus discrets de la scène internationale, sorte de Sam Szafran à l’allemande. Ultra exigeant, Jan Peter Tripp est en effet de ceux qui fuient les spotlights de l’art contemporain – un anti Koons, si l’on veut –

mais dont les toiles sont présentes dans des collections illustres.

Surface / profondeur

« Mon dos est large : je ne me vois pas comme un hyperréaliste, mais ne me défends plus lorsqu’on me met dans ce tiroir-là. C’est tellement plus facile de coller des étiquettes », explique JPT, dans un sourire qui se noie au cœur d’une volute de fumée. Il souhaite simplement « garder le fil rouge du réalisme, celui de Goya, de Courbet » et se voit comme « un descendant de la Neue Sachlichkeit2 » qui prônait, pour résumer, une représentation du réel sans fard. Pour lui, les tableaux de Malcolm Morley ou de Richard Estes sont


« parfaits, mais plats. La profondeur leur manque. C’est une question de technique également. Je travaille à l’ancienne, en superposant les couches de peinture sur la toile. » Héritier assumé des maîtres anciens, le peintre revendique la lenteur. Ses yeux s’illuminent lorsqu’il décrit le tableau qui vient au monde, strate après strate, et non centimètre carré après centimètre carré avec une seule couche comme chez les hyperréalistes. Avec Jan Peter Tripp, dont les œuvres évoquent parfois curieusement certaines compositions de Balthus, nous sommes invités à explorer les plan successifs du tableau : plus qu’une hyperréalité c’est ainsi d’une métaréalité aux accents souvent inquiétants dont il s’agit. Dans ses portraits, il réussit ainsi à extraire le suc de ses modèles : violent dans ceux qu’il fit des malades mentaux dans les années 1970, cet art de la vérité s’est fait plus subtil au fil des années avec certains tableaux représentant des capitaines d’industrie, comme les membres de la famille Porsche.

Peinture / texte

Dans l’exposition, on découvre aussi ses Kunstdamen, figures féminines de l’Histoire de l’Art, peintes recadrées et au format carte postale : la délicate et laiteuse icône des Musées de Berlin signée van der Weyden ou la sœur de Fernand Khnopff, inquiétante et corsetée star des Musées royaux des BeauxArts de Belgique, mais également une très académique dame du très oublié Philipp von Habermann… Elles sont toutes là, comme des citations. Exactes et pourtant si différentes. En peignant “d’après”, JPT s’approprie avec élégance le passé, neutralisant sa charge historique pour créer des œuvres à la puissante intensité qui, juxtaposées, « forment une belle mélodie ». Autre pôle important de la création du peintre, de singulières natures mortes, sortes de vanités contemporaines qui rappellent parfois de surprenante manière celles de son compatriote Konrad Klapheck – il est vrai qu’au début de sa carrière, la tentation surréaliste fut aigue. C’est son ami d’enfance W.G. Sebald, un des plus grands écrivains allemands, qui les décrivit le mieux3 : leur enjeu est « l’existence autonome des choses, avec lesquelles les bêtes de travail animées par une rage aveugle que nous sommes entretiennent une relation de dépendance et de subordina-

tion. Comme les choses (en principe) nous survivent, elles en savent davantage sur nous que nous n’en savons sur elles ; elles portent en elles les expériences qu’elles ont faites avec nous et sont – positivement – le livre de notre histoire ouvert sous nos yeux. » Peintre éminemment littéraire, Jan Peter Tripp a souvent cheminé, métaphoriquement ou réellement, aux côtés d’hommes de lettres comme le monstre sacré qu’est désormais Hans Magnus Enzensberg, Franz Kafka4 ou Sebald dont il a illustré l’ultime texte. Une volée de poèmes fulgurants tendance haïku y voisine avec des paires d’yeux. Étranges regards. Réalistes, ironiques, perçants, angoissants, apaisés. Avec son intransigeance attachante, l’artiste, fasciné par les actionnistes viennois – même s’il est à l’opposé plastique d’un Hermann Nitsch – et Thomas Bernhard au cours de ses études, est sans doute bien plus abrasif que certains rebelles autoproclamés.

