Poly 171 – Octobre 2014

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N°171 octobre 2014 www.poly.fr

Magazine Céleste Boursier-Mougenot métamorphose L’Aubette Sophie Taeuber-Arp L’affranchie Alain Fontanel Quelle politique culturelle pour Strasbourg ? IAM n’a pas dit son dernier mot

sébastien tellier l’été indien



BRÈVES

PAS DE FAUTES CHEZ GRAMMAR Son disque se nomme If You wait, mais London Grammar n’a pas attendu son heure de gloire dans son coin : le succès du jeune groupe anglais fut on ne peut plus fulgurant. Un tube circulant sur la toile, un album qui fait un carton, une belle reprise du Nightcall de Kavinsky, des concerts sold out… Rendez-vous avec le trio, sa blonde et juvénile chanteuse et sa synthpop minimaliste au Zénith de Strasbourg, mardi 14 octobre, et à la Rockhal d’Esch-sur-Alzette, mardi 21. www.zenith-strasbourg.fr – www.rockhal.lu

UNE

AUTRE

DIMENSION

© Jem Goulding

L’imprimante 3D va-t-elle bouleverser le monde de demain ? Le festival 3D BEYOND explore – du 9 au 12 octobre – au ZKM et à l’École nationale supérieure de Design de Karlsruhe les récentes évolutions de ces technologies et envisage le futur. Un grand colloque, avec près de 40 intervenants, est organisé dans ce cadre. Seront évoquées les avancées dans ce domaine : chance ou danger ? www.zkm.de

DENSE AVEC LES LOUPS Musique, danse, poésie ou installation sonore… Le festival défricheur Densités, ayant lieu du 26 au 28 octobre à Fresnesen-Woëvre (au Pôle culturel...), propose une 21e édition dense avec le duo électronique Kevin Drumm & Jason Lescalleet, le duo danse / guitare Céline Larrère & John Hegre ou encore la partie de Pêche dans les marécages de l’oubli de la compagnie Mamaille. www.vudunoeuf.asso.fr

Ora © Office national du film du Canada

LUMINEUX La Maison des Arts de Lingolsheim, ce sont des spectacles programmés toute l’année, mais aussi des ateliers – destinés à tous les âges – de musique, théâtre, arts plastiques, etc. Celui de danse contemporaine ados / adultes présente Lumos, vendredi 10 octobre, création questionnant la lumière solaire ou artificielle… comme celle émanant des feux de la rampe. www.lingolsheim.fr

Circulaire © Sandrine Rouxel

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BRÈVES

LA COULEUR DE L’ARCHI Exposition trinationale et itinérante organisée dans le cadre des JA (lire Poly n°170), Les 1001 couleurs de l’architecture regroupe 32 réalisations colorées du Rhin supérieur. À découvrir à Karlsruhe (Architekturschaufenster, 8/10 au 15/10), Mulhouse (UHA, 16/10 au 24/10), Offenburg (Oberrheinhalle, 25/10) et Colmar (Pôle média culture Edmond-Gerrer, 27/10 au 31/10).

CÉRÉMONIAL PERCUTANT

www.ja-at.eu

Les Percussions de Strasbourg convient le public à une cérémonie musicale renouant avec les rituels ancestraux, lorsque les hommes communiquaient « avec les sphères invisibles d’ici et d’au-delà », selon l’ensemble. Vaste programme sous forme de concert, mercredi 29 octobre au Théâtre de Hautepierre, avec les pièces de Sebastian Rivas (Delle città invisibli) ou de Michael Levinas (Transir) et la performance envoûtante de live painting signée Yann Mollas Weber. www.percussionsdestrasbourg.com Reinhold-Schneider-Grundschule, Freiburg-Littenweiler, architectes Gayer+Müller-Schotte

GLOBE-TROTTER Paul Kappler, photographe autodidacte qui a passé beaucoup de temps à tirer des images dans l’obscurité de sa salle de bains, s’est depuis une dizaine d’années frotté à la réalité de l’Asie (Inde, Cambodge, Birmanie…) ou de l’Afrique (Mauritanie, Mali, Benin…), entreprenant un long Voyage au bout de la rue. L’exposition présentée au Ciarus (Strasbourg, du 9 octobre au 20 novembre) rassemble des clichés pris lors de ses escapades du bout du monde. www.ciarus.com

DRIVE

Le groupe Tomorrow’s World (Jean-Benoît Dunckel du duo Air & la chanteuse Lou Hayter) et le réalisateur Olivier Babinet (auteur de Robert Mitchum est mort, lire l’article sur www. poly.fr) nous embarquent, jeudi 16 octobre à l’Auditorium du MAMCS de Strasbourg, pour un road trip musicalo-cinématographique. La musique de Tomorrow’s World ? Un retour vers le futur dans un univers SF proche de Metropolis et Blade Runner, où l’on croise des androïdes et réplicants. À la fois flippante et captivante, elle donne envie de Pleurer et chanter. © James Kelly

www.musees.strasbourg.eu Poly 171 Octobre 14

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BRÈVES

TROLL DE SAMEDI Neuvième édition du Rock n’Troll Festival à Foncine-le-Haut, dans le Jura, samedi 18 octobre. Sur deux scènes, les artistes (sept formations pour une soirée) s’enchaînent et ne se ressemblent pas. Que ça swingue avec The Donuts Machine Bands, ça rocke avec Mamadjo ou ça danse sur les beats et les samples de Sorg, les musiques actuelles sont vivaces dans le 3-9. www.rockntrollfestival.com

LE

9E ART

SUR LE

FRONT

Tardi, oui, mais pas que… Nombreux sont les auteurs de bande dessinée ayant documenté la Grande Guerre, comme le montre le Musée des Beaux-Arts de Mulhouse avec l’exposition 14 en BD (jusqu’au 16 novembre). Décrite de manière réaliste (Le Front de Nicolas Juncker), servant de contexte à une fiction (L’Homme de l’année : 1917 de Mr. Fab) ou à une intrigue policière (Notre Mère la Guerre de Maël), 14-18 est une toile de fond de choix dans la BD. www.musees-mulhouse.fr

© Almana(k)

Pour un peu de bonheur d’A. Dan

MAN ON THE MÖÖN

Le monde est Möö avec Moodoïd, projet pop de Pablo Padovani entouré de ses girls, quelque part entre Gainsbourg, Bollywood et Disney. Prendre les chemins de traverse en compagnie de ce groupe rose bonbon, c’est comme avaler un baba au rhum truffé de champis magiques, sauter de nuage en nuage les yeux bandés, danser frénétiquement au rythme des Bongo bongo… C’est de la Folie pure. En concert jeudi 16 octobre à Nancy (festival NJP) et vendredi 21 novembre à La Poudrière de Belfort.

LA CÉRÉMONIE Les étudiants de l’Atelier Communication graphique de la HEAR exposent à La Chaufferie de Strasbourg (11 octobre au 11 novembre) le fruit de nombreuses immersions, dans le Grand Est, lors de cérémonies du 11 novembre, à Pont-à-Mousson, Méricourt ou au mémorial de Vimy. Onze.onze(14) rassemble vidéos, installations et photographies au travers desquelles ils questionnent l’exercice de la commémoration. www.hear.fr

© Fiona Torre

www.nancyjazzpulsations.com – www.poudriere.com

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BRÈVES

SOLO BRRRR

Les Migrateurs invitent le public à se rendre à la présentation d’une étape de travail d’Alexander Vantournhout, mercredi 22 octobre au Théâtre de Hautepierre (Strasbourg). Dans le plus simple appareil, l’artiste se livrera à une série d’exercices d’équilibriste, de contorsionniste ou d’acrobate. Un solo intense, une étrange chorégraphie… www.lesmigrateurs.eu

Jusqu’au 19 octobre, la Galerie Hors-Champs de Mulhouse expose Zero Rankine de Sylvain Couzinet-Jacques, photographe passé par l’École d’Arles. Jouant sur les flous, ses images, voilées par des verres teintés, évoquent un monde froid, à la fois bien réel (on y décèle des barres d’immeubles ou des murs tagués) et empreint d’onirisme. www.horschamps.fr

SAGAS

Pour ses 20 ans, Hervé Bize exposa des œuvres d’artistes ayant écrit l’histoire de la galerie nancéienne. STRATEGY : GET ARTS (un palindrome, comme le titre de cet article) marque le quart de siècle du lieu, présentant des plasticiens… qui n’y ont jamais été montrés : Daniel Spoerri, Robert Filliou, Bertrand Lavier, Alain Jacquet ou André Thomkins. De grandes figures, à voir jusqu’au 31 octobre. www.hervebize.com

De gauche à droite : General Idea, Infe©ted Rietveld, 1994 ; Daniel Spoerri, Tableau-Piège (Action Restaurant Spoerri), 1972 ; André Thomkins, Strategy : Get Arts, 1968-70

VOIX

Pendant le protéiforme festival Euroclassic (jusqu’au 1er novembre avec, en clôture, un concert du guitariste Tommy Emmanuel à la Festhalle de Zweibrücken), remarquons un concert dédié aux voix de femmes (à la Festhalle de Pirmasens, samedi 18 octobre) incluant notamment des œuvres de Schubert et Brahms interprétées par le chœur Ex-semble (en photo) et des solistes de talent au nombre desquels figure la mezzo Ingeborg Danz. Un pur moment de bonheur… www.festival-euroclassic.eu Poly 171 Octobre 14

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BRÈVES

L’EMBERLIFICOTEUSE PASSIONNÉE La belle alsacienne Myriam Boisaubert livre au lecteur un petit festin de mots choisis et ciselés, véritables odes à l’amour qu’elle leur porte. Dans Sel (9,99 €), elle nous les soumet, nous les offre dans d’affriolantes métaphores

grivoises. Les mots sont aimés, touchés du doigt, contournés, attaqués, caressés, ils sont dans le même geste l’objet et le moyen, ils convergent tous, coquins, vers l’être, l’unique, le centre, le tout, l’étalon. www.le-gac-press.com

BIRTHDAY © Mylène Furhmann / Hurluberlue

PARTY

PROFONDUB

High Tone s’enferme dans la Boîte noire de la Halle verrière de Meisenthal le temps d’un live qui plongera l’auditeur dans des profondeurs dub. Samedi 11 octobre, le groupe lyonnais présentera son nouvel album, Ekphrön, opus conviant le violoncelle de Vincent Ségal ou les rimes rap d’Oddateee. En route pour une longue plongée, 20 000 lieues sous les nappes électroniques. www.halle-verriere.fr

© Antoine Pidoux

Septembre 1994 : L’Espace Rohan ouvrait ses portes dans le Château du même nom pour accueillir des artistes de la région et du monde entier. Septembre 2014 : la salle de spectacles de Saverne souffle ses 20 bougies. Comme on n’a pas tous les jours vingt ans, le Relais culturel organise un week-end festif (11 & 12/10) en compagnie du Capitaine Sprütz ou des Yeux Noirs. Au programme également, expos, animations musicales, magie et même effeuillage. www.espace-rohan.org

BOUQUINS D’ENFER La galerie My Monkey à Nancy expose le travail de Manuela Dechamps Otamendi, designer graphique d’origine espagnole très intéressée par les arts en général et l’architecture en particulier. A Book Room rassemble les œuvres d’une artiste de l’épure qui, ces derniers temps, a œuvré dans l’univers de l’édition, envisageant le livre en tant qu’objet. www.mymonkey.fr Poly 171 Octobre 14

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sommaire

20 Céleste Boursier-Mougenot met L’Aubette 1928 en musique 22 Entretien avec Alain Fontanel, Premier adjoint au Maire de Strasbourg chargé de la Culture et du Patrimoine

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26 Laurent Gutmann adapte avec humour Le Prince de Machiavel au Granit

27 Univers Light Oblique du chorégraphe Georges Appaix 28

LIVEXTREME réunit deux classiques de Forsythe et Cunningham et une création signée Andonis Foniadakis

29 La chorégraphe Alexandra Bachzetsis porte une réflexion

sur l’identité et le langage du corps avec From A to B via C

30 Ode au krump à La Filature 31 Le Rêve d’Anna, fable sociale et enfantine de la compagnie trois-six-trente, au TJP

32 Don Quixote, Hack & Love : Cervantès, piraté par l’auteure

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Kathy Acker

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A scène nationale accueille l’un des plus grands danseurs M de flamenco : Andrés Marín

35 Kubilai Khan Investigations décrypte dans Tiger Tiger

Burning Bright, l’accélération du rythme régissant nos vies

38 Le Luxembourg Festival accueille Riccardo Muti, une des meilleures baguettes de la planète

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45 De retour du Brésil, Sébastien Tellier raconte l’incroyable vérité

49 Vingt ans après Boire, Miossec se présente sans artifices 56 Hommage à Sophie Taeuber-Arp avec l’exposition Aujourd’hui c’est demain

64 Visite en avant-première de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg complètement remodelée

66 Last But Not Least, Shurik’n d’IAM 56

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COUVERTURE Pour son nouvel album, L’Aventura, Sébastien Tellier (lire page 46) a réécrit l’histoire, s’inventant une enfance passée sous le soleil des plages de Rio ou à l’ombre de la cathédrale d’Oscar Niemeyer : sur cette photographie signée Rudá Cabral, il chevauche à côté du Musée national de Brasilia, un des chefs-d’œuvre de l’architecte brésilien. Une bâtisse à la forme ovniesque ayant sans doute inspiré l’artiste barbu qui, sur des airs chaloupés, chante sa jeunesse fantasmée tout au long d’une dizaine de titres, du sable de Copacabana plein la barbe. Erratum L’image de la couverture du précédent numéro de Poly a été réalisée par le graphiste Acci Baba (www.accibaba.com). Toutes nos excuses pour l’oubli de la mention de son nom.

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OURS / ILS FONT POLY

Emmanuel Dosda Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une dizaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren. emmanuel.dosda@poly.fr

Ours

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Thomas Flagel Théâtre des balkans, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs africains… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes depuis cinq ans dans Poly. thomas.flagel@poly.fr

Dorothée Lachmann Née dans le Val de Villé cher à Roger Siffer, mulhousienne d’adoption, elle écrit pour le plaisir des traits d’union et des points de suspension. Et puis aussi pour le frisson du rideau qui se lève, ensuite, quand s’éteint la lumière. dorothee.lachmann@poly.fr Wrocław, 2014 © Geoffroy Krempp

Benoît Linder

www.poly.fr

Cet habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma poursuit un travail d’auteur qui oscille entre temps suspendus et grands nulles parts modernes. www.benoit-linder-photographe.com

RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49

Stéphane Louis Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. www.stephanelouis.com

Éric Meyer Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. http://ericaerodyne.blogspot.com

Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Rédacteurs Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Sarah Krein /sarah.krein@bkn.fr Dorothée Lachmann / dorothee.lachmann@poly.fr Ont participé à ce numéro Catherine Merckling, Pierre Reichert, Irina Schrag, Daniel Vogel et Raphaël Zimmermann Graphistes Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Jérémi Picard / jeremi.picard@bkn.fr Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly © Poly 2014. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. ADMINISTRATION / publicité Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Administration, gestion, abonnements : 03 90 22 93 38 Gwenaëlle Lecointe / gwenaelle.lecointe@bkn.fr Diffusion : 03 90 22 93 32 Vincent Bourgin / vincent.bourgin@bkn.fr

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ÉDITO

vous n’aurez pas l’alsace et la lorraine Par Hervé Lévy

Illustration signée Éric Meyer pour Poly

Q

ue peut encore comprendre le citoyen dans l’indigeste tambouille institutionnelle qu’on lui sert ? Face aux incohérences croissantes d’une réforme territoriale digne d’Ubu Roi, il devient en effet de plus en plus complexe d’y voir clair. Retour en arrière. Acte 1 (juin 2014) : création d’une grande région regroupant Alsace et Lorraine à l’Élysée après un week-end d’atermoiements multiples donnant une impression dommageable d’improvisation, le découpage du territoire semblant conditionné par les désirs des barons locaux et la peur des réactions épidermiques de certains Français prompts à se coiffer d’un bonnet rouge. Dans l’Est, on n’est pas comme ça, chacun envisageant le mariage entre les deux régions de manière

pragmatique et cherchant des motivations – en trouvant in fine – de passer de la raison à l’amour. Tout cela semble en tout cas jouable. L’Acte 2 (juillet 2014) va tout mettre par terre : l’Assemblée nationale retoque le projet initial en adoptant une nouvelle carte composée de 13 régions prévoyant une fusion entre Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne, faisant voler en éclats de fragiles équilibres et laissant penser que les deux premières nommées ont servi de « variable d’ajustement » – les mots ont aussi bien été employés par le Maire de Strasbourg, Roland Ries que par le président de la Région Alsace, Philippe Richert – pour des problèmes se posant entre le Nord-Pasde-Calais et la Picardie. En vérité, personne ne veut de cette nouvelle entité administrative qui doit encore être validée par le Sénat. Ce qui n’est pas gagné… Un Acte 3 en vue avec une région monstrueuse Alsace / Lorraine / Champagne-Ardenne / Franche-Comté ? La boîte de Pandore a en tout cas été ouverte, provoquant réactions de repli, sentiments de défiance face à “Paris” ou volonté de retour en arrière, au Prologue de l’Acte 1. C’est le cas de Philippe Richert qui souhaite « mettre en place le Conseil d’Alsace »… rejeté par référendum, en avril 2013. Ses partisans se réunissent pour une manifestation le 11 octobre. Quelle leçon tirer de tout cela ? Qu’une réforme territoriale nourrie aux deux mamelles que sont l’incurie et l’imprévoyance ne peut qu’apporter la confusion. Soit… Profitons-en quoi qu’il en soit pour réfléchir à nos identités respectives : qu’est-ce qu’être alsacien, lorrain ou franc-comtois aujourd’hui ? Qu’est-ce qui nous unit ? Nous sépare ? Voilà qui aurait dû être un préalable indispensable à toute tentative administrative de rapprochement. Il n’est pas encore trop tard…

