N ° 1 3 1 – F É V R I E R 2 0 1 0 – w w w. p o l y. f r
SEXAMOR AU TNS // MOMIX // RAYMOND WAYDELICH // MUSTANG // SAUL STEINBERG DOMINIQUE A // DOCUMENTATION CÉLINE DUVAL // ARIADNE AUF NAXOS // ADAMS APPELS
Saul Steinberg, Parade (détail), 1952. Technique mixte sur papier, 36 x 57,5 cm. Collection M. et Mme Niemann. © The Saul Steinberg Foundation / ARS, ADAGP Paris 2009. © Musées de la Ville de Strasbourg /Mathieu Bertola. Graphisme : Rebeka Aginako
27 NOVEMBRE 2009 28 FÉVRIER 2010
MUSÉE TOMI UNGERER CENTRE INTERNATIONAL DE L’ILLUSTRATION WWW.MUSEES-STRASBOURG.ORG
ORCHESTRE
PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG ORCHESTRE NATIONAL
2010 19 fÉvRIER PMC SALLE ÉRASME / 20H30
yEvGENy kISSIN PIANO
ALExANDER vAkOULSky DIRECTION
TCHAÏkOvSkI SyMPHONIE N°1 EN SOL MINEUR RêvES D’HIvER OP.13
CHOPIN CONCERTO POUR PIANO & ORCHESTRE N°2, EN fA MINEUR OP.21
RENSEIGNEMENTS : 03 69 06 37 06 / WWW.PHILHARMONIQUE-STRASBOURG.COM BILLETTERIE : CAISSE OPS ENTRÉE SCHWEITZER DU LUNDI AU vENDREDI DE 10H À 18H / BOUTIQUE CULTURE, 10 PLACE DE LA CATHÉDRALE DU MARDI AU SAMEDI DE 12H À 19H © CONCEPTION : HORSTAxE.fR | PHOTOGRAPHIE : CHRISTOPHE URBAIN | MONTAGE BkN.fR | LICENCES D’ENTREPRENEURS DE SPECTACLES N° 2 : 1006168 ET N°3 : 10066169
À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”
Poésie dansée
Dans Memoria, présenté le 5 février à La Coupole de Saint-Louis, la chorégraphe Virginia Heinen entraîne ses cinq danseurs (et le spectateur) dans son univers poétique et coloré. Un spectacle autour de la mémoire des corps…
www.lacoupole.fr © Vincent Curdy
Ceci n’est pas une maquette Coéditée par le Ceaac, le Frac Alsace et l’association Rhinoceros, la monographie consacrée au travail sur l’urbanisation, la cartographie et la sculpture de Matthieu Husser depuis dix ans est un ouvrage de belle facture qui opère un savant équilibre entre photographies couleur et textes succincts. Quatre-vingtquatre pages essentielles à la compréhension d’une œuvre questionnant le vivant, le bâti, la vie et leurs représentations. Matthieu Husser 99-09 (12 €) www.r-diffusion.org – http://matthieu.husser.free.fr
Y’a un Pétrovitch dans ma salle à manger ! Un coffret Messiaen, une compile du label K Records, une BD de Blutch, le DVD de Main basse sur la ville et… une photo de Valérie Graftieaux à accrocher chez soi. À la médiathèque du Neudorf, au printemps, il sera possible à tous les détenteurs de la carte PASS’relle des bibliothèques de la CUS (tarif multimédia) d’emprunter des œuvres d’artistes contemporains, durant un mois, au même titre qu’un livre ou un disque. Les estampes, photographies ou vidéos de l’Artothèque de Strasbourg sont issues d’un fonds propre et des collections du Frac, du Ceaac, de l’Ésad ou de l’association Faisant, tous partenaires du projet. Elles composent un riche catalogue de 500 pièces signées Stephan Balkenhol, François Morellet, Nils-Udo ou Giuseppe Penone. Bientôt, au mur de votre salon. On revient sur le sujet dans notre prochain numéro. www.mediatheques-cus.fr Œuvre de Françoise Pétrovitch
Quatre garçons dans le vent Création mondiale et virevoltante à Illkirch-Graffenstaden avec Casting (à L’Illiade, du 9 au 12 février), spectacle musical humoristique (sur une partition originale de Rémy Abraham) du quatuor de cuivres Opus 4 composé de Vincent Gillig (trompette), Nicolas Moutier & Laurent Larcelet (trombone), et Micaël Cortone d’Amore (tuba), tous quatre membres de l’OPS. Des musiciens classiques pour une soirée qui ne le sera pas ! www.illiade.com – www.opus-4.net
BREAKING THE WALL Jusqu’au 6 mars, le photographe Jean-Philippe Senn présente, à l’Espace Insight (Strasbourg), le second volet de son travail photographique M.U.R.S. initié l’an passé au Cheval Blanc. www.espace-insight.org www.myspace.com/jp_senn
PRIMÉS Clémence Pollet, étudiante de l’Ésad, a reçu le prix du 1er album 2009 du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil pour L’Ébouriffée (voir Poly n°130). À noter la présence en finale du Popville de Louis Rigaud et Anouk Boisrobert, eux aussi aux Arts déco. http://clemence.pollet.free.fr
SUPERGRAVE Olivier Didier Haudegond, Didier Super pour les intimes, est devenu la coqueluche des adeptes de chanson politiquement incorrecte et musicalement régressive. Humour potache, provoc’ et pipi-caca au programme de la soirée colmarienne du 20 février au Grillen. www.grillen.fr
VOYAGES INTÉRIEURS La galerie strasbourgeoise Chantal Bamberger accueille les peintures de Jacques Thomann jusqu’au 6 mars. Sous le titre Tout est brutale beauté, l’exposition ressemble à un étonnant haïku pictural, « une sorte de balafre légère tracée dans le temps » selon les mots de Roland Barthes. www.galeriebamberger.com
CLASSIQUE… MAIS EFFICACE L’Orchestre symphonique de Mulhouse, placé sous la baguette de Georg Mark, propose un concert avec des pages de Mozart et Schumann, mais aussi – et surtout – les Sieben frühe Lieder de Berg (par la soprano Letizia Scherrer). Cela se passera à La Filature les 26 et 27 février. www.mulhouse.fr
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Téléphonie mobile le plus simple c’est de passer au Crédit Mutuel Forfaits simplifiés
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Quand le Crédit Mutuel décide de se lancer dans la téléphonie mobile, c’est qu’il a véritablement quelque chose de nouveau à vous apporter : la simplicité. Parce que, quand la téléphonie mobile devient simple, elle est accessible à tous. Forfaits simplifiés, budget maîtrisé, SMS et Internet illimités... profitez de l’offre téléphonie la plus innovante et la plus simple, Crédit Mutuel Mobile ! Venez vite vous renseigner dans votre Caisse de Crédit Mutuel.
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À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”
Viens jooka avec moi !
Le label Asthmatic Kitty abrite de beaux spécimens. Le plus fêlé d’entre tous ? David Adamson, alias Jookabox. Ce juke-box humain mixe tous les genres : il sera en concert au Musée du jouet colmarien (21 fév) et, le lendemain, à Stimultania (Strasbourg). www.hiero.fr – www.komakino.org Photo : Lisa Fett
Origine contrôlée
ARCHI & MUSIQUE Trois conférences sont programmées en février au Quai, École supérieure d’art de Mulhouse. Les intervenants – Cláudia Martinho (le 1e fév), Pierre Mariétan (le 9), JeanLouis Violeau (le 22) – sont respectivement architecte / acousticienne, compositeur electro-acoustique et sociologue de l’architecture. www.lequai.fr
Peut-on aimer Eminem et Fréhel ? Mélanger l’influence de la Môme Elliott et de Missy Piaf ? Karrément, nous dit Karimouche ! Hiphop, ragga et chanson française font bon ménage dans l’univers malicieux et humoristique de l’auteure de L’Emballage d’Origine (sorti sur Atmosphériques). À découvrir en concert le 27 février au Cheval Blanc de Schiltigheim, en compagnie de ses fidèles complices. Ils l’accompagnent dans ses chansons rappées qui sont voulues comme autant de courts métrages musicaux. Un show qui fera mouche.
FREE SWING
www.ville-schiltigheim.fr
Redécouverte On a souvent une image stéréotypée de l’œuvre de Bernard Buffet (1928-1999), celle d’un peintre “décoratif” qui n’a cessé de se répéter, faisant et refaisant le même tableau. Un mauvais goût bourgeois affirment certains esprits soi-disant éclairés… N’empêche qu’on commence (enfin) à lui rendre justice : la présentation de 2008 au MMK de Francfort ou celle, toute récente, de la marseillaise Vieille Charité ont participé à ce mouvement comme l’exposition nancéienne dédiée à Francis Gruber avec lequel il avait des affinités artistiques. La Galerie strasbourgeoise Pascale Froessel le met à l’honneur (jusqu’au 7 mars) avec des toiles et des dessins qui jalonnent sa carrière. Quel plaisir de redécouvrir son trait acéré ! www.galerie-pascale-froessel.fr
Le Caveau des Dominicains de Haute-Alsace (Guebwiller) accueille le 19 février une formation qui pulvérise les frontières du jazz avec Nils Wogram (trombone), Florian Ross (orgue Hammond) et Dejan Terzic (percussions). Entre nostalgie seventies et expérimentations contemporaines… www.les-dominicains.com
IL MANQUE PAS D’AIR… Pour ses cinq ans, Le Vaisseau strasbourgeois organise pléthore d’événements (voir page 64) : jeux, expos ou projos scientifiques & ludiques. Dans ce cadre, du 1er au 28 février, la structure propose l’exposition Jeux d’air - Jeux d’eau à l’Hôtel du département (Strasbourg). www.levaisseau.com www.bas-rhin.fr
FLOWER POWER
Bernard Buffet, L’Orang-outan, 1997
Le Lézard colmarien accueille jusqu’au 6 mars les peintures sur plexiglas de Marie-Paule Bilger. Take Care est une exposition sensible, un intense haïku pictural… www.lezard.org
California dreamin’ La Californie n’évoque pas que l’esprit Sea, Sex & Sun. Le San Francisco d’Emily Jane White est plutôt boisé et mélancolique. Cette fragile et jeune (née en 1982) chanteuse, auteure de deux albums folk intimistes (écoutez Victorian America, récemment sorti sur Talitres), se produira au Noumatrouff mulhousien samedi 13 février. En première partie : le Bordelais évadé de Calc, Julien Pras, qui présentera son joli nouveau disque, Southern Kind Of Slang (Vicious Circle).
ALPHABÉTISATION
www.noumatrouff.com Photo : Cam Archer
Can, Faust, Steve Reich, Silver Apples… font partie du panthéon de Turzi, auteur de deux albums sobrement intitulés A puis B (sur Record Makers). Ce musicien français de rock psyché et répétitif jouera l’intégralité de B à l’Auditorium du Musée d’art moderne et contemporain strasbourgeois, mercredi 17 février. www.musees-strasbourg.org
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PASS’relle Livres : 8 € / 4 € – gratuit jusqu’à 16 ans PASS’relle Multimédia : 25 € / 12,50 € – gratuit jusqu’à 16 ans
Réseau PASS’relle : médiathèques, bibliothèques, bibliobus Bischheim, Blaesheim, Cronenbourg, Eckbolsheim, Elsau, Eschau, Fegersheim, Hautepierre adultes, Hautepierre jeunes, Holtzeim, Illkirch M. Sud, La Wantzenau, Lampertheim, Lingolsheim M. Ouest, Lipsheim, Meinau, Mundolsheim, Neudorf, Neuhof, Plobsheim, Reischstett, Robertsau, Souffelweyersheim, Strasbourg André Malraux, Strasbourg Centre ville et Wolfisheim.
À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”
Jazz a’venir
Le Festival international de danse jazz d’hiver, qui se déroulera du 18 au 21 février à Rixheim et Kembs, propose des cours avec de grands noms, une jam session et des spectacles des compagnies CobosMika et In Vivo Patrice Valéro. m www.fidjhi.fr
Heart of glass
Le saviez-vous ? Wolfang Amadeus Mozart, Joseph Haydn, Ludwig van Beethoven ou Johann Christian Bach, pour ne citer que les plus célèbres, ont composé pour des instruments en verre ! L’Orchestre de Verre, grâce à son spectacle Transparences, fait revivre ce répertoire méconnu, interprète des standards du jazz ou des œuvres folkloriques mondiales et joue ses propres pièces… L’ensemble instrumental se produira le 16 février à l’Espace culturel de Vendenheim. Un moment musical sensible et… fragile. www.vendenheim.fr
« Qui suis-je ? Français ? Danois ? Ma mère est anglaise, j’ai grandi au Kenya et étudié aux ÉtatsUnis, ma femme et mon fils me parlent en français, je parle toutes les langues avec un accent. » Parfois, Hasse Poulsen se sent chez lui partout, parfois un complet étranger. Pour fêter ses dix ans en France, le guitariste et compositeur qui ne cesse de se chercher, de questionner le jazz, a créé Progressive Patriots, formation résolument internationale. Le quintet se produit le 5 février à Pôle Sud (Strasbourg), partageant la soirée avec le jazz chamanique de Terje Isungset. À noter : avant son concert, Hasse Poulsen rencontrera le public à la Médiathèque Ouest (Lingolsheim) à 18h30. www.pole-sud.fr
Où vais-je ?
CYCLO III Le troisième numéro de la revue Cyclocosmia arrive dans toutes les bonnes librairies courant février. À l’honneur : l’écrivain chilien Roberto Bolaño. www.cyclocosmia.net
NO NAME Huit étudiants des Arts déco, participant au séminaire No Name avec des scientifiques de l’Université de Strasbourg et de l’équipe du Frac Alsace, exposent du 15 au 19 février à Sélestat. Fractales est le substrat des réflexions et créations de ces jeunes artistes, nées de leur confrontation au champ scientifique. www.culture-alsace.org
DER KOMMISSAR Bettina Klein, responsable de l’exposition La Preuve concrète, est la commissaire – née en 1970 à Wadern (Sarre) – qui se chargera des cinq prochaines expos (trois cette année et deux en 2011) du Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines de Strasbourg. www.ceaac.org
COMMENT ON DIT COCORICO EN ALSACIEN ? Photo : Alain Julie
Le catcheur, la pute & les autres 14 artistes, 3 scènes, 1 500 personnes attendues et des heures de musique électronique, c’est Epidemic Experience #7, soirée organisée aux Tanzmatten par la structure sélestadienne et Zone 51 le 27 fév (21h-5h). À l’affiche : des stars de la techno (Manu le Malin, Jack de Marseille…) et des nouveaux venus, comme Le Catcheur & La Pute, pour un set sexy entre peep-show et electro. www.tanzmatten.fr – www.zone51.net
Bali en Indonésie, Fernando de Noronha au Brésil, Goa en Inde, le corridor de Koh Kong au Cambodge et… l’Alsace ! Notre région se retrouve dans le Top Ten de Best in Travel, guide édité par le prestigieux Lonely Planet. On passe nos vacances en Alsace cette année ? www.lonelyplanet.com
EXXTRATERRESTRE En 2009, impossible d’être passé à côté du phénomène The XX, plébiscité par le public comme la critique. Ce quatuor OVNI aux allures gotiques qui injecte du spleen dans la pop est en concert le 21 février à La Laiterie (Strasbourg) : nous serons au premier rang. www.artefact.org
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46 _ Urban intrusion
Poly 131 – Février 10
sommaire & couverture
14 _ Édito 16 _ Livres, BD, CD et DVD 18 _ T’es qui toi ?
Chifumi
20 _ OLIVIER DEBRÉ
L’Espace Fernet-Branca accueille ses peintures paisibles
22 _ Cinq questions à…
Raymond Waydelich : trois galeries exposent ses œuvres à Art Karlsruhe
24 _ Dossier : Les Bains municipaux de Colmar,
projet architectural d’une extension du musée d’Unterlinden
28 _ SEXAMOR
Entretien avec Pierre Meunier, co-auteur et co-acteur de la pièce
30 _ ARIADNE AUF NAXOS
Retour d’André Engel à Strasbourg, pas au TNS mais à l’Opéra national du Rhin
32 _ L’ÉCRITURE VISUELLE
Le célèbre dessinateur de presse du New Yorker est célébré au Musée Tomi Ungerer
34 _ Mustang
Interview du groupe rock made in Clermont
36 _ LA CORDONNERIE À MOMIX
La compagnie lyonnaise présente trois pièces au festival dédié au jeune public
48 _ LE VILLAGE
La vie tumultueuse et tragique de la nonne chantante revue et corrigée par Marijke Pinoy à La Filature
54 _ Une ville vue par un artiste
Bruxelles / Dominique A
56 _ FIRE DELIGHTS IN ITS FORM
La Chaufferie s’enflamme avec les toiles et les installations de Frédéric Clavère et Lionel Scoccimaro
58 _ Les femmes de l’ombre
Catherine Leininger, chargée de l’action culturelle et de la programmation jeune public du Relais culturel de Haguenau
60 _ EUROPA, EUROPA
Voyage en Europe à travers les photos de Pascal Bastien qui prennent place à la Médiathèque André Malraux
61 _ Ailleurs
Notre sélection d’événements à ne pas rater chez nos voisins
64 _ Culture scientifique
39 _ PASSEPORT CHOPIN
Le collectif Olympique Dramatique, trublion du théâtre belge, nous défrise avec cette comédie musicale au Maillon
52 _ SŒUR SOURRIRE
Alexis Beauclair
Décryptage de l’installation monumentale ornant le jardin de sculptures du Mamcs avec sa créatrice, Séverine Hubard
50 _ ADAMS APPELS
38 _ L’illustrateur
Visite clandestine dans une ancienne biscuiterie de Munster
Le Vaisseau fête ses cinq ans
66 _ Last but not least… Tardi
L’OPS célèbre le 200 anniversaire de la naissance de Chopin e
40 _ PÉNÉLOPE
Un spectacle d’Élise Combet au TJP et à l’Espace culturel de Vendenheim
41 _ Portrait
Découverte de documentation céline duval qui a composé l’exposition Les Frontières de sable à la Galerie de La Filature
44 _ LES PRÉSIDENTES
Dix ans après avoir monté Les Présidentes, le metteur en scène Krystian Lupa propose une 2de version à la Comédie de l’Est
10 _ Poly 131 - Février 10
COUVERTURE Tirée de la pièce Sexamor (voir page 28), co-écrite et co-interprétée par Meunier et Prugnard, cette photographie de Nadège avançant avec un tableau symbolise ses rêves de famille et de maternité. Mais ne vous y trompez pas, comme nous l’a confié Pierre Meunier, « elle aura sa manière bien à elle de casser tout cela par la suite ».
ORCHESTRE
PHIlHARmONIQUE dE STRASBOURg
CHOPIN 9 NOCTURNES
ORCHESTRE NATIONAl
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contributeurs & qui a vu l’ours ?
