Poly 148 - Avril 2012

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Magazine Dossier Le Zénith à la loupe Portrait Olivier Py, futur directeur du Festival d’Avignon Les Artefacts Le festival éclectique électrise Strasbourg Partenaires particuliers Le Crac Alsace croise les arts

le sacre du printemps


et si on se découvrait ? du 10 avril au 6 mai à l’Hôtel du département à strasbourg, vivez une expérience insolite dans le noir...

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BRÈVES

COURT TOUJOURS

WE WANT MILES Miles Davis, icône du jazz qui en modifia plusieurs fois l’essencemême, ressuscitera à Pôle Sud (Strasbourg) vendredi 13 avril, grâce à Serge Adam. Le trompettiste et compositeur lui rend hommage dans une création inspirée de la période électrique de l’artiste américain (1970/75), marquée par les albums Bitches Brew, On the Corner ou Big Fun. Adam revisitera sa musique grâce aux outils numériques actuels.

Amateurs de courts-métrages, bonjour. Alsace cinémas, association qui promeut la diffusion des films art & essai, se la joue old school en impulsant le retour des formats courts avant les longs-métrages. Cette pratique, obligatoire en 1940, fut rapidement supprimée par la suite, et fait son grand come back dans une douzaine de salles de la région (Adalric d’Obernai, Sélect de Sélestat, Espace Grün de Cernay, etc.) Les spectateurs pourront découvrir des films ultra-primés comme Bonne nuit Malik, L’Accordeur ou Orange Juice. www.alsace-cinemas.org

www.pole-sud.fr

EAU

PRÉCIEUSE À la poubelle les carafes moches de marque suédoise ! La raffinée Eau de Strasbourg a désormais un récipient à son nom prêt à la recueillir. La Ville a lancé un concours auprès des étudiants des Arts décoratifs pour concevoir la “carafe Eau”. Résultat : un design asymétrique original, imaginé par Paul Ménand, qui permet une prise en main idéale et une sérigraphie de gouttelettes vertes et bleues. www.strasbourg.eu

ÉCOLO

PUISSANCE 2

L’Etappenstall d’Erstein propose une exposition minimaliste du 1er au 25 avril avec les œuvres de Claude Braun, plasticien, et Christophe Chabot, photographe. Le centre culturel a réuni deux artistes proches dans leur démarche. Chacun s’inspire d’un site, d’un lieu, d’un espace naturel dont les formes et les matériaux de la nature elle-même sont explorés et magnifiés. Une expo à faible empreinte écolo ! Claude Braun, Installation

www.ville-erstein.fr Poly 148 Avril 12

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LUMIÈRE SUR IKHYO Arnaud Finix, designer au sein du collectif strasbourgeois Le Bureau, a imaginé une ingénieuse lampe baptisée IKHYO. La bête, fabriquée en abaisse-langues piqués chez le médecin, et assemblée avec des attaches parisiennes mesure deux mètres de haut lorsqu’elle est pliée. L’ingéniosité de l’objet réside justement dans la manière dont on l’utilise. Elle peut être manipulée à l’envie selon le lieu et la luminosité désirée. www.le-bureau-collectif.com

DINER 2.0.

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Wrong Tom & Roots Manuva © Oliver Daniel Barnes

ROOTS MAN

Geekettes, twitteuses, facebookeuses et autres filles hyperconnectées, réservez votre mercredi 11 avril : le Strasbourg Girl Geek Dinner rempile pour un deuxième afterwork à La Salamandre avec une soirée 100% art connecté. L’occasion de croiser Audrey Canalès, plasticienne et webdesigneuse, qui prodiguera ses conseils sur les dernières nouveautés high-tech, et Fouzi Louahem, créateur de l’appli iPad « le rêve de Van Gogh » (voir Poly n°145, www.poly.fr) que vous pourrez tester grâce aux toutes dernières tablettes numériques de la marque à la pomme.

Le légendaire MC londonien Roots Manuva revient avec un concert événement en Alsace. Celui qui mêle avec brio hip-hop, ragga, funk, dub et reggae, balancera son flow le 26 avril, au Noumatrouff de Mulhouse. Rapidement érigé en chef de file du rap britannique qui a manqué de figures majeures, Roots Manuva est encore là, plus de 15 ans après son premier EP, et toujours affranchi du modèle américain.

www.strasbourggirlgeekdinners.fr

www.noumatrouff.fr

DRÔLE D’ANIMAL Et de dix ! Le Festival d’humour international de Strasbourg, Drôles de zèbres, fête sa décennie de bons et loyaux services avec des invités de marque. Du 5 au 13 avril au Palais des fêtes, des comiques belges, suisses, espagnols et français, connus ou à connaître, se succéderont pendant cinq soirées, prêt à distiller leur humour corrosif, acerbe ou naïf. Chapeautées par Calixte de Nigremont, maître de cérémonie aristo, les réjouissances débuteront avec un spectacle hors les murs – à la Salamandre – avec Joseph Cantalou, star qui revendique sept milliards de fans et « producteur de bonheur » comme il aime, humblement, se définir. La soirée de gala sera l’occasion pour Jean-Luc Lemoine, quadra, de dresser le bilan et de se lâcher sans tabou. La tête d’affiche du festival proposera un décryptage décapant de notre société, trashant à tout va les vedettes qui refusent de vieillir, la dictature du buzz ou les adorables bambins qui sont… des pourritures ! Soirée “nostalgie”, le 12 avril, avec une poignée d’humoristes qui se sont produits lors des éditions précédentes et reviendront souffler les dix bougies de Drôles de zèbres. www.fihdz.com Poly 148 Avril 12 Joseph Cantalou

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© Cachet Poisson en cristal d’après modèle de 1912 - Lalique SA

EN AVRIL


BRÈVES

CHAOS ÉLECTRIQUE Electric Suicide Club, groupe de garage punk strasbourgeois, revient avec un nouveau single joyeusement baptisé Chaos. Le clip, tourné dans un appartement plein de jeunes gens survoltés, a des faux airs de skins party. Cette sortie marque le début de leur tournée européenne avec des dates prévues en France, Angleterre, Belgique, Allemagne ou Pologne. Un avant-goût de l’ambiance débridée qui nous attend en live. www.myspace.com/electricsuicideclub

QUI

SUIS-JE ? DES SOURIS ET DES HOMMES Le Centre européen du Résistant déporté du Struthof s’intéresse à la façon dont la bande dessinée évoque l’univers des camps de concentration dans une exposition visible jusqu’au 27 avril. Mus / Mouse / Maus rassemble des planches de dessinateurs suédois, invités à interpréter l’album Maus d’Art Spiegelman (Grand Prix d’Angoulême 2012) dans lequel il questionne son père, survivant de la Shoah. www.struthof.fr

Le plasticien allemand, et alsacien d’adoption, Godwin Hoffmann s’interroge sur son identité artistique dans une exposition aux allures de bilan. Dans Where are you from ?, visible au Lézard de Colmar, du 13 avril au 30 juin, l’homme s’inspire de sa jeunesse aux Pays-Bas, où il s’est pris de passion pour la peinture, et de ses études aux beaux-arts en Allemagne. De cette introspection artistique, Hoffmann a sélectionné une série de toiles géométriques de couleur rouge, agencées en diptyques. www.lezard.org

HYPE FLAT Une soudaine envie de rédecorer votre chez-soi de manière branchée ? Oubliez les grosses entreprises de mobilier sans âme et optez plutôt pour une virée chez Flat Concept Store, rue de la Krutenau (Strasbourg). Agencée comme un bel appartement de 80m2, la boutique de design contemporain propose des meubles étonnants (salon, entrée, chambre, etc.), de la déco innovante, des bijoux décalés et même des pochettes pour les téléphones à pomme ! www.flatconceptstore.com Poly 148 Avril 12

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*Le design naît du désir

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BRÈVES

WIND LOVERS Il y a moins cher qu’un climatiseur pour se rafraîchir en été. Aurélie Gonella, éventailliste strasbourgeoise remet au goût du jour cet accessoire de mode si branché avec le retour des beaux jours. Soie, bois, feuille d’or, ruban, perles, depuis six ans maintenant, la jeune femme crée ses objets anachroniques aux formes et aux matériaux divers… www.orele-eventail.com

FOIRE À L’IGUANE

NEW

SCHOOL Fans de flow percutant et de beats assourdissants, réjouissezvous, voici la première édition d’Ind’HipHop du 23 au 27 avril à Strasbourg (Molodoï, Mudd Club, Troc’afé…), festival consacré à la culture alternative du hip-hop indépendant. Il rassemblera des artistes comme Ben Sharpa, Rhum One ou Edan, MC de Boston connu pour ses samples de rock psychédéliques très sixties. www.pelpass.net

Alors que le concert de notre Johnny national est déjà complet, la Foire aux Vins de Colmar (du 3 au 15 août) annonce la suite de la programmation avec la venue des idoles des ados : M Pokora, Shy’m (le 4), Nolwenn Leroy (le 7) et LMFAO (le 11). Les fans de rock n’ont pas été oubliés avec le retour de l’increvable Iggy Pop qui viendra secouer les foules. www.foire-colmar.com

THE WALL Mathieu Wernert investit La Boutique, rue Sainte-Hélène à Strasbourg. Du 25 avril au 30 mai, le peintre habille les lieux en recouvrant les deux cloisons principales d’une tapisserie homemade et dévoile une exposition baptisée 46m², la superficie de l’endroit. L’homme qui murmurait à l’oreille… des murs présente dix toiles sur ce thème et saisit ce qu’ils “racontent”, au fil du temps. www.mathieuwernert.blogspot.com

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BRÈVES

THE PLACE TO Binch Chic, authentique, hype… La Binchstub (6 rue du Tonnelet rouge à Strasbourg) est l’endroit où aller pour manger – enfin – de bonnes tartes flambées en ville. C’est bon comme à la campagne, dis ! www.binchstub.fr

NOUVEAU

VISAGE

Ça bouge à l’Agence culturelle d’Alsace (ACA) avec la nomination de Virginie Lonchamp à la tête du département du spectacle vivant. L’ancienne administratrice de la compagnie artistique l’Artifice (Dijon) sera intronisée mi-avril et succèdera à Denis Lecoq, parti en février. www.culture-alsace.org

POP PAS SI SAGE Le Kurhaus de Baden-Baden accueille les Wise Guys (jeudi 19 avril) pour un concert a cappella (en allemand certes, mais avec de bien fascinantes voix). Chacune de leurs prestations est une fête scénique et leurs disques, comme Radio (2006) ou Frei (2008), atteignent les premières places dans les charts germanophones. Une découverte à faire pour des spectateurs avides de nouvelles sonorités. www.badenbadenevents.de

UNE VIE

PERFS EN

STOCK Les premiers noms du prochain Festival Perspectives (du 26 mai au 2 juin), organisé à Sarrebruck et à Forbach (au Carreau), sont annoncés. Pour sa 35e édition, les stars sont au rendez-vous : le cultissime Cirque invisible de Jean-Baptiste Thiérrée et Victoria Chaplin (fille de Charlie), Cendrillon revisitée par Joël Pommerat, la danse de l’incroyable Pierre Rigal (Micro), mais aussi Face Nord de la Cie Un Loup pour l’homme (voir Poly n°140 – www.poly.fr) ou encore Meine Kältekammer par le Puppentheater Halle de Christophe Werner sur un texte de Joël Pommerat… Nous en reparlons sous peu. www.festival-perspectives.de

APRÈS LA MORT Spécialistes du relooking de mobilier ancien, les Gentlemen Designers proposent une exposition collective dans leur vaste showroom basé à Handschuheim (67). Jusqu’au 8 avril, découvrez les Objets chinés & détournés par Sonia Verguet, Gaspard Graulich ou Arnaud Finix, des designers d’ici ou d’ailleurs qui ont su redonner vie à des meubles ou ustensiles destinés à finir au fond d’une décharge. www.gentlemendesigners.fr Poly 148 Avril 12

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sommaire

22 Dossier : le Zénith de Strasbourg. Bilan et perspectives d’un modèle

26 IdEx, LabEx, EquipEx… L’excellence à

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l’Université de Strasbourg

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David Lescot s’attaque à la finance sur la scène du TNS

33 À La Coupole, Jean-Michel Rabeux réinvente le mythe de Barbe bleue pour le jeune public

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Artefacts, à la rencontre du Chapelier Fou

38 Avec Partenaires particuliers, les arts se mêlent

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et se croisent au Crac Alsace

40 L’OPS organise une insolite intégrale des Sonates pour piano de Beethoven

50 La Grande Sophie : nouvel album et nouvelle tournée

C

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52 Poète lyrique, metteur en scène barré, directeur

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respecté... Qui est vraiment Olivier Py ?

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CM

70 Un regard dans les photos de Marie Prunier

MJ

CJ

72 Promenade à l’abbaye de Murbach, entre grès

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rose des Vosges et chaumes enchantées

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78 Visite, en avant-première, de la Grande mosquée de Strasbourg

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COUVERTURE Saskia Edens est une performeuse suisse. Cette photo, prise par Alejandro Roquero en 2010 à Samedan, la montre durant Breath, creusant lentement un trou avec sa respiration dans une plaque de glace. Le souffle de vie immatériel venant à bout de l’épaisseur gelée, son visage figé aux lèvres de feu rappelant celui d’une princesse du Nord. Ne la manquez pas à Strasbourg pendant Amphibiotic (lire page 47).

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http://saskiaedens.com

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OURS / ILS FONT POLY

Emmanuel Dosda (né en 1974) Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une dizaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren. emmanuel.dosda@poly.fr

Ours

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Thomas Flagel (né en 1982) Théâtre moldave, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs algériens… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes depuis trois ans dans Poly. thomas.flagel@poly.fr

Dorothée Lachmann (née en 1978) Née dans le Val de Villé, mulhousienne d’adoption, elle écrit pour le plaisir des traits d’union et des points de suspension. Et puis aussi pour le frisson du rideau qui se lève, ensuite, quand s’éteint la lumière. dorothee.lachmann@poly.fr

Benoît Linder (né en 1969) Cet habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma poursuit un travail d’auteur qui oscille entre temps suspendus et grands nulles parts modernes. www.benoit-linder-photographe.com

Stéphane Louis (né en 1973) Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. www.stephanelouis.com

Éric Meyer (né en 1965) Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. http://ericaerodyne.blogspot.com/

Ours by Anaïs Guillon

www.poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49 Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Rédacteurs Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Dorothée Lachmann / dorothee.lachmann@poly.fr Ont participé à ce numéro Pierre Reichert, Irina Schrag, Charlotte Staub, Daniel Vogel et Raphaël Zimmermann Graphistes Pierre Muller / pierre.muller@bkn.fr Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly © Poly 2012. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. ADMINISTRATION / publicité Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Co-fondateur : Vincent Nebois / vincent.nebois@bkn.fr

Fanny Walz (née en 1983) Décomposition & recomposition : voilà peut-être les deux pôles autour desquels cette graphiste (print & multimédia) évolue. Passionnée des images qui bougent, font bouger et rêver, elle avoue un réel penchant pour dada et les constructivistes russes. www.fannywalz.com

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Administration, gestion, diffusion, abonnements : 03 90 22 93 38 Gwenaëlle Lecointe / gwenaelle.lecointe@bkn.fr Nathalie Hemmendinger / gestion@bkn.fr Publicité : 03 90 22 93 36 Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Catherine Prompicai / catherine.prompicai@bkn.fr Vincent Nebois / vincent.nebois@bkn.fr Magazine mensuel édité par BKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100 000 e 16 rue Édouard Teutsch – 67000 STRASBOURG Dépôt légal : mars 2012 SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130 Impression : CE COMMUNICATION BKN Éditeur / BKN Studio – www.bkn.fr

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édito

GCO, GO, GO… AWAY

Par Hervé Lévy Illustration signée Éric Meyer pour Poly

Le Grand Contournement Ouest est dans les tuyaux depuis le milieu des années 1970, ce qui en fait un des plus beaux serpents de mer de la vie publique alsacienne. Pour résumer, la rocade ouest de Strasbourg (A35) est aujourd’hui une des autoroutes les plus saturées de France avec quelque 200 000 véhicules par jour. Que celui qui n’a pas traîné ses guêtres dans les bouchons strasbourgeois – qui ne sont évidemment pas grand-chose par rapport à leurs homologues parisiens, marseillais ou bordelais – lève le doigt ! Pour la délester est prévue une voie (à péage) partant de l’A35 au niveau de Duttlenheim et s’y raccordant vers Hoerdt, après avoir contourné Strasbourg et l’aéroport d’Entzheim. Récemment, les choses se sont accélérées et le Groupe Vinci a été retenu comme maître d’œuvre de cette portion de 24 kilomètres, la convention de financement ayant été adoptée par le Conseil régional du Bas-Rhin, le 13 février. Si de nombreuses associations se sont élevées contre ce choix – plus cher et moins respectueux de l’environnement, selon elles, que le projet de son concurrent, la SANEF – il nous revient de rappeler, au cœur d’une campagne électorale où tout le monde se gargarise avec l’écologiquement correct, l’inanité fondamentale d’un tel projet sur le plan environnemental. Emprise sans cesse croissante du béton et du bitume (350 hectares de plus en l’occur-

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rence) sur les surfaces agricoles et forestières, mise en péril d’écosystèmes entiers, destruction de l’habitat de certaines espèces (pauvre grand hamster) et dénaturation de paysages magnifiques et de lieux où souffle l’esprit (que deviendra le paisible parc du château de Kolbsheim, dont l’histoire est intimement liée à celle du philosophe Jacques Maritain ?). Tout cela pour quoi ? Les études réalisées, en particulier par la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement), prévoient un maintien des bouchons et un délestage faible de l’A35 (de l’ordre de 5 à 6%, au mieux) en raison, en particulier, du coût du péage. Les travaux devraient néanmoins débuter en 2013, la seule formalité juridique étant encore la signature du décret d’attribution en Conseil d’État venant valider le choix de Vinci… qui ne devrait pas tarder. Et pourtant, des solutions alternatives existaient, la première d’entreelles aurait pu consister en un plan volontariste de développement des transports collectifs. Devra-t-on encore accepter longtemps le bétonnage de nos campagnes ? La mutilation et l’uniformisation des paysages ? Les gentils discours de ceux qui prétendent agir au nom des générations futures et qui œuvrent cependant dans une vision à court terme ? Il semblerait bien que oui, et l’exemple du GCO n’en est malheureusement qu’un parmi d’autres.

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LIVRES – BD – CD – DVD

à la recherche du

tueur perdu

on est chez

mémé

Il sont trois. Se nomment Filipag (chanteur et guitariste), Mat (batteur, choriste et, de temps à autre, saxophoniste) et Sergio (bassiste et choriste). En 2007, ces joyeux drilles ont créé MéMé Dimanche et sortent avec Faut pas pousser, leur deuxième album après On ira voir, en 2008. Le style du groupe strasbourgeois ? Une chanson française réaliste douce-amère aux influences multiples (y’aurait pas une louche de Pigalle, parfois ?) mâtinée de folk et de pop. Les paroles sont joliment ciselées, racontant la vraie vie des vrais gens. Authentique et surtout pas toc… Comme dans la chanson appelée La Belote, par exemple : « Ça sentait bon le café mélangé à la fumée / Un p’tit morceau de quatre quart ? À dix-sept heures moins le quart / Avec un bon p’tit calva, c’est ma femme qui conduira. » (H.L.)

Sylvain Dorange, dessinateur strasbourgeois de BD, notamment auteur de trois Contes de l’Estaque de Guédiguian, livre le premier volume du feuilleton policier Les Promeneurs du temps. Ce polar scénarisé par Franck Viale débute dans le Paris du début du XXIe siècle… et nous mènera loin, jusqu’en 2075. Le Commissaire Ambroise Clé et l’Inspecteur Darcheville, chapeau vissé sur la tête et grosses moustaches sous le nez, sont confrontés à une énigme : des meurtres commis par un serial killer qui remonte le temps. Le savant policier, « qualifié dans le domaine du bizarre », et son acolyte évoluent dans un univers tout en volutes (de fumée), démêlant une histoire tortueuse entre Sherlock Holmes et Retour vers le futur. Sylvain Dorange, qui a le compas dans l’œil, démontre une nouvelle fois son habile science de la couleur et de la mise en case. Ah, si seulement nous pouvions voyager dans l’avenir et lire le second épisode… (E.D.) Les Promeneurs du temps – Tome 1, L’équation interdite (13,50 €), éditions Poivre & Sel – www.poivreselbd.be http://dorange.sylvain.free.fr

Faut pas pousser (9,99 €) Soirée de lancement du CD, vendredi 30 mars dès 19h, à Strasbourg, au Fossé des XIII (entrée libre) www.memedimanche.com

anthologie rhénane Un des fondateurs de la Revue alsacienne de littérature, Jean-Claude Walter, également critique littéraire et poète, a publié un précieux florilège sobrement intitulé Le Rhin. Dans ce Voyage littéraire de Jules César à Guillaume Apollinaire – sous-titre de l’ouvrage – l’auteur nous entraine à travers l’histoire et les mythes le long d’une des épines dorsales du continent européen. Bien sûr, tous les grands classiques sont là, de Maurice Barrès à Victor Hugo, en passant par Alphonse de Lamartine (« Roule, libre et superbe entre tes larges rives / Rhin ! Nil de l’Occident ! Coupe des nations ! / Et des peuples assis qui boivent tes eaux vives / Emporte les défis et les ambitions ! »). On relève aussi bien des raretés, comme de merveilleux vers de Jean-Paul de Dadelsen, immense poète alsacien publié chez Gallimard. (H.L.) Le Rhin, publié aux éditions Place Stanislas (18 €)

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classé eXtase Le sticker stipulant “Interdit aux moins de 18 ans” titille d’emblée notre curiosité… Forcément. Le coffret contenant un DVD de deux films (La danse des fous et Eros3) et un CD audio (Cosmogon, pièce musicale “cosmique” d’une heure) montre l’étendue des talents – de vidéaste ou de musicien – de Joachim Montessuis (lire l’article sur Phonon, l’atelier son de l’Ésad, Poly n°130, www.poly.fr). La danse des fous se déroule comme un road trip initiatique et hypnotique. Un voyage au milieu de spirales infernales – les rotoreliefs de Duchamp –, d’ondes et de visages brouillés en compagnie d’artistes un peu dingues (Joël Hubaut est de

la partie). La bande son, mêlant déclamations poético-artistiques, sonorités acoustiques orientales et textures électroniques, suit le rythme des images dans un tournoiement qui conduit à la transe, voire à l’invocation d’esprits « peu fréquentables ». Nous vivons une identique montée en puissance tout au long d’Eros3… jusqu’à l’extase. Afin de laisser au lecteur – majeur – le plaisir de la découvrir, ne dévoilons rien de cette vidéo. (E.D.)

