Poly 227 - Janvier 2020

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N°227

JANVIER 2020

POLY.FR

MAGAZINE SYLVAIN TESSON POMME JAMES GRAY LES VAGAMONDES



BRÈVES

CHINER

CRÉER

Collier ROT WIE ... I, Paul Iby, 2018, Photo Paul Iby

La 14e édition du Salon Européen Antiquité, Brocante & Design de la Bourse (25 & 26/01, Salle de la Bourse, Strasbourg) propose un plateau placé sous le signe de la haute qualité. Les 24 exposants de cet événement (labélisé par le très exigeant Syndicat national du commerce de l’antiquité, de l’occasion et des galeries d’art) montrent mobilier industriel, design, céramiques ou encore Art nouveau. Fidèle au poste, nous retrouverons des valeurs sûres comme Chris’Broc, Anthony Scisco (qui vend notamment de

Près de Salzbourg, le Prix Eligius vient d’être décerné pour la 6e fois aux meilleurs créateurs de bijoux du pays. L’exposition Bijoux actuels d’Autriche au Schmuckmuseum de Pforzheim (jusqu’au 26/01) met à l’honneur son lauréat, Paul Iby, qui a convaincu avec son collier en émail et viscose, mais aussi les treize autres nominés qui utilisent les matériaux les plus divers, des traditionnels métaux précieux au bois. schmuckmuseum.de

splendides Vases Gallé, en photo, ou de somptueux émaux de Longwy) mais aussi Bertrand Fontaine. Chez lui, se découvrent notamment quatre chaises dessinées par Jean Prouvé, des pièces de mobilier fonctionnel issues de la Cité Perret du Havre ou des réalisations de Charles & Ray Eames. La crème de la crème ! Cette harmonieuse composition de stands d’une modernité baroque permettra à chaque visiteur de trouver son bonheur. brocantes-strasbourg.fr

Papotage, Steve Bandoma, de la série Opium, 2016 © MAGNIN-A, Paris

VOYAGER Au Museum Rietberg de Zurich, Fiction Congo explore Les Mondes de l’art entre le passé et le présent (jusqu’au 15/03), dans la RDC connue pour sa scène foisonnante. Est proposé un vaste parcours reliant le patrimoine – masques, figurines ou icones ramenés par l’ethnologue Hans Himmelheber – et la création contemporaine d’artistes comme Sammy Baloji, Michèle Magema ou encore Fiona Bobo qui ont crée des œuvres en rapport avec la collection. rietberg.ch Poly 227

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C’est une histoire de famille. La grande, celle du jazz manouche qui honore et célèbre la culture tzigane. Constitué par Sonny Amati Schmitt à la guitare, Gino Roman à la contrebasse et Francko Mehrstein à la guitare rythmique, le Amati Schmitt Trio s’empare du strasbourgeois Espace Django (31/01). Fidèles aux traditions et aux valeurs défendues par le grand maître Django Reinhardt, ils proposent un set 100% manouche mêlant virtuosité, générosité et coups de folie. espacedjango.eu

Le visiteur part à la découverte d’une dizaine d’artistes nippons dans Céramique japonaise de Kasama et Ibaraki (19/01-19/04), exposition présentée au Stadtmuseum Lahr. Entre art et artisanat, la création contemporaine du pays du soleil levant est très diverse, non seulement dans ses formes, mais aussi dans les techniques utilisées. Sculpturale, organique, symétrique... les variantes sont infinies. stadtmuseum.lahr.de

ALSACIEN Un thème : tout feu, tout flamme. Un support : une étiquette autocollante d’un format de 106 par 111 millimètres. Un conseil : liberté grande et créativité intense et débridée. Vous avez jusqu’au 14 janvier pour participer au troisième Concours d’illustration sur étiquette organisé par Central Vapeur. La gagnante sera imprimée et collée sur des bouteilles de 75 centilitres de Meteor Pils et le lauréat recevra 1 000 € et un chouette cadeau. centralvapeur.org

ESPAGNOL Cette exposition du Musée d’Art moderne de Belfort présente un Picasso graveur. Dans La Caisse à remords (jusqu’au 19/01) se déploie une donation faite à la Ville composée de 45 eaux-fortes et pointes sèches formant une suite de cuivres gravés entre 1919 et 1955, soulignant la capacité de l’artiste à renouveler quelques thèmes : portrait, couple, jeux, bacchanale… Elle entre en résonance avec un ensemble prêté par le Picassomuseum de Münster composé de lithographies et de linogravures. musees.belfort.fr

© Élodie Cayot / Belfort Tourisme

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération

JAPONAIS

Bendorf 2018 © Éloïse Rey / Central Vapeur

© Hinrich Wulff

MANOUCHE

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Histoire des passions françaises

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FESTIVAL FOR FEAR FESTIVAL FOR TRASH À la strasbourgeoise Galerie Bertrand Gillig se déploient les toiles de Stéphanie-Lucie Mathern (également chroniqueuse dans nos pages, voir page 56) sous le titre Vous avez souillé ce misérable Monde (11/01-01/02). Des titres aux références littéraires ou musicales pour des toiles / vanités trash hésitant entre philosophie postpop, violence décliniste tendance Spengler, voire Evola, et décadence gonzo pleine d’humour. Le geste est violent. Les formes, puissantes, primitives, prégnantes. bertrandgillig.fr

Pour sa 27e édition, le Festival international du Film fantastique de Gérardmer (29/01-02/02) a choisi la comédienne et réalisatrice Asia Argento comme présidente du Jury. Au menu de l’événement cette année, une grande rétrospective intitulée Dans les griffes du cinéma français avec des réalisateurs comme Christophe Gans, Jan Kounen… festival-gerardmer.com

FESTIVAL FOR OBJECTS À la MAC Bischwiller, l’année commence avec un Janvier manipulé (07-31/01), temps fort consacré aux spectacles de marionnette, au théâtre d’objet et à la magie. Des transpositions de classiques comme L’Avare (dès 11 ans, 23/01, Centre Culturel Claude Vigée) y côtoient des créations inédites comme Dénivelé de la compagnie en résidence Milieu de Terrain (24/01) suivi d’une rencontre avec vin chaud et gâteaux. mac-bischwiller.fr

© Frédéric Ferrer

FESTIVAL FOR FUTURE La 5e édition des Journées Théâtre & Science (29/0101/02, Théâtre, IUT Nancy-Brabois & L’Orangerie, Lunéville) sous le titre Humaine, cette nature ? seront dédiées à l’environnement : conférence humoristique À la recherche des canards perdus (30/01) avec Frédéric Ferrer, atelier Recup’art (01/02), installation sonore Into the Wild (14-31/01) ou encore conférence de Fabrice Lemoine au sujet de l’avenir énergétique (29/01) abordent le sujet de manière pluridisciplinaire. lameridienne-luneville.fr Poly 227

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SOMMAIRE

16 Rencontre avec Sylvain Tesson, Prix Renaudot 2019

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18 Le Festival international jeune public Momix à la sauce suisse

20 Les Vagamondes zooment sur la Catalogne pour leur 8e édition

22 FARaway, nouveau festival à Reims 26 Expérience de la durée avec Julien Gosselin autour de Don DeLillo

32 L’année commence avec elles à Pôle-Sud

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36 Acid Arab et Taxi Kebab à la BAM pour une soirée techno orientale

39 Zoom sur Pomme et son nouvel album, Les Failles 42 Les Noces de Figaro par James Gray, sa première à l’opéra

48 Opéra Monde, rencontre entre plasticiens et art lyrique au Centre Pompidou-Metz

50 Fire on fire confronte graffeurs et musique underground

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52 Découverte de la nouvelle donation faite aux Musées de Strasbourg

54 Rencontre dans l’atelier du peintre Johannes Hüppi à Baden-Baden

56 Les paysages et leurs souvenirs dans Un tout de nature

60 Balade à la Tête des Faux 66 Un dernier pour la route autour de l’alliance entre mets et vins

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COUVERTURE Né à Dakar en 1980, Omar Victor Diop (voir p.20) est l’auteur de séries plongeant dans les racines des troubles qui agitent aujourd’hui encore le continent africain. Tirée de Liberty dans lequel il se met luimême en scène, la photographie Thiaroye fait référence au massacre par les gendarmes français de dizaines de tirailleurs sénégalais démobilisés en 1944, qui réclamaient le paiement de leur salaire de combattant. Le regard de ce jeune soldat, fez sur la tête, sortant du groupe au garde-à-vous plongé dans l’obscurité, interroge l’histoire coloniale, l’attitude honteuse de l’armée et demande des comptes… toujours pas soldés. © Omar Victor Diop, courtesy Galerie MAGNIN-A, Paris

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omarviktor.com

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OURS · ILS FONT POLY

Ours

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Thomas Flagel Théâtre des balkans, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs africains… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes dans Poly.

Sarah Maria Krein Cette française de cœur qui vient d’outre-Rhin a plus d’un tour dans son sac : traduction, rédaction, corrections… Ajoutons “coaching des troupes en cas de coup de mou” pour compléter la liste des compétences de SMK.

Yaya feat Elisabeth © Issayah F.

poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49

Anaïs Guillon Entre clics frénétiques et plaisanteries de baraque à frites, elle illumine le studio graphique de son rire atomique et maquette à la vitesse d’une Renault Captur lancée entre Strasbourg et Bietlenheim. Véridique !

Julien Schick Il papote archi avec son copain Rudy, cherche des cèpes dans les forêts alsaciennes, se perd dans les sables de Namibie… Mais comment fait-il pour, en plus, diriger la publication de Poly ?

Éric Meyer Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. ericaerodyne.blogspot.com

Irene Picon De Paris à Strasbourg (où il y a même un Apple Store, dingue), elle est en stage à Poly. Préférant la Roma à la Lazio, elle écrit sans relâche des papiers sur… Tchékhov. Fini, Le Lundi au soleil.

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5 numéros - 20 ¤

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Directeur de la publication Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Responsable de la rédaction Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Rédacteurs Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Stagiaire de la rédaction / Irene Picon Ont participé à ce numéro Benoît Linder, Stéphane Louis, Stéphanie-Lucie Mathern, Christian Pion, Pierre Reichert, Irina Schrag, Daniel Vogel et Raphaël Zimmermann Graphistes Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Élisabeth Amarin / elisabeth.amarin@bkn.fr Développement web François Agras / webmaster@bkn.fr Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly Administration, gestion, abonnements 03 90 22 93 30 Mélissa Hufschmitt / melissa.hufschmitt@bkn.fr Diffusion 03 90 22 93 32 Vincent Bourgin / vincent.bourgin@bkn.fr Contacts pub 03 90 22 93 36 Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Sarah Krein / sarah.krein@bkn.fr Linda Marchal-Zelfani / linda.m@bkn.fr Aurélie Fanara / aurelie@poly.fr Pierre Ledermann / pierre@poly.fr Patrice Brogard / patrice@poly.fr COMMUNICATION BKN Éditeur / BKN Studio – bkn.fr 03 90 22 93 30

Magazine mensuel édité par BKN S.à.R.L. au capital de 100 000 € 16 rue Édouard Teutsch – 67000 Strasbourg Dépôt légal : Décembre 2019 SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130 Impression : CE © Poly 2020. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs.



ÉDITO

2020, l’odyssée de la lenteur Par Hervé Lévy Illustration d’Éric Meyer pour Poly

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lanté au beau milieu du Louvre. Entouré d’un flot bruissant de visiteurs. Hommes et femmes pressés. Ils courent vers Mona Lisa, sans intérêt aucun pour les autres œuvres. Une photo au mieux, en passant, pour Le Radeau de La Méduse ou Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa. Dans le musée le plus visité du monde – 10,2 millions d’entrées par an, 30 000 personnes par jour – la contemplation des certaines œuvres majeures est devenue un sport de combat, tant il faut lutter pour créer une bulle de calme au milieu de ceux qui, glissement sémantique dommageable, “font” le Louvre plutôt que ne le visitent et illuminent ensuite les réseaux sociaux d’images affirmant urbi et orbi : « J’y étais. » Voilà éclatante manifestation de la terrible frénésie qui a saisi nos contemporains, dont il est extrêmement difficile de s’extraire : « Nous sommes entrés dans une société de l’éphémère, de l’instant, de la volatilité, de la vitesse. Le zapping et le surfing deviennent des morales essentielles du rapport au monde, une manière de se

jouer de la surface pour éviter de choisir et multiplier les expériences sans s’engager », écrivait il y a quelques années le sociologue David Le Breton, professeur à l’Université de Strasbourg. Pour cette année qui débute, nous ne formons ainsi qu’un seul vœu. Celui de se réapproprier la lenteur, voire de reconquérir l’ennui, qui n’est pas du tout celui redouté par Charles Baudelaire : « Dans la ménagerie infâme de nos vices / Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde ! / Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris / Il ferait volontiers de la terre un débris / Et dans un bâillement avalerait le monde. » Marcher. Errer. Se perdre. Prendre le temps de lire, d’écouter, d’observer, de déguster… Trouver la saveur de l’existence dans ses interstices, voilà qui est à la portée de toutes les bourses et qui est indissociablement lié à l’univers culturel dont nous donnons, mois après mois, quelques éclats dans nos pages. Nous vous souhaitons une très belle année.



CHRONIQUES

ARTIVISME Invitée à intervenir dans l’espace public par l’association bisontine Juste Ici dans le cadre de la 9 e édition de Bien Urbain (voir Last action Hyuro sur poly.fr), Anaïs Florin s’est penchée sur le quartier des Vaîtes. Les jardins partagés, menacés par un projet d’écoquartier qui n’en porte que le nom, y sont défendus par des hommes et des femmes attachés à cette terre et cet espace de sociabilité. L’activisme de l’artiste a donné lieu à des campagnes d’affichage sauvage de photographie des lieux et de citations issues d’entretiens avec les jardiniers des Vaîtes dans un détournement du mobilier urbain publicitaire. Les traces de ses slogans et de cette lutte collective sont aujourd’hui compilées dans Nos Jardins, bel ouvrage d’une trentaine de pages accompagné d’un poster sur papier ivoire. Cinquante copies (nous en possédons déjà une !) pour garder trace d’une certaine recherche du temps ­– pas encore – perdu comme des témoignages sensibles et essentiels militant pour les conserver. (T.F.) Paru aux Éditions Juste Ici (5 €) bien-urbain.fr

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ART POÉTIQUE

L’ÂME D’UNE RÉGION

Récemment nommé directeur de La MAC, Relais culturel de Bischwiller, où il a des idées plein la tête (shows accessibles, mais surtout sortant des sentiers battus, résidences de jeunes artistes, etc.) Stéphane Aucante vient de publier Poésons ! Après un livre sur Naplouse et la Palestine (paru en juillet 2018), il s’agit d’une recueil compact et diablement séduisant. Avec un sous-titre alléchant – Poésie. Poison ? Chansons… – il nous fait pénétrer au cœur de son intimité intellectuelle. Charmant néologisme, ces “poésons” sont « les témoins de l’urgence d’une émotion ou d’une sensation, et les confidents de mes doutes », résume l’auteur. Fragments prosaïques ou échappées en vers, jeux avec les maux ou mots cadeaux, ces textes sont ceux « d’un homme qui cherche à comprendre, et se livre, et s’effraie, et s’interroge ». Et cette quête est souvent joliment bluesy : « Dans ton miroir / Aux désespoirs / Soie et rimmel / Tu te fais belle. » (H.L.) Paru chez France Libris (13 €) france-libris.fr

Voilà un livre d’histoires et d’images où se découvre le passé d’une région : riche de plus de 450 pages, Trésors des bibliothèques et archives de Champagne-Ardenne est un ouvrage essentiel. Il propose une promenade regroupant 250 pièces exceptionnelles présentées de manière concise et précise, qu’elles proviennent du fonds de l’Institut international de la Marionnette de Charleville-Mézières (une poupée animée de l’Antiquité grecque) ou de celui de la Médiathèque Simone Veil d’Épernay (lot d’étiquettes de Champagne). Si certaines œuvres sont exceptionnelles – comme des livres d’heures enluminés du XVe siècle ou un texte imprimé annoté par Diderot – d’autres sont d’émouvants témoignages d’une époque révolue. Pensons, par exemple, au catalogue de 1912 de la manufacture Gilbert de Givet où furent produits des millions de crayons ou à un album d’échantillons de tissus datant de la fin du XVIIIe siècle. (H.L.) Paru à la Nuée bleue (45 €) nueebleue.com


APOCALYPSE BÉBÉ

LA VIE EN VOSGES

Si Tomi Ungerer n’est plus, un album testamentaire vient de paraître. Dans Juste à temps !, l’illustre auteur, satiriste et dessinateur alsacien signe une histoire crépusculaire, propre à effrayer les plus jeunes, comme il l’aimait tant. La Terre, épuisée de toutes ressources par les abus du genre humain qui a fui pour commettre ses méfaits sur la Lune, est terriblement hostile. Dans un chaos urbain ayant engendré un dérèglement climatique fou, erre Vasco, au milieu des rues désertées. Aux lignes froides de la ville répond l’ombre du personnage dans un dessin rectiligne et inquiétant. Elle sauve ce dernier homme des dangers qui le guettent, au dernier moment. Cette force inconnue le guide pour remettre une lettre d’amour et sauver d’un funeste destin Poco, un jeune orphelin. Du grand Tomi, grinçant et engagé, cruel et humaniste dans lequel, une fois encore, un élan inattendu d’amitié vient à bout d’une solitude désolée et d’un avenir des plus sombres. (T.F.) Paru à L’École des loisirs (18,80 € dès 6 ans) – ecoledesloisirs.fr