Benoît Linder (né en 1969)
Ours :
Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)
Ce membre de l’agence French co. vit à Strasbourg. Son travail d’auteur se nourrit, discrètement, de temps suspendus et d’errances improbables au cœur de nuits urbaines et autres grands nulles parts modernes. m www.frenchco.eu/benoitlinder Photo : Benoît Linder
Stéphane Louis (né en 1973) Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. On lui doit aussi un passionnant ouvrage, Portraits, Acteurs du cinéma français (textes de Romain Sublon). m www.stephanelouis.com Crédit photo : Elias Zitronenbaum
Juliette Riegel (née en 1990) Étudiante en Arts Visuels à Strasbourg, la photographie a rapidement pris une place importante dans son travail. Débutant dans ce milieu, elle suit son instinct et expérimente toutes sortes de styles aux influences très diverses, portant un intérêt particulier à la “photographie de récit”. m http://bryn.carbonmade.com
Dorian Rollin (né en 1961) Diplômé de l’École des Gobelins à Paris, ce photographe indépendant travaille régulièrement pour la pub, la presse ou pour lui. Muni de son appareil argentique moyen ou grand format, il se balade en France, en Europe, au Burkina Faso ou aux USA et prend des images dans et aux abords des villes… m www.dorianrollin.blogspot.com Photo : lesvieuxgarçons.com
Bavière, 2009 – Photo : Hervé Lévy
www.poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME > redaction@poly.fr - 03 90 22 93 49 Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Secrétaire de rédaction : Valérie Kempf / valerie.kempf@poly.fr Rédacteurs : Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Ont participé à ce numéro : Paul Hoistènes, Paul Munch, Pierre Reichert, Florian Rivière, Irina Schrag, Daniel Vogel, Arnaud Weber, Raphaël Zimmerman. Thanks to Maxime. Graphiste : Pierre Muller / pierre.muller@bkn.fr Maquette : Mathieu Linotte / mathieu.linotte@bkn.fr © Poly 2010. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs.
ADMINISTRATION et publicité
Loïc Sander (né en 1987) Graphiste passionné de typographie, il aime créer des caractères et pratique chez Arthénon avec deux livres d’art à son actif, dont Portraits, Acteurs du cinéma français, en 2007. Photographe à ses heures, on peut découvrir sa production protéiforme sur son site… m www.akalollip.com Photo : Günther Dragocewicz
Jean-Philippe Senn (né en 1977) La photo est pour lui une affaire d’osmose, d’atmosphère : s’imprégner lentement, aller au plus profond des choses pour bien les voir. Il s’approprie la ville, elle l’irrigue comme si elle était un organisme vivant. Et ensuite jaillissent des éclats oniriques d’une réalité qu’il a su saisir avec son objectif. m www.ultra-book.com/-jean-philippesenn Photo : Jean-Philippe Senn
12 _ Poly 131 - Février 10
Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Associé co-fondateur : Vincent Nebois / vincent.nebois@bkn.fr Administration, gestion, diffusion, abonnements Gwenaëlle Lecointe / 03 90 22 93 38 / gwenaelle.lecointe@bkn.fr Publicité : Julien Schick / 03 90 22 93 30 / julien.schick@bkn.fr Vincent Nebois / 06 09 66 19 13 / vincent.nebois@bkn.fr Magazine bimestriel édité par BKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100.000 e 16 rue Edouard Teutsch - 67000 STRASBOURG Dépôt légal : février 2010 - SIRET : 402 074 678 000 36 – ISSN 1956-9130 Impression : SICOP
COMMUNICATION BKN Éditeur / BKN Studio - www.bkn.fr
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à La Filature, Scène Nationale – Mulhouse du vendredi 5 au samedi 13 mars 2010 théâtre (Allemagne) / dès 6 ans Höchste Eisenbahn – Les Seigneurs du rail Hans Fallada – Markus Joss danse – performance (Suisse) Dream Season Alexandra Bachzetsis danse – musique (France – Suisse) / première Mais le diable marche à nos côtés Heddy Maalem théâtre déambulatoire (France) Goya Rodrigo Garcia – Christophe Greilsammer opéra (Allemagne – France) / première française Geen krimp, Gustav ! d’après Gustav Mahler – Ludivine Petit théâtre dînatoire (France) / première Microfictions Régis Jauffret – Valéry Warnotte, Charlie Windelschmidt Nuit électro (Allemagne – France) Danger – Ellen Allien installation sonore et lumineuse (France) / création Pixels Cécile Babiole installations – arts plastiques (Allemagne, France, Suisse…) du 5 mars au 2 mai / en partenariat avec le CRAC Alsace Le décor à l’envers avec Ulla von Brandenburg, Yves Chaudouët, David Cousinard et Sarah Fauguet, Aurélien Froment, Franziska Furter, Ann Veronica Janssens et Michel François, William Kentridge, Lutz & Guggisberg, Estelle Vernay
saison
2009 / 2010 espace culTuRel De VenDenheiM
uleuR la Do 30 di 5 février 2010 à 20h Vendre
ces TRanspaRenVe RRe
l’oRchesTRe De0 à 20h30 Mardi 16 février 201
alDo RoMano
«jusT jazz»
Les scuLptures meurent aussi
0 à 20h30 Vendredi 26 février 201
saMuDaRipen es
s Tsigan le génociDe Ders 2010 à 20h30 Vendredi 12 ma
MaRc joliVeT blanc
Mon fRèRe l’ouRs
0 à 20h30 Dimanche 21 mars 201
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27.01 J 28.03.10 Francesco ArenA ¦ Alex CeCChetti ¦ Michael DeAn ¦ Ida ekblAD Guillaume leblon ¦ Mandla reuter ¦ Oscar tuAzon
Tél. +33 (0)3 69 77 66 47 ¦ kunsthalle@mulhouse.fr www.kunsthallemulhouse.com
0 à 20h30 Vendredi 26 mars 201
Renseignements et réservations
03 88 59 45 50
VENDENHEIM > 14, rue Jean Holweg 03 88 59 45 50 espace.culturel@vendenheim.fr www.vendenheim.fr
Snow – Francesco Arena, 2009 graphisme : médiapop + STARHLIGHT
Poly 131 – Février 10
© Maxime Stange
édito
Jusqu’ici tout va bien u’est-ce qui attend la culture en France pour 2010 et les 51 balais de son Ministère nommé depuis 1997 – signe des temps – “de la Culture et de la Communication” ? De sombres nuages semblent s’accumuler sur elle, même si Nicolas Sarkozy a annoncé que « l’une des réponses à la crise c’est la culture »1, décidant aussi que « la totalité du budget du Ministère (…) sera dégelée en 2010, pour aider à l’accomplissement des différents chantiers et réformes ». Et de conclure, tonitruant : « 2010 va être une grande année ». On ne demande qu’à le croire, mais les promesses n’engagent, etc. etc. Du côté du Ministre ? Des déclarations en écho, une insistance sur le numérique et une prise de parti quasiment philosophique en forme de devise : « La culture pour chacun »2. Enterrée l’utopie du “pour tous”, mais toujours des slogans, des bons mots en guise de politique culturelle. Et quand Frédéric Mitterrand tente de donner un contenu à la chose, voilà ce que cela donne : « La culture doit toucher chacun dans sa particularité, sa personnalité, sa différence, que ce soit d’origine, de milieu, de territoire, de sensibilité, ou encore de génération. Rien n’est plus émouvant que de voir les frontières sociales rendues artificielles par la magie de la
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culture, quand une association de quartier va aux textes classiques, quand les textes classiques pénètrent dans les quartiers ». Les contours d’une politique culturelle ? Sortez les violons… Loin des rêves et des déclarations d’intention, la culture semble être en panne : hausse du budget inférieure à celle de l’inflation, suppression de certaines représentations, non renouvellement des postes de différents “artistes fonctionnaires” qui partent à la retraite, regroupement de structures diverses sous une autorité commune, saupoudrage clientéliste de subsides… Crise à tous les étages sur fond d’abolition de la taxe professionnelle, qui, depuis sa mise en place en 1975, permettait aux collectivités territoriales de contribuer efficacement au financement de la culture. Quand on rajoute au tableau un recours encore mal maîtrisé au mécénat, on imagine que des jours difficiles sont devant nous. Si une politique de “grands équipements” semble se dessiner, on ne voit pas la réflexion qui sous-tend leur utilisation. Qui va y aller ? Pourquoi ? Comment ? Les réponses se font évasives… Prenons l’Alsace en exemple. Des équipements, il y en a (plus qu’ailleurs). Des projets, il y en a… de moins en moins. Le plus
marquant étant celui de l’extension du Musée d’Unterlinden3. La question qui se pose – et pas seulement dans les structures à naître – est de savoir que faire de ces splendides vaisseaux culturels. On a le sentiment d’être à une époque charnière où se conjuguent une baisse de moyens et l’absence de substrat d’une politique culturelle souvent réduite à un gigantesque Monopoly à vocation électoraliste, étant bien entendu que du béton rapporte toujours plus de voix que la mise en place d’actions sur le terrain. Alors, oui, 2010 peut être une « grande année ». Il suffit simplement que les (grands) mots de chacun se métamorphosent en volonté et en actes, que, par exemple, les Assises de la culture débouchent, à Strasbourg, sur du concret. Tout est encore possible. On attend. Et comme le disait Roland Ries au moment de son élection, « les attentes sont immenses ». Elles le sont toujours… Discours prononcé par Nicolas Sarkozy à l’occasion des vœux au monde de la culture à la Cité de la musique, jeudi 7 janvier 2 Discours prononcé par Frédéric Mitterrand, à l’occasion de la présentation de ses vœux à la presse, mardi 19 janvier 3 Voir page 24 1
Hervé Lévy
DANSE, MUSIQUE — PORTUGAL, FRANCE
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SCÈNE EUROPÉENNE
© LAURENT PHILIPPE
CHORÉGRAPHIE PAULO RIBEIRO PAR LE CCN-BALLET DE LORRAINE
LIVRES CD DVD // ALSACE
CD ALBUM JEUNESSE
Chris Jarrett’s Petit Poucet Four Free Journal secret du
Après Princesses oubliées ou inconnues, le duo Philippe Lechermeier (auteur strasbourgeois) et Rebecca Dautremer (illustratrice) livre un second album à destination des enfants (mais pas que !). Leur Journal secret du Petit Poucet se décline en 208 pages, entre textes savoureux et illustrations à base de dessins, de gouaches et de collages. L’humour y fait mouche dans les rapports texte / image mais aussi, selon l’âge du lecteur, dans les niveaux de lecture allant du simple conte au pastiche du journal intime passé au tamis d’un imaginaire en ébullition. Rejeton rejeté de la famille, Petit Poucet dort sur un bouchon dans le placard à balais qu’il partage avec ses six frères. La galerie de personnages qui l’entoure est gratinée : père fantoche, « belle-maman moche comme tout » gardant l’argent dans son corset, ou encore l’ogre Barbak, glouton effrayant. Mais Petit Poucet est un petit futé qui sauve ses frangins et s’offre une chouette collection de joies et de peines. (I.S.)
Le responsable de Wax Cabinet, disque électrique et éclectique, est américain et se nomme Chris Jarrett. Ses compagnons ? Le batteur Pascal Gully, membre de Zakarya, le contrebassiste Jérôme Fohrer de La Poche à Sons, et Adrien Dennefeld d’Ozma, trois Strasbourgeois qui ont prêté main forte au pianiste et compositeur. Après un passage éclair à l’Oberlin Conservatory (Ohio), ce musicien a écrit pour le ciné et le spectacle vivant. Il nous dévoile une facette plus impulsive, menant ses camarades sur toutes sortes de terrains, souvent accidentés. Entrée dans le vif du sujet avec le poignant L’Homme de fer, soit six minutes et quelque de jazz branché sur 220 Volts. Au cours de Wax Cabinet, on passera de moments sous haute tension (Flunching) à des instants d’extrême étrangeté (Foam), de bandes sons idéales pour accompagner des nuits à dormir debout (White Nights) à des morceaux gourmands (Friand Poulet), qu’on avale sans faim. Four Free met le jazz dans tous ses états. (E.D.)
m Paru chez Gautier Languereau (20 €) www.gautier-languereau.fr
m Wax Cabinet, GLM Music www.chrisjarrett.de
CATALOGUE
pourlesexiles « Leur liberté, c’est la nôtre. » Vous reconnaissez sans doute ce slogan, qui accompagnait les portraits de Florence Aubenas et Hussein Hanoun, prisonniers en Irak courant 2005. Sylvain Gouraud, diplômé de l’École des Arts décoratifs de Paris, se penche depuis quelque temps sur l’impact de l’image dans l’espace urbain. Avec son projet pourlesexiles, il a détourné l’affiche qui montrait la journaliste de Libé et son interprète pour imprimer le visage de réfugiés du camp de Sangatte (fermé en 2002) qui, depuis, errent dans Paris. L’ouvrage édité par Filigranes et la Société pour la diffusion de l’Utile Ignorance, association strasbourgeoise qui se charge de la production et la diffusion de projets artistiques et culturels, mêle textes et photos. Il relate l’action de Sylvain Gouraud qui a collé sur les murs parisiens de grands portraits de ces hommes « invisibles ». Dans ce catalogue, on peut lire ceci : « Les exposer au regard de tous relève de l’exercice sain d’une responsabilité citoyenne à l’égard du fonctionnement de la démocratie. Pour être compris, les exilés doivent être vus », dixit Jean-Pierre Alaux, chargé de mission au Groupe d’Information et de SouTien des Immigrés. (E.D.) m Cet ouvrage de Sylvain Gouraud est gratuit (2 € de frais de port), voir sur le site de Filigranes – www.filigranes.com www.utile-ignorance.com
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LIVRE BD
Cette histoire Les Enfants disparaissent Voix qui a fait l’Alsace de Strass CD
Les éditions du Signe viennent de sortir les deux premiers albums (L’Alsace avant l’Alsace et Alesacios, de 400 à 833) d’une histoire de l’Alsace en bande dessinée qui en comptera douze (derniers opus annoncés en octobre 2012). Le scénario est signé Marie-Thérèse Fischer et les dessins sont l’œuvre de Robert Bressy (tome 1) et Francis Keller (tome 2). Même si le trait est parfois un peu conventionnel, il s’agit d’un bel outil didactique qui permet d’appréhender avec intelligence l’évolution de la région : à la fin de chaque album, une carte et des bonus permettent d’approfondir le sujet (de savoir par exemple, dans quel musée trouver tel objet évoqué dans la BD). De la Préhistoire à la complexité des siècles obscurs (le deuxième volume s’achève en 833 par l’humiliation de Louis le Pieux au Champ du mensonge, près de Colmar), le lecteur (de 7 à 77 ans) redécouvre des pages oubliées, des premières traces humaines en Alsace – près d’Achenheim – aux intrigues mérovingiennes. (R.Z.) m Paru aux éditions du Signe (12,80 € le volume) www.editionsdusigne.fr
Écrivain, journaliste et scénariste, l’Argentin Gabriel Báñez avait confié les droits de quatre de ses romans à la maison d’édition strasbourgeoise La Dernière Goutte, avant de s’éteindre en juillet 2009. Le premier, Les Enfants disparaissent, prend la forme d’une énigme policière. Macias Möll, vieil horloger cloué sur son fauteuil roulant, vit entre son atelier et les descentes à toute bastringue d’une pente donnant sur un parc où jouent des enfants. Alors qu’il ne cesse d’améliorer son temps, des enfants disparaissent mystérieusement. Gabriel Báñez passe la société au révélateur d’une écriture bien réglée : l’ironie est douce, l’humour choisi, l’absurde sous-jacent mais toujours au service d’une narration qui recèle les joyaux d’un suspens dénué de son fard habituel, le sensationnalisme. À travers le questionnement de la mémoire, du temps et du sens de la disparition (écho aux exactions de la dictature dans les années 70), il pointe les mécanismes de défense et d’organisation de la société face à des événements qui la dépassent, à la peur et à l’incompréhension. (T.F.) m Paru aux éditions La Dernière Goutte (16 €) www.ladernieregoutte.fr
Le Chœur de Chambre de Strasbourg change de nom pour devenir Voix de Strass. Un disque éponyme sort à cette occasion et permet de découvrir la formation à géométrie variable dirigée par Catherine Bolzinger qui se consacre essentiellement au répertoire contemporain. Au programme, huit œuvres (écrites pour l’ensemble vocal) de sept compositeurs. Leur point commun ? Être passés par la classe d’Ivan Fedele au Conservatoire de Strasbourg. De Dominique Delahoche (né en 1971) à Christophe Bertrand (né en 1981, il vient tout juste de quitter la Villa Medicis) dont on entend la sublime Iôa, c’est toute une génération de créateurs que l’on peut approcher. Avec également Luca Antignani, Éric Maestri, Andrea Manzoli, Iván Solano et Maurilio Cacciatore, on découvre que les œuvres d’aujourd’hui ne sont pas, comme l’affirme Catherine Bolzinger, « froides et difficiles ». Le CD est dans les tuyaux pour les Victoires de la Musique. Affaire à suivre… (H.L.) m En vente sur le site (15 €) http://voixdestrass.free.fr/
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t’es qui toi ?
Une intervention mystérieuse dans l’espace public. À la recherche de son auteur.
Humour post- graffiti Les traditionnels graffeurs en prennent pour leur grade. Depuis quelques mois, Chifumi, activiste urbain mulhousien, tourne en dérision les clichés de la culture hip-hop à travers différentes séries de collages pop.
I
l a 22 ans, est originaire de Colmar et a choisi de se nommer Chifumi en référence au célèbre jeu de mains, “pierre, feuille, puits, ciseaux”. Cet étudiant au Quai, École supérieure d’art de Mulhouse, s’est lancé sur la “scène urbaine” il y a six mois. « J’ai été particulièrement sensible à l’esthétique des collages au cours d’un voyage à Ljubljana (Slovénie) où j’ai puisé une inspiration dynamique, impulsive. Les collages étaient posés à des endroits complètements inattendus. En ce qui concerne mes inspirations, je citerais d’abord Alsachérie1, très actif sur Mul-
house, et Ernest Pignon Ernest2 qui, depuis les années 60, a été l’un des initiateurs de la pratique de l’art urbain. Dans mes interventions, je souhaite poser un questionnement et créer un lien avec les gens sur leur parcours quotidien. C’est l’essence même du street-art, bien loin de l’égo trip esthétique du graffiti traditionnel », déclare-t-il. Chifumi dénonce la pratique du tag qui se limite à inscrire son blaze (nom) sur un maximum de surfaces, le street-art allant au delà d’une simple signature sans véritable réflexion.
