Cerveau & Psycho n°127 - décembre 2020

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Cerveau & Psycho

Cerveau & Psycho

QUAND LE CERVEAU SE RÉGÉNÈRE

Les surprenants effets de la méditation, du neurofeedback, des thérapies cellulaires

Décembre 2020

N°127

N° 127 Décembre 2020

L 13252 - 127 - F: 6,90 € - RD

LA PLEINE LUNE PERTURBE-T-ELLE LE SOMMEIL ?

Anxiété, dépression, Parkinson, Alzheimer…

QUAND LE CERVEAU SE RÉGÉNÈRE Les surprenants effets de la méditation, du neurofeedback, des thérapies cellulaires PSYCHOLOGIE LE DEUIL EST-IL RÉVÉLATEUR DE CE QUE NOUS SOMMES ?

COOPÉRATION COMMENT LES CERVEAUX SE SYNCHRONISENT POUR COLLABORER ADOS DICTATEURS QUE FAIRE LORSQUE VOTRE ENFANT VOUS MALTRAITE ? RÊVES COMMENT LE COVID-19 A ENVAHI NOS NUITS BEL : 8, 90 € / CAN : 12, 49 $ CAN / CH : 15, 50 CHF / DOM : 8, 90 € / LUX : 8, 90 € / TOM : 1 200 XPF


bien vous

Grand

fasse ! ALI REBEIHI

DE LA PSYCHO DU QUOTIDIEN DU SOURIRE

© Photo : Christophe Abramowtiz / Radio France

10H / 11H


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N° 127

NOS CONTRIBUTEURS

ÉDITORIAL

p. 16-22

SÉBASTIEN BOHLER

Thomas Hinault

Chercheur en neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine à l’Inserm, à Caen, il étudie les bases cérébrales du déclin cognitif et a mis en évidence le rôle déterminant des fibres de substance blanche dans notre cerveau.

p. 30-37

Edda Bilek

Psychologue et psychothérapeute au centre Wellcome de neuro-imagerie de l’University College de Londres et à l’Institut central de santé mentale de Mannheim, elle étudie les phénomènes de synchronisation cérébrale dans les situations de coopération.

p. 48-53

Michel Le Van Quyen

Chercheur en neurosciences au Laboratoire d’imagerie biomédicale (LIB) du campus des Cordeliers, à Paris, il est spécialiste du neurofeedback et des différentes techniques permettant à chacun de rééquilibrer sa propre activité cérébrale.

p. 64-71

Tore Nielsen

Professeur de psychiatrie, directeur du Laboratoire des rêves et des cauchemars à l’université de Montréal, il a étudié la propagation des rêves se rapportant au thème du Covid-19 durant la période de confinement de 2020 et les mois qui ont suivi.

Rédacteur en chef

2020, c’est par où la sortie ?

L

’année 2020 a été éprouvante pour tous. Elle a laissé des traces dans les esprits et dans nos neurones : le trauma de la maladie et du décès pour certains, la perte de l’emploi pour d’autres, l’angoisse du futur et les conflits dans les foyers au moment du confinement… Nous allons devoir mobiliser des ressources insoupçonnées pour relever les défis de l’avenir. Ces derniers mois, Cerveau & Psycho a exploré ces voies de la résilience et du renouveau. À travers le concept d’interdépendance, qui propose de se réaliser dans les liens à autrui, puis celui de croissance post-traumatique, qui permet de se relever plus fort après un drame. Nous concluons cette année avec un dossier sur les pouvoirs de régénération du cerveau, et les façons d’encourager cette dynamique (voir page 39). Vous y découvrirez les surprenantes recherches sur les psychothérapies qui restaurent la bonne expression de nos gènes, mais aussi sur les pratiques méditatives qui refont pousser les neurones, ou l’essor du biofeedback, outil nouveau qui permet d’observer son propre esprit en fonctionnement pour mieux en guider les progrès. L’avenir, c’est aussi l’école et la nécessité de la maintenir vivante malgré la pandémie, en résistant à un biais cognitif pernicieux (voir page 88) qui nous porte à traiter l’urgence, au détriment de la priorité, laquelle s’étale souvent sur le long terme. Au moment où il faut se serrer les coudes, il s’agira aussi de synchroniser nos cerveaux, grâce à des ondes « en phase » (voir page 30). Ces ondes, observables aujourd’hui grâce à une technique appelée « hyperscanning », pourraient bien être un marqueur de la coopération et de la bonne entente des individus. Diffusonsles sans limites…

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SOMMAIRE N° 127 DÉCEMBRE 2020

p. 12

p. 16

p. 24

p. 30

p. 39-62

Dossier p. 6-30

DÉCOUVERTES p. 6 ACTUALITÉS Réguler ses émotions en respirant Dix minutes de massage suffisent ! Cligner des yeux apaise votre chat… Où est le bonheur ? En famille ou entre amis ? Maman résiliente, bébé en bonne santé p. 12 FOCUS

La revanche des « cervelles de moineau »

Les oiseaux ont un cerveau qui ressemble étonnamment au nôtre - bien loin de l’image d’Épinal de la « tête de linotte » ! Bret Stetka

p. 16 PRIX THÉODULE-RIBOT

Un cerveau « en phase » tout au long de la vie

p. 24 CAS CLINIQUE GRÉGORY MICHEL

Marc-Antoine, l’ado qui battait ses parents

À 14 ans, ce petit despote n’hésite pas à employer la violence physique pour obtenir ce qu’il veut (et ne pas aller au collège). p. 30 NEUROSCIENCES SOCIALES

Sur la même longueur d’onde

Quand la relation entre deux personnes est de qualité, leurs cerveaux se synchronisent. Vers une mesure du lien social ? Edda Bilek

QUAND LE CERVEAU SE RÉGÉNÈRE p. 40 NEUROPLASTICITÉ

UNE PSYCHOTHÉRAPIE POUR GUÉRIR LES NEURONES ?

Certaines psychothérapies pourraient agir directement sur les gènes dont l’expression a été perturbée par le stress ou les traumas. Frank Luerweg

p. 48 INTERVIEW

« NOUS POUVONS TOUS RÉÉQUILIBRER NOTRE CERVEAU » Michel Le Van Quyen

p. 54 THÉRAPIES

La clé du bon vieillissement est un bon « câblage » intérieur. Et celui-ci s’entretient !

STIMULER LE POUVOIR DE RÉPARATION DU CERVEAU

Thomas Hinault

Trois approches sont à l’étude pour stimuler la neuroplasticité dans le traitement des paraplégies et des maladies d’Alzheimer ou de Parkinson. Janosch Deeg

Ce numéro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho, jeté en cahier intérieur, sur toute la diffusion kiosque en France métropolitaine. Il comporte également un courrier de réabonnement, posé sur le magazine, sur une sélection d’abonnés. En couverture : © Marie Bertrand / GettyImages

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p. 72

p. 64

p. 76

p. 94

p. 80

p. 88 p. 92

p. 64-79

p. 80-90

ÉCLAIRAGES

VIE QUOTIDIENNE LIVRES

p. 64 PSYCHOLOGIE

p. 80 LES CLÉS DU COMPORTEMENT

Depuis le début de la pandémie, de plus en plus de gens rêvent du Covid-19. Est-ce un signe d’adaptation de nos cerveaux à cette nouvelle réalité ?

Ils ne vous disent jamais non, mais bloquent vos actions par leur inertie. Les « passifs-agressifs » peuvent vous empoisonner la vie.

Quand le Covid-19 hante nos rêves

p. 92-97

Gare aux faux jetons du travail !

Tore Nielsen

Rainer Sachse

p. 72 L’ENVERS DU DÉVELOPPEMENT

p. 86 LA QUESTION DU MOIS

PERSONNEL

YVES-ALEXANDRE THALMANN

La pensée positive a du plomb dans l’aile Pensez très fort à ce que vous désirez, et cela arrivera ! Ainsi le veut la « loi d’attraction ». Très populaire et parfaitement erronée. p. 76 UN PSY AU CINÉ

ADN : le deuil est-il un révélateur de soi ?

L’« état de deuil complexe persistant », illustré par l’héroïne de ce film, doit être distingué d’une dépression.

p. 92 SÉLECTION DE LIVRES Où est le sens ? Nos héros sont malades La Science de la résurrection Manuel de guérison des cauchemars La Psychologie positive Comment pensent les animaux p. 94 NEUROSCIENCES ET LITTÉRATURE

Dort-on moins bien les nuits de pleine lune ? Christian Cajochen

p. 88 ÉCOLE DES CERVEAUX JEAN-PHILIPPE LACHAUX

Le Covid-19 est une urgence, l’école une priorité !

Des biais cognitifs nous font réagir face au Covid-19, au risque de négliger des enjeux plus importants à long terme, comme l’éducation.

Jean-Victor Blanc

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SEBASTIAN DIEGUEZ

L’Honneur perdu de Katharina Blum ou la mécanique de la violence

Dans le roman de l’écrivain allemand Heinrich Böll, une jeune femme assassine un journaliste qui l’a diffamée. Comment le sentiment de l’honneur bafoué peut-il conduire à de telles extrémités ?


DÉCOUVERTES

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p. 12 La revanche des « cervelles de moineau » p. 16 Un cerveau « en phase » tout au long de la vie p. 24 Marc-Antoine, l’ado qui battait ses parents

Actualités Par la rédaction ÉMOTIONS

Réguler ses émotions en respirant La pratique du souffle pranayama enseignée par le yoga modifierait l’activité d’un centre émotionnel de notre cerveau et atténuerait ainsi les ressentis négatifs. M. M. Novaes et al., Frontiers in Psychiatry, vol. 11, p. 467, 2020.

P

rana, en sanskrit, signifie « énergie vitale ». Et ayama, « contrôler ». Dans les exercices de respiration pranayama du yoga, il s’agit bien de respirer de façon maîtrisée afin d’obtenir des effets sur le corps – fréquence cardiaque, tension artérielle, ressentis émotionnels. Dans l’un de ces exercices, on inspire pendant une durée déterminée, par la narine droite, puis on observe une apnée de quelques secondes, avant d’expirer par la narine gauche, pendant une durée également bien mesurée, qui peut être égale ou supérieure à celle de l’inspiration. Le « souffle contrôlé », d’après la tradition yogi et comme l’ont confirmé certaines études scientifiques, permet de réguler le climat émotionnel en atténuant les états d’angoisse, de peur ou de tristesse. Récemment, une étude de l’université de Rio de Janeiro a montré que cet exercice pratiqué sur une durée de 4 semaines modifie le fonctionnement du cerveau en

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RELAXATION

p. 30 Sur la même longueur d’onde

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Dix minutes de massage suffisent

atténuant l’activité d’une zone spécialisée dans les émotions négatives. Pour cette étude, 30 jeunes adultes en bonne santé se sont livrés à des exercices de pranayama à raison de 5 séances de 30 minutes par semaine, dont trois séances en groupe et en présence d’un instructeur. À l’issue, les participants étaient placés dans un appareil à IRM pour mesurer l’activité de leur cerveau. Un dispositif de projection permettait de leur montrer des images éveillant différents types d’émotions : joie, peur, tristesse, bien-être, etc. Face aux images suscitant de la peur, de la tristesse ou de l’anxiété, notre cerveau réagit habituellement en activant une zone précise appelée « amygdale », et plus particulièrement l’amygdale située dans son hémisphère droit. Or, chez les sujets ayant participé au programme de respiration pranayama, l’activité de cette amygdale droite était très nettement réduite. L’équipe de chercheurs a fait passer des tests d’émotivité à tous les participants, pour savoir comment se traduisait cette modification cérébrale sur un plan subjectif. Les tests ont révélé une très forte baisse des scores d’anxiété : globalement, les sujets ayant pratiqué la respiration contrôlée étaient plus détendus, et le visionnage d’images angoissantes (catastrophes, cadavres, etc.) ne leur causaient plus la même détresse.