Eros3 + Cosmogon + DDF de Joachim Montessuis (30 €), co-édition Ecart production et Optical Sound www.ecartproduction.net – www.opticalsound.com

FAMILLE

JE VOUS HAIS Fernanda García Lao nous avait séduits avec la cruelle ironie de La Faim de María Bernabé, publié par La Dernière goutte en octobre dernier. La maison d’édition strasbourgeoise nous délecte d’une seconde pépite de l’écrivaine argentine : La Parfaite autre chose. Nous y retrouvons des personnages dévorés par leurs propres désirs, à la recherche d’accomplissements intimes, dont l’insoutenable légèreté se révèle, portée par une écriture jouissive au rythme haletant. Cette courte fresque familiale, en sept parties pour autant de narrateurs, peut se lire à la volée, pris par la brise folle d’un style étonnant qui entre en profondeur dans les méandres de complexité, de troubles et d’honnêteté cynique de chaque personnage. Mais aussi en jetant un œil aux procédés d’écriture de l’auteure qui dévoile une cuisine interne, « les lignes de conduites » de chacun (l’orgueil, l’illusion érotique), proche des contraintes formelles de Georges Pérec. Un diamant brut. Drôlement décadent et intimement saisissant. (T.F.) Fernanda García Lao, La Parfaite autre chose, éditions La Dernière goutte (15 €) www.ladernieregoutte.fr

RAYÉ ET ANIMÉ Michaël Leblond, auteur diplômé de l’École nationale supérieure d’Art de Nancy, et Frédérique Bertrand, illustratrice passée elle aussi par Nancy, remettent le couvert. Après New York en pyjamarama, il y a quelques mois (voir Poly n°146), le duo fait voyager son petit personnage en pyjama au Lunaparc. L’occasion pour les fans de 3D old school de replonger dans l’ombro-cinéma, technique d’animation ancestrale. En passant plus ou moins vite une simple feuille de papier quadrillée (un rhodoïde rayé pour les puristes, fourni avec l’album), les illustrations oscillent et virevoltent dans un déferlement de couleurs. Le rêve de grand huit et de cotillons de l’enfant-héros s’anime sous nos yeux : les auto-tamponeuses carambolent sec et les queues dans le palais des glaces n’en finissent pas ! Un livre qui nous rappelle pourquoi l’anagramme du mot image est magie. (T.F.) Lunaparc en pyjamarama, paru au Rouergue, 16,50 € (dès 3 ans) www.lerouergue.com

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CINQ QUESTIONS À…

valérie perrin La directrice de l’Espace multimédia gantner a de quoi se réjouir : sa structure exigeante, située dans la petite commune de Bourogne (90), aura prochainement le statut de Centre d’Art contemporain. Réactions…

Par Emmanuel Dosda Photo de Benoît Linder pour Poly

Exposition Digital art works. The Challenges of Conservation, jusqu’au 28 avril 03 84 23 59 72 www.espacemultimediagantner.cg90.net www.digitalartconservation.org Elle sera ensuite présentée au CEAAC de Strasbourg, du 16 juin au 23 septembre (fermeture du 30 juillet au 24 août) 03 88 25 69 70 www.ceaac.org

Comment, en 1998, à l’initiative de la municipalité de Bourogne, est né le projet de l’Espace gantner dont vous êtes à la tête depuis cinq ans ? Le maire voulait, au départ, créer un musée dédié au peintre et lithographe Bernard Gantner tout en faisant écho au Centre international de création vidéo Pierre Schaeffer (le CICV, actif de 1990 à 2004) d’Hérimoncourt et exposer les artistes qui y étaient en résidence. Depuis 2001, l’Espace gantner est un service du Conseil général du Territoire de Belfort, l’antenne art et nouvelles technologies de la Médiathèque départementale de prêt. C’est un lieu hybride où l’on peut découvrir ce qu’est l’art numérique par le biais d’expositions, de 9 000 documents, de formations, d’ateliers pour apprendre l’utilisation de logiciels de création graphique…

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C’est difficile d’attirer l’attention sur soi lorsqu’on est aussi pointu… et dans une commune de 2 557 habitants ? L’Espace gantner travaille avec les associations, les enfants… : il n’est donc pas un ovni à Bourogne ! En une année, 8 000 personnes passent ici. Comment réagissent les plasticiens et musiciens invités ? L’artiste electro Alva Noto m’a trouvée folle Lorsqu’il a découvert qu’on organisait son concert dans un village. Quand il a vu la réaction du public et découvert la bibliothèque, la discothèque, il ne voulait plus partir ! L’an passé, avec le cycle Orient… extrême ! nous avons fait venir des Coréens qui font de la musique avec des machines à écrire. Eux aussi ont été surpris et enthousiastes.

La convention devrait être signée en mai 1

L’Espace multimédia gantner fait partie du Réseau des Arts numériques (Le RAN, avec la Gaîté lyrique à Paris ou l’Art Center Nabi de Séoul) www.ran-dan.net

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Qu’est-ce que ça change d’être conventionné1 Centre d’Art contemporain par la Drac ? C’est surtout une reconnaissance de notre travail qui nous apportera de nouveaux réseaux2, de nouvelles possibilités de faire

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circuler les artistes et les expositions. Et une protection grâce au cahier des charges : on ne pourra pas, par exemple, nous demander de nous transformer en espace dédié à Johnny Hallyday [rires]… mais la question ne se pose pas car nous sommes soutenus par les politiques. Comment a été monté votre nouvelle exposition, Digital Art Works. The Challenges of Conservation, qui porte sur les questions de conservation de l’art numérique ? Un inventaire a d’abord été fait, au ZKM, au Frac Alsace, à la Haus fur der Elektronische Kunst de Bâle ou chez nous. Ensuite, nous avons fait dix études de cas à partir d’exemples issus de nos collections. L’exposition présente ces œuvres, les problèmes de conservation posés et les solutions proposées. On découvre des pièces pionnières comme The Legible city de Jeffrew Shaw de 1989 et d’artistes actuels comme Still living d’Antoine Schmitt.

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Le problème de conservation est lié au fait que ces œuvres sont tributaires d’une technologie – logiciels et supports – vite obsolète ? Still living a été pensé pour un écran 4/3 alors qu’ils font tous 16/9 aujourd’hui. Comment fait-on ? On ouvre une petite fenêtre sur un grand ordinateur ou on étire l’œuvre quitte à la déformer ? Elle a été développée sur un logiciel qui disparaîtra bientôt. Comment fera-t-on ? Nous avons questionné les artistes pour apporter une bonne documentation sur les travaux et savoir comment les montrer dans vingt ans. Bernhard Serexhe, directeur du ZKM où a d’abord été montrée l’exposition, disait qu’au départ, il ne se posait pas ces questions pensant que l’art numérique était immatériel, donc indestructible… Ces dix dernières années, les avancées techniques ont montré qu’il y a urgence.

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DOSSIER

le soleil au zénith ? Voilà bientôt cinq ans que le plus grand Zénith de France est implanté à Strasbourg. Sa gestion sera-t-elle à nouveau confiée à Véga l’an prochain ? Le prix du billet va-t-il enfin baisser ? Radiohead fera-t-il salle comble, alors que le taux de remplissage n’est pas toujours au beau fixe ? Le “modèle Zénith” est-il inébranlable ? Éléments de réponse…

Par Emmanuel Dosda

Le Zénith Strasbourg Europe 03 88 10 50 50 www.zenith-strasbourg.fr

I

l s’agit d’une véritable « sculpture » de toile, de béton et d’acier conçue par le charismatique Massimiliano Fuksas. Un phare qui se voit de loin. Une soucoupe digne de Rencontres du troisième type placée sur un parc de 26 hectares. 7 000 m2 de surface totale, 3 500 places de parking, un espace modulable d’une capacité maximale de 12 000 personnes… Lorsque nous arrivons à proximité de la grosse coque orange du Zénith, d’énormes camions débarquent les tonnes de matériel que nécessite Dracula, l’amour plus fort que la mort, show musical de Kamel Ouali mettant en scène une cinquantaine de personnes, chanteurs, danseurs, comédiens ou circassiens. Un spectacle “lourd”, comme beaucoup de shows programmés ici (en quatre ans, près de 400 manifestations ont attiré 1 300 000 personnes). Comment tourne cette grande et complexe machine nommée Zénith ? Retour au début des années 1980.

Laisse béton

Hall du Zénith de Strasbourg © Panopix

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Suite au développement des comédies musicales, des programmes de variété et à la grogne des professionnels du spectacle, obligés d’organiser des tournées dans des Palais des sports ou sous des chapiteaux, le

Ministère de la Culture impulse la construction du Zénith de Paris (6 300 places). Réalisé par les architectes Philippe Chaix et JeanPaul Morel, responsables, par la suite, des Zéniths de Nantes ou de Dijon, il est inauguré en 1984 au Parc de la Villette par un concert de Renaud. Très vite, le concept s’exporte en province, “Zénith” devenant un label géré par le Ministère himself. Aujourd’hui, on en dénombre 17 (bientôt 18 avec celui de La Réunion). Le Ministère de la Culture valide leurs directeurs et impose le cahier des charges : posséder au minimum 3 000 places, proposer au moins 70% de manifestations culturelles (pour 30% d’événements sportifs ou de soirées privées), être modulable… Aussi, son exploitation est impérativement confiée « à une société dédiée, qui ne pourra ellemême produire de spectacles et devra louer la salle à des producteurs et organisateurs, dans des conditions techniques et commerciales identiques ». À Dijon, Limoges, Nancy et Strasbourg, la gestion se fait par délégation de service publique, en s’adossant à un partenaire privé : Véga1.

Le Zénith de Strasbourg

Partant du constat qu’il n’y avait pas, à l’exception du Rhénus Nord, de salle de capacité importante, pouvant accueillir de grands spectacles et un public nombreux, le Zénith de Strasbourg voit le jour en 2008. La CUS en est le principal financeur (68% d’un budget s’élevant à 48,62 millions d’euros). Un investissement considérable. Selon Sylvie Chauchoy2, directrice depuis janvier 2010, le prix en vaut la chandelle car un Zénith offre la garantie d’avoir les tournées de producteurs habitués au maillage de ces salles où l’on trouve à coup sûr une équipe d’accueil compétente, du matériel high tech et des règles de sécurité respectées. « Une scène s’est récemment écrasée


Zénith de Strasbourg © Preview

durant le montage de Laura Pausini en Italie et il y a eu un mort », rappelle-t-elle, vantant le sérieux de sa salle, de son personnel et des sociétés sous-traitantes qui font avancer le « paquebot ». Le contrat 2008 / 2012 touchant à sa fin, un appel à candidatures a été lancé pour renouveler la gestion de la salle strasbourgeoise. Véga, après cinq ans de délégation, « ne minimise pas la concurrence », mais reste confiant. Sylvie Chauchoy : « Nous travaillons dans une transparence totale. Chaque trimestre nous rendons des comptes à la CUS, propriétaire de la salle, auquel nous payons un loyer. »

Un équipement de proximité

Pour Jacques Bigot, président de la Communauté urbaine de Strasbourg, le Zénith « ne doit pas se borner à être une simple étape des tournées internationales, mais également un lieu où se déroulent des manifestations locales ». Ainsi, outre les spectacles proposés par les producteurs Richard Walter Productions et Label LN3, les T’Choupi, les Enfoirés ou les Guns n’ Roses, la salle accueille des événements ponctuels tels que Le Requiem de Verdi (le 20 septembre prochain), coproduction initiée par la Ville et la CUS mêlant le Conservatoire de Strasbourg, l’Opéra national du Rhin et l’OPS. « Nos forces vives doivent

s’approprier un lieu qui est aussi le leur », affirme Jacques Bigot. « C’est notre rôle d’être proche des organisations locales et de faire participer la population à un équipement qui lui appartient », approuve Sylvie Chauchoy, citant notamment À l’Ouest des différences, comédie musicale portée par les habitants de Hautepierre (jouée au Zénith, fin 2008) ou la répétition générale de Si Carmen m’était contée... à laquelle 3 500 enfants des écoles primaires ont assisté, le 15 mars dernier. Pour dynamiser le Zénith, sa directrice aimerait héberger des manifestations sportives (« même si ça n’est pas son rôle premier ») comme c’est prévu en novembre, le temps du départ du Marathon de Strasbourg. Notons enfin que le Zénith accueille régulièrement les Artefacts (lire page 34). En 2008, lors de la première édition du festival rock sur le site d’Eckbolsheim, l’équipe de La Laiterie déplorait que l’endroit, difficilement accessible, n’ait « pas été pensé pour accueillir des festivals ». Le prolongement du Tram prévu en 2014 permettra d’enfin désenclaver la salle.

En France, le nombre de salles de spectacle est considérable. Les Anglais nous regardent avec des yeux ronds… Frédéric Saint-Dizier, gérant de Label LN

Les limites d’un modèle

Le modèle Zénith date d’une trentaine d’années. Depuis, l’économie du spectacle a changé, la billetterie en ligne s’est développée et la crise est passée par là… « Le Centre Poly 148 Avril 12

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Les Artefacts 2011 © Philippe Groslier

Je parie que dans un maximum de 12 à 18 mois, les sociétés délégataires comme Véga produiront leurs propres spectacles Carole Revel, directrice du Galaxie d’Amnéville

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National de la chanson des Variétés et du jazz4, actuellement en discussion auprès du Ministère, veut redonner un coup de jeune au cahier des charges. » Allons-nous vers des salles plus autonomes, qui sortiraient du carcan ? Sylvie Chauchoy file la métaphore culinaire : « Nous faisons à manger tous les jours, mais ça ne sent pas la cuisine ! » Traduction : « Le Zénith reçoit le public, mais ne gère pas les billets car c’est le producteur qui met sa billetterie en vente. » Avec un budget de 3 millions d’euros par an, il incite les producteurs à venir. « Il faut être très réactif pour les demandes de devis ou de planning et être “financier”. » Pour Sylvie Chauchoy, la marge de manœuvre est mince : « Lorsqu’un artiste international, qui ne fait que deux ou trois dates en France, passe dans notre pays, on nous demande de brader le Zénith à la location… ce que la collectivité refuse catégoriquement. Il y a alors du dumping avec d’autres salles comme Amnéville. » Et de tempérer : « Notre capacité technique fait que nous avons eu Lady Gaga lors de sa dernière tournée et que Rammstein s’arrête régulièrement chez nous, pas à Amnéville. » Carole Revel, directrice de cette salle “concurrente” à proximité de Metz, réplique : « Un même spectacle sera moins cher au Galaxie qu’au Zénith de Strasbourg – que je considère comme un équipement de grande qualité, très bien pensé par rapport à

d’autres du même type – car il y a un investissement colossal. De toute façon, mon principal concurrent, c’est le Luxembourg qui n’a pas les mêmes dispositions fiscales, le même coût du travail… »

Isolé du réseau

Le Galaxie (12 000 places ; coût : 7,9 millions d’euros), salle polyvalente adaptable aux sports, aux conventions d’entreprises et aux spectacles, inaugurée en 1991 par le municipalité d’Amnéville, a choisi de ne pas se calquer sur le modèle Zénith. Et pas uniquement pour des raisons « de délais administratifs trop longs », confie Carole Revel, directrice de la salle gérant sa propre billetterie et… produisant elle-même une dizaine de spectacles par an : le groupe LMFAO ou la chanteuse Britney Spears, par exemple. « Plutôt que d’attendre que des tourneurs veuillent bien louer la salle, nous achetons des spectacles et les produisons nous-mêmes », affirme-t-elle fièrement. « Quand nous produisons, le prix de la place est discuté. Nous restons persuadés qu’un prix raisonnable incite les gens à venir… tout simplement. » Carole Revel fait un pari : « Dans un maximum de 12 à 18 mois, les sociétés délégataires comme Véga produiront leurs propres spectacles ! » Frédéric Saint-Dizier, gérant de la société organisatrice de spectacles Label LN, réagit : « Ça deviendrait grave si, demain, on se retrouvait systématiquement face à une contre-proposition


est le mouton noir de Sylvie Chauchoy. « Nous n’avons pas obtenu les résultats escomptés par rapport au taux de remplissage, avec une moyenne annuelle de 4 500 personnes par spectacle », déplore-t-elle. Bien sûr, le Zénith ne peut pas accueillir quotidiennement des artistes capables de rassembler 12 000 spectateurs : Les Rammstein, Noah, Mylène Farmer, Christophe Maé ou Johnny Hallyday ne sont pas légion. Aussi, il s’avère difficile d’anticiper les “échecs” liés à la fréquentation décevante de certains shows, les prestations récentes de James Blunt, Jamiroquai ou Lenny Kravitz n’ayant pas fait salle comble…

Des prix qui grimpent

Pour Souad El Maysour, vice-présidente de la CUS en charge des affaires culturelles, « le bilan de ces cinq premières années est plutôt positif », même s’il y a des choses à améliorer. Il faudrait « rajeunir5 et élargir le public au-delà de la CUS6, voire des frontières. » Selon Sylvie Chauchoy, « le Zénith Strasbourg est référencé à l’international 7 » et le public se déplace en masse pour les têtes d’affiches étrangères comme Radiohead qui devrait afficher complet le 16 octobre prochain. Souad El Maysour : « Le Zénith a besoin de s’adapter aux nouvelles pratiques et tractations entre le gérant, les collectivités et les producteurs. Il faut aller vers plus de souplesse car l’artiste va au plus offrant et certaines salles sont capables de payer cash. » Reste le problème du fameux cahier des charges, « d’un archaïsme complet et inadapté » pour Sylvie Chauchoy qui attend beaucoup des négociations du CNV auprès du Ministère de la Culture. « Les collectivités nous poussent à ce dépoussiérage. » Rendez-vous en 2013 pour voir si les paramètres ont bougé…

De 35 à 95 € pour Si Carmen m’était contée…, 39 € pour Stéphane Rousseau, de 35 à 60 € pour Julien Clerc “symphonique”… Peut-on espérer une baisse du prix du billet ? « Ça n’est pas la tendance », souffle Sylvie Chauchoy. « Les artistes vendent moins de disques, mais veulent avoir le même train de vie et ils espèrent récupérer le manque à gagner sur les tournées. On ne peut continuellement demander au public de mettre encore 5 € de plus pour maintenir des coûts de production très élevés ! Nous sommes en bout de chaîne et pas maîtres du jeu, mais devons expliquer au public que ça n’est pas de notre faute. Le prix moyen du billet est de 47 € alors qu’on voulait le fixer à 35 €. » Même son de cloche du côté de Label LN : « Il est urgent de revenir à des prix accessibles ! Si on ne redevient pas raisonnable, on va droit dans le mur. La réflexion doit être menée à tous les étages pour faire des économies : la technique qui est en inflation permanente, le producteur de l’artiste, l’artiste lui-même, la salle qui accueille… » La défection du public

DOSSIER

du Zénith qui aurait l’avantage d’avoir des factures de location moindres. Je ne suis pas sûr que les promoteurs puissent survivre à ce genre d’agression. Nous avons cependant conscience que le métier change et une instance comme le Prodiss (Syndicat national des producteurs, diffuseurs et salles de spectacles) pourrait trouver un compromis entre les interlocuteurs. » Les Zéniths ne deviendront jamais des “concurrents déloyaux” ? « Il y aura sans doute des aménagements, mais le cahier des charges ne sera pas considérablement modifié car l’État ne voudra pas privilégier une situation de monopole. »

www.vega-france.fr

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Sylvie Chauchoy a été directrice générale adjointe des Eurockéennes de Belfort durant une vingtaine d’années et à la tête de l’Axone de Montbéliard, au moment de son ouverture, en 2009

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Créé en 1991 à Nancy, Label LN produit et organise des spectacles dans le Grand Est et au-delà. Chaque année, la société propose de 150 à 200 manifestations : variété française et internationale, comédie musicale, etc. – www.label-ln.fr

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Le CNV est le “garant du cahier des charges Zénith” – www.cnv.fr

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Le public du Zénith a entre 41 à 50 ans pour 26% et entre 31 à 40 ans pour 21%

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6 41% du public vient d’Alsace dont 15% de la CUS 7 60% du public du Zénith de Strasbourg vient pour les spectacles de variété internationale alors qu’en général les Zéniths sont plutôt fréquentés pour la variété française, les comédies musicales et les one man shows

nancy et dijon branchent les guitares

Le Zénith de Nancy © Sébastien Renard

Réalisé par la Communauté urbaine du Grand Nancy, le Zénith, construit par l’architecte Denis Sloan, a été inauguré en 1993. Surface : 7 700 m². Nombre de places : 5 883 très précisément. Originalité number one : dispose d’un amphithéâtre en plein air d’une capacité de 25 000 places. Originalité number two : affiche fièrement la forme très rock… d’une guitare électrique. Le Zénith de Dijon (réalisation de la Commu-

nauté d’agglomération du Grand Dijon), construit par le duo d’architectes Philippe Chaix / Jean-Paul Morel, est un bâtiment de 45 mètres de haut. Superficie : 8 500 m2. Capacité : 7 800 personnes. Originalité : une impressionnante charpente métallique. Les deux établissements sont gérés par Véga. www.zenith-de-nancy.com www.zenith-dijon.fr

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UNIVERSITÉ – STRASBOURG

bonne idex L’Université de Strasbourg a récemment été reconnue Pôle d’excellence, se voyant allouer des crédits importants. IdEx, LabEx EquipEx… Qu’est-ce qui se cache derrière ces mystérieux sigles ? Éléments de réponse et illustration par l’exemple avec le Groupe de recherches expérimentales sur l’acte musical.

Par Hervé Lévy Illustration de Fanny Walz pour Poly

Résidences autour de Gilbert Amy, organisé par le Gream, jeudi 29 et vendredi 30 mars (avec notamment, des entretiens, des master-classes et un concert, à la Cité de la musique et de la danse de Strasbourg) www.unistra.fr

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ans le cadre du Grand emprunt finançant les investissements d’avenir, l’État a souhaité, en 2010, « distinguer et soutenir un petit nombre de pôles d’excellence en France qui aient la pointure internationale », explique le Président de l’Université de Strasbourg, Alain Beretz. De là sont nées les Initiatives d’excellence (IdEx). À la fois label et financements, elles placent huit sites sur le devant de la scène. Strasbourg, avec ses 42 000 étudiants, a fait partie de la première vague, se voyant allouer 750 millions d’euros (presque le milliard espéré) qui « constituent un capital. Cet argent sera placé et nous pourrons utiliser les revenus de 3 à 3,5 % annuels », précise néanmoins Guy-René Perrin, Délégué général aux investissements d’avenir.

Initiatives pluridisciplinaires

1 Le classement de Shanghai compare 1 200 institutions d’enseignement supérieur. Strasbourg est entre la 102e et la 150e place (le classement précis s’arrête à la centième place). Le leader est Harvard et le premier établissement français est Paris 11 (en 40e position)

Acide ribonucléique, une molécule synthétisée dans les cellules à partir d’une matrice d’ADN dont il est une copie 2

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Il ne s’agit pas simplement d’allouer des sommes d’argent à tel ou tel laboratoire de pointe, mais de « créer des boîtes à outils répondant aux attentes d’une Université de rang international au XXI e siècle dans la formation, la recherche, les relations avec la société ou le monde économique », revendique Alain Beretz dans une « vision transversale ». L’objectif ? Devenir une des vingt universités majeures en Europe, et pas seulement grimper de manière illusoire dans le classement de Shanghai1, « un artefact un brin artificiel qui ne correspond pas, souvent, à la vraie valeur des sites, car il prend presque essentiellement en compte les hard sciences au détriment du droit, de la littérature, de la sociologie… et surévalue l’importance des Prix Nobel. » Guy-René Perrin précise : « Réussir, pour

nous, signifie augmenter significativement, en cinq ou dix ans, la capacité d’attraction de l’Université. » Dans le cadre général de l’IdEx, ont été distingués seize Laboratoires d’excellence (LabEx), qui rassemblent les meilleures équipes autour de projets scientifiques novateurs jouant la carte de l’interdisciplinarité, une des marques de fabrique de l’Unistra. Onze Équipements d’excellence (EquipEx) complètent le dispositif à Strasbourg. Alain Beretz résume les interactions entre les différents éléments avec la « métaphore de la maison. Les LabEx et les EquipEx sont les briques de l’édifice, ses éléments constitutifs, tandis que l’IdEx est à la fois le plan global et les éléments de cohérence de l’ensemble, ceux qui en font un lieu de vie. »

Exemple musical

Parmi les LabEx strasbourgeois, certains se consacrent à la biologie intégrative, d’autres aux réseaux d’ARN2 régulateurs en réponse


aux stress biotiques et abiotiques… Peu de sciences humaines – une situation comparable au reste de la France – si ce n’est le Groupe de recherches expérimentales sur l’acte musical (Gream). Rassemblant treize enseignants-chercheurs, quinze doctorants rattachés et sept jeunes chercheurs, il est un « reflet de la force de l’Université de Strasbourg, sa pluridisciplinarité vécue au quotidien » pour son directeur Pierre Michel. S’il regroupe principalement des chercheurs en musicologie, il est ouvert à toutes les disciplines : philosophie, mathématiques, anthropologie ou littérature comparée. Son objet est de travailler sur une vision renouvelée de la musique qui prenne pour centre et pivot « l’acte musical, c’est-à-dire l’instant de la création au cours duquel l’interprète, dans une double relation consciente, s’approprie l’objet qu’est la partition – ou le codage laissé par le compositeur – pour le communiquer à l’auditeur. » Dans ses activités, le Gream

ne connaît aucune frontière, ni stylistique (des musiques anciennes au rock, en passant par Wagner ou Ligeti), ni géographique, une partie de ses activités étant dédiée aux répertoires du bassin méditerranéen. Le travail du laboratoire se déploie sur trois axes majeurs, l’édition et l’étude de textes fondamentaux, une réflexion sur l’esthétique – ce qui reste de l’œuvre musicale après audition, notamment – et une autre sur les mécanismes de perception. Les moyens nouveaux (deux millions d’euros) permettront de mieux diffuser les recherches « auprès des spécialistes et du grand public auquel, dans le domaine qui est le nôtre, il est primordial de s’adresser ». En témoigne une manifestation organisée, en collaboration avec le Conservatoire de Strasbourg, un complice du Gream, autour du compositeur Gilbert Amy.

Strasbourg ambitionne de devenir une des vingt universités majeures en Europe

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ELECTRO ORIENTALE – BELFORT

voix de jasmin Emel Mathlouthi, protest singer new look, vient présenter son premier album, Kelmti Horra, à la Poudrière de Belfort. Voix de la Révolution de jasmin, la chanteuse tunisienne dévoile un opus mêlant sonorités trip-hop et mélodies orientales.

Par Charlotte Staub Photo de Gaith Arfaoui

À Belfort, à la Poudrière, vendredi 6 avril 03 84 58 11 77 www.pmabelfort.com www.emelmathlouthi.com

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B

iberonnée à la pop anglo-saxonne et à la musique électronique, Emel écoute Joan Baez, Bob Dylan et Björk. Son père lui fait découvrir les figures de la scène dissidente arabe, l’égyptien Chikh Imam et le libanais Marcel Khalifé. Des univers musicaux aux antipodes qui développent chez elle un éclectisme se manifestant dans les dix titres de l’album. Produit par la chanteuse et interprété en arabe avec escapades en français et anglais, chaque morceau s’inspire des moments-clés de sa vie : elle dénonce les injustices subies sous l’ancien régime dans Dhalem (Tyran), rend un hommage poignant à son pays opprimé dans Ya Tounes Ya Meskina (Pauvre Tunisie) et surtout, provoque un désir

de liberté dans Kelmti Horra (Ma parole est libre). Dotée de qualités vocales singulières, tantôt graves, tantôt lyriques, aux accents rock, trip-hop et orientaux, Emel Mathlouthi invite des violonistes, percussionnistes, guitaristes et violoncellistes pour accompagner une voix qu’elle faisait entendre dans les rangs des manifestations tunisiennes. Née à Tunis dans les années 1980, elle commence à chanter dès l’âge de 15 ans, découvre la scène avec un groupe de rock gothique à la fac, s’engage dans des syndicats étudiants et chante la liberté dans des minuscules salles de son quartier. Dans une Tunisie sous surveillance, Emel connaît l’intimidation : « Être une chanteuse militante sous Ben Ali était difficile, le régime nous ignorait, il n’y avait aucun moyen pour développer un quelconque projet » confie-t-elle. En 2007, elle fait ses valises pour Paris. Quand Mohamed Bouazizi – vendeur à la sauvette devenu symbole de la contestation – s’immole à Sidi Bouzid en décembre 2010, Emel est en Tunisie. L’ambiance est électrique. Une semaine plus tard, elle donne un concert à Sfax (deuxième ville et poumon économique du pays) et le dédie au martyr. Elle fait fi des recommandations des organisateurs et décide d’interpréter ses textes engagés plutôt que le répertoire imposé de chansons traditionnelles, devant un public acquis à sa cause. En 2007, Emel Mathlouthi interprétait déjà Ma Parole est libre, quatre ans avant les manifestations qui ont fait chuter de Ben Ali. Comme un présage musical.


NOUVEAU CIRQUE – OBERNAI

haut les corps Pour sa 17e édition, le festival Pisteurs d’Étoiles accueille les Australiens de la compagnie Circa avec Wunderkammer, un spectacle repoussant les limites de l’exceptionnel.

Par Dorothée Lachmann Photo de Sean Young Photography

À Obernai, sous le Chapiteau de Pisteurs d’Etoiles, vendredi 4 et samedi 5 mai 03 88 95 68 19 www.pisteursdetoiles.com

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underkammer. La chambre des merveilles… ou le cabinet de curiosités, cet “ancêtre du musée”, très en vogue à la Renaissance, où étaient conservées des collections insolites, sang de dragon séché et cornes de licorne. Nous faire croire à l’incroyable, telle est justement la science de la compagnie Circa… Elle ne se contente pas de performances physiques extrêmes pour apporter au nouveau cirque un langage inédit. Venue de Brisbane, la troupe de Yaron Lifschitz transporte dans ses valises une ambiance de cabaret burlesque, où le vaudeville est ponctué de strip-tease. Humour et glamour, une recette qui a fait la renommée internationale de ces artistes. Mais si les filles portent des hauts talons sexy, c’est pour mieux écraser les clichés et porter à bout de bras leurs partenaires masculins, dans des figures à couper le souffle renversant toutes les conventions.

phie aérienne, le danger ajoute au frisson du spectateur, dont l’émotivité est à fleur de peau pendant une heure et quart. À la corde, au trapèze ou au cerceau, les sept athlètes flirtent avec leurs limites pour fabriquer du “jamais vu”, détourner les traditions. Et puisque nous sommes dans un cabinet de curiosités, le mélange est forcément hétéroclite et inattendu, les détails foisonnent. Le clownesque apparaît alors entre deux chorégraphies, à coups de sparadrap douloureusement arraché ou de nez qui coule. Idem pour la musique, qui livre une surprenante collection de jazz et de fugues de Bach, de tango et de chansons populaires, faisant passer les acrobates des pirouettes aux pointes du ballet classique. Sans décor ni poudre aux yeux, juste par la puissance des corps, ces artistes n’ont qu’un objectif : aller au-delà de l’impossible.

La beauté de certaines images épuise à elle seule les superlatifs, comme cette irréelle promenade dans les airs de l’acrobate Emma McGovern : elle marche avec la grâce d’un ange sur les têtes de ses compagnons. Derrière le naturel confondant de cette chorégra-

quel cirque ! L’ouverture du festival marque le retour à Obernai du Centre national des Arts du Cirque, avec un spectacle mis en piste par David Bobee. Sur un plateau tournant à 360°, This is the end (27 au 29 avril) dresse le portrait d’une jeunesse d’aujourd’hui, entre illusions et désillusions. Parmi la foisonnante programmation, on attend aussi un moment de pure poésie avec la création des compagnies (en résidence) Hector Protector et Motus Modules qui feront disparaître la lune (1er mai). À découvrir encore, le duo Defracto et son étonnante chorégraphie jonglée, Circuits fermés (3 mai) ou Lost Post du Collectif And Then (4 et 5 mai) qui se contorsionne et s’enroule dans les cordes de la communication. À Obernai, sous chapiteau, du 27 avril au 5 mai 03 88 95 68 19 – www.pisteursdetoiles.com

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THÉÂTRE – STRASBOURG

l’arnaque du siècle Avec sa dernière création, David Lescot déroule au TNS la vie de l’escroc ayant inspiré à Bernard Madoff sa propre entourloupe. Le Système de Ponzi ou l’origine du capitalisme financier et son cortège : l’arnaque à la chaîne.

Par Thomas Flagel Photo de Pascal Victor

À Strasbourg, au Théâtre national de Strasbourg, du 11 au 26 avril 03 88 24 88 24 – www.tns.fr

Théâtre en pensées, rencontre avec David Lescot animée par Olivier Neveux, lundi 16 avril, à 20h au TNS Réservations au 03 88 24 88 00

Le Système de Ponzi, Actes SudPapiers, janvier 2012 (16 €) www.actes-sud.fr

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Comment avez-vous découvert l’histoire de Ponzi ? En m’intéressant à celle de Madoff. J’ai toujours trouvé plus saillant de parler des choses par le biais de la trajectoire d’un individu. Madoff faisait référence à la “chaîne de Ponzi”. J’ai fouillé de ce côté et eu l’impression de découvrir la mise en place du système financier actuel. Il me plait d’aborder ces zones obscures de l’esprit où le danger de gagner et de perdre est plus fort que tout. Carlo Ponzi (1882-1949), émigré italien en quête de réussite aux États-Unis a un parcours semé d’embûches. En toile de fond, nous découvrons le sort des milliers d’immigrés européens vivant de basses besognes, de petits jobs et, parfois, d’arnaques… C’est le sujet de fond : comment fait-on sa place dans la société ? L’histoire de l’immigration est fondamentale, notamment aux États-Unis. Le pays s’est construit sur différentes vagues : Irlandais, Italiens, Polonais… D’ailleurs Ponzi travaille au corps ses compatriotes. Lorsqu’il arrive enfin à tisser des réseaux, à sortir de sa communauté, tout se développe dans des proportions faramineuses, le faisant millionnaire en quelques mois. Ce petit escroc culotté, changeant de nom, fera plusieurs séjours en prison avant son gros coup. Qui le fait basculer ? Zarossi, banquier véreux, Morse, spéculant à Wall Street sur le cuivre ou, plus simplement, le goût du risque ? Son moteur, c’est le syndrome de l’inventeur. Il pense que dès qu’il a une idée, tout bascule. J’ai toujours été fasciné par les types du Concours Lépine, capables de changer leur vie avec une invention. Ponzi c’est la même chose, mais du côté illégal, même s’il lance

son système sans savoir que ça l’est. Mais il est cruel de constater que ses principales victimes ont été de petites gens, contrairement à Madoff qui ne prenait que les grosses fortunes ! En même temps, c’est un personnage paradoxal, capable de donner sa peau pour une infirmière. Il sillonne le pays du Nord au Sud, de petits jobs en galères. Quelle est la part de fable dans tout cela ? C’est un anti-héros, un voyou pourri et en même temps d’une grande générosité. Il est impossible de trancher, de savoir s’il est vraiment bon ou mauvais. J’ai pris très peu de liberté avec ce que l’on sait de lui. Mais comme nous avons peu de choses excepté son autobiographie, écrite en prison, comment savoir la vérité ? Un effet onirique plane sur la pièce… Comment fonctionne ce qu’on appelle depuis “la chaîne de Ponzi” ? À l’époque, il n’existe pas de timbres internationaux. Pour envoyer un courrier il faut un “coupon réponse international” qu’on vous change contre des timbres dans chaque pays. La parité des monnaies a été balayée par la Grande guerre. Du coup, vous n’obtenez pas la même valeur de timbre selon que vous les achetez en Italie, en Espagne ou aux ÉtatsUnis. Voilà ce sur quoi il joue. Mais en réalité, il ne l’a jamais mis en œuvre. Il n’a jamais acheté le moindre coupon réponse. Il l’a simplement fait croire ! Car il était impossible de se les faire rembourser en cash. Surtout dans les quantités qu’il annonçait. Il a simplement servi cette fable des taux de change et des coupons à des milliers de souscripteurs, leur faisant miroiter un gain de 50% en 45 jours. En fait, il remboursait les premiers avec


l’argent des suivants, utilisant le roulement des souscriptions. Cela lui permet d’être millionnaire en quelques mois. Il avait inventé la “chaîne de Ponzi” : la promesse de rendements très importants en n’utilisant que l’argent des suivants, sans jamais les placer. Cela marche car il accepte sans broncher de rembourser les sceptiques qui, du coup, remettent de l’argent au pot ! Sa meilleure pub ! Finalement, la trajectoire de cet immigré sans le sou jouant avec les règles du milieu des affaires met à jour un système… Tout à fait, l’escroc est un révélateur du système plus qu’il ne le crée. Il a étudié ses rouages et trouvé les failles. Ponzi prendra des parts importantes dans plusieurs banques, mettant des fonds qu’il n’a pas réellement dans la boucle… Cela conduit le système à sa perte, comme aujourd’hui lorsqu’on renfloue les banques et qu’elles refont des bénéfices mirobolants juste derrière. Leur soif est folle… Le schéma décadence / grandeur / décadence est parfait pour exalter un public ? Il m’a toujours intéressé et touché car c’est ainsi qu’on saisit l’humain qui est plus exemplaire dans ses échecs que dans ses triomphes. C’est un peu comme dans L’Homme qui voulut

être roi de John Huston où deux hommes vont trop haut, l’un se prenant carrément pour Dieu. La même folie… Une dizaine de comédiens interprète près de 80 rôles. Comment montrer aux spectateurs les nombreux changements de lieux, d’époques et de continents ? Nous avons trouvé une scénographie mouvante, faite de choses simples. Je souhaitais un théâtre revenant à l’essence enfantine : le plateau est une sorte de jeu de construction où des tables s’agencent pour figurer une maison, un bateau, un café, une prison… Les comédiens changent sans cesse de costumes, ils habitent la scène avec sa perspective de portemanteaux. La musique est toujours très présente dans vos spectacles. Ici, proche de la comédie musicale, version jazzy ? Pas seulement. J’ai cherché à évoquer l’époque et l’esthétique des années 1920. Ce qui était moderne l’est resté : Charleston, New Orleans, Ragtime… C’est ce moment de métissage où les rythmes d’Afrique et d’Europe se mêlent. Les musiciens prennent des rôles, les comédiens des instruments. Le spectacle est joyeux, nous voulions regarder le système flamber mais pas en tirant la tronche, plutôt dans l’allégresse !

Nous voulions regarder le système flamber mais pas en tirant la tronche, plutôt dans l’allégresse !

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PANTINS ANIMÉS – STRASBOURG

battle royale Artiste associée au TJP depuis trois saisons, Alice Laloy dévoile sa toute dernière création… pour ados et adultes. Batailles explore le chemin menant de la désillusion à la résistance, dans une poésie philosophico-existentialo-absurde.

Par Thomas Flagel

À Strasbourg, au Théâtre Jeune Public – Grande Scène (dès 12 ans), du 30 mars au 4 avril 03 88 35 70 10 www.tjp-strasbourg.com www.sappellereviens.com

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ous, petits Don Quichotte, avons souvent cessé de nous battre contre des moulins trop grands en tombant dans l’âge adulte. » Telle est la présentation du nouveau spectacle d’Alice Laloy qui délaisse, une fois n’est pas coutume, le jeune public « et son envie de croire en tout » pour s’adresser aux plus âgés, « d’autant plus désillusionnés. Le chemin que je suis part du désespoir, du manque d’envie pour explorer ce qui nous mène à la résistance et à l’espérance. Entre les deux, il y a des Batailles. Dans la vie, nous cheminons de chutes en chutes – de notre naissance à notre mort – mais aussi de désillusion en désillusion, en trouvant les moyens de nous en relever, chaque fois. » Dès le mois de novembre 2011, elle réunissait trois “comédienschercheurs” pour des sessions d’improvisation au TJP. Pour donner corps à la pensée sur le plateau, il leur fallait expérimenter tout un tas de questions (Est-il plus facile de chuter ou de se relever ? Peut-on résister seul ? etc.), jouer à répondre par l’absurde en s’éloignant le plus possible d’une démarche scientifique. Ce flot d’images et de propositions nourrit l’écriture théâtrale d’Alice faite de poésie, de ressenti et d’émotion. Avec sa scénographe, elle imagine un espace abstrait, « un puits ou un trou, contenant tout de même une issue », dans lequel trois personnages sont

aux prises avec un champ bien particulier : le rapport physique aux choses (équilibre, poids, masse) par un empilement de chaises, la force du mental en testant un œuf « qui peut résister à une force de poussée de 42 kg tout en étant extrêmement fragile » et enfin la sensibilité avec l’utilisation de pantins articulés. Trois parcours parallèles, trois solitudes dont les chemins se croisent jusque dans une salle de cours, lieu de la bataille de la pensée. Un tableau noir occupe une partie de l’espace, inspiré de La Classe morte de Tadeusz Kantor. Des pantins, dans un entredeux enfance / âge adulte, assistent à « un cours de philosophie absurde où l’on essaiera de comprendre l’homme par le biais d’œufs, de musique, d’objets et d’une sorte de mécanique. Comme dans nos rêves, lorsqu’on pense, des images fugaces surviennent. Des personnages ont ainsi traversé l’espace de notre pensée pour nous guider : Jeanne d’Arc avec sa foi, pure, imperturbable et presque aliénée lui donnant la force de se battre, Don Quichotte et sa croyance indéfectible en luimême, Sancho Panza qui trouve plus facile de croire en quelque chose qu’en rien du tout… » La bataille a déjà commencé.


anne, ma sœur anne Jean-Michel Rabeux revisite, pour les enfants, l’histoire du plus célèbre serial killer de tous les temps : Barbe Bleue. Un spectacle enchanteur, cruel et magnifique, comme la vie, qui fait plus d’un pied de nez au conte de Perrault.

Par Dorothée Lachmann Photo de Netty Radvanyi

À Saint-Louis, à La Coupole, mercredi 18 avril 03 89 70 03 13 www.lacoupole.fr www.rabeux.fr

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uteur et metteur en scène à l’univers fascinant, Jean-Michel Rabeux se tourne pour la première fois vers le jeune public. « Tout est parti de la réflexion du petit garçon d’un ami. Après avoir vu l’une de mes pièces, il m’a demandé : pourquoi tu ne fais pas des spectacles pour moi ? » L’idée n’a pas mis longtemps à faire son chemin. La Barbe Bleue, destinée « aux adultes à partir de 8 ans », ouvre de nouvelles perspectives dans le répertoire du créateur. « J’ai pris un plaisir que je n’attendais pas à cette simplicité obligée », confie-t-il. Et s’il a opté pour la forme du conte, c’est parce que « le genre touche à des choses profondes, mais avec un imaginaire fantastique venant atténuer la violence des thèmes abordés ». En réécrivant le texte de Perrault, Rabeux a pris soin d’adoucir encore l’histoire. Quitte à en déplacer complètement les enjeux. Barbe Bleue est devenu une créature mi-homme, mi-bête, amoureuse de sa jeune épouse… mais elle doit la tuer sous peine de se transformer définitivement en monstre. La référence à La Belle et la Bête de Cocteau est revendiquée, jusque dans la tête de fauve aux poils bleus du personnage. La scénographie, éblouissante, contribue au suspense avec ses sept portes mystérieuses et son escalier qui mène vers le secret. La jeune femme va-t-elle introduire la petite clef d’or

dans la serrure interdite ? C’est alors que le décor se retourne et que les six cadavres apparaissent. « Les enfants hurlent de peur tout au long du spectacle… et ils adorent ça », s’amuse le metteur en scène. Soucieux néanmoins d’amortir la violence du propos, il a fait du troisième protagoniste – la mère de la jeune fille – un médiateur entre l’histoire et le public. « Elle s’adresse directement aux spectateurs, de façon à créer un filtre. » Si l’épouse trop curieuse n’échappe pas à son destin d’héroïne, c’est tout de même JeanMichel Rabeux qui tire, à sa guise, les ficelles de cette histoire. « Elle aime tellement son mari qu’elle accepte de mourir pour lui. Mais, bien sûr, elle va ressusciter ! » Et devinez comment ? La Belle au Bois dormant, ça vous dit quelque chose ? Un baiser de la Bête… et voilà la Belle qui ouvre les yeux. Vous voyez venir la suite. Barbe Bleue arrache sa tête de monstre et se transforme en séduisant jeune homme. Un joli mélange d’histoires pour un sacré happy end. « J’aime assez l’idée que l’amour résolve le dilemme, qu’il accomplisse des choses impossibles », sourit l’auteur, qui a manifestement pris goût à cette voie, puisqu’il la poursuit avec Peau d’Âne, en cours de création (première à l’automne 2012). Les enfants – et les plus grands – ont décidément bien de la chance...

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FESTIVAL ROCK – Hip-hop – STRASBOURG

au pays des merveilles Le jeune musicien messin Chapelier Fou, en concert lors du Festival des Artefacts, est loin de travailler du chapeau : ses compositions cérébrales sont de savantes fusions mêlant instrumentations acoustiques et bidouillages électroniques. Entretien.

Par Emmanuel Dosda Photo d’Alexandre Tourret

Chapelier Fou, en concert mercredi 11 avril à La Laiterie www.laiterie.artefact.org

Vous avez emprunté votre nom de scène à un personnage de Lewis Carroll… Mon pseudo vient de mes premiers pas dans la musique électronique où j’utilisais des samples issus de disques de contes de fées, notamment la voix du Chapelier dans Alice. Je travaillais beaucoup sur le montage, créant des narrations sans queue ni tête. Un des buts de votre musique est-il de mener l’auditeur “de l’autre côté de miroir” ? Oui, car j’aime rendre visible ce qui ne l’est pas forcément. Durant mes concerts, le processus de fabrication des morceaux est intelligible. Quelque part, le public passe de l’autre côté, il monte et voit les choses se faire.

Invisible, son nouvel album paru sur le label de Nancy Ici d’ailleurs (Yann Tiersen, The Married Monk…), qui fête ses 15 ans à L’Autre Canal, le 4 avril www.icidailleurs.com http://lautrecanalnancy.fr

À La Laiterie, il partagera l’affiche avec un autre artiste multi instrumentiste du label Matt Elliott, présent au chant sur Invisible, dont le Chapelier est « ami et fan »

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Sur scène, tel un orchestre à vous tout seul, vous jouez de chaque instrument. L’aspect performatif est-il important lors de vos sets ? C’est intéressant de voir à quel point on peut repousser les limites pour tout construire en live. Les séquences au violon, à la guitare ou aux claviers sont jouées et enregistrées sur scène, les rythmiques électroniques sont générées en direct. Cela se traduit par une partition de gestes : je déclenche des séquences, j’enregistre des boucles… C’est une sorte de chorégraphie où je prends le plus de risques possible. Votre cursus classique au Conservatoire de Metz explique-t-il une approche différente des machines ? Il s’agit de deux mondes qui sont complémentaires pour moi. Les possibilités d’expérimen-

tations de l’electro m’intéressent : créer des interfaces entre les machines et l’ordinateur, élaborer des effets, manipuler les lois acoustiques, faire des mathématiques et explorer l’aléatoire. Par contre, quand je joue du violon, mon cerveau est en pause. C’est plus naturel. Mon approche est traditionnelle : je compose au clavier, j’écris des partitions, des plans d’accords… Vos compositions sont comme autant d’études autour d’un thème ? Oui, c’est mon côté “Conservatoire” : j’essaye d’appliquer des théories, de faire des morceaux basés sur un principe. Protest, par exemple, est écrit à la manière d’un choral protestant. Ils partent d’un concept, même si on ne s’en rend pas forcément compte à l’écoute. D’où vient votre ouverture musicale ? De la période où vous avez disséqué la vaste discothèque parentale en samplant du classique, du jazz, du rock ou de la world ? Quand j’ai commencé à faire de la musique sur ordinateur, influencé par le label Ninja Tune, DJ Shadow ou Cut Chemist, j’ai samplé tous ces disques appartenant à mon père. C’était pour moi une manière de comprendre la musique, de la décortiquer. Voir comment c’est fait.


Chapelier Fou

la classe internationale Expérimentations pop mondiales (mercredi 11 avril à La Laiterie avec Mansfield.Tya, Zola Jesus, Chapelier Fou et Matt Elliott : parfait casting), electro-rock disjonctée (le lendemain, même lieu, avec les excités de Skip the Use et The Shoes) ou hip-hop (Orelsan et Puppetmastaz le 13 à La Laiterie, Method Man le 22 au Zénith) : le Festival des Artefacts devrait à nouveau attirer un large public grâce à une affiche affriolante et bigarrée… comblant les plus anciens qui iront (sagement) applaudir leurs idoles d’alors, Killing Joke et And also the Trees (samedi 14 à La Laiterie), alors que les plus jeunes se débattront sur les rythmes punchy de Birdy Nam Nam ou de Skrillex (le 20 au Zénith), nouvelle coqueluche electro au look goth’. La scène locale ? Elle sera sous les feux de la rampe du

26 au 28 avril à La Laiterie. L’événement nommé The International unplugged rock’n’roll society regroupera notamment les groupes Los Disidentes del Sucio Motel, Chapel Hill, Hermetic Delight ou The Swamp dans un but, exprimé par Nicolas Foucaud de l’association organisatrice Hell Prod : revisiter l’histoire internationale du rock. « Vingt-quatre musiciens seront à tour de rôle sur scène et interpréteront des reprises de grands standards ou au contraire, de pépites trop méconnues du grand public qui ont fait le rock depuis 60 ans. » Revoir ses classiques avec les Artefacts… À Strasbourg, Festival des Artefacts, du 11 au 28 avril, à La Laiterie et au Zénith Europe 03 88 237 237 http://festival.artefact.org/2012 Zola Jesus

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la condition humaine À travers la pathétique rencontre amoureuse de Menschel et Romanska, l’auteur israélien Hanokh Levin pointe la « grandeur de la petitesse humaine ». Le metteur en scène Olivier Balazuc adapte cette nouvelle, à la Comédie de l’Est.

Par Dorothée Lachmann Photo de BM Palazon

À Colmar, à la Comédie de l’Est, du 3 au 5 avril 03 89 24 31 78 www.comedie-est.com

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u bout du fil, la voix est séductrice. Une promesse de bonheur. Derrière le timbre rauque et sensuel, Menschel imagine la femme de ses rêves. Il s’apprête à faire la rencontre de sa vie, c’est certain. Sauf qu’Hanokh Levin n’est pas un auteur à l’eau de rose. Le charme ne survit pas au premier regard et l’instant promis devient un désastre. « D’emblée, ils sont comme un miroir l’un pour l’autre, se renvoyant leur propre médiocrité. Ils se haïssent pour n’avoir pas trouvé en l’autre la rémission espérée », explique le metteur en scène Olivier Balazuc. « Levin travaille comme un entomologiste, il dissèque le processus qui transforme le fantasme en un système de guérilla. Les deux personnages sont caractérisés le moins possible : l’important est la stratégie qu’ils développent pour se faire du mal. » Car s’ils se déplaisent prodigieusement au premier coup d’œil, les voilà, tenus par les conventions sociales, obligés à passer la soirée ensemble. Comment meubler le temps dans ces conditions ? Pour Romanska, un seul objectif : faire cracher à Menschel le maximum d’argent. Il préfère se déplacer à pied, elle en taxi : ce sera le bus. Elle espère un grand restaurant, il lui offre un falafel au marché, qui la rendra malade. Laideur contre

avarice, petitesse contre mesquinerie, la guerre est déclarée. « Personne ne sort jamais satisfait de ces duels, on est toujours dans le compromis qui fait perdre ses couleurs à l’existence », souligne le metteur en scène. « Levin est le Molière israélien, il donne à voir tous nos défauts qui nous retiennent d’être grands. » Pourtant, il y a toujours chez l’auteur cette tendresse qui point sous la drôlerie violente. Comme l’instant où les deux personnages imaginent l’enfant que l’autre a pu être. « Sous les couches de renoncement et d’aigreur, on a la vision de ces êtres revenus à l’état d’enfance, ce temps de l’innocence où tout est possible. Derrière le masque de la vie courante, voir le cœur qui palpite... » Pour adapter cette nouvelle au théâtre, Olivier Balazuc a transformé son comédien, Daniel Kenigsberg, en conférencier. Menschel et Romanska, symbolisés simplement par leurs noms sur un panneau, deviennent des éléments d’étude scientifique, jusqu’à ce que l’acteur soit lui-même « happé par son sujet, pris dans l’épaisseur de la pâte humaine » et qu’il se confonde avec les personnages. « En cela, il figure ce qu’est le théâtre : on joue avec des identités, mais c’est toute l’humanité qui apparaît au travers. »


Visuel Kathleen Rousset, graphisme Polo

Paranoïd Factory Project Adapté de La faculté des rêves de Sara Stridsberg – Éditions Stock Traduction Jean-Baptiste Coursaud Conception et mise en scène Sonya Oster Calamity Jane Cie, Strasbourg – création 2010 Taps Gare (Laiterie) du mardi 10 au samedi 14 avril à 20h30 dimanche 15 avril à 17h

Les Taps info. 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu

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art contemporain – altkirch

liaisons heureuses Avec Partenaires particuliers, le Crac Alsace s’intéresse aux collaborations entre artistes de différents horizons. Lorsque sculpteurs, vidéastes et musiciens se rencontrent, l’exposition dévoile le secret de fabrication de ces œuvres créées avec complicité. Morceaux choisis.

Par Charlotte Staub

À Altkirch, au CRAC Alsace jusqu’au 29 avril 03 89 08 82 59 www.cracalsace.com Échantillons, performance de Philippe Quesne / Vivarium Studio, jeudi 5 avril à 20h30 Finissage de l’exposition Projection du film de Marie Losier, The Ballad of Genesis and Lady Jaye (2006), dimanche 29 avril

Jeremy Deller, After the Gold Rush

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«

U

n artiste se nourrit de tout ce qui l’entoure, notamment des discussions avec ses proches, avec d’autres artistes » explique Virginie Yassef, plasticienne habituée des lieux. Sophie Kaplan, directrice du Crac, lui a proposé d’assurer avec elle l’organisation de Partenaires particuliers. Les deux commissaires, qui partagent une relation artistique depuis plus de dix ans, répondent à une double volonté : interroger la notion de signature artistique d’un côté et entrer dans le processus de création des œuvres. En partant du principe qu’un artiste n’est jamais tout à fait seul, elles ont sélectionné une douzaine d’œuvres – peintures, sculptures, films, photographies –, réalisées à plusieurs mains.

Cartel démantelé

Le visiteur pénètre dans la vieille bâtisse wilhelmienne au son d’une musique instrumentale, découvrant une grosse boule de billard posée au sol. Virginie Yassef et Sophie Kaplan ont décidé de bousculer les habitudes et de proposer une signalétique différente. Confié à Julien Bismuth, plasticien, Jean-Pascal Flavien, artiste pluridisciplinaire et Giancarlo Vulcano, compositeur pour le cinéma, le balisage de l’exposition mêle récit, décor et bande son. Bismuth a imaginé des boules de billard qui remplacent les traditionnels cartels d’identification des œuvres et écrit un texte autour de la notion de complicité (Un complice / A complice), édité par Devonian Press, la maison d’édition de Flavien et mis


en musique par Vulcano. De cette triple collaboration naît une proposition singulière, qui floute les limites entre ce qui relève habituellement du contenu (les œuvres) du contenant (la scénographie, la signalétique, le graphisme…). Pour Sophie Kaplan, « on reste encore trop souvent fixé sur le cliché romantique de l’artiste solitaire qui fabrique ses œuvres dans le secret de son atelier. » Partenaires particuliers parvient, au fil de la visite, à déconstruire cette idée reçue avec des créations témoignant de profondes relations artistiques. Dans la Project room, salle tremplin pour des jeunes artistes, Matthew Schieppe et Willy Meyer, fraîchement diplômés, présentent l’imposant Xanagloo. Pendant un an, Schieppe a regardé par tranches de quelques minutes Citizen Kane d’Orson Welles et s’en est inspiré pour réaliser une sculpture quotidienne qu’il a emballée dans un carton et envoyé à Meyer. Une année et 365 boîtes (jamais ouvertes) plus tard, les deux amis réalisent Xanagloo, contraction des mots Xanadu et Igloo. Le premier renvoie au nom du palais que se fait construire Charles Foster Kane, le personnage principal du film, dans lequel il entrepose des milliers de caisses remplies de trésors achetés aux quatre coins de la planète, le second évoque la forme de l’œuvre. À l’intérieur de l’igloo façon mail art, on reconnaît la fameuse luge sur laquelle est écrit Rosebud, le mot prononcé par Kane avant de mourir.

Stationnement gênant

À l’étage, la visite prend une tournure de road trip dans le désert. Jeremy Deller, artiste britannique, présente After the Gold Rush, tableau de l’histoire sociale de l’Etat californien. Deller livre son carnet de voyage à base de 85 diapositives, souvenirs des différentes étapes d’un périple quasi initiatique, ponctué de rencontres, de découvertes et de rites. Il croise un ancien membre des Black Panthers, un épicier nonagénaire ou encore l’animatrice d’un concours de cabaret burlesque. L’artiste va conclure cette aventure humaine en achetant un bout de désert, geste symbolique destiné à sceller son désir d’américanité. Ultime action qu’il effectuera en Californie, Deller propose à un joueur de banjo rencontré en route d’interpréter ses compositions sur cette parcelle d’Amérique. Pour le visiteur, c’est une expérience à la fois visuelle, sonore et olfactive à vivre : tandis que les souvenirs de Deller sont projetés à l’écran, les effluves

Les barres métalliques de Dector & Dupuy © Marianne Maric

de sauge brûlée et les chansons de William Elliot Withmore parviennent à reconstituer l’atmosphère des terres désertiques parcourues par l’artiste. Ambiance plus conceptuelle avec la pièce investie par deux Michel, Dector et Dupuy, duo d’artistes qui traque depuis une vingtaine d’années les signes de conflit dans l’espace public. Les acolytes ont récupéré dans une petite rue à Nancy, cinq barres métalliques et un rondin de bois posés par les riverains devant des portes d’entrée, pour empêcher le stationnement sauvage. Le côté agressif de la démarche a séduit Dector et Dupuy, à tel point qu’ils ont demandé à leurs propriétaires de les leur léguer afin de les exposer. Un entretien des habitants – que l’on peut écouter avec des casques mis à disposition – enrichit l’installation et permet de comprendre son développement progressif. Le mythe de l’artiste enfermé dans sa tour d’ivoire est bel et bien enterré.

Un artiste se nourrit de tout ce qui l’entoure, notamment des discussions avec ses proches, avec d’autres artistes.

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PIANO – STRASBOURG

ultra moderne beethoven L’Orchestre philharmonique de Strasbourg a proposé un projet fou et passionnant à Inga Kazantseva : interpréter, en dix concerts, dans des lieux insolites, l’intégralité des Sonates pour piano de Beethoven.

Par Hervé Lévy Photo de Pascal Bastien

À Strasbourg, dans différents lieux (La Salamandre, l’ÉNA, Le Camionneur, la Friche Laiterie…) du 10 avril au 19 juin 03 69 06 37 06 www.philharmonique. strasbourg.eu

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e cycle initié par l’OPS est pharaonique : présenter, en dix étapes, un ensemble de 32 Sonates – 101 mouvements et 620 pages – formant une autobiographie en musique, des premières pièces post-haydniennes aux expérimentations sonores de l’Opus 111. « Il existe peu d’exemples dans l’histoire, que l’on pourrait comparer avec cette vaste entreprise. Peut-être les Quatuors à cordes du même Beethoven… Au sein de cet ensemble cohérent, chaque composante a néanmoins son identité propre, son autonomie par rapport aux autres », explique la pianiste russe Inga Kazantseva qui a relevé un défi jalonné de Sonates très connues (Appassionata, Waldstein ou le monstre qu’est la Hammerklavier) et de perles. L’organisation générale de cette épopée en dix stations est d’essence chronologique afin « d’illustrer l’évolution de l’écriture du compositeur. Je souhaitais aussi que chaque programme s’articule autour d’une pièce centrale, clairement identifiable par le public, tout en respectant une cohérence de style, voire d’harmonie, entre les Sonates. Enfin, il a fallu prendre en compte des contraintes supplémentaires : durée du programme, et surtout taille et ambiance des salles » précise la pianiste.

Voilà justement la profonde originalité de l’intégrale strasbourgeoise où la musique classique sort de son cadre naturel et policé (la salle de concert) pour essaimer dans toute la cité, du Café des Anges à l’ÉNA en passant par la Friche Laiterie, à des horaires, eux aussi, parfois insolites : « Un concert à 19h, à La Salamandre peut être une manière originale de débuter une soirée pour un étudiant. Un concert de 21h30, peut tout autant faire office de “digestif” à un bon repas que de prélude à une folle nuit », explique Patrick Minard, directeur général de l’Orchestre. Cette intégrale s’insère (comme le récent concert de 12h30 à L’Aubette) dans la politique générale de l’OPS qui consiste à multiplier, pour le plus grand nombre, les occasions de rencontre avec le répertoire qu’il défend. Et qui mieux que Beethoven pouvait se prêter à cet exercice ? « Personne » selon Inga Kazantseva : « C’était impossible avec Bach, trop solennel, ou Chopin, trop délicat, par exemple. Il faut quelqu’un qui parle à tout le monde, un créateur profondément moderne, qui prenne le risque des contrastes extrêmes. »


no pasarán Après La Estupidez et La Paranoïa, le Théâtre des Lucioles revient au Maillon avec L’Entêtement, dernière pièce de Rafael Spregelburd, écrite d’après Les Sept Péchés capitaux de Jérôme Bosch. Un polar historique en pleine Guerre civile espagnole. Par Thomas Flagel Photos de Christophe Raynaud De Lage À Strasbourg, au MaillonWacken, du 13 au 15 avril 03 88 27 61 81 www.le-maillon.com www.theatre-des-lucioles.net

L’Entêtement de Rafael Spregelburd, traduit par Guillermo Pisani et Marcial Di Fonzo Bo, L’Arche Éditeur, 2011 (14 €) www.arche-editeur.com

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afael Spregelburd avait inventé, dans La Paranoïa*, le théâtre de science-fiction avec son ballet de personnages déjantés réunis pour sauver le monde des envahisseurs. Avec L’Entêtement, grande fresque historique, l’auteur argentin nous replonge en 1939, à quelques heures de la défaite des Républicains. Chacun des trois actes raconte la même heure et quart, de 17h à 18h14, avec des points de vue renversés sur les situations précédentes, jouant non seulement de l’effet de “déjà vu” cinématographique, mais aussi des codes de l’intrigue policière où la réalité est assujettie aux éléments qui nous sont donnés à voir et à ceux qui ne le sont pas. Juste avant que tout ne bascule, dans ce moment où fascisme et démocratie lancent leurs dernières forces dans la bataille, les hommes s’aiment et se déchirent, les petites histoires personnelles se mêlent à la grande et les faux-semblants deviennent le “la” de la comédie humaine. Entretien avec les comédiens et metteurs en scène Élise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo.

La Paranoïa était loufoque, au quinzième degré alors que dans L’Entêtement, la pièce dévisse et nous fait tomber puis repartir tant au niveau des émotions que de l’intrigue haletante… Marcial Di Fonzo Bo  Ce mélange de ruptures appuyées par le décor, dont nous bougeons les cloisons, et les styles de jeu très différents étaient déjà dans ce texte, subtil, fin et drôle. Le porter au plateau est un plaisir. Pourquoi Spregelburd est-il si peu monté alors que son théâtre contient tout : humour féroce, émotions vivaces, styles marqués, fond historique et politique, poids du langage… Une matière géniale ! MDFB  Il n’a que 42 ans. Il a beaucoup écrit mais ses pièces n’étaient pas traduites, ou pas très bien ! Du coup, elles ne circulaient pas ou presque. Depuis qu’on a commencé La Connerie, ça démarre, il y a un effet boule-de-neige dans la francophonie. Elle va être montée Poly 148 Avril 12

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en Belgique par exemple. En Italie, en Allemagne et en Angleterre aussi, l’Heptalogie commence à être portée à la scène. La France traîne un peu… Élise Vigier  Ici, le poids du texte pèse. Il est toujours mis au-devant alors que Rafael travaille des dramaturgies totalement différentes : le texte est très écrit mais repose aussi sur les acteurs et les situations qui comptent énormément. N’a-t-on pas aussi du mal avec l’humour en France ? ÉV  C’est vrai qu’on arrive à rire sur un sujet d’une profonde gravité… MDFB  Il y a quelque chose du choc des cultures. Maintenant, les critiques nous taxent de “rigolos”, comme s’il fallait absolument nous ranger dans une case. Nous essayons de nous y soustraire. Cet auteur a le talent de proposer une dramaturgie assez complexe, restant extrêmement accessible. Le public suit l’intrigue de manière naturelle, tout en se perdant dans sa multiplicité, mais c’est bien de ne pas forcément tout comprendre du premier coup. Il y a différents degrés de lecture, différentes strates de compréhension qui, je crois, ne laissent, au final, personne de côté. Ce ne sont pas seulement des tournures de phrases ou des 42

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trouvailles linguistiques, les situations sont drôles ! ÉV  Rafael écrit pour les acteurs, il l’est lui-même. Se dégage donc aussi un humour brut, fait pour le jeu, pour que des comédiens s’en emparent et habitent le texte.

pire. Quel est celui de L’Entêtement ? MDFB  La colère de la guerre. ÉV  La colère traverse tous les personnages mais on ne l’a pas spécialement recherchée. Comme il a travaillé autour d’elle, elle irrigue la pièce.

C’est aussi pour cela que vous le mettez en scène tous les deux et que vous jouez dans la pièce ? MDFB  On n’a pas choisi cet auteur au hasard. On retrouve chez lui une aventure humaine autour de l’œuvre, comme lui qui joue et travaille avec les mêmes gens. C’est un moule qui ressemble beaucoup à notre manière de faire du théâtre avec les Lucioles. ÉV  Idem pour l’humour qui permet de parler de choses graves et fortes. C’est salutaire, vivant et important pour nous…

Sa force n’est-elle pas de placer l’individu au cœur de cette situation : les différents couples implosent et se positionnent sur le passé, l’avenir, leurs souhaits réels… MDFB  Oui, n’oublions pas que toutes les pièces de l’Heptalogie sont inspirées du tableau Les Sept péchés capitaux de Jérôme Bosch. Il est impossible d’en saisir la totalité d’un seul coup d’œil. Pareil pour ces pièces. ÉV  C’est le travail du détail qui compte : dans les êtres, les mots, les situations. MDFB  Spregelburd rappelle qu’on a perdu les clés du tableau de Bosch puisqu’à l’époque les détails avaient un sens précis. Aujourd’hui, on le regarde, le parcourt et tente de l’analyser sans avoir les clés précises. On retrouve le même motif à l’intérieur de chacune des pièces et des situations. On est dans la maison du commissaire qui a des problèmes de village ressemblant

Car la pièce est très sombre au final. Peut-être la plus sombre de l’Heptalogie… MDFB  Absolument. L’humour est souvent un point d’appui tellement plus direct pour avoir une pensée complexe… Spregelburd cache dans chacune de ses pièces le péché qui l’ins-


POLAR THÉÂTRAL – STRASBOURG

aux problèmes idéologiques à l’échelle de la guerre. Cette guerre à l’échelle du pays, le pays à l’échelle du continent. C’est vertigineux mais c’est peut-être par le détail qu’on arrive à en saisir le sens et les enjeux. Le jeu sur les codes du polar s’est imposé dès la lecture du texte ou dans le travail au plateau ? ÉV  Dès la lecture car en fait l’Acte II est vraiment écrit comme nous le jouons, dans l’idée que le public doit être dans un suspens permanent. MDFB  Comme dans un bon polar, il y a de fausses pistes pour que les vraies fonctionnent ! Quel est le plus dur quand vous jouez avec les flashbacks ? MDFB  L’effet de “déjà-vu” fait que le spectateur se rappelle de la scène et croit s’en souvenir comme elle est. Il est donc intéressant d’adjoindre des modifications, même infimes, de ce qu’on montre une seconde fois d’un autre point de vue.

ÉV  De la même manière que dans les fausses pistes, on a travaillé sur de faux raccords, des phrases dites par d’autres personnages. C’est un écho au propos sur la réalité, ce qu’on a vu ou pas et ce qu’on saisit en fonction. Comment se construisent les points de vue et les avis sur les choses… Comment analysez-vous la fin de la pièce, sur un entre-deux ? ÉV  Nous restons sur un tas de questions : peut-on se comprendre ? À qui appartiennent la terre, la charrue, la politique, les mots ? Ces derniers sontils une arme ? Ou au contraire, les armes peuvent-elles régler les maux ? Tout est condensé et déplacé… MDFB  L’ensemble de la pièce est la fin de quelque chose. On voit bien que la veille de la défaite, une réorganisation de la société se met en place. Tout se joue en luttes incessantes, à demi voilées. Quelle idéologie aura le dessus dans ce moment complexe de l’histoire ? Rafael explique que nous vivons dans la défaite de la Guerre

civile espagnole. Si elle s’était finie autrement, notre histoire n’aurait pas été la même et les événements suivants sur le continent non plus. La pièce ne cesse de pointer ce moment là et présente trois versions de la défaite. La liste contenant les noms de résistants devient complètement idiote car les personnages sont totalement dépassés par les événements. Ne reste que le dictionnaire de katak, cette nouvelle langue universelle, un projet humaniste magnifique. On ne peut dévoiler la fin mais elle est de toute façon sans conclusion. Elle ouvre un tas de réflexions… ÉV  Notamment sur l’Europe d’aujourd’hui, ce projet de vivre ensemble en demandant où en sont les fascismes ? Les révolutions ? Tout ça sans didactisme. Le tic-tac de la bombe continue et, en même temps, on est libre de penser tout cela, de se questionner…

Voir Poly n°129, interview de Marcial Di Fonzo Bo à propos de La Paranoïa, à retrouver sur www.poly.fr

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DANSE – STRASBOURG

no mercy for old men Pour Ivan Favier et Bert Van Gorp1, le corps a ses raisons que la raison ne connaît pas. La cinquantaine venue, ils se lancent dans un “ciné-danse” amusé et improvisé. Two old men, entre jeux d’enfants et ravages du temps.

Par Thomas Flagel

À Strasbourg, à Pôle Sud, mardi 17 et mercredi 18 avril 03 88 39 23 40 www.pole-sud.fr

1 Il participe aussi au spectacle Cuccinema, voir page 48

Groupe d’action chorégraphique associant des artistes professionnels sur l’objet du mouvement produit par les corps humains www.theaboux.eu 2

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E

st-on encore autorisé à s’exposer une fois la cinquantaine venue ? A-t-on encore assez de points sur nos permis de danser ? Les deux formules ont accompagné Ivan Favier et Bert Van Gorp dans leur premier projet ensemble. Rien qu’ensemble. Depuis 15 ans, ils se croisaient régulièrement à Bouxwiller, réunis sur le plateau par Louis Ziegler pour de nombreux moments d’improvisations dansées avec la compagnie Le Grand Jeu2. « Notre complicité et connivence étaient évidentes. On a eu envie de faire “notre truc” à nous », se souvient Ivan Favier. L’ancien soliste du Ballet de l’Opéra national du Rhin se retrouve donc avec son compère belge, à lancer des idées dans sa cuisine, en janvier 2010. Puis ils s’enferment une semaine en studio à La Filature de Mulhouse, allant d’improvisations en surprises. Avec et sans accessoires. Avec et sans texte. « Filmant absolument tout et dé-rushant tous les soirs jusqu’à deux heures du mat’. Nous avons beaucoup rigolé et surtout réalisé que les thèmes du spectacle s’imposaient à nous : le temps qui passe, le besoin de ralentir pour le prendre, la mémoire, l’isolement et le recul sur nous-même. » De ces sessions immortalisées naît la matière projetée sur le plateau, l’idée d’un “ciné-danse”. Laurence Barbier leur confie une caméra Super 8 et réalise un montage dont l’intégrale est projetée en sortie de salle.

Loose bodies

Cinquantenaires, Bert et Ivan réalisent qu’ils atteignent l’âge auquel ils ont commencé « à remarquer leurs propres pères », qui ne sont plus. « Le regret de les avoir si peu regardés

s’accentue ». Une prise de conscience en mirroir où la perte et la disparition jouent les révélateurs. « Quarante ans, c’est la date de péremption d’un danseur », rappelle Ivan. « C’est donc aussi un spectacle sur nos corps qui changent et l’obligation de s’adapter. » Les carcans de la danse classique ne se seraient donc toujours pas ouverts ? « Une personne racontait récemment à la radio comment elle avait été choquée par les spectacles de Pina Bausch où ses danseurs ont des corps, tailles et poids très différents. Le calibrage correspond à une certaine forme d’expression, prisée du classique dont je viens et qui a mis bien longtemps à s’ouvrir. » Après trente années à s’entraîner tous les jours intensément, les corps sont abîmés, « bien plus que les sportifs car nous tirons énormément sur les amplitudes. La danse classique reste très violente, alors que la danse contemporaine a appris à écouter le corps. Après 18 ans de classique, j’ai quitté le Ballet du Rhin en 1995. J’en avais marre de me faire mal à la barre tous les matins. Maintenant ça ne m’intéresse plus… Je préfère faire avec ce corps-là, il faut accepter que les choses se perdent. La danse n’est pas que performance. » Aux côtés d’Ivan, visage


Bert Van Gorp, à gauche, et Yvan Favier, à droite

émacié, silhouette longiligne et filiforme, Bert impose sa stature et sa puissance. Leurs physiques divergent autant que leurs parcours et leurs personnalités. Fou furieux digne des plus talentueux représentants de la scène contemporaine belge, celui qui a commencé comme enseignant est entré dans la danse par accident. Emmené par une amie à une audition d’Alain Platel, le chorégraphe l’embauche. Se succèdent avec frénésie pièces théâtrales et chorégraphiques, performances et cinéma.

Play again

L’association détonante ne manque pas de piquant. Les deux compères se prennent au jeu et s’amusent « Au début on voulait être plus présents à l’image que sur le plateau », affirme Ivan. « D’où les masques et les déguisements pour se grimer avec des fuseaux blancs intégraux, se cacher en mettant un T-shirt sur la tête, dans un esprit très ludique. » Réapprendre à s’amuser avec le sérieux d’un enfant. Pas question par exemple de répéter le spectacle établi tel qu’à sa création à La Filature. « Il y a peutêtre une minute trente d’écrite au mot et au geste près. Le reste est balisé mais demeure en improvisation, du début à la fin, sur des thèmes

précis. » L’idée de jouer chaque séquence aux dés (leur agencement mais aussi celui qui les interprète) n’a pas survécu aux problèmes de régie et de calage des vidéos. Peu importe, le spectacle reste free : y subsiste quelques objets aléatoires (un minuteur de cuisine détraqué sonnant entre une et quatre minutes…), un chiot en plastoc couinant à vous faire mourir de rire avant de devenir insupportable sur la durée et un mélange jouissif de sentiments, d’infortunes et d’échecs amoureux passés au tamis d’une dérision sans efforts mais pas sans effets… Two old men prend la forme d’une pochette surprise où s’agencent « une sorte “d’architecture chorégraphique” entre des moments de pur cinéma, d’autres où il n’y a que le jeu sur le plateau et enfin des essais d’écriture chorégraphique entre les deux. On ne triche pas avec nos corps, ni avec les situations. » Sur une scène dépouillée, uniquement remplie de bonbons et de desserts, les danseurs joueront leur comédie humaine. Vous y croiserez des fausses pistes menant au Faune et à la nostalgie, des corps crus et des âmes à nu. Vous y vivrez un printemps et un hiver. Un striptease mensonger et sincère.

À 50 ans, a-t-on encore assez de points sur nos permis de danser ?

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biopic HYBRIDE – STRASBOURG

i shot andy warhol Sonya Oster, leader de la Calamity Jane Cie, reprend son Paranoid factory project au Taps Gare. Un biopic théâtral terriblement moderne sur Valérie Solanas, icône fulgurante du féminisme des sixties, connue pour ses trois coups de feu sur Warhol.

Par Thomas Flagel Photos de Fred Cornet

À Strasbourg, au Taps Gare, du 10 au 15 avril 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu http://calamityjane.cie.free.fr

1 La faculté des rêves, paru chez Stock, 2009 (22,50 €) www.editions-stock.fr 2 Scum Manifesto, éditions Mille et une nuits, 2005 (9 €) www.1001nuits.com

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ne toxicomane de 52 ans, se prostituant pour survivre, meurt d’une pneumonie dans un hôtel de San Francisco. Ainsi débute cette bio-fiction : en 1988, Valérie Jean Solanas a déjà sombré dans l’oubli. Si l’histoire retiendra ses trois coups de feu sur Warhol en 1968, à sa sortie de la célébrissime Factory, Paranoid factory project redonne vie, dans un flashback dense et intense, à « une féministe radicale et engagée, reflet de cette époque tumultueuse de luttes aux États-Unis, dans les années 1960 et 1970 », explique Sonya Oster. La metteuse en scène est tombée sous le charme de La Faculté des rêves, roman déstructuré – entrelaçant fragments biographiques, pensées rêvées, comptes rendus psychiatriques et interrogatoires – de la suédoise Sara Stridsberg1. S’y retrouvent de larges extraits du Scum Manifesto2 de Solanas, appel à la lutte violente contre la domination masculine en faveur de la libération des femmes. « Solanas est l’outsider ténébreuse du MLF, l’auteure d’un manifeste révolutionnaire à plus d’un titre, une rétive à tout ordre établi. » Fidèle à son théâtre résolument contemporain, le spectacle mêle musique live avec le groupe King’s Queer – dont le style évolue entre electro, Velvet Underground et icônes

disco-pop –, cut up, et VJing projeté sur tout ou partie du plateau, de ses trois écrans ou de l’immense canapé en skaï blanc trônant au milieu. Huit tableaux s’y succèdent, retraçant de 1945 aux années 1980 les étapes de la vie de Solanas. En toile de fond, les grands événements de l’Histoire. Quand les Américains lâchent la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki, Solanas, pas encore 10 ans, est battue par son grand-père, violée par son père. L’Amérique sombre dans la violence au Vietnam mais aussi à Memphis où Martin Luther King est assassiné, une jeune auteure de théâtre n’exprime aucun regrets lors de son procès, jugée pour avoir gravement blessé Andy Warhol avec un pistolet. Le pape du pop lui avait volé sa pièce, Up your ass. « Internée en psychiatrie, elle est démolie par les électrochocs », raconte Sonya. « Mon but est de ne pas la victimiser mais il a été plus commode de la classer comme folle. » Sophie Thomann qui interprète Solanas rajoute : « Le versant économique dénonçant une certaine aliénation du travail de Scum est souvent tu. N’oublions pas, aussi, qu’elle était lesbienne, ce qui était encore un délit. De quoi facilement vous enfermer ! » Se trouvent questionnés la marchandisation du corps, le lien entre l’art et le féminisme mais aussi une certaine idée de la radicalité et de la société.


existenz

Performances plastiques, électroacoustiques et physiques sont au programme de la seconde soirée Amphibiotic, organisée au Hall des Chars1 avec des artistes venus de Sydney, Bâle, Berlin et Strasbourg.

Par Irina Schrag Photo de Bianca Dulgaro, Breath, performance au Kaskadenkondensator, Bâle, 2010

À Strasbourg, au Hall des Chars, vendredi 20 avril 03 88 22 46 71 www.halldeschars.eu

1 En partenariat avec l’association strasbourgeoise Les Enfants de la Pluie, Fip et Radio Capsule 2 Il participe aussi au festival Impetus auquel nous consacrons un article, page 58

L

a nuit va être longue. Longue et chaude. Le Hall des Chars se plonge dans un florilège pointu de performances atypiques. Un shoot de live radical. Le fou furieux Justice Yeldham2, bruitiste hors pair, punk de la plaque de verre amplifiée à la fois support musical et objet de confrontation physique, débarque de Sydney. Il offre ses flatulences buccales et chants gutturaux dans des shows endiablés. À ses côtés, les trois NoisiV passent pour des enfants de chœur. Mais que l’on ne s’y trompe pas, ce projet collaboratif made in Berlin est tout aussi attrayant. Mêlant le VJing de frgmnt aux collages sonores d’Androvirus et de Lifeloop, nous découvrons un objet musical et visuel non-identifié où les bandes magnétiques cradingues et les instrus électroniques se trouvent mélangées avec des field recording (enregistrements en extérieur de sons “naturels”) pour des ambiances sans nulle autre pareille. D’explorations sonores en territoires inconnus – si ce n’est interdits, tout du moins non-balisés – il sera aussi ques-

tion avec YumYumBox Ensemble, concert de Strasbourgeois qui ont fabriqué des boites à bruit sur le mode Do it yourself à la très active pépinière d’artistes la Semencerie. Mais le clou de la soirée sera sûrement la performance attendue de la belle Saskia Edens. Après un passage par les Arts déco de Genève, l’artiste suisse a déployé un travail visuel, étonnant et détonant, à l’Akademie der bildenden Künste de Vienne. Interrogeant la notion d’éternité, elle livrera Breath : plaçant une plaque de glace entre son visage et celui de personnes du public, sa respiration creuse lentement un trou. Se trouvent questionnées la distance entre l’intime et l’inconnu, la notion de contact au travers d’un médium, la frontière entre le vivant et la mort. Cette expérience proche de celle du dernier souffle dévoile les contours sublimes d’un visage figé, la force vitale d’une respiration venant à bout d’une épaisse plaque gelée. Lèvres de feu pour expérience glaciale…

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l’eau à la bouche Développant depuis quinze ans un “théâtre des sens”, la compagnie flamande Laika s’associe au Circo Ripopolo pour créer Cucinema, spectacle culinaire à savourer, au propre et au figuré, dans une Filature transformée en restaurant délirant.

Par Dorothée Lachmann Photo de Phile Deprez

À Mulhouse, à La Filature, du 18 au 21 avril 03 89 36 28 28 www.lafilature.org

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l y a ceux qui font du théâtre pour trouver du sens. Peter De Bie, lui, préfère faire du théâtre des sens. « Voir et écouter, c’est relativement limité. On entre plus largement en communication avec le public en mettant aussi le goût, le toucher et l’odorat à contribution », estime l’artiste de la compagnie Laika. Ces plaisirs multiformes sont donc essentiels dans ses créations. « En plus, quand les gens sont installés autour d’une table, ils se parlent, ils rient ensemble. Un lien social se tisse. » Uniques en leur genre, ses projets sont le fruit d’improbables rencontres, où danseuses et musiciens partagent les planches avec des cuistots pour des concerts gastronomiques et autres kermesses. « Si on regarde bien, la cuisine, c’est très théâtral ! Il y a la même énergie chez les cuisiniers aux fourneaux que chez les artistes en scène. » La chorégraphie, la maîtrise du geste, la répartition des rôles, tant de similitudes, jusque dans le vocabulaire qui ne distingue plus les pianos et les plateaux. Pour Cucinema, Peter De Bie s’est acoquiné avec un autre gourmand, Ief Gilis, directeur artistique de Circo Ripopolo, une compagnie qui œuvre à faire scintiller l’art des clowns.

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Les deux inventeurs se sont découverts des passions communes : la bonne chère et le slapstick, cet humour burlesque à la Buster Keaton. Tout commence donc par un film, dans la pure tradition du cinéma muet américain. Installés comme au restaurant, les spectateurs découvrent sur l’écran les tribulations en noir et blanc d’un grand chef excédé qui décide, en pleine préparation de son repas, de tout plaquer. La fiction devient alors réalité, et voilà, sur scène, le personnel du restaurant dans la plus complète panique, contraint d’assurer, malgré tout, le service. Artistes, comédiens et circassiens relèvent le défi. Évidemment, c’est une catastrophe… Rien ne fonctionne, tout part en vrille : les assiettes crèvent littéralement l’écran, les bouteilles jouent les funambules, les rondelles de courgette jaillissent du ventilateur. Malgré un chaos délirant et ces techniques pour le moins étranges, les petits plats succulents sont servis à table dans les règles de l’art à des spectateurs qui n’en croient pas leurs papilles. Si le menu est jalousement tenu secret par Peter De Bie, qui concocte lui-même les recettes, on peut s’attendre à quelques surprises gustatives pour ajouter à ce feu d’artifice des sens.


art contemporain – mulhouse

l’objet du savoir Pour sa deuxième proposition à la Kunsthalle, Vincent Honoré continue de creuser la question du savoir, conviant quatre jeunes artistes qui entremêlent les disciplines.

Pulmo marina, 2010, Motive Gallery, Amsterdam et Marcelle Alix

Par Dorothée Lachmann Photo d’Aurélien Froment

À Mulhouse, à la Kunsthalle, jusqu’au 29 avril 03 69 77 66 47 www.kunsthallemulhouse.com

À

mi-chemin de sa saison en tant que commissaire à la Kunsthalle, Vincent Honoré a baptisé tout naturellement cette nouvelle exposition L’entre deux : des savoirs bouleversés. Après la monographie de Benoît Maire, qui utilisait le savoir comme matière, c’est de sa mise en forme dont il est question à travers les œuvres de quatre artistes trentenaires. « Il ne s’agit plus de montrer le travail de recherche, mais plutôt le moment où une réflexion théorique aboutit à un objet formel qui la traduit », précise le curateur. « J’ai donc rassemblé des propositions fortes, qui tendent vers des objets formels extrêmement aboutis. » Aurélien Froment s’est imposé avec évidence, lui qui travaille depuis plusieurs années sur le savoir et sa transmission. Il présente ici un film, Pulmo Marina, dont l’étonnante beauté réside autant dans la silhouette énigmatique qui évolue sur l’écran que dans son effet hypnotique. Cette méduse, grand mystère du règne animal, a été filmée derrière la vitre de son aquarium au musée océanographique de San Francisco. La bandeson déroule des commentaires scientifiques tout en empruntant à la mythologie ou à la publicité pour devenir peu à peu une fiction. « L’animal devient une abstraction. Le film interroge le statut de l’objet, sa signification

en tant qu’objet autonome ou perçu dans son contexte », souligne Vincent Honoré. La même idée est présente dans le travail de Melvin Moti, qui s’appuie sur les collections du Victoria and Albert Museum de Londres, plus grand établissement dédié aux traditions populaires au monde. En s’intéressant tout particulièrement à la vision, aux phénomènes optiques, donc à la perception, Melvin Moti réalise un film aux allures d’exposition en suspension. Marie Lund mène une réflexion de même essence sur l’autonomie de l’objet en utilisant des sculptures existantes et en les encastrant dans un cube de plâtre ou en effaçant au burin les signes de ces sculptures, transformées et pourtant reconnaissables. « Ce qui l’intéresse est la contradiction entre effacement et apparition ; elle crée un objet entre deux. » Au premier abord, le travail de Benjamin Seror semble assez différent. Connu pour ses performances autour de la musique, l’artiste propose ici un groupe de maquettes en carton, musée imaginaire dont chaque pièce constitue le chapitre d’une histoire, gravée sur un disque vinyle. Des éléments narratifs à la fois indépendants et solidaires, à l’instar des objets que questionnent ses trois partenaires. Poly 148 Avril 12

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CHANSON FRANÇAISE – SCHILTIGHEIM

sa philo-sophie La Grande Sophie sort un sixième album au titre énigmatique, La Place du Fantôme et fera un détour par la Salle des fêtes de Schiltigheim pour exorciser ses démons.

