Poly 155 - Janvier / Février 2013

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N°155 Janvier / Février 2013 www.poly.fr

Magazine Mathieu Boogaerts Le chanteur à nu Gisèle Vienne Plongée dans son univers Elfi Turpin & Abdellah Karroum Arrivent au Crac & à La Kunsthalle Festivals Décalages, Momix & Les Vagamondes

la vie en rose

de Lilly Wood & The Prick


1ER, 5, 7, 12 FÉVRIER 2013 À 20 H 3, 10 FÉVRIER 2013 À 15 H

Macbeth giuseppe verdi

DIRECTION MUSICALE Roberto Rizzi Brignoli MISE EN SCÈNE Jean-Louis Martinoty COPRODUCTION OPÉRA NATIONAL DE LORRAINE ET OPÉRA NATIONAL DE BORDEAUX RENSEIGNEMENTS 03 83 85 30 60 WWW.OPERA-NATIONAL-LORRAINE.FR


BRÈVES

20e Toiles

L’édition 2013 du Festival international du Film fantastique de Gérardmer (Fantastic’Arts ou Fantastica pour les plus vieux) fête ses vingt ans du 30 janvier au 3 février. Au programme : une rétrospective consacrée au Duc de la Terreur, le réalisateur emblématique du cinéma d’horreur mexicain Carlos Enrique Taboada, mais aussi des rencontres autour des effets spéciaux ou de “La peur est-elle plus féminine que masculine ?” Sans oublier la compétition officielle et ses avant-premières. www.festival-gerardmer.com

1re Étoile

Après être passé à deux doigts de la banqueroute avant d’être sauvé (notamment) grâce aux dons de ses cinéphiles, le Cinéma Star a reçu, fin 2012, le prix de la Meilleure programmation pour la diversité aux Europa Cinéma Awards. Une première pour une salle française qui récompense plus de 40 nationalités à l’affiche et près de trois-quarts de séances dédiées aux films du continent. Bravo ! www.cinema-star.com www.europa-cinemas.org

CASES EXPLOSÉES Entre art contemporain et BD, Jochen Gerner triture sans relâche la case et les mots. Dans Chloroforme-Mazout (à la nancéienne galerie My Monkey, du 7 février au 29 mars), les images sont construites à partir de dessins retravaillés. Deux options : le Mazout (l’encre) recouvre la planche ou le Chloroforme (la gomme), a contrario, la résume à un squelette graphique… Dans les deux cas, il s’agit de libérer l’image initiale de sa figuration première. www.mymonkey.fr

POSES ENDIABLÉES L’Union des Architectes Alsaciens se lâche en 2013 en offrant gratuitement un calendrier gentiment coquin (à récupérer au Croa, 5 rue Hannong à Strasbourg ou à demander à syndicatuaa@yahoo.fr). Pastiche des Dieux du stade, leur version met en scène des membres de l’association jouant de poses aguicheuses et d’outils professionnels. Sexy l’archi ! © Chrystel Lux

www.uaalsace.org Poly 155 Janvier / Février 13

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récital à deux pianos

ven. 18.01 20:30 DaviD SauDubray & romain DeScharmeS

starHlight

www.lacoupole.fr

03 89 70 03 13

N° de licence d’entrepreneur du spectacle : 1050935-936-937


BRÈVES

SAGA AFRICA

Soirée africaine à la Maison de l’Image de Strasbourg. En écho à l’expo de photos de Pieter Hugo (voir Poly n°154 ou sur www.poly.fr) à Stimultania, Vidéo Les Beaux Jours projette Cape Town Soup et Planet Joburg 1.1, jeudi 7 février à 19h. Deux ponts entre art, tradition et melting-pot sud-africain post Apartheid !. www.videolesbeauxjours.org

LE PASSÉ

Bijoux stylés, accessoires homemade ou pièces vestimentaires en série extra limitée… Après avoir passé trois années comme boutique éphémère et nomade, Hic & Nunc Store se pose pour de bon, 4 rue de la Brigade Alsace-Lorraine, près de la place d’Austerlitz à Strasbourg. À “shopper” loin des grandes enseignes : des créations de jeunes créateurs de Paris, Lyon, Lille ou de Strasbourg, des fringues signées Leon Rose Magma ou Lisa Pearl, des bijoux Nach ou des sacs de Sandrine Colin.

PRÉSENT

Jusqu’au 1er avril, le Musée de La Cour d’Or présente En Quête du passé, exposition sur l’archéologie préventive sur le territoire de Metz Métropole. Sont explorés les vestiges du passé de l’agglomération découverts au rythme des aménagements et des chantiers de construction. Depuis cinq ans, diagnostics et fouilles ont livré de nouveaux indices de l’occupation ancienne du territoire comme cette Statuette de Fortuna trouvée en 2009, place Mazelle. http://musee.metzmetropole.fr

www.hicetnunc-store.com

PETITE DISTRIBUTION

GOOD

VIBRATIONS © Gérard Coing / Service régional de l’Archéologie (Drac Lorraine)

Pour le trompettiste italien Enrico Rava, Miles Davis est un dieu. Il renda souvent hommage à son maître, sur disque ou en live. À Pôle Sud, vendredi 8 février, l’ombre de l’auteur de la BO d’Ascenseur pour l’échafaud planera forcément durant le concert de Rava, accompagné de quatre autres musiciens. À Strasbourg, le quintet fera groover son hard bop mâtiné de blues. www.pole-sud.fr Poly 155 Janvier / Février 13

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LES TRINITAIRES WWW.LESTRINITAIRES.COM

braisÉ AvEc lE mEyo P da our po nsEr ulE t

JANVIER

FÉVRIER

18 19H30 EPOPÉE MUSICALE 1 DISCUSSION AUTOUR DU LIVRE « DO IT YOURSELF! »

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21H00 RELEASE PARTY LE SINGE BLANC FATHER MURPHY HEADWAR

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20H00 HEARTBEAT PARADE MOUNT STEALTH MUTINY ON THE BOUNTY

21H00 THE SWAMP SAMO 19

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24

21H00 RELEASE PARTY PUISSANCE 12 CLUB BIZARRE CHLOÉ CATALEPSIA MORGAN HAMMER DAMON JEE 20H00 GET WELL SOON DENIS JONES 20H00 FESTIVAL MO’FO’13 JAMES PANTS HOLOGRAMS THOMAS BELHOM

25/26 20H00 FESTIVAL METAL HAUNTING THE CHAPEL 31

20H00 ROVER STEREOSTAR SIXTY NINE

12 20H13 J.DEMIERRE / O.LEE H.BOUBAKER / G.FOCCROULLE / S.LEBRAT 13 17H00 JEUNE PUBLIC SONS ET MERVEILLES POUR PETITES OREILLES FRANÇOIS HADJI-LAZARO 15 20H00 RELEASE PARTY FILIAMOTSA LA TERRE TREMBLE !!! 16

20H00 SIR SAMUEL MYSTICAL FAYA

18 20H00 DAN DEACON DEEP PURPLE RAIN MAN 20/21 20H00 LE MYTHE DE LÉLA FRITE KÂLI 23

20H00 FINALE BUZZ BOOSTER LORRAINE 2013

MARS 05

20H00 COLIN STETSON « SO I VOMIT OUT BROKEN BITS OF WORDS AND SYNTAXES »

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20H00 LA GÉOMETRIE VARIABLE MULTI-SET

09

20H00 LA MESS LA SECTE DU FUTUR THE ARCHITECT VS BEFOUR THE ELECTRONIC CONSPIRACY

14 21H00 BRANDT BRAUER FRICK FEAT. OM’MAS KEITH KOMPARCE

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21H00 RELEASE PARTY PUISSANCE 13 MARIE MADELEINE BARON RETIF ET CONCEPCION PEREZ CRCV FAIRHORNS

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20H00 MAI LAN

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20H00 FESTIVAL LES FEMMES S’EN MÊLENT 16 MOLLY GENE TALK NORMAL TEEN

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20H00 RELEASE PARTY ALEXANDRE MARTINEZ SYNTHESIS LOSCIL BINARY & DYSLEXIC DJ SET

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20H00 LESCOP MICHEL CLOUP DUO

16

20H00 RELEASE PARTY SURTR CHILDREN OF DOOM FATHER MERRIN

ET AUSSI

20H00 RELEASE PARTY THE FEELING OF LOVE FRUSTRATION CATHOLIC SPRAY

JEUDI COVER DAFT PUNK

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LES CAFÉS BAROQUES SOIRÉES JAZZ SPEED LABEL DATING ÉLECTROPHONE 28 GAËL FAYE


THE SILLY WALK

BRÈVES

© Socrates Mitsios

The Chap ? La rencontre entre Talking Heads et Monty Python, selon feu John Peel (le célèbre DJ de la BBC). Bien vu. Panimix proposera encore le croisement entre des dandies britanniques flegmatiques et des punks berlinois excités ; le mélange d’une convention de l’Internationale situationniste et d’une partie de Badaboum ; un mix entre une séance de fitness et une cuite au whisky ; l’hybridation impossible d’une sculpture de Jeff Koons et d’un aller simple sur Easy Jet. En concert vendredi 22 février, au Troc’afé strasbourgeois. www.facebook.com/panimix

Tété où ? Imposant son folk bluesy à souhait sur l’Hexagone depuis plus de dix ans, Tété fait une halte à l’Espace René Cassin de Bitche (57), samedi 16 février, et à La Laiterie (Strasbourg), vendredi 8 mars. Ce chanteur au nom syllabique né à Dakar connaît bien la région, ayant passé sa jeunesse dans l’Est de la France… avant de s’installer à Paris et de connaître la carrière que l’on sait. Les fans de ce Ben Harper made in France se rendront aux shows du musicien au chapeau. www.ville-bitche.fr www.laiterie.artefact.org

MONDOVINO

Respect du terroir, travail de la vigne, récolte du raisin… les Vignerons indépendants qui nous convient à leur salon strasbourgeois sont résolument engagés dans leur métier. Tokay Pinot Gris, Côte de Nuits-Villages, Floc de Gascogne ou Saint-Nicolas-de-Bourgueil : tous les meilleurs crus répondront à l’appel(lation), du 15 au 18 février, au Parc des Expositions du Wacken (Halls 20 et 21). Il ne s’agit ici pas seulement d’acheter de bonnes bouteilles, de se réapprovisionner en millésimes rares, mais aussi de déguster (voir, sentir et goûter… avec modération) et d’échanger. www.vigneron-independant.com

© Thomas Hirschhorn

HIRSCHHORN AIRLINES « J’utilise l’art comme un outil, un outil pour découvrir le monde, comme un outil pour me confronter à la réalité, et comme un outil pour examiner de manière approfondie l’époque dans laquelle nous vivons. Je suis un artiste, un ouvrier, un soldat. » Cette tirade est de l’artiste suisse Thomas Hirschhorn, auteur de la vaste installation Flugplatz Welt / World Airport qui occupe 400 m2 du Mudam (Luxembourg, jusqu’au 26 mai), un mini aéroport hyper complexe composé de matériaux cheap, symbole de la globalisation. www.mudam.lu Poly 155 Janvier / Février 13

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tHÉÂtRe À La FiLatuRe

l Ee Ss j e u n e s et aussi en FÉVRieR théâtre Danse « DeLHi » Ivan Viripaev – Galin Stoev musique West siDe stORY en COnCeRt

Leonard Bernstein, Stephen Sondheim – Jean Lacornerie danse VORteX Cie Non Nova

sCène natiOnaLe – MuLHOuse – t +33 (0)3 89 36 28 28 – WWW.LaFiLatuRe.ORg

Création graphique : Atelier 25

David Lescot Du MaRDi 12 au JeuDi 14 FÉVRieR 2013


AU TRAVAIL

BRÈVES

Photographe français majeur, Claude Dityvon (19372008), co-fondateur de l’Agence VIVA en 1972, affirmait, en guise de manifeste : « Tout en recherchant l’épure, j’essaye de transmettre et de donner de l’émerveillement, de la beauté, aussi infime soitelle ». Illustration en est proposée à Bischheim, à la Cour des Boecklin avec une exposition intitulée Un Monde oublié (jusqu’au 24 février). Avec pour

À DEMI-MO’ Le festival indé parisien Mo’Fo débarque à Metz, aux Trinitaires, jeudi 24 janvier, pour une soirée préfigurant le festival qui aura lieu à Main d’Œuvres, en Seine-Saint-Denis, du 25 au 27 janvier (avec Stereo Total, The Feeling Of Love…). Lors de cet avant-goût sont conviés la synth-pop d’Holograms, le hip-hop US déviant de James Pants (une signature Stones Throw) ou la pop jazzesque et addictive de ce proche de Tindersticks, Thomas Belhom, batteur aux doigts d’or.

www.ville-bischheim.fr

UN VIOLONCELLE

SOLAIRE

© Marco Borggreve

www.lestrinitaires.com

Thomas Belhom © Jôrg Koopmann

thème central l’homme au travail, elle présente des images en noir et blanc aux somptueuses compositions : jeux d’ombres et de lumières, reflets, rapport entre les formes… Enfants qui travaillent à la mine, usines enfumées, métallos à l’œuvre, scènes de fenaisons… Il n’y a là aucune nostalgie, mais un rapport d’une grande tendresse au monde.

Elle est une des plus grandes violoncellistes au monde, alliant une technique surnaturelle et une émotion à fleur de peau : Sol Gabetta est en concert à La Coupole de Saint-Louis (jeudi 7 février) avec le Kammerorchester Basel placé sous la direction experte de Mario Venzago. Au programme des œuvres de Schoeck, Chostakovitch (son Concerto pour violoncelle n°1) et Schubert. On la retrouvera le 27 janvier à la Philharmonie du Luxembourg et le 9 février au Konzerthaus de Freiburg. www.lacoupole.fr www.philharmonie.lu www.konzerthaus.freiburg.de

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JoRge PeRis

TamaRis Conception médiapop + STARHLIGHT

Jorge Peris, Tamaris, 2012

Photographe : José Peris

Du 16 NovemBRe 2012 2013 au 1o maRs

Musée du château des ducs de Wurtemberg


BRÈVES

RADIO SALONE @ Zach Smith

La musique des Sierra Leone’s Refugee All Stars – mélange entre reggae old school, dub hypnotique, soul, sonorités marimba ou musique traditionnelle ouest-africaine – est une véritable thérapie pour les musiciens. Elle permet de transcender la guerre civile qui frappa leur pays, et les horreurs qu’elle entraîna. C’est donc un message de paix et d’optimisme que délivrera ce groupe de légende, jeudi 24 janvier à L’Espace Django Reinhardt strasbourgeois. www.strasbourg.eu

POUVOIR AU POÈTE !

Guillaume Delaveau (en photo), ancien pensionnaire de l’École du TNS, crée Torquato Tasso sur les planches de la Comédie de l’Est (Colmar). Ce drame tiré de l’œuvre de Goethe. Le portrait en miroir du poète, confronté aux mœurs et carcans de la Cour, loué pour son génie et honnie pour sa différence, son exigence et la radicalité de son art. Vous avez du 29 janvier au 8 février pour ne pas la rater.

© Alexandre Marchi

www.comedie-est.com

FAUTEUILS

D’ORCHESTRE

Le comédien Clovis Cornillac s’empare de La Contrebasse de Patrick Süskind, célèbre auteur du Parfum. Cornillac reprend le flambeau de Jacques Villeret, se livrant, seul sur scène, au monologue tragi-comique d’un contrebassiste déclarant sa flamme à son instrument… et dévoilant ses failles, en tant qu’artiste, en tant qu’homme. Mardi 12 février à L’Ensemble Poirel de Nancy.

RIDEAU !

Jusqu’au 30 janvier, La Maison de la Région Alsace rend hommage à un homme de théâtre décédé il y a deux ans exactement, Paul Sonnendrücker. Films, photos et écrits sont exposés pour nous éclairer quant à cette « grande figure de la culture théâtrale alsacienne » née en 1921 qui a créé la Troupe des Comédiens du Rhin, en 1958. Ces derniers nous convient à une lecture de textes, jeudi 24 janvier à 19h. www.region-alsace.eu

www.poirel.nancy.fr Poly 155 Janvier / Février 13

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sommaire

20 Nouveaux venus, Abdellah Karroum à La Kunsthalle de Mulhouse et Elfi Turpin au Crac Alsace

24 Le fabuleux destin du Kombi Volkswagen : un docu de Claudia Marschal

28 Sylvain Huc et sa version trash du Petit chaperon rouge 30 Hommage au grand peintre Loutherbourg 32 Le festival Momix de Kingersheim, tour d’horizon des

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plus belles propositions artistiques jeune public

36 Gisèle Vienne puissance 4 : la metteuse en scène est au Maillon, à Pôle Sud, au TJP et à l’Opéra de Nancy

40 Les cultures du Sud sont à La Filature avec le Festival les Vagamondes

43 Éric Bouvron présente son Bushman au festival

Décalages programmé par les Scènes du Nord-Alsace

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44 Sylvain Maurice crée Métamorphose d’après Kafka,

une expérience fantastique à grand renfort de vidéo

54 Entretien avec Mathieu Boogaerts qui fait doucement swinger la chanson made in France

58 Promenade au cœur de la mémoire sur le champ de bataille du Hartmannswillerkopf

64 Le Printemps de Strasbourg se pare d’aluminium et de verre : un projet de Christian Biecher

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COUVERTURE « Nous vivons des moments houleux, mais c’est normal de se disputer lorsqu’on fait des choses qui nous tiennent à cœur, avec des intérêts communs… surtout si l’un des deux – en l’occurrence moi – a un sale caractère », nous avoua Nili, moitié féminine de Lilly Wood & The Prick (voir page 66), lors de notre rencontre au Sofitel strasbourgeois avec le groupe pop. Pas de prise de bec, ni de crêpage de chignon, mais une réelle complicité entre les deux qui se sont très volontiers prêtés au jeu des questions / réponses, et du portrait devant l’objectif (et le flash aveuglant mais capricieux) de notre photographe Benoît Linder.

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Polyen155 Janvier / Février 13  Tarifs12 valables France métropolitaine. Autres destinations nous consulter.

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Foire d´art moderne et contemporain 7 au 10 mars 2013 Messe Karlsruhe www.art-karlsruhe.de


OURS / ILS FONT POLY

Emmanuel Dosda Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une dizaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren. emmanuel.dosda@poly.fr

Ours

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Marion Fayolle Elle est auteure de trois livres : L’homme en pièces paru en octobre 2011 aux Éditions Michel Lagarde, Le tableau publié en Juin 2012 par Julien Magnani et Nappe comme Neige, un abécédaire qui vient de paraître aux Éditions Notari. http://marionfayolle.canalblog.com

Thomas Flagel Théâtre moldave, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs algériens… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes depuis quatre ans dans Poly. thomas.flagel@poly.fr

Dorothée Lachmann Née dans le Val de Villé cher à Roger Siffer, mulhousienne d’adoption, elle écrit pour le plaisir des traits d’union et des points de suspension. Et puis aussi pour le frisson du rideau qui se lève, ensuite, quand s’éteint la lumière. dorothee.lachmann@poly.fr

Benoît Linder Cet habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma poursuit un travail d’auteur qui oscille entre temps suspendus et grands nulles parts modernes. www.benoit-linder-photographe.com

Stéphane Louis Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. www.stephanelouis.com

Happy couple, Ljubljana, 2012 © Hervé Lévy

www.poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49 Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Rédacteurs Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Dorothée Lachmann / dorothee.lachmann@poly.fr Ont participé à ce numéro Catherine Jordy, Henry Greiner, Charlotte Lagrange, Pierre Reichert, Irina Schrag, Daniel Vogel et Raphaël Zimmermann Graphiste Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly © Poly 2013. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. ADMINISTRATION / publicité Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr

Éric Meyer Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. http://ericaerodyne.blogspot.com/

Administration, gestion, diffusion, abonnements : 03 90 22 93 38 Gwenaëlle Lecointe / gwenaelle.lecointe@bkn.fr Nathalie Hemmendinger / nathalie.hemmendinger@bkn.fr Publicité : 03 90 22 93 36 Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Françoise Kayser / francoise.kayser@bkn.fr Vincent Nebois / vincent.nebois@bkn.fr Magazine mensuel édité par BKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100 000 e 16 rue Édouard Teutsch – 67000 STRASBOURG Dépôt légal : Janvier 2013 SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130 Impression : CE

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COMMUNICATION BKN Éditeur / BKN Studio – www.bkn.fr


musique contemporaine à l’Auditorium des Musées De nombreux concerts à découvrir en 2013 ! classiques de la modernité musicale, expérimentation sonore et création électroacoustique Jeudi 17 janvier 2013 à 20h Les Solistes de l’Ensemble intercontemporain L’Ensemble intercontemporain a été créé par Pierre Boulez en 1976. Le programme de ce concert revient sur quelques grandes compositions de la modernité, autour de Varèse, de Berio et de Ligeti. Jeudi 31 janvier 2013 à 20h Xenia Pestova Xenia Pestova et Paul Clouvel proposent de découvrir le répertoire pour piano et électroacoustique souvent méconnu. Des pièces de Normandeau et Jodlovsky, de Sebastien Béranger et Celia Eid et deux créations mondiales de Katherine Normann et Frances White spécialement composées pour l’occasion.

performances autour de la musique contemporaine, musique classique et musiques actuelles de recherche Jeudi 24 janvier 2013 à 19h Peter Rehberg (concert-performance) Autour de « Gisèle Vienne à Strasbourg ». L’écrivain Dennis Cooper et le musicien expérimental Peter Rehberg revisitent I Apologize, le spectacle créé en 2004 par Gisèle Vienne, œuvre à laquelle ils ont collaboré. Peter Rehberg est dès les années 1990 l’un des pionniers de l’utilisation d’ordinateurs portables pour des performances sonores. Tarif : 10 e (réduit : 6,50 e)

Plus d’informations sur www.musees.strasbourg.eu Auditorium des Musées Musée d’Art moderne et contemporain 1, place Hans-Jean-Arp, 67000 Strasbourg t. 03 88 23 31 31


ÉDITO

2014 en 2013 Par Hervé Lévy Illustration signée Éric Meyer pour Poly

P

renez une ville d’importance moyenne située dans une région en déclin industriel, implantez-y un équipement culturel majeur – un musée, au hasard – à l’architecture sexy et audacieuse. Laissez un peu infuser. Voilà la recette de ce qu’il est désormais convenu d’appeler “effet Bilbao”. Pour la cité basque, les retombées économiques générées par l’implantation du Guggenheim ont été pharaoniques et son image s’est vue métamorphosée. Metz, avec la première antenne décentralisée du Centre Pompidou (475 000 visiteurs en 2012) est en train de suivre le même chemin (Lens se dirige-t-il dans une même direction ? Wait and see…). Selon une étude coordonnée par le cabinet Kurt Salmon, toute la métropole lorraine a en effet bénéficié de cet afflux (hausse de la fréquentation de la cathédrale de 50%, augmentation du nombre

des nuitées dans les hôtels, etc.)… en profitant pour s’offrir un lifting architectural. Cas particulier dans l’Est de la France, Metz est néanmoins la preuve qu’il est possible, grâce à un levier culturel puissant, de générer des emplois et d’accroitre considérablement le rayonnement d’une ville. Il est évident qu’il est irréaliste d’installer des établissements aussi importants partout. Un autre moyen d’obtenir un effet similaire est de devenir Capitale européenne de la Culture (souvenons-nous de Lille 2004) : depuis l’échec de la candidature de Strasbourg pour 2013 – au profit de Marseille – on a le sentiment que la capitale alsacienne s’est transformée en “belle endormie”. De nombreux acteurs culturels, le plus souvent loin des micros et des caméras, ont la dent dure… Certains vantent le dynamisme de Mulhouse et louent la décision colmarienne d’agrandir Unterlinden. D’autres jettent des regards envieux vers Luxembourg et Bâle. Reste qu’avec ses institutions de premier plan (TNS, Maillon, OPS, Musées…), son budget conséquent dédié au secteur (avec près de 25% du total, la Ville est en pointe), ses forces vives bouillonnantes, il ne manque pas grand chose à Strasbourg pour retrouver son lustre. Un événement marquant, par exemple, puisque de nouvel opéra il n’y aura pas, crise oblige (une rénovation indispensable de 40 millions d’euros est néanmoins programmée). Ce serpent de mer prendra peut-être la forme d’un festival de musique – le plus vieux de France – revivifié après le départ annoncé de Harry Lapp. Qui sait… Reste que nous sommes en 2013, c’est à dire déjà, pour les politiques qui préparent leur (ré)élection en 2014, l’année des Municipales. La culture, trop souvent la grande absente du débat public, pourrait s’inviter en son cœur bien plus qu’aux Présidentielles étant entendu qu’elle est, à la fois, vecteur d’emploi et génératrice d’image. Nous espérons simplement que, de Strasbourg à Nancy, en passant par Metz, Montbéliard et Mulhouse, personne ne l’oubliera.

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DANSE, MUSIQUE, THÉÂTRE / FRANCE

THIS IS HOW YOU WILL DISAPPEAR GISÈLE VIENNE

DANS LE CADRE DE L’ÉVÉNEMENT GISÈLE VIENNE à STRASbOURG PRÉSENTÉ PAR LE MAILLON, PôLE SUD, LE TJP-CDN D’ALSACE ET LES MUSÉES DE LA VILLE DE STRASbOURG

www.maillon.EU

03 88 27 61 81 | facEbook.com/lEmaillon

Photo © Seldon Hunt

MER 30 + JEU 31 JANVIER / 20H30 MAILLON-WACKEN


LIVRES – BD – CD – DVD

ARTY AGENDA Voilà un objet botanico-artistique étrange et excitant : l’agenda / bulletin 2013 du collectif lorrain Viele Stück (fondé en 2010 par des étudiants de l’École nationale supérieure d’Art de Nancy). Intitulé Les Plantes fantômes, cet ouvrage de 246 pages rassemble les réponses d’une vingtaine d’artistes à une question inspirée de La Carte d’après nature, revue dirigée par René Magritte dans les années 1950 : quel est notre espoir et quelle est sa valeur ? Il s’agit d’une étude botanique de nos déserts et de nos rêves en douze chapitres / mois où s’enchevêtrent les mots et les images. Assurément, le plus chic des agendas 2013. (R.Z.) Les Plantes fantômes est édité par Viele Stück (15 €). En vente notamment à la galerie nancéienne My Monkey (15, rue du Faubourg des 3 Maisons) – www.vielestuck.com

DÉVORANTES PASSIONS Comme on part, comme on reste est de ces romans si proche de la pellicule qu’on se demande si Mariano Siskind n’est pas une réincarnation bienheureuse d’Howard Hawks, version L’impossible Monsieur Bébé, où scintillent les femmes. L’air de ne pas y toucher, les dialogues sont incroyables, la finesse du détail et l’acuité des traits de pensée soutenus par un humour sans faille. Cette nouvelle découverte argentine des édi-

tions strasbourgeoise La Dernière goutte nous transporte au cœur de Buenos Aires, dans les pensées de Meyer, traducteur des films des Marx Brothers, amoureux incompris et obnubilé par une jeune première – la belle Marilyn dont il invente notamment de cocasses séances psy chez son Rabbin – partie depuis leur rencontre à Hollywood. Lorsque Meyer cesse ses rêveries, l’écrivain le replonge dans la dure réalité, celle à laquelle n’échappent ni les mendiants crassement débrouillards, ni les kiosquiers énervés et malintentionnés du quartier populaire de l’Abasto. (T.F.) Mariano Siskind, Comme on part, comme on reste, éditions La Dernière goutte (18 €) – www.ladernieregoutte.fr

“BIBELE”

DEVIENDRA GRAND Évelyne Kesselring Ravidat est la cousine germaine d’Alain Baschung… avec un “c” que le chanteur ôtera pour se faire un nom de scène. Elle a fouillé dans les archives familiales, trié souvenirs, cartes postales et photos pour les rassembler dans un ouvrage touchant et intime. Son livre se compose essentiellement de lettres – comme autant de chapitres – qu’elle adresse à Oma et Opa, à Joséphine, Maria et Roger, boulanger et père adoptif d’Alain (un arbre généalogique permet de s’y retrouver). Chacune raconte la future star, notamment son enfance à Wingersheim chez des grands-parents qui bercent leurs petits-enfants en chantonnant “Nina, pupele, koch dem kind den supele” et considérent le jazz comme une « musique du diable ». C’est en évoluant dans ce milieu à la fois traditionnel et bienveillant, décrit par une auteure persuadée que nos vies ressemblent « à des voyages plus ou moins chargés de valises », que Baschung deviendra Bashung. (E.D.) Lettres aux Résidents Baschung, paru aux éditions Lilavril (16,50 €)

www.editionslilavril.fr

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Alain Baschung à l’âge de trois ans


LIVRES – BD – CD – DVD

STRASBOURG

1900

Voilà la première monographie dédiée à un séduisant artiste alsacien, Paul Braunagel (1873-1954) : en 280 pages (agrémentées de quelque 500 photographies et illustrations), Patrick Hamm nous fait connaître, à travers affiches, publicités et dessins satiriques, un créateur un tantinet oublié aujourd’hui. Auteur de l’enseigne du Musée alsacien, d’illustrations dans lesquelles le folklore rencontre l’insouciance des années 1900, de dessins satiriques où il brocarde avec humour et finesse les Allemands (notamment dans la revue étudiante francophile H2S) ou d’affiches dans l’esprit de ToulouseLautrec, son modèle revendiqué, il fut un éminent représentant de l’esprit alsacien au début du XXe siècle. Ce membre du fameux Groupe de Saint-Léonard décida malheureusement de cesser toute activité artistique en 1915. (H.L.)

I GOT THE

BLUES

Paul Braunagel est paru chez Vent d’Est (39 €) www.ventdest-editions.com

Après Crack Park, premier album infernal de DJ Fost (voir Poly n°136 ou sur www.poly.fr), le Strasbourgeois sampleur et sans reproche balance une galette sept titres, un vinyle old school où s’empilent les échantillons musicaux pillés dans la discothèque fostienne : complaintes gospel (Lord answer your Child this Day de Barbara Shaw et Leroy Kirkland), mélodies jazzy (du trompettiste Lester Bowie), bandes originales de films (Michel Legrand) ou airs de classique… Des instrus se référant à l’âge d’or du hip-hop, sur lesquels s’invitent les lyrics de l’Américain Mark Deez (U know what I want), du Parisien KroK (J’ai le blues) ou encore le géant Sadat X (Cross the Lane). Une belle brochette de rappeurs internationaux pour un disque à l’ancienne plein de spleen, un sérum magique qui remet sur pied le rap des nineties. Fost a-t-il encore pactisé avec le diable ? (E.D.) Sérum de samples, Antipod (12 €, en vente à la Fnac et chez Virgin à Strasbourg ainsi que sur les plateformes de téléchargement) www.myspace.com/droolingbeatbastardz

SOLO PIANO Abstraite, colorée mais tachée de noir. La pochette du six titres de Jean-René Mourot, artiste formé au Conservatoire de Nancy, donne un parfait aperçu de sa musique, fluide et contrastée. Écrits ou improvisés au Musée Würth d’Erstein, les morceaux du pianiste strasbourgeois influencé par la grâce de Bill Evans sont limpides et libres. Ces enregistrements solo, menant sur les

chemins tracés par Claude Debussy ou Erik Satie, nous offrent une Ballade, un Interlude ou encore une Échauffourée d’une belle simplicité. Car si le très polyvalent Jean-René Mourot se frotte volontiers à des genres très différents, du classique au rock en passant par le jazz, il a ici resserré le propos. Un disque sans fioritures ni bavardages. (E.D.) CD de Jean-René Mourot (à se procurer sur le site de l’artiste, 5 €), autoproduit et soutenu par l’Agence artistique Bigel www.agenceartistiquebigel.com www.jeanrenemourot.com

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ART CONTEMPORAIN

arrête-moi si tu peux Un jour ici, le lendemain à l’autre bout du monde, Abdellah Karroum est le nouveau commissaire associé à La Kunsthalle de Mulhouse. Portrait d’un homme posé… qui ne tient pas en place. Georges Pompidou à Paris) ou le Marocain mounir fatmi2. Abdellah Karroum : « L’Appartement 22 est situé avenue Mohamed V, au cœur de Rabat, devant le Parlement. Bien avant le Printemps arabe, chaque jour, des groupes de femmes, d’étudiants ou de chômeurs venaient manifester. Les artistes ont vécu toutes les évolutions, les tentatives des différents pouvoirs à adopter des systèmes afin de rester le plus longtemps en place. Ils ont proposé des solutions, ont participé activement au mouvement en s’exprimant dans la rue. »

Par Emmanuel Dosda Photo de Baptiste de Ville d’Avray / Hans Lucas

Sous nos yeux (partie 1), du 14 février au 21 avril, à La Kunsthalle de Mulhouse 03 69 77 66 47 www.kunsthallemulhouse.com

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www.appartement22.com

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Voir Poly n°151 ou sur www.poly.fr

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ans le TGV ou l’avion ? À Cotonou, Rabat ou Paris, trois villes où il « vit et travaille » ? Né en 1970 au Nord du Maroc, Abdellah Karroum est sans cesse sur les routes, cherchant à « construire des ponts entre le Nord et le Sud africain, trop peu connectés », et relier l’Europe à l’Afrique. Après des études à Bordeaux, il fonde l’Appartement 221 au début des années 2000, à Rabat. Un lieu alternatif d’expositions et de médiation, répondant à un déficit d’investissements des pouvoirs publics dans la culture. Il s’agit d’un espace physique, médiatique (RadioApartment22) et éditorial. Un « programme international » autour duquel gravitent des artistes « de la génération 00 », apparus dans les années 2000, qui produisent « un art de critique sociale et sont témoins des transitions politiques ». Parmi eux, l’Algérien Adel Abdessemed (récemment exposé au Centre

Même s’il a déjà « expérimenté » des institutions comme le Musée d’Art contemporain de Bordeaux, comment celui qui a pour habitude d’organiser des actions artistiques au fin fond du Cercle polaire ou dans des souks marocains, perçoit-il la Kunsthalle ? « Ce lieu industriel transformé en Centre d’Art et en Université, à la frontière entre plusieurs pays, permettra des rencontres et discussions, notamment avec des universitaires, et des collaborations avec Radio Campus, présente sur le site de la Fonderie. » La première proposition signée du curateur indépendant se nomme Sous nos yeux. Se déployant en plusieurs chapitres, elle questionne la notion même d’exposition. « Comment montrer, dans un espace fermé, des œuvres créées dans un contexte particulier ? » Sous nos yeux (partie 1) convie par exemple Gabriella Ciancimino, plasticienne italienne qui a travaillé dans le Rif sur le concept de “fleurs résistantes”. « Elle a accompagné une coopérative de femmes faisant du commerce équitable en collectant des fleurs aromatiques sauvages qui poussent dans des zones arides. Comme les plantes, elles “résistent” dans une région très masculine », ajoute Abdellah Karroum, avant de s’envoler pour le Bénin.


ART CONTEMPORAIN

cas d’école Après avoir beaucoup bourlingué un peu partout dans le monde, Elfi Turpin devient directrice du Crac Alsace, heureuse de poser ses valises dans cet ancien lycée, afin de « construire un projet sur un territoire et sur la durée ».

Par Emmanuel Dosda Photo de Stéphane Louis pour Poly

Crac Alsace à Altkirch 03 89 08 82 59 www.cracalsace.com

Prochaine exposition du 17 février au 5 mai : Grundfrage (Question fondamentale), carte blanche aux deux commissaires indépendants viennois Severin Dünser et Christian Kobald, fondateurs de la Kunstverein COCO-Vienna

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www.criee.org

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www.glassbox.fr

La première exposition d’Elfi Turpin au Crac aura lieu en juin. Réunissant des artistes français et internationaux, elle « permettra d’apercevoir différentes préoccupations qui vont nourrir le programme des années à venir »

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est la première fois que j’ai un bureau », annonce-t-elle fièrement dans une pièce quasiment vide. Pas pressée de vider ses cartons, la nouvelle directrice « prend la température »… plutôt basse en ce mois de décembre. Sophie Kaplan ayant décidé de vivre de nouvelles aventures à Rennes, au Centre d’Art La Criée1, le Crac a choisi celle qui, après des études d’Histoire de l’Art à Dijon, développe vite une pratique de la critique, notamment en collaborant au magazine Standard. En 2003, invitée à rejoindre l’équipe bénévole de Glassbox2, espace indépendant fondé par des artistes à Paris, elle fait « l’apprentissage du commissariat d’exposition. À l’époque, dans les années 1990, il n’y avait pas de lieux intermédiaires entre la sortie des écoles d’art et les institutions. À Glassbox, on travaillait avec des moyens modestes, en repensant l’économie de l’art. » Elle devient commissaire indépendante en 2008. Résidences, expositions, éditions, performances, workshops, conférences… à Bourges (La Box, espace lié à l’École nationale supérieure d’Art), Lyon (Les Subsistances), Marseille (Astérides à la Friche la Belle de Mai), Genève (à la Haute école d’Art et de Design) ou même au Brésil, notamment lors la Biennale de São Paulo. Durant cette période « intense », la jeune femme fait « l’expérience de plusieurs situations artistiques » et « récolte des connaissances », notamment des plasticiens, dont certains, comme Jean-

Pascal Flavien ou Seulgi Lee, qui ont déjà été présentés au Crac. Elfi Turpin trouve le Centre rhénan d’Art contemporain « très inspirant », avec ses grands espaces « modulables » et sa situation géographique « enviable », à proximité de la Suisse et de l’Allemagne. Elle projette de convier de jeunes pousses, mais pas seulement. Avec, par année, deux à trois expositions collectives réunissant « des artistes de scènes et de générations différentes » et une expo monographique, elle compte travailler sur le long terme avec des plasticiens qui n’ont pas encore eu l’occasion de s’exposer en France. Photo, vidéo, peinture… qu’importe le médium. Elfi Turpin s’intéresse particulièrement aux artistes étant « dans une réinterprétation poétique du réel ». La nouvelle directrice ne sera pas “en rupture” avec Sophie Kaplan : pour elle aussi, « le rapport sensible à l’art est très important ». Les saisons, émaillées de rencontres, des formats discursifs, de performances ou de concerts, seront riches en activités pédagogiques. La question de l’éducation à l’art et la notion de médiation devraient être abordées lors d’expositions3. « Comment les artistes se saisissent de l’idée de transmission, du documentaire ? Cette problématique est importante », affirme Elfi Turpin alors qu’une horde d’élèves pénètre bruyamment dans l’ancienne école.

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MUSÉES

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passeport pour la culture Expérience unique, le PASS Musées est le seul dispositif de ce type possédant un caractère transfrontalier (allemand, français et suisse). Début 2013, il débarque en Lorraine ! Par Hervé Lévy

www.passmusees.com

Légendes photos 1. Musée Porsche, à Stuttgart © Porsche AG 2. Centre Pompidou-Metz © Shigeru Ban Architects Europe et Jean de Gastines Architectes, avec Philip Gumuchdjian pour la conception du projet lauréat du concours / Metz Métropole / Centre Pompidou-Metz

Les chiffres de l’année passée ne sont pas encore connus à l’heure où nous mettons sous presse

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éré par l’association du Passeport des Musées du Rhin supérieur et officiellement lancé le 1er juillet 1999, le PASS Musées, projet culturel transfrontalier initié par la Conférence du Rhin Supérieur (intégralement autofinancé, il ne bénéficie plus d’un seul denier public depuis juin 2002), a vécu une étape importante dans son développement au début de l’année. Après la FrancheComté et la région de Stuttgart, en 2012, il vient en effet de connaître une nouvelle extension géographique en direction de la Lorraine, lui permettant de sortir, encore plus nettement, de sa zone géographique originelle, le Rhin supérieur. Le dispositif rassemble ainsi 25 nouveaux membres, dont la Cité de l’image d’Épinal, le Musée de l’École de Nancy, le Musée de la lutherie et de l’archeterie françaises à Mirecourt ou encore le Centre Pompidou-Metz. Le PASS devient un véritable sésame, « valable dans plus de 250 musées, châteaux, jardins et monastères en France, en Allemagne et en Suisse. Un excellent moyen de permettre au plus grand nombre d’accéder à la culture », explique son directeur, Gilles Meyer. Aujourd’hui, pour 79 €, son titulaire (accompagné d’au plus cinq enfants de moins de 18 ans) a la possibilité de visiter gratuitement les établissements partenaires pendant

un an (ainsi que les expositions temporaires qu’ils présentent) et de bénéficier d’avantages tarifaires intéressants auprès de structures culturelles comme La Filature de Mulhouse, le Théâtre national de Strasbourg ou le Badisches Staatstheater de Karlsruhe. Cette formule a séduit un peu plus de 35 000 personnes en 2011 (15 000 en Allemagne et 14 000 en Suisse, contre 6 000 seulement dans l’Hexagone… Français, encore un effort) et 38 000 (espérées) en 2012* chacun visitant en moyenne dix sites par an. Cette opportunité a en outre « contribué à modifier considérablement les comportements des visiteurs, puisque plus de 60% des détenteurs du PASS vont voir la même exposition plusieurs fois. Existe également un important “effet découverte” qui incite de nombreuses personnes à visiter des sites où elles ne seraient jamais allées. » Et demain ? « Pourquoi ne pas continuer à pousser les frontières ? » répond Gilles Meyer, dans un sourire. Destination, sans doute, le Luxembourg (pour un quatrième pays), l’intégralité de la Suisse, la Sarre, le coin du Lac de Constance… C’est bien connu, la culture ne connaît pas de limites géographiques.