Une expiration profonde et prolongée a la particularité d’activer le réseau nerveux apaisant du corps, le système autonome parasympathique. Entre autres effets, celui-ci ralentit la fréquence des battements du cœur, mais on sait aussi depuis peu qu’il stimule également les mécanismes neuronaux inhibiteurs faisant usage du neuromédiateur GABA. Ces voies inhibitrices relient notamment le cortex préfrontal à l’amygdale. Grâce à elles, notre cerveau frontal peut plus efficacement tempérer les accès de tristesse ou d’angoisse de notre amygdale. De ce point de vue, contrôler sa respiration est aussi un moyen de mieux réguler ses émotions. D’autres techniques mariant corps et esprit ont un impact bénéfique sur un plan émotionnel. C’est le cas de la méditation de pleine conscience, qui donne elle aussi une place importante à la respiration. Cette fois, il ne s’agit plus de la contrôler, mais de l’observer et de s’en servir comme d’un point d’appui pour relâcher l’emprise des émotions sur notre psychisme… Dans tous les cas, à l’heure où les motifs d’angoisse sont de plus en plus nombreux et nous assaillent, aussi bien à l’écoute des informations que sur les réseaux sociaux, passer plus de temps à bien respirer et un peu moins de temps devant votre écran vous apportera sûrement d’immenses bénéfices ! £ Sébastien Bohler

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S

e détendre, avec un bon massage par exemple, a le vent en poupe en cette période anxiogène… Mais sait-on réellement quelles techniques fonctionnent ? Pour la première fois, Maria Meier, de l’université de Constance, en Allemagne, et ses collègues ont testé l’efficacité de massages en laboratoire : ils permettent bien d’activer notre système physiologique naturel de défense contre le stress, et ce, en dix minutes seulement ! Pour le prouver, les chercheurs ont soumis 60 femmes à trois types de « relaxation » : 19 volontaires se voyaient offrir un massage de la tête et du cou poussé, avec des pressions modérées sur le nerf vagal, connu pour stimuler le système nerveux parasympathique qui régule certains paramètres physiologiques, comme le rythme cardiaque, et qui active le système antistress de notre organisme ; 22 femmes recevaient un massage des épaules relativement doux ; et 19 participantes restaient seulement allongées sur la table de massage. Résultat : après les dix minutes de massage ou de repos, toutes les femmes se sont senties moins stressées ; en outre, la variabilité de leur fréquence cardiaque a augmenté, ce qui constitue une preuve d’une meilleure adaptabilité de leur système parasympathique. Avec une nuance toutefois : les deux groupes ayant eu un massage se sont davantage détendus que les femmes au repos, et leurs paramètres physiologiques étaient meilleurs, sans distinction entre les deux types de pratiques. Le massage « vagal » ou le simple toucher des épaules se révèlent donc assez efficaces pour se relaxer physiologiquement et psychologiquement. £ Bénédicte Salthun-Lassalle

© Wavebreakmedia/Shutterstock.com

© GettyImages/Malte Mueller

M. Meier et al., Sci. Reports, le 8 septembre 2020.


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© Malte Mueller/GettyImages.com

Marc-Antoine, l’ado qui battait ses parents

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DÉCOUVERTES Cas clinique

GRÉGORY MICHEL

Professeur de psychologie clinique et de psychopathologie à l’université de Bordeaux, chercheur à l’Institut des sciences criminelles et de la justice, psychologue et psychothérapeute en cabinet libéral.

À 14 ans, Marc-Antoine décide de ne plus aller au collège. Impuissants, ses parents l’envoient chez un psychologue, qui comprend très vite que l’ado est le roi à la maison. Voire un despote qui n’hésite pas à employer la violence physique pour obtenir ce qu’il veut.

EN BREF £ À 14 ans, fils unique, Marc-Antoine commence à avoir des difficultés scolaires et décide de ne plus aller au collège… £ Ses parents, angoissés et incapables de le raisonner, l’envoient chez le psychiatre. £ L’ado se révèle omnipotent, et ses parents perdus : ils n’ont jamais réussi à lui fixer des limites. Et Marc-Antoine est devenu violent, surtout envers sa mère. £ Il est un enfant roi ou tyran : une psychothérapie s’impose.

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I

l y a quelques années, peu après la rentrée scolaire, une maman visiblement très angoissée m’appelle pour m’expliquer qu’elle craint que son fils adolescent, qui présente des difficultés au collège, arrête sa scolarité cette année. Elle ajoute d’une voix fluette qu’il a aussi des « soucis » de comportement, sans m’en dire davantage… Et me demande un rendez-vous au plus vite afin que je rencontre son fils, avec elle et son mari. Je libère un créneau en urgence. MARC-ANTOINE, JEUNE HYPERDÉTENDU ET ESPIÈGLE Quelques jours plus tard, l’intéressé se présente à mon cabinet en compagnie de ses deux parents. D’allure joviale, il ne donne aucun signe d’anxiété ni de gêne. Bien au contraire, il est très à l’aise, souriant, vêtu d’un style personnel casual chic – pantalon chino bleu marine, teeshirt blanc, veste de jogging vintage et paire de sneakers d’une grande marque. Ce sont ses parents qui, à l’inverse, sont fermés et tendus.

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Sur la même

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longueur d’onde

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DÉCOUVERTES Neurosciences sociales

Par Edda Bilek, psychologue et psychothérapeute au centre Wellcome de neuro-imagerie de l’University College de Londres et à l’institut central de santé mentale de Mannheim.

Grâce aux progrès de l’imagerie cérébrale, on peut observer les cerveaux de plusieurs personnes en train d’interagir. Lorsque la relation est de qualité, leurs cerveaux se synchronisent. La base du lien social serait-elle un couplage neuronal ?

EN BREF £ La technique d’hyperscan consiste à placer plusieurs personnes dans des IRM et à mesurer l’activité de leurs cerveaux pendant qu’elles interagissent. Les signaux cérébraux de ces personnes ont tendance à se synchroniser. £ La force de ce couplage neuronal informe sur la qualité de la relation, le succès de la collaboration ou de l’apprentissage, et sur les individus eux-mêmes. £ Le couplage des cerveaux est plus difficile dans certains troubles comme l’autisme ou le trouble borderline. Mais dans ce dernier cas, une thérapie efficace restaure aussi un bon couplage. £ À l’avenir, on espère utiliser ces données comme biomarqueurs pour le lien parent-enfant ou les psychothérapies.