“Nul n’a encore dit” vient de paraître aux éditions Fario (27 €) www.editionsfario.fr

Voir Poly n°137 et 149. Portrait de l’artiste à venir dans un prochain numéro à l’occasion de l’exposition parisienne du duo

1

2

Nouvelle objectivité

Dans Séjours à la campagne (Actes Sud, 2005) – www.actes-sud.fr

3

4 Il vient d’illustrer son premier texte Betrachtung (1912). À paraître en mai chez le très chic The Bear Press www.thebearpress.de

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gastronoscope CINÉMA

du swing dans les vignes Un cadre boisé où le vin est bon et le jazz (ainsi que ses « petits cousins ») mis à l’honneur. Dégustation de notes cuivrées et de doux crus au Wine Note, à Strasbourg, en compagnie de Vincent et Thierry.

© Alexandre Schauer

Par Emmanuel Dosda

Wine Note 45 rue Finkwiller à Strasbourg 09 53 72 68 40 www.winenotestras.fr

Au départ, vous êtes des fans de musique ou des passionnés d’œnologie ? Nous venons de l’informatique ! Même si Thierry est musicien, c’est le vin qui nous a rapprochés. Depuis deux ans, nous faisons les salons à la recherche de cépages, en remplissant des fiches : il fallait être prêts pour l’ouverture du bar. Pourquoi avoir choisi de lier jazz et vin ? C’est un mariage de raison et de passion : le jazz est parfait pour déguster en douceur. Il y avait une véritable attente car nous sommes très sollicités par des musiciens désirant jouer. Il n’y a pas de scène pour les groupes ? Non, nous misons sur le côté modulable du bar et nous adaptons aux formations, très heureuses quant à la qualité de l’acoustique. Hier soir, une ex de France Musique nous a complimenté à ce sujet. Et vous avez une cave ? Oui, c’était un critère indispensable pour nous. Nous avons complété son aménagement afin d’en faire un magnifique lieu de stockage. Notre carte ? Elle est très variée, proposant une trentaine de références au

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verre. Nous aimons dialoguer et guider notre clientèle en fonction de ses goûts et ses envies, qu’il s’agisse de vins moelleux, tanniques ou structurés. Toutes les six semaines, nous élaborons une nouvelle carte que nous orientons en fonction des requêtes. Notre plaisir est de faire migrer les gens vers de nouvelles expérimentations, de les surprendre. Vous faites régulièrement des soirées dégustation, mais aussi découvertes musicales, notamment autour du jazz manouche… L’idée est d’animer le lieu de manière hebdomadaire. Nous allons programmer des soirées dédiées au jazz ou ses cousins : blues, funk, soul ou world. Nous ne nous interdirons pas de faire des propositions plus pointues, en faisant intervenir des artistes mêlant lecture de textes et DJing par exemple. Quel est l’accord parfait ? Un Cabernet sur fond de Miles Davis ? Un Merlot dégusté en écoutant John Coltrane ? Nous sommes en contact avec un batteur qui a déjà proposé ce type de concept, mais c’est beaucoup de travail de recherche pour savoir quel morceau se marie avec quel cépage. Pour l’instant, nous n’avons pas encore trouvé les associations idéales…


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PROMENADE

rêves de pierre Un chapelet de châteaux en ruines se déployant autour du Mur païen : telle est la structure d’une promenade hivernale et minérale sur le Mont Sainte-Odile, dans le halo mystérieux d’un brouillard glacé.

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Par Hervé Lévy Photos de Stéphane Louis pour Poly

L

e jour peine à poindre et le parking désert se noie dans une brume spectrale. L’hiver est décidément une saison idéale pour découvrir le Mont Sainte-Odile qui offre des dizaines d’opportunités au randonneur1. En ce dimanche de décembre, tous les humains semblent avoir été happés par le Moloch consumériste des sacro-saintes fêtes de fin d’année : personne pour randonner. Les vététistes sont également en vacances. Chouette ! Quelques ombres furtives se glissent vers la chapelle, pèlerins rapidement engloutis par le brouillard. Leurs pas résonnent longtemps sur le grès, tandis que les nôtres, encore gourds de froid, nous mènent en direction du Mur païen.