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LIVRES – BD – CD – DVD

LA

FOLIE

DES GRANDEURS

L’auteure Annelise Heurtier et l’illustrateur Raphaël Urwiller (moitié du duo strasbourgeois Icinori) se sont basés sur une nouvelle de Tolstoï afin de narrer un conte paysan se déroulant dans l’Ouest sibérien. Pacôme contemple son champ, ses veaux, vaches et cochons tout en rêvant d’espace, brindille en bouche. Il achète le terrain voisin et s’engouffre par la même occasion dans une spirale infernale, terrible exemple du dicton « Le mieux est l’ennemi du bien ». Comme à son habitude, Raphaël Urwiller s’empare de l’imagerie populaire pour la mener sur des terres contemporaines. Il décrit de magnifiques panoramiques aux couleurs chaudes pour servir une histoire finissant mal pour le cultivateur qui ne se sera jamais senti autant à l’étroit… (E.D.) Combien de terre faut-il à un homme ?, album jeunesse édité par Thierry Magnier (17 €) www.editions-thierry-magnier.com

UNE VIE Dans son nouveau roman, le nancéien Éric Reinhardt – toujours en lice pour le Goncourt – narre la destinée tragique, entre fiction et réalité, de Bénédicte Ombredanne, personnage imaginaire, qui a souhaité rencontrer l’écrivain, tant elle avait aimé son dernier livre. Ce texte qui se déroule dans l’Est (de Reims à Strasbourg, via Metz où habite l’héroïne), est le récit de l’existence grise d’une prof de français. Mariée, deux enfants, elle souffre sous le joug d’un tyran domestique qui la harcèle rendant son quotidien insupportable. Elle va vivre une parenthèse enchantée d’une journée, la plus belle de son existence, avec un autre homme. L’Amour et les forêts est une œuvre pleine de délicatesse sur le sentiment amoureux, la servitude volontaire et l’émancipation féminine, un grand texte du XIXe siècle égaré en 2014. (H.L.) L’Amour et les forêts est paru chez Gallimard (21,90 €) Rencontre avec Éric Reinhardt la Librairie Kléber de Strasbourg, mercredi 15 octobre à 17h www.librairie-kleber.com – www.gallimard.fr

QUELLE SENSATION BIZARRE…

À l’écoute du huitième album de Double Nelson, Un sentiment étrange s’empare de l’auditeur qui lance un Woaw (titre du morceau d’ouverture) d’étonnement d’entrée de jeu. Ici, « pas de pop », comme l’annonce le groupe nancéen, mais un joyeux amalgame gloubi-boulguesque mixant références krautrock, sonorités indus ou heavy et BO imaginaires, le tout parsemé de samples divers et saupoudré de quelques paillettes. Un disque fourre-tout que l’on se passera en boucle en attendant Le Bug du 26 août prochain… Le duo lorrain a mis les bouchées doubles dans le grand souk sonique… (E.D.) Un sentiment étrange, disque autoédité (12 €, frais de poste inclus : lesdn@club-internet.fr) www.doublenelson.com En concert jeudi 27 novembre au Caveau des Trinitaires de Metz www.trinitaires-bam.fr

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LIVRES – BD – CD – DVD

tuffy the cat La semaine de Tuffy avait pourtant bien commencé : un croc sur un oisillon, une prise de catch sur une souris, ses trophées ramenés avec fierté sur le paillasson de sa maisonnée. Du travail bien fait ! Mais voilà que ses maîtres voient rouge, n’en pouvant plus d’organiser des cérémonies d’enterrement pour sauver la face aux yeux de leur petite fille. La Strasbourgeoise Véronique Deiss adapte ici l’intégralité du Journal d’un chat assassin, best seller romanesque d’Anne Fine (l’auteure de Madame Doubtfire !), dans une BD qui se dévore sans culpabilité. Qu’il est bon d’être un félin ! (I.S.) Journal d’un chat assassin de Véronique Deiss d’après Anne Fine, paru chez Rue de Sèvres (10,50 €)

grandeur & décaden Les aficionados des éditions strasbourgeoises La Dernière goutte avaient découvert ses nouvelles (La Fosse aux ours, 2013). Avec Le Collectionneur d’oreilles, c’est une autre facette d’Esteban Bedoya, diplomate et écrivain paraguayen, qui se dévoile dans cette grande fresque politico-historique dressant un portrait sans complaisance de la dictature du général Stroessner de 1954 à 1989. Ce roman mêle enquête journalistique autour d’un trafic de jeunes filles vers l’Europe, incursions historico-tragiques mais toujours sarcastiques (Mengele y est dépeint à sa juste valeur)

et intrigues de palais des bonnes familles d’Asunción dominant de tous leurs vices et de manière sanglante un peuple de gauchos dont est célébrée avec talent la richesse de la culture populaire. Quant à la figure de l’Indien albinos, que l’auteur n’imagine ni trop bonne ni salvatrice, elle rejoint un panthéon de sauvages de la littérature aussi fascinant qu’inaccessible. (T.F.) Le Collectionneur d’oreilles d’Esteban Bedoya, à paraitre le 9 octobre aux éditions La Dernière goutte (18 €) www.ladernieregoutte.fr

CEUX DE 14 Saga prévue en trois volumes, Finnele (diminutif alsacien de Joséphine) est l’œuvre d’Anne Teuf, Mulhousienne passée par les Arts décos de Strasbourg. Inspiré de son histoire familiale et fortement documenté, ce roman graphique – qui a d’abord vu le jour sur le Net – narre, dans un noir et blanc délicat, le quotidien d’un village alsacien, situé côté français, au cours de la guerre 14-18. La situation est vue à travers le regard d’une espiègle petite fille de huit ans. On la retrouvera dans un prochain opus, au cours des années 1920, celles de la reconstruction. (H.L.) Le Front d’Alsace est paru chez Delcourt (14,95 €) www.editions-delcourt.fr

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EXPOSITION

antipop consortium Céleste Boursier-Mougenot – artiste qui représentera la France lors de la Biennale de Venise en 2015 – expose persistances à L’Aubette 1928 de Strasbourg. Rencontre avec un créateur anti-pop, privilégiant l’immersion du visiteur.

Par Emmanuel Dosda Photos de K. Stöber / Musées de la Ville de Strasbourg

À Strasbourg, à L’Aubette 1928, jusqu’au 22 novembre 03 88 23 31 31 www.musees.strasbourg.eu

A

vec from here to ear, la plus célèbres des œuvres de Céleste Boursier-Mougenot (CBM), le public évolue dans une salle où volent des mandarins qui se posent sur des guitares électriques faisant office de perchoirs. En s’agrippant aux cordes des instruments, les volatiles créent des sons, se transformant le temps d’une installation vivante en rockers à plumes. Surnommé Birdman, l’artiste, que l’on a trop longtemps associé à cette proposition, produit des travaux croisant arts plastiques et écriture musicale, comme le montre son exposition à L’Aubette. Sa responsable, Camille Giertler, rappelle que la “Chapelle Sixtine de l’art moderne” à pour vocation d’exposer des travaux « véhiculant les valeurs prônées par l’avant-garde, notamment la synthèse des arts ». L’œuvre pluridisciplinaire de Boursier-Mougenot s’inscrit totalement dans cet esprit.

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En la Salle des fêtes, il présente une version de videodrones, installation audio et vidéo qu’il développe depuis le début des années 2000 et reformule en fonction du lieu et du contexte. Six caméras placées sur la façade de L’Aubette filment en temps réel les alentours de la place Kléber. Les images sont projetées, live, dans la salle, se sur-imprimant aux compositions géométriques de Theo Von Doesbourg. Le son – sorte de bourdonnement continu – est généré par les images, le signal vidéo causé par le flux des personnes ou choses (trams, vélos…) qui passent dans le cadre. Le public est convié à observer cette chorégraphie urbaine et sonore, affalé dans un sofa ayant la semblance d’un rocher moelleux dessiné par Stéphanie Marin, puis à se rendre au Foyer-bar. Il y découvre persistances 1, pièce conçue pour L’Aubette, un euphonium, sorte de tuba en cuivre, posé sur un socle peint avec un « crépi pizzeria » assez ingrat, selon l’artiste lui-même. L’instrument recrache


EXPOSITION

Littérature vs pop culture

L’exposition, véritable articulation entre les différentes pièces présentées, permet d’illustrer l’étendue du travail de l’artiste né en 1961 à Nice. Bercé par les notes de Terry Riley, de Satie ou de free-jazz, fasciné par le mouvement des vinyles tournant sur la platine familiale et ayant pratiqué la batterie dès l’âge de six ans, CBM entre au Conservatoire très tôt, même s’il se sent vite « inadapté à l’enseignement de la musique. Ce qui m’intéressait, ça n’était pas le solfège, mais la manipulation des instruments. » Plus tard, il prendra conscience de son incapacité à « bien imiter. Je n’étais pas suffisamment bon techniquement, il a donc fallu que j’invente des œuvres originales. Lorsque plus tard j’ai fait from here to ear, je me suis dit que c’était une évidence », qu’il fallait suivre cette voie.

sera-t-elle dans cet esprit ? L’artiste reste très secret… Il transformera sans doute le Pavillon en « terre d’asile » utopique où l’on pourra demeurer longtemps, voire se reposer ou même dormir. « Je me place à l’inverse des artistes de la pop culture. Je ne m’adresse pas à l’ensemble des individus, mais à chaque visiteur, me demandant comment il va cheminer dans l’espace, ce qu’il verra et entendra. Je ne pense jamais en termes de groupe. » Il raconte des histoires prenant la forme d’une promenade, se sentant proche de la littérature et éloigné de « l’industrie muséale qui veut faire un maximum d’entrées. On ne lit pas un livre à plusieurs ! Quoi de plus agréable que d’être seul dans une exposition. »

Céleste Boursier-Mougenot © Curve

une fine mousse qui s’écoule au rythme de la musique diffusée à côté, dans le Ciné-dancing : la matière matérialise le son. La bande sonore – approches (pièce pour voix, 1993) et immersions (pièce pour violons et altos, 1993) – rappelle que CBM a une formation de musicien ayant notamment travaillé, dans les 90’s, avec le chorégraphe et homme de théâtre Pascal Rambert pour lequel ont été écrites les deux œuvres musicales. Dans la salle de L’Aubette, chaque séquence se recompose, grâce à un programme, au cours de la journée : on n’entend jamais la même chose.

Cet artiste sans atelier, nommé au Prix Marcel Duchamp en 2010, adaptant ses propositions aux lieux de monstration, conçoit des dispositifs depuis la fin des années 1990, des installations comme autant de partitions, des cadres dans lesquels la musique peut se créer. « La procédure policière sur les sons n’est pas la meilleure méthode pour composer », insiste l’auteur d’œuvres fonctionnant grâce à deux pôles antinomiques : l’hyper-détermination et l’aléatoire. Des exemples, entre arts plastiques et musique concrète : sa série de bassins où s’entrechoquent de la vaisselle en porcelaine au grès des remous de l’eau ou ses pianos se déplaçant lentement et se percutant par moments dans l’espace d’exposition. Fortement imprégné de la Dream house de La Monte Young – espace lumineux dédié à l’écoute d’œuvres sonores, « où l’on se met en stand by » – CBM crée des déambulations audio-visuelles et contemplatives. Son intervention à la Biennale de Venise, l’an prochain, Poly 171 Octobre 14

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GRAND ENTRETIEN

objectif culture Premier adjoint (PS) au Maire de Strasbourg chargé de la Culture et du Patrimoine, Alain Fontanel est entré en fonction il y a quelques mois. Quelle est sa vision de la politique culturelle ? Où se situent ses priorités d’action ? Est-il possible de maintenir les crédits en période de crise ? Éléments de réponse à l’aube de sa première saison.

Par Hervé Lévy Photo de Benoît Linder pour Poly

Au cours de la précédente mandature, Alain Fontanel était adjoint aux Finances. Énarque, il est Conseiller référendaire à la Cour des Comptes

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Pour beaucoup, la politique culturelle, ou plutôt son absence, était un des points noirs du précédent mandat. Dans quel esprit avez-vous pris vos fonctions ? Le Maire a souhaité que le Premier adjoint soit aussi en charge de la Culture : c’est un signal fort qui marque la volonté de la placer au centre et aux confluences des préoccupations de l’action municipale. Depuis trop longtemps à mon avis, ce qui manque à Strasbourg est une formalisation de la politique culturelle. Il est nécessaire de lui donner un sens et un cadre. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une addition d’actions. On parle beaucoup des 9 000 manifestations culturelles strasbourgeoises : ce foisonnement est l’expression d’une vitalité, mais pas celle de choix réels. Une politique dans le domaine, sur un territoire déterminé, ne se résume pas à mener des actions tous azimuts. En raison de votre parcours*, on vous a souvent présenté comme un cost killer et certains craignent que votre vision de la Culture passe par le prisme d’un tableau Excel : son budget sera-t-il maintenu ? Pendant la campagne, un des engagements du Maire a été la sanctuarisation du budget de la Culture. Il sera tenu, c’est-à-dire qu’il représentera toujours la même proportion – 25% – du budget global de la collectivité,

mais on ne peut s’exonérer de l’effort global que sont en train de réaliser tous les services. Il est ainsi impératif de faire des économies à hauteur de 4 ou 5%, ni plus, ni moins que les autres, j’insiste là-dessus. Ce ne serait pas sain de créer une situation d’exception. J’ai néanmoins envie d’aller encore plus loin… Dans quel but ? Ces économies supplémentaires permettront de dégager des marges afin que ces montants soient réalloués au service d’une politique active. Il faut injecter certaines “sommes passives” dans la création. La Culture est avant tout mouvement : lorsqu’on est dans le statu quo, que les choses sont figées, cela finit mal. On pourrait presque appeler cela le “syndrome du Festival de musique de Strasbourg”, déjà moribond avant son collapsus définitif. Il faut des énergies nouvelles en permanence. Comment réaliser les économies que vous souhaitez ? Nous nous livrons actuellement à un audit afin de multiplier les coopérations entre les différents acteurs : un service de reliure existe par exemple aux Médiathèques, aux Musées et aux Archives. Une plus grande synergie entre les trois permettra sans doute de réduire les coûts. Une meilleure organisation administrative sera également de nature à dégager des marges : dans certains services, comme aux Musées, dans le domaine du nettoyage et du Poly 171 Octobre 14

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gardiennage en tout cas, le taux d’absentéisme est extrêmement élevé. Il faut en analyser les causes pour le réduire et, là aussi, faire de substantielles économies tout en améliorant le service public. Voilà deux exemples simples qui ne remettent en rien en question les moyens affectés à la création. Vous parliez tout à l’heure de politique culturelle : dans quel cadre doit-elle se déployer ? Il me semble essentiel d’organiser la relation entre la puissance publique et les structures culturelles qu’elle finance intégralement ou en partie. Nous devons contractualiser ces liens, c’est-à-dire mettre en place des contrats d’objectifs qui n’existent pas suffisamment aujourd’hui. Il ne s’agit pas, bien évidemment, de s’immiscer dans les choix artistiques de chacun, mais de fixer ensemble un cadre en termes de coopération entre les différentes institutions, de présence dans les quartiers, d’actions en direction du jeune public… La quantification de ces objectifs doit se faire dans le dialogue. Il est de plus important qu’existe un suivi permanent et une analyse a posteriori.

