Pour la Science numéro collector - Les paradoxes du temps

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numéro collector

M 08841 - 1H - F: 9,90 E - RD

Édition française de Scientific American

NOVEMBRE 2018-JANVIER 2019

Les paradoxes du TEMPS Le temps est-il une illusion ?

Le temps a-t-il une fin ?

Le temps est-il un luxe ?

BEL : 11,50 € / CAN : 16,50 $ CAN / CH : 17,90 CHF / DOM : 11,50 € / Esp. : 10,90 € / Gr.  : 11,50 € / LUX : 10,90 € / MAR : 120 MAD / PORT. cont. : 10,90 € / TOM S : 1 590 XPF

Le temps est-il le même pour tous ?


192 p. – 17 €

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11.18/01.19

numéro collector

Laisser du temps au temps

Ont contribué à ce numéro

par Loïc Mangin Rédacteur en chef adjoint à Pour la Science « Il faut laisser du temps au temps. » Souvent attribuée à François Mitterrand, cette expression est en fait tirée de Don Quichotte, de Miguel de Cervantes, où l’on en trouve trois occurrences. L’auteur ne ferait même que reprendre un ancien proverbe. Que doit-on en comprendre ? C’est un appel au « savoir attendre », à la patience. Celle des physiciens qui s’attachent à comprendre l’essence du temps, à pousser ce concept dans ses retranchements jusqu’à, finalement, proposer de s’en passer. Celle à laquelle nous enjoignent les psychologues et les sociologues, pour ne pas nous laisser dépasser par les événements et redevenir maîtres de nos vies. Et celle, finalement, requise par ce numéro collector, le premier du genre. Prenez le temps de le lire, d’en apprécier la richesse et la diversité… pour au bout du compte comprendre, avec l’ancien président, que « les idées fleurissent comme les fruits et les hommes ».

www.pourlascience.fr

Pour la Science Hors-série novembre 2018-janvier 2019

Étienne Klein est physicien et philosophe des sciences. Il dirige le Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière (Larsim) du CEA. Carlo Rovelli est professeur à l’université de la Méditerranée. Il travaille au Centre de physique théorique de Luminy (CNRS), près de Marseille. Antonio Damasio est neurologue et psychologue à l’Institut pour l’étude neurologique de l’émotion et de la créativité, à Los Angeles, aux États-Unis. Christophe André est psychiatre et psychothérapeute, médecin à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, et chargé d’enseignement à l’université Paris-Nanterre. Jean Viard est directeur de recherches CNRS au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po) et directeur des éditions de l’Aube.

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SOMMAIRE Grand témoin

Étienne Klein

« Parler du temps n’équivaut jamais à le dire, encore moins à le saisir : tenter de s’accorder à son propos revient à vouloir sculpter l’océan » p. 6

Les paradoxes 01

4

02

03

Le temps existe-t-il ?

Le temps, un aller sans retour ?

Temps du corps, temps de l’esprit

p. 14 Le temps

p. 36 Le temps peut-il

p. 60 Quand les horloges

est une illusion

avoir une fin ?

Paul Davies

George Musser

Le temps semble s’écouler inexorablement. Pourtant, ce n’est qu’une fausse impression.

La fin du temps semble à la fois impossible et inévitable. Peut-on résoudre ce paradoxe ?

p. 24 S’affranchir

du temps

Carlo Rovelli La notion de temps pose problème en physique. Pourquoi ne pas s’en passer ?

p. 32 Les

jalons du temps

Les échelles de temps s’étendent sur plus de quarante ordres de grandeur !

p. 46 Une brève histoire

du voyage dans le temps

Tim Folger Un cosmonaute a déjà fait un petit voyage dans le temps. Pourra-t-on faire de même ?

p. 56 La SF, toujours

un temps d’avance

Roland Lehoucq Le voyage dans le temps fait le bonheur de la sciencefiction. Science ou fiction ?

biologiques se dérèglent

Keith Summa et Fred Turek La perturbation des horloges propres à de nombreux organes favorise l’obésité, le diabète…

p. 72 Se souvenir

du temps qui passe

Antonio Damasio Notre cerveau gère le « temps de l’esprit », qui organise nos expériences en souvenirs.

p. 78 « La corde » pour

étirer le temps

Antonio Damasio Le film La Corde dure 80 minutes. Pourtant, on a l’impression qu’il est plus long. Pourquoi ?

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Numéro collector Novembre 2018-Janvier 2019

du temps 04

05

Devenir maître du temps

Le temps, moteur de la société

p. 82 Prendre

p. 104 « La conquête du

la mesure du temps

Sylvie Droit-Volet Le très jeune enfant peut estimer des durées. Mais quand comprend-il ce qu’est le temps ?

p. 92 Quand le cerveau

ne sait plus attendre

Jean-Claude Dreher Habitué à tout obtenir sans délai, le cerveau ne supporte plus les baisses de rythme.

p. 100 Faire face

à l’inexorable fuite du temps

Christophe André Le temps qui s’écoule nous laisse souvent impuissant. Comment y échapper ?

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temps est la nouvelle aventure de l’Homme »

Entretien avec Jean Viard

p. 110 Le temps, d’une

culture à l’autre

Éric Navet Certaines sociétés accordent plus d’importance à l’espace qu’au temps.

p. 120 Le mystère

des montres à 10 h 10

S. Martínez-Conde, S. Macknik et L. L. di Stasi Pourquoi les montres dans les vitrines sont-elles si souvent réglées à 10 heures 10 ?

5


6

De qui est-il l’affaire ? Étienne Klein

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Grand témoin

Qui saurait dire, à partir d’un savoir parfaitement sûr, si le temps est ce qui accueille les événements, ou si, au contraire, il en émane ? Et qui pourrait se targuer d’avoir une connaissance assez complète et suffisamment certaine pour expliciter ce qu’indiquent vraiment les horloges ? En guise de réponses, chacun d’entre nous se risque à dire son mot. Mais en général, les esprits s’embrouillent rapidement : untel dit que le temps s’arrête quand plus rien ne change, tel autre qu’il continue de passer quand plus rien ne se passe, tel enfin qu’il s’accélère. Le temps n’a guère de vertu œcuménique : en parler n’équivaut jamais à le dire, encore moins à le saisir, de sorte que tenter d’accorder les violons à son propos revient à vouloir sculpter l’océan. Est-il toutefois une discipline, scientifique ou non, qui pourrait prétendre être mieux équipée que les autres pour en parler ?

Le temps n’a guère de vertu œcuménique. En parler n’équivaut jamais