L’historien Damien Parmentier vient de publier un ouvrage incontournable narrant L’Épopée industrielle du massif des Vosges depuis le MoyenÂge. En 250 pages d’une belle densité, il revient sur une formidable épopée économique qui fut possible, au départ, grâce à des ressources naturelles (eau, bois…) et humaines présentes en abondance. Activités minières, textiles, papetières, chimiques (un secteur dans lequel Thann fait figure de pionnière) : l’auteur brosse avec verve et précision un tableau passionnant où alternent faits d’armes (comme l’intense développement du chemin de fer dès 1820) et instants tragiques à l’image de l’effondrement de l’empire Boussac. Mais loin d’un constat pessimiste, il pointe les efforts de réindustrialisation et de diversification opérés depuis la fin des années 1980 avec, en particulier, l’explosion des activités touristiques. Ainsi, selon lui, le massif vosgien « demeure aujourd’hui le plus peuplé et le plus industrialisé de France ». (H.L.) Paru à la Nuée bleue (25 €) nueebleue.com

FRISSONS Dans la droite lignée de La Maison hantée de Jan Pieńkowski qui a bercé notre enfance, la vosgienne Clotilde Perrin signe un pop-up grand format délicieusement inquiétant. Si l’habitante de La Maison de madame M est absente, sa demeure n’en est pas moins remplie de pièges et de squelettes tout à fait vivants à découvrir à grand renfort de tirettes ingénieuses et autres flaps à soulever. Afin de ne pas tomber sur un os ou d’ingurgiter un breuvage inévitablement… mortel, il faudra être curieux, sans trop traîner, en suivant l’étrange volatile qui nous guide dans les lieux. L’auteure, passée par les Arts déco strasbourgeois prend un malin plaisir à remplir les placards de spectres rigolards, les tiroirs de détails joyeusement macabres, la cuisine de monstres incroyables. Aurez-vous le courage d’ouvrir les portes interdites ou de vous étendre sur son lit lorsque vous entendrez les pas de la faucheuse se rapprocher ? (T.F.) Paru au Seuil Jeunesse (19,90 €, dès 3 ans) seuiljeunesse.com clotildeperrin.net

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LITTÉRATURE

chasses subtiles Prix Renaudot 2019 pour La Panthère des neiges, Sylvain Tesson était de passage à la Librairie Kléber (Strasbourg). Rencontre avec un écrivain portant un regard lucide sur le monde.

Par Hervé Lévy Photo de Sophie Dupressoir pour Poly

Paru chez Gallimard (18 €) gallimard.fr

Dans les forêts de Sibérie adapté en BD, paru chez Casterman (18 €) casterman.com

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L’impérieuse nécessité du “recours aux forêts” sous-tend elle tous vos livres ? C’est une proposition cruciale formulée par Ernst Jünger dans Le Traité du rebelle qu’il ne faut pas prendre au pied de la lettre. Il ne s’agit évidemment pas de s’enfoncer dans les bois… Par analogie, la forêt peut être un appartement, un cabinet de curiosités, une bibliothèque, un être aimé ou soi-même. Il s’agit de la convocation du silence, de la solitude, de l’émerveillement, de l’attention portée au monde pour lutter contre l’envahissement, le vacarme, le brouhaha et l’écrasement. C’est une option merveilleuse, car elle est en nous tous, à condition d’y mettre les moyens qui ne sont pas financiers, mais intérieurs. Il revient à chacun de composer la forêt dans laquelle il souhaite s’enfoncer. Est-ce ce que vous faites lorsque vous êtes à l’affût avec le photographe Vincent Munier ? Ces instants permettent de découvrir qu’il se passe autour de nous bien plus de choses qu’on ne le croit et l’attention portée, au double sens du terme – être attentif et bienveillant –, aux formes les plus infimes du vivant est indispensable. C’est peut-être pour cela du reste que Jünger s’était intéressé aux insectes dans ses Chasses subtiles. Il n’est pas besoin d’animaux spectaculaires, de tigres ou d’éléphants : on pourrait militer pour une entomologie du monde consistant à observer le développement de la vie dans ses plus infimes spectacles. Chez les cicindèles ou dans les élytres des scarabées, il est possible de faire l’expérience de l’univers. C’est à cela qu’appelle l’affût.

Est-il essentiel ? Indispensable, même, dans des sociétés où l’énorme entreprise de fétichisme technoscientifique nous arrache quotidiennement à tous les exercices possibles de la contemplation, du silence, de l’attention et de la patience. Lorsqu’on est à l’affût il arrive de ne pas apercevoir l’animal qu’on recherche. Est-ce frustrant ? Peut-être, mais l’idée de se dire que nous sommes environnés d’une panoplie de bêtes dans la liberté, la grandeur et la volupté, que nous ne les voyons pas, que nous ne le savons même pas, est encore plus enthousiasmant. Finalement, les voir n’est qu’un trophée. On coche une case, on est content. Et alors ? Quel est le trophée ultime ? Le pur génie de l’imposture technologique est d’avoir fait de soi-même un trophée avec le selfie. Ce que nous annonce le réseau social – qui porte son cynisme dans son nom, car il n’est ni réseau, ni social – est la mort de la société. Tous ces laborantins des nouvelles technologies, des bluffeurs, des joueurs de poker, sont des criminels contre l’Humanisme. Comme on doit se supporter soi-même, autant se photographier, histoire d’avoir une satisfaction, même de très basse intensité, mais plus on se photographie, plus on met un écran entre le monde et soi, moins on le regarde. Lorsque vous êtes à l’affût vous comprenez une chose : ce qui n’est pas soi est plus intéressant que soi. Pendant des milliers d’années, la civilisation nous a poussé à nous arracher à nous-mêmes, à nous dépasser. Voilà qu’une technologie nous y ramène. Cela s’appelle une régression.


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petits suisses La 29e édition de Momix, festival international jeune public, prend des airs helvètes. Guide des découvertes à faire à Kingersheim.

Par Thomas Flagel Photos de Laura Morales (Les Promesses de l’incertitude) et de Philippe Weissbrodt (Hocus Pocus)

Dans différents lieux de Kingersheim et de ses environs, du 30 janvier au 9 février momix.org

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vec une cinquantaine de spectacles dont une vingtaine de créations, Momix continue d’être un des rendezvous qui comptent dans le monde du spectacle vivant à destination du jeune public. Après les Flamands et les Allemands, c’est aux Suisses que le festival offre un coup de projecteur. L’occasion de découvrir Cloud de Perrine Valli (31/01, Espace Tival, Kingersheim, dès 8 ans). La chorégraphe genevoise implique une vingtaine d’enfants de chaque ville de représentation de ce spectacle questionnant notre rapport à la technologisation du monde et les modifications qu’elle entraîne dans nos relations et nos corps. Sur un texte de Fabrice Melquiot et une musique électronique signée Polar, les enfants-danseurs, munis de casques audio lumineux brillant de couleur bleu dans l’obscurité, forment un nuage hyper-connecté. Elle distille ses consignes en live dans les casques, instaurant un rapport d’exécution qui illustre la manière dont l’environnement numérique guide aujourd’hui les êtres. Leur rêve éveillé, aux atours de dictature digitale, est perturbé par l’arrivée d’un acrobate venu du ciel, se mouvant tout en douceur autour

d’un mât chinois. Une quête d’horizon et d’ailleurs, une invitation à relever la tête vers les nuages, les vrais ! Double dose La compagnie Moost signe pour sa part deux créations. Dans le solo Take care of yourself (08/02, Hangar, Kingersheim, dès 12 ans), Marc Oosterhoff se confronte au risque. Il s’autodéfie, pensant ainsi se voir révéler son caractère. Au beau milieu d’une bouteille de whisky, d’une quinzaine de verres à shot, de couteaux, de boulettes de papier, d’une corbeille et de pièges à rat, le chorégraphe et danseur joue le tout pour le tout. Entre performance et cirque contemporain, il « envoie balader les normes sécuritaires qui balisent et aseptisent notre quotidien : interdiction de se baigner ici, défense de grimper là, attention à la fermeture des portes, zone sous vidéo surveillance... » Aux jeux d’adresse enfantins succèdent d’autres, plus dangereux, entre tapette à rat et lame de couteau dans une volontaire soumission à la douleur qui guette, ultime manière de se sentir vivant. Dans Les Promesses de l’incertitude (07/02,


Espace Grün, Cernay), le voilà qui danse avec tout un tas de dispositifs de guindes et de poids, d’échafaudages à l’équilibre précaire. Sa recherche d’équilibre, portée par les sons cosmiques de Raphael Raccuia, ne laisse rien au hasard. Il défie sa destinée en tentant de régir les lois de la gravité du monde qu’il s’invente. Magie blanche Dans la droite lignée de Vacuum, présenté au dernier festival Reims Scène d’Europe, le chorégraphe Philippe Saire poursuit avec lyrisme sa création de peintures fantastiques en utilisant des illusions d’optique créées par deux néons flottant à l’horizontale au-dessus du sol. Dans Hocus Pocus (07 & 08/02, La Filature, Mulhouse, dès 7 ans, puis en tournée à la BAM, Metz, 03/06), ils aveuglent partiellement le public, créant une sorte de trou noir entre les deux. Captivé

par ces ondes lumineuses, le regard s’attache à la découverte des parties du corps des deux danseurs qui émergent de l’obscurité avant d’y replonger subrepticement. Ce jeu d’apparitions / disparitions fantastiques perturbe les sens autant qu’il défie le réalisme. Ce cadre fonctionne comme un castelet lumineux duquel surgissent dans un humour de situation bien ficelé une toile d’araignée, un chevalier ou un monstre marin. Lorsque les deux interprètes écartent les bras, nous voilà face à deux oiseaux pris dans les bourrasques d’une tempête. Chacun recomposera ces fragments d’histoires successives et labyrinthiques sur la musique onirique du Peer Gynt d’Edward Grieg. La relation fraternelle qui se tisse constitue le fil rouge d’Hocus Pocus : un voyage féerique fait d’épreuves et soutiens, portée par une inventivité corporelle et chorégraphique.

et pour les plus grands ? Parmi les propositions de Momix se dégagent aussi des spectacles pour les plus grands. Ainsi, la compagnie Actémo Théâtre de Delphine Crubézy propose un collage de deux textes de Françoise du Chaxel (Ce matin la neige et Mon Pays de sable et de neige, tiré de récits de réfugiés libanais). Vous êtes ici – Dans ma poche d’exilée, un flocon de neige (07/02, Le Hangar, Kingersheim, dès 14 ans, puis 11/02, Théâtre-Maison d’Elsa, Jarny) confronte le destin d’une ado alsacienne prise dans l’exode en 1939 et celui de C., exilée d’aujourd’hui qui peine à trouver place dans son

pays d’accueil avec mari et enfants. Quant à la compagnie Brounïak, elle entend redonner ses lettres de noblesse à la notion de conflit, le tout sans violence ni recherche de consensus. Baston ? (28/01, Théâtre Ici et Là, Mancieulles, puis 04/02, Village des enfants, Kingersheim, puis à La Halle au Blé, Altkirch, dans le cadre de Momix en balade, dès 14 ans). Dans un espace tri-frontal au plus près d’une arène partagée par trois comédiens-danseurs-musiciens, chacun va se (dé)battre entre humour, réflexion et poésie.

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à travers Pour sa huitième édition, Les Vagamondes, festival des Cultures du Sud de La Filature, se focalise sur la Catalogne. Une multitude de propositions relient cette région à Tel-Aviv, en passant par l’Afrique.

Par Irina Schrag Photos de gauche à droite, Albert, série Diaspora © Omar Victor Diop, Bad Translation © La Casa Encendida et Les Mille et une Nuits © Elisabeth Carecchio

À La Filature, à l’Afsco, au Cinéma Bel Air et au Théâtre de la Sinne (Mulhouse), aux Dominicains (Guebwiller), à l’Espace Tival (Kingersheim), à l’Espace 110 (Illzach), à La Kaserne (Bâle), du 14 au 25 janvier lafilature.org

* Lire notre article Real Humans consacré à la pièce dans Poly n°225 ou sur poly.fr

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ix-neuf spectacles, cinq conférences réunissant des chercheurs en sciences sociales, deux expositions photographiques et trois projections forment le cœur palpitant de ce rendez-vous de début d’année devenu incontournable. Les clichés de six photographes emplissent la galerie de La Filature, parmi lesquels plusieurs photos extraites de séries d’Omar Victor Diop. L’artiste sénégalais aborde sous un jour nouveau l’histoire coloniale reliant les puissances occidentales et les sociétés africaines. Il recrée des événements historiques de protestation sur le continent ou parmi les diasporas noires. Avec ses éléments symboliques sortis de l’osbcurité, il rend ainsi hommage à l’insurrection des femmes Igbo en 1929, au massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye en 1944 par des gendarmes français, ou à la traite des esclaves, quand il ne détourne pas des tableaux célébrant des personnalités du continent, oubliées par l’histoire, auxquels il ajoute des objets actuels. Le tout à la puissance de la simplicité face à des préjudices pluriséculaires.

Just eat it En tête de proue du focus catalan, Marcos Morau ouvre le bal en bousculant admirablement notre perception de l’humanité dans Pasionaria*. Le chorégraphe livre une dystopie futuriste où l’individualisme a supplanté toute émotion, donnant corps à un subjuguant ballet d’automates. À ce voyage futuristico-fantastique répond une autre performance catastrophiste. Le Kingdom de l’Agrupación Señor Serrano traverse les crises économiques avec un humour décapant faisant de King Kong le symbole d’un capitalisme fou. La bête velue ne jure que par la… banane. Le monde ainsi revisité veut toujours plus de fruit jaunes et courbes pour nourrir son monstre, quitte à saccager nature, échanges, libertés et autres désirs divergents sur son passage. Sur une table centrale toute en longueur, les comédiens manipulent tout un tas de maquettes et d’accessoires, donnant vie en se filmant en direct à des trucages aussi grossiers qu’hilarants de punks fêtant la mort d’un ancien monde. Bien entendu, toute référence au vrai


monde n’est pas fortuite ! Ambiance #metoo assumée dans Rebota rebota y en tu cara explota (Ça rebondit ça rebondit et ça t’éclate en pleine face) où Agnés Mateus s’attaque aux violences faites aux femmes. Totalement excentrique dans le corps, la performance ne laisse aucune chance aux clichés enfermant les femmes dans des carcans de princesses ou d’idiotes. Sur un rythme soutenu, elle dénonce frontalement deux corolaires : la passivité et l’indifférence qui font que les comportements ne changent guère. A Digital World Et si nous rendions très concret l’univers digital qui envahit nos vies ? C’est à ce petit jeu pas si anodin que Cris Blanco nous invite. Les interprètes de Bad Translation s’échinent à propulser dans le réel notifications Facebook, conversations Skype, recherches Google ou encore covers YouTube. Le tout sans recours au moindre ordinateur mais en confectionnant des pop-ups en carton-pâte. S’il y a bien une vraie corbeille, des pancartes font office de fichiers et dossiers dans une esthétique lofi où l’on grimpe l’un sur l’autre pour bouger la flèche de la souris tenue à la main. L’exploration burlesque et parodique du fonctionnement de nos ordinateurs dévoile une tendance à lâcher prise dans de nombreux domaines par facilité, paresse, désintérêt… Le plus effrayant n’est-il pas que nombre de spectateurs découvriront ici la futilité de leur rapport à la technologie la plus invasive de cette dernière décennie ? La Madrilène installée à Barcelone signe une seconde pièce avec Jorge Dutor et Guillem Mont. Lo Mínimo

est un jeu d’enfants, entre défis et éléments perturbateurs. Bricoleurs de génie, volontiers poètes, ils se lancent avec force humour dans une décroissance choisie, cherchant à réduire le monde à son minimum. Une bâche, des guindes et poulies, un rideau et une soufflerie avec quelques objets de récupération et le tour est joué, pour toute la famille. La nuit tombe S’inspirant du célèbre recueil des Mille et Une Nuits qui continue à faire rêver le monde, Guillaume Vincent nous sert une pièce d’épouvante ! Le Sultan trahi par son épouse change de compagne chaque soir, qu’il met dans son lit avant de la liquider aux premières lueurs de l’aube. Les jeunes promises patientent, sûres de leur funeste sort. L’escalier les menant à la chambre nuptiale est couvert de sang. Le ballet bien réglé serait sans fin si Shéhérazade, fille du vizir, ne se portait volontaire, bien décidée à véritablement se marier avec le sanguinaire Sultan. Pour ne pas se faire décapiter, la belle lui contera des histoires sans fin d’exilés, dont le dénouement est remis à plus tard par des rebondissements et des enchâssements dans divers autres récits menant de l’Orient à l’Occident. S’y croisent Oum Kalthoum, des vierges, l’épisode du portefaix et des Saâlik qui deviendront les conteurs à leur tour des drames que vivent les femmes entre amour empêchés et liberté entravée. Les mots seront-ils assez forts pour endiguer la violence dont les hommes, hier comme aujourd’hui, abusent et renverser les perspectives ?