Comment permettre l’accès accru à la Culture du plus grand nombre que vous appelez de vos vœux ? Pour toucher le public le plus large possible, il est essentiel de renforcer les actions de médiation et d’amplifier l’éducation artistique et culturelle. Je souhaite ainsi qu’on puisse utiliser, en lien avec le Rectorat et en collaboration avec Françoise Buffet, adjointe en charge de l’éducation, la réforme des rythmes scolaires pour affecter le temps libéré à des actions artistiques et culturelles. Il est également impératif de sortir la Culture du centre ville et de ses “temples”, parfois intimidants : je crois à une “Culture hors les murs” qui impose de diversifier les formes. La Symphonie des deux Rives organi-

© Pascal Bastien

Pourquoi cette volonté de contractualisation ? J’ai la responsabilité d’une politique publique où le verbe doit se concrétiser dans l’action : pendant des années, on est

restés dans une “politique au fil de l’eau”. Au début, elle satisfait tout le monde, car il n’y a pas de contraintes. À l’arrivée cependant, chacun est frustré car plus personne ne sait où il va. Ce n’est qu’avec des contrats d’objectifs clairs que l’on pourra efficacement remplir les deux buts principaux – et complémentaires – de la politique que je souhaite mener : un accès du plus grand nombre à l’offre culturelle sur le territoire et un rayonnement accru au-delà de celui-ci, à l’échelle nationale et internationale. Personne ne peut en outre définir seul une politique, ni l’imposer à l’ensemble des acteurs : cela doit se faire dans la fluidité, dans l’échange et le dialogue.

Bientôt une Symphonie des Arts regroupant théâtre, musique et autres au Jardin des deux Rives ?

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GRAND ENTRETIEN

© Stéphane Louis

Quels sont les projets culturels emblématiques du mandat ? La politique culturelle est incarnée dans des grands projets, mais ils ne peuvent, ni ne doivent la résumer. Il est également impératif qu’ils soient considérés à la double aune du rayonnement extérieur et de la diffusion à l’intérieur du territoire auprès des publics les plus vastes. À côté de la Coop – une des initiatives emblématiques du mandat en cours – certains projets sont déjà lancés comme la rénovation / extension de l’Opéra sur site – c’est-à-dire sur tout l’espace de la place du Petit-Broglie qui sert aujourd’hui de parking –, bien plus ambitieuse qu’une simple mise aux normes : elle sera inscrite dans le prochain contrat triennal. De nouveaux équipements verront prochainement le jour comme, au printemps, le Shadok dédié aux cultures numériques ou le nouveau Maillon, inauguré à la rentrée 2016. À côté du classement à venir de la Neustadt au Patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco, un grand chantier à venir de la politique patrimoniale concerne le Palais Rohan : aujourd’hui, le système électrique est dans un piteux état, générant des risques. Il est nécessaire de le rénover en profondeur. La reconversion du site de la Coop devrait être le projet emblématique du mandat

sée par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg depuis une dizaine d’années en est un bel exemple : elle rassemble, dans un moment de partage, un public nombreux, bien différent de celui du PMC. Pourquoi ne pas bâtir autour d’elle, une Symphonie des Arts sur plusieurs jours où se croiseraient musiques, cinéma, danse, théâtre ou encore conte ? Aujourd’hui, malgré une offre pléthorique – les fameuses 9 000 manifestations culturelles que vous évoquiez – Strasbourg n’est pas identifié sur la scène internationale, par un événement phare. Est-ce votre souhait d’en créer un ? Il n’existe en effet pas de réel événement (comme le Festival d’Avignon), ni d’institution (comme le Musée Guggenheim de Bilbao) qui cristallise l’identité culturelle de Strasbourg, mais je ne crois pas que ce soit indispensable. Souvent ces phares sont des paravents qui cachent derrière eux une densité culturelle bien plus faible le reste du temps. Prenons l’exemple de Nantes et de La Folle Journée : le succès de la manifestation est immense, mais globalement, il se passe moins de choses qu’à Strasbourg. L’enjeu est de mieux faire connaître notre foisonnement culturel à l’extérieur. Cela passe peut-être par une synergie accrue entre les différents acteurs. Nous réfléchissons, par exemple, à la rentrée culturelle : pourquoi ne pas installer une cohérence entre les différents événements – Musica, Journées de l’Architecture, Bibliothèques idéales… – et le début de saison de l’OPS, de l’Opéra national du Rhin ou encore du TJP ? Cela passe peut-être par un fil rouge thématique qui faciliterait la lecture par le public et renforcerait la visibilité et le rayonnement extérieur.

À quelle destinée est vouée la Coop que vous évoquiez, une des dernières friches industrielles de la ville, au Port du Rhin ? Pour le moment, les terrains et les bâtiments appartiennent toujours à l’entreprise : nous sommes en discussion pour que la Ville les rachète. Les négociations achoppent sur le prix, mais je suis confiant. Un accord interviendra. Après, il faudra réfléchir sur la vocation de l’endroit. Des solutions s’esquissent, notamment autour des nuits électroniques de l’Ososphère qui s’y tiennent déjà. Pour moi, le devenir de la Coop est lié à celui de La Laiterie-Artefact. Avec Thierry Danet et quelques autres nous réfléchissons ensemble à cet avenir… Vous évoquiez La Laiterie. Juste en face, la Friche Laiterie connaît de multiples turbulences. Comment voyez-vous son avenir ? Le site n’a jamais trouvé son identité et n’a pas créé de lien avec son environnement : au départ, était espéré un espace d’effervescence culturelle où les différents acteurs présents sur le site s’irrigueraient mutuellement, une sorte de Belle de Mai ou de Lieu unique version strasbourgeoise. Force est de constater que cela n’a pas marché : aujourd’hui la Friche Laiterie est… en friche, minée par des conflits internes, grevée par un manque de transparence. Il faut repenser l’ensemble du site : c’est ce que je m’efforce de faire, en concertation avec les différents acteurs, depuis quelques mois. Plusieurs options sont sur la table : le Kafteur, menacé dans son existence est à la recherche d’un espace. La nouvelle SMAC Jazz, avec le départ annoncé de Pôle Sud, a également besoin d’une salle. Ce sont des options dont nous allons discuter avec tous les acteurs concernés.

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THéÂTRE

les coulisses du pouvoir Cinq siècles après Machiavel, Laurent Gutmann adapte avec humour Le Prince. La Cour de la Renaissance fait place au monde de l’entreprise, où des monarques en formation mettent en pratique ses florentines leçons.

Par Dorothée Lachmann Photos de Pierre Grosbois

À Belfort, au Granit, du 14 au 16 octobre 03 84 58 67 67 www.legranit.org

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C

omment prendre le pouvoir ? Comment le conserver ? En 1513, Machiavel posait les fondements cyniques de la pensée politique, où la moralité n’est pas de mise, la fin justifiant les moyens. Mis à l’index, Le Prince – publié en 1532, de manière posthume – a pourtant traversé l’Histoire comme un ouvrage visionnaire. « C’est un texte ambivalent : en même temps qu’il a pour objet l’éducation politique des princes, il porte l’art du gouvernement à la connaissance de leurs sujets. Le peuple peut ainsi prendre conscience des opérations de domination dont il est l’objet. Au cœur du texte de Machiavel, la notion d’éducation politique est présente », estime Laurent Gutmann. Une leçon si foncièrement désespérante que le metteur en scène a choisi d’en faire une comédie, avec son lot de gags en série. Sous les néons blafards d’une salle de réunion, près de la machine à café, trois stagiaires, deux hommes et une femme, sont prêts à suivre une formation aux préceptes du Florentin dont ils ne connaissent manifestement pas grandchose. Pour démarrer en toute convivialité, la formatrice coupe des parts d’une appétissante galette des rois. Gare à celui ou celle qui croquera dans la fève : si l’arrivée au pouvoir peut être fruit d’un concours de circonstances, le

conserver est une autre histoire. Sitôt assis sur le trône, le prince désigné ne vivra plus que dans l’angoisse du faux pas qui l’en fera chuter. Les trois employés en formation s’essayent donc au pouvoir sous forme de travaux pratiques, dans un jeu de rôles mené par un amusant personnage en costume Renaissance, qui les dirige à coups de sifflet et de citations du Prince. Guerres factices et hausses d’impôts, brutalité, flatterie, mensonges, coups bas, révoltes, rien ne sera épargné aux apprentis souverains. « Ces mises en situation remplacent les nombreux exemples que Machiavel puise dans l’Antiquité romaine pour étayer ses propos, exemples qui ne sont, pour nous, plus guère éclairants. La parole de Machiavel guide les stagiaires et, le plus souvent, sanctionne leurs erreurs. Car ce qui ressort de ces jeux, c’est que le pouvoir est par nature instable : on est assuré de le perdre un jour », affirme le metteur en scène. Le public rit aux éclats devant cette présentation de l’attirail du parfait prince, cette mascarade et ces situations cocasses qui résonnent si fort dans l’actualité. C’est pourtant bien de cruauté qu’il s’agit. L’effrayante cruauté du pouvoir.


corps calligraphique Avec Univers Light Oblique, le chorégraphe Georges Appaix nous emporte dans une matérialisation du langage reliant dansé de l’écriture et écriture de la danse. Par Irina Schrag Photo de Marie Accomiato

À Strasbourg, à Pôle Sud, du 14 au 16 octobre (dès 8 ans) 03 88 39 23 40 www.pole-sud.fr

D

es lettres, des mots. Comme autant de visages, de figures. De figurants à effacer comme des traits à la craie. Le langage et son corolaire d’images colle à l’ADN de la Compagnie La Liseuse créée au début des années 1980 par Georges Appaix. Piochant avec doigté dans son panthéon littéraire et musical (de Gainsbourg à la pop américaine), le chorégraphe chemine avec ses interprètes entre situations grotesquement joyeuses, illustration pure, jeux enfantins et pensée habitée, du sens au symbole. Ses compagnons de route pour serpenter dans une sémiologie du geste au signe se nomment Marguerite Duras – « On ne peut pas écrire sans la force du corps. Il faut être plus fort que soi pour aborder l’écriture, il faut être plus fort que ce qu’on écrit » – Gilles Deleuze, Ghérasim Luca et Heinz Wismann. Univers Light Oblique est une redécouverte, une invitation à revivre la genèse de ce qui a poussé l’Homme à raconter des histoires le dépassant. Un retour aussi sur ce qui fait l’écriture de la danse, ses envies nouvelles, ses souffles premiers empruntés à d’illustres anciens. L’humour et la pensée se glissent entre les pleins et les déliés

des lettres comme des mouvements, créant connexions et interdépendances des êtres. Appaix utilise la contrainte (comment esquisser de belles écritures dans l’air en tirant / portant / poussant une chaise ?) et se joue des supports (cartons de lettres, écrans vidéo, projections…) comme la calligraphie des règles strictes dans son exploration de la matérialité de la langue. Sans coup férir, le chorégraphe instille une dose ô combien nécessaire d’anticonformisme en appelant à la rescousse Heinz Wismann dont la voix fait mouche, brocardant ces « langues de service » qui nous asservent à la réalité, empêchant toute critique communicable. Ainsi en va-t-il de l’anglais international qui « renifle le réel comme le chien renifle le bord du trottoir ! » Qu’on ne s’y trompe pas, mots et gestes sont des armes qui nous tiennent, nous échappent et nous écharpent tel ce couple réglant ses comptes en se balançant ses quatre vérités. Mais la musique adoucit les cœurs, le phrasé des rengaines compilées rythme la petite musique des corps qu’elle enveloppe avec la douceur d’un pas de deux ou de quelques lignes griffonnées en secret. Poly 171 Octobre 14

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DANSE

move, move, move! Le CCN – Ballet de Lorraine s’associe à l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy et à NJP pour son premier programme de la saison. LIVEXTREME réunit rien moins que deux classiques de Forsythe et Cunningham et une création signée Andonis Foniadakis.

Par Irina Schrag Photos de Laurent Philippe

À Nancy, à l’Opéra national de Lorraine, samedi 18 et dimanche 19 octobre 03 83 85 69 08 www.ballet-de-lorraine.eu

Rendez-vous au CCN – Ballet de Lorraine - Atelier “On danse avec” Pierre Magendie, assistant d’Andonis Foniadakis autour de la création de Shaker Loops, mercredi 8 octobre - Répétition publique de Shaker Loops, jeudi 9 octobre (entrée libre sur réservation)

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L

es pièces signées par William Forsythe – le plus contemporain des chorégraphes classiques qui, grâce à sa qualité d’écriture a dépoussiéré le genre – sont toujours un événement. Le Ballet de Lorraine reprend The Vertiginous Thrill of Exactitude, entré à son répertoire en 2010 : onze minutes haletantes de virtuosité dans lesquelles la légende vivante de la danse américaine multiplie exigences techniques et physiques en se jouant des codes du ballet. Finis les tutus en tulle, remplacés par des disques sautillants tels des nénuphars dans un hommage à peine voilé à ses illustres aînés, Petipa et Balanchine (ah, la pureté de leurs pas de deux !) tout en glorifiant les prouesses physiques des interprètes rois, dominant leur corps à l’envi. Le mouvement final de la Symphonie n°9 de Schubert ne nous accompagnera jamais plus de la même manière… Pas de quoi tergiverser bien longtemps et nous voilà dans le Sounddance du grand Merce Cunningham, créé en 1973 après neuf semaines passées à l’Opéra de Paris. De retour à New York, le chorégraphe retrouve ses danseurs, loin de la raideur et du classicisme du Ballet parisien. Il

signe avec eux une pièce envolée à la construction éclatée, comme un canon désorganisé formant un tout pourtant harmonieux. Sur une musique électronique vrombissante au tempo vigoureux de David Tudor – interprétée en direct par l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy et les artistes d’Alpage Records –, Cunningham délaisse toute ressort psychologique, toute narration et notion de personnages pour ne donner à voir et expérimenter qu’un travail géométrico-mathématique de l’espace, dessiné par les pas et les mouvements des corps des danseurs. Sortant d’un grand rideau drapé en fond de scène, les interprètes multiplient, avec une grande élégance et une fausse lenteur, des rondes dissonantes. Entre raideur des membres et cassures angulaires, l’éclat des courbes d’un bras, d’un saut ou d’un porté transporte dans un état second. Last but not least, Andonis Foniadakis s’empare de la plus jouée des œuvres minimalistes de John Adams (Shaker Loops) dans une dynamique électrisante transposée, en écho au bouillonnement de notre époque, depuis les corps de ses interprètes jusqu’au public.


vénus au miroir Au croisement de la danse contemporaine et de la performance, la chorégraphe zurichoise Alexandra Bachzetsis présente From A to B via C à la Kaserne de Bâle. Une réflexion sur l’identité et le langage du corps. Par Irina Schrag Photo de Gina Folly

À Bâle, à la Kaserne, du 8 au 12 octobre +41 (0)61 66 66 000 www.kaserne-basel.ch

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Voir Poly n°132

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ous l’avions découverte il y a quelques années au festival Trans(e) de La Filature* avec Dream Season, patchwork de saynètes de films cultes (Sailor et Lula, A History of violence…), de séries télé et de soap-operas rejouées en direct par cinq performeurs décodant les tendances de la culture populaire dominante : modèles féminins, corps-objet devenu marchandise… Devenue l’une des artistes les plus importantes de la scène suisse avec son mélange de danse, de performance et d’arts visuels, Alexandra Bachzetsis a vu son travail sur la culture populaire actuelle invité à la très select dOCUMENTA 13 de Kassel.

Son nouveau projet, From A to B via C, part de la célèbre Vénus au miroir de Diego Velázquez, tableau du milieu du XVIIe siècle montrant une femme nue, allongée de dos sur un lit, dont le visage se reflète dans une psyché tenu par un ange. Alexandra Bachzetsis joue de cette représentation de la beauté même se contemplant rejetée par le conservatisme de l’époque, dans une transposition entre trois personnages se répondant comme s’ils étaient

le miroir l’un de l’autre, leurs trajectoires étant modifiées par les traces laissées d’un corps à l’autre. Ici, le reflet devient une image filmée, retransmise sur une tablette tactile. La dématérialisation des rapports augmente les distances tout en rapprochant les êtres et les choses : qu’ils souhaitent apprendre les pas complexes d’un ballet ou une chorégraphie de Beyoncé, les danseurs trouvent le didacticiel adéquat en ligne. A-t-il dès lors jamais été plus facile de devenir qui nous voulons ? semble interroger la chorégraphe. Le nouvel espace de performance qui se crée est mu par un désir commun d’appartenance (à l’autre autant qu’à soi), de communication et d’interaction autant que de reconnaissance de notre identité propre. Poussant le mécanisme à son maximum, From A to B via C se déploie en versions successives entre Genève, Bâle et Londres, au gré des espaces de représentation et des voies d’exploration de la dynamique d’évolution du langage chorégraphique initialement créé. Quant à la quatrième, elle sera virtuelle, sur le Net, échappant à ses créateurs…

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la rage au corps Ode au krump, danse née dans les banlieues les plus dures des États-Unis, Éloge du puissant royaume nous convie à la rencontre de celui qui vit dans l’obscur de nous-mêmes.