C D E 12 /13 29.1 – 8.2 Torquato Tasso

Torquato Tasso est un poète insurgé, un individu génial, inapte à la mesure. Poète de la Renaissance, Le Tasse accepte l’invitation d’un aristocrate, le Duc de Ferrare, amateur éclairé, et s’éprend de sa sœur. à la cour, le génie fascine mais la liberté de l’homme dérange au point qu’on l’enferme pour le faire taire. Que devient sa liberté d’artiste face à une société qui cherche à l’assujettir ? à la fois adulé et exclu, inadapté aux règles de l’amour et à l’atmosphère asphyxiante du palais, le poète sombre dans la folie. Condensée en une journée et un lieu, la tragédie met à nu, dans une langue sublime, les liens toxiques entre l’artiste et les réalités impitoyables du pouvoir. Une pièce sublime et passionnante qui n’a rien perdu de son actualité.

De Johann Wolfgang von Goethe Mise en scène : Guillaume Delaveau

Avec : Maxime Dambrin Ivan Hérisson Régis Laroche Océane Mozas Violaine Schwartz

Comédie De l’Est Centre dramatique national d’Alsace Direction : Guy Pierre Couleau

Réservation : 03 89 24 31 78 www.comedie-est.com 6 route d’Ingersheim 68027 Colmar


DOCUMENTAIRE

i am kombi La jeune réalisatrice Claudia Marschal signe un documentaire autour du fabuleux destin du Kombi Volkswagen, camionnette utilitaire devenue symbole d’un style de vie épris de liberté.

Par Thomas Flagel

L’Increvable Combi VW, vendredi 18 janvier à 10h10, sur France 5 www.france5.fr www.vimeo.com/claudia marschal

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trasbourgeoise de cœur, Claudia a vécu aux quatre coins du monde avec ses parents qui déménageaient tous les deux ans. En découle un amour pour les « histoires d’ailleurs, particulières mais parlant du monde dans son entier ». Quand sa productrice Agnès Trintzius lui propose un sujet « pop à traiter d’une manière pop », la cinéaste pense aux Kombis, ancêtres du camping-car. Après des appels à témoins et quelques rencontres avec des passionnés, elle découvre à quel point « ces premières “maisons mobiles” réveillent les souvenirs. Les anciens comme les actuels utilisateurs de ces véhicules entretiennent un rapport affectif avec lui. » Mais pas question de réaliser un film de spécialiste en penchant du côté des aficionados des communautés actives et internationales des Kombis VW réunissant aussi bien d’anciens hippies que des amateurs de tuning. Claudia leur préfère des histoires individuelles, au gré de ses rencontres, récupérant témoignages, anecdotes mais aussi vieille photos et films Super 8 à intégrer au sien : L’Increvable Combi VW. 16mm et 35mm se mêlent habilement à des illustrations animées pour nous faire découvrir les différentes vies de “Monsieur Kombi”,

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incarné par une voix off narrant ses aventures à travers les continents. De sa création en Allemagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à ses dernières chaînes de production au Brésil, s’arrêtant en 2013, ce sont de multiples manières d’envisager le véhicule et donc sa propre vie qui se dévoilent : des hippies post-sixties pour lesquels il est une capsule spatiotemporelle aménageable synonyme de liberté et d’une époque révolue aux Africains bricolos de Kinshasa dans les mains desquels les Kombis, même anciens, ne souffrent pas le nombre des kilomètres, en passant par les hordes de bobos, de collectionneurs ou d’amoureux du vintage rénovant avec un goût prononcé pour le kitsch des antiquités aux consommations d’essence indigestes et aux pannes fréquentes. Il est loin le temps où le Kombi Station Wagon inspiré, comme le montre un film promotionnel d’époque, d’une boîte à chaussures dans laquelle il suffisait de découper portes, fenêtres et toits ouvrants était bon marché. Aujourd’hui, les pièces détachées se vendent à prix d’or et même les Brésiliens qui l’utilisent comme utilitaires dans les entreprises, les derniers à le produire, jettent l’éponge. Peu importe. Le Kombi reste une incroyable boîte à souvenirs personnels. Un gage d’éternité.


recadrage

c.o.i de neuf ? Pour sa première saison à la tête du TJP, Renaud Herbin fait face à quelques polémistes lui reprochant notamment le remplacement des ateliers théâtre par des chantiers corps-objetimage, en lien avec les artistes invités et les spectacles programmés. État des lieux.

Par Thomas Flagel Photo d’Irina Schrag

Chantiers Pour C.O.I ? (+16 ans), deux samedis par mois, de 10h à 13h et de 14h à 17h & C.O.I Jouer ? (dès 6 ans), mercredi de 14h à 17h avec goûter

Week-End Montage Démontage Signaux, au TJP – Petite Scène (dès 14 ans), à Strasbourg, du 25 au 27 janvier Petites âmes, au TJP – Grande Scène (dès 10 ans), à Strasbourg, du 25 au 27 janvier 03 88 35 70 10 www.tjp-strasbourg.com www.forumeuropeen debioethique.eu

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e nouveau directeur du TJP n’aura guère eu de répit. Quelques mois après son arrivée, Renaud Herbin a été cueilli à froid par une poignée de réfractaires au changement. Déjà échaudés par l’abandon du terme Théâtre Jeune Public au profit du seul sigle TJP, voilà que des parents d’ados qui participaient aux ateliers mis en place précédemment se sont insurgés, avec le soutien un brin polémiste d’une partie de nos confrères journalistes, de leur remplacement par des chantiers thématiques. L’artillerie lourde est déployée et fait feu de tout bois : pétition sur Internet et courriers aux tutelles publiques (Maire de Strasbourg, adjoint en charge de l’action culturelle, président de la Région et du Conseil général, au Drac et à la Ministre de la Culture). Le tout relayé avec zèle par la presse locale. Mais que reproche-t-on au juste à Renaud Herbin ? De déployer le projet pour lequel il a été nommé, liant programmation artistique et chantiers de pratique à destination des amateurs dans lesquels interviennent, au gré de leur disponibilité, les artistes invités à présenter leur spectacle ? Le public accueilli a été multiplié par quatre avec la création de

chantiers à l’année, pensés comme « des expérimentations, avec différents intervenants, autour de thématiques mêlant le corps, l’objet et l’image, en phase avec les nouvelles pratiques du TJP » mais aussi ponctuels à grands renforts de partenariats avec d’autres structures (Corpus Sanum avec Vidéo Les Beaux Jours et Passeurs d’images ou Il est être une fois, autour du conte et de sa performance). Peut-être est-ce la mise sur pieds des “WeekEnd TJP” ouvrant le Théâtre à tous comme rarement qui attire les foudres ? Ces temps forts rythmant la saison avec divers événements sur trois jours (rencontres, présentations de petites formes ou d’étapes de création) créent des passerelles autour de la programmation, des artistes et des chantiers de pratique en cours. Le prochain, Montage Démontage se tiendra du 25 au 27 janvier, en lien avec le 3e Forum européen de Bioéthique autour du « Corps humain en pièces détachées » et les spectacles norvégien Signaux de la Cie Plexus Solaire et portugais Petites âmes de Mécanika. Les temps changent, n’en déplaisent aux grincheux.

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THÉÂTRE MUSICAL & VIDÉO

demande à la poussière Découvert au Festival Premières* en 2010 avec Le Chagrin des Ogres, Fabrice Murgia revient à Strasbourg avec Ghost Road. Un road-movie mêlant théâtre, vidéo et chant pour une plongée dans l’intimité des marginaux de la Vallée de la Mort.

Par Thomas Flagel Photo de Kurt Van der Elst

À Strasbourg, au Maillon, du 5 au 7 février 03 88 27 61 81 www.maillon.eu Rencontre avec le metteur en scène Fabrice Murgia, jeudi 7 février, après la représentation

Festival dédié aux jeunes metteurs en scène européens, organisé par le TNS et Le Maillon, rejoints par le Badisches Staatstheater de Karlsruhe où se tiendra la prochaine édition, du 6 au 9 juin 2013 www.festivalpremieres.eu

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a traversée des villages fantômes, subsistants tels des cactus perdus dans le désert jouxtant la frontière américanomexicaine, désoriente. Lumière criarde, chaleur étouffante, décor de western dépeuplé. Dans ces vestiges de villes florissantes ne subsistent qu’une poignée d’âmes en peine, échouées sur le rivage de l’american dream. Avec Dominique Pauwels (qui signe la musique du spectacle) et Benoit Dervaux (chef opérateur de renom, notamment sur les films des frères Dardenne), Murgia a sillonné la Route 66, du Nouveau-Mexique à la Californie, en passant par l’Arizona. Rencontrant et filmant des anonymes éparpillés dans des bourgades délabrées aux noms improbables, accrochés à ce home sweet home qu’ils ne quitteraient pour rien au monde, à bonne distance des grandes mégalopoles. Loin d’un coin de paradis, on s’y trouve « plus connecté à la nature » confie Larry, ancien lifeguard de Malibu Beach, mais aussi « à l’abri des conneries de gangs et de tueries » dues selon, Al et Ray, « aux Blacks et aux Mexicains ». Les relents racistes de l’Amérique profonde ne sont jamais loin.

Coupés du système, ces nouveaux fantômes continuent à faire face aux problèmes, à

vivre dans les décors qu’ils s’inventent au milieu des maisons vidées par la crise, celle des subprimes et l’autre, plus profonde, qui fait d’eux « des survivants, installés sur une fosse commune creusée par le capitalisme américain », tance le metteur en scène. La course après le temps, la quête du bonheur mais aussi, et surtout, d’altérité et d’humanité sont au cœur d’un spectacle où la musique et la voix de la soliste Jacqueline Van Quaille expriment un désarroi sous-jacent aux images projetées sur les histoires contées par la charismatique Viviane De Muynck. Nous laissant un témoignage au milieu des nuages de fumée des cigarettes qu’elle consume et des photos de sa vie dont on ne distingue que le dos des cadres, elle raconte le parcours de Marta Becket qui quitta une carrière prometteuse dans la Cité des Anges pour la route du désert où elle créa son propre théâtre dans une ruine, dansant seule ou devant une poignée de « vrais gens », jusqu’à ne plus pouvoir. Regard brillant, cordes vocales tenaillées par l’émotion, la comédienne nous maintient hors d’haleine jusqu’au terminus : Bombay Beach, ancienne station balnéaire abandonnée où même les poissons vont mourir. The world is yours, dirait-elle…


HUMOUR

couscous gaulois Avec Petits chocs des civilisations, l’humoriste et écrivain algérien Fellag ne se prive pas de faire grincer des dents en pratiquant un humour aussi acerbe que salvateur. Rencontre avec un artiste à la plume aiguisée et à la verve chaleureuse.

Par Dorothée Lachmann Photo de Denis Rouvre

À Belfort, à la Maison du Peuple, vendredi 8 février 03 84 58 67 67 www.legranit.org À Ostwald, au Point d’eau, samedi 9 février 03 88 30 17 17 www.lepointdeau.com www.fellag.fr

Selon un sondage bien connu, le couscous est le plat préféré des Français : dans votre spectacle, vous imaginez qu’il s’agit d’une déclaration d’amour aux Maghrébins. Lorsqu’on voit les scores du FN aux élections, on se dit qu’on fait mieux comme déclaration d’amour… Le couscous comme preuve d’affection est une douce ironie, bien sûr. C’est juste un prétexte pour spéculer joyeusement sur la difficulté pour nos deux sociétés, nos deux cultures, de se regarder en face. Si, comme je le crois, le public d’un soir au théâtre forme une petite république, Petits chocs des civilisations touillera les ferments des conflits visibles ou refoulés et proposera des solutions humoristiques pour les dépasser. Les citoyens de la république théâtrale de toutes origines se sentiront soudés pendant une heure et demi et rentreront chez eux avec le cœur plein, je l’espère, d’envie d’aimer… même si ça ne dure que quelques heures, c’est déjà pas si mal par les temps qui courent, non ? Vos précédents spectacles étaient ancrés en Algérie. Celui-ci a les deux pieds en France : vous sentez-vous désormais davantage concerné par la réalité française que par votre pays d’origine ? Ce n’est pas aussi catégorique. Je continuerai à faire des allers-retours entre ces deux rives. Quand je vivais en Algérie, mes spec-

tacles parlaient de l’imaginaire algérien. En France, mon écriture a trouvé sa vraie place : dans l’entre-deux. Avec ce spectacle, elle est beaucoup plus ancrée dans la société française, mais avec les éléments de cet entredeux conflictuel, surchargé de ressentiments, de méconnaissances et d’incompréhensions. C’est un riche terreau pour un homme qui, comme moi, aime croiser les histoires et les émotions qui en découlent. Qu’avez-vous envie de titiller, dans la société française actuelle ? Comme pourrait le suggérer le titre du spectacle, je m’amuse à pointer du doigt les peurs que suscitent les mœurs des autres. La peur est le plus grand producteur d’imagination que l’homme connaisse. La méconnaissance de l’autre fabrique aussi de l’imagination donc de la peur. Petits chocs des civilisations explore ces fantasmes. Vous qui avez dû vous exiler en France après l’explosion d’une bombe pendant l’un de vos spectacles en Algérie, quel regard portez-vous sur le “Printemps arabe” ? C’est la mise à mort d’une façon de vivre totalement rétrograde, l’expression d’un ras-le-bol général, l’explosion d’une bombe atomique depuis longtemps comprimée, la naissance de nouvelles générations, l’espoir d’une entrée avec panache dans le monde d’aujourd’hui.

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dernière danse Le danseur et chorégraphe Sylvain Huc propose deux versions du Petit chaperon rouge à Strasbourg : l’une, pour enfants, allusive et dansée, l’autre, pour adultes, pleine de bestialité et de souillure trash qui a retenue notre attention. Welcome to the cruel world.

Par Thomas Flagel Photos d’Erik Damiano / lepetitcowboy.com

Le Petit chaperon rouge (dès 7 ans), à Pôle Sud (Strasbourg), du 3 au 5 février Rotkäppchen (pour adultes), à Pôle Sud (Strasbourg), jeudi 7 février 03 88 39 23 40 www.pole-sud.fr www.faitsetgestes.org

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’attaquer à l’un des contes européens les plus populaires n’est pas chose aisée. La Compagnie Divergences menée par Sylvain Huc relève doublement le défi en proposant en sus d’une version pour bambins, une âpre plongée dans les pulsions archaïques du conte originel : contrairement à la version consensuelle des frères Grimm, il n’y a ici ni chasseur sauvant la jeune fille et sa grandmère pour un happy end, ni expurgions psychanalytiques bienséantes. C’est à un carnage que nous sommes conviés, dont ne subsistent que des morceaux de barbaque rouge au sol et un joli chaperon rouge à deux doigts de sauter dans le lit d’un méchant loup bestialement attirant. Écorchant le conte jusqu’à la moelle pour n’en garder que les figures sanguinolentes et les spasmes sous-jacents souillant toute innocence passée, le chorégraphe trouble les rôles en présentant une jeune femme dominatrice, leader d’un groupe de musique en arrière scène. Une sorte de Courtney Love menant à la baguette un homme servile qui finira par se lasser de répondre à l’invective et aux ordres. Le loup n’est pas chien. Il se nourrit de chair. Ne reconnaît aucun maître.

Sur un rock profond et rocailleux, strident de guitares électriques saturées, la danse endiablée qui se crée entre la belle et la bête se fait charnelle et passionnelle. Les mouvements en miroir d’une intensité orgiaque emportent tout sur leur passage. Bras et jambes portent les traces indélébiles du sang appelé à se répandre. L’on tourne implacablement autour d’un crime qui ne nous sera fort habilement jamais montré sans que l’on puisse toutefois douter de sa réalisation à venir, ou passée. La lumière participe de l’étrangeté symbolique du conte, dessinant l’embrasure d’une porte en direction du corps inerte du chaperon rouge qui, lentement, se remplit d’une ombre inquiétante. La domination du loup s’impose, jouant longuement avec sa proie qu’il soulève et déplace comme un pantin avant de la faire retomber lourdement au sol. Seuls les éclats de rires de la victime troubleront le jeu, provocation désespérée en écho au regard fou et au sourire carnassier d’autant plus inquiétant du prédateur, sûr de son fait et de sa puissance. Longue sera l’agonie, pavée de soubresauts nerveux, de mouvements saccadés tel un automate détraqué, avant une toute dernière danse…


EXPOSITION

œuvres au noir La saison graphique qui s’achève au Musée des Beaux-Arts de Nancy confronte passé et présent avec des évocations de décors d’églises parisiennes du XVIIe siècle et Tragedy or Position, proposition contemporaine d’Alain Huck.

Par Raphaël Zimmermann

À Nancy au Musée des BeauxArts, jusqu’au 11 février 03 83 85 30 72 www.mban.nancy.fr Hommage à Jacques Thuillier, évocation des décors d’églises de Paris par Guillaume Kazerouni, commissaire de l’exposition du Musée Carnavalet, jeudi 24 janvier à 18h30 Conférence sur l’œuvre d’Alain Huck – en sa présence – par Dominique Radrizzani, jeudi 31 janvier à 18h30

1 En écho à l’exposition parisienne Les Couleurs du ciel, peintures des églises de Paris au XVIIe siècle qui se tient au Musée Carnavalet jusqu’au 24 février – www.carnavalet.paris.fr 2

www.basel.artbasel.com

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e visiteur découvre d’abord un ensemble de 63 estampes et albums figurant des tableaux d’églises de Paris du XVIIe siècle1 issu de la riche donation faite par Jacques Thuillier à l’établissement nancéien… Ces gravures limpides d’un classicisme de bon aloi (re)donnent vie à des œuvres, souvent disparues – dont elles sont l’unique témoignage – d’Anton Van Dyck, Jacques de Létin ou Charles Le Brun. À côté de ces petits formats, est installé Tragedy or Position, ensemble monumental de quatre dessins au fusain (faisant, chacun, 2,70 par 4 mètres) signés de l’artiste helvète Alain Huck (né en 1957) et réalisés en 2011, à l’occasion de la section Art Unlimited d’Art Basel2.

Se font face des œuvres foisonnantes et complexes aux référents multiples dans lesquelles l’œil se perd avec jubilation comme dans les gigantesques peintures d’histoire des siècles passés : la vue d’une zone afghane indéterminée par un drone américain (Position), une tache faisant penser à un immense test de Rorschach se déployant sur les pages ouvertes

Alain Huck, Edenblock, 2011, © David Gagnebin-de Bons, Courtesy SKOPIA/P.-H. Jaccaud

des Bacchantes d’Euripide (Tragedy), une végétation luxuriante et déliquescente à la fois, mais assurément tropicale (Edenblock) et un décor baroque, le Triomphe de la providence divine, plafond de la salle de réception du Palais Barberini peint par Petro da Cortona entre 1633 et 1639, troué par la Nébuleuse du Crabe (Nebula). Installées deux par deux, face à face, les dessins plongent le visiteur dans un huis clos vertigineux. Au cœur de ces immenses surfaces, l’être humain semble pris dans le piège funeste de la trajectoire tragique du monde, écrabouillé à la fois par des idéologies à vocation totalitaire (le drone made in USA…) et des forces naturelles qui vouent son univers à la destruction (la nature hors de tout contrôle, une menace venue de l’espace…). Au milieu de cette tétralogie sombre, le salut semble impossible. L’illusion prométhéenne de maîtriser sa destinée voue irrémédiablement l’homme au néant, quelque soient ses efforts pour s’en sortir. Vanitas vanitatum, omnia vanitas.