FOCUS CATALAN Pasionaria de Marcos Morau, à La Filature (Mulhouse), mercredi 15 janvier Kingdom d’Agrupación Señor Serrano, au Théâtre de la Sinne (Mulhouse), vendredi 17 janvier (en espagnol surtitré en français) Bad Translation de Cris Blanco, à La Filature (Mulhouse), samedi 18 janvier (en espagnol surtitré en français) Lo Mínimo de Cris Blanco, Jorge Dutor & Guillem Mont, à l’Espace Tival (Kingersheim), mercredi 22 janvier (dès 6 ans) Rebota rebota y en tu cara explota d’Agnés Mateus & Quim Tarrida, à La Filature (Mulhouse), jeudi 23 et vendredi 24 janvier (en français et espagnol surtitré en français) Les Mille et une nuits de Guillaume Vincent, à La Filature (Mulhouse), mardi 21 et mercredi 23 janvier mais aussi au CDN de Besançon Franche-Comté, mercredi 15 et jeudi 16 janvier L’exposition I was here, I saw here regroupe six photographes, à la galerie de La Filature (Mulhouse), du 14 janvier au 23 février

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FESTIVAL

faire battre les cœurs Sept structures culturelles rémoises créent FARaway en lieu et place de Reims Scènes d’Europe. Passage en revue d’une première édition dédiée aux artistes agitateurs. Par Thomas Flagel Photos de Sammi Landweer (Fúria) et d’Agathe Poupeney (Congo)

À La Cartonnerie, au Césaré, à La Comédie, au Frac Champagne-Ardenne, au Manège, à Nova Villa et à L’Opéra de Reims, du 31 janvier au 10 février farawayfestival.eu

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ix jours tous azimuts de bouillonnements artistiques tournés, pour ce nouveau rendez-vous, vers l’Afrique et le Brésil. Danse, performance, théâtre, musique et arts visuels sont au programme du Festival des Arts à Reims dont l’orientation défend des artistes engagés à l’esthétique renouvelant les formes actuelles de représentation. Ainsi en va-t-il des Amazones d’Afrique (30/01, La Cartonnerie), l’incroyable réunion dans un groupe All Star des plus grandes musiciennes du continent avec rien moins que Mamani Keita, Kandia Kouyaté, Mariam Doumbia (sans Amadou), Nneka ou encore Angélique Kidjo. Un projet transgénérationnel défendant les droits des femmes avec vigueur. Leur nom emprunte tout autant aux Amazones du Dahomey (actuel Bénin), corps de régiment militaire fondé au XVIIIe siècle, qu’aux Amazones de Guinée, ancien Orchestre féminin de la Gendarmerie nationale fondé en 1961 pour affirmer la place des femmes dans

la société. Les Amazones modernisèrent la musique mandingue en usant à foison des guitares électriques. De racines il est encore question avec le chorégraphe Faustin Linyekula1. Il sonde les plaies toujours vives du passé colonial du Congo (01 & 02/02, Le Manège, en français et en kinyarwanda) en s’emparant du roman éponyme d’Éric Vuillard qu’il mêle à sa danse habitée. Histoires de la violence Plus sombre, Hate Radio (01 & 02/02, La Comédie, en français et kinyarwanda surtitré en français) place face-à-face les témoignages de génocidaires et de survivants du conflit rwandais par le prisme d’une reconstitution, dans un cube de verre, d’un studio de la RTLM. Nous vivons une journée de la Radio-Télévision libre des Mille collines qui joua un rôle prépondérant dans le drame du printemps 1994. C’est ici que s’invente la rhétorique de l’ennemi, du cafard (les Tutsis), l’appel au


meurtre et les dénonciations sur les ondes. Le tout comme si de rien n’était, entre tubes internationaux, bières et éclats de rire. Un idéologue règne sur les mots, les détourne et les manipule, matraque une haine qui ne peut s’assouvir que dans l’éradication. Fruit de plus de 1 000 heures d’émissions écoutées et des déclarations des protagonistes lors de leur procès, Milo Rau signe une pièce haletante de réalisme froid, âpre de haine et d’incompréhension. Éloge de notre temps La brésilienne Christiane Jatahy entremêle ses deux amours, cinéma et théâtre, par le biais du documentaire entre passé et présent, fiction et réalité. Le Présent qui déborde 2 (31/01 & 01/02, La Comédie), second volet de son dyptique autour de L’Odyssée, évoque migration et accueil tout en questionnant la place du spectateur grâce à un dispositif dépassant toute frontière entre salle et scène. Autre figure des scènes internationales, le flamand Jan Lauwers présente Tout le bien (08 & 09/02, La Comédie, à partir de 18 ans) : un écho du travail de la compagnie installée dans le tristement célèbre quartier de Molenbeek lié à l’improbable rencontre entre

une jeune femme convaincue de la bonté du monde et Elik Niv, ancien soldat d’élite de Tsahal devenu danseur après un grave accident. Un autoportrait fictif mêlé d’éléments autobiographiques, une histoire d’amour au milieu d’une Europe sombrant dans le repli et la haine. Une audace que ne renierait pas Lia Rodrigues. Avec son école de danse ouverte aux quatre vents dans la favela de Maré, l’une des plus violentes du Nord de Rio de Janeiro, la chorégraphe vit telle une Carioca, intensément dans le présent. Dans sa nouvelle création, Fúria (07/02 & 08/02, Le Manège), une dizaine de danseurs prolongent le travail entamé dans Pour que le ciel ne tombe pas. Le mythe des furies romaines, divinités des Enfers, est ici revisité à grand renfort de physicalité contrainte, corps secoués et tordus, tensions et tourments. S’y lit tout le désarroi d’une société gangrénée de violence et de coups du sort, de vies balayées par les balles perdues et les morts soudaines. L’hyper expressivité des interprètes, qui ne s’appartiennent plus, évoque leur possession par un mal-être dont l’exorcisme paraît impossible. Multipliant les postures de supplice et les attitudes de colère, de dégoût ou de souffrance, une rage les anime. Quotidienne et éternelle.

Lire notre article sur l’artiste associé au Manège dans Poly n°219 ou sur poly.fr 2 Voir Poly n°226 ou sur poly.fr 1

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THÉÂTRE

c’est extra Après dix ans à la tête du Centre dramatique national de Thionville, qu’il avait rebaptisé Nord ESt Théâtre, Jean Boillot passe la main à Alexandra Tobelaim en ce début d’année. L’occasion d’un bilan avec celui qui réactive sa Cie La Spirale, à Metz. Par Thomas Flagel Portrait de Raoul Gilibert et photo de répétition d’Arthur Pequin, La Bonne Éducation

nest-theatre.fr

Quel héritage laissez-vous au NEST ? Mon prédécesseur Laurent Gutmann a eu la présence d’esprit d’accueillir la cabane de l’Odéon, devenue notre théâtre en bois. Un équipement trop petit pour un CDN (240 places), avec beaucoup de contraintes techniques notamment seulement cinq mètres sous perches, et difficilement chauffable mais à la chaleur humaine irremplaçable. Le public adore cet endroit qui grince de partout. Nous l’avons agrandi avec le barnum, en 2013, pour les 50 ans de la compagnie ayant fondé ce qui devint le NEST. Plus qu’un espace de restauration, il est devenu un lieu irremplaçable du développement des publics, d’accueil, de réunion, de partage avant et après spectacle : le point névralgique ! Nous avons perfectionné l’outil, augmenté l’activité et la fréquentation (+37% de 2010 à 2019), nous servant d’une culture festivalière comme levier pour toucher les jeunes et les familles. Vous avez joué à fond la carte de la jeunesse, créant un festival (La Semaine Extra) et multipliant les actions ciblées… La Semaine Extra, qui perdure après mon départ, a été, comme le festival Court Toujours dédié aux formes brèves ou le concours d’écriture Les Iroquois, un catalyseur d’évo-

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lution des publics qui fréquentent notre théâtre. Nous avons énormément d’adolescents qui viennent. En excluant les scolaires, ils représentent 20% des entrées. Nous les avons impliqués dans notre projet et, pour certains, aussi associés et responsabilisés en leur confiant des missions de passeurs. Le fameux renouvellement des publics est en marche, même si l’on sait que cela reste fragile et volatile dans cette zone frontalière particulière avec la Belgique, le Luxembourg et l’Allemagne. Avec l’édification d’un nouveau théâtre d’ici 4 à 5 ans, que deviendront l’actuel théâtre en bois et le barnum ? Leur avenir est encore incertain. Déplacés sur le nouveau site ? Intégrés dans le cahier des charges du concours d’architecture ? Vendus ? Le Barnum appartient au NEST, donc la décision reviendra à sa nouvelle directrice. Le théâtre en bois est la propriété de la ville. Mais le nouveau théâtre est l’aboutissement de la reconnaissance de notre contribution à élargir la cité, nous qui travaillons dans des lieux industriels étranges, en bord de ville dans des espaces interlopes. Aujourd’hui, c’est autour de nous qu’elle s’élargit et qu’un nouvel écoquartier verra le jour, le théâtre en son centre, retissant un projet de société.


© Alexandre Morel, Jeanne Quattropani

SPECTACLE

the end of the f***ing world La seconde édition de Ce qui nous agite explore La Fin du monde, déjà demain ? Un temps fort dédié à l’état de notre planète s’appuyant sur une conférence du climatologue Hervé Le Treut, ancien membre du Giec (25/01 à 14h, entrée libre). Elle sera suivie de la projection du documentaire Qu’est-ce qu’on attend ? (15h45, entrée libre) dans lequel Marie-Monique Robin part à la rencontre des habitants d’Ungersheim, commune alsacienne de 2 200 âmes ayant économisé 120 000 euros en frais de fonctionnement et réduit ses émissions directes de gaz à effet de serre de 600 tonnes par an depuis 2005. Le tout en créant une centaine d’emplois et en stimulant l’économie locale. Côté artistique, Joël Maillard propose une vraie-fausse conférence (Quitter la Terre, 24 & 25/01 à 20h30) dont

l’aspect de science-fiction drôlement bricolée laisse place à un miroir tout sauf irréel de ce qui nous guette. Enfin, la compagnie Roland furieux signe un concert récitant avec l’ensemble Dans les arbres autour de Danse avec Nathan Golshem (23/01 à 19h). Un roman post-exotique de Lutz Bassmann, hétéronyme d’Antoine Volodine, dans lequel une femme invoque, telle une chamane, son défunt mari dans une cérémonie d’amour rituelle sur les décombres encore fumants d’un monde à l’agonie. (T.F.) Au Centre culturel André Malraux (Vandœuvrelès-Nancy), du 23 au 25 janvier centremalraux.com

© Christophe Raynaud De Lage

oulipien

Au Parvis Saint-Jean (Dijon), du 28 janvier au 1er février tdb-cdn.com

Le triptyque Entreprise d’Anne-Laure Liégeois est une fresque décrivant les conditions de travail en mettant en regard successivement Le Marché, commandé à Jacques Jouet, L’Intérimaire de Rémi De Vos et L’Augmentation de Georges Perec. Le décor se referme progressivement pour illustrer ce passage graduel de 2020 à 1970, tout comme les différents costumes et perruques des trois comédiens. Placés auprès de distributeur d’eau, sapin de Noël ou plantes vertes avec des paysages forestiers en fond de scène, ils exposent plusieurs moments de vie d’entreprise : séance d’embauche, arrivée au bureau tardive mais départ à 17h pétante… Le tout, ponctué de jeux d’écriture où « les mots sont centraux », utilise autant de termes que possible autour de l’argent, les règles ou encore le langage. Ce spectacle comique qui « joue sur l’épuisement de l’homme » au travail et les agissement des individus placés dans des relations de pouvoir dépeint la chute des revendications des employés depuis un demi-siècle : il n’est plus question d’augmentation mais d’échapper à l’exploitation. (I.P.) Poly 227

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aux origines de la violence Suite à l’odyssée toute en démesure 2 666* d’après Roberto Bolaño, Julien Gosselin s’attaque à trois romans de Don DeLillo : Joueurs, Mao II et Les Noms.

Par Irina Schrag Photos de Simon Gosselin

Intégrale Joueurs / Mao II / Les Noms, au Maillon (Strasbourg, présenté avec le TNS), samedi 18 janvier et dimanches 12 et 19 janvier maillon.eu – tns.fr Joueurs, au Maillon (Strasbourg, présenté avec le TNS), mardi 14 janvier Mao II, au Maillon (Strasbourg, présenté avec le TNS), mercredi 15 janvier Les Noms, au Maillon (Strasbourg, présenté avec le TNS), jeudi 16 janvier maillon.eu – tns.fr

Lire Des Enfers fabuleux dans Poly n°196 ou sur poly.fr

*

En Chiffres. 1032 pages pour trois romans parus en français chez Actes Sud au début des années 1990, soit entre une et deux décennies après la publication américaine des Noms (1982) et de Joueurs (1977). Les trois adaptations peuvent se découvrir en épisodes isolés de 3h chacun ou dans une intégrale de 9h30 sans entracte, les spectateurs pouvant entrer et sortir librement pendant la représentation. Un spectacle fleuve dans lequel le temps se dilate entre auditoire et comédiens. Une douzaine est en jeu dans une scénographie de verre rappelant les lames modernistes de l’architecte Mies van der Rohe. Pas de quoi impressionner Julien Gosselin, ni ceux ayant déjà vécu l’expérience temporelle de 2 666 et ses 12 heures de Théâtre ! Don DeLillo. Né dans le Bronx, Don DeLillo est un écrivain américain octogénaire, dont les parents ont émigré des Abruzzes, son père

passant par Ellis Island durant la Première Guerre mondiale. Éduqué dans un catholicisme rigoureux à l’américaine (l’italien était banni de la maison), l’école buissonnière est son salut. Il travaille d’abord dans la publicité, tout en se consacrant à sa passion, l’écriture de nouvelles et à des romans à l’architecture complexe. S’il met quatre ans à écrire son premier roman (Americana, 1971), il en publie cinq autres avant 1979, dont Joueurs (1977). Après une incartade plus commerciale sous le pseudonyme de Cleo Birdwell et des voyages au Proche-Orient, Les Noms voit le jour en 1982. Si Mao II parait en 1991, ses romans les plus célèbres restent Outremonde (1997), Libra (1988) et Bruits de fond (1985) distingué par le National Book Award. L’auteur cultive un certain mystère. Ses livres sont remplis de pessimisme et de scepticisme, qu’il croque le malaise et les illusions de la middle-class ou ceux des plus privilégiés. Littérature-théâtre. Julien Gosselin tente de recréer des fictions sur scène. De pièces (Gênes 01 de Fausto Paravidino, Tristesse animal noir d’Anja Hilling), il compose des épisodes narratifs. De romans qui se mesurent au monde dans un défi littéraire apte à embrasser plusieurs époques (Les Particules élémentaires de Houellebecq, 2 666 de Bolaño), il écrit des adaptations malaxant sens et genres, en forme de pièces non centrées sur les positions des personnages ni sur la question de la représentation théâtrale. Plutôt sur ce qui réunit, dans la dimension littéraire, acteurs, spectateurs et metteur en scène. Théâtre-récit. L’adaptation des trois romans offre une coupe transversale dans l’œuvre de DeLillo, à la poursuite d’une archéologie du terrorisme et de la violence politique. Attentats, finance mondiale, que-

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relles de couple, sectes, langage comme réponse aux maux, mystique de la terreur sondent le mouvement global de l’Histoire. Les personnages sont pris par « la peur, le doute, l’ennui et l’impossibilité de l’amour. DeLillo rend à ces phénomènes vécus par tous leur part de mystère, les relie à l’Histoire, aux guerres, aux archaïsmes les plus violents et les plus purs » confie le metteur en scène. Joueurs, Mao II et Les Noms. Dans Joueurs, un homme passe de l’ennui du couple à la violence pure, la lutte entre la radicalité et le libéralisme aux États-Unis dans les années 1970 sous les traits d’un jeune trader. Tentation d’attentat et immolation par le feu. Mao II croise le portrait d’un écrivain – double de l’auteur ? – vivant reclus avant de se confronter au terrorisme au Liban dans les années 1990, sauvant un jeune poète fait prisonnier par des terroristes maoïstes. Enfin, Les Noms raconte, en un récit labyrinthique la

recherche par un expert en analyse de risques esseulé d’une secte violente tuant ses victimes en se basant sur l’alphabet au beau milieu d’un bassin méditerranéen plongé dans le chaos. La géopolitique, l’individualisme, le capitalisme, le rôle des médias et la prégnance de l’image s’y côtoient, les groupuscules d’extrême gauche comme les factions rivales du Moyen-Orient. Le terrorisme comme supplétif à la littérature dans la longue agonie des sociétés occidentales. Théâtre-cinéma. Tombé dans la vidéo avec 2 666, travail qu’il a poursuivi dans 1993 créé avec les élèves de l’École du Théâtre national de Strasbourg (dont il est artiste associé), le metteur en scène continue d’interroger les lignes de force de la représentation en bousculant le théâtre avec une approche cinématographique des corps au plateau. Le long planséquence en temps réel, dans lequel ses comédiens jouent souvent très loin

du public derrière de grandes baies vitrées, se déroule dans un décor pivotant avec cadreur, steadicam au poing, et rails pour travelling. Lumières et attitudes sont pensées pour la caméra. Les images léchées qui en résultent sont projetées sur un immense écran surplombant la scénographie, le son lui-même étant lui-même amplifié et trituré avec micro et bande-son électro. SVPLMC. Si vous pouviez lécher mon cœur, nom du collectif co-fondé par Julien Gosselin à sa sortie de l’École professionnelle supérieure d’Art dramatique de Lille, en 2009. Son adaptation des Particules élémentaires de Houellebecq est acclamée au Festival d’Avignon 2013, propulsant le metteur en scène (qui aura 33 ans en 2020) en figure de proue de la jeune génération de metteurs en scène français. Ses projets pharaoniques ultérieurs montrent que rien ne lui résiste.