Après quelques premiers collages fougueux, l’artiste s’est investi dans l’humour post-graffiti. Un genre qui se moque des stéréotypes de la culture urbaine. « Je me suis intéressé aux liens du graffiti à la culture hip-hop. Je m’amuse alors à exagérer le style et les messages qui lui sont propres. » À travers ses interventions, Chifumi dénonce l’absurdité des codes d’une culture “tribale” que les premiers venus s’approprient, en particulier hors des villes. Une culture largement répandue mais de manière superficielle. En effet, la plupart ne connaissent pas le sens des comportements qu’ils imitent au travers des clips de hip-hop vus sur MTV.
Jeux de mains
Premier code de la culture hip-hop détourné : la position des doigts de la main. Leurs différentes combinaisons constituent autant de signes de reconnaissance et d’appartenance à un groupe. Se crée ainsi tout un vocabulaire : identité de crew, salut, cool attitude, insultes… Chifumi les représente sous la forme d’affiches de mains géantes peintes à l’acrylique. « Il s’agit d’un authentique moyen de communication dont je m’inspire dans les collages pour représenter différents signes. Pour perturber les connaisseurs, je déforme les signes classiques pour en créer d’autres qui ne veulent plus rien dire. Les pseudoadeptes du graffiti se demandent alors quel crew mystérieux se cache derrière ça. » En plus de la position des doigts, des messages sont parfois incorporés sur les mains, comme les tatouages des gangstas. « Je suis très attiré par la typographie, donc j’essaye de lier les envies en inscrivant quelques messages sur les mains en fonction de mon humeur. »
Jeux de vilains
Deuxième symbole exploité par Chifumi : les messages violents du délinquant révolté contre la société. Sur ce projet l’a rejoint un associé graphiste, nommé Holgram Pictogram. « On reprend des “tags clichés” comme par exemple “Nik la bac”. On les imprime en grand format avant de les coller avec une touche très particulière, “word art”. Ce sont des ef-
Mulhouse, octobre 2009 © D.R.
fets typographiques issus de logiciels de traitement de texte. On les retrouve dans toutes les mises en page de communication populaire : döner kebabs, produits de sous marques. En mêlant cette esthétique particulière à des slogans issus du graffiti “version ghetto”, je dénonce l’absurdité et le manque de profondeur du tag à proprement
parler. » En espérant que la plaisanterie n’en énerve pas trop, Chifumi continue sa comédie urbaine… 1 2
http://alsacherie.free.fr ; voir Poly n°121 www.pignon-ernest.com Texte : Florian Rivière (www.democratiecreative.com) Portrait (gauche) : Juliette Riegel
m www.chifumi.fr
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Fervente quiétude
Olivier Debré, Grande Blanche Touraine, 1973 © Espace Fernet Branca
Olivier Debré, grand maître de l’abstraction disparu depuis dix ans, est exposé au Musée Fernet Branca qui se transforme à cette occasion en temple silencieux de l’émotion picturale.
É
lève de Le Corbusier, puis aux Beaux-Arts, il rencontre alors Picasso qui l’encourage à évoluer de l’héritage impressionniste et du tachisme 1 à l’abstraction. Fréquentant Soulages, Hartung, Poliakov, Da Silva, De Staël, Olivier Debré devient l’un des chefs de file de l’École de Paris, et aux États-Unis se lie avec Kline et Rothko. Il pratique gravure, dessin, sculpture et peinture, mais c’est dans cette dernière discipline qu’il trouvera son expression privilégiée. On lui doit, entre autres, le pavillon français de l’exposition internationale de Montréal (1967), les fresques du Théâtre des Abbesses, les rideaux de la Comédie-Française, des opéras de Hong Kong et Shanghai, les structures d’acier du tunnel sous la Manche du côté de Calais, ainsi que les décors et costumes du ballet Signes de Carolyn Carlson. Très marqué par la guerre, il cherche à représenter par la couleur et les signes, sans narration, un monde devenu infigurable. À partir des années 60, ses toiles
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s’agrandissent pour dépasser parfois la dizaine de mètres. Il met à l’œuvre une palette de tons sourds, des effets de glacis et de transparence sur de grands pans, augmentés d’empâtements très épais qui structurent la composition. Au cœur du paysage contemplé, Olivier Debré pose sa toile sur un mur, un arbre ou au sol, n’hésitant pas à marcher sur la couche picturale. Par cette gestuelle dictée par le ressenti, s’incarne une certaine spiritualité : « Lorsque je peins par terre, il existe une adhésion physique, sensuelle, presque sexuelle » affirme-t-il.2 À Saint-Louis, l’exposition, centrée sur les œuvres inspirées par la Loire (où était son atelier) et la Touraine (sa région d’enfance), compte une trentaine de toiles monumentales, notamment deux des plus grandes qu’il ait jamais réalisées : Coulée bleu clair du matin, trace jaune et Rouge coulé de Touraine. Alors que le format permet de s’abstraire des repères spatiaux en enveloppant le regard, les subtiles modulations tonales au cœur de la
couleur captent l’attention et suspendent le temps : le sujet et la réalité s’effacent derrière une “abstraction fervente” d’une grande plasticité. Il n’y a plus de paysage ni de limites, plus de contexte ni de sens, mais une expérience sensorielle à vivre : se laisser envahir par la charge émotionnelle et plonger dans l’univers du « premier portraitiste des espaces illimités3 ». Courant pictural des années 40 et 50 dont les principaux représentants sont Sam Francis, Hans Hartung ou Georges Mathieu 2 Cité par Elisabeth Petibon, in Exporevue, Bruxelles (mars 2008) 3 Comme l’écrivait en 1970 Pierre Paret dans Vie des Arts 1
Texte : Arnaud Weber
m À Saint-Louis, à l’Espace d’Art Contemporain Fernet Branca, jusqu’au 25 avril – 03 89 67 38 33 www.museefernetbranca.org
Dialogue d’un chien avec son maître
sur la nécessité de mordre ses amis de Jean-Marie Piemme, mise en scène Philippe Sireuil
Fire delights in its form Frédéric Clavère & Lionel Scoccimaro Du 5 février au 13 mars
Taps Scala en février du mardi 2 au jeudi 4 à 20h30 Par l’Opération du Saint Esprit Christian Zeimert Du 19 mars au 3 avril
Production Théâtre National de la Communauté française de Belgique, La Servante asbl. – Création 2007
Mademoiselle Maria K dans Médée de Sénèque en solo, en intégrale (ou presque)
d’après Sénèque mise en scène Patricia Pekmezian et Cécile Gheerbrant
Graphisme po.lo. , photos Raoul Gilibert
La Chaufferie galerie de l’école supérieure des arts décoratifs de strasbourg
Expositions 5, rue de la Manufacture des Tabacs, Strasbourg Ouvert du mercredi au samedi de 15 à 19 h Nocturne le jeudi. www.esad-stg.org/chaufferie
Taps Gare en février du 23 au 27 à 20h30, dim. 28 à 17h Production Cie Les oreilles et la queue, Strasbourg Création 2010
Un théâtre dans la ville, Les Taps
03 88 34 10 36 – www.strasbourg.eu – resataps@cus-strasbourg.net
cinq questions à...
Raymond-Émile Waydelich Céramiques, collages, tapis, assemblages d’objets hétéroclites, tableaux, installations, œufs d’autruche gravés, voitures customisées1… La création de Waydelich est protéiforme. À l’occasion de sa présence à Art Karlsruhe, nous avons fait le point avec l’artiste alsacien (né en 1938). Son œuvre : inventaire à la Prévert foutraque ou trajectoire rectiligne ? Les deux, mon général !
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Votre création fait feu de tout bois : êtes-vous lié par des affinités électives à d’autres artistes ? Vous savez, j’ai une vraie fascination pour ceux qui, toute leur vie, peuvent rester animés par une seule idée. Ils doivent se faire chier !!! Des gens comme Buren. Scotché sur ses bandes espacées de huit et quelques centimètres… Mon admiration va plutôt vers des créateurs comme Max Ernst, extraordinaire dans la diversité, et Marcel Duchamp, mon véritable maître. Ou encore Antonio Tàpies qui, un beau jour, a changé radicalement de cap : il peignait comme Dali et, se promenant, passe devant un mur. Tombe en arrêt. Il décide de le reproduire avec ses fissures, ses traces de couleur, sa matière… Votre œuvre est multiforme : néanmoins la “Lydia Jacob Story” peut être considérée comme sa colonne vertébrale. Pouvez-vous nous narrer sa naissance ? Je suis tombé en 1973, au marché aux puces de Strasbourg, sur un document manuscrit avec quelques dessins, des choses très simples comme la découpe d’un col. Il s’agissait du cahier d’une apprentie couturière et dessinatrice de mode. Elle se nommait Lydia Jacob et était née en 1876. Par-delà les âges, je lui ai dit : « On va s’associer tous les deux. Je vais raconter ta vie ». J’ai imaginé son existence, construit un arbre généalogique avec des oncles, des tantes, des archéologues, des militaires… Elle a voyagé, parcouru la planète, traversé les océans. Il s’agit pour moi d’une belle manière de parler du monde. Avec Lydia, j’ai jeté les bases d’un script autorisant une liberté artistique totale : aujourd’hui, l’histoire continue…
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Vous aimez également vous définir comme un « archéologue du futur » depuis que vous avez présenté L’Homme de Frédehof, 2820 après Jésus-Christ au Pavillon français de la Biennale de Venise en 1978. Que recouvre cette appellation ? Vous savez, j’ai grandi avec La Vie de Schliemann2… J’ai eu envie de réfléchir à ce que laisserait notre monde aux générations futures, à comment, par exemple, aurait pu être perçu un joueur du baby-foot découvert par des archéologues extra-terrestres en 37903, bien après la disparition de l’homme.
« J’ai une vraie fascination pour ceux qui, toute leur vie, peuvent rester animés par une seule idée. Ils doivent se faire chier !!! »
Une amulette destinée à favoriser la fécondité ? Mais ce n’est qu’une hypothèse. J’ai même imaginé Le Caveau du futur. À n’ouvrir qu’en 3790 ! À Strasbourg, place du Château sont ainsi enterrés des objets d’aujourd’hui à destination des archéologues de demain.
Une terre d’archéologie a une importance particulière dans votre création, la Crète. Que représente cette île pour vous ? Je l’ai découverte en 1984. Elle est un terrain idéal pour raconter des histoires : Malia, Agia Triada, Phaistos… Il ne reste presque rien des cités minoennes : quelques murs, des pavements, des fragments d’escaliers… Le mystère est partout, l’esprit peut vagabonder, in-
venter. En Crète, j’ai senti la mythologie comme nulle part ailleurs. Il n’y a rien d’autre que ces villes en ruines, presque plates, les montagnes, la mer et le chant des Sirènes, la nuit. En Égypte ou au Mexique, je n’ai rien pu faire. J’étais fait comme un rat mort devant ces sites immenses, ces sculptures qui s’imposaient à mon imagination. Vous parlez de la mythologie grecque : est-elle le fondement de votre mythologie personnelle, celle que vous avez créée avec son bestiaire fait de créatures griffues et dentues, menaçantes parfois, souriantes bien souvent ? Elles viennent de Crète, évidemment, mais aussi des grottes préhistoriques du Périgord et d’Espagne – Altamira fut un choc terrible – où bien plus d’animaux que d’hommes étaient représentés. En somme toutes ces bestioles racontent l’histoire de l’humanité. Les miennes prennent simplement leur succession. Une Mini customisée lors de la dernière édition de St-Art Archéologue allemand qui découvrit Troie et fouilla Mycènes 3 Ce travail a fait l’objet d’une passionnante exposition au Musée archéologique de Strasbourg en 1995, Mutarotnegra, 3790 après Jésus-Christ 1 2
Propos recueillis par Hervé Lévy Photo : Benoît Linder / French co.
m Raymond-Émile Waydelich sera présent dans trois galeries à Art Karlsruhe du 4 au 7 mars www.art-karlsruhe.de
m Assemblages montrés dans des boîtes & gravures chez Zaiss, www.galerie-zaiss.de
m Sérigraphies sur toile rehaussées chez Titus Koch, www.galerie-titus-koch.de m Sculptures en céramique & collages chez Domberger, www.domberger.de
DOSSIER – LES bains municipaux de colmar
Colmar : la culture dans le grand bain La Ville de Colmar prend un pari sur l’avenir avec un ambitieux projet architectural : la reconversion de ses anciens bains muncipaux en extension de musée d’Unterlinden. Tour du propriétaire avec les architectes, mandataires et destinataires…
U
ne feuille jaunie punaisée sur une porte : « Fermeture définitive de la piscine Unterlinden. Samedi 13 décembre 2003. 18h ». Depuis, les bains municipaux de Colmar sont vides et un nouvel équipement a été mis en service. Ils avaient été construits à la fracture du XIXe et du XXe siècle dans le cadre d’une « politique volontaire d’hygiène publique » du Reichsland Elsass-Lothringen, explique Patrice Triboux1. On trouve des bâtiments d’essence similaire – toujours en fonction – à Strasbourg et Mulhouse avec leurs bassins de natation, saunas,
salles de sudation, douches… Au départ, la Ville de Colmar, propriétaire des lieux, ne sait que faire de cet espace situé en plein centre ville qui, dans la mesure où il n’est pas classé, autorise toute les possibilités… y compris la destruction pure et simple. Il y a quatre ou cinq ans, en l’absence d’initiatives privées concluantes, germe dans l’esprit du Maire de Colmar, Gilbert Meyer, l’idée de cette extension qu’il a portée. Il est vrai qu’auparavant « la Société Schongauer avait un projet d’agrandissement indispensable à la valorisation des collections du musée. Bassin principal des bains, janvier 2010 © Stéphane Louis
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Le projet prévoit un foyer dédié aux œuvres du XIXe siècle. © Herzog et de Meuron
À l’époque, l’organisation du transport – la gare routière –, située entre le musée d’Unterlinden et les bains, rendait tout projet impossible. Parfois le hasard fait bien les choses, puisque la plate-forme est devenue un simple arrêt. »
« J’ai été le percuteur de l’affaire » Gilbert Meyer En 2006, tout est alors en place pour « frapper un grand coup ». Profitant de la négociation du Contrat de Projets ÉtatRégions 2007-2013, le Maire réussit à inscrire ce projet en première position. L’extension du musée d’Unterlinden se voyait ainsi pourvue d’un « financement privilégié » dont le montant total est aujourd’hui estimé à 24,5 millions d’euros hors taxes2 – soit une augmentation de 16,6 % par rapport au budget initial – qui comprend le coût des travaux (et les honoraires des architectes) pour la transformation du musée, des bains, la réalisation d’espaces nouveaux et la
restructuration de l’Office du tourisme. La Ville de Colmar ne supportera, au final, “que” 29,6 % du total (soient 7,25 millions), le reste étant ventilé entre l’État (20 %), la Région Alsace (16,7 %), le Département du Haut-Rhin (12,3 %), la Société Schongauer (7,1 %) et des partenaires privés dans le cadre du mécénat (14,3 %). Pour Gilbert Meyer, il était primordial, « pour défendre le projet, de le placer sur le terrain du développement économique et attirer à Colmar un public nouveau. Nous nous sommes fixés comme objectif de doubler3 la fréquentation du musée » affirme-t-il. La culture reste un levier de croissance pour les villes titraient Les Échos4 (citant une étude menée par Ineum Consulting) affirmant que Lyon investissait 212 euros par an et par habitant dans la culture, Montréal 184… Le Maire de Colmar a fait ses calculs et, sur la période 1996-2008, arrive « à une moyenne de 284 euros par an et par habitant ».
Le projet en bref Montant estimé des travaux : 24,5 millions d’euros (H.T.) Maître d’ouvrage : Herzog et de Meuron (Bâle) Architecte co-traitant : DeA Architectes, Mulhouse Surface traitée : 7 900 m2 Surface actuelle du musée : 4 500 m2
Calendrier Décembre 2003 : Fermeture de la Piscine d’Unterlinden Décembre 2009 : Confirmation du lauréat par le Conseil municipal, attribution du marché à Herzog et de Meuron 2011 : Début des travaux Septembre 2013 : Date prévisionnelle d’achèvement des travaux
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© Herzog et de Meuron
DOSSIER – LES bains municipaux de colmar
« Projeter le musée dans le futur » Herzog et de Meuron
Autre projet, autre vision P armi les quatre finalistes, le projet signé Rudy Ricciotti livrait une proposition « toute en disparition et effacement afin de donner un maximum de visibilité patrimoniale aux édifices du quartier ». L’architecte marseillais avait imaginé « la création d’un plan d’eau miroir au pied de la belle façade du couvent » pour générer « un trouble presque vénitien ». Résonance avec la colmarienne “Petite Venise”. Déçu de pas avoir pu présenter oralement son projet
au jury, anonymat oblige – ce qui lui aurait permis de faire entendre ses « convictions sur la nécessité dans ce quartier d’une attitude de disparition architecturale » –, il salue néanmoins un maire qui a osé « la création, la culture architecturale et l’architecture contemporaine ». www.rudyricciotti.com m Retrouvez l’entretien complet que nous a accordé l’architecte marseillais sur www.poly.fr © Rudy Ricciotti
Quatre-vingt-onze architectes ont répondu à l’appel d’offres. Un collège composé d’élus, de financiers et de professionnels a examiné les dossiers (présentés de manière anonyme) pour en retenir quatre : Herzog et de Meuron, Moatti et Rivière, Jean-Paul Philippon (qui avait réalisé une reconversion d’essence similaire à La piscine de Roubaix5) et Rudy Ricciotti. Au terme de la procédure, le choix s’est porté – à la quasi-unanimité, 14 voix sur 16 – sur Herzog et de Meuron, cabinet bâlois qui a reçu le Pritzker Architecture Prize en 2001 et à qui l’on doit notamment le Stade National de Pékin (le fameux “nid”), le Schaulager (Bâle), la Tate Modern (Londres) ou l’Elbphilharmonie (Hambourg, achèvement en 2011). Jean Lorentz, Président de la Société Schongauer (l’association privée de droit local qui gère et administre Unterlinden), précise que le duo suisse était « le seul à permettre au musée de continuer à fonctionner pendant les travaux. L’essentiel de nos ressources provenant de ses entrées, cela a aussi pesé dans la balance ».
« Entre sobriété et respect de l’histoire » Jean Lorentz Pas question à Colmar de construire un bâtiment aussi audacieux que le Guggenheim de Bilbao, tant architecturalement que dans son rapport avec le bâti
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existant. On a donc privilégié l’équilibre avec l’histoire en « quelques interventions simples » qui évitent « les solutions modernistes ou trop “design” telles que verrière, pont ou autre passerelle » expliquent les architectes. La municipalité envisageant de rouvrir le canal de la Sinn sur la place séparant l’actuel musée de son extension, Herzog et de Meuron ont décidé de « prolonger cet acte de reconstruction. Le lieu où se trouve actuellement le bâtiment des bains était autrefois la cour de l’économat du couvent. Nous souhaitons faire réapparaître cette cour historique, en édifiant un bâtiment en briques (qui permet à l’ensemble de se fondre dans l’existant, NDLR) à l’arrière des bains. » Sa forme et ses dimensions promettent d’être semblables à celles de la Chapelle. Et d’ajouter : « La nouvelle cour constituera un ensemble architectural d’un poids équivalent à celui du cloître médiéval des Unterlinden ». Les deux bâtiments seront reliés par une voie souterraine et un pavillon, lui aussi en briques, supplantera l’actuel office du tourisme qui prendra place dans les bains, créant « une ouverture sur le musée et renforçant les liens entre les deux structu-
res » comme l’explique Françoise Guillon Fontaine, chef du service des musées de la Ville de Colmar.