Par Thomas Flagel Photo de Patrick Fabre

À Mulhouse, à La Filature, du 14 au 17 octobre 03 89 36 28 28 www.lafilature.org

Workshop danse à La Filature, Osez le Krump ! avec deux danseurs de la compagnie, mercredi 15 octobre (14h-17h) www.heddymaalem.com

1 L’équivalent américain des cités délabrées françaises 2 Projection au Palace de Mulhouse, lundi 13 octobre à 19h www.lepalacemulhouse.com

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é dans les projects1 de Los Angeles, peu après les émeutes ayant embrasé la ville suite à l’acquittement des policiers qui avaient tabassé Rodney King, le krump (kingdom radically uplifted mighty praise) est « un rite inventé, une sorte de louange forcenée, la contorsion brutale de celui qui refuse la camisole contemporaine. » Le chorégraphe Heddy Maalem l’a découvert par effraction – comme nombre d’entre nous – avec Rize 2 en 2005, documentaire du photographe et réalisateur David LaChapelle. Héritage de siècles de violence des corps et des esprits subis par les afro-américains, le krump est une danse guerrière de survie, mais aussi de compréhension de ce qui fonde la brutalité du monde et des êtres, au-delà des mots. S’y retrouvent l’univers et les codes de la rue gorgeant le quotidien des nouveaux gladiateurs urbains : provocation, défi, intimidation… Là où le respect se gagne chèrement, en mouillant le maillot, entre gangs, Glock et rodéos. Mais pour Heddy Maalem, le mouvement va bien au-delà de son territoire, rayonnant d’une pulsion vitale sans égale : « Il semblerait que le monde ait fait naître là où on ne l’attendait pas, une danse du dedans, authentiquement spirituelle, faite pour débusquer des monstres et dire l’inarticulé des paroles rentrées dans

la gorge de ceux qui ne peuvent même plus crier. La seule danse qui vaille. » Mélangeant classiques du genre (Twice the first time de l’icône slam Saul Williams) et musique classique, le chorégraphe unit des danseurs habitués aux solos dans des arènes surchauffées. Sous une douche de lumière crue faisant scintiller leurs musculatures saillantes, les pulsations d’énergie brute de chacun d’entre eux dévoilent toute la rage qui les hante. Dans une constante recherche d’intensité poussée à son paroxysme, ils multiplient les mouvements, usant avec un instinct touchant au génie du ralenti pour souligner la fulgurance : saccadés d’automates déglingués, phases répétitives de camés déjantés, volte-face impromptues et rebelles de jeunes de cité coffrés ou tabassés. Aucune de ces figures n’est nommée même si elles font partie intégrante de la danse avec ses cris étouffés qui ne sont jamais singés. L’entrée en transe est toujours recherchée, la possession comme élément de créativité organique pure soutenant une technique sûre. Heddy Maalem n’a eu qu’à « organiser les masses énergétiques de ses danseurs » et leur offrir un temps de rencontre différent où chacun peut esquisser un pas de deux langoureux, une mise à distance du feu originel avant de repartir de plus belle !


MARIONNETTES

dreams are my reality Entre théâtre et arts plastiques, songe et réalité, Le rêve d’Anna, « fable sociale et enfantine » de la compagnie trois-six-trente, a les pieds ancrés dans le quotidien contemporain et la tête perchée dans les nuages.

Par Emmanuel Dosda Photos de Ivan Boccara

À Strasbourg, au TJP grande scène, du 6 au 12 octobre (à partir de 8 ans) 03 88 35 70 10 www.tjp-strasbourg.com www.troissixtrente.com

Différentes rencontres (en partenariat avec l’Agence culturelle d’Alsace), projections (au Star) et chantiers ont lieu autour du spectacle en octobre et novembre, voir les dates sur le site du TJP

* En 2013 au Théâtre national de Toulouse, trois-six-trente a créé Personne(s), une installation plastique composée par quelques-unes des 25 marionnettes conçues par la compagnie

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l y a du Peter Pan, du Magicien d’Oz ou du Miyazaki dans Le Rêve d’Anna, spectacle qui, en filigrane, évoque le monde capitaliste, la croissance, la domination ou la lutte des classes, « des sujets peu présents dans les spectacles pour enfants », concède Bérangère Vantusso, metteuse en scène. La petite Anna craint le spectre abstrait du « mal libéral », espérant qu’il se tienne à l’écart : d’après ce que lui raconte le cheval blanc et rassurant de ses rêves, il prend la forme d’un effroyable taureau. Ses angoisses sont liées à la situation de son père au chômage qui, renfermé sur lui-même et ses problèmes, ne communique plus avec sa fille. Pour surmonter la situation, elle va convoquer le rêve, empiétant de plus en plus sur la réalité. Selon Bérangère Vantusso, « la fillette transmet petit à petit son innocence à son père ». Elle l’aide à avancer, à prendre les bonnes décisions, à baisser la garde et être plus digne face aux recruteurs d’une grande entreprise. Peu disponible au début du récit (écrit par Eddy Pallaro), le père

finira par accepter que le cheval fantasmé par la fillette galope allègrement dans sa vie. Le principe des deux réalités est matérialisé dans la mise en scène : ce qui est lié au père est joué par des acteurs tandis qu’Anna et les personnages issus de son univers onirique sont représentés par des pantins. Très influencée par le plasticien Ron Mueck, artiste australien créant de troublantes figures humaines plus vraies que nature, la metteuse en scène travaille avec des marionnettes hyperréalistes (depuis son spectacle Kant, en 2006). Humaines, trop humaines, elles composent sa « troupe », chacune pouvant figurer dans plusieurs spectacles, comme des comédiens allant de pièce en pièce. Véritables sculptures*, elles peuvent se tenir seules, indépendamment du manipulateur : Bérangère Vantusso aime appréhender la marionnette comme « une présence en creux, par l’immobilité et pas uniquement le mouvement ». Elle crée ainsi des tableaux qui prennent vie dans l’imaginaire du spectateur. Poly 171 Octobre 14

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THéÂTRE

don quichotte trans-figuré Dans Don Quixote, Hack & Love, le classique de Cervantès, piraté par l’auteure féministe punk Kathy Acker, est adapté à la scène par la compagnie Calamity Jane. Sexe, littérature et vidéo.

Par Catherine Merckling Photo d’Alexandre Léonard Steidl

À Strasbourg au TAPS Laiterie, du 8 au 11 octobre 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu www.calamity-jane.org

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a compagnie strasbourgeoise Calamity Jane sévit depuis près de vingt ans avec un engagement infaillible dans les questions du genre, des normes, du corps et de leurs articulations dans la société contemporaine. Pour sa nouvelle création, la metteuse en scène Sonya Oster a choisi un texte de l’écrivaine avant-gardiste américaine Kathy Acker (1947-1997) : « Cette auteure aujourd’hui culte, longtemps méconnue en France, aborde tous les sujets chers à la compagnie ». Dans le fond comme dans la forme, les deux artistes présentent en effet des points communs. Elles sont préoccupées par la même quête d’identité de la femme dans un monde formaté depuis des siècles par et pour la domination masculine, et cultivent un goût certain pour les emprunts et le remixage.

C’est aux conditionnements du comportement amoureux diffusés par la littérature – même la plus honorable – que s’attaque le personnage principal de la pièce. Tout commence par une crise : une femme se fait avorter, par choix. « Cet acte est un point de départ. Le personnage va l’appréhender comme une renaissance, et va vouloir se débarrasser de toutes les préconceptions de l’amour pour rechercher le sentiment fondamental » explique Sonya Oster. Mais comment se libérer de ces mythes véhiculés par des auteurs (mâles le plus souvent) au fil des époques ? La femme se renomme Don Quixote et se lance à corps perdu dans une catharsis où elle expérimente toutes les possibilités amoureuses à partir du démontage irrévérencieux d’œuvres littéraires choisies. Wedekind, Lampedusa, le Marquis de Sade – pour ne citer qu’eux – avaient beau être subversifs en leurs temps, ils n’en véhiculaient pas moins des préjugés liés au genre que Don Quixote fait voler en éclats. La domination et la soumission, le romantisme, l’hétérosexualité et la monogamie sont dépassés en progressant vers la libération du corps et de l’esprit, à laquelle fait écho une poésie punk où le plagiat est assumé, où la parodie est un moteur pour avancer en piétinant les modèles. La mise en scène répond au texte, reprenant le procédé du cut-up cher à William Burroughs. Sur scène, une alchimie se crée en direct grâce à un VJ / sampleur d’images, deux musiciens, cinq comédiens et un décor constellé de projections vidéo. En résulte un puzzle savant mais ludique, où tout s’ordonne le long du fil conducteur du désir : désir sexuel, mais désir de sens aussi. Si le livre d’Acker date de 1986, ses questionnements, dans une société inquiète aux tendances rétrogrades, sont plus que jamais d’actualité.


THÉÂTRE

miroir, mon beau miroir Jacques Vincey porte à la scène le texte de Gombrowicz, Yvonne, princesse de Bourgogne. Avec cette vertigineuse réflexion sur la comédie sociale et politique, l’auteur polonais donne un coup de poing dans les faux-semblants.

Par Dorothée Lachmann

À Thionville, au Théâtre, mercredi 15 et jeudi 16 octobre 03 82 82 14 92 www.nest-theatre.fr

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l était une fois un prince qui croise une jeune fille en se promenant. Le conte dérape sans tarder puisqu’il se met à la détester aussitôt. Sans charme et sans attrait, « Yvonne est empotée, apathique, anémique, timide, peureuse et ennuyeuse » pour reprendre les mots de Gombrowicz. Mais le prince va lancer un défi à la loi de la nature imposant aux hommes de n’aimer que des femmes séduisantes : il prend Yvonne pour fiancée et l’introduit à la Cour. « La présence muette, apeurée, de ses multiples carences révèle à chacun ses propres failles, ses propres vices, ses propres saletés… La Cour n’est pas longue à se transformer en une couveuse de monstres », écrivait l’auteur polonais. La malheureuse fiancée, parce qu’elle ne joue pas le jeu des poses et des gesticulations stériles, va devenir bien malgré elle le révélateur de l’artificialité et de la théâtralité de la société qui l’entoure. « Yvonne ne parle pas. Son mutisme est une provocation insupportable dans ce royaume imaginaire où la parole n’est plus que le masque de la vacuité. Elle est un grain de sable qui grippe la mécanique rassurante de la cause et des effets. Malgré les tentatives d’apprivoisement, elle reste étrangère aux usages du monde, insaisissable et inassimi-

lable. Sa présence atone fait dysfonctionner le théâtre : c’est parce qu’elle est vraie que les autres paraissent faux », explique le metteur en scène Jacques Vincey. Déclenchant la panique parmi les courtisans, révélant en chacun « ce qui doit rester tu, caché, secret », Yvonne « est le miroir d’une société malade. La Cour tourne à vide, prisonnière de son cynisme et victime de ses névroses nombrilistes. Le prince tente l’impossible pour chasser son ennui mais il n’est pas assez solide pour accueillir le chaos de l’amour brut que lui offre Yvonne. Le roi et la reine sont puissants et désinhibés mais ils entretiennent un ordre politique désespérément vide de toute consistance réelle. » Peu à peu, l’incapacité de la jeune femme à faire semblant devient littéralement insupportable et tous rêvent de l’assassiner. C’est finalement en grande pompe, de toute sa hauteur, que la Cour va mettre à mort celle qu’elle traite de « cafard lugubre », de « chèvre » et de « guenon », lors d’un banquet donné en son honneur. « Lorsque le rejet et la haine s’enracinent dans des peurs irrationnelles, il ne reste plus qu’à repousser l’ennemi désigné hors des frontières de l’humanité, vers les zones inférieures de la sauvagerie et de l’animalité », conclut Jacques Vincey, qui signe un spectacle d’une sidérante actualité. Poly 171 Octobre 14

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FLAMENCO

mano a mano

Événement à MA scène nationale qui accueille l’un des plus grands – si ce n’est le plus grand – danseur de flamenco en la personne d’Andrés Marín. Ad libitum éblouit par son dénuement et sa puissance de fascination.

Par Thomas Flagel Photo de Joss Rodriguez

À Montbéliard, aux Bains Douches, mardi 14 octobre 0 805 710 700 www.mascenenationale.com

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F

ils d’une lignée de danseurs sévillans, Andrés Marín a tôt su tracer sa propre route au milieu de la tradition flamenca, cet art total né chez les Gitans andalous qui séduit tant dans son rapport physique à l’autre (et surtout à l’espace chez Marín), aux postures géométriques et à leur précision que dans son aspect terrien. Mêlant l’élégance et la grâce, le danseur réunit puristes et grand public avec ses gestuelles obsédantes, saccadées et pourtant fluides, maîtrisant, à l’instar d’un Israel Galván, cette incroyable synthèse entre l’âge d’or du flamenco, la modernité et la grande liberté de la danse contemporaine. Dans Ad libitum (“à volonté” en latin), le voilà torse nu, portant haut chapeau blanc, pantalon moulant et bottes noires sur un plateau sonorisé qui bruisse des pas de ce fauve sûr de sa force, paradant de prestige en postures

étudiées jusque dans leur plus pur raffinement. Le flamenco est aussi un art de la mise en scène ! Avec ses allures de toréador fier à la cambrure dorsale majestueuse, il déploie savamment des spirales inspirées, cadencées par des claquements de doigts et les estocades de ses talons martelant le sol qui répondent aux accords de guitare de Salvador Gutierrez et aux chants de Segundo Falcon. Avec une rythmique de claquettes à faire pâlir Gene Kelly, on retrouve du Michael Jackson en Andrés Marín : même génie dans l’éloge du son et du chant, même souci de la gestion des silences. Même manière de pousser jusqu’au bout des doigts le geste chorégraphique, même souffle retenu dans tout son public pour lequel il semble défier l’espace dans un mano a mano solaire. Du grand art, tout simplement.


DANSE

éphémère metropolis La compagnie Kubilai Khan Investigations s’infiltre dans le bruit du monde, décryptant, dans Tiger Tiger Burning Bright, l’accélération frénétique du rythme régissant nos vies et nos villes.

Par Daniel Vogel Photo de Laurent Paillier

À Metz, à L’Arsenal, mercredi 15 octobre 03 87 39 92 00 www.arsenal-metz.fr À Besançon, à L’Espace, jeudi 16 et vendredi 17 octobre 03 81 87 85 85 www.les2scenes.fr www.kubilai-khaninvestigations.com

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n choisissant pour titre de sa pièce le premier vers de The Tyger, l’un des plus célèbres poèmes de William Blake, Kubilai Khan Investigations poursuit son parcours sous le patronage d’illustres auteurs anglais, elle qui emprunte déjà son nom à Samuel Taylor Coleridge. Dans son métissage habituel, Franck Micheletti réunit des danseurs venus des quatre coins du globe (Mozambique, Hongrie, Japon…) pour ce spectacle. En 2012 se cristallisait pour lui l’impression d’une accélération sans fin de nos sociétés, des grandes mégalopoles mais aussi, de manière plus intime, des corps et des relations des êtres au profit d’un nouvel ordre du monde. « Nous vivons dans l’espace chaque jour plus étendu des concentrations urbaines. Les villes bougent, elles sont les territoires favoris de ces mises en mouvements incessants dont le moteur est la domination du plus rapide. » Pour le chorégraphe le constat est sans appel : « Nous manquons d’air. Nous sommes aspirés, captifs, auto-asservis, en pilotage automatique, indifférents à nous-mêmes… »

Le temps du changement permanent

Prenant appui sur les travaux du sociologue allemand Hartmut Rosa, Franck Micheletti donne corps au concept d’accélération sociale. Ses danseurs évoluent telle une foule électrisée par des remous urbains qui jamais ne s’épuisent. Entre frénésie d’actions collectives répétitives et harmonie de pas singuliers se mêlant dans un maelström endiablé, chacun s’offre au regard des autres sans s’en préoccuper. Des duos en miroir forment une valse des êtres et des envies, vite bousculées et remplacées par les spirales sans fin de derviches sans transe, possédés par une quête sans queue ni tête. Sur une bande-son scintillante de clarté

minérale, la vitesse nous grise dans son exploration des plaisirs cinétiques, ses alternances d’intensité conférant une douceur incroyable à des portés dont les effluves de tendresse sacrent les corps à corps, les circonvolutions à deux, les envolées dos à dos d’êtres qui se cherchent. Les mouvements de bras multipliés à l’envi, dans des chaloupés syncopés et chorégraphiés, vibrent de toute leur variété jusqu’à complète satiété. Les corps “origamiques” des interprètes se meuvent et se déforment en tours et détours, emportés par la foule et son rythme saccadé jusqu’à la nuit tombée, peuplée de visions stroboscopiques et d’élans nocturnes plus ou moins solitaires. L’odyssée de la vitesse ici explorée en un écho à l’incessant bruit des villes et de la modernité sonne, sonne, sonne… Poly 171 Octobre 14

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JEUNE PUBLIC

il était une fois… Dans Double-croche et Sortilèges, Jean-Jacques Fdida et le jazzman Jean-Marie Machado convoquent le merveilleux à l’état brut pour redonner toute sa dimension à une tradition orale remontant à la nuit des temps : le conte.