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© François Goize

traqué

Fabrice, incapable de présenter sa carte de fidélité dans un supermarché, fuit un vigile avant de se faire traquer par la police, ce qui suscite le déchaînement des médias et scinde la société. Dans une scénographie de fiction radiophonique faite de tables, chaises et micros donnant l’illusion d’une dramatique radio, Paul Moulin transpose en un spectacle vivant la critique et absurde bande-dessinée Zaï Zaï Zaï Zaï de Fabcaro. Fidèle au texte jusque dans la durée, identique à son temps de lecture, le metteur en scène « fait exister les différents décors à l’aide d’une illustration sonore ». D’un village à un commissariat, elle est accompagnée par

des bruitages de verres ou de claviers réalisés en direct. À l’exception de Fabrice, seul contre tous, les huit comédiens interprètent plusieurs personnages et improvisent certains moments comme les journaux télévisés, adaptés à l’actualité. Soyez attentifs jusqu’à l’épilogue, véritable ode à Fabcaro et l’une de ses BD ultérieures. (I.P.) Au Nouveau Relax (Chaumont), mardi 21 janvier lenouveaurelax.fr Au Granit (Belfort), jeudi 30 et vendredi 31 janvier legranit.org

music talk

© Renaud Monfourny

Coproduction entre TAPS et Maillon, Les Mômes Porteurs est une création « musico-théâtrale », explique sa conceptrice Mounia Raoui, mise en scène avec Jean-Yves Ruf. L’ancienne élève de l’école du TNS y fait appel à Plume, personnage fictif auquel elle se confiait déjà lors de son précédent spectacle Le Dernier jour où j’étais petite. Onze textes joués ou chantés évoquent les processus de construction d’un individu en mettant en regard enfants et adultes de « manière kaléidoscopique ». Certains résultent d’écriture à contrainte, comme le texte inspiré de la musique 48kg dans laquelle la chanteuse Mama Béa se définit par son poids. Intéressée par la rythmique et le son des mots, Mounia Raoui pose sa voix sur la création musicale d’Areski Belkacem – partenaire scénique de Jacques Higelin ou Brigitte Fontaine – qui mêle instruments à cordes et batterie pour un résultat proche du jazz. Seule comédienne sur scène, elle occupe l’espace scénique avec l’accordéoniste Marcel Loeffler, « fil rouge instrumental qui accentue la dimension populaire de la création ». (I.P.) Au Maillon (Strasbourg), du 21 au 25 janvier maillon.eu À la Salle Europe (Colmar), jeudi 30 avril salle-europe.colmar.fr 28

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jump around To Da Bone, création survoltée de (LA)HORDE est un spectacle issu du Hardstyle. Onze danseurs bondissant sur 140 BPM dans des nappes de fumées…

Par Thomas Flagel Photos de Tom de Peyret

À la MALS (Sochaux), vendredi 17 janvier (dès 10 ans) mascenenationale.eu collectiflahorde.com

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e trio détonne dans le paysage chorégraphique. Marine Brutti, Arthur Harel et Jonathan Debrouwer mènent leur collectif tous azimuts, explorant la danse comme le cinéma en s’intéressant au plus près à la manière dont l’utilisation des réseaux sociaux par les jeunes entremêle désormais les corps et l’archivage des gestes. La “Post Internet Danse” rebat les cartes, mobilise les foules, anime des révoltes intimes de la jeunesse. Et voilà que ceux qui ont découvert la plupart de ces mouvements et modes sur la toile réactivent les genres issus du Hardstyle et des Hard-Dances (Tekstyle, Shuffle, Hakken et Jumpstyle) dont les variantes forment une chorégraphie hypnotique. Dans l’obscurité du plateau, onze danseurs en jeans et sapes flamboyantes font face au public. L’air d’avoir envie d’en découdre, la rage au cœur, un pas basique effectué en carré millimétré sur un tempo martial forme le La de To Da Bone. Ils donneront tout, se dépouilleront jusqu’à l’os. Né en Belgique et aux Pays-Bas, popularisé mondialement grâce aux plateformes comme YouTube, la mode a pris de

l’ampleur en une dizaine d’années. Voilà qu’ils livrent un ensemble de pas, de passes, de jumps et de tours sur soi nés dans la solitude de leurs chambres d’ado, migrant ensuite dans les friches urbaines et les parkings sous l’éclairage des phares de voiture bien avant d’investir les clubs, lors de battles à mettre KO n’importe quel amateur de cardio en salle de sport ! Mais (LA)HORDE n’est pas dévote. Succède à cette démonstration inaugurale au rythme endiablé un solo aérien et intime. Si l’on martèle le sol aussi frénétiquement, c’est pour mieux échapper à la gravité qui nous tient lieu de quotidien. Le groupe se disloque, multiplie les tentatives d’élévations en apesanteur. Pour la première fois, ces danseurs de plusieurs nationalités se retrouvent dans une entreprise collective dépassant leurs pratiques isolées. Les nouveaux directeurs du Ballet national de Marseille appuient d’ailleurs sur la dimension politique du mouvement, sorte de révolte sourde se nichant dans les interstices d’espace convergeant du On Line au In Real Life.



DANSE

her Avec L’Année commence avec elles, Pôle Sud signe un temps fort 100% féminin composé de cinq pièces chorégraphiques. Découverte.

Par Thomas Flagel Photos de Julien Carlier (De la poésie, du sport, etc) et de Simon Harrison (Hope Hunt et The Ascension into Lazarus)

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clectisme à tous les étages dans les spectacles regroupés au mois de janvier par le Centre de développement chorégraphique national strasbourgeois. Parmi eux, la mise en question de la notion même de féminin et des codes sociaux comme sportifs dans De la poésie, du sport, etc de Fanny Brouyaux et Sophie Guisset. La chorégraphe bruxelloise et la performeuse s’attaquent à l’émancipation en jouant de la solidarité ou

de la concurrence inhérentes à la pratique du sport. Du défi physique au lâcher prise, de l’humour à la subtilité gestuelle, l’intime se mesure à l’universel pour mieux se réinventer, ensemble. Toute autre recherche du côté de Caroline Allaire qui part dans une exploration drôle, imagée et ludique du corps humain en forme de leçon d’anatomie (Jusqu’à l’os, dès 6 ans). En jeu de mots et de membres, la danseuse mêle habilement iconographie an-


cienne et imaginaire débridé pour construire un spectacle plongeant avec aisance et sérieux scientifique dans les particularités de notre squelette. Une exploration cocasse de ses possibilités comme des points de vue par lesquels envisager notre enveloppe. Virage à 180° avec Oona Doherty. Cette Nord-Irlandaise au caractère bien trempé a toujours fait les choses à sa manière, dans le tumulte d’une vie qui la voit quitter son pays à 18 ans pour rejoindre le conservatoire de danse londonien. Renvoyée pour consommation de drogue, elle sera serveuse, reprendra des études avant de faire du théâtre avec des performeurs n’ayant pas froid aux yeux dans le groupe T.R.A.S.H. Elle reviendra non loin de Belfast, dans la ville de son enfance. Cet épicentre des troubles politico-identitaires des 40 dernières années laisse ses traces indélébiles dans la danse d’Oona.

Violence et rébellion, corps pulsant de tensions, mouvements naviguant entre joies et peines. Hope Hunt est un solo vigoureux et tectonique, créé comme une sorte de prologue à The Ascension into Lazarus. La chorégraphe y interprète, avec son look urbain androgyne, un personnage masculin éructant sa vie sur du Bronski Beat revisité par le DJ Joss Carter. Elle crée des collages hallucinés, mélange de ses propres poèmes et de fragments de conversations issues d’ateliers avec des jeunes incarcérés. Des traces de danse celtique apparaissent au milieu d’un vocabulaire classique coloré d’attitudes de petites frappes. L’enfermement du corps déborde de toutes parts dans une recherche de dignité salvatrice. Le vernis de la masculinité surjouée pour imposer le respect s’évapore finalement pour révéler fragilités et désirs enfouis.

De la poésie, du sport, etc de Fanny Brouyaux et Sophie Guisset, à Pôle Sud (Strasbourg), jeudi 9 janvier pole-sud.fr Jusqu’à l’os de Caroline Allaire, à Pôle Sud (Strasbourg), du 12 au 14 janvier pole-sud.fr Hope Hunt et The Ascension into Lazarus d’Oona Doherty, à Pôle Sud (Strasbourg), jeudi 16 et vendredi 17 janvier pole-sud.fr

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© MC2

SPECTACLE

archéo-théâtrologie Créée en 1979 au Centre dramatique national des Alpes par Georges Lavaudant, La Rose et la hache connait une seconde jeunesse. Une occasion rare de découvrir une pièce mythique qui marqua l’histoire du théâtre français : Richard III ou l’horrible nuit d’un homme de guerre, écrite par Carmelo Bene d’après Shakespeare. La figure du roi anglais, éloignée de la profusion des détails historiques, dévoile la monstruosité de son ingénieux machiavélisme, doublé d’une brutalité meurtrière décomplexée. L’irrésistible ascension d’un duc de province au physique difforme, prêt à toutes les fourberies pour affaiblir les prétendants au trône, aux unions de circonstance pour anéantir ses rivaux. Une intelligence rare et séduisante qu’incarne à nouveau

Ariel Garcia-Valdès, quarante ans après, dans des tableaux hallucinés autour d’une grande table remplie de verres de vin à moitié vides, abandonnés à leur triste sort. Chorégraphié par Jean-Claude Gallotta, la pièce étonne par ses collages et ses chansons populaires italiennes, ses citations brutes du dramaturge élisabéthain mêlés à la voix de Carmelo Bene himself empruntant à Cioran l’aphorisme d’un titre appelant le goût du sang. (I.S.) Au Théâtre Edwige Feuillère (Vesoul), mardi 21 et mercredi 22 janvier (dès 16 ans) theatre-edwige-feuillere.fr

Sur scène, un groupe de danseurs effectue des portés de plus en plus hauts jusqu’à ce que des agrès, invisibles grâce aux jeux de lumière de Yoann Tivoli, leur permettent de s’élever à plusieurs mètres du sol. Avec Vertikal, Mourad Merzouki « cherche le côté virtuose du hip-hop » qu’il allie à de la danse aérienne défiant la gravité. Équipés de baudriers dissimulés sous leurs costumes aux couleurs pastel, les acrobates sont successivement porteurs, voltigeurs, escaladeurs et alpinistes, enchaînant « différentes saynètes qui ne racontent pas d’histoire précise », confie le chorégraphe. Les cinq colonnes mouvantes qu’ils gravissent à l’aide d’élastiques sont « aussi bien des tours de banlieue que des pics de haute montagne ». La bande-son cinématographique d’Armand Amar, associant quatuor à cordes, chant et électro, rythme ce spectacle poétique. Duo de siamois aux mouvements dépendants l’un de l’autre, ascension des parois ou sauts à l’élastique, la compagnie Käfig s’échappe de sa cage en cherchant de la hauteur. (I.P.) 34

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© Laurent Philippe

gravity

Au Carreau (Forbach), vendredi 24 janvier carreau-forbach.com À Juraparc (Lons-le-Saunier), jeudi 26 mars scenesdujura.com À Équilibre (Fribourg), jeudi 2 avril equilibre-nuithonie.ch


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Hulul (1) Inspiré du livre pour enfants d’Arnold Lobel, ce spectacle jeune public de la compagnie Zooscope voit Hulul se coucher dans sa petite demeure. Avec poésie, il partage sa recette du thé aux larmes, invite l’hiver à se réchauffer chez lui, se balade avec la lune. Une fausse naïveté en forme d’invitation à repenser notre rapport au monde. 14-16/01, L’Espace (Besançon), dès 5 ans les2scenes.fr Britannicus La Compagnie Mavra donne une version moderne de la pièce de Racine. Dans un studio de télévision où l’actualité est un spectacle divertissant entrecoupé de publicités propres à exploiter le « temps de cerveau disponible », tout est trahisons, ruses et stratégies, alliances, promesses menteuses et duplicité vertigineuse assumée. La désinvolture s’allie à l’indifférence, l’amour n’est plus que du désir et le crime un détail. Du siècle de Néron à celui de Racine et de Louis XIV, le pouvoir absolu s’exerce au spectacle ainsi qu’à la surveillance. Et aujourd’hui, la cruauté quotidienne se joue en costume, sous les projecteurs. 14-21/01, La Manufacture (Nancy) theatre-manufacture.fr Après la fin Un huis clos de Dennis Kelly créé par Catherine Javaloyès mettant aux prises Mark et Louise, qui se réveille dans un bunker. Comment est-elle arrivée là ? Que lui veut cette connaissance un peu bizarre ? Entre jeu de rôles, désirs et tabous, la violence ne peut qu’éclore… 16/01, Le Point d’eau (Ostwald) lepointdeau.com 04/02, Théâtre de Haguenau scenes-du-nord.fr Session (2) Ce duo inédit entre Colin Dunne, artiste de danse irlandaise traditionnelle, et Sidi Larbi Cherkaoui, chorégraphe

Sidi Larbi Cherkaoui © Koen Broos

© Dorothée Thébert Filliger

sélection scènes

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contemporain, est une occasion rare de les découvrir sur scène. Ils partent à la découverte de ce qui les réunit à travers une exploration de leurs mondes sonores respectifs, sont accompagnés sur scène par le compositeur Michael Gallen et le musicien Soumik Datta. 21 & 22/01, Grand Théâtre (Luxembourg) theatres.lu Piaf, la Vie en rose Non, je ne regrette rien illustre aussi parfaitement la devise de vie d’Édith Piaf. Après une série de représentations à Gera, le Thüringer Staatsballett se produit pour la première fois en France avec cette chorégraphie explorant l’univers de la mythique chanteuse. 17-19/01, Opéra-Théâtre (Metz) opera.metzmetropole.fr Speakeasy La compagnie The Rat Pack nous invite dans un tripot clandestin des années 1930 pour un hommage circassien au 7e art. Sur des compositions electro métissées signées Chinese Man, les protagonistes multiplient les acrobaties à la roue Cyr, au mât chinois ou à la voltige leur permettant de maintenir un rythme effréné à une histoire aussi stylisée qu’un bon vieux polar en noir et blanc ! 25/01, La Castine (Reichshoffen), dès 8 ans scenes-du-nord.fr John Stanislas Nordey monte l’un des premiers textes de Wajdi Mouawad. Un adolescent enregistrant une confession à sa famille avant de se suicider. Pièce coup de poing (Lire All Apologies sur poly.fr). 30/01-01/02, Espace Bernard-Marie Koltès (Metz) ebmk.univ-lorraine.fr 04-07/02, Centre culturel André Malraux (Vandœuvre-lès-Nancy) centremalraux.com

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MUSIQUE

bpm sauce harissa Taxi Kebab et Acid Arab, qui vient de sortir son nouvel album, concoctent une soirée orientale rythmée de basses à la BAM de Metz.

