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La création d’Until the Lions de Thierry Pécou à l’Opéra national du Rhin
from Poly 249 - Septembre 2022
by Poly
Des Heures hindoues
À l’Opéra national du Rhin, la création mondiale d’Until the Lions de Thierry Pécou fait écho au Mahabharata. Plongée dans une épopée vocale vue par l’œil des femmes.
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Par Hervé Lévy – Portrait de Thierry Pécou par Sophie Dupressoir pour Poly
Au départ d’Until the Lions – qui devait être le point d’orgue du Festival Arsmondo 2020 et voit enfin le jour – se trouve un texte épique et poétique de Karthika Naïr (2015). Librettiste de l’opéra, elle s’empare du Mahabharata, réécrivant la fresque fondatrice de l’hindouisme vue par le regard de personnages périphériques, majoritairement des femmes. Ainsi, Satyavati (incarnée par une comédienne sur scène), princesse déclassée car abandonnée toute petite et élevée par un pêcheur, fait-elle fonction de narratrice. Son mariage avec un roi n’a rien changé à son statut. Bafouée par le système politique, elle doit lutter pour sa légitimité et celle de ses enfants, dont elle cherche à assurer la place sur le trône. Son regard et sa destinée se croisent avec ceux d’Amba : duels, jeunes filles enlevées, mariages arrangés, amours secrètes, humiliations, colère incandescente, réincarnation et vengeance… Si l’action est foisonnante, l’histoire est intemporelle, faite de jeux de pouvoir et de relations amoureuses. Rien de nouveau sous le soleil depuis l’aube des temps.
monde
Il semblait éminemment naturel qu’un compositeur comme Thierry Pécou s’empare de cette épopée. Chine ancienne, Grèce antique, Tibet éternel, Amérique précolombienne, immense et mystérieuse Amazonie… Son œuvre se nourrit de cultures éloignées dans l’espace et le temps, de ce “Tout-monde” d’Édouard Glissant désignant « notre univers tel qu’il change et perdure en échangeant et, en même temps, la “vision” que nous en avons ». Le compositeur aux racines antillaises a fait sienne cette définition du poète martiniquais, cherchant sans cesse à « dire le monde, c’est-à-dire à mieux connaître ses musiques pour les retraduire avec les éléments de mon langage et les instruments de l’orchestre traditionnel. » Et de compléter : « Je me considère comme un témoin de mon temps, de ce que Glissant appelle la “mondialité”, cette capacité à écrire et composer en présence de toutes les influences possibles, à se laisser traverser par elles et à en faire son miel. C’est un enrichissement qui s’oppose à la mondialisation, qui n’est qu’appauvrissement et uniformisation. »
inde
Pour mettre en musique ces Échos du Mahabharata, où « s’efface la voix du patriarcat au profit de celle des éternelles dominées », Thierry Pécou s’est tourné vers « les musiques indiennes et plus généralement celles de toute l’Asie du SudEst. Je pense par exemple aux sonorités des gamelans indonésiens1 », résume-t-il. Mais point de pastiche ou d’exotisme ici : ces références sont « souterraines. Je retiens ainsi la sinuosité et la vitalité des lignes mélodiques des ragas2 ou les modèles rigoureux, quasi géométriques d’organisation des orchestres de gongs. L’aspect rythmique de la pièce est ainsi dérivé des jeux numériques à l’œuvre dans les rythmiques indiennes. » Avec un orchestre traditionnel augmenté d’une guitare électrique (« en référence au hard rock, histoire d’accentuer la teinte sombre, dure, de la partition »), le compositeur nous emporte dans des péripéties universelles.
À l’Opéra (Strasbourg) du 25 au 30 septembre À La Filature (Mulhouse) dimanche 9 et mardi 11 octobre operanationaldurhin.eu
> Rencontre avec l’équipe artistique à la Librairie Kléber (Strasbourg), 24/09 (18h) – librairie-kleber.com
1 Orchestres où prédominent les instruments de percussion en bronze 2 Mode musical dans la musique indienne, caractérisé par une structure déterminée, des ornements et un motif mélodique spécifiques et correspondant à un climat émotionnel
Miniatures
Le 26 septembre 1972, des élus pionniers de Strasbourg, Mulhouse et Colmar fondaient l’Opéra (devenu national en 1997) du Rhin, syndicat intercommunal concrétisant la volonté des trois villes d’œuvrer ensemble. Pour célébrer le 50e anniversaire de cette utopie devenue réalité, l’institution propose une déambulation dans l’histoire de l’art lyrique avec Histoire(s) d’opéra (Opéra de Strasbourg 11 & 18/09, Comédie de Colmar 25/09 et Filature de Mulhouse 02/10). Il s’agit d’une promenade dans un espace temporel couvrant dix siècles, fait de dix opéras miniatures joués dans des zones différentes du théâtre, entre lesquels les spectateurs se déplacent. De Claudio Monteverdi à Cathy Berberian, en passant par Wagner, Verdi ou Rossini, voilà un sacré recueil de nouvelles sonores dont on tourne les pages avec jubilation.
Opératique & Sacré
Le Chœur philharmonique de Brno, celui de l’Opéra national du Rhin, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg au grand complet, sous la baguette de son directeur musical Aziz Shokhakimov, et des solistes de très haut niveau : ce Requiem de Verdi s’annonce anthologique ! Voilà page hésitant entre échappées sacrées et extases lyriques – que le perfide Hans von Bülow décrivit comme « un opéra en robe d’ecclésiastique » –, imaginée par le compositeur en 1873, à la mort de l’écrivain Alessandro Manzoni, une des plus importantes figures du romantisme italien. Immense fresque sonore, l’œuvre touche chacun en plein cœur puisqu’elle a la semblance
© Grégory Massat
d’une glorification de la vie, entre angoisse du néant et espoir qu’il puisse exister quelque chose après. En cela, il s’agit sans doute du plus humain des requiem entrant en résonance avec un air de Iago dans Otello : « La Morte è il Nulla, è vecchia fola il Ciel » (« La mort, c’est le néant. Le Ciel est une vieille fable »). Voilà véritable invitation au recueillement, où la puissance de la musique et des voix transporte l’auditeur dans des contrées éthérées. (H.L.)
Au PMC (Strasbourg) vendredi 9 septembre philharmonique.strasbourg.eu
Une arche sonore
Les ingrédients d’un grand concert ? Une formation du top five mondial, le London Symphony Orchestra, un chef mythique, Sir Simon Rattle, et des œuvres excitantes. Pour sa tournée, la phalange britannique propose un premier programme composite (19/09) mêlant Berlioz, Ravel, Sibelius, Bartók et, cerise sur le gâteau, Sun Poem de Daniel Kidane, un jeune compositeur qui puise dans ses racines russes et érythréennes, les métissant de sons urbains, pour imaginer une musique sensuelle. Changement d’atmosphère avec la Symphonie n°2 “Résurrection” de Mahler (20/09), vaisseau sonore empli de mysticisme. Le compositeur y installe une profonde réflexion sur la vie et la mort : dans le premier mouvement, véritable cérémonie funèbre, l’auditeur est transporté, selon les mots de Mahler, « au pied du cercueil d’une personne aimée. » Ce regard rétrospectif sur l’existence est ensuite illuminé de bonheur, puis l’homme « doute de lui-même et de Dieu » dans un tragique élan de désespoir. L’Urlicht qui suit, point culminant de la partition, est une promesse de lumière, étant bien entendu que tout se résout dans un sublime et bienheureux apaisement. (H.L.)