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arfois, on rencontre quelqu’un, et tout marche à merveille. Un nouveau collègue, une future belle-mère, un simple voisin… D’un seul coup, tout coule de source. Vous êtes sur la même longueur d’onde. C’est simple, on sent immédiatement une « bonne connexion » entre vous. D’où vient cette connexion immédiate et naturelle ? Pour répondre à ce type de question, mes collègues et moi-même, à l’Institut central de santé mentale de Mannheim, étudions ce que les gens ressentent et ce qui se produit… dans leur cerveau, quand ils entrent en contact les uns avec les autres. Et pour étudier cela, nous utilisons une technique appelée « hyperscan », qui consiste à enregistrer simultanément les données d’imagerie de plusieurs participants à l’étude. L’objectif de toutes les études d’hyperscan est de mesurer l’activité du cerveau de la manière la plus naturelle possible et d’observer ce qui se passe entre les gens. Certaines de ces études impliquent de simples conversations, dans d’autres on demande aux participants de

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DOSSIER SPÉCIAL L’essor des thérapies psychédéliques N° 120 Avril 2020

M 07656 - 120S - F: 6,90 E - RD

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N°120

Avril 2020

N° 125 (oct. 20) réf. CP125

POURQUOI LE STRESS DONNE-T-IL DES CHEVEUX BLANCS ?

VIVRE HEUREUX AVEC MOINS

PSYCHOLOGIE DE LA SOBRIÉTÉ

Minimalisme

VIVRE HEUREUX AVEC MOINS

Psychologie de la sobriété NEUROSCIENCES LES CARTES SOCIALES DU CERVEAU

ÉP

UI

PSYCHOLOGIE

COMMENT BIEN RÉPONDRE AUX QUESTIONS DES ENFANTS SANTÉ LE POUVOIR RÉGÉNÉRANT DES BAINS DE FORÊT BEL : 8, 90 € / CAN : 12, 49 $CAN / CH : 15, 50 CHF / DOM : 8, 90 € / LUX : 8, 90 € / TOM : 1 200 XPF

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Dossier 39

SOMMAIRE

p. 40 Une psychothérapie pour guérir les neurones ? p. 48 Interview « Nous pouvons tous rééquilibrer notre cerveau »

QUAND LE CERVEAU SE RÉGÉNÈRE

p. 54 Stimuler le pouvoir de réparation du cerveau

Depuis quelques années,

une idée trace son chemin parmi les chercheurs : et s’il était possible de soigner les troubles psychologiques et neurologiques en aidant le cerveau à se régénérer ? Cette idée prend racine dans deux grands types de progrès. D’une part, nous connaissons de mieux en mieux les dysfonctionnements intimes, biologiques, en cause dans ces troubles. D’autre part, de multiples mécanismes de plasticité ont été découverts dans le cerveau, depuis l’échelle moléculaire jusqu’à celle des grands réseaux neuronaux. Les neuroscientifiques développent alors des approches novatrices pour « débloquer » ce pouvoir d’autoréparation : créer de nouveaux neurones avec des cellules souches, restaurer l’expression des gènes par des psychothérapies modulant les marques chimiques sur l’ADN, rééquilibrer l’activité cérébrale par la méditation ou le neurofeedback… Autant d’espoirs pour demain et de techniques qui, pour certaines, changent déjà le quotidien des patients ! Guillaume Jacquemont

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Dossier

UNE PSYCHOTHÉRAPIE POUR GUÉRIR LES NEURONES ?

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Certaines psychothérapies pourraient agir directement sur les gènes dont l’expression a été perturbée par le stress ou les traumas. Et soigneraient ainsi les maladies mentales qui en résultent. Par Frank Luerweg, journaliste scientifique.

EN BREF £ Les troubles mentaux sont favorisés par certains profils génétiques à risque, mais il faut souvent un événement difficile pour qu’ils se déclenchent. £ Les traumatismes accroîtraient l’activité des gènes de vulnérabilité en modifiant des marques chimiques, dites « épigénétiques », sur l’ADN.

© Shutterstock.com/Shusha Guna/Top Vector Studio

£ Des médicaments appropriés ou une psychothérapie pourraient inverser une telle empreinte épigénétique nocive.

N° 127 - Décembre 2020

A

ujourd’hui âgée de 52 ans, Anja Juchem se souvient bien du moment où la peur l’a terrassée pour la première fois. C’était un dimanche de Pentecôte, il y a sept ans, alors qu’elle visitait une mine avec des amis. « J’ai senti quelque chose ramper en moi, un sentiment sombre, comme une vague irrésistible », explique-t-elle. Elle ne s’était jamais considérée comme craintive, mais elle ne supportait soudain plus de se trouver dans ces couloirs souterrains. Et ce n’est pas resté une expérience unique. Dans les semaines qui ont suivi, des attaques de ce type ont touché Anja à plusieurs reprises. La peur semblait tapie partout et surgissait sans prévenir. Par exemple ce week-end d’été où elle s’est rendue à la mer, dans un village où elle avait souvent passé ses vacances d’enfant. Sur le chemin de sa chambre d’hôtel, la panique l’a frappée comme un coup de poing. « J’ai cru devenir folle, je me suis évanouie », confie-t-elle. Elle a eu toutes les peines du monde à simplement rentrer chez elle, se répétant ce mantra encore et encore : « Tu peux le faire. Tu peux le faire. » Selon l’Institut central pour la santé mentale de Mannheim, environ 2 % des Allemands développent un trouble panique au cours de leur vie, dont deux fois plus de femmes que d’hommes [les


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INTERVIEW

MICHEL LE VAN QUYEN CHERCHEUR EN NEUROSCIENCES AU LABORATOIRE D’IMAGERIE BIOMÉDICALE (LIB) DU CAMPUS DES CORDELIERS, À PARIS

NOUS POUVONS TOUS RÉÉQUILIBRER NOTRE CERVEAU A-t-on identifié des dysfonctionnements cérébraux précis chez les personnes confrontées à diverses difficultés psychologiques, comme une dépression ? Nous n’en sommes qu’au début, mais oui, nous commençons à cerner ce qui se passe. Notre conception du fonctionnement cérébral a beaucoup évolué : là où l’on s’est un temps focalisé sur les neurones ou sur telle ou telle molécule, on conçoit aujourd’hui le système nerveux comme

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DOSSIER QUAND LE CERVEAU SE RÉGÉNÈRE

STIMULER LE POUVOIR DE RÉPARATION DU CERVEAU N° 127 - Décembre 2020


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Après un accident ou une pathologie, les neurones se régénèrent à peine. Trois approches très différentes sont à l’étude pour stimuler la neuroplasticité, avec l’espoir de soigner un jour des maladies comme celles d’Alzheimer ou de Parkinson, ainsi que les paraplégies. Par Janosch Deeg, journaliste scientifique.

EN BREF

© Shutterstock.com/Romanova Natali

£ Trois approches sont expérimentées pour réparer les tissus cérébraux endommagés : transplanter des cellules souches dans les régions lésées, utiliser les cellules produites par le cerveau (par exemple en transformant des cellules gliales en neurones) et stimuler la croissance des nerfs. £ Des résultats prometteurs ont été obtenus pour le traitement des maladies de Parkinson, d’Alzheimer et de Huntington, mais pour l’instant chez l’animal. £ Chez l’homme, des tests sont en cours chez des patients parkinsoniens et paraplégiques.

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ne blessure profonde entaillait le cerveau. Mais en seulement quelques jours, la zone lésée a complètement guéri. Impossible même d’y détecter la moindre trace de cicatrice… Malheureusement, cette histoire ne concerne pas un patient humain, mais un poisson-zèbre. Ces animaux peuvent régénérer leurs cellules nerveuses et rétablir ainsi la fonctionnalité des réseaux neuronaux. De nombreux autres poissons et certaines espèces de salamandres en sont aussi capables. DES DÉFICITS PERMANENTS Chez l’homme, en revanche, les lésions du système nerveux central et les maladies neurodégénératives provoquent généralement des déficits graves et permanents. Une rupture de la moelle épinière entraîne ainsi une paralysie, tandis que les accidents vasculaires cérébraux, qui détruisent une partie du tissu nerveux, laissent souvent derrière eux des troubles de la parole ou une perte de capacités cognitives. Même si

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ÉCLAIRAGES

© Goñi Montes

p. 64 Quand le Covid-19 hante nos rêves p. 72 L’envers du développement personnel p. 76 Un psy au cinéma

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Quand le Covid-19 hante nos rêves Par Tore Nielsen, professeur de psychiatrie et directeur du Laboratoire des rêves et des cauchemars à l’université de Montréal.

Depuis le début de la pandémie, les gens font des rêves où le Covid prend toute la place. Visions d’épouvante, ou forme d’adaptation de nos cerveaux à une nouvelle réalité ?

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ÉCLAIRAGES Un psy au cinéma

JEAN-VICTOR BLANC

Médecin psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, et enseignant à Sorbonne Université.

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ADN

Le deuil est-il un révélateur de soi ? Après le décès de son grand-père, Neige sombre dans une profonde tristesse qui ressemble à une dépression. Pourtant, il faut savoir distinguer un état dépressif d’un processus de deuil qui mène à une quête d’identité. Un chemin vers notre « ADN » profond.

© Malgosia Abramowska

A

près les poignants Polisse, Pardonnez-moi, ou encore Le Bal des actrices, Maïwenn revient devant et derrière la caméra avec le film ADN. Elle y incarne Neige, une Parisienne divorcée et mère de trois enfants, très proche de son grand-père Emir (joué par Omer Marwan), né en Algérie. Ce dernier s’enfonce progressivement dans la démence en maison de retraite… Toutefois, un lien ténu continue d’exister entre ce grand-père et la famille nombreuse qui se réunit autour de lui. C’est bien lui qui a élevé Neige, puisque son père et sa mère n’ont pas assumé ce rôle. Mais la disparition du vieil Emir

EN BREF £ Dans le film ADN, toute une famille est soudée autour du grand-père algérien jusqu’à son décès… £ Alors les conflits familiaux se révèlent et Neige, sa petite-fille, souffre tant qu’elle sombre dans une crise existentielle au point de sembler dépressive. £ Mais faire son deuil ne signifie pas forcément faire une dépression. Le temps et son entourage vont aider la jeune femme à comprendre ses origines et à dépasser la douleur de la perte de son grand-père.

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va raviver des conflits larvés et rebattre les cartes des rapports intergénérationnels, faisant sombrer Neige dans une profonde crise d’identité. Le film propose alors une plongée intime dans un moment douloureux et universel : le deuil et ses conséquences. LE PILIER MEURT, LA FAMILLE EXPLOSE Dès les premières scènes du film, on découvre une famille aimante réunie autour d’Emir qui, bien qu’absent à lui-même et n’ayant presque plus accès à la parole, continue d’être un pilier pour Neige et ses cousins. Les personnages évoluent dans des rapports familiaux taillés à la serpe… Il existe de grandes tensions entre Neige et sa mère, campée par une Fanny Ardant impériale. Certains membres de la famille, comme le père et la sœur de Neige, sont de grands absents – alors que d’autres sont omniprésents : l’ex de Neige, François (interprété par le facétieux Louis Garrel), fait


VIE QUOTIDIENNE Les clés du comportement

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Gare aux faux jetons du travail ! Par Rainer Sachse, professeur de psychologie clinique à l’université de la Ruhr à Bochum, en Allemagne, où il dirige l’Institut de psychothérapie.

Ils ne vous disent jamais non, ne s’opposent jamais à vous ouvertement. Mais derrière votre dos, ils bloquent vos actions par leur passivité et leur inertie. Ce type d’agression « passive » doit être repérée au plus vite si vous ne voulez pas en faire les frais.

EN BREF £ Certaines personnes, tout en disant vouloir vous aider, trouvent toujours des excuses pour ne pas le faire. £ Non seulement ces individus paralysent l’action, mais ils peuvent vous faire culpabiliser quand ils invoquent des problèmes personnels. £ Ce type de comportement, qualifié d’agression passive, peut provoquer de l’épuisement émotionnel. £ Le mieux est de clairement signifier à son auteur qu’on n’est pas dupe, ce qui suffit souvent à le faire réfléchir.

T

out le monde sait à quoi ressemble une agression ouverte. Un individu en colère cherche délibérément à nuire à un autre, pour de multiples raisons possibles : il a été contrarié, quelque chose l’a fait sortir de ses gonds, il en veut à cette personne pour une raison ou une autre, ou bien les événements récents ne se sont pas déroulés comme il l’entendait – peu importe : la manifestation de son hostilité est claire. D’ailleurs, une agression peut être tournée contre n’importe quoi. Cela peut être la voiture qui ne démarre pas, ou le collègue ou le conjoint qui me déçoit, m’insulte ou se montre peu fiable. Si vous pensez que vous avez droit à certaines choses – la voiture doit démarrer, vous méritez le respect, etc., alors une telle agression peut être qualifiée d’« émotionnelle » car elle est le fruit de la colère et de la frustration.

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Sur un registre différent, les individus se livrent parfois aussi à ce qu’on appelle l’« agression instrumentale ». Que ce soit en élevant la voix, en insultant ou en menaçant les autres, il y a un but derrière : obtenir de quelqu’un quelque chose de façon indirecte. Par l’intimidation, la manipulation… il ne s’agit alors plus de lui nuire en priorité, mais de tirer bénéfice de l’agression. On va provoquer de la culpabilité, de la mauvaise conscience. Bien souvent dans ce cas, l’accès de colère est simulé, c’est une façade destinée à provoquer une réaction de la part de l’autre. À la différence des situations d’agression ouverte qui sont faciles à reconnaître, l’agression instrumentale est difficile à déceler. La plupart du temps, on ne sait pas très bien ce que la personne veut réellement, ni ce qui l’incite à agir. Et si vous ne savez pas ce que quelqu’un désire, vous aurez


© Charlotte Martin/www.c-est-a-dire.fr

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VIE QUOTIDIENNE L’école des cerveaux

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JEAN-PHILIPPE LACHAUX

Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.

Le Covid-19 est une urgence, l’école une priorité ! Notre société tout entière est victime de biais cognitifs qui nous font réagir face à l’épidémie, mais pas face à des enjeux autrement plus importants sur le long terme. À commencer par l’éducation, notre sauf-conduit pour l’avenir.

D

ans un article paru récemment dans la revue Science, deux spécialistes de la recherche sur les vaccins, Matthew Snape et Russell Viner, se sont interrogés sur le bien-fondé de la fermeture des écoles au printemps dernier. Leur conclusion, résumée en une phrase, est sans ambiguïté : « Les enfants ont un risque faible de contracter le Covid19 et ont été affectés de façon disproportionnée par les précautions (sanitaires). » Cette lecture m’a amené à réfléchir à la perception que les générations futures auront de notre gestion collective de la crise et j’en suis arrivé à la certitude suivante : elles penseront que nous formions une société anxieuse et déprimée, qui s’est laissée aller à une

panique disproportionnée au regard de son relatif flegme face à la crise écologique qu’elle cause par ailleurs. Mon raisonnement s’appuie sur ce que je connais des mécanismes de l’attention et de la prise de décision dans le cerveau, et sur le constat que les médias constituent une forme de système attentionnel pour la société. Je m’explique : dans le cerveau d’un individu isolé, l’attention a pour fonction de sélectionner parmi tout ce qui arrive à ses sens, ce qui semble important et digne d’intérêt, pour y consacrer du temps de traitement cognitif au détriment du reste. Nous savons bien que ce critère d’importance prend en compte non seulement les objectifs à long terme de cet individu, mais aussi ses désirs et ses

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peurs : difficile de ne pas faire attention au chien qui vous aboie dessus quand vous passez devant sa porte. Or les médias dans leur ensemble, qu’il s’agisse de la télévision, de la radio, des journaux ou d’internet, considèrent chaque jour un vaste ensemble de faits et d’événements pour en sélectionner certains au détriment des autres en fonction de leur importance supposée, et en informer le public. Ils constituent donc le système attentionnel de notre société. CERVEAUX HAPPÉS PAR L’INSTANT PRÉSENT À partir de là, la question qui se posera forcément est de savoir pourquoi ce système attentionnel a privilégié de façon si


© Shutterstock.com/Tom Wang

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constante le thème du Covid – et plus particulièrement ses conséquences les plus spectaculaires et dramatiques – au détriment, par exemple, des effets de l’activité humaine sur la biodiversité : un sujet objectivement beaucoup plus important pour la survie des générations qui nous jugeront, et qui exige des actions encore plus rapides et radicales. L’explication est pourtant simple et si un enseignement de base de sciences cognitives figurait au programme de l’école républicaine, nos concitoyens sauraient que le système attentionnel d’une personne anxieuse et déprimée favorise de manière disproportionnée les stimuli et pensées qui ont une valence négative et qui semblent constituer une menace immédiate. Ils sauraient

également que le stress induit un rétrécissement de l’attention, qui perd sa flexibilité et son ouverture – ce que l’on appelle l’« effet tunnel » – et une tendance à réagir de manière automatique et rapide, sans prendre en compte les conséquences à long terme de ses actions. D’un point de vue neuronal, la partie du cerveau chargée de prendre en compte de façon posée le long terme – le cortex préfrontal – est inhibée. À l’échelle d’une société anxieuse et déprimée, les individus vont collectivement se focaliser sur des événements immédiats en apparence tristes ou dangereux, en privilégiant de façon obsessionnelle certains thèmes et en agissant de manière réflexe pour contrer la menace immédiate.

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PRATIQUER LA RÉPÉTITION, ÇA MARCHE ! Notre cerveau accorde donc – sans discernement ni rigueur scientifique – un poids exagéré à ce qui semble constituer un danger à court terme, ce qui influe nos prises de décisions. Cela explique pourquoi nous avons accepté aussi vite un changement aussi radical de nos modes de vie, alors qu’il aura fallu des années pour penser à éteindre le moteur et la clim après s’être garé pour téléphoner. L’impact de ces changements de comportement nous a semblé direct et immédiat, sans même attendre une quantification de leurs effets : « En restant chez moi ou en sortant masqué, en ne mettant pas mes enfants à l’école ou en cessant d’aller


LIVRES

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p. 92 Sélection de livres p. 94 L’Honneur perdu de Katharina Blum ou la mécanique de la violence

SÉLECTION

A N A LY S E

Par Christophe André

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NEUROSCIENCES La Science de la résurrection Stéphane Charpier Flammarion

NEUROSCIENCES & SOCIÉTÉ Où est le sens ? Sébastien Bohler Robert Laffont 2020, 384 pages, 20 €