Par Irene Picon Photo de Philippe Levy (Acid Arab) et de Taxi Kebab (à droite)

À la BAM (Metz), samedi 25 janvier citemusicale-metz.fr

Paru chez Crammed Discs (13,99 €) crammed.be

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n résidence à la Cité musicale de Metz, Acid Arab se distingue par sa musique « 100% acide et 100% orientale » qui allie techno occidentale – entre acid house et minimaliste – à des airs orientaux, élaborant un parfait mélange entre Jeff Mills et Omar Souleyman. L’aventure débute en 2012 lorsque Guido Cesarsky, dit Minisky, et Hervé Carvalho se retrouvent Chez Moune à Pigalle pour des DJ sets lors de leurs soirées déjà intitulées Acid Arab. Par la suite, Pierrot Casanova, Nicolas Borne et Kenzi Bourras se joignent à eux pour former le fameux quintet. Aujourd’hui, ces créations à l’intro marquée en bpm suivie d’instruments ou de chants orientaux également soutenus en beats sont intemporelles, énergiques, hypnotiques et dépaysantes. Récompensé comme groupe

français le plus exporté à l’étranger en 2017 et 2018, il revient en force en octobre 2019 avec Jdid (nouveau, en arabe), trois ans après Musique de France. Plus raffiné, puissant et panaché, ce deuxième album développe davantage les dialogues entre Orient et Occident et réunit de nombreux guests célèbres ou non, dont trois « géniaux » déjà présents sur le premier. Acid Arab accompagne leurs voix qu’ils enrobent de sonorités justes et variées, qui promènent du Maroc au Niger. Mettant en avant chants touaregs, raï ou poèmes bédouins, le groupe parcourt ces vastes territoires et renouvelle ses créations en intégrant certains instruments comme le yarghol (double hautbois palestinien utilisé pour Électrique Yarghol) ou le gasba (flûte de roseau berbère dans Staifia). Cette méti-


MUSIQUE

culeuse exploration de la culture orientale a notamment été rendue possible par l’apport du seul arabophone du quintet, Kenzi Bourras, qui n’est autre que l’ex-claviériste de Rachid Taha, l’une des idoles d’Acid Arab avec lequel ils ont produit Houria dans Histoire de France. Fiers d’appartenir au label bruxellois Crammed Discs – le même que l’une de leurs références, Zazou Bikaye, quarante ans plus tôt – Acid Arab s’est aussi lancé il y a quelques années dans la production et signe avec l’égyptien Rozzma, découvert sur SoundCloud, en produisant son premier EP, Donya Fakka, en 2017. Encore peu mis en avant, ils souhaitent « rendre la pareille » et soutenir la techno, « scène qui ne cesse d’évoluer de manière protéiforme ». Un genre toujours « très marginalisé » rappelle Guido Minisky. « C’est encore mal connoté et les conflits entre les forces de l’ordre et les raves le montrent très bien ». En première partie du concert, le duo nancéen Taxi Kebab partage cette opinion et précise qu’il y a « de plus en plus de variété possible grâce à toutes les machines disponibles ». Léa Jiqqir et Romain Henry se sont rencontrés au Centre Culturel Georges Pomp It Up de la cité lorraine, où ils ont profité du studio mis à disposition avant de fonder leur groupe à l’hiver 2017. Ces jeunes artistes qui ont dû mettre entre parenthèse leur « boulot classique », la photographie pour Léa et la chorégraphie pour Romain, se préparent à sortir leur album

fin 2020, après avoir enregistré leur seul clip en mai 2019, Lmchi w Rjou3. Il n’est pas encore question de collaborer avec d’autres, mais « on acceptera peut-être James Holden s’il vient nous voir ». Leur nom, ils le doivent à une soirée durant laquelle ils avaient envie d’un kebab et d’un taxi : « Il n’était pas encore question de faire de la musique ensemble mais on s’est dit que ça pourrait être un chouette nom. » Un an et demi après leur premier concert, le duo – managé par Tiphaine Gagne, qui gère Chapelier Fou – a une identité musicale bien précise qu’il aime décrire comme « psyché désorientale, voire décoloniale », en se plaçant à la rencontre entre Orient et Occident avec chaâbi marocain, transe gnawa et buzuq (luth fretté au long manche), tout en gardant des références éclectiques passant de Kanye West à Zombie Zombie. Romain gère les « machines et synthés » et Léa est à la guitare et au chant, en arabe. La langue s’est vite imposée à eux. Lui, qui ne le parle pas, considère qu’il y a « plus d’énergie et de caractère qu’en français ». Elle, a un « besoin intime d’utiliser l’arabe » transmit par son père, qu’il a fallu « réapprendre et se réapproprier ». Une soirée située en mer Méditerranée, alliant mariage raï et rave en plein Sahara. « Excité de retourner à Metz », Acid Arab y sera aussi accompagné en exclusivité par Cheikha Hadjla, qui enrichit Malek Ya Zahri par sa voix dans leur dernier album.

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black to the future Héritière de Sun Ra et double féminin de Saul Williams, Camae Ayewa alias Moor Mother débarque avec un nouvel album electro-cosmique aux Trinitaires messins. Par Thomas Flagel Photo de Bob Sweeney

Au Petit Bain (Paris), mardi 11 janvier petitbain.org Aux Trinitaires (Metz), jeudi 16 janvier en coproduction avec 49 Nord 6 Est - Frac Lorraine citemusicale-metz.fr fraclorraine.org Workshop Anthropology of consciousness avec Moor Mother au 49 Nord 6 Est - Frac Lorraine (Metz), vendredi 17 janvier, gratuit sur réservation au 03 87 74 20 02 ou info@ fraclorraine.org

Analog Fluids of Sonic Black Holes, paru chez Don Giovanni Records moormother.bandcamp.com

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es incantations de poétesse habitée livrant un spoken word issu des tréfonds de la culture afro-américaine. Des imprécations sombres sur des sonorités graves portées par une electro brute sombrant à l’envi dans un punk-rock expérimental, Moor Mother n’a rien à envier au charisme de son compère Saul Williams avec lequel elle partage le goût du crossover déroutant, des plages musicales pulsantes et planantes d’où émergent un effet de transe favorisant l’ouverture de l’âme à des textes militants. Dans le droit fil du gourou cosmique Sun Ra, elle a fondé le Black Quantum Futurism : une nouvelle approche de la vie et d’expérimentation de la réalité passant par « la manipulation de l’espace-temps afin d’envisager des futurs alternatifs, ou la réduction de l’espace-temps à un avenir souhaité pour le réaliser dans le présent ». Perchée Camae Ayewa ? Plutôt inspirée par une cosmogonie afro-futuriste née avec le jazzman Sun Ra, autoproclamé sauveur du peuple noir et natif de Saturne nourri à la SF et à l’Égypte ancienne. Mais qu’on ne

s’y trompe pas, ces références ne sont pas un dogme personnel. C’est la découverte de la scène underground de Philly qui fera de Moor Mother une activiste en règle contre toutes les marges où la majorité rejette l’autre : genre, couleur de peau, sexualité… Son écriture plonge volontiers dans la plaie toujours suintante de l’esclavage, la lutte pour les droits civiques et les angles morts de la société américaine. La moitié du duo 700 Bliss (formé avec DJ Haram) et Moor x Jewelry (avec le producteur et compositeur Steven Montenegro) ne ménage pas ses forces : auteure et interprète des textes du groupe de free jazz Irreversible Entanglements, elle sort aussi des recueils de poèmes quand elle n’anime pas des ateliers pour enfants dans les projects de sa ville. Son néo-afro-futurisme peuplé de rituels africains et de physique quantique se veut ancré dans le réel, la tête tutoyant les étoiles. Nul doute que sa performance scénique et le workshop qu’elle donnera à Metz marqueront les esprits. Frileux, s’abstenir.


MUSIQUE

à croquer Sorti en novembre, Les Failles, deuxième album de Pomme, se déguste en tournée. À la découverte d’une voix folk envoûtante et de textes ciselés. Par Emmanuel Dosda et Raphaël Zimmermann Photo d’Emma Cortijo

À L’Autre Canal (Nancy), mercredi 22 janvier lautrecanalnancy.fr Au Kursaal (Besançon), jeudi 23 janvier kursaal.besancon.fr À La Vapeur (Dijon), vendredi 24 janvier lavapeur.com À La Laiterie (Strasbourg), jeudi 12 mars artefact.org À La Rockhal (Esch-surAlzette), mardi 17 mars rockhal.lu pommemusic.fr

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n avait craqué pour son premier album intitulé À peu près (2017). Claire Pommet – alias Pomme – est de retour. Jolie à croquer, elle tombe avec délicatesse de son arbre avec sa pop juteuse et acide. Ballades façon troubadour, folk du XXIe siècle, pop songs à mille temps ou airs néo-yé-yé : haute comme trois Golden – elle a seulement vingt-trois printemps – la chanteuse prend le train de la musique made in France et trace vers le succès à très grande vitesse. Face à sa trogne et à l’écoute de sa voix claire aux accents âpres, tous les garçons et les filles de son âge (ou non) pleurent des larmes de papillon et voient des feux s’allumer dans leurs yeux translucides. Celle qui a fait la première partie de Benjamin Biolay, Vianney, Louane ou Yael Naim écrit des chansons d’amour (what else?) riches en fruits mais pleines de pépins. Plus Pink Lady que Boskoop, Pomme rêve de soleil estival éternel – quitte à hiberner – et de prendre la tangente. La revoilà avec Les Failles, album intimiste co-réalisé avec Albin de la Simone, moins acidulé que le précédent, puisqu’il oscille

entre terrible douceur et intense gravité, débutant avec le bien nommé Anxiété. Ce titre en forme d’autoportrait mélancolique, fragile et sombre, donne le La : « Je suis celle qu’on ne voit pas / Je suis celle qu’on n’entend pas / Je suis cachée au bord des larmes / Je suis la reine des drames. » Au fil des plages, affleurent les brisures, délicats fragments de spleen portés par le piano, la guitare ou encore l’autoharpe (une sorte de cithare) d’une jeune femme qui balance, désabusée, une antienne très sixties : « Je sais pas m’oublier / Et je sais pas danser. » Également fille de son époque, Pomme, se fait militante de la cause homosexuelle dans Grandiose : « Depuis que je n’ai pas le droit / Je veux un enfant dans le ventre. » Exaltant la splendeur du doute, certaines de ses plus émouvantes miniatures ont les accents poétiques de la grande Barbara (« Au creux d’un saule pleureur / Je t’éviterai les douleurs / Et nos corps / Fleuriront en larmes / Dormiront ensemble »), tandis que d’autres, à l’image de Chapelle, sont des objets énigmatiques à la semblance de vocalises mystiques.

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band of brothers Paru l’année passé, The Long March est le sixième album du Trio Joubran. En tournée, la formation palestinienne interprète ses mélopées entêtantes et engagées. Par Raphaël Zimmermann Photo de Myriam Boulos

Aux Dominicains de HauteAlsace (Guebwiller), jeudi 16 janvier dans le cadre du festival Les Vagamondes (voir p.20) les-dominicains.com lafilature.org À La Philharmonie (Luxembourg), samedi 18 janvier philharmonie.lu Au Théâtre de la Rotonde (Thaon-les-Vosges), mardi 21 janvier scenes-vosges.com À l’Université de Heidelberg, vendredi 27 mars heidelberger-fruehling.de letriojoubran.com

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n oud au son envoûtant. Puissance trois. Samir, Wissam et Adnan Joubran, trois frères palestiniens, héritiers d’une longue dynastie de luthiers, arpentent la scène musicale depuis de nombreuses années. La voix de Mahmoud Darwich plane sur leurs morceaux depuis À l’Ombre des Mots (2009), album où les textes du rhapsode incarnant l’identité de tout un peuple ont rencontré leurs notes. Dans Supremacy – titre écrit comme une cinglante réponse à la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par Donald Trump – se retrouve un des textes les plus célèbres du poète, son Discours de l’Homme rouge (où il dresse un parallèle entre les Indiens d’Amérique et les Palestiniens), dont Roger Waters, l’âme de Pink Floyd, récite la traduction anglaise : « Il y a des morts qui sommeillent dans des chambres que vous bâtirez. Des morts qui visitent leur passé dans les lieux que vous démolissez. Des morts qui passent sur les ponts que vous construirez. Et il y a des morts qui éclairent la nuit des papillons, qui arrivent à l’aube pour prendre le thé avec vous, calmes tels que vos fusils les abandonnèrent. » Dans les bacs depuis octobre 2018, The Long

March – symboliquement, celle du peuple palestinien – regroupe des titres composés des fragments de certains de ses vers pour une musique où des nappes synthétiques ultra contemporaines (coordonnées par Renaud Letang) fusionnent avec le son traditionnel et millénaire de l’oud… Mélodies entêtantes, ces ritournelles sont peuplées de voix multiples, celle du chanteur iranien Mohammad Motamedi, du percussionniste Youssef Hbeisch ou du violoncelliste Valentin Mussou, mais aussi, à nouveau, celle de Roger Waters. Partageant une commune volonté de faire voler les murs en éclats, ils ont enregistré ensemble Carry the Earth, plage planante irriguée par un message humaniste balancé par une voix samplée, où la tragédie est présente en filigrane, puisque le morceau est dédié à quatre enfants tués par une frappe israélienne à Gaza, en 2014, alors qu’ils jouaient au football au bord de la mer. Avec The Hanging moon, ils transportent l’auditeur dans un Orient de beauté et de douleur, de tapis de cordes ensorcelant en rythmique onirique, arpentant la sauvage aridité d’un désert mystique où coule une source d’espoir. Cœur battant, jamais battu.


L’ANNÉE COMMENCE AVEC ELLES 09 > 28 JAN 2020 COPRODUCTION POLE-SUD

FANNY BROUYAUX & SOPHIE GUISSET De la poésie, du sport etc JE 09 JAN 19:00 EN FAMILLE + 6 ANS

CAROLINE ALLAIRE / CIE KILOHERTZ Jusqu’à l’os DI 12 JAN 17:00

OONA DOHERTY

Hope Hunt & The Ascension into Lazarus JE 16 + VE 17 JAN 19:00

MADELEINE FOURNIER Labourer MA 21 JAN

19:00

FLORA DÉTRAZ / CIE PLI Muyte Maker MA 28 JAN 19:00

POLE-SUD.FR /    +33 (0)3 88 39 23 40 © SIMON HARRISON

1 rue de Bourgogne - 67100 STRASBOURG


50 nuances de gray Pour sa première à l’opéra, James Gray s’attaque aux Noces de Figaro, réalisant une mise en scène classique et altière du chefd’œuvre de Mozart, où la direction d’acteurs est millimétrée.

Par Hervé Lévy Photos de Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Élysées

À l’Opéra national de Lorraine (Nancy), du 31 janvier au 9 février opera-national-lorraine.fr Récital du baryton Huw Montague Rendall qui incarne le Comte Almaviva dans Les Noces de Figaro, mardi 11 février à la Salle Poirel

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oir de première au Théâtre des ChampsÉlysées. La grande majorité du public est débout, applaudissant à tout rompre James Gray et son équipe. Nous venons de traverser Les Noces de Figaro comme dans un rêve. Aujourd’hui présentée à l’Opéra national de Lorraine, co-producteur de l’événement, sa mise en scène d’un intense classicisme – qui renvoie parfois à la production mythique signée Giorgio Strehler créée en 1973 à l’Opéra royal de Versailles et régulièrement reprise depuis – est en effet pure merveille. Son credo a été de s’effacer : « Je me suis dit que je devais dégager le passage, disparaître pour me mettre totalement au service de l’ouvrage, pour transcrire sur scène

la beauté du chant, la richesse et l’ambiguïté de l’intrigue », explique-t-il. Voilà assertion pleine d’humilité à une époque où nombre de metteurs en scène font exactement l’inverse, à l’image de Leo Muscato qui réécrivit la fin de Carmen en 2018, à Florence, pour dénoncer les violences faites aux femmes. A Question of time De la part du cinéaste, Lion d’argent à la Mostra de Venise pour Little Odessa, on s’attendait néanmoins à un grand décapage iconoclaste rappelant, pourquoi pas, l’univers d’un de ses longs-métrages, que ce soit le film noir (The Yards), la science-fiction (avec le récent et génial Ad Astra), voire l’épopée amazo-


nienne avec The Lost City Of Z, où apparaît, tel un ovni, une scène de Così fan tutte au fond de jungle. À des années-lumière du Regietheater, il propose une lecture extrêmement fidèle aux indications de Mozart et de son librettiste Lorenzo da Ponte. Le résultat ? Un spectacle certes charmant, mais surtout diablement efficace. Nous sommes au XVIIIe siècle, dans une Espagne d’opérette, les différents protagonistes portant perruques et somptueux costumes (des réminiscences Louis XV, des traces hispanisantes et quelque pointes italiennes) signés Christian Lacroix. Les décors sont pleins de lustres à pendeloques, de jardins mystérieux ou d’escaliers à double volée structurant un espace ovoïde qu’on croirait architecturé par Claude-Nicolas Ledoux. Malgré cette temporalité revendiquée, il ne s’agit pas d’une vision confite dans le passé : « Le contexte historique de l’œuvre m’intéresse dans la mesure où j’essaie de construire des ponts entre hier et aujourd’hui, entre le parfum révolutionnaire de l’époque et la situation explosive que nous vivons actuellement », explique James Gray. Et dans ce spectacle apparaissent de manière limpide les deux enjeux structurant l’œuvre qui sont encore d’une brûlante actualité : la lutte des femmes pour leur émancipation de la pesanteur du patriarcat et la révolte sociale des serviteurs contre les maîtres. A Question of Lust S’il fallait absolument rapprocher un de ses films de cette production, ce serait sans conteste Two Lovers où le dé-

sir amoureux et charnel est disséqué avec finesse. James Gray fait vivre avec brio la subtile mécanique mozartienne, explorant en profondeur les tensions dramatiques entre les différents personnages. Fouillant aux tréfonds de leur psychologie, il se montre un directeur d’acteurs hors pair, réussissant à faire exprimer les mille et une nuances de la surprise, de la colère, des tourments de l’amour, de la duplicité à ses chanteurs, tous formidables (mention spéciale au Comte incarné par Stéphane Degout) au Théâtre des Champs-Élysées. Un des enjeux de la reprise nancéienne avec de nouveau protagonistes sera là, mais la distribution réunie sur le plateau s’annonce prometteuse. Finalement, la mise en scène décortique le désir. Fugace. Violent. Fondateur… « Oui, la Comtesse désire Cherubino l’espace d’un instant, et le moment d’après, cela semble lui avoir passé. Pourquoi ? Le livret ne répond pas à cette question, alors nous n’avons pas à le faire. Il est impossible d’expliquer le désir. Il n’obéit à aucune logique, il ne va pas forcément dans le sens de nos intérêts. Il peut au contraire être très autodestructeur », résume James Gray qui a su rendre la noirceur irriguant Les Noces : « Prenez le Comte : il est narcissique, capable de violences physiques et sans doute de violences sexuelles. Il fait constamment peser sur l’opéra la menace d’une catastrophe qui obscurcit le ciel de cette Folle journée. Tout le défi consiste à ne pas noircir exagérément le tableau, à ne jamais perdre de vue ce que nous dit l’ouvrage », poursuit-il. Mission accomplie. Poly 227

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OPÉRA

comme un poisson dans l’eau Succès de la littérature jeunesse, Marlène Baleine est porté à la scène sur des musiques de la Renaissance. La metteuse en scène Bérénice Collet évoque les enjeux de ce théâtre musical pour enfants.