« Une expérience grisante pour un conservateur » Pantxika De Paepe Cette extension était nécessaire pour présenter l’importante collection d’art moderne du musée qui comporte des œuvres de grande taille de Mathieu, Debré ou Soulages, une collection dont à peine le dixième est aujourd’hui montré au public. Elle a de plus été enrichie par « deux donations pharaoniques » selon les mots de Jean Lorentz. « Celle de Jean-Paul Person, collectionneur parisien, qui compte 147 œuvres, dont 30 Dubuffet, et celle du peintre Joe Downing (127 pièces) ». Jusqu’à maintenant, « les expositions temporaires nécessitaient le décrochage des collections d’art moderne et de nombreux déplacements, avec tous les risques que cela comporte » rapporte Pantxika De Paepe, Conservateur en chef du musée d’Unterlinden qui se réjouit « d’avoir enfin des réserves dignes de ce nom. En consacrant en outre deux étages sur cinq aux expositions temporaires, le nouveau
bâtiment permettra non seulement de montrer un fonds où l’École de Paris est dignement représentée, mais aussi de faire des expositions temporaires plus importantes. » À l’ouverture de l’extension, fin 2013, une exposition Jean Dubuffet sera organisée (puis, l’année suivante, Martin Schongauer). Le rendez-vous est pris pour cette date… En attendant, il faudra relever le défi du mécénat (3,5 millions d’euros prévus) : un tel projet saura-t-il séduire les investisseurs privés en tant de crise ? Dans Livraisons d’histoire de l’architecture n°14, 2007 Au départ on prévoyait 21 millions mais le projet présenté par Herzog et de Meuron dépassait ce montant initial de 6 millions. La Ville et les architectes ont trouvé un accord sur une somme intermédiaire 3 Passer de 200 / 250 000 à 500 / 550 000 visiteurs par an 4 Article du 23 novembre 2009 5 www.roubaix-lapiscine.com 1 2
Dossier réalisé par Hervé Lévy et Thomas Flagel
Espace d'exposition dédié à l'art moderne. © Herzog et de Meuron
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que chacun puisse concevoir sa partition parce que je ne me sentais pas d’inventer les mots d’une femme. Comment avez-vous articulé ce travail d’écriture jusque sur le plateau ? On s’est envoyé des questions qui ont donné lieu à des textes en guise de réponse. Puis on les a mis à l’épreuve du plateau. C’est une chose d’écrire, encore faut-il que ça ait de la force. Je suis resté fidèle à ma manière de faire des spectacles : accumuler toute une matière textuelle, des machines et des machineries avant de réunir l’équipe et commencer à improviser avec ces éléments épars. C’est le moment que je préfère car on est très libres, pas encore tenus de fabriquer un début et une fin. Cela crée une sorte d’énergie, de mouvement, de dynamique… Une tension qui est évidemment au cœur du désir, de ce qui peut se passer entre deux êtres.
Je t'aime... Moi non plus Après avoir disserté en décembre 2009 sur un tas de pierres à grand renfort d’humour, de poésie et de jeux de l’esprit dans Au milieu du désordre, Pierre Meunier revient au TNS dans Sexamor. Un questionnement autour du sexe, de l’amour et de la relation à l’autre. Rencontre.
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Comment est né ce projet co-écrit avec votre partenaire sur scène Nadège Prugnard ? Je me suis posé la question de savoir si je pouvais le faire tout seul. On aurait vu un homme envahi et débordé par des questions autour du sexe, de son rapport à la rencontre. C’était plus risqué et intéressant de tenter une confrontation entre un homme et une femme. J’ai alors rencontré Nadège Prugnard, auteure, metteuse en scène et comédienne. Une forte personnalité qui vient du milieu rock versant punk, plutôt trash. Elle écrit des textes, des torrents imprécatoires avec une espèce de rage et de colère. J’ai émis l’idée
Machines, arceaux en pendule, cordes avec des poids… Autant d’obstacles à franchir pour aller vers l’autre. C’est le sens de votre mise en scène ? C’est une sorte d’épreuve à affronter pour se trouver, parfois à deux, parfois seul. Il y a aussi la confrontation à la loi physique de ces mouvements pendulaires de tensions. Un versant visible des lois autour de l’amour et du sexe, plus énigmatiques mais qui existent. La mise en danger du corps revêt son importance. Nous n’avons pas le temps de prendre des postures. Quand il y a une chose à guetter, on ne fait ni le beau, ni l’acteur. Vous mélangez les genres : jeux sur les mots (le titre, Sexamor, peut s’entendre “sexe/amour” mais aussi “sexe à mort”), utilisation insolite du Manifeste futuriste de Marinetti, chanson populaire, poème cru… De quoi cette diversité est-elle révélatrice ? Nous avons écrit énormément de textes. Le thème principal, sexe et amour, est casse-gueule. Il contient tant de chaussetrappes, de clichés qui nous rattrapent au galop, de choses auxquelles on s’attend… Nos mots se doivent de déjouer tout cela. On ne donne aucune réponse, que ce soit sur l’amour, le sexe ou la rencontre. Le désarroi est toujours là, l’énigme demeure. Mais le partage de cette interrogation
THÉÂTRE – TNS
sur l’autre et les sentiments est une chose positive en soi. Nadège et moi sommes si différents que cette tentative de rapprochement au-delà de nos différences – ou malgré elles – s’oppose à l’esprit de notre temps qui voudrait qu’on aille vers celui (ou celle) qu’on connaît, qui a les mêmes références, la même culture, la même religion… Dire le sexe, son envie de l’autre est peu présent au théâtre, d’autant plus sous cette forme bien plus directe qu’un texte classique… L’imaginaire autour du sexe est très pauvre aujourd’hui. Les images dominantes dont on nous abreuve sont extrêmement limitées et véhiculent la performance, le rapport de domination de l’homme sur la femme… De la viande qui s’agite ! C’est tragique, il n’y a rien d’autre. Quand je
Et le travail sur le corps, toutes ces petites choses qui font la cohérence et les nuances, quelle importance revêt-il ? On est soumis à rude épreuve, confrontés à des machines qui nous foutent cul pardessus tête. À un moment, je me retrouve dans une énorme cage à hamster où mon corps est en plein désarroi, sans aucun appui ferme. Des états identiques à ceux que provoquent l’amour !
dre ces gamelles auxquelles on n’échappe pas. Mais cela reste follement nécessaire. Il faut provoquer ces rencontres qui sont un bon antidote à la déception, à l’amertume. Allons-y, re-allons-y !
Propos recueillis par Thomas Flagel Photos : Mario Del Curto
m À Strasbourg, au Théâtre national de Strasbourg, du 2 au 10 février 03 88 24 88 00 – ww.tns.fr
Au final vous proposez une invitation à la rencontre ? Nous donnons de bonnes raisons de ne renoncer ni à aller vers l’autre, ni à pren-
« Les images dominantes dont on nous abreuve sont extrêmement limitées et véhiculent la performance, le rapport de domination de l’homme sur la femme… De la viande qui s’agite ! » pense aux ados, rien ne vient contrebalancer cette brutalité qui n’aide pas à s’aventurer dans une relation. Mon vœu serait que cette pièce laisse entrevoir une richesse différente où l’imaginaire peut trouver son compte de manière plus mystérieuse. Les frontières entre les genres sont de plus en plus floues. La sexualité et l’amour ne se restreignent pas à la rencontre et aux relations entre un homme et une femme. Cette dimension est-elle abordée ? La pièce parle de l’autre, de la différence. Toutes les lectures sont possibles et la transposition fonctionne. Nadège est d’ailleurs bien plus “masculine” que moi dans sa manière de haranguer l’autre. Je suis plus allusif, moins rentre-dedans que ce qu’on pourrait attendre et l’exigence de puissance et de vaillance masculine est loin d’être atteinte sur le plateau car on échappe aux clichés homme/femme.
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OPÉRA – OPÉRA NATIONAL DU RHIN
Dans le labyrinthe d’Ariadne Le metteur en scène André Engel retrouve Strasbourg avec Ariadne auf Naxos (version de 1916), monté à l’Opéra national du Rhin. Dans l’œuvre de Strauss, éléments tragique et comique se succèdent au service d’une réflexion sur l’amour.
A
ndré Engel s’était révélé au TNS dans les années 70 dans le bouillonnement qui accompagnait la direction de Jean-Pierre Vincent. Il n’était pas revenu au théâtre à Strasbourg depuis, mais avait monté Der Freischütz à l’Opéra national du Rhin en 1999. Un mauvais souvenir : « J’ai passé plus de temps à l’hôpital que sur le plateau », résume-t-il.
Le théâtre et l’opéra
Que reste-t-il de cette folle épopée du TNS, de ces seventies où tout semblait encore possible ? Lorsqu’on lui pose la question, André Engel esquisse un sourire : « Une grande nostalgie d’une période où l’utopie théâtrale était notre quotidien. Nous étions des jeunes gens issus des barricades et “l’esprit de 68” irriguait nos actes. C’était le théâtre dans la cité qui devait interroger les gens. Le grand retour à Brecht autour de Jean-Pierre Vincent, avec un collectif où l’on retrouvait Michel Deutsch, Philippe Lacoue-Labarthe ou Michèle Foucher. » Questionner le spectateur. Le bousculer. Le provoquer. Voilà le credo d’un “âge d’or”, dont certains parlent encore la larme à l’œil, qui connut ses spectacles emblématiques. Le plus fameux restant sans doute Baal monté par André Engel dans les haras de Strasbourg. Autre temps, autres mœurs. Les haras vont sans doute se métamorphoser en “biocluster” et sur le plan du théâtre, « les choses ont tellement mal tourné ». Mais ces options artistiques « influencées par la revue Internationale situationniste, cette volonté de déstabiliser la notion de représentation en proposant d’autres règles » sont toujours présentes en filigrane dans la vision du metteur en scène qui, depuis, s’est également attaqué à l’opéra. Sa première création lyrique date de la fin des années 80, au Welsh National Opéra
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de Cardiff, avec Salomé. Strauss, déjà. « Je travaille avec les chanteurs comme avec les comédiens », affirme-t-il. « Bien sûr, les uns ne sont pas aussi libres que les autres. Arriver à être parfaitement sincère, émouvant et crédible en comptant – parce qu’on est obligé de compter à l’opéra – est un exercice mental difficile. Alors je commence par leur demander de dire le texte, puis de le parler en rythme. »
Le théâtre dans le théâtre
En choisissant de monter Ariadne auf Naxos, André Engel (accompagné de son complice de toujours, le décorateur Nicky Rieti) s’empare d’une œuvre en forme de mise en abyme. Un prologue met aux prises un compositeur et son mécène. Ce dernier veut faire se succéder sur scène, dans la même soirée, un opéra mythologique sur le thème d’Ariane et une comédie, le tout s’achevant par un feu d’artifice. Ayant passé commande à deux troupes, il se rend compte que les deux représentations auront l’obligation de fusionner : le ballet-mascarade devra ainsi être présenté en même temps que la tragédie pour que
la conclusion pyrotechnique – l’élément le plus important de la soirée pour notre bienfaiteur des arts (sic) – puisse avoir lieu à 21h tapantes. Que les acteurs et chanteurs se débrouillent ! « Improviser en permanence dans notre travail, voilà un thème que nous connaissons bien. Cette histoire est aussi celle des artistes que nous sommes », confie André Engel. Ce prologue « ressemble à un opéra
« Je travaille avec les chanteurs comme avec les comédiens » complet d’une vingtaine de minutes dans lequel les portes – et nous en avons mis un maximum sur scène – claquent en permanence ». Second temps : l’opéra débute. Voilà l’histoire d’Ariane contée par les deux troupes : « On s’attend à un véritable chaos, aux Marx Brothers à l’opéra ». Mais ce complet mélange des genres – comique et tragique – ne se fait pas et l’on devrait plutôt parler de « succession des genres ». André Engel a choisi de transposer l’action dans les an-
nées 50, « parce que c’est déjà du passé, mais un passé qui nous parle directement, permettant de se dégager de la gangue historique du monde viennois où tout est censé se dérouler. L’opéra se nomme Ariadne auf Naxos… Eh, bien nous avons décidé de le faire se jouer… à Naxos. Un riche amateur d’art – l’homme le plus riche de Vienne pour Strauss – peut très bien être un milliardaire grec qui s’est acheté une île. » Nous sommes là chez Onassis ou Niarchos. Reste que sous l’apparence d’une forme hybride, puisque Ariadne est à la fois un opéra et un pastiche d’opéra, considérée comme légère – l’œuvre est assez éloignée de Salomé ou d’Elektra – pointe une habile réflexion sur l’amour : peut-on rester fidèle à soi-même et accepter d’être dépassé et transformé par l’autre ? Texte : Hervé Lévy Photos : Benoît Linder / French co.
m À Strasbourg, à l’Opéra, du 7 au 20 février – 08 25 84 14 84 m À Mulhouse, au Théâtre de la Sinne, vendredi 5 et dimanche 7 mars 03 89 33 78 01 www.operanationaldurhin.eu
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EXPOSITION – MUSÉE TOMI UNGERER
Ligne claire (made in USA) Le Musée Tomi Ungerer présente l’œuvre de Saul Steinberg (1914-1999), pilier du prestigieux magazine américain The New Yorker. Dessins, collages ou pièces en trois dimensions sont marqués par la puissance de la ligne et du trait.
L
orsqu’il découvre l’œuvre de Steinberg en 1953, dans l’album All in Line au Centre culturel américain de Strasbourg, Tomi Ungerer est ébloui : « Il ne suffisait que de quelques lignes minimales pour non pas seulement amuser, mais aussi exprimer en condensé une théorie, un concept. » C’est en effet là que réside le génie du dessinateur américain (d’origine roumaine), qui a imaginé le procédé du “one-line drawing”, un dessin tracé d’une seule ligne qui met en scène des personnages (les parents de ceux de Siné, Piem ou Wolinski) dans des situations où l’humour le dispute à l’absurde : un homme flotte dans le vide entre deux arbres, lisant un livre, une femme plie avec application des cintres pour les métamorphoser en profils rigolards ou encore de multiples variations autour du Nez de Gogol (l’histoire d’un type qui perd son tarin, également explorée par Chostakovitch dans un opéra éponyme). Nous ne sommes jamais loin des surréalistes. Parmi les 135 œuvres et documents présentés à Strasbourg, on peut du reste voir un rare cadavre exquis composé avec Picasso. Dans ses dessins politiques publiés dès 1941 dans The New Yorker (il en réalisera plus de 800 pour l’hebdomadaire américain), Steinberg « articule », selon ses mots, « une expression politique subversive ». Si la limpidité du trait demeure le fondement de son expression, il y ajoute différents éléments au moyen de techniques variées, au premier rang desquelles figure le collage : lettres, chiffres, symboles… Au fil de son œuvre, se développe une « écriture visuelle » – les mots sont du critique Pierre Schneider – dans laquelle Steinberg jette les bases d’une calligraphie toute personnelle. Ne se définissait-il pas comme « un écrivain qui dessine » ? Et dans cette grammaire, les tampons et les empreintes digitales sont des éléments
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Sans titre (Rabbit), 1960 Coll. part. © The Saul Steinberg Foundation / ARS, ADAGP Paris 2009 © York von Wittern
stylistiques fondamentaux. Celui qui a fui le fascisme italien pour les USA en 1941 est obsédé par ces deux attributs essentiels de l’administration. Que ses tampons représentent des archétypes picturaux (pensons aux personnages de L’Angélus de Millet) ou qu’ils rappellent les sceaux officiels des États (avec notamment d’amusants faux diplômes), ils sont le reflet de la fascination de Steinberg pour le trompe-l’œil, un art aussi exploré en trois dimensions à travers d’étonnantes sculptures décrites par Steinberg comme des « caricatures de musées ». Si l’ensemble est foisonnant et protéiforme, il
conserve cependant un dénominateur commun, puisque toutes les créations de l’artiste sont placées sous le signe des fulgurances de la ligne. Et l’on se souvient des mots, saisis à la volée, d’une visiteuse à l’accent un rien précieux : « Ah, c’est très trait… » Pas mal vu. Texte : Hervé Lévy
m À Strasbourg, au Musée Tomi Ungerer, jusqu’au 28 février – 03 69 06 37 27 www.musees-strasbourg.org
ORCHESTRE
PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG ORCHESTRE NATIONAL
25/26
FÉVRIER 2010
PMC SALLE ÉRASME / 20H30
DVORÁK CONCERTO POUR VIOLONCELLE & ORCHESTRE EN SI MINEUR OP.104
SIBELIUS SyMPHONIE N°2 EN RÉ MAjEUR OP.43
VASSILy SINAISKy DIRECTION
ALBAN GERHARDT VIOLONCELLE
RENSEIGNEMENTS : 03 69 06 37 06 / WWW.PHILHARMONIQUE-STRASBOURG.COM BILLETTERIE : CAISSE OPS ENTRÉE SCHWEITZER DU LUNDI AU VENDREDI DE 10H À 18H / BOUTIQUE CULTURE, 10 PLACE DE LA CATHÉDRALE DU MARDI AU SAMEDI DE 12H À 19H © CONCEPTION : HORSTAXE.FR | PHOTOGRAPHIE : CHRISTOPHE URBAIN | MONTAGE BKN.FR | LICENCES D’ENTREPRENEURS DE SPECTACLES N° 2 : 1006168 ET N°3 : 10066169
Les jeunes gars de Mustang sont sous forte influence fifties. Plus electro que rétro, ce trio clermontois chante dans la langue des yéyés et cite Elvis ou Kraftwerk. Entretien avec le chanteurauteur-guitariste qui a la banane : Jean Felzine.