Par Charlotte Staub Photo de Yann Orhan

À Schiltigheim, à la Salle des Fêtes, vendredi 27 avril 03 88 83 90 00 www.ville-schiltigheim.fr

La Place du Fantôme, Polydor Sorti le 13 février www.lagrandesophie.com.fr

a va ? ». C’est la première question que l’on veut poser à La Grande Sophie après avoir écouté son disque. Celle qui s’est fait connaître en 2004 avec le punchy Du courage, signe un opus plus mélancolique. Elle nous rassure très vite : « C’est vrai que les chansons sont plus sombres que d’habitude, cet album est une introspection, quelque chose d’intime laissant de côté ma pudeur et racontant mon histoire. » Un virage déjà amorcé avec Des vagues et des ruisseaux, recueil de mélodies claires et arrangements subtils, la songwriter semble s’être définitivement détachée de cette étiquette “chanteuse femme-enfant guillerette”, guitare à la main, grosse caisse au pied, pour laisser place à une artiste accomplie, sensible et vulnérable, dont la maturité musicale n’est plus à prouver.

Il faut dire que l’on n’a pas affaire à une novice. La musique, Sophie Huriaux ­– de son vrai nom – l’a dans le sang depuis l’enfance. Elle a son premier déclic à l’âge de sept ans en regardant Peau d’âne, le conte musical de Jacques Demy. À neuf, on lui offre une guitare. À treize, elle monte un groupe avec son frère et son voisin. Un an plus tard, elle a déjà à son actif des concerts à la Fête de la musique et dans des salles de Marseille, où elle grandit. Sophie réussit le concours des Beaux-Arts, mais la musique ne la quitte jamais. « Je me suis dirigée vers la sculpture, je mettais des haut-parleurs dans des formes en bois ou en plâtre pour diffuser de la musique, je n’arrivais pas à me détacher d’elle. Le monde de l’art ne me plaisait pas – trop élitiste – j’ai arrêté au bout de deux ans » confie-t-elle. La miss “monte” alors à Paris. « Je ne connaissais personne, mais n’avais peur de rien. Ma seule envie était d’écrire mes chansons et de les jouer devant un public, des personnes qui me sont restées fidèles au fil des années. » Après cinq albums qui voguaient entre rock dur et chanson réaliste, Sophie devenue Grande, trouve enfin son équilibre. Sa voix, beaucoup plus posée, a évolué depuis son premier disque, et ne fait qu’un avec les sonorités tantôt acoustiques, tantôt electro eighties. Elle chante les incertitudes de l’amour (Ne m’oublie pas), le temps qui passe (Tu fais ton âge), la solitude du quotidien (Ma radio) et conclut sur un bouleversant message à l’énigmatique Suzanne, amie imaginaire qu’elle s’est créée. Les dix chansons de La Place du Fantôme, moins enjouées qu’avant, témoignent d’un moment marquant de sa vie. Lequel ? Elle restera évasive sur le sujet. « C’est personnel, je ne veux pas trop en dévoiler, ça permet de faire voyager l’imaginaire. »

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PORTRAIT

poète, vos papiers Metteur en scène, dramaturge, comédien, ex-directeur du Théâtre de l’Odéon, bientôt à la tête du Festival d’Avignon… Qui est vraiment Olivier Py ? Tentative de décryptage du “code artistique” d’un être protéiforme venu présenter sa mise en scène des Huguenots1 de Meyerbeer, à l’Opéra national du Rhin.

Par Hervé Lévy Photo de Stéphane Louis pour Poly

Les Huguenots de Giacomo Meyerbeer, à Mulhouse, à La Filature, vendredi 13 et dimanche 15 avril 03 89 36 28 29 www.lafilature.org www.operanationaldurhin.eu Retrouvez une critique du spectacle sur www.poly.fr

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ans le hall du Théâtre national de Strasbourg, à quelques heures de la dernière de Roméo et Juliette 2, on attendait un Olivier Py vibrionnant et insaisissable, à la semblance de l’image d’Épinal… pour se retrouver face à un quadra apaisé, aimant se définir comme « un poète lyrique », un qualificatif irriguant les multiples branches de son activité artistique. Kézako ? « C’est ne pas être tout à fait désespéré et accepter de se laisser porter par la joie. Il importe de se maintenir loin du cynisme désabusé afin d’accéder à la possibilité de formuler quelque chose pour atteindre aux vérités ultimes. » Son art se situe ainsi « à l’opposé de celui de Jean-Luc Lagarce, un vrai fils de Beckett » et le tenant « d’une écriture de l’impossibilité de dire », qu’Olivier Py avait rencontré à 21 ans et dont il était devenu très proche3. « Nous pensions que le renouveau du théâtre viendrait des auteurs, une idée partagée avec Novarina, Pommerat ou Gabily. On ne pouvait se contenter de l’exégèse du grand répertoire de la génération précédente. Pour le reste, nous étions un “groupe” très incohérent aux esthétiques plurielles » explique le metteur en scène avant de conclure d’une pirouette : « Aujourd’hui, c’est l’inverse. Le grand répertoire a presque disparu des plateaux. »

Hors du temps 1 Réalisée en coproduction avec La Monnaie de Bruxelles où elle avait été créée en juin 2011 www.lamonnaie.be 2 Présenté du 22 novembre au 10 décembre 2011 – www.tns.fr 3 Illusions comiques, tombeau (au sens médiéval du terme, “un poème en mémoire de…”) pour Lagarce, est passé au TNS en 2007, mais c’était surtout « un tombeau pour notre jeunesse », explique Olivier Py 4

Un air de Tosca de Puccini

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« Un jour, un universitaire japonais, dans un colloque, s’est exclamé : « On dit qu’Olivier Py est réactionnaire, il est tout simplement anachronique ». Cela m’a fait énormément de bien. Si seulement on pouvait ne pas penser ça qu’à Tokyo ! » lâche-t-il avant d’enfoncer le clou : « Le poète lyrique n’est jamais vraiment dans le temps présent, il a toujours un pied en-dehors, la tête dans les étoiles. » Pas très loin de Dieu en somme, pour ce catholique re-

vendiqué, dont la « foi vient de l’esprit », très éloigné cependant de mouvements comme l’Institut Civitas qui voulait, il y a quelques mois, faire interdire des pièces de Rodrigo García et Romeo Castellucci, jugées blasphématoires. « Ces gens sont ultra-minoritaires. C’est sexy pour les journalistes, mais ils sont insignifiants », balaie-t-il d’un revers de la main avant de dissiper un autre malentendu : « Si je me sens proche de Paul Claudel, ce n’est pas en raison de sa rencontre avec Jésus – de l’ordre de l’intime – mais pour celle qu’il fit avec Rimbaud. On a le droit d’être amoureux fou du Claudel des années 1930 et de ne pas trop aimer le vieux monsieur passéiste qu’il était devenu vingt ans plus tard. » Revendiquant une dimension religieuse dans son travail, Olivier Py précise : « En tant que poète, il faut se poser la question de Dieu, de la mort, du sexe et de l’art, sinon on ne sait pas bien de quoi on parle. Être lié au temps, c’est le métier du journaliste. » Et pan, dans ma face… « J’aurais bien aimé être désespéré, circonspect, très sceptique, stoïque, élégant, protestant… Mais je ne le suis pas. Il faut faire avec ce qu’on est. » Soudain, on se sent mieux.

Dans la musique

Depuis tout petit, le poète est fasciné par l’art lyrique, grâce à une grand-mère italienne, « une vrai puccinienne. Avec elle, je chantais E Lucevan le stelle4 à onze ans. » À son arrivée à Paris, à 18 ans, il prend des cours, rêvant d’être chanteur d’opéra « un, parmi un peu trop de destins possibles. Mais j’ai compris qu’il fallait beaucoup travailler… alors je suis devenu metteur en scène » raconte-il, un sourire au lèvres. Depuis sa première production, Der Freischütz de Weber à Nancy en 1999, les projets se sont enchaînés, sans


encore passer par les cases Verdi, Puccini ou Donizetti, qu’il adore, mais « les choses vont changer et je vais bientôt retrouver les origines italiennes ». À rebrousse-poil des idées reçues, pour Olivier Py, « le travail au théâtre, très tôt, consistait à faire ressembler les comédiens à des chanteurs, de trouver le jeu lyrique parlé, proclamé pas déclamé. Tout partait du jeu opératique, plus fou, plus large, plus extrême, plus engagé que tout ce qu’on voyait à la télé et au cinéma. Du coup, lorsque je suis arrivé à l’opéra je travaillais

avec des chanteurs souhaitant se débarrasser de cette esthétique que j’adore, celle de Shirley Verrett ou Gwyneth Jones, des cantatrices et des actrices de génie. Aujourd’hui, je tente de “relyriciser” les chanteurs d’opéra, à l’inverse de ce que font d’autres qui veulent les faire ressembler à des acteurs de cinéma. Je souhaite trouver une représentation de l’humain différente de celle du psychoréalisme cinématographique. »

Je tente de relyriciser les chanteurs d’opéra, pas de les faire ressembler à des acteurs de cinéma

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ÉCHAPPÉES LYRIQUES

ombres & lumières La création mondiale du troisième opéra1 de Suzanne Giraud, Caravaggio sera proposée, en version de concert, à l’Opéra-Théâtre de Metz. Plongée en musique au cœur de l’art d’un peintre mystérieux.

Par Hervé Lévy Photo de Guy Vivien

À Metz, à l’Opéra-Théâtre, vendredi 6 et dimanche 8 avril 03 87 15 60 51 http://opera.metzmetropole.fr www.suzannegiraud.com

Le deuxième, Le vase de Parfums avait été un des événements musicaux de la saison 2004 / 2005. Son livret est signé par Olivier Py (voir portrait page 52)

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Paru chez Grasset en 2003 (22 €) www.grasset.fr

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Courant musical des années 1970 / 1980 qui prend pour fondement l’utilisation des différents spectres harmoniques

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rtiste de génie proclamé roi du clairobscur, figure à la réputation sulfureuse dont la biographie est parsemée de trous noirs : libertin, ivrogne et bagarreur – accusé de meurtre, il dut quitter Rome – Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Le Caravage (1571-1610) est un personnage d’opéra idéal. Depuis son passage à la Villa Médicis (de 1984 à 1986), la compositrice Suzanne Giraud en est persuadée. C’est au cours de ces années romaines qu’elle découvre le peintre : « De Saint-Louis des Français au Palazzo Barberini, ses œuvres m’ont magnétisée », résume-t-elle. « Sa personnalité également, du moins ce que l’on sait d’elle. Il était notamment dénué de tout sens de la bienséance… » L’autre rencontre fondatrice de cette « dévoreuse de littérature » fut celle de l’ouvrage que l’Académicien Dominique Fernandez – également librettiste de Caravaggio – consacra à l’artiste, La Course à l’âbime2, une « véritable somme sur l’homme et son époque ». Suzanne Giraud a souhaité « faire sortir de la peinture les nombreux instruments représentés, ceux du Joueur de luth ou du Concert, par exemple, comme si le son provenait di-

rectement des toiles » dans un opéra en 21 tableaux, dont chaque scène est liée à une œuvre. Les allers-retours sont permanents entre le XVIe et le XXIe siècle – les instruments anciens cohabitent et alternent avec les modernes – dans une partition reflétant une personnalité atypique. S’y mêlent en effet réminiscences spectrales3 rappelant qu’elle a étudié avec Hugues Dufourt et Tristan Murail, esprit du contrepoint de la Renaissance dont elle est une spécialiste et principes mathématiques de composition fondés sur les nombres fractals et la Suite de Fibonacci. Dans une musique aux sonorités contrastées, on retrouve les multiples lectures possibles de tableaux aux sujets religieux dont les modèles étaient des mauvais garçons ou des prostituées et dont la signification est intimement liée à certains épisodes de la vie du Caravage. « J’essaie de donner ma vision du peintre à travers cette épaisseur stratifiée de sens superposés. » explique Suzanne Giraud qui a entrainé dans l’aventure le contre-ténor à la voix d’or Philippe Jaroussky, dans le rôle-titre, une des plus grandes stars de la planète dans le répertoire baroque.


Un casting de rêve (Emmanuelle Haïm et son concert d’Astrée et une mise en scène de Jean-François Sivadier), une œuvre adorée : cela justifie amplement le déplacement à l’Opéra de Dijon (dimanche 1er et mardi 3 avril) pour une très attirante Incoronazione di Poppea de Monteverdi. Une fascinante histoire de pouvoir, de sexe et de manipulation sous le règne de Néron… digne des soap operas trash d’aujourd’hui. www.opera-dijon.fr

© A.T. Schaefer

Antique

Opéra de Lille © Frédéric Iovino

Épique Dans sa programmation (du 1er avril au 6 mai), l’Opéra de Stuttgart propose une très belle version d’une pièce trop rare sur les scènes européennes qui fut un immense succès au XIXe siècle, La Juive de Fromental Halévy (1835). Plongée dans le XVIe siècle dans une œuvre spectaculaire, véritable fleuron du “grand opéra à la française”… aux résonances intemporelles. www.oper-stuttgart.de

Historique

Érotique

Pour fêter dignement le soixantième anniversaire de Wolfgang Rihm, le Saarländisches Staatstheater (Sarrebruck) monte une nouvelle version de La Conquête du Mexique (du 21 avril au 22 mai). Le sujet ? La rencontre entre le conquistador Hernán Cortés et le prince aztèque Montezuma… mais aussi une réflexion sur une relation complexe faite d’attraction, d’incompréhension, de peur et de dépendance.

© T+ T Fotografie, Tanja Dorendorf

© Philippe Stirnweiss

www.theater-saarbruecken.de

C’est la dernière occasion de voir la très jolie production des Nozze di Figaro de Mozart du Theater Basel (vendredi 27 avril) sous la baguette de Gabriel Feltz et dans la mise en scène délicieusement érotique d’Elmar Goerden. Au cœur d’un loft contemporain se déploie un marivaudage sensuel : voilà intelligente manière de s’emparer, avec une fraicheur primesautière, d’un des plus célèbres opéras du répertoire. www.theater-basel.ch

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ART VERRIER – SARREGUEMINES

en verre et contre tout Une fois n’est pas coutume, le Musée de la faïence de Sarreguemines accueille une exposition dédiée au verre. Elle retrace, en plus de 300 pièces d’exception, la saga opiniâtre et scintillante de la famille Schneider entre 1913 et 1981.

Par Raphaël Zimmermann Photo de Tomas Heuer

À Sarreguemines, au Musée de la Faïence, jusqu’au 28 mai (visites Croq’ expo, mardi 24 avril et jeudi 10 mai à 12h30, pour transformer sa pause déjeuner en pause culture) 03 87 98 93 50 www.sarregueminesmuseum.com

L

épopée débute une année avant le premier conflit mondial, lorsque Charles et Ernest Schneider reprennent une verrerie située à Épinay-surSeine. Les deux frères travaillaient jusquelà dans la prestigieuse maison nancéienne Daum : ils sont les pères d’une étonnante aventure artistico-industrielle dont l’apogée date de 1925, alors que leur société compte plus de 500 employés. Le premier, graveur sur verre et modeleur visionnaire, à la création, le second à la gestion fondent une entreprise emblématique des Années folles à

travers deux lignes de produits complémentaires : Schneider et Le Verre Français (plus spécifiquement destinée à l’export). Dans la première se mêlent une maîtrise technique absolue – admiratif, le grand Émile Gallé himself évoquait des « orchidées savamment marquetées » – et une intense créativité inspirée des éléments naturels. Avec des “vases bijoux” graciles et délicats aux pieds noirs, hommage à la tradition vénitienne, éclate une symphonie de couleurs pures qui se superposent et se répondent dans un jeu permanent où le rapport entre transparence et opacité ne cesse de se déployer de manière complexe. La crise de 1929 frappe durement la verrerie Schneider qui vivote jusqu’à sa disparition, dix ans plus tard… avant de renaître dans les années 1950 avec les deux fils de Charles qui proposent des créations de cristal assez proches de ce que fait Daum, à la même époque. Fin définitive de l’aventure en 1981. Grâce à la passion conjuguée de trois collectionneurs, qui ont rassemblé un impressionnant ensemble dédié à ces Maîtres du verre, voilà une exceptionnelle présentation. Au sein même de l’exposition s’en déroule une autre. Intitulée Harmonie et Chaos, elle est composée de clichés de Tomas Heuer – l’ancien saxophoniste du groupe Bérurier Noir, pour la petite histoire – qui a photographié les créations des verriers au milieu de la nature, où ils puisèrent le suc de leur art. « La magie de cette matière relève aussi de cette réminiscence de la création primaire de la planète, largement récupérée dans toutes les genèses ou mythologies par des divinités et autres demi-dieux qui maîtrisent les volcans ou la foudre et manipulent la matière dans le feu. La fragilité et la musique du verre sont le reflet paradoxal des forces colossales impératives à sa création », explique-t-il.

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LA COMMISSION CENTRALE DE L’ENFANCE 27 mars > 4 avril • Texte et interprétation DaviD Lescot

LE SYSTÈME DE PONZI 11 > 26 avril • Texte, mise en scène et musique DaviD Lescot > Coproduction du TNS • 03 88 24 88 24 • www.tns.fr

Réagir sur le

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Media Création / D. Schoenig

www.tns.fr/blog

Aujourd’hui pour demain L’art actuel s’expose au musée Musée des Beaux-Arts de Mulhouse 17 mars - 3 juin 2012 tous les jours (sauf mardis et jours fériés) de 13h à 18h30 Entrée libre


le bruit et la fureur Concerts noise et performances borderline sont le sel d’une manifestation dédiée à un genre mal léché et mal-aimé : le métal (hurlant). Présentation de la 3e édition du festival franc-comtois des cultures divergentes, Impetus. Par Emmanuel Dosda En photo, Justice Yeldham en action

À Montbéliard (Le Palot…), Belfort (La Poudrière…), Héricourt ou à Porrentruy (et Lausanne, en Suisse, la semaine suivante), dans divers lieux, du 17 au 22 avril www.impetusfestival.com

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Ouverture officielle le 20 septembre

2 Le 20 avril à La Poudrière avec Denum, les DJs du Catcheur & la Pute et de Punish Yourself ou d’étranges créatures noctambules 3 Kem Lalot des Eurockéennes épaulé par Valérie Perrin de l’Espace gantner, lire pages 20 / 21 4 Il participera à Amphibiotic #2, soirée de performances au Hall des Chars, voir page 47

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e la rage et des tatouages. Une batterie malmenée et des guitares violentées. De grosses voix beuglantes et des cheveux longs balancés dans tous les sens. Il faut être fou pour programmer des groupes comme Napalm Death et défendre un style musical aussi outrancier. Et pourtant… La Poudrière de Belfort et le futur Moloco1 de Montbéliard l’ont fait. Bien sûr, le festival ne se résume de loin pas à la description faite plus haut. Impetus, ce sont des projets soniques aventureux, des expéditions bruitistes, des explorations plastiques sombres, des impros radicales… sous forme de concerts, mais aussi d’expositions (Damien Deroubaix à la Tour 46 de Belfort), de projections (The Ballad of Genesis & Lady Jaye au Cinéma des quais à Belfort)… Et même d’un Cabaret divergent2, soirée trash, freaks et hard.

Hardcore. Il s’agit non seulement du style de prédilection, de l’amour de jeunesse du programmateur 3 , mais aussi d’un genre musical dont sont très friands les Franc-comtois (2 000 spectateurs l’an passé) selon les organisateurs… qui ne font pas pour autant dans la facilité. Impetus convie des artistes qui peuvent aisément dérouter les fans. Un exemple ? Justice Yeldham4, performer aus-

tralien qui produit du son en s’écrasant une plaque de verre pourvue de capteurs sur le visage. Ça frotte, ça crisse et ça fait mal… l’artiste de Sydney finissant bien souvent son set en sang. Extrême. Tout comme la performance de Nick Bullen (le 19 avril, lieu à définir), ancien membre de Napalm Death (le groupe au complet se produira samedi 21 au Palot de Montbéliard) et de Scorn qui proposera un périple autour du son utilisé comme matière. Durant Breach, derrière ses machines, il poussera la noise « dans ses derniers retranchements », en travaillant sur la voix, du murmure au hurlement, dans une démarche jusqu’au-boutiste et en totale impro. Extrême, encore, le concert de Stephen O’Malley (le 18 avril), leader de Sunn O))) qui réinterprétera les compositions de l’Italien Giacinto Scelsi (1905-1988), grande influence des musiques drone, utilisant des sons lourds, sourds, appuyés et continus. Le spectacle aura lieu dans le cadre du Fort Mont-Bart (XIXe siècle) en compagnie des élèves du Conservatoire du Pays de Montbéliard. On ne peut pas vous en dire davantage, Stephen O’Malley ayant décidé de garder un maximum d’opacité autour de cette création.


Schiltigheim Culture 2011-2012

L’échappée Belle

Prédictions Avril/Mai 2012 Monty Alexander trio The Full Monty ı Jazz Mardi 24 avril 20h30 ı Salle des Fêtes

La Grande Sophie

+ 1ère partie Nouvel album La place du fantôme Chanson française Vendredi 27 avril 20h30 ı Salle des Fêtes

Les talents de L’échappée Ernest

Chanson française electro vintage Vendredi 4 mai 20h30 ı Cheval Blanc

Les Nana’Nana

Quatuor vocal dans l’vent Samedi 5 mai 20h30 ı Cheval Blanc

Mercredi 9 et jeudi 10 mai Au Point d’Eau à Ostwald

Vendredi 11 mai À l’Espace Culturel de Vendenheim

Nos limites

Théâtre ı Danse Hip Hop Cie Alexandra N’Posse ı Belalit/Jaussen Mardi 22 mai ı 20h ı Salle des Fêtes

30 MARS  8 JUILLET 2012 MUSÉE DE L’ŒUVRE NOTRE-DAME 3 PLACE DU CHÂTEAU, STRASBOURG WWW.MUSEES.STRASBOURG.EU Une exposition du Musée de l’Œuvre Notre-Dame et du Musée Liebieghaus Skulpturensammlung, Francfort Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture et de la Communication / Direction générale des patrimoines / Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État.