Mur mystérieux

Pour une première promenade au Mont voir Poly n°149

1

Archéologue (1866-1947) notamment auteur de la passionnante Alsace romaine (Librairie Ernest Leroux, 1935) 2

Sorte de guérite en saillie sur la muraille, construite sur mâchicoulis

3

4 Animal imaginaire pourvu de pattes plus courtes d’un côté du corps parce qu’il vit sur des pentes !

La forêt est silencieuse. Magnifique, elle est une des plus belles du massif vosgien avec ses pins élancés et élégants, ses houx aux feuilles hérissées ou encore ses fougères tirant vers le bistre. Les arbres hautains s’alignent comme à la parade dans une composition à l’absolue harmonie évoquant les troupes nord-coréennes impeccablement rangées, place Kim Il-sung. « C’est aussi beau qu’un fond d’écran Apple », assène le poète de la bande en arrivant au Rocher Robert Forrer ainsi appelé pour rendre hommage à l’archéologue2 qui découvrit ce bloc en 1898. Avec ses rainures, il semble faire partie d’une carrière préhistorique ayant servi à la construction de l’enceinte de pierre longue de onze kilomètres et faite de quelque 300 000 blocs de pierre taillés tenant ensemble – sans ciment, ni mortier – grâce à un système de tenons de chêne taillés en forme de double queue d’aronde placés dans des entailles de même forme. La datation de cette imposante mu-

raille (entre 1000 et 100 avant Jésus-Christ, ce qui laisse de la marge), tout comme sa fonction demeurent incertaines. Enceinte sacrée dédiée à des cultes anciens et (forcément) sanguinaires ? Place forte défensive servant de refuge ? Simple parc à bestiaux ? Certains ont même affirmé que l’endroit avait été bâti par des populations venues d’outre-espace ou qu’il était peuplé de “grands anciens” tout droits sortis des pages d’épouvante des romans de Lovecraft. Il est en tout cas propice à la rêverie, chacun laissant ses pensées flotter, fasciné par ces fortifications cyclopéennes évoquant curieusement les remparts de Tirynthe en Argolide.

Murs lézardés

Nous quittons le Mur quelques hectomètres pour une visite au Dreistein, ruine tricéphale scindée par un ravin séparant château oriental et occidental (lui-même fait de deux parties cloisonnées par une muraille aveugle). Plusieurs magnifiques baies, une belle bretèche3 et des signes gravés dans le grès – marque de tailleurs de pierre ou visage existant peutêtre uniquement dans notre imagination – laissent une belle impression, tout comme un rocher à l’ample chevelure de fougère d’un vert insolent en cette saison. Nous quittons à regret le Mur au niveau de l’imposante Porte Koeberlé, du nom de son découvreur, pour un repas chaud tiré du sac arrosé de Vin jaune, idoine nectar pour ces temps frigorifiques, au sommet d’autres ruines, celles du Hagelschloss (ou Waldsberg, selon son appellation médiévale). L’ascension est périlleuse – et la descente plus encore – mais la forteresse bâtie à la fin du XIIe siècle, en grande partie avec un matériau issu du Mur païen, au sommet d’un rocher est un havre de paix