Par Dorothée Lachmann Photos de Marc Mesplie

À Saint-Louis, à La Coupole, mardi 7 octobre (à partir de 8 ans) 03 89 70 03 13 www.lacoupole.fr

INFO Le Monte-plats initialement programmé à La Coupole le 3 octobre (voir Poly n°170) est reporté au 29 mai 2015

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A

ttention, pas question avec JeanJacques Fdida de sucre d’orge et d’eau de rose. Walt Disney et ses mièvres adaptations peuvent repasser. Ce Strasbourgeois d’adoption a soutenu voilà vingt ans sa thèse de doctorat sur le conte de tradition orale. Autant dire qu’il sait de quoi il parle quand il s’amuse à réécrire ces histoires nées de la culture populaire. « D’abord il y a l’exploration des sources. Dès le XVIIIe siècle, la tradition orale ayant tendance à disparaître, des ethnologues et des folkloristes ont entrepris un collectage de ces contes. Aujourd’hui je fouille dans les bibliothèques poussiéreuses, à leur recherche », confie-t-il. Dans Doublecroche et Sortilèges, il réveille ainsi des histoires tombées dans l’oubli, comme L’Oiseau de vérité, mais propose aussi une version authentique du Petit Chaperon rouge, très différente du conte « qu’on croit connaître ». Pendant une heure hors du temps, le conteur livre à l’oreille du spectateur, de sa voix profonde et caressante, trois ou quatre souvenirs de cet inconscient collectif. « C’est un univers merveilleux que chacun porte en soi. Nous en sommes tous dépositaires. » Même si les titres ne disent plus grand-chose, on reconnaît pourtant des motifs familiers : à

l’apparition de la princesse, chacun se doute déjà qu’un prince va devoir la sauver ; si un dragon surgit, tous savent qu’il aura affaire à un preux chevalier. « Les spécialistes considèrent qu’il existe 350 contes types, avec toujours les mêmes structures qui reviennent. Le plus révélateur de l’universalité des contes, c’est qu’on retrouve les mêmes histoires dans les différentes cultures du monde, aussi bien en Afrique qu’en Asie ou en Europe. C’est la richesse de son contenu qui fait qu’un conte parvient à traverser le temps », explique l’artiste. Homme de parole s’il en est, JeanJacques Fdida invite depuis toujours la musique à rejoindre ses mots, pour mieux « articuler l’émotion ». Le spectacle est un duo avec le pianiste et compositeur Jean-Marie Machado dont l’univers musical mêle jazz et sonorités du monde. Brillant improvisateur, il apporte une autre voix aux fictions magiques de son complice. Autour d’eux, dans un espace nu, la lumière subtile tient lieu de décor, accompagnée seulement d’une chandelle et d’un escalier, symbole du passage omniprésent dans les contes traditionnels. En continuel mouvement, bondissant et tournoyant, JeanJacques Fdida ouvre les portes de l’imaginaire et celles de notre humanité.


conte à rebours Écrit et mis en scène par Benoît Fourchard, Rewind, provisoirement raconte l’agonie d’une mère du point de vue de ses trois enfants… en rembobinant le film puisque le spectateur en connaît la fin.

Par Dorothée Lachmann Photo de Lili Bellule

À Vandoeuvre-lès-Nancy, au Centre culturel André Malraux (navettes gratuites aller / retour au départ du Théâtre de la Manufacture de Nancy), du 8 au 11 octobre 03 83 56 15 00 www.centremalraux.com 03 83 37 42 42 www.theatre-manufacture.fr

L’

histoire commence au dix-septième jour. La mère d’Armand, Fanny et Fleur vient de s’éteindre. Démarre alors cette « chronique d’une mort annoncée, mais à l’envers » qui va remonter le temps, jour par jour, jusqu’à l’annonce de l’inéluctable. « La chronologie à rebours constitue d’abord une contrainte que je me fixe pour éviter tout pathos : on connaît la fin puisqu’elle est annoncée dès les premières lignes. Pas de suspense », précise Benoît Fourchard. Une construction dramaturgique originale et troublante, qui implique de « parfaitement peser chaque mot. Les paroles révélées très vite, comme s’il fallait s’en délivrer, ne sont entendues qu’à la fin de la pièce, et, inversement, celles qui devront attendre les ultimes instants de l’agonie sont confiées dès les premières scènes. Ainsi, l’idée est de développer une spirale sans fin, une boucle, un cycle. » La proximité de la mort déclenche au sein de la fratrie l’urgence de libérer la parole. Dans son agonie, la mère se transforme alors en syngué sabour, cette pierre de patience de la mythologie perse qui absorbe tous les secrets et toutes les douleurs. Dire au revoir à celle qui a engendré, c’est aussi l’ultime occasion de

régler des comptes, de laisser surgir des souvenirs trop longtemps enfouis, de se débarrasser du poids des non-dits. « Il y a de la cruauté et de la lâcheté dans ces confessions. Mais aussi, malgré tout, de l’amour, du pardon ou de la rédemption. » L’habileté dramaturgique de Benoît Fourchard ne se contente pas de rembobiner l’histoire, elle place chaque journée – chaque scène – sous le regard exclusif de l’un des trois frères et sœurs, qui y fait entrer les deux autres. « Chaque point de vue en éclaire un autre ou le colore différemment, ou parfois l’annule. Il y a ainsi un tissage des paroles, un entrelacs de vérités, révélations, mensonges, affabulations. » Quant à la mère, le metteur en scène prend un parti osé : celui de faire endosser son rôle… aux spectateurs. Grâce à l’amplification des voix et à la multidiffusion du son dans la salle, le public va entendre les confidences intimes des enfants comme s’il était dans la tête de la mère. L’espace sonore tient une place essentielle dans ce spectacle hors norme, “sculpté” en live par les musiciens Antoine Arlot et Gabriel Fabing, qui voient leur travail comme une « manipulation subliminale des esprits par la physique du son ». Une musique « vecteur de sens et d’impressions », personnage à part entière qui creuse la profondeur des mots. Poly 171 Octobre 14

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une quête de l’extase Dans le cadre du Luxembourg Festival, le Grand-Duché accueille Riccardo Muti, une des meilleures baguettes de la planète, à la tête de la phalange dont il est directeur musical, le Chicago Symphony Orchestra.

Par Hervé Lévy Photos de Todd Rosenberg

À Luxembourg, à La Philharmonie, mardi 21 octobre +352 (0)26 32 26 32 www.philharmonie.lu www.luxembourgfestival.lu

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L

e programme imaginé par Riccardo Muti, un des derniers géants de la direction d’orchestre, débute par un étonnant diptyque composé de La Tempête de Tchaïkovski (1873) et de La Mer de Debussy (1905). Inspiré de Shakespeare, le poème symphonique du premier nous entraîne sur des flots déchainés tandis que les trois esquisses symphoniques du second sont un voyage impressionniste marqué par de subtils et poétiques jeux de vagues. Après ces variations sur la nature, place sera faite à la Symphonie n°3 “Le divin Poème” de Scriabine (1905), page à l’inspiration wagnérienne où se devine la vision mystique aux influences théosophiques d’un compositeur qui écrivait : « Je vous appelle à la vie, forces mystérieuses / Noyées dans les profondeurs obscures de l’esprit créateur / Craintives ébauches de la vie / À vous j’apporte l’audace. » Voilà une partition irradiante structurée en trois parties dont les titres, Luttes, Voluptés et Jeu divin, ressemblent à un programme décrivant les circonvolutions de l’âme humaine évoluant vers une union extatique avec l’infini du cosmos. Dans ce concert, on découvrira le lien puissant unissant le chef italien au compositeur russe dont il a livré, il y a quelques années, une intégrale symphonique de référence, rigoureuse et voluptueuse à la fois, au pupitre du Philadelphia Orchestra.

feu d’artifice Depuis 2007, la rentrée culturelle grandducale ressemble à un tourbillon sonore et visuel : au cours du Luxembourg Festival se mêlent en effet opéra, musique, théâtre et danse. Dans le cru 2014 de la manifestation, remarquons une attendue production de Il Turco in Italia de Rossini (06 & 08/11 au Grand Théâtre) ou Badke, chorégraphie des ballets C de la B qui nous parle du Proche Orient (14 & 15/10 au Grand Théâtre). Parmi les stars du classique qui feront le voyage, citons Mariss Jansons et le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks pour une version concertante de La Dame de Pique de Tchaïkovski (16/10 à La Philharmonie) ou le pianiste virtuose Grigory Sokolov dans un récital Chopin (09/11 à La Philharmonie). À Luxembourg, à La Philharmonie, au Grand Théâtre et au Théâtre des Capucins, du 14 octobre au 25 novembre www.luxembourgfestival.lu



CLASSIQUE

commedia dell’arte Entre références à la tradition italienne et esthétique musicale néo-classique, Pulcinella de Stravinski déploie ses charmes méditerranéens sous la baguette de Marko Letonja, dans une mise en scène de Julie Brochen.

Par Hervé Lévy Croquis des costumes par Lorenzo Albani

À Strasbourg, au TNS, du 11 au 18 octobre 03 88 24 88 24 www.tns.fr 03 69 06 37 06 www.philharmonique. strasbourg.eu

Rencontre avec les artistes à l’issue de la représentation mercredi 15 octobre Des concerts éducatifs réservés aux scolaires sont également organisés du 13 au 17 octobre à 10h. Des places sont encore disponibles pour des classes auprès du TNS ou de l’OPS

C

ette production de Pulcinella (Polichinelle en VF) est l’exemple réussi de la collaboration entre différentes institutions culturelles strasbourgeoises chère à Marko Letonja, directeur musical de l’OPS qui s’efforce de multiplier passerelles et projets communs. Avec la complicité des jeunes chanteurs de l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin, l’Orchestre s’est associé au TNS pour présenter le ballet de Stravinski mis en scène par l’ancienne directrice de l’endroit, Julie Brochen qui définit ainsi le personnage : « Dans la mythologie grecque, Pulcinella descend de Protée et de Pan. Du premier, il a hérité le don de changer à loisir de forme et de visage. Du second, il a hérité son lien avec la nature. Il est à la fois l’œuf et le poussin, la boucle parfaite et qui pourtant n’est jamais que l’esquisse de lui-même et de tous les possibles. Il est tout ce qui est en nous : homme, femme, animal… Dès qu’on pense le cerner, il se transforme, évolue, se multiplie. Bref, il est à la fois très “codifié” – dans sa représentation masquée traditionnelle – et insaisissable. » Sur le plan musical, la partition de 1920 (commandée par les Ballets russes de Diaghilev) peut être considérée comme une “version latine” de Petrouchka. Se servant de certaines œuvres anciennes (de Pergolèse, principalement), le compositeur russe nous entraîne dans un maelström méditerranéen burlesque et bouffon dans lequel l’auditeur ne connaît guère de répit. Étape importante dans la carrière du créateur, cette page marque un retour vers le néo-classique. Stravinski en parlait en effet ainsi : Pulcinella « fut une découverte du passé, l’épiphanie grâce à laquelle l’ensemble de mon œuvre à venir devint possible. C’était un regard en arrière, certes, la première histoire d’amour dans cette direction-là mais ce fut aussi un regard dans le miroir. »

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CLASSIQUE

derrière la porte sombre Pour sa rentrée, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg propose, dans le cadre du festival Musica, une version concertante d’anthologie du Château de Barbe-Bleue, unique opéra de Bartók.

Par Hervé Lévy Portrait de Nina Stemme signé Tanja Niemann À Strasbourg, au Palais de la Musique et des Congrès, mercredi 8 et jeudi 9 octobre 03 69 06 37 06 www.philharmonique. strasbourg.eu 03 88 23 47 23 www.festivalmusica.org

M

arko Letonja a construit ce programme comme s’il imaginait un voyage intérieur, ouvrant la soirée avec une œuvre récente de Pascal Dusapin, Morning in Long Island (2010). Dans cette page atmosphérique le compositeur natif de Nancy plonge l’auditeur au cœur d’un pénétrant paysage sonore, comme s’il proposait une errance dans une zone improbable, située entre un matin mouillé marqué par des promesses solaires sur une plage de la côte Est des États-Unis et la plongée dans son esprit. Entre sensations et réminiscences… Quant à Bartók, avec son unique opéra, il nous entraîne, selon le directeur musical de l’OPS, « dans son “château intérieur”. Les couleurs de ces deux excursions sont cependant bien différentes : la lumière naissante de l’aube pour l’une et la profondeur de l’obscurité pour l’autre. » Écrit en 1911, Le Château de Barbe-Bleue est une partition plongée dans le tourbillon de la modernité qui « s’éloigne du postromantisme germanique pour aller vers Debussy et Liszt, faisant une synthèse géniale de l’impressionnisme et de l’expressionnisme

avec des couleurs extraordinaires et variées. Derrière chaque porte qu’ouvre Judith, se trouve en effet un univers sonore autonome et original. » L’histoire est bien connue : tirée du conte de Perrault, elle est celle d’une femme, débarquant dans la forteresse de son nouveau mari, Barbe-Bleue, dont elle est la quatrième épouse. Elle souhaite ouvrir les sept portes de l’immense salle centrale d’une demeure plongée dans l’obscurité. Le duc accepte par amour et l’on sait ce qu’elle trouvera derrière la septième, la seule qu’elle n’avait pas le droit d’ouvrir. Dans une atmosphère musicale où fusionnent influences tirées de Pelléas et Mélisande de Debussy – les deux opéras entretenant une étrange parenté – et sonorités venues de musiques folkloriques d’Europe centrale se déploient les charmes d’une œuvre chantée par deux interprètes exceptionnels, à Strasbourg. On retrouve en effet la basse allemande Franz Hawlata et la soprano suédoise Nina Stemme. Wagnérienne au sommet de son art, celle qui est incontestablement la plus grande Isolde de la planète, fera ses débuts dans Le Château de Barbe-Bleue. Découvrir cette voix irradiante, puissante et solaire dans le rôle de Judith est un événement en soi. Poly 171 Octobre 14

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MAISONS D’OPÉRA

war and love Avec Un Amour en guerre, c’est une création mondiale que propose l’OpéraThéâtre de Metz Métropole. Sur un livret de Patrick Poivre d’Arvor, se déploie une love story sur fond de Première Guerre mondiale. Par Hervé Lévy Maquette du décor de Valentina Bressan

À Metz, à l’Opéra-Théâtre, vendredi 24 et dimanche 26 octobre 03 87 15 60 60 www.opera.metzmetropole.fr

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E

xit le Journal de 20h de TF1 depuis 2008. Seul son avatar guignolesque officie désormais sur Canal +. Patrick Poivre d’Arvor laisse désormais libre cours à son amour de l’opéra, un art pour lequel il a eu le « coup de foudre » à 18 ans, alors qu’il parcourait l’Europe en stop : « J’étais à Prague, devant le théâtre où avait été créé Don Giovanni, en 1787. On jouait le chefd’œuvre de Mozart ce soir-là. J’ai pris le billet le moins cher, tout là-haut au poulailler. Je ne connaissais pas cet univers. Et ce fut le choc… » Depuis, celui qui avoue une passion pour le bel canto arpente les maisons d'opéra, devenant aussi metteur en scène, une casquette qu’il va reprendre (en compagnie de Manon Savary, duo auquel on doit déjà une Carmen et un Don Giovanni) pour Un Amour en guerre, dont il a aussi écrit le livret. L’histoire ? Une love story en 1917 entre un valeureux poilu, (sur)vivant dans les tranchées de première ligne et sa fiancée incarnée par l’exquise Nathalie Manfrino (que PPDA avait découvert à Metz dans La Traviata, en 2013). Dans l’ombre, évolue le méchant de l’histoire, un “embusqué”. Sur un plateau fluide, où la mansarde de la belle voisine avec

les tranchées se déploie un opéra à la mémoire « de tous ceux qui sont tombés pendant la Grande guerre. Pour moi, l’oubli est ce qu’il y a de pire… » La partition a été écrite par Caroline Glory, « profondément émue, lorsqu’elle était enfant, de voir tous ces noms d’hommes sur les monuments aux morts. Je m’étais jurée de leur rendre hommage un jour. J’avais aussi envie de parler de la souffrance des femmes, à l’arrière, de la peur que leur amour ne revienne pas, irrémédiablement broyé par la guerre. » Plus connue comme violoncelliste (fondatrice du Quatuor Salieri), la musicienne compose « depuis toujours ». Ses maîtres sont principalement italiens et se nomment Verdi ou Puccini… On le découvre dans une partition qui fait également quelques clins d’œil aux esthétiques sonores des années de guerre : chanson emblématique des poilus, La Madelon, est ainsi discrètement citée dans la partition. Son objectif ? « Que les spectateurs sortent de la salle avec deux ou trois airs dans la tête et qu’ils les chantent sur le chemin du retour. » Chiche ?