2020, 368 pages, 22,90 €

ans son précédent ouvrage, Le Bug humain, Sébastien Bohler nous avait révélé comment notre striatum, petite centrale à gratifications située à la base du cerveau, pouvait nous rendre rapidement accros à toutes formes de plaisirs (nourriture, sexe, écrans, popularité...). Et comment il était important, sous peine de destruction de la planète, d’en reprendre le contrôle. Le rédacteur en chef de Cerveau & Psycho s’attaque maintenant à l’exploration du cortex cingulaire, placé plus haut, à l’interface de nos deux hémisphères cérébraux : cette structure s’active lorsque nous nous trouvons face à des situations dépourvues de sens ou de cohérence ; elle lance alors une alarme de stress, qui nous pousse à agir ou réfléchir pour retrouver du sens ou remettre de la cohérence. Pendant la plus grande partie de notre histoire humaine, les relais extérieurs à ce besoin mental étaient offerts par la religion et par les règles sociales, reconnues et suivies par tous les membres d’une communauté. Mais la modernité, notamment sous l’influence des révolutions technologiques, a fait voler en éclat ces anciens garde-fous, et ne nous en a proposé que de bien médiocres en échange, principalement l’argent, la consommation et la promotion de notre image sociale. Comme l’écrit justement le poète Christian Bobin, dans son ouvrage Les Ruines du ciel : « Dieu tenait au dix-septième siècle la place qu’aujourd’hui tient l’argent. Les dégâts étaient moindres. » Face à un monde de plus en plus fou et imprévisible, il est capital de répondre aux alertes de notre cortex cingulaire d’une manière qui n’endommage pas la planète et nos sociétés. Après les idéaux religieux et moraux, qui tenaient jusqu’alors ce rôle, Sébastien Bohler propose de nous engager plus franchement encore vers cet idéal environnemental et écologique, que nous voyons poindre dans nos sociétés, et qui a l’avantage d’être universel et compréhensible par tous, en plus d’être une urgence authentique. Construit comme un récit, son livre est passionnant, et nous offre une grande fresque, brillante et convaincante, qui brasse études scientifiques, observations du quotidien, histoire, sociologie et réflexions personnelles. À lire et surtout à mettre en œuvre ! Christophe André est médecin psychiatre.

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PSYCHIATRIE Nos héros sont malades Christophe Debien et Ben Fligans Humensciences 2020, 192 pages, 20 €

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es recherches montrent que les idées du grand public sur l’univers de la psychiatrie sont très influencées par les représentations qu’en proposent le cinéma et la télévision. Cet ouvrage offre alors un éclairage salutaire. Il décrit une série de troubles, du stress post-traumatique à la dépression en passant par la schizophrénie, en s’appuyant sur les œuvres majeures qui les évoquent. On ressort de cette lecture avec une kyrielle de conseils sur des films à voir… et autant de clés pour ne pas se laisser abuser par les conceptions erronées que ceux-ci véhiculent parfois.

À

quel moment doit-on considérer quelqu’un comme définitivement mort ? Telle est la question que pose ici le neuroscientifique Stéphane Charpier. Puisant abondamment dans les sources historiques et modernes, il explore la frontière entre vie et trépas, dont il s’est lui-même approché après un AVC, et décrit la zone grise laissée par les critères actuels de la mort cérébrale. Il raconte aussi le recul continu de cette frontière, notamment depuis le développement des protocoles de réanimation : étonnant, le cas de cet alpiniste ramené à la vie après plus de huit heures d’arrêt cardiaque ! Un ouvrage qui fascine autant qu’il interpelle sur une question abyssale.


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COUP DE CŒUR Par Georges Chapouthier

PSYCHOLOGIE La Psychologie positive Jérôme Palazzolo Que sais-je ? 2020, 128 pages, 9 €

PATHOLOGIE Manuel de guérison des cauchemars Benjamin Putois Les Arènes

2020, 288 pages, 20,90 €

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ous faisons tous – ou presque – des cauchemars de temps à autre. Mais quand ceux-ci deviennent trop fréquents et trop intenses, ils assombrissent non seulement nos nuits, mais aussi nos jours : lorsqu’on se réveille après avoir été agressé ou humilié dans son sommeil, difficile de ne pas en garder de traces sur l’humeur... Si tel est votre cas, cet ouvrage de Benjamin Putois, psychothérapeute spécialisé dans les troubles du sommeil, est fait pour vous. Fondé sur la thérapie la mieux validée scientifiquement (la thérapie par rescénarisation, ou répétition, d’images mentales), il devrait vous aider à retrouver des nuits plus paisibles.

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PSYCHOLOGIE ANIMALE Comment pensent les animaux Loïc Bollache HumenSciences 2020, 240 pages, 16 €

ntre 1967 et 2000, es preuves scientifiques d’une intelligence chez les animaux « 95 % des études s’accumulent », affirme Loïc Bollache, professeur en écologie scientifiques publiées à l’université Bourgogne-Franche-Comté. Dans ce livre en psychologie portaient agréable, bourré d’exemples et de descriptions d’expériences sur les maladies amusantes, il nous présente quelques-unes de ces preuves. Au rappel mentales, comme la de connaissances établies depuis longtemps, comme l’utilisation dépression, les troubles d’outils par certains oiseaux et mammifères, il ajoute de multiples anxieux ou les maladies découvertes récentes et inattendues. psychotiques : c’est en Nombre d’animaux sociaux imitent par exemple leurs congénères, réaction à ce constat parfois jusque dans le domaine des préférences sexuelles. Chez qu’est née la psychologie le tétras lyre, un petit coq de bruyère, le mâle qui parade a plus positive, nous explique de chances d’être choisi par une femelle si elle l’a préalablement ici le psychiatre Jérôme vu s’accoupler avec d’autres. La coopération est souvent de mise chez Palazzolo. L’idée étant les animaux : les singes et les cétacés communiquent via divers de s’intéresser aussi aux signaux vocaux, notamment pour signaler un prédateur, et beaucoup forces de l’individu et aux d’espèces manifestent de l’empathie, voire de la compassion. moyens de favoriser le Quant aux fourmis, elles offrent de surprenantes démonstrations bonheur. L’auteur résume d’intelligence collective. Mais la tricherie et le mensonge ne sont dans cet ouvrage les pas rares non plus, comme l’illustre le cas du drongo brillant, un oiseau principales conclusions africain qui imite les cris d’alerte d’autres espèces pour les faire fuir de ce domaine, tout et voler leur nourriture. en offrant une panoplie Toutes ces capacités reposent sur des formes variées de mémoire, d’outils permettant de dont l’ouvrage décrit quelques manifestations spectaculaires : les se porter mieux au saumons, qui retrouvent la rivière où ils sont nés, les bernard-l’ermite, quotidien : questionnaires qui reconnaissent leurs congénères et évitent ainsi les querelles avec d’évaluation, techniques un adversaire plus fort, les geais, qui se souviennent de l’endroit et de relaxation, conseils même du moment où ils ont caché des larves – mets savoureux qu’ils pour « pratiquer abandonnent pourtant quand ils savent que sa durée de conservation l’optimisme » ou est dépassée… Finalement, il n’y a pas une intelligence animale unique, s’interroger sur ses mais des aptitudes très variées, adaptées aux différents milieux. Et Loïc valeurs… Bollache en livre un impressionnant panorama, qui conduit à repenser la place de l’homme dans le monde vivant et l’invite à s’inspirer des autres espèces pour devenir « plus créatif, plus conscient de la force du collectif, plus empathique envers son prochain ». Georges Chapouthier est biologiste, philosophe et directeur de recherche émérite au CNRS.