Par Hervé Lévy Photos de Klara Beck

À la Cité de la Musique et de la Danse (Strasbourg), du 5 au 14 janvier (dès 5 ans) À La Sinne (Mulhouse), samedi 25 et dimanche 26 janvier (dès 5 ans) operanationaldurhin.eu À découvrir lors de la saison prochaine sur la scène du Saarländisches Staatstheater (Sarrebruck) staatstheater.saarland

Paru chez Sarbacane (15,50 €) editions-sarbacane.com

Quelles sont les thématiques irriguant l’œuvre ? Elle narre l’histoire de la petite Marlène : très ronde, elle vit un calvaire fait de moqueries et de quolibets, à chaque fois qu’elle va à la piscine. Ses camarades de classe ne sont pas tendres. Plus généralement, on embrasse la situation de tous ceux, quelque soit leur âge, qui se limitent dans leur existence en raison de nombreux a priori : ils sont trop gros, pas assez cultivés, etc. C’est une incitation à s’accepter soi-même pour que les autres nous acceptent. Est-ce aussi une pièce sur la cruauté des enfants ? Ils ne se rendent pas forcément compte que répéter en boucle à un camarade qu’il a un gros nez ou qu’il est trop gros peut faire profondément mal. Ils énoncent un fait. En quoi dire la vérité est-il blessant ? Ce n’est pas facile à comprendre pour eux, parfois. Marlène Baleine est aussi une œuvre sur la nécessaire empathie et la manière de l’enseigner. Comment porter au plateau un album dont l’univers esthétique est très fort, avec les dessins tout en rondeurs de Sonja Bougaeva ? Nous avons pris le parti d’être très visuels

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avec une forte contrainte, car la plus grande partie de l’histoire se déroule dans une piscine. Nous avons donc essayé, sans utiliser la moindre goutte d’eau, grâce à différentes astuces visuelle, d’immerger le public ! La bande-son de cette histoire mettant en scène des enfants d’aujourd’hui est composée de musiques de la Renaissance… Notre langage scénique, moderne et contemporain – qui utilise notamment de la vidéo – se met en quelque sorte au diapason de la partition car nous nous sommes aussi servis d’effets de machinerie anciens. Notre piscine est un grand escalier entre les marches duquel surgissent des éléments de décor, que ce soient des vagues ou des fragments de jungle. Comment Benoît Haller et La Chapelle rhénane s’emparent-il de ces musiques ? Ils n’en ont pas une approche muséale : Benoît Haller ne cherche pas à reproduire un son que personne, de toute manière, n’a entendu aujourd’hui. Ces partitions sont comme des squelettes autour desquels on a beaucoup reconstruit, ajoutant, par exemple, un accordéon à l’instrumentarium.


MUSIQUE

spécialiszt

© Josef Fischnaller

Obtenant une reconnaissance internationale en remportant en 2014 le très sélectif Concours Franz Liszt d’Utrecht – alors qu’elle était âgée de 21 ans – la pianiste géorgienne Mariam Batsashvili est devenue une référence dans l’interprétation des œuvres du compositeur romantique. C’est très logiquement ses partitions qui forment la colonne vertébrale du récital dijonnais de la rising star, permettant d’apprécier le raffinement de son toucher et l’agilité de son jeu dans des pages comme la Rhapsodie espagnole imprégnée de références à la jota, une danse populaire aragonaise, ou un fragment nimbé de sacré des Harmonies poétiques et religieuses. Elle donnera aussi ses exigeantes Douze grandes Études, « vraiment orageuses et horrifiques » pour Robert Schumann, qui ajouta qu’elles étaient si ardues qu’elles ne concernaient que « dix ou douze personnes au plus dans ce monde ». Sont également au menu, la Fantaisie chromatique et fugue de Bach, pièce à la semblance d’un véritable labyrinthe harmonique, et quelques Études de Chopin, chefs-d’œuvre d’invention. (H.L.) À l’Opéra de Dijon, samedi 11 janvier opera-dijon.fr

mahler en dialogue

Charlotte Juillard © Grégory Massat

En mettant dans le même programme le Concerto pour violon de Ligeti (1992) et la Symphonie n°4 de Mahler (1901), le directeur artistique de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja fait dialoguer les compositeurs par-delà les siècles. Voilà deux partitions lyriques jouant parfois sur l’étrangeté d’instruments scordatura (qui ne sont au diapason normal). Interprétée par Charlotte Juillard, super-soliste de la phalange alsacienne, la première est rythmique et pulsatile, jouant avec des sonorités inhabituelles de l’ocarina ou de la flûte à coulisse et les interférences entre violons, altos ou contrebasses accordés et désaccordés. Dans la seconde, Mahler livre un poème symphonique intimiste, éloigné des grandes arches sonores qu’on lui connaît habituellement : sarcastique, populeuse et volontiers moqueuse (Vincent d’Indy évoqua une « musique pour L’Alhambra ou le Moulin-Rouge »), cette partition se résout dans la pureté sans nuages du Lied Das himmlische Leben, voix céleste en quête de paix intérieure. (H.L.) Au Palais de la Musique et des Congrès (Strasbourg), jeudi 9 et vendredi 10 janvier philharmonique.strasbourg.eu

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Parsifal © Klara Beck

Confessions © Erwan Fichou et Theo Mercier

sélection musique

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Les Mille endormis

Croisière méditerranéenne

À travers leur parabole onirique, opéra oscillant entre gravité et légèreté, le compositeur Adam Maor et le dramaturge Yonatan Levy, tous deux israéliens, évoquent un pays déchiré et une société multiculturelle que ses dirigeants n’envisagent plus comme un tout organique, mais comme une irréconciliable mosaïque. 08/01, Grand Théâtre (Luxembourg) theatres.lu

L’Espagne vue par un Français (Édouard Lalo), l’Italie vue par un Allemand (la Symphonie n°4 de Felix Mendelssohn) et la poésie arabe vue par un compositeur américano-syrien Kareem Roustom dont sera donné Ramal. Ce programme de l’Orchestre symphonique de Mulhouse (placé sur la direction d’Yves Abel) invite le public à un excitant voyage ensoleillé. 24 & 25/01, La Filature (Mulhouse) orchestre-mulhouse.fr

Philippe Katerine (1)

Orphée aux enfers

Il est de retour avec un fantastique dixième album nommé Confessions (tout un programme !), à la fois iconoclaste et moderne, avec les participations exceptionnelles de Lomepal, Angèle, Chilly Gonzales, Gérard Depardieu, Camille, Dominique A, Oxmo Puccino ou encore Léa Seydoux… 16/01, La Vapeur (Dijon) 29/01, La Rodia (Besançon) 23/04, La BAM (Metz) katerine.free.fr

Dans une mise en scène enlevée qui fait briller tout le génie d’Offenbach, Nadine Duffaut accentue le caractère fantasque de l’opéra-bouffe. Les procédés comiques se succèdent à un train d’enfer au fil d’une intrigue débridée où l’on croise Elvis Presley, mais aussi Cléopâtre ou Pocahontas pour une soirée pétillante en diable ! 25 & 26/01, Opéra (Reims) operadereims.com

Gautier Capuçon & Yuja Wang

Parsifal (2)

Le féérique duo piano / violoncelle interprète la Sonate de Franck (et des pages de Chopin) : après un début très intériorisé, le deuxième mouvement déchaîne une puissante virtuosité avant que la partition ne rejoigne la profondeur expressive de Bach, tandis qu’un canon final incite les deux instruments à rivaliser d’exubérance. 19/01, Festspielhaus (Baden-Baden) festspielhaus.de

Attention événement ! Le metteur en scène japonais Amon Miyamoto (remarqué dans la même maison pour sa vision du Pavillon d’or, en 2018) s’empare du chef-d’œuvre de Wagner. Qui est ce héros aujourd’hui ? Quel voyage spirituel peut-il produire dans l’esprit d’un enfant auquel cette histoire serait racontée ? Voilà les questions qu’il pose… 26/01-07/02, Opéra (Strasbourg) 21 & 23/02, La Filature (Mulhouse) operanationaldurhin.eu

Balthazar

Mika

Le quintette venu de Courtrai creuse son sillon dans le domaine du rock alternatif avec l’opiniâtreté de ceux qui savent qu’aucune autre route ne s’offrira à eux que celle qu’ils inventent. À la découverte de leur nouvel opus, Fever ! 21/01, La Laiterie (Strasbourg) artefact.org

Une tournée Revelation où s’enchaînent les tubes issus de son premier album intitulé Life in Cartoon Motion et les standards les plus actuels ! 29/01, Rockhal (Esch-sur-Alzette) 30/01, L’Axone (Montbéliard) 14/02, Zénith (Strasbourg) mikasounds.com

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plastique & lyrique À Metz, la monumentale exposition Opéra Monde explore les multiples modalités de la rencontre entre plasticiens et art lyrique aux XXe et XXIe siècles.

Par Hervé Lévy

Au Centre Pompidou Metz, jusqu’au 27 janvier centrepompidou-metz.fr

Légendes 1. Ernest Klausz, La Damnation de Faust, maquette de décor, 1933, Paris, BNF © Remy Klausz 2. Bill Viola, L’Ascension d’Isolde, 2005, Turin, Fondazione per l’Arte moderna e contemporanea CRT, photographe : Kira Perov © Bill Viola Studio LLC

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mmense, le hall du Centre Pompidou est tout entier occupé par un gigantesque gorille, colossale sculpture – la plus grande jamais réalisée par les Ateliers de l’Opéra de Paris – représentant King Kong, conçue par Małgorzata Szczęśniak pour la mise en scène signée Krzysztof Warlikowski de L’Affaire Makropoulos de Leoš Janáček (à Bastille, en 2007). Mascotte et étendard de l’exposition, elle illustre la volonté de son commissaire, Stéphane Ghislain Roussel, « de montrer comment l’opéra convoque toutes les disciplines artistiques à travers des esthétiques contrastées et semble répondre à un véritable désir de l’œuvre d’art totale », la fameuse Gesamtkunstwerk dont les contours furent imaginés par Wagner.

Espaces opératiques Dans un parcours revendiqué non exhaustif, imaginé « comme un grand opéra composé en actes, qui se déploient en plusieurs temps », résume le commissaire de l’exposition, se découvrent maquettes, costumes, éléments de scénographie, images et sons. Il débute avec les scènes colorées peintes en 1914 par Natalia Gontcharova pour Le Coq d’or de Rimski-Korsakov : convaincue que « l’agrandissement d’un tableau de chevalet, porté à l’échelle de la scène, ne fera jamais un décor », mais aussi que « la création en matière de décoration théâtrale autorise tout anachronisme, toute déformation, toute reconstitution, toute invention », elle crée une étonnante synthèse montrant des villes


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rougeoyantes, entre Art moderne et imagerie folklorique moscovite, pour les Ballets russes. Ces images entrent en résonance avec la vidéo de Clément Cogitore qui achève la déambulation : imaginée pour la 3e Scène (numérique) de l’Opéra de Paris, elle montre une battle de krump sur la Danse du Grand Calumet de la Paix exécutée par les Sauvages, tirée des Indes galantes de Rameau. Depuis, le plasticien a mis en scène l’intégralité de l’œuvre avec un vif succès… Si ces deux pièces sont les bornes temporelles symboliques du parcours, elles encadrent de belles (re)découvertes, des vidéos hiératiques de Bill Viola pour Tristan und Isolde de Wagner à l’onirisme esthétisant de Romeo Castellucci dans sa mise en scène de Moses und Aron de Schönberg (dont est présenté un saisissant élément de décor), en passant, évidemment, par la collaboration devenue culte entre Robert Wilson et Philip Glass pour Einstein on the Beach. Espaces méditatifs Au fil des actes / salles se succèdent des espaces monographiques consacrés à des œuvres emblématiques, que ce soit La Flûte enchantée de Mozart (vue par Kokoschka ou William Kentridge) ou l’invraisemblable Saint-François d’Assise de Messiaen passé au prisme de l’actionnisme viennois. Dans la production munichoise de 2011 (dont sont présentés projections et costumes), Hermann Nitsch tisse en effet un lien entre sa théorie des couleurs et des sons et la mystique synesthésique du compositeur. L’exposition permet aussi de mieux connaître des figures comme Christoph Schlingensief, metteur en scène iconoclaste (son Parsifal à Bayreuth demeure dans la mémoire de tous les lyricomanes) qui débuta en 2009, la construction d’un “village opéra” au Burkina Faso, regroupant théâtre, école, hôpital, etc. qui fait voler les conventions en éclats. Autre utopie, celle imaginée conjointement par le compositeur Pascal Dusapin et le plasticien James Turrell pour To Be Sung (1994), où la scène est métamorphosée en installation lumineuse et sonore. Le visiteur est convié à entrer dans Red Eye, œuvre représentative du travail de l’artiste l’entraînant dans un autre univers, un ailleurs indéterminé qui laisserait à penser qu’il vient de pénétrer dans un tableau de Mark Rothko, où les frontières spatiales sont abolies. Selon le philosophe George Didi-Huberman, « James Turrell s’est intéressé très tôt à la notion de Ganzfeld utilisée en psychologie expérimentale de la vision. L’expérience du Ganzfeld est pour l’objet celle d’une lumière qui impose

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progressivement son atmosphère, puis sa masse et sa compacité, enfin sa tactilité. » Perdus tout d’abord, puis apaisés et méditatifs, nous voguons dans un espace chromatique vibratoire se modifiant avec douceur. Poly 227

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sound writers Avec Fire on fire : Art music / Street club studio, la Galerie Poirel de Nancy explore les fécondes relations entre graffeurs et musique underground depuis les années 1980.

Par Thomas Flagel

À La Galerie Poirel (Nancy), jusqu’au 30 mars poirel.nancy.fr Visites commentées les mercredi 4, 11, 18 et 25 janvier à 16h30 La Musique s’affiche, atelier des vacances pour les 7-11 ans, vendredi 21 ou 28 février (14h30), sur réservation Raconte-moi l’art à la manière d’Invader, atelier réservé aux 7-11 ans, dimanche 1er mars (14h15), sur réservation

Dans le cadre d’ADN – Art dans Nancy, programme qui met à l’honneur le street art dans le domaine public depuis 2015 2 Lire Brooklyn follies dans Poly n°225 ou sur poly.fr 3 Terme désignant l’art d’écrire, de tracer des inscriptions ou de laisser trace dans l’espace urbain public 1

