Cerveau & Psycho
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LA NOUVELLE ESTIME DE SOI
Les découvertes de la psychologie pour mieux s’accepter
Mars 2024
N°163
N° 163 Mars 2024
L 13252 - 163 H - F: 7,50 € - RD
Christophe André
« POUR S’ESTIMER, IL FAUT S’OUBLIER »
LA NOUVELLE ESTIME DE SOI Les découvertes de la psychologie pour mieux s’accepter DÉPRESSION STIMULER LE CERVEAU POUR GUÉRIR
MICROBIOTE SOIGNER LA SCLÉROSE EN PLAQUES PAR LE VENTRE PLANÈTE COMMENT LE MANQUE D’EAU MODIFIE NOTRE FAÇON DE PENSER PSYCHOLOGIE AVOIR UN ENFANT PRÉFÉRÉ, EST-CE GRAVE ? DOM : 9,00 € – BEL./LUX. : 9,00 € – CH : 12,70 FS – CAN. : 13,99 CA$ – TOM : 1 150 XPF
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N° 163
ÉDITORIAL
NOS CONTRIBUTEURS
SÉBASTIEN BOHLER
p. 14-16
Fabien Ménardy
Neurobiologiste à l’Institut de neurosciences de Barcelone, il a mis au jour l’existence de neurones spéciaux dans notre cerveau qui seraient responsables du mal des transports.
p. 32-38
Anne-Katrin Pröbstel
Neurologue et immunologue à l’université et à l’hôpital universitaire de Bâle, elle étudie les interactions du microbiote intestinal et du système immunitaire dans les maladies inflammatoires du système nerveux central.
p. 42-50
Christophe André
Médecin psychiatre, il observe l’évolution du concept d’estime de soi depuis des années et a constaté l’importance croissante des liens à autrui dans le développement de cette aptitude.
p. 90-91
Miriam Haidle
Préhistorienne et paléoanthropologue à l’institut de recherche Senckenberg de Francfort-sur-le-Main, en Allemagne, elle dresse le bilan des facultés cognitives de notre cousin, l’homme de Néandertal.
Rédacteur en chef
Prends soin de toi !
C
ette petite phrase n’a l’air de rien, mais ne la dites pas à un dépressif. Ce serait comme demander à un végétarien de manger un steak tartare. Un dépressif n’aime généralement pas son soi, et se répète à longueur de journée qu’il ne vaut rien (voir page 18). Ne la dites pas non plus à une personne atteinte de sclérose en plaques (voir page 32), cette maladie qui détruit ses neurones. Chez elle, c’est son propre système immunitaire qui attaque ses cellules nerveuses. Le soi n’est pas son meilleur ami. Mais n’allez pas non plus donner ce conseil à un prosopométamorphopsique (voir page 24) : à cause d’une étrange maladie, il voit son visage se déformer dans le miroir, ses yeux se rapprocher et sa mâchoire s’élargir. Pour lui, le soi est franchement horrible. Enfin, ne demandez surtout pas à votre cerveau de prendre soin de lui. Il se bat contre lui-même sitôt la nuit tombée. Dès que vous fermez les yeux, ses zones de l’audition ou du toucher tentent d’envahir ses zones de la vision pour exploiter leurs neurones (voir page 28) ! À ce niveau, c’est carrément la guerre du soi. Alors, peut-on espérer quelque chose du soi ? Oui, en apprenant à l’estimer davantage (voir notre dossier central). Mais il y a un paradoxe : pour y arriver, il faut arrêter de penser à soi – et s’intéresser davantage aux autres. Finalement, c’est peut-être ce dont nous avons besoin ? £
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SOMMAIRE N° 163 MARS 2024
p. 14
p. 18
p. 28
p. 41-62
Dossier
p. 32
p. 6-38
DÉCOUVERTES p. 6 ACTUALITÉS Les larmes des femmes éteignent la violence des hommes Des fesses « canon » Téter le sein fait du bien au cerveau de bébé Reconnaître un psychopathe à ses mains ? Ces neurones qui nous empêchent de nous goinfrer Des astrocytes pour réparer le cerveau ?
p. 24 NEUROLOGIE
p. 14 FOCUS
Pour ne pas être dominées par les zones de l’audition ou du toucher, les aires visuelles du cerveau doivent rester actives pendant la nuit. Pour cela, elles produisent des rêves.
Le mal des transports livre ses secrets
Nausée, tête qui tourne en voiture, en bus ou en bateau : on vient de découvrir des neurones à l’origine de ce trouble ! Fabien Ménardy
p. 18 NEUROSCIENCES
Un signal cérébral annonce la fin de la dépression
On a détecté un signal électrique dans le cerveau de patients dépressifs qui indique l’évolution de leur état.
p. 41
La femme qui voyait les visages se déformer
LA NOUVELLE ESTIME DE SOI
Jaimie Seaton
p. 42 DÉVELOPPEMENT PERSONNEL
Quand Veronica regarde un visage, elle voit les yeux se rapprocher, la mâchoire s’élargir… Et c’est pire quand c’est elle ! p. 28 NEUROSCIENCES
Les rêves, au cœur d’une guerre cérébrale
Roberta McLain
S’OUBLIER POUR MIEUX S’ESTIMER
Pour améliorer son estime de soi et aller mieux, la meilleure méthode n’est peut-être pas de valoriser ses qualités, mais de cultiver des centres d’intérêt extérieurs à soi. Christophe André
p. 52 ÉMOTIONS
p. 32 MALADIES INFLAMMATOIRES
Un « bon » microbiote contre la sclérose en plaques ?
Dans cette maladie, le système immunitaire du patient attaque ses propres neurones. Un acteur inattendu pourrait bloquer cette agression : notre flore intestinale. Anne-Katrin Pröbstel
Ingrid Wickelgren
Ce numéro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho, broché en cahier intérieur, sur toute la diffusion kiosque en France métropolitaine. Il comporte également un courrier de réabonnement, posé sur le magazine, sur une sélection d’abonnés. En couverture : médaillon de C. André : © Emilie Corbineau/Éditions Odile Jacob ; visuel de une : © cosmaa/iStock
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ÊTRE FIER, ET POURQUOI PAS ?
Nous avons souvent honte d’exprimer notre fierté. Pourtant, cela nous ferait du bien. Alors sachons retirer le meilleur de ce sentiment et rejeter le reste. Jan Schwenkenbecher
p. 58 PSYCHOLOGIE
« VOTRE SOI EST INDESTRUCTIBLE »
Dès lors que l’on sait mettre à distance ses émotions et ses jugements sur soi-même, on découvre l’immense potentiel d’épanouissement de ce soi. Entretien avec Jean-Louis Monestès
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p. 64
p. 70
p. 94
p. 82 p. 74
p. 86
p. 78
p. 92
p. 64-80
p. 82-91
ÉCLAIRAGES
VIE QUOTIDIENNE LIVRES
p. 64 HARCÈLEMENT
p. 82 ÉDUCATION
p. 92-98
« Stalkeur », qui es-tu ? L’enfant préféré, Des études révèlent la psychologie un dilemme familial des voyeurs et autres traqueurs. Francine Russo
p. 70 ENVIRONNEMENT
Pénurie d’eau
Comment la sécheresse modifie notre façon de penser.
La présence d’un chouchou dans une famille peut avoir des conséquences sérieuses. Les anticiper vous permettra de gérer au mieux. Daniela Lukaßen-Held
p. 86 L’ÉCOLE DES CERVEAUX
p. 92 SÉLECTION DE LIVRES L’Ivresse La crise environnementale n’aura pas lieu Éduquer sans s’épuiser Le Soi et l’Identité en psychologie sociale Animaux énigmatiques Améliorer ses compétences émotionnelles
Thomas Talhelm et Hamidreza Harati
p. 74 RAISON ET DÉRAISON NICOLAS GAUVRIT
Uniforme scolaire : que dit la science ?
Les effets possibles de cette mesure, passés au crible de 92 études internationales. p. 78 L’ENVERS DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL
YVES-ALEXANDRE THALMANN
JEAN-PHILIPPE LACHAUX
Comment décrypter un énoncé au premier coup d’œil !
Il existe 5 ou 6 problèmes types en sciences : les repérer permet d’enclencher immédiatement le bon mode de résolution. p. 90 LA QUESTION DU MOIS
L’homme de Néandertal était-il stupide ? Miriam Haidle
Cours d’empathie : à vos mouchoirs !
Cette mesure suppose que le harcèlement est dû à un manque d’empathie. Est-ce le cas ?
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p. 94 NEUROSCIENCES ET LITTÉRATURE SEBASTIAN DIEGUEZ
Aladin : pourquoi nous croyons à la magie, mais pas trop… Ce célébrissime conte nous enseigne une réalité paradoxale : nous croyons facilement à la magie, mais nous lui demandons un minimum de respect des lois physiques… qu’elle viole pourtant, par définition !
© sdominick/iStock
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DÉCOUVERTES Neurosciences
Un signal cérébral annonce la fin de la dépression Par Ingrid Wickelgren, journaliste scientifique à Scientific American.
Pour la première fois, des scientifiques ont pu repérer un signal électrique dans le cerveau qui permet de savoir avec fiabilité si un patient est en voie de guérison ou non.
L
e 4 février 2019, avant d’être transporté dans la salle d’opération, Tyler Hajjar, alors âgé de 28 ans, serrait sa mère dans ses bras en plaisantant : « Ce n’est qu’une simple opération du cerveau… » Originaire de l’État de Géorgie, il s’était rendu à l’université Emory, à Atlanta, afin que lui soit implanté un dispositif capable de modifier de manière ciblée son activité électrique cérébrale. Avec l’espoir de soulager sa dépression, une maladie qui avait lourdement affecté sa qualité de vie depuis dix ans, au point de mettre cette dernière en danger. « Parfois, la meilleure chose que je pouvais faire, c’était de rester au lit toute la journée, se souvientil ; mais honnêtement, c’était mieux que tout ce qui me passait par la tête et qui m’aurait été très certainement fatal. » Tyler n’a jamais eu peur de l’opération. La seule chose qui le terrifiait était qu’elle puisse ne
EN BREF £ Depuis plusieurs années, on traite certains patients atteints de dépression grave à l’aide d’électrodes stimulant une zone du cerveau, l’aire de Brodmann no 25. £ Récemment, une équipe de chercheurs d’Atlanta a également réussi à capter l’activité des neurones de cette zone, en utilisant aussi une électrode. £ Ils ont repéré une activité caractéristique des neurones qui permet de distinguer un état dépressif d’un état en voie de guérison. £ Ces informations en provenance du cerveau aident maintenant à ajuster le courant appliqué par l’électrode de stimulation pour optimiser le résultat thérapeutique.