le mur

Opéra hybride mêlant musique, acrobatie et vidéo, Daral Shaga confronte le spectateur à la situation tragique des migrants bloqués dans l’antichambre de l’Europe, face à une barrière menaçante. Par Raphaël Zimmermann Photo de Hubert Amiel

À Besançon, au Théâtre, du 7 au 9 octobre 03 81 87 85 85 www.lesdeuxscenes.fr À Strasbourg, au MaillonWacken, du 4 au 6 décembre (surtitré en allemand) 03 88 27 61 81 www.maillon.eu

www.feriamusica.org

1 Compositeur, pianiste et improvisateur – www.krisdefoort.com 2 Écrivain également lauréat du prix Goncourt des lycéens avec La Mort du Roi Tsongor www.laurent-gaude.com

À qui l’on doit notamment l’excellent Ghost road donné au Maillon, en février 2013. Voir Poly n°155 ou sur www.poly.fr

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L

ampedusa, muraille d’eau sombre où se noient chaque année les espoirs de milliers d’êtres humains. Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles au Maroc hérissées de barbelés et de caméras de surveillance, que tentent d’atteindre les migrants. Au mépris de leurs existences, bien souvent. Ce sont ces frontières d’une “Europe forteresse” qui ont inspiré les protagonistes, concepteurs, chanteurs et acrobates, de Daral Shaga, un “opéra circassien” – pour faire simple – où fusionnent les disciplines, se déployant sur une partition pour trois instrumentistes (violoncelle, clarinette et piano) qui « s’étend de la musique de chambre à l’éclatement orchestral pour créer une musique d’aujourd’hui, nourrie de toute ma mémoire musicale, du baroque au jazz jusqu’à la musique contemporaine, pouvant s’inspirer de sonorités arabisantes et balkanisantes », explique son auteur, Kris Defoort 1. Pour Philippe de Coen, chargé de la “mise en piste”, « le cirque vient chorégraphier l’abandon, la détermination, l’espoir, la désillusion, l’obstination… » Sur un livret de Laurent Gaudé 2 se dessine la figure tutélaire

d’une sorte de « dieu des migrants, appelé Daral Shaga », explique le metteur en scène Fabrice Murgia3, divinité qui va progressivement s’incarner, se confondant avec celui qui n’a pas pu sauter, restant du mauvais côté. « Tous nos voyages / Tous nos efforts / Nous mèneront à ce point / La grille / Qui ne laisse passer personne sans le saigner » écrit le Goncourt 2004 (pour Le Soleil des Scorta). Le spectacle se construit autour de cette barrière angoissante et lugubre, percée de rares passages, qui avance inexorablement, inhumaine. « S’opposent la violence du mur et la douceur et l’humanité des relations entre les différents personnages. Une simple question se pose alors : pourquoi puis-je me rendre au Sud du monde sans que la réciproque soit possible ? » demande le metteur en scène. Réflexion sur le rêve et la réalité, Daral Shaga est une œuvre d’art totale – épousant curieusement la vision wagnérienne de Gesamtkunstwerk – construite autour de plusieurs personnages et d’un chœur qui narrent le voyage, la traversée, la perte de l’identité.

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rio ensemble De belles ritournelles, des love songs et des hymnes raëliens. Une apparition sur le plateau de l’Eurovision, des Pépitos bleus, de l’amour, de la violence… Aujourd’hui, Sébastien Tellier explore son enfance qu’il transpose au Brésil le temps d’une Aventura sous forme d’autofiction fantasmée. Entretien vérité. 44

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SAMBA POP

Vous arrive-t-il d’écouter vos propres disques ? Non, je n’écoute jamais mes morceaux, car je ne remarque que les défauts. De la même manière, je ne regarde pas les photos de moi… même si ça flatte mon ego que de me voir en couverture des magazines. Vous pourriez pourtant avoir envie de vous réfugier dans vos chansons qui ont un côté madeleine, voire doudou… Oui, c’est vrai, j’ai toujours eu envie de faire une musique de “maman”, qui rassure, reliée à mon passé, ambiancée par ce qu’a vécu ma génération. Je vais sembler passéiste mais, même si j’adore Daft Punk, Phoenix, Justice, Jay-Z ou Beyoncé, la musique de mon cœur est celle des années 1970. Mes morceaux sont des puzzles de souvenirs de cette décennie, mais recréés de manière à exprimer des sentiments d’aujourd’hui. J’ai grandi à CergyPontoise, en banlieue où ça n’a pas été tous les jours la fête, et la musique a toujours été un cocon. Il n’y a pas longtemps, j’ai acheté un tipi à mon fils qui adore s’y cacher : pour moi, la musique, c’est ça ! Écouter mes disques ne me rassure absolument pas, mais j’espère qu’ils font un “effet maman” aux autres.

On a tout de même l’impression que l’enfance est un paradis perdu pour vous… Ça m’obsède, je n’arrive pas à m’en détacher, j’en suis prisonnier, sans doute parce que j’ai vécu une enfance banale dans une banlieue pourrie. Il y avait des arbres, mais qu’on venait de planter et qui poussaient avec des tuteurs en plastique… Toutes les maisons étaient les mêmes sur des kilomètres. J’ai grandi dans un lieu sans charme et je cours sans cesse après quelque chose que je n’avais pas étant petit. C’est pour ça que vous vous êtes inventé une jeunesse passée sous le soleil brésilien avec votre dernier album, L’Aventura ? De Gaulle a dit que le Brésil n’était pas un pays sérieux. Ça, c’est chouette : cette phrase m’interpelle car je fuis le sérieux. Rien de plus ennuyeux que des gens, comme les vendeurs de chez Darty ou les concessionnaires automobile, qui essayent d’être dans un théâtre du sérieux. Le Brésil est un pays qui a du potentiel – il regorge de splendeurs, de plaisirs, de belles femmes, de magnifiques musiques… –, mais il restera éternellement enfantin. Voilà pourquoi je l’ai choisi pour cet album en

Par Emmanuel Dosda Photos de Ludovic Carême

À Strasbourg, à La Laiterie, mercredi 8 octobre 03 88 237 237 www.artefact.org À Nancy, au Chapiteau, dans le cadre du festival Nancy Jazz Pulsations (du 8 au 18 octobre, avec Gilberto Gil, Lee Fields, Richard Galliano…), jeudi 9 octobre 03 83 35 40 86 www.nancyjazzpulsations.com

Dernier album, L’Aventura, édité par Record Makers www.recordmakers.com www.sebastientellier.com

Titre du premier album de Sébastien Tellier, paru en 2001

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Envisageriez-vous d’écrire pour les enfants, comme l’a fait François de Roubaix, compositeur du générique de Chapi Chapo que vous appréciez ? Ne faire que ça, comme Henri Dès ou Dorothée, sûrement pas, mais composer pour les petits, oui. Non pas parce qu’ils ont des grosses joues et qu’on a envie de les croquer, mais parce qu’ils ressentent les choses plus qu’ils ne les pensent, qu’ils appréhendent la musique sans cynisme. C’est le public rêvé ! Vous êtes sorti de l’enfance ? Je vis pleinement les étapes de la vie, à 100%. Enfant, j’étais très gamin, puis je suis devenu un ado rebelle et autodestructeur avant d’être un trentenaire hipster qui buvait du vin… À l’approche de la quarantaine, j’ai envie de repartir d’un nouveau pied et de rafraîchir mon esprit. J’ai arrêté la drogue et je sors de cure de désintox : je fumais une vingtaine de joints par jour et ça me tapait sur le système. Je suis face à mon destin, il faut que je sois un adulte ! Je ne peux plus me contenter de manger des pizzas devant des séries télé. Aujourd’hui, j’aurais par exemple plus tendance à choisir une guitare Gibson un peu jazz plutôt qu’une Fender Mustang. Poly 171 Octobre 14

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SAMBA POP

Écouter mes disques ne me rassure absolument pas, mais j’espère qu’ils font un “effet maman” aux autres

À vos débuts, vous vous produisiez sur scène dans une configuration minimaliste : vous sembliez vulnérable et une certaine beauté en émanait. N’avezvous plus envie de vous présenter sans fard et dire L’Incroyable vérité* ? La tournée de My God is blue, mon précédent album, était une immense mise en scène d’un messie bleu qui arriverait sur terre… Actuellement, je suis dans une autre logique. Fini la mascarade ! À l’âge adulte, il faut assumer ses forces et ses faiblesses, alors je vais même me permettre de chanter a cappella. La chanson à nu, la mélodie, le texte, sans les accords… C’est encore plus simple que mes premières formules. Regarder quelqu’un s’exprimer avec sa voix, tout seul, comme Piaf qui chantait dans la rue, c’est quelque chose d’une grande intensité. Bien sûr, je ne ferai pas une heure et demie dans cette configuration, ça serait très lassant.

© Ludovic Carême

Vous allez baisser vos lunettes noires ? Non, par contre j’arrête les vestes à franges et les toges. Je reviens avec un personnage plus accessible car j’en ai marre d’être pris pour un horrible connard ! Je suis quelqu’un de doux, de sympa, de généreux… et mon vrai visage plaira davantage que lorsque je

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me maquillais. À une époque, par exemple, je détestais Bénabar et Biolay, mais en m’acceptant, j’ai appris à accepter les autres. L’amour de soi et de l’autre, ça va ensemble. Chaque album tourne autour d’un thème : la politique, la sexualité, la spiritualité, l’enfance… Allez-vous continuer à vous emparer de concepts ? Je vais plutôt m’intéresser à des détails de la vie. Par exemple, lorsqu’on arrive en vacances à Biarritz avec ses vêtements de citadin et que tous les estivants sont en maillot de bain, bronzés, pleins de crème solaire : il y a un décalage entre nous et ceux qui sont déjà dans la fête et la chaleur de l’été. C’est une petite sensation qui me semble plus importante que les grands concepts. Tous vos albums ont une dominante chromatique. Quelle est celle de L’Aventura ? Orange, comme un coucher de soleil. Les immeubles sont affreux à Rio, on dirait des HLM des années 1970, mais il y a ce coucher de soleil qui fait que la ville est magique ! Quelle est votre définition de la Dolce Vita ? C’est ne pas être dans la boîte de nuit, mais à proximité : on entend les verres se fracasser, le rythme qui passe au travers des murs, mais on est juste à côté. J’habite à Montmartre, un quartier très poétique, mais légèrement excentré : c’est la Dolce Vita.

© Rudá Cabral

trompe-l’œil, qui raconte l’inverse de ce que j’ai vécu. [Sébastien Tellier se met à chanter] « Sous le soleil et la lune, il peint le bonheur des siens… » : ces paroles évoquent quelque chose de joyeux, mais en fait je hurle la médiocrité de ma jeunesse. Sauf qu’au lieu de faire un disque bourré de haine, j’ai décidé d’offrir quelque chose de beau.


MUSIQUE

Original Folks © Christophe Urbain

Marxer © Paul-Henri Rougier

notes capiteuses

Membre de la galaxie strasbourgeoise Herzfeld, Franck Marxer s’émancipe, monte sa propre structure – Rival Colonia – et s’offre une release party à La Laiterie pour fêter la sortie de son disque et celui d’Original Folks.

Par Emmanuel Dosda

À Strasbourg, à La Laiterie, jeudi 23 octobre 03 88 537 237 www.artefact.org Marxer, à Colmar, à La Libellule, samedi 15 novembre www.hiero.fr

Original Folks, We’re all set (album, sortie le 14 octobre, version vinyle éditée par Médiapop www.mediapop.fr)

Marxer, But the vision soon faded (six titres chez Rival Colonia, sortie le 21 octobre, version vinyle éditée par Médiapop) www.rivalcolonia.com

U

ne poignée d’artistes de chez Herzfeld ont désormais pris leur envol… « C’est une belle aventure », assuret-on du côté du label strasbourgeois abritant Thomas Joseph, Electric Electric ou A Second of June. « La création d’un nouveau label permet de doubler le potentiel de sorties », précise Franck, boss de Rival Colonia, appellation émanant du site Band name maker, « un générateur de noms de groupes, pour les fainéants, où j’ai entré le mot Colonia que j’avais lu sur un flacon de parfum italien ». Le groupe Marxer (Franck, Pierre Walter plus des guests) a choisi une photo en noir & blanc, signée Éric Antoine, comme visuel de son six titres : une balançoire, terriblement fixe, sans personne pour la bercer. Une parfaite illustration pour cet EP abordant, en filigrane, le thème de la disparition et où frémissent des souvenirs douloureux. « Ce disque est une sorte d’exorcisme », selon Franck évoquant des morceaux anciens de quelques années qu’il était temps de sortir des tiroirs. Parfois retravaillés, à la beauté brute, ils arborent leurs défauts en étendard. « On y entend des filets de souffle, des pistes de clavier un peu gauches et quelques maladresses, mais ce sont des instantanés d’un moment, ils sont riches de sens. » Sommet émotionnel avec The Golden Way, titre de synthpop mélanco-

lique porté par une voix féminine cristalline, dont l’esthétique ascétique dessine l’avenir de Marxer. « Nous désirons sortir du carcan folk en utilisant des guitares électriques, des synthés assez froids et des boîtes à rythme mêlés à des éléments plus organiques. » Et d’annoncer la sortie prochaine d’un nouvel album… avec un quatuor à cordes. « À partir du son guitare / voix, nous avions ajouté des couches, des instruments, mais les morceaux perdaient de leur impact. Alors on a raclé pour garder l’essentiel, laisser parler les silences, et avons fait appel à un quatuor » afin de souligner le spleen présent dans les compos du duo. Alors que Marxer mute doucement, faisant le pont entre le songwriting de Ron Sexsmith et le minimalisme de XX, Original Folks (groupe conduit par Jacques Speyser) maintient le cap et « creuse son sillon, avec une musique aux arrangements luxuriants à la manière des Beach Boys », d’après Franck, par ailleurs guitariste du groupe. Outre We’re all set d’Original Folks, d’autres sorties Rival Colonia sont programmées : les disques de BangBangCockCock, de Solaris Great Confusion et de quelques jeunes pousses – « des choses toutes neuves, qui n’ont pas encore d’histoire » – dont le label tait le nom pour le moment. Des fragrances inédites titillent déjà nos sens. Poly 171 Octobre 14

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CHANSON

sortir ce soir Étienne Daho a repris la route pour un dense Diskönoir Tour qui suit la sortie des Chansons de l’innocence retrouvée, album où l’éternel jeune homme de la chanson française atteint une sorte de plénitude.

Par Hervé Lévy

À Nancy, Salle Poirel, jeudi 9 octobre www.poirel.nancy.fr À Thionville, au Théâtre, vendredi 10 octobre www.theatre-thionville.fr À Sausheim, à l’ED&N, samedi 11 octobre www.eden-sausheim.com À Esch-sur-Alzette, à la Rockhal, vendredi 17 octobre www.rockhal.lu À Strasbourg, à La Laiterie, samedi 18 octobre www.artefact.org www.dahofficial.com

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es années Mitterrand – Mythomane, 1981 – à l’ère Hollande, Étienne Daho promène sa silhouette de dandy sur le fil de la chanson française gardant le cap d’une élégance vocale éthérée et cristallisant certains instants éphémères de nos existences dans des ritournelles qui ont oublié d’être inactuelles. « De cocktails subtils en filles dociles / De discours faciles en regards mobiles / La nuit brille de tous ses feux. » Le songwriter satori nous ramène souvent de salutaire manière à l’impératif de l’insouciance. Dans son dernier opus intitulé Chansons de l’innocence retrouvée – mais quand l’avait-il donc perdue ? – le Rennais rend hommage à William Blake (1757-1827) et ses Songs of Innocence and of Experience, oscillant avec talent entre diamants opaques de sombre mélancolie (renvoyant à un autre Anglais, du XVIIe siècle celui-là, Robert Burton) et légèreté d’une bulle pop s’envolant, moqueuse et frondeuse, dans les nuées bleues de notre adolescence qui n’en finit pas.