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econd temps fort d’une saison dédiée aux arts urbains marquée par trois expositions, des performances en work in progress (avec Aryz aux Beaux-Arts) et des commandes publiques1 passées aux artistes Momo et Poch, Nancy poursuit le coup de maître signé avec la rétrospective dédiée à la photographe Arlene Gottfried2. En plus de 150 œuvres plastiques, sculpturales, peintes ou vidéos, Fire on fire revient sur les liens qui ont toujours uni les writers3, bien avant l’avènement du graffiti tel qu’on le connaît aujourd’hui, aux mouvements artistiques musicaux contestataires. Si l’image d’Épinal lie street art et hip-hop, la bande-son de cette exposition révèle l’accompagnement successif de l’apparition du punk à l’electro, du funk en passant par la pop culture que les artistes urbains ont contribué à promouvoir, comme à sanctifier : pochettes de vinyle de jazz de Basquiat, Radio clash signée FUTURA 2000, sérigraphies de Billy Idol ou Strummerville de Shepard Fairey alias Obey ou encore reproduction du Thriller de Michael Jackson en Rubik’s Cubes d’Invader. La puissance de l’émergence musicale, comme des figures iconiques incandescentes, trouve un écrin dans

le geste sauvage d’artistes de rue bombant dans l’urgence, jetant leur peinture comme un signe de liberté adressé à un urbanisme violemment défaillant. Trente ans plus tard, à la manière de Kandinsky ou Mondrian avant lui, attirés par le minimalisme des partitions musicales, Alexandre Bavard alias Mosa, signe des arabesques sur des papiers transparents superposés qui dessinent comme des portées de lettrages formant des êtres en mouvement. Telle les notations en danse contemporaine laissant trace de chaque geste, sa Partition Bulky constitue une transcription des graffeurs en train de peindre, une chorégraphie du corps dessinant sur les murs. Dans un autre mélange d’arts et de styles, le photographe Florent Schmidt fait des portraits de stars (Joey Starr, Aro…) avec leur nom tagué en light painting par-dessus leur visage. L’éphémère et l’invisible réunis comme au temps de l’argentique, le son devenant signe. Trois icônes Parmi les artistes présentés, trois personnalités marquent les esprits. Passé des dépôts de trains du South Bronx aux galeries d’art de Manhattan, Futura a toujours été un ton


au-dessus des autres. Au début des nineties, il crée des toiles semi-peintes où se mélangent aérosol et taches pointillistes, personnages futuristes et lettrages reconnaissables entre tous. Il invente même son double, un Pointman plus bédéesque que tiré des comics qui jalonnent pourtant la contre-culture américaine. Ses grands formats sont de pures merveilles de formes et de couleurs, d’équilibre entre le support et la peinture qu’il y projette. Dans un style plus figuratif, Doze Green a lui aussi fait sienne l’Histoire de l’Art. Ses B-Boys stylisés à l’instar de son hommage à Mr. Wiggles (2015) – l’un des rois du popping qui enflamma les battles avec le Rock Steady Crew et les Electric Boogaloos – forment un mélange entre le

cubisme de Picasso et les formes oblongues de papiers découpés de Matisse pour des silhouettes étonnantes où le trait règne en maître. Dance of the Jinn (2015) multiplie les figures totémiques hybrides dans une cosmogonie égyptienne pleine d’anthropomorphismes à corps d’humains et têtes de dieux animaux remplie d’orgies de couleurs et de croisements magiques dans lesquelles les femmes y ont toujours des formes voluptueuses. Last but not least, RAMMΣLLZΣΣ, pseudo en forme d’équation mathématique qui forgea un néo-futurisme fougueux à TriBeCa, quartier en-dessous de Canal Street à NYC. Né en 1960 dans le Queens, cet artiste pluridisciplinaire disparu prématurément en 2010 avait eu le temps de

fonder des groupes de rap dont son ami Jean-Michel Basquiat dessina l’une des pochettes (Beat Bop). Mais sa démarche la plus passionnante réside dans la création d’un véritable panthéon de Garbage Gods : des divinités nées d’amoncellements de détritus d’une société de consommation peu avare en la matière. Les costumes de ses néo-dieux, il les habitait lors de ses expositions pour des performances cultes, sûr de son effet de la nécessité de conserver une âme contestataires, surtout lorsqu’on joue le jeu du marché… artistique ! Légendes À gauche, Futura, Johnny (backdrop for the Clash concert), 1982 © Collection privée À droite, RAMMΣLLZΣΣ, Shun U (Garbage God), 19942001 © Collection particulière

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best of La collection réunie par Marie-Claire Ballabio et Jeannine Poitrey vient d’être donnée aux Musées de Strasbourg. Zoom sur quatre de ses chefs-d’œuvre.

Par Hervé Lévy Photos de Mathieu Bertola / Musées de la Ville de Strasbourg

À la Galerie Heitz du Palais Rohan (Strasbourg), jusqu’au 24 février musees.strasbourg.eu

Un ensemble de 57 œuvres rassemblé avec Jeannine Poitrey : telle est la donation exceptionnelle opérée par Marie-Claire Ballabio aux Musées de Strasbourg. Elle est visible dans son intégralité pour la dernière fois, avant que ses composants ne soient dispatchés dans les collections. Parmi ces 17 tableaux et 40 travaux sur papier où est perceptible un tropisme pour le XVIIe siècle, Dominique Jacquot, Conservateur en chef du Musée des Beaux-arts, et Florian Siffer, Attaché de conservation, responsable du Cabinet des Estampes et des Dessins, présentent leurs coups de cœur.

Gerrit Berckheyde, Vue du Damstraat d’Harleem vu du Spaarne, avec la Maison du Poids à droite et l’église de Saint Bavon « Ce tableau est apparemment simple : il montre une vue de Harleem en 1667 », résume Dominique Jacquot qui précise « qu’il comble, comme beaucoup d’œuvres de cette donation, une lacune dans nos collections. » Plans d’une grande netteté, coloris froids et lumières architecturent savamment la toile où « il faut voir le reflet d’un orgueil, celui d’un peuple qui vient d’acquérir son indépendance politique et religieuse. On sent que le peintre est fier de magnifier ce pays prospère et son histoire, montrant des édifices d’époques et de styles différents. Il y a aussi un détail incongru, cette grue actionnée par des hommes qui couraient dans le tambour, comme des hamsters dans leur cage ! » 52

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Alessandro Magnasco, Moines à table « Son trait sinueux et tourmenté est reconnaissable du premier coup d’œil avec des figures étirées évoquant Le Greco, mais aussi un côté fantomatique, presque inquiétant ici », explique Florian Siffer. Il s’agit d’un « dessin préparatoire pour la toile du Refettorio dei frati francescani conservée à Bassano. Le Musée des Beaux-Arts possède deux tableaux de Magnasco. L’un représente des nonnes en train de filer. Exposé à Toulouse, il y a quelques années, il a été vu par les deux collectionneuses. Cela fait partie de toutes petites strates qui se sont accumulées dans leur esprit, aboutissant à cette donation. » “Alessandro Magnasco (1667-1749), un artiste génois dans l’Italie des Lumières”, une conférence de Véronique Damian, mardi 21 janvier à 19h à l’Auditorium des musées


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Johann Wilhem Baur, Bataille de cavalerie Il s’agit de l’un des deux artistes strasbourgeois de la donation, avec Gustave Doré. Dans cette gouache de 1637, géniale miniature riche de mille et un détails, se découvrent des centaines de personnages, observables à loisir grâce à une table tactile permettant de plonger au cœur de l’œuvre. « On y retrouve des fonds identifiables immédiatement. Ce n’est pas le Bleu Klein, mais le Bleu Baur », s’amuse

Florian Siffer. Et de poursuivre : « Existe même une forme d’anachronisme, puisqu’il a représenté sur parchemin des personnages en armure évoquant plus le Moyen-Âge que le début du XVIIe siècle. C’est la signature de l’école miniaturiste strasbourgeoise qui faisait encore de l’héraldique à l’époque, car les amateurs en étaient extrêmement friands pour leurs cabinets de curiosités. »

Gian Battista Pittoni, Tête de la Vierge Dans la donation, sont rassemblées plusieurs vierges en prière dont celle, éclatante, de Sassoferrato qui en est devenu l’emblème. Pour Dominique Jacquot, celle de Pittoni, l’un des plus importants peintres vénitiens de l’époque avec Tiepolo, datant de la première moitié des années 1730, est la « plus émouvante. Marie est représentée de manière très humaine, nimbée d’une immense grâce, baissant les yeux avec humilité. J’avais découvert ce tableau, reproduit – en toute petite taille et en noir et blanc – dans le catalogue d’une exposition de 1971 dédiée à Venise au XVIIIe siècle, au Musée de l’Orangerie. La voir dans cette donation qui s’inscrit dans la complémentarité avec nos collections, la plus importante pour nos Musées depuis celles de messieurs Kaufmann et Schlageter en 1987 et 1994, a été un choc. »

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women Entre rêve et cauchemar, les huiles oniriques de Johannes Hüppi sont à découvrir outre-Rhin, dans deux expositions. Rencontre avec le peintre, dans son atelier de Baden-Baden.

Par Hervé Lévy Portrait de Geoffroy Krempp pour Poly

Chez Vickermann & Stoya (Baden-Baden), jusqu’au 31 janvier vickermannundstoya.de Au Mittelrhein-Museum (Coblence), du 15 février au 3 mai mittelrhein-museum.de Légende Christina’s World, 2018

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es grands-parents artistes. Des parents itou. Son père n’est autre qu’Alfonso Hüppi – célèbre pour ses reliefs de bois, il participa à plusieurs éditions de la documenta de Kassel –, tandis que son frère Thaddäus est le tenant d’un pop art joyeux et coloré. Johannes Hüppi nous reçoit dans son atelier installé dans une ancienne fabrique de meubles. Murs blancs. Grandes fenêtres ouvertes sur le ciel. Quelques toiles sont posées ça et là, en attente de finissage. Il nous accueille évoquant sa volonté, très jeune, de « mener la même vie que [s]es parents »,

mais aussi sa fascination, « à l’âge de quinze, ans, en apercevant La Rue de Balthus, au Museum of Modern Art de New York. Ensuite, j’ai découvert qui il était : son indépendance par rapport au marché, aux esthétiques dominantes – il n’appartenait à aucun groupe – m’a beaucoup plu. Le retrait est une position qui me convient parfaitement. Je déteste tout ce cirque », sourit-il. À Coblence, au confluent de la Moselle et du Rhin, se déploie une ample rétrospective (dans laquelle ses œuvres entrent en résonance avec celles de son frère) permettant de découvrir différentes séries riches d’une généreuse palette. Dans les unes, des couples folâtrent dans les près, nus, à quelques mètres de leur voiture, garée au bout d’un chemin creux, dans les autres sont représentées des serveuses. S’y croisent une hôtesse de l’air sensuelle proposant une coupe de Champagne, une Asiatique tatouée portant un plateau où est posée une Pils, mais aussi une impavide Judith contemporaine apportant la tête d’Holopherne sur une assiette, sur une table, à côté d’un verre de vin du Rhin. Partout, se déploient les courbes enivrantes des femmes et leur visage. « L’homme est ennuyeux à peindre », s’amuse Johannes Hüppi, avant de préciser qu’il ne fait que représenter « des avatars de l’universel et éternel féminin. Mes femmes sont mères, filles, amoureuses, muses, amantes… Tout cela en même temps. » Intitulée Museum Museum, sa dernière série est à découvrir chez Vickermann & Stoya (Baden-Baden) : des femmes le plus souvent nues y arpentent les salles d’un musée imaginaire. Une jeune fille mélancolique observe Les Sept pêchés capitaux d’Otto Dix, deux élégantes dans le plus simple appareil regardent La Leçon de guitare de Balthus accrochée à côté de Saturne dévorant un de ses fils de Goya, un couple vêtu de robes diablement

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transparentes baguenaude dans un espace où voisinent deux nus signés Corot… Fascinantes, ces images, souvent de petite taille, concentrent une incroyable puissance d’émotion : opérant une mise en abyme, l’artiste questionne l’Histoire avec ces tableaux dans le tableau. « Pour moi, il s’agit d’une merveilleuse malle au trésors où je puise des fragments. Je ne les vole pas [rires] », expliquet-il. Lorsqu’il peint, par exemple, l’iconique Sunbather de David Hockney, devant lequel passe une naïade, il ne copie pas le maître américain, mais en livre une interprétation : « Je cherche à en saisir l’esprit. Parfois, des perspectives ne sont pas similaires, des détails clochent », résume-t-il. Comme dans le film de Woody Allen La Rose pourpre du Caire, les personnages féminins semblent être sortis du cadre, regardant un avatar d’euxmêmes dans la toile. Dans cette promenade se déploient des œuvres du Caravage, de Baselitz, Warhol, Vélasquez, Meese… et Gerhard

Richter que Johannes Hüppi n’apprécie pourtant guère. L’intérieur d’un étrange retable montre trois femmes devant son immense quadriptyque de 2014 intitulé Birkenau : sur les célèbres photos prises en cachette par des membres d’un Sonderkommando agrandies à l’extrême, Richter a réalisé une composition abstraite en les recouvrant de strates successives de pigments. « Je trouve cela prétentieux. Insolent même. Mettre des femmes nues faces à ces toiles du “grand peintre allemand” [prononcé avec une ironie mordante], consiste à répondre à l’insolence par l’insolence. » Fascinante, la promenade dans ce musée imaginaire peuplé d’évanescentes présences galbées est souvent terriblement érotique, toujours intensément énigmatique. Ici se mêlent indissociablement rêve et cauchemar, la vie et la mort se mariant dans le même cadre. C’est dans un mystère existentiel épais et insoluble que réside la force des compositions de Johannes Hüppi. Poly 227

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les paradis retrouvés Un Tout de nature propose un dialogue sur les différentes lectures du paysage et le souvenir expressif qu’il laisse. Juliette Jouannais sculpte et fait danser les papiers collés de Matisse, tandis que Jean-Luc Tartarin photographie et remixe les paysages du promeneur solitaire.

Par Stéphanie-Lucie Mathern Photos de Benoît Linder pour Poly

À la Fondation Fernet-Branca (Saint-Louis), jusqu’au 16 février fondationfernet-branca.org

Peintre à l’univers trash et mélancolique, Stéphanie-Lucie Mathern (dont le credo se résume en une seule phrase : « Mon Style, c’est l’Opinel ! ») porte son regard acéré et désanchanté sur l’Art de ses confrères dans cette rubrique.

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eu importe le médium, seul compte le mouvement interne. Il est nécessaire de toujours disparaître quelque peu pour faire apparaître l’objet. Et pour s’inscrire dans l’espace, on reprend sans fin des variations. Juliette Jouannais (née en 1958) découpe et sculpte l’espace par un délavé harmonieux d’aquarelles et de gouaches. C’est un Hockney éventré. Un Matisse qui aurait tout dit. Un Bram Van Velde charpenté. La peinture se fait objet. Le dessin est découpé et mis en espace. Par son absence il existe plus encore. Jouissance de la ligne, résonance des couleurs, exubérance du plan dans le champ des formes et des plis. L’artiste coupe au ciseau comme elle tondrait une pelouse, le dimanche à la campagne. Juste minimalisme de couleur et de mouvement. La sculpture a le plus souvent la fragilité du papier, de la céramique, plus rarement du métal. Le première étape est la forme. Les structures architecturales se jouent des pleins et des vides, avec une poésie déli-

cate et fragile. Il y a le halo de couleur projeté par le dos invisible de l’œuvre, le jeu avec la face cachée. La part obscure se fait lumineuse. Une décoration vivante. Celle d’une puissance organique et végétale venant du fond des âges d’un féminin fantasmé. L’enchevêtrement des couleurs et les patchworks d’aplats se font totémiques et sacrés. S’y devinent des masques et rituels, des orifices, des tiges fendues et des perroquets à qui des sauvages arracheraient le cœur. Recommencement incessant d’une virginité. Idéalisme mythologique et crime originel. Des visions d’une nature idéale, des fragments de paradis perdus dégoulinant de luxure. L’effet est là. Effrayant d’efficacité. Jean-Luc Tartatin (né en 1951) s’inscrit dans le paysage messin et se plaît à faire subir à ses épreuves argentiques en noir et blanc des opérations sur le secret des forêts, avec un processus de remix presque obsessionnel. Sorte de DJ lyrique – pour le meilleur –


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des grandes œuvres de l’histoire de l’Art : s’y trouvent le all-over de Pollock, Warhol, les impressionnistes (les Nymphéas viennent à l’esprit), Turner...La nostalgie d’une vérité picturale qui plaît aux siècles et aux dieux. Ici, le visiteur se perd dans les branchages. C’est une immersion qui dépasse la surface. Chacun est happé. C’est un joyeux bordel où l’accident fait partie de l’étude des sous-bois. Le motif est flou. L’image n’est ni abstraite, ni figurative. Elle est juste image. Il y a le rythme et la musique. Et cet éternel retour sur toutes les intersections. D’ailleurs, les séries ne s’appellent-elles pas Entre(s) et Re-prendre ? Le voyage est le dernier moyen de disparition, sorte de discontinuité toute le temps (ré) inventée. Souvent, l’impression que nos pas peuvent agacer la conversation des arbres et détruire des mondes très anciens. Un réalisme mystique qui se dévalue à mesure que le progrès évolue. Ces photographies retranscrivent les expériences et les surgissements. Les nouveaux outils numériques renforcent la plasticité, permettent d’explorer les motifs

au milieu des pixels. Le micro et le macro, l’opaque et le transparent, le loin et le près se mélangent. Il occulte pour mieux pouvoir déshabiller. Contempler, toujours. L’esthétique du voyeur. Le territoire semble toujours trop petit dans les lieux obscurs. L’aléatoire a aussi son importance jusqu’à l’accumulation excessive des couches successives qu’il s’agit d’enlever pour parvenir à l’essentiel. La dérive vers le vide. La vérité nue. Les premières solitudes. L’au-delà de la forêt. Et cette préservation de la nature, que Jean-Luc Tartarin conserve et magnifie par l’image. Finalement, ces deux artistes s’inscrivent dans une tradition picturale en réenchantant par l’espace les paradis perdus. Dans le grand tout réversible, il s’agit de s’affranchir du motif et du médium pour créer la synthèse qui fera s’agrandir l’horizon. Avec la puissance du scalpel pour Juliette Jouannais et celle des pixels pour Jean-Luc Tartarin. La beauté nouvelle se vit dans les harmonies aléatoires.