Alain Huck, Nebula, 2011, © David Gagnebin-de Bons, Courtesy SKOPIA/P.-H. Jaccaud

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aventurier du sublime À l’occasion du bicentenaire de sa mort, Strasbourg rend hommage à un enfant du pays bien injustement oublié : Loutherbourg, peintre au talent protéiforme et à la vie rocambolesque.

Par Catherine Jordy Photo de L’Apocalypse : la Vision du Cheval Blanc, 1798, Londres, Tate © Tate, Londres 2012

À Strasbourg, au Musée des Beaux-Arts, jusqu’au 18 février 03 88 88 50 68 www.musees.strasbourg.eu.

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é à Strasbourg en 1740, Philippe Jacques de Loutherbourg est un artiste au parcours stupéfiant : il est peintre, mais déploie également ses talents dans le théâtre, l’alchimie, la médecine parallèle… Sa réputation est pour le moins sulfureuse. Devant les œuvres présentées au Salon par le jeune virtuose d’une vingtaine d’année, Diderot s’exclame : « Et ces bœufs qui se reposent au pied de ces montagnes, ne vivent-ils pas ? Ne ruminent-ils pas ? N’est-ce pas là la vraie couleur, le vrai caractère, la vraie peau de ces animaux ? Quelle intelligence et quelle vigueur ! Cet enfant naquit donc le pouce passé dans la palette ? » Mais le jeune peintre est nonchalant et, en dépit d’une production considérable, semble s’intéresser davantage à ses autres activités. En 1771, il quitte la France, laissant femme et enfants en bas âge à Paris, pour s’installer à Londres. Il travaille alors avec le célèbre acteur John Garrick pour réaliser les décors du théâtre de Drury Lane en créant des effets spéciaux spectaculaires avec un succès considérable, puis invente l’Eidophusikon, un théâtre miniature où se succèdent tempêtes, couchers ou levers de soleil automatisés. L’artiste intègre également la Royal Academy et se lie d’amitié avec Cagliostro, avant une brouille fracassante. Par ailleurs, il est guérisseur-magnétiseur tout en continuant son activité de peintre.

Considérablement assagi vers la fin de sa vie, il se distingue dans la peinture d’histoire et représentation de batailles navales. L’artiste semble prendre un malin plaisir, d’ailleurs, à peindre les défaites françaises face aux Anglais… Mais sa grande spécialité reste le paysage avec animaux, genre largement représenté dans l’exposition strasbourgeoise qui propose une belle sélection d’œuvres au faire remarquable, largement influencées par les écoles hollandaises et flamandes. S’il connaît ses classiques (des paysages à la Claude Le Lorrain notamment), Loutherbourg est aussi un précurseur : certaines œuvres anticipent aussi bien Turner que les maîtres du romantisme. Quant à la théorie du sublime si prégnante à la fin du xviiie siècle, elle transfigure des toiles comme Vue de Coalbrookdale, de nuit, dans laquelle la révolution industrielle se teinte d’une fabuleuse ambiance infernale. Une salle consacrée aux productions graphiques et décors de théâtre et une sélection d’une centaine d’œuvres au total permettent, au fil d’une muséographie élégante et sage, d’admirer toutes les facettes de l’art d’un peintre très apprécié de ses contemporains qui a, enfin, droit à une rétrospective française. Sa toute première.


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sommets symphoniques Trois concerts – deux à Luxembourg et un à Baden-Baden – permettront de découvrir les Wiener Philharmoniker, phalange qui est à la musique ce que Rolls-Royce est à la voiture, dans des programmes d’un classicisme de bon aloi. Par Hervé Lévy Photo de Terry Linke

À Baden-Baden, au Festspielhaus, samedi 23 février +49 7221 3013 101 www.festspielhaus.de À Luxembourg, à La Philharmonie, mercredi 13 mars et dimanche 5 mai +352 26 32 26 32 www.philharmonie.lu www.wienerphilharmoniker.at

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n ne présente plus les Wiener Philharmoniker (Orchestre philharmonique de Vienne), une des trois plus grandes formations d’Europe avec, dans le désordre, Berlin et Amsterdam. Si la phalange n’a pas de directeur musical, elle entretient néanmoins un compagnonnage régulier avec certains chefs, comme Franz Welser-Möst. En 2013, le maestro autrichien dirigea, pour la deuxième fois, l’institution qu’est le Concert du Nouvel an diffusé en direct dans plus de 80 pays, signe de l’empathie existant entre le directeur musical de l’Opéra de Vienne (et du Cleveland Orchestra) et les musiciens. À Baden-Baden, il proposera un programme où la Symphonie n°6 de Schubert – où pointent déjà les fulgurances sa neuvième, “la Grande” – voisine avec la Symphonie n°4 “Romantique” de Bruckner. Emplie de réminiscences venant évoquer Schumann ou Schubert, cette dernière est marquée du sceau de la lumière et de la transparence. L’auditeur y est entraîné dans des ambiances d’une rare intensité, des atmosphères ensoleillées de forêts noyées sous le soleil de l’été ou alors mélancoliquement hivernales. On croit voir se dérouler devant nous une habile exploration des fastes de la Création. Cette œuvre novatrice culmine

dans un Finale en forme d’hymne chrétien à la puissance de Dieu, faisant parfois songer à un trouble mélange entre les chromos sulpiciens aux ornementations alambiquées et l’altière et sobre beauté d’un retable du Moyen-Âge. Le premier concert luxembourgeois des Wiener Philharmoniker – sous la baguette de la légende qu’est Zubin Mehta – fait aussi la part belle à Bruckner avec sa Symphonie n°8, fresque sonore démesurée et fascinante, souvent considérée comme le couronnement de la symphonie romantique. Dans un second programme donné à La Philharmonie, le chef finlandais Esa-Pekka Salonen mariera Beethoven (avec son Concerto pour violon par la glamourissime Julia Fischer), Tchaïkovski (Francesca da Rimini) et Ravel dont sera joué Ma mère l’Oye. Imagination primesautière et légèreté onirique peuplent ces musiques adaptées de contes pour enfants comme La Belle au Bois Dormant ou Le Petit Poucet. Le dessein de Ravel ? « Évoquer la poésie de l’enfance », ce qui l’a « naturellement conduit à simplifier [s]a manière et à dépouiller [s]on écriture ». Un processus qui permet au musicien d’aller à l’essentiel de la poésie et de frapper en plein cœur de l’imaginaire.


ART CONTEMPORAIN

en sel ! Les sculptures de sel et autres objets ou dessins de Jorge Peris entrent en résonance avec l’histoire du Pays de Montbéliard au Musée du Château des ducs de Wurtemberg qui les accueille. Présentation d’une expo où la nature est envahissante.

Par Emmanuel Dosda Aquarelle sur lithographie de Jorge Peris, Picus, 2012 © Jacques Monnin

À Montbéliard, au Musée du Château des ducs de Wurtemberg, jusqu’au 10 mars 03 81 99 22 61 www.montbeliard.fr

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ans le cadre d’une performance, le public est invité à participer à une surprise party un peu cheap en un lieu décoré par les soins de Jorge Peris. Un endroit exigu, une foule de personnes amassées, une musique hyper répétitive, obsédante, et un “incident volontaire”, un “acte de terrorisme” qui intervient lorsque le plasticien déclenche un extincteur à poudre mettant fin à cette triste fête et obligeant l’évacuation d’urgence des convives. Comme si un incendie s’était déclaré. C’était il y a plus de dix ans, à Paris. Aurélie Voltz, directrice du Musée du Château des ducs de Wurtemberg, découvrait l’artiste

espagnol auquel elle offre aujourd’hui une première monographie française. « Moins physique, moins violente », l’exposition de Montbéliard se déploie autour d’une cheminée en sel cristallisé, noircie par le feu qui y brûlait avant le vernissage. Cet élément minéral est le « foyer, la pièce maîtresse » qui, grâce à ses conduits en zinc évoquant l’architecture industrielle présente dans la région, parcourt toute l’exposition. La grande cheminée – un pentagone qui vient s’encastrer sur un hexagone – évoque, selon Aurélie Voltz, les créations cubiques et géométriques d’Heinrich Schickhardt (1558-1635), des constructions modernisant les salines des villes de Salins et de Saulnot. Après les œuvres d’Ariel Schlesinger ou de Luca Francesconi, c’est au tour des travaux signés Jorge Peris de dialoguer avec les collections du Musée (notamment celles dédiées au scientifique Georges Cuvier) et l’histoire économique de Montbéliard et de FrancheComté. Peu habitué aux white cubes, Peris est davantage convié à occuper des espaces industriels où la nature refait surface, prend le dessus. Ici, les salles de l’institution sont habitées par des objets manufacturés (une canne, un arc, une baguette magique…), des collages faits à partir de gravures naturalistes du XIXe siècle, des dessins aquarellés peuplés par tout un bestiaire… ou de véritables cocons issus d’un élevage de vers à soie. Tel le Tamaris (titre de l’exposition), arbre méditerranéen capable de pousser dans des zones où le sol est extrêmement salé, les larves ont investi le mobilier d’un lieu qui ne leur est pas dédié et peu favorable pour créer des cycles de vie et, peut-être, renaître au printemps. Pour la directrice, il s’agit de « bousculer le cadre du musée, soumis à des règles très strictes, et d’y insuffler de la vie, de montrer le monde autrement », notamment en laissant Peris commettre une nouvelle “action terroriste” en disséminant des vers grouillants dans le château. Lorsque les artistes mettent leur grain de sel dans les rouages muséaux… Poly 155 Janvier / Février 13

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Pop up Cirkus © Jean-Michel Etchemaïté

jolis mômes Avec une cinquantaine de rendez-vous, Momix offre un tour d’horizon des plus belles propositions artistiques destinées au jeune public. Résolument intergénérationnel, le festival de Kingersheim conduit pas à pas les petits spectateurs à devenir grands… et les adultes à replonger avec bonheur dans le monde de l’enfance. Par Dorothée Lachmann

À Kingersheim et sa région, dans différents lieux, du 31 janvier au 10 février 03 89 50 68 50 www.momix.org

1 À voir aussi à la MJC Palente de Besançon, samedi 9 février www.mjc-palente.fr 2 Également programmée à La Méridienne de Lunéville, jeudi 31 janvier www.lameridienne-luneville.fr

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epuis vingt-deux ans, le festival Momix trace un chemin semé de petits cailloux blancs pour guider les enfants vers l’émotion, la poésie et l’émerveillement. Du bébé à l’adolescent, un itinéraire de spectateur s’élabore soigneusement. Et le premier pas n’est pas le moins important. « Les propositions pour les tout-petits sont un enjeu fort pour nous : c’est là que se construit la matrice émotionnelle, le moment où la capacité d’étonnement est encore intacte », explique Philippe Schlienger, directeur d’une manifestation qui accueille les festivaliers de 18 mois ! « Les artistes qui créent pour les plus petits sont à l’écoute de la vibration de l’enfant, et non d’un sens. Ils sont dans l’émotion directe et l’empathie » comme la compa-

gnie suisse L’Articule, et son Pop up Cirkus (à Kingersheim, au Créa, mercredi 6 février). Un spectacle à la fois visuel et narratif dans lequel Madame Loyal feuillette un livre géant, dont les dessins prennent vie comme par magie pour raconter les aventures d’un drôle de cirque où les artistes semblent capables de tout : voler, marcher sur un fil, faire danser les lions mais, surtout, faire rêver et rire. Le pas suivant invite déjà au questionnement. « À partir de 4 ans, le spectacle interpelle l’enfant dans sa propre construction du monde et l’incite à observer la façon dont se déroule une situation », poursuit Philippe. À force de suivre les cailloux blancs, nous voilà nez à nez avec Poucet ! Après une période de résidence


JEUNE PUBLIC à Kingersheim, la compagnie Un Château en Espagne propose sa version du conte de Perrault, revu, corrigé et intitulé Au fond du bois dormant (à Kingersheim, au Hangar, samedi 2 février) 1. Inépuisables, les contes traditionnels continuent à inspirer les artistes, de génération en génération, tout en s’adaptant à l’époque. « On garde le thème abordé par le conte, mais on dessine d’une autre manière ce qui s’y joue, comme dans un kaléidoscope. C’est une alternative à la narration que les enfants connaissent déjà, une invitation à être touché différemment par ce que le conte porte en lui. » Grâce au Petit Poucet, il suffit d’enfiler les bottes de sept lieues pour faire un pas de géant ! À partir de 10 ans, on attaque les textes d’auteurs contemporains et l’engagement plastique se fait plus important dans la scénographie. « Les sujets sont forts, mais pas énoncés comme tels. Ils sont amenés en finesse », souligne le programmateur. En avançant encore d’un petit pas, on découvrira Les Demeurées (au Hangar, dimanche 10 février), un objet singulier, entre installation plastique et spectacle, proposé par le Begat Theater. Pénétrant dans une boîte, écouteurs sur les oreilles, le public se laisse emporter par les sons, les images, les sensations. Hors du temps. Évoquant la relation d’une mère analphabète et de son enfant, le spectacle interroge le handicap, l’accès au savoir, la séparation. Généralement, le chemin se complique à cet endroit : les ados préfèrent bifurquer vers d’autres mondes imaginaires. « Pour les intéresser, il faut des propositions qui leur parlent d’elles-mêmes, qui donnent du sens à ce qu’ils vivent. Être dans l’adhésion et pas dans la caricature. » L’Interlude Théâtre Oratorio relève ce défi avec Risk (à Kingersheim, à l’espace Tival, mardi 5 février)2, cinq monologues qui explorent le passage à l’âge adulte, entre théâtre, danse et musique live. Face à la peur, au danger, aux relations familiales, comment vont réagir ces jeunes pour se construire et affirmer leur identité ? Et puis il y a les moments où Momix invite à quitter le chemin pour s’envoler dans les étoiles, où l’âge n’existe plus. Vortex (à Mulhouse, à La Filature, jeudi 7 et vendredi 8 février) est sans doute l’un des coups de cœur de cette 22e édition du festival. Créé par Phia Ménard, artiste venue du nouveau cirque, ce spectacle inclassable, d’une poésie inouïe, n’est pas fait pour se raconter, mais pour s’éprouver. Jonglant avec l’air, la performeuse invente une chorégraphie du vent, un ballet aérien de sachets en plastique multicolores. Hymne à la liberté d’être soi, Vortex est un émerveillement qu’on n’imaginait pas.

Vortex © Jean-Luc Beaujault

cabinet de curiosités Après avoir scénographié les expositions de Momix pendant plusieurs années, Lili Aysan passe de l’ombre à la lumière et présente son propre travail pendant le festival. Illustratrice, elle aime créer des univers fait de bric et de broc, de collage et de récup’. Des mondes joyeux, loufoques, cartoonesques, qui n’ont jamais vraiment quitté l’enfance. Et voilà que l’on retrouve nos cailloux blancs, puisque Lili nous convie dans son Petit cabinet de curiosité des contes de fée, où nous attendent évidemment l’ami Poucet, en compagnie d’autres personnages surgis des pages de Grimm et Perrault. Une exposition bien mystérieuse, au cœur d’une forêt enchantée où tous les sens sont sollicités pour réveiller l’imaginaire des petits et des grands. À Mulhouse, à la Bibliothèque Grand’rue, du 30 janvier au 23 février

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VIENNE À STRASBOURG

les poupées de chair rêvent-elles de pantins électriques ? Jusqu’à présent absente de toutes les scènes strasbourgeoises, l’artiste et metteuse en scène franco-autrichienne Gisèle Vienne voit trois de ses pièces programmées au Maillon, à Pôle Sud et au TJP. Un focus aux confins d’une inquiétante étrangeté, entre fantasmes et fantômes, cruauté superbe et perverse innocence.

Kindertotenlieder 36

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Gisèle Vienne © Patric Chiha

Par Thomas Flagel

J'explore le sens des fantasmes qui nous animent, liés à la cruauté, à l’innocence et à l’expiation

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isage d’ange et voix d’enfant. Âme tourmentée par le sentiment d’être étrangère au monde. Rien ne colle chez Gisèle Vienne, tout intrigue. Fascinée par les portes de la perception qu’elle ouvre aux quatre vents, cette artiste totale conçoit des spectacles inquiétants et dérangeants dans lesquels est observée dans sa plus crue nudité la bête qui sommeille en chacun de nous. Avec son goût pour la déconstruction du réel et les narrations fragmentées, elle se plait à investir l’imagination des spectateurs, leur conférant le rôle d’inspecteur des événements en cours dans ses pièces. Laissant une somme d’indices à la manière d’Alain Resnais et Robbe-Grillet dans L’Année dernière à Marienbad, le public n’est plus un simple témoin, mais le seul à pouvoir compléter le scénario, à dénouer les fils de ce qui relève de l’imaginaire et du réel, du rêve et du fantasme, de la perversion la plus totale ou du désir le plus pur.

Humanity is overrated

Voir l’article La Mariée était en noir dans Poly n°153 ou sur www.poly.fr

1

2 Jerk est parue dans le recueil de nouvelles Un Type immonde, en 2010, aux éditions P.O.L (18 €) www.pol-editeur.com 3

L’humanité est surévaluée

Figures bienveillantes ou maléfiques, à cornes et à poils, qui animent les fêtes de l’Avent dans des villages autrichiens pour chasser les démons et punir les âmes damnées

4

Après des études de philosophie et de musique, Gisèle entre à l’École supérieure nationale des Arts de la Marionnette où elle rencontre Jonathan Capdevielle qu’elle ne quittera plus. Les marionnettes la plongent au cœur du théâtre antique, aux sources même du besoin humain de catharsis, de représentation et de mise à distance. Ses pièces sont ainsi peuplées d’étranges pantins plus ou moins inanimés, fantômes à taille humaine errant au milieu de vivants guères plus accueillants, échos aux univers de Cindy Sherman et d’Annette Messager1. Pas étonnant de retrouver Robert Wilson ou Roméo Castellucci au rang des artistes – pour le moins tourmentés,

Jonathan Capdevielle dans Jerk © Alain Monot

comme les deux précédentes – qu’elle chérit. Les trois pièces présentées à Strasbourg offrent un panel de l’étendue des troubles et des nœuds intérieurs explorés par la metteuse en scène que l’on peut résumer, sans les y réduire, à une interrogation de notre fascination pour les stéréotypes (lolitas, travestis, mannequins…), les comportements déviants et pulsions morbides, la face sombre de nos désirs. Il y a définitivement quelque chose de pourri au royaume de Vienne.

Un Type immonde

Avec Jerk, l’entrée en matière est dénuée de douceur. Auteur de tous les textes et dramaturge attitré de Gisèle Vienne, l’écrivain américain Dennis Cooper s’est inspiré des crimes de Dean Corll – serial killer des années 1970 qui a tué et torturé une vingtaine de garçons avec l’aide de deux adolescents – pour composer cette nouvelle2 portée ensuite à la scène. Sur une simple chaise, Jonathan Capdevielle interprète l’un des ados, emprisonné à perpétuité, qui aurait appris la marionnette en détention et donnerait une représentation de ses crimes à des étudiants en psychologie (le public). Avec trois marionnettes à gaines, il livre un récit brut dévoilant les désirs transgressifs, morbides et érotiques des trois protagonistes, empruntant en ventriloque les voix de ses « pauvres victimes et copains morts ». Arborant un tee-shirt avec l’inscription humanity is overrated3, il conte de manière linéaire les manipulations de Dean, psychopathe convainquant de jeunes paumés de mourir dans un sacré bordel, mélange de défonce, de violence et de snuff movie. Des pulsions de mort où le glauque le dispute souvent au Poly 155 Janvier / Février 13

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This is how you will disappear © Mathilde Darel

Jerk (dès 14 ans), à Pôle Sud (Strasbourg), du 23 au 25 janvier 03 88 39 23 40 www.pole-sud.fr Lecture d’extraits de I Apologize par Dennis Cooper sur une musique live de Peter Rehberg, jeudi 24 janvier, à l’Auditorium des Musées de la Ville de Strasbourg 03 88 23 31 31 www.musees.strasbourg.eu This is how you will disappear, au Maillon-Wacken (Strasbourg), mercredi 30 et jeudi 31 janvier 03 88 27 61 81 www.maillon.eu Kindertotenlieder (dès 14 ans), au TJP Grande Scène (Strasbourg), vendredi 8 et samedi 9 mars 03 88 35 70 10 www.tjp-strasbourg.com Showroomdummies #3 réécrit pour le Ballet de Lorraine, à l’Opéra national de Lorraine (Nancy) du 4 au 7 avril 03 83 85 33 11 www.opera-national-lorraine.fr www.g-v.fr

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sordide. L’innommable est ici verbalisé dans son dénuement trash et l’on assiste à des mimes de meurtres à la batte de baseball, des fists-fuck de cadavres encore chauds durant lesquels le comédien ne ménage pas sa peine en bruitages buccaux et, bien plus dérangeant, à la fascination malsaine des deux ados et amants qui bientôt, dépasseront leur maître. Ces confessions, livrées par le biais de petites marionnettes tenant l’auditeur à distance des faits évoqués, questionnent le danger de la réalisation de fantasmes extrêmes sans toutefois livrer les raisons sociales et intimes de leur apparition. Au spectateur de se débrouiller avec cet état du monde et de l’homme, attiré par le vide.

