Cerveau & Psycho #165 - Mai 2024

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D’OÙ VIENT LA FATIGUE CHRONIQUE ?

MĂ©moire, intelligence, Ă©motions

LES ALIMENTS QUI BOOSTENT LE CERVEAU

NEUROSCIENCES ÉCRIRE À LA MAIN AIDE À MIEUX MÉMORISER HABITUDES COMBIEN DE TEMPS POUR EN CHANGER ?

ODEURS COMMENT ELLES NOUS AIDENT À RECONNAÎTRE NOS AMIS

L 13252 - 165 H - F: 7,50 € - RD
N°165 Mai 2024 Cerveau & Psycho Cerveau & Psycho Mémoire, intelligence, émotions LES ALIMENTS QUI BOOSTENT LE CERVEAU N° 165 Mai 2024
LES BONS CHOIX ALIMENTAIRES POUR LES TOUT-PETITS PAGE 48 DOM : 9,00 € – BEL./LUX. : 9,00 € – CH : 12,70 FS – CAN. : 13,99 CA$ – TOM : 1 150 XPF
Abonnez-vous formule intĂ©grale Mars CP0163-nouvelle-theorie-reve.indd DÉCOUVERTES Neurosciences Pourquoi rĂȘvons-nous? Pour maintenir actives les zones du cerveau dĂ©volues Ă  la vision. Sinon, elles seraient progressivement Ă©liminĂ©es en vertu du principe que, dans le cerveau, ce qui ne sert pas est dĂ©truit. C’est du moins le sens d’une nouvelle thĂ©orie qui soulĂšve de nombreux dĂ©bats. Les rĂȘves, au cƓur d’unecĂ©rĂ©braleguerre Par Roberta McLain, biologiste et journaliste scientiïŹque. 163 29 CP0163-nouvelle-theorie-reve.indd 19/01/2024 11:36 CEPP0163 029 CR156308 pdf Ă  partir de 6,20 € / mois sans engagement
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depuis 2003 Les clés pour comprendre notre cerveau et nos comportements

N° 165

p. 26-27

Séverine Boillée

NeuroscientiïŹque Ă  l’Institut du cerveau Ă  Paris, directrice de l’équipe « Causes de la SLA et mĂ©canismes de la dĂ©gĂ©nĂ©rescence motoneuronale », elle mĂšne des recherches sur les mĂ©canismes biologiques sous-tendant la maladie de Charcot.

p. 28-33

Sophie Fessl

Docteure en neurosciences, journaliste scientiïŹque Ă  Vienne, elle a enquĂȘtĂ© sur le « chemobrain », le brouillard cĂ©rĂ©bral dans lequel se trouvent parfois plongĂ©s les patients guĂ©ris d’un cancer aprĂšs une chimiothĂ©rapie, et qui ralentit leurs pensĂ©es.

p. 42-47

Guillaume Fond

Psychiatre Ă  l’Assistance publique des HĂŽpitaux de Marseille, il est un spĂ©cialiste de la psychonutrition, discipline qui Ă©tudie les aliments bĂ©nĂ©ïŹques pour le cerveau et la santĂ© mentale.

p. 54-59

Cyril Gerolymos

Psychiatre spécialisé en gérontologie, il explore la façon dont une alimentation adaptée protÚge le cerveau des personnes ùgées, ralentit le déclin cognitif et diminue le risque de dépression.

SÉBASTIEN BOHLER

RĂ©dacteur en chef

Face aux problĂšmes, Ă  vos assiettes !

Que pouvons-nous faire quand le monde semble nous menacer de toutes parts ? Réchauffement climatique, pandémies, guerres : le cocktail a rarement été aussi détonant, et la charge de stress aussi lourde à porter. Alors, comment agir ? Trier ses déchets pour limiter le réchauffement à 2 °C ? Allumer un cierge pour espérer que les dictateurs comprendront leur erreur et enverront leurs chars à la casse ? Vous pouvez faire ça. Mais il faut vous protéger. Non pas en construisant un abri antiatomique, mais en vous constituant un bouclier antistress, antidéprime et antidémence. En fortifant votre cerveau contre toutes ces agressions. Et pour cela, vous avez un levier bien concret : votre assiette.

Dans ce numĂ©ro, vous trouverez un dossier central expliquant quels aliments protĂšgent effcacement de ces atteintes psychologiques qui nous guettent. Car enfn, nous avons une chance dans notre malheur : aujourd’hui les donnĂ©es issues des laboratoires de nutrition, de psychologie et de neurosciences convergent vers une discipline appelĂ©e « psychonutrition », qui identife de façon fable et validĂ©e les aliments qui boostent le cerveau – avec de vrais effets. Alors, proftez-en.

L’assiette n’est pas une raison de vivre, ni un remĂšde Ă  tout, mais c’est un moyen d’agir sur ce que nous pouvons contrĂŽler. Ce n’est pas le seul. Soigner ses contacts sociaux est Ă©galement trĂšs protecteur, notamment grĂące au pouvoir de notre odorat (authentique ! voir page 84), qui montre Ă  quel point les vraies rencontres sont beaucoup plus puissantes que les contacts virtuels sur internet. Limiter les mĂ©dias anxiogĂšnes, faire du sport, tout cela nous aide fnalement Ă  nous recentrer sur nous et sur nos besoins Ă  la fois physiques et psychiques. Il est plus que temps
 ÂŁ

3 N° 165 - Mai 2024
ÉDITORIAL NOS CONTRIBUTEURS

p. 41-59

Dossier

p. 6-40

DÉCOUVERTES

p. 41 p. 6 p. 34

p. 6 ACTUALITÉS

Des « ondes voyageuses » transportent vos souvenirs

La musculation muscle
 la mémoire !

Le chien, générateur de « bonnes ondes » cérébrales

Faut-il exprimer sa colĂšre au travail ?

Le bilinguisme, antidote au déclin cognitif

Alzheimer : enïŹn un test sanguin ?

Sexe : la force du cheveu

p. 14 FOCUS

Fatigue chronique : le systĂšme immunitaire en cause

Faiblesse persistante, di cultĂ©s d’attention : ces symptĂŽmes seraient liĂ©s Ă  un Ă©puisement de notre immunitĂ©.

Kamal Nahas

p. 18 DÉCLIN COGNITIF

EnïŹn des cures de jouvence cĂ©rĂ©brale ?

Dans le sang de jeunes animaux se trouveraient des molĂ©cules capables d’inverser le vieillissement du cerveau.

Frank Luerweg

p. 26 NEUROLOGIE

« La recherche sur la maladie de Charcot avance sur plusieurs fronts »

Entretien avec Séverine Boillée

p. 28 CANCÉROLOGIE

Chemobrain : quand la chimio embrume le cerveau

PensĂ©e ralentie, troubles de la mĂ©moire et de la concentration : d’oĂč vient ce brouillard cĂ©rĂ©bral qui fait parfois suite aux chimiothĂ©rapies ?

Sophie Fessl

p. 34 MALADIES NEURODÉGÉNÉRATIVES

Des horloges déboussolées

Les maladies d’Alzheimer, de Parkinson ou de Huntington perturbent souvent nos horloges internes, causant des troubles du sommeil. Alors, bien dormir pourrait-il ralentir le dĂ©clin cĂ©rĂ©bral ?

Kathrin Utz

Ce numĂ©ro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho, brochĂ© en cahier intĂ©rieur, sur toute la di usion kiosque en France mĂ©tropolitaine. Il comporte Ă©galement un courrier de rĂ©abonnement, posĂ© sur le magazine, sur une sĂ©lection d’abonnĂ©s. En couverture : © Prostock-studio/Shutterstock

LES ALIMENTS QUI BOOSTENT LE CERVEAU

p. 42 PSYCHONUTRITION

COMMENT BIEN NOURRIR

SON CERVEAU ?

Contre la dĂ©pression, l’anxiĂ©tĂ© ou le stress, pour amĂ©liorer sa concentration ou son sommeil : les principales recommandations des Ă©tudes scientiïŹques internationales.

Guillaume Fond

p. 48 DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT DE

BONS CHOIX ALIMENTAIRES

DÈS LE BERCEAU

Comment doter le jeune le cerveau de bonnes connexions pour son futur ?

Guillaume Fond

p. 54 BIEN VIEILLIR

« BIEN MANGER EST LA PROTECTION N° 1

CONTRE LE DÉCLIN CÉRÉBRAL »

Pour conserver longtemps de bonnes capacités cognitives, un régime adapté est la meilleure des garanties.

Entretien avec Cyril Gerolymos

SOMMAIRE
N° 165 MAI 2024
4 N° 165 - Mai 2024

p. 60-74

p. 76-90

p. 92-98

ÉCLAIRAGES VIE QUOTIDIENNE LIVRES

p. 60 RÉSEAUX SOCIAUX

Attention, vous ĂȘtes ghostĂ© !

Du jour au lendemain, votre interlocuteur ne répond plus à aucun appel. Que faire ?

p. 66 RAISON ET DÉRAISON

A aire Oudéa-Castéra : les ressorts fragiles de la crédibilité

Cette polĂ©mique a rĂ©vĂ©lĂ© les ressorts cachĂ©s de la lĂ©gitimitĂ© en politique – et ailleurs.

p. 68 SCIENCES COGNITIVES

Dans la tĂȘte d’un champion de la tĂ©lĂ©

Comment font-ils pour avoir réponse à tout ?

Une Ă©tude livre les secrets de leur cerveau. Hannah Seo

p. 72 L’ENVERS

DU DÉVELOPPEMENT

PERSONNEL

YVES-ALEXANDRE THALMANN

Le bonheur, c’est bon pour la santĂ© ?

Un mythe vacille : ĂȘtre heureux ne ferait peut-ĂȘtre pas vivre plus longtemps


p. 76 PSYCHOLOGIE

L’énigme des menteurs pathologiques

Quand on ment jusqu’à vingt fois par jour, des spĂ©cialistes se demandent si ce n’est pas un trouble psychiatrique
 Jan Schwenkenbecher

p. 82 L’ÉCOLE DES CERVEAUX

JEAN-PHILIPPE LACHAUX

Écriture au stylo : cerveau synchro !

Écrire Ă  la main semble connecter entre elles les di Ă©rentes zones du cerveau.

p. 84 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Le « nez social » : que nous disent les odeurs des autres ?

Plus votre odorat est développé, plus votre réseau de connaissances est étendu.

Marta Zaraska

p. 88 LA QUESTION DU MOIS

En combien de temps se forme une habitude ?

Jocelyn Solys-Moreira

p. 92 LIVRES

Dans le cerveau de


La ConïŹance en soi

La Cigale et le Zombie

Écoute les murs parler

Faire parler les ordinateurs

Revenir Ă  soi

p. 94 NEUROSCIENCES ET LITTÉRATURE

SEBASTIAN DIEGUEZ

La Nausée : déréalisation

ou existentialisme ?

Dans son ouvrage de 1938, Sartre dĂ©crit un hĂ©ros qui prĂ©sente un syndrome de dĂ©rĂ©alisation. Quel est ce trouble, et quels sont ses liens avec l’existentialisme ?

p. 60 p. 76 p. 68 p. 84 p. 94
92
p.
5 N° 165 - Mai 2024

DÉCOUVERTES ActualitĂ©s

Par la rédaction

Des « ondes voyageuses » transportent vos souvenirs

Quand vous mĂ©morisez un fait nouveau, une onde Ă©lectrique transporte ce souvenir de l’arriĂšre de votre cerveau vers l’avant. Quand vous vous le rappelez, la mĂȘme onde le ramĂšne de l’avant vers l’arriĂšre !

Vous venez d’arriver dans un pays nouveau et vous voilĂ  devant un monument splendide. Une image qui, inĂ©vitablement, s’ancre dans votre mĂ©moire. Votre cerveau « encode » ce souvenir : il le grave et va le stocker quelque part dans vos neurones. Mais comment s’y prend-il ?

Des annĂ©es plus tard, vous vous rappelez ce souvenir. Les images, les sons et les odeurs a uent alors en masse, recrĂ©ant soudain la sensation d’ĂȘtre face au monument en question. Que s’est-il passĂ© ?

Eh bien, dans votre cerveau, le souvenir a voyagĂ© aussi. Au moment de l’encodage, il a Ă©tĂ© transportĂ© par une onde Ă©lectrique engendrĂ©e par votre cerveau, appelĂ©e « onde voyageuse ». Celle-ci s’est dĂ©placĂ©e depuis le point d’entrĂ©e du souvenir situĂ© au niveau de la tempe (dans une zone appelĂ©e « hippocampe ») jusqu’à l’avant de votre cerveau, dans le lobe frontal. Puis, quand rĂ©cupĂ©rez ce souvenir, l’onde parcourt le chemin inverse pour vous le rapporter. Et vous l’avez devant vos yeux.

Comment a-t-on dĂ©couvert ce phĂ©nomĂšne ? À l’universitĂ© de New York, un groupe de quatre scientiïŹques a pratiquĂ© des expĂ©riences d’électrocorticographie : il s’agit d’une

U. R. Mohan et al., The direction of theta and alpha travelling waves modulates human memory processing, Nature Human Behavior, 2024.

technique qui consiste Ă  implanter de minuscules Ă©lectrodes Ă  la surface du cerveau de volontaires et Ă  enregistrer les dĂ©charges Ă©lectriques produites par ces cellules nerveuses quand on leur fait passer divers tests. Bien sĂ»r, on ne rĂ©alise pas ce type d’opĂ©ration uniquement pour savoir comment se dĂ©placent les souvenirs : ces personnes doivent de toute façon ĂȘtre opĂ©rĂ©es du cerveau pour guĂ©rir des crises d’épilepsie, et les Ă©quipes

de chercheurs en proïŹtent simplement, avec leur accord, pour pratiquer des examens supplĂ©mentaires. Ces derniers ont donc placĂ© des Ă©lectrodes d’enregistrement Ă  la surface du cortex de 93 patients et leur ont demandĂ© d’apprendre des listes de mots, puis, aprĂšs un temps d’attente, d’en restituer de mĂ©moire le plus possible. Ils pouvaient ainsi Ă©tudier la phase d’encodage et de rĂ©cupĂ©ration des souvenirs.

NEUROSCIENCES
© peterschreiber.media/Shutterstock
6 N° 165 - Mai 2024
p. 14 Fatigue chronique, le systĂšme immunitaire en cause p. 18 EnïŹn des cures de jouvence cĂ©rĂ©brale ? p. 28 Chemobrain, comment la chimio embrume

RETROUVEZ-NOUS SUR

La musculation muscle
 la mémoire !

T. Hashimoto et al., Enhanced memory and hippocampal connectivity in humans 2 days after brief resistance exercise, Brain and Behavior, 2024.

Les chercheurs ont alors observĂ© qu’au moment de l’encodage, les neurones situĂ©s au niveau de la tempe Ă©mettaient des ondes Ă  la frĂ©quence de 10 hertz, soit dix oscillations par seconde. Or ces ondes ne restaient pas conïŹnĂ©es aux neurones du cortex temporal : elles se dĂ©plaçaient vers l’avant du cerveau, en direction du lobe frontal, Ă  la vitesse d’environ un mĂštre par seconde (3,6 km/h, Ă  peu prĂšs la vitesse de la marche). Puis,

pendant la phase de rĂ©cupĂ©ration des souvenirs, quand les participants cherchaient Ă  se remĂ©morer les mots qu’ils avaient vus dans la liste, la mĂȘme onde parcourait le chemin inverse, revenant du lobe frontal vers le lobe temporal pour « rapporter le souvenir ».

UNE PROPAGATION

À LA SURFACE DU CORTEX

Que nous apprennent ces observations sur le fonctionnement de la mĂ©moire ? Tout se passe comme si les souvenirs Ă©taient adressĂ©s Ă  un bureau central localisĂ© dans le lobe frontal, prĂȘts Ă  ĂȘtre extraits par celui-ci quand il le dĂ©sire. Lorsque nous voulons nous rappeler une information, cette « volontĂ© » est typiquement exercĂ©e par le lobe frontal. Mais l’observation de cette onde apporte un autre renseignement : il s’agit d’une propagation relativement lente, comparativement Ă  d’autres phĂ©nomĂšnes neuronaux qui peuvent atteindre la vitesse de 100 mĂštres par seconde (ou 360 km/h). Ces modes de conduction de l’information neuronale empruntent probablement des chemins de surface, le long des ramiïŹcations horizontales des neurones appelĂ©es « dendrites », dont la conduction est lente, et non des voies profondes mobilisant les axones Ă  conduction rapide. Un peu comme les ondes Ă  la surface d’un lac. Reste Ă  savoir pourquoi
 ÂŁ

SĂ©bastien Bohler

Juste une petite sĂ©ance. Trois sĂ©ries de ïŹ‚exion-extension des jambes. Sept minutes au total. VoilĂ  le programme proposĂ© Ă  des volontaires par des chercheurs de l’universitĂ© Tohoku de Sendai, au Japon. Court, mais e cace : en e et, ce seul travail de renforcement musculaire su t Ă  amĂ©liorer les performances de mĂ©moire et Ă  reconïŹgurer les connexions dans une zone du cerveau cruciale pour la mĂ©morisation


Dans ces expĂ©riences, des volontaires devaient rĂ©aliser trois sĂ©ries de huit levĂ©es de poids par ïŹ‚exion et extension des jambes, Ă  80 % de leur force maximale. Juste avant cet exercice, on leur avait donnĂ© Ă  apprendre des listes de mots et ils devaient subir une imagerie par rĂ©sonance magnĂ©tique (IRM) pour mesurer l’activitĂ© de leur cerveau au repos.

Deux jours aprĂšs la minisĂ©ance de musculation, des examinateurs leur demandaient de se rappeler les mots de la liste : ceux qui avaient suivi la sĂ©ance de musculation ont obtenu de meilleures performances qu’un groupe contrĂŽle. Dans leur cerveau, les chercheurs ont observĂ© un renforcement de certaines connexions entre une partie de l’hippocampe – un centre important de l’encodage des souvenirs – et les cortex pariĂ©tal et occipital, impliquĂ©s dans la motricitĂ© et la vision. Une neuroplasticitĂ© qui pourrait ĂȘtre due Ă  la libĂ©ration de facteurs de croissance neuronale, molĂ©cules qui stimulent la pousse des neurones. Si de telles modiïŹcations avaient Ă©tĂ© constatĂ©es chez des souris, c'est la premiĂšre fois qu'on les observe chez l'homme aprĂšs des sĂ©ances constituĂ©es d'e orts intenses, mais brefs. ÂŁ S. B.

SANTÉ
© PeopleImages.comYuri A/Shutterstock
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le cerveau p.
Maladies neurodégénératives : des horloges déboussolées
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© skynesher/iStock

EnïŹn des cures de jouvence cĂ©rĂ©brale ?

Dans le sang de jeunes animaux se trouveraient des molĂ©cules capables d’inverser le vieillissement du cerveau des plus ĂągĂ©s. Reste Ă  savoir ce qu’il en est chez l’homme. La source de l’éternelle jeunesse coulerait-elle dans nos veines ?

Lorsque le professeur de neurologie Tony Wyss-Coray, de l’universitĂ© Stanford, aux États-Unis, donne une confĂ©rence, il aime projeter une courte vidĂ©o qu’il a rĂ©alisĂ©e avec ses collĂšgues. Une souris blanche, apparemment mal Ă  l’aise, trottine rapidement sur une table circulaire percĂ©e d’une vingtaine de trous. Elle jette un coup d’Ɠil Ă  l’intĂ©rieur de chaque trou pour voir si elle pourrait s’y cacher. Mais un seul de ces orifces dĂ©bouche sur une cavitĂ©. Les autres sont des impasses.

Un dispositif expĂ©rimental appelĂ© « labyrinthe de Barnes », du nom de sa crĂ©atrice, la neuroscientifque amĂ©ricaine Carol Barnes. Elle Ă©tudiait, il y a quarante-cinq ans, la facultĂ© des rats Ă  se souvenir des lieux. En effet, aprĂšs quelques jours d’entraĂźnement sur cette table, la plupart des rongeurs se dirigent rapidement vers le tunnel pour s’y rĂ©fugier, quel que soit l’endroit du plateau oĂč ils sont posĂ©s. Preuve qu’ils se rappellent oĂč il se trouve.

Sur la vidĂ©o de Tony Wyss-Coray, la souris semble avoir du mal Ă  se remĂ©morer quel est le bon trou. Et ce en dĂ©pit de plusieurs jours d’entraĂźnement
 Elle est ĂągĂ©e, sa mĂ©moire est moins performante et elle ne sait plus trĂšs bien oĂč elle doit aller. Alors, elle cherche Ă  tĂątons, en procĂ©dant par « essais-erreurs ». Puis une

EN BREF

£ En transférant du plasma sanguin, du liquide céphalorachidien ou de la moelle osseuse de jeunes animaux vers des animaux ùgés, les chercheurs parviennent à enrayer le déclin cérébral de ces derniers et à préserver leurs capacités de mémoire.

ÂŁ Pour autant, les scientiïŹques doutent actuellement que les transfusions de plasma ou les injections de liquide cĂ©phalorachidien soient rĂ©alisables en routine chez des personnes ĂągĂ©es pour les maintenir en bonne santĂ©.

ÂŁ Sans promettre aujourd’hui un rajeunissement du cerveau, de telles avancĂ©es permettraient d’identiïŹer de nouvelles molĂ©cules utiles Ă  la prĂ©vention ou au traitement du dĂ©clin cognitif.

seconde souris entre en scĂšne. Elle tourne briĂšvement sur elle-mĂȘme, avant de se prĂ©cipiter sans hĂ©sitation vers l’unique trou reprĂ©sentant une Ă©chappatoire.

LA MÉMOIRE DÉCLINE AVEC L’ÂGE

Or ces deux rongeurs de laboratoire sont frĂšres et sƓurs, nĂ©s le mĂȘme jour. De plus, ils se ressemblent beaucoup gĂ©nĂ©tiquement et ont Ă©tĂ© Ă©levĂ©s et entraĂźnĂ©s dans le labyrinthe de Barnes de la mĂȘme façon. Pourtant, la seconde souris agit comme si elle Ă©tait beaucoup plus jeune que la premiĂšre : elle a une bonne mĂ©moire. Comment est-ce possible ? Avant l’expĂ©rience, elle a reçu un traitement spĂ©cial durant deux semaines : les chercheurs lui ont en effet injectĂ©, tous les deux jours, du plasma sanguin de cordon ombilical. Pas celui de souriceaux glabres juste nĂ©s, mais de nourrissons humains


D’autres travaux vont dans le mĂȘme sens : le plasma sanguin – la fraction liquide du sang, voir l’encadrĂ© page 20 – de jeunes animaux et mĂȘme de bĂ©bĂ©s humains contiendrait des substances qui amĂ©liorent les performances cognitives, du moins la mĂ©morisation. Non seulement le plasma semble ralentir le dĂ©clin cognitif liĂ© Ă  l’ñge, mais il produirait aussi sur le cerveau les effets d’une cure de jouvence. « Nous avons

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DĂ©clin cognitif
DÉCOUVERTES
Par Frank Luerweg, journaliste scientiïŹque Ă  Lunebourg, en Allemagne.

peut-ĂȘtre dĂ©couvert que la source de la jeunesse Ă©ternelle tant recherchĂ©e se trouve en nous et qu’elle est simplement tarie », explique Tony Wyss-Coray. Tout cela semble issu d’une fction de la littĂ©rature fantastique, mais le chemin qui a conduit Ă  cette dĂ©couverte est bien rĂ©el. Et il a ses faces sombres.

LA PARABIOSE RAJEUNIT LES RATS

Tout commence par des expĂ©riences menĂ©es par le zoologiste français Paul Bert au milieu du xix e siĂšcle. Celui-ci cousit des rats l’un Ă  l’autre de façon qu’ils partagent une circulation sanguine commune. Cent ans aprĂšs, le gĂ©rontologue amĂ©ricain Clive McCay utilise Ă  son tour cette technique nommĂ©e « parabiose », pour relier des animaux jeunes Ă  des vieux : il dĂ©couvre alors les premiers indices rĂ©vĂ©lant que les rats ĂągĂ©s peuvent ainsi rajeunir physiquement
 Le scientifque Tom Rando, de l’universitĂ© Stanford, rĂ©emploie le procĂ©dĂ© dans les annĂ©es 2000, ayant notĂ© qu’au fl des ans le corps perd sa capacitĂ© Ă  remplacer les tissus morts. Son constat : les rongeurs ĂągĂ©s retrouvent leur capacitĂ© de rĂ©gĂ©nĂ©ration grĂące Ă  la parabiose pratiquĂ©e avec de jeunes congĂ©nĂšres. Leurs blessures guĂ©rissent mieux. Il note cela d’abord pour les tissus musculaires et hĂ©patiques.

Tony Wyss-Coray, lui, va plus loin : « Nous avons utilisĂ© la mĂȘme technique pour voir ce qu’elle faisait au cerveau. » Car, contrairement aux idĂ©es reçues, de nouveaux neurones et cellules cĂ©rĂ©brales y apparaissent rĂ©guliĂšrement, y compris Ă  l’ñge adulte – c’est le phĂ©nomĂšne de neurogenĂšse. Mais seulement dans certaines rĂ©gions prĂ©cises du cerveau
 comme l’hippocampe, plaque tournante de la mĂ©moire. À mesure qu’on vieillit, toutefois, la neurogenĂšse s’essouffe, ce qui serait l’une des causes de la baisse des performances cognitives. Mais pas chez les animaux cousus Ă  des jeunes : ceux-ci continuent Ă  produire de nouveaux neurones dans leur hippocampe.

« Nous voulions savoir Ă  quoi Ă©taient dus ces rĂ©sultats, explique le professeur de neurologie. Nous avons donc prĂ©levĂ© du sang de jeunes souris et l’avons injectĂ© Ă  des animaux ĂągĂ©s – mais uniquement sa partie liquide, le plasma sanguin, dĂ©barrassĂ© de toutes ses cellules. Nous avons ainsi reproduit un grand nombre des effets constatĂ©s avec la parabiose. » C’était il y a une dizaine d’annĂ©es. Aujourd’hui, on sait que cette pratique macabre stimule non seulement la division des neurones, mais aussi leur capacitĂ© Ă  former de nouvelles connexions, les fameuses synapses, et Ă  les renforcer, c’est-Ă -dire Ă  les

rendre actives – un processus Ă  la base de la plasticitĂ© cĂ©rĂ©brale. Par ailleurs, d’autres expĂ©riences ont montrĂ© que la parabiose amĂ©liore l’irrigation sanguine du cerveau de souris ĂągĂ©es, et donc l’approvisionnement des cellules en oxygĂšne et en Ă©nergie. Et il semblerait que des perfusions de plasma d’animaux jeunes ou des molĂ©cules qu’il contient suffsent Ă  produire les mĂȘmes effets sur le cerveau.

COMPOSITION DU SANG

45 % de cellules sanguines : globules rouges, globules blancs et plaquettes.

55 % de plasma : ce liquide clair et jaunĂątre se compose Ă  90 % d’eau et Ă  10 % de nutriments, hormones et di Ă©rentes protĂ©ines comme l’albumine.

Des rĂ©sultats positifs qui ont suscitĂ© une ruĂ©e vers l’or dans le domaine de la jouvence cĂ©rĂ©brale. En 2017, une start-up de la Silicon Valley a ainsi commencĂ© Ă  vendre du plasma sanguin de jeunes donneurs humains au prix exorbitant de 8 000 dollars le litre. Son nom, Ă©vocateur : Ambrosia – l’ambroisie, dans la mythologie grecque, reprĂ©sentait la nourriture qui rendait les dieux immortels. Au printemps 2019, l’Agence amĂ©ricaine du mĂ©dicament, la FDA, a mis en garde contre ce procĂ©dĂ©, parlant « d’acteurs sans scrupule qui vantent le traitement par plasma comme s’il s’agissait d’une mĂ©thode de guĂ©rison ou d’un mĂ©dicament », et s’est rĂ©servĂ© le droit de prendre des mesures « contre les entreprises qui abusent de la confance des patients et mettent leur santĂ© en danger ». Depuis, l’entreprise Ambrosia a disparu.

En fait, aujourd’hui, rien ne permet d’affrmer que les perfusions de plasma sanguin prĂ©levĂ© chez des individus jeunes ont aussi des effets bĂ©nĂ©fques chez l’homme. Pour tenter de le dĂ©terminer, Tony Wyss-Coray a fondĂ© il y a quelque temps l’entreprise Alkahest avec l’espoir que le liquide sanguin jaunĂątre, ou du moins un mĂ©lange de certaines molĂ©cules qu’il contient, reprĂ©sente un jour une thĂ©rapie pour lutter contre les maladies neurodĂ©gĂ©nĂ©ratives telles qu’Alzheimer ou Parkinson. Depuis 2014, Alkahest a rĂ©alisĂ© une sĂ©rie d’études Ă  ce sujet, mais les rĂ©sultats publiĂ©s jusqu’à prĂ©sent sont maigres : ils prouvent seulement que les patients atteints de ces pathologies supportent relativement bien les perfusions de plasma. Mais rien sur leur effcacitĂ©.

UN MANQUE D’ ÉTUDES

EN DOUBLE AVEUGLE

Une des raisons de cet Ă©chec : des Ă©tudes menĂ©es sur des Ă©chantillons trop petits – moins de vingt sujets testĂ©s Ă  chaque fois. On manque de larges essais cliniques pratiquĂ©s en double aveugle [avec des patients recevant le traitement et d’autres non, sans que ni les participants ni les expĂ©rimentateurs ne sachent lesquels ont reçu la thĂ©rapie, ndlr]. « C’est probablement parce qu’il n’y a pas vraiment d’argent Ă  gagner avec le

20 N° 165 - Mai 2024
DÉCOUVERTES DĂ©clin cognitif ENFIN DES CURES DE JOUVENCE CÉRÉBRALE ?

plasma, explique Tony Wyss-Coray. En particulier avec l’un de ses composants, l’albumine, qui semble particuliĂšrement effcace dans les expĂ©riences avec les souris. »

En effet, en 2020, une vaste Ă©tude clinique a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e en Espagne avec comme chef de fle l’entreprise pharmaceutique Grifols, l’un des plus grands producteurs mondiaux de dĂ©rivĂ©s plasmatiques. Les experts ont effectuĂ© une sorte d’épuration du sang de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Puis ils ont remplacĂ© leur plasma sanguin par de l’albumine provenant de dons – une technique appelĂ©e « plasmaphĂ©rĂšse ». Au cours des quatorze mois qui ont suivi, le dĂ©clin cognitif des patients ainsi traitĂ©s a lĂ©gĂšrement ralenti par rapport au groupe de sujets qui n’avaient pas subi la plasmaphĂ©rĂšse.

A priori, les donneurs de plasma sont assez jeunes, ils ont moins de 35 ans. Les volontaires de cette Ă©tude clinique auraient donc reçu du plasma nettement plus jeune que le leur. Mais mĂȘme si ce rĂ©sultat Ă©tait confrmĂ©, dans quelle mesure une telle thĂ©rapie serait-elle praticable ? « Serait-il possible d’obtenir des millions de doses de plasma, dans le monde entier, pour traiter toutes les personnes ĂągĂ©es atteintes de dĂ©mence ?

Le liquide tant convoitĂ© ne peut pas ĂȘtre produit artifciellement, prĂ©cise Tony Wyss-Coray. Car le plasma contient des centaines de substances diffĂ©rentes qui sont produites dans les tissus les plus divers de l’organisme
 »

En outre, il est probable que l’administration de plasma provenant de sujets jeunes ne suffse pas. « Il serait tout aussi important d’éliminer les

COMMENT FAIRE DU JEUNE AVEC DU VIEUX

Certaines techniques qui permettraient de rajeunir font intervenir le sang ou ses composants. Injections de plasma sanguin prĂ©levĂ© chez des individus jeunes, parabiose – le fait de suturer deux animaux entre eux – ou encore transplantation de moelle osseuse de sujets jeunes. Ces pratiques favorisent les facultĂ©s mnĂ©siques de rongeurs vieillissants, la formation

Techniques reposant sur le sang

Injection de plasma sanguin issu de sujet jeune

Parabiose entre une souris ùgée (marron) et une souris jeune

de nouvelles cellules dans leur hippocampe, la plasticitĂ© cĂ©rĂ©brale, ainsi que l’irrigation du cerveau. On note aussi une baisse des rĂ©actions inïŹ‚ammatoires dues Ă  une activation de la microglie. Mais une activitĂ© physique su sante et un rĂ©gime alimentaire sain, voire rĂ©duit en calories, entraĂźnent probablement des e ets cĂ©rĂ©braux similaires


Transplantation de moelle osseuse issue d’un sujet jeune

Plasma Cellules de moelle osseuse jeune

Interventions reposant sur le mode de vie

Restriction calorique Exercice physique

Rajeunissement du cerveau

Plasticité cérébrale

Amélioration de la mémoire

Neurogenùse dans l’hippocampe

Irrigation du cerveau

Inflammation

21 N° 165 - Mai 2024
© Yousun Koh,
g. : blood-to-brain communication in aging and rejuvenation. Nature neuroscience 26, 2022, fig. 3
nach bieri,

DÉCOUVERTES DĂ©clin cognitif

ENFIN DES CURES DE JOUVENCE CÉRÉBRALE ?

facteurs nocifs qui s’accumulent dans le sang avec l’ñge », souligne le professeur de neurologie. En effet, des Ă©tudes ont montrĂ© que le plasma sanguin de souris ĂągĂ©es accĂ©lĂšre le dĂ©clin cĂ©rĂ©bral de jeunes rongeurs : la neurogenĂšse et la plasticitĂ© synaptique diminuent et la mĂ©moire dĂ©cline. De plus, les processus infammatoires augmentent. Comme si le cerveau des jeunes animaux vieillissait subitement


LA RECHERCHE DES MOLÉCULES DE JOUVENCE

D’autres techniques semblent ralentir le vieillissement cĂ©rĂ©bral, mais il est encore diffcile de savoir si elles pourront un jour ĂȘtre mises en Ɠuvre en clinique. Ainsi, le liquide cĂ©phalorachidien (dans lequel baigne le systĂšme nerveux central) de jeunes souris semble aussi contenir des facteurs importants pour la mĂ©morisation, comme l’a montrĂ© l’équipe de Tony Wyss-Coray en 2020. Les chercheurs ont injectĂ© ce liquide dans le cerveau de vieux animaux, ce qui a amĂ©liorĂ© leurs capacitĂ©s de mĂ©morisation. « Pour les scientifques, ces effets sont trĂšs intĂ©ressants, explique Gerd Kempermann, porte-parole du Centre allemand pour les maladies neurodĂ©gĂ©nĂ©ratives (DZNE). Mais je doute que les transfusions de plasma ou les injections de liquide cĂ©phalorachidien soient rĂ©alisables en routine chez des personnes ĂągĂ©es pour les maintenir en bonne santé  »

Selon lui, le vĂ©ritable potentiel de telles Ă©tudes est ailleurs : elles permettraient d’identifer de nouvelles molĂ©cules utiles Ă  la prĂ©vention ou au traitement du dĂ©clin cognitif. En effet, Tony Wyss-Coray et ses collĂšgues Ă  l’universitĂ© Stanford ont trouvĂ©, dans le liquide cĂ©phalorachidien des jeunes animaux, une protĂ©ine appelĂ©e Fgf17, qui semble ĂȘtre en partie responsable des effets anti-Ăąge. Elle intervient dans la formation des oligodendrocytes, les cellules gliales qui produisent la gaine isolante de myĂ©line autour des prolongements des neurones et accĂ©lĂšre ainsi la transmission des messages nerveux (voir la fgure page ci-contre)

Par ailleurs, la transplantation de moelle osseuse provenant d’individus jeunes engendre aussi un rajeunissement du cerveau chez les souris. Or cette substance de l’intĂ©rieur des os est l’endroit oĂč naissent les globules rouges et blancs, ainsi que les plaquettes sanguines. « Ces cellules du sang produisent des protĂ©ines qu’elles libĂšrent dans le plasma et qui sont probablement responsables de son effet anti-Ăąge », explique Helen Goodridge, professeuse de sciences biomĂ©dicales au Centre mĂ©dical Cedars-Sinai, Ă  Los Angeles.

En effet, elle et son Ă©quipe ont montrĂ© en 2019 que la composition du plasma sanguin de vieux rongeurs changeait aprĂšs une greffe de moelle osseuse, avec notamment une baisse de la quantitĂ© d’une molĂ©cule appelĂ©e CCL11 – on pense que cette derniĂšre freinerait la neurogenĂšse. Dans le mĂȘme temps, les souris ainsi traitĂ©es avaient de meilleures facultĂ©s de mĂ©morisation et, dans leur hippocampe, les neurones prĂ©sentaient davantage de connexions les uns avec les autres


Ces rĂ©sultats sont prometteurs. « Mais les greffes de moelle osseuse sont risquĂ©es, remarque Helen Goodridge. On ne les envisagerait donc pas comme moyen thĂ©rapeutique. » Elle fonde davantage d’espoirs dans de nouvelles mĂ©thodes pour rajeunir les cellules de la moelle osseuse chez des personnes ĂągĂ©es. Et sans greffe, ce qui serait beaucoup moins dangereux. « Mais, pour l’instant, nous ne disposons pas encore de la technologie pour y parvenir. »

Quoi qu’il en soit, la recherche est bien plus avancĂ©e dans un autre domaine assez proche : il est dĂ©sormais Ă©tabli qu’une activitĂ© physique rĂ©guliĂšre est Ă  mĂȘme de ralentir le dĂ©clin cognitif liĂ© Ă  l’ñge. « On sait aujourd’hui qu’une bonne douzaine de processus biologiques sont modifĂ©s lors du vieillissement, souligne Devin Wahl, de l’univer-

« L’anti-Ăąge e cace, c’est de permettre aux gens de conserver le plus longtemps possible leur autonomie et une vie sociale. En bref, de vieillir dans la dignitĂ©. »
Gerd Kempermann, médecin

sitĂ© d’État du Colorado. Par exemple, on observe une augmentation de l’infammation gĂ©nĂ©rale de l’organisme et des altĂ©rations du mĂ©tabolisme Ă©nergĂ©tique. Auxquelles s’ajoutent des dommages aux mitochondries, les centrales Ă©lectriques des cellules, ainsi qu’à l’ADN, leur matĂ©riel gĂ©nĂ©tique qui n’est plus rĂ©parĂ© correctement. Et dans le cerveau, justement, se produit une diminution de la neurogenĂšse et de la plasticitĂ© cĂ©rĂ©brale. »

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Or l’activitĂ© physique aurait une infuence positive sur la plupart de ces processus. « En fait, le sport reprĂ©sente un facteur de stress modĂ©rĂ© auquel l’organisme doit faire face, explique Devin Wahl. Ce qui active des voies de signalisation biochimiques bĂ©nĂ©fques qui protĂšgent le corps et ses organes. Autrement dit : ce qui ne tue pas rend plus fort. Le terme technique pour ce mĂ©canisme est “hormĂšse”. » Par exemple, lorsqu’on fait du sport, la consommation d’énergie par les cellules augmente ; cela stimule des « capteurs de manque d’énergie », qui par la suite facilitent, entre autres, l’absorption de sucre – et ce pendant un bon moment aprĂšs la fn de l’activitĂ©.

LE SPORT, AUTRE SOURCE DE JEUNESSE

En parallĂšle, des exercices physiques rĂ©guliers « entraĂźnent » les systĂšmes de rĂ©paration et de nettoyage de l’organisme : les Ă©lĂ©ments dĂ©fectueux des cellules, comme des mitochondries superfues ou dysfonctionnelles, sont Ă©liminĂ©s plus rapidement et les erreurs dans l’ADN sont mieux reconnues et rĂ©parĂ©es. De sorte que l’inflammation chronique, provoquĂ©e par ces dĂ©fauts, appelĂ©s « microlĂ©sions », diminue. Tous les organes en profteraient, y compris le cerveau : « DĂšs les annĂ©es 1990, on a montrĂ© que de nouveaux neurones apparaissent chez des souris et qu’ils se connectent mieux entre eux lorsque les rongeurs peuvent trottiner dans une roue Ă  l’intĂ©rieur de leur cage », raconte Devin Wahl.

Dans ce contexte, un autre rĂ©sultat scientifque est passionnant : le plasma sanguin de vieilles souris qui se sont longtemps entraĂźnĂ©es dans une roue agit aussi comme une fontaine de jouvence. « Il peut amĂ©liorer les fonctions cĂ©rĂ©brales d’autres rongeurs ĂągĂ©s qui n’ont pas fait

Dans l’hippocampe d’une souris ĂągĂ©e (Ă  gauche), Ă  qui on a injectĂ© du liquide cĂ©phalorachidien issu d’un jeune congĂ©nĂšre, on observe davantage de cellules prĂ©curseuses des oligodendrocytes (points verts et rouges) que dans celui d’un vieux rongeur non traitĂ© (Ă  droite). Ces cellules gliales produisent la gaine de myĂ©line qui enveloppe les prolongements des neurones et favorise ainsi leurs Ă©changes. L’injection de liquide cĂ©phalorachidien a donc amĂ©liorĂ© les facultĂ©s mnĂ©siques de la souris ĂągĂ©e.

d’exercice. Et certains des facteurs bĂ©nĂ©fques proviennent du foie, explique Tony Wyss-Coray. Le sport semble y stimuler la production de molĂ©cules qui, Ă  leur tour, ont un effet positif sur le cerveau. »

CHEZ L’HOMME, ON MANQUE DE DONNÉES

Diverses Ă©tudes scientifques menĂ©es chez l’homme ont aussi montrĂ© que l’exercice physique rĂ©gulier serait bĂ©nĂ©fque pour les neurones. Par exemple, des chercheurs de l’University College of London ont recrutĂ© 1 500 Britanniques, tous nĂ©s la mĂȘme semaine de l’annĂ©e 1946, et les ont interrogĂ©s Ă  cinq reprises au cours de leur vie sur leur pratique sportive, la premiĂšre fois Ă  l’ñge de 36 ans et la derniĂšre Ă  69 ans. Au cours du dernier rendez-vous, leurs facultĂ©s intellectuelles ont Ă©tĂ© Ă©valuĂ©es. Conclusion des scientifques en 2023 : « L’activitĂ© physique Ă  l’ñge adulte, quels que soient le moment auquel elle est pratiquĂ©e et son niveau d’intensitĂ©, est associĂ©e Ă  de meilleures performances cognitives plus tard dans la vie. »

Mais ces données ne permettent pas de conclure en toute rigueur que le sport en est la cause. Pour ce faire, il faudrait entreprendre des études expérimentales dans lesquelles les sujets seraient répartis au hasard dans un groupe actif physiquement et un autre groupe inactif, puis seraient suivis pendant plusieurs années.

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© Tal Iram

DÉCOUVERTES

Quelques-unes de ces Ă©tudes existent, mais mĂȘlent plusieurs types d’interventions. Par exemple, en 2015, des chercheurs fnlandais ont sĂ©parĂ© 1 200 volontaires ĂągĂ©s en deux groupes, les sujets du premier recevant une thĂ©rapie spĂ©ciale : on les formait Ă  une alimentation saine et ils bĂ©nĂ©fciaient de l’aide d’un entraĂźneur de ftness. Ils ont aussi effectuĂ© rĂ©guliĂšrement des exercices de rĂ©fexion sur ordinateur. Deux ans plus tard, les chercheurs ont examinĂ© tous les participants : les sĂ©niors qui avaient suivi la thĂ©rapie avaient moins souffert de dĂ©clin cognitif que ceux du groupe contrĂŽle.

Toutefois, il est Ă  nouveau impossible d’évaluer la contribution de l’exercice physique Ă  ce rĂ©sultat, puisqu’il cĂŽtoie des activitĂ©s cognitives et un rĂ©gime alimentaire ciblĂ©. Mais les spĂ©cialistes sont d’accord sur un fait : les interventions dites « multimodales » en matiĂšre d’habitudes de vie sont les plus susceptibles de maintenir le cerveau en forme. « La clĂ© pour vieillir en bonne santĂ© rĂ©side dans la combinaison d’une alimentation saine et d’une activitĂ© physique et mentale », souligne Gerd Kempermann. Devin Wahl est du mĂȘme avis : « Il ne sert pas Ă  grand-chose de faire du sport et d’aller ensuite manger dans un fast-food. »

ET LE JEÛNE INTERMITTENT ?

Certains rĂ©sultats scientifques suggĂšrent Ă©galement que le jeĂ»ne intermittent – le fait de se passer temporairement de nourriture en espaçant les repas – serait bĂ©nĂ©fque pour les neurones. Un rĂ©gime cĂ©togĂšne aurait des effets similaires : on renonce en grande partie aux glucides et on couvre ses besoins Ă©nergĂ©tiques principalement avec des graisses. Ce qui stimule la combustion des lipides, un processus qui produit Ă  son tour, dans le foie, des molĂ©cules nommĂ©es « corps cĂ©toniques ». Or ces derniers activent, comme le sport, les capteurs de manque d’énergie des cellules. Il est donc possible que certaines façons de s’alimenter dĂ©clenchent, du moins en partie, les mĂȘmes mĂ©canismes de rĂ©gulation que l’activitĂ© physique.

Seuls quelques travaux rĂ©alisĂ©s chez l’animal prouvent l’effet positif de telles approches. « Les donnĂ©es sĂ©rieuses issues d’études chez l’homme sont rares », explique Gerd Kempermann. Le simple fait de manger moins ne freine pas le vieillissement cĂ©rĂ©bral – les rĂ©sultats des recherches ne sont pas convaincants. « Mais le jeĂ»ne intermittent est diffĂ©rent. Il provoque un lĂ©ger manque de calories de façon cyclique. Ce qui aurait des effets positifs sur le mĂ©tabolisme cellulaire et sur diffĂ©rents marqueurs molĂ©culaires du vieillissement. Cependant, Ă  ma connaissance, aucune Ă©tude sur le long terme n’a prouvĂ© que ce rĂ©gime ralentit le dĂ©clin cognitif. »

« Ça ne sert pas Ă  grand-chose de faire du sport, puis d’aller manger au fast-food ! »
Devin Wahl, médecin

MalgrĂ© tout, il semblerait que les personnes atteintes de dĂ©mence tirent aussi proft d’une activitĂ© physique rĂ©guliĂšre, bien que les rĂ©sultats doivent encore ĂȘtre considĂ©rĂ©s avec prudence. Il reste que de nombreux patients ĂągĂ©s ne sont plus en mesure de faire suffsamment d’exercice physique
 Et les individus qui font beaucoup de sport, ont une alimentation saine et apprennent rĂ©guliĂšrement de nouvelles choses ne sont pas forcĂ©ment Ă  l’abri d’un dĂ©clin cognitif. En effet, deux tiers du risque de dĂ©velopper une maladie d’Alzheimer seraient dus Ă  des « facteurs non modifables », c’est-Ă -dire en grande partie hĂ©rĂ©ditaires.

L’ÉLIXIR DE JOUVENCE RESTE UN MYTHE


Un jour, peut-ĂȘtre, un cocktail de facteurs sanguins permettra d’éviter ou du moins ralentir le dĂ©clin cĂ©rĂ©bral, y compris en prĂ©sence de « gĂšnes dĂ©favorables ». C’est l’espoir de Tony Wyss-Coray : « L’idĂ©e est d’identifer une sĂ©rie de molĂ©cules effcaces que nous pourrions produire en laboratoire. Elles seraient ensuite mĂ©langĂ©es dans les mĂȘmes proportions que celles qui sont prĂ©sentes Ă  l’état naturel dans le plasma. Ce qui permettrait non seulement d’optimiser les bĂ©nĂ©fces d’une telle mixture, mais aussi d’en rĂ©duire les effets secondaires. AprĂšs tout, nous ne ferions que donner quelque chose qui existe de toute façon dans le sang des individus jeunes, et dans les mĂȘmes quantitĂ©s. »

Gerd Kempermann, quant Ă  lui, est convaincu qu’il ne sera pas possible d’abolir le vieillissement. « De toute façon, je ne trouve pas sain de vouloir rester Ă©ternellement jeune. Pour moi, l’anti-Ăąge effcace, c’est de permettre aux gens de conserver le plus longtemps possible leur autonomie et une vie sociale. En bref, de vieillir dans la dignitĂ©. Si ces approches y contribuent un jour, ce sera dĂ©jĂ  beaucoup. » ÂŁ

Bibliographie

G. Bieri et al., Blood to-brain communication in aging and rejuvenation, Nature Neuroscience, 2023.

T. Iram et al., Young CSF restores oligodendrogenesis and memory in aged mice via Fgf17, Nature, 2022

D. Wahl et al., Novel strategies for healthy brain aging, Exercise and Sport Sciences Reviews, 2021.

J. M. Castellano et al., Human umbilical cord plasma proteins revitalize hippocampal function in aged mice, Nature, 2017

T. Ngandu et al., A 2-year multidomain intervention of diet, exercise, cognitive training, and vascular risk monitoring versus control to prevent cognitive decline in at-risk elderly people (FINGER) : A randomised controlled trial, The Lancet, 2015

24 N° 165 - Mai 2024
DĂ©clin cognitif ENFIN DES CURES DE JOUVENCE CÉRÉBRALE ?

LES ALIMENTS QUI BOOSTENT LE CERVEAU

p. 42

Guillaume Jacquemont SOMMAIRE

Comment bien nourrir son cerveau ?

p. 48

De bons choix alimentaires dĂšs le berceau

p. 54 Interview

« Bien manger est la protection n° 1 contre le déclin cérébral »

L’inïŹ‚uence de la nourriture sur notre psychisme ne devrait pas nous Ă©tonner. N’est-ce pas en mangeant que nous acquĂ©rons les briques de la construction de notre cerveau et le carburant de notre mĂ©tabolisme Ă©nergĂ©tique ? Pourtant, nous avons souvent tendance Ă  sous-estimer le pouvoir de notre assiette. Or celui-ci est de mieux en mieux attestĂ©, par une discipline en plein essor : la psychonutrition. Chaque jour ou presque, de nouvelles donnĂ©es a uent, issues de recherches portant parfois sur plusieurs centaines de milliers de participants. Que nous disent ces recherches ? Qu’une alimentation adĂ©quate a de multiples retombĂ©es en matiĂšre de bien-ĂȘtre, de santĂ© mentale et de performances cognitives. Et ce, d’un bout Ă  l’autre de la vie : dĂšs le stade fƓtal, apporter un certain nombre de nutriments clĂ©s est essentiel pour que le cerveau se dĂ©veloppe bien, les carences favorisant au contraire des troubles comme l’autisme. À mesure que les annĂ©es passent, un menu adĂ©quat diminue le risque de dĂ©mence et de dĂ©pression. Ce dossier a Ă©tĂ© conçu avec les meilleurs spĂ©cialistes pour vous permettre de faire les bons choix Ă  tout Ăąge. Bonne lecture, et bon appĂ©tit !

41 N° 165 - Mai 2024
Dossier

COMMENT BIEN NOURRIR SON CERVEAU ?

Éviter la dĂ©pression ? Dissiper l’anxiĂ©tĂ© ? Chasser le stress ? Dormir Ă  poings fermĂ©s et avoir une concentration d’acier ? Une nouvelle science, situĂ©e au croisement de la nutrition et de la psychologie, peut vous y aider : la psychonutrition.

Par Guillaume Fond, psychiatre, enseignant et chercheur Ă  l’Assistance publique des HĂŽpitaux de Marseille et spĂ©cialiste de la psychonutrition.

42 Dossier

EN BREF

ÂŁ Une bonne alimentation aurait deux types d’e ets : une protection contre les troubles psychiques et une amĂ©lioration des facultĂ©s cognitives naturelles.

£ Certains nutriments comme les oméga-3, les vitamines D et B9 réduisent le risque de dépression et sont présents dans divers aliments naturels.

ÂŁ La L-thĂ©anine, contenue dans le thĂ© vert, et la cafĂ©ine ont des e ets positifs sur l’anxiĂ©tĂ©, mais peuvent aussi amĂ©liorer l’attention et les performances cognitives.

ÂŁ Dans certains cas, une supplĂ©mentation pharmaceutique s’avĂšre clairement bĂ©nĂ©ïŹque quand les aliments naturels sont trop chers ou di ciles Ă  se procurer.

Mieux se nourrir pour rĂ©duire son stress, a Ă»ter son attention, amĂ©liorer son sommeil ou mĂȘme ses performances cognitives, tout en rĂ©duisant les risques d’anxiĂ©tĂ© ou de dĂ©pression : est-ce possible aujourd’hui ? Face Ă  ces questionnements lĂ©gitimes, un domaine de recherche en pleine expansion, la psychonutrition, apporte depuis quelques annĂ©es des rĂ©ponses solides. Assise sur des donnĂ©es de plus en plus nombreuses acquises auprĂšs de larges cohortes de patients, situĂ©e au croisement de la nutrition, de la psychologie et de la psychiatrie, cette nouvelle discipline permet de faire le tri entre les fantasmes et les faits vĂ©rifables, pour fonder des choix alimentaires sains, vertueux et assortis de bĂ©nĂ©fces rĂ©els.

Que nous dit en substance la psychonutrition ? En choisissant bien votre alimentation, vous pourrez agir sur deux grands leviers de votre santĂ© mentale : d’une part, vous forger un cerveau moins vulnĂ©rable Ă  des troubles comme la dĂ©pression, l’anxiĂ©tĂ©, les troubles de l’attention et mĂȘme, dans certains cas, les psychoses ; et d’autre part, amĂ©liorer certaines fonctions clĂ©s comme le sommeil, la rĂ©sistance au stress ou les performances cognitives.

COMMENT RENFORCER SON CERVEAU

CONTRE LES MALADIES MENTALES

Tout d’abord, peut-on protĂ©ger son cerveau contre l’anxiĂ©tĂ© ou la dĂ©pression en sĂ©lectionnant ce qu’on met dans son assiette ? Quand on parle de dĂ©pression, un phĂ©nomĂšne biologique central est aujourd’hui pointĂ© du doigt par de nombreuses Ă©tudes scientifiques : la neuro-inflammation. Autrement dit, l’« infammation du cerveau ». Il s’agit probablement, Ă  l’heure actuelle, du mĂ©canisme le plus Ă©tudiĂ© en psychonutrition, au point qu’un journal scientifque lui soit

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© Tatjana Baibakova/Shutterstock

dĂ©sormais entiĂšrement consacrĂ©, le Journal of Neuroinfammation , classĂ© dans le top 10 des journaux scientifques de neurosciences de meilleure qualitĂ© en 2023, selon le Journal of Citation Report de la sociĂ©tĂ© Clarivate. Et pourquoi cette infammation est-elle autant Ă©tudiĂ©e ? Parce qu’elle nuit Ă  la plasticitĂ© synaptique, c’est-Ă -dire Ă  la capacitĂ© des neurones de fonctionner et de se rĂ©gĂ©nĂ©rer. Mais aussi parce qu’elle est intimement liĂ©e au stress oxydatif – Ă  savoir, une augmentation de radicaux libres dans l’organisme, des molĂ©cules instables produites naturellement dans le corps et qui endommagent les cellules. Neuro-infammation et stress oxydatif vont conduire Ă  la baisse de la synthĂšse de neurotransmetteurs comme la sĂ©rotonine (impliquĂ©e dans la dĂ©pression) et la dopamine (mise en jeu dans de nombreuses pathologies comme la dĂ©pression, le trouble de rĂ©gulation de l’attention et la schizophrĂ©nie).

Quelles sont les solutions ? Les omĂ©ga-3, et particuliĂšrement l’acide eicosapentaĂ©noĂŻque (ou EPA) et l’acide docosahexaĂ©noĂŻque (DHA), sont des acides gras essentiels que notre corps ne peut

LE CAS DES ALIMENTS ULTRATRANSFORMÉS

Biscuits et pains industriels, plats cuisinĂ©s, snacks, boissons sucrĂ©es, plats prĂ©parĂ©s, nuggets variĂ©s et autres desserts lactĂ©s : les produits dits « ultratransformĂ©s » sont issus de processus industriels tels que le sou age, le fractionnement, la cuisson-extrusion, l’hydrogĂ©nation. MĂȘlĂ©s d’arĂŽmes et d’additifs – Ă©mulsiïŹants, exhausteurs de goĂ»t, antioxydants – qui modiïŹent leur texture, leur durĂ©e de conservation et leur saveur, ils sont omniprĂ©sents dans notre quotidien. GĂ©nĂ©ralement riches en sucre, en graisses saturĂ©es, graisses trans, et en sel, ils sont en mĂȘme temps pauvres en nutriments essentiels. Deux mĂ©taanalyses rĂ©centes ont mis en Ă©vidence que la consommation de produits ultratransformĂ©s peut Ă©galement avoir des rĂ©percussions sur la santĂ© mentale, entre autres un risque augmentĂ© de dĂ©pression de 31 %. Pour chaque tranche de 10 % de produits ultratransformĂ©s dans la part alimentaire, 11 % supplĂ©mentaires du risque de dĂ©pression ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s. Avec, en parallĂšle, une augmentation de l’anxiĂ©tĂ©. Cette association pourrait s’expliquer par divers mĂ©canismes, notamment l’inïŹ‚ammation et les dĂ©sĂ©quilibres dans la composition du microbiote intestinal induits par ces aliments, et en particulier par les produits contenant des Ă©mulsiïŹants. Il vaut ainsi mieux prĂ©parer soi-mĂȘme ses sauces de salade et mayonnaises, privilĂ©gier les yaourts nature et Ă©viter les crĂšmes dessert. Attention, certaines margarines commerciales peuvent aussi contenir des Ă©mulsiïŹants tels que les mono- et diglycĂ©rides d’acides gras, qui sont ajoutĂ©s pour amĂ©liorer la texture et la durabilitĂ© du produit.

pas produire lui-mĂȘme
 et qu’il faut donc chercher dans l’alimentation. Ils auraient la capacitĂ© de stimuler la neuroplasticitĂ© et de lutter contre la neuro-infammation, tout en mobilisant les dĂ©fenses antioxydantes du corps, l’aidant ainsi Ă  lutter contre les dommages cellulaires causĂ©s par le stress oxydatif. Un effet appuyĂ© par une analyse globale, en 2019, des travaux menĂ©s sur ce thĂšme par une Ă©quipe iranienne.

OMÉGA-3, RÉGIME MÉDITERRANÉEN


Les omĂ©ga-3 se trouvent dans les poissons sauvages (pour le DHA) et dans l’huile de noix, de lin, dans les noix de Grenoble et les graines de lin (pour l’ALA, acide alpha-linolĂ©nique, qui n’est que partiellement transformĂ© en EPA). Outre ses effets bĂ©nĂ©fques sur divers aspects de la santĂ© physique, avec, notamment, une rĂ©duction du risque de maladies cardiovasculaires et de certains cancers, l’alimentation mĂ©diterranĂ©enne a Ă©galement dĂ©montrĂ© des effets positifs sur notre santĂ© mentale et cognitive. Cette association peut ĂȘtre attribuĂ©e aux nutriments antiinfammatoires et antioxydants prĂ©sents dans les aliments typiques de ce rĂ©gime, qui jouent un rĂŽle dans la rĂ©gulation des neurotransmetteurs et la protection neuronale. Dans une autre grande analyse rĂ©alisĂ©e en 2019, des chercheurs ont par ailleurs constatĂ© que les participants suivant un rĂ©gime mĂ©diterranĂ©en avaient un

44 N° 165 - Mai 2024 COMMENT BIEN NOURRIR SON CERVEAU ? DOSSIER LES ALIMENTS QUI BOOSTENT LE CERVEAU
La combinaison de L-théanine (un composé du thé vert) et de caféine améliore la précision, réduit la fatigue mentale et accélÚre le temps de réaction.

risque de dépression inférieur de 33 % à ceux qui ne le suivaient pas.

Oui, mais
 si les fruits, lĂ©gumes, cĂ©rĂ©ales et fromages de brebis sont relativement accessibles au plus grand nombre, la consommation de poissons sauvages est aujourd’hui trĂšs insuffsante. Alors, existe-t-il une autre solution pour combler nos besoins en omĂ©ga-3 de type EPA et DHA ?

Oubliez les vĂ©gĂ©taux qui fournissent principalement de l’acide alpha-linolĂ©nique : il est partiellement converti en EPA par le corps, mais moins de 1 % est transformĂ© en DHA, qui est essentiel pour le cerveau, au point que l’Agence nationale de sĂ©curitĂ© sanitaire de l’alimentation (Anses) recommande l’apport d’au moins 250 milligrammes de DHA et 250 milligrammes d’EPA par jour, de façon durable, voire plus en cas de dĂ©pression ou de troubles anxieux sur des durĂ©es de trois Ă  six mois.

Une clĂ© pour Ă©viter de se perdre dans les marques, les doses, les prix, les sources, consiste alors probablement Ă  se tourner vers
 les supplĂ©ments Ă  base d’huile d’algues. Ces derniĂšres ont un trĂšs bon « indice Totox » (le potentiel d’oxydation des huiles riches en omĂ©ga-3, qui doit ĂȘtre le plus bas possible) et vont assurer un apport en omĂ©ga-3 de qualitĂ©.

Les oméga-3 sont désormais recommandés avec le plus haut niveau de preuve dans le traitement de la dépression. Ils sont particuliÚrement

prĂ©conisĂ©s pour les personnes souffrant d’une infammation chronique et/ou d’obĂ©sitĂ©, oĂč ils peuvent se montrer opĂ©rants mĂȘme sans antidĂ©presseurs. Les preuves de leur effcacitĂ© reposent entre autres sur une mĂ©taanalyse publiĂ©e en 2022, 5 essais contrĂŽlĂ©s randomisĂ©s et 18 Ă©tudes portant sur plus de 1 600 participants. MalgrĂ© cela, ils ne sont actuellement pas encore remboursĂ©s ! Le rapport entre leurs bĂ©nĂ©fces et leurs effets indĂ©sirables est pourtant largement en faveur de leur prescription, puisqu’ils ont une excellente tolĂ©rance et amĂ©liorent Ă  la fois la santĂ© mentale et la santĂ© physique incluant l’infammation, la santĂ© cardiaque et ophtalmique


DES VITAMINES D ET B9 POUR LE MORAL

Un autre mĂ©canisme de plus en plus Ă©tudiĂ© en psychonutrition est l’épigĂ©nĂ©tique, c’est-Ă -dire la modifcation de l’expression des gĂšnes par l’ajout de certains groupements chimiques Ă  la double hĂ©lice d’ADN. Une de ces modifcations, la mĂ©thylation de l’ADN, va ainsi moduler l’expression de gĂšnes impliquĂ©s dans la rĂ©gulation de notre Ă©tat d’humeur. Or il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que des dĂ©fciences en certains nutriments comme la vitamine D ou le mĂ©thylfolate, la forme active de la vitamine B9, jouent un rĂŽle dans un dysfonctionnement de ce processus de rĂ©gulation de l’expression des gĂšnes. Cela va se traduire par une baisse de « moral » et du plaisir par diminution de la

Dernier ouvrage paru

G. Fond, Bien manger pour ne plus déprimer, Odile Jacob, 2022

45 N° 165 - Mai 2024
© ViDI Studio/Shutterstock

dopamine, des troubles du sommeil, de la fatigue, des perturbations de l’appĂ©tit associĂ©es Ă  des dĂ©rĂšglements de l’insuline et de la leptine, deux hormones clĂ©s du mĂ©tabolisme. Pire, des symptĂŽmes dĂ©pressifs peuvent alors apparaĂźtre, auxquels s’ajoutent parfois des ruminations, une culpabilitĂ© et mĂȘme des idĂ©es suicidaires, en particulier chez les moins de 25 ans, comme l’a montrĂ© un rapport rĂ©cent.

Pour maintenir une bonne Ă©pigĂ©nĂ©tique et rester Ă  l’écart de ces problĂšmes, un apport en vitamines D et B9 va donc ĂȘtre de bon aloi. Pour la premiĂšre, les poissons gras sont la panacĂ©e, alors que la seconde se trouvera davantage dans la salade verte, les brocolis, les asperges, les Ă©pinards, les courgettes, les bananes vertes, le skyr, le kĂ©fr de lait et le riz brun. De façon gĂ©nĂ©rale, le mĂ©thylfolate joue un rĂŽle crucial dans la santĂ© mentale. Cette vitamine est essentielle pour le cerveau, car elle participe Ă  la synthĂšse des neurotransmetteurs

DES « NUTRACEUTIQUES » CONTRE LA SCHIZOPHRÉNIE ?

La schizophrĂ©nie est une maladie mentale complexe qui peut avoir un impact profond sur la vie des personnes qui en sou rent. Elle est bien plus rĂ©pandue qu’on pourrait le penser, avec prĂšs de 1 % de la population concernĂ©e, soit plus de 600 000 individus en France. Et si on englobe les familles des malades, qui sont Ă©galement touchĂ©es par la maladie, ce sont plusieurs millions de personnes qui se trouvent impliquĂ©es.

À l’échelle mondiale, la prĂ©valence de cette maladie est tout aussi importante, touchant plus de 20 millions de personnes. Elle se caractĂ©rise par une sĂ©rie de symptĂŽmes dĂ©concertants qui a ectent la pensĂ©e, les Ă©motions et le comportement des personnes qui en sont atteintes. Parmi les plus courants, on retrouve les dĂ©lires, sources de croyances erronĂ©es et parfois bizarres, et quelquefois les hallucinations, au cours desquelles les malades entendent ou voient des choses qui n’existent pas. Ce symptĂŽme

et Ă  la mĂ©thylation de l’ADN. La supplĂ©mentation en vitamine B9, en complĂ©ment des antidĂ©presseurs, aurait donc un effet positif sur les symptĂŽmes dĂ©pressifs, Ă  dĂ©faut de pouvoir en bĂ©nĂ©fcier en quantitĂ©s suffsantes dans les aliments citĂ©s plus haut. Et n’oublions pas que pour maintenir son moral au beau fxe, les omĂ©ga-3 sont toujours un apport prĂ©cieux !

LE COMBAT CONTRE L’ANXIÉTÉ SE JOUE

AUSSI DANS L’ASSIETTE !

Les recommandations de la psychonutrition apportent-elles aussi des bienfaits sur les Ă©tats anxieux ? En la matiĂšre, un des nutriments de choix est la L-thĂ©anine, composĂ© naturel que l’on trouve dans le thĂ© vert. En 2016, une Ă©tude dirigĂ©e par une Ă©quipe du Centre for Human Psychopharmacology de l’universitĂ© de technologie Swinburne, Ă  Hawthorn, en Australie, en collaboration avec des chercheurs hollandais et

est le plus connu, bien qu’il ne soit pas le plus frĂ©quent et pas nĂ©cessaire au diagnostic. Les troubles de la pensĂ©e sont Ă©galement courants, avec des pensĂ©es dĂ©sorganisĂ©es qui peuvent nuire Ă  la communication. Les personnes schizophrĂšnes peuvent aussi montrer un retrait social, un manque de motivation et une rĂ©duction de l’expression Ă©motionnelle, les faisant paraĂźtre froides ou indi Ă©rentes dans certains cas. Parmi les composĂ©s qui ont dĂ©montrĂ© des e ets positifs sur les symptĂŽmes de la maladie, citons un « nutraceutique », c’est-Ă -dire un composĂ© de synthĂšse qui va apporter Ă  l’organisme, aprĂšs sa dĂ©gradation dans le corps, un certain type de nutriment remplissant une fonction essentielle. Tel est le cas de la N-acĂ©tyl-cystĂ©ine (NAC), qui libĂšre dans l’organisme un acide aminĂ© appelĂ© « cystĂ©ine ». Les gĂ©lules de N-acĂ©tyl-cystĂ©ine procurent su samment de cystĂ©ine Ă  haute dose pour produire des e ets tangibles. Il s’agit d’un neuroprotecteur qui augmente le taux de glutamate, un neurotransmetteur

excitateur du cerveau, et relĂšve le niveau de vigilance. Depuis octobre 2023, la NAC Ă  fortes doses (entre 1,2 et 3 grammes par jour) est dĂ©sormais recommandĂ©e dans le traitement de la schizophrĂ©nie en adjonction aux antipsychotiques, le traitement de rĂ©fĂ©rence de la maladie, tout comme les omĂ©ga-3. Elle s’est rĂ©vĂ©lĂ©e e cace pour l’allĂ©gement des symptĂŽmes de repli sur soi, de manque de motivation et sur les di cultĂ©s de concentration et de mĂ©moire chez certains patients. Les Ă©tudes montrent des e ets signiïŹcatifs dĂšs trois mois de traitement. Les omĂ©ga-3, eux, attĂ©nuent les symptĂŽmes dĂ©pressifs de la schizophrĂ©nie. Un autre nutraceutique, la sarcosine ou N-mĂ©thylglycine, est un inhibiteur de la recapture de la glycine, autre acide aminĂ© du cerveau. Elle produit Ă©galement une amĂ©lioration des symptĂŽmes de la schizophrĂ©nie, avec un niveau de preuve moins Ă©levĂ© que la N-acĂ©tyl-cystĂ©ine. Cet acide aminĂ© a Ă©tĂ© surtout Ă©tudiĂ© Ă  TaĂŻwan et est plus di cile Ă  trouver que la NAC.

46 N° 165 - Mai 2024
? DOSSIER LES ALIMENTS QUI BOOSTENT LE CERVEAU
COMMENT BIEN NOURRIR SON CERVEAU

amĂ©ricains, a ainsi rĂ©vĂ©lĂ© que la L-thĂ©anine rĂ©duisait signifcativement le stress chez des adultes soumis Ă  des situations de pression causĂ©es par des tĂąches multiples et simultanĂ©es. Cet effet a Ă©tĂ© confrmĂ© par la suite, en 2022, par une Ă©quipe de l’universitĂ© de Shizuoka, au Japon : trois heures aprĂšs la prise de L-thĂ©anine, elle a menĂ© une sĂ©rie de mesures Ă©lectrophysiologiques qui ont mis en Ă©vidence les modifcations du fonctionnement du cerveau et une rĂ©duction de la concentration en cortisol salivaire, une hormone liĂ©e au stress. La mĂȘme annĂ©e, des essais rĂ©alisĂ©s par des chercheurs de l’Inserm ont montrĂ© que la L-thĂ©anine Ă©tait susceptible de rĂ©duire le stress chez les Ă©tudiants, mĂȘme Ă  court terme, tandis que des travaux complĂ©mentaires rĂ©vĂ©laient son effcacitĂ© pour limiter l’augmentation de la tension artĂ©rielle et de l’anxiĂ©tĂ© provoquĂ©e par les situations stressantes.

Outre le thĂ© vert, les probiotiques semblent Ă©galement avoir un effet positif sur la rĂ©duction de l’anxiĂ©tĂ©. Ces microorganismes vivants (gĂ©nĂ©ralement des bactĂ©ries favorables Ă  notre fore intestinale) font l’objet d’un intĂ©rĂȘt croissant pour leur rĂŽle potentiel dans la santĂ© mentale. Si l’on en croit les premiĂšres Ă©tudes publiĂ©es, qui combinent notamment les bifdobactĂ©ries et lactobacilles Ă  fortes doses, leur prise permettrait de faire baisser les niveaux d’anxiĂ©tĂ© et les symptĂŽmes dĂ©pressifs. Avec un point clĂ© Ă  surveiller : la stabilitĂ© des bactĂ©ries dans le temps
 En effet, il n’est pas Ă©tabli Ă  ce jour que tous les complĂ©ments alimentaires vendus dans le commerce soient effcaces et de nombreux « probiotiques » sont en rĂ©alitĂ© des « postbiotiques », c’est-Ă -dire des bactĂ©ries mortes lyophilisĂ©es
 Or, ce sont des bactĂ©ries vivantes qui ont Ă©tĂ© testĂ©es dans les Ă©tudes. Il faut alors envisager un budget plus Ă©levĂ©, et huit semaines de traitement seraient nĂ©cessaires pour obtenir des rĂ©sultats signifcatifs. Restons vigilants !

MIEUX DORMIR, RESTER PLUS CONCENTRÉ


En plus de leurs effets protecteurs contre les maladies mentales, des aliments fnement choisis peuvent aussi vous rendre de multiples services au quotidien. À commencer par l’amĂ©lioration du sommeil. On retrouve ici le rĂŽle jouĂ© par la L-thĂ©anine du thĂ© vert ! Ainsi, un essai contrĂŽlĂ© randomisĂ© (prĂ©sentant les meilleures garanties de fabilitĂ© mĂ©thodologique et statistique) menĂ© en Malaisie a montrĂ© que la L-thĂ©anine avait la capacitĂ© d’infuer bĂ©nĂ©fquement sur plusieurs aspects du sommeil. Et, notamment, sur la qualitĂ© subjective du sommeil chez des individus souffrant de troubles anxieux sĂ©vĂšres. Les effets endormissants et anxiolytiques de cette

Les oméga-3 aident à lutter contre les dommages dus au stress oxydatif


Bibliographie

M. M. Lane et al., Ultra-processed food consumption and mental health : A systematic review and meta-analysis of observational studies, Nutrients, 2022.

A. Metherel et al., Compound-speciïŹc isotope analysis reveals no retroconversion of DHA to EPA but substantial conversion of EPA to DHA following supplementation : A randomized control trial, The American Journal of Clinical Nutrition, 2019.

J. Heshmati et al., Omega-3 fatty acids supplementation and oxidative stress parameters : A systematic review and meta-analysis of clinical trials, Pharmacological Research, 2019

molĂ©cule semblent donc aller de pair. Autre recours intĂ©ressant : la mĂ©latonine, considĂ©rĂ©e comme complĂ©ment alimentaire jusqu’à la dose de 1,9 mg/jour. Depuis 2020, elle est remboursĂ©e chez l’enfant prĂ©sentant un trouble du spectre autistique, alors qu’elle reste toujours non remboursĂ©e chez l’adulte, malgrĂ© son effcacitĂ© pour favoriser l’endormissement (Ă  l’inverse des mĂ©dicaments hypnotiques comme le zolpidem et le zopiclone, remboursĂ©s alors qu’ils comportent de nombreux effets indĂ©sirables dont, en particulier, une dĂ©pendance biologique qui n’existe pas avec la mĂ©latonine !).

Enfn, peut-on perfectionner ses capacitĂ©s de concentration par une alimentation idoine ? Sur ce point, la combinaison de L-thĂ©anine et de cafĂ©ine prĂ©sente des atouts pour amĂ©liorer l’attention et les performances cognitives. Prises ensemble, elles semblent renforcer leurs effets positifs, tels que l’attĂ©nuation de la sensation de fatigue, tout en limitant les effets secondaires de la cafĂ©ine. Par ailleurs, plusieurs Ă©tudes ont montrĂ© que l’association de L-thĂ©anine et de cafĂ©ine apportait plus de prĂ©cision dans l’accomplissement des tĂąches, rĂ©duisait la fatigue mentale et raccourcissait le temps de rĂ©action, tout en maintenant l’attention intacte lors de tĂąches cognitives exigeantes. On recommande toutefois de ne pas dĂ©passer quatre tasses de cafĂ© et quatre tasses de thĂ© par matinĂ©e, en Ă©vitant le cafĂ© l’aprĂšs-midi, pour prĂ©server les capacitĂ©s d’endormissement le soir, et l’excĂšs de thĂ© vert, qui peut entraĂźner des anĂ©mies. ÂŁ

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L’ESPACE

En lien avec l’exposition permanente Mission spatiale.

Soirée de lancement

Amazonies spatiales

Vendredi 26 avril 2024

Présentation du livre en avant-premiÚre et séance de dédicaces, ateliers, conférences, lectures musicales et rencontres.

Évadez-vous vers un imaginaire spatial dĂ©sirable imaginĂ© par des auteurs Ă©paulĂ©s par un large panel d’experts scientifques.

Uniquement sur place, Ă  partir de 18h30. Forum et exposition Mission spatiale, niveau 1.

À l’occasion de la sortie du recueil de nouvelles Amazonies spatiales, rencontrez les 15 auteurs et autrices qui ont donnĂ© vie Ă  ces rĂ©cits, ainsi que les scientifques qui les ont accompagnĂ©s.

Amazonies spatiales est une rĂ©sidence d’écriture Ă  mi-chemin entre l’art et la science, dont la mission est d’inventer les imaginaires spatiaux de demain – des imaginaires Ă  la fois positifs et rĂ©alistes – qui prennent le contrepied des courants dystopiques.

Table ronde en prĂ©sence des deux marraines d’exception de la rĂ©sidence, Christiane Taubira et Claudie HaignerĂ©, bufet performance par l’artiste chef Maya Minder et rencontres avec les auteurs.

Gratuit sur réservation

Retrouvez toute notre programmation ici :

En partenariat avec Avec le soutien de

NICOLAS GAUVRIT

Psychologue du dĂ©veloppement et enseignant-chercheur en sciences cognitives Ă  l’universitĂ© de Lille.

AFFAIRE OUDÉA-CASTÉRA Les ressorts fragiles de la crĂ©dibilitĂ©

La polĂ©mique autour de l’ex-ministre de l’Éducation nationale a rĂ©vĂ©lĂ© le danger qu’il y a Ă  donner des conseils quand on ne se les applique pas Ă  soi-mĂȘme.

On peut dire que l’arrivĂ©e d’AmĂ©lie OudĂ©a-CastĂ©ra au ministĂšre de l’Éducation nationale ne sera pas passĂ©e inaperçue. Quelques heures Ă  peine aprĂšs son investiture, le vendredi 12 janvier, la toute nouvelle ministre Ă©tait en visite dans un lycĂ©e public des Yvelines. InterrogĂ©e sur la scolarisation de ses enfants dans une Ă©cole privĂ©e, elle se justifa en Ă©voquant les dĂ©faillances de l’école publique – pourtant privilĂ©giĂ©e dans le 6 e arrondissement oĂč elle rĂ©side
 –, celle-lĂ  mĂȘme qu’elle Ă©tait censĂ©e reprĂ©senter et soutenir. Entre explications divergentes et rĂ©tropĂ©dalages acrobatiques sur un terrain minĂ©, la ministre se trouva en bien mauvaise posture.

Ce qu’on lui a reprochĂ© au fond, c’est une attitude contradictoire la menant Ă 

dĂ©fendre un enseignement public qu’elle rejetait elle-mĂȘme. Le fameux « faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ». Or qu’y a-t-il de plus agaçant qu’une personne vous donnant un conseil qu’elle ne suit pas elle-mĂȘme ? Ce double jeu a placĂ© l’intĂ©ressĂ©e dans une position instable, perçue comme illĂ©gitime pour promouvoir l’école publique. Car s’il est des circonstances oĂč l’on peut accepter que quelqu’un vous conseille de ne pas faire ce qu’elle fait elle-mĂȘme, cela demande un certain nombre de critĂšres qu’AmĂ©lie OudĂ©a-CastĂ©ra ne cochait pas.

En 2015, Daniel Effron de la London Business School, et Dale Miller, de l’universitĂ© Stanford, ont publiĂ© une Ă©tude sur la façon dont nous percevons les avis que peuvent nous donner de tierces personnes.

Ils ont fait une expĂ©rience dans laquelle trois personnages conseillaient Ă  des participants d’arrĂȘter de fumer. Le premier des trois n’avait jamais fumĂ©, le deuxiĂšme avait fumĂ© mais s’était arrĂȘtĂ© sans jamais avoir de complication de santĂ©, et son mĂ©decin lui avait garanti qu’il ne subirait aucune consĂ©quence nĂ©gative de son tabagisme passĂ©. Le troisiĂšme, enfin, avait « payĂ© un prix » : ancien fumeur repenti, il avait endurĂ© des problĂšmes de santĂ© importants.

Les sujets de cette Ă©tude se sont globalement dĂ©clarĂ©s moins enclins Ă  accepter le conseil d’un ancien fumeur en bonne santĂ© que d’un non-fumeur. L’ancien fumeur est mĂȘme perçu comme agaçant et irrespectueux. À l’inverse, le fumeur qui a souffert de son addiction

66 ÉCLAIRAGES Raison et dĂ©raison N° 165 - Mai 2024

est entendu avec bienveillance, bien plus que le non-fumeur.

Comment expliquer cette diffĂ©rence de rĂ©action ? Le premier facteur examinĂ© par les chercheurs a Ă©tĂ© la lĂ©gitimitĂ© du conseiller Ă  exprimer son opinion. Un ancien fumeur que la dĂ©pendance au tabac n’a pas affigĂ© est considĂ©rĂ© comme peu lĂ©gitime (« Il a fumĂ© longtemps, mais se permet de me donner des conseils ? »). À l’inverse, celui qui a souffert du tabagisme est bien placĂ© pour savoir ce qu’il en coĂ»te. Il est parfaitement lĂ©gitime.

Selon Effron et Miller, la notion d’hypocrisie est ici centrale. La personne qui a fumĂ© pendant des annĂ©es, qui a en a retirĂ© probablement un certain plaisir sans en subir aucun inconvĂ©nient, et qui demande aux autres de ne pas le faire

Bibliographie

D. A. E ron et D. T. Miller, Do as I say, not as I’ve done : Su ering for a misdeed reduces the hypocrisy of advising others against it, Organizational Behavior and Human Decision Processes, 2015

donne l’impression de ne pas croire Ă  son propre discours. Elle a proftĂ© d’un comportement qu’elle fait semblant de rĂ©prouver et vient dĂ©sormais donner des leçons aux autres. Parfaite dĂ©fnition de la tartuferie.

Pour revenir Ă  la situation de l’exministre de l’Éducation nationale, c’est probablement pour une raison analogue que son discours a eu du mal Ă  passer. Non seulement elle n’a pas souffert de sa dĂ©cision de placer ses enfants dans le public, mais elle en a rajoutĂ© en accusant cette Ă©cole publique. Ses tentatives de dĂ©fendre l’éducation rĂ©publicaine sont arrivĂ©es bien tard, une fois que l’affaire Ă©tait en branle ; le mal Ă©tait fait.

COMMENT ÊTRE LÉGITIME

POUR PORTER UNE PAROLE ?

Ce type de recherche en psychologie sociale montre que la lĂ©gitimitĂ© se gagne diffcilement. Pour croire quelqu’un, nous avons besoin de constater que cette personne croit elle-mĂȘme Ă  son propre discours. Or de quels indices disposons-nous pour cela ? PremiĂšrement, ceux mis en Ă©vidence par l’expĂ©rience de Daniel Effron et Dale Miller : le fait que cette personne a eu – ou non – une expĂ©rience personnelle en lien avec le problĂšme qu’elle dĂ©nonce - c’est le fumeur de leur Ă©tude. Mais un autre indice est la capacitĂ© du locuteur Ă  prendre des engagements qui sont manifestement en phase avec ses valeurs affichĂ©es. Si AmĂ©lie OudĂ©aCastĂ©ra avait transfĂ©rĂ© de son propre chef ses enfants dans une Ă©cole publique juste aprĂšs sa nomination, de nombreuses personnes auraient pu y voir un gage qu’elle allait dĂ©sormais se mobiliser Ă  cent pour cent pour amĂ©liorer le sort de l’Éducation nationale. Elle ne l’a pas fait ; cela ne signife pas que, si elle avait Ă©tĂ© maintenue Ă  son poste, elle n’aurait pas agi en faveur de l’enseignement public. Mais cela n’émettait aucun message en ce sens. Or de tels messages sont essentiels pour Ă©tablir un lien de confance entre citoyens et dirigeants... ÂŁ

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VIE QUOTIDIENNE

L’énigme des menteurs pathologiques

Certaines personnes mentent jusqu’à vingt fois par jour. Est-ce une maladie ? Le font-elles exprĂšs ? Quelques spĂ©cialistes parlent d’inscrire ce comportement au manuel des troubles psychiatriques.

«C

ette robe te va Ă  merveille » ; « C’était vraiment sympa chez tes parents ! » ; « Mais bien sĂ»r qu’elle est dĂ©licieuse, ta soupe ! » ; « Franchement ? Absolument pas. » VoilĂ  quelques phrases que vous avez probablement dĂ©jĂ  dites dans votre vie. SincĂšrement ou pas ? C’était peut-ĂȘtre pour ne pas faire de peine Ă  quelqu’un. Les petits mensonges occasionnels font partie de la vie, et la plupart des gens en usent avec modĂ©ration. Mais d’autres y recourent de façon beaucoup plus massive – et problĂ©matique.

Le chercheur en communication Timothy Levine, de l’universitĂ© d’Alabama, Ă  Birmingham, aux États-Unis, Ă©tudie les mensonges depuis plus de trente ans. En 2010, il a publiĂ© une Ă©tude au cours de laquelle il a demandĂ© Ă  1 000 AmĂ©ricains combien de fois ils avaient menti au

cours des derniĂšres vingt-quatre heures : 60 % ont rĂ©pondu que ce n’était jamais le cas et 30 % qu’ils l’avaient fait entre une et cinq fois. Il en a tirĂ© une « thĂ©orie de la vĂ©ritĂ© par dĂ©faut », selon laquelle la plupart des individus partent du principe que les autres leur disent en gĂ©nĂ©ral la vĂ©ritĂ©. Une condition essentielle pour vivre ensemble et coopĂ©rer.

1 % DES GENS MENTENT

VINGT FOIS PAR JOUR

Toutefois, le professeur a relevé quelques exceptions
 Environ 5 % des personnes interrogées mentaient beaucoup plus et étaient les auteurs de la quasi-totalité des tromperies. Pire encore : environ 1 % des participants ont avoué avoir dit plus de vingt mensonges dans la journée !

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Par Jan Schwenkenbecher, psychologue et journaliste scientiïŹque.
p. 82 Écrire au stylo : cerveau synchro ! p. 84 Le « nez social » : que nous disent les odeurs des autres ? p. 88 La question du mois

Les menteurs pathologiques, Ă  l’instar de Leonardo DiCaprio dans le ïŹlm ArrĂȘte-moi si tu peux (2002), passent leur temps Ă  travestir la rĂ©alitĂ© pour obtenir ce qu’ils souhaitent. Une fuite en avant qui gĂ©nĂšre une charge de stress et une dĂ©tresse psychologique.

Quelques annĂ©es plus tard, Timothy Levine a menĂ© une Ă©tude similaire en Grande-Bretagne avec les mĂȘmes rĂ©sultats. Mais sans pouvoir expliquer le phĂ©nomĂšne.

Il n’est pas le seul ni le premier Ă  avoir fait cette observation. Quelques rapports de cas similaires existent, mais ces 1 % de supermenteurs n’ont fait l’objet d’aucune Ă©tude scientifique approfondie. C’est pourquoi, depuis quelques annĂ©es, de plus en plus de chercheurs s’intĂ©ressent Ă  ces sujets qualifĂ©s de « menteurs pathologiques ». Pourquoi agissent-ils ainsi ? Quelles sont les consĂ©quences pour eux et leur entourage ? Peut-on les aider Ă  « dĂ©crocher » de cette manie ?

La premiùre chose à faire est de savoir ce qu’est un mensonge. Si on vous demande si vous

avez dĂ©jĂ  menti aujourd’hui, qu’allez-vous dire ?

Que vous avez Ă©tĂ© parfaitement honnĂȘte ou que vous avez travesti la rĂ©alitĂ© une ou deux fois pour des motifs anodins ? Par exemple en disant Ă  votre chef ce matin que vous alliez bien alors que vous n’ĂȘtes pas en forme ? DĂ©fnir un mensonge, on le voit, n’est pas si aisĂ©.

AU FAIT, QU’EST-CE QU’UN MENSONGE ?

« Dans la communautĂ© scientifque, il existe une conception assez cohĂ©rente de ce qu’est un mensonge, explique Matthias Gamer, psychologue Ă  l’universitĂ© de Wurtzbourg, en Allemagne. Celui-ci doit comporter un dĂ©faut de sincĂ©ritĂ©. Le menteur rapporte des faits qu’il sait ou soupçonne ĂȘtre non conformes Ă  la rĂ©alitĂ©. L’intentionnalitĂ© est Ă©galement un critĂšre essentiel : un mensonge

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© Photo12/Alamy/PictureLuxThe Hollywood Archive

est produit Ă  dessein pour atteindre un but. » VoilĂ  donc une dĂ©fnition somme toute assez stricte, ce qui expliquerait pourquoi la plupart des gens mentent peu chaque jour, la moyenne se situant probablement autour de une Ă  deux fois par jour : « Ce rĂ©sultat vient du fait que les chercheurs ne qualifent de mensonge que ce qui se passe de maniĂšre calculĂ©e et rĂ©fĂ©chie. » Ainsi, quand vous rĂ©pondez Ă  votre chef « bien merci, et vous ? », sans vraiment avoir pensĂ© Ă  la question, votre rĂ©plique n’est pas considĂ©rĂ©e comme Ă©tant un mensonge au sens scientifque du terme. Il s’agit plutĂŽt d’une convention ou d’une rĂšgle sociale. Vous auriez menti si vous aviez serrĂ© la main de votre chef sans lui dire que vous Ă©tiez atteint du Covid-19


Matthias Gamer classe donc les mensonges selon leurs motivations sous-jacentes. « De fait, il y en a deux types. Le mensonge dit â€œĂ©goĂŻste”, qui sert Ă  obtenir un avantage pour soi-mĂȘme, et le “prosocial”, parfois aussi nommĂ© “altruiste”, qu’on dit pour le bien d’une autre personne. » PrĂ©tendre qu’on maĂźtrise une compĂ©tence uniquement pour obtenir un poste, alors que c’est faux, relĂšve de la catĂ©gorie Ă©goĂŻste ; mais dire Ă  une amie que sa coiffure est superbe pour ne pas la blesser ou rĂ©pondre Ă  votre voisin violent que sa femme n’est pas venue trouver refuge chez vous afn de la protĂ©ger constituent des mensonges prosociaux.

On pourra objecter que le mensonge prosocial n’est pas vraiment altruiste (d’ailleurs, l’altruisme existe-t-il vraiment ?) : la dĂ©claration « ta nouvelle coiffure est superbe » vous Ă©vite de faire face aux consĂ©quences dĂ©sagrĂ©ables d’une rĂ©ponse honnĂȘte du genre « sincĂšrement, ce n’est pas rĂ©ussi ». Toutefois, un voisin qui cache une femme en disant « non, elle ne s’est pas rĂ©fugiĂ©e chez moi » ne sert pas forcĂ©ment ses propres intĂ©rĂȘts
 Toujours est-il que le mensonge remplit une fonction sociale pour la plupart des gens, et que seuls une faible partie d’entre eux entrent dans la catĂ©gorie pathologique. Mais de quelle pathologie parlerait-on alors ?

« PSEUDOLOGIA PHANTASTICA»

OU MYTHOMANIE ?

Le psychiatre allemand Anton DelbrĂŒck au xix e siĂšcle fut le premier Ă  s’intĂ©resser aux cas de mensonge pathologique, qu’il appela pseudologia phantastica. Dans une publication de 1891, il dĂ©crivit des individus pratiquant un degrĂ© de tromperie si Ă©loignĂ© de la tricherie ordinaire qu’il y avait lieu, selon lui, de parler de fonctionnement pathologique. Il reposa ses conclusions sur le suivi, pendant plusieurs annĂ©es, de cinq

EN BREF

ÂŁ Mentir constamment, toute la journĂ©e, pour un oui ou pour un non : c’est le cas d’environ 1 % de la population, pour qui cette habitude dĂ©passe la pratique tolĂ©rable des petits mensonges quotidiens.

£ On les appelle parfois « mythomanes », ou « menteurs pathologiques », mais les psychiatres hésitent à en faire une maladie o cielle.

£ Pour les personnes concernées, cette condition est synonyme de sou rance, de di cultés sociales et professionnelles. Une thérapie cognitivocomportementale peut alors apporter une certaine amélioration


patients. Parmi eux, une servante autrichienne qui voyageait Ă  travers la Suisse et l’Autriche en mentant Ă  de nombreuses personnes sur son identitĂ©. TantĂŽt elle Ă©tait la riche amie d’un Ă©vĂȘque, tantĂŽt une Ă©tudiante en mĂ©decine sans le sou, tantĂŽt une princesse roumaine, ou encore une noble espagnole. Parfois, elle se dĂ©guisait en homme et frĂ©quentait un Ă©tablissement d’enseignement. Et quand sa couverture tombait, elle fuyait. Les autres patients d’Anton DelbrĂŒck inventaient des histoires tout aussi abracadabrantes, dans lesquelles ils fnissaient toujours par s’empĂȘtrer jusqu’à ce que quelqu’un les dĂ©masque.

Quelques annĂ©es plus tard, en 1905, le psychiatre français Ernest DuprĂ© inventa le terme « mythomanie ». Mais en prĂ©cisant un point. Contrairement Ă  DelbrĂŒck, qui Ă©crivait que ses patients croyaient Ă  leurs propres mensonges et mentaient sous la pression d’une forme de contrainte intĂ©rieure, le Français Ă©tait persuadĂ© que tout menteur Ă©tait trĂšs conscient de ce qu’il faisait et dĂ©cidait volontairement d’agir ainsi. Moins de dix ans aprĂšs, le psychiatre anglo-amĂ©ricain William Healy et sa femme Mary ont tentĂ© de mettre de l’ordre dans tout ça en dĂ©fnissant le phĂ©nomĂšne : il s’agirait d’une « falsifcation de la rĂ©alitĂ© qui n’est pas proportionnelle Ă  un but identifable et qui est commise par une personne qui, au moment de l’acte, ne peut pas ĂȘtre clairement considĂ©rĂ©e comme malade mentale, faible d’esprit ou Ă©pileptique ». Et, pendant longtemps,

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VIE QUOTIDIENNE Psychologie L’ÉNIGME DES MENTEURS PATHOLOGIQUES

Il y a deux types de mensonges : le mensonge Ă©goĂŻste, qui sert Ă  obtenir un avantage pour soi-mĂȘme, et le prosocial, parfois nommĂ© « altruiste », parce qu’il bĂ©nĂ©ïŹcie Ă  une autre personne.

cette explication s’est rĂ©pandue, quoique sans vraiment faire l’unanimitĂ©.

Il a fallu attendre un siĂšcle, en 2005, pour que l’équipe du psychiatre Charles Dike, Ă  l’école de mĂ©decine de l’universitĂ© Yale, Ă  New Haven, dans le Connecticut, aux États-Unis, dĂ©clare qu’il n’y a « pas de dĂ©fnition unique du mensonge pathologique ». Les psychologues Drew Curtis, de l’universitĂ© d’État Angelo, au Texas, et Christian Hart, de l’universitĂ© de la femme du Texas, ont aussi beaucoup contribuĂ© Ă  faire bouger les lignes ces derniĂšres annĂ©es : en 2022, ils ont publiĂ© une synthĂšse des recherches sur le mensonge pathologique en l’enrichissant de leurs propres travaux.

IL SOUFFRE DE TROP MENTIR

Dans une de leurs Ă©tudes, les psychologues amĂ©ricains ont recrutĂ© plusieurs centaines de volontaires et leur ont posĂ© trois questions : « Mentez-vous de façon pathologique ? » ; « Des personnes vous ont-elles dĂ©jĂ  qualifĂ© de menteur pathologique ? » ; « Avez-vous Ă©tĂ© diagnostiquĂ© avec un trouble mental impliquant un mensonge pathologique ? » De cette façon, ils ont dĂ©nichĂ© 83 menteurs potentiellement pathologiques qu’ils ont soumis Ă  un questionnaire , le Survey of pathological lying behaviors (SPL). GrĂące Ă  une Ă©chelle allant de 0 Ă  7, les menteurs notaient Ă  quel point ils approuvaient des affrmations telles que « mes mensonges provoquent en moi du stress », « mes mensonges m’ont mis en danger ou ont nui Ă  quelqu’un » ou « je raconte la plupart de mes

mensonges sans raison ». RĂ©sultat : le manque de sincĂ©ritĂ© Ă©tait un facteur de stress qui leur pesait et avait des consĂ©quences nĂ©gatives parfois graves sur leur quotidien. Or, malgrĂ© cela, ils Ă©taient incapables de se retenir de mentir. Et ce mĂȘme quand leur comportement les plaçait dans des situations dangereuses.

Lors d’une autre Ă©tude, Drew Curtis et Christian Hart ont recueilli le point de vue de psychothĂ©rapeutes sur ce phĂ©nomĂšne afn de le confronter Ă  celui des menteurs pathologiques. Sur les 295 professionnels interrogĂ©s, la plupart avaient dĂ©jĂ  suivi quelques patients qui fabulaient trĂšs souvent, mais qui restaient assez rares. D’autant que le mensonge pathologique n’étant pas considĂ©rĂ© comme une maladie en soi, les spĂ©cialistes avaient tendance Ă  poser un autre diagnostic, par exemple de trouble de la personnalitĂ©. Pourtant, les descriptions des thĂ©rapeutes Ă©taient trĂšs similaires Ă  celles des patients : les mensonges avaient souvent commencĂ© Ă  l’adolescence et engendraient du stress ainsi que des diffcultĂ©s dans la vie privĂ©e et professionnelle.

Ainsi, selon les psychologues amĂ©ricains, le mensonge pathologique serait « un modĂšle persistant, envahissant et souvent obsessionnel de comportements mensongers excessifs, qui entraĂźne une altĂ©ration cliniquement signifcative du fonctionnement dans les sphĂšres sociales, professionnelles ou autres, se traduisant par un stress important et reprĂ©sentant un danger pour le menteur ou pour autrui, et qui dure plus de six mois ». Le temps et les recherches Ă  venir diront si cette dĂ©fnition est valide ou non. En attendant, Drew Curtis est en mesure de rĂ©pondre Ă  d’autres questions sur le phĂ©nomĂšne. Qui sont les menteurs pathologiques ? Pourquoi agissent-ils ainsi ? Quelles sont leurs motivations ? Et peut-on les aider ?

5 %

des gens mentent une dizaine de fois par jour.

« Nos travaux ont rĂ©vĂ©lĂ© qu’il n’existe pas de profl psychologique particulier qui prĂ©dispose Ă  devenir menteur pathologique. Il n’y a pas de diffĂ©rence selon le sexe, l’origine, le niveau socioĂ©conomique
 » Il est tout aussi diffcile de comprendre pourquoi les individus concernĂ©s se comportent ainsi. Les agissements de certains d’entre eux seraient assez proches de la description de la pseudologia phantastica d’Anton DelbrĂŒck : « Ils racontent des choses exagĂ©rĂ©es et en grande partie irrĂ©alistes dans le but d’attirer l’attention. » Mais ce n’est pas le cas chez d’autres, par exemple ceux qui mentent sur ce qu’ils ont mangĂ© au petit dĂ©jeuner
 Pour quelle raison affabulent-ils ? « Je n’en ai aucune idĂ©e. J’ignore pourquoi j’invente quelque chose comme ça », rĂ©pondent souvent les patients.

79 N° 165 - Mai 2024
© dorioconnell/iStock

Au premier abord, de tels tĂ©moignages semblent contredire en partie la dĂ©fnition du mensonge, qui doit ĂȘtre profĂ©rĂ© dans un but prĂ©cis. Mais en y regardant de plus prĂšs, le paradoxe se rĂ©sout : « Certes, certains disent mentir sans objectif en tĂȘte, explique Drew Curtis. Mais mon collĂšgue Christian Hart et moi-mĂȘme soupçonnons que les menteurs pathologiques ont bien toujours une raison d’agir ainsi
 » Car les psychologues amĂ©ricains se sont rendu compte que leurs patients dĂ©clarent souvent que le mensonge est ressenti comme une contrainte intĂ©rieure et le rĂ©sultat d’une impulsion
 Le rĂ©aliser permettrait de rĂ©duire cette tension interne.

POUR ATTÉNUER UNE PEUR INTÉRIORISÉE


« Chez ces personnes, fabuler permettrait de dissiper une angoisse », annonce Drew Curtis. Un soulagement de courte durĂ©e, toutefois. « Juste aprĂšs, elles ressentent de la culpabilitĂ©, de la honte et des remords. » Les menteurs pathologiques emploieraient la tricherie environ dix fois par jour, certains allant jusqu’à vingt fois. Leur entourage fnit souvent par se persuader qu’ils agissent ainsi tout le temps et Ă  propos de tout.

« Bien sĂ»r, ce n’est pas le cas. Mais Ă  force d’ĂȘtre trompĂ©s, les amis, la famille et les proches perdent confance et leur tournent le dos. »

En consĂ©quence, les menteurs pathologiques vivent une souffrance au quotidien. Une rĂ©alitĂ© bien diffĂ©rente de l’idĂ©e que la plupart des gens pourraient se faire d’un individu capable d’affabulation jusqu’à vingt fois par jour en parcourant le monde sans remords ni attache pour dĂ©crocher un emploi de rĂȘve, manipuler tout le monde ou, simplement, ne pas payer son billet de cinĂ©ma
 Or ce trouble n’a rien Ă  voir avec cela. Les patients souffrent rĂ©ellement, d’oĂč l’importance de l’aide d’un thĂ©rapeute et du soutien des proches, famille et amis, qui ne doivent pas les abandonner


Selon Drew Curtis, la thĂ©rapie cognitivo-comportementale, ou TCC, constitue le traitement de choix. « Les menteurs pathologiques – en particulier ceux qui bĂątissent les histoires les plus extravagantes – veulent attirer l’attention, explique le chercheur. Pour les aider, on se doit de les Ă©couter quand ils disent la vĂ©ritĂ©, mais de les ignorer quand ils mentent. » La tĂąche est ardue. Mais seuls de tels retours positifs ou nĂ©gatifs sont de nature , in fne, Ă  les aider Ă  modifer leur habitude. Et c’est sur ce principe que fonctionnent les TCC.

Drew Curtis et Christian Hart prĂ©conisent Ă©galement que le mensonge pathologique devienne un diagnostic Ă  part entiĂšre et qu’il soit inscrit dans les classifcations internationales des

Je n’ai aucune idĂ©e des raisons pour lesquelles je mens tout le temps


RĂ©ponse type de menteur pathologique

troubles psychiatriques, comme le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) et la Classifcation internationale des maladies (CIM). Ce qui en ferait une maladie et non plus un simple symptĂŽme d’autres pathologies, et permettrait ainsi aux psychothĂ©rapeutes et psychiatres de mieux diagnostiquer les sujets concernĂ©s afn de les prendre en charge.

EST-CE UNE PATHOLOGIE ?

Selon les chercheurs, « l’absence de diagnostic conduit Ă  l’absence de traitement ou Ă  des thĂ©rapies ineffcaces, voire nĂ©fastes. Une reconnaissance formelle du mensonge pathologique comme trouble psychiatrique encouragerait la recherche sur ses causes et les moyens de le guĂ©rir ». Toutefois, ce ne sera pas pour demain
 Car les derniĂšres rĂ©visions du CIM et du DSM [au cours desquelles de nouveaux troubles psychiatriques peuvent ĂȘtre reconnus, ndlr] sont rĂ©centes et datent de 2022. Certes, les psychologues amĂ©ricains ont approfondi les connaissances sur le phĂ©nomĂšne ces derniĂšres annĂ©es. Mais la recherche sur le mensonge pathologique n’en est qu’à ses balbutiements. Matthias Gamer parle mĂȘme de « premiĂšre observation ». Il estime actuellement diffcile d’exiger une inscription dans le DSM et la CIM : « On ne doit pas attribuer un diagnostic spĂ©cifque Ă  chaque nouveau symptĂŽme. Tout ce que l’on dĂ©couvre et qui n’entre pas dans les catĂ©gories habituelles n’est pas forcĂ©ment une nouvelle maladie
 »

NĂ©anmoins, le psychologue allemand se demande si la reconnaissance du mensonge pathologique comme trouble mental serait susceptible d’aider les personnes concernĂ©es. « Le premier objectif des classifcations psychiatriques devrait ĂȘtre de faciliter les traitements. D’oĂč une question importante Ă  se poser : un diagnostic amĂ©liorerait-il la guĂ©rison des menteurs pathologiques ? Vu l’état de la recherche, je reste sceptique. » ÂŁ

Bibliographie

D. A. Curtis et C. L. Hart, Pathological lying. Theory, research and practice, American Psychological Association, 2022

D. A. Curtis et C. L. Hart, Pathological lying : Psychotherapists’ experiences and ability to diagnose, American Journal of Psychotherapy, 2022

D. A. Curtis et C. L. Hart, Pathological lying. Theoretical and empirical support for a diagnostic entity, Psychiatric Research & Clinical Practice, 2020

W. Healy et M. T. Healy, Pathological Lying, Accusation and Swindling : A Study in Forensic Psychology, Little, Brown and Co, 2015

K. B. Serota et al., The prevalence of lying in America : Three studies of self-reported lies, Human Communication Research, 2010.

80 N° 165 - Mai 2024
VIE QUOTIDIENNE Psychologie L’ÉNIGME DES MENTEURS PATHOLOGIQUES

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NEUROSCIENCES

Dans le cerveau de


Sylvie Chokron

Les Presses de la CitĂ©, 2024, 288 pages, 19,90 €

Hors normes et pourtant si proches de nous : telles sont les personnalités que nous présente la neuropsychologue

Sylvie Chokron dans son nouveau livre. Hors normes, parce qu’elles exercent des mĂ©tiers peu courants : reporter de guerre, musicien, astronaute, sportif de haut niveau, Ă©crivain
 Si proches, parce que les angles Ă  travers lesquels elles sont dĂ©crites nous concernent tous : le courage, l’attention, la mĂ©moire, la motivation


De fait, chaque personnalitĂ© rencontrĂ©e par Sylvie Chokron a su devenir experte dans un domaine. Un reporter doit par exemple surmonter sa peur pour s’aventurer sur les thĂ©Ăątres des conïŹ‚its et un comĂ©dien a besoin de maĂźtriser les rouages de sa mĂ©moire pour retenir un texte. L’autrice explique comment les neurosciences et la psychologie Ă©clairent l’expĂ©rience de ces champions et s’en servent simultanĂ©ment pour incarner les dĂ©couvertes scientiïŹques. Ainsi, lorsque le pianiste et compositeur AndrĂ© Manoukian Ă©voque de nĂ©cessaires phases de lĂącher-prise dans son processus crĂ©atif, ce n’est pas sans rappeler une expĂ©rience Ă©tonnante montrant que les aires cĂ©rĂ©brales de la rĂ©gulation et du contrĂŽle se dĂ©sactivent chez des chanteurs improvisant dans un scanner
 Les connaissances – nombreuses – que parvient Ă  nous transmettre Sylvie Chokron n’ont donc rien d’un savoir abstrait et froid. À la fascination d’en apprendre un peu plus sur des personnalitĂ©s hors du commun se mĂȘle celle de comprendre les processus Ă  l’Ɠuvre dans leur cerveau
 et dans le nĂŽtre ! Car l’autrice n’oublie pas d’en tirer quelques leçons applicables Ă  chacun. Quand aussi bien les recherches que le tĂ©moignage du skieur Edgard Grospiron indiquent que l’activitĂ© physique bĂ©nĂ©ïŹcie aux performances cognitives, elle conclut par exemple : « Écouter un podcast, apprendre une langue Ă©trangĂšre, rĂ©soudre une Ă©nigme ou encore mĂ©moriser des images et des mots devrait systĂ©matiquement ĂȘtre couplĂ© Ă  une activitĂ© physique (marcher, courir, pĂ©daler, nager) aïŹn d’avoir un e et positif maximal. » Un savoureux mĂ©lange, donc, de reportage Ă  sensation, d’écho des laboratoires et de leçons de vie.

Guillaume Jacquemont est journaliste Ă  Cerveau&Psycho.

PSYCHOLOGIE

La ConïŹance en soi FrĂ©dĂ©ric Fanget, Catherine Meyer, Line Hachem Les ArĂšnes

2024, 128 pages, 20 €

Si vous avez tendance Ă  vous dĂ©valoriser ou Ă  vous laisser marcher sur les pieds, sautez sur cette bande dessinĂ©e. CoĂ©crite par le psychothĂ©rapeute FrĂ©dĂ©ric Fanget, spĂ©cialiste du sujet, et l’éditrice Catherine Meyer, elle explique d’oĂč vient le manque de conïŹance en soi, donne quelques outils pour s’évaluer et surtout dĂ©crit les mĂ©thodes validĂ©es scientiïŹquement pour rĂ©soudre le problĂšme. Vous y trouverez par exemple des techniques pour apprendre Ă  dire non ou Ă  demander une augmentation de salaire, ainsi que des conseils pour dĂ©nicher un bon thĂ©rapeute si vous avez besoin de l’assistance d’un professionnel.

PSYCHOLOGIE

ANIMALE

La Cigale et le Zombie

François Verheggen Delachaux et NiestlĂ© 2023, 144 pages, 19,90 €

Guerre, art, enseignement, rire, fabrication d’outils
 Quel est le propre de l’homme ? Un dĂ©bat aussi vieux que la philosophie, mais que François Verheggen rĂ©examine ici Ă  la lumiĂšre des derniĂšres dĂ©couvertes en Ă©thologie. Et pour chacun de ces comportements souvent considĂ©rĂ©s comme l’apanage de notre espĂšce, il nous prĂ©sente d’autres animaux qui le manifestent ! La conclusion de ce patchwork d’histoires Ă©tonnantes, mĂȘlant orques en deuil, Ă©lĂ©phants rancuniers et corbeaux roublards :

« Aucun comportement spĂ©ciïŹque n’est Ă  imputer Ă  l’ĂȘtre humain. Nous nous distinguons surtout par la complexitĂ© de nos agissements (entraide, culture, art, langage
) plutĂŽt que par leur singularitĂ©. »

LIVRES p. 92 Sélection de livres p. 94 La Nausée : déréalisation ou existentialisme ? 92
SÉLECTION N° 165 - Mai 2024
ANALYSE

PSYCHIATRIE

Écoute les murs parler

Ixchel Delaporte

L’Iconoclaste

2023, 350 pages, 21,90 €

«L a maladie mentale est si prĂšs de chacun de nous, quand elle n’est pas en nous.

Elle fait si peur qu’elle est indicible. On ne parle pas de sa grand-mĂšre morte internĂ©e dans un asile. On ne parle pas du ïŹls qui s’est suicidĂ© par mĂ©lancolie, bipolaritĂ© ou dĂ©pression. »

La journaliste Ixchel Delaporte, elle, a fait le choix d’en parler. Pendant plusieurs mois, elle est partie Ă  la rencontre des patients et des soignants d’un hĂŽpital psychiatrique. D’une plume sobre et puissante, elle raconte leurs histoires souvent sombres, toujours bouleversantes. On en sort secouĂ©.

INTELLIGENCE

ARTIFICIELLE

Faire parler les ordinateurs

Guillaume Wisniewski Dunod 2024, 232 pages, 19,90 €

L’arrivĂ©e de ChatGPT a reprĂ©sentĂ© un phĂ©nomĂšne mondial. Comment les IA gĂ©nĂ©ratives parviennentelles Ă  dialoguer avec les utilisateurs ? Et de quoi sont-elles capables exactement ? C’est ce qu’explique ici Guillaume Wisniewski, docteur en intelligence artiïŹcielle et chercheur en linguistique, avec une clartĂ© remarquable Ă©tant donnĂ© la technicitĂ© du sujet. Pour ce faire, il retrace toute l’histoire de ces IA, dont il nous fait dĂ©couvrir au passage quelques savoureux reprĂ©sentants. Ainsi d’Eliza, un programme qui imitait
 un psychothĂ©rapeute ! Son secret ? Appliquer quelques rĂšgles simples, comme reformuler les a rmations du patient sous forme de questions.

PSYCHOLOGIE

Revenir Ă  soi

Sophie Lavault

Albin Michel, 2023, 240 pages, 19,90 €

Dans cet essai, Sophie Lavault dresse le constat d’une triple dĂ©connexion. DĂ©connexion de nos Ă©motions profondes, d’abord : au lieu de privilĂ©gier l’épanouissement individuel et collectif, nous avons construit une sociĂ©tĂ© focalisĂ©e sur la vitesse et la performance, en sĂ©lectionnant nos dirigeants et nos entrepreneurs sur leur intelligence rationnelle bien plus que sur leurs compĂ©tences humaines. DĂ©connexion de nos vulnĂ©rabilitĂ©s, ensuite, et en particulier de celles liĂ©es au vieillissement, ce qui Ă©loigne d’un sentiment d’accomplissement Ă  la ïŹn de sa vie. DĂ©connexion de notre environnement naturel, enïŹn, Ă  l’ùre du tout technologique et du tout numĂ©rique, qui conduit tout simplement Ă  la destruction de celui-ci.

Docteure en neurosciences et psychologue clinicienne, l’autrice appuie sa rĂ©ïŹ‚exion sur de multiples expĂ©riences et publications scientiïŹques. Elle examine notamment comment les rĂ©seaux sociaux renforcent nos biais cognitifs, en particulier le biais de conïŹrmation, en nous fournissant sans cesse de quoi conforter nos idĂ©es prĂ©existantes. ConsĂ©quence logique : nous nous enfermons de plus en plus dans nos croyances et cherchons Ă  modiïŹer le monde pour qu’il cadre avec elles (le techno-solutionnisme rĂ©soudra la crise Ă©nergĂ©tique), plutĂŽt que de nous laisser transformer par celui-ci (et si nous essayions d’ĂȘtre un peu plus sobres ?). Notre fonctionnement dĂ©connectĂ© devient un vĂ©ritable mode automatique, sur lequel nous perdons tout recul. Comment s’en sortir ? Outre un enseignement accru des compĂ©tences socioĂ©motionnelles Ă  l’école, l’autrice prĂŽne un retour Ă  soi – Ă  ses valeurs, Ă  son corps, Ă  ses Ă©motions – par le biais de pratiques comme la mĂ©ditation de pleine conscience ou l’hypnose. En instaurant des temps de pause, ces approches permettraient de rĂ©ajuster nos croyances et d’ĂȘtre rĂ©ellement prĂ©sents Ă  nousmĂȘmes. Nous tiendrions donc lĂ  un puissant moyen de remettre les mains sur le volant de nos vies, Ă  l’échelle individuelle et collective. Revenir Ă  soi pour retrouver un lien authentique avec le monde et avec notre humanitĂ© profonde. À lire absolument !

Thomas Similowski est directeur de l’unitĂ© de recherche Neurophysiologie respiratoire expĂ©rimentale et clinique (Inserm-Sorbonne UniversitĂ©).

93 COUP DE CƒUR N° 165 - Mai 2024
94 N° 165 - Mai 2024

SEBASTIAN DIEGUEZ

Docteur en neurosciences, auteur, enseignant et chercheur Ă  l’universitĂ© de Fribourg, en Suisse.

La Nausée

Déréalisation ou existentialisme ?

S’il y a une chose Ă  laquelle on peut se ïŹer, c’est bien la rĂ©alitĂ© qui nous entoure. Un sol, quelques chaises, des murs, le ciel, nos mains, des promeneurs au loin, voilĂ  au moins des balises simples et rassurantes, ayant la consistance de l’existence, l’épaisseur du rĂ©el. De fait, la plupart du temps, c’est Ă  peine si nous remarquons cette banalitĂ© du quotidien. Et c’est sans doute trĂšs bien ainsi, car se poser trop de questions Ă  cet Ă©gard pourrait nuire Ă  notre santĂ© mentale. À moins que cela ne nous rende plus philosophes ? Ces deux tendances ne sont peut-ĂȘtre pas sans rapport, puisqu’elles coĂŻncident dans un rĂ©cit des plus Ă©tranges, le premier roman du philosophe Jean-Paul Sartre, publiĂ© en 1938, La NausĂ©e.

UNE « PETITE CRISE DE FOLIE »

Le texte, prĂ©sentĂ© sous la forme d’un journal tenu par Antoine Roquentin, un historien dĂ©sƓuvrĂ© d’environ 35 ans, peut se lire aussi bien comme une Ă©tude de cas psychiatrique que comme le rĂ©cit d’une rĂ©vĂ©lation existentielle sur la condition humaine. Qu’est-ce que cette fameuse « nausĂ©e » ? Une simple mĂ©taphore pour Ă©voquer

Dans ce livre, Sartre dĂ©peint un hĂ©ros qui a l’impression que le monde extĂ©rieur a perdu de sa substance et de sa familiaritĂ©. Un fondement de l’existentialisme, mais Ă©galement un syndrome psychiatrique qualiïŹĂ© de dĂ©rĂ©alisation.

EN BREF

ÂŁ Dans ce livre, le hĂ©ros Antoine Roquentin raconte comment des objets du quotidien lui semblent Ă©tranges, di Ă©rents, comme irrĂ©els. Jusqu’à lui inspirer un sentiment de dĂ©goĂ»t et de nausĂ©e.

ÂŁ La dĂ©personnalisation est un syndrome dĂ©ïŹni en 1898 par une sensation de vide et de perte de sens portant sur le sujet lui-mĂȘme, ou sur le monde extĂ©rieur – on parle alors de dĂ©rĂ©alisation.

ÂŁ Pour le hĂ©ros, ce syndrome lui rĂ©vĂšle l’existence des choses dans toute leur nuditĂ©, leur prĂ©tendue « rĂ©alitĂ© » n’étant rien d’autre que ce que l’esprit et la sociĂ©tĂ© dĂ©cident de leur attribuer arbitrairement.

la contingence de l’existence (le fait que j’aurais pu exister ou non, sans que cela change quoi que ce soit Ă  l’ordre du monde), ou un symptĂŽme bien rĂ©el d’un personnage dĂ©sorientĂ©, qui perd progressivement pied dans sa vie ?

Le rĂ©cit lui-mĂȘme n’apporte pas de rĂ©ponse claire Ă  cette question. DĂšs le dĂ©but, Roquentin se demande s’il ne subit pas une « petite crise de folie », et redoute qu’une « maladie » ne s’installe en lui « sournoisement ». Rien de trĂšs net pour autant, il se sent juste « un peu bizarre ». S’il dĂ©cide de tenir un journal, c’est justement pour tenter d’« y voir clair ». À la maniĂšre d’un mĂ©decin, il veut noter « les nuances, les petits faits, mĂȘme s’ils n’ont l’air de rien, et surtout les classer ». Quelque chose a changĂ©, mais il ne sait pas encore si c’est lui ou le monde autour de lui. Tout semble avoir commencĂ© par un galet qu’il a ramassĂ© au bord de la mer : soudain, il a Ă©tĂ© profondĂ©ment dĂ©goĂ»tĂ© par ce banal caillou


Mais progressivement, de nombreuses autres choses vont lui faire cet effet, y compris des arbres, des personnes, des maisons, des mots, des événements, son propre corps, ses pensées, le temps qui

95 N° 165 - Mai 2024 LIVRES Neurosciences et littérature

passe
 Tout lui procure un sentiment de nouveautĂ© et d’étrangetĂ©, comme si le monde lui apparaissait sous un jour altĂ©rĂ©, radicalement inĂ©dit et singulier. L’étonnement devient vertige, confusion, rĂ©pugnance, et c’est cela qu’il va appeler sa « NausĂ©e » (avec majuscule), un Ă©tat de dĂ©tachement et de vide par rapport Ă  la rĂ©alitĂ© et Ă  lui-mĂȘme, une perte de sens gĂ©nĂ©ralisĂ©e.

DÉPERSONNALISATION ET DÉRÉALISATION

Il est clair que Roquentin souffre terriblement de cet Ă©tat et s’efforce de le comprendre afn de s’en dĂ©barrasser. Et pour cause, tous les phĂ©nomĂšnes qu’il dĂ©crit alerteraient immĂ©diatement un psychiatre ou un neurologue : ce sont les symptĂŽmes d’un Ă©tat dissociatif, et plus spĂ©cifquement d’un trouble de dĂ©personnalisation-dĂ©rĂ©alisation.

À l’état isolĂ©, ces symptĂŽmes ne sont pas si rares. Selon les Ă©tudes publiĂ©es sur ce sujet, entre un et trois quarts de la population rapporte avoir ressenti, Ă  un moment ou un autre, un

EXTRAIT

sentiment d’irrĂ©alitĂ© concernant soimĂȘme ou l’environnement, en particulier dans des situations de stress ou de fatigue, Ă  la suite de la prise de drogues, ou lors d’expĂ©riences spirituelles. En tant que syndrome chronique et dĂ©bilitant, il touche entre 1 et 2 % de la population gĂ©nĂ©rale, avec des pics jusqu’à 50 % chez les patients souffrant de troubles psychiatriques comme la dĂ©pression, l’anxiĂ©tĂ©, la schizophrĂ©nie ou les addictions, ou encore victimes d’abus traumatiques. La distinction entre dĂ©personnalisation – le sentiment d’ĂȘtre dĂ©tachĂ© de soi-mĂȘme, ou, comme disait le peintre EugĂšne Fromentin, « le don cruel d’assister Ă  sa vie comme Ă  un spectacle donnĂ© par un autre » – et dĂ©rĂ©alisation – l’impression que le monde extĂ©rieur a perdu de sa substance et de sa familiaritĂ© – n’est pas toujours facile Ă  Ă©tablir, et les spĂ©cialistes considĂšrent que les deux vont gĂ©nĂ©ralement ensemble. C’est aussi le cas chez Antoine Roquentin, qui observe son corps aussi bien que son entourage immĂ©diat comme des choses incongrues et bizarres (voir l’extrait).

Roquentin se rend compte que ses symptĂŽmes lui o rent pour ainsi dire l’existence des choses dans toute leur nuditĂ©.

L’ÉTRANGE EXISTENCE DES MAINS

Je

vois ma main, qui s’épanouit sur la table. Elle vit – c’est moi. Elle s’ouvre, les doigts se dĂ©ploient et pointent. Elle est sur le dos. Elle me montre son ventre gras. Elle a l’air d’une bĂȘte Ă  la renverse. Les doigts, ce sont les pattes. Je m’amuse Ă  les faire remuer, trĂšs vite, comme les pattes d’un crabe qui est tombĂ© sur le dos. Le crabe est mort, les pattes se recroquevillent, se ramĂšnent sur le ventre de ma main. Je vois les ongles – la seule chose de moi qui ne vit pas. Et encore. Ma main se retourne, s’étale Ă  plat ventre, elle m’o re Ă  prĂ©sent son dos. Un dos argentĂ©, un peu brillant – on dirait un poisson, s’il n’y avait pas les poils roux Ă  la naissance des phalanges. Je sens ma main. C’est moi, ces deux bĂȘtes qui s’agitent au bout de mes bras. Ma main gratte une des pattes, avec l’ongle d’une autre patte ; je sens son poids sur la table qui n’est pas moi. C’est long, long, cette impression de poids, ça ne passe pas. Il n’y a pas de raison pour que ça passe. À la longue, c’est intolĂ©rable
 Je retire ma main, je la mets dans ma poche [
]. Je n’insiste pas : oĂč que je la mette, elle continuera d’exister et je continuerai de sentir qu’elle existe ; je ne peux pas la supprimer, ni supprimer le reste de mon corps, la chaleur humide qui salit ma chemise, ni toute cette graisse chaude qui tourne paresseusement, comme si on la remuait Ă  la cuiller, ni toutes les sensations qui se promĂšnent lĂ -dedans, qui vont et viennent, remontent de mon ïŹ‚anc Ă  mon aisselle ou bien qui vĂ©gĂštent doucement, du matin jusqu’au soir, dans leur coin habituel.

La Nausée, de Jean-Paul Sartre, 1938, Gallimard, pp. 143-144.

DĂšs le milieu du XIX e siĂšcle, on trouve la trace de patients qui se plaignent d’un sentiment d’étrangetĂ© mĂȘlant vertige, anxiĂ©tĂ©, fatigue, malĂȘtre et dĂ©pression, et expliquent qu’ils perçoivent un changement dans leur corps et leur entourage, comme si la rĂ©alitĂ© n’était plus rĂ©elle. On a pu parler de « lypĂ©manie », de « cĂ©nestopathie », de « nĂ©vropathie cĂ©rĂ©brocardiaque » ou de « psychasthĂ©nie », mais c’est le terme proposĂ© par le psychiatre Ludovic Dugas en 1898 qui a fnalement Ă©tĂ© retenu : « dĂ©personnalisation ». Auquel on a ajoutĂ© « dĂ©rĂ©alisation » dans les annĂ©es 1930, pour mieux distinguer les symptĂŽmes qui se rapportaient Ă  soi-mĂȘme ou aux objets extĂ©rieurs, bien que les deux coexistent le plus souvent. Fait intĂ©ressant, Dugas a luimĂȘme empruntĂ© le terme Ă  un philosophe, le Suisse Henri-FrĂ©dĂ©ric Amiel, auteur d’un monumental journal intime dans lequel apparaĂźt pour la premiĂšre fois, et Ă  de nombreuses reprises, le terme « dĂ©personnalisation ». L’auteur semble proche des prĂ©occupations du personnage de Sartre : il exprime un grand dĂ©sarroi, dĂ©crit ses Ă©tats d’ñme avec force dĂ©tails et mĂ©taphores, pousse l’introspection jusqu’à l’extrĂȘme, et, malgrĂ© un dĂ©couragement constant et une violente autocritique, fait preuve d’une exceptionnelle luciditĂ©. Et c’est bien le trait le plus dĂ©terminant de la dĂ©personnalisation-dĂ©rĂ©alisation : ces patients ne sont pas dĂ©lirants, ils ne nourrissent pas de croyances fausses ou

96 N° 165 - Mai 2024 LIVRES Neurosciences et littérature

extravagantes sur leur Ă©tat, au contraire, ils se rendent parfaitement compte que quelque chose ne va pas, et cherchent Ă  comprendre leur problĂšme. Le psychologue Pierre Janet l’avait bien notĂ© dĂšs 1903, et qualifait le mal d’« insuffsance dans la fonction du rĂ©el », et encore de « sentiment d’incomplĂ©tude » ou « de vide », entraĂźnant des troubles de la dĂ©cision, de l’action, de l’attention et des Ă©motions, mais pas de troubles du raisonnement ou de la conscience. Une de ses patientes disait ainsi : « Je comprends tout de suite que je suis tombĂ©e malade [
] parce que j’ai Ă  propos de chaque objet un sentiment bizarre d’étrangetĂ© qui me donne de l’inquiĂ©tude et du malaise. » Cette irrĂ©alitĂ© soudaine entraĂźne un surcroĂźt d’attention, comme une perplexitĂ© douloureuse, que Roquentin qualife d’« extase horrible », d’« atroce jouissance », de « fascination » et bien sĂ»r de « NausĂ©e ». Pour des raisons obscures, l’individu semble soudain dĂ©couvrir que les choses ne sont pas telles qu’il croyait les connaĂźtre, mais il ne parvient pas Ă  mettre des mots sur cette expĂ©rience, que la plupart des patients qualifent d’ineffable ou d’indescriptible.

ÉMOTIONS ABSENTES, LUCIDITÉ INTACTE

En sciences cognitives, un des modĂšles les plus infuents conçoit cet Ă©tat comme la combinaison d’une absence d’émotions et d’une vigilance accrue (hypoĂ©motionnalitĂ© et hypervigilance) : d’une part, les rĂ©gions Ă©motionnelles du systĂšme limbique seraient inhibĂ©es par les lobes frontaux, ou dĂ©connectĂ©es des rĂ©gions sensorielles ; d’autre part, cette diminution des repĂšres affectifs entraĂźnerait une augmentation de l’attention et de la rĂ©fexion : on s’intĂ©resse aux objets, on les observe avec acuitĂ©, mais ils n’évoquent aucun ressenti. D’oĂč la distance Ă©prouvĂ©e


De lĂ  Ă  en faire une « nĂ©vrose existentielle », comme on l’appelle parfois, il n’y a qu’un pas : ce trouble offre une vision inĂ©dite du monde, puisque celui-ci se trouve soudain

Pourquoi

j’ai aimĂ© ce livre

Dans Les Mots, Sartre Ă©crit : « J’étais Roquentin, je montrais en lui, sans complaisance, la trame de ma vie. » Tour Ă  tour dĂ©savouĂ© et assumĂ© au cours de sa carriĂšre, La NausĂ©e a pris une place primordiale dans l’Ɠuvre de Sartre. On sait aussi que Simone de Beauvoir a eu un rĂŽle important dans sa conception : c’est elle qui l’a convaincu d’en faire un roman plutĂŽt qu’un essai philosophique. Il en rĂ©sulte un texte profondĂ©ment original et dĂ©routant, qui met Ă  l’épreuve ses lecteurs : Roquentin est-il fou ou gĂ©nial, ses expĂ©riences relĂšvent-elles de la psychiatrie ou de la philosophie ? L’ambiguĂŻtĂ© au cƓur du rĂ©cit nous rappelle Ă  quel point la di Ă©rence entre clairvoyance et Ă©garement peut ĂȘtre tĂ©nue.

Bibliographie

A. Billon, The sense of existence, Ergo, 2022.

M. Sierra et G. Berrios, Depersonalization : neurobiological perspectives, Biological Psychiatry, 1998

J. Taylor, Psychasthenia in “La NausĂ©e”, Sartre Studies International, 1995

privĂ© du vernis de rĂ©alitĂ© qui l’accompagne habituellement. Un esprit philosophique peut dĂšs lors exploiter cette situation, surtout lorsqu’on privilĂ©gie une approche subjective, centrĂ©e sur l’expĂ©rience immĂ©diate et le goĂ»t pour l’introspection pure. On l’a vu avec Henri-FrĂ©dĂ©ric Amiel, qui utilisa le premier le terme « dĂ©personnalisation » prĂ©cisĂ©ment dans ce but. Et, aujourd’hui encore, des philosophes qui s’intĂ©ressent au « sens de l’existence », comme Alexandre Billon, Ă  l’universitĂ© de Lille, utilisent le trouble de dĂ©personnalisation-dĂ©rĂ©alisation comme modĂšle d’étude pour trancher entre diffĂ©rentes thĂ©ories.

On sait que Sartre s’identifait avec Antoine Roquentin, et que La NausĂ©e, avant de devenir un roman, Ă©tait un projet purement philosophique. Lui-mĂȘme, Simone de Beauvoir et d’autres tĂ©moins ont souvent rapportĂ© ses nombreuses angoisses et phobies, notamment vis-Ă -vis des crabes, et sa philosophie est largement centrĂ©e sur l’analyse de la conscience et de la contingence. Roquentin y revient sans cesse dans La NausĂ©e : puisque les choses ne sont plus ce qu’elles semblaient ĂȘtre, c’est leur existence brute qui se dĂ©voile au regard, leur « rĂ©alitĂ© » n’étant rien d’autre que ce que l’esprit et la sociĂ©tĂ© dĂ©cident de leur attribuer arbitrairement. Ainsi, l’existence des choses et du moi est purement contingente, elle est gratuite et aurait trĂšs bien pu ne pas ĂȘtre. C’est la rĂ©vĂ©lation principale de Roquentin, lorsqu’il se rend compte que ses symptĂŽmes lui offrent pour ainsi dire l’existence des choses dans toute leur nuditĂ©, et qu’il comprend que sa « NausĂ©e » vient du fait que tout est « de trop », rien n’a de raison d’ĂȘtre, le simple fait d’ĂȘtre « lĂ  » est absurde. Paradoxalement, un sentiment d’irrĂ©alitĂ© peut donc conduire Ă  l’intuition philosophique d’avoir mis le doigt sur une rĂ©alitĂ© profonde et cachĂ©e. Ce qui semble avoir pour Roquentin, et peut-ĂȘtre pour Sartre, une vertu thĂ©rapeutique. ÂŁ

97 N° 165 - Mai 2024
Sebastian Dieguez

À retrouver dans ce numĂ©ro

NEZ SOCIAL AGITÉS AU CRÉPUSCULE

Selon une Ă©tude de l’universitĂ© de PĂ©kin, plus votre odorat est dĂ©veloppĂ©, plus votre rĂ©seau de connaissances est Ă©tendu. L’odorat aide Ă  repĂ©rer les individus, les reconnaĂźtre, les apprĂ©cier ou ne pas pouvoir les sentir.

BELLE ÉCRITURE !

L’écriture manuscrite, plus que celle au clavier, amĂšnerait des zones du cerveau impliquĂ©es dans l’attention, la vision, le langage et la perception sensorielle Ă  dialoguer : les mots seraient alors mieux mĂ©morisĂ©s. À vos stylos !

Le « syndrome de coucher du soleil » affecte souvent les malades d’Alzheimer : Ă  partir de la ïŹn d’aprĂšs-midi, ils deviennent agitĂ©s, agressifs, confus ou anxieux.

Ce phĂ©nomĂšne serait dĂ» Ă  un dĂ©rĂšglement de l’horloge interne de leur cerveau, situĂ©e dans l’épiphyse, et pourrait ĂȘtre en partie combattu par un exercice physique rĂ©gulier.

FATIGUE CHRONIQUE

« Le systĂšme immunitaire se consume, s’épuise et ne peut plus combattre les agents infectieux. » Katharine Seton, immunologiste.

1 %

des gens mentent plus de vingt fois en une journĂ©e. Le mensonge est alors ressenti comme un besoin irrĂ©sistible, mais qui fait place Ă  un Ă©tat de mal-ĂȘtre mĂȘlĂ© de remords, de culpabilitĂ© et de honte.

RAJEUNIR

En transfĂ©rant du plasma sanguin d’une souris jeune vers une souris ĂągĂ©e, il est possible de relancer la production de neurones dans le cerveau de cette derniĂšre. Une preuve que le plasma contient des facteurs de jouvence cĂ©rĂ©brale, que l’on cherche maintenant Ă  isoler.

BROUILLARD CÉRÉBRAL

AprĂšs une chimiothĂ©rapie, la pensĂ©e est parfois ralentie, la mĂ©moire et la concentration comme Ă©moussĂ©es
 Un brouillard cĂ©rĂ©bral liĂ© Ă  une perturbation des communications entre neurones, voire la destruction d’une partie d’entre eux.

66 JOURS

C’est le temps qu’il faut en moyenne pour qu’un nouveau comportement (comme faire du sport trois fois par semaine) se transforme en habitude


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N° 165 - Mai 2024

GRAND BIEN VOUS FASSE !

ALI REBEIHI
10H-11H
photo : © Christophe Abramowitz / RF

Cet encart d’information est mis à disposition gratuitement au titre de l’article

L. 541-10-18 du code de l’environnement. Cet encart est Ă©laborĂ© par CITEO.

TRIONS SYSTÉMATIQUEMENT

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