Réservations et abonnements au 03 88 83 84 85

sur www.ville-schiltigheim.fr et fnac

Nicolas de Leyde, Buste d’homme accoudé, Strasbourg, 1463. Grès rose. Musée de l’Œuvre Notre-Dame. Photo : M. Bertola. Graphisme : R. Aginako

Les Boîtes création Cie Plume d’Eléphant Théâtre à partir de 14 ans Mardi 15 et mercredi 16 mai 20h30 ı Cheval Blanc


EXPOSITION – BÂLE

du beau, du bon, du bonnard Une soixantaine de toiles de Pierre Bonnard (1867-1947) sont regroupées à la Fondation Beyeler pour un parcours thématique au sein de l’œuvre du peintre français qui fut un des maîtres de la couleur.

des toiles tardives qui tendent vers une surprenante abstraction, jamais l’œuvre de Pierre Bonnard n’a pu se résumer à une étiquette, si ce n’est celle d’un “autre art moderne” figuratif. Son seul maître ? Le tableau. « Le principal sujet, c’est la surface qui a sa couleur, ses lois, par-dessus les objets. On parle toujours de la soumission devant la nature. Il y a aussi la soumission devant le tableau » affirmait un peintre qui, sans cesse, remettait ses compositions sur l’ouvrage.

Pierre Bonnard, Baignoire (Le Bain), 1925 © Tate, London 2011 / ProLitteris, Zurich

Par Raphaël Zimmermann

À Riehen (dans le canton de Bâle-Ville), à la Fondation Beyeler, jusqu’au 13 mai +41 61 645 97 00 www.fondationbeyeler.ch

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rès jeune, Pierre Bonnard appartint, avec notamment Maurice Denis et Édouard Vuillard, au groupe des Nabis (“prophètes” ou “inspirés” en hébreu), fondé autour de Paul Sérusier en 1888. Le credo du mouvement ? Se libérer de la représentation naturaliste du monde et faire voler en éclats tout académisme. Larges aplats, recherches chromatiques et formelles aboutissant souvent à des associations inattendues : voilà les caractéristiques majeures de l’art d’un créateur qui fut surnommé “le Nabi très japonard”. Malgré ce lien initial étroit, puis des incursions vers le post-impressionnisme et le symbolisme et

À la Fondation Beyeler, le visiteur découvre un univers empli d’une exubérante explosion chromatique, un univers très éloigné de l’image qui prévalait jusqu’à la fameuse exposition / réhabilitation de 1984 du Centre Pompidou, celle d’un artiste (et grand bourgeois) superficiel et inoffensif. Chez lui, l’indolence n’est qu’apparence : derrière l’harmonie paisible, on perçoit clairement, dans une série de subtiles dissonances, une inquiétude existentielle ne se résumant pas à la description de la fin d’un monde dont la disparition est annoncée par Renoir dans La Grande illusion. Le constat est manifeste dans une présentation imaginée comme une “maison imaginaire” où les toiles sont regroupées de manière thématique (La rue, La salle à manger, Le miroir, Le grand jardin, etc.). Dans ce vaste ensemble, un accent particulier est mis sur le nu, qui fut une des grandes préoccupations de Bonnard, avec des toiles comme L’Homme et la Femme (1900) ou de célèbres scènes de bain pleines d’une aristocratique nonchalance qui ne sont malgré tout jamais dénuées de gravité… Comme un fulgurant résumé des inquiétudes de l’artiste.


T RIO ESPERANCA Bossa Nova (voix et piano) - le 21 avril à 20h30 - tarif : 20€, 18€, 5.50€ Réservations : 03 89 52 18 81 ou www.espace110.org 1 avenue des Rives de l’Ill - 68110 ILLZACH


near dance experience La compagnie belge Les ballets C de la B s’interroge sur la vie après la mort au Carreau de Forbach. Dans Au-delà, Koen Augustijnen et sa troupe explorent les différentes étapes de l’existence.

Par Charlotte Staub Photo de Chris Van Der Burght

À Forbach, au Carreau mardi 24 avril 03 87 84 64 30 www.carreau-forbach.com www.lesballetscdela.be

A

près Just another landscape for some jukebox money, Import / Export ou Ashes, plutôt sombres, le chorégraphe et danseur flamand dévoile un spectacle plein d’espoir et de sérénité. « Pendant des années, j’ai mis en scène des choses tristes, la manipulation, les relations avec le pouvoir, etc. Je voulais traiter de sujets plus lyriques », explique-t-il. Paradoxalement, ce souhait s’incarne dans une pièce ayant la mort pour thème. Au-delà imagine comment se réveiller et découvrir que l’on n’est plus. Trois hommes et deux femmes parcourent les étapes de l’après-vie, de la résistance à l’acceptation. Il y règne une ambiance chaotique, il n’y a plus de logique. Les protagonistes, visages tantôt fermés, tantôt expressifs, courent en tous sens, comme pour échapper au destin. Les gestes sont brutaux, puis s’adoucissent. Peu à peu, ils admettent leur nouvelle “vie”. « Nous avons eu notre chance, et maintenant la chance est aux autres » résume le chorégraphe. Koen Augustijnen imagine son spectacle alors qu’il perd plusieurs de ses proches. « Je n’arrivais pas à concevoir, qu’il n’y ait plus rien lorsque l’on meurt. Ça me rassurait de penser que ces gens que j’aimais faisaient un voyage, ça m’aidait à accepter les choses. » Un processus de deuil créatif en somme. Pour

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appréhender cette “vie après la vie”, il choisit des danseurs dans leur quarantaine. « La question de la mortalité, de la vieillesse, tout ça est lié. Vieillir pour un danseur n’est pas pareil que pour un acteur qui peut travailler jusqu’à la fin de sa vie. Pour nous, il existe une limite physique que l’on atteint plus tôt » confie-t-il. Dans un milieu où se côtoient des corps extrêmement jeunes, le Belge a pris le parti de travailler avec des corps matures afin d’explorer les limites de cette chair chargée d’un passé. « Nous sommes au début d’une période de transformation, on se demande ce qui nous est encore possible, on explore nos corps pour savoir de quoi ils sont encore capables. » L’homme s’est penché sur des témoignages d’expériences de mort imminente pour nourrir son spectacle : « C’est grâce à des personnes qui ont vu de l’autre côté que j’ai pu imager ce qu’était l’au-delà et produire cette pièce. » Tout y est, le tunnel, la vive lumière au bout, le sentiment de joie extrême, le défilement de sa vie en accéléré, la sensation de quitter son corps physique et de flotter au-dessus. Ultime étape de son deuil, ces informations ont permis à Koen Augustijnen d’approcher la mort plus sereinement, non plus comme quelque chose d’inquiétant mais comme un chapitre essentiel de notre existence.

R S L T e


RESTAURANT

le Jardin de France

à Baden-Baden

Avec créativité et individualité, nous recherchons dans le présent les traces de la gastronomie de demain. Notre Philosophie, notre cuisine, nous aimons l’appeler « la Cuisine du Cœur ». Nous vous proposons le meilleur de l’art culinaire, des classiques, des créations. Les meilleurs vins, l’art de la table et du savoir-faire. Tout ce que vous dégustez au Jardin de France vient du cœur et est préparé avec professionnalisme. Nous proposons à nos clients de passer chez nous quelques moments de détente, de faire une pause.

Restaurant Le Jardin de France à Baden-Baden Sophie & Stéphan Bernhard Lichtentalerstraße 13, 76530 Baden-Baden Téléphone: 0049 7221 3007860 | Fax: 3 00 78 70 eMail: info@lejardindefrance.de

www.lejardindefrance.de Fermé les dimanches & lundis sauf le dimanche 8/04 midi & soir le dimanche 13/05 midi le dimanche 27/05 midi et soir


L’ILLUSTRATRICE

karine maincent Grande lectrice de Poly durant ses années d’études à l’École des Beaux-Arts de Nancy, Karine Maincent travaille aujourd’hui dans le milieu culturel, notamment pour des compagnies théâtrales. Après deux années passées en Afrique en tant que graphiste pour le Centre culturel français de Cotonou (Bénin), elle est

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revenue dans l’hexagone, sa sacoche pleine de couleurs et d’envies. Son atelier itinérant, le Studio Tokpa, lui permet depuis 2009 de partager son temps entre direction artistique et illustration, sa Lorraine natale et son ailleurs. www.studiotokpa.com http://karinemaincent.blogspot.com


EXPOSITION 08:02 C 13:05:2012

FONDS RÉGIONAL D’ART CONTEMPORAIN Agence culturelle d’Alsace

1 espace Gilbert Estève Route de Marckolsheim BP 90025 F-67601 Sélestat Cedex tél. : + 33 (0)3 88 58 87 55 http://frac.culture-alsace.org

Concert événement L’orchestre La Follia invite David Guerrier Au Moulin 9 à Niederbronn-les-Bains Vendredi 20 avril 2012 à 20h30 Renseignements et réservations : relais.niederbronn@wanadoo.fr 03 88 80 37 66

La Ribot, Laughing Hole, 2006. Performance, avec Naton Goetz. Photo : Nicolas Dautier

AFFINITÉS, DÉCHIRURES & ATTRACTIONS

ÉRIC BAUDELAIRE CLÉMENT COGITORE MARCEL DINAHET OMER FAST STÉPHANE GARIN BERTRAND GONDOUIN JAN KOPP LA RIBOT ÉMERIC LHUISSET ADRIEN MISSIKA FRÉDÉRIC MOSER & PHILIPPE SCHWINGER JEAN-LUC MOULÈNE DEIMANTAS NARKEVICIUS TILL ROESKENS ROY SAMAHA


ARTISTE ASSOCIÉ

petites histoires entre amis Avec sa compagnie Les Méridiens, Laurent Crovella, installé pour les trois ans à venir au Théâtre de Haguenau, développe des actions culturelles en parallèle à la création de “la petite trilogie de Keene”. Rencontre. chez nous, rendant vivant ce lieu et dépassant les peurs de l’inconnu et des “ce n’est pas pour moi” », continue-t-il. « Quant aux ateliers que j’anime toute l’année, ils me permettent de bousculer un peu ma propre pratique et de rester connecté avec la ville. »

Par Daniel Vogel Photo de Michel Nicolas

Premiers pas des acteurs sur le plateau, en présence du public, vendredi 4 mai, au Théâtre de Haguenau 03 88 73 30 54 www.relais-culturel-haguenau. com

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ue ce soit par le biais d’ateliers de pratique théâtrale ou de lectures d’auteurs contemporains dans des lieux et des formes insolites – au Bowl d’Hag (skatepark) d’Haguenau ou chez un coiffeur – Laurent Crovella explore toutes les voies menant vers des publics variés. « Melquiot, Tremblay, Bouchard, ces auteurs ont des thématiques qui parlent au public qu’il faut aller chercher sur d’autres terrains que dans une salle de théâtre à l’italienne qui impressionne toujours un peu », analyse le metteur en scène. Avec l’équipe du Relais culturel de Haguenau, il a mis sur pied À deux pas du théâtre, dispositif de cours / rencontres avec des lycées et IUT allant « de la découverte de l’histoire du théâtre dans la classe, au travail sur le jeu du comédien jusque dans nos murs. Nous allons chez eux et ensuite, ils viennent

Après Le Chemin des Passes Dangereuses et Moulins à Paroles, créés à Haguenau avant d’être joués au Festival d’Avignon 2011, Laurent est tombé sous le charme de l’écriture de Daniel Keene dont il monte une trilogie autour de trois pièces courtes : Entre aujourd’hui et demain, Avis aux intéressés et La Visite, en mars 2013. « Son écriture ténue et tenue est comme un arbre dont on n’aurait gardé que le tronc. Tout est limpide chez lui, il raconte des histoires dans une langue ciselée avec un lieu, un temps et une action. Il n’y a aucune fioriture ! » Les “petites gens” en sont les protagonistes, « des personnages de faits divers, dont il y a urgence à parler aujourd’hui », confie ce grand lecteur, touché au cœur et à la tête. Le décor devrait être unique pour les trois pièces se succédant, les comédiens toujours sur le plateau, « comme des solitudes, les unes à côté des autres dans un immeuble populaire ». Les thématiques sont humainement fortes, politiquement indispensables, comme seul Keene sait le faire. Un père violent divisant une mère et sa fille, un vieil homme condamné par un cancer ne sachant que faire de son fils handicapé et enfin l’absence de mots, lors du trajet retour en train d’un père et de sa fille, la ramenant à sa mère dont il s’est récemment séparé. Au public haguenovien, Laurent offre la primeur des étapes de travail : fin février, la première lecture des textes à la table et début mai les premiers pas des comédiens sur le plateau… avant de découvrir la suite.


S’il est des lieux qui ont su préserver intacts tout le charme et l’authenticité des ambiances chaleureuses, où plaisir de la table rime avec convivialité, le restaurant «Zuem Strissel» est de ceux-là, situé au coeur du quartier historique, à deux pas de la Cathédrale. Pour mettre en valeur cette winstub à la si longue histoire, Jean-Louis de Valmigère Un lieu chargé d’Histoire... Établi depuis le XIVème siècle dans le quartier du et son équipe ont su réveiller les recettes Vieil Hôpital, le Strissel existait déjà avant que la traditionnelles et leur donner ce goût si particulier Cathédrale ne possède sa flèche. Ancien lieu de du temps où la cuisine était faite maison. rencontre des corporations, à côté de la Douane où se retrouvaient tous les métiers de Strasbourg, C’est pour cela qu’on aime faire découvrir ou le Strissel est aujourd’hui un des temples de la redécouvrir ce lieu convivial, en famille ou entre amis, à midi autour d’un bon plat du jour, le soir cuisine Alsacienne. pour partager un moment de plaisir et de détente.

ZUEM STRISSEL • 5 PLACE DE LA GRANDE BOUCHERIE • 67000 STRASBOURG

www.strissel.fr OUVERT TOUS LES JOURS DE 12H À 14H30 & 18H À 23H


un regard

ending your life under the sun par younes baba-ali Par Thomas Flagel

Higher Atlas, exposition présentée pendant la Biennale de Marrakech, jusqu’au 3 juin www.marrakechbiennale.org www.younesbabaali.com Lire l’article que nous lui avions consacré sur www.poly.fr

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Elle réunit les domaines culturels de l’art, du cinéma et de la littérature en anglais, arabe, et français afin de promouvoir la créativité en Afrique du Nord

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Un cercueil de bois contenant des néons à UV comme dans un solarium. Un titre à multiples lectures. Ironie ? Cynisme ? Pour Younes Baba-Ali, artiste passé par l’École des Arts décoratifs de Strasbourg1, cette installation conçue pour la quatrième Biennale de Marrakech2 « interroge la notion de “flux migratoires” et amène à une réflexion sur la migration de plus en plus fréquente de populations occidentales vers l’Afrique du Nord et l’Amérique du Sud » à la recherche d’un niveau de vie plus favorable. Ce mouvement silencieux pose la question des « barrières

socio-politiques », en écho aux mouvements inverses, « beaucoup plus médiatisés et controversés », allant du Sud vers le Nord. Le “cercueil-solarium” de Younes représente métaphoriquement le bagage culturel de ces déplacements, entre incompréhensions, méprises et grands écarts… Finir sa vie au soleil comme une pratique bourgeoise remplaçant celle du bronzage sous les feux d’UV artificiels.

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D’habitude, Marie Prunier, photographe cachottière, privilégie le hors-champ, les non-dits, le clair-obscur. Ici, tout semble montré sous un éclairage puissant. Pourtant, le mystère plane. Que fait cette gracieuse demoiselle dans sa tenue fuchsia, patins aux pieds, en ce lieu saugrenu, antre des militants de Chasse, Pêche, Nature et Traditions ? Pourquoi ce joli vilain petit canard pose-t-il au beau milieu de leurres, gibier factice en plastoc ? Ce cliché – pris à Saint-Cœur-de-Marie au Québec lors d’une résidence orchestrée par le

Frac Alsace – fait partie d’une série de sept : la petite Gabrielle posant dans un magasin de meubles, Annabelle dans le gymnase du collège, Émilie devant un monticule de neige ou, sous nos yeux, Dary Ann chez Pro Nature. Lorsqu’elle rencontre ces jeunes patineuses artistiques, Marie a l’impression de se trouver, « en vrai », face « à un acteur connu ou à des bêtes sauvages » (en chair et en os, cette fois-ci), des images d’Épinal, des icônes… que l’artiste décontextualise, pour voir comment elles réagissent « aux variations de décor ».

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promenade

autour de l’abbaye L’église abbatiale de Murbach est un des joyaux de l’art roman en Alsace : de chemin de croix en chaumes enchanteresses, une circumdéambulation en forme de prélude au printemps, au cœur d’un charmant vallon.

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Par Hervé Lévy Photos de Stéphane Louis pour Poly

1 Au cours de la Contre-Réforme, des centaines de répliques de la Casa Santa de Loreto – la maison où naquit la Vierge Marie transportée, selon la légende, de Nazareth en Italie par les anges en 1294 – furent bâties dans toute l’Europe. Dans le coin, on en trouve à Mutzig ou à Baudrecourt 2 Voir article des Dernières nouvelles d’Alsace (vendredi 2 mars), Il y a bien deux loups dans les Vosges

E

lle apparaît. Sa massive silhouette caractéristique se détachant sur le ciel bleu sera un point de repère au cours de toute la promenade, puisque nous l’apercevrons, de loin en loin, en faisant le tour du vallon. À quelques encablures de Guebwiller, l’abbaye bénédictine de Murbach est un des plus impressionnants monuments romans de la région, un des plus beaux aussi. Elle « a été fondée par Saint Pirmin, dans la solitude de la forêt vosgienne, au pied du Grand Ballon, au fond d’une étroite vallée traversée par un petit torrent qui donna son nom au site », écrit Robert Will dans sa contribution à l’ouvrage de référence qu’est Alsace Romane (Zodiaque, 1965). Cela se passait dans les années 720, le bailleur de fonds était le frère du Duc d’Alsace, le comte Éberhard. Très richement dotée dès sa création, l’abbaye est rapidement prospère, faisant l’acquisition de nombre de biens et de terres, jusqu’à son saccage par les Hongrois vers 925. La déchéance ne dure guère : dès le XIIe siècle, la fortune est de retour et Murbach se retrouve au cœur d’une principauté (comprenant également les cités voisines, Saint-Amarin, Wattwiller et Guebwiller), qui devient française après la Guerre de Trente Ans, en 1681. C’est le début d’un irrémédiable déclin : la principauté cesse d’exister dès 1703, les moines quittent les lieux et la Révolution scelle le destin du site.

sur la route Du Nord au Sud de la région court la Route romane d’Alsace. Créée à l’initiative du Conseil régional et de la Délégation régionale au Tourisme, elle regroupe quelque 120 sites. Parmi eux, 19 – dont évidemment Murbach – ont été sélectionnés comme les “grandes étapes” de cet itinéraire architectural. Mentionnons la simplicité altière des lignes de l’église Saints-Pierre-et-Paul de Rosheim où influences rhénanes et lombardes se mêlent ou le fabuleux bestiaire de pierre d’Andlau dans lequel se croisent animaux fabuleux, bêtes des champs et des bois, lion, dragon, centaure, scorpion dromadaire, monstre marin et… ours, le symbole d’un village qui a grandi sous l’égide de Sainte-Richarde. Chaque année, un festival de musique ancienne, Voix et Route Romane, vient célébrer les noces de la pierre et des notes dans ces édifices remarquables. Son édition 2012, la vingtième, se déroulera du 31 août au 16 septembre. Les spectateurs arpenteront de multiples territoires sonores, du chant grégorien à l’Ars Nova en passant par les polyphonistes franco-flamands. www.voix-romane.com

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Grès rose

Aujourd’hui, ne restent de l’église abbatiale que le chevet et le transept surmonté de ses deux clochers caractéristiques. La nef, les bas-côtés et les bâtiments conventuels ont été détruits après avoir longtemps servi de carrière à ciel ouvert pour les habitants du coin. Un sentiment étrange nous étreint, celui d’un splendide déséquilibre, comme si cet immense édifice n’était qu’un décor en trompe l’œil, gardé par une improbable statue de Jeanne d’Arc qui aurait sans doute ému Charles Péguy. La promenade débute en zigzags : nous passons successivement les 14 stations d’un Chemin de Croix des années 1870 construit par le curé Jean-Thébaut Mellecker qui contribua à la restauration du chef d’œuvre roman. La dernière est saisissante : un Christ blafard repose, sanglant, dans une grotte de rocaille, juste devant la Chapelle Notre-Dame de Lorette (1693) bâtie sur le modèle de son homonyme italienne1. Laissant derrière nous les statues de grès moussues, la voûte étoilée de la petite église et un cadran solaire restauré avec trop d’éclat, nous nous lançons, le long de sentiers escarpés, à l’assaut d’une pente qui s’élève prestement en lacets.

Frondaisons vertes

Le soleil est notre allié. Là-bas, à Strasbourg, la morne plaine est encombrée de nuages bas : le savoir nous donne une énergie supplémentaire, et c’est joyeux et babillants que nous arrivons au Hohrupf où une pancarte brinquebalante indique la présence d’un château. Posées à 813 mètres d’altitude sur un éperon rocheux, ses ruines dominent toute la vallée offrant une impressionnante vue à 360°. Construit vers 1270, il servait de poste d’observation et gardait l’abbaye de Murbach. Aujourd’hui ne restent que quelques pierres de cette petite forteresse d’altitude et l’on peine à comprendre, au milieu de la végétation qui a repris ses droits, la fonction des différents espaces. Quelle importance… Notre regard plonge dans la vallée, suit les crêtes et revient se poser sur ces pierres branlantes offrant le plus beau spot de la promenade pour un pique-nique. La descente est douce en direction du Col de la Wolfsgrube, un terme signifiant “fosse aux loups”. Au XIXe siècle s’y trouvait en effet un piège destiné à attraper la bestiole qui terrifiait tant l’homme, ici représenté par une naïve sculpture de bois. Elle fait visiblement aujourd’hui son retour dans les Vosges, puisqu’on en a recensés deux, le mois dernier2. Le plus dur est passé. La grimpette 74

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promenade

est derrière nous et la promenade devient propice à la rêverie et aux discussions existentielles… sur le matériel, par exemple. Primordial, le matériel, surtout lorsque les semelles de ses vieilles chaussures commencent à se desquamer. « Où les as-tu achetées ? » me demande-t-on goguenard. « Au Vieux Campeur, et toi ? » interrogeais-je, impressionné par des croquenots rutilants. La réponse fuse : « À New York, pourquoi ? » De discussion en discussion, de la mort stupide de Theo Angelopoulos à la situation du Racing, en passant par l’île de Gunkanshima, nous voilà au Col de la Judenhut où coule une fontaine construite le 22 février 1895 par la section de Guebwiller du Club vosgien pour célébrer les noces d’or de son président, Jean Schlumberger, membre de la célèbre dynastie industrielle de Guebwiller. La forêt est désormais plus clairsemée, une immense chaume – avec vue imprenable sur le Grand Ballon encore enneigé – nous accueille pour une courte sieste, la tête au soleil. La descente est aussi raide que l’ascension et se conclut dans un fouillis indescriptible d’arbres sous lesquels le sentier semble avoir disparu. Pour rentrer au plus vite, nous coupons à travers bois, le regard rivé sur le deux clochers de l’église abbatiale évoquée avec brio par le poème de Marguerite Gable-Senné retrouvé au retour : « Pierre levée au fond du val / Figure de proue sans nef / Pièce maîtresse d’un gréement disparu / Signe permanent de la respiration du temps / (…) Cinq siècles de magnificence / Trois siècles d’oubli. »

tour du vallon de murbach Départ Abbaye de Murbach Distance 13 km Temps estimé 5 h15 Dénivelé 530 m

NORD

Colmar 27 km

Hohrupf 813m Col de Wolfsgrube 748m

N.D. de Lorette

Église abbatiale

910m

445m

569m

D

MURBACH

859m Fontaine Schlumberger Col de Judenhut 973m

Guebwiller 5 km

en ruines… À la sortie de Guebwiller, se dresse, sur une petite colline, un merveilleux édifice entouré d’un parc à l’anglaise. Le bâtiment est aujourd’hui le domaine des courants d’air et des vandales : il a cependant gardé une certaine majesté avec son jardin d’hiver, sa cheminée ouvragée et ses parquets somptueux. Des associations se sont mobilisées pour sauver la Villa du Bois Fleuri, également appelée Château du Schimmelrain, son nom originel, bâti en 1861 par l’industriel Charles Bourcart (1828-1909) qui fut aussi un peintre amateur de talent, comme en témoigna une exposition de 2007, au Musée du Florival. Ses toiles, paysagères pour la plupart, et ses dessins sont empreints de romantisme. Au fil des âges, la Villa est devenue un pensionnat, un sanatorium pour enfants dans les années 1930, puis le restaurant d’entreprise de Schlumberger (qui a construit un rajout seventies, une verrue de béton). Si rien n’est fait rapidement, ce joyau sera irrémédiablement perdu.

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GASTRONOMIE

les herbes folles À Rosheim, Hubert Maetz imagine avec maestria, depuis le milieu des années 1980, une cuisine inventive, plaçant les plantes au centre de sa réflexion culinaire. À découvrir à L’Hostellerie du Rosenmeer.

Par Hervé Lévy Photo de Stéphane Louis pour Poly

L’Hostellerie du Rosenmeer se trouve à Rosheim, 45 avenue de la Gare. Fermé dimanche soir, lundi et mercredi. Menus de 32,50 € (uniquement en semaine, à midi) à 76 € 03 88 50 43 29 www.le-rosenmeer.com

L

établissement existe depuis 1878. D’abord bistrot de la gare, il est aujourd’hui une adresse excitante récompensée par un Macaron au Guide Michelin depuis 2005 et tenue par un des chefs les plus attachants de la région, Hubert Maetz, qui a fait ses armes avec des virtuoses comme Antoine Westermann. Au piano de L’Hostellerie du Rosenmeer, le jeune quinqua est connu pour avoir animé, pendant 13 ans (jusqu’en 2008), une émission culinaire sur France 3 Alsace avec Simone Morgenthaler. Sür un Siess a évidemment fait beaucoup pour la renommée du chef : les paillettes médiatiques sont une chose, la qualité de la cuisine en est cependant une autre. Et là nous sommes bluffés : au fil des saisons, Hubert Maetz a en effet su maintenir sa capacité d’invention au plus haut « grâce à un important travail de recherche » qui aboutit à des plats aussi sexy qu’un indépassable Cappuccino de foie gras. Sa créativité, le chef l’exerce dans tous les domaines, mettant un accent particulier sur la cuisine des plantes : bien évidemment, il possède son jardin et échange avec les meilleurs – « Les fleurs d’oranger viennent de

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l’Orangeraie du Château de Versailles » – mais prend souvent son panier pour « aller cueillir, dans les vignes et les forêts ». Il en ramène des racines de primevère, de l’ail des ours ou la très goûteuse mâche des vignes qui vient accompagner, avec du vinaigre de vieux vin, des calamars de Bretagne dans une parfaite alliance. N’oublions pas non plus l’exquis sorbet au thym ou, plus surprenant, à la Reine des prés… Tous ces plats où éclatent les saveurs des plantes sauvages peuvent s’accommoder avec les vins de la maison puisqu’Hubert Maetz est un “chef vigneron” possédant deux hectares produisant tous les cépages (dont un Riesling délicieusement minéral) qui donne également un crémant aux bulles d’une rare finesse.

Avec Simone Morgenthaler, Hubert Maetz a récemment publié La Cuisine naturelle des plantes d’Alsace regroupant 700 recettes centrées autour de 70 plantes de la région (30 €) – www.nueebleue.com Mercredi 23 mai, le chef propose en outre un atelier “Herbes en cuisine”(sur réservation au 03 88 50 43 29)


brunch & opéra

Dans le cochon tout est bon est le titre de l’exposition d’art contemporain organisée pour la seizième édition d’Arts et Saveurs au CEFPPA (Centre de Formation des métiers de l’Hôtellerie Restauration) d’Illkirch-Graffenstaden. Sur les chemins croisés de l’art et de la charcutaille, on croisera les œuvres de Daniel Depoutot, François Klein, Catherine Lubrano, Éric Meyer, Pascal Poirot, etc. Régalade artistique jusqu’au 27 avril.

On l’attendait. On l’espérait, sans trop y croire… mais c’est fait. Il est désormais à nouveau possible de bruncher tous les dimanches de 10h à 17h au Café de l’Opéra (Strasbourg). Cela comblera les gourmands, les gourmets, les végétariens, les fans de bio, les fous de fromages, les dingues de légumes, les fondus de charcuterie… et sera ouvert à toutes les cultures avec, chaque mois, un pays invité.

volaille & saveurs Ancien chef du Buerehisel, Antoine Westermann ouvre son troisième établissement parisien, Le Coq Rico, une variation brillante sur la belle volaille. Dans un cadre élégant – avec des œuvres de Christophe Meyer – on se laisser griser par un Poulet rôti d’anthologie ou une Poularde de Bresse cuite en Baeckeoffe. Cocorico !

www.cafedelopera.fr

château & glamour Dimanche 1er avril (de 10h à 18h), c’est “journée portes ouvertes & découvertes” à Ostwald, au Château de l’Ile, charmant hôtel quatre étoiles. Visites, rencontres et animations seront organisées pour dévoiler toutes les facettes du lieu, chambres, spa mais également ses deux restaurants, le Gourmet et la Winstub. Au menu, des démonstrations culinaires et des ateliers sur l’alliance des mets et des vins… www.chateau-ile.com

Éric Meyer, Scène de ménage, 2012

www.cefppa.eu

À Paris (XVIIIe arrondissement), 98 rue Lepic www.lecoqrico.com

bagels & cookies Après ses trois établissements strasbourgeois, Bagelstein arrive à Mulhouse. C’est rond, fait avec les meilleurs produits, américain (enfin, pour les origines) et c’est le concept qui dépote depuis un an. Mais Bagelstein fabrique également ses propres cookies, brownies, cheesecakes et autres douceurs délicieuses.

© Coraline Zanchi

© Geneviève Engel

art & cochon

À Mulhouse, 64 rue du Sauvage www.bagelstein.com

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les huit piliers de la sagesse S’il aura fallu près de dix ans pour que les musulmans strasbourgeois disposent d’un lieu de prière digne de ce nom, la Grande Mosquée de Strasbourg, dessinée par Paolo Portoghesi, dévoilera bientôt ses charmes intérieurs. Reportage en pleines finitions.

D

ans le droit local d’Alsace et de Moselle, issu du Concordat, demeurait une part d’ombre. Les cultes catholique, luthérien, réformé et israélite bénéficient d’un financement public. Les musulmans, 10% de la population actuelle, étaient le parent pauvre du système. La mise à disposition par la Ville de Strasbourg d’un terrain de 10 187 m2 par le biais d’un bail emphytéotique et la participation des collectivités locales (la Ville à hauteur de 10%, le Conseil général du Bas-Rhin et le Conseil régional d’Alsace à 8% chacun) au financement de la Grande Mosquée ont comblé le fossé séparant les cultes. Et surtout, permis à tous ces croyants de, prochainement, 78

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sortir des caves, hangars et autres préfabriqués dans lesquels ils étaient jusqu’ici confinés. Mais qu’on ne se leurre pas, si « le temps des polémiques électorales est fini, le chemin aura été long et tortueux », constate Saïd Aalla, président de la Grande Mosquée.

Sous les fourches caudines

En 1999, le Conseil municipal de Strasbourg votait une délibération allouant le terrain en vue de la construction de l’édifice. Quelques mois plus tard, l’association portant le projet organisait un grand concours d’architecture dont le but était « d’offrir à la Capitale européenne un bâtiment à sa dimen-

sion ». De grands noms comme JeanMichel Wilmotte ou encore Zaha Hadid proposent des projets. C’est finalement celui imaginé par l’italien Paolo Portoghesi – déjà auteur de la Mosquée de Rome au milieu des années 1970 – qui rallie les suffrages. La première pierre est symboliquement posée en 2004, mais il faut encore attendre deux ans pour que les travaux débutent réellement car l’alternance municipale de 2001 a rebattu toutes les cartes, le tandem Keller-Grossmann étant peu enclin à voir l’édifice sortir de terre. La municipalité retarde tant que possible les choses, imposant « beaucoup plus de modestie au projet initial »,


Huit pétales de rose

Ouverte le 1er août 2011 pour le Rama­ dan, la Grande Mosquée a refermé ses portes juste après, afin de terminer les travaux d’aménagement intérieur et de décoration. Depuis quelques mois, chacun peut admirer l’immense dôme de cuivre (20 mètres de haut et 16 de diamètre) de couleur rouge tirant sur le brun. Avec le temps, il s’oxydera pour prendre une teinte verte se mariant parfaitement avec le beige clair de la façade et des huit piliers externes entourant la coupole et formant autant de pétales de rose s’étirant vers l’extérieur. Le grès des Vosges complétant le tout ancre l’édifice dans son environnement. Une fois l’entrée passée, nous sommes stupéfaits par la largeur

de la salle de prière principale. Aucun pilier porteur ne vient brouiller la vue. « Une première dans le monde que cette architecture dont la technique est empruntée aux ponts suspendus », explique Saïd Aalla. « L’absence d’obstacles physiques renforce l’impression de flottement, de douceur et de respiration de la coupole dans un très harmonieux arc de cercle. » Ses 135 tonnes (avec la charpente) sont supportés par les piliers extérieurs et les tirants aériens qui les relient. Paolo Portoghesi a distribué les espaces avec doigté : des salles d’ablutions symétriques, dotées d’un puits de lumière, sont réparties de part et d’autre de l’entrée principale, un ascenseur et des escaliers desservent une mezzanine de 250 m2, futur lieu de prière réservé aux femmes qui offre une vue plongeante sur le Mihrab (niche pratiquée dans la muraille d’une mosquée, orientée vers La Mecque, où se place l’imam). Mi mars, des artisans arrivés de Fès en janvier terminaient la patiente pose, à la main, de quelques 400 000 pièces colorées de zellige, carreau d’argile émaillée, façonné manuellement, dont le décor crée un assemblage géométrique faits de tesselles de mosaïques posées sur un lit de plâtre. Ils s’attèleront ensuite aux 100 000 autres habillant le Mirhab. Des frises en plâtre blanc surplombent le tout. La Sourate 24 du Coran – An-Nur, La Lumière – est sculptée à la main dans une sublime calligraphie de style kufique sous les immenses tubes soutenants la coupole. Son fond sera peint dans la même couleur bleu ciel, l’écriture prenant

des atours dorés. Comble de la modernité, quatre écrans retransmettront en direct les prêches et conférences donnés aux fidèles. Un système de traduction dernier cri (Arabe, Français et sous-titrage pour malentendants) complète le dispositif. D’imposants lustres de quatre mètres de diamètre descendront du plafond, des moucharabiehs serviront de séparation selon les besoins et un tapis, tout en sobriété, recouvrira au dernier moment le sol. La Grande Mosquée de Strasbourg devrait ouvrir ses portes à l’été. Pourront alors débuter de nouveaux projets : la réactivation de l’espace culturel et, « pourquoi pas, le minaret, si nous trouvons les fonds nécessaires », précise Saïd Aalla.

Par Thomas Flagel Photos de Stéphane Louis pour Poly La Grande Mosquée de Strasbourg se situe rue de la Plaine des Bouchers www.mosquee-strasbourg.com

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ARCHITECTURE

confie Saïd Aalla dans un sourire qui en dit long. « L’architecte a dû réduire la taille de la salle de prière, supprimer le parking souterrain, l’espace culturel adjacent devant accueillir une bibliothèque et permettre d’organiser des conférences, mais aussi le salon de thé rendant ce lieu plus accueillant et ouvert sur l’extérieur. Le minaret, catalysant les critiques les plus vives, a lui aussi disparu. » Le refus initial de participations financières étrangères mettait aussi du plomb dans l’aile aux finances de la Grande Mosquée. Finalement, le retour aux affaires du PS avec l’élection de Roland Ries en 2008 relance tout. Les collectivités locales apportent environ un tiers des 8,7 millions d’euros de budget, le Maroc, le Koweit et l’Arabie Saoudite le second tiers et enfin les dons des fidèles et les différentes quêtes le reste.


design

fashion vitrine Le job de la strasbourgeoise Marie Guénot de MG déco est sa raison de vivre : la décoration de vitrines – comme celles d’Hermès – et l’agencement d’espaces, en privilégiant gestes d’artisan et esprit ludique. Rencontre avec un « dinosaure » qui bosse sans ordinateur.

Par Emmanuel Dosda Dessins préparatoires de Marie Guénot pour la vitrine de Marquise de Sévigné à Paris

MG Déco, 33 rue du Maréchal Lefèbvre à Strasbourg 03 88 30 08 11 www.mgdeco.com

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M

arie est née « le jour de [s]on entrée aux Arts déco. Je suis une manuelle, j’ai ça dans le sang. Vous me l’enlevez, je ne vis plus. » Les couleurs, les matières, l’artisanat, le bricolage, l’assemblage… Dans son vaste atelier de la Plaine des bouchers à la Meinau, au milieu de livres, chutes de tissus ou de bois, des rubans et objets home made – un lustre géant en bois de cerfs – ou chinés, elle planche sur plusieurs dossiers simultanément : des stands pour un salon gastronomique, l’aménagement d’un restau (L’Étoile des neiges à Strasbourg qui ressemblera à un chalet suisse), une vitrine pour Marquise de Sévigné à Paris…

Début 1989, son diplôme à peine empoché, elle se met à son compte. La décoratrice / styliste photo / architecte d’intérieur réalise surtout – « parfois chaque semaine ! » – des vitrines pour des boutiques de fringues très in qui fleurissaient alors et de luxueuses marques comme Louis Vuitton. Entre 1989 et 2009, Marie dessine et construit tous les décors des deux boutiques Hermès alsaciennes (Strasbourg et Mulhouse, les autres magasins hexagonaux étant gérés nationalement), à une époque où la célèbre griffe à la calèche « renaissait ». Elle se laissait porter par son imagination en partant des thématiques imposées : l’univers maritime, la capitale française


(« On a placé des vélos, des tours Eiffel et des lampadaires qui passaient d’une fenêtre à l’autre, au milieu de champs de blé »), l’Inde (« de gros éléphants en papier mâché ») avec une préférence pour les fonds monochromes, « afin de faire ressortir les produits ».

Les franchises attaquent

La décoratrice perçoit le début des années 1990 comme un âge d’or révolu. Les vitrines Hermès ? Leur réalisation est centralisée depuis 2009 : on envoie les décors en kit et MG déco ne se charge plus que des assemblages et soudures. Les échoppes branchées « indépendantes », mises en valeur par Marie Guénot ? Remplacées par des Zara, H&M et autres Mango. « Partout dans le monde, le paysage urbain s’uniformise. À Strasbourg, nous avons deux boutiques Comptoir des cotonniers à cent mètres l’une de l’autre qui présentent exactement les mêmes produits », déplore-t-elle en espérant secrètement qu’on se lassera enfin de voir éclore des banques, officines de téléphonies, enseignes franchisées et chaînes de sushis standardisés…

What else ?

Y a-t-il encore de la place pour celle qui se définit comme « un dinosaure », aimant le dessin et sachant à peine se servir d’un ordinateur, faisant longuement « sa cuisine » en amont et travaillant ensuite « à l’instinct, sur le vif », in situ ? Heureusement oui, à en croire les très nombreux post it jonchant ses murs où sont écrit Villa Gourmet, Secrets de table ou

Reck, fidèle client. Tous sont séduits par l’art éphémère (« c’est frustrant et triste de démonter un décor qu’on a longuement pensé ») de Marie, « la chaleur et l’humanité » que dégagent ses réalisations « artisanales », ficelées avec l’aide de son complice Michel Hergott, un MacGyver « capable de faire une vis avec un clou ». La décoratrice s’évertue à faire des vitrines ludiques, « qui font sourire les passants », précise la responsable d’une parodie du What else ? clooneysque adapté au patron des cafés Reck1. Depuis peu, Marie et Michel font partie des Agenceurs 2, spécialisés dans l’aménagement de boutiques, hôtels, boulangeries, restos, bureaux, etc. Dans ce cadre, la créative réalise des projets “durables”. « C’est agréable de passer de petites “boîtes” à de larges espaces, de travailler sur de grands chantiers pérennes » comme le Barco Latino, La Salamandre, La Taqueria, La Hache ou l’Étoile des neiges à Strasbourg. « On bosse beaucoup pour Franck Meunier 3 qui songe même à nous salarier », rigole-t-elle. Dans l’immense entrepôt où elle stocke du matériel, neuf et à recycler, on remarque de nombreux magots dégotés en brocantes. « Il y a quelque chose de rassurant à utiliser des choses du passé. C’est notre époque incertaine qui veut ça. » Et de conclure : « Je ne fais que suivre le courant, les modes, les tendances du moment. »

1 Lire le dossier sur le café en Alsace : www.poly.fr 2

www.lesagenceurs.fr

Lire le dossier sur la nuit à Strasbourg : www.poly.fr 3

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Par Emmanuel Dosda

Art  District hip-hop strasbourgeois Lauréat du Fair 2012, gagnant du concours France Inter / Les Inrocks, repéré par les Eurockéennes et sélectionné par le Printemps de Bourges… Quelle est la dernière bonne nouvelle vous concernant. Il y en a beaucoup : notre récente collaboration avec un tourneur, une prochaine résidence de création lumière au Grillen de Colmar pour que notre show claque visuellement, des passages à la radio, des retombés sur les ventes de disques…

Dans votre morceau Back in the day, vous rendez hommage aux pionniers du rap et aussi à Cannibal Ox, Mos Def… Quel est votre dernier coup de cœur. Mon rappeur préféré du moment est El Aldeano, un Cubain qui ne peut quitter son île pour faire des concerts. Il a un flow impressionnant, tout comme Oxmo Puccino et Casey, en France, ou Mos Def aux États-Unis. Ils ont une excellente plume.

Vous citez Miles Davis ou The Roots, mais aussi Schubert et Liszt… Quelle est votre dernière source d’inspiration. Une phrase de Zatoichi de Takeshi Kitano, l’histoire d’un samouraï aveugle : « Darkness is my avantage », mais c’est plus lyrique en japonais…

Dernière fois que vous avez pensé « This Revolution will be live in the Streets ». J’ai écrit le morceau Live in the Streets dont est tirée cette phrase, clin d’œil à Gill Scott-Heron, au moment du Printemps arabe, en faisant très attention aux mots utilisés, car je ne suis pas l’avocat de la violence. Ensuite, ce ras-lebol citoyen s’est concrétisé un peu partout dans les rues du monde, en Grèce, en Espagne ou aux USA, mais le combat est loin d’être fini.

Dernier tube “classique” siffloté sous la douche. En revenant de tournée, nous avons passé la Polonaise de Chopin. L’idée était de calmer l’ambiance… entre deux titres des Red Hot. Dernière escapade à New York. J’ai quitté cette ville pour Strasbourg il y a six ans environ. La dernière fois que je m’y suis rendu, l’an passé, je suis allé à une soirée Freetsyle Mondays, une scène ouverte pour les rappeurs. En rentrant, nous avons exporté le concept au Mudd Club : Art District improvise tandis que des MC’s prennent le micro. 82

Poly 148 Avril 12

Dernier album. Live in the Streets (Element Records/ Musicast). Derniers concerts. Au Festival Caméléon à Kingersheim, les 6 et 7 avril, au Mudd (Strasbourg) pour le Freestyle Mondays, les 16 avril et 21 mai. Enfin au Printemps de Bourges le 25 avril.

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Orchestre PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG

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ORCHESTRE NATIONAL

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mardi 3 aVriL CONCERT JEUNES TALENTS PMC SALLE ÉRASME - 20H30

Marko Letonja direction Tristan Cornut violoncelle Loïc Schneider flûte Yuriy Tsiple baryton Xin Wang ténor Ryoko Kondo et Claire Litzler percussionnistes • Bruno de Souza Barbosa cymbalum • • • • • •

KOdáLY / HAYdN / GOUNOd BizET / KOPPEL / KOdáLY ROdRiGO / KOdáLY

SaiSON 2011>2012

Renseignements : 03 69 06 37 06 / www.philharmonique.strasbourg.eu Billetterie : caisse OPS entrée Schweitzer du lundi au vendredi de 10h à 18h Boutique Culture, 10 place de la cathédrale du mardi au samedi de 12h à 19h

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