Cerveau & Psycho n°144 - Juin 2022

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Cerveau & Psycho

Cerveau & Psycho

BIEN VIVRE EN TÉLÉTRAVAIL

Les clés de la psychologie pour un équilibre durable

Juin 2022

N°144

N° 144 Juin 2022

L 13252 - 144 S - F: 7,00 € - RD

COMMENT BOOSTER SA CRÉATIVITÉ ?

BIEN VIVRE EN

FATIGUÉ DES VISIOS ? TESTEZ-VOUS ET RÉAGISSEZ

TÉLÉTRAVAIL Les clés de la psychologie pour un équilibre durable

HYPNOSE AUX FRONTIÈRES DE LA CONSCIENCE

NEURONES MIROIRS À QUOI SERVENT-ILS VRAIMENT ? ANXIÉTÉ QUAND LES MÉDIAS RENDENT MALADE DE PEUR

DOM : 8,50 € – BEL./LUX. : 8,50 € – CH : 12,00 FS – CAN. : 12,99 CA$ – TOM : 1 100 XPF

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bien vous

Grand

fasse ! ALI REBEIHI

DE LA PSYCHO DU QUOTIDIEN DU SOURIRE

© Photo : Christophe Abramowtiz / Radio France

10H / 11H


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N° 144

ÉDITORIAL

NOS CONTRIBUTEURS

p. 24-29

Laurent Bègue-Shankland

SÉBASTIEN BOHLER

Membre de l’Institut universitaire de France et professeur de psychologie sociale à l’université Grenoble-Alpes, il étudie les comportements violents et les façons de les prévenir, notamment chez l’enfant et l’adolescent.

p. 30-34

Esteban Munoz-Musat

Neurologue, doctorant en neurosciences cognitives à l’Institut du cerveau de Paris et à Sorbonne Université, il a conçu une expérience d’hypnose révélant les bases de la conscience.

p. 36-57

Didier Truchot

Professeur de psychologie sociale à l’université de Franche-Comté, membre du laboratoire de psychologie, il est responsable de l’axe de recherche « Travail, Santé, Professionnalisation ». Ses travaux explorent les processus sociocognitifs intra-individuels, inter-individuels et organisationnels déterminant la qualité de vie au travail, ainsi que les risques psychosociaux.

p. 90-91

Katrin Giel

Professeuse de psychologie du comportement bioalimentaire à la clinique universitaire de Tübingen, en Allemagne, elle étudie les liens entre surpoids et santé mentale.

Rédacteur en chef

Si loin, si proche…

N

ous y voilà. Au début du premier épisode du monde d’après. Début de la fin du Covid (sous réserve de reprogrammation), fin du début de la guerre en Europe, vrai commencement du monde de 2100, qui sera cuit à + 2, + 3 ou + 4 °C selon les préférences – saignant, à point, bien cuit ou carbonisé. Cela paraît loin, mais c’est proche, l’horizon 2100. Pardon, l’Ukraine. Enfin, tout est loin, tout est proche. Comme vos collègues en télétravail. Un coup de visio, et les voilà dans votre salon. On se fait une beauté, on incline l’écran, on sourit, on fixe les autres sans ciller pendant des heures, et à la fin de la journée c’est la migraine assurée. Vous découvrez alors ce mal nouveau, la « zoom fatigue », tellement répandu aujourd’hui que des équipes de psys l’étudient et vous livrent ici les moyens de ne pas y succomber (voir page 48). Le biais d’hyperattention visuelle, l’importance involontaire accordée à l’apparence physique, et voilà les consultations de chirurgie esthétique qui s’envolent depuis que le télétravail fait de même. Mais ces quelques écueils évités, le distanciel vous offrira un certain nombre d’avantages qui sont exposés dans ce dossier. Si loin de notre conscience se trouve aussi ce gorille pourtant si proche de nos yeux. Oui, le gorille au milieu du terrain de basket, dans une célèbre expérience de psychologie, ce grand primate velu que personne ne voit alors qu’il est juste sous notre nez ! Comment est-ce possible ? Des chercheurs français viennent de le découvrir (voir page 30) : nous pouvons devenir littéralement aveugles à l’essentiel quand notre attention est fixée ailleurs. Comme avec les dictateurs et le climat. £

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SOMMAIRE N° 144 JUIN 2022

p. 6

p. 16

p. 24

p. 35

DÉCOUVERTES

p. 12 FOCUS

Créativité : libérez votre inconscient !

Les idées nouvelles viennent parfois quand on « bloque » sa pensée rationnelle. Emily Laber-Warren

p. 16 NEUROSCIENCES

Dossier

p. 30

p. 6-34

p. 6 ACTUALITÉS La meilleure odeur du monde Faut-il sortir de sa zone de confort ? Qui vole un dé à coudre, vole un cheval Le meilleur des régimes ? Dormir… Déclin cognitif : les antibio en cause ?

p. 35-57

p. 24 PSYCHOLOGIE

De l’enfant à l’adulte violent

Tout enfant a sa part d’agressivité. Mais quand cela devient-il préoccupant ? Et quels sont les risques d’évoluer en adulte violent ? Laurent Bègue-Shankland

p. 30 NEUROSCIENCES

La conscience, dévoilée par l’hypnose L’hypnose peut « éteindre » la conscience de certains stimuli. Ce qui permet, en creux, de visualiser les structures du cerveau qui lui donnent naissance. Esteban Munoz Musat

Neurones miroirs : quel bilan, trente ans après ?

BIEN VIVRE EN TÉLÉTRAVAIL Didier Truchot

p. 36 PSYCHOLOGIE SOCIALE

DISTANCIEL / PRÉSENTIEL : TROUVER L’ÉQUILIBRE

Le télétravail est en train de s’imposer. Sachez trouver la bonne dose pour qu’il soit un facteur d’épanouissement. p. 46 ÉCONOMIE

LE TÉLÉTRAVAIL, BON POUR LA PLANÈTE ?

Moins de transports et de pollution, mais plus de connexion internet et de chauffage… p. 48 PSYCHOLOGIE

ÉVITEZ LA « ZOOM FATIGUE » !

Imitation, empathie, langage : on a prêté toutes les qualités aux neurones miroirs. Mais avec le recul, qu’en est-il réellement ?

Après des journées en visioconférences, votre tête explose : c’est la zoom fatigue. Sachez la reconnaître pour l’éviter.

Anton Benz

p. 56 TEST

ÊTES-VOUS « ZOOM FATIGUÉ(E) » ?

TESTEZ-VOUS ET RÉAGISSEZ ! Ce numéro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho, broché en cahier intérieur, sur toute la diffusion kiosque en France métropolitaine. Il comporte également un courrier de réabonnement, posé sur le magazine, sur une sélection d’abonnés. En couverture : © Ardea-studio/Shutterstock

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p. 58 p. 94

p. 68

p. 72

p. 76

p. 82

p. 92

p. 58-74

p. 76-91

ÉCLAIRAGES

VIE QUOTIDIENNE LIVRES

p. 58 CAS CLINIQUE

p. 76 PSYCHOLOGIE SOCIALE

GRÉGORY MICHEL

Fanny, malade des médias

Covid-19, guerre en Ukraine, réchauffement climatique : toutes ces informations ont rendu Fanny malade… p. 68 RAISON ET DÉRAISON NICOLAS GAUVRIT

Ukraine : le syndrome de la victime coupable Certains ont tenté de rendre l’Ukraine responsable de sa propre agression. La faute à un étonnant biais cognitif. p. 72 L’ENVERS DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL

YVES-ALEXANDRE THALMANN

Une version aboutie de soi-même ?

Changer est possible, mais pas s’arrêter dans la meilleure position souhaitée !

p. 92-97

Petites vengeances entre amis

Querelle de voisinage, partenaire infidèle : qui n’a jamais eu envie de se venger ? Mais attention aux retours de flamme… Theodor Schaarschmidt

p. 82 PSYCHOLOGIE

Dans les griffes du « gaslighting »

Cette technique de manipulation très en vogue consiste à faire douter une personne de sa santé mentale. Dévastateur. Corinna Hartmann

p. 88 L’ÉCOLE DES CERVEAUX JEAN-PHILIPPE LACHAUX

Quand le prof devient un acteur

Comme les comédiens, les enseignants utilisent la présence, l’attention conjointe, l’empathie et la multisensorialité pour faire passer leur message à leur auditoire. p. 90 LA QUESTION DU MOIS

Le surpoids nuit-il à la santé mentale ? Katrin Giel

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p. 92 SÉLECTION DE LIVRES Dans le cerveau des comédiens Histoire de la psychologie Le Cerveau cuisinier Rusé comme un humain La Face cachée de la psychologie positive Cerveau et nature p. 94 NEUROSCIENCES ET LITTÉRATURE SEBASTIAN DIEGUEZ

Traité du funambulisme : comment lutter contre le vertige

Cet ouvrage du funambule star Philippe Petit propose une plongée au cœur de la peur du vide – pour mieux l’apprivoiser.


DÉCOUVERTES

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p. 12 Créativité : libérez votre inconscient ! p. 16 Neurones miroirs : quel bilan, trente ans après ? p. 24 De l’enfant à l’adulte violent p. 30 La conscience,

Actualités Par la rédaction PERCEPTION

La meilleure odeur du monde ? Quand on leur demande quelle odeur elles préfèrent, des personnes de cultures très différentes donnent souvent la même réponse. Alors, les préférences olfactives sont-elles universelles ? A. Arshamian et al., Current Biology, le 4 avril 2022.

© Maya Kruchankova/Shutterstock

P

eut-être avez-vous bondi en lisant le titre de cet article. Impossible que le monde entier s’accorde sur une « meilleure odeur », tant la culture influence nos perceptions ! Quoi, entre un agriculteur de la Creuse, un pêcheur du Pérou et un citadin de New York, les préférences seraient les mêmes ? En grande partie, oui. C’est ce que viennent de découvrir Asifa Majid, de l’université d’Oxford, et ses collègues. Pour trancher cette question controversée, les chercheurs se sont focalisés sur les constituants élémentaires des odeurs que nous sentons habituellement, c’est-à-dire sur des substances composées d’un seul type de molécule, comme le linalol, aux teintes florales et d’agrume (un parfum de vin, de café ou de rose comprend jusqu’à plusieurs centaines de ces constituants). Ils ont alors testé les préférences olfactives de 225 personnes appartenant à 9 populations aux modes de vie variés : chasseurs-cueilleurs, horticulteurs, citadins issus de grandes agglomérations modernes… Les participants habitaient en outre dans des pays divers et sous tous

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dévoilée par l’hypnose ? PSYCHOLOGIE RETROUVEZ-NOUS SUR

Jalousie entre amis J. Arona Krems et al., Evolution and Human Behavior, 2022.

montré que les facteurs culturels expliquent seulement 6 % des variations observées – à titre de comparaison, la perception de la beauté des visages dépendrait à 50 % de tels facteurs, selon de précédents travaux. Asifa Majid cite un exemple édifiant de telles influences ponctuelles, à travers le cas des populations tchouktches et yupiks du détroit de Béring, traditionnellement consommatrices de poisson et de lait de renne fermenté : après avoir été déplacées pendant l’ère soviétique, ces clans sont revenus à leur terre et à leur mode de vie ancestral, mais de multiples jeunes ne supportaient plus les senteurs de ces mets, qu’ils n’avaient jamais connus. Les variations individuelles, quant à elles, résulteraient notamment de combinaisons de récepteurs olfactifs différentes selon les gens. « Nous savons, par exemple, que certaines personnes n’ont pas la même appréciation de l’odeur de coriandre et que cela est lié à l’expression génétique des récepteurs olfactifs », explique Asifa Majid. Si la vanille n’est pas au sommet de votre panthéon personnel, vous n’êtes donc pas le seul. Dans l’étude, une personne l’a même classée comme la pire odeur. Et quatre participants ont estimé que l’acide isovalérique dégageait le parfum le plus agréable. Or les effluves de cet acide, bon dernier du classement moyen, se décrivent comme un mélange d’odeurs de fromage, de pieds, de gras et de transpiration… £ Guillaume Jacquemont

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A

vez-vous éprouvé de la jalousie quand votre meilleur(e) ami(e) tissait des liens avec un(e) inconnu(e) du même sexe ? Selon une récente étude de l’université d’État de l’Oklahoma, des différences existeraient entre femmes et hommes : les premières seraient plus jalouses de leur meilleure amie, les seconds davantage à propos de simples connaissances. Dans cette étude, des participants devaient inscrire sur une liste les noms d’un(e) meilleur(e) ami(e), de deux ami(e)s moins proches et de deux connaissances (voisins, collègues, etc.). Puis, il leur était demandé d’imaginer qu’une autre personne nouait des liens de plus en plus étroits avec chacun de ces individus, et d’estimer le niveau de jalousie qu’ils ressentiraient face à pareille situation. Résultat : les plus forts niveaux de jalousie étaient obtenus par les femmes quand leur meilleure amie était approchée par une étrangère. En revanche, la jalousie masculine dépassait celle des femmes lorsqu’il s’agissait de simples connaissances. Comment l’expliquer ? Selon la théorie du « conflit intergroupe », les hommes surveilleraient volontiers les alliances entre individus au sein de coalitions (équipes de foot dès l’école…), les femmes étant plus attentives au maintien de relations de proximité. Les psychologues ont donc testé les niveaux de jalousie des participants visà-vis d’un inconnu isolé ou d’un membre d’un groupe rival, et ce sont les hommes qui ont le plus mal réagi dans le second cas. Touche pas à mon pote, certes, mais surtout pas à mon allié. £ Sébastien Bohler

© izzuanroslan/Shutterstock.com

les climats, depuis les côtes désertiques mexicaines jusqu’aux forêts tropicales thaïlandaises. Chaque sujet s’est vu présenter dix sticks odorants, qu’il devait classer du plus agréable (tout à gauche) au plus déplaisant (tout à droite). Les résultats ont révélé un accord étonnant entre les cultures, qui ont livré des classements très voisins. La plupart d’entre elles ont ainsi placé la vanilline (la molécule d’où la vanille tire son odeur caractéristique) en tête des senteurs les plus agréables. Suivaient le butanoate d’éthyle, aux effluves fruités, et le linalol. Comment expliquer ces similarités entre les cultures ? L’évolution a probablement posé de fortes contraintes en la matière : mieux vaut ne pas être attiré par les effluves émanant d’aliments avariés ou d’un prédateur, tandis qu’apprécier l’odeur d’un fruit mûr, de son bébé ou d’un partenaire potentiel présente un intérêt évident pour la survie de l’espèce. Nous serions alors attirés ou repoussés par des substances aux structures moléculaires bien précises, comme l’a montré une phase ultérieure de l’étude, où les chercheurs ont construit un algorithme capable de prédire l’agréabilité d’une odeur en fonction des caractéristiques chimiques de sa source. Il y avait tout de même des variations entre les participants, mais elles dépendaient plus de facteurs individuels, autrement dit du goût de chacun, que d’influences culturelles. De complexes analyses statistiques ont


© Lalandrew/Shutterstock ; neurones : © viktorov.pro/shutterstock

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DÉCOUVERTES Neurosciences

Neurones miroirs Quel bilan, trente ans après ? Il y a trois décennies, des chercheurs italiens découvraient une nouvelle classe de neurones aux propriétés étonnantes. Capables d’imiter, de deviner les intentions d’autrui, d’inculquer le langage, ces neurones miroirs – pensait-on – savaient tout faire. Mais une série d’autres découvertes allaient progressivement relativiser ces superpouvoirs…

É

Par Anton Benz, journaliste scientifique.

té 1992. Un soleil torride écrase la ville de Parme. Dans un laboratoire de l’Institut de physiologie humaine, un singe attend que les scientifiques reviennent de leur pause déjeuner. Le macaque, bardé de câbles en tous sens, est relié à un appareil qui enregistre l’activité des neurones de son cortex moteur, une partie du cerveau située au sommet du crâne et qui pilote les mouvements. L’appareil a été calibré pour émettre un bourdonnement à chaque fois qu’il attrape de la nourriture. Lentement, le groupe de Giacomo Rizzolatti revient de la cantine. Un doctorant lèche encore tranquillement sa glace avant de retourner au travail. Alors qu’il porte la boule à la bouche dans le champ de vision du singe, il se passe quelque chose qui va changer à jamais la recherche sur le cerveau : l’appareil se déclenche alors que le cobaye ne bouge pas. Les cellules nerveuses qui s’activent lorsque le macaque porte lui-même de la nourriture à la bouche réagissent également à la simple observation du même mouvement ! C’est la découverte des neurones miroirs. Cette histoire est celle que l’on trouve le plus souvent sur internet. La réalité est un peu différente. Trente ans plus tard, Giacomo Rizzolatti, aujourd’hui émérite, en rit : « Ce n’est rien d’autre qu’un mythe qui a été publié une fois dans le

EN BREF

£ Au début des années 1990, le neuroscientifique Giacomo Rizzolatti et son équipe ont réalisé une percée spectaculaire : ils ont découvert les neurones miroirs, une nouvelle classe de cellules nerveuses qui suscitèrent un engouement inédit. £ Les neurones miroirs furent bientôt qualifiés de briques élémentaires du langage, de l’empathie, de la socialisation… £ Trente ans après, un bilan des vrais pouvoirs des neurones miroirs montre qu’ils ne font certainement pas tout ça à la fois. Mais ils restent des champions de l’imitation – au moins sur un plan purement gestuel.

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New York Times et qui s’est propagé à partir de là. La véritable histoire est beaucoup moins spectaculaire : nous avions une petite réserve dans laquelle nous prenions les cacahuètes pour les donner aux singes. À notre grande surprise, certaines de leurs cellules nerveuses s’allumaient aussi bien quand ils nous voyaient prendre les cacahuètes, que lorsqu’ils les prenaient eux-mêmes. » « L’ADN DES NEUROSCIENCES » Même enjolivé, cet épisode est un fait marquant de la science. De fait, les neurones miroirs sont devenus les stars de la recherche sur le cerveau. Peu de sujets ont attiré autant l’attention du grand public. Combien de fois le New York Times a-t-il parlé de la recherche fondamentale en neurosciences ? Une véritable campagne de relations publiques n’a fait qu’accroître l’intérêt des médias. « Je prédis que les neurones miroirs seront à la psychologie ce que l’ADN a été à la biologie », affirme partant le neurologue Vilayanur Ramachandran, de l’université de Californie à San Diego. Mais entre-temps, l’intérêt scientifique pour les fameuses cellules nerveuses a diminué (voir la figure page 18). La question se pose donc : que savons-nous vraiment des neurones miroirs, trente ans après leur découverte ? Sont-ils la brique élémentaire de la

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DÉCOUVERTES Psychologie

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De l’enfant à l’adulte violent Par Laurent Bègue-Shankland, professeur de psychologie sociale à l’université Grenoble-Alpes et membre de l’Institut de France.

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n 1831, dans son livre Recherches sur le penchant au crime aux différents âges, Adolphe Quetelet a publié une courbe qui a marqué la criminologie quantitative. S’appuyant sur les chiffres de la criminalité en France entre 1826 et 1829, le statisticien belge avait tracé la fréquence des crimes en fonction de l’âge. Il avait constaté une augmentation de la fréquence relative des délits, violents ou non, au cours de l’adolescence jusqu’à un pic au début de l’âge adulte, puis un déclin jusqu’à la fin de la vie. Les statistiques ultérieures de la justice et de la police dans les pays occidentaux ont corroboré ces observations. De fait, depuis le XVIe siècle, et dans plusieurs villes d’Europe, on constate que le nombre d’auteurs d’homicides augmente fortement dans la classe d’âge des 10-19 ans, puis décroît de manière marquée jusqu’à 40 ans, avant de poursuivre un très lent déclin jusqu’à 70 ans et plus. Pendant longtemps, les travaux sur le développement de l’agression ont donc évoqué la courbe âge-crime de Quetelet comme un phénomène majeur. En général, les évolutions qu’elle

Les comportements agressifs à l’âge adulte plongent souvent leurs racines dans l’enfance et s’installent à cause de différents contextes sociaux. Développer les capacités relationnelles de l’enfant est une clé de la prévention.

EN BREF

£ Chez la majorité des individus, la fréquence et l’intensité des comportements agressifs diminuent au cours de l’enfance. £ Mais chez une faible proportion, les conduites agressives persistent à l’âge adulte. £ Les principaux facteurs de risque sont l’influence des pairs et le cadre familial. £ Des mesures préventives visent à développer les capacités relationnelles durant l’enfance.

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mettait en exergue étaient imputées à la conjugaison de facteurs biologiques (maturation physiologique) et sociaux (exposition à des pairs délinquants, opportunités déviantes). Mais en 1992, Richard Tremblay, chercheur en criminologie à l’université de Montréal, a envisagé une autre hypothèse : la courbe âge-crime refléterait, au moins en partie, les variations de l’intervention des instances du contrôle social. Autrement dit, l’augmentation des actes de violence enregistrés traduirait simplement l’intolérance croissante des autorités pour la délinquance des adolescents – ce qui conduirait à la sanctionner de plus en plus sévèrement en fonction de l’âge –, et non une véritable élévation générale de la violence suivie d’un déclin. Pour Richard Tremblay, non seulement les conduites agressives n’augmenteraient pas avec l’âge, mais elles diminueraient chez la majorité des jeunes. Ceux-ci apprendraient progressivement à faire usage d’autres méthodes de communication et d’influence d’autrui en grandissant. L’observation éthologique des interactions des


© Bernd Vogel /Gettyimages

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La conscience, dévoilée par

l’hypnose Par Esteban Munoz Musat, neurologue, doctorant en neurosciences cognitives à l’Institut du cerveau de Paris et à Sorbonne Université.

Comment notre cerveau donne-t-il naissance à notre conscience ? Des chercheurs ont fait un grand pas vers la réponse en allumant et en éteignant successivement la conscience des sons chez une patiente au cours de séances d’hypnose.

Le cerveau humain est traversé de millions de connexions neuronales qui relient entre elles ses différentes régions. Quand une information se propage à l’ensemble du réseau, elle aurait de grandes chances de devenir consciente…

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DÉCOUVERTES Neurosciences

P

EN BREF £ En hypnotisant une patiente, des chercheurs l’ont rendue momentanément sourde. Les sons ne parvenaient plus à sa conscience. £ Ils ont constaté que les sons étaient toujours perçus par une partie du cerveau, mais n’accédaient pas à un vaste réseau d’aires cérébrales qu’on appelle l’« espace de travail neuronal global ».

© Callista Images/Gettyimages

£ Cette expérience montre que la conscience émerge de l’activité de ce réseau global. La conscience surgirait lorsqu’un stimulus s’étend de la zone primaire de son traitement dans le cerveau pour se propager à l’ensemble du cortex. £ Les autres stimuli, confinés aux zones purement perceptives, ne sont pas perçus consciemment – même s’ils peuvent avoir un impact sur notre comportement ou nos émotions.

endant que vous êtes en train de lire ces lignes, une foule d’informations sont perçues et traitées par votre cerveau. Le ronronnement du frigo dans un coin de la cuisine, le claquement d’une porte dans un bureau voisin, le contact de vos pieds sur le sol, une odeur diffuse (d’encre, de café ?) dans la pièce. Mais ces informations ne parviennent pas toutes à votre conscience. Si vous êtes bien concentré sur ce texte, seuls les mots sur le papier y accèdent. Mais alors, où vont les autres informations ? En 1999, une expérience de psychologie a fait sensation : celle dite « du gorille ». Dans cette expérience, pensée et réalisée par les psychologues Christopher Chabris et Daniel Simons, de l’université de l’Illinois, des participants regardent des joueurs de basket s’échanger le ballon sur un terrain, et doivent compter les passes qu’ils réalisent. Au bout de quelques secondes, un homme déguisé en gorille fait irruption parmi les joueurs, se plante au milieu du terrain, se frappe la poitrine aux yeux de tous, puis repart comme si de rien n’était. Les résultats de cette étude étonnante ont montré que personne ou presque ne voit le gorille, alors qu’il occupe le centre de la scène. L’attention portée sur les passes fait en sorte que seuls la balle et les joueurs impliqués sont traités consciemment par le cerveau. Alors, de nouveau la même question : le gorille est-il passé à la trappe ? Pas vraiment. Il s’est bien projeté sur la rétine des spectateurs. Le nerf optique a bien transmis les informations au cerveau. Mais ensuite, il s’est passé quelque chose. Les informations n’ont pas accédé à la conscience des spectateurs. Tout comme le ronronnement du frigo ou la sensation de votre gros orteil au bout de votre chaussure (et pourtant, lui aussi envoie des informations vers les zones somatosensorielles de votre cerveau !) restent dans les limbes d’une perception non consciente, qui peut certes influer sur votre organisme ou vos réactions (sous forme d’un vague énervement que produit

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la satanée vibration du frigo depuis plus d’une heure !), mais dont vous ne saurez jamais rien. Toutes ces données sont bel et bien reçues par le cerveau, mais pas au niveau conscient. Qu’est-ce que cela signifie ? ENFIN LA RÉPONSE À UNE VIEILLE QUESTION Nous posons là une des questions fondamentales sur la façon dont fonctionne notre cerveau. Depuis des siècles, écrivains, philosophes, puis psychologues et enfin neuroscientifiques se demandent ce qui nous confère cette qualité si particulière qu’est la conscience, ce théâtre intérieur du monde extérieur qui sous-tend la pensée délibérative, le langage, le sentiment d’exister pour soi et les autres. Récemment, nous avons eu une occasion unique d’observer ce qui se passe dans le cerveau d’une personne lorsqu’on autorise des informations comme le ronronnement du frigo (informations auditives, donc) à accéder à sa conscience, ou au contraire lorsqu’on bloque cet accès. Il s’agissait d’une femme d’une quarantaine d’années que nous avait adressée un de nos collègues, le docteur Jean-Marc Benhaïem, dirigeant le diplôme universitaire d’hypnose médicale de Sorbonne Université. Cette femme avait pour particularité d’être hautement hypnotisable. Elle faisait partie des 15 % de personnes dans la population chez qui la suggestion hypnotique est très efficace (il existe par ailleurs 15 % de personnes très peu hypnotisables, et 70 % d’individus à la sensibilité moyenne). L’avantage ? Chez cette femme, il est possible d’induire ce qu’on appelle une « surdité hypnotique ». En d’autres termes, dès lors que son hypnothérapeute lui enjoint de ne plus rien entendre, elle n’entend vraiment plus rien (à part la voix de l’hypnotiseur). Dans les termes qui nous intéressent, elle n’avait plus « conscience » des sons qui l’entouraient, même si son cerveau les recevait et, probablement, continuait de les traiter – ce que nous voulions vérifier.

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Dossier

DISTANCIEL / PRÉSENTIEL

TROUVER L’EQUILIBRE

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La pandémie de Covid-19 a certainement transformé la vie des travailleurs qui, coincés chez eux, ont expérimenté le télétravail. Et la plupart ne veulent plus l’abandonner aujourd’hui… Mais qui peut se le permettre ? Quels sont les avantages et inconvénients à travailler chez soi ? Par Didier Truchot, professeur de psychologie sociale à l’université de Franche-Comté.

EN BREF £ Le télétravail transforme la vie des gens, en bien ou en mal, selon leur façon de travailler, d’interagir avec autrui, et en fonction de leur personnalité. £ Mais dans l’ensemble, il est plutôt positif : les télétravailleurs se concentrent davantage, travaillent plus longtemps et mieux, et améliorent leur capacité à concilier vie professionnelle et vie familiale. Leur bien-être général est meilleur.

© askmenow/GettyImages

£ Son acceptation dépend aussi des valeurs culturelles du pays et des entreprises.

A

vec la crise sanitaire liée au Covid-19 et les confinements qui l’ont accompagnée, on a vu le télétravail se développer comme jamais auparavant. Et il y a de fortes chances qu’il s’installe durablement dans des entreprises ou pour des métiers qui n’y avaient pas forcément recours avant la pandémie. Car cette pratique s’est imposée comme une réponse à différents défis, d’abord sanitaires mais ensuite individuels, économiques et sociaux. TOUT DÉPEND DE L’ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE EXERCÉE En effet, parmi les bénéfices attendus, on compte un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, une plus grande efficacité au travail avec une concentration plus élevée, une diminution du stress lié aux déplacements domiciletravail et une réduction du trafic routier et des embouteillages, d’où une amélioration de la qualité de l’air. De plus, les managers y voient en général à la fois l’occasion d’avoir des équipes plus flexibles et un moyen de diminuer la surface des locaux nécessaires. D’ailleurs, on a constaté récemment, en France, que des entreprises qui découvraient les bénéfices du travail en distanciel, après son instauration liée à la pandémie de Covid-19, quittaient par la suite les locaux qu’elles louaient, souvent pour de plus petits et la mise en place du flexoffice – un espace de travail dans lequel personne ne dispose d’un bureau attitré.

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DOSSIER BIEN VIVRE EN TÉLÉTRAVAIL

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LE TÉLÉTRAVAIL, BON POUR LA PLANÈTE ? En travaillant depuis chez soi, on évite beaucoup de temps passé dans les transports, et on limite les émissions de gaz à effet de serre. Mais on consomme plus de chauffage en hiver dans son foyer. Quel est le bilan ?

D

epuis l’accélération récente de son développement en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19, le télétravail insuffle des changements qu’attendaient ses promoteurs dans les années 1970. En effet, pour eux, une des fonctions essentielles serait de résoudre les problèmes d’embouteillage, de pollution et de pénurie des ressources pétrolières. Parallèlement, il devrait réduire le nombre d’accidents et alléger les besoins en matière d’infrastructures de transport. Mais le télétravail tient-il ses promesses en matière de réduction des dépenses d’énergie ? Les résultats sont mitigés. Certes, d’après certaines études, l’impact du télétravail sur la qualité de l’air est positif. À titre d’exemple, d’après une enquête réalisée par la Consumer Electronics Association, en 2013, aux États-Unis, le télétravail a réduit l’équivalent de la production de trois centrales électriques, soit la dépense annuelle d’électricité de près de 750 000 foyers. Dans la littérature, on trouve d’autres études réalisées à travers le monde qui donnent des résultats allant dans le même sens. En France, d’après l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, le bilan global du télétravail serait positif du point de vue environnemental. Une affirmation qui s’appuie entre autres sur une enquête menée auprès de 26 organisations françaises et d’une analyse de la littérature. Ainsi, une journée de télétravail permettrait de réduire de 69 % les déplacements du jour. Toutefois, bien des études ont identifié des effets rebond qui viennent modérer, voire

Par Didier Truchot, professeur de psychologie sociale à l’université de Franche-Comté.

contrecarrer, les bénéfices du télétravail en matière de protection de l’environnement. En voici les principaux. D’abord, les visioconférences et le doublement de l’équipement informatique (si le salarié dispose d’un ordinateur, d’une imprimante…, à la fois chez lui et sur son lieu de travail) auraient un impact écologique négatif non négligeable. Au niveau de la planète, la pollution numérique est aujourd’hui responsable de 4 % des émissions de gaz à effet de serre… À cela s’ajoute l’augmentation de la consommation d’énergie au domicile les jours de télétravail : chauffage, climatisation, éclairage, internet, équipements, préparation du repas (électricité, gaz, fuel). D’après certaines analyses qui prennent en compte toutes les surconsommations, on aboutirait, les jours de télétravail, à une consommation additionnelle de 7,5 kilowattheures (sachant qu’en 2019, un ménage consomme en moyenne 12,5 kilowattheures par jour). LE NUMÉRIQUE : 4 % DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE Par ailleurs, quand les salariés travaillent à la maison, il arrive souvent qu’ils utilisent leur véhicule pour des trajets qu’ils n’auraient pas faits s’ils étaient allés au bureau. Et des trajets qu’ils avaient intégrés à leur déplacement domicile-travail habituel viennent éventuellement s’ajouter à leur journée télétravaillée, par exemple déposer les enfants à l’école ou faire des courses. De plus, la voiture étant disponible, elle est parfois utilisée par d’autres membres de la famille. Et comme le télétravail permet de résider plus loin du lieu de l’entreprise, les trajets deviennent plus longs les jours

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à des fonctions de production (traitement des opérations bancaires, relations téléphoniques avec les clients) – des modalités de télétravail pour le moins atypiques en France : travailler tous les jours chez eux à l’exception de deux jours par mois où ils doivent se rendre au siège du groupe à Boulogne-Billancourt. Ces salariés peuvent s’installer où ils le souhaitent en France, « même en Corse ». Et l’entreprise prend en charge les frais de déplacement (transport, nuits d’hôtel) occasionnés par les journées de travail au siège. Parallèlement, des communes enclavées mais attrayantes par leur charme cherchent à séduire les cadres en installant des télécentres avec bureaux, espace de coworking, salle de pause, autrement dit en proposant un cadre plus professionnel que le domicile. Cette tendance est prise au sérieux, puisque la délégation sénatoriale à la Prospective s’interroge sur l’avenir des quartiers d’affaires actuels. Bien entendu, nous manquons aujourd’hui de recul pour tirer un premier bilan sur l’environnement, mais aussi sur le bien-être des travailleurs, de ces expériences naissantes. Mais, quoi qu’il en soit, les cadres ne semblent plus considérer les zones urbaines comme étant indispensables à leur réussite professionnelle… £

UN RÉAMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ? Autre conséquence du télétravail, notamment depuis le début de la crise sanitaire, qui aura certainement un impact négatif sur l’environnement du fait de l’augmentation des déplacements : les médias se font l’écho de situations idylliques de salariés quittant l’horizon bouché des zones urbaines pour une belle et grande maison aérée à la campagne, au bord de la mer ou en montagne, parfois à des centaines de kilomètres de la maison mère de leur entreprise… D’après une étude de Cadremploi d’avril 2021, 83 % des cadres franciliens envisageraient de quitter l’Île-de-France à court terme, afin de vivre dans de meilleures conditions, et donc de se sentir mieux. Dès novembre 2020, Boursorama, une banque en ligne filiale de la Société générale, a proposé à la moitié de ses salariés – ceux affectés

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Sur le web Ademe, Télétravail, (im)mobilité et modes de vie, 2020 : https ://librairie.ademe. fr/consommerautrement/314teletravail immobiliteet-modes-de-vie.html

© Malte Mueller/GettyImages

en présentiel… Autre effet rebond notoire : les télétravailleurs ont tendance à se déplacer beaucoup plus en voiture le week-end, comparativement à leurs collègues ayant passé la semaine au bureau. Les bénéfices du télétravail pour l’environnement dépendent aussi du type de transport qu’il économise. Ainsi, Minmeng Tang, de l’université de Californie à Davis, et ses collègues ont observé que les individus ayant une attitude positive vis-àvis de la bicyclette et des transports en commun, et négative vis-à-vis de la voiture, sont plus susceptibles de télétravailler. Par ailleurs, dans les régions bien équipées en transports en commun, pistes cyclables, etc., les avantages du télétravail sont bien moindres que dans les conurbations où les télétravailleurs utilisent leur véhicule personnel. Quoi qu’il en soit, d’après l’Ademe, « l’ensemble des effets rebond identifiés (déplacements supplémentaires, relocalisation du domicile, usage de la visioconférence, consommation énergétique du domicile…) peuvent réduire en moyenne de 31 % les bénéfices environnementaux du télétravail. Cependant, si l’on prend en compte également les effets positifs induits – en particulier ceux engendrés par le flexoffice organisé –, nous obtenons une balance positive de 52 %, soit une baisse des émissions carbone de 234 kilogrammes équivalent CO2/an (l’équivalent de la production d’un hamburger avec du bœuf), pour chaque jour de télétravail hebdomadaire. Ces bénéfices sont significatifs et justifient l’encouragement du développement du travail à domicile, dans un contexte où il est par ailleurs plébiscité par les salariés eux-mêmes en raison de ses avantages individuels (qualité de vie, gain de temps et d’argent, etc.) ».


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DOSSIER BIEN VIVRE EN TÉLÉTRAVAIL

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ÉVITEZ LA « ZOOM FATIGUE » ! Depuis que le télétravail se développe, nous passons beaucoup de temps en visioconférences, par Zoom, Teams ou d’autres applications, pour des réunions ou des appels. Mais de plus en plus de personnes s’en plaignent : elles seraient anormalement fatiguées… Pourquoi ? Par Didier Truchot, professeur de psychologie sociale à l’université de Franche-Comté.

EN BREF £ Depuis le début de la crise sanitaire, le télétravail s’est imposé et les visioconférences, sur Zoom notamment, aussi.

© Nadia Snopek/Shutterstock

£ Mais ces dernières ont un impact sur la santé psychologique des télétravailleurs, provoquant une forme de « zoom fatigue ». £ En cause : la pression de son apparence à l’écran, le manque de mobilité, le regard permanent des autres sur soi… £ Un conseil : ne pas brancher systématiquement la caméra.

A

pparu dans les années 1970, le télétravail a d’abord été conçu comme un moyen de limiter les trajets entre le domicile et le travail, afin de réduire la consommation de carburant, au moment de la première crise pétrolière. Malgré l’optimisme de ses promoteurs, il a longtemps peiné à se développer… Et en 2019, presque un demi-siècle plus tard, seulement 5,9 % des employés européens pratiquaient régulièrement le télétravail et 9 % occasionnellement.

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Mais voilà le confinement de mars 2020… Le télétravail s’impose alors dans bien des secteurs professionnels pour tenter d’enrayer la pandémie de Covid-19 tout en maintenant l’activité économique. Ce télétravail contraint conduit vraisemblablement nombre de salariés à découvrir ses aspects positifs. Il dissipe également les craintes de certains managers quant à l’efficacité des salariés surveillés de loin… Et ces changements d’attitude vont certainement contribuer à pérenniser cette pratique. UN TÉLÉTRAVAIL CONTRAINT, MAIS APPRÉCIÉ En effet, dans une étude publiée en 2021 et intitulée « Will it stay or will it go ? » (« Le télétravail va-t-il rester ou passer ? »), une équipe de chercheurs de l’OCDE (l’Organisation de


ÉCLAIRAGES

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p. 68 Ukraine : le syndrome de la victime coupable p. 72 Une version aboutie de soi-même ?

Fanny, malade des médias

© Stesy/Shutterstock

Pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine, réchauffement climatique : des actualités angoissantes que Fanny ne cesse de suivre dans les médias… Un mal appelé « doomscrolling » (faire défiler sans fin les nouvelles catastrophiques), qui a provoqué chez elle un « syndrome de stress médiatique » – et qui l’amène au bord de l’effondrement psychique.

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Cas clinique

GRÉGORY MICHEL

Professeur de psychologie clinique et de psychopathologie à l’université de Bordeaux, chercheur à l’Institut des sciences criminelles et de la justice, psychologue et psychothérapeute en cabinet libéral, et expert auprès des tribunaux.

EN BREF

£ Quand Fanny consulte un psychothérapeute, elle souffre de douleurs au dos mais aussi de troubles respiratoires, cardiaques et digestifs… £ Derrière ces signes somatiques : un stress qui n’a fait que croître depuis le début de la pandémie, et s’est aggravé avec la guerre en Ukraine. £ En fait, Fanny souffre d’un trouble anxieux lié aux médias : elle ne peut s’empêcher de les consulter, car elle a peur de l’avenir, et pense ainsi se rassurer… Et cela fait écho à certains épisodes de son enfance. £ Face au syndrome de stress médiatique, une thérapie ciblée est nécessaire – et se révélera efficace.

E

n tout début de matinée, avant que les embouteillages ne paralysent les grands boulevards de la métropole, je reçois dans mon cabinet une patiente d’une quarantaine d’années prénommée Fanny. C’est une femme aux cheveux châtain acajou, mi-longs, aux grands yeux noirs. Maquillée de façon discrète, elle porte quelques bijoux – des boucles d’oreilles dorées de forme carrée, assorties à l’une de ses bagues. Elle est vêtue de façon classique, quoique austère et sombre, de la tête aux pieds : pull gris foncé, jupe noire mi-longue et mocassins noirs. Sa plainte ? « Depuis quelques mois, j’ai des douleurs un peu partout dans le corps, mais essentiellement dans le dos, et mon médecin pense que c’est psychologique… » UNE LOMBALGIE SANS CAUSE IDENTIFIÉE Les signes de tension ne trompent pas. Sa mâchoire est crispée, ses traits tendus. Je commence par la questionner sur son moral. Elle me regarde droit dans les yeux, avec un port de tête rigide, puis hausse ses fins sourcils en me disant : « À vrai dire, je ne sais pas si c’est psychologique… Mais en tout cas, j’ai fait tous les examens médicaux possibles : des radiographies, des IRM, des scanners, et ça ne donne rien. J’ai vu aussi des kinés et des ostéopathes. Cela me soulageait parfois un temps, puis ça revenait. » Les douleurs prolongées et lancinantes, parfois très intenses et situées en bas du dos, dont elle souffre, correspondent à une lombalgie. Or les examens cliniques n’ont mis en évidence ni scoliose, ni fracture de vertèbre, ni spondylarthrite – une maladie inflammatoire chronique qui touche surtout les articulations des vertèbres – ni infection localisée dans la colonne vertébrale… La piste d’origine psychique est donc plausible… Comme Fanny ne m’a pas répondu concernant son « moral », je me focalise dans un premier temps sur l’examen de ses douleurs

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ÉCLAIRAGES Raison et déraison

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NICOLAS GAUVRIT

Psychologue du développement et enseignant-chercheur en sciences cognitives à l’université de Lille.

UKRAINE

LE SYNDROME DE LA VICTIME COUPABLE Dans d’étonnantes sorties médiatiques, certains observateurs ont tenté de rendre l’Ukraine responsable de sa propre agression. Une distorsion du jugement qui repose sur au moins deux biais psychologiques.

a psychologue Marie-Estelle Dupont, coutumière des plateaux, livre régulièrement son regard sur l’actualité. Le 17 mars 2022, sur celui de « L’heure des pros » (C News), elle se dit frappée par le manichéisme du « narratif » occidental concernant la guerre en Ukraine, selon lequel il y aurait « les méchants et les gentils ». Elle estime cette présentation simpliste et « du niveau d’un Walt Disney pour enfants de 4 ans ». Si l’on suit correctement le fil de sa pen­ sée, l’Ukraine assaillie serait coupable de quelque chose dans cette affaire. Ainsi, pendant que les médias russes martèlent le slogan que l’Ukraine est directement

LA CROYANCE EN UN MONDE JUSTE Cette tendance à rendre les victimes coupables de ce qui leur est arrivé a été plus étudiée dans le cadre des violences sexuelles que d’invasions militaires, mais les ressorts psychologiques sont simi­ laires. Car ce trait trop humain ne se can­ tonne pas aux cas des viols. Beaucoup de personnes considèrent que la victime d’une escroquerie, d’un vol ou d’une agression à l’arme blanche est en partie responsable de ce qui lui arrive, dans une mesure qui varie d’une situation à l’autre et d’un observateur à l’autre. Deux théories tentent classiquement d’expliquer ce phénomène. La première voit l’accusation des victimes comme

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une conséquence de la croyance en un monde juste. Selon cette conviction aussi irrationnelle que répandue, chacun obtient sur Terre peu ou prou ce qu’il mérite : les méchants sont punis un jour ou l’autre, les gentils sont récompensés. D’un point de vue psychologique, cette croyance remplirait une fonction anxio­ lytique en nous permettant d’espérer la juste rétribution de nos bonnes actions et en nous procurant le sentiment rassu­ rant de contrôler notre destin. Seul pro­ blème : si le monde est juste, les atrocités ne peuvent tomber sur le peuple ukrai­ nien sans qu’ils aient à expier quelque odieux péché… UNE AUTRE HYPOTHÈSE : L’ATTRIBUTION DÉFENSIVE La seconde théorie, celle de l’attribution défensive, explique notre pulsion à accuser la victime par un besoin de croire que les horreurs qui s’abattent sur elle ne

© Drop of Light/Shutterstock

L

coupable de la guerre, une version édul­ corée s’exprime en France : l’Ukraine n’est certes pas aussi coupable que la Russie dans l’agression dont elle fait l’ob­ jet, mais quand même…


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pourraient nous échoir, nous qui sommes aux commandes et éviterions aisément ce sort. Les deux théories ont en commun de stipuler que le blâme de la victime comble un besoin d’assurance et de contrôle sur les malheurs qui pleuvent. Dans une étude publiée en 1990, Kevin McCaul, Lois Veltum, Vivian Boyechko et Jacqueline Crawford, cher­ cheurs à l’université du Dakota du Nord, avaient exploré les situations qui sus­ citent le sentiment que la victime est coupable, dans le cas des agressions sexuelles. Les participants (54 étudiants pour la première des deux expériences) devaient lire des descriptions d’agres­ sions, puis répondre à un questionnaire mesurant le degré de responsabilité qu’ils attribuaient à l’agresseur et à la victime. Chose rassurante, la culpabilité restait bien plus faible pour la victime que pour l’agresseur. Néanmoins, la pre­ mière était jugée en partie responsable,

Un immeuble d’habitation après une frappe de l’aviation russe dans la capitale ukrainienne, Kiev.

La théorie de l’attribution défensive explique notre pulsion à accuser la victime par un besoin de croire que les horreurs qui s’abattent sur elle ne pourraient nous échoir, nous qui sommes aux commandes et éviterions aisément ce sort… N° 144 - Juin 2022


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ÉCLAIRAGES L’envers du développement personnel

YVES-ALEXANDRE THALMANN

Professeur de psychologie au collège Saint-Michel et collaborateur scientifique à l’université de Fribourg, en Suisse.

UNE VERSION ABOUTIE DE SOI-MÊME ?

C

Les ouvrages de développement personnel adorent raconter des histoires de personnes qui, en changeant avec le temps, sont enfin devenues qui elles souhaitaient être. Seul problème : on ne reste pratiquement jamais « figé » dans la meilleure version de soi-même…

omme tous les genres littéraires, le développement personnel a ses classiques. Celui d’une transformation vécue personnellement par l’auteur, sur le modèle éprouvé d’un « après » mis en contraste avec un « avant » peu enviable, est incontournable. Ce qui relève de l’« avant » est par définition peu glorieux : une vie insatisfaisante, superficielle, déprimée, marquée par la maladie, etc. ; puis une rédemption à la suite d’une prise de conscience salvatrice. « Avant, je me nourrissais de manière malsaine, j’étais obsédée par le travail, je ne pensais pas à moi, je souffrais d’accès de boulimie… Maintenant, je suis apaisée, épanouie, j’ai découvert un sens à ma vie, je m’intéresse aux autres et j’ai retrouvé la forme. » S’ensuit la description de l’expérience ayant contribué à ce

miracle, élevée au rang de méthode universelle. « Faites comme moi et votre vie se transformera ! » FAIRE ÉVOLUER SA PERSONNALITÉ… VRAIMENT ? Soit ! Admettons qu’il y ait un avant et un après bien différenciables. Mais qu’y a-t-il après l’après ? Que se passe-til une fois la conversion opérée ? La transformation est-elle durable, définitive ? De fait, rares sont les ouvrages de ce type à proposer un tome II, basé sur une re-conversion. Pourtant, il serait intéressant de vérifier si la métamorphose se maintient dans la durée. Ou si le naturel revient, lentement mais sûrement. La question de fond est donc la suivante : les changements profonds, au niveau de notre personnalité, sont-ils

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possibles et, si oui, sont-ils stables à long terme ? L’évolution de la personnalité est un vrai sujet de recherche en psychologie. Sur ce plan, les chercheurs ont établi que celle-ci changeait bel et bien avec le temps. Pour le mettre en évidence, ils utilisent des tests mesurant les traits de personnalité, en particulier les cinq grands traits qui spécifient au mieux les différences interpersonnelles, les fameux Big Five : l’extraversion, l’ouverture à la nouveauté, la stabilité émotionnelle, le contrôle et l’agréabilité. Une métaanalyse, publiée en 2006 et basée sur 92 échantillons couvrant de très longues durées, suggère qu’avec l’âge les gens deviennent en moyenne plus agréables (amélioration surtout marquée après la cinquantaine), plus


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consciencieux, et qu’ils gagnent en confiance en eux (ce qui constitue une facette de l’extraversion). Alors que les jeunes adultes voient surtout leur stabilité émotionnelle se renforcer, les aînés voient se réduire leur ouverture à la nouveauté. Globalement, la personnalité semble se bonifier au fil de la vie. C’est en tout cas ce que disent les statistiques, indépendamment des cas particuliers. Mais attention aux conclusions hâtives ! C’est une chose de montrer que, globalement, les gens s’investissent davantage dans les relations avec les autres et connaissent moins d’émotions déplaisantes au cours de la vie, mais cela ne dit encore rien sur la manière dont ces changements se concrétisent. C’est que les études longitudinales présentent un ta lon d’Ac hi l le : el les

mesurent des différences sur le long terme, mais ne parviennent pas à capter la dynamique du changement. Évoluet-on graduellement, par petites touches progressives, ou par à-coups marqués, comme des paliers que l’on franchirait ? A-t-on affaire à une concrétion lente et progressive de petites transformations anodines ou à de profonds bouleversements consécutifs à des événements de la vie marquants, suivis de périodes plus stables ? Des études supplémentaires sont encore nécessaires pour répondre à cette interrogation. DEVENIR GÉNIAL, PEUT-ÊTRE ! LE RESTER, VOIRE… Les chercheurs ont cependant déjà mis le doigt sur un phénomène réjouissant : les personnes qui souhaitent

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vraiment changer y parviennent. Une métaanalyse combinant une douzaine d’études longitudinales impliquant plus de 2 200 sujets sur plusieurs mois atteste que des objectifs de changement important prédisent des améliorations marquées, cela dans les cinq traits de la personnalité, mais surtout au niveau de la stabilité émotionnelle et de l’extraversion. Le développement personnel durable est donc possible (surtout s’il est accompagné par une psychothérapie à l’efficacité éprouvée). Autrement dit, des personnes plutôt timides qui se prennent en main et décident de devenir plus extraverties y arrivent généralement. De même pour les personnes qui sont souvent tristes et anxieuses, et qui souhaitent vivre des émotions plus douces et plus stables.


VIE QUOTIDIENNE

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p. 82 Dans les griffes du « gaslighting » p. 88 Quand le prof devient un acteur p. 90 Le surpoids nuit-il à la santé mentale ?

Petites vengeances entre amis Par Theodor Schaarschmidt, psychologue et journaliste scientifique à Berlin.

EN BREF

£ La vengeance a une fonction sociale : en ne laissant pas un coupable s’en tirer, elle rétablit l’équilibre moral au sein de la communauté. Ce qui lui confère une forme de rationalité. £ Mais elle n’apaise pas vraiment, contrairement à ce que l’on croit parfois. Pire, elle déclenche une véritable « gueule de bois » émotionnelle, infligeant des ruminations à celui qui l’exerce. £ L’important, pour l’auteur de représailles, est d’adresser un message à son agresseur, tout en fixant des limites à son comportement. £ Dans les faits, pourtant, ce message est souvent brouillé. La solution idéale pour sortir la tête haute : pardonner.

D

ans une société civilisée comme la nôtre, les gens continuent-ils à se venger ? Pour le savoir, j’ai mené une petite enquête auprès de mon entourage. Très vite, les langues se sont déliées. D’abord, un voisin m’a avoué avoir secrètement versé, lors d’un mariage, du sable dans le réservoir du jeune couple, en mémoire d’un sale tour que lui avait joué le mari quelques années plus tôt. Puis une amie serveuse m’a confié qu’il lui arrivait de servir du vin frelaté ou des verres moins remplis aux clients qui lui étaient antipathiques. Enfin, une collègue m’a raconté qu’elle s’était vengée d’un homme qui l’avait autrefois harcelée, en lui servant une glace qu’elle avait préparée en y ajoutant de l’urine. À mon grand étonnement, presque toutes les personnes que j’ai interrogées avaient une anecdote à partager – qu’elles racontaient avec un mélange d’embarras et de fierté contenue. Alors oui, le besoin de vengeance, ce sentiment à la fois malfaisant et hautement imaginatif qui consiste à vouloir nuire de manière ciblée à l’auteur d’une injustice – présumée ou réelle – semble encore très présent dans notre société.

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Mais il faut distinguer deux formes de vengeance. La première est ponctuelle et brutale. C’est, notamment, celle qui peut pousser un meurtrier à passer à l’acte. Ou un terroriste, qui parfois tue « pour venger les morts de son peuple ». Elle plonge probablement ses racines dans un passé lointain de notre espèce. On l’observe ainsi chez des macaques rhésus qui agressent les congénères cherchant à dissimuler de la nourriture au reste du clan. Ou chez les lions, poursuivant et attaquant les chacals qui tenteraient d’approcher leur festin. Selon la police de New York, quatre meurtres sur dix seraient des actes de représailles, de « règlement de comptes ». Par ailleurs, à côté de ces événements rares et violents, de nombreux actes relèvent d’une autre forme de vengeance : la vengeance du quotidien. Celle qui, tapie dans l’intimité, sanctionne un manque de respect, une attitude jugée hautaine, une remarque malveillante ou une infidélité. Ou qui dans le travail sanctionne un mauvais mot à propos d’un ou d’une collègue, ou une tâche volontairement bâclée.

© Peter Dazeley/Gettyimages

Querelle de voisinage, coup fourré d’un collègue, partenaire infidèle : qui n’a jamais eu envie de se venger ? Mieux vaut y réfléchir à deux fois ! En effet, les études montrent que le plus souvent ce n’est pas le vengeur qui profite le plus de cette opération…


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VIE QUOTIDIENNE Psychologie

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MANIPULATION

Dans les griffes du « gaslighting » Par Corinna Hartmann, psychologue et journaliste scientifique.

Quelqu’un établit une relation de confiance avec vous, puis vous fait douter de votre santé mentale : c’est un « gaslighter ». Heureusement, il existe des moyens de s’en prémunir.

© Collection Christophel

B

ella Manningham égare sans cesse des objets, entend des pas là où il n’y a personne et s’imagine que les lampes à gaz de la maison clignotent le soir. À en croire son mari, cette tendance à l’hallucination lui viendrait de sa mère. Mais les sens de Bella ne la trompent pas. En réalité, son mari joue un jeu malsain avec elle. La nuit, il monte dans le grenier pour aller farfouiller dans les bijoux de la locataire précédente qu’il a assassinée. Dès qu’il allume les lampes à gaz à l’étage supérieur, la lumière vacille dans le reste de la maison. Pour éviter que Bella ne le démasque, il l’isole du monde extérieur et la persuade qu’elle perd la raison. Telle est, dans ses grandes lignes, l’intrigue de la pièce de théâtre Gaslight, de l’auteur anglais Patrick Hamilton, écrite en 1938. L’histoire de ce mari manipulateur a été adaptée deux fois au cinéma peu de temps après, dont la version à succès de George Cukor, en 1944, avec Ingrid Bergman.

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EN BREF £ L’objectif du gaslighter : rendre les autres dociles en les déstabilisant et en semant le doute sur leur capacité de perception, de mémoire et de jugement. Les victimes ont progressivement le sentiment de ne plus être fiables et deviennent ainsi dépendantes et contrôlables par le manipulateur. £ La frontière entre l’influence habile et la manipulation déloyale est floue. Comme le montre la recherche, les êtres humains sont souvent particulièrement malléables. En réalité, les jugements et les décisions individuelles sont souvent fortement influencés par le milieu extérieur. £ Le manipulateur malveillant n’accepte pas le refus. Si l’autre ne joue pas le jeu, il réagit souvent par la colère et les reproches. La situation devient délicate lorsque ce qu’on appelle la « réciprocité » n’est pas respectée : tantôt tu as le droit de me manipuler, tantôt c’est moi qui te manipule.

Dans le film Gaslight (hantise en français) de Georges Cukor (1944), le mari (Charles Boyer) établit une relation d’emprise particulièrement toxique sur sa femme (Ingrid Bergman) : il lui fait croire qu’elle a des hallucinations pour mieux la manipuler.

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VIE QUOTIDIENNE L’école des cerveaux

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JEAN-PHILIPPE LACHAUX

Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.

Quand le prof devient un acteur

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Comme les comédiens, les enseignants utilisent la présence, l’attention conjointe, l’empathie et la multisensorialité pour faire passer leur message à leur auditoire. Un pouvoir qui peut se peaufiner par un travail d’acteur… et de cogniticien !

haque jour, des dizaines de milliers d’enseignants montent sur scène devant leur classe. Pour eux, les élèves sont un peu un public. Ces « one-man-shows » quotidiens laissent penser que des liens fructueux peuvent être tissés entre le métier de professeur et celui d’acteur. Quels ressorts cognitifs mettent en jeu les comédiens ? Et comment peuvent-ils être utiles en classe ? Bien des réponses se trouvent dans un livre fascinant paru récemment aux éditions Odile Jacob, Dans le cerveau des comédiens, écrit par la comédienne Anouk Grinberg : une synthèse de plusieurs années d’échanges croisés entre acteurs et chercheurs. Cette rencontre entre art dramatique et neuroscience fournit au passage une grille de lecture théâtrale du métier d’enseignant particulièrement instructive. Je laisse au lecteur le soin de développer la sienne, mais je soulignerai ici quelques points en guise d’exemples, concernant principalement la connexion entre le professeur et sa classe.

Le premier concerne la « présence » : comme certains acteurs et actrices, certains professeurs ont une présence naturelle qui semble attirer vers eux l’attention du public comme un aimant. Mais qu’estce que la présence ? Le metteur en scène Joël Pommerat fournit un élément de réponse à Anouk Grinberg : « Quand un acteur est dans le présent, alors il existe et il a de la présence, comme on dit. »

et maintenir la connexion vivante. Ce jeu, l’acteur Grégory Gadebois tente d’ailleurs de l’expliquer : « Cela a à voir avec la voix, l’intonation, le corps, le silence. […] C’est là-dedans, le jeu, plus que dans le fait de dire des phrases. » Ce jeu avec le corps, le regard et le son s’apprend au théâtre, et développe cette fameuse présence. Voilà donc une première piste pour les enseignants.

UNE FORCE : LA « PRÉSENCE » DEVANT LA CLASSE Un enseignant ayant de la présence serait donc un enseignant dans le présent, ce qui est bien sûr à comprendre au sens attentionnel de la pleine conscience : présent à sa classe, à l’instant présent, avec une attention ouverte, disponible et réactive. Voilà qui semble effectivement une clé de la gestion de classe : un professeur complètement perdu dans ses pensées ou occupé à résoudre un problème avec son vidéoprojecteur n’est pas vraiment « présent ». Au contraire, s’il « sent » la classe, il peut « jouer » avec elle

LE VOYAGE MENTAL DU PROF Mais quelques secondes de réflexion suffisent pour entrevoir un problème : impossible pour le professeur d’être en permanence dans cette attention disponible et ouverte à ses sens, car il doit bien également avoir en tête ce dont il veut parler. De nombreux enseignants avec qui j’ai pu discuter m’ont expliqué avoir à l’esprit, pendant leur cours, une représentation schématique de celui-ci, comme un itinéraire menant d’étape en étape vers un but. Trouve-t-on chez le comédien une sorte d’équivalent ? Il y a bien sûr le texte, mais son énoncé est à ce point automatisé

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Dans le film Le Cercle des poètes disparus, le professeur John Keating bouleverse la vie de ses élèves grâce aux messages qu’il leur délivre, mais aussi à son incomparable aura, sa présence et sa capacité à vivre les idées qu’il transmet. Autant de qualités qu’un professeur gagne à faire siennes.

© Peter Weir/ coll Christophe L

qu’il ne semble pratiquement plus nécessiter d’attention. Les acteurs se préparent d’ailleurs en le débitant le plus vite possible sans intonation, « à l’italienne », ce qui montre que leur attention n’est sans doute pas vraiment occupée à anticiper les mots qu’ils doivent dire. Le comédien semble plutôt utiliser son attention pour former une représentation mentale extrêmement vive et multisensorielle de son rôle, au point d’avoir l’impression d’être dans une autre réalité. Anouk Grinberg cite le cas de l’actrice Dominique Valadié, tellement convaincue d’être la chèvre de M. Seguin qu’elle en oublia d’arrêter de brouter à la fin de la scène. TRAVAILLER L’ATTENTION CONJOINTE Voilà qui laisse suggérer à la neuroscientifique Julie Grèzes que les comédiens auraient des capacités d’imagerie mentale et somatosensorielle plus développées que la moyenne, pour faire émerger un univers fictif et y évoluer virtuellement. Quel serait l’équivalent en classe ? On pourrait imaginer un professeur de SVT

décrivant le fonctionnement du cœur comme s’il était lui-même plongé dans cet organe, avec toutes les réactions d’intérêt, de surprise et de curiosité que cela pourrait susciter de sa part (sans en rajouter, pour rester crédible…). Mais dans quel but ? Les chercheurs interrogés par Anouk Grinberg évoquent régulièrement les mécanismes de l’empathie : face à une personne dont l’attitude suscite une émotion, un observateur extérieur a tendance à ressentir la même émotion. Les contractions musculaires du visage sont non seulement lues et interprétées par le cerveau de cet observateur, mais également simulées ou franchement reproduites, ce qui a tendance à faire émerger chez ce dernier l’émotion qui y est associée. C’est l’une des fonctions supposées des fameux « neurones miroirs ». La capacité du professeur à vivre la situation qu’il décrit le transformerait donc en une sorte d’émetteur d’émotions à destination des élèves. Cette émotion serait ensuite perçue par le cerveau de ces derniers comme le signe que ce qu’est en train de « voir »

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Comme certains acteurs et actrices, certains professeurs ont une présence naturelle qui semble attirer vers eux l’attention du public à la façon d’un aimant. l’enseignant est important, et qu’il faut donc y faire attention. Tel est le principe de l’attention conjointe, tendance à porter spontanément son attention vers ce qui la capture chez les autres (si tout le monde devant vous regarde soudainement vers le ciel, vous allez regarder vers le ciel). On voit au passage que l’enseignant ne cherche pas à attirer l’attention sur lui, mais sur ce dont il parle. Comme le public regardant une pièce, les élèves « se glissent » alors dans la représentation mentale de celui-ci, non pas parce qu’ils peuvent lire dans ses pensées, mais parce que le bon enseignant leur laisse le temps de se représenter mentalement ce qu’il décrit, afin qu’ils puissent évoluer ensemble dans cet univers fictif… dont les retombées seront bien réelles ! £ Bibliographie A. Grinberg, Dans le cerveau des comédiens, Odile Jacob, 2021.


VIE QUOTIDIENNE La question du mois

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PSYCHIATRIE

LA RÉPONSE DE

KATRIN GIEL

Professeuse de psychobiologie du comportement alimentaire à la clinique universitaire de Tübingen, en Allemagne.

J

olly fat : le bon gros jovial. C’est ainsi qu’on désigne, en anglais, l’image d’Épinal du personnage en surpoids mais heureux de vivre, toujours rieur et de bonne humeur. Voire ! Du côté des études réalisées sur ce sujet, force est de constater que cette image est erronée – en particulier quand le surpoids est important. Les personnes concernées souffrent en effet plus souvent de troubles psychiques que celles qui ont un poids « normal » ou seulement quelques kilos en trop. Pour tracer les limites du surpoids, on utilise généralement l’indice de masse corporelle (IMC). Cet indice se calcule en divisant le poids (en kilogrammes) par le carré de la taille (en mètres). Selon les normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les personnes qui ont un IMC supérieur à 25 sont en surpoids, tandis que l’obésité commence à partir d’un IMC de 30 : cela correspond à environ 85 kilos pour une taille de 1,68 mètre, ou 100,5 kilos pour 1,83 mètre. En 2016, on estimait que

25 %

DE RISQUE ADDITIONNEL de souffrir de dépression, de troubles anxieux ou de troubles bipolaires, quand une personne souffre d’obésité.

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39 % des adultes dans le monde étaient en surpoids et que 13 % entraient dans la catégorie de l’obésité, ces chiffres étant respectivement de 30 % et 17 % en France. La prévalence de l’obésité a en outre presque triplé depuis 1975. Or le risque de dépression, de troubles anxieux ou de troubles bipolaires est supérieur d’un quart chez les personnes obèses, selon une étude américaine menée en 2006. Pour les troubles anxieux, par exemple, la prévalence était de 12,3 % chez les individus ayant un IMC supérieur à 30, contre 9,8 % dans le reste de la population. DES LIENS À DOUBLE SENS Un surpoids important déclenche-t-il donc des troubles psychiques ? Pas vraiment. Il semble plutôt que les deux s’alimentent mutuellement, en raison d’un mélange de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Une dépression, par exemple, va souvent avoir tendance à augmenter l’appétit et à dégrader le sommeil. Or il est par ailleurs bien établi

Source : G. E. Simon et al., Association between obesity and psychiatric disorders in the US adult population, Archives of General Psychiatry, 2006.

Le surpoids nuit-il à la santé mentale ?


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© Creativa Images/Shutterstock

que lorsqu’on dort mal, on mange plus. Une humeur sombre conduit aussi parfois à chercher refuge dans la nourriture, un bon repas rehaussant temporairement le moral. C’est toute cette constellation de facteurs qui favorise la prise de poids à long terme. UN MÉTABOLISME CÉRÉBRAL ALTÉRÉ Au niveau cérébral s’observent des perturbations dans les circuits de la sérotonine, un neurotransmetteur qui participe à la fois au contrôle du comportement alimentaire et à la régulation des émotions. Une fois que le surpoids est installé, il altère non seulement le métabolisme cérébral, mais aussi la communication entre le tube digestif et le cerveau. En conséquence, la sensation de satiété est souvent déréglée, ce qui pousse à manger davantage. Dans l’autre sens de la causalité, le surpoids a un impact sur le moral. Cela passe par plusieurs mécanismes : une certaine difficulté à se mouvoir, la

stigmatisation qui frappe les personnes obèses, les maladies physiques, comme le diabète, plus fréquentes… On observe alors un accroissement du risque de retrait social, d’humeur dépressive et d’anxiété. Des traits de personnalité comme l’impulsivité favorisent en outre à la fois l’obésité et les troubles psychiques. Les personnes impulsives ont tendance à perdre le contrôle des quantités ingérées et, dans les cas extrêmes, consomment de telles quantités de nourriture que l’on considère ces crises alimentaires comme une maladie mentale, qualifiée de « trouble de l’hyperphagie ». Là encore, des perturbations métaboliques conduisent au maintien du comportement alimentaire perturbé. Le lien entre obésité et maladies psychiques est donc bien réel, mais il est multifactoriel. Pour aider une personne en surpoids, mieux vaut donc ne pas chercher une solution universelle : il faut plonger dans son histoire personnelle. £

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Bibliographie R. M. Puhl et al., Weight stigma as a psychosocial contributor to obesity, American Psychologist, 2020. B. Herhaus et al., Depression, anxiety and health status across different BMI classes : A representative study in Germany, Journal of Affective Disorders, 2020. K. E. Giel et al., Foodrelated impulsivity in obesity and binge eating disorder – A systematic update of the evidence, Nutrients, 2017.