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pas fonctionner. Il faut dire qu’il n’en était pas à un coup d’essai. Il avait révélé avoir déjà essayé une vingtaine de traitements médicamenteux différents : la thérapie électroconvulsive – les fameux électrochocs –, la stimulation magnétique transcrânienne, qui consiste à soutenir l’activité du cerveau par des ondes magnétiques, ou encore les perfusions de kétamine, une molécule aux puissants effets antidépresseurs. Mais jusqu’alors, aucune de ces méthodes n’avait amélioré sa situation de manière stable. LA STIMULATION CÉRÉBRALE PROFONDE, UNE THÉRAPIE PORTEUSE D’ESPOIR Mais il y avait des raisons d’espérer. Depuis les premiers essais au début des années 2000, une technique appelée « stimulation cérébrale profonde » avait permis de soulager durablement des dizaines de personnes qui souffraient de dépression résistante aux antidépresseurs. Cette technique consiste à implanter des électrodes dans certaines zones du cerveau, où elles émettent des impulsions électriques qui affectent l’activité de régions bien délimitées. Pourtant, en ce qui concerne la dépression, cette méthode est encore expérimentale et n’a pas atteint le seuil de réussite dans deux grands essais cliniques contrôlés
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DÉCOUVERTES Neurosciences UN SIGNAL CÉRÉBRAL ANNONCE LA FIN DE LA DÉPRESSION
et randomisés. Et si Tyler espérait bien sûr un bénéfice clinique, son opération a été menée initialement dans l’objectif d’améliorer l’efficacité de cette approche. C’est ainsi qu’avec neuf autres personnes, il a reçu un appareil qui non seulement stimule son cerveau, mais est également capable de détecter l’activité des neurones. Ce qui a permis aux médecins et aux neuroscientifiques d’analyser cette activité et d’observer si elle reflétait l’état plus ou moins dépressif du patient, mesuré au moyen d’une échelle dite « d’évaluation de la dépression de Hamilton » (HDRS). Ils ont ainsi obtenu un schéma de l’activité cérébrale qui évolue au fur et à mesure que chaque patient se remet de sa dépression au cours du traitement. Paru dans la revue scientifique Nature, l’article révèle l’existence d’un biomarqueur de la dépression. Ce biomarqueur est un code neuronal qui constitue le premier signal connu de la présence ou de l’absence de dépression dans le cerveau. « Pour moi qui étudie la dépression depuis plus de trente ans, il s’agit de l’indice le plus proche permettant de savoir, fondamentalement, ce qu’est la dépression et de quelle manière on peut la soigner », déclare Helen Mayberg, neurologue à l’école de médecine Icahn du Mount Sinai et coautrice principale de l’étude. Ce nouveau biomarqueur pourrait clairement améliorer l’efficacité de la méthode de stimulation profonde du cerveau. En effet, il indiquerait aux médecins quand les symptômes d’une personne nécessitent ou non un ajustement de la stimulation. « Un tel outil pourrait se révéler très utile pour les cliniciens au chevet des patients et permettrait de rendre la thérapie plus évolutive [les stimulations pouvant être modulées en temps réel selon l’état dépressif du patient, ndlr] et plus efficace », déclare Michael Okun, neurologue à l’université de Floride et cofondateur du DBS Think Tank, un forum annuel centré sur les questions de pointe liées à la stimulation profonde. Près de 3 millions de personnes aux États-Unis souffrent de dépression résistante au traitement [et environ 300 000 en France d’après Santé publique France, ndlr], d’après une étude publiée dans la revue Journal of Clinical Psychiatry en 2021, et pourraient ainsi bénéficier de cette thérapie. UNE ZONE CÉRÉBRALE DE LA DÉPRESSION La zone cingulaire antérieure subgénuale, également connue sous le nom d’« aire 25 de Brodmann », est une région profonde du cerveau. Elle représente un endroit stratégique dans la circulation de l’information : quatre voies principales de fibres nerveuses transitent en son sein.
Elle reçoit ainsi des informations des zones qui contrôlent de nombreuses fonctions associées à la dépression, telles que la régulation émotionnelle, le sommeil, l’appétit ou encore le plaisir et la récompense. Il y a vingt ans, Helen Mayberg a cartographié les circuits cérébraux impliqués dans la dépression. Elle a ainsi remarqué qu’à chaque fois qu’un antidépresseur agissait, l’aire 25 devenait moins active. Intriguée par cette observation, elle décida d’étudier si la stimulation de cette partie du cerveau était susceptible de moduler l’activité de cette zone et de soulager ainsi la dépression chez les cas les plus difficiles,
« Voilà un biomarqueur tangible qui va au-delà de mon avis de psychiatre et peut me dire de manière objective quand un patient commence à aller mieux. » Patricio Riva-Posse, université Emory, à Atlanta
là où d’autres traitements avaient échoué. Pendant vingt ans, la neurologue et ses équipes ont vérifié que c’était effectivement le cas. Dans une de ses études, réalisée en 2019, sur 28 personnes atteintes de dépression résistante traitées par stimulation profonde au niveau de l’aire 25 (pendant des durées de quatre à huit ans), la moitié d’entre elles ont vu leurs symptômes dépressifs régresser et 30 % des sujets sont entrés en rémission deux à huit ans après le début des stimulations. « Non seulement l’état des patients s’améliore, mais il se maintient par la suite », affirme Helen Mayberg en prenant comme exemple un de ses patients en rémission depuis dix-huit ans. Et aujourd’hui, les taux de réponse positive – définis par une diminution des symptômes dépressifs – de la stimulation profonde ont incontestablement progressé, atteignant 80 % grâce aux nouvelles techniques qui permettent de mieux cibler l’aire 25 de Brodmann, ajoute-t-elle.
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milieu d’une opération chirurgicale, pour participer à une activité qu’il apprécie particulièrement : aller au stand de tir avec son père. Un signe prometteur. Puis, pendant six mois, l’appareil recueille des données sur le cerveau de Tyler et détecte une multitude d’ondes cérébrales reflétant l’activité combinée de milliers de neurones : « À la manière d’un orchestre, chaque neurone joue sa propre partition. Grâce à ces électrodes, on peut identifier chacune de ces mélodies, chacun de ces signaux cérébraux, sur différentes fréquences », explique Christopher Rozell.
Aire n° 25
© Cerveau & Psycho
Pourtant, si la neurologue a pu établir assez rapidement l’efficacité de ce traitement – du moins chez ses patients –, elle ignorait encore son mécanisme d’action. En 2013, alors qu’elle travaillait à l’université Emory, elle entendit parler d’un dispositif fabriqué par la société Medtronic, capable non seulement de stimuler le cerveau mais aussi d’enregistrer son activité électrique. Une aubaine pour mieux comprendre comment les stimulations appliquées entraînent la guérison des patients dépressifs. C’est alors qu’elle décide de récupérer dix de ces appareils et de faire équipe avec Christopher Rozell, chercheur dans le domaine de la neuro-ingénierie computationnelle à l’institut de technologie de Géorgie, qui dispose des compétences nécessaires pour interpréter les données recueillies par les capteurs.
L’aire de Brodmann no 25 reçoit des informations de différentes zones associées à la régulation des émotions, au sommeil, à l’appétit ou au plaisir – autant de fonctions cognitives qui sont perturbées en cas de dépression. En enregistrant avec précision l’activité électrique des neurones de cette zone, les chercheurs arrivent à savoir si une personne est en phase dépressive, ou si elle va mieux.
ON STIMULE ET… ON ENREGISTRE ! En 2015, ces nouveaux dispositifs sont implantés pour la première fois. Les neurochirurgiens disposent les électrodes reliées à un stimulateur au niveau de la fameuse zone 25 dans chaque hémisphère du cerveau. Dans cette opération, chaque électrode se termine par quatre points de contact appelés « plots », qui permettent de stimuler le plus précisément possible cette zone critique du cerveau… Quatre ans plus tard, Tyler Hajjar est le dernier sujet de cette étude à être opéré. Au cours de l’intervention, brièvement réveillé [le cerveau ne ressent aucune douleur durant une opération, ndlr], il a déclaré que la stimulation du côté gauche lui procurait un nouveau sentiment de légèreté émotionnelle – qui lui donnerait l’élan, s’il n’était pas alité et au beau
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PRÉDIRE LA GUÉRISON DU PATIENT ? Tyler et les autres participants de cette étude ont également fait l’objet d’une évaluation psychiatrique hebdomadaire, enregistrée par vidéo. Quelques mois après le début des stimulations, la plupart des patients se sentaient un peu mieux. Six mois plus tard, les symptômes dépressifs avaient diminué d’au moins la moitié chez neuf des dix sujets, et sept d’entre eux étaient en rémission. Toutefois, seules six de ces personnes disposaient de données cérébrales exploitables, et cinq présentaient un schéma typique d’amélioration. C’est à l’aide des signaux collectés sur ces cinq personnes que Christopher Rozell et son équipe ont mis au point un logiciel d’intelligence artificielle capable de comparer les ondes cérébrales des participants au début de l’étude, lorsqu’ils étaient malades, et à la fin, lorsqu’ils allaient mieux. Et qu’ils ont pu démontrer que « l’état malade » se distingue de « l’état stable » par des différences visibles sur quelques bandes de fréquences d’enregistrement. Dans 90 % des cas, ces variations de signal ont permis de distinguer si les patients étaient malades ou en bonne santé. « C’est la première fois que nous parvenons à décoder une activité cérébrale propre à la guérison de la dépression », s’enthousiasme Christopher Rozell. Chez cinq des six sujets pour lesquels les chercheurs disposaient de données exploitables, le signal cérébral enregistré était identique. Simplement, les ondes cérébrales associées à un état stable apparaissaient à des temps différents selon les participants : à huit semaines pour une personne, vingt pour une autre… Toutefois, ce n’est pas tant le moment de leur apparition qui importe que leur existence elle-même. Ces ondes permettent au médecin, quel que soit l’état d’esprit de son patient à un moment donné, de savoir que celui-ci est en bonne voie et de poursuivre ainsi les stimulations cérébrales sans nécessiter d’ajustement. « Nous sommes en possession d’un biomarqueur tangible qui va au-delà de mon avis de psychiatre et qui peut me dire de manière
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DÉCOUVERTES Neurosciences UN SIGNAL CÉRÉBRAL ANNONCE LA FIN DE LA DÉPRESSION
objective qu’un patient commence à aller mieux », commente ainsi Patricio Riva-Posse, psychiatre principal de l’étude. Leur montrer ces résultats encourageants est aussi de nature à les rassurer. « Nous connaissons aujourd’hui la ligne d’arrivée de la guérison », ajoute Helen Mayberg… La sixième participante dont les données cérébrales étaient exploitables a connu une réponse au traitement différente des cinq autres patients. Elle a ressenti une amélioration après l’opération et est demeurée en bonne santé pendant quatre mois, avant de connaître une rechute. En analysant son signal après coup, les chercheurs y ont décelé la présence d’ondes cérébrales caractéristiques d’un état stable au début du traitement, mais qui ont disparu un mois avant sa rechute. L’apparition de ces ondes aurait pu servir de signal d’alarme. « Si nous avions détecté ce signal, nous aurions ajusté sa stimulation un mois plus tôt. Elle n’aurait peut-être alors pas rencontré de problèmes », confie la neurologue. UN OU… PLUSIEURS BIOMARQUEURS ? Si ce biomarqueur est prometteur, il nécessite toutefois l’implantation d’une électrode dans le cerveau du patient. Une opération qui n’a rien d’anodin ! C’est pourquoi l’objectif suivant sera d’identifier d’autres outils permettant de suivre la guérison d’une personne dépressive de manière non invasive : par exemple, des changements d’expressions de son visage ou de sa voix, ou encore l’étude d’ondes cérébrales détectées à la surface de son crâne, sans y pénétrer. Les chercheurs ont ainsi analysé les expressions du visage des participants tout le long de l’étude. Résultat ? Leur expression change et concorde avec leur état dépressif et avec l’activité cérébrale enregistrée, un signe qui se veut donc encourageant. « Il y a probablement de nombreuses façons de lire dans le cerveau, de manière invasive ou non. Ces travaux incitent à s’intéresser davantage à ce type de signaux », note Christopher Rozell, coauteur principal de l’étude. Mais à l’heure actuelle, les expressions faciales ne constituent pas un biomarqueur cliniquement utile, explique le neuro-ingénieur, car l’étude était de trop faible taille pour que l’on puisse définir un modèle à la fois propre à la dépression et commun à tous les participants. « Nous allons maintenant établir des modèles qui ne s’appliquent pas uniquement à ma petite cohorte de patients, mais potentiellement à tout le monde », déclare Helen Mayberg. Un autre biomarqueur possible de dépression pourrait être représenté par des changements structuraux et fonctionnels du cerveau. Ainsi, les
DANS
90 % DES CAS
les variations de signal électrique dans l’aire n° 25 ont permis de distinguer si les patients étaient dépressifs ou en bonne santé. chercheurs ont analysé celui des participants avant l’étude grâce à la technique de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) : ils ont mis en évidence que certaines fibres nerveuses étaient endommagées, et que plus elles l’étaient, plus la dépression des patients était importante. Cependant, les scientifiques n’ont pas pu rechercher une possible modification de ces voies nerveuses au cours du traitement puisque les participants n’étaient plus autorisés à réaliser d’IRMf une fois l’implant en place [à cause du champ magnétique appliqué, l’IRM nécessite d’enlever tout objet métallique, ndlr]. Mais aujourd’hui, avec les nouvelles prouesses technologiques, la stimulation profonde est compatible avec l’imagerie cérébrale. Une équipe de chercheurs du Mount Sinai a d’ores et déjà implanté certains de ces nouveaux dispositifs chez dix autres participants. Leur objectif est double, explique la neurologue Helen Mayberg : déterminer des changements structurels et fonctionnels du cerveau qui vont de pair avec la récupération du patient (ce qui revient à mettre en évidence un nouveau biomarqueur), mais aussi apporter les preuves que le circuit cérébral se répare lorsque le patient guérit. DES ESSAIS CLINIQUES À AMÉLIORER Aujourd’hui, bien que certaines études montrent les bénéfices de la stimulation profonde pour la dépression, cette technique nécessite pour son approbation formelle des essais cliniques contrôlés et randomisés. L’une des premières études de ce type, ciblant l’aire 25 de Brodmann, n’a pas été concluante pour l’instant. Les patients ayant reçu la stimulation profonde n’ont pas eu de réaction différente de
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Bibliographie S. Alagapan et al., Cingulate dynamics track depression recovery with deep brain stimulation, Nature, 2023. M. Zhdanava et al., The prevalence and national burden of treatmentresistant depression and major depressive disorder in the United States, J. Clin. Psychiatry, 2021. A. Crowell et al., Long-term outcomes of subcallosal cingulate deep brain stimulation for treatment-resistant depression, American Journal of Psychiatry, 2019. P. E. Holtzheimer et al., Subcallosal cingulate deep brain stimulation for treatment-resistant depression : A multisite, randomised, shamcontrolled trial, The Lancet Psychiatry, 2017.
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celle d’autres chez qui le dispositif avait été implanté sans qu’aucune stimulation ne soit effectuée. En conséquence, la compagnie pharmaceutique Abbott (auparavant St. Jude Medical) a cessé de financer l’étude, l’interrompant en 2013 à mi-parcours. Pourtant, certaines personnes ont vu leur état s’améliorer et selon les experts les résultats sont porteurs d’espoir. Malgré ces échecs, la technologie en tant que traitement de la dépression n’est pas abandonnée. « Il s’agit d’une industrie qui représente plusieurs milliards de dollars. Les gens vont persévérer jusqu’à réussir. Ils s’en rapprochent et les données sont de plus en plus fiables à mesure que les résultats de ces groupes s’améliorent », souligne Michael Okun. L’entreprise Abbott se prépare maintenant à une nouvelle étape. En juillet 2022, l’agence américaine du médicament, la Food and Drug Administration (FDA), a accepté de qualifier de « dispositif révolutionnaire » le système de stimulation profonde en cas de dépression résistant au traitement, accélérant ainsi son développement et, si tout se passe bien, son approbation
éventuelle. Abbott travaille actuellement avec la FDA sur un plan d’essai clinique, selon Jenn Wong, vice-présidente divisionnaire des affaires cliniques et réglementaires mondiales de l’entreprise dans le domaine de la neuromodulation. LE GOÛT DE VIVRE RETROUVÉ Six mois après le début du traitement, Tyler est entré en rémission. Il a pu sortir avec ses amis qu’il n’avait pas vus depuis longtemps et accepter un travail temporaire. « J’ai senti que je pouvais revenir dans le monde », se remémore-t-il. Cela n’a pas pour autant éliminé son anxiété et en 2021 sa dépression a commencé à reprendre le dessus. Mais les ajustements apportés aux stimulations lui ont permis de ne pas sombrer de nouveau. Il raconte aujourd’hui son expérience auprès de chirurgiens, de scientifiques ou encore d’étudiants en médecine lors de conférences. Il travaille à temps partiel et a des projets – notamment pour sa passion de longue date, la mécanique. Le plus important est qu’il a une nouvelle vision de la vie. « J’ai hâte de me réveiller le matin », nous confie-t-il. £
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DÉCOUVERTES Neurosciences
Les rêves, au cœur d’une guerre cérébrale Pourquoi rêvons-nous ? Pour maintenir actives les zones du cerveau dévolues à la vision. Sinon, elles seraient progressivement éliminées en vertu du principe que, dans le cerveau, ce qui ne sert pas est détruit. C’est du moins le sens d’une nouvelle théorie qui soulève de nombreux débats. Par Roberta McLain, biologiste et journaliste scientifique.
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LES RÊVES, AU CŒUR D’UNE GUERRE CÉRÉBRALE
ourquoi rêvons-nous ? Cette question reste aussi débattue que l’existence des rêves est ancienne et universelle. Selon certaines théories, les songes nous aideraient à gérer nos émotions, à résoudre des problèmes ou à assouvir de manière fictive des désirs secrets. Pour d’autres, ils favoriseraient l’évacuation des toxines de nos cerveaux, renforceraient la mémoire ou ne seraient que l’expression d’une activité cérébrale aléatoire. Dernière hypothèse en date – et non la moins originale : les rêves empêcheraient des sens comme l’ouïe ou le toucher de prendre le contrôle des zones visuelles du cerveau pendant notre sommeil… David Eagleman, neuroscientifique à l’université Stanford, a ainsi proposé que l’activité onirique serait la garante de l’intégrité de notre cortex visuel, la partie de notre cerveau où sont traitées les données visuelles issues de notre rétine. Il s’appuie pour cela sur le fait que le cerveau est en constant remodelage, en fonction de nos expériences du quotidien. Dans certains cas, certaines régions peuvent même prendre en charge de nouvelles tâches si besoin : c’est ce qu’on appelle la « neuroplasticité ». Pour ce chercheur, dans un contexte aussi mouvant, les neurones sont en concurrence pour la survie. Le cerveau, explique-t-il, distribue ses ressources en « mettant en œuvre une compétition à mort », où les neurones « marchent ou crèvent » et où les zones sensorielles « gagnent ou perdent du territoire neuronal lorsque les données qu’elles reçoivent augmentent ou diminuent ». Ainsi, les expériences vécues tout au long de la vie remodèlent la carte du cerveau. « Tout comme des nations voisines, les neurones délimitent leur territoire et le défendent en permanence », avance-t-il. QUAND LE CERVEAU SE RÉORGANISE David Eagleman cite l’exemple d’enfants à qui on a retiré la moitié du cerveau en raison de graves problèmes de santé et qui retrouvent ensuite un fonctionnement normal. Chez eux, ce qui reste de l’encéphale se réorganise pour assurer les fonctions des parties manquantes. De même, les personnes qui perdent la vue ou l’ouïe développent une sensibilité extrême dans d’autres
EN BREF
£ Le cerveau est si plastique que lorsqu’une zone est inactive, elle court le risque d’être « recyclée » pour d’autres fonctions. £ De ce fait, pendant la nuit, les zones de la vision sont exposées à ce risque. Pour éviter d’être dominées par leurs voisines, elles se forcent à fonctionner. £ Les rêves, en maintenant l’activité de ces zones visuelles pendant le sommeil, éviteraient leur déclassement. De sorte que rêver serait indispensable pour continuer de voir le jour.
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sens comme le toucher, les régions cérébrales non utilisées étant réaffectées à ce nouveau sens. DES TERRITOIRES CÉRÉBRAUX ANNEXÉS EN UNE HEURE À PEINE ! En 2008, le professeur d’ophtalmologie Lotfi Merabet, de la faculté de médecine de Harvard, et ses collègues ont montré à quel point cette réorganisation est rapide. Dans leur étude, les chercheurs ont bandé les yeux de volontaires et ont constaté que les autres sens commençaient à prendre le contrôle de la zone cérébrale inactive en quatre-vingt-dix minutes à peine. D’autres travaux ont montré que ce phénomène pouvait s’enclencher en quarante-cinq minutes… Que se passe-t-il lorsque nous dormons ? D’un seul coup, nous sommes aveugles. Mais nous ne cessons pas d’entendre, ni même de sentir. Même si nous n’en avons pas conscience, des informations tactiles, auditives et olfactives continuent de parvenir à notre cerveau. Elles pourraient vite grignoter nos zones visuelles, mais ce n’est pas le cas : quand nous rêvons – notamment au cours du sommeil dit « paradoxal » –, notre cortex visuel s’active fortement. Ces phases se répètent régulièrement au cours de la nuit, dès quatre-vingtdix minutes après l’endormissement. Elles sont enclenchées par des neurones du tronc cérébral,
© Anatolii Stoiko ; Crystal Eye/Shutterstock
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Selon le neuroscientifique David Eagleman, les zones cérébrales inactives sont systématiquement « attaquées » par leurs voisines, qui cherchent à annexer leur territoire. C’est pourquoi, la nuit, les zones visuelles se forceraient à rester actives afin de repousser l’envahisseur. Nos rêves seraient le produit de cette guerre. une région nerveuse en forme de tige située à la base du cerveau. Premièrement, ces neurones envoient des messages directement au cortex visuel, ce qui semble être le signal de départ des rêves. Et deuxièmement, ils paralysent nos principaux muscles, nous empêchant de faire concrètement ce qui nous arrive en rêve. Pour David Eagleman, les phases de sommeil paradoxal correspondent aux moments où le cortex visuel doit commencer à défendre son territoire. Du fait qu’ils continuent d’être actifs (ils produisent des images visuelles pendant le rêve), ils évitent d’être réquisitionnés par leurs voisins dévolus à l’ouïe, au toucher ou à la vision. LE CÔTÉ OBSCUR DE LA PLASTICITÉ CÉRÉBRALE Logiquement, selon le neuroscientifique, plus le cerveau est plastique, plus le sommeil paradoxal est nécessaire à cette défense territoriale, car les neurones des autres modalités sensorielles sont alors plus prompts à lancer l’assaut sur le cortex visuel. À l’appui de cette notion, on constate effectivement que chez les nouveau-nés – au cerveau extrêmement malléable – le sommeil paradoxal occupe la moitié du temps de sommeil total, alors qu’il n’en représente que 20 à 25 % chez l’adulte, dont le cerveau est beaucoup moins plastique.
Bibliographie D. M. Eagleman et D. A. Vaughn, The defensive activation theory : REM sleep as a mechanism to prevent takeover of the visual cortex, Frontiers in Neuroscience, 2021. D. Barrett, The Committee of Sleep, Oneiroi Press, 2010. L. B. Merabet et al., Rapid and reversible recruitment of early visual cortex for touch, Plos One, 2008.
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Ce lien entre plasticité et sommeil paradoxal semble s’appliquer à toutes les espèces. D’après David Eagleman, « Mère Nature met au monde des cerveaux humains en partie inachevés et laisse l’expérience prendre le relais pour les façonner ». Il explique que moins le câblage cérébral est en place à la naissance, plus la capacité d’apprendre et de s’adapter est élevée. Les bébés humains auraient ainsi une plasticité cérébrale extrême, qui leur conférerait un besoin de sommeil paradoxal très supérieur à d’autres animaux. Ce qui n’est pas sans inconvénient : ils restent longtemps incapables de marcher, contrairement aux faons et aux veaux qui gambadent dans les heures qui suivent leur naissance, ce comportement étant précâblé chez eux. UN RONGEUR SOUTERRAIN D’AFRIQUE DE L’EST CONTREDIT LA THÉORIE Certains chercheurs, en particulier parmi ceux qui étudient les rêves, contestent cette hypothèse. Ils citent notamment le cas d’un animal qui semble la mettre en défaut : le rattaupe nu, un rongeur souterrain d’Afrique de l’Est. Celui-ci est aveugle mais connaît tout de même le sommeil paradoxal ! Chez lui, cette phase du sommeil pourrait être le vestige d’une époque où les rongeurs étaient dotés d’une vue fonctionnelle. Antonio Zadra, spécialiste des rêves à l’université de Montréal, soulève quant à lui un autre type de critique : « [la théorie d’Eagleman] n’a pas grand-chose à voir avec le rêve proprement dit, sur lequel elle n’explique pratiquement rien. Elle concerne plutôt le sommeil paradoxal. » Le chercheur ne mâche pas ses mots : « Pour moi et pour beaucoup d’autres personnes qui travaillent dans ce domaine, cette théorie est stupide, excessivement réductrice et simpliste. » Mais d’autres chercheurs comme Deirdre Barrett, psychologue à l’université Harvard et ancienne présidente de l’Association internationale pour l’étude des rêves, sont plus enclins à la prendre en considération, même s’ils n’y adhèrent pas entièrement. Selon David Eagleman, sa théorie n’exclut pas que les rêves aient également d’autres explications, ni que le sommeil paradoxal possède d’autres fonctions que la protection du cortex visuel. Imaginez les rêves comme un économiseur d’écran d’ordinateur qui se déclenche toutes les quatre-vingt-dix minutes – sauf qu’en plus de peupler notre « écran intérieur » d’animations plus ou moins loufoques, ils empêchent le cortex visuel d’être usurpé par d’autres fonctions. Et ce serait finalement grâce à ces hallucinations nocturnes que nous pourrions voir le monde pendant la journée. £
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Dossier 41
SOMMAIRE
p. 42 S’oublier pour mieux s’estimer p. 52 Être fier, et pourquoi pas ?
LA NOUVELLE ESTIME DE SOI p. 58 Interview Votre soi est indestructible
« L’estime de soi est le plus grand mobile
des âmes fières », a écrit Jean-Jacques Rousseau. Trois siècles plus tard, la situation s’est compliquée. Certes, la fierté est un pourvoyeur d’estime de soi, et, dans certaines circonstances, nous aurions tort de la dissimuler (voir page 52). Mais les recherches récentes indiquent que le meilleur moyen de vivre bien avec soi-même est de ne pas se focaliser sur ce fameux soi, et encore moins vouloir le hisser à des standards préétablis. Comme le dit Christophe André, c’est en s’oubliant que l’on atteint l’estime de soi la plus épanouie. Ce fameux soi, d’ailleurs, qu’est-il vraiment ? Dans ce dossier, nous vous emmenons aux sources de cette construction mentale qui nous fait croire que nous sommes un bon collègue, un amant médiocre, une mère dynamique ou encore une super-copine – toujours de façon illusoire. Savoir se détacher du soi devient alors une libération. De l’autre côté du monde, à l’époque de Rousseau et sans doute bien avant déjà, un proverbe oriental disait : « La plus excellente des vertus morales est le peu d’estime de soi-même. » Il ne faut pas comprendre ce peu d’estime de soi-même comme un mépris de soi, mais plutôt comme le fait de s’intéresser à autre chose et de devenir enfin soi-même, justement parce qu’on n’y pense plus.
Sébastien Bohler
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Dossier
S’OUBLIER POUR MIEUX S’ESTIMER
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Avoir une bonne image de soi-même apporte une foule de bénéfices quant au bien-être et à la réussite. Mais qu’est-ce qu’une bonne estime de soi ? Après un demi-siècle de recherches, une nouvelle vision moins autocentrée commence à s’imposer. Et si, pour être bien dans sa peau, il fallait arrêter d’y penser ? Par Christophe André, médecin psychiatre.
« EN BREF £ Une bonne estime de soi est généralement garante d’une bonne santé mentale et d’un bien-être accru. Mais comment la renforcer ?
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£ Au fil des décennies, les psychologues ont successivement recommandé de cultiver ses propres qualités et de « positiver », puis de se montrer indulgent et compatissant vis-à-vis de soi-même afin de mieux s’accepter. £ Les recherches plus récentes suggèrent qu’une bonne estime de soi se développe mieux quand on « s’oublie ». Se préoccuper moins de sa propre personne serait le meilleur moyen d’être bien dans sa peau...
E
t parce que l’une des principales parties de la sagesse est de savoir en quelle façon et pour quelle cause chacun se doit estimer ou mépriser, je tâcherai ici d’en dire mon opinion. » C’est le philosophe René Descartes qui écrit ces lignes dans son traité sur Les Passions de l’âme, en 1649. Et nous, où en sommes-nous aujourd’hui avec l’estime de soi ? On définit l’estime de soi comme l’évaluation subjective et globale de sa valeur en tant que personne. Le mot « subjectif » est peut-être le plus important de cette définition ! Il explique pourquoi, à trajectoire de vie égale (du moins vu de l’extérieur) certains nagent dans l’autosatisfaction et d’autres se dévalorisent. Une autre définition satisfaisante – et opérationnelle – m’avait un jour été donnée par un de mes patients : « L’estime de soi ? C’est comment on se voit, comment on se juge, comment on se traite. » Regard sur soi, d’abord : sur ses qualités et ses défauts, ses capacités et ses manques ; de ce bilan, favorable ou défavorable, va découler un premier sentiment sur sa personne. Jugement sur soi, ensuite : car ce bilan n’est pas seulement objectif mais aussi affectif, et de la satisfaction ou de la déception de soi, d’ailleurs souvent labiles, des émotions découlent, spécifiques de l’estime de soi (fierté, honte). Enfin, de tout cela découle la manière dont on se traite : on se félicite et on se chouchoute quand on réussit, ou on reste insatisfait et inquiet pour la suite ? On se maltraite et se critique quand on échoue, ou on fait preuve de bienveillance pour soi, comme on le ferait pour un ami ? Ainsi, l’estime de soi est une fonction psychologique centrale et complexe, au centre de nos capacités d’autorégulation :
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S’OUBLIER POUR MIEUX S’ESTIMER elle nous motive pour ajuster nos comportements en fonction de leurs résultats et de l’environnement, réguler nos émotions, examiner nos pensées et juger de leur pertinence… DU REGARD DES AUTRES À LA SATISFACTION PERSONNELLE Pour beaucoup d’auteurs, l’estime de soi est au départ un sociomètre : elle peut être comprise comme le marqueur du sentiment de sa valeur sociale (être admis, apprécié, voire admiré). Comme un thermomètre mesure la température de notre corps, un sociomètre (outil certes plus subjectif) nous informe sur notre popularité supposée : plus nous nous sentons acceptés, appréciés par les autres, plus notre estime de nous-mêmes augmente, et inversement. Cependant, l’estime de soi ne se limite pas à ses dimensions sociales, certes capitales puisque
UNE BRÈVE HISTOIRE DE L’ESTIME DE SOI Dans l’Antiquité grecque et romaine, les philosophes mettent en garde contre les excès d’estime de soi et les risques de l’hubris, une forme d’orgueil démesuré qui conduit à la catastrophe. Les doutes et complexes de la mésestime de soi ne sont pas un objet de réflexion, car à cette époque, c’est le groupe qui l’emporte sur l’individu, et on n’attend des personnes que leur intégration dans la cité, la famille, la tribu.
ANTIQUITÉ
nous vivons en communauté. Et peu à peu, émerge chez chacun, avec le temps, ce qu’évoquait Descartes en exergue de cet article : une forme de sagesse (ou d’autorégulation éclairée) de l’estime de soi. À partir de ses succès et de ses échecs, de ses idéaux de vie (bonheur tranquille ou réussite admirée) chacun apprend à calibrer ses ambitions. C’est ce que décrit le modèle mathématique de William James, un des fondateurs, au xix e siècle, de la psychologie moderne, avec l’équation : Estime de soi = succès/attentes L’état d’équilibre (succès conformes aux attentes) se situe à 1. Si les succès diminuent, à attentes constantes, l’estime de soi baisse. Alors, pour l’accroître, il va s’agir soit d’augmenter le ratio de ses succès, soit de réduire celui de ses attentes. Notamment les attentes irréalistes ou inutiles. Ce modèle permet de comprendre le
À la Renaissance émerge l’individu moderne et l’intérêt pour l’introspection : la notion d’estime de soi apparaît. Montaigne rappelle en 1580 dans ses Essais l’importance de « l’amitié que chacun se doit » et souligne que « de nos maladies, la plus sauvage, c’est de mépriser notre être ». Mais les conséquences concrètes d’une bonne ou mauvaise estime de soi restent modestes dans les sociétés traditionnelles, marquées par des distinctions sociales stables et tranchées, où tout le monde reste à sa place selon son rang de naissance : même incompétents et complexés, les riches et les puissants gardent leur rang, et même confiants et talentueux, les petits ont le plus grand mal à grimper dans l’échelle sociale.
RENAISSANCE
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Au XIXe siècle, dans les sociétés modernes où la mobilité géographique, relationnelle et sociale devient la norme, l’estime de soi devient une capacité psychologique importante. Si je suis conduit à souvent changer de voisins, de partenaires sentimentaux, de collègues de travail, je dois à chaque fois faire mes preuves, me montrer sous mon meilleur jour, estimable et attirant ; je dois pour cela « croire en moi » et les individus se mésestimant et se « vendant » moins bien aux autres se retrouvent de ce fait rapidement en échec social.
XIXE SIÈCLE
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piège d’une stratégie d’augmentation des succès pour élever l’estime de soi : cela entraîne un esprit de compétition constamment activé et le stress qui va avec, et pousse dans le piège du perfectionnisme (ne considérer qu’il y a succès que quand il y a perfection). Mais la diminution des attentes peut aussi poser des problèmes si elle tourne aux évitements systématiques des situations comportant un risque d’échec, et de visibilité sociale de cet échec ; d’où les inhibitions fréquentes chez les personnes à basse estime de soi.
convenable dans nos groupes d’appartenance pour assurer notre survie, physique ou mentale). Ensuite, qu’il est nécessaire de savoir la mesurer ! Pour cela, différents questionnaires sont utilisés en recherche, certains proposant une note globale, d’autres explorant aussi des sous-dimensions spécifiques (satisfaction avec son apparence, sa popularité, ses compétences…). Dans tous les cas, il existe chez la plupart des humains une tendance à se présenter sous un jour favorable (biais de désirabilité), ce qui explique que certains protocoles de recherches, plus complexes, mesurent aussi le temps de réponse aux questions (si j’hésite, c’est que je doute) ou relient les volontaires à de prétendus détecteurs de mensonges (qui font ainsi fondre certains scores d’estime de soi, notamment chez les narcissiques).
QU’EN DIT LA SCIENCE ? D’abord que l’estime de soi est une dimension propre aux humains (et peut-être aux grands primates), car elle découle d’une part de nos capacités de conscience réflexive (s’observer soi-même, et en tirer des conclusions) et d’autre part de notre condition d’animal social (garder une place
DES BÉNÉFICES MULTIPLES Concernant l’influence de l’estime de soi, la plupart des métaanalyses récentes concluent à un rôle majeur de cette dernière dans la plupart des secteurs de notre vie : qualité des relations sociales, équilibre émotionnel, engagement dans l’action, réussite scolaire et professionnelle, santé mentale et physique, résilience face aux adversités et difficultés… Et dans beaucoup de nos souffrances : les dysfonctionnements de l’estime de soi sont notamment associés en psychiatrie aux troubles anxieux et dépressifs, et à la plupart des troubles de personnalité. Enfin, l’efficacité des interventions thérapeutiques sur l’estime de soi est aujourd’hui bien documentée. Il peut s’agir de programmes observant son amélioration après traitement spécifique de la pathologie à laquelle elle contribue : une récente métaanalyse européenne (19 études contrôlées et 3 423 patients déprimés) montrait ainsi que ce ressenti se développait significativement après une psychothérapie. D’autres programmes, dits « transdiagnostiques », s’adressant à plusieurs pathologies mais polarisés sur l’estime de soi, observent comment une valorisation de cette dernière consolide globalement la santé mentale : une étude néerlandaise récente auprès de 174 jeunes en difficulté, de 12 à 26 ans, ciblant directement l’estime de soi, montrait que celle-ci, en se renforçant, influait positivement sur de nombreuses autres variables (émotions, vision du monde, bien-être général…). Dans une métaanalyse regroupant 119 études, des chercheurs de l’université de Grenoble concluent à l’efficacité de ces programmes d’intervention se focalisant sur l’estime de soi. Les techniques utilisées relèvent principalement des thérapies comportementales
XXIE SIÈCLE
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À partir du XXIe siècle, les pressions sur l’apparence physique et le statut s’emballent avec l’usage intensif des réseaux sociaux, faisant flamber les tensions comparatives. Les compétitions sociales augmentent les besoins en estime de soi, mais dans une direction narcissique : « Parce que je le vaux bien », je réclame beaucoup pour moi et je donne peu à autrui.
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DOSSIER LA NOUVELLE ESTIME DE SOI S’OUBLIER POUR MIEUX S’ESTIMER et cognitives (TCC), comme le montre une autre métaanalyse, émanant de l’université de Londres et couvrant 8 études. COMMENT AMÉLIORER SON ESTIME DE SOI ? Les concepts et les interventions thérapeutiques sur l’estime de soi sont en évolution régulière depuis les premiers travaux modernes, dans les années 1960. On peut distinguer trois grandes périodes. Aux tout débuts des recherches sur l’estime de soi, dans les années 1960 et jusque dans les années 1980, il s’agissait essentiellement de revaloriser l’image de soi et l’affirmation de sa propre personne. Ainsi, les premières interventions consistaient principalement, inspirées par les thérapies cognitives, à identifier les pensées négatives sur soi et à les combattre par des pensées plus réalistes, sinon positives. Ces approches, bien qu’apparemment naïves, sont efficaces. De fait, une étude conduite auprès de 85 participants montrait que, si ceux-ci avaient été au préalable entraînés à la valorisation de soi, ils présentaient un niveau de stress significativement moins élevé lors de différentes épreuves ultérieures (prise de parole en public ou test de maths). De cette époque (1965) date le questionnaire de Rosenberg, qui reste à ce jour le plus largement utilisé. Parmi ses questions, certaines concernent le jugement sur soi : « Dans l’ensemble, je suis satisfait(e) de moi », « Parfois, je me sens réellement inutile », et certaines portent sur la comparaison sociale : « Je suis capable de faire les choses aussi bien que la plupart des gens », « Je pense que je suis quelqu’un de valable, au moins autant que les autres »… Comme dans les TCC, ce volet cognitif était complété par des approches comportementales d’engagement dans l’action, comme des programmes d’affirmation de soi pour lutter contre la tendance à éviter les situations de « performance sociale » (donner son avis, s’adresser à des inconnus, dire non ou négocier). Car seules l’action et ses conséquences donnent des informations fiables : elles signalent des compétences suffisantes en cas de succès et à améliorer en cas d’échec. Alors que les conduites d’évitement, à l’inverse (esquiver la parole en public, ne pas s’approcher d’inconnus, etc.) n’apportent pas d’informations exploitables. En n’agissant pas, on se garde certes d’échouer (ce qui serait douloureux pour l’estime de soi) mais on sacrifie alors son développement personnel (et les chances d’apprendre pour progresser et accroître son estime de soi) à sa tranquillité émotionnelle ; celle-ci n’étant d’ailleurs que transitoire, car les
gains en matière de stress ou d’anxiété se paient ensuite par des pertes durables en matière d’estime de soi. Comme le notait Romain Rolland : « En agissant, on se trompe parfois ; en ne faisant rien, on se trompe toujours. » Bien qu’efficaces (et toujours utilisés), ces premiers outils ont leurs limites. D’une part ils ne marchent pas toujours : en cas d’estime de soi trop basse, les avis positifs qu’on formule explicitement sur soi-même ont peu d’effets durables. Parfois, l’excès de valorisation de soi perturbe même les relations sociales (on est moins attentif à autrui, et on ne se rend pas sympathique). La culture de la fierté, par exemple, pousse à ne se rapprocher que des vainqueurs et des dominants, et pose de nombreux problèmes : ne voir l’existence que comme une suite de compétitions, ne juger ses semblables qu’à l’aune de leurs performances… DEUXIÈME VAGUE : VERS L’ACCEPTATION ET L’AUTOCOMPASSION À partir des années 1990 et jusque dans les années 2000, un deuxième courant de l’estime de soi fait son apparition : l’acceptation de soi et l’autocompassion (ou l’autobienveillance). Cette évolution part d’un constat : s’en tenir à des stratégies d’autovalorisation pour renforcer son estime de soi expose à une surenchère risquée. En effet, pour avoir un regard favorable sur soi, il faut viser les performances et la perfection, et
POURQUOI LE REJET SOCIAL
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ombre de protocoles expérimentaux où l’on fait croire à une mise à l’écart, même d’un groupe virtuel, montrent des conséquences multiples : baisse franche de l’estime de soi, mais aussi évitement de son image dans les miroirs, perte de ses capacités d’autorégulation (on ne résiste pas aux tentations de manger, fumer), etc. Il y a aussi un impact biologique : le rejet active les circuits cérébraux du stress et de la douleur, et augmente par
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exemple la quantité de cortisol salivaire, un marqueur biologique de stress facile à mesurer. Et cette réaction de détresse biologique est d’autant plus forte chez les personnes à basse estime de soi, là où celles chez qui elle est haute sont, à rejet égal, moins affectées. L’estime de soi est ainsi un amortisseur des blessures de l’existence. Les circuits cérébraux activés par le rejet social, qui fait baisser l’estime de soi, sont les mêmes que ceux qui sont activés par la douleur physique (cortex
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pour cela être exigeant avec soi et se stimuler durement, sans cesse, et pas seulement à des moments précis. Le risque : une confusion entre valeur et performance, qui amène à se réduire soi-même au résultat de ses actions. Or on dispose d’un nombre significatif de recherches montrant que renforcer l’estime de soi par le perfectionnisme et l’hypercontrôle entraîne un niveau de stress élevé. D’autres recherches, conduites auprès de populations à basse estime de soi, comme les personnes souffrant de boulimies ou d’automutilations, montrent le rôle très aggravant des autocritiques excessives (liées à la déception de soi) dans leur pathologie. C’est à ce moment, et à partir de ces observations, que se sont multipliés les travaux sur l’acceptation de soi et l’autobienveillance. Avec ce questionnement : que faire de ses défauts et de ses limites ? Il est préférable de les amender, bien sûr, et de s’efforcer de progresser. Mais dans l’attente des changements éventuels, que faire de ce « soi » imparfait ? Eh bien… accepter l’imperfection ! En psychologie, l’acceptation ne signifie pas la résignation à contrecœur, mais le consentement à ses propres limites. Ce n’est pas dire « c’est bien d’avoir tous ces défauts », mais « c’est là, c’est comme ça, pour le moment, autant vivre en paix avec soi ; sans renoncer à changer, mais en le faisant dans une ambiance apaisée ». William James l’avait décrit : « Étrangement, on se sent le cœur extrêmement léger une fois qu’on
a accepté de bonne foi son incompétence dans un domaine particulier. » Outre l’acceptation, l’autobienveillance va également faire son apparition à ce moment. Nous avons évoqué le rôle de l’estime de soi dans nos capacités de résilience : ne jamais se réduire à ses défauts, ses faiblesses, ses échecs. Pouvoir se dire « même quand j’échoue, je reste quelqu’un d’estimable ». Et surtout ne jamais s’en prendre à soi. On retrouve ainsi une fréquence élevée des autoagressions et du désir de se punir dans les mésestimes de soi : autocritiques excessives, conduites d’échec, parfois maltraitance physique. Dans l’adversité, il s’agit au contraire de faire preuve de bienveillance à son égard. Il ne s’agit pas de complaisance (tout se pardonner) mais de bienveillance : reconnaître ses souffrances (au lieu d’adopter la stratégie du « même pas mal »), et commencer par se consoler, se réparer, chercher du soutien émotionnel et informatif. Puis faire le bilan des différents aspects sur lesquels on peut progresser. L’autobienveillance s’inscrit dans le contexte plus large de l’autocompassion, cette attitude globale de réaction à ses souffrances, et qui comporte trois éléments : d’abord, l’autobienveillance ; puis l’accueil et l’acceptation de ses souffrances (les reconnaître au lieu de les repousser ou de les dénier, les accueillir sans se raidir grâce aux méthodes de méditation de pleine conscience) ; enfin, la conscience d’une
MINE L’ESTIME DE SOI cingulaire antérieur et insula antérieure) ; tandis que ceux qui le sont par l’acceptation sociale font partie du réseau cérébral dit « de la récompense », déclenchant un sentiment de plaisir et de bien-être (cortex cingulaire antérieur et striatum ventral). Ce circuit de la récompense est nourri par des opioïdes endogènes : si on administre à des volontaires une substance qui bloque ces derniers (comme la naltrexone), les participants vont moins s’estimer, et par conséquent vont
se montrer beaucoup plus réceptifs à la présentation de visages souriants, comme s’ils avaient un plus grand besoin de réconfort. Moralité : en cas de rejet, qui fait toujours très mal à l’estime de soi, ne pas minimiser sa détresse et aller chercher la consolation la plus puissante, celle du lien social auprès des personnes qui, elles, vous apprécient et ne vous rejettent pas…
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DOSSIER LA NOUVELLE ESTIME DE SOI S’OUBLIER POUR MIEUX S’ESTIMER humanité commune dans les souffrances : la souffrance fait partie de la vie de tous les humains, elle n’est pas la preuve d’un échec ou d’une déficience personnelle. Les programmes thérapeutiques destinés à augmenter ces capacités d’autocompassion aident à réduire très significativement les autocritiques excessives, comme le montre une métaanalyse récente de 20 études contrôlées, portant sur 1 350 participants. L’autocompassion a aussi le grand avantage de diminuer le narcissisme : elle permet d’accepter ses échecs et leur sillage de souffrance, au lieu de vouloir les nier, tant à soi qu’aux autres, et aussi de se rapprocher de ses semblables, au lieu de les considérer comme des inférieurs ou des concurrents. SE DÉCENTRER, SE LIER AUX AUTRES ET S’OUBLIER Enfin, une évolution plus récente de l’estime de soi a eu lieu à partir des années 2010 puis 2020. C’est le moment où de premiers travaux commencent à montrer des dérapages à la hausse de l’estime de soi dans nos sociétés, certains chercheurs parlant même d’une « épidémie de narcissisme » : en examinant les résultats obtenus aux tests de personnalité – anonymes – systématiquement proposés à chaque promotion d’étudiants, des chercheurs de l’université de l’Alabama du Sud notent, entre 1982 et 2009 une élévation significative des scores de narcissisme ; avec par exemple un nombre croissant de réponses positives à des questions comme : « J’ai plaisir à montrer mon corps », « J’aime me regarder dans le miroir », « Je suis doué(e) pour influencer les autres », « Je sais que je suis quelqu’un de bien parce que tout le monde me le dit ». Les auteurs attribuent ces hausses narcissiques à des évolutions sociales, dont il sera question plus loin. Le problème est que le narcissisme n’est pas une bonne estime de soi. Les sujets à traits narcissiques ne sont pas seulement convaincus de leurs qualités et de leurs capacités (pourquoi pas, après tout !), mais ils ont également besoin qu’on reconnaisse leur supériorité, qu’on leur accorde des avantages, qu’on s’incline devant eux et leurs idées. Ils ne souhaitent pas être acceptés mais admirés, non pas collaborer mais dominer, etc. C’est une mauvaise caricature de la bonne estime de soi, qui consiste plutôt à être satisfait de soi mais lucide sur ses limites, à être conscient de ses capacités mais aussi de son besoin des autres. Le besoin de se mettre en avant et au-dessus des autres est associé à une relative insécurité quant au sentiment de sa propre valeur.
Une des caractéristiques du narcissisme est d’être constamment centré sur soi et ses intérêts : « A-t-on remarqué mes qualités, a-t-on reconnu ma supériorité ? » Ce regard autocentré est aussi propre aux personnes à basse estime de soi, dans une sorte de narcissisme négatif : « Que sont-ils en train de penser de moi ? Est-ce que je suis à la hauteur ? Ont-ils repéré mes points faibles et mes défauts ? » Cette focalisation sur soi est logique. Car, en fait, toute forme de mésestime de soi est une souffrance, et on sait depuis longtemps en psychologie expérimentale que toute souffrance est un aimant attentionnel : elle accapare notre attention et nous empêche de penser à autre chose. Souvenez-vous de votre dernière rage de dents ou de votre dernier chagrin d’amour : il est probable que plus grand-chose d’autre ne pouvait alors vous intéresser… Les personnes à mauvaise estime de soi (trop basse, ou narcissique, c’est-àdire haute mais instable) sont focalisées à l’excès sur elles-mêmes, se demandant sans cesse quel effet elles font, et ce qu’on pense à leur propos. À l’inverse, chez les personnes à bonne estime de soi se retrouve l’oubli de soi : lorsqu’elles s’engagent dans des actions ou des interactions sociales, elles ne sont pas parasitées par des interrogations sur l’image que les autres ont d’elles, de leur apparence, de leur comportement, mais au contraire, s’intéressent librement à tout ce qui les entoure.
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ÉCLAIRAGES Psychologie
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PÉNURIE D’EAU
Par Thomas Talhelm et Hamidreza Harati, respectivement chercheurs en sciences économiques à l’université de Chicago et du Queensland.
En situation de pénurie d’eau, notre cerveau changerait de fonctionnement. Il se met à raisonner à long terme, alors que son réflexe est habituellement de préférer des bénéfices rapides. Un atout potentiel pour affronter les défis climatiques.
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sentiment de manquer d’une ressource vitale accapare une partie de nos capacités cognitives, lesquelles sont moins disponibles pour la prise de décision. Mais une étude que nous avons publiée récemment dans la revue Psychological Science démontre qu’à la différence de l’argent, l’idée de manquer d’eau se traduit par des comportements totalement différents. Inquiets face aux pénuries de cette ressource, nous nous soucions au contraire plus de l’avenir, nous planifions davantage et gaspillons moins.
uste une dernière partie pour me refaire ! », « Je mise le tout pour le tout », « Tapis ! », etc. Ces élocutions vous sont peut-être familières ? Lorsqu’on se met à perdre à des jeux d’argent, il n’est pas rare qu’on prenne des décisions déraisonnables, qui peuvent nous sembler tentantes sur le moment, mais qui se révèlent très mauvaises sur le long terme. Ces comportements s’expliquent – entre autres – par la notion de manque, ici le manque d’argent. Lorsque ce manque se réfère à quelque chose que nous considérons de vital, notre cerveau modifie notre manière de penser et nos comportements. En cause ? La charge mentale. Le
L’IDÉE DE MANQUER D’EAU NOUS SERAIT-ELLE BÉNÉFIQUE ? Pour cette étude, nous avons interrogé 211 étudiants iraniens répartis en trois groupes distincts. Ceux d’un premier groupe avaient pour consigne de lire un article aux accents catastrophistes, présentant la pénurie d’eau actuelle comme la plus sévère survenue depuis près de
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© erhui1979/Istsock
Comment la sécheresse modifie notre façon de penser
mille deux cents ans. Ceux du second groupe lisaient un autre article qui se voulait au contraire rassurant et affirmait que le changement climatique entraînait de fortes intempéries et par conséquent apportait de l’eau en quantité. Les étudiants du troisième, enfin, n’avaient… aucun article à lire. Dans un second temps, tous les participants répondaient à un questionnaire leur demandant quelle importance ils accordaient au fait d’économiser et de planifier sur le long terme. Résultat : la simple idée de manquer d’eau a incité les sujets à davantage penser à l’avenir. Les étudiants qui ont lu l’article sur la pénurie d’eau étaient bien plus favorables à des affirmations telles que : « Les gens devraient vivre pour le futur », « Je fais des économies sur certaines choses aujourd’hui afin de pouvoir épargner pour demain » que ceux dont la lecture laissait croire à une abondance future en eau. Ces derniers, au contraire, valorisaient une vie au jour le jour et se souciaient moins d’économiser de l’argent ou d’autres ressources.
EN BREF £ La simple idée de manquer d’eau nous pousse à réfléchir à l’avenir. £ Les personnes confrontées à ce manque ont tendance à penser davantage au futur et à agir en conséquence (à épargner, par exemple). £ Cette sensibilité aurait été acquise au cours de l’évolution, nous permettant d’agir face à la menace d’une pénurie en eau.
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ÉCLAIRAGES Psychologie
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PÉNURIE D’EAU : COMMENT LA SÉCHERESSE MODIFIE NOTRE FAÇON DE PENSER
Bien sûr, s’informer sur la pénurie en eau n’a probablement pas les mêmes effets qu’en faire l’expérience directe. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés à des lieux où les habitants sont confrontés à de véritables épisodes de sécheresse depuis des générations. La ville de Yazd, dans le centre de l’Iran, en est un parfait exemple. Et puisque l’objectif est d’évaluer l’influence du manque d’eau sur les comportements, nous avons choisi une seconde ville, Shiraz, qui se distingue de la première uniquement par un approvisionnement supérieur en cette ressource. Shiraz est géographiquement proche de Yazd, elle a une économie similaire, possède la même religion majoritaire, la même langue et est peuplée de la même ethnie ; simplement, elle reçoit suffisamment de précipitations pour entretenir les vignobles qui produisent un vin renommé. Le principal paramètre susceptible d’influer différemment sur les comportements des habitants de ces deux villes est donc le rapport à la disponibilité en eau. Pour cette étude, 331 personnes des deux villes ont ainsi passé des tests psychologiques mesurant leur « orientation à long terme », défini comme le degré de priorité que les sujets accordent à l’avenir. Les résultats ont montré que les habitants de Yazd considéraient la planification de l’avenir comme plus importante que ceux de Shiraz. À l’inverse, ces derniers, bien moins exposés aux épisodes de sécheresse que leurs homologues, appréciaient davantage l’idée de vivre le moment présent. ET SI CELA NOUS SAUVAIT LA MISE ? Si cette seconde étude semble combler les manques de la première, un problème subsiste. L’Iran est un pays durement touché par la sécheresse. Ses habitants sont donc probablement plus sensibles aux problématiques de l’eau que ceux d’autres régions du monde. Nous nous sommes alors appuyés sur l’enquête mondiale des valeurs (World Values Survey), un projet de recherche international en sciences sociales qui recueille des informations sur les croyances et les valeurs de personnes. Nous avons alors recueilli les réponses de sujets provenant de 87 pays différents interrogés sur l’importance d’épargner et d’économiser les ressources pour l’avenir. Les populations de régions du monde profondément marquées par des pénuries d’eau avaient tendance à être plus favorables à cette idée. Par exemple, en Espagne, où certains territoires sont à caractère aride, les habitants pensaient davantage à l’avenir que des citoyens islandais, pays arrosé en permanence.
L’augmentation de la fréquence des sécheresses causées par le réchauffement planétaire pourrait modifier la façon de réfléchir de nos concitoyens dans un proche avenir. À travers ces différentes études, nos résultats suggèrent que la disponibilité en eau, plus que de nombreuses autres ressources, joue un rôle important dans la manière dont se façonnent nos pensées et nos comportements. Parmi plusieurs paramètres tels que la santé, la religion ou le statut économique des participants, seul le manque ou la présence d’eau a permis d’expliquer que les sujets planifient sur le long terme. Il est très probable que l’homme, en tant qu’espèce dont la survie dépend de cet élément naturel, ait évolué pour être sensible à son déficit. Certains traits évolutifs semblent le confirmer, par exemple le sens de l’odorat. Alors que les souris disposent d’environ 1 000 gènes fonctionnels codants pour les récepteurs olfactifs, les humains en ont seulement 400. Pourtant, l’homme est plus sensible à l’odeur de la pluie que ne l’est le requin avec le sang. Pendant des centaines de millénaires, Homo sapiens a vécu sans connaître l’argent. Il peut se passer de nourriture pendant des semaines. Mais, lorsqu’il s’agit d’eau, nul ne peut survivre plus de quelques jours. Cette ressource permet d’expliquer que l’évolution nous a dotés de réactions psychologiques pour faire face à la menace de son absence. Cette sensibilité pourrait s’avérer cruciale à l’avenir, quand nous savons que les épisodes de sécheresses deviendront de plus en plus fréquents. Nos travaux suggèrent que l’augmentation de la fréquence des événements en lien avec le réchauffement planétaire pourrait modifier la façon de penser des gens, en poussant des communautés entières à adopter un comportement plus raisonné et tourné vers l’avenir. Une lueur d’espoir face à la menace du changement climatique. £
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Bibliographie F. Otto et al., Humaninduced climate change compounded by socio-economic water stressors increased severity of drought in Syria, Iraq and Iran, World Weather Attribution, 2023. H. Harati et T. Talhelm, Cultures in waterscarce environments are more long-term oriented, Psychological Science, 2023. K. Anuj Shah et al., Some consequences of having too little, Science, 2012. P. Kottusch et al., Survival time without food and drink, Arch. Kriminol, 2009. Y. Niimura et M. Nei, Evolutionary dynamics of olfactory and other chemosensory receptor genes in vertebrates, J. Hum. Genet., 2006.
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ÉCLAIRAGES L’envers du développement personnel
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YVES-ALEXANDRE THALMANN
Professeur de psychologie au collège Saint-Michel et collaborateur scientifique à l’université de Fribourg, en Suisse.
Cours d’empathie À VOS MOUCHOIRS !
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Pour mettre fin au harcèlement scolaire, le gouvernement souhaite mettre en place des cours d’empathie à l’école. Seul problème : le lien entre manque d’empathie et harcèlement n’est pas prouvé.
e développement personnel, à n’en pas douter, procède d’une bonne intention. Développer ses qualités, mieux gérer ses émotions, s’épanouir… qui refuserait un tel programme ? Eh bien, celles et ceux à qui on l’impose de force ! Je constate régulièrement que dans les formations aux compétences sociales que j’ai l’occasion d’animer en milieu professionnel, certains participants ont été poussés contre leur gré par leurs supérieurs à suivre ces programmes. Dans ces circonstances, il y a instrumentalisation des contenus : le but affiché est d’améliorer les inter actions au sein des équipes et d’augmenter la productivité, et le moyen d’y parvenir consiste à former les employés aux techniques de communication ou de gestion du stress. Raisonnement dont la faille est pourtant évidente : ce n’est pas
forcément un manque de compétences interpersonnelles qui cause les dysfonctionnements dans les équipes, mais parfois une organisation mal pensée, des locaux inadaptés, des compétences mal ciblées, des objectifs irréalistes, un management par le stress… la liste est longue ! Inutile de préciser que dans ces conditions, peu d’effets positifs sont constatés. Or c’est pourtant le même biais qui prévaut dans un projet chaperonné par le gouvernement et qui sera déployé dans les écoles dès le début de cette année : les cours d’empathie en classe. But annoncé : réduire le fléau du harcèlement chez les jeunes. Nos dirigeants sont partis de l’idée que le harcèlement résulte d’un manque d’empathie (car si l’on ressent la souffrance d’autrui, on devrait cesser de lui
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faire du mal). Et que nos chers bambins, puisque ces cours sont dispensés dans les classes maternelles et primaires, se livrent à ces agissements répréhensibles sans se rendre compte du tort qu’ils infligent à leurs victimes, foi de Jean Jacques Rousseau ! Soit. Mais qu’en estil du lien entre le niveau d’empathie chez les jeunes et la fréquence de leurs comportements de harcèlement ? LE HARCÈLEMENT RÉSULTE-T-IL D’UN MANQUE D’EMPATHIE ? En réalité, le lien entre empathie et harcèlement est loin d’être aussi clair que l’on imagine. Certes, il existe des corrélations avérées entre les deux. Plus précisément, les élèves impliqués dans des faits de harcèlement ont significativement moins de chances d’obtenir des scores élevés sur des
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échelles d’empathie. Un lien « statistiquement significatif, mais qui présente aussi une très forte variabilité entre les individus ». La formulation qui précède, toute en précision et en prudence, est issue de la métaanalyse impliquant plus d’une soixantaine d’études et conduite par la professeuse Izabela Zych, du département de psychologie de l’université de Cordoba (Espagne), secondée par des collègues de l’Institut de criminologie de l’université de Cambridge. Et, comme le soulignent les auteurs, il faut se garder de confondre corrélation et causalité. Rien, dans ces résultats, ne permet d’affirmer qu’un manque d’empathie serait la cause du harcèlement. Pour reprendre leurs termes, on peut très bien améliorer les capacités d’empathie des élèves, mais, si une faible empathie
n’est pas la cause du harcèlement, cette amélioration sera sans effet sur celui-ci. On ne peut être plus nuancé. QU’OBSERVE-T-ON DANS LES FAITS ? En l’état, les résultats de la recherche apparaissent plutôt contradictoires dès qu’il s’agit de lier causalement le manque d’empathie et le comportement harceleur. Une étude menée par la professeuse de psychologie de l’éducation Simona Caravita, du Centre de recherche sur les dynamiques évolutives et éducatives de l’université catholique de Milan, ainsi que par ses collègues, montre que des variables intermédiaires jouent un rôle crucial entre ces deux dimensions. Ils ont ainsi mis en évidence que, à côté du genre, le degré d’appréciation par les pairs (statut de « préférence » vis-à-vis des autres élèves) et la popularité d’un
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jeune (qui renvoie à la place qu’il occupe dans la « hiérarchie », un indicateur de sa dominance) ont une influence majeure sur les comportements de harcèlement. Les élèves appréciés pour leurs qualités humaines sont moins enclins à harceler, mais les élèves très populaires dans leur établissement le sont plus – pour eux, ce comportement est un moyen de maintenir ou d’améliorer leur place dans la hiérarchie du préau… À cela s’ajoute que ces effets peuvent différer entre filles et garçons, comme d’ailleurs leurs méthodes de prédilection pour harceler : paroles dénigrantes, exclusions, violences physiques, humiliations… L’article soulève aussi la question des témoins : prendre le risque de défendre une victime de harcèlement vaut-il la peine, sachant que cela peut faire de vous la prochaine cible ?
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ÉCLAIRAGES L’envers du développement personnel COURS D’EMPATHIE : À VOS MOUCHOIRS !
L’empathie, si elle a un rôle à jouer dans le phénomène du harcèlement scolaire, n’est donc pas, et de loin, la seule variable à prendre en considération – et certainement pas la cause principale. Pour le dire autrement, ce n’est pas uniquement par manque d’empathie que les jeunes s’engagent dans des comportements de harcèlement. Ils peuvent le faire en toute connaissance de cause, dans le but de gravir les échelons de la hiérarchie sociale et gagner en popularité. Comme dans le monde professionnel adulte, en somme. Ironie de la chose, une meilleure empathie cognitive – la capacité à adopter le point de vue d’autrui – peut même donner lieu à des techniques de harcèlement plus efficaces pour faire du mal à la victime. Il serait dommage d’observer de tels effets secondaires à la suite des premiers cours d’empathie dispensés ! EMPATHIQUE... QUAND LE PROF EST LÀ ! Regardons maintenant d’un peu plus près un exemple concret d’intervention dans une école. Un programme intensif de cinq jours a été mis en place en Roumanie en 2023, impliquant trois classes pour un total de plus d’une soixantaine d’élèves, âgés de 9 ans et demi en moyenne. Trois conditions expérimentales ont été comparées : des cours d’empathie en présence de l’enseignant, des cours d’empathie en l’absence de l’enseignant, et aucun cours d’empathie (groupe témoin). Les résultats laissent songeur : les scores d’empathie progressent et le harcèlement verbal recule… uniquement chez les élèves dont l’enseignant était présent lors du cours. En revanche, aucun changement n’a lieu pour le harcèlement physique. Pourquoi la seule présence de l’enseignant est-elle importante ? Parce qu’il incarne l’autorité et qu’il dispose du pouvoir de sanctionner les dérives ? Ce détail devra en tout cas être pris en compte, tout en sachant que les agressions physiques pourraient bien rester inchangées. Quoi
qu’il en soit, les cours d’empathie ne semblent pas la panacée pour éradiquer le harcèlement scolaire. Surtout, ils ne devraient pas impliquer tous les élèves indifféremment, mais être dispensés de manière sélective, uniquement à ceux ayant un degré d’empathie plus faible. Car, ne l’oublions pas, l’empathie n’est pas qu’une qualité : en excès, elle peut entraîner des conséquences dommageables – pensons simplement à l’épuisement empathique (ou compassionnel) des soignants ou des proches aidants. Nos dirigeants ont-ils anticipé les possibles effets secondaires indésirables d’une augmentation de l’empathie chez nos jeunes ? Ces enfants ne risquent-ils pas d’être encore plus dévastés devant le spectacle de la misère du monde étalé sur leurs écrans ? En voyant des enfants de leur âge martyrisés dans les zones de conflit, à Gaza ou en Ukraine ? Sur les embarcations de fortune tentant de franchir la Méditerranée ? Touchés par des catastrophes naturelles terribles ? Sans même parler de l’écoanxiété et de son empathie avec d’autres espèces vivantes dont la diversité s’effondre… LE SPECTRE DE L’USINE À GAZ Si les cours d’empathie ne résoudront probablement pas le problème du harcèlement, ils mobiliseront assurément des deniers publics, et sans doute pas qu’un peu. D’où ces questions un tantinet impertinentes pour terminer : ne serait-il pas préférable d’attribuer cette somme à la réduction du nombre d’élèves par classe – ainsi que du nombre de classes par établissement –, donc à engager plus d’enseignants qui pourraient ainsi mieux surveiller les préaux et prévenir certaines violences ? Ne devrait-on pas agir par l’exemple, c’est-à-dire manifester davantage d’empathie envers le personnel enseignant (ce qui éviterait qu’il ne descende dans la rue pour crier son rasle-bol) ? Personnel enseignant qui pourrait à son tour se montrer plus empathique envers les élèves ? £
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Rien, dans ces résultats, ne permet d’affirmer qu’un manque d’empathie serait la cause du harcèlement.
Bibliographie I. Zych et al., Empathy and callous unemotional traits in different bullying roles : A systematic review and meta-analysis, Trauma Violence Abus, 2019. S. C. S. Caravita et al., Unique and interactive effects of empathy and social status on involvement in bulying, Soc. Dev., 2009. T. Palade et E. Pascal, Reducing bullying through empathy training : The effect of teacher’s passive presence, Behav. Sci., 2023.
LIVRES
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p. 92 Sélection de livres p. 94 Aladin : pourquoi nous croyons à la magie, mais pas trop...
SÉLECTION
A N A LY S E Henri-Jean Aubin
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SCIENCE & SOCIÉTÉ La crise environnementale n’aura pas lieu Mathieu Farina Belin
ANTHROPOLOGIE L’Ivresse Edward Slingerland FYP, 2023, 312 pages, 24 €
vec 2,4 milliards de consommateurs, soit un tiers de la population mondiale, l’alcool est un phénomène marquant de nos sociétés. Pour Edward Slingerland, professeur à l’université de Colombie-Britannique, il a même joué un rôle essentiel dans leur développement. Une thèse intéressante et originale, qu’il expose ici à travers une analyse résolument pluridisciplinaire. Ainsi, l’auteur montre à quel point l’alcool est omniprésent depuis les temps anciens, ayant sans doute précédé, voire justifié, l’apparition de l’agriculture : selon cette théorie, « les premiers agriculteurs étaient poussés par le désir non pas de pain, mais de bière ». Il argue en outre que si l’alcool était essentiellement nocif, les gènes qui poussent à sa consommation auraient probablement disparu de notre patrimoine génétique. L’utilisation de cette substance ne serait donc en aucun cas une erreur de l’évolution, mais plutôt une adaptation qui aurait permis à l’espèce humaine de relever certains défis, en favorisant la créativité et la coopération. Tout n’est pas parfait dans ce livre : la démonstration présente quelques faiblesses – le rôle de l’alcool dans la créativité est en réalité plus controversé que ce qu’en dit l’auteur, et ses bénéfices en la matière se limitent en tout cas à de faibles consommations – et la traduction française est parfois maladroite (sans compter qu’elle omet les références bibliographiques présentes dans la version originale, ce qui complique la vérification des arguments scientifiques). Néanmoins, l’ouvrage apporte une perspective stimulante sur l’alcool et sur son rôle dans l’histoire de l’humanité. Sans nier les dangers de cette substance (et les indiscutables ravages de l’alcoolisme sur la santé), il s’oppose à la diabolisation qui prédomine actuellement dans la littérature scientifique et encourage une réflexion plus nuancée sur ce sujet complexe et controversé. Plus généralement, dans un monde où les débats sur la consommation d’alcool sont de plus en plus polarisés, cette analyse offre une contribution importante à la compréhension du sujet. Henri-Jean Aubin est professeur de psychiatrie et d’addictologie à l’université Paris-Saclay.
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ÉDUCATION Éduquer sans s’épuiser Alan Kazdin Solar 2023, 272 pages, 18,90 €
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rises de colère, difficultés à s’endormir, refus de faire ses devoirs… L’éducation des enfants est semée d’innombrables défis qui suscitent bien souvent crispation et fatigue chez les parents. Pourtant, il existe des moyens scientifiquement validés de favoriser l’apprentissage ou l’abandon de certains comportements. L’auteur les présente de façon limpide dans cet ouvrage dont Franck Ramus, directeur de recherche au CNRS, signe une préface élogieuse : « Où donc trouver une synthèse grand public de tous ces travaux [sur les méthodes de parentalité] en français ? Jusqu’à présent, il n’y en avait aucune. C’est dire si la traduction de ce livre était attendue ! »
2024, 336 pages, 21 €
L
a sauvegarde de la planète ne passera pas seulement par la compréhension de la crise climatique en jeu : elle nécessitera aussi d’appréhender la manière dont chacun reçoit les informations sur le sujet et y réagit. Tel est le défi que s’est lancé cet ouvrage à la croisée de la psychologie et de l’écologie. Il montre ainsi comment notre perception est parfois faussée – une étude ayant par exemple conclu que nous apercevons une trentaine de lions ou d’ours polaires par semaine (sous forme de jouets ou de personnages de fiction), ce qui est peu représentatif de leur raréfaction –, mais aussi à quel point nous avons un lien profond et instinctif avec le vivant. Un livre convaincant, à l’écriture agréable, et qui transpire l’amour de la nature.
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COUP DE CŒUR Guillaume Jacquemont
PSYCHOLOGIE Le Soi et l’Identité en psychologie sociale Sophie Berjot et David Bourguignon Dunod PSYCHOLOGIE ANIMALE Animaux énigmatiques Jessica Serra Larousse 2023, 208 pages, 25 €
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oilà un livre magnifique, qui instruit autant qu’il émerveille. Il dresse le portrait d’animaux souvent mal-aimés, à travers de superbes photos et textes décrivant notamment leurs capacités cognitives et sociales, ainsi que nos interactions avec eux. Drôles, insolites ou émouvantes, les multiples anecdotes qui parsèment cet ouvrage accroissent encore le plaisir de lecture : rats qui conduisent de petites voitures électriques, piranhas poussant des cris d’intimidation, crocodiles qui jouent à la balle…
2023, 288 pages, 29 €
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a maxime « Connais-toi toi-même » était déjà inscrite sur le fronton du temple de Delphes au temps de Socrate, signe que les interrogations sur le soi ne datent pas d’hier. Mais depuis une cinquantaine d’années, les chercheurs l’étudient de manière systématique. Les auteurs proposent ici une synthèse de ces travaux, afin de promouvoir les interventions qui en découlent et qui visent par exemple à augmenter l’estime de soi ou à développer une vision moins rigide de soi-même. Un ouvrage qui profitera aux psychologues, enseignants et autres accompagnateurs – bref à tous ceux qui ont à s’occuper d’autres êtres humains !
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PSYCHOLOGIE Améliorer ses compétences émotionnelles I. Kotsou et al. Dunod, 2023, 192 pages, 22,90 €
i l’on s’est longtemps méfié des émotions, elles sont aujourd’hui considérées comme une des clés de l’épanouissement de l’individu. Mais leur mauvaise réputation ne vient pas de nulle part : mal gérées, elles risquent de dérégler aussi bien notre humeur que notre comportement et nos relations. D’où l’intérêt de maîtriser un certain nombre de « compétences émotionnelles », terme souvent préféré à celui d’« intelligence émotionnelle », car ces compétences ne forment pas une donnée immuable et rigide. Au contraire, elles s’acquièrent, et ce petit guide, écrit par six éminents spécialistes du sujet et fondé sur un programme validé expérimentalement, vous donnera tous les outils pour cela. Chaque chapitre se focalise sur une compétence fondamentale : identifier, comprendre et réguler les émotions (les siennes comme celles des autres), mais aussi les communiquer à bon escient et savoir les utiliser. Il ne s’agit cependant pas de leur donner les pleins pouvoirs, mais plutôt d’apprendre à les écouter – autrement dit, de leur laisser une « voix consultative » et non une « voix décisionnelle ». L’objectif est également de nous en servir pour mieux comprendre nos besoins fondamentaux et ceux des autres, nous apporter un surcroît d’énergie ou adapter notre agenda à notre état psychologique du moment. Par exemple, en sachant que, si l’on est anxieux, on va être plus efficace dans des tâches requérant une attention très focalisée. Convaincant, l’ouvrage présente brièvement les recherches ayant montré les bienfaits individuels et sociaux de chaque compétence – une bonne identification des émotions étant ainsi associée à une meilleure gestion du stress, à une estime de soi plus élevée et à davantage de soutien social. Didactique et concret, il présente ces conséquences de manière incarnée, à travers une série de vignettes cliniques, tout en proposant outils et exercices. Certains sont à faire en famille et prennent la forme de petits jeux. Grâce à eux, vous devriez établir pas à pas une relation plus saine et sereine avec vos émotions, que nous avons trop souvent tendance à fuir ou à laisser se déchaîner sans filtre.
Guillaume Jacquemont est journaliste à Cerveau & Psycho.
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