Votre nom, Mustang, et le titre de votre album, A71, évoquent la vitesse… Les choses sont allées assez vite pour nous, mais on ne peut pas parler de succès fulgurant. A71 fait référence à l’autoroute que nous avons beaucoup empruntée pour venir à Paris et à l’album Autobahn de Kraftwerk qu’on adore. Nous aimons le côté hypnotique de la route et de la musique électronique. Sur notre album, il y a d’ailleurs un sample d’Aphex Twin… Quant à Mustang, nous trouvions que ce nom sonnait très rock’n’roll au moment de fonder le groupe, il y a trois ans, au lycée. Nous avions 18 ans. Quels artistes écoutiez-vous à cette période ? Nirvana, d’abord. Puis les Stooges, les Ramones, Suicide, les groupes sixties…
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Un son à la fois vintage et moderne, rockab’, electro et yéyé. Les paroles des Auvergnats ? « Seul dans ma chambre […] je rêve d’une adorable personne […] Alors, en arrière, puis en avant, je la mène au firmament. » Si, si, vous avez bien saisi le sens de cet extrait d’En Arrière, en avant qui parle… de masturbation. Mustang, une bande de petits branleurs ? Pas du tout, mais l’humour tient une place importante dans son univers habité par les jolies filles. Écoutez aussi le morceau Anne-Sophie, très librement adapté du I’m So Free, en VF, de Lou Reed. Mustang, A71 – Epic
CONCERT – LA LAITERIE
Au moment de Raw Power, album méchamment violent des Stooges, Iggy Pop citait Jerry Lee Lewis. Nous avons écouté son live au Star-Club de Hambourg et ça nous a mis le pied dedans : il y avait des chansons de Litttle Richard, de Carl Perkins… Nous sommes alors tombés amoureux d’Elvis et de la musique de cette époque. La révélation !
« L’histoire du style vestimentaire est intrinsèquement liée à celle du rock’n’roll. » Il y a cette culture des pionniers des années 50, mais vous chantez en français. Votre nom fait d’ailleurs songer au Ford Mustang de Gainsbourg ? Gainsbourg, c’est pesant : dans les poses ou la musique, c’est dur d’en sortir. Je pense notamment à un mec comme Biolay, qui est doué, mais qui singe trop. À propos de Gainsbourg, vous dites qu’il faut tuer le père… Nous nous référons à ses arrangements, sa musique, plutôt qu’à ses paroles. Nous nous interdisons les jeux de mots, le travail sur les rimes, afin de raconter des choses en français sans faire de formalisme. Il faut essayer de s’affranchir de l’influence de Gainsbourg.
les eighties sont à la mode ! Pour moi, les groupes doivent piocher dans tout ce qui est bon : nous avons choisi de taper dans les années 50, mais ne faisons pas de pastiche. Au-delà de la musique des 50’s, il y a votre look, les blousons d’universités américaines, les jeans retroussés, la banane sur la tête… C’est peut-être un peu par réaction. Nous adorons les Stooges, mais quand tout le monde s’est mis à les aimer, nous avons commencé à les écouter en cachette. Donc votre style est également une manière de vous différencier ? Tout à fait, mais ces styles que nous avons découverts sur les pochettes de disques nous ont tout de suite plu et nous ont semblé modernes. Le look d’Elvis des débuts est hyper-stylé, fascinant, les photos de Cochran sont étonnantes. On dirait un demi-dieu. Propos recueillis par Emmanuel Dosda Photos : Dimitri Coste
m À Strasbourg (avec les Plastiscines), à La Laiterie, vendredi 26 février 03 88 237 237 – www.laiterie.artefact.org
Le premier RCA (Elvis Presley, 1956) dans sa version CD avec tous ses bonus (Heartbreak Hotel, My Baby Left Me…) est celui qui nous a filé le virus. Et des crises de nerfs, dans ma salle de bains, quand j’ai voulu me coiffer comme lui. La pochette est vraiment d’avant-garde.
Le premier gros choc. Funhouse (1970) surtout. L’orgasme en musique, vraiment.
Suicide (1976), c’est vraiment ce qu’on attendait après s’être gavé de Stooges et de Velvet. Est-ce qu’on peut faire mieux avec des machines ?
Le papa de toutes ces musiques hypnotiques qu’on adore. Le dieu de la gratte. Notre héros, comme Iggy.
Nous sommes tous d’accord sur Pet Sounds. Le versant lumineux (quoique) de Funhouse. Il y a des trucs qu’on ne pige toujours pas. Une vraie cathédrale ! Il en manque plein, les Français, les pionniers 50’s, la soul, les punks, les Beatles et le Velvet Underground bien sûr, mais voilà une bonne part de ce qui a fait notre musique.
Et faut-il tuer Elvis ? Pour moi, c’est un sommet, bien au-dessus de Gainsbourg. Il a eu un rayonnement mondial, il est inépuisable, c’est la matrice : Elvis porte tous les rockeurs qui l’ont suivit. Ils n’ont fait que développer un des aspects qui existaient déjà chez lui : Roy Orbison, le mélodramatique, Jerry Lee Lewis, la sauvagerie… La bestialité, la tendresse, l’humour : Elvis a toutes ces choses en lui. Est-ce parce que vous allez chercher loin dans le temps, dans les fifties, qu’on vous taxe parfois de “rétro” ? Tous les groupes qui font du simili Stooges, du simili Wire, ne sont pas traités de rétro, car leur musique est à la mode. Aujourd’hui, c’est pire que tout vu que
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FESTIVAL JEUNE PUBLIC – MOMIX
Contes cruels pour la jeunesse La compagnie lyonnaise La Cordonnerie est invitée à présenter trois spectacles lors de Momix : La Barbe Bleue, Ali Baba et L’Éternelle fiancée de Frankenstein. Des fables qui fichent (un peu) la trouille sous forme de films dont la bande-son est jouée en direct.
C
réée en 1996, La Cordonnerie ne se distingue pas uniquement pour ses débuts, dans l’arrière-boutique d’une cordonnerie, ni pour ses premières tournées, façon “Tour de France”, à bicyclette. Si nous nous penchons sur ces Lyonnais bien chaussés, c’est pour la qualité et l’originalité des spectacles qu’ils proposent : des films dont la musique, les dialogues et les bruitages sont post-synchronisés en direct. La compagnie travaille en deux temps. La réalisation d’« objets de cinéma muet, sans son », puis la seconde
Les Cordonniers ne craignent pas de jouer sur ces décalages, de provoquer la peur chez les gamins écriture, scénique cette fois-ci, exécutée par les comédiens, le batteur, la pianiste et autres bruiteurs. La Cordonnerie, troupe de théâtre qui fait du cinéma ou équipe de ciné qui fait du spectacle vivant ? Un peu des deux, d’après Samuel Hercule, son directeur artistique, acteur de formation et réalisateur occasionnel de vidéo-clips et courts métrages. Le cinéma reste à la base de leur démarche. Ali Baba et La Barbe Bleue ont été tournés en plateau au Théâtre de Vénissieux qui a accueilli la compagnie pour une résidence de 2002 à 2007. Le tournage du petit dernier, L’Éternelle fiancée de Frankenstein a eu lieu à Villefranchesur-Saône, dans la villa de Vermorel, industriel contemporain des Frères Lumière, ainsi qu’à Thonon-les-Bains, au bord du
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Lac Léman, pour les scènes extérieures. Détail amusant : c’est sur les rives de ce même lac que Mary Shelley a écrit Frankenstein. Si Buster Keaton, Charlie Chaplin ou Harold Lloyd ont beaucoup influencé leurs premiers spectacles, les Cordonniers sont sortis « de ce carcanlà » pour inventer leur propre cinéma qui fait néanmoins des clins d’œil à Jacques Demy (Frankenstein avec ses allures de comédie musicale) ou à Sergio Leone pour Ali Baba : des ambiances de western et des « personnages solitaires qui n’ont plus rien à perdre ». Pour La Barbe Bleue (« une histoire très simple qui fait à peine trois pages »), la compagnie est restée respectueuse de l’histoire, prenant plus de liberté avec Frankenstein. « Mise à part l’idée globale d’un docteur qui ramène à la vie un homme qui devient sa créature, nous n’avons rien gardé de l’œuvre de Mary Shelley », indique Samuel. Ali Baba et son frère Kassim sont, quant à eux, devenus pompistes… Dans le film-spectacle de La Cordonnerie, Kassim est tué (il est même découpé en morceaux dans la version originale, « très violente ») par les 40 voleurs, une bande de loubards à mobylette à la Easy Rider. Une scène qui effraye les enfants, mais fait rire leurs parents… Les Cordonniers ne craignent pas de jouer sur ces décalages, de provoquer la peur chez les gamins, par exemple en projetant un film dans le film : celui de Barbe Bleue qui a filmé ses ex-femmes trucidées, en Super 8. Une mise en abîme intéressante, « très forte en matière d’épouvante », se réjouit Samuel. Pour lui, « les enfants adorent avoir peur, un sentiment que même les adultes recherchent ».
Dans Frankenstein, les choses sont plus suggérées que montrées, notamment avec des séquences en ombre chinoise qui rappellent l’expressionnisme allemand. Les enfants, pourtant abreuvés d’images, sont extrêmement réceptifs « si on leur offre un autre regard ». Texte : Emmanuel Dosda Visuel : L’Éternelle fiancée de Frankenstein
m À Mulhouse, à La Filature, La Barbe Bleue, mercredi 3 février, Ali Baba, vendredi 5 février (6 ans et +) m À Kingersheim, à l’Espace Tival, L’Éternelle fiancée de Frankenstein, samedi 6 février (8 ans et +) www.lacordonnerie.com
Un autre regard Spectacles de marionnettes à gaines, contes, théâtre d’objets ou d’ombre, danse et jeux de costumes… Cette 19e édition du festival jeune public Momix, concoctée par le Créa de Kingersheim, rassemble une trentaine de spectacles, très divers. Une programmation résolument audacieuse, mais toujours ludique, éclatée sur une quinzaine de lieux. Outre les soirées Cabaret (de petites formes présentées au bar de l’Espace Tival) et les expos (trois cette année, dont celle du dessinateur Vanoli), Momix propose pour la première fois Un autre regard en
partenariat avec l’Office National de Diffusion Artistique : une mise en lumière de cinq compagnies (Cie L’Escabelle, Cie Tro-Héol…) dont la démarche est particulièrement aventureuse et impose de nouvelles esthétiques. Elles ne redoutent pas de « prendre des risques » selon Philippe Schlienger, directeur du festival, qui avoue regretter une certaine frilosité ambiante dans la diffusion artistique et aimerait faire bouger les choses. Si ce “labo” s’adresse essentiellement aux professionnels, les enfants et leurs parents retrouveront cette même audace dans les
spectacles de la programmation “classique” de Momix, dans le spectacle du Materialtheater ou du Theater Marabu, chez Gangpol & Mit ou la compagnie de L’oiseau-mouche… Momix se veut plus que jamais un festival « de découvertes et de langages exigeants ». m Momix, jusqu'au 7 février, à Kingersheim (au Créa, à l’Espace Tival) et autres lieux (La Passerelle à Rixheim, La Salle du Cercle à Bischheim, la Médiathèque de Guebwiller, L’Espace Athic à Obernai…) 03 89 57 30 57 – www.momix.org
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l’illustrateur
Alexis Beauclair Né en 1986, Alexis est diplômé de l’Ésad depuis 2009. Outre ses participations à la revue Belles illustrations (le n° 3 est présenté au festival d’Angoulême), il a réalisé l’ouvrage Aphorismes de Friedrich Nietzsche illustrés, édité chez Orbis Pictus. Il s’est récemment installé avec d’autres illustrateurs de sa promo dans un atelier, rue de la Nuée-Bleue à Strasbourg, afin de poursuivre des projets communs et individuels. www.alexis-beauclair.com www.bellesillustrations.com
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La main virtuose de Chopin (d’après un moulage) qui repose sur le tracé mélodique d’une première phrase de la Valse, opus 64
Chopinissimo En invitant trois pianistes d’exception, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg rend hommage à Frédéric Chopin, dont on célébrera, le 1er mars, le 200e anniversaire de la naissance.
«T
rop fréquemment », comme l’écrit Dominique Bosseur dans l’Histoire de la musique occidentale (publiée chez Fayard), Chopin est « considéré comme le représentant le plus actif d’un certain romantisme, à la fois passionné et mièvre, tumultueux et efféminé ». Si l’on peut effectivement reconnaître là certains traits constitutifs de l’art du compositeur, le cliché n’en demeure pas moins profondément réducteur. Les trois pianistes invités à l’occasion de ce “Passeport Chopin” de l’OPS nous prouveront que, « sur le plan technique, il est nécessaire d’être, en même temps, dans la chair du piano – afin de le faire chanter – et en suspension totale, car cette musique est, la plupart du temps, d’une extrême fluidité ». Les mots sont de Brigitte Engerer, qui interprétera une sélection de ses Nocturnes. Ils résument bien l’exigence requise par une partition de Chopin. On se souvient en
outre de la “définition” donnée par George Sand à laquelle l’unissait une tendre complicité : « Le génie de Chopin est le plus profond et le plus plein de sentiments et d’émotions qui ait existé. Il a fait parler à un seul instrument la langue de l’infini. Il a pu souvent résumer, en dix lignes qu’un enfant pourrait jouer, des poèmes d’une élévation immense, des drames d’une énergie sans égale. Il n’a jamais eu besoin de grands moyens matériels pour donner le mot de son génie. » On le découvrira en compagnie de l’un des plus importants pianistes de la scène internationale Evgeny Kissin, avec le Concerto pour piano et orchestre n°2 : depuis le début de sa carrière, Chopin est resté un repère important, un phare, irriguant toutes ces années d’une inextinguible lumière. Également de la partie le jeune virtuose chinois Yundi Li : il n’a pas encore 30 ans et sait faire montre d’une
extrême probité et d’une sobriété inspirée dans l’interprétation. Deux éléments qu’il a su rendre compatibles avec une émotion à fleur de peau. Brigitte Engerer complète le trio, lui donnant une touche féminine, elle qui se « voit comme un passeur, mais aussi en quelque sorte comme un prêtre. Les interprètes sont un lien entre cette chose sacrée qu’est la musique et le public. C’est en cela que notre rôle est important : à nous de faire aimer et comprendre les œuvres des compositeurs. À la moindre malhonnêteté, on peut trahir irrémédiablement une partition. » Texte : Hervé Lévy Illustration : Loïc Sander
m À Strasbourg, au Palais de la musique et des congrès, vendredi 19 février (Evgeny Kissin) et à la Cité de la Musique et de la Danse, samedi 27 février (Brigitte Engerer) et vendredi 26 mars (Yundi Li) – 03 69 06 37 06 www.philharmonique-strasbourg.com
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Heureux qui comme… Élise Combet se met dans la peau de Pénélope et nous invite, au TJP, à un voyage mythologique et poétique. Une épopée sur l’absence pour une comédienne & marionnettiste.
P
énélope – Élise Combet, seul être un type qui lui propose de réaliser une de chair et de sang du specta- douzaine de travaux… domestiques. Porcle – débarque sur scène dans une tée par une volonté de fer, elle est « une carriole. Cerbère, son “chien-squelette”, terrienne, très naturelle », qui « nous aboie bruyamment. Plus tard, l’oiseau fait glisser du réel au fantastique », exHermès se mettra à chanter. On apprend plique Élise Combet, diplômée de l’École qu’elle vit avec son fils (Télémaque) qui nationale supérieure des arts de la mane parle plus, affecté par le départ du père rionnette de Charleville-Mézières. Cette de famille (Ulysse). L’héroïne est partie ex-Strasbourgeoise, aujourd’hui Tourangelle, incarne le persur les traces de son mari et conte sa propre « C’est le manque sonnage homérique au long d’un récit expédition au fiston qui guide Pénélope tout bâti par son complice, muet (une marionnette) et au public. Musique, dans son périple » Hubert Jégat. Véritable femme-orchestre, elle vidéos, muppets à bouche mobile et autres objets concoctés par anime aussi le petit monde qui l’entoure, la compagnie d’Élise, CréatureS : tout épaulée par un régisseur planqué dans la l’attirail scénique provient de la caravane roulotte. (le spectacle a été conçu pour tourner dans Le propos n’est – a priori – pas facile à les écoles) faite de trappes et de caches, de appréhender par les petits. Cette tragédie pans qui s’ouvrent, puis se referment au fil familiale nécessite des rebondissements de l’histoire. Durant sa quête, Pénélope permanents, des astuces de mise en scècroise de drôles de personnages : Circée ne pour les maintenir en haleine. Mais la magicienne, le Cyclope, des sirènes, Élise s’interdit la censure : tout peut être
montré et dit aux gamins. « Ce sont les adultes qui projettent des peurs sur les enfants. » Pénélope est une pièce sans happy-end (« Le monde est trop vaste pour qu’elle retrouve le père en une heure de narration »), où tout n’est pas expliqué. Les problèmes sont abordés frontalement, notamment le sujet très actuel de la monoparentalité : « Comment vit-on sa solitude face à ses responsabilités, en parler, combler les vides ? » Dans ce spectacle sur l’absence, c’est « le manque qui guide Pénélope dans son périple ». Détail essentiel : l’héroïne est une artisane ambulante. À partir de mauvaises bobines de laine, elle en refait de nouvelles, de village en village. Tout ce que dit cette “embobineuse” est-il vrai ? Fait-elle comme le père fabulateur dans Big Fish de Tim Burton, romance-t-elle ses aventures ? « Est-ce qu’elle invente ? Je n’ai pas de réponse à cette question. » La pièce finit dans l’émotion, parfois les larmes – Élise “vit” littéralement cette Odyssée – et dans une profonde obscurité. Un noir qui rime avec espoir : « Pénélope a avancé en tant que maman, que femme, elle a fait un bond. » Texte : Emmanuel Dosda Photos : Christophe Loiseau
m À Strasbourg, au TJP Petite Scène, du 23 au 28 février (7 ans et +) 03 88 35 70 10 – www.theatre-jeune-public.com m À Vendenheim, à l’Espace culturel, mercredi 3 mars 03 88 59 45 50 – www.vendenheim.fr Élise Combet proposera également Lucien (6 ans et +), spectacle “d’aquarium pour une marionnette et un poisson rouge”, au MAMCS, samedi 27 février à 14h30 et vendredi 28 à 11h 03 88 23 31 31 – www.musees-strasbourg.org
portrait
L’iconographe ou le chef-d’œuvre inconnu documentation céline duval. Trois mots pour un nom d’artiste qui n’admet aucune majuscule. Invitée à exposer son travail de collecte d’images et de révélatrice critique de stéréotypes photos à La Filature, cette Normande de 35 ans dialogue avec les œuvres de Frédéric Bridot et Hervé Coqueret garnissant, avec elle, Les Frontières de sable.
M
ais qu’est-ce qui peut bien pousser une jeune femme à passer son temps entre les marchés aux puces et les sites Internet de vente en ligne à la recherche d’images et de vieilles photographies d’amateurs ? Une certaine nostalgie ? Un miroir du temps présent ? De soimême ? Dès son entrée aux Beaux-Arts de Nantes en 1993, la jeune céline duval se démarque très vite de ses camarades, clamant haut et fort ne pas vouloir devenir artiste afin d’échapper à « la pression institutionnelle découlant de l’engouement pour le “jeune artiste” ». Intriguée par la représentation du monde, la place et l’usage de l’image, cette fondue de photographie conce-
vait des installations dans lesquelles les appareils qu’elle confectionnait s’autodétruisaient au cours du procédé photographique. Dans Le Dîner aux chandelles, composé de deux appareils en cire avec des mèches intégrées se faisant face, elle demandait à un couple de venir prendre la photo dans le noir en allumant la mèche. Celle-ci donnait la lumière nécessaire tout en faisant fondre le sténopé, noircissant du même coup le papier inondé de lumière et rendant impossible sa révélation. Ce baiser de deux appareils éphémères laissait déjà poindre l’âme poétique de céline. Il illustre aussi toute la complexité de son rapport passionnel à l’image, entre sensibilité exacerbée et critique exaltée.