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PROMENADE

avec son impressionnant arc de décharge de plus de six mètres de portée dont l’équilibre est aujourd’hui plus que précaire. La marche se poursuit sur des sentiers jonchés d’arbres abattus : on dirait que des forestiers facétieux ont joué une immense partie de Mikado obligeant le randonneur à marcher à côté du chemin. Comme nous ne sommes pas des dahus4, la progression est des plus malaisées et s’accompagne de bougonnements divers jusqu’au mystérieux et mignonnet Koepfel dont seuls subsistent quelques blocs. L’arrivée aux deux châteaux d’Ottrott est somptueuse… même si l’accès au Lutzelbourg et au Rathsamhausen demeure interdit par arrêté préfectoral depuis la mort d’un bénévole travaillant sur le chantier de restauration, il y a une dizaine d’années. Des panneaux martiaux refroidissent (ou pas) les ardeurs des randonneurs et des grillages en piteux état laissent penser que les intrusions, aux risques et périls des contrevenants cela va sans dire, sont régulières. Les arbres, les ronces et les herbes folles se sont emparés d’un ensemble exceptionnel situé sur un terrain privé appartenant au Groupement forestier de la Serva : les dents acérées et impitoyables du végétal grignotent le friable minéral, comme la mer ronge les falaises, menaçant des ruines parmi les plus importantes et poétiques d’Alsace avec notamment une exceptionnelle tour d’habitation… Ne reste qu’à espérer que les bonnes volontés se coalisent pour sauver un des phares du patrimoine alsacien. Des solutions sont possibles : il suffit de penser à l’action menée à Andlau. Reste à espérer qu’elles seront mises en pratique assez tôt. Jusqu’ici tout va bien… C’est l’âme un peu endolorie, mais gonflée par l’espoir de ne pas voir ces merveilles irrémédiablement transformées en puzzle de grès que nous remontons au sommet du Mont par le Kiosque Elsberg où subsistent les traces récentes d’étranges rituels. La nuit est tombée, insidieusement. Des ombres passent dans la cour se dirigeant vers la chapelle, appelées par le tintement cristallin d’une cloche, rappelant les mots de Marie Diemer dans La Légende dorée de l’Alsace (1905) : « Un souffle de mysticisme planait sur la terre chrétienne comme un rayon de soleil au travers d’une tourmente. Las de guerres et de massacres, assoiffés de repos, les humbles, les désespérés, cherchaient le refuge des cloîtres. » Ne reste donc plus qu’à y allumer un cierge pour le salut des châteaux d’Ottrott et celui de nos âmes. 64

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PROMENADE

de la balle « Bang bang, he shot me down. » Breuvage exquis. Chamboule les sens. « Bang bang, I hit the ground. » Renversé de bonheur par le grandiose de ces arômes de fruits mûrs aux réminiscences citronnées. Le Vin du Pistolet (en vente actuellement le millésime 2011, 13 € la bouteille) du Domaine Seilly – qui fête ses 150 ans en 2015 – est un métis issu d’anciennes parcelles plantées des sept cépages alsaciens. Une légende est associé à cet élégant vin de soif : lorsque l’Empereur Ferdinand Ier visite Obernai en 1562, il boit un verre qu’il juge extraordinaire, mais le maire, imprudent, lui raconte que les habitants ont un vin encore meilleur… réservé à leur seule consommation. La réaction du souverain ulcéré et dépité, mais classe ? Il remet un pistolet au magistrat, lui demandant de l’offrir à plus effronté que lui… s’il en rencontrait. « Bang Bang. » www.seilly.com L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération

le mont sainte-odile

Strasbourg 45 km

Départ Parking du Mont Sainte-Odile Temps estimé 5h

Châteaux d’Ottrott

NORD

pigments poétiques

Koepfel

Hagelschloss

Porte Koeberlé Dreistein

M UR

PA ÏE N

P

Colmar 60 km

DÉPART

Mont Sainte-Odile

Plus de 200 pages orchestrées avec rigueur et passion par Marie-Paule Urban-Ruhlmann : voilà comment se présente le beau livre (I.D. éditions, 44 €) qu’elle a consacré à son époux disparu il y a dix ans, Freddy Ruhlmann (1941-2004) afin de mieux faire connaître l’œuvre protéiforme d’un homme qui fut peintre, sculpteur, designer ou encore graphiste. Ses influences sont multiples : Edvard Munch (avec un Cri à l’abyssale beauté), Jean Cocteau, Nicolas de Staël, le Festival d’Avignon (Le Soulier de satin de Claudel mis en scène par Antoine Vitez lui inspire une remarquable série) ou encore la musique de Messiaen. Tout cela est intériorisé et ressort de son atelier obernois en flots chromatiques joyeux marqués par un puissant lyrisme. On demeure particulièrement touchés par la puissance d’émotion qui jaillit d’œuvres “italiennes” – évoquant Venise ou Sienne –, d’étonnantes abstractions géométriques sur lesquelles flotte parfois l’ombre amicale de Vieira da Silva. www.id-edition.com Poly 174 Février 15