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sélection expositions

1. Alighiero Boetti, Mappa, 1988, Kunstmuseum Basel / © 2019, ProLitteris, Zurich

2. Wilhelm Leibl, Vieillard à la barbe blanche, 1866, WallrafRichartz-Museum & Fondation, Corboud, Cologne

Syncopes et Extases

Beau débris

Cette exposition collective interroge l’état dans lequel le corps se trouve lorsqu’il perd conscience et s’abandonne tandis que l’esprit s’échappe. Corps lâché qui subit de plein fouet toute sa gravité, yeux clos ou mi-clos, bouche entrouverte… Jusqu’au 12/01, Frac Franche-Comté (Besançon) frac-franche-comte.fr

À la découverte des œuvres récentes d’Étienne Bossut construites à partir de fragments de poupées d’origine lorraine (de la maison Petitcollin), lesquels s’apparentent dans l’esprit de l’artiste aux abattis du Musée Rodin à Meudon. Jusqu’au 08/02, Galerie Hervé Bize (Nancy) hervebize.com

Les Zipettes

Making Van Gogh

L’entropie au cœur des sculptures d’Anita Molinero cristallise toute l’ambivalente relation que nous entretenons avec les matériaux industriels et domestiques. Un art corrosif du recyclage. Jusqu’au 15/01, Le 19 (Montbéliard) le19crac.com

Le Musée confronte les œuvres du peintre (plus de 50 pièces majeures sont montrées) avec celles d’artistes germaniques qui, très vite, furent sensibles à sa création. Jusqu’au 16/02, Städel Museum (Francfort-sur-le-Main) staedelmuseum.de

Le Siècle de Colbert

Farah Atassi

Un parcours dans l’histoire politique, économique, religieuse et culturelle de Reims au temps de Jean-Baptiste Colbert, né dans la cité en 1619 : construction de l’Hôtel de Ville, installation d’établissements religieux, développement d’une école rémoise de peinture… Jusqu’au 19/01, Musée Saint-Rémi (Reims) musees-reims.fr

Pour l’artiste, il s’agit « d’explorer les sujets classiques de la peinture » que ce soit les natures mortes, le nu féminin, la musique ou l’atelier. On s’enthousiasme devant ses œuvres dont la source d’inspiration formelle est clairement le Cubisme. Jusqu’au 01/03, Le Consortium (Dijon) leconsortium.fr

Wilhelm Leibl (2)

Circular flow (1)

Encouragé par Courbet, influencé par Manet et tenu en haute estime par Van Gogh, il a été l’un des plus importants protagonistes du réalisme en Europe. Retiré à la campagne, il développa une peinture moderne et originale dont le grand thème est l’homme dans son milieu. Jusqu’au 19/01, Kunsthaus (Zürich) kunsthaus.ch

Que signifie l’économisation progressive de tous les domaines de la vie ? Quelles conséquences éthiques et sociales engendre-t-elle ? Dans quelle mesure la subjectivité est devenue elle-même une donne économique ? Cette exposition collective esquisse des réponses… Jusqu’au 03/05, Kunstmuseum Basel / Gegenwart (Bâle) kunstmuseumbasel.ch

Love and die Une exposition monographique dédiée à Tobias Spichtig qui réalise des œuvres à partir d’éléments trouvés, rebuts de la culture / consommation de masse, d’images vues et revues et / ou de fonds sonores (ré)entendus. Jusqu’au 02/02, Synagogue de Delme cac-synagoguedelme.org 58

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Algotaylorism Sont montrés une douzaine d’artistes qui opérent à la jonction entre humain et machine. Interventions et performances humaines sont ainsi, par exemple, couplées à des logiciels créés pour l’occasion sous forme d’une application de commande de livraison d’art… 13/02-26/04, La Kunsthalle (Mulhouse) kunsthallemulhouse.com



faux et usage de faux Trous d’obus, barbelés, chevaux de frise… Plus d’un siècle après, les stigmates de 14-18 sont encore visibles à la Tête des Faux. Randonnée sur une terre martelée par l’Histoire.

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PROMENADE

Par Hervé Lévy Photos de Stéphane Louis pour Poly

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illage du Bonhomme, six du mat’. La terre tremble. Le vacarme est terrible. Une entêtante odeur de gasoil imprègne l’aube glacée. Venus de l’Europe entière, des camions en file serrée se lancent, impitoyables et insouciants des dommages qu’ils lui font subir, à l’assaut de la montagne. À quand une interdiction totale de ces serial pollueurs dans les cols vosgiens ? La marche débute en direction d’un sommet culminant à 1 208 mètres, ce qui en fait un des champs de bataille les plus élevés de la Première Guerre mondiale. Fermes et résidences secondaires disséminées sur les pentes se raréfient au fil des pas. Un de nous demande : « Mais pourquoi ce nom de “Tête des Faux” ? À cause de la faux de la mort qui a fait un sacré boulot là-haut ? » Ça se tient. Mais non. À l’origine l’endroit était peuplé d’une profonde forêt de hêtres. Des faux en ancien français. Aujourd’hui, les arbres ont de drôles de formes et leurs complexions étranges, parfois déchiquetées et maladives, sont le plus beau témoignage d’une vie qui tente de reprendre le dessus sur l’horreur. Parfois en vain. Ceux de 14 La première étape est le cimetière Duchesne : perdu au milieu des sapins, enchâssé dans le silence de la forêt, il est sans doute le plus romantique de tout le massif vosgien. Depuis 1924, à l’emplacement des arrières françaises, y reposent 408 soldats – 116 sont regroupés dans un ossuaire – à côté d’un monument

rappelant que les Poilus montèrent à l’assaut de la Tête des faux, le 2 décembre 1914, dans un brouillard glacé qu’on imagine sans peine tant un vent puissant et entêtant transperce nos vêtements. Flashback. Les Français tiennent la position, mais le 24 décembre, vers 22h30, dans une atmosphère polaire, alors que la neige est tombée en abondance, l’ennemi se rue sur les tranchées. Les combats sont d’une violence extrême. Dans l’aube glauque du 25, les hommes du 30e BCA sont victorieux. Le sommet demeure aux mains des Chasseurs presque dans sa totalité. Près de 140 Français et plus de 500 Allemands ont été tués ce soir-là. Joyeux Noël. Malgré quelques escarmouches et autres accrochages sporadiques, rien ne changera plus : les tranchées se feront face tout au long de la guerre, séparées d’une dizaine de mètres. Plus d’un siècle après, la terre est toujours marquée, les trous d’obus encore présents. Partout. Ils criblent la forêt de leurs rotondités presque parfaites et tellement tristes. Au fil de la grimpette, les traces se multiplient et l’on a parfois le sentiment de marcher au milieu d’une jungle de fer où les rouleaux de barbelés rouillés s’enchevêtrent avec des tiges tordues et des fragments de rails figés dans le béton. On se souvient alors des mots de Joffre au début du conflit, à Thann, en novembre 1914 qui résonnent d’ironique manière dans cette atmosphère sépulcrale : « Notre retour est définitif. Je suis la France, vous êtes l’Alsace. Je vous apporte le baiser de la France. »

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PROMENADE

Sur ces pentes rendues à la nature, c’est le baiser de la mort qui a étreint des centaines de jeunes hommes. Orages d’acier Comme pour alourdir l’ambiance, la neige se met à tomber. Drue. Le brouillard nous enveloppe sur les pentes de la Tête. Soudain, un vague rayon de soleil. Quelques minutes durant, le ciel est dégagé. Arrivés au sommet, l’éclaircie permet d’avoir une vue ébouriffante sur les derniers contreforts des Vosges qui embrassent la Forêt noire. Dans le lointain, se déploient, majestueuses, les Alpes. Soudain, la guerre semble tellement loin… Dans la descente, en en terres allemandes, la montagne est donc métamorphosée en immense bunker défensif. Il n’était pas question de reculer car les soldats défendent la Heimat : tout est ainsi maçonné avec soin. On découvre le fort sommital, blockhaus à deux étages dont les parapets étaient faits de sacs de jute remplis d’un mélange de sable et de ciment aujourd’hui pétrifiés. Sous nos pieds se déploie une véritable forteresse à l’architecture élaborée, accrochée à un versant assez raide qui a été construite tout au long de la guerre et sans cesse améliorée. Si les Allemands tiennent la pente, et une partie très faible du sommet ils ont décidé de tenir leur position, créant un vaste complexe fortifié nécessaire pour créer un verrou à cet endroit stratégique : une liaison téléphérique est ainsi mise en service en 1915 pour acheminer hommes et matériel et rendre le lieu inexpugnable. La descente se poursuit au milieu de vestiges jusqu’à l’Étang du devin. Étang ? Une vaste tourbière plutôt, blottie au fond d’un cirque glaciaire, autour de laquelle se trouvaient les arrières teutonnes avec hôpital, forge station de pompage… Le chemin monte légèrement et nous tombons, surpris, sur un cimetière allemand abandonné : quelques plaques gravées dans la pierre, des murets branlants… Les corps ont été transférés ailleurs depuis belle lurette. Et l’on se souvient des mots de Marcel Pagnol à la fin du Château de ma Mère parlant de la mort de son frère Paul, en 1932, évoquant la mémoire de son ami Lili des Bellons dans ses Souvenirs d’enfance : « Mon cher Lili ne l’accompagna pas avec moi au petit cimetière de La Treille, car il l’y attendait depuis des années, sous un carré d’immortelles : en 1917, dans une noire forêt du Nord, une balle en plein front avait tranché sa jeune vie, et il était tombé sous la pluie, sur des touffes de plantes froides dont il ne savait pas les noms. »

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PROMENADE

la tête des faux Durée 4 h Distance 10 km Dénivellé 540 m D

Strasbourg 90 km

Saint-Diédes-Vosges 30 km

local sky

Au sein de la (désormais) large production alsacienne, on apprécie particulièrement les Welche’s Whiskies de la Distillerie Miclo (Lapoutroie). Les ingrédients : un savoir-faire incontestable, de l’orge sélectionnée avec soin, une eau très pure puisée à 950 mètres et des barriques venues de grands domaines de Bourgogne ou du Sauternais. Le résultat ? Une gamme classieuse de trois Single Malt dont un est délicieusement tourbé et nous fait complètement craquer. distillerie-miclo.com

Étang du Devin Tête des Faux

Roche du Corbeau

Colmar 25 km

Cimetière Duchesne

une balade, une bouteille

minéral Un terroir granitique pour des rieslings minéraux en diable. « On croirait sucer un caillou », disait mon grand-père. Au pied du château de l’Ortenbourg, sur le Rittersberg, se trouve le Domaine Jean-Paul Schmitt : converti en biodynamie (depuis 2015), il propose des bouteilles d’anthologie. Pour cette rando’ gelée, nous avons choisi le merveilleux Riesling Rittersberg “Les Pierres Blanches” 2015. Un peu frais – et c’est un euphémisme – sorti du sac, il déploie néanmoins un nez joliment aromatique d’une altière élégance. Fleur, citrons et épices se mêlent dans une farandole minérale qui réchauffe tant bien que mal nos esprits engourdis par le froid. C’est éminemment délicat et colle très bien sur ces pentes qui ne le sont guère : splendeurs de l’oxymore… vins-schmitt.com L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération

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© Eric Vanden

GASTRONOMIE

100% BIO En Champagne, Erick de Sousa (installé à Avize) est un pionnier, puisqu’il s’est lancé dans la biodynamie il y a vingt ans, élaborant des bouteilles de belle qualité sans nuire à l’environnement. Travaillant une partie des vignes avec un cheval, utilisant le cristal de roche pour canaliser les bonnes ondes, il élabore des bouteilles d’une intense précision. En témoigne la cuvée Caudalies 2010, intégralement composée de Chardonnay (qui a vieilli plus de sept ans en cave) d’une élégante complexité, pleine d’ampleur et de rondeur associées à une grande minéralité. champagnedesousa.com

100% GOLD Une nouvelle collaboration est née entre Château Lafaurie-Peyraguey, un premier Grand Cru classé de Sauternes et la Manufacture Lalique de Wingen-sur-Moder. À compter du millésime 2016, une série limitée et numérotée de bouteilles est désormais éditée avec la gravure Femme et Raisins entièrement parée d’or. Voilà charmant mariage entre l’Alsace et le Bordelais ! chateau-lafaurie-peyraguey.com lalique.com

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100% BOURGUINIPPON Hôtel de charme situé dans le Nord de la Côte d’Or, le Château de Courban abrite un restaurant gastronomique (une Étoile au Guide Michelin) tenu de main de maître par le chef japonais Takashi Kinoshita qui met avec finesse les produits du terroir régional en valeur. Si les recettes sont essentiellement bourguignonnes, il glisse quelques touches nippones dans ses plats. On craque pour une selle d’agneau rôtie sur duxelles de morilles, asperges blanches grillées sur braise, navets nouveaux, feuilles de Sichuan, jus corsé. chateaudecourban.com

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© Hervé Lefebvre

GASTRONOMIE

100% ALSACIEN

100% COMTÉ Le département du Doubs a récemment été distingué par le label Vélo et fromages pour son premier parcours cyclable de 74 kilomètres autour du plateau de Frasne et du Val du Drugeon. Au programme, neuf fruitières (ou sites d’affinages) constituent des étapes incontournables pour découvrir les richesses du Comté. Un morceau de patrimoine fromager à arpenter en quelques coups de pédale, une fois les beaux jours venus ! comte.com

Chez Julien est un havre de paix situé à Fouday, dans la vallée de la Bruche, à la fois un hôtel (qui n’a rien à envier à ses homologues de Forêt noire), un des plus beaux spas de l’espace rhénan et une halte gastronomique des plus agréables. En un mot, un ilot de rêve et de convivialité imaginé depuis des années par les inlassables bâtisseurs que sont Gérard Goetz et sa famille. Voilà que le cuisinier et aubergiste vient de faire paraître un monumental ouvrage intitulé Alsace, Un paysage gastronomique (Éditions de La Martinière, 45 €). Formant un superbe inventaire – sur des photographies de Louis Laurent Grandadam – ces pages nous emportent dans un voyage gourmand en forme de panorama d’un patrimoine gastronomique. Organisé thématiquement en chapitres aux titres alléchants, renvoyant à des périodes rythmant l’année (Le Temps des asperges, Le Jour des cochonnailles, etc.), ce livre de plus de 400 pages présente produits emblématiques et recettes essentielles. Délices du coq au Riesling, joie de la carpe frite du Sundgau, extase du foie gras en brioche ou encore efficacité du soufflé au kirsch… Les images sont diablement belles et les plats affolent les papilles ! lamartiniere.fr – hoteljulien.fr

100% CHOCOLAT Depuis peu, l’ancienne boutique de Franck Fresson (Metz) a été rachetée par le chocolatier de Troyes Pascal Caffet, dont le credo est de « donner envie, tout simplement. Nous recherchons en permanence à sublimer le produit. À partir de choses très simples, on peut créer des saveurs exceptionnelles », explique le MOF. Dans ce nouvel espace seront proposées ses créations signatures comme le délicieux Piémont et des recettes salées et sucrées qui ont fait le succès du lieu ! maison-caffet.com

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alliances Par Christian Pion

Bourguignon, héritier spirituel d’une famille qui consacre sa vie au vin depuis trois générations, il partage avec nous ses découvertes, son enthousiasme et ses coups de gueule.

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harmonie entre mets et vins est un véritable art de l’association que personne ne possède de manière innée ! L’appréciation d’un plat d’une belle finesse peut ainsi être gâchée par un vin inadapté. Souvent, nous achetons ceux que nous connaissons, séduits par une appellation familière, un label rassurant ou encore le souvenir d’une saveur unanimement comprise. Le vin est avant tout un produit de consommation obéissant aux règles de sa diffusion… Nous achetons dans la sphère usuelle qui convient le mieux à nos attentes de budget, d’habitude, politique et culturelle. Nous n’anticipons que trop rarement le vin en prévision d’un accord projeté. Quelques constats fondamentaux devraient aider à bien choisir… Il semble ainsi essentiel de privilégier les mariages de proximité ! À un grand plat alsacien, par exemple, privilégions un vin d’Alsace où existe un choix immense de flacons secs ou doux, rouges et blancs et à portée de bourse. Au-delà des accords traditionnels, que tout le monde connaît, beaucoup, même s’ils ne sont pas parfaits, sont possibles sans nuire à l’appréciation du plat et permettent d’initier de fécondes discussions autour de la table. Donc pas de dogme en lamatière, mais plutôt quelques pistes de

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bon sens. Il s’agit d’éviter un vin puissant, dense, aux tanins écrasants avec un plat de finesse et réciproquement… David et Goliath ne font pas bon ménage ! Les blancs de grande acidité se marient avec l’iode, le gras, les saveurs marquées… L’onctuosité d’un vin doux appelle les épices, les poivres, les goûts plus orientaux, les marinades et les sucs réduits d’une cuisson lente. Les vins tanniques sont à conseiller sur les viandes rouges de préférence. Plutôt qu’un plateau de fromages, il est intéressant de proposer une assiette ciblée sur une région accompagnée de son vin : fromages de Franche-Comté avec un vin du Jura, munster et tomme d’Alsace avec un Gewurztraminer, chèvre de chavignol avec un Sancerre, camembert avec un cidre brut… Pour ceux qui affectionnent les plateaux de fromage à la diversité alléchante, un Bourgogne rouge épanoui fera parfaitement l’affaire ! Enfin, la préparation du vin, la bonne température de service, la mise en carafe pour les vins encore fermés, la qualité du verre qui laissera s’exprimer tout le potentiel est indispensable aux amateurs d’émotions. Pour les plus pointus, choisissez au préalable le vin que vous souhaitez partager et imaginez le plat qui lui conviendra : l’accord parfait devrait plus facilement être approché, pour le grand plaisir des convives !

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération

Cuisine classique ou inventive, fusion ou traditionnelle, la question du choix du vin accompagnant chaque plat se pose avec acuité, quelle que soit l’occasion.




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