En Surface – écrit avec Dominique A – résume la métaphysique élégante d’un Daho désormais apaisé, revendiquant une perpétuelle évanescence, tout en sachant son absolue impossibilité : « Que de temps passé en surface / Je me voulais léger, léger / Du plaisir sans se retourner / Ce plaisir ne m’allégeait pas / La beauté n’avait pas de bras / Je rêvais d’une vie de plumes. » Même si l’hédonisme chic des eighties – concentré dans Paris, le Flore – était déjà mâtiné d’une certaine gravité, celle-ci s’est épanouie, prenant ses aises au fil des ans, intégrant le corpus sonore et textuel “dahoien” jusqu’à les cannibaliser et en constituer un pivot essentiel. Si le mot maturité pouvait avoir un sens avec Étienne Daho, il serait ainsi sans doute celui qui qualifie le mieux ce treizième album que l’on découvrira sur scène au milieu des pépites qui forment la bande-son des trois dernières décennies, iceberg translucide dont Tombé pour la France, Week-end à Rome ou Épaule tatoo ne sont que la pointe émergée et mainstream.


CHANSON

tonnerre de brest Vingt ans après Boire, Miossec se présente sans artifices avec un album qui sent davantage l’air marin que la bière et l’animal. Questions au Finistérien de 50 ans, artiste de première division, un phare (breton) pour de nombreux chanteurs actuels. Par Emmanuel Dosda Photo de Christophe Acker

À Mulhouse, au Noumatrouff, jeudi 9 octobre www.noumatrouff.fr À Schiltigheim, à la Salle des Fêtes, vendredi 10 octobre www.ville-schiltigheim.fr À Nancy, à L’Autre Canal, samedi 15 novembre www.lautrecanalnancy.fr À Fribourg (Suisse), au Fri-Son, jeudi 20 novembre www.fri-son.ch

Ici-bas, ici-même, Pias www.pias.com

Vous considérez-vous comme un artiste mainstream ? Oui, mais je n’utilise pas les bons moyens pour le devenir vraiment. Je ne mettrai jamais de synthés 1980’s dans mes productions uniquement pour être dans l’air du temps. Adolescent, j’adorais Wire et Gang of Four et je faisais partie d’un groupe, Printemps noir, qui a écrit un vrai tube, Les yeux de Laura, mais il nous a été volé par des collègues brestois (Goûts de luxe, NDLR). Le morceau est devenu numéro 2 au top 50 et toute la France dansait dessus. On n’a pas touché un sou… Sale coup… Non, c’est la pire damnation que de devenir riche à 17 balais. Je n’aurais plus eu à me battre ! Lorsque sur Boire (1995) vous repreniez La Fille à qui je pense d’Hallyday, imaginiez-vous devenir son parolier quelques années plus tard ? Pas un centième de millième de seconde. Plutôt que de faire une reprise d’un obscur groupe que j’aimais, j’ai choisi Johnny : c’était le truc à ne pas faire pour son premier disque. Ben je l’ai fait… « Qui nous aime ici-bas ? Goûtez-vous

les tourments ? Où sont passés nos rêves ? Sur quel pied va-t-on danser ? » Vous posez beaucoup de questions sur votre nouvel album… Si je me laissais aller, il n’y aurait que des questions dans mes chansons. L’idée est de poser le problème, pas d’apporter de réponse. Je n’ai pas cette prétention. Il y a même un morceau prenant la forme d’un questionnaire, Répondez par oui ou par non, signé Sophie Calle… Je l’ai rencontrée quand je travaillais avec Stephan Eicher sur son dernier disque et on a fait un “atelier chanson” dont est issu ce titre. C’est important qu’un album ne ressemble pas à un long monologue. Ça fait du bien de mettre de l’air. C’est un album apaisé, qui respire… Je dois habiter l’endroit le plus aéré de France, avec un vent de 160 km/h sur la terrasse cet hiver ! Ici-bas, ici-même s’est fait hors du monde, de façon déconnectée. C’est un disque de vieux qui habite dans un endroit à la cool. « C’est pas fini, on vient à peine de commencer », dites-vous en ouverture… J’ai envie d’en découdre : j’ai encore plein de chansons à écrire ! Poly 171 Octobre 14

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Counter-Memories 2, 2014 (Guerriers, frise du temple d’Aphaïa, Égine, 500-480 av. J.-C, Glyptothèque de Munich / Isle of Wight festival, 1969)

corps à corps Enseignante à l’École nationale supérieure d’Art de Nancy, Brigitte Zieger présente ses dernières créations à Paris, de gigantesques “images sculptées” confrontant les corps corsetés de l’Antiquité à ceux, libérés, des années hippies. Par Hervé Lévy

À Paris, à la Galerie Odile Ouizeman, jusqu’au 31 octobre 01 42 71 91 89 www.galerieouizeman.com

www.brigittezieger.com

Voir Poly n°164 dont Brigitte Zieger avait fait la couverture à l’occasion de l’exposition Métamatic Reloaded du Musée Tinguely de Bâle ou sur www.poly.fr

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a galerie est peuplée d’immenses images représentant d’étranges monuments. Au premier regard, ces formes humaines évoquent d’improbables découvertes archéologiques, même si elles possèdent un aspect paradoxalement familier. La série Counter Memories de Brigitte Zieger est en effet un hybride, fruit d’un violent télescopage esthétique et temporel entre l’Antiquité et la fin des années 1960, une « mise sous tension entre deux opposés », pour l’artiste qui a photographié sculptures ou bas-reliefs grecs et latins dans les musées, n’en conservant que les silhouettes évidées grâce à un découpage numérique. Dans l’espace rendu vide de la feuille, elle a incrusté les corps et les visages de jeunes hommes et femmes pris lors de festivals de musique, donnant à l’ensemble un effet de relief métallo-pierreux de nature à prolonger le jeu entre 2D et 3D qu’affectionne la plasticienne dans ses œuvres*. Sont ici confrontés « la violence guerrière et le hiératisme des corps, l’Antiquité – les

racines de l’Occident – et l’atmosphère qui régnait dans les années 1967 / 1970, où les corps étaient les vecteurs, même de manière inconsciente, d’une véritable vision politique. C’est en effet, à mon avis, la seule période de l’histoire où les gens se projetaient dans un futur merveilleux, où l’élan vers l’utopie était réel et sincère. » Dans ces images sculptées aux résonance éminemment politiques, la joie de vivre extatique du Flower power s’oppose aux guerriers qu’on dirait échappés de la frise d’un quelconque temple dorique, illustrant avec force la (re)lecture artistique de l’histoire à laquelle se livre Brigitte Zieger depuis des années en redonnant une place plus importante aux femmes. Les mâles combattants grecs ou romains, incarnations évidentes d’une phallocratie ancestrale (dont l’ombre plane encore sur nos sociétés pour une artiste qui ne cesse de la dénoncer), semblent en effet se vider de leur substance, celle-ci se voyant remplacée par la coolitude des danseurs de Woodstock ou de l’île de Wight.


Susanna Fritscher, maquette pour la réalisation de l’exposition Promenade Blanche/ Weisse Reise au Frac FrancheComté, 2013 © Susanna Fritscher, Laurent Tessier

la délicatesse Le Frac Franche-Comté invite simultanément Susanna Fritscher et JeanChristophe Norman afin d’initier un dialogue entre deux artistes déambulateurs le temps d’une double exposition : Promenade blanche / Weisse Reise et Biographie. Une exquise invitation à l’errance. Par Emmanuel Dosda

À Besançon au Frac FrancheComté, du 18 octobre au 25 janvier 03 81 87 87 60 www.frac-franche-comte.fr

Où Ryoji Ikeda exposa son test pattern [n°4], lire Poly n°160 ou sur www.poly.fr

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L

a plasticienne d’origine autrichienne Susanna Fritscher et le bisontin JeanChristophe Norman sont des héros très discrets, des artistes réalisant des interventions subtiles, parfois invisibles ou presque. Tous deux investissent des lieux publics : Fritscher, des chapelles ou des bâtiments publics, Norman, des rues de métropoles du monde (Istanbul, Berlin, New York…). La notion de déplacement est primordiale. Selon Sylvie Zavatta, directrice du Frac, ils accordent une grande importance à l’espace : « L’une entre en dialogue avec l’architecture, tandis que l’autre est un arpenteur. Leurs démarches sont différentes, mais ils ont des préoccupations communes, par exemple dans la relation au corps : Suzanna propose de nous immerger dans des environnements et de faire obstacle à notre marche, tandis que Jean-Christophe parcourt le monde, notamment pour recopier des textes sur les mur des cités (À la recherche du temps perdu de Proust, par exemple). Dans les deux cas, il y a une dimension physique. » Au rez-de-chaussée * , Susanna Fritscher invite le visiteur à une Promenade blanche, à se perdre dans les méandres d’une œuvre immersive où un « brouillage s’opère dans notre perception de l’espace. On y pénètre en frôlant des films transparents (comme des

drapés qui pendent, NDLR) générant un son sourd, tel un orage lointain. On a l’impression d’entrer dans quelque chose de vaporeux, un brouillard. » Une pièce révélatrice de la démarche d’une plasticienne sensible, travaillant souvent à partir de matériaux translucides, sur les reflets, la lumière, le trouble des sens… « L’homme qui se déplace modifie les formes qui l’entourent. » Même si cette citation de Jorge Luis Borges pourrait s’appliquer à Susanna Fritscher, Jean-Christophe Norman la reprend à son compte, basant ses interventions sur de nombreuses déambulations. Cet artiste de la flânerie et du temps qui s’écoule marche notamment dans les villes et inscrit scrupuleusement « le cours du temps, tel qu’il s’affiche sur sa montre digitale ». De ses déplacements, il ramène des vidéos, photos ou peintures et envoie des cartes postales (notamment du Mont Fuji, adressées au Frac), autant de témoignages de ses périples. À Besançon, où sera exposé un large panel de ses travaux, il va recopier un texte (Le Navire de bois de Hans Henny Jahnn) sur un des murs, faisant écho à ses interventions dans les villes, comme Tokyo où cet ancien alpiniste recopia Ulysse de Joyce, sur le sol, à la craie. Un travail de copiste ambitieux, de longue haleine et éphémère, rappelant la fuite inexorable du temps. Poly 171 Octobre 14

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Photo-Graphik-Witting © Bazon Brock © 2014 Hundertwasser Archiv, Wien

un regard

die linie von hamburg par bazon brock Par Hervé Lévy

Beuys Brock Vostell, à Karlsruhe, au ZKM, jusqu’au 9 novembre +49 (0)721 810 00 www.zkm.de

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Pour la première fois, les trois enfants terribles de l’art allemand des années 1950 et 1960, Bazon Brock, Joseph Beuys et Wolf Vostell sont exposés ensemble. Créateurs d’un véritable “tournant performatif” dans l’Histoire de l’Art, ces trois actionnistes ont confronté une RFA mal dénazifiée à son passé immédiat. Dans cette performance intitulée Die Linie von Hamburg – qui fit scandale –, de Brock et Hundertwasser se dévoile une image moins lisse du prince de la ligne courbe dont les constructions aimantent les touristes

béats à Vienne. Pendant deux jours, du 18 au 20 décembre 1959, les murs de l’Atelier 213 de la Hochschule für Bildende Künste de Hambourg ont été recouverts d’une ligne voulue sans fin, une ligne de vie sinueuse, intranquille et irrégulière dont les pulsations s’opposent au caractère rectiligne, à la fois des barbelés des camps du Troisième Reich et des rayures des uniformes des détenus. Du happening considéré comme une manière de dynamiter une société sclérosée par les stigmates du totalitarisme.



un regard

headland #1, torii on the cliff de akiko takizawa

Par Thomas Flagel

Exposition à L’Arsenal de Metz, jusqu’au 26 octobre, avec la seconde lauréate du prix HSBC, Delphine Burtin +33 (0)3 87 39 92 00 www.arsenal-metz.fr

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Avec plusieurs séries intimistes autour de sa maison familiale, située dans les régions reculées du nord du Japon, Akiko Takizawa décroche le Prix HSBC 2014 pour la photographie. Installée à Londres, l’artiste effectue un retour au pays natal à la mort de son grandpère. La noirceur de ses sentiments envahit ses phototypies – procédé rare, produisant des épreuves photographiques non tramées, d’une finesse inégalée, produites dans le dernier

atelier traditionnel de Kyoto – formant la plus belle des illustrations à l’Éloge de l’ombre de Tanizaki. Sa tristesse se love dans les détails émergeant de l’obscurité et les infimes traces laissées par les souvenirs du temps perdu. Les monographies Where we belong d’Akiko Takizawa et Encouble de Delphine Burtin sont éditées chez Actes Sud (20 €) www.actes-sud.fr



EXPOSITION

tête dada Son portrait trône sur les billets de 50 Francs Suisses, pourtant, Sophie Taeuber-Arp reste éclipsée par l’aura de son mari, Hans Arp. Cruelle destinée de l’histoire que corrige avec brio l’Aargauer Kunsthaus avec l’exposition Aujourd’hui c’est demain.

Par Irina Schrag

À Aarau (Suisse), à l’Aargauer Kunsthaus jusqu’au 16 novembre +41 (0)62 835 23 30 www.aargauerkunsthaus.ch

I

l était temps qu’un des plus importants musées helvètes, l’Aargauer Kunsthaus, consacre une exposition de grande envergure à celle qu’on présente bien trop souvent – héritage peu glorieux des représentations machistes de nos sociétés – comme la femme de Hans Arp. Sophie Taeuber fut bien le grand amour du co-fondateur du mouvement dada

et surréaliste actif, mais le patronyme qu’elle accola à son nom de jeune fille ne changea pas cette artiste à part entière en simple assistante de son mari. Ce dernier écrivait d’ailleurs à son sujet, dans Jours effeuillés : poèmes, essais, souvenirs 1920-1965 (Gallimard, 1966), sa fascination pour la production artistique de celle qui devient sa femme en 1922 : « En décembre 1915, j’ai rencontré à Zurich Sophie Taeuber qui s’était affranchie de l’art conventionnel. Déjà en 1915 elle divise la surface de ses aquarelles en carrés et rectangles qu’elle juxtapose de façon horizontale et perpendiculaire. Elle les construit comme un ouvrage de maçonnerie. Les couleurs sont lumineuses, allant du jaune le plus cru au rouge, ou bleu profond. Dans certaines de ses compositions elle introduit à différents plans des figures trapues et massives qui rappellent celles que plus tard elle façonnera en bois tourné. »

L’affranchie

Artiste précoce, Sophie Taeuber-Arp n’a cessé d’arpenter les courants d’avant-garde, délaissant les sujets figuratifs dès 1916 pour fondre en solitaire éclairée sur l’abstraction, parallèlement aux mouvements similaires – passés, eux, à la postérité – naissant en Russie avec Kasimir Malevitch ou aux Pays-Bas avec le raz-de-marée De Stijl de Van Doesburg et Piet Mondrian. Pour concilier sa très respectable activité d’enseignante en dessin textile à l’École d’Arts appliqués, elle doit alors revêtir un masque pour danser au Cabaret Voltaire de Zurich – où naquit le mouvement dada –, ne reculant pas devant les entailles aux bonnes mœurs que constituait sa participation à diverses activités artistiques nocturnes dans ce lieu honni de la bonne société suisse. Ses peintures verticales et horizontales débutées dans les premières années du conflit 56

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mondial déchirant l’Europe impressionnent Hans Arp : Composition verticale horizontale (1917) ou encore Rythmes verticaux-horizontaux libres (1919) sont parmi les toutes premières manifestations de l’art abstrait construit. Les trois cents pièces réunies dans l’exposition permettent d’approcher les diverses phases de son travail, mais surtout sa cohérence temporelle et ses ramifications. Travaillant le tournage du bois et sa peinture, l’artiste crée des sculptures proches des marionnettes (dont on découvre quelques exemples sublimes avec les personnages de König Hirsch : Deramo, 1918) ou plus libres et poétiques comme la Tête dada. Portrait de Jean Arp (1918) aux accointances avec Constantin Brancusi dont on retrouve un même amour des socles géométriques, des matières polies et courbes oblongues.

La chapelle Sixtine de l’Art moderne

Le couple Arp s’installe à Montmartre en 1925 où ils fréquentent Mirò, Magritte, Tristan Tzara. Sophie Taeuber-Arp est en pleine période de compositions figuratives géométriques, gorgées de couleurs à l’image des Taches quadrangulaires évoquant un groupe

de personnages ou de Composition en taches quadrangulaires, polychromes, denses. Un an plus tard, Sophie et Jean rejoignent Strasbourg pour y régler des problèmes administratifs. À l’invitation de Theo van Doesburg, chargé de rénover L’Aubette, édifice plusieurs fois endommagé et destiné à devenir un vaste complexe dédié aux loisirs, les deux artistes tout juste naturalisés transforment les lieux en suivant les préceptes défendus par le fondateur du mouvement De Stijl. L’œuvre est d’une telle beauté plastique qu’elle se voit comparée au chef-d’œuvre de la Renaissance signé Michel-Ange dans une expression qui fera date et la fierté, jamais démentie, de la capitale alsacienne : L’Aubette est “la chapelle Sixtine de l’Art moderne”. Dans les années 1930, son travail plastique se tourne vers le constructivisme dont témoignent de nombreuses œuvres sur tissu, bijoux ou encore sur papier dans lesquelles trônent en maître ses recherches sur la ligne et les formes (carrés, ronds…). Sophie Taeuber-Arp s’éteindra en Suisse en 1943, intoxiquée au monoxyde de carbone dans la maison de son ami, architecte et artiste, Max Bill. Il aura fallu plus 70 ans pour réactiver sa légende…

Légendes À gauche, Sophie Taeuber-Arp, Taches quadrangulaires évoquant groupe de personnages, 1920 © Aargauer Kunsthaus Aarau / Depositum aus Privatbesitz Ci-dessus, Sophie Taeuber-Arp, Entwurf für ein Kostüm (Nr. 60), um 1922. Arp Museum Bahnhof Rolandseck (LS 320) © Mick Vincenz

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presque Sculptures, peintures, aquarelles et vidéos : à La Kunsthalle de Mulhouse, sept artistes affirment qu’Il s’en est fallu de peu s’attaquant à des histoires qui promettaient initialement… mais se sont achevées en ratages. Par Hervé Lévy Œuvre de Martine Feipel et Jean Bechameil, Façade sud, 2014 © Anne Greuzat

À Mulhouse, à La Kunsthalle, jusqu’au 16 novembre 03 69 77 66 47 www.kunsthallemulhouse.com

Conférence sur “Les grands ensembles en France : du rêve au cauchemar ”de Maurice Blanc suivie d’une rencontre avec les artistes Martine Feipel et Jean Bechameil, jeudi 16 octobre à 18h30 à La Kunsthalle, en partenariat avec les Journées de l’Architecture www.ja-at.eu

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irectrice de la Kunsthalle de Mulhouse, Sandrine Wymann a imaginé une exposition passionnante, dont l’essence est tout entière contenue dans le titre : Il s’en est fallu de peu. Les sept artistes qu’elle a rassemblés se sont emparés de projets ou d’idées « qui en sont venus à symboliser des échecs, alors qu’au départ, ils étaient symboles d’espoir ». Il s’agit ainsi à la fois d’un regard posé a posteriori sur l’Histoire – « une manière de la prendre à rebrousse poil » – et d’une réflexion sur les causes qui ont présidé à certains événements marquants. Un des plus beaux exemples de ces ratages ? Les grands ensembles construits en France, dans les années 1960, aujourd’hui abattus les uns après les autres. Le couple de plasticiens Martine Feipel et Jean Bechameil présente trois bas-reliefs : les deux premiers sont des vues (Nord et Sud) d’une gigantesque barre de logements, tandis que le troisième évoque sa déréliction / destruction. Un homme courant dans les ruines d’un parc d’attractions qui n’a jamais vu le jour (dans une vidéo d’Hassan Darsi), une sculpture

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de briques de Vincent Ganivet – véritable condensé du propos de l’exposition – manifestant l’improbable point d’équilibre / déséquilibre où le visiteur ne sait plus si l’édifice va tenir ou irrémédiablement s’effondrer… Toutes les œuvres rassemblées surfent sur ces “fausses routes” dont s’est emparé avec génie le serial-aquarelliste Radenko Milak. Il accroche, dans une fantastique accumulation, 27 œuvres en noir et blanc spécialement réalisées pour l’occasion, proposant un singulier voyage dans le XXe siècle : l’arrivée de Tito à la tête de la Yougoslavie, une jeune fille brandissant un drapeau français en Mai 68, un portrait de Patrice Lumumba, une vue spectrale du bateau d’Ernest Shackleton qui voulut être le premier à traverser le continent antarctique en 1914, mais dont l’esquif demeura prisonnier des glaces… L’artiste s’empare d’une photo trouvée sur Internet, puis la réinterprète avec son pinceau. Ainsi L’Endurance, voilier du malheureux explorateur irlandais, se métamorphose-t-il en une sorte de Vaisseau fantôme, son capitaine et ses marins malheureux semblant condamnés à hanter à jamais les limbes de l’Histoire.



GASTRONOMIE

étoile des neiges Avec une Étoile au Guide Michelin depuis 35 ans, Les Bas Rupts est une des plus belles adresses de Lorraine. Visite à Gérardmer dans le royaume de Michel Philippe et Jérôme Badonnel qui écrivent la saga de la maison à quatre mains.

Par Hervé Lévy

Les Bas Rupts, 181 route de La Bresse à Gérardmer. Ouvert tous les jours. Menus de 35 € (le midi, du lundi au vendredi) à 98 € 03 29 63 09 25 www.bas-rupts.com

L’

endroit est féérique. C’est un chalet de bois perché sur les hauteurs, décoré avec une élégance chaleureuse où éclatent les couleurs des toiles de Roger Mühl, fascinantes échappées aux allures expressionnistes sur la forêt vosgienne. Âme du lieu et cuisinier de métier, Michel Philippe est l’artisan du succès des Bas Rupts : classement Relais & Châteaux, obtention de l’Étoile et embellissements successifs de l’hôtel aujourd’hui métamorphosé en luxueux cocon. Depuis 2006, il a laissé les commandes du piano à un jeune trentenaire Jérôme Badonnel, un autre enfant du pays passé par de prestigieux établissements comme le Château d’Adoménil à Lunéville. S’ils conçoivent ensemble la carte c’est désormais ce dernier qui œuvre, dans un esprit « d’authenticité et de simplicité ».

Pas une once d’esbroufe n’habite en effet la carte des Bas Rupts où le terroir est respecté et magnifié (se voyant apporter, ici où là, quelques discrètes touches de contemporanéité), comme dans une sublime Cas60

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serolette d’escargots à la crème d’oseille, un classique proposé depuis de longues années où les textures et les goûts forment une ronde enchantée, et dans de frémissantes Tripes au Riesling à la crème et moutarde possédant une personnalité affirmée et un équilibre sûr. Autres ravissements, un sublime et automnal Suprême de pigeon rôti, cuisse confite et en burger, sauce aux Griottines de Fougerolles ou un léger et joyeux Lieu de ligne cuit à la vapeur douce, pesto de coriandre, douce symphonie gustative et graphique rappelant que Jérôme Badonnel a passé quelques années à Calvi. Pour finir en douceur cette randonnée gastronomique vosgienne, on se laissera porter par de sublimes et géométriques Ruches au miel de montagne, crème à la vanille ou un efficace Moelleux au chocolat au cœur de Guanaja, sorbet framboise, œuvres délicates du pâtissier Thierry Mauffrey – plus de trente ans de maison – qui façonne et cuit également tous les pains, parmi les meilleurs qu’il nous ait été donnés de goûter, servis sur les tables des Bas Rupts.



GASTRONOscope

peur du noir ? Le Black&Wine, nouveau bar à vins strasbourgeois, offre une sélection de nectars frais ou charpentés dans un cadre feutré. Conversation avec Jérôme Anna, « chef d’orchestre » du lieu, devant un Chardonnay sec, calé dans une chaise Bouroullec*. Par Emmanuel Dosda Photos de Naohiro Ninomiya

Black&Wine 9 rue Hannong à Strasbourg 03 88 32 21 67 www.blackandwinebar.com

Le Black&Wine n’est pas réservé qu’aux clients de l’Hôtel Hannong auquel il est adjoint. Une manière de vous ouvrir aux Strasbourgeois ? Exactement, mon arrière-grand-père a créé l’établissement en 1920 : il est lié à l’histoire de la ville. Avec le Black&Wine, notre ambition est non seulement d’offrir un lieu de vie au sein de l’hôtel, mais aussi et surtout de nous adresser aux habitants de Strasbourg en leur offrant un bar à vins de référence. Vous avez misé sur un cadre très contemporain : boiseries peintes en noir, suspensions signées Tom Dixon, tables en chêne brut, chaises Osso des frères Bouroullec… Le décor, datant d’il y a plus de 30 ans, avait un côté rustique, presque “chalet suisse”… Nous l’avons transformé afin de créer une ambiance élégante. On a trop souvent peur du noir, mais associé au bois clair et avec une belle lumière, nous obtenons un heureux mariage pour une atmosphère intimiste. Nous avons également accordé une place importante au vin, notamment présent grâce au mur de bouteilles à l’entrée.

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Lire Poly n°144 ou sur www.poly.fr

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Pourquoi le vin ? C’est un merveilleux produit : il n’y a rien de

plus convivial que de se retrouver autour d’un bon verre. Ayant la chance d’avoir d’excellents vignerons dans le coin, Lucas Rieffel par exemple, nous jouons la carte de l’Alsace, tout en présentant des cépages d’autres régions, voire d’autres pays. C’est important de surprendre nos clients, de leur proposer des vins “de découverte” qui vont tourner, chaque mois. Vous n’avez pas une, mais deux sommelières : Manon et Christine. L’une est plutôt blanc et l’autre rouge ? Non, par contre ces deux passionnées se complètent bien. Elles sélectionnent des vins originaux, atypiques, qui expriment leur terroir et ont quelque chose à dire. Manon et Christine parviennent à harmoniser leurs choix par rapport à nos tartes fines chaudes maison et nos ardoises de fromages ou de charcuteries, comme le Cinco Jotas, jambon préféré du roi d’Espagne ! Nous organisons régulièrement des dégustations animées par nos sommelières, en compagnie de producteurs ou d’artisans afin de jouer sur l’accord mets / vins. Avec le vin, il n’y a pas de limites, on peut imaginer beaucoup de choses, c’est un univers tellement vaste !



ARCHITECTURE

stairway to heaven Avec son merveilleux escalier, l’intérieur de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (BNU) a été complètement remodelé par l’Agence Nicolas Michelin et Associés redonnant lustre et majesté à l’édifice. Entre retour aux origines et modernité absolue, visite, avant réouverture au public, courant novembre. Par Hervé Lévy Photos de Stéphane Louis pour Poly

Bibliothèque nationale et universitaire, 6 place de la République à Strasbourg 03 88 25 28 00 www.bnu.fr L’exposition, 1914, la mort des poètes débutera lors de l’inauguration de la BNU pour s’achever le 1er février 2015

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a Maison européenne de l’architecture – Rhin supérieur Europäisches Architekturhaus – Oberrhein

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D

e l’extérieur, le réaménagement passe presque inaperçu, à peine devine-ton la “BNU nouvelle” par les fenêtres. L’altière monumentalité du bâtiment de 1895 imaginé par August Hartel et Skjold Neckelmann dans le style néo-renaissance italienne a été préservée, statues et médaillons des façades (classées) connaissant simplement une nouvelle jeunesse. Derrière, c’est une autre affaire… Après un chantier entamé en 2010 qui a coûté quelque 61 millions d’euros, il ne reste quasiment rien – quelques hautsreliefs vaguement cubistes désormais positionnés au dessus des portes d’entrée, côté intérieur – de la terne restructuration fonc-

tionnaliste des années 1950 qui avait anéanti les décors et l’ordonnancement wilhelminiens. Juste retour des choses…

BNU / IN

Lorsqu’il a découvert le bâtiment, l’architecte Nicolas Michelin1 a immédiatement été séduit par la coupole : constatant que la précédente rénovation l’avait totalement occultée, il a décidé « de la remettre en valeur, comme à l’époque allemande. Nous avons en quelque sorte respecté le plan originel, ce carré évidé magnifique autour duquel s’organisaient les espaces de lecture », explique-t-il. Deuxième élément essentiel : un immense escalier ultra contemporain en spirale tenu en partie par de gigantesques haubans qui opèrent un glissement délicat, du cercle de l’enroulement des marches au carré de la coupole. Cette prouesse technique, œuvre de l’entreprise Schaffner2, semble aspirer le visiteur vers les surfaces vitrées sommitales. Un tel cône de lumière permet de distribuer les espaces de travail (750 places avec 150 000 ouvrages en libre accès contre 660 et 35 000 auparavant) autour de l’atrium central, tandis que sous l’escalier sont lovés un auditorium et, autour de lui, en U, une salle d’exposition sur deux niveaux de 500 m2 largement visible. C’est cette « fluidité et ce décloisonnement » qui ont notamment séduit l’administrateur de la BNU, Albert Poirot, en poste depuis 2006 : « Si notre mission première demeure évidemment de favoriser l’accès aux documents3, la bibliothèque doit aussi être un lieu de rencontre et d’échanges, largement ouvert sur la ville, une véritable passerelle. » Respectueuse de l’esprit de la Bibliothèque des origines, cette rénovation possède un caractère monumental, « mais un monumental poétique », précise l’architecte qui « déteste l’ostentatoire, cet ”effet wahou” aujourd’hui si répandu ». Dernier clin d’œil à l’époque


allemande, l’agrandissement d’anciennes gravures représentant des ornements de façade évoquent l’ordonnancement mathématique de gigantesques pixels : ils sont installés dans l’escalier d’entrée, austère sas qui mène de manière initiatique aux premiers degrés de la vertigineuse spirale.

BNU / OFF

Les espaces de travail ne sont néanmoins que la partie émergée de l’iceberg. En effet, si la BNU a été restructurée, c’était principalement pour sécuriser les planchers des salles de stockage et accroitre leur surface qui atteint désormais 30 000 m2 avec des conditions de conservation (marquées par des options énergétiques respectueuses de l’environnement comme l’utilisation de la géothermie) et une

sécurité optimales. Mission accomplie pour Albert Poirot qui pourra quitter ses fonctions le cœur léger fin 2015, laissant à son successeur un bel outil « prêt à relever les multiples défis de l’avenir ». Deux étages de magasins – visitables occasionnellement par le public – ont néanmoins été sauvegardés : « Ce sont des témoins », explique Nicolas Michelin, « la seule partie de la Bibliothèque originelle qui avait survécu dans les années 1950 avec sa “voûte prussienne”, ses colonnes de fonte et ses étagères Lipman ». Produites à Strasbourg, elles étaient parties à la conquête de l’Europe au début du XXe siècle. Pour faire bonne mesure, on a également préservé un plateau fifties avec des étagères Strafor. La BNU du XXI e siècle n’a pas perdu sa mémoire…

1 Directeur de la prestigieuse agence parisienne éponyme qui a réalisé le Théâtre de la Piscine de ChâtenayMalabry et Artem à Nancy. Elle est en train de mener à bien le “projet Balard”, nouveau siège du Ministère de la Défense en bordure de Périphérique – www.anma.fr

Installée à Duppigheim www.schaffner.fr

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3 Dans ce cadre, les horaires de la BNU seront élargis (du lundi au samedi de 10h à 22h et le dimanche de 14h à 22h)

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LAST BUT NOT LEAST

Shurik’n, assis au centre, entouré des autres membres d’IAM © WAHIB

shurik’n d’iam

pratique le rap et les arts martiens Par Emmanuel Dosda

IAM, en concert à Illkirch-Graffenstaden, à L’Illiade, jeudi 30 octobre 03 88 65 31 06 www.illiade.com Nouvel album solo d’Akhenaton, Je suis en vie, sortie le 3 novembre www.defjam.fr

Dernière fois où vous vous êtes senti « prêt à mourir comme un samouraï ». Heureusement, je ne suis pas tous les jours confronté à ce genre de situation [rires], mais IAM s’engage souvent pour des causes qui lui sont chères. Nous avons par exemple offert le morceau Habitude à La Fondation Abbé Pierre. Dernière fois où vous vous êtes dit « Si j’avais su ». On a eu un sale temps pendant la période des festivals. Sous la pluie on se disait : « Si on avait su, on serait restés à Marseille ! » Vous avez écrit une ode au Pain au chocolat, avec un petit Jean-François… C’est votre dernier pêché mignon. Non, hier je me suis lamentablement empiffré d’éclairs… Dernière fois où vous avez regretté avoir « brûlé les secondes à mater bêtement la trotteuse ». C’était il y a très longtemps car actuellement je ne gaspille plus mon temps ! Dernier moment où vous avez ressenti l’envie de bouffer le monde. Tout le temps, lorsque je regarde mes enfants.

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Dernier pas de danse, avec ou sans Stan Smith et survêt’ Tacchini. Je suis un danseur à la base, alors chaque fois que je suis sur scène ou en soirée. Dernier compositeur que vous auriez aimé reprendre mis à part Ennio Morricone. Nous nous sommes frottés à lui ou à Lalo Shifrin, mais nous rencontrons toujours des problèmes de droits… Au départ, nous devions faire un album en collaboration avec Morricone, mais ça n’a pas marché. Dernière fois où vous avez chanté dans les calanques, face à la mer. Au printemps dernier pour le clip de Si j’avais 20 ans que nous avons tourné avec des drones. L’album …IAM sera-t-il votre dernier. C’est ce que nous pensions vu que notre contrat arrivait à terme… mais heureusement nous avons re-signé avec Def Jam pour encore deux albums ! Dernier album. …IAM, édité par Def Jam Recordings France www.defjam.fr




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