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last but not least

nicolas laureau du groupe nlf3 Par Emmanuel Dosda Photo de Frédéric Lanternier

Les 20 ans de Prohibited Records à Metz, aux Trinitaires, vendredi 27 février, avec NLF3, Mendelson, Quentin Rollet & Jerôme Lorichon www.trinitaires-bam.fr www.prohibitedrecords.com www.nlf3.com

Votre label Prohibited fête ses vingt ans. Que retenez-vous de ces deux dernières décennies ? Le visage de ceux qui ont participé de près ou de loin au label. Parmi nos anges gardiens, Guy Picciotto de Fugazi, David Grubbs de Gastr del Sol, Luke Sutherland de Long Fin Killie et John Peel de la BBC. J’ai eu la chance de le croiser, avec Herman Dune, lors d’une Christmas party chez lui. Le dernier disque de Prohibition date de 1998. Pourquoi avoir arrêté l’aventure à ce moment-là, pour la poursuivre avec NLF3 ? Nous avions d’autres aspirations et étions arrivés, avec 14 Ups & Downs, à une sorte d’aboutissement. Pink Renaissance est le dernier album de NLF3 ? Le dernier en date, oui, mais le tout dernier, je ne le pense pas, même si ça serait beau de finir avec un disque se nommant Pink Renaissance. Une communauté, une famille… Dernier mot utilisé pour qualifier Prohibited ? Artisanal. Vous défendez une certaine idée de la musique indépendante en 2015 : faitesvous partie des derniers dinosaures ? On a su bousculer les frontières entre les

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genres, les pays et les gens. Nous étions des samouraïs, des guerriers ayant envie d’en découdre pour faire évoluer les choses. Pourquoi avoir sorti vos mixtapes d’anniversaire sur cassettes audio ? Il ne s’agit pas de la dernière technologie… C’est un pied de nez à l’industrie musicale. La cassette renoue avec la réalité de nos débuts, en 1989. NLF3 est une vraie machine à digérer les genres : post-rock, electro, world, afrobeat… Quelle est la dernière influence passée par votre moulinette ? Je dirais Can, un groupe auquel on nous a souvent associés alors que je suis passé complètement à côté dans ma jeunesse. Nous sommes proches de leur démarche et leur syncrétisme. Dernière chose prohibée faite ? Qu’est-ce qui est illégal aujourd’hui ? Tout semble tellement balisé… Ça n’est pas interdit mais je dirais une limpia au Mexique où nous avons présenté notre ciné-concert sur Que Viva Mexico ! d’Eisenstein. Il s’agit d’une cérémonie enfumée durant laquelle on écarte le mauvais œil. Dernières sorties. Mixtapes (cassettes en édition limitée, avec Herman Dune, Berg Sans Nipple, NLF3, Mendelson…) Rarities et Curiosities (sorties les 27 janvier et 27 février).


VOTRE UNIVERS

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Réunissant leur formation d’architecte d’intérieur et leurs expériences, dans le haut de gamme du meuble comme dans celui de la cuisine, Caroline et Nathalie vous accueillent chez PREMIER PLAN. Sûres de leurs expériences et de leurs talents, elles vous proposent, d’abord sur plan, l’intemporel et l’indémodable du savoir-faire allemand en matière de Cuisine et de Dressing. Venez découvrir un large choix de matières et de coloris au 7, rue de la Nuée Bleue.

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Mercredi, Jeudi, Vendredi, Samedi et Dimanche de 14H à 18H et Jeudi en nocturne jusqu’à 21H Des visites sont possibles en dehors des heures d’ouverture ci-dessus uniquement pour les groupes (minimum 8 personnes) et sur réservation.


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