LIVRES

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p. 92 Sélection de livres p. 94 Traité du funambulisme

SÉLECTION

A N A LY S E Par Gabriele Sofia

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«

CULTURE & SOCIÉTÉ Dans le cerveau des comédiens, Anouk Grinberg Odile Jacob, 2021, 304 pages, 22,90 €

e joue depuis quarante ans, me suis appelée de beaucoup de noms, me suis retrouvée dans la peau d’une vieille femme, d’une tortue, d’un tyran », confie la comédienne Anouk Grinberg en introduction de cet ouvrage. Comment les acteurs parviennent-ils à incarner autant de personnages ? Plusieurs personnalités cohabitent-elles alors dans leur cerveau ? Vivent-ils vraiment les émotions qu’ils jouent ? Autant de questions explorées par l’autrice, qui expose son propre point de vue mais aussi celui d’autres acteurs et de multiples scientifiques de diverses disciplines – comme le neurologue Lionel Naccache, le chercheur Jérôme Yelnik ou la neuroscientifique Julie Grèzes, qu’elle a rencontrés. Les deux grandes forces de son livre résident, d’une part, dans cet ancrage dans les questionnements concrets d’une actrice et, d’autre part, dans la variété des éclairages recueillis. Celui des scientifiques est d’autant plus riche qu’il est pluridisciplinaire, les psychiatres apportant par exemple leur connaissance du vécu concret des émotions et les neuroscientifiques leur savoir sur le fonctionnement du cerveau. Quant au témoignage des acteurs, il est d’autant plus précieux qu’ils se confient rarement sur leurs pratiques (« Dans ce métier, on ne parle pas de ce qu’on fait, c’est presque tabou », confie Anouk Grinberg). On a envie d’ajouter que, certes, les sciences cognitives ont beaucoup à apporter au travail d’acteur, mais l’inverse est aussi vrai, tant ces artistes sont des experts de la matière humaine, et cela mériterait d’être plus mis en valeur. Puis l’ouvrage passe un peu vite sur le riche et récent domaine de la cognition incarnée, qui stipule que les informations remontant de notre corps jouent un rôle majeur dans nos facultés cognitives. Mais cela n’ôte rien à son intérêt, aussi bien pour les acteurs que pour les artistes en général (tous concernés par le rapport entre réalité et imagination) et pour les scientifiques qui s’intéressent à l’art. Le grand public y trouvera aussi son compte, en découvrant comment les fictions théâtrales, cinématographiques ou télévisuelles recréent toute la texture de la vie. Gabriele Sofia est enseignant-chercheur en arts de la scène à l’université de Rome 3 et spécialiste des liens entre théâtre et neurosciences.

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PSYCHOLOGIE Histoire de la psychologie Jean-François Marmion Sciences Humaines, 2022, 420 pages, 20 €

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estalt-thérapie, complexe d’Œdipe, pyramide des besoins, stades de la conscience morale… L’histoire de la psychologie foisonne de concepts et de théories dont les noms se sont largement répandus auprès du grand public, sans que ce dernier ne connaisse toujours leur sens exact, ni leur degré de validité scientifique. Cet ouvrage sera alors précieux pour tous ceux qui veulent se repérer dans cette jungle et s’initier à un domaine aussi riche que controversé : clair et synthétique, il présente 101 concepts et découvertes clés, organisés selon un ordre chronologique.

NEUROSCIENCES Le Cerveau cuisinier Roland Salesse, Quæ,

2022, 192 pages, 32 €

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’acte de manger a de multiples dimensions : nutritionnelles, gustatives, hédoniques, sociales… Roland Salesse, ancien directeur d’un laboratoire de neurobiologie de l’olfaction, les passe en revue dans ce petit traité de « neurogastronomie » où il fait bon picorer. Que vous désiriez savoir pourquoi il est si agréable de boire un verre de vin avec le fromage, connaître la quantité de salive que vous produisez quotidiennement ou découvrir le complexe appareillage neuromusculaire nécessaire à la mastication, vous trouverez dans ce livre tout ce qu’il faut pour régaler vos neurones !


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COUP DE CŒUR Alix Cosquer

PSYCHOLOGIE Rusé comme un humain André Didierjean et Michel Pretalli (dir.) Mardaga 2022, 192 pages, 19,90 €

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tes-vous ravis au lit ? », s’enquérait le slogan d’une célèbre marque de pâtes, au-dessus d’une photographie montrant deux oreillers en forme de raviolis géants. De fait, l’humour est particulièrement efficace dans les campagnes publicitaires – en 2018, il était d’ailleurs utilisé dans 56 % d’entre elles à travers le monde. C’est ce qu’expose cet ouvrage malin, qui présente également de nombreux autres exemples de « ruses » : dans les spectacles de magie, les sports de combat, la guerre, l’art ou l’économie, un panel d’experts nous dévoile les stratagèmes élaborés par l’homme pour tromper ou influencer son prochain, tout en explicitant les processus cognitifs mis en œuvre.

PSYCHOLOGIE La Face cachée de la psychologie positive Michel Hansenne Mardaga

2021, 400 pages, 39,90 €

A

près une vingtaine d’années d’existence, il est temps de dresser le bilan de la psychologie positive, courant né au tournant des années 2000 : c’est ce que propose le chercheur et psychologue Michel Hansenne dans cet ouvrage. Et il n’est pas tendre, pointant notamment des fondements théoriques peu solides et une efficacité relativement faible des interventions proposées par cette discipline. Tout n’est pas à jeter pour autant et l’auteur présente également une série d’évolutions possibles, issues de recherches rigoureuses sur le bienêtre. Sans chercher à faire croire que nous pourrons tous atteindre la félicité en nous contentant d’appliquer quelques recettes : « La formule du bonheur est nettement plus complexe », conclut-il.

NEUROSCIENCES Cerveau et nature, Michel Le Van Quyen Flammarion, 2022, 272 pages, 20 €

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es expériences de nature sont essentielles à notre développement, à notre santé et à notre bien-être. Tel est le message du neuroscientifique Michel Le Van Quyen, qui dresse ici un panorama de leurs bienfaits pour le cerveau. Il s’appuie pour ce faire sur un important corpus de recherche, tout en gardant un style très accessible. Les chapitres abordent des situations variées de rencontre avec la nature : promenade en forêt, contemplation de la mer, écoute du « silence des montagnes »… L’auteur décrit alors les mécanismes par lesquels ces paysages et ces milieux naturels, dans toute leur diversité, agissent sur le corps et sur le cerveau. L’abondance des stimulations sensorielles, notamment, joue un rôle clé, si bien qu’il est conseillé de véritablement s’immerger dans ces expériences. La nature impose aussi son rythme à notre fonctionnement cérébral, à travers la simple alternance du jour et de la nuit : notre horloge biologique interne s’accorde en permanence avec le Soleil et la Lune. Au fil des pages, le lecteur comprendra de mieux en mieux la multitude d’émotions positives – bien-être, sérénité, lâcher-prise… – qui l’ont probablement déjà envahi au contact d’un peu de vert ou de bleu. Il acquerra aussi une perception plus riche de l’identité humaine, en découvrant toute l’importance de nos contacts et de nos interactions avec le monde naturel. Mais ces échanges se raréfient de plus en plus, alerte l’ouvrage en conclusion. Une déconnexion qui s’accroît avec l’urbanisation, tandis que les usages humains font peser de terribles menaces sur le vivant. Les statistiques inquiètent, indiquant par exemple que les enfants passent en moyenne six fois plus de temps devant les écrans qu’à l’extérieur, ou que les espaces boisés et naturels ne représentent plus que 1 mètre carré par habitant dans les zones les plus peuplées. Par son argumentation riche et documentée, l’auteur pose alors les bases d’une réflexion à mener pour remettre le vivant au cœur de nos existences. Alix Cosquer est chercheuse en psychologie environnementale au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE, CNRS), à Montpellier.

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À retrouver dans ce numéro

p. 76

VENGEANCE !

Au sein des communautés humaines, la vengeance aurait pour but de rétablir un équilibre moral préexistant à l’agression. C’est donc la communauté qui en profite, les avantages étant moins clairs pour le vengeur lui-même. p. 12

PENSER AILLEURS

Pour résoudre des problèmes qui demandent une intuition créative, il est important de 1) réfléchir au problème, puis 2) détourner son attention vers une tâche différente. C’est à ce moment que la solution a le plus de chances de se manifester brusquement, sous l’effet de processus inconscients. p. 30

p. 16

THÉRAPIE MIROIR

Comment ne pas perdre la maîtrise d’un mouvement quand un membre est durablement immobilisé ? La thérapie en miroir consiste à observer une autre personne l’exécuter : des neurones « miroirs » répètent alors le mouvement de manière implicite (et seront prêts à entrer en action quand le membre sera de nouveau fonctionnel).

SURDITÉ HYPNOTIQUE

« Dès lors que son hypnothérapeute lui enjoint de ne plus rien entendre, cette femme n’entend vraiment plus rien. Sa conscience des sons s’éteint. » Esteban Munoz-Musat, neurologue p. 58

p. 24

25 %

des interactions sociales d’un enfant avec ses semblables à l’âge de 2 ans seraient de nature agressive p. 68

DOOMSCROLLING

Passer son temps à faire défiler sur son smartphone des nouvelles sombres sur la guerre et les pandémies porte le nom de doomscrolling, le fait de « dérouler » des informations apocalyptiques à l’infini. Angoisse garantie – et parfois de graves symptômes anxieux et dépressifs.

ATTRIBUTION DÉFENSIVE

Ceux qui pensent que l’Ukraine doit bien avoir fait quelque chose pour mériter ce qui lui arrive succomberaient à un biais cognitif appelé « attribution défensive » : en pensant qu’il n’arrive rien à ceux qui n’ont rien fait de mal, on se croit à l’abri…

p. 48

CHIRURGIE ZOOM

Les demandes de consultation de chirurgie esthétique ont explosé avec l’usage des visioconférences. En cause : une préoccupation décuplée pour sa propre image à la caméra.

Imprimé en France – Maury imprimeur S. A. Malesherbes– Dépôt légal : juin 2022 – N° d’édition : M0760144-01 – Commission paritaire : 0723 K 83412 – Distribution : MLP – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur : 262 488 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot


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