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portrait Un regard sur le monde
Pas étonnant qu’elle confesse une grande influence de l’art conceptuel sur sa démarche. « Je me suis rendue compte que la photo n’est pas l’œuvre en soi. C’est plutôt ce qu’il y a derrière, ce qu’elle est et ce qu’on en dit. » À La Filature, documentation céline duval a conçu une exposition critique sur la notion de frontière. Aux 26 barrières devant des rues privatisées de Nantes photographiées par Frédéric Bridot, elle adjoint des échappatoires : L’Ascension
« Trouver une image parmi mille me donne l’impression de l’avoir faite ! » qui évoque tout autant les barreaux d’une prison que le dépassement de soi et L’Envol (saute-mouton d’un homme par-dessus quatre autres). Plus loin, Conquêtes et édifices, série de quatre affiches créées pour l’expo – qu’elle se fera un plaisir d’arracher à sa fin –, est un assemblage de photos anciennes (L’Homme et le Sommet, L’Homme et l’Édifice) et récentes (L’Homme et l’Arrogance où des anonymes se photographient devant le tout dernier symbole phallique démesuré, la fameuse tour Burj Khalifa de Dubaï) qui forment un condensé de son travail : stéréotypes photographiques (jeux sur les échelles
de grandeur en coinçant un monument entre ses deux doigts, pose fière les mains sur les hanches…), corps mis en espace et critique de la société de consommation et de normalisation actuelle (les titres savoureux de ses montages indiquant les clés de lecture). Entière et ne s’épargnant rien, son besoin d’image l’a conduite à s’en abreuver jusqu’à écœurement. Alors en 4e année des Beaux-Arts, elle décide de ne plus produire un seul cliché. De longs mois durant, ses appareils sont remisés au placard. Diplôme en poche, céline monte à Paris en 1998, parfait sa connaissance de la chaîne graphique en trouvant un job d’iconographe pour une banque d’images. Elle dévore alors les magazines par centaines, aiguisant son œil et développant sa culture de l’image. La documentation céline duval est en marche. Elle identifie, conserve, classe, nomme. La frénésie touchant à l’entêtement. « Personne ne s’intéressait alors à la photographie amateur. J’étais vraiment une précurseur, passant mon temps libre aux puces, à chiner de vieilles photos pour vingt centimes de franc. » L’amateurisme et la dimension économique se doublent d’une conscience idéologique certaine. Tout ce qu’elle collecte est en réaction à des représentations du monde qui l’interpellent, parfois, la choquent, souvent. « Je n’ai jamais rien fait pour l’argent. Le magazine pour lequel je travaillais s’est arrêté au bout d’un an. J’ai alors pris des mi-temps pour pou-
Les Conquérants
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Homme-socle n°3
voir continuer, en parallèle, ces accumulations d’images dont je me sers aujourd’hui. »
Amateurs dans le viseur
Naissent des regroupements sur les typologies de regard où elle essaye de mesurer leurs intensités : affectifs, consommateurs, lecteurs… « Utopique mais passionnant ! » Même si une proximité avec les préoccupations anthropologiques de description des us et coutumes mais aussi des habitudes humaines existe, la démarche et les objectifs de céline divergent. Elle, aime les failles. Les choses mal cadrées. L’ombre du photographe s’invitant dans la photo, « ce qui vient perturber et rendre les choses moins lisses ». De l’humain, loin des clichés actuels de la photographie où tout est parfait. Sans saveur. Sans odeur. Dans son appartement du bord de mer, à Houlgate (Normandie), une pièce est entièrement dédiée à ses archives. Six boîtes à couvercle coulissant de cartes postales, des tiroirs en rayons suspendus pour les photos de magazines et un ordinateur qui déborde de scans. « Je n’ai jamais compté mes archives. Tout est très sélectionné, classé avec soin. Il y a 10 000, peut-être 20 000 photos, je ne sais pas… Pour ne pas me laisser déborder, j’enlève des cartes quand je veux en mettre d’autres. Sinon c’est
trop névrotique et je vais de mieux en mieux donc je n’ai pas besoin d’avoir trop ! » Depuis deux ans, elle a banni tout magazine de chez elle. Résilié ses abonnements, conséquence directe des retouches à outrance et de l’esthétique porno-chic / porno-trash poussée à l’extrême qui s’est imposée dans la pub. Malgré tout, ses archives de presse sont sans doute les plus importantes. Elle se donne seulement moins le droit de les utiliser. céline a fait « le choix de l’amateur dont le moteur est l’amour. Celui du professionnel est l’argent. Tout se situe là. » Amateur n’est d’ailleurs pas péjoratif, elle-même refusant toute majuscule à son nom pour se mettre en retrait, comme ces anonymes dont elle utilise les clichés. « La plupart du temps, ils savent tout aussi bien se servir techniquement de leur appareil qu’un pro. Mais ils n’en vivent pas. Le sentiment est plus noble à mes yeux. »
Conquérants (enfants escaladant un rocher), Homme-socle n°3 (photo renversée d’un homme portant le monde à bout de bras) ou encore L’Architecte, seule photo prenant place sur les murs de son appart’.
filmerais. Ça me plaît d’avoir passé 10 ans à créer un fonds et de le brûler. Mais pas n’importe comment ! Je voudrais lâcher mes photos dans le feu, comme des feuilles mortes qui tombent. » Le besoin de détruire comme un besoin de créer…
« Détruis ce que tu aimes ou ce que tu aimes te détruira », dit Oscar Wilde. Des mots qui résonnent en elle. « Tant que je n’aurais pas brûlé mes archives, je ne pourrais passer à autre chose. J’y pense depuis peu. Je voudrais les faire fondre en les brûlant dans un acte politique, proche d’un autodafé que je
* www.semiose.com Texte : Thomas Flagel Portrait : Jean-Philippe Senn
m Les Frontières de sable, à Mulhouse, à la galerie de La Filature, jusqu’au 21 février 03 89 36 28 28 – www.lafilature.org www.doc-cd.net
Liberté d’artiste
Pas question de s’enrichir avec son œuvre. Les expositions n’intéressent d’ailleurs guère documentation céline duval qui n’accepte de mettre ses photos au mur que depuis 2006. Elle leur préfère toujours l’édition qu’elle pratique sans relâche depuis 2001. « C’est pour moi la seule place de l’image. J’édite tout ce que je peux, gratuitement ou le moins cher possible grâce à des co-éditions : des livres avec des séries, La Revue en quatre images (60 numéros de 2001 à juillet 2009), sept cahiers avec mon artiste préféré, HansPeter Feldmann… » Vivre de son statut de professeur d’image et d’édition aux Beaux-Arts de Caen lui donne une grande liberté de création. Elle ne réclame jamais d’argent à son galeriste* lorsqu’il vend ses œuvres. « De toute façon, je serais mal à l’aise si j’en gagnais trop », confie-t-elle. Son bonheur demeure loin du marché de l’art et de son économie. Elle préfère sans conteste que son galeriste co-édite les quelques livres d’avance qu’elle stocke, prêts à être imprimés, dans son ordinateur. Malgré tout, elle est fière de présenter SES icônes dans de grands formats « dont le tirage a coûté une fortune » : Les L'Homme et l'Édifice Poly 131 - Février 10 _ 43
D'or et de
crasse Lauréat du Prix Europe pour le théâtre en 2009, le metteur en scène Krystian Lupa présente sa seconde version des Présidentes à la Comédie de l’Est.
I
l est des hommes de théâtre dont l’immense talent fait de chacune de leurs représentations des immanquables. Avant sa venue au Maillon au mois de mai pour La Tentation de Véronique la tranquille, le Polonais Krystian Lupa nous donne rendez-vous à la Comédie de l’Est. Pas étonnant que l’auteur du Théâtre de la révélation – dans lequel il exposait sa conception de l’art de la scène comme instrument d’exploration et de transgression des frontières de l’individualité – ait été séduit en 1999 par Les Présidentes, premier texte publié par Werner Schwab neuf ans plus tôt. Dans un subtil mélange de douce ironie, d’humour et de violence, cet auteur provocateur et sans pitié pour la société occidentale dresse une critique de l’hypocrisie bien-pensante au travers des discussions de trois amies réunies chez l’une d’elles. Marie, jeune ingénue ne jurant que par les Écritures, Erna qui économise jusqu’aux bouts de chandelles et se fait plus de souci pour la descendance que son fils échoue à lui donner que pour sa propre vie, et Grete, femme libérée et émancipée
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THÉÂTRE – COMÉDIE DE L’EST
n’ayant que son chien pour la consoler d’une vie chaotique, ont en commun un manque total de regard sur soi. Dans leur misère affective, elles se raccrochent à ce qu’elle peuvent : leur foi, les discours du Président, la parole du Pape dont un extrait retransmis à la télé fait de l’avortement et de l’euthanasie des crimes terribles envers la dignité humaine… C’est le petit peuple, ses préjugés et sa vie misérable qui nous sont donnés à voir. Krystian Lupa transpose les laissés-pour-compte de l’Autriche opulente de l’enfance de Schwab, mort d’une overdose éthylique en 1993 (à 36 ans seulement), en Polonaises qui traversent ce début de siècle, subissant de plein fouet les dégâts d’un modèle de société ayant érigé la réussite et l’individualisme en valeurs reines.
Les bas-fonds de l’âme
« Les Présidentes […] est une pièce humaniste » estime Lupa. « J’ai trouvé en elle une vérité, des comportements humains, empreints de sensibilité, de douleur, de désir de bonheur. » Ce huis clos empli de paroles, l’homme du “théâtre d’art” l’avait déjà monté en 1999. Dix ans plus
tard, il y revient, fuyant la mode actuelle du recours à l’utilisation des nouvelles technologies et au croisement des arts (vidéo, musique…). Pour lui, le théâtre est un bien un art du texte et de son interprétation. Entre les lignes des Présidentes se dessine la critique d’un révisionnisme historique (« Pas un seul nazi en Pologne
La vérité est insupportable pour qui ne peut se raccrocher qu’à des croyances dénuées de raison. à part Hitler »), mais aussi de la religion, de l’absence de culture et d’une vision de l’art comme outil de propagande moralisatrice. Schwab réussit à embrasser et à manier tous ces sujets avec, pour seuls ressorts, les discussions et les rêves éveillés des trois femmes. Leurs propos hérissent, exaspèrent. Si l’on rit avec elles, on rit d’elles plus souvent encore. Bien entendu,
lorsqu’en partageant leurs rêves, Marie, la plus jeune et la plus stupide, les mettra dans son extrême candeur face au miroir de leurs vies ternes et miteuses, le drame reprendra ses droits. La vérité est insupportable pour qui ne peut se raccrocher qu’à des croyances dénuées de raison. À l’image de bien des textes dont s’est emparé Krystian Lupa (signés Robert Musil, Reiner Maria Rilke, Thomas Bernhardt ou encore Mikhaïl Boulgakov), celui-ci constitue une radiographie sans concession de l’âme humaine et de ses tourments. La recherche – désespérée – du bonheur personnel dans une vie tristement vide n’est pas qu’une histoire couchée sur papier. C’est surtout l’un des symptômes de la modernité et des tourments humains dont la foi ne constitue, définitivement, pas la clé. Texte : Irina Schrag Photos : Bartosz Maz
m À Colmar, à la Comédie de l’Est, jeudi 25 et vendredi 26 février (en polonais surtitré) 03 89 24 31 78 – www.comedie-est.com
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urban intrusion
Des lieux oubliés, fermés, abandonnés – visites clandestines
BISCUITERIE MUNSTER VENDREDI 6 NOVEMBRE 2009, 13H30 48°02’28” N / 07°09’09” E
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Un hall immense. Presque vide. Entreprise fermée. Machines parties. Vendues ? Expatriées dans un pays où la maind’œuvre est moins chère ? On ne sait pas. On s’en moque. Quelques traces éparses demeurent cependant, donnant des indications fragmentaires sur l’ancienne fonction du lieu : la fabrication de biscuits (notamment ceux de la “marque distributeur” du groupe Coop). Des rouleaux de film plastique abandonnés ici ou là, quelques étiquettes en russe, de rares éléments métalliques, vestiges d’une chaîne à la destination inconnue… Une grande partie de l’espace est cependant occupée par des concrétions incertaines faisant songer aux
compressions du sculpteur César. Comme si on avait commencé un travail de reconversion et de nettoyage. Jamais achevé. Voilà un univers de dévastation triste et spongieuse – il n’y a plus guère de toit – où s’est développée une végétation indéterminée qui renvoie à un processus de destruction molle. Comme une vision fulgurante et douloureuse de l’avenir de nos sociétés : La Route de Cormac McCarthy. Texte : Hervé Lévy Photos : Stéphane Louis Lieu non visitable
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Artchitece
Art et archi se fondent chez Séverine Hubard, « constructrice » du Village érigé au MAMCS. Découverte de son œuvre bien charpentée.
A
u début de notre entretien avec Séverine Hubard, nous évoquons la récente édification de la tour Burj Khalifa à Dubaï : 800 mètres, 160 étages, un record. « Ça me fascine, cette intention d’aller toujours plus haut, comme pour la tour de Babel. Moi, je propose de faire des détours, de prendre des tangentes, plutôt que d’aller directement au sommet », nous glisse-t-elle en guise d’introduction à sa démarche. Si cette plasticienne lilloise, née en 1977 et membre du collectif Interim*, s’exprime via la photo, la vidéo ou la performance, elle concentre essentiellement sa pratique sur la sculpture. Elle use d’un vocabulaire architectural, comme en atteste son Village, œuvre monumentale installée (pour trois ans) dans le “jardin de sculptures” au fond de la nef du MAMCS. Adroit jeu d’équilibre (comme pour sa série Badaboum, 2002/04), le Village se compose de 18 cabanes identiques, articulées les unes aux autres, tel un atome. C’est la maquette (à l’échelle 1, il s’agit de cahutes pour enfants) d’une sorte de quartier pavillonnaire vertical, de dix mètres de haut. Pourquoi, 48 _ Poly 131 - Février 10
dès ses débuts (vers 2000), travaille-t-elle sur l’architecture ? « Parce que je n’ai pas de maison, je suis une artiste sans atelier », prétend-elle avec humour, avant de préciser : « Je suis quelqu’un de très urbain et trouve que c’est un bon sujet car il y a des modèles partout autour de moi ».
L’art c’est la vie
Pas d’intention critique de la part de Séverine Hubard. Son Village n’est pas une condamnation des quartiers uniformes et concentrés (« encore moins du marché de Noël », comme certains l’ont pensé). De même, sa vidéo de 2007, Un jour, mettant en scène une maison sur pattes qui fuit son lotissement, n’est pas une réflexion sur les mutations urbanistiques. Même si elle ne réfute pas ces lectures, « ce sont des phénomènes que j’observe, mais que je ne théorise pas ». Ses compositions sont des « modèles de pensée », pas des « utopies architecturales ». « C’est l’idée qui compte, celle de ne pas suivre l’ordre établi. » L’artiste porte un regard oblique sur notre environnement afin de rendre le
quotidien plus fantaisiste. « Il faut habiter poétiquement le monde », affirme-t-elle en citant Hölderlin. Le travail de Séverine Hubard se nourrit autant de celui des sculpteurs anglais Richard Deacon et Tony Cragg, que du peintre Van Doesburg (l’utilisation des diagonales) ou des architectes Zaha Hadid (la déconstruction) ou Claude Parent (les obliques). Elle mentionne également Fluxus, notamment Robert Filliou qui pense que « l’art rend la vie plus intéressante que l’art ». Les œuvres de Séverine Hubard rendent, elles, la vie plus intéressante que l’architecture. * Groupe artistique strasbourgeois qui “interroge les règles du jeu social, économique et politique” www.interim-artistes.info Texte : Emmanuel Dosda Photo : Séverine Hubard
m À Strasbourg, au Musée d’Art Moderne et Contemporain, jusqu’au 30 octobre 2012 En partenariat avec les Journées de l'architecture – www.ja-at.eu m Voir aussi Le crâne de pierre et La répartition des Pierre, au Musée archéologique, jusqu’au 31 août 2010 – 03 88 23 31 31 www.musees-strasbourg.org
Foire d‘art moderne et contemporain 4 au 7 mars 2010 Messe Karlsruhe www.art-karlsruhe.de
Cinq artistes. Cinq sacs de toile sérigraphiés. une œuvre solidaire. Le Groupe Coop AlsACe organise une action artistique mobilisant 5 peintres et sculpteurs travaillant en Alsace : sylvie lander,
raymond-emile Waydelich, Christophe Meyer, Daniel Depoutot et Christian Geiger. Chacun des cinq artistes a réalisé une œuvre sé-
rigraphiée sur un sac en tissu ; celui-ci est vendu 5€ en sortie de caisse dans tous les magasins du Groupe Coop Alsace, des hypermarchés Leclerc et des supermarchés Leclerc Express.
Coop ArT AlsACe
En devenant propriétaire d’un sac de courses Coop ArT AlsACe, chacun gardera une œuvre d’art tout en contribuant au financement de deux actions solidaires. Les bénéfices seront intégralement reversés aux « ESAT » (Etablissements et Services d’Aide par le Travail) d’Erstein et de Mulhouse. Autre possibilité d’obtenir des sacs de courses Coop ArT AlsACe : envoyer un émail à ch.fleurov@free.fr ou tél. : 06.74.41.86.83 .
Par-dela bien et mal Le collectif Olympique Dramatique, trublion du théâtre belge installé au Toneelhuis1, se produit pour la première fois au Maillon avec Adams appels. Une comédie musicale où règnent humour noir et musique endiablée composée par Dominique Pauwels.
D
epuis deux décennies, le talent et la créativité made in Belgique inondent les scènes d’Europe. Jeune collectif d’acteurs prometteurs qui a su imposer son langage théâtral bien particulier lors de relectures absurdes, drôles et violentes de textes classiques, Olympique Dramatique s’essaie pour la première fois à la comédie musicale. Dominique Pauwels, compositeur pour le cinéma et le théâtre (notamment de Guy Cassiers), les a choisis pour revisiter, à ses côtés, le film éponyme d’Anders Thomas Jensen2.
Pour le pire…
Métaphore filée sur le Bien et le Mal, le Hasard et le Destin, Adams appels nous emmène en pleine campagne danoise, dans la paroisse d’Ivan, irréductible homme de foi qui accueille d’anciens taulards en réinsertion sociale. L’arrivée d’Adam, néo-nazi arborant une Croix-de-Fer
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tatouée sur l’avant-bras, bouscule les habitudes de la petite communauté de paumés qui réunit un ancien violeur alcoolique (Gunnar), un braqueur de stations-service à la gâchette facile (Khalid) et une ivrogne voulant avorter (Sarah). Avec ses idées revendiquées sans complexe – bombers noir sur les épaules, croix gammée en brassard et rangers aux pieds –, Adam met à rude épreuve l’optimisme débordant du pasteur qui ne semble voir que le bon côté des hommes et des choses, prêt à tout accepter (même la violence ou le meurtre), à tout pardonner en collant ce qui ne va pas sur le dos du diable qui « nous teste tous les jours ».
… et pour le meilleur
Comme bien souvent, la scène d’ouverture donne le ton d’un spectacle mené tambour battant par dix comédiens et quatre musiciens ne quittant pas le plateau. Le
face à face entre un Ivan tout excité au look improbable – T-shirt noir et brillant sans manche, col romain, genouillères de volley-ball et chaussettes montantes – et un Adam brutal avec une voix de castrat irréelle, provoque les premiers soubresauts de zygomatiques. L’humour noir de répliques décalées et cinglantes fait mouche dans toutes les parties jouées qui entrecoupent les chansons inspirées de la
« Le réel, c’est quand on se cogne » disait Lacan. « pop-ado » composée par Pauwels. Entre les pastiches des comédies musicales à succès (les comédiens sur deux rangs levant les bras en rythme, esquissant des pas de patineurs) et le mélange de danse orientale mâtinée de breakdance signé Sidi Larbi Cherkaoui et Iris Bouche, Ivan nous livre quelques bijoux sur un plateau : son solo de rock-star vêtu d’un plastron rouge sur lequel clignotent des croix lumineuses renvoie le plus doué des télévangélistes à un vœu de silence dans un couvent. On
n’est jamais loin de Bollywood ou de la frénésie des films de Kusturica, le versant musical prenant parfois le pas sur l’histoire et la subtilité du scénario original malgré un travail sur les corps riche de sens dans son incarnation des maux et des luttes à l’œuvre.
La chute du funambule
Dans la mise en scène collective d’Olympique Dramatique, Koen De Graeve irradie en pasteur obnubilé par le bon côté des choses, une tumeur au cerveau de la taille d’un ballon de volley le faisant refuser toute réalité : le suicide de sa femme, les déficiences mentales et physiques de son fils… Sa partition relègue Adam à un rôle secondaire alors que le film de Jensen tournait autour de cette figure de la rédemption, seul être capable, par sa violence, d’arracher les œillères des uns avec ses poings et de mettre les autres face à leurs névroses respectives. « Le réel, c’est quand on se cogne » disait Lacan. Le néo-nazi s’en charge au sens propre comme au figuré, ébranlant la foi du pasteur. L’ironie et l’humour perdent irrémédiablement leurs plumes à mesure que la pièce avance, nous laissant dépouillés
de tout artifice, nus face à notre propre conscience du monde et de la réalité. Le bon Ivan vacille sur le fil de sa foi comme le funambule d’Ainsi parlait Zarathoustra. Adam interprète à la fois le pantin de la parabole de Nietzsche qui entraîne la chute de l’acrobate et Zarathoustra qui s’en occupe au sol, liant leur destin pour un happy-end de circonstance. 1 Dirigé par Guy Cassiers, le Toneelhuis est l’un des plus importants théâtres de Flandre situé à Anvers – www.toneelhuis.be 2 Adam’s apples, sorti en salle en 2006
Texte : Thomas Flagel Photos : Koen Broos
m À Strasbourg, au Maillon-Wacken, mercredi 3 et jeudi 4 février (en néerlandais surtitré en français) 03 88 27 61 81 – www.le-maillon.com
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Amer Sourire
THÉÂTRE – LA FILATURE
« Dominique nique nique… » un refrain et trois accords qui rendirent célèbre Sœur Sourire, Jeanine Deckers de son vrai nom. À La Filature, Marijke Pinoy nous convie, entre réalité et fiction, sur les traces d’une vie peu orthodoxe où se mêlent théâtre et chansons.
C’
est l’histoire d’une nonne qui ne souriait jamais. Une jeune Belge qui, en 1963, se retrouva propulsée n°1 du hit-parade américain quatre semaines durant, au nez et à la barbe de Cliff Richard et d’Elvis. Dans ses habits aux couleurs maussades ou son costume de bonne sœur qu’elle enfile pour interpréter des versions grunge de Je ne suis pas une vedette ou Heureux, le personnage de Jeanine ressemble à s’y méprendre à son idole de toujours, Jeanine Deckers. Fan de la première heure, elle s’identifie à la nonne chantante au point de calquer sa vie (elle aussi a quitté les ordres), ses dérives et ses délires sur le sens de la foi. Cette ambiguïté entretenue par la metteuse en scène Marijke Pinoy – qui interprète aussi Jeanine – sème une agréable dose de trouble dans l’esprit du public, semblable à celle qui nourrit les tourments de cette femme d’âge mûr. Ses bonnes œuvres ? Accueillir (ou plutôt retenir) deux réfugiés : Donatienne, étudiante congolaise dont le mari a été assassiné, et Dominique, orphelin bosniaque dont elle aimerait être la mère. Ce trio évolue au gré des peurs de solitude de la matrone et des envies d’émancipation de ses protégés.
Larmes de fiel
Poussée par une Église en perte de vitesse, Sœur Sourire fut lâchée par tous après un succès international, sombrant dans la déprime, l’alcool et les médicaments.
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Une fin de vie sordide qui s’achève par un suicide en 1985. Mais que l’on connaisse ou pas cette histoire, la pièce constitue une passionnante plongée dans une foi aveuglante jusqu’à l’extrême, dans les dégâts résultants d’espoirs déchus et de mirages. Jeanine a beau se réclamer d’une « mission », sa noble cause (louer Dieu et guider les brebis égarées) est loin de la sauver d’elle-même et de ses tourments, tiraillée entre ses pulsions de désir pour Donatienne et son dégoût pour le péché de chair. On est loin de la communauté religieuse apportant sens et réconfort.
d’humeur, avive un regard acéré sur la société belge : rejet moral de l’homosexualité, relents de racisme colonial profond et de préjugés tenaces d’un pays où les missionnaires ont longuement poursuivi leur évangélisation en terre africaine… Un irrémédiable aveuglement se joue sur scène. Tel le pélican de nos croyances moyenâgeuses dont on pensait qu’il perçait sa propre chair pour nourrir ses petits de son sang jusqu’à en mourir (métaphore du sacrifice du Christ), Jeanine est prête à tout pour le salut des siens. Entre une dernière larme et un sourire.
Comme son idole Sœur Sourire, elle entretient son propre enfer, hermétique à la société extérieure, repliée sur une notion de la famille recomposée tout aussi exclusive qu’acculturatrice. Dominique ne sera jamais son fils, jamais un bon chrétien. Il n’oublie ni les Balkans de son enfance, ni sa mère dont il conserve une unique photo, ni son véritable prénom, Besnik. En toile de fond, la partition de Marijke Pinoy, inspirée et renversante avec son rire amer, sa voix stridente et ses sautes
Texte : Thomas Flagel Photo : Kurt Van der Elst
m À Mulhouse, à La Filature, du 25 au 27 février (en néerlandais surtitré en français) 03 89 36 28 29 – www.lafilature.org
sexamor
Pierre Meunier et Nadège Prugnard 2 > 10 février
sous L’œiL d’œdipe
Joël Jouanneau 17 > 28 février
abonnement / location
03 88 24 88 24 www.tns.fr
Claude Cahun, Autoportrait (Le Diable), 1929. Épreuve argentique © Jersey Heritage Trust. Graphisme : Rebeka Aginako
5 FÉVRIER 25 AVRIL 2010
MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN
WWW.MUSEES-STRASBOURG.ORG
Exposition organisée par les Musées de la Ville de Strasbourg et le Musée d’Ixelles, Bruxelles
une ville vue par un artiste
Bruxelles /Dominique A Dominique A entretient un rapport ambigu avec Bruxelles où il vit, par intermittence, depuis 1993. Pour lui, c’est une ville mythique… où il ne finira pas ses jours.
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epuis son enfance, Dominique Ané est fasciné par le Nord et par Bruxelles qu’il découvre via La Ville qui n’existait pas de Christin & Bilal. « J’ai contracté une fascination alimentée par toutes les BD franco-belges que je dévorais », se souvient-il. Bruxelles représente aussi un eden musical pour ce chanteur captivé par la scène new wave belge des années 80, le label Crammed Disc, les groupes Tuxedomoon, Minimal Compact ou Polyphonic Size, dont il a repris Je t’ai tant aimé sur Auguri. En 1992, suite au succès d’estime de La Fossette, son premier album, il va jouer en Belgique où il est séduit par le caractère des gens, « leur côté franc du collier ». Un an plus tard, Dominique fait le « choix commun », avec sa compagne d’alors, Françoiz Breut, de s’y installer. La ville correspond à ses attentes de pré-ado. Il y enregistre La Mémoire neuve (1995) avec Gilles Martin, producteur de Tuxedomoon et Minimal Compact. « Une façon de faire solde de tout compte avec mes fantasmes musicaux. » Le Twenty-two Bar, le plus ensoleillé de ses morceaux, et l’ensemble de La Mémoire neuve furent composés dans des conditions… déprimantes, au milieu d’« une pièce de 3 m2 vraiment très sombre ». Pour contrecarrer l’absence de lumière et la chape de plomb qui lui « tombe sur les épaules », Dominique écoute des disques de calypso, de rumba, de mambo qui « agissent comme des antidépresseurs ». « J’avais renoncé au Nord. Le Nord qui tout un temps m’avait fait croire qu’il faisait des efforts pour me retenir… » (Le Nord, Françoiz Breut, 1997, paroles de Dominique A) Bruxelles est bien trop taciturne pour l’auteur-compositeur-interprète, originaire de Seine-et-Marne, qui a vécu en Bretagne, et donc peu habitué au climat méditerranéen. « La grisaille prend un 54 _ Poly 131 - Février 10
tour particulier ici. » Il quitte la ville en 1995 pour Cherbourg, Nantes et Paris… puis y retourne en 2001, « pour des raisons familiales, personnelles, sur lesquelles je ne préfère pas m’étendre ». Bruxelles aurait dû être « une affaire classée », mais il y vit toujours, « en exil prolongé ». Ce grand lecteur, ce passeur (il a été chroniqueur pour TGV Magazine ou Epok), à l’affût de nouveautés, ne devrait-il pas être séduit par le bouillonnement culturel de Bruxelles ? Dominique A affectionne en effet ses disquaires, comme Arlequin ou Caroline Music, ses librairies (« c’est presque abominable, j’y passe tout mon temps »), telles que Tropismes, Filigranes ou Passa Porta.
« La grisaille prend un tour particulier ici » Il relève aussi les nombreux lieux de concerts, petits (le Café Central) ou grands (le Cirque royal, le Botanique) de la capitale belge, « plaque tournante pour les groupes ». Dominique se réjouit enfin de la vitalité du spectacle vivant, de la compagnie de danse Rosas dirigée par Anne Teresa De Keersmaeker, celle de Michelle Noiret ou la chorégraphe Michèle Anne De Mey… D’ailleurs, il répète souvent dans un studio de théâtre, car « les lieux de répétition manquent ici ». Se sent-il à l’étroit ? « Plus maintenant, je vis dans un appart très chouette, refait à neuf, avec une cour intérieure, en plein centre. Difficile de trouver l’équivalent de ce duplex de 130 m2 à 850 € par mois dans une autre capitale. » De suite, il précise : « Comparée à Paris, ville très agressive, hostile, Bruxelles fait forcément très “Laid Back”, facile à vivre, à côté. »
« Parce qu’il y fait trop froid, parce que c’est trop petit, beaucoup vont s’en aller car beaucoup sont partis. » (Je suis une ville, 1999) Sur son site*, Dominique fait mention d’une façade recouverte par une fresque de Dupuy & Berberian. Il conclut ainsi : « Ils ont décidé de donner un peu de couleurs à cette ville massacrée. » Massacrée ? Il persiste et signe : « C’est le fameux façadisme bruxellois. À une époque, on construisait à tort et à travers des choses immondes », avant d’enfoncer le couteau dans la plaie bruxelloise en parlant de « rues trop étroites », de certains quartiers « vraiment dégueulasses », de boulevards « en délabrement », de « l’agression sonore incessante », de la profonde « tristesse » et du « sentiment d’étouffement » que tout ceci lui évoque. Dominique nuance : l’aspect mélancolique de ses chansons est moins lié à Bruxelles qu’à son enfance. « J’ai un sentiment ambivalent qui n’a pas forcément rapport avec la ville. Enfant, j’ai vécu dans des endroits où mes parents ne voulaient pas spécialement vivre. Ils m’ont transmis ça. » Dominique et les personnages, « tiraillés, déchirés », qu’il met en scène dans ses chansons se fondent-ils ? Une chose est certaine : « Je ne finirai pas mon existence ici. » * www.commentcertainsvivent.com Texte : Emmanuel Dosda Photo : Dorian Rollin
m À Illkirch-Graffenstaden, à L’Illiade, samedi 20 février 03 88 65 31 06 – www.illiade.com Derniers disques parus La Musique / La Matière (avril 2009) Compilation Songs Over Troubled Water (Carte blanche à Dominique A sortie fin 2009, avec notamment ses amis belges Sacha Toorop et Venus) www.cinq7.com
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EXPOSITION – LA CHAUFFERIE
Avec Fire delights in its form, La Chaufferie nous convie à déambuler entre les univers de deux artistes contemporains : les flammes de l’enfer de Frédéric Clavère et le flamming* détourné de Lionel Scoccimaro.
E
n ce début d’année, la galerie d’exposition des Arts déco de Strasbourg se laisse envahir par deux Marseillais. L’aîné, Frédéric Clavère (47 ans), est un infatigable compilateur d’iconographie contemporaine variée où se croisent personnages historiques, acteurs de séries B, images découpées dans des BD ou des magazines… Enfermé dans l’obscurité de son atelier avec ordinateur et rétroprojecteur, il peint, assemble des fragments et colle dans un style radical qui rappelle les glorieuses heures du photomontage. Un orange fluo domine la palette de ses tableaux. « Une couleur signalétique qui », explique-t-il, « permet de renvoyer plus de lumière qu’on ne lui en donne, à la manière d’une persistance rétinienne ». Sa fascination pour l’esthétique du XVe siècle et la représentation des enfers – notamment Le Jugement dernier de Hans Memling – se retrouve dans le triptyque Fire delights in its form dont le titre est tiré d’un vers du poète anglais William Blake. Ces trois toiles, de grande dimension, nous plongent littéralement dans les flammes de l’enfer où brûlent des corps enlacés et dénudés de pêcheurs arborant masques et chapeaux melon.
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Fire delights in its form (2000). Galerie du tableau, Marseille © Jean-Christophe Lett
Violence, sexe, mythologie et souffrance sont livrés dans des représentations résolument modernes dont on ne sait si elles constituent un exutoire ou une irrépressible fascination fantasmagorique.
Jeu du détournement
Plus ludiques et jouissifs, les sculptures, tableaux et photographies de Lionel Scoccimaro imposent une esthétique lissée, brillante, clinquante et léchée. Passé maître dans l’art de manier le pistolet et l’aérographe, cet ancien surfeur farouche âgé de 36 ans détourne les codes dominants de la culture américaine. Des playmates dénudées posent avec des culbutos XXL customisés par ses soins, à grand renfort de flamming et de peinture luisante aux couleurs d’icônes de la contre-culture comme Russ Meyer
et Hulk Hogan : on n’est pas loin de la représentation d’énormes sex-toys, pastiche goguenard des photos de charme des bikers ou de Playboy. Les voitures pour enfants prennent elles aussi la robe de celles des fous de tuning, les flammes devenant une signature répétée à l’envi, écho décalé des hordes de motards et de leur look, de l’usage de ces références et de leur transformation. * Le flamming est un art de la customisation répandu dans les milieux des bikers et du tuning où les carrosseries se parent de flammes
Texte : Irina Schrag Photo : Little Bastard © Lionel Scoccimaro
m À Strasbourg, à La Chaufferie, du 4 février au 14 mars (conférence des artistes le 25 février à 18h30) 03 69 06 37 77 – www.esad-stg.org
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L'idée cadeau – OCTOBR N° 129 FRE E _
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les femmes de l’ombre
Le panier de Catherine Catherine Leininger, chargée de l’action culturelle et de la programmation “jeune public” au Relais Culturel de Haguenau, monte des actions originales autour du théâtre. Rencontre.
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atinée au théâtre. Des grelots de rires frais et gais tintinnabulent. Des petites mains potelées se lèvent, s’esclaffent, applaudissent. Sur la scène, deux personnages, l’un au gros nez rouge, l’autre en chapeau à fleurs, saluent. Dans un coin de la salle, toute de noir vêtue, discrète, Catherine Leininger sourit : mission accomplie. À cet instant précis pourtant, ses pensées volent déjà vers d’autres horizons. « Je suis toujours en mouvement ! La programmation n’est qu’un volet de mon travail », confie celle qui a sauté dans la culture à pieds joints. Vocation précoce. Études ciblées. Arrivée à Haguenau en 2002 (après une dizaine d’années en région parisienne), elle gère la programmation “jeune public” du Relais Culturel. « Je prends mon panier », dit-elle d’un grand sourire, « et vais faire mon marché ! » Dijon, Avignon, Paris, Kingersheim (au Festival Momix)… Partout où les troupes s’exposent, elle pioche. « Sept spectacles par saison » avec la volonté affirmée de satisfaire toutes les tranches d’âge, « depuis les maternelles jusqu’aux lycéens ! » Avec des contraintes de calendrier, de budget et d’espace scénique. Et, surtout, cette ambition noble de « rendre les enfants acteurs ». Comment ? « Par des rencontres avec les comédiens, des cours thématiques, des quiz, des visites du théâtre. » Saison après saison, les spectacles affichent complet…
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Catherine Leininger nous parle à mots posés de son équipe, du sens du collectif : « Quatre personnes et le même désir de tresser des liens entre public et artistes ». Et puis, elle raconte son métier, vécu comme « une quête permanente de renouveau. Nous voulons surprendre et séduire », s’enthousiasme-t-elle, « pour ouvrir la culture au plus grand nombre ». Et aussitôt, les actions crépitent ! Des troupes sont invitées en résidence. « Elles donnent des conférences et des répétitions publiques. » Les ateliers de théâtre pour amateurs, jeunes, adultes, se multiplient. Des buffets d’avant spectacle voient le jour. « Ils favorisent les échanges sur des thématiques variées (Saveurs du Monde, Balkans…) et s’inscrivent dans un intéressant partenariat avec le Centre social de la ville. » Le théâtre serait-il perçu comme un lieu trop sacré ? « On délocalise certains spectacles », notamment les lectures musicales,
transplantées dans des endroits délicieusement insolites : « La synagogue, le Nautiland, la manufacture d’orgues ou encore le Musée historique. Tout récemment, un salon de coiffure et, très prochainement, une cave à vin… » Imaginer, réaliser, planifier… Jamais le temps de s’ennuyer. Rencontrée en Balade dans les Balkans, et déjà sur la route de L’Humour des notes. Toujours à faire son marché… Par bonheur, son panier est bien tressé. Texte : Paul Munch Photo : Paul Hoistènes
m À découvrir au Théâtre de Haguenau, la nouvelle création de Pascal Holtzer, Le Plus heureux des trois de Labiche (à partir de 13 ans), jeudi 25 et vendredi 26 février 03 88 73 30 54 www.relais-culturel-haguenau.com
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EXPOSITION – MÉDIATHÈQUE ANDRÉ MALRAUX
Moving Moving Moving Europe Avec Europa, Europa, le photographe strasbourgeois Pascal Bastien donne chair à l’idée d’Europe. Promenade inspirée dans les 27 pays qui forment l’Union.
