Cerveau & Psycho
Cerveau & Psycho
DANS LA TÊTE D’UN SURDOUÉ
Que disent les neurosciences sur le haut potentiel intellectuel ?
Octobre 2021
N°136
N° 136 Octobre 2021
L 13252 - 136 S - F: 6,90 € - RD
LE COVID-19 FAIT-IL BAISSER LE QI ?
DANS LA TÊTE D’UN SURDOUÉ Que disent les neurosciences sur le haut potentiel intellectuel ? ÉDUCATION LES VRAIS EFFETS DE LA MÉDITATION EN CLASSE
TRAVAIL
COMMENT ÉVITER LE BURN-OUT DE LA RENTRÉE ? SANTÉ MARCHER FAIT POUSSER LES NEURONES ! ADDICTION SEXUELLE LA DESCENTE AUX ENFERS D’UN PDG SADOMASO DOM/S : 8,90 € – BEL./LUX. : 8,50 € – CH : 11,90 CHF – CAN. : 12,99 CA$ – TOM : 1 200 XPF
Comprendre
LES RAISONS PSYCHOLOGIQUES
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N° 136
NOS CONTRIBUTEURS
ÉDITORIAL
p. 14-15
SÉBASTIEN BOHLER
Alexander Burgoyne
Postdoctorant en neurosciences cognitives spécialiste de l’attention et la mémoire de travail à l’institut de technologie de la Géorgie, il a découvert l’existence d’un lien entre la taille des pupilles et l’intelligence.
p. 24-33
Grégory Michel
Professeur de psychologie clinique et de psychopathologie à l’université de Bordeaux, chercheur à l’Institut des sciences criminelles et de la justice, il a notamment étudié les cas les plus saisissants d’addiction sexuelle.
p. 44-51
Nathalie Clobert
Psychologue clinicienne et hypnothérapeute, elle accompagne les adolescents et les adultes à haut potentiel, tout en intervenant comme formatrice au sein d’organismes d’aide au développement de l’enfant.
p. 64-69
Laura Loy
Chercheuse en psychologie de l’environnement à l’université de Coblence-Landau, en Allemagne, elle explore les ressorts de l’action collective et individuelle pour la préservation du climat et de la planète.
Rédacteur en chef
Et tu penses, penses, penses, avec… ?
S
ouvenez-vous, c’était en 1991. Le trio comique des Inconnus parodiait la chanson Nuit de folie, en raillant le monde des teufeurs : « Et tu ris, tu ris, tu ris ; tu ris avec tes dents ; et tu frappes, frappes, frappes ; tu frappes avec tes mains ; et tu tapes, tapes, tapes ; tu tapes avec tes pieds ; et t’entends, t’entends, t’entends, avec tes oreilles; et tu sens, tu sens, tu sens, avec tes narines… » Ces paroles d’une pauvreté confondante pourraient faire un sommaire de Cerveau & Psycho – les neurosciences en plus (ce qui change tout). Car oui, on entend avec ses oreilles, mais cela protège contre la maladie d’Alzheimer (page 34) ! Sentir avec ses narines est si prodigieux qu’on essaie en vain aujourd’hui de reproduire l’odorat avec des IA (page 16). Quant à voir avec ses yeux, c’est une lapalissade, mais on vient de découvrir que la taille des pupilles serait un signe d’intelligence (page 14) ! La chanson des Inconnus se terminait par : « et tu penses, penses, penses, tu penses avec… » Le vide laissé par la chute était une façon de dire que ceux qui se trémoussaient sur ce tube de l’année 1988 ne savaient même pas qu’il fallait un cerveau pour réfléchir. Voilà pourquoi nous vous proposons, dans notre dossier central, une plongée dans le cerveau des « superintelligents », ces fameux individus HPI dont le QI dépasse la barre des 130. Où l’on découvre les « structures neuronales de l’intelligence », véritables câbles neuronaux qui permettent aux différentes zones du cerveau de mieux dialoguer. Nous les possédons tous, mais développés à des degrés divers. Voilà qui aurait fourni aux Inconnus une bonne fin pour leur chanson : Tu penses, penses, penses avec… « ton réseau fronto-pariétal » ! £
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SOMMAIRE N° 136 OCTOBRE 2021
p. 14
p. 16
p. 24
p. 43
DÉCOUVERTES p. 6 ACTUALITÉS Le farnésol, futur remède contre Parkinson ? Les « minis » rajeunissent notre cerveau Mesurer la créativité en dix mots Les caroténoïdes, c’est bon pour la vue ! Le Covid-19 diminue l’intelligence Dans le cerveau d’un papa
p. 24 CAS CLINIQUE
p. 14 FOCUS
p. 34 MÉDECINE
Une étonnante corrélation a été découverte entre le diamètre de la pupille et les capacités cognitives d’une personne. Alexander P. Burgoyne et Jason Tsukahara
Dossier
p. 34
p. 6-40
La taille des pupilles, signe d’intelligence ?
p. 43-62
GRÉGORY MICHEL
Charles, le PDG accro au sexe
Chef d’entreprise brillant, Charles surfe sur le succès professionnel. Mais chaque nuit, il se transforme en accro au sexe et voit sa vie se transformer en enfer.
Contre la démence, préservez votre audition !
Quand on perd l’audition, le risque de démence augmente. D’où l’importance de porter un appareil dès les premiers signes. Anna Lorenzen
DANS LA TÊTE D’UN SURDOUÉ p. 44 PSYCHOLOGIE
HPI : DES RESSOURCES PEU ORDINAIRES
Le haut potentiel intellectuel est une chance, à condition de le faire fructifier au contact d’un environnement adéquat. Nathalie Clobert et Nicolas Gauvrit
p. 52 NEUROSCIENCES
UN CERVEAU DIFFÉRENT ?
Plus volumineux, plus puissant, le cerveau des personnes à haut potentiel est aussi mieux câblé pour faire communiquer ses différentes zones cérébrales. Franck Ramus et Nicolas Gauvrit
p. 16 NEUROSCIENCES
Du nez biologique au nez électronique
p. 58 INTERVIEW
LES HPI SONT UN DÉFI POUR NOTRE ÉDUCATION
Plus notre connaissance des mécanismes de l’odorat humain progresse, plus le chemin semble long pour arriver un jour à une IA capable de « sentir » comme nous.
Certains jeunes très doués sont découragés par un système parfois figé dans son égalitarisme et qui méconnaît le phénomène HPI sur le plan scientifique. Comment résoudre ce problème ?
Federica Sgorbissa
Jacques Grégoire
Ce numéro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho, broché en cahier intérieur, sur toute la diffusion kiosque en France métropolitaine. Il comporte également un courrier de réabonnement, posé sur le magazine, sur une sélection d’abonnés. En couverture : © Shutterstock.com/Radachynskyi Serhii
N° 136 - Octobre 2021
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p. 64
p. 70
p. 78
p. 82
p. 84
p. 88
p. 94
p. 74 p. 92
p. 64-76
p. 78-91
ÉCLAIRAGES
VIE QUOTIDIENNE LIVRES
p. 64 PSYCHOLOGIE
p. 78 SANTÉ
Après le dernier rapport décourageant du Giec, la clé pour rester motivé dans la lutte contre le réchauffement climatique s’appelle « autoefficacité».
Des effets antidépresseurs et stimulants pour la mémoire sont aujourd’hui mesurés.
Laura Loy
L’écriture révèle-t-elle la personnalité ?
p. 92-97
Climat : et maintenant, Marcher, c’est bon pour les neurones ! je fais quoi ?
p. 70 RAISON ET DÉRAISONS NICOLAS GAUVRIT
Les conservateurs sauveront-ils la planète ?
Une astucieuse campagne de persuasion convertit les conservateurs américains à la lutte pour le climat. p. 74 L’ENVERS DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL
Nele Langosch
p. 82 LA QUESTION DU MOIS
Petra Halder-Sinn
p. 84 ÉCOLE DES CERVEAUX JEAN-PHILIPPE LACHAUX
Quels sont les effets de la méditation en classe ? Au premier rang des capacités stimulées par la méditation : la « métacognition ». p. 88 LES CLÉS DU COMPORTEMENT
YVES-ALEXANDRE THALMANN
SYLVIE CHOKRON
Le paradoxe Gare au burnout de salomon : la vertu pour les autres de la rentrée ! Pourquoi nous donnons souvent de bons conseils aux autres – et sommes assez peu doués pour nous les appliquer à nous-mêmes.
Emplois du temps surchargés, activités pléthoriques… La surcharge cérébrale guette ! Mais elle peut être évitée.
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p. 92 SÉLECTION DE LIVRES Les 5 cercles de la résilience, Rêver Vieillir n’est pas un crime ! Le Sexe en 69 questions La Sylvothérapie Pourquoi notre cerveau a inventé le bien et le mal p. 94 NEUROSCIENCES ET LITTÉRATURE SEBASTIAN DIEGUEZ
Halldór Laxness ou les dérives du désir d’indépendance Dans Gens indépendants, le romancier islandais Halldór Laxness décrit le glissement calamiteux d’une soif d’indépendance vers l’isolement et le ridicule. À méditer ?
DÉCOUVERTES
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p. 14 La taille des pupilles, signe d’intelligence ? p. 16 Du nez biologique au nez électronique p. 24 Charles, le PDG accro au sexe
Actualités Par la rédaction MALADIES NEURODÉGÉNÉRATIVES
Le farnésol, futur remède contre Parkinson ? Un composé, ajoutable à l’alimentation, bloque la progression de la maladie de Parkinson chez des souris. Selon de premiers indices, il pourrait être efficace chez l’homme. Areum Jo et al., Science Translational Medicine, le 28 juillet 2021.
© almaje/Shutterstock.com
À
ce jour, on ne dispose hélas d’aucun traitement curatif contre la maladie de Parkinson. Mais le farnésol, un alcool présent dans différentes herbes, fruits et baies, au parfum semblable au muguet et déjà utilisé en cosmétique, parfumerie et aromathérapie, pourrait bien changer la donne : à l’université Johns-Hopkins, Areum Jo et ses collègues ont montré, lors d’essais précliniques chez des souris, que cette molécule interrompt le processus de mort cellulaire qui est à l’origine de la maladie. Et que les souris traitées conservent leurs aptitudes motrices et cognitives. La maladie de Parkinson concerne 2 % des personnes de plus de 70 ans, soit plus de 200 000 malades en France, qui souffrent non seulement de troubles moteurs (dont les tremblements et la rigidité), mais aussi de problèmes cognitifs. Aujourd’hui, les seuls médicaments disponibles ne font qu’atténuer les symptômes, sans enrayer la progression de la maladie. Celle-ci est liée à la perte, lente et progressive, des neurones dopaminergiques de la
Le farnésol, molécule déjà utilisée dans les huiles essentielles de tilleul, d’oranger et d’acacia, éviterait aux neurones dopaminergiques de mourir dans la maladie de Parkinson.
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p. 34 Contre la démence, préservez votre audition
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Les « minis » rajeunissent notre cerveau S. Banerjee et al., Nature Communications, juin 2021
CIBLER UNE MOLÉCULE TOXIQUE Ainsi, il y a quelques années, Jo et ses collègues ont mis en évidence une protéine des neurones dopaminergiques, nommée PARIS (parkin interacting substrate), qui semble impliquée dans leur destruction. Pour preuve : PARIS est présente en plus grande quantité chez les patients parkinsoniens, mais aussi chez des animaux traités avec le MPTP, une molécule naturelle qui détruit spécifiquement les neurones dopaminergiques, ou chez des rongeurs dont on inactive la protéine parkine, provoquant les symptômes caractéristiques de la maladie. Les chercheurs ont aussi révélé que PARIS empêche la synthèse d’un facteur protecteur des neurones, le PGC-1alpha, qui limite le stress oxydatif (une altération des cellules par oxydation), de sorte que PARIS
participe directement à la mort des neurones dopaminergiques. Les chercheurs ont donc cherché une substance capable d’inactiver PARIS, en passant au crible des molécules déjà utilisées en médecine. Ils sont tombés sur le farnésol : chez les souris malades – quelle que soit la cause de leur maladie : MPTP, inactivation de la parkine ou d’autres gènes –, une alimentation supplémentée en farnésol réduit de moitié la mort des neurones dopaminergiques (en comparaison avec les rongeurs mangeant normalement) et restaure les aptitudes motrices et cognitives des animaux traités. Comment ? Le farnésol ajoute un groupement chimique sur PARIS, qui change alors de structure tridimensionnelle. On parle de « farnésylation ». Il s’ensuit que PARIS devient incapable de bloquer la synthèse du PGC-1alpha, si bien que les souris mangeant du farnésol possèdent 55 % de PGC-1alpha en plus, comparativement aux animaux non traités. De plus, les chercheurs ont montré que la « farnésylation » de PARIS est aussi diminuée chez les patients parkinsoniens. Il est donc probable que le farnésol représente un traitement de l’évolution de la maladie de Parkinson. Reste à lancer les essais cliniques chez l’homme pour déterminer les doses efficaces, les effets secondaires, ainsi que le moment où il faudra prescrire cette substance. £ Bénédicte Salthun-Lassalle
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I
l existe deux types de transmissions dans notre système nerveux. La plus importante s’appelle la « neurotransmission évoquée », c’est le passage d’un signal électrique entre des neurones. La deuxième neurotransmission dite « miniature » est une libération discrète, mais spontanée, de neurotransmetteurs dont la fonction était assez peu comprise… jusqu’à présent ! Car une équipe du Brain Mind Institute de Lausanne a découvert qu’elles permettent de préserver les synapses. En étudiant la neurotransmission chez les mouches drosophiles, les chercheurs ont découvert que le vieillissement du cerveau (rétrécissement et baisse du nombre de synapses) s’accompagne d’une diminution des « minis » en même temps que des signaux évoqués. Ils ont donc tenté de stimuler les minis en bloquant l’action d’une protéine (la complexine) qui a pour effet d’atténuer la libération de neurotransmetteurs. Résultat : les synapses vieillissent moins. Les drosophiles gardent leur motricité plus longtemps, ce qui n’est pas le cas quand on stimule uniquement la neurotransmission évoquée. Mais cette approche est-elle applicable à notre espèce ? Cela semble probable, car les mécanismes de vieillissement des synapses sont similaires chez la mouche et l’humain, et qu’en outre on sait déjà que les minis jouent un rôle dans l’apparition des maladies neurodégénératives et psychiatriques. Les minis, petits par la taille, pourraient alors avoir de grands effets thérapeutiques ! £ Sybille Buloup
© KateStudio/Shutterstock.com
substance noire, un petit noyau au centre du cerveau qui contrôle, entre autres, les mouvements. Plusieurs gènes ont été associés à la maladie, dont celui de la parkine, mais les mutations de ces gènes n’expliquent pas à elles seules toutes les formes de la maladie ni leur évolution. Toutefois, l’identification de ces facteurs génétiques a permis aux chercheurs de créer des modèles animaux de la maladie et de déterminer des voies cellulaires impliquées dans la dégénérescence des neurones.
À gauche : © Shutterstock.com/OSTILL is Franck Camhi ; à droite : © Shutterstock.com/Phonlamai Photo
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Du nez biologique
N° 137 - NOVEMEBRE 2021
DÉCOUVERTES Neurosciences
au nez électronique L’odorat est de loin le sens le plus compliqué de l’être humain. Sur ce plan, les IA ont encore bien des progrès à faire pour l’égaler ! Mais la recherche avance. Par Federica Sgorbissa, docteure en sciences cognitives et journaliste scientifque à Trieste, en Italie.
C
’est toujours pareil : à chaque fois que vous ouvrez ce petit pot de sel aromatique, un même parfum intense de menthe, de sarriette, de sauge et de mélisse s’en échappe et vous saisit aux narines. Ainsi opère le pouvoir des odeurs, celui de faire jaillir des émotions et des souvenirs bien plus forts que par une image ou un son. Or, malgré cette puissance, il se trouve qu’on a toujours tendance à sous-estimer l’odorat. « Quand je demande aux gens duquel de leurs sens ils pourraient éventuellement se passer, plus de la moitié choisissent de faire une croix sur l’odorat », confie Valentina Parma, chercheuse à l’université Temple, à Philadelphie, aux États-Unis. Dans ses recherches, Parma étudie les liens entre notre olfaction et nos émotions. « Les personnes qui perdent l’odorat ont
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De nombreuses personnes atteintes d’une perte auditive liée à l’âge se passent longtemps d’appareils auditifs… Pourtant, ils réduiraient le risque de souffrir de démence ultérieurement.
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DÉCOUVERTES Médecine
Contre la démence, préservez votre audition ! Par Anna Lorenzen, docteure en neurosciences et journaliste, à Oldenburg en Allemagne.
De plus en plus d’études révèlent que les troubles auditifs seraient directement liés à la démence, au fil du vieillissement. D’où l’intérêt de porter un appareil dès les premiers signes.
© Shutterstock.com /Peakstock
P
lus de 50 millions de personnes dans le monde souffrent aujourd’hui de démence, autrement dit de troubles neurocognitifs majeurs – maladie d’Alzheimer, le plus souvent, mais aussi dégénérescences neuronales de type frontotemporal ou d’origine vasculaire –, ce qui aboutit, inéluctablement, à une perte totale d’autonomie (voir l’encadré page 36). Le nombre de cas augmente chaque année et les spécialistes prévoient qu’il pourrait tripler d’ici à 2050. Comment endiguer cette « épidémie » ? Des mesures préventives sont-elles envisageables ? En 2020, une commission d’experts dirigée par le psychiatre Gill Livingston, de l’University College à Londres, a décrit, dans la revue scientifique The Lancet, douze facteurs qui, selon cette
EN BREF £ Les personnes souffrant d’une perte auditive liée à l’âge ont plus de risques de développer une démence. £ En plus des effets directs des troubles de l’audition sur la mort des neurones dans différentes régions contrôlant nos facultés cognitives, les effets indirects de l’isolement et de la dépression joueraient aussi un rôle. £ Le risque de démence serait probablement réduit si l’on s’exposait moins au bruit dès le plus jeune âge et si l’on portait des appareils auditifs dès que c’est nécessaire…
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analyse, représentent ensemble 40 % du risque de développer une démence (voir l’encadré page 38). Quels sont-ils ? 8 % DES DÉMENCES SONT DUES À LA PERTE D’AUDITION Beaucoup sont liés au phénomène même de neurodégénérescence, à savoir la mort progressive des neurones qui intervient avec l’âge : un faible niveau d’éducation durant l’enfance, la diminution des contacts sociaux, la pollution atmosphérique, des lésions cérébrales traumatiques, le manque d’exercice physique, comptent parmi les facteurs prédominants… Mais selon les spécialistes, le plus important est la perte d’audition. Environ 8 % des cas de démence pourraient être évités si les troubles auditifs étaient absents ou efficacement traités. Pourquoi ? Les troubles de l’audition apparaissent en général à partir du milieu de la vie. À ce moment-là, nos oreilles ont déjà beaucoup souffert : trafic routier, de voisinage, bruits en tout genre à la maison, au travail, musique
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Dossier
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L’héroïne de la série HPI, Morgane Alvaro (jouée par Audrey Fleurot), recèle une personnalité complexe. En désaccord avec sa hiérarchie, impulsive, parfois agressive, pêchant par excès de familiarité, on la croit sujette à un trouble de la personnalité. Mais ce n’est qu’une façade qui dissimule son haut potentiel, dont les aspects multiples seront dévoilés au fil des saisons, le tournage de la deuxième saison commençant au mois d’octobre pour une diffusion en 2022.
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HPI
DES RESSOURCES PEU ORDINAIRES Contrairement à certaines idées reçues, les personnes ayant un haut potentiel intellectuel n’ont pas plus de risques d’être en échec ou en souffrance. C’est même le contraire. Mais elles ont besoin d’un milieu propice pour se réaliser, et d’engagement pour transformer leur potentiel en talent.
EN BREF
Par Nicolas Gauvrit, psychologue du développement et chercheur en sciences cognitives au laboratoire CHart, à l’École pratique des hautes études, à Paris et par Nathalie Clobert Psychologue clinicienne et hypnothérapeute, formatrice au sein d’organismes d’aide au développement de l’enfant.
£ Le haut potentiel intellectuel désigne une intelligence supérieure à la moyenne, avec un score de QI dépassant 130.
£ Les individus HPI étant généralement plus ouverts à la nouveauté, l’école et la famille gagneront à leur proposer un accès à la culture, des débats d’idées, des rencontres avec des mentors inspirants…
© Philippe Leroux / Itineraire production / TF1
£ Ce potentiel est un talent en germe, qui ne peut être développé qu’au contact d’un environnement favorable et au prix d’une discipline et d’un travail sérieux.
E
n 2021, la série HPI (l’abréviation de « haut potentiel intellectuel »), diffusée sur TF1, a réuni près de 10 millions de téléspectateurs dès le premier épisode. L’actrice Audrey Fleurot y incarne Morgane Alvaro, une surdouée mère de trois enfants au profil atypique. Elle joue le rôle d’une femme de ménage qui devient consultante pour la police en raison de sa vivacité d’esprit qui l’aide à résoudre des affaires complexes. Dès le premier épisode, le ton est donné : le QI de Morgane est annoncé à 160. Un chiffre impressionnant qu’atteignent peu de « surdoués » ou de « zèbres », comme on les appelle parfois dans la littérature populaire sur ce sujet. En fait, un QI de 130 aurait suffi à la déclarer surdouée ! En cela, la série HPI ne se démarque pas
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DOSSIER DANS LA TÊTE D’UN SURDOUÉ
UN CERVEAU DIFFÉRENT ?
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Les personnes HPI ont un cerveau plus volumineux et plus puissant, en moyenne, que le reste de la population. Mais le plus important pourrait résider dans la force de certaines connexions neuronales qui améliorent le « dialogue » entre différentes régions du cerveau. Par Nicolas Gauvrit, psychologue du développement et chercheur en sciences cognitives au laboratoire CHart, à l’École pratique des hautes études, à Paris et par Franck Ramus, directeur de recherche au CNRS, au Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique EHESS/ENS/CNRS, à Paris.
EN BREF
£ Les personnes HPI se distinguent par un cerveau à la fois plus gros et plus actif que la moyenne. Un faisceau de neurones reliant les zones frontales et pariétales (sur le dessus et l’arrière) est également plus développé.
© Shutterstock.com/ Johan Swanepoel
£ Les fibres neuronales qui relient les deux hémisphères cérébraux entre eux sont également plus développées. £ Les causes de ces différences sont potentiellement génétiques, mais disséminées sur des centaines de gènes. Les HPI ne sont donc pas des mutants, ils se situent seulement sur l’extrémité supérieure du spectre des intelligences. £ Enfants, les individus HPI ont tendance à marcher et à parler plus tôt que les autres.
E
nviron 1,7 million de personnes en France sont des HPI – des « hauts potentiels intellectuels ». Concrètement, ce que cela signifie est simple : leur QI est supérieur à 130. En neurosciences, on cherche souvent l’origine d’une particularité cognitive dans le fonctionnement du cerveau. Ce qui nous amène à poser la question : qu’a de particulier le cerveau d’une personne à haut potentiel ? Au cours des dernières années, des chercheurs se sont penchés sur le sujet et ont comparé le cerveau des personnes à haut potentiel intellectuel à ceux de personnes situées dans la norme. Leurs conclusions ? Des différences existent bel et bien. Elles s’observent aussi bien dans la structure du cerveau, que dans la force de certaines connexions ou la façon dont l’encéphale s’active lorsqu’on réalise des tâches cognitives. Toutefois, ces différences ne sont pas de type « tout ou rien » : elles sont simplement d’autant plus prononcées que les sujets ont une intelligence élevée. NEUROSCIENCE DES GROSSES TÊTES Le résultat sans doute le mieux connu et le plus robuste concerne le volume du cerveau. Il est plus important chez ces « grosses têtes » à haut potentiel intellectuel. Mais il serait trompeur de dire qu’en dessous de 130 le cerveau a une taille modeste, et au-dessus, une taille nettement supérieure. Tout comme l’intelligence varie continûment d’une personne à l’autre, la taille du cerveau ne présente pas de « saut » ou de différence brusque entre une
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personne à haut potentiel et une autre. En fait, il ne se passe rien de spécial quand on dépasse le seuil d’un QI de 130. En réalité, la tendance générale est simplement que le volume du cerveau augmente légèrement et de manière régulière avec le QI. De ce fait, ceux qui se situent à l’extrême du continuum des QI se trouvent aussi plutôt à l’extrême des volumes de cerveau… Ce résultat a été répliqué dans plusieurs dizaines d’études, et on le retrouve quelle que soit la manière de mesurer le volume cérébral, qu’il s’agisse par exemple du volume total, du volume de matière grise (les corps cellulaires des neurones) ou blanche (leurs axones), du volume intracrânien ou même du périmètre crânien. Bien sûr, ces données ne font que révéler des tendances : si vous avez un petit cerveau, cela ne signifie nullement que vous êtes stupide, et à l’inverse, avoir un cerveau imposant n’est pas suffisant pour garantir l’intelligence ! Pour estimer le plus précisément possible la force ce lien, l’Australien Gilles Gignac et l’Écossais Timothy Bates ont réévalué, en 2017, plusieurs dizaines de publications fournissant des mesures d’association entre volume cérébral et QI. Ils concluent que le volume du cerveau explique environ 10 % des variations de QI, ce qui est un résultat significatif mais qui laisse évidemment la place à bien des exceptions – comme Albert Einstein et Anatole France, souvent cités parce qu’ils avaient des cerveaux de taille modeste, tout en étant, peut-on supposer, particulièrement intelligents. UN SURCROÎT DE PUISSANCE NEURONALE Si la taille du cerveau n’explique – et de loin – pas tout, de quel côté chercher ? Une approche consiste à examiner la façon dont il se met en action quand personne à haut potentiel réalise une tâche intellectuelle. Lorsque les chercheurs se sont posé cette question, ils se demandaient notamment si le cerveau des HPI se distinguait
ÉCLAIRAGES
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Climat :
p. 70 Les conservateurs sauveront-ils la planète ? p. 74 Le paradoxe de Salomon : la vertu... pour les autres !
et maintenant, je fais quoi ? Après le dernier rapport décourageant du Giec, comment rester motivé pour relever le défi du réchauffement climatique ? En cultivant le sentiment dit d’« autoefficacité ». Par Laura Loy, chercheuse au département de psychologie environnementale de l’université de Coblence-Landau, en Allemagne.
EN BREF
© Shutterstock.com/Elisabeth Aardema
£ Pour changer quelque chose dans sa vie, chacun a besoin d’objectifs atteignables et motivants, associés à une vision positive de l’avenir. £ Il s’agit aussi de se sentir efficace, par exemple en créant des liens avec d’autres personnes investies pour le climat. £ En parallèle, il s’agit de bien identifier les obstacles – par exemple certaines de nos habitudes néfastes pour l’environnement, en les remplaçant par des routines plus écologiques.
S
elon diverses enquêtes, de nombreuses personnes souhaitent faire quelque chose pour protéger l’environnement, mais, en général, constatent qu’elles n’ont toujours pas bougé le petit doigt… Pourquoi est-il si difficile de passer à l’action, même quand l’envie est là ? « Vouloir n’est pas agir », et plusieurs études sur la psychologie de la motivation suggèrent que divers ingrédients sont nécessaires pour franchir le pas. D’abord, nous avons besoin d’objectifs élevés ayant le plus grand impact possible, et d’une vision positive de l’avenir – pour que celui-ci en vaille la peine. En même temps, nous devons comprendre ce qui nous empêche actuellement d’agir – et donc, ce qui nous motiverait à le faire. Tout aussi primordiales sont les idées et les étapes concrètes qui nous permettront de transformer nos projets en réalité. L’IMPORTANCE D’UNE VISION POSITIVE DE L’AVENIR Les recherches en psychologie font apparaître de ce point de vue plusieurs résultats clairs. Tout d’abord, pour arriver à une meilleure protection du climat, il faut se définir des objectifs comportementaux efficaces et précis, pour lesquels on se soit prêt à quitter sa zone de confort. Mais évidemment, cela amène à se demander pourquoi diable je souhaite m’engager dans cette nouvelle voie. Le jeu en vaut-il la chandelle...
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ÉCLAIRAGES L’envers du développement personnel
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YVES-ALEXANDRE THALMANN
Professeur de psychologie au collège Saint-Michel et collaborateur scientifique à l’université de Fribourg, en Suisse.
LE PARADOXE DE SALOMON : LA VERTU… POUR LES AUTRES ! Nous donnons souvent de bons conseils aux autres – mais sommes assez peu doués pour nous les appliquer à nous-mêmes. Le monde du développement personnel n’échappe pas à cette règle : ses prescripteurs sont souvent bien peu exemplaires.
e roi Salomon est une figure de l’Ancien Testament connu et reconnu pour sa sagesse légendaire. Le texte biblique nous apprend que l’on venait de loin à la ronde pour obtenir ses conseils avisés. Il est surtout célèbre pour son jugement audacieux dans une histoire en apparence inextricable : deux femmes venaient d’enfanter au même moment, mais l’un des nouveau-nés était mort à la naissance. Les deux plaignantes revendiquaient la maternité du bébé survivant et l’affaire fut portée devant le roi. Celui-ci ordonna qu’on coupe l’enfant en deux pour régler le litige. La vraie mère, on s’en doute, préféra
renoncer plutôt que de voir son bébé ainsi tué… ce qui permit de l’identifier. L’histoire de Salomon ne s’arrête pourtant pas là. La suite est tout aussi digne d’intérêt. Selon la Bible, ce roi si avisé ne prit pas moins de 700 épouses et 300 concubines. Ce n’est pas courir un grand risque que d’affirmer qu’un tel choix, même pour un grand roi, est bien loin de la sagesse la plus élémentaire, quand on sait comme il est déjà délicat de s’entendre avec un seul et unique conjoint… Le monarque vieillissant se laissa influencer par les dames de son harem et, de concessions en concessions, laissa se développer les religions païennes sur son territoire. Une trahison
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que Dieu ne put tolérer et qui entraîna la chute du royaume d’Israël et sa partition ultérieure (de manière plus prosaïque, les révoltes dues aux lourds impôts qui grevaient les habitants sont sans doute pour beaucoup dans la triste fin du roi Salomon). CONSEILLERS AVISÉS… Le roi Salomon incarne ainsi un personnage à la sagesse reconnue quand il s’agissait de la dispenser à d’autres, mais pas en ce qui le concernait personnellement. D’où le nom de paradoxe de Salomon : il est facile de donner des conseils avisés à autrui alors que l’on ne les suit pas soi-même.
© Matyo
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Songeons à ces médecins fumeurs, sédentaires à l’excès ou en permanence submergés par le stress, des comportements qu’ils enjoignent pourtant à leurs patients d’éviter pour leur santé. Ou encore des religieux dont la chasteté tant préconisée n’est que théorique en ce qui les concerne. Le paradoxe de Salomon sévit également dans l’univers du développement personnel. Pensons au regretté David Servan-Schreiber, auteur du best-seller Anticancer, dans lequel il détaillait les comportements propices au maintien de la santé et à la guérison du cancer, notamment le fait d’écouter son corps et d’éviter le stress chronique. Conseils que de son propre aveu, dans son dernier texte intitulé « On peut se dire au revoir plusieurs fois », il n’a pas respecté scrupuleusement, étant appelé à parcourir le monde pour promouvoir son message, avant d’être emporté par une rechute
fatale de sa maladie… Pensons aussi à un autre personnage phare du développement personnel, feu le psychologue Marshall Rosenberg, concepteur de la communication non violente. Son système diffusé dans le monde entier insiste sur l’identification des besoins et leur prise en considération dans la communication. Une exhortation qu’il a eu du mal à appliquer à lui-même, souffrant d’une tumeur qu’il a trop tardé à aller présenter à un médecin et qui a eu finalement raison de lui. CHAMANES HOSTILES J’ai personnellement fait l’expérience de l’effet Salomon dans le milieu du développement personnel. Peut-être connaissez-vous le best-seller Les Quatre Accords toltèques, du chamane Miguel Ruiz. C’est un recueil de préceptes de développement personnel dont le premier est : que ta parole soit impeccable.
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Autrement dit : n’ouvre pas la bouche si cela peut nuire à quelqu’un, ne parle que pour faire du bien. Or il arriva qu’un des adeptes de cette règle écrivît à propos d’un de mes ouvrages : « Voilà un auteur qui ne s’est pas foulé le poignet ni la cervelle (si tant est qu’il en ait une) pour écrire cette bouse. » Il avait manifestement oublié les préceptes qu’il diffusait ! Pour ce qui concerne mon humble expérience, je n’ai jamais été critiqué aussi méchamment que par des gens prétendument bienveillants, engagés sur des chemins de développement personnel ou de spiritualité. Mais ne jetons pas la pierre à d’autres : la plupart d’entre nous incarnons le paradoxe de Salomon. Nous sommes habituellement de meilleur conseil pour nos amis et nos proches que lorsqu’il s’agit de prendre des décisions qui nous touchent en personne. Sont-ce les émotions qui troublent nos
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Marcher C’est bon pour
p. 82 La question du mois p. 84 Quels sont les effets de la méditation en classe ? p. 88 Gare au burnout de la rentrée !
les neurones !
Si un cerveau en forme ne tenait qu’à cette activité très simple : marcher ? Les bénéfices concernent aussi bien la mémoire que la créativité ou l’humeur. Et il suffit d’une balade quotidienne dans le quartier pour les voir apparaître.
EN BREF
£ Marcher régulièrement augmente l’espérance de vie, ralentit le déclin cognitif et contribue à prévenir de nombreuses pathologies, comme les maladies cardiovasculaires et la dépression.
© Shutterstock.com/LeManna
Par Nele Langosch, psychologue et journaliste.
£ La marche améliore également notre fonctionnement quotidien, en réduisant le stress et en stimulant la créativité. £ Pour profiter de ses bienfaits, il n’est même pas nécessaire d’aller à la campagne ou dans des endroits particulièrement beaux : il suffit souvent d’une simple promenade dans son environnement immédiat, voire… sur un tapis roulant !
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endant la pandémie de Covid-19, les gymnases ont longtemps été fermés, les entraînements de football annulés, les courts de tennis interdits d’accès. Mais une autre forme d’exercice en a profité pour se développer : la marche. Une pratique qui représente bien plus qu’un simple loisir du dimanche, selon les experts. « La marche est une forme d’activité physique importante, peut-être la plus naturelle », déclare Jens Kleinert, professeur de psychologie du sport et de la santé à l’université allemande du sport de Cologne. Le médecin grec Hippocrate (vers 460-370 avant notre ère) pensait déjà que la marche était le meilleur remède que nous puissions employer. Et les recherches modernes lui donnent plutôt
raison ! En 2015, les chercheurs britanniques Sarah Hanson et Andy Jones ont synthétisé 42 études portant sur un total de plus de 1 800 participants, qui ont régulièrement marché en groupe pendant au moins trois semaines. L’analyse des données a révélé des retombées positives sur leur pression sanguine et leur fréquence cardiaque. En outre, leurs concentrations sanguines de lipides et de cholestérol ont diminué, de même que leur indice de masse corporelle (IMC) – en d’autres termes, ils ont minci. La conclusion des chercheurs est enthousiaste : la marche a des bénéfices considérables pour la santé, presque sans aucun effet secondaire. Ils notent toutefois que la majorité des participants avaient déjà quelques problèmes – c’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils s’étaient inscrits dans ces séances de groupe. Par conséquent, cette étude ne fournit aucune information sur la façon dont la marche affecte le bien-être des personnes en bonne santé. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’en est pas moins convaincue de l’intérêt de
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GRAPHOLOGIE
L’écriture révèle-t-elle la personnalité ?
LA RÉPONSE DE
PETRA HALDER-SINN
Psychologue et ancienne professeuse de diagnostic psychologique à l’université Justus-Liebig de Gießen, elle est experte en comparaison d’écritures, pour vérifier, entre autres, l’authenticité des signatures.
orsque l’ancien président américain Donald Trump signait un décret devant une caméra, il apposait généralement une signature gigantesque sur le document. Il était alors facile de se dire que c’était typique d’une personnalité excessive, narcissique et mégalomane. Mais peut-on tirer ce genre de conclusions à partir de l’écriture elle-même ? Que peut analyser réellement la graphologie, l’étude de l’écriture manuscrite en tant qu’expression de la personnalité ? Au premier abord, il semble tout à fait plausible que la façon dont nous bougeons et nous déplaçons mette en lumière notre état d’esprit ou notre caractère du moment. C’est en partie vrai pour la posture ou la démarche. Mais est-ce applicable à l’écriture manuscrite ? MYTHES ET FANTASMES DE LA GRAPHOLOGIE De nombreuses études, le plus souvent empiriques, n’ont trouvé aucun lien statistiquement valable entre les traits
de personnalité et les caractéristiques de l’écriture. Même un stress intense ou une grande tension émotionnelle n’ont presque pas d’inf luence sur notre manière décrire : au mieux, ils rendent votre graphie moins lisible, car on manie alors le stylo plus rapidement que d’habitude. Et le peu d’études ayant mis en évidence une corrélation entre l’écriture et la personnalité reposent souvent sur des effets statistiques faibles. Pour preuve, revenons à l’exemple de Trump : vous connaissez certainement des personnes très sures d’elles-mêmes qui ne signent pas forcément avec de grandes lettres. En outre, beaucoup de fausses promesses circulent… Car de nombreuses affirmations des graphologues sont tout simplement douteuses, par exemple celle stipulant que quelques phrases écrites à la main permettent d’indiquer à un employeur si une candidate à un poste est enceinte ou non. Selon de prétendus « experts » américains, cela se verrait à
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la largeur de la boucle des « g » dans la lettre de motivation… FEMME OU HOMME ? Les notes manuscrites révèlent-elles au moins le sexe de leur auteur ? Rien de certain à ce sujet non plus. Néanmoins, on trouve chez les femmes, un peu plus souvent que chez les hommes, une écriture régulière et soignée. Probablement parce que les femmes, en moyenne, ont une meilleure motricité fine que leurs homologues masculins. Toutefois, ces différences d’écriture tendent à s’estomper ces dernières décennies. En effet, au milieu du siècle dernier, dans les écoles, on accordait encore une grande importance à la « belle écriture », en particulier auprès des filles, à qui l’on enseignait davantage qu’aux garçons à produire des lettres propres et lisibles. Et, de toute façon, de nombreux adultes n’écrivent plus comme ils l’ont appris à l’école… Notre écriture change au cours de la vie. Par exemple, la façon
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La signature de Donald Trump est si démesurée qu’elle est souvent associée à sa mégalomanie… Or dans les faits, l’analyse de l’écriture manuscrite ne permet pas de déterminer la personnalité.
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dont on a signé son permis de conduire vers l’âge de 18 ans n’a souvent plus grand-chose à voir avec sa signature vingt ans plus tard, car toute écriture tend à se simplifier avec le temps. En outre, avec l’âge, des troubles de la motricité fine apparaissent souvent, ce qui se manifeste en général dans la façon d’écrire, mais pas dans la motricité globale, par exemple la démarche. DES PATHOLOGIES RÉVÉLÉES PAR L’ÉCRITURE L’écriture est modifiée non seulement par l’âge, mais aussi par certaines maladies. Les patients atteints de la maladie de Parkinson ont en général une écriture « réduite » qu’on appelle micrographie ; plus le sujet écrit, plus les lettres sont serrées et petites. Un phénomène que l’on a retrouvé dans une autre situation : lorsqu’on a utilisé des neuroleptiques pour la première fois afin de traiter la schizophrénie dans les années 1950, ces médicaments
ont provoqué des symptômes semblables quand leur dose était trop élevée. Le psychiatre Hans-Joachim Haase a alors eu l’idée d’introduire l’analyse de l’écriture manuscrite pour déterminer la quantité de neuroleptiques appropriée à chaque patient. Car avant que d’autres effets secondaires plus graves se développent avec ces traitements, on pouvait déjà constater une modification de l’écriture. Deux autres facteurs influent sur la façon d’écrire : la profession et le pays d’origine. En effet, les longues périodes d’études et les professions nécessitant à la fois un long apprentissage et de nombreuses tâches d’écriture conduisent en général à une écriture simplifiée ; les « gribouillages » souvent illisibles des médecins en sont un bon exemple. L’écriture manuscrite révèle également, souvent, le pays où l’on a été scolarisé. Par exemple, le « schulausgangsschrift », une forme d’écriture cursive simplifiée spécifique de certaines régions de
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l’Allemagne, se distingue, par certaines caractéristiques, de la graphie utilisée dans d’autres pays. Toutefois, la question de savoir si l’écriture restera à l’avenir, pour nous tous, une source d’information dans la vie de tous les jours est totalement ouverte… Nous écrivons de moins en moins à la main, privilégions les claviers et les écrans, et les signatures numériques gagnent de plus en plus de terrain. De sorte que, vraisemblablement, les chances de tirer des conclusions sur une personne ou son caractère à partir de son écriture s’amenuisent… encore plus ! £
Bibliographie P. Halder-Sinn et al., Handwriting and emotional stress, Perceptual Motor Skills, vol. 87, 1998.
VIE QUOTIDIENNE Les clés du comportement
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SYLVIE CHOKRON
Membre du laboratoire de psychologie et neurocognition à Grenoble et responsable de l’équipe Vision et cognition, à la fondation ophtalmologique Rothschild, à Paris.
Gare au burn-out de la rentrée ! Chaque année, septembre et octobre sont propices à des emplois du temps surchargés, avec les activités de toute la famille à caser… Le risque : une charge mentale trop élevée et le burn-out professionnel, social, voire familial. Peut-on l’éviter ?
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a y est, vous le vivez de nouveau, comme chaque année : rentrée rime avec agenda serré et ce, pendant plusieurs semaines… Un jonglage avec les horaires qui débute dès que vous recevez les emplois du temps de vos enfants. « Quoi ? Tu finis à 18 heures le lundi ? Mais comment vas-tu faire pour être à 17 heures à ton entraînement de boxe ? Ne compte pas sur moi pour t’y conduire le lendemain, c’est le soir de mon cours de yoga ! » PRODUCTIF AU TRAVAIL, À LA MAISON, EN VACANCES… Pourtant, avant l’été, alors épuisé(e) par l’année écoulée, vous vous étiez sans doute juré qu’on ne vous y reprendrait plus. Mais cette année ne fait encore pas exception : vos journées risquent de redevenir interminables… On nous le répète souvent : nous devons être productifs au travail sans pour autant négliger les
EN BREF £ Entre les activités des enfants et les vôtres, pas toujours facile de gérer les journées en cette rentrée ; les décrochages attentionnels sont fréquents… £ Beaucoup de personnes se sentent submergées, débordées, parfois au bord de la dépression. £ Les solutions : savoir quand notre esprit est en surchauffe et ne pas tout gérer en même temps, afin de lui accorder des pauses… ou simplement, diminuer le nombre d’activités.
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enfants ni notre vie personnelle et sociale, de sorte que nous avons pris l’habitude de tout cumuler. Parfois, bien au-delà des 35 heures de travail hebdomadaires, auxquelles on ajoute les activités artistiques et sportives pour s’épanouir, les pauses censées être relaxantes, comme la pratique du yoga ou de la méditation, tout en gardant une place, bien entendu, pour les tâches domestiques, voire les interactions sociales lorsqu’il nous reste un peu de temps libre ! Nos journées ressemblent donc, de plus en plus, à un marathon, ou plutôt à un sprint s’étirant sur au moins douze heures… LA CHARGE MENTALE AUGMENTE Et dire que tout cela devrait nous épanouir ! Au lieu de quoi, la plupart du temps, nous nous sentons débordés et épuisés, complètement surstimulés… Attention : le burn-out n’est pas loin, qu’il soit professionnel ou social, voire familial. Pourquoi un tel risque ?
© Charlotte Martin/www.c-est-a-direi.fr
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LIVRES Neurosciences et littérature
SEBASTIAN DIEGUEZ Chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’université de Fribourg, en Suisse.
Halldór Laxness ou les dérives du désir d’indépendance Dans son roman Gens indépendants, l’écrivain et Prix Nobel islandais Halldór Laxness a décrit les dérives contreproductives qui surviennent quand le désir d’indépendance l’emporte sur tout le reste.
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usqu’où peut-on aller pour clamer son droit à l’indépendance ? Idéal moderne quasi synonyme de liberté, d’authenticité et de dignité, l’indépendance résonne aujourd’hui comme une vertu que nul ne songerait à remettre en question, et pour laquelle il serait indispensable de se battre, quitte à lui sacrifier ses autres besoins. Évidemment, personne ne souhaite vivre sous le joug de qui que ce soit, ni se trouver à la merci du bon vouloir de son prochain. Mais la primauté
EN BREF £ Il était une fois un fermier islandais à ce point fier de son indépendance qu’il lui sacrifia son bien-être et celui des siens... £ En psychologie, la fierté se fixe sur ce qui est valorisé socialement. Et c’est précisément l’Islande, lieu de l’action de ce roman, qui faisait alors de l’indépendance une valeur cardinale. £ Nos sociétés occidentales font exactement de même. Attention donc à ne pas ressembler à ce fermier qui finit fort isolé.
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absolue accordée à cette valeur interroge chez une espèce éminemment sociale comme la nôtre, qui dépend largement de la collaboration mutuelle et de la bienveillance envers les moins bien dotés. D’où vient ce besoin d’affirmer son individualité et son affranchissement vis-à-vis des autres ? « Je ne dois rien à personne » est un leitmotiv courant chez ceux qui revendiquent leur indépendance, et les appels contemporains à la « liberté » rejoignent cette ferveur pour l’autonomie la plus absolue, resserrée autour de l’individu, encouragé à « penser par lui-même » et à « faire ses propres recherches » plutôt que de suivre l’avis de qui que ce soit. C’est comme si l’indépendance était le motif de fierté suprême, exclusif, absolu, au point qu’il devient inconcevable d’en sacrifier la moindre parcelle pour le bien commun – voire pour son propre bien – et impossible de faire confiance à quelqu’un d’autre que soi-même.
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À retrouver dans ce numéro
p. 78
HIPPOCAMPE
Cette zone cruciale pour la mémoire grossit en volume lorsqu’on se promène au moins quarante minutes trois fois par semaine pendant un an. Un facteur de croissance neuronal (molécule qui fait pousser les neurones) est alors libéré dans le cerveau. p. 74
700 ÉPOUSES
Le roi Salomon aurait eu 700 femmes et 300 concubines. Cela lui aurait valu bien des ennuis et aurait même conduit à la chute de son royaume. Les psychologues parlent de « paradoxe de Salomon » lorsqu’on donne d’excellents conseils aux autres mais qu’on ne se les applique guère à soi-même. p. 82
p. 24
BALAYAGE SEXUEL
Sex-addict, Charles réalise ce qu’on appelle un « balayage sexuel de l’environnement » – il passe son environnement au crible de manière systématique, toujours à l’affût d’une occasion de relation sexuelle, ce qui se traduit par des rapports à la fois nombreux, intenses, courts et insatisfaisants. Il note soigneusement ses conquêtes dans un carnet et le feuillette souvent pour se rassurer sur sa propre valeur.
TESTS GRAPHOLOGIQUES
« De nombreuses études n’ont trouvé aucun lien statistiquement valable entre les traits de personnalité et les caractéristiques de l’écriture. » Petra Halder-Sinn, université Justus-Liebig, à Gießen
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des cas de démence seraient dus à une perte d’audition, ce qui constitue la première cause identifiée. L’isolement social résultant de la perte d’audition serait le principal facteur incriminé.
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GÉNÉRAL ÉCOLO
Le général Ron Keys, de l’armée de l’air des États-Unis, a pris la parole pour expliquer comment le réchauffement climatique menace la sécurité nationale et met l’armée en difficulté. Il est un des exemples de personnages conservateurs qui se convertissent à la lutte pour le climat.
LOCUS CŒRULEUS
Ce centre nerveux situé dans le tronc cérébral régule l’activité du cerveau en libérant un neurotransmetteur appelé « noradrénaline ». Il favorise ainsi l’attention, la perception et la mémoire, en même temps qu’il dilate les pupilles. C’est pourquoi la taille de ces dernières refléterait l’intelligence d’une personne.
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JAMAIS FATIGUÉ
Un casque qui détecte les ondes cérébrales thêta et alpha calcule leur rapport et mesure le degré de surcharge cognitive pour signaler le moment de faire une pause.
Imprimé en France – Maury imprimeur S. A. Malesherbes– Dépôt légal : septembre 2021 – N° d’édition : M0760136-01 – Commission paritaire : 0723 K 83412 – Distribution : MLP – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur : 256 865 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot