CE QUI CHANGE DANS LE CERVEAU
PHOBIES
LE POUVOIR
DES THÉRAPIES
INCONSCIENTES
APPRENTISSAGE L’AVANTAGE DE COMPTER
SUR SES DOIGTS
PSYCHOLOGIE DÉVELOPPER SA
« CONCENTRATION
PROFONDE »
ADDICTIONS
PEUT-ON DÉCROCHER DE LA COCAÏNE ?

JENNIFER RÉTHORÉ
du compte @supersensibilite
Et si votre sensibilité était votre plus grande force ?

Ce livre est un véritable refugepourceuxquise sentent«trop»sensibleset lapreuvequeleursensibilité, loind’êtreunefaiblesse, est une immense force.

240 pages – 18,90 €
DISPONIBLE EN LIBRAIRIE
N° 173
NOS CONTRIBUTEURS

p. 49-55
Gabriel André
Gynécologue-obstétricien et vice-président du GEMVi (Groupe d’étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal), à Strasbourg, il détaille les changements cérébraux associés à la ménopause.

p. 72-75
Laurent Bègue-Shankland
Professeur de psychologie sociale à l’université Grenoble-Alpes, membre de l’institut de France, il explique, par l’analyse du film Juré n° 2, de Clint Eastwood, les dilemmes moraux qui peuvent nous traverser.

p. 76-83
Jeanne-Laure de Peretti
Doctorante en neurobiologie à l’Institut de neurosciences de la Timone (INT), à Marseille, elle étudie les mécanismes cérébraux qui sous-tendent l’addiction à la cocaïne.

p. 84-87
Catherine Thevenot
Professeuse de psychologie du développement à l’université de Lausanne, ses travaux portent sur l’apprentissage des compétences mathématiques chez l’enfant, et le rôle positif que peut jouer le comptage sur les doigts.
ÉDITORIAL

SÉBASTIEN BOHLER
Rédacteur en chef
Uneintérieurefragilité
Nous avons tous nos failles.
Certains ont peur des araignées et des serpents.
D’autres, de prendre la parole en public.
D’autres encore ont des trous de mémoire, voire des diffcultés à trouver leurs mots au moment de la ménopause.
De nombreuses personnes ont du mal à dialoguer avec les individus d’opinions différentes, faute d’empathie.
Environ un quart ont des pulsions sadiques.
Une majorité feraient probablement condamner un innocent à sa place, plutôt que d’aller en prison pour un crime.
Mais Cerveau & Psycho a la solution. En page 18, vous apprendrez qu’une nouvelle forme de thérapie permet de soigner la peur des araignées. En page 24, que le théâtre apaise l’anxiété sociale. Dans notre dossier central vous seront proposés divers moyens de pallier les troubles cognitifs liés à la ménopause. En page 56, vous découvrirez comment la « norme sociale motivante » a le don de revigorer l’empathie pour éviter la polarisation de la vie sociale. En page 64, les pulsions sadiques… heu non, là il n’y a aucune solution. Et en page 72, vous pourrez raffermir votre sens moral en décryptant les messages cachés du dernier flm de Clint Eastwood.
J’ai oublié de vous dire : certaines personnes n’ont pas de failles. C’est le cas de Rafael Nadal, qui a gagné quatorze fois Roland-Garros grâce à un pouvoir de concentration hors norme, une humilité, une résilience et un appétit d’apprendre inaltérables. Notre chroniqueur Jean-Philippe Lachaux nous explique comment nous inspirer de cet exemple en page 88. Pour que chacun puisse surmonter ses failles… £
SOMMAIRE
N° 173 FÉVRIER 2025

p. 6-40



DÉCOUVERTES
p. 6 ACTUALITÉS
Six amours dans le cerveau : lequel est le plus fort ?
Booster son cerveau en montant les escaliers
Des souvenirs stockés… dans les astrocytes !
Trauma : quand la peur se généralise
L’image du mois : simple méduse ou neurones de la douleur ?
p. 14 FOCUS
Les maths favoriseraient
la « concentration profonde »
Parcouru par des ondes à basse fréquence, le cerveau est imperméable aux perturbations…
Hanna Poikonen
p. 18 PSYCHOLOGIE
Le traitement inconscient des phobies
Plus besoin de se confronter à l’objet de sa peur pour en guérir : les traitements subliminaux arrivent – et fonctionnent !
Simon Makin
p. 24 PSYCHOLOGIE
Quand le théâtre apaise l’anxiété sociale
Le théâtre d’improvisation serait un bon moyen de s’habituer au regard des autres pour surmonter ses angoisses.
Lisbeth Schröder
p. 30 NEUROSCIENCES
Guérir en dormant : les promesses de l’ingénierie du sommeil
Améliorer sa mémoire. Guérir d’une dépression. Se remettre d’un AVC : l’ingénierie du sommeil propose d’interagir avec votre cerveau pendant que vous dormez.
Ingrid Wickelgren
Ce numéro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho, broché en cahier intérieur, sur toute la di usion kiosque en France métropolitaine. Il comporte également un courrier de réabonnement, posé sur le magazine, sur une sélection d’abonnés. En couverture : © Sylvie Serprix
MÉNOPAUSE
CE QUI CHANGE DANS LE CERVEAU

p. 42 NEUROSCIENCES
MÉNOPAUSE : CE QUI
CHANGE DANS LE CERVEAU
Avec les fluctuations hormonales, les neurones changent de fonctionnement.
Ces modifications sont aujourd’hui mieux comprises, et se résorbent le plus souvent.
Esther Megbel
p. 49 SANTÉ « LA PÉRIMÉNOPAUSE, C’EST UN “BIG BANG CÉRÉBRAL” »
Bou ées de chaleur, sautes d’humeur et de concentration, envies subites de nourriture : comment réagir, avec quels traitements ?
Entretien avec Gabriel André






p. 56-75 p. 76-93 p. 94-97
ÉCLAIRAGES VIE QUOTIDIENNE
p. 56 PSYCHOLOGIE SOCIALE
Peut-on sauver l’empathie ?
On ne soignera pas la polarisation de la société sans raviver cette capacité cérébrale.
Elizabeth Svoboda
p. 64 L’ENVERS DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL

YVES-ALEXANDRE THALMANN
La part de sadisme en nous
L’être humain, profondément bon ? LOL.
p. 68 RAISON ET DÉRAISON
Le ministre qui ne croyait pas aux microbes
Le ministre de la Défense des États-Unis ne croit pas aux microbes, car il ne les voit pas. Est-il fou, ou… très intelligent ?
p. 72 CINÉMA
« Clint Eastwood nous soumet à un dilemme moral »
Son film Juré n° 2 repose sur un cas de conscience étudié en laboratoire. Entretien avec Laurent Bègue-Shankland
p. 76 ADDICTIONS
Ce que la cocaïne
fait à votre cerveau
Deuxième drogue illicite la plus consommée en France, la cocaïne détourne nos circuits cérébraux du plaisir.
Jeanne-Laure de Peretti
p. 84 DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT
Compter sur ses doigts : une stratégie payante !
Encourager les enfants à compter sur leurs doigts les fait progresser en arithmétique.
Catherine Thevenot
p. 88 L’ÉCOLE DES CERVEAUX

JEAN-PHILIPPE LACHAUX
Les leçons de Nadal pour réussir en classe
La carrière du champion de tennis espagnol livre quatre grands principes dont tout élève peut s’inspirer pour réussir.
p. 92 LA QUESTION DU MOIS
Le stress augmente-t-il le risque de cancer ?
Karen Steindorf et Patricia Blickle
LIVRES
p. 94 NEUROSCIENCES ET LITTÉRATURE

SEBASTIAN DIEGUEZ
« La Lucidité » : qu’est-ce qui cloche dans la démocratie ?
Il y a vingt ans, le roman de José Saramago préfigurait la crise que traversent aujourd’hui nos démocraties. En cause, un divorce profond entre le peuple et ses dirigeants.
p. 14 Focus p. 18
DÉCOUVERTES
Le traitement inconscient des phobies p. 24 Quand le théâtre apaise l’anxiété sociale p. 30 Guérir en dormant : les promesses de
Actualités
Par la rédaction
NEUROBIOLOGIE
Six amours dans le cerveau : lequel
Partenaire, enfant, meilleur ami, voisin, chat ou chien : les sentiments que l’on éprouve pour eux éveillent di érents niveaux d’activité dans le cerveau.
Qu’est-ce que l’amour ?
Di ère-t-il vraiment selon l’objet de notre a ection, que ce soit notre partenaire romantique, notre enfant, notre meilleur ami, notre chat… ou même la nature ? Si ce sentiment qui influence profondément nos vies est universel, il n’en est pas moins complexe. On sait déjà que lorsqu’on pense à une personne qu’on aime, plusieurs régions cérébrales s’activent et d’autres s’éteignent, formant une signature neuronale bien particulière visible en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Alors pourquoi ne pas aller voir comment les di érents types d’a ections « s’expriment » dans le cerveau ?
C’est ce qu’a fait l’équipe de Pärttyli Rinne, de l’université Aalto en Finlande : elle a observé par IRMf l’activité cérébrale de 55 adultes (dont 29 femmes), âgés de 28 à 53 ans, pendant qu’ils ressentaient différentes formes d’amour. Pour ce faire, les chercheurs ont raconté aux participants – tous en couple avec au moins un enfant – de courtes histoires relatant des situations banales. Certaines étaient neutres émotionnellement, d’autres devaient éveiller leur a ection pour un objet : partenaire romantique,

Toutes les formes d’amour provoquent l’activation (en rouge) et l’inhibition (en bleu) de plusieurs régions du cerveau. Sur cette image d’IRMf, on voit que c’est l’affection que l’on porte à son enfant qui serait la plus intense…
RETROUVEZ-NOUS SUR
est le plus fort ?
enfant, ami, étranger, animal de compagnie et nature. Par exemple, « vous êtes dans la buanderie avec votre partenaire, qui charge la machine à laver. Soudain, vous vous rappelez à quel point c’est une personne adorable. Vous ressentez de l’amour pour elle ». Ou bien : « Votre enfant court vers vous en souriant dans une prairie ensoleillée. Vous riez ensemble et les rayons du soleil illuminent son visage. Vous ressentez de l’amour pour lui. » Ensuite, les participants devaient repenser aux histoires entendues en se focalisant sur ce qu’ils ressentaient, pour permettre aux chercheurs de détecter leur activité cérébrale.
Résultat : l’activité neuronale et son intensité dépendent bien de l’objet de notre amour. Plus précisément, toutes les relations a ectives entre personnes recrutaient les mêmes zones dans la jonction temporopariétale et les structures médianes du cerveau – des régions impliquées dans la cognition sociale et dans la compréhension des pensées et des émotions des autres –, ainsi que le système cérébral de la récompense, associé au bien-être et à la motivation. Mais à des intensités très di érentes. C’est l’amour parental qui était le plus fort, activant profondément une région spécifique du système de la récompense, autour du striatum, quand les participants se plongeaient dans cet état émotionnel, ce qui n’était pas le cas des autres types d’affection. Toutefois, l’amour éprouvé pour le partenaire, en deuxième position, stimulait autant les régions de la cognition
sociale que celui que l’on porte à son enfant, et l’amour amical un peu moins, de même pour l’a ection envers une personne sans lien étroit, par exemple son voisin. En revanche, et sans surprise, l’amour pour la nature et les animaux sollicitait très peu la cognition sociale et mettait en jeu essentiellement le système cérébral de la récompense, mais à des intensités bien moindres que les sentiments d’a ection pour des personnes. À une exception près… En e et, au cours de l’expérience, les chercheurs ont fait une découverte surprenante : chez les propriétaires d’animaux de compagnie (environ la moitié des participants), les régions cérébrales de la cognition sociale s’activaient également, mais à un degré moindre que pour l’amour parental ou romantique. Il serait donc possible de distinguer les personnes qui ont un compagnon à quatre pattes de celles qui n’en ont pas, simplement en regardant leur activité cérébrale. Par ailleurs, ce résultat confirme que l’on peut presque autant s’attacher à son chat ou à son chien qu’à un être humain… Néanmoins, Pärttyli Rinne et ses collègues précisent que leurs conclusions ne sont pas forcément universelles, car l’amour n’est pas seulement biologique et possède également une composante culturelle. Ces signatures neuronales pourraient donc être di érentes dans d’autres parties du monde, en particulier pour l’a ection portée à nos amis à fourrure… £ Bénédicte Salthun-Lassalle
NEUROSCIENCES
Boostez votre cerveau en montant les escaliers !
A. Stenling et al., Journal of Cognitive Enhancement, 2024.

On ne cesse de nous le répéter : pour rester en forme, il faut bouger. Footing, vélo, natation, ce ne sont pas les recommandations qui manquent… Mais, pour cela, il faut du matériel, et du temps ! Alors, si une solution plus simple était de monter des escaliers ? En e et, des chercheurs de l’université d’Umeå, en Suède, viennent de montrer que cela a des e ets positifs sur le fonctionnement de votre cerveau.
Menée sur 52 jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans, cette recherche a testé les e ets de courtes séances de montées d’escalier sur la cognition et l’humeur. Chaque participant a réalisé deux sessions espacées d’une semaine, dans un ordre aléatoire. L’une consistait à gravir rapidement douze marches à six reprises – avec une minute de repos entre chaque montée. L’autre à rester assis, au repos, pendant cinq minutes. Puis, dans les deux cas, les participants étaient soumis à plusieurs exercices cognitifs, ainsi qu’à un questionnaire qui évaluait leur humeur.
Les résultats sont sans appel : immédiatement après l’e ort, les participants (hommes et femmes) avaient une meilleure flexibilité cognitive, alternant plus facilement des tâches di érentes, et ils se sentaient également plus énergiques et heureux qu’après une période de repos. Des e ets indépendants de leur niveau d’activité physique habituelle. Conclusion : pour vous rendre à un examen ou un entretien important, laissez de côté l’ascenseur et prenez l’escalier ! £
Albane Clavere

£ Pour soigner les phobies, on encourage souvent les patients à se confronter graduellement à l’objet de leur peur. Mais beaucoup angoissent trop et abandonnent.
£ La thérapie inconsciente consiste à exposer les patients à ce qui les e raie sans qu’ils le sachent, par exemple avec des images subliminales.
£ En remodelant les circuits inconscients de la peur, cette approche donne de bons résultats.
Vous êtes arachnophobe ? Agoraphobe ? Un nouveau traitement arrive, qui ne vous demandera même plus de vous confronter à l’objet de vos terreurs.
Le traitement inconscient des phobies U
n corps noir et velu, huit longues pattes… À cette seule description, certains ont déjà les poils qui se hérissent. Alors, imaginez si un psy vous propose d’affronter cette créature en visionnant des images d’araignées plus ou moins foutées, ou vous demande de vous en approcher… Pour une personne souffrant d’arachnophobie, on imagine l’angoisse !
Une telle approche est connue sous le nom de « thérapie d’exposition » : c’est en se confrontant progressivement à la source de la peur, et en constatant qu’aucune conséquence fâcheuse n’en résulte, qu’on désamorce le réfexe conditionné. Cette méthode est considérée comme une référence pour soigner les phobies et d’autres troubles associés à la peur (comme le trouble de stress post-traumatique, ou l’anxiété sociale). Son effcacité est avérée, à condition que le patient la
suive de son plein gré et arrive à s’y tenir. Car, lorsque tout se passe bien dans des situations que l’on redoute, nous fnissons par apprendre à ne plus être effrayé.
Effcace, peut-être, mais éprouvant ! De fait, le taux d’abandon chez les patients atteint près de 45 %, selon certaines études. « Les gens manquent plus souvent leur rendez-vous pour une thérapie d’exposition que celui du dentiste », affrme le psychologue Paul Siegel, qui donne des cours à l’université de Purchase, dans l’État de New York, aux États-Unis. L’idéal serait qu’ils puissent être confrontés à l’objet de leur terreur sans s’en rendre compte. Sans même en avoir conscience. Ils pourraient alors bénéfcier des avantages thérapeutiques tout en évitant les situations stressantes qu’ils redoutent tant.

Absurde ? Peut-être pas autant qu’il n’y paraît. Car une vaste synthèse des recherches sur les différentes approches de la thérapie d’exposition inconsciente a récemment conclu à la validité de cette méthode, étayée par de nombreuses preuves. À terme, ces nouvelles techniques pourraient améliorer le taux d’adhésion des patients. Avec de vastes implications pour le traitement de pathologies telles que le syndrome de stress post-traumatique ou l’anxiété sociale.
Cet article de synthèse, signé par Paul Siegel et le pédopsychiatre Bradley Peterson, de l’université de Californie du Sud, a compilé les résultats de 39 études ayant porté sur 10 techniques différentes d’exposition inconsciente ; 38 ont mis en évidence des effets positifs. Dans l’ensemble, l’approche semble donc remarquablement effcace. « Le paradigme de l’exposition inconsciente contredit ce qui est considéré comme un dogme sacré dans le comportementalisme cognitif et la psychologie clinique, explique le psychologue, à savoir que si les gens veulent surmonter leurs peurs, ils doivent les affronter en face-à-face. »
Les premiers travaux sur l’exposition inconsciente remontent à 1978. En ce temps-là, les scientifques montraient à des volontaires phobiques
un flm comportant des images subliminales de l’objet de leur peur, dans le but de réduire leur anxiété. Pour ce faire, ils avaient diminué la luminosité du flm et placé un fltre sur les images sensibles, de manière à les rendre moins visibles. Des patients souffrant d’agoraphobie – lorsqu’ils redoutent de se retrouver au milieu d’une foule, d’un espace ouvert ou public – disaient ainsi ne pas avoir vu les scènes de foules, comme un marché bondé ou un quai de métro, mais ressentaient malgré tout moins de stress lorsqu’ils étaient de nouveau exposés à la source de leur angoisse. Seul problème : l’approche expérimentale n’était pas très rigoureuse et des recherches ultérieures ont mis en place des protocoles mieux contrôlés pour vérifer notamment si les participants n’avaient pas conscience des stimuli.
LA THÉRAPIE « ULTRABRÈVE » DES PHOBIES
Les travaux de Paul Siegel, quant à eux, portent sur une exposition ultrabrève à un stimulus, qui exploite un phénomène perceptif appelé « masquage arrière ». De quoi s’agit-il ? Pour les arachnophobes, par exemple, une photo d’araignée va être présentée pendant un intervalle de temps extrêmement court, de quelques centièmes
Concernant les thérapies d’exposition ultrabrève, les résultats sont positifs : les participants éprouvent moins de crainte vis-à-vis des araignées et sont plus enclins à s’en approcher.
de seconde, puis sera immédiatement suivie d’une seconde image appelée « masque », sans aucun lien avec la première, ne suscitant aucune réaction de peur, et dont le temps d’affchage est beaucoup plus long (par exemple, une seconde). Cet enchaînement a pour conséquence que les spectateurs ne sont généralement pas conscients d’avoir visionné l’image de l’araignée. Mais celleci, comme l’ont démontré plusieurs études, fait quand même l’objet d’un traitement inconscient par le cerveau.
Au cours des quinze dernières années, Paul Siegel et ses collègues ont étudié cette thérapie d’exposition ultrabrève dans le cadre de sept essais randomisés, en double aveugle et contrôlés par placebo. Les participants étaient ainsi répartis aléatoirement entre différents groupes expérimentaux (notamment avec thérapie ou placebo), sans que les patients ni les chercheurs ne sachent quel groupe recevait quel traitement. Ce type de protocole dit « en double aveugle et placebo » est une méthode de référence pour évaluer l’impact d’une intervention en santé.
La plupart de ces études ont recruté des sujets présentant une arachnophobie suffsamment forte pour être considérée comme une phobie clinique. Puis, pour mesurer l’incidence de la thérapie, les participants ont été soumis à une épreuve de vérité, face à une araignée bien réelle, et les chercheurs évaluaient leur niveau de peur et d’anxiété en fonction de leur capacité à s’approcher au plus près de l’animal. « Dans mon laboratoire, on ne fait pas les choses à moitié, affrme Paul Siegel. Nous plaçons les sujets dans une pièce en présence d’une
tarentule vivante et observons jusqu’à quel point ils peuvent s’en approcher. » Ses collègues et lui ont alors constaté à plusieurs reprises que l’exposition ultrabrève permettait aux participants de se tenir bien plus près de la tarentule qu’auparavant, et ce en atténuant la peur qu’ils ressentaient en le faisant. Une évaluation de suivi a même montré que ces effets pouvaient durer un an après l’expérience.
CONTRÔLER SA PROPRE ACTIVITÉ
CÉRÉBRALE POUR SURMONTER SA PEUR Il y a d’autres façons encore plus astucieuses d’exposer les gens à leur peur sans qu’ils le sachent. Dernière technique en date, le neurofeedback décodé (DecNef) : on commence par montrer aux patients des images de ce qui leur fait peur et on enregistre l’activité de leur cerveau à ce moment-là. On identife ainsi des signatures cérébrales uniques liées à la peur de l’animal, une sorte de modèle de référence. « Nous utilisons l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle pour identifer les schémas d’activité cérébrale associés à la perception de certains animaux, tels que les araignées et les serpents – en exposant les sujets à des images de l’animal en question », explique Hakwan Lau, psychologue à l’Institut des sciences fondamentales en Corée du Sud, qui a dirigé l’équipe ayant mis au point le DecNef. Puis, on retire l’image de l’animal, et on demande aux patients de reproduire cette signature cérébrale. Dans le scanner, les participants reçoivent un retour visuel des réactions de leur cerveau et sont récompensés lorsqu’ils réussissent à les faire correspondre au plus proche du modèle cible. « Nous entraînons les gens à activer cette représentation dans leur cerveau au cours de cinq séances », décrit Vincent Taschereau-Dumouchel, neuroscientifque à l’université de Montréal, et responsable de plusieurs études sur le DecNef. Selon lui, ce processus vise à produire une sorte d’exposition inconsciente puisque les gens réactivent l’état de leur cerveau habituellement suscité par la vue d’une image effrayante, mais sans voir l’image en question.
Après cette phase d’entraînement, les participants sont de nouveau confrontés à ce qui les effraie. Les chercheurs mesurent alors la conductance de leur peau, qui est un indicateur physiologique de la peur. Plus cette conductance est élevée, plus la peau est humide (transpiration), ce qui indique un niveau d’angoisse élevé chez le participant. Les scientifques évaluent également l’activité de leur amygdale – le principal centre des émotions dans le cerveau –, qui lorsqu’elle est importante indique une réponse
LE TRAITEMENT INCONSCIENT DES PHOBIES
émotionnelle forte. Résultats : ces marqueurs biologiques ont diminué, suggérant que cette approche est effcace.
Autre moyen de contourner la conscience : exposer le patient à l’objet de sa phobie… pendant son sommeil. Évidemment, cela ne peut pas passer par des images, alors on utilise des sons ou des odeurs. Ou, en phase éveillée, on lui montre, comme dans le cas de la thérapie de l’arachnophobie sans araignée, des objets du quotidien qui évoquent un arachnide, comme un trépied photographique qui rappelle les pattes de l’animal.
AGIR SUR LES CENTRES INCONSCIENTS DE LA PEUR
Les résultats sont si puissants qu’ils posent une question : que se passe-t-il dans le cerveau lorsqu’il est exposé, de manière inconsciente, à des stimuli effrayants ? Plusieurs études, mentionnées dans la revue de Paul Siegel, se sont intéressées à cette question dans le cadre des thérapies d’exposition ultrabrève. Elles révèlent que les circuits et régions du cerveau impliqués dans la régulation des émotions se déclenchent au moment où les images subliminales sont projetées. C’est notamment le cas de l’amygdale, où les souvenirs inconscients de la peur sont supposés être stockés. Mais lorsque les patients sont à nouveau confrontés à l’objet de leur effroi, l’activité de l’amygdale est au contraire réduite.
Le cerveau comprend deux circuits pour le traitement de la peur : un système conscient et cognitif qui stocke des connaissances et des croyances explicites sur ce qui effraie, et un système hors de la portée de la conscience, qui déclenche des réponses automatiques et physiologiques très rapides. Quand une personne est exposée de manière inconsciente à l’objet de sa phobie, le circuit inconscient est mobilisé, modifant ainsi les souvenirs associés à la peur stockés dans l’amygdale. On suppose que ce système inconscient interagit alors avec le système conscient, mais reste à savoir comment…
Cette distinction a son importance, notamment quand on veut employer l’approche DecNef. Car dans ce cas, on observe bien une atténuation de certaines réponses physiologiques à la suite du traitement, mais pas de vraie amélioration de la phobie elle-même. « Étant donné que la procédure est non consciente, elle n’affecte que les réactions qui ne le sont pas, et non la peur consciente ellemême, explique Hakwan Lau. Mais nous espérons qu’en perfectionnant les approches l’effet sera suffsamment important pour infuer également sur celle-ci. » En ce qui concerne les
Avec une technique appelée
« neurofeedback décodé », on propose aux patients de produire eux-mêmes l’activité de leur cerveau qui engendre la peur, mais sans qu’ils soient exposés au véritable objet de leur e roi. Ils peuvent ainsi apprivoiser ce sentiment plus facilement.
thérapies d’exposition ultrabrève, les résultats sont positifs : les participants éprouvaient moins de crainte vis-à-vis des araignées et étaient plus enclins à s’en approcher, suggérant qu’altérer les réponses automatiques et inconscientes peut faciliter les changements conscients.
Cette approche – à condition qu’elle soit mise en œuvre de manière optimale – pourrait ainsi servir de complément aux thérapies d’exposition traditionnelles. « Cette technique a le pouvoir d’atténuer le stress des patients phobiques, explique Paul Siegel. J’ai remarqué qu’elle réduisait souvent les craintes d’une personne, suffsamment pour que celle-ci soit capable de s’engager plus facilement dans une thérapie d’exposition classique. Et, sur le plan clinique, c’est vraiment l’objectif. »
Des résultats qui pourraient avoir une portée bien plus large que la seule phobie des araignées. « À notre connaissance, les mécanismes cérébraux de la peur sont similaires, qu’il s’agisse de celle du vide, de parler en public, de la vue du sang, du fait d’interagir avec des inconnus ou de voir resurgir des souvenirs traumatiques, explique le professeur Siegel. Actuellement, nous soumettons à des expositions ultrabrèves de jeunes adultes atteints de troubles d’anxiété sociale, et d’anciens combattants de guerre en Irak et en Afghanistan qui souffrent de traumatismes lourds. » £
Bibliographie
C. Yujuan et al., Treatment of specific phobia in adults, Clinical Psychology Review, 2007
P. Siegel et B. S. Peterson, « All we have to fear is fear itself » : Paradigms for reducing fear by preventing awareness of it, Psychological Bulletin, 2024.
J. E. LeDoux et D. S. Pine, Using neuroscience to help understand fear and anxiety : A two-system framework, American Journal of Psychiatry, 2016.
SOMMAIRE
p. 42
Ménopause : ce qui change dans le cerveau
p. 49 Interview
« La périménopause est un “big bang cérébral” »
LE CERVEAU MÉNOPAUSE CE QUI CHANGE DANS
Une humeur plus friable, des bouffées de chaleur… les signes les plus fréquents de la ménopause sont connus depuis longtemps. Mais les autres, ceux qui concernent la cognition ? Baisses de mémoire et de concentration, di culté à trouver ses mots, sensation de « brouillard cérébral » qui enveloppe les pensées : de tels symptômes peuvent aussi se présenter et compliquer la vie à celles qui en sou rent.
Ces modifications sont dues aux changements hormonaux qui accompagnent la ménopause, et qui a ectent le fonctionnement des neurones. Il est alors essentiel de bien comprendre ces remaniements de notre cerveau pour s’adapter, communiquer e cacement avec son entourage… et savoir qu’avec le temps ils vont finir par se résorber. Autre point essentiel : détecter les signes avant-coureurs pour envisager les traitements les plus e caces et les moins risqués. Sur ce plan, de nombreuses incompréhensions subsistent : notre dossier s’attache à faire la lumière sur ces questions pour mieux vous guider.
Sébastien Bohler
MÉNOPAUSE
CE QUI CHANGE DANS LE CERVEAU

Bou ées de chaleur, troubles du sommeil, pertes de concentration, de mémoire, sensation d’être dans un brouillard… Avec les fluctuations hormonales, les neurones changent de fonctionnement. Ces modifications sont de mieux en mieux comprises, et se résorbent le plus souvent à l’issue de cette période.
Par Esther Megbel, médecin et journaliste scientifique.
Pour certaines femmes, la ménopause se passe sans di culté. Mais ce n’est pas la majorité. Selon des études, environ 80 % d’entre elles disent avoir des bouffées de chaleur, 70 % souffrir d’humeur dépressive, de troubles du sommeil, voire de problèmes de mémoire. Des symptômes qui persistent parfois pendant des années, même une fois cette étape derrière elles.
La ménopause représente un changement profond au niveau corporel. D’abord, c’est le moment où il devient impossible de tomber enceinte de manière naturelle – et cela se passe généralement entre 40 et 55 ans. On parle de « périménopause » pour désigner une période qui commence quelques années avant les dernières règles et qui s’achève un an après. Durant cette phase, qui dure en moyenne cinq ans, les cycles menstruels sont irréguliers et parfois absents. Puis, c’est l’entrée dans la postménopause, qui ne marque pas seulement la fn de la capacité de reproduction, mais correspond aussi à une période de bouleversement neurobiologique, selon la neuroscientifque Roberta Brinton, de l’université américaine de l’Arizona. Dans une de ses métaanalyses sur la question,
EN BREF
£ Entre 40 et 55 ans, les taux d’hormones sexuelles féminines comme les œstrogènes ou la progestérone chutent.
£ Ces fluctuations modifient le métabolisme des neurones, qui cherchent à trouver leur énergie dans les structures lipidiques qui les entourent.
£ Résultat : le traitement de l’information dans le cerveau est altéré, le volume de matière grise diminue, pouvant causer pertes de mémoire et de concentration, troubles du sommeil et humeur dépressive.
£ Ces problèmes se résorbent le plus souvent à l’issue de la ménopause. Pour bien traverser cette période, rester attentive à ces signaux est crucial pour choisir la meilleure prise en charge.
MÉNOPAUSE : CE QUI CHANGE DANS LE CERVEAU
elle écrit : « Tous ces symptômes ont un point commun : ils partent du cerveau. »
LE CERVEAU, UN ACTEUR CENTRAL DE LA MÉNOPAUSE
L’hormone sexuelle féminine, l’œstrogène, joue un rôle clé dans ce phénomène naturel. Elle est principalement produite par les ovaires et contrôle, avec d’autres substances messagères, le cycle menstruel. En outre, elle contribue à divers processus dans le cerveau. On trouve ainsi des récepteurs des œstrogènes au sein de nombreuses régions cérébrales, par exemple dans l’hippocampe, responsable des mécanismes d’apprentissage et de mémoire, ou dans l’amygdale, cruciale pour la mémoire émotionnelle. Ils sont particulièrement nombreux dans l’hypothalamus, qui régule entre autres la température corporelle et le rythme des alternances de la veille et du sommeil. C’est de là que partent les fameuses bouffées de chaleur.
L’hormone œstrogène a un impact profond sur le fonctionnement des neurones. Elle joue notamment un rôle sur l’activité des mitochondries, les minuscules centrales électriques des cellules. En menant des expériences sur des femelles souris, l’équipe de Roberta Brinton a démontré que cette hormone incite les cellules cérébrales à absorber davantage de molécules de sucre et à les brûler pour produire de l’énergie. La neuroscientifque explique qu’environ 20 à 25 % du métabolisme du glucose dans le cerveau sont dus à ce seul processus. C’est pourquoi elle qualife l’œstrogène de régulateur principal qui infuence de nombreux systèmes de l’organe de manière complexe.
Que se passe-t-il au moment de la ménopause ? La plupart des femmes ont alors des cycles irréguliers. De sorte que le taux d’œstrogènes varie fortement et, à long terme, il ne cesse de diminuer. Cela se répercute sur le métabolisme cellulaire, qui doit donc se recalibrer. C’est surtout pendant la phase de transition que des goulots d’étranglement se produisent parfois. « Le cerveau envoie ainsi le message “je meurs de faim” », développe Roberta Brinton. Si les mitochondries n’absorbent plus assez de sucre, l’énergie vient à manquer. Pour éviter cela, le cerveau a recours à une ration d’urgence : les corps cétoniques. En cas de manque de sucre, l’organisme peut fabriquer ces sources d’énergie à partir de graisses. Pour ce faire, les neurones affamés se servent entre autres de la substance blanche qui les enveloppe, riche en graisses. Mais cette substance est très importante pour les neurones : en formant une gaine isolante autour d’eux, elle améliore leur capacité à transmettre des signaux électriques à leurs voisins. D’où le danger qu’il

y a à la consommer ! « Le cerveau doit régénérer cette substance blanche au fur et à mesure qu’il la dégrade », détaille la neuroscientifque. Un processus de dégradation et de reconstruction qui revient cher en matière d’énergie et qui va entraîner un certain nombre de problèmes…
UN IMPACT SUR LA MATIÈRE GRISE ET SUR LA MATIÈRE
BLANCHE
En 2021, une équipe de chercheurs dirigée par Roberta Brinton et Lisa Mosconi, de l’université Cornell, s’est intéressée aux modifcations que subit le cerveau au cours de ce processus. Pour cela, ils ont étudié 161 femmes âgées de 40 à 65 ans. Parmi elles, 57 étaient en périménopause, 74 en postménopause, et 30 n’y étaient pas encore entrées. Toutes ont subi à la fois des examens d’imagerie et des tests psychologiques. Les résultats des scanners cérébraux ont alors révélé que la périménopause réduisait le volume du cerveau, et altérait en outre les connexions entre les différentes régions cérébrales. Ainsi, chez les femmes en période de ménopause, la substance grise (composée des parties centrales des neurones) de l’hippocampe, de l’amygdale et du thalamus avait diminué de volume, de même que la substance blanche mentionnée plus haut.
Avec la chute des œstrogènes, le cerveau a « faim ». Il va chercher son énergie en digérant les graisses présentes dans la gaine de myéline qui entoure les neurones (bourrelets ci-dessus). Forcément, l’information nerveuse est perturbée.

Le cerveau digère la myéline de ses propres neurones pour
se fournir en énergie. Or ces
graisses neuronales
sont essentielles pour véhiculer l’influx nerveux.
Qu’a-t-on mesuré d’autre ? Les spécialistes ont analysé les modifcations du métabolisme cérébral. Ils ont ainsi constaté que lors de la périménopause, le cerveau métabolise moins de sucre et produit aussi moins d’énergie, ce qui s’accompagne d’une baisse des performances intellectuelles. En 2013, des chercheuses dirigées par Miriam Weber, de l’université de Rochester, aux États-Unis, en ont détaillé les manifestations. Elles ont fait passer à un échantillon de 117 femmes d’âge moyen plusieurs tests psychologiques qui évaluaient entre autres les capacités d’attention et de mémoire. Sur ces 117 participantes, 69 étaient en périménopause et 14 se trouvaient dans la première année suivant cette phase. Celles qui ont obtenu les plus mauvais résultats étaient en début de périménopause, et avaient eu leurs dernières règles moins d’un an plus tôt. Les pertes cognitives affectaient principalement les capacités d’attention, de motricité, de mémoire de travail et de langage.
Autant de signes qui font penser à un phénomène appelé « brouillard cérébral ». Par ce terme on désigne un ensemble de limitations neurocognitives qui frappent de nombreux patients atteints du syndrome du Covid long ou de fatigue chronique. Dans son cabinet, Petra
Stute a rencontré à plusieurs reprises des femmes qui connaissaient ce brouillard cérébral depuis qu’elles étaient entrées en ménopause. Médecin-chef en endocrinologie gynécologique et médecine de reproduction, elle dirige le centre de ménopause de la clinique universitaire de gynécologie de Berne, en Suisse. Elle confe : « De nombreuses femmes expliquent que parfois, en entrant dans une pièce, elles ne savent plus pourquoi elles y sont venues. » Elles oublient des mots, des chiffres, des noms… Une telle détérioration des performances cognitives ne serait toutefois objectivement mesurable que chez 11 à 13 % des personnes. « La plupart d’entre elles seraient encore mentalement aptes si on les testait », ajoute Petra Stute. En effet, avant la ménopause, les femmes obtiennent en moyenne de meilleurs résultats aux tests de mémoire que les hommes.
Bien que de telles baisses soient parfois importantes et invalidantes, elles s’atténuent le plus souvent avec le temps et disparaissent d’ellesmêmes à la fn de la ménopause. C’est ce qu’ont observé Roberta Brinton et Lisa Mosconi à travers leur étude : chez les femmes en postménopause, la matière grise a généralement augmenté à nouveau. En outre, les neurones se remettent à produire davantage d’énergie, peut-être plus à partir d’autres sources que le glucose. Parallèlement, la forme mentale des sujets s’améliore.
POURQUOI MON HUMEUR FLUCTUE ?
Les facultés mentales ne sont pas les seules affectées. L’humeur l’est aussi. Et ce avant même le début de la ménopause, puisqu’il existe déjà des phases au cours desquelles l’équilibre hormonal se modife, favorisant ainsi les humeurs dépressives. Après une grossesse, par exemple, le taux d’œstrogènes diminue rapidement et certaines mères développent une dépression post-partum. Pour un certain nombre de femmes menstruées, les variations hormonales cycliques riment avec fuctuations de l’humeur. Chaque mois avant leurs règles, elles luttent contre des moments d’irritabilité, d’anxiété, d’abattement, de perte de concentration, voire de désespoir. On parle alors de « trouble dysphorique prémenstruel ».
Vient ensuite la ménopause, où le changement hormonal est de taille. Le risque de dépression est multiplié par un facteur allant de 1,5 à 3 par rapport à la période antérieure. On pense que les hormones sexuelles jouent ici aussi un rôle central. Une baisse du taux d’œstrogènes pourrait directement entraîner une humeur dépressive, d’après Petra Stute. Car cette hormone infuence en effet la chimie du cerveau, notamment les
MÉNOPAUSE : CE QUI CHANGE DANS LE CERVEAU
taux d’un neurotransmetteur, la sérotonine. Elle retarde sa réabsorption par les neurones après qu’il a été libéré, de sorte qu’il reste plus longtemps sur son lieu d’action. Les antidépresseurs du groupe des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine opèrent de la même manière… Les œstrogènes ralentissent aussi la dégradation de la sérotonine en inhibant l’enzyme qui en est responsable. Avec la baisse du taux d’œstrogènes, les cellules nerveuses pourraient donc avoir moins de sérotonine à disposition, avec les conséquences que cela implique pour l’humeur. Ce qui pose une question : les femmes déjà sensibles aux variations d’œstrogènes avant la
Les œstrogènes ont des e ets comparables aux antidépresseurs : quand ils chutent, l’humeur
tend à se dégrader.
Dès le début de la périménopause, quelques années avant la fin des règles, les concentrations en hormones sexuelles chutent. Cela aura divers e ets sur le fonctionnement cognitif, heureusement réversibles.
Période fertile
ménopause risquent-elles davantage de souffrir de dépression périménopausale ?
DÉJÀ AVANT, DES RÈGLES DIFFICILES
Pour le savoir, la neuroscientifque Jennifer Gordon et ses collègues de l’université de Regina, au Canada, ont mené une expérience en 2020 auprès de 101 participantes en périménopause. Toutes les semaines, pendant trois mois, les chercheurs ont mesuré la teneur en produits de dégradation des œstrogènes dans l’urine de ces femmes. Celles-ci devaient également indiquer si elles avaient connu des symptômes dépressifs au cours de cette période, comme une tristesse ou une humeur sombre. Et ces entretiens se sont poursuivis pendant neuf mois supplémentaires, pour savoir si des troubles étaient apparus entretemps, ou même si une dépression avait été diagnostiquée.
Résultat ? Les femmes ont connu des baisses d’humeur plus fréquentes et plus intenses lorsqu’elles réagissaient déjà aux fuctuations des taux d’œstrogènes avant la ménopause. C’est au début de la période qu’elles semblaient les plus affectées.
Il serait néanmoins simplifcateur de penser que le manque d’œstrogènes est l’unique coupable. En réalité, seulement 7 % des participantes se sont senties déprimées après que leur taux d’hormones est descendu à des valeurs inférieures à la normale. Pour 12 % d’entre elles, c’était le contraire : les troubles se manifestaient quand ce taux dépassait les valeurs habituelles. Et pour 20 % des participantes, les symptômes se déclaraient quand il décrivait des cas d’écarts extrêmes, dans un sens puis dans un autre. Pour
Périménopause Ménopause
savoir s’il existe des sous-types de troubles ménoposaux correspondant à telle ou telle variation des concentrations d’hormones, de plus amples recherches seront nécessaires.
Une autre question reste ouverte : les variations d’œstrogènes déclenchent-elles des troubles dépressifs de manière indirecte, par exemple en déséquilibrant la réponse physiologique au stress ? Cette réponse repose sur l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, encore appelé « axe HPA », qui se traduit par la libération de l’hormone cortisol. Mais dans un article publié en 2021, aucune modifcation de cet axe de stress n’a été observée chez les femmes souffrant de dépression à la ménopause. Cet aspect de la question reste donc sujet à débat.
CE QUI SE PASSE AVEC LE SOMMEIL
« Les bouffées de chaleur, quant à elles, sont plutôt liées à des troubles du sommeil », note Petra Stute. Même chose pour l’anxiété : « De nombreuses femmes ont brusquement des symptômes anxieux qu’elles ne connaissent pas du tout auparavant. » Ceux-ci seraient à leur tour favorisés par des problèmes de sommeil, des bouffées de chaleur, une chute des œstrogènes, mais aussi d’une autre hormone sexuelle – la progestérone. « Lorsque ses taux diminuent, certaines femmes ressentent une forme d’agitation intérieure et ont l’impression de ne dormir que superfciellement », ajoute-t-elle.
Les troubles du sommeil sont effectivement fréquents durant la périménopause : 40 à 60 % des femmes en souffrent au moins temporairement durant cette période. De telles perturbations pourraient être dues à la chute des hormones sexuelles œstrogène et progestérone. Selon certaines études, la durée du sommeil profond augmente globalement pendant la ménopause, sans forcément entraîner une plus grande
L’œstardiol (à gauche) est la principale hormone œstrogène dont le taux chute à partir de la périménopause. La progestérone (à droite) est une hormone stéroïdienne dont la concentration varie au cours du cycle ovarien, et qui est souvent combinée à l’œstradiol dans les traitements de substitution hormonale.
récupération. En fait, le contraire pourrait bien se produire, à savoir que les personnes concernées dormiraient moins bien et auraient besoin de plus de repos pour compenser !
Le problème est que, durant la nuit, le cerveau consolide de nouveaux souvenirs que nous avons acquis pendant la journée, un processus infuencé en partie par les œstrogènes. Tant la baisse du taux d’œstrogènes que les troubles du sommeil perturberaient donc les capacités de mémorisation. En cas de durée de sommeil insuffsante – typiquement, moins de six heures par nuit –, le risque de développer une démence au fl des ans augmente. La périménopause est une période de vulnérabilité à des maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer, car on a constaté que le peptide bêta-amyloïde, responsable de la formation de plaques d’amyloïde dans le cerveau des malades, s’accumule davantage dans le cerveau durant cette période.
QUESTION DÉLICATE : POUR OU CONTRE L’HORMONOTHÉRAPIE ?
Alors, quelles options s’offrent aux femmes pour qui la ménopause est une épreuve trop lourde à porter ? Certains symptômes peuvent être atténués par des préparations à base de plantes. Les extraits d’actée à grappes (que l’on trouve commercialisée sous forme de granules) peuvent par exemple aider à lutter contre les bouffées de chaleur, observe Petra Stute. En cas d’états dépressifs et de crises d’angoisse, la psychothérapie, les antidépresseurs ou l’hypnose donnent parfois de bons résultats. À la fois selon elle et selon Roberta Brinton, la stratégie de traitement la plus effcace à ce jour est toutefois une thérapie de substitution hormonale, qui consiste généralement en une combinaison d’œstrogènes et de progestérone. Elle réduit les bouffées de chaleur et peut en outre améliorer le sommeil et
MÉNOPAUSE : CE QUI CHANGE DANS LE CERVEAU
l’humeur. Un autre bonus : selon plusieurs études référencées, ce traitement réduirait à long terme le risque de diabète, protégerait contre les fractures et les maladies cardiovasculaires.
Mais comme pour tout médicament, il existe des effets indésirables. Une partie des utilisatrices développent temporairement des cycles irréguliers, des maux de tête et font de la rétention d’eau. Sur une plus longue période, des études ont montré que le risque de caillots sanguins, d’accidents vasculaires cérébraux et de cancer du sein augmente. Depuis que ce lien a été établi en 2002, cette menace constitue, selon Petra Stute, la principale raison pour laquelle le traitement hormonal de substitution est aujourd’hui relativement peu adopté.
De fait, de tels résultats ont déstabilisé de nombreuses patientes, mais aussi des médecins. Mais si l’on regarde de plus près les données de l’étude, on trouve deux points critiques : d’une part, l’équipe de recherche n’a observé l’augmentation qu’après plus de cinq ans d’hormonothérapie. D’autre part, elle n’a testé que des femmes déjà ménopausées. Si on calcule l’effet sur le risque absolu de maladie, cela relativise encore le danger : ainsi, 14 femmes sur 1 000 entre 50 et 59 ans ont eu un cancer du sein en l’espace de cinq ans quand elles n’avaient pas reçu de traitement hormonal de substitution, contre 17 sur 1 000 si elles en avaient suivi un. Dans les faits, le risque de cancer du sein est donc certes plus élevé, mais pas dans une mesure qui l’emporterait sur tout bénéfce d’une thérapie de substitution. C’est pourquoi, comme le prévoient les directives de traitement, Petra Stute continue de le recommander pour les femmes souffrant de troubles de la ménopause, à condition qu’elles soient d’accord et informées des risques.
Dans tous les cas, Roberta Brinton cherche avec son équipe des médicaments qui pourraient soulager les troubles sans augmenter la possibilité d’un cancer du sein. Parmi ces molécules candidates, un groupe de substances actives dans le cerveau. On parle de Phyto-SERM (ou phytoestrogènes), qui sont d’origine végétale. Leur structure chimique similaire à celle des œstrogènes est capable de se lier aux récepteurs de ces derniers et de modifer leur fonctionnement. Selon la neuroscientifque, les résultats de deux études cliniques précoces sont prometteurs. Son équipe veut maintenant tester l’effcacité des Phyto-SERM contre les bouffées de chaleur et les troubles du sommeil. Parallèlement, elle travaille avec Lisa Mosconi pour déterminer, par des méthodes d’imagerie, s’ils stimulent le métabolisme du glucose dans le cerveau comme le font les œstrogènes.
Après la ménopause, la matière grise retrouve en général son volume initial. Les neurones recommencent à produire davantage d’énergie, et la forme mentale s’améliore.
À côté des phytoestrogènes, un nouveau médicament appelé Fezolinetant a déjà été autorisé aux États-Unis. Il agit sur l’hypothalamus et atténue les bouffées de chaleur. Petra Stute a participé à plusieurs études qui ont examiné son effcacité. Sans qu’il soit clairement établi s’il aide également à lutter contre les symptômes dépressifs ou les troubles du sommeil, il semble globalement avoir des effets plutôt positifs sur ce dernier, explique la médecin. Mais il faudra élargir la taille des échantillons testés pour tirer des conclusions défnitives.
DES TRAITEMENTS QUI AGISSENT
DANS LE CERVEAU
Restent d’autres substances prometteuses. Notamment, celles qui stimulent les neurones à GABA du cerveau, comme le font les œstrogènes. En théorie, ils pourraient se révéler une approche thérapeutique effcace. Mais jusqu’à présent, ces substances n’ont été testées que chez les femmes atteintes de trouble dysphorique prémenstruel. Il faudra peut-être encore des années avant que d’autres solutions de rechange aux préparations hormonales ne soient commercialisées – dans le meilleur des cas, celles qui ont montré leur effcacité dans des études cliniques, et pas seulement pour les bouffées de chaleur. Roberta Brinton veut donc encourager les femmes concernées à ne pas attendre les nouveaux médicaments. Il est préférable de chercher rapidement de l’aide en cas d’inconfort persistant : « Réagir face aux troubles de la ménopause, c’est préserver la santé de votre cerveau », prévient-elle. Petra Stute conseille également les femmes sur les possibilités qui s’offrent à elles. Elle souligne que la décision d’accepter ou de refuser un traitement hormonal de substitution à long terme ne doit pas être prise dans l’urgence. « Et elle n’engage pas pour toujours », ajoute-t-elle. On peut prendre le traitement pendant quelques mois, avant de l’arrêter. En la matière, l’adaptation et la souplesse semblent les meilleurs atouts… £
Bibliographie
J. L. Gordon et al., Mood sensitivity to estradiol predicts depressive symptoms in the menopause transition, Psychological Medicine, 2020. S. Lederman et al., Fezolinetant for treatment of moderateto-severe vasomotor symptoms associated with menopause (SKYLIGHT 1) : A phase 3 randomised controlled study, The Lancet, 2023 L. Mosconi et al., Menopause impacts human brain structure, connectivity, energy metabolism, and amyloid-beta deposition, Scientifc Reports, 2021. B. Sander et J. L. Gordon, Premenstrual mood symptoms in the perimenopause, Current Psychiatry Reports, 2021










VIE QUOTIDIENNE

JEAN-PHILIPPE
LACHAUX
Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.
Les leçons de Nadal pour réussir en classe
Comment a-t-il fait pour remporter quatorze fois Roland-Garros ? En regardant sa carrière, on constate que le champion espagnol a appliqué quatre commandements, dont chacun peut s’inspirer dans sa progression – quel que soit son domaine.
Rafael Nadal se bat sur chaque point, c’est sa marque de fabrique. Cela peut paraître une évidence lorsqu’on joue pour des centaines de milliers de dollars à chaque match, mais ce n’est pas la règle dans le sport de haut niveau, loin de là. Les athlètes ont plutôt tendance à réserver leur niveau de concentration maximal pour les moments les plus importants, en s’économisant le reste du temps pour se laisser des ressources disponibles. Rafa nous apprend qu’on peut jouer un match de 5 h 53 à très haute intensité (la fnale de l’open d’Australie 2012 contre Novak Djokovic) en cherchant à être tout le temps concentré, sur chaque frappe de balle. La nécessité d’économiser sa concentration est donc un mythe, sans doute lié à une mauvaise façon de la mobiliser et au manque d’habitude de le faire. L’une des particularités de
l’Espagnol est de se concentrer à l’entraînement autant qu’en match, ce qui le différencie de la plupart des autres joueurs professionnels (comme le joueur américain ultratalentueux John McEnroe, qui compte quinze victoires en grand chelem de moins que Nadal).
CONCENTRÉ TU RESTERAS
J’ai parlé dans de précédentes chroniques des pratiques attentionnelles, qui se développent à force de se focaliser sur les mêmes cibles dans le même contexte (regardez la fxité du regard de Rafa sur la balle juste avant la frappe) : il est probable que cette habitude de convoquer sa concentration tout le temps dès le plus jeune âge, en plaçant son attention sur les bonnes cibles, lui a permis d’apprendre à la maintenir effcacement et longtemps. Voici donc mon message pour les élèves : intéressez-vous
à votre attention, et apprenez à la fxer de façon effcace quand vous travaillez, que ce soit en classe, pendant vos devoirs ou les examens. Ne craignez pas de brûler vos ressources et appliquezvous plutôt à comprendre ce qui est cause de fatigue, pour progressivement développer une concentration longue et presque sans effort. Vous disposerez alors de précieux repères auxquels vous accrocher – avec votre attention –quand il faut continuer à être effcace malgré la fatigue.
L’INCONFORT TU NE
CRAINDRAS
PAS Nadal est également connu pour sa résilience hors norme face à la douleur. Sa capacité à poursuivre une activité malgré un coût immédiat important est exceptionnelle. C’est un cas d’école pour les neuroéconomistes, pour qui la motivation d’un individu est le résultat d’un

calcul par le cerveau entre ce qu’une activité rapporte (le bénéfce) et ce qu’elle coûte (sur le plan des ressources). Nadal a souvent été blessé et il est donc passé plusieurs fois par de longues phases de rééducation qui le contraignaient à s’entraîner dans la douleur sans aucun bénéfce immédiat.
Ce comportement n’est atteignable qu’en donnant un poids élevé à un bénéfce à long terme et à probabilité incertaine (d’éventuelles victoires plus tard) et un poids faible à la douleur ressentie dans l’instant (manifeste et immédiate). C’est l’une des choses les plus diffciles à accomplir pour le système motivationnel d’un être humain, surtout quand il est jeune. Pour un élève, cela consisterait à parvenir à visualiser très clairement et concrètement ce que pourront lui apporter plus tard ses efforts du moment (ce qui est d’autant plus facile qu’on a un projet clair) et à savoir relativiser l’inconfort de l’instant, au moment du travail.
Combien d’élèves ont du mal à se mettre à leurs devoirs parce qu’ils ressentent à l’avance un sentiment de fatigue, voire d’étouffement, surtout s’ils doivent éteindre leur portable ? Notablement, le cortex insulaire, et plus particulièrement sa partie antérieure, ramène dans le présent des sensations corporelles désagréables anticipées pour nous dissuader de nous engager dans des activités associées par le passé à du déplaisir. Le message de Rafa est qu’il est possible d’observer ces sensations imaginaires sans les laisser nous déstabiliser et nous décourager : les observer calmement, et se mettre tranquillement au travail malgré elles. Mais cela ne veut pas dire prôner le masochisme, loin de là. Tout en acceptant la souffrance, il a consacré l’essentiel des entraînements de la deuxième moitié de sa carrière à la quête d’une technique moins éprouvante pour son corps, et donc d’une plus grande effcacité avec moins de souffrance. Une autre piste
pour les élèves : rechercher l’effcacité et la facilité.
HUMBLE TU DEMEURERAS
L’humilité de Nadal est légendaire, et en complet décalage avec son statut de légende de son sport. Après lui, plus aucun jeune ne pourra se vanter de ses premiers succès sans avoir l’air totalement ridicule. Mais cette humilité ne s’accompagne d’aucune forme de dépréciation de lui-même. Je me souviens que, après avoir perdu pour la sixième fois de suite contre Novak Djokovic en 2012, il avait déclaré : « J’ai maintenant un objectif clair [le battre] ». Du point de vue des neurosciences cognitives, cette citation révèle que Nadal ne se laisse pas enfermer dans un modèle de lui-même. Le modèle de soi-même, c’est une représentation cérébrale qui nous informe, entre autres, sur nos chances de succès quand nous tentons d’atteindre un but (vous savez que vous ne pouvez pas franchir d’un bond une rivière de 5 mètres
LES LEÇONS DE NADAL POUR RÉUSSIR EN CLASSE
Nadal montre que la nécessité d’économiser sa concentration est probablement un mythe lié à une mauvaise façon de la mobiliser et au manque d’habitude de le faire.
de large, donc vous n’essayez pas). Cependant, ce modèle de soi, qui nous renseigne également sur notre niveau en maths ou en tennis, ne doit pas être envisagé comme une représentation stable et fxe de nous-mêmes : ce n’est pas parce que nous ne sommes pas bons en maths aujourd’hui que nous serons nuls tout le reste de notre vie. Nadal était moins fort que Djokovic à cette époque, mais pas forcément pour toujours : l’Espagnol ne s’est donc pas identifé à un modèle fxe de lui-même, et c’est un message important pour tous les élèves : dans quelque domaine que ce soit, l’entraînement vous permet de devenir une personne différente de celle à laquelle vous vous associez en ce moment. Mais cela passe par une attitude extrêmement pragmatique consistant à substituer un objectif vague (« battre Djokovic » ou « avoir 15 de moyenne en maths »), par une série d’objectifs intermédiaires plus simples et beaucoup plus concrets, dictés par cette vision à long terme (« apprendre à jouer mon revers de façon plus agressive en prenant la balle plus tôt »). Et cette mentalité peut s’appliquer aussi bien sur des temps courts que sur des temps longs : c’est ainsi que, dans l’un de ses matchs les plus célèbres, un Nadal vieillissant et sur le retour s’est retrouvé au bord de la défaite (face à Daniil Medvedev en fnale de grand chelem en Australie) avant de retourner la situation en cherchant simplement, par succession d’essais et d’erreurs, des solutions pratiques aux problèmes concrets que lui posait son
adversaire. Que puis-je faire de mieux et de plus effcace maintenant, malgré tout ce qui semble aller en ma défaveur ?
ENCORE ET TOUJOURS
TU APPRENDRAS
L’oncle et entraîneur de Rafa, Toni Nadal, le répète régulièrement : « Le talent, c’est la capacité d’apprendre sans cesse, de toujours essayer. » Quel beau message pour ceux qui ne se considèrent pas doués dans un domaine ! Cet enseignement rejoint le précédent, et met l’accent sur la plasticité cérébrale : le cerveau est en perpétuelle reconfguration pour s’adapter à nos besoins. Quand nous répétons le même geste encore et encore, qu’il soit corporel ou mental, nous fnissons par développer des réseaux spécialisés dans cette action, selon le principe de l’automatisation. Quiconque a appris à taper au clavier, même à 40 ans passés, connaît la plasticité cérébrale. C’est alors le progrès qui devient le moteur de la performance, plus que la performance elle-même. Après avoir déjà gagné plus de vingt tournois du grand chelem, Nadal continuait à changer sa technique de service plusieurs fois par an pour trouver quelque chose de nouveau et de plus effcace : pourquoi ? Pour la satisfaction d’être meilleur le lendemain que la veille. Le joueur suédois Mats Wilander, au contraire, trouvait sa motivation dans son rêve d’être le meilleur joueur du monde, mais quand il atteignit ce but en 1988, ce fut le début d’une longue crise qui l’amena à arrêter le tennis,
faute de nouvel objectif plus « élevé ». Un élève qui tire sa motivation des progrès qu’il accomplit au jour le jour, plutôt que dans la poursuite d’un objectif lointain (« réussir médecine »), sera beaucoup moins sensible aux échecs ponctuels et passagers, qu’il saura analyser comme une source précieuse d’information pour encore progresser. Malheureusement, le système scolaire est fait de telle façon que dès qu’un thème est appris et maîtrisé, l’enseignement en aborde un nouvel autre qui met une fois encore les élèves en échec. Alors pourquoi ne pas refaire de temps en temps un travail de l’an passé pour comprendre à quel point on s’est amélioré ?
Enfn, à destination des jeunes sportifs, Rafa est aussi un exemple de rapport à la compétition, qu’il ne voit pas comme une lutte d’ego mais comme un partenariat avec l’autre pour se pousser à donner le meilleur de soi-même. Ce qui m’amène à terminer cette chronique en citant l’émouvante lettre écrite par Roger Federer à son grand rival, le jour où Nadal a pris sa retraite : « Tu m’as mis au déf comme personne d’autre ne pouvait le faire. […] Tu m’as fait travailler plus dur que je ne l’aurais jamais cru possible, juste pour tenir bon. Tu m’as fait réimaginer mon jeu – dans l’espoir d’avoir un avantage. » L’esprit de compétition, le vrai… £
Bibliographie
A. Touroutoglou et al., The tenacious brain : How the anterior midcingulate contributes to achieving goals, Cortex, 2020
B. Bruya (éd.), E ortless Attention : A New Perspective in the Cognitive Science of Attention and Action, MIT Press, 2010
R. Nadal et J. Carlin, Rafa : My Story, Little Brown Book, 2011

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VIE QUOTIDIENNE La
SANTÉ
Le stress augmente-t-il le risque de cancer ?
LA RÉPONSE DE
KAREN STEINDORF et PATRICIA BLICKLE
Respectivement professeuse d’épidémiologie au Centre allemand de recherche sur le cancer (DKFZ) à Heidelberg, et psychologue et doctorante dans l’équipe de Karen Steindorf.
Quand une personne apprend qu’elle est atteinte d’un cancer, elle se demande souvent : « Pourquoi moi ? » En cherchant des explications, elle peut être amenée à penser que ce qui lui arrive est dû au stress au travail, à la perte d’un proche ou à un autre coup du sort. Ce type d’explication est-il plausible ? Certes, le stress peut agir sur notre organisme. Face à une menace, le corps déclenche des réactions physiologiques utiles, capables de mobiliser les forces nécessaires pour lutter (ou fuir). Toutefois, s’il est intense ou persiste trop longtemps, il peut nuire à la santé en augmentant le risque de certaines maladies, comme un accident vasculaire cérébral et de l’hypertension. En ce qui concerne le cancer, le lien est beaucoup moins clair…
En théorie, le stress semble un bon candidat pour favoriser l’apparition de
tumeurs. La production continue de cortisol affaiblit le système immunitaire, lequel évite normalement la dégénérescence des cellules. Plus d’infammation, moins de réparation cellulaire… à long terme, il y a de quoi augmenter les risques de cancer. Plusieurs études scientifques ont livré des indices en ce sens ces dernières années.
Il y a aussi la possibilité que le stress chronique favorise des comportements typiquement cancérogènes. On sait que les personnes très stressées et anxieuses ont généralement une alimentation moins équilibrée, ne font pas suffsamment d’exercice, fument et boivent statistiquement plus. Autant de facteurs qui aggravent le risque de cancer.
Mais pour qu’un lien entre le stress et la maladie soit fermement établi, il faut mener des études de population à
grande échelle. Chose faite en 2017 par une équipe de recherche angloaustralienne qui a examiné les données de plus de 160 000 personnes, dont la santé mentale et physique a été étudiée scientifquement pendant en moyenne neuf ans et demi.
UN EFFET MOINS AVÉRÉ QUE LE TABAC, L’ALCOOL OU LE SURPOIDS
Au début de l’étude, aucun individu de l’échantillon n’avait reçu de diagnostic de cancer. Puis, les personnes qui avaient les niveaux de stress les plus élevés présentaient effectivement un risque accru de mourir de certains types de cancer – notamment colorectal, de la prostate, de l’œsophage ou d’une leucémie – par rapport à celles moins stressées. Mais la corrélation n’était pas du tout aussi forte que pour des facteurs de risque bien connus, par

exemple le tabagisme pour le cancer du poumon. De plus, l’analyse n’a pas permis de déterminer si c’était le stress qui provoquait le cancer… ou si c’était l’inverse, à savoir que la maladie rendait les patients plus anxieux, déprimés et moins résilients…
De même, une autre large analyse publiée en 2021 révèle les lacunes des connaissances actuelles. Selon les principales expériences réalisées avec des animaux ou des cellules, et d’après les études épidémiologiques, il apparaît que le stress infuence davantage la croissance de la tumeur que son apparition. En d’autres termes, le stress interviendrait moins dans le déclenchement de la maladie que dans son évolution. Même si la façon dont il agit n’est pas encore entièrement comprise. De futures recherches auront pour tâche d’identifer les mécanismes en jeu et le lien
entre le stress et d’autres facteurs de risque, et ce afn de fournir des réponses plus concrètes.
Aujourd’hui, on ne peut donc guère dire que l’état psychique d’une personne intervient dans le risque de développer un cancer. Cette maladie est complexe et résulte de l’interaction de nombreux facteurs. Certains d’entre eux échappent à notre contrôle – c’est le cas de la prédisposition génétique. Pour d’autres, au contraire, la recherche en prévention nous enseigne que nous devrions adopter un mode de vie plus sain quand nous le pouvons. En plus d’un bon sommeil, de l’exercice physique en plein air et d’une alimentation équilibrée, la relaxation est bénéfque. Les études scientifiques ont en effet montré que les patients atteints d’un cancer devraient particulièrement veiller à réaliser des activités qui leur font du bien. £
La corrélation, si elle existe, reste faible. Et on ignore s’il s’agit d’un lien de cause à e et.
Bibliographie
A. Eckerling et al., Stress and cancer : Mechanisms, significance and future directions, Nature Reviews Cancer, 2021
G. D. Batty et al., Psychological distress in relation to site specific cancer mortality : Pooling of unpublished data from 16 prospective cohort studies, British Medical Journal, 2017.


SEBASTIAN DIEGUEZ
Docteur en neurosciences, auteur, enseignant et chercheur à l’université de Fribourg, en Suisse.
La Lucidité Qu’est-ce qui cloche dans la démocratie ?
Quand 83 % de la population vote blanc, les fondements de la démocratie vacillent. Tel est le scénario imaginé par José Saramago dans son roman La Lucidité, paru 2004. Et qui interroge à l’heure où nos démocraties semblent en perte de vitesse.
Longtemps perçue comme un idéal de civilisation et une conquête du genre humain, la démocratie est aujourd’hui en danger. Dans de nombreuses régions du monde, même là où on le croyait défnitivement acquis et installé, ce mode de gouvernement garantissant liberté, égalité et souveraineté dans l’expression des idées de chaque citoyen subit ce que l’on appelle un « recul démocratique ». Un paradoxe, puisqu’il reste un dispositif aussi désiré que minoritaire dans le monde (70 % de la population vit sous des régimes illibéraux ou autoritaires, alors que près de 80 % souhaiteraient la démocratie). Pourquoi ce recul, alors qu’on y a longtemps vu un progrès inéluctable et un gage de stabilité politique ? Et pourquoi les chanceux qui en jouissent semblent-ils de plus en plus tentés par des formes d’autoritarisme ?
EN BREF
£ Dans un pays imaginaire, 83 % des électeurs votent blanc lors d’élections municipales.
£ Cette fable illustre le mal profond qui ronge les démocraties : une incompréhension croissante entre la classe dirigeante et la population.
£ Nos sociétés traversent clairement une crise de ce type, dont les conséquences pourraient être vertigineuses.
Dans La Lucidité, publié en 2004, l’écrivain portugais José Saramago explore la nature de la crise profonde entre le peuple et les dirigeants. Pour cela, il imagine une situation cocasse : lors d’élections dans un pays non déterminé, 83 % des suffrages de la capitale sont constitués de… votes blancs (voir extrait). S’ensuit une crise politique de grande ampleur, où le gouvernement s’évertue à punir ces électeurs indisciplinés en les espionnant, en instaurant l’état d’exception puis l’état de siège, et en cherchant à les déstabiliser par tous les moyens.
LE
MYSTÈRE
DU VOTE BLANC
Le roman décrit un décalage massif entre les élites politiques et la population. D’un côté, le gouvernement est pris de panique, cherche des explications, des coupables, des solutions,
s’empêtre dans sa vision complotiste d’un phénomène qui lui échappe complètement. De l’autre, la foule des électeurs ayant opté pour un simple bulletin blanc est sereine, pacifque, distante, c’est à peine si elle réagit à l’agitation furieuse des autorités, et du reste aucune explication n’est donnée sur les raisons de ce vote.
Le vote blanc vient alors symboliser la crise profonde entre le peuple et les élites gouvernantes. Sa signifcation reste ambiguë et multiforme (désintérêt global pour la classe politique, rejet de la situation courante, authentique absence d’opinion, déception lorsque nos préférences ne sont pas représentées ou désir de punir les instances dirigeantes), mais ce n’est pas là l’essentiel dans l’histoire. Le plus important est que les interprétations de ce raz-de-marée de votes blancs divergent diamétralement dans le peuple et chez ses dirigeants. Pour les autorités, c’est un geste de
EXTRAIT
défance fondamentalement antidémocratique. Pour les électeurs, c’est la libre expression d’un droit dont ils disposent précisément grâce à la démocratie. De toute évidence, il y a une mécompréhension quelque part.
DES POLITICIENS DÉCONNECTÉS
Le régime décrit par Saramago est autoritaire, violent, sournois et corrompu. Et pourtant, il se réclame de la démocratie pour attaquer son propre peuple, accusé de subvertir les règles du jeu dans une obscure conspiration. De la sorte, le recul démocratique vient généralement d’en haut : il est le fait de candidats prédateurs, qui exploitent les failles et faiblesses de la démocratie pour la miner de l’intérieur. Rarement les électeurs votent dans le but d’affaiblir celle-ci, et rarement les autorités affchent ouvertement que c’est là leur intention.
Des études récentes dans des pays démocratiques montrent que les politiciens en général sont
UN SÉISME POLITIQUE
Les études montrent que, d’un côté, les citoyens se méprennent souvent sur les compétences et les intentions des dirigeants et, de l’autre, que ces derniers se font des idées biaisées de ce que pense le peuple.
Personne ne confiait à son voisin pour qui il avait voté, les amis les plus intimes gardaient le silence, les personnes les plus loquaces semblaient avoir avalé leur langue. À dix heures du soir, enfin, le Premier ministre apparut à la télévision. Il avait un visage décomposé, des cernes profonds […]. Il tenait un papier à la main qu’il s’abstint presque de lire, de temps en temps il y jetait un coup d’œil pour ne pas perdre le fil de son discours, Chers concitoyens, dit-il, le résultat des élections qui ont eu lieu aujourd’hui dans la capitale du pays est le suivant, parti de droite, huit pour cent, parti du centre, huit pour cent, parti de gauche, un pour cent, abstentions, zéro, bulletins nuls, zéro, bulletins blancs, quatre-vingt-trois pour cent. Il s’interrompit pour porter à ses lèvres le verre d’eau posé à côté de lui et poursuivit […]. [É]tant unanimement d’accord sur la nécessité d’une enquête sérieuse sur les causes premières et dernières d’un résultat aussi déconcertant, le gouvernement considère, après avoir consulté son excellence le chef de l’État, que la légitimité de l’exercice de ses fonctions n’est pas remise en cause, […] parce qu’il estime qu’il est impératif et urgent de tirer au clair jusqu’à leurs ultimes conséquences les événements anormaux dont nous avons été les témoins stupéfaits […], et si je prononce ces mots avec un profond chagrin c’est parce que ces bulletins blancs qui ont asséné un coup brutal à la normalité démocratique de notre vie personnelle et collective ne sont pas tombés du ciel […].
La Lucidité, de José Saramago, traduit du portugais par Geneviève Leibrich, 2006, Seuil/Points, pp. 40-41.
non seulement déconnectés de la volonté populaire, comme on le leur reproche souvent, mais ont des conceptions très spécifques et négatives des compétences électorales du peuple. Des entretiens effectués avec 866 politiciens au Canada, en Belgique, en Allemagne et en Suisse révèlent que ces derniers ne sont pourtant pas meilleurs que la population générale pour estimer quelle est l’opinion publique majoritaire sur des questions de société. Interrogés sur un grand nombre de thématiques, les politiciens situent incorrectement la majorité (« pour » ou « contre ») pour un quart d’entre elles, et se trompent de 20 % en moyenne sur tous les sujets, y compris lorsqu’on leur demande de juger de l’opinion des électeurs de leur propre parti ! Il semble donc qu’en démocratie, les politiques ne savent que très approximativement, ou même pas du tout, ce que pense et veut vraiment le peuple. Mais il y a pire : dans une autre étude, la même équipe internationale de chercheurs a mis en
évidence, cette fois-ci sur près de 1 000 politiciens dans onze pays, que ceux-ci se faisaient une idée complètement différente de la population générale sur la psychologie des votants. Les politiciens semblent concevoir les électeurs sous l’angle du « réalisme démocratique », une vision largement négative des compétences du peuple lorsqu’il s’agit de faire des choix rationnels. Ainsi, ils imaginent que les électeurs pensent avant tout au court terme lorsqu’ils votent, qu’ils le font sur la base de leurs intérêts personnels plutôt que ceux de la société en général, qu’ils sont mal informés sur les performances politiques passées des candidats, qu’ils sont infuencés par des questions d’identité plutôt que de programme politique et davantage par les personnalités que par les idées. Les électeurs interrogés (plus de 12 000) ont de leur côté une vision plus fatteuse de leur façon de voter, puisqu’ils pensent à peu près tout l’inverse de ce que les politiciens présument d’eux. L’étude ne dit bien sûr pas qui a raison, l’important étant la déconnexion massive entre ces deux populations.
LES CONSÉQUENCES
D’UN DIVORCE
On le voit, d’un côté les citoyens se méprennent souvent sur les compétences et les intentions des individus qu’ils portent au pouvoir et, de l’autre, les autorités elles-mêmes se font des idées biaisées de ce que pense le peuple. C’est tout de même un peu gênant si on considère la démocratie comme un système optimal d’expression libre de la volonté populaire… Mais, après tout, on peut aussi voir ce désalignement comme une suite logique d’un processus fragile qui repose avant tout sur la confance en des actes et des institutions largement symboliques.
C’est ce qu’exprime le roman de Saramago, qui replace l’acte de voter dans sa dimension théâtrale et rituelle, dont la solennité apparente peut rapidement tourner au ridicule dans des situations de crise. De
Pourquoi j’ai aimé ce livre

José Saramago (1922-2010) donne avec La Lucidité une suite inattendue à son fameux roman
L’Aveuglement, l’histoire d’une épidémie de cécité et de ses conséquences. On y retrouve le style narratif très délié et tourbillonnant cher au Prix Nobel de littérature de 1998, dont les dialogues se lisent d’un trait avec une forte économie de ponctuation. Cette « fable » politique, comme il l’appelait, est à la fois désespérante et désopilante, tant le ridicule et l’absurdité des politiciens qui y sont brocardés appellent la mention « toute ressemblance… ».
Sebastian Dieguez
Bibliographie
T. Carothers et B. Hartnett, Misunderstanding democratic backsliding, Journal of Democracy, 2024
J. Lucas et al., Politicians’theories of voting behavior, American Political Science Review, 2024.
A. Braley et al., Why voters who value democracy participate in democratic backsliding, Nature Human Behaviour, 2023.
J. Moualek, Des voix (vraiment) pas comme les autres ? Les usages pluriels du vote blanc et nul, Revue française de science politique, 2017
fait, toute l’intrigue tourne autour du mur aussi épais qu’invisible qui sépare les gouvernants des gouvernés, symbolisé par l’opacité d’un vote blanc dont nul ne parvient à interpréter la signifcation. Cette incompréhension mutuelle peutelle expliquer, au moins en partie, le recul démocratique ?
C’est ce qu’indique une étude effectuée sur l’électorat états-unien, qu’on sait fortement polarisé autour de deux partis que plus rien ne rassemble. Dans une série d’études sur plus de 6 000 personnes, il apparaît que les partisans démocrates et républicains se perçoivent tous comme de fervents défenseurs de la démocratie, mais pensent que le parti opposé cherche à la détruire. Ce qui, à leurs yeux, justifie certaines entorses à la démocratie elle-même, pour éviter qu’elle soit tout simplement anéantie. L’un dans l’autre, si tout le monde réféchit ainsi, on conçoit que c’est la démocratie elle-même qui fnit par en pâtir. Concentration des pouvoirs, limites à la liberté de la presse, manipulation du processus électoral, musellement de l’opposition, corruption fnancière, censure, discriminations et persécutions, tout devient prétexte à sauver la démocratie contre ses ennemis… au prix de la démocratie elle-même.
Dans La Lucidité, ce phénomène s’applique au pouvoir lui-même, convaincu qu’une partie du peuple veut instaurer une révolution sournoise grâce au vote blanc. Plutôt que d’encaisser cet affront et d’en tirer les conséquences, le gouvernement a pour seule obsession de le réprimer violemment, comme si les citoyens étaient une menace à la « démocratie » qu’il prétend incarner.
Paru en 2004, œuvre d’un auteur au sommet de sa lucidité, le roman sonne aujourd’hui comme une mise en garde contre l’infantilisation des citoyens, le refus de prendre en compte leurs choix et le divorce croissant entre le peuple et les élites politiques. On voit ce que cela a donné outre-Atlantique. L’Europe suivra-t-elle le même chemin ? £
À retrouver dans ce numéro
À QUOI BON ARGUMENTER ?
Selon la théorie argumentative du raisonnement, la logique servirait moins à trouver la vérité qu’à asseoir son influence sociale sur ses semblables en étalant ses capacités de démonstration.
IMPERTURBABLE !
En état de concentration profonde, notre cerveau est parcouru par des ondes à basse fréquence et devient imperméable aux distractions. On peut y accéder en méditant ou en faisant des exercices de maths difficiles.
SADISME ORDINAIRE
Chez certains individus, représentant tout de même environ un quart de la population, il existerait une motivation intrinsèque à faire souffrir autrui. Ils semblent prendre plaisir au mal qu’ils infligent aux autres. Un constat déjà établi dans un article des psychologues Roy Baumeister et Keith Campbell il y a plus de vingt-cinq ans.
BOOST HORMONAL
« Le traitement hormonal de la ménopause augmente de 30 % la consommation de glucose dans le cerveau. Les troubles cognitifs sont alors réduits… » Gabriel André, GEMVi de Strasbourg
108 %
d’amélioration des performances en additions chez des enfants de 6 ans à qui on apprend à se servir de leurs doigts pour calculer.
ARAIGNÉES
Une nouvelle méthode permet de soigner sa phobie des araignées… sans avoir à regarder d’araignées.
Il su t de projeter au patient des images subliminales de ces animaux : son cerveau s’habitue alors et il peut de nouveau s’en approcher (presque) sans crainte.
DILEMME MORAL
Quand on demande à un individu de sacrifier un être humain pour en sauver cinq autres, il fait face à un cas de conscience. En revanche, il n’hésite pas à sacrifier un singe pour en sauver cinq autres, signe qu’il adopte plus facilement une morale utilitariste avec des animaux qu’avec des êtres humains.
La cocaïne se classe en troisième position sur la liste des drogues les plus addictives, après la nicotine et l’héroïne. Elle compte 600 000 utilisateurs en France.
10H-11H





GRAND BIEN VOUS FASSE !




ALI REBEIHI



De graves crises, comme au Liban, en Afghanistan ou encore en Ukraine, ont fait basculer la vie de millions de personnes dans la détresse. Elles sont aujourd’hui 120 millions à avoir été déplacées de force dans le monde. Ce sont autant d’enfants, de femmes et d’hommes qui ont tout perdu.
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