Perfection et chaos

Contre-pied total avec This is how you will disappear dans laquelle Gisèle Vienne reproduit une forêt réaliste jusque dans les détails : cadavres de bouteilles de bière entamées gisant dans un coin, véritable oiseau traversant la scène… Ce tableau de chasse représente de manière métaphorique le crime à venir. Dans une brume évanescente, une gymnaste répète des mouvements sous l’œil sévère de son entraîneur. L’ambiance musicale et sonore pèse comme un couvercle. Le drame point… Tout vrille et, lentement, se distord. Les mouvements deviennent saccadés et la fumée envahit le sous-bois dans un clairobscur de sculpture de brume étrangement inquiétant. Comme dans un film de David Lynch, le trouble est renforcé par l’absence d’indications sur la temporalité des actions qui nous sont données à voir et la confusion entretenue entre réel et imaginaire. L’apparition d’une rock star au look grunge frappée à mort par l’entraîneur confessant lui-même le meurtre de sa petite amie a-t-elle vraiment lieu ? Est-ce un flash-back ou les simples pul-

Showroomdummies #3 © Alain Monot

sions lui traversant l’esprit ? D’une clairière à un espace mental, d’une pluralité de personnages aux émanations schizophréniques d’un seul, du désir tabou à sa réalisation proscrite, du rêve au cauchemar, il n’y a qu’un pas que franchit allégrement Gisèle Vienne.

Rituel et art

Dans un décor enneigé, Kindertotenlieder (sans rapport avec l’œuvre éponyme de Mahler) réunit le rituel païen des Perchten4 et celui, plus improbable, d’un concert-funéraire de métal avec, en live, le groupe Sunn O))). Entretenant la confusion entre adolescents et marionnettes vêtues des mêmes sweats noirs, nous voilà conviés à un étrange cérémonial où la réalité glisse sur les tombereaux de neige s’abattant sur le plateau. Un mort sort de son cercueil, de jeunes paumés aux silhouettes androgynes boivent et se débattent, s’embrassent dans un même mouvement avant que les Perchten ne dictent leur force. La chanteuse elle-même tombe sous des coups de poignard sur fond de gros son envahissant. Une fois n’est pas coutume, Gisèle Vienne se plait à anéantir tout réalisme en cassant ses propres artifices théâtraux : le puissant éclairage latéral, comme issu d’une station arctique, laisse gisant les corps ainsi frappés de lumière, traînant des pantins inanimés comme des cadavres dans la neige. Restent des corps dénudés qui, inlassablement, se relèvent de mortelles blessures comme Kenny dans South Park. Cette cérémonie contemporaine d’une faune de jeunes revisite « le sens des fantasmes qui nous animent, liés à la cruauté, à l’innocence et à l’expiation », confie l’artiste. Mais aussi, et surtout, en creux, la question « de la place et de la nécessité du rituel et de l’art dans la société ». Assouvir une violence symbolique pour que la mort n’ait pas d’empire.


ART CONTEMPORAIN

au secours, j’ai besoin d’art Avec Bilderbedarf (Besoin d’images), Johan Holten, directeur de la Kunsthalle Baden-Baden, invite le visiteur à explorer les rapports complexes qui existent entre création artistique et société civile depuis 1945. ners à côté de l’Opéra de Vienne. Selon un principe bien établi dans la télé-réalité, les gens étaient invités à voter au cours d’un spectacle / performance (présenté dans le cadre des Wiener Festwochen), pour éliminer une personne, puis une autre… Le “vainqueur” de cette proposition artistique décapante se voyant ironiquement octroyer le droit de vivre en Autriche.

Christoph Schlingensief / Paul Poet, Ausländer Raus ! 2000

Par Hervé Lévy Extrait vidéo par Paul Poet 2012

À Baden-Baden, à la Staatliche Kunsthalle, jusqu’au 17 février +49 7221 300 76 400 www.kunsthalle-badenbaden.de

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e sous-titre de l’exposition est un brin provocateur : Braucht Gesellschaft Kunst ? (La Société a-t-elle besoin d’art ?). La réponse – oui, évidemment – est plus convenue. N’en reste pas moins que le propos développé est passionnant : toutes les œuvres présentées ont pour point commun d’avoir eu un effet concret sur la société de leur temps et sur le discours public, initiant un réel débat. Symbolique de ce point de vue est le projet d’un des trublions e la scène germanique Christoph Schlingensief (1960-2010), Ausländer Raus ! (Les étrangers, dehors !). En 2000, alors que le FPÖ de Jörg Haider participe au gouvernement autrichien, il installait un village pour immigrés fait de contai-

Voilà soixante années explorées avec intelligence, de la Deuxième Guerre mondiale avec Onkel Rudi, toile de Gerhard Richter qui fut fondamentale dans le travail de mémoire sur Lidice, l’Oradour-sur-Glane tchèque, au Reichstag emballé par Christo (1995). Si le pivot de l’exposition est essentiellement allemand (s’y côtoient Georg Baselitz, Joseph Beuys ou Jörg Immendorff avec une des hallucinantes toiles de sa série Café Deutschland qui questionne, à la fin des années 1970, la division de son pays), le propos est universalisable. Ainsi, lorsque le peintre est-allemand Wolfgang Mattheuer nous entraine, avec Hinter den sieben Bergen (Derrière les sept montagnes), de manière grinçante et ambivalente, vers les limites du réalisme socialiste, il questionne toutes les utopies. Comment la société communiste est-elle compatible avec la liberté, ici représentée par la fameuse allégorie de Delacroix qui brandit… des ballons multicolores ? Le modèle en déclin que représente alors la RDA – nous sommes en 1973 – est-il soluble dans les désirs consuméristes venus de l’Ouest ? Les œuvres présentées sont les fragments choisis avec soin d’une histoire cristallisée, celle du siècle passé… Il est logique qu’elle soit suivie, à partir d’octobre, d’une seconde partie qui se concentre sur une société désormais globalisée. Poly 155 Janvier / Février 13

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FESTIVAL

vagabondages en mer du sud Les cultures du Sud et leur insolente créativité sont conviées à La Filature pour la première édition du Festival les Vagamondes. Théâtre, musique, performances culinaires et chorégraphiques sont au menu d’un voyage alléchant. Tour d’horizon.

Par Irina Schrag

Festival les Vagamondes, à Mulhouse, à La Filature mais aussi à la Kunsthalle, à l’Afsco Espace Matisse et à l’Espace Tival au Créa de Kingersheim, du 15 au 20 janvier 03 89 36 28 28 www.lafilature.org

À voir 33 tours et quelques secondes, à la Kunsthalle de Mulhouse, samedi 19 et dimanche 20 janvier (en arabe, anglais et français, surtitré en français) My Paradoxical knives, dans le hall de La Filature, samedi 19 janvier Late Night, à La Filature (en grec surtitre en français), samedi 19 janvier Alexis, une tragédie grecque, à La Filature, jeudi 17 janvier

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remier grand rendez-vous international initié par Monica Guillouet-Gélys depuis son arrivée à la tête de La Filature de Mulhouse, les Vagamondes consistent en « une semaine de dialogue où nous invitons la création artistique issue des pays dits “du Sud” : ceux du pourtour méditerranéen avec le Proche et le Moyen-Orient, mais aussi ceux des Balkans et du Sud de l’Europe de l’Est. » Secouée par des mouvements sociaux et politiques sans précédents depuis deux ans, cette région du monde n’en conserve pas moins une étonnante vivacité artistique et créatrice.

iRévolution

En tête d’affiche, des artistes que la directrice suit « depuis très longtemps » : les libanais Lina Saneh et Rabih Mroué. De plain pied dans notre époque, ils conçoivent 33 tours et quelques secondes à partir du suicide d’un jeune militant des droits de l’homme, Diyaa Yamout, en octobre 2011, qui électrisa les débats et les prises de position dans la société libanaise. Le couple de metteurs en scène installe un huis clos technologique dépourvu de toute présence humaine concrète. Entre fiction et documentaire, ils utilisent et mettent en avant les nouveaux moyens de communication – réseaux sociaux en tête – pour interroger, outre les raisons de son passage à l’acte, la teneur des réactions et des utilisations partisanes d’un geste par eux amplifié. À travers les objets de son quotidien (téléphone, ordinateur, TV, profil facebook…), nous sautons – en français, en arabe et en anglais les trois

langues utilisées pour parler par SMS ou sur Internet au Liban – de ses propres textos projetés sur écrans, messages sur répondeurs ou commentaires sur Facebook, à leur instrumentalisation par les tenants d’une révolution ou d’un retour à l’ordre établi. La force de Saneh et Mroué est d’interroger, par la juxtaposition des divers canaux de communication existants et de leurs temporalités propres, les bouleversements qu’ils induisent dans notre relation aux événements et aux faits de société. Les frontières mouvantes de la vie privée et de la vie publique entrainées par la révolution numérique reflètent autant qu’ils révèlent les profondes failles d’une société libanaise morcelée par des années de guerre et d’enjeux d’influences étrangers.

Ovnis performatifs

Nombreuses seront les performances à voir durant le festival. L’iranien Ali Moini livre ainsi My Paradoxical knives, solo inspiré de la danse soufie. Inscrivant les mots du poète Rûmi au sol, il les effacera par ses mouvements circulaires tout en leur donnant voix dans un cliquetis de couteaux attachées à des bandelettes lézardant son corps qui volètent autour de lui. Un moment hors du temps où les vers tranchent comme la lame. Où l’image d’un homme dansant au milieu des couteaux interpelle les consciences.

Nouvelle ère

Seconde pièce trouvant son origine dans un drame contemporain, Alexis, une tragédie grecque mêle deux figures révolutionnaires


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face au pouvoir en place : Antigone et l’adolescent de 15 ans, tué en pleine rue par un policier à Athènes en 2008, déclenchant la révolte de toute une jeunesse face à l’ordre corrompu de ses élites. Entre témoignages recueillis dans la capitale hellène et projections d’images vidéos, les italiens Enrico Casagrande et Daniela Nicolò donnent, dans une poétique gorgée de politique, corps et voix à une jeunesse révoltée bien décidée à demander des comptes. De Grèce, il en est encore question dans la Late Night du Blitz Theater Group. Dans un décor de bal vieillot,

rempli des cendres encore fumantes d’une guerre européenne finissante, six survivants témoignent, micro en main, de l’effondrement total de nos sociétés, se raccrochant à la musique et à la danse. Leur seule raison de tenir, notre seule échappatoire. L’écho avec la situation de ces Athéniens et de leurs compatriotes résonne, lancinant. L’ancien monde est bel et bien révolu. La crise et ses conséquences, ineffaçables. À chacun d’inventer de nouvelles manières de vivre et d’exister. L’éclair du Blitz Theater Group constitue, à n’en pas douter, un bon début…

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Légendes photos 1. Alexis, une tragédie grecque © Valentina Bianchi 2. Alexis, une tragédie grecque © Pierre Borasci 3. Late Night © Kassilis Makkis 4. My Paradoxical knives © Christian Lutz

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prends garde à toi Duel de mots drôles et sans merci, Toréadors met en scène deux hommes que tout oppose sous la plume acide du Belge Jean-Marie Piemme. Dans l’arène, la compagnie Le Théâtrino plante ses banderilles entre farce et tragédie.

Par Dorothée Lachmann Photos de Vincent Lavigne

À Vendenheim, à l’Espace Culturel, samedi 19 janvier 03 88 59 45 50 www.vendenheim.fr À Bischwiller, à la M.A.C., mardi 29 janvier 03 88 53 75 00 www.mac-bischwiller.fr À Fislis, à la Salle des fêtes, vendredi 1er février 03 89 40 71 29 À Muntzenheim, à l’Espace Ried Brun, vendredi 8 février 03 89 78 63 80 www.cc-riedbrun.fr À Thann, au Relais culturel, mardi 12 février 03 89 37 92 52 www.relais-culturel-thann.com À Schiltigheim, au Cheval Blanc, vendredi 15 février 03 88 83 84 85 www.ville-schiltigheim.fr

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L

’arène de ces Toréadors est une laverie de quartier tenue par Momo, gérant bien propre sur lui, émigré intégré et cravaté. Mais si mal payé qu’il vit clandestinement au fond de son magasin. Un soir, alors qu’il s’apprête à fermer la boutique, Momo voit apparaître un curieux sire, aristocrate désargenté venu tout droit de Russie. Sans le sou et sans domicile, Ferdinand trimbale avec lui sa seule richesse : un esprit manipulateur enrobé dans un charisme séduisant. Entre les deux hommes, le dialogue prend vite des airs de joute verbale, mais le combat de mots n’empêche pas l’amitié de se nouer, pétrie du plaisir de refaire le monde ensemble. Peu à peu, dans cette laverie, c’est le linge sale de la société qu’ils vont essorer. Tous les sujets y passent : pouvoirs politique, économique, judiciaire et religieux, exploitation de l’homme par l’homme, immigration, sexisme, effondrement des utopies… C’est en découvrant l’inénarrable Dialogue d’un chien avec son maître sur la nécessité de mordre ses amis, qu’Éric Wolff, directeur du Théâtrino et du Point d’Eau (Ostwald), est tombé sous le charme de Piemme et de son esprit truculent et décalé. Avec Toréadors, le metteur en scène strasbourgeois choisit une satire sociale qui fait rire en grinçant des dents. Impatient de retrouver le plaisir

de la scène qu’il n’avait plus connu depuis cinq ans, Éric Wolff a décidé de se glisser dans le rôle de Ferdinand et de laisser les commandes de cette « comédie noire sur la condition humaine » à la metteuse en scène Catherine Javaloyès. Privilégiant le travail sur la langue, elle s’est régalée de l’écriture « lucide et tonique » de l’auteur. « Le langage des deux personnages est presque ampoulé, avec parfois des envolées lyriques, pas du tout réaliste pour des individus qui sont dans une laverie : on n’est pas que dans une peinture sociale mais transportés ailleurs. » Ailleurs dans l’arène. Catherine Javaloyès avoue avoir visionné bon nombre de corridas pour construire sa mise en scène, en écho au titre et au vocabulaire de la pièce. La chorégraphie de ces deux toréadors, toute en diagonales et en “retournés”, est évidemment portée par des musiques espagnoles et mise en lumière par des jeux d’ombres. « Le but est de créer une passerelle entre un monde concret, réaliste et un monde virtuel, dangereux », explique la metteuse en scène. Le danger dans cette histoire étant bien de prendre la place du taureau. Comment imaginer, en assistant à l’évolution de cette amitié réelle et émouvante, qu’elle aboutira à la mise à mort de l’un des protagonistes ? L’estocade finale laisse sans voix. La loi de la corrida.


FESTIVAL

un chasseur sachant chasser Lors du festival Décalages proposé par les Scènes du Nord-Alsace, un drôle d’énergumène débarque à Niederbronn. En Bushman, habitant du désert le plus aride du monde, le comédien Éric Bouvron signe un spectacle drôle et sensible, à l’inventivité foisonnante.

Par Dorothée Lachmann Photo de Yannick Blaser

À Niederbronn, au Moulin 9, jeudi 24 janvier 03 88 80 37 66 www.niederbronn-culture.com

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et homme-là ne possède ni numéro de Sécu, ni carte bancaire, ni voiture. Juste un arc, une flèche empoisonnée et deux jambes. Autant dire qu’il a toute sa place dans le festival Décalages. Arrivé directement du désert du Kalahari, notre Bushman, baptisé Ngubi, est vêtu d’un pagne, mais a tout à nous apprendre : comment éviter les cornes de l’oryx, piquer les œufs d’autruche, se nourrir de plantes et séduire comme un phacochère. À la fois conteur et mime, Éric Bouvron réalise une performance fascinante, généreuse et follement créative. Parce qu’il a grandi en Afrique du Sud, l’artiste porte, avec poésie et légèreté, la voix d’un peuple en danger. Les Bushmen sont environ cent mille aujourd’hui, dispersés entre le Botswana, la Namibie, l’Afrique du Sud et l’Angola. Depuis les années 1980 et la découverte de gisements de diamants sur leur territoire, ils sont expul-

sés de chez eux par le gouvernement, leurs huttes démantelées, leurs sources détruites. Interdits de chasse, confrontés à l’alcoolisme et aux maladies, les Bushmen, aujourd’hui parqués dans des réserves, sont en train de voir disparaître leur culture et leur mode de vie unique. Éric Bouvron pousse un cri d’alarme, ne cache rien de cette réalité, mais dépeint d’abord un personnage doux et attachant, dans une série de sketches. Il fait surgir les animaux de la brousse par la magie des ombres ou du dessin, se moque des touristes en quête de peuplades exotiques, raconte son quotidien de chasseur qui est celui de ses ancêtres depuis la naissance du soleil. Intelligent, bourré d’énergie et d’humour, d’une grande beauté visuelle, ce spectacle rappelle une évidence : quand une civilisation meurt, c’est que l’humanité entière est en mauvaise santé.

décalages en festival Les sept relais culturels du Nord de l’Alsace (Wissembourg, Bischwiller, Saverne, Haguenau, Niederbronn, Soultz-sous-Forêts, Reichshoffen) proposent pendant deux semaines des spectacles atypiques, hors des sentiers battus. Parmi ces ovnis scéniques, un coup de cœur pour la compagnie La Cordonnerie et son (Super) Hamlet, qui étonnera forcément le public de l’Espace Rohan (vendredi 18). Ciné-concert-spectacle bricolé intégralement par les artistes, cette version s’éloigne à peine de l’œuvre de Shakespeare pour faire de Hamlet un super-héros aux pouvoirs exceptionnels, dans une forme artistique encore jamais vue. À ne pas manquer non plus à La Castine, Synapses (samedi 26), par l’incroyable Viktor Vincent, magicien mentaliste qui nous entraîne malgré nous dans une autre dimension, à la frontière du fantastique. Du 15 au 26 janvier — www.scenes-du-nord.fr

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monstre et cie

Plongeant dans une expérience fantastique à grand renfort de vidéo, Sylvain Maurice crée Métamorphose d’après la nouvelle de Franz Kafka. Quand Gregor Samsa se réveille transformé en énorme cancrelat, ce sont la solitude, le rejet de l’autre et la monstruosité qui sont questionnés. Rencontre.

Par Thomas Flagel Photos de répétitions par Franck Beloncle et portrait de Sylvain Maurice par Benoît Linder pour Poly

À Strasbourg, au Théâtre national de Strasbourg, du 17 au 31 janvier 03 88 24 88 24 www.tns.fr À Besançon, au Centre dramatique national Besançon Franche-Comté, du 5 au 7 mars 03 81 88 55 11 www.cdn-besancon.fr À Dole, à La Commanderie, mardi 30 avril 03 84 86 03 03 www.scenesdujura.com

The Commentators’ Despair, The Interpretation of Kafka’s Metamorphosis, publié par Associated Faculty Pr Inc., 1973

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Vous signez l’adaptation du texte avec le souci de proscrire tout monologue intérieur et forme narrative (voix off, flash-back…). Cela sera très éloigné de l’original ? Depuis des années, je veux monter ce texte qui m’a fasciné quand j’étais adolescent : l’histoire de ce type se transformant en cancrelat sans que l’on sache pourquoi et qui peut dire plein de mal de sa famille me plaisait beaucoup ! Aujourd’hui j’ai 46 ans, des enfants et les choses ont changé. Objectivement, il faut passer par une réécriture car il y a très peu de dialogues, les choses sont vues par un monologue intérieur alors que je souhaitais donner corps à des personnages. Je voulais aussi expérimenter ce que l’on voit peu au théâtre : des actions à travers les yeux de Gregor en utilisant la vidéo. Ces deux écritures, théâtrale et vidéo, naissent de concert ? Oui, les deux avancent en même temps car elles sont entremêlées. Je travaille comme

un réalisateur à partir d’un storyboard, de la même manière que pour un scénario de film. On retrouve deux niveaux d’images : les corps sur scène et ce que voit Gregor qui est projeté dans l’espace scénique. Dans The Commentator’s Despair *, Stanley Corngold dénombre plus d’une centaine d’interprétations différentes à cette nouvelle : traitement social d’individus différents, névroses familiales, solitude et désespoir engendrés par une mise à l’écart… Quelle est la votre ? Kafka utilise la parabole. Du coup, chacun voit midi à sa porte. Suivant les époques, différentes interprétations se sont succédées selon qu’on était marxiste, freudien ou autre. C’est sûrement un peu de tout ça, mais Kafka avait pour seul objectif de raconter une histoire. Adapter, c’est choisir et trahir. Mon idée est d’avoir un point de vue singulier en regardant le réel à travers les yeux d’un être étrange qui modifie l’échelle et la topographie des choses par sa perception du monde. Cette métamor-


THÉÂTRE et vidéo

phose vient bousculer la vie normale de la famille. Les personnages vont donc réagir : certains y trouver de l’intérêt, d’autres la rejeter, le tout révélant des liens inédits entre les êtres. Voilà une manière de raconter des névroses familiales sans verser dans trop de psychologie ! Au fond, même si je trahis Kafka, j’essaie de créer une porosité profonde entre le réel et l’imaginaire, un univers onirique et décalé où s’ajoutent des scènes de rêves de Gregor influencées par David Lynch, Federico Fellini, Orson Welles… J’utilise la vidéo, les mouvements d’un plateau mouvant, des masques pour les comédiens… Comme dans Elephant Man de David Lynch, nous ne voyons pas Gregor, mais ce que lui voit, en caméra subjective. Nous le découvrons dans le regard des autres, ce qui rend active l’imagination des spectateurs… Kafka avait interdit que l’on reproduise l’insecte sur la première de couverture de son livre, ce qui n’est pas un hasard mais plutôt une invitation à ce que chacun imagine l’insecte qu’il veut. C’est aux spectateurs de travailler avec leur imaginaire car cela suscite des inquiétudes et des peurs enfantines. Nous allons bien finir par en montrer des bouts mais pas avant que le public se soit demandé s’il est gros ? Méchant ? S’il réagit comme un être humain ou un animal ? Gregor est il un monstre, un insecte, un cancrelat, un alien… un homme ? Tout à la fois ou ce que vous voulez ! Toute définition précise referme le sens de la parabole initiale et dicte le sens. Kafka avait besoin de cette liberté de lecture, d’autant qu’il y avait beaucoup de haine de soi chez lui. Il se déteste, une manière d’éviter de détester sa famille, ce qui est son paradoxe psychanalytique : il faut s’avilir pour pouvoir enfin dire du mal de son père. Une fois métamorphosé, il regarde sa famille et l’affronte. Tout le monde change ici : le père est très vieux au début et rajeunit, la sœur est quasiment autiste et ne dit pas un mot avant de devenir une

belle jeune fille… au fond il les autorise eux-mêmes à se métamorphoser. Dans ma pièce, Gregor est intéressant par le regard qu’il a sur les autres. Donc, forcément, l’attention qu’on leur porte est différente. Vous souvenez-vous de ce que ce texte vous faisait, enfant ? J’étais très superstitieux et Gregor était comme un sésame pour moi, un mot magique. Quelque chose d’étrange. J’ai compris assez tard que je voulais faire de la mise en scène. Mais j’aimais beaucoup la magie à l’époque où j’ai

découvert La Métamorphose. Du coup, on retrouve des effets magiques dans la pièce comme des meubles qui bougent et des illusions. Dans votre scénographie, il y a une armoire dans laquelle Gregor est enfermé. Parlez-nous de cette « machine à jouer »… J’ai imaginé cette armoire qui est une résurgence de celles où les enfants s’enferment quand ils ont peur mais aussi par jeu. C’est tout un monde pour lui, à la fois refuge et carapace. Mais gardons-en la surprise… Poly 155 Janvier / Février 13

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MUSIQUE CLASSIQUE

le clavier transcendé Sous la baguette d’Erik Nielsen, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg accueille le pianiste Jean-Efflam Bavouzet pour une version ébouriffante, sans aucun doute, du deuxième concerto de Prokofiev.

Par Hervé Lévy Photo de Paul Mitchell

À Strasbourg, au Palais de la musique et des congrès, jeudi 31 janvier et vendredi 1er février 03 69 06 37 06 www.philharmonique. strasbourg.eu www.bavouzet.com

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«D

es cinq concertos que composa Prokofiev, le deuxième est le plus violent, le plus dramatique. Il ressemble à une immense fresque sombre qui pousse le soliste dans ses ultimes retranchements, tant du point de vue de la rapidité que de la puissance et de la précision », explique d’emblée Jean-Efflam Bavouzet. Ancien élève de Pierre Sancan et considéré comme la dernière découverte de Sir Georg Solti – un des chefs les plus marquants du XXe siècle – le pianiste français, tout juste quinqua, est aussi à l’aise dans les délicates circonvolutions de l’œuvre pour piano de Debussy (« Sous la surface glacée, cristalline et élégante de sa musique est tapie une lave en fusion ») que dans la fougue des partitions de Bartók. On attend avec impatience sa vision de l’arche sonore qu’est cette œuvre de Prokofiev : « À la fin de la cadence du premier mouvement construite en crescendo, alors que le pianiste est censé jouer le plus fort possible, il se retrouve submergé par l’orchestre qui arrive sur lui à plein volume, comme une vague. En le jouant – et en l’écoutant – il est impossible de ne pas avoir de frissons. » Nous voilà prévenus.

Le reste du programme ? Deux rares pages de Dvořák (l’Ouverture d’Othello, une réflexion sur l’amour et la jalousie, puis le Nocturne pour orchestre à cordes) et les Variations sur un thème original “Enigma” d’Elgar. Dans l’imaginaire collectif, le compositeur anglais est l’homme d’une seule œuvre, Pomp and Circumstance, dont la Marche n°1 est devenue un véritable second hymne national britannique. C’est oublier un peu vite que l’auteur du remarquable oratorio The Dream of Gerontius ou de la Sérénade pour cordes écrivit aussi des pièces comme ces Variations, créées par Hans Richter en 1899. Chacune des quatorze est le portrait en musique d’un des proches du musicien : description toute en douceur et tendresse de son épouse, évocation pleine d’humour d’un architecte qui se piquait de piano, Arthur Troyte Griffith, ou encore peinture intimiste de l’altiste Isabel Fitton qui place son instrument au cœur de la partition… sans oublier l’organiste de la cathédrale de Hereford, ici évoqué par le prisme de Dan, son fidèle bouledogue ! La partition se clôt par un autoportrait solennel qui n’est cependant pas dénué de distance et d’autodérision. So british…


de Pierre Corneille Mise en scène, décor et costumes Éric Vigner 03 88 24 88 24 www.tns.fr

GUANTANAMO 9, 10 & 16 février

de Frank Smith Adaptation, mise en scène, décor et costumes Éric Vigner 03 88 24 88 24 www.tns.fr

Matthieu STAHL

Love maps 21 Musée des Beaux-Arts

du 2 février au 24 mars 2013 tous les jours (sauf mardis et jours fériés) de 13h à 18h30 Entrée libre

Media Création / D. Schoenig

LA PLACE ROYALE 5 > 16 février


MAISONS D’OPÉRA

la chair et l’esprit Année du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner, 2013 débute bien au Badisches Staatstheater de Karlsruhe avec une production de Tannhäuser en forme de réflexion sur l’amour. Charnel ? Désincarné ? Mais pas les deux à la fois…

Par Hervé Lévy Photo de Monika Rittershaus

À Karlsruhe, au Badisches Staatstheater, dimanches 10 février, 3 mars et 9 juin ainsi que jeudis 9 et 30 mai +49 721 355 70 www.staatstheater. karlsruhe.de

1 Costume traditionnel dans les pays germaniques 2 Représentation du dimanche 9 décembre 2012 3 Dans la Revue Européenne du 1er avril 1861 pour sa seule critique musicale, une défense de l’opéra de Wagner alors éreinté de toutes parts à Paris

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n immense plateau délimité par des murs métalliques alvéolés dont la couleur varie en fonction des sentiments qui se déploient sur scène : le décor des trois actes de ce Tannhäuser monté par Aron Stiehl et la plasticienne rosalie (lumières et costumes) est une épure peuplée de sculptures pyramidales oniriques, figurant un surprenant Venusberg ou de “sièges tonneaux” chromés, pour une Wartburg post-moderne. Des choix artistiques cohérents pour une mise en scène contemporaine au caractère germanique affirmé, où même les chasseurs sont en Tracht 1 bavarois. Le choix de faire interpréter les personnages de Vénus et d’Élisabeth par la même chanteuse (Christina Niessen, le soir de notre venue2, qui possède la sensualité et l’élégance nécessaires aux deux rôles), est d’une grande cohérence. En perruque noire glamour pour la première et blonde (un brin gnangnan, il faut l’avouer ; pour elle, l’amour physique est évidemment sans issue), pour la seconde, elle incarne les deux faces de la même médaille, amour charnel et sentiment pur, entre lesquelles le héros est brinquebalé.

« Tannhäuser représente la lutte des deux principes qui ont choisi le cœur humain pour principal champ de bataille, c’est-à-dire de la chair avec l’esprit, de l’enfer avec le ciel, de Satan avec Dieu » écrivait Baudelaire3 : jamais cette assertion ne fut aussi bien illustrée que dans cette fusion. Toute la mise en scène est irriguée par cette dualité, du ballet lascif du premier acte à l’altière noblesse du décor du concours de chant avec ses statues rutilantes vaguement inquiétantes, comme si le monde des hommes, prude et naïf (en témoigne le décor dans lequel débarquent les chasseurs, champêtre et kitsch), entrait en conflit avec celui de la déesse. Errant entre les deux, Tannhäuser (John Treleaven, impeccable) ne réussit pas à choisir. Perdu. Nous suivons ses hésitations, portés par une Badische Staatskapelle des grands soirs dirigée par un pointilleux et inspiré Johannes Willig et accompagnée d’un monumental chœur, indispensable pour une telle œuvre. Émerveillés


MAISONS D’OPÉRA

Anna Caterina Antonacci © Serge Derossi / Naïve

Du mystère

Au cours de cette soirée au Grand Théâtre de Luxembourg (mercredi 20 et samedi 23 février) nous aurons l’opportunité d’entendre deux courts opéras du XXe siècle où l’on retrouvera la merveilleuse Anna Caterina Antonacci : La Voix humaine de Poulenc et Il Segreto di Susanna de Wolf-Ferrari. Leur point commun ? Avoir en leur cœur un objet, un téléphone pour le premier (pour le monologue d’une femme appelant un amant qui veut la quitter) et une cigarette pour le second. www.theatres.lu

Du sang

© Yves Petit

Entre le 1er et le 12 février, l’Opéra national de Lorraine (Nancy) propose une mise en scène signée Jean-Louis Martinoty de Macbeth de Verdi, un des opéras les plus sanglants du répertoire sur lequel flotte un parfum de meurtre. Dans une scénographie faite de murs / miroirs, se déploie une atmosphère oppressante, où le bruit côtoie intimement la fureur, qui fait parfois référence, dans une surprenante étrangeté teintée de surréalisme, aux « poupées de Bellmer dans leur érotisme morbide ». www.opera-national-lorraine.fr

De l’amour

© Frédéric Desmesure

Énée le troyen est l’invité de Didon, reine de Carthage, qu’il séduit puis délaisse. Entre tempêtes furieuses, sorcières maléfiques, enjeux politiques et amours ardentes, elle s’abandonne à une langueur mortelle. En signant Didon et Énée en 1689, Henry Purcell adaptait L’Énéide de Virgile, écrivant le premier opéra en anglais, ici mis en scène par Bernard Lévy qui met l’accent sur l’amour et la séparation. À voir au Théâtre de Besançon, mardi 12 février.

De l’humour

Sous la baguette d’Hervé Niquet à la tête du Concert Spirituel, le duo comique Shirley et Dino revisite un des chefs-d’œuvre de Purcell à l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole (dimanche 10 et mardi 12 février). Voilà une version colorée et délirante de King Arthur, entre opéra, comédie musicale et cabaret. Une mise en scène euphorisante et jouissive où l’on retrouve un humour décalé dans la lignée des Monty Python. www.opera.metzmetropole.fr

© Marc Ginot / Opéra national de Montpellier

www.scenenationaledebesancon.fr

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THÉÂTRE

journal de création Charlotte Lagrange, jeune metteuse en scène issue de l’École du Théâtre national de Strasbourg, assiste Laurent Vacher dans sa prochaine création, Lost in the supermarket. Elle nous livre son carnet de bord de création, issu des deux premières semaines de répétitions.

Par Charlotte Lagrange

À Mancieulles, au Théâtre Ici & Là (avec NEST à Thionville), du 31 janvier au 2 février 03 82 21 38 19 www.theatreicietla.com 03 82 34 69 17 www.nest-theatre.fr À Nancy, au Théâtre de la Manufacture, du 5 au 9 février 03 83 37 42 42 www.theatre-manufacture.fr À Metz, au Théâtre du Saulcy, mercredi 13 février 03 87 31 57 77 www.univ-metz.fr À Lunéville, au Théâtre de la Méridienne, vendredi 15 février 03 83 76 48 60 www.lameridienne-luneville.fr

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euf femmes, neuf caisses, un casse. Vaste programme pour cette comédie aussi sociale que musicale écrite par Philippe Malone et dirigée par Laurent Vacher qui y ajoute cette petite subtilité : « Nos neuf comédiennes feront, elles, le casse de la représentation ». Vaste programme donc, pour ces cinq semaines de répétitions qui commencent aujourd’hui, lundi 17 décembre 2012. Si le chorégraphe Farid Berki ouvre la danse, il est aussi le dernier à rencontrer les comédiennes du spectacle. D’une oreille, il les écoute chanter ; de l’autre, il écoute l’histoire de Lost in the supermarket racontée par Laurent. D’un œil, il regarde les comédiennes se préparer ; de l’autre, il visualise quelques phrases chorégraphiques. Et les premiers mouvements surgissent. Des gestes issus du quotidien qui, précisés, rythmés et décontextualisés, deviennent tics de la banalité et racontent l’aliénation des corps. Certains mouvements chorégraphiques s’élaborent et se greffent intuitivement à certains morceaux. Nous sommes le mardi 18 décembre et déjà plusieurs fragments dansés viennent nourrir notre immense puzzle.

Franco Mannara, guitariste et compositeur des musiques de Lost in the supermarket rejoint le lointain jardin du plateau, mercredi 19 décembre. Il est escorté du batteur Christophe Dumas et de Mia Delmaë, pianiste et comédienne, qui sera aussi bien musicienne que caissière. Il faut faire tourner les mor-

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ceaux, mettre en place les voix, corriger les balances vocales et instrumentales et surtout intégrer les chansons à la partie textuelle en travaillant les transitions avec la parole. L’accompagnement musical de ce morceau-ci, en parlé-chanté, commencera pendant la scène. Ce morceau-là, plus mélodique, sera lancé a capella. Cet autre devra commencer brutalement. Tous les morceaux sont passés en revue. C’est précis, c’est technique, mais c’est aussi une première plongée dans les scènes et leurs situations. Une première approche de l’interprétation qui nous amène déjà au samedi 22 décembre. En présence de l’auteur, nous faisons une lecture totale de Lost in the supermarket mêlant pour la première fois texte et chansons. Les comédiennes tentent de trouver le rythme propre à cette langue répartie en dialogues très concis et rapides, en monologues plus diserts et imagés. Laurent Vacher nous raconte la mise en scène à venir. Entre danse, chant et texte, nous devons trouver le mouvement global qui amène au casse, un mouvement qui va de l’aliénation à la libération, de la douleur à la jubilation. En élaborant ensemble ce projet, Laurent et Philippe ont voulu raconter, voire interpeller, le plaisir de la désobéissance. Une lame de fond qu’il ne faudra pas oublier. Alors que les caissières de Lost décident de faire leur casse le 24 décembre, nous rentrons sagement dans nos familles respectives pour fêter Noël avec la promesse


THÉÂTRE

Mercredi 26 décembre, les régisseurs s’affairent sur le plateau de l’Apostrophe, à Cergy-Pontoise. Ils montent les premiers éléments du décor à peine construit et installent la technique nécessaire à l’élaboration du son, de la lumière et de la vidéo. En attendant de prendre le plateau d’assaut, les comédiennes, Laurent et moi étudions notre plan. La structure du texte peut sembler complexe à première vue. D’abord parce que sa typographie indique davantage la rythmique globale de la parole que la distribution en divers personnages. Mais aussi parce que la fiction mise en place par les premières scènes subit plusieurs renversements de situation qui interrogent à la fois sur les niveaux de réalités et les registres de jeu. La pièce est sensée s’ouvrir sur l’interrogatoire des caissières après une effraction survenue dans leur supermarché. Or, cet interrogatoire n’est en fait qu’une mise en scène des caissières destiné à les préparer au casse à venir. Dans cette double-fiction – qui demande aux comédiennes d’être toujours dans un « jeu dans le jeu » – vient se greffer un flashback où l’on voit ces mêmes caissières décider de faire un casse. Mais ce flashback pourrait lui aussi n’être qu’une autre mise en scène de ces femmes. Cette mise en abyme peut sembler vertigineuse mais elle nous offre la possibilité d’être dans un jeu constant, ludique et, là encore, jubilatoire avec le spectateur. Cela implique un travail par couches successives pour les comédiennes qui doivent jouer plusieurs niveaux de fiction à la fois. C’est ce que nous expérimentons dès le lendemain sur le plateau en traversant les premières scènes. Lorsque Farid Berki revient, vendredi 28 décembre, il travaille à l’intérieur de cette première esquisse de mise en scène. Cette fois-ci, les corps sont sculptés non seulement dans les chansons mais aussi dans les passages de texte. Les fils de la danse, du chant, de la musique et du texte se tissent les uns aux autres délicatement. Samedi 29 décembre, nous terminons l’année et cette courte semaine par un bout à bout des premières scènes. To be continued sera le mot de cette fin provisoire qui n’est encore que le début d’une vaste épopée.

Photo : Cheridan Chard

d’une révolte jubilatoire à jouer ensemble. Retour en répétitions avec une nouvelle étape dans le processus de création.

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1er janvier 2013 : sur le Net, les journaux titrent « L’incroyable casse d’un Apple Store à Paris ». L’écho de notre fiction théâtrale dans la réalité immédiate me rappelle ce qui est devenu une évidence au fil du projet, mais qui est central pour comprendre le déroulement même de notre fable. Les caissières de Lost ne font pas un casse pour s’enrichir. Au contraire, leur casse est une manière de refuser le consumérisme représenté par le supermarché. D’un même mouvement, elles se libèrent de l’aliénation du travail. Révolte et libération, un vaste programme pour cette comédie sociale et musicale...

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THÉÂTRE

c’est quand qu’on va où ? J’ai 20 ans qu’est-ce qui m’attend ? À cette question posée par la metteuse en scène Cécile Backès, cinq auteurs tentent de répondre en s’appuyant sur des entretiens menés auprès de jeunes gens d’aujourd’hui.