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LIVRES Neurosciences et littérature

SEBASTIAN DIEGUEZ Chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’université de Fribourg, en Suisse.

L’Honneur perdu de

Katharina Blum ou la mécanique de la violence

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Dans le roman de l’écrivain allemand Heinrich Böll, une jeune femme assassine un journaliste qui l’a diffamée. Comment le sentiment de l’honneur bafoué peut-il conduire à de telles extrémités ?

a rubrique des faits divers présente régulièrement des drames d’un type assez curieux : un malheureux s’est fait agresser, parfois à mort, pour un motif dérisoire. Qu’il s’agisse d’un regard de travers, d’un mot mal interprété, d’une cigarette refusée, d’un geste inapproprié ou d’une place de parking subtilisée, un déferlement de violence s’abat sur le « coupable ». Comment des choses aussi insignifiantes  peuvent-elles conduire à l’irréparable ? Ces actes choquants et inqualifiables trouvent  souvent un début d’explication dans la notion d’« honneur ». D’une manière ou d’une autre, l’agresseur a jugé qu’on lui manquait de respect

EN BREF £ Après avoir été salie par la presse à scandale, Katharina Blum assassine le journaliste qui l’a calomniée. £ Les recherches en psychologie confirment les liens étroits entre honneur et violence. £ Cette valeur est donc très ambivalente et naîtrait de contextes où l’on n’a d’autre protection que sa propre réputation.

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et pris le comportement de sa victime comme un affront méritant réparation. Apparemment, on n’attente pas à l’honneur de certaines personnes sans encourir un risque majeur ! Mais qu’est-ce donc que ce concept étrange, à ce point précieux qu’il mène au pire lorsqu’il est menacé, ne seraitce que subjectivement et arbitrairement ? DÉSHONORÉE À CAUSE D’UN COUP DE FOUDRE L’écrivain allemand Heinrich Böll nous offre une étude de cas fictionnelle, et très contemporaine, dans son roman L’Honneur perdu de Katharina Blum, publié en 1974 et porté à l’écran l’année suivante par Volker Schlöndorff et Margarethe von Trotta. Beaucoup d’illustres personnages dans l’histoire de la littérature ont valeureusement défendu leur honneur, terme qui évoque encore aujourd’hui des vertus chevaleresques et claniques un peu dépassées. L’histoire

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À retrouver dans ce numéro p. 30

ONDES DE LEADERSHIP

Au sein d’un groupe, celui dont l’activité cérébrale est la mieux synchronisée avec celle des autres est reconnu comme le leader.  p. 76

DEUIL PERSISTANT

Le syndrome de deuil complexe persistant décrit un état de deuil s’étendant au-delà de douze mois, avec des signes comme un sentiment de profonde solitude, une amertume inextinguible et une difficulté à faire confiance aux autres. Sur le plan diagnostic, il doit être distingué d’une dépression. p. 88

p. 12

CERVEAU DE DINOSAURE

Il y a 350 millions d’années vivait l’aïeul commun des oiseaux et des mammifères, qui possédait un ancêtre de cortex cérébral. Celui-ci s’est ensuite différencié en cortex (du côté des mammifères) et en pallium aviaire chez les oiseaux. On ignore si les dinosaures avaient un cortex ou un pallium aviaire, mais les deux étant très similaires, il se peut qu’ils aient été intelligents…

EFFET TUNNEL

« Le stress induit une tendance à réagir de manière automatique et rapide, sans prendre en compte les conséquences à long terme de ses actions. » Jean-Philippe Lachaux, Inserm de Lyon p. 64

55 %

des récits de rêves des Finlandais au mois de mars 2020 comportaient des associations de termes ou concepts dénotant l’empreinte du Covid, comme « embrassadeerreur » ou « poignée de main-restriction »…

p. 72

p. 40

PSYCHOGÉNÉTIQUE

La psychogénétique est l’étude de l’impact du psychisme sur les gènes. Grâce à des thérapies cognitives et comportementales (TCC), on peut ainsi moduler chimiquement des gènes de vulnérabilité aux troubles paniques, de manière à protéger les patients des attaques de terreur.

LOI D’ATTRACTION

La loi d’attraction est une croyance du champ du développement personnel qui prédit que si vous désirez suffisamment fort quelque chose, cela finit par arriver. Les tests empiriques montrent que cela ne fonctionne pas. En revanche, penser aux obstacles aide à réaliser ses projets.

p. 16

FAISCEAU

TEMPOROPARIÉTAL Ce faisceau de fibres qui relie le lobe temporal au lobe pariétal, garant d’une bonne mémoire, donne des signes de faiblesse avec l’âge…

Imprimé en France – Maury imprimeur S. A. Malesherbes– Dépôt légal décembre 2020 – N° d’édition M0760127-01 – Commission paritaire : 0723 K 83412 – Distribution MLP – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur 249291 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot


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