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La nouvelle pièce d’Emma Dante, Misericordia, ou l’amour inconditionnel dans les bas-fonds

La Vie devant soi

Misericordia, nouvelle pièce de la saisissante Emma Dante, conte le destin de trois prostituées et de l’amour qui les unit au jeune Arturo, dans les bas-fonds de la Sicile.

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Par Thomas Flagel – Photos de Masiar Pasquali

«La vie nous lance en l’air comme des cailloux, et nous disons de là-haut, voyez comme je bouge. » Ces mots de Fernando Pessoa, tirés du Livre de l’intranquillité, collent à merveille aux histoires d’Emma Dante, qui sculpte les corps et taille dans le vif des personnages pétris d’humanité faisant face, avec les armes que la vie leur a données, à la violence du monde. Toujours en prise avec un destin capricieux, les sentiments les plus beaux y émergent malgré des existences chaotiques, soumises aux embruns du patriarcat et de la morale religieuse. Et lorsque les cailloux de Pessoa retombent, ils se fracassent au sol, perdant quelques éclats sans pour autant cesser d’être ce qu’ils sont. Juste un peu plus abîmés. Italia Carroccio, Manuela Lo Sicco et Leonarda Saffi parlent avec la vivacité de celles qu’on écoute peu. La metteuse en scène de Palerme recherche « toujours la simplicité, parlant de ce que nous sommes, de quelque chose qui est en nous, de la forme de l’être qui nous brise et nous remplit de toutes ses contradictions, des contraires que nous portons chaque jour : le sens et la folie, la force et la faiblesse. » La gouaille franche, hyper-réaliste et relevée de ses personnages n’a d’égal que leur cœur immense. Et il leur en faut pour se donner le courage de surnager à l’ombre des hommes. Face au public qu’elles regardent droit dans les yeux, Anna, Bettina et Nuzza tricotent des petits châles en laine et vendent leurs corps pour survivre à la misère. Elles veillent comme des louves en meute sur Arturo, dont la mère était l’une des leurs jusqu’à ce qu’elle périsse sous les coups de celui qui l’avait mise enceinte, laissant des séquelles à l’enfant.

femmes fortes

« Mon théâtre parle des derniers, des délaissés, et surtout de la condition difficile de la femme, noyée et étouffée. J’éprouve le besoin de dénoncer ce statut de soumission qui, pendant des siècles, l’a reléguée à des rôles marginaux dans la société. Malgré cela, elle a réussi à devenir plus forte en construisant des forteresses en elle-même, en faisant face aux problèmes avec courage et détermination », assène-t-elle. Les éclats de pure joie font écho aux introspections plus sombres et aux souvenirs des disparus qui hantent, à jamais, ceux qui restent. Comme des Parques contemporaines, divinités romaines maîtresses de la destinée humaine, ce trio élève Arturo et l’entoure d’un amour inconditionnel, même si aucune d’elles n’a accouché « cet être défectueux et misérable » interprété tout en désarticulation par le danseur Simone Zambelli. « Ma pièce parle de maternité. Elle a affaire à ces soins éblouissants d’amour, quels que soient le sexe, la position sociale ou la filiation biologique. Ces trois Parques aident la société dans la difficile tâche d’élever ses propres enfants, les futurs citoyens de la communauté. »

À La Filature (Mulhouse) du 29 septembre au 1er octobre, au Theater im Pfalzbau (Ludwigshafen) les 14 et 15 décembre, puis en 2023 à La Manufacture (Nancy) du 9 au 11 mars, au Théâtre Dijon Bourgogne du 14 au 17 mars et au CDN de Besançon (avec Les 2 Scènes) du 20 au 24 mars emmadante.com

Surprises tissées-nouées

Le septième Atoll Festival, dédié au cirque contemporain, fait la part belle aux formes rares et innovantes à Karlsruhe.

Par Thomas Flagel – Photo de Pli par Loïc Nys

Dans les arts du cirque contemporain, à côté de ceux faisant feu de tout bois en multipliant les effets, d’autres jouent la retenue et tentent, habilement, de titiller notre curiosité. Les compères de la compagnie Sacékripa, constituée suite à leur formation au Lido (Centre des arts du cirque de Toulouse), en disent le moins possible sur Vrai (16-18/09, mais aussi aux Rotondes (Luxembourg) 18-20/11 puis à l’ACB (Bar-le-Duc) 23-25/11). Une pièce jeune public (dès 8 ans) ou chacun regarde une grande boite octogonale dans laquelle deux protagonistes se lorgnent quand ils ne s’ignorent tout simplement pas. L’histoire est celle – forcément vraie – de leur rencontre, réinterprétée ici en interactions à géométrie variable laissant beaucoup de place à l’improvisation et à l’imprévu. Tout aussi surprenant est le nouvel agrès tissé-noué d’Inbal Ben Haim. Dans Pli (15 & 16/09, puis à MA scène nationale (Montbéliard) 17/03), l’acrobate israélienne met la résistance du papier à l’épreuve dans des situations aériennes. Avec la complicité du plasticien Alexis Mérat, elle a tressé et tordu de grands lés, faisant des bandes de feuilles un objet de jeu et une nouvelle surface de projection des imaginaires. Délaissant sa corde lisse habituelle, la voilà tête en bas pour une exploration du point de résistance jusqu’au risque de la déchirure. Plissée en accordéon, froissée et savamment nouée, cette matière fragile se fait aussi bruyante, étonnante que fascinante. Quant à l’atypique duo de circassiens Lefeuvre & André, il tourne en dérision le quotidien en une succession de situations d’apparence anodine (Parbleu !, 17 & 18/09). Leur “slow cirque” est un mélange de minimalisme et de jusqu’au-boutisme qui pousse les deux compères à ne pas faire les choses comme les autres. Leur art se peaufine en artisanat plein de labeur et de modestie. Ils trifouillent toujours le fin fond de leur atelier, s’emparant d’outils et d’objets en tout genre qui forment autant d’accessoires à leur humour de situation façon Laurel et Hardy. Une fois dans leurs mains expertes, planches, truelles, perches, boules de pétanque ou masses de chantier deviennent des armes de rire massif. L’air de rien, ces comparses s’inscrivent dans la tradition du cirque : un clown blanc (torse nu et en slip noir) s’active tel le héros muet d’un film burlesque, tandis qu’un auguste à bretelles regorge d’inventivité pour en faire le moins possible. Pour finir, ne manquez pas le retour des fous furieux de My!Laika, déjà invités en 2019. Leur nouvelle création, Winter (18-24/09), plonge dans la fantasmagorie la plus pure pour toucher à ce théâtre amoral qu’ils chérissent. Par d’habiles collages de situations et jeux d’échelles, ils nous projettent dans le salon hanté d’un gentilhomme où se tisse une histoire d’amour à trois entre le réel, les apparences et un pédalo en forme de cygne égaré au Pôle Nord !

Au Kulturzentrum Tollhaus, à l’Otto-Dullenkopf-Park et au ZKM (Karlsruhe) du 15 au 25 septembre atoll-festival.de tollhaus.de

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