A
ujourd’hui, pour beaucoup, l’Europe n’est qu’une abstraction. Une monnaie ? Une carte de Sécu valable dans tous les pays de l’Union ? Un drapeau ? Un hymne que personne – ou presque – ne chante ? Mouais… Tout cela ne va pas très loin. À l’opposé de ce monstre technocratique froid plus occupé à harmoniser la taille des pédales de frein des moissonneusesbatteuses qu’à travailler au bien-être des citoyens des États qui le composent, le photographe Pascal Bastien nous livre sa vision humaine & humaniste du continent. Il est parti sur les routes, appareil sous le bras, à la rencontre des habitants, des rivages bulgares de la Mer noire aux côtes britanniques, en passant par la Belgique et Juan-les-Pins. Et qu’a-t-il trouvé dans ses pérégrinations ? Lorsqu’on lui pose la question, il répond sobrement : « Des gens en mouvement ». Train, bus, vélo, auto, pedibus… Tout ce petit monde bouge dans tous les sens. On est frappés par dix clichés de grande taille collés les uns avec les autres, formant une bande de sept mètres de long : cette juxtaposition de passages cloutés résume bien l’essence de l'exposition présentée dans le cadre de Traduire l’Europe. Si les sociétés occidentales, en effet, ont tendance à se ressembler de plus en plus et à renvoyer une image tendant à s’uniformiser, elles n’en demeurent pas moins singulières. C’est ce credo que développe Pascal Bastien dans ses images. Un punk allemand, comme on ne pensait plus qu’il puisse encore en exister. Une jeune fille
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alanguie, dans une pose puissamment érotique, dans un train, quelque part en Bulgarie. Une touriste solitaire se passant de la crème à bronzer avec application sur une plage espagnole dans une composition que ne renierait par Martin Parr. Un Italien version Macho man sur sa Vespa. Tous ces Européens saisis dans leurs déplacements sont à la fois représentatifs de leur pays et constituent, chacun à leur manière, un fragment d’une improbable identité européenne. À côté de l’exploration du continent se cache cependant un autre voyage, d’essence plus littéraire celui-ci puisque, derrière chacun de ces clichés, se dissimule une histoire qu’il appartient
à chacun d’imaginer et de développer : où ce rend cette Irlandaise revêche, sac de provision sous le bras ? Pourquoi cet homme se promène-t-il le long d’une voie ferrée en Roumanie ? Qu’attend ce type qui ressemble à un acteur de porno des années 70, assis sur un banc en Suède ? Et si, derrière ces historiettes intimes, se cachait le présent de l’Europe et les traits constitutifs de son identité ? Celui que les politiques n’arriveront sans doute jamais à saisir… Texte : Hervé Lévy Photo : Pascal Bastien
m À Strasbourg, à la Médiathèque André Malraux, du 2 février au 20 mars 03 88 45 10 10 – www.mediatheques-cus.fr www.pascalbastien.com
De bruit et de fureur
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À Baden-Baden, le Museum Frieder Burda et la Staatliche Kunsthalle s’associent pour une rétrospective monumentale. Dans le premier, on découvre les peintures de Georg Baselitz, tandis que la seconde abrite ses sculptures.
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n pose souvent les mêmes questions aux artistes. À Pierre Soulages, on demande pourquoi il a choisi le noir. Georg Baselitz, lui, se voit immanquablement interrogé sur sa décision, en 1969, de renverser les figures, présentant ainsi un univers inversé. Patient, il assure dans un sourire qu’il s’agissait d’une manière de résoudre « le problème du tableau en tant qu’objet ». En plaçant ses motifs à l’envers, donc « en les représentant sans la signification qu’un objet peut avoir », il répond à une des missions essentielles de l’art : « Briser les conventions. Et la réalité n’est qu’une convention… » Reste que l’artiste allemand, né en 1938, développe une réflexion en forme de catharsis sur l’histoire mouvementée et violente du XXe siècle, qui vient nous rappeler que Hans-Georg Kern – son vrai nom – fit ses premières armes picturales dans les écoles des Beaux-Arts de la RDA du réalisme socialiste. Rapidement
installé à l’Ouest, il passe à la moulinette l’imagerie du “héros” dans les années 60 avec des soldats aux corps disproportionnés, étrange mélange entre le hiératisme totalitaire et l’expressionnisme d’un Otto Dix. Baselitz explose alors les conventions du portrait classique. Il poursuit le mouvement dès 1966 avec ses “tableaux à fractures” dans lesquels le motif est éclaté en lignes parallèles ou dans tous les coins de la toile, comme dans un kaléidoscope. L’aboutissement réside dans les peintures “tête en bas” qui firent sa renommée. Une veine qu’il creuse aujourd’hui encore, même si ses dernières créations consistent plutôt en des Remix de ses premières pièces… L’éternel retour de l’histoire. Dans ses sculptures de bois – un art auquel il n’a commencé à se frotter qu’en 1979 –, on retrouve la même éruption créative. « Il s’agit, d’une manière plus directe qu’avec la peinture, d’explorer les mêmes enjeux. La sculpture est plus
brutale, plus primitive » affirme Baselitz, qui semble utiliser un modus operandi similaire pour les deux médiums. Sur la toile, il lâche la bride au pinceau et à la brosse, dans le bois il libère scie, hache et ciseau. Des têtes peintes emplies de crevasses. Des corps mal dégrossis, comme criblés de balles. Des visages. Des formes de visage, plutôt. Embryonnaires. Un “penseur” aux rudes arêtes… Derrière ses réalisations brutes – ne parle-t-il pas de « statues pleines de plaies » ? – on devine cependant les contours d’une réflexion acérée sur son art et sur le siècle. Texte : Hervé Lévy Photos : Pascal Bastien
m À Baden-Baden, au Museum Frieder Burda et à la Staatliche Kunsthalle, jusqu’au 14 mars +49 72 21 398 980 www.museum-frieder-burda.de +49 72 21 30076 444 www.kunsthalle-baden-baden.de
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Wonderful world
Jusqu’au 23 mai, le Musée d’art moderne Grand-duc Jean de Luxembourg extrait de sa collection des œuvres de 80 artistes actuels pour son exposition Le Meilleur des mondes : Tony Cragg, Wim Delvoye, Steve McQueen, Claude Lévêque ou encore Su-Mei Tse. Autant de lectures du monde qui nous entoure. www.mudam.lu
Fenêtres sur cour
La villa Malaparte de Capri, le pavillon barcelonais de Mies van der Rohe ou la maison Wittgenstein de Vienne sont les sujets des 21 photographies de Günther Förg (jusqu’au 28 février à La Fondation Beyeler de Bâle). Ces grands clichés sont accompagnés d’une peinture murale qui confère une atmosphère particulière à l’ensemble. www.beyeler.com
Silber fait le bonheur L’effervescence du milieu artistique berlinois n’est pas un fantasme : il suffit de parcourir la ville, de pousser les portes des galeries ou autres lieux arty qui y sont légion. La Silberkuppe, ouverte depuis un an, est un de ces endroits dédiés à l’art contemporain où se côtoient concerts bizarroïdes et performances extravagantes, projections et installations. Jusqu’au 16 mars, le Museum für Gegenwartskunst de Bâle présente des œuvres réalisées expressément par des plasticiens proches de la Silberkuppe. Durant le temps de l’expo Old Ideas, l’institution bâloise prend des allures “underground”… www.kunstmuseumbasel.ch
Julije Knifer, sans titre, 2000 © André Morin, Paris/CNAP
Écoute tes yeux
Création au Théâtre de la Manufacture de Nancy : Charlie et Nemo de Bernard Allombert est mis en scène par François Rodinson (du 2 au 12 février). Une variation sur les enfants soldats des guerres africaines auxquels on a dérobé l’enfance… www.theatre-manufacture.fr
I got the blues
Tête de mort
Le MNHA (Musée National d’Histoire et d’Art) de Luxembourg expose, à l’occasion du centenaire de sa naissance, l’œuvre gravé de James Ensor (du 26 février au 30 mai). À la découverte de quelque 200 pièces étonnantes où dominent fantastique et symbolisme. Entre grotesque et critique acide du monde bourgeois, Ensor anticipe l’expressionnisme… www.mnha.public.lu
www.fraclorraine.org http://esamm.metzmetropole.fr
GéNéReux
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de l'intérieur
Mauvaise nouvelle : il faudra attendre jusqu’à la fin de l’année (13 -19 déc.) pour pouvoir assister à la 4e édition de GéNéRiQ, festival hyper défricheur et géographiquement éclaté (Mulhouse, Belfort, Dijon…). Bonne nouvelle : l’équipe de l’événement, dans sa grande GéNéRosité, nous propose un délicieux avantgoût avec En attendant GéNéRiQ, à La Poudrière de Belfort le 17 février. Tune Yards : photo de Chrissy Piper Trois groupes se relayeront : les rockers canadiens de Clues, les electro-popeux islandais FM Belfast, et Tune Yards, musicienne bricoleuse et chanteuse ensorceleuse. Le lendemain, Tune Yards sera à nouveau à l’affiche (avec Reverend And The Makers et Sourya, cette fois-ci), à La Vapeur de Dijon. www.pmabelfort.com – www.lavapeur.com
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de l'intérieur
Initiée par le Centre national des arts plastiques, Diagonales : son, vibration et musique prend ses quartiers jusqu’au 18 avril au Frac Lorraine et à l’École supérieure d’Art de Metz métropole. Y sont confrontées des œuvres d’artistes contemporains sur la problématique du son et la musique dans la création.
Warriors ?
Excellent festival que Les nuits de l’Alligator rassemblant le meilleur du blues, au sens large du terme : le musicien malien Vieux Farka Touré, le show-man érotomane Bob Log III, les jeunots de Mustang (voir page 34), Turner Cody accompagné des Herman Dune… Sa cinquième édition a lieu à Paris du 22 au 27 février dans différents lieux, mais aussi en province, du 16 février au 6 mars, notamment à Metz ou à Besançon. www.lesnuitsdelalligator.com
CH
Un voyage d’hiver festif
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Le Festspielhaus nous propose, cette année encore, de grandioses Winterfestspiele avec, en point d’orgue, une très attendue Elektra.
est sans doute l’alliance parfaite : un metteur en scène toujours surprenant, Herbert Wernicke, et un chef d’exception, Christian Thielemann, dirigeant le Münchner Philharmoniker. Ils nous proposent une attendue Elektra (avec Linda Watson dans le rôle-titre, les 29 janvier, 1er et 4 février). Noir. Rouge. Violence extrême. Hystérie. Rage de la vengeance. Feu et glace. Contraires. La musique de Richard Strauss et le livret écrit par Hugo von Hofmannsthal placent le spectateur sous haute tension. On pourra connaître un peu de calme avec le clavier du grand, de l’immense, que dis-je, du mythique Maurizio Pollini (mercredi 3 février) dans une soirée où Chopin sera largement présent. Impossible de mentionner ici toute la programmation : n’oublions pas cependant le pianiste et compositeur turc Fazil Say (samedi 6 février) et la sublimissime violoniste Hilary Hahn (vendredi 5 février), une des interprètes les plus intéressantes de sa génération qui allie, comme aucune autre, grâce, engagement et émotion… Texte : Hervé Lévy Photo : Wilfried Hösl (Elektra)
m À Baden-Baden, au Festspielhaus, jusqu’au 7 février +49 7221 3013 101 – www.festspielhaus.de
V. pour vendetta
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de l'intérieur
Au Granit, le metteur en scène Claude Guerre présente le vibrant V., poème dramatique de Tony Harrison.
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omposé en 1985 par le poète anglais, ce long texte épique nous plonge dans les grèves de mineurs brisées par Thatcher. Dans le cimetière de Leeds (sa ville de naissance), Harrison se confronte à un jeune skinhead taguant les pierres tombales. V. est leur dialogue, tout en violence, dans une langue populaire qui vient heurter l’élitiste culture anglaise tout autant que nos oreilles franchouillardes. Domptant la forme classique du poème anglais et ses décasyllabes, Tony Harrison nous éclabousse de son regard cru, dérangeant et violent, redonnant au verbe son rôle social et politique. Guillaume Durieux, formé à l’École supérieure d’Art dramatique du TNS, scande cette langue, accompagné des compositions musicales pop, reggae et grunge de Jean-Philippe Dary. Il incarne les deux protagonistes de cette confrontation épurée de tout décor entre le poète et son double : « Skinhead de pisse de merde je parie que tu ignores D’ailleurs on s’en balance que tu le saches ou pas, Qu’en Rimbaud sont unis le poète et le skin, Car du je qui est l’autre, ça c’est sûr, l’autre c’est toi ! » Texte : Daniel Vogel Photo : Béatrice Logeais
m À Belfort, au Granit, jeudi 4 février 03 84 58 67 67 – www.theatregranit.com
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Un anniversaire, des animations
culture scientifique
Vaisseau
spécial
Depuis cinq ans pile, Le Vaisseau strasbourgeois propose de découvrir « la science en s’amusant ». Bienvenue à bord d’un navire très conscient des problématiques environnementales.
S
cientifique & ludique riment à merveille grâce au Vaisseau, projet original (il y a peu d’exemples en France, citons la Cité des enfants à Paris) initié par le Conseil Général du Bas-Rhin et ouvert au public en février 2005. Il se compose de cinq univers : Le Monde et moi (pour connaître le corps humain), Découvrir les animaux (la faune et ses secrets), Je fabrique (comprendre le monde et ses mécanismes), Les Secrets de l’image (la mécanique des médias : un éveil du sens critique) et le jardin (la flore). 130 éléments interactifs en tout. À ceci, s’ajoutent les expositions temporaires (sur Mars, les phénomènes physiques ou, en ce moment, les couleurs…) et les multiples actions pédagogiques : animations scientifiques, spectacles de théâtre, jeux de pistes ou projections de films 3D (une création spécifique pour Le
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Vaisseau à voir en 2010). Le « partage et la découverte des sciences et techniques pour toutes les générations », essentiellement les 3-15 ans, telle est la mission principale de cette structure qui fait un tabac. 850 000 visiteurs en cinq ans ! Beaucoup plus que ce qu’imaginait l’équipage. Le renouvellement des expositions permanentes était prévu au bout de dix ans. Rançon du succès : outre l’extension du bâtiment de 375 m 2 prévue pour 2011, c’est seulement après cinq ans d’activité que cette refonte aura lieu. Quatre nouveaux ateliers seront présentés dans l’espace Je fabrique. L’un d’entre eux concernera le recyclage des bouteilles en plastique : il sera question de production industrielle et de développement durable. Le respect de l’environnement est une préoccupation importante pour Le Vaisseau (voir notamment l’animation Les Géonautes).
En février (tarif exceptionnel : 5 €), Le Vaisseau inaugure l’expo Jeux d’air - jeux d’eau à l’Hôtel du département (entrée libre). Aussi, du 6 au 21 février, de très nombreuses activités scientifiques auront lieu au Vaisseau et ailleurs (voir sur le site pour détails). Enfin, du 27 au 28 février aura lieu le week-end anniversaire : projo d’un film en 3D, présentation du spectacle Voyage vers Mars (avec l’équipe – française et germanophone – du Vaisseau), patchwork des animations de la structure et “final” concocté par Inédit théâtre. m Le Vaisseau, 1 bis rue Philippe Dollinger à Strasbourg 03 88 44 44 00 – www.levaisseau.com
Laurent Schmitt, capitaine du navire, nous évoque la véritable feuille de route (l’Agenda 21) dont il s’est doté. Elle contient des engagements concrets, « ce qui doit être fait pour le XXIe siècle » en matière d’environnement, concernant son fonctionnement interne (maîtrise de sa consommation d’énergie, sa production de déchets, etc.) ou le contenu de ses méthodes de transmission des savoirs (renfort des actions de médiation dans le jardin, développement du partenariat avec l’asso Objectif Climat, etc.). Nouveauté : il prévoit un atelier découverte de l’éco-quartier du Danube à proximité du Vaisseau qui, pour ses cinq ans, devient encore plus écolo. Texte : Emmanuel Dosda Photos : Guiôm ouGier
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Last but not Least
Jacques Tardi, auteur de BD
Rencontré à la Librairie Kléber, vendredi 15 janvier
Des Lendemains qui saignent Le livre – dans lequel est inclus un CD – a été imaginé à trois. Les dessins de Tardi accompagnent les paroles des dix chansons interprétées par sa compagne, Dominique Grange, et les textes de l’historien Jean-Pierre Verney les replacent dans leur contexte historique, la guerre de 14-18. Au programme : dix chansons revendicatives, protestataires et antimilitaristes. Certaines sont d’époque (dont la très émouvante Chanson de Craonne), d’autres on été composées pour l’occasion par Dominique Grange dans un esprit pacifiste. Le tout est un ensemble cohérent et séduisant. (P.R.) Paru chez Casterman (19 €) www.casterman.com
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Saul Steinberg, Parade (détail), 1952. Technique mixte sur papier, 36 x 57,5 cm. Collection M. et Mme Niemann. © The Saul Steinberg Foundation / ARS, ADAGP Paris 2009. © Musées de la Ville de Strasbourg /Mathieu Bertola. Graphisme : Rebeka Aginako
27 NOVEMBRE 2009 28 FÉVRIER 2010
MUSÉE TOMI UNGERER CENTRE INTERNATIONAL DE L’ILLUSTRATION WWW.MUSEES-STRASBOURG.ORG
N ° 1 3 1 – F É V R I E R 2 0 1 0 – w w w. p o l y. f r
SEXAMOR AU TNS // MOMIX // RAYMOND WAYDELICH // MUSTANG // SAUL STEINBERG DOMINIQUE A // DOCUMENTATION CÉLINE DUVAL // ARIADNE AUF NAXOS // ADAMS APPELS