Par Dorothée Lachmann Photo de Thomas Faverjon

À Strasbourg, au TAPS Scala, du 16 au 19 janvier 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu À Forbach, au Carreau, du 22 au 25 janvier 03 87 84 64 34 www.carreau-forbach.com À Metz, au Théâtre du Saulcy, mardi 19 et mercredi 20 février 03 87 31 57 77 www.univ-lorraine.fr À Briey, au Théâtre Ici et Là, vendredi 22 et samedi 23 février 03 82 21 38 19 www.theatreicietla.com

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arce que le théâtre contemporain se préoccupe peu d’être le miroir de la jeunesse actuelle, Cécile Backès a eu envie de se pencher de très près sur la question. En imaginant ce projet atypique, la directrice artistique de la compagnie Les Piétons de la Place des Fêtes souhaitait cerner la spécificité d’une génération, comprendre comment elle construit son identité. « Quels sont les signes, les comportements, les habitudes et les normes naissantes qui sont propres à ces 20 ans ? Si quelque chose leur appartient, qu’est-ce que c’est ? » questionne-t-elle. Commence alors une démarche documentaire qui l’amène, avec un comédien de 27 ans, Maxime Le Gall, à rencontrer des dizaines de jeunes, entre Épinal et Paris : des étudiants en BTS ou en doctorat, des apprentis en CFA, certains déjà sur le marché du travail, mais aussi des membres des collectifs Jeudi noir et Génération précaire. « J’étais très surpris du peu de mots qu’il fallait de notre part pour que la parole de nos interlocuteurs se libère. Et

suive sa voie. En fait, nous collections véritablement des témoignages, du présent », relate Maxime Le Gall. Les témoignages évoquent souvent les problèmes de logement et de stages à répétition. Ces thèmes sont confiés à un collectif de cinq auteurs, avec deux contraintes : écrire un texte avec six jeunes personnages – trois garçons, trois filles – et d’une durée de vingt minutes. Aurélie Filippetti (devenue depuis Ministre de la culture), Maylis de Kerangal, Arnaud Cathrine, Joy Sorman et François Bégaudeau s’y collent. Au final, les propositions sont très diversifiées, « dans la forme, l’écriture, le rythme ou les situations. En tout cas, chaque écrivain apparaît avec son monde et son langage. Et les entretiens sont partout en filigrane », souligne Cécile Backès. « Je crois beaucoup à la fonction d’information de la fiction. Ce spectacle est documenté mais non documentaire. » C’est ainsi qu’elle a choisi de mettre en scène la démarche, à travers la projection vidéo des entretiens, tout en laissant la fiction et le travail d’écriture prendre la première place. Au final, à quoi ressemblent les vingtenaires de ce début de XXIe siècle ? « Je suis surtout frappée par la capacité d’invention de l’être humain, qui cherche à se débrouiller avec ce qu’il a. À côté de cela, c’est une génération qui livre peu de revendications. Mais des collectifs comme Jeudi noir ou Génération précaire ont inventé une manière très moderne d’agir », estime l’initiatrice du projet. Un deuxième volet du spectacle, orienté cette fois sur l’engagement politique et les usages d’Internet, complètera ce « regard pluriel sur la jeunesse française d’aujourd’hui ». Entre investigation du réel et fiction.


uter Eect poartager

PARCOURS SCÈNES FÉV - MAI 2013 THÉÂTRE . MARDI 12 FÉVRIER . 20:30

LA CONTREBASSE avec Clovis Cornillac

THÉÂTRE EN ESPAGNOL SURTITRÉ EN FRANÇAIS

VENDREDI 15 FÉVRIER . 20:30

LOS HIJOS SE HAN DORMIDO d'après La Mouette de Tchekhov

SCÈNE LOCALE LES PERCUSSIONS SELON ... DANS LES MEDIATHEQUES

Trio d’individus tactiles

Médiathèque Neuhof Samedi 12 janvier à 17h

Médiathèque de Reichstett Jeudi 24 janvier à 20h

De Bach à Steve Reich Médiathèque Robertsau Mardi 15 janvier à 19h

SOKAN Médiathèque Neudorf Jeudi 17 janvier à 20h

NOUS LES ROBOTS Salle de conférence - RDC

Sur inscription

KENJO

Embarquement immédiat Médiathèque Olympe de Gouges Vendredi 25 janvier à 20h

Hall du Théâtre de Hautepierre

Médiathèque Hautepierre adultes Samedi 19 janvier à 16h

VIOLONS BARBARES Médiathèque Ouest Mardi 22 janvier à 20h

LECTURE MUSICALE . MARDI 26 MARS . 20:30

3 POÈTES LIBERTAIRES DU XXe SIÈCLE : PRÉVERT, VIAN, DESNOS avec Jean-Louis Trintignant

NYKTOPERPATITES Médiathèque Cronenbourg Samedi 26 janvier à 15h

INDIKA

Médiathèque André Malraux Médiathèque Meinau Vendredi 18 janvier à 19h Mardi 29 janvier à 20h

IÔNAH

Le cantique des cantiques & Hommage à Mahmoud Darwich

DU BOUT DES DOIGTS

Espace culturel Django Reinhardt - Sur inscription

MARIMBAS

RODOLPHE BURGER

THÉÂTRE . MARDI 14 MAI . 20:30

LA PROMESSE DE L'AUBE avec Bruno Abraham-Kremer

FURIEUZ CASROLS Médiathèque Sud Mercredi 30 janvier à 17h

RYTHMES NOMADES Bibliobus Arrêt : Montagne Verte, place d’Ostwald

Jeudi 31 janvier à 18h30

www.mediatheques-cus.fr rubrique agenda culturel

APPLAUDISSEZ MOINS CHER : 20 € la place, pour tous, avec le carnet SIX FOIS SCÈNES ! et autres réductions ! www.poirel.nancy.fr ENSEMBLE POIREL 03 83 32 31 25

Organisation Ville de Nancy – lic. I 10.22157 et III 10.22159. Conception : element-s

SON DEL SALON

MUSIQUE . MERCREDI 13 MARS . 20:30


MUSIQUE

le plein de super Il y a seize ans, sortait Super, premier disque (bien nommé) de Mathieu Boogaerts qui faisait doucement swinger la chanson made in France sur des rythmes chaloupés. Il impose alors un style – ascétique – qui n’a guère évolué. Tant mieux.

Par Emmanuel Dosda Photo de Thibault Montamat

À Schiltigheim, au Cheval Blanc, samedi 26 janvier 03 88 83 84 85 www.ville-schiltigheim.fr À Macon, à La Cave à Musique, vendredi 5 avril 03 85 21 96 69 www.cavazik.org

Mathieu Boogaerts, paru chez Tôt ou tard (environ 14 €) www.totoutard.com www.mathieuboogaerts.com

J’en ai marre d’être deux est le deuxième album de Mathieu Boogaerts (1998)

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Album sorti en 2008

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Pour commencer, je voulais savoir si vous en aviez encore Marre d’être deux 1 ? J’accepte mieux cette dualité. Est-ce dû à la maturité, à l’expérience ? Plus je rencontre de gens, plus je m’aperçois que nous sommes tous pareils : gentil / méchant, bourreau / victime, fort / faible… Contre quoi vous battiez-vous dans ces moments les plus schizophréniques ? L’envie de rester et de partir. Le côté “ça me suffit” et “je veux mille fois plus”, je suis repu et je suis affamé. En 1996, vous débarquiez avec un disque ovni faisant le grand écart entre reggae et chanson française. À cette époque, vous sembliez « près de la lune », pour paraphraser un de vos morceaux. Vous considériez-vous comme une sorte d’extra-terrestre ? Pas vraiment. Pour ça, il faut être conscient de ce qui est terrestre. Je n’ai jamais eu de regard très aiguisé sur le paysage musical français. Je suis dans une démarche expérimentale permanente. En écrivant une chanson, je fais tout pour qu’elle ne ressemble à rien de connu. En tant qu’artiste, je n’ai de légitimité qu’en étant original. C’est ma vocation. Vos concerts ont souvent un aspect théâtral. Comment appréhendez-vous l’exercice scénique ? Je suis très mauvais public de concert. Je m’ennuie facilement et ma hantise est que les gens aient ce sentiment durant mes spectacles. Il faut d’abord que je croie à fond en

mes chansons, au mot près. Ensuite, l’ordre des morceaux est important : par quoi je commence, par quoi je finis. Un concert n’est pas une collection. Enfin, à partir des outils mis à ma disposition – un espace, des lumières… – je réfléchis à comment occuper la scène. Pour la tournée d’I love You2, nous étions quatre sur scène, sur des patins à roulettes : c’était une proposition très originale mais très contraignante et j’étais moins dans la musique que dans la mise en scène. Après ces “excès”, j’ai fait dans la simplicité : guitare / voix, comme les chansonniers. Peut-être êtes-vous plus à l’aise et avezvous moins besoin d’artifices… Je fonctionne surtout en réaction. Après les rollers et un spectacle très chorégraphique, je voulais plus de sobriété. Peut-être que la prochaine fois, j’aurais envie de quelque chose de plus ambitieux, avec un décor. Vos albums restent quant à eux très dépouillés… J’ai le goût du silence, de l’économie, de l’épure. Je ne le revendique pas comme une qualité mais je suis ainsi dans la vie. Chez moi, il y a très peu de meubles. Les fringues que je ne mets plus, les livres que j’ai lus et les disques que je n’écoute plus, je les vire. Ce qui reste a plus de valeur, d’air pour respirer et de place pour être beau. Je suis dans ce système logique. Si on le poussait à l’extrême, à quoi ressembleraient vos chansons ? À celles de ma tournée actuelle où je suis seul sur scène. Il n’y a que l’os des morceaux.


ARTISTE EN RÉSIDENCE

le projet beethoven En résidence à L’Arsenal de Metz, François-Frédéric Guy poursuit son entreprise pharaonique, la relecture de l’œuvre pour piano de Beethoven, s’attaquant cette fois, avec la complicité de Xavier Phillips, au corpus pour clavier et violoncelle. Par Hervé Lévy Photo de Benjamin de Diesbach

À Metz, à L’Arsenal, samedi 26 et dimanche 27 janvier 03 87 74 16 16 www.arsenal-metz.fr www.ffguy.net www.xavierphillips.com

1 Concert du dimanche 30 janvier 2011, à 11h – www.festspielhaus.de

Le troisième volet de cette intégrale paraît ce mois chez Zig-Zag Outhere www.outhere-music.com

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Il a déjà gravé une intégrale des Sonates pour violoncelle et piano de Beethoven avec Anne Gastinel www.naive.fr

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orsqu’on rencontre François-Frédéric Guy, ce qui marque en premier est son regard : un vert translucide et transperçant en harmonie avec une manière d’appréhender le clavier que nous avions découverte pour la première fois en live, il y a deux ans déjà, au Festspielhaus de Baden-Baden1. Ce matin-là, il avait ébloui le public avec des interprétations d’anthologie de quelques “tubes” de la sonate pour piano beethovénienne : Pastorale, Clair de lune, Pathétique… Le virtuose est devenu un vrai “spécialiste” du compositeur allemand. La révélation ? Sans doute le concours d’entrée en cycle de perfectionnement au Conservatoire national Supérieur de Musique de Paris, fin 1988, où le programme imposé comprenait la Fugue la Sonate pour piano nº29 “Hammerklavier”. Depuis, FFG l’a jouée plus de 70 fois en récital et enregistrée à deux reprises : le compositeur « parle à mon oreille sur le ton de la confidence », explique-t-il. Pour lui, « l’action de cette pièce est pire que celle d’une drogue. Pas de désintoxication possible. » Mais tout Beethoven, « l’alpha et l’oméga » de son répertoire, le passionne. En premier

lieu les concertos et les fameuses 32 Sonates, qui comptent « 101 mouvements et 620 pages de la même musique qui ne fait qu’évoluer et s’amplifier au fil du temps pour ressembler à une fascinante autobiographie ». Ces dernières, il les a jouées et enregistrées à L’Arsenal2. Voilà qu’il s’attaque à l’œuvre pour violoncelle et piano dans un nouveau Beethoven Project qui fera l’objet d’un disque3 : le premier soir, il nous entrainera, avec Xavier Phillips, dans la fougue du jeune Ludwig tandis que le second, il approchera l’œuvre d’un compositeur en pleine maturité. Et si on lui annonçait que, pour le restant de ses jours, il ne pourrait plus jouer que des œuvres du “géant de Bonn” ? FFG « signerait immédiatement »… avant de rajouter : « Plus sérieusement, j’ai aussi une fascination pour Brahms, son “successeur”, et pour Liszt. Sans parler de la musique d’aujourd’hui. Une des raisons pour lesquelles j’aime tant Beethoven est qu’il a écrit l’histoire en cassant tous les codes, et c’est ce regard vers l’avenir qui m’intéresse chez des créateurs contemporains comme Dufourt ou Mantovani. »

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L’Allumeuse

l'illustratrice

marion fayolle Marion grandit en Ardèche et intègre l’École des Arts décoratifs de Strasbourg (devenue Haute École des Arts du Rhin) en 2006. Diplômée en juin 2011, c’est au sein de l’atelier d’illustration qu’elle rencontre Matthias Malingrey et Simon Roussin avec lesquels elle fonde, en 2009, la revue de bandes dessinées

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et d’illustrations Nyctalope. Elle travaille également pour la presse : XXI, Paris Mômes, Psychologies Magazine, Muze, Doolittle… http://marionfayolle.canalblog.com http://nyctalope.magazine.free.fr


Les enfants se sont endormis Une adaptation de “La Mouette” de Tchekhov par le metteur en scène argentin Daniel Veronese. Une réflexion aigüe sur l’amour et le théâtre portée par d’excellents comédiens. “Le public est bouleversé par ce moment d’émotion partagée.” Le Nouvel Obs Mardi 12 à 19h30 et Mercredi 13 février à 20h30 au granit

03 84 58 67 67 | www.legranit.org


PROMENADE

la montagne de la mort HWK. Trois lettres menaçantes, longtemps synonymes de fer, de feu et de sang. Si le silence règne aujourd’hui sur le champ de bataille du Hartmannswillerkopf, les stigmates de la guerre, presque cent ans plus tard, sont encore présents. Promenade au cœur de la mémoire.

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Par Hervé Lévy Photos de Stéphane Louis pour Poly

1 Long de plus de 2 500 kilomètres, le sentier part de la Mer du Nord pour rejoindre Nice 2 Aujourd’hui disponible dans la Bibliothèque de la Pléiade, dans le premier volume de ses Journaux de guerre – www.la-pleiade.fr

La crypte rénovée rouvrira au printemps tandis qu’un parcours de la mémoire est prévu pour l’été 2014 et un Historial franco-allemand de la Grande guerre sur le front des Vosges pour le printemps 2016 3

Le 152e Régiment d’infanterie stationné à Colmar qui prit une part décisive aux combats du Hartmannswillerkopf

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a neige n’est pas encore tombée. Elle rendra le lieu inaccessible tout l’hiver, enfermant le champ de bataille dans une gangue sourde et glacée. Il faut en profiter. La voiture garée au col du Freundstein, nous voilà partis le long du mythique GR 51 en direction d’un des lieux les plus meurtriers de la Première Guerre mondiale dans les Vosges, le Hartmannswillerkopf – ou Vieil-Armand, puisque “weiler” fut maladroitement francisé et que Hartmann correspond à Armand – où plus de 25 000 hommes sont tombés entre 1914 et 1918. « L’immense volonté de destruction qui pesait sur ce champ de mort se concentrait dans les cerveaux, les plongeant dans une brume rouge. Sanglotant, balbutiant, nous nous lancions des phrases sans suite, et un spectateur non prévenu aurait peut-être imaginé que nous succombions sous l’excès de bonheur » écrivait Ernst Jünger dans son chef d’œuvre autobiographique, Orages d’acier 2, une des plus extraordinaires descriptions de la guerre. Des phrases qui résonnent de manière sinistre dans nos têtes.

Mémoire

Le ciel est bas et lourd. Une bise glacée nous saisit. Dans cette atmosphère blafarde apparaît l’esplanade de la Nécropole nationale du Hartmannswillerkopf dont la deuxième tranche de la rénovation s’est achevée en novembre 20123. Un chemin de près de 80 mètres de long mène à la crypte et l’on se croit transportés dans le Péloponnèse – la lumière

grecque en moins – à l’entrée d’une tombe à tholos mycénienne. Une grille fermée où étincelle l’inscription latine Ad lucem perpetuat est gardée par deux archanges hiératiques sculptés par Antoine Bourdelle. Au sommet, doré et rutilant, l’Autel de la patrie – inspiré de celui qui fut élevé au Champ de Mars le 14 juillet 1790 – est un sarcophage orné des blasons de différentes villes françaises (qui contribuèrent à son édification) : il apparaît presque incongru dans cet environnement gris. La promenade débute sur les pentes herbeuses du cimetière du Silberloch avec ses 1 264 tombes et six ossuaires. Il n’y a pas un chat. Les croix sont alignées comme pour une mortuaire parade : nous nous lançons sur les chemins menant au sommet de la montagne culminant à 956 mètres d’altitude : occupé dès 1914 par les troupes françaises, le Hartmannswillerkopf domine la plaine et fait figure, à la fois, d’observatoire et de verrou pour toute la région de Mulhouse. Les troupes allemandes le reprennent le 22 janvier 1915. Attaques et contre-attaques vont se succéder : pris et repris au fil des années, le sommet est le symbole d’une guerre inhumaine où des vies ont été sacrifiées par brassées entières, pour gagner quelques mètres de terrain.

Traces

La montagne est crevassée de cratères d’obus et couturée de près de 90 kilomètres de tranchées. Des poutrelles tordues, des bouquets mortifères de barbelés rouillés, des Poly 155 Janvier / Février 13

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PROMENADE

chevaux de frise par centaines et des milliers de bouts de métal pointus et piquants visant à déchirer les chairs… Les restes de la guerre semblent avoir sauvagement poussé, plantes métalliques et maléfiques, tandis que les arbres connaissent un développement étrange. Faisceaux malingres, troncs solides mais tordus, branches biscornues et rabougries. Le règne végétal ne s’est pas remis de la violence des combats que tout nous rappelle : des monuments (au Général Serret, au valeureux Diables rouges du 15-24, une œuvre patriotique et monumentale de Victor Antoine qui avait servi dans ce régiment mythique, aux chasseurs allemands, une sinistre pyramide décorée de plaques de bronze et de pierre…). Nous marchons – errons, serait plus exact – sur le champ de bataille dominé par une croix lumineuse. Il est facile de se perdre, de tourner à gauche dans une tranchée alors qu’il aurait fallu aller à droite, d’entrer dans un blockhaus sombre pour en sortir vingt mètres plus loin. Au sol, des éclats de shrapnel, des plaques de métal derrière lesquelles s’abritaient les tireurs d’élite et de multiples morceaux d’acier non identifiés. La promenade est complexe. Douloureuse presque. Nous tentons d’identifier les positions des uns et des autres, d’imaginer les balles qui sifflent et la fatigue des soldats montant et descendant les 560 marches de la bien nommée Himmelsleiter (échelle du ciel). Cantine Zeller, Croix Zimmermann ou Chapelle Notre Dame de la Victoire érigée en 1916 (dite Chapelle Sicurani pour rendre hommage à un des héros de 14-18). Toutes les étapes de la randonnée sont placées sous le signe de la guerre et de la mémoire. Au fil des pas, en s’éloignant progressivement des premières lignes, pour se rendre vers l’arrière, le paysage se fait plus apaisé et les traces des combats moins prégnantes. La marche s’achève au château du Freundstein (le plus élevé d’Alsace puisqu’il culmine à 948 mètres d’altitude) qui fut construit à la fin du XIIIe siècle dont il ne reste presque rien (un pan de mur percé de plusieurs fenêtres…). Il est vrai qu’il servit de poste d’observation au cours de la Première Guerre mondiale. Impossible d’y échapper au cours de la journée. Décidément…

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le hartmannswillerkopf Départ Col de Freundstein Distance 13 km Temps estimé 4 h 45 Dénivelé 700 m

PROMENADE

Guebwiller 16km Croix Zimmermann

Chapelle Sicurani

Château du Freundstein

D Col du Freundstein

Cimetière national et crypte Col du Silberloch

Croix Lumineuse Monument du 15-2

Monument Serret

Mulhouse 29km

un havre de paix

la guerre vue de l’intérieur Récemment paru, cet ouvrage de Daniel Roess (avec une préface de Jean-Jacques Becker, un des plus grands spécialistes de la Grande guerre) est un jalon important dans un corpus historique somme toute assez réduit consacré à 14-18 en Alsace. Fruit de trente ans de recherches, le livre regroupe des traces photographiques (avec plus de 200 clichés d’époque) et écrites (une douzaine de récits français et allemands) relatives aux combats dans les Hautes-Vosges, du Linge au Reichackerkopf en passant par l’Hilsenfirst. Grâce à ces témoignages précieux (et inédits), le lecteur peut saisir le quotidien du soldat… Une manière émouvante et humaine de découvrir la guerre au ras de la tranchée qui s’inscrit dans un mouvement historique visant à laisser la parole aux témoins.

Situé à une portée de canon du Hartmannswillerkopf, Les Violettes est dans doute un des plus beaux hôtels d’Alsace. À Thierenbach, l’établissement quatre étoiles qui surplombe la célèbre basilique (attirant chaque année plus de 300 000 visiteurs) est pourvu d’un merveilleux spa de plus de 1 000 m2, un univers enchanteur parrainé par Adriana Karembeu, où se trouvent saunas, hammams, piscines, jacuzzis, grotte à sel, laconium (une version douce du sauna finlandais), bain Kneipp où alternent chaud et froid… Voilà un espace paisible où il fait bon se régénérer : tenu par Jérôme Jaeglé, le restaurant de l’endroit propose de bien belles rencontres gastronomiques. Les Violettes ? L’adresse idéale, dans la région, où passer un week-end loin de la ville et laisser derrière soi tous les soucis du quotidien. (S.Q.) 03 89 76 91 19 – www.les-violettes.com

Hautes-Vosges, 1914-1918, Les Témoins est paru chez Bernard Giovanangeli (35 €) www.bgediteur.com

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GASTRONOMIE

l’alsace redessinée Valeur sûre du paysage gastronomique, Le Cerf, étoilé au Guide Michelin depuis 1936, séduit et sait surprendre sous la houlette de Michel Husser qui, inlassablement, « redessine le terroir alsacien ».

Par Hervé Lévy Photo de Stéphane Louis pour Poly Le Cerf se trouve 30 rue du Général de Gaulle à Marlenheim. Fermé mardi et mercredi. Menus de 41 € (au déjeuner, sauf dimanche) à 99 € 03 88 87 73 73 www.lecerf.com

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e chaudes boiseries, des marqueteries délicates signées Spindler, une immense toile de Henri Loux (qui illustra le célébrissime service de table Obernai des faïenceries de Sarreguemines), des dessins de Tomi Ungerer… Le décor du Cerf, installé dans un ancien relais de poste, ressemble à un concentré d’Alsace de bon aloi, terroir qui fournit également l’âme de la carte. Reste que Michel Husser, héritier d’une longue tradition familiale, s’est nourri aux sources vives des cuisines de Paul Haeberlin (à la mythique Auberge de l’Ill d’Illhaeusern) – voilà pour la touche grand style de classi-

cisme local – et d’Alain Senderens (à l’époque de L’Archestrate, alors que le cuisinier est à la pointe de l’innovation culinaire, à la fin des années 1970). C’est dans cette féconde dialectique entre socle traditionnel et partipris révolutionnaire que se déploie la cuisine du chef de Marlenheim qui, sans tambour, ni trompette, s’affirme comme un des meilleurs de la région. Il est vrai que l’esbroufe n’est pas le genre de la maison. Dans des plats comme le Pavé de saint-pierre cuit sur la peau, raviolis à la bourrache, fricassée de légumes oubliés, beurre blanc acidulé au poivre de Madagascar, éclate la maîtrise d’un cuisinier qui sait accommoder les saveurs mal connues des crosnes, topinambours et autres persils ou cerfeuils tubéreux avec des ingrédients plus courants, dans de passionnantes alliances des goûts, des couleurs et des textures. Michel Husser suit les saisons, proposant, chaque mois, un menu thématique, autour d’un produit phare (en janvier il sera dédié à la truffe noire) : que dire ainsi de cette Oie fermière d’Alsace à la royale, chou rouge à l’ancienne, purée de coing et spaetzles, servie à la période de Noël ? Qu’elle est parfaite, certes, mais aussi que s’y rejoignent l’histoire – le volatile peut être considérée comme un des piliers de la gastronomie alsacienne – et la modernité. Il en va de même en fin de repas dans une Partition de sorbets et glace à la vanille “comme un vacherin” qui dépoussière un dessert de grand-mère des sixties. Le Cerf mérite décidément de regagner sa deuxième étoile que le Michelin lui a sucrée, on ne sait trop pourquoi, il y a quelques années. Mais les voies du guide rouge, on l’a compris depuis longtemps, sont impénétrables… et tortueuses.


Visuel Kathleen Rousset, graphisme Polo

CONCERT / JAZZ

la meridienne

SCÈNE CONVENTIONNÉE LUNÉVILLE

Michel Portal bojan TAPS GARE LAITERIE DU JEU. 7 AU SAM. 9 FÉV. À 20H30 DIM. 10 À 17H

MARY’S À MINUIT DE SERGE VALLETTI ÉDITIONS CHRISTIAN BOURGEOIS MISE EN SCÈNE DOMINIQUE JACQUOT CIE JAMAUX-JACQUOT STRASBOURG – CRÉATION 2012 www.taps.strasbourg.eu ou 03 88 34 10 36

ROLAND MAGDANE SAMEDI 6 AVRIL 2013 - 20h30 ESPACE RENE CASSIN - BITCHE

Roland Magdane Artiste Humoriste AU PLAISIR DE VOUS VOIR Humoriste, chanteur et acteur français, Roland Magdane a tout pour plaire. Propulsé sur le devant de la scène, il est considéré comme l’un des comiques les plus appréciés en France et à l’étranger. C’est entre deux apparitions au cinéma qu’il est revenu depuis 2007 à ses premiers amours, au théâtre, dans un spectacle One Man Show « Best of », réunissant ses meilleurs sketches, pour notre plus grand plaisir. En coproduction avec Produc’Son Tarif Plein : 30€ - Tarif Réduit : 26€ Renseignements : Association Cassin 03.87.96.12.54

VENDREDI 25 JANVIER 2013 - 20H30 THÉÂTRE

RÉSERVATIONS : 03 83 76 48 60 Licences : 1-1055462 / 2-1055463 / 3-1055464

Tété

SAMEDI 16 FEVRIER 2013 - 20h30 ESPACE RENE CASSIN - BITCHE

Tété Chanteur francophone Un parcours à suivre… NOUVEL ALBUM « NU LÀ-BAS » Après plus de 1000 concerts et un demi million d’albums vendus, le chanteur originaire de Lorraine et à la carrière internationale, ballade toujours son élégance old-school et vient nous faire partager sa passion de la musique. Présentation de son nouvel album avec notamment « La Bande Son de ta Vie », une raison supplémentaire de venir apprécier ce féru de musique… Tarif Plein : 28€ - Tarif Réduit : 24€ Gratuit pour les moins de 14 ans, accompagnés d’un adulte Renseignements : Association Cassin 03.87.96.12.54


ARCHITECTURE

effet miyake Le grand magasin strasbourgeois le Printemps mue, se parant d’aluminium plissé et de verre. Un audacieux projet signé Christian Biecher, l’architecte du siège d’Issey Miyake au Japon, qui sera inauguré… au printemps.

Par Emmanuel Dosda Images de Biecher Architectes Le Printemps Strasbourg (ouvert pendant les travaux, entrée rue du Noyer) 03 69 71 40 75 www.printemps.com www.biecher.com

Filiale d’investissements immobiliers de la Deutsche Bank

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Chaîne de magasins anglais luxueux, type Harrods www.harveynichols.com

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e Printemps, créé par Jules Jaluzot en 1865 et ayant pour cliente « toute femme élégante » comme le vantent les affiches d’antan, c’est aujourd’hui dix-sept magasins installés un peu partout en France et plus d’un milliard d’euros de ventes en 2010. Depuis 2006, année du rachat par la RREEF1 et le groupe Borletti, l’enseigne change sa stratégie pour monter en gamme, se repositionner sur le luxe. Dans cet élan, afin d’offrir de beaux écrins à ces « scènes de l’élégance intemporelle », des façades (comme celles du boulevard Haussmann) sont rénovées et des établissements, entièrement refaits à neuf, Strasbourg en tête. Le bâtiment alsacien, datant des années 1950, où le Printemps s’installa en 1979, n’a pas vraiment le charme haussmannien… L’idée est aujourd’hui de “créer un patrimoine”, avec une signature architecturale forte. La direction veut tourner le dos « au grand magasin à la papa », sombre et fermé sur lui-même, et s’inspirer des modèles « à l’Américaine »,

lumineux et spacieux. Les travaux débutent en janvier 2012 avec de grands bouleversements : si une partie du magasin (rue du Noyer) abritera désormais des appartements, le Printemps s’étend rue de la Haute-Montée, intégrant des bâtisses “patrimoniales”, agrémentées notamment de fenêtres du XVIIIe siècle surmontées de têtes de femmes symbolisant les quatre saisons (restaurées et préservées). Clarté, luminosité… Les différents étages du nouveau magasin, pourvus d’un beau parquet en bois massif, seront autant de lieux de vie. On y déambulera comme dans un vaste appartement, allant de pièce en pièce : la cuisine, la chambre, le séjour… Une importante place sera accordée à la “belle” parfumerie, aux accessoires (à l’entrée), aux services, à des griffes renommées ou des créateurs en devenir.

Hommage inconscient à Miyake

Les espaces intérieurs sont conçus par l’équipe du Printemps, selon une charte. La façade sera quant à elle l’œuvre de Christian Biecher,


diplômé de l’École nationale supérieure d’Architecture de Paris-Belleville en 1989. Aménagement des magasins Fauchon au travers le monde (de Paris à Pékin, en passant par Casablanca) ou restructuration et agencement d’Harvey Nichols2 à Hong Kong… Le natif de Strasbourg (aujourd’hui installé à Paris) est enthousiasmé par ce type de programmes, même s’il réalise également des logements ou de l’équipement : « Les gens se retrouvent dans les grands magasins, des lieux privés mais qui ont presque une fonction d’espace public dans la ville. » Séduite par la façade en aluminium découpé réalisée pour Harvey Nichols en Chine, l’équipe du Printemps contacte l’architecte. Celui-ci lui propose de recouvrir le nouveau magasin (composé de bâtisses hétéroclites qu’il faut unifier) d’une seconde peau froncée, se détachant légèrement de l’édifice existant. Les volumes en zigzag rappellent étrangement les créations plissées du couturier japonais Issey Miyake dont Christian Biecher a réalisé le siège à Tokyo. « Quelque chose a dû me marquer inconsciemment durant la collaboration avec ce créateur dont les pratiques vont au-delà de la mode », affirme l’intéressé. « Son travail sur le textile est ancré dans l’histoire de l’artisanat japonais tout en étant très innovant. De manière générale, mes séjours au Japon ont façonné mon regard sur le monde. »

Clin d’œil à l’archi alsacienne

Selon lui, le rythme donné par cette paroi en tôle nervurée couleur or mat, ornée d’oriels, entre en résonance avec l’architecture rhénane : les colombages, les plis du baroque, etc. La capitale alsacienne est « très en relief, dans la verticalité, que ce soit dans la ville allemande ou du Moyen-Âge, qu’il s’agisse des ponts ou encore de la Cathédrale, la ville n’est pas lisse. Je voulais, d’une manière musicale, exprimer ce ressenti ». Son ossature en aluminium martelé va entourer des baies vitrées, « prenant la forme de diamants et annonçant les grandes perspectives présentes dans le magasin, en direction de la place Kléber. L’idée était d’y faire entrer le paysage urbain. » Le niveau bas sera quant à lui habillé de marbre jaune pour un effet d’ensemble monochrome et cohérent… qui dénotera cependant fortement, en plein centreville. L’architecte ne nie pas ce « contraste fort », mais évoque une place de l’Homme de Fer peu homogène, avec la Tour Valentin Sorg ou la station de Tram et son anneau de verre conçu par Guy Clapot. « Il y aura une confrontation d’époques qui écrivent l’histoire de la ville d’une manière détonante. Mais la cité doit être un lieu d’expression et quand les choses sont bien dessinées, elles résistent au temps. »

Les grands magasins sont des lieux privés mais qui ont presque une fonction d’espace public dans la ville

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LAST BUT NOT LEAST

lilly wood & the prick musique faite de prick et de pop

Par Emmanuel Dosda Photo de Benoît Linder pour Poly

En concert jeudi 7 février, à La Vapeur de Dijon www.lavapeur.com Vendredi 8 février à La Laiterie de Strasbourg www.artefact.org Samedi 9 février à La Rockhal d’Esch-sur-Alzette (Luxembourg) www.rockhal.lu Jeudi 28 février au Moloco d'Audincourt www.lemoloco.com Samedi 2 mars à La Kaserne de Bâle www.kaserne-basel.ch

www.lillywoodandtheprick.com

Vous semblez parfois blasés lors des interviews. Quel est le dernier entretien vous ayant profondément ennuyé. Ça arrive fréquemment, hélas… La semaine dernière, une fille nous a posé des questions sur le ternaire et le binaire. En fait, elle n’avait pas écouté notre musique. Non, on ne dévoilera pas le nom du média. Vous avez repris le morceau L.E.S. Artistes de Santogold. Dernière fois que vous avez, comme elle, porté des leggings panthère. Ben. Dans une boum organisée pour des copines, on s’est déguisés en Spice Girls, avec des rollers. Mais j’avais onze ans… Aujourd’hui, avec Nili, on porte plein de trucs bizarres. Dernière reprise. La semaine dernière, nous avons invité des potes à la maison pour reprendre Champagne Coast de Blood Orange. Nous venons tout juste de le poster sur Facebook. De la même manière, nous avons repris Baxter Dury, Chris Isaak ou les Rapture qui nous ont proposé un remix suite à ça ! Dernier truc de “branleur”. Tout à l’heure, nous avons mangé un Quick assis à une table pour enfants, au centre commercial. C’est pas un truc de branleur, ça ? Dernière idylle. Ben. Avec ma copine, le week-end dernier. Nili. Avec mon nouvel amoureux… Bon, ok,

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je me suis tapé une équipe de foot la semaine dernière, mais si tu pouvais éviter de le mettre dans l’interview… Vous aimez les chorégraphies disco comme le montre le clip de Middle Of The Night. Dernière Saturday Night Fever vécue. Dans les mariages ou dans les bars, nous improvisons régulièrement des chorés débiles. Tout le monde est obligé de nous imiter et ça se termine en grand n’importe quoi. Dernière Love song. Toutes nos chansons parlent d’amour. Dernière trouvaille. On a tout le temps des cool idées. (Nili sort son Smartphone) Pour Noël, nous avons mis en ligne un papier cadeau à télécharger, avec nos têtes et du houx. Y a même des flocons de neige sur la chemise de Ben. Dernier album. The Fight, édité par Cinq7


le e a t i p Ca éenn p

euro

Orchestre PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG ORCHESTRE NATIONAL

JANVIER MuSique De ChaMBre

dImANCHE 13 StraSBourg auDitoriuM De la CitÉ De la MuSique et De la DanSe - 11h

CONCEPTION REYMANN COMMUNICATION // MONTAGE BKN.FR // LICENCES D’ENTREPRENEURS DE SPECTACLES N° 2 : 104 79 64 ET N°3 : 104 79 65

ClAIRE boissoN violon AgNès vallEttE violon AgNès MaisoN alto JEAN-fRANçoIs Guyot violoncelle sANdRINE FraNçois flûte hayDn / Mozart

JEudI 17 & VENdREdI 18 PMC Salle ÉraSMe - 20h30

AdAm FischEr direction klARA Ek soprano WERNER Güra ténor HANNo MüllEr-brachMaN basse choEur dE l’oPs CAtHERINE bolziNGEr chef du choeur hayDn Die Jahreszeiten (les saisons)

JEudI 24 PMC Salle ÉraSMe - 20h30

ClAus-PEtER Flor direction VERoNIkA EbErlE violon Mozart Concerto n° 4 pour violon et orchestre en ré majeur k.218 BruCkner symphonie n° 7 en mi majeur A.109

JEudI 31 & VENdREdI 1ER féVRIER PMC Salle ÉraSMe - 20h30

ERIk NiElsEN drection JEAN-EfflAm bavouzEt piano Dvorˇák Othello, ouverture op. 93 Prokofiev Concerto pour piano et orchestre n° 2 en sol mineur op. 16 Dvorˇák Nocturne pour orchestre à cordes en si majeur op.40 B.47 elgar Variations sur un thème original «Enigma » op. 36

>2013

SAISON 2012

Renseignements : 03 69 06 37 06 / www.philharmonique.strasbourg.eu Billetterie : caisse OPS entrée Schweitzer du lundi au vendredi de 10h à 18h Boutique Culture, 10 place de la cathédrale du mardi au samedi de 12h à 19h


FéVrIer > JUIN Opéra

ThéâTre

Henri Purcell

d’après Corneille

KING arthUr Coproduction de l’opéra National de Montpellier languedoc roussillon et du Festival de radio France et Montpellier languedoc roussillon en coproduction avec le Concert Spirituel, le Château de Versailles Spectacles et l’opéra de Massy Direction musicale / Hervé Niquet Mise en scène / Shirley et Dino

10 et 12 février 2013 ThéâTre

J’aVaIS UN BeaU BalloN roUGe Angela Dematté

production du théâtre de la Manufacture CDN Nancy-lorraine Coproduction le Volcan, Scène Nationale le havre, et théâtre anne de Bretagne de Vannes Mise en scène / Michel Didym

22 et 23 février 2013 OpéreTTe

la Belle De CaDIX Francis Lopez

production de Jack henri Soumère, M6 événements, paris première et opéra eclaté Direction musicale / Dominique Trottein Mise en scène / Olivier Desbordes

16 et 17 mars 2013

représentation supplémentaire le 15 mars 2013

CINNa...

Nouvelle coproduction du théâtre d’esch, des théâtres de la Ville de luxembourg, de la compagnie NtB et de l’opéra-théâtre de Metz-Métropole Mise en scène / Laurent Delvert

22 et 23 mars 2013 Opéra

IolaNta

Piotr Ilitch Tchaïkovski

Nouvelle production de l’opéra-théâtre de Metz Métropole en coproduction avec l’opéra national de lorraine Direction musicale / Jacques Mercier Mise en scène / David Hermann

12, 14 et 16 avril 2013

paSSaGeS, FeStIVal DeS théâtreS À l’eSt De l’eUrope et aIlleUrS Du 4 au 11 mai 2013

toUS À l’opéra 12 mai 2013 Opéra

le JoUrNal D’aNNe FraNK Grigori Fried

Nouvelle production de l’opéra-théâtre de Metz Métropole Direction musicale / Aurélien Azan Zielinski Mise en scène / Sonia Masson

17, 18, 19 et 21 mai 2013

Ô CarMeN

Olivier Martin-Salvan, Anne Reulet-Simon et Nicolas Vial

production de l’Incroyable Compagnie en coproduction avec la Comète, théâtre de l’ouest parisien Boulogne Billancourt, théâtre du rond-point, tsen productions Mise en scène / Nicolas Vial

24 et 25 mai 2013 BalleT

NUItS DaNS leS JarDINS D’eSpaGNe / l’aMoUr SorCIer Manuel de Falla

Nouvelle production de l’opéra-théâtre de Metz Métropole Chorégraphies / Laurence Bolsigner / Thierry Malandain

31 mai, 1er et 2 juin 2013 Opéra

la traVIata

Giuseppe Verdi

Nouvelle production de l’opéra-théâtre de Metz Métropole Direction musicale / Jari Hämäläinen Mise en scène / Paul-Émile Fourny

14, 16, 18 et 20 juin 2013 opéra-théâtre Metz Métropole 4-5 place de la Comédie - 57000 Metz Réservations 00 33 (0)3 87 15 60 60 Administration 00 33 (0)3 87 15 60 51 billetthea@metzmetropole.fr opera.metzmetropole.fr 68

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GRAPHISME + PHOTO// ARNAUD HUSSENOT/ FABIEN DARLEY LICENCE D'ENTREPRENEUR DE SPECTACLES DE 1RE, 2E ET 3E CATÉGORIES : 1-1022169 ; 2-1022170 ; 3-1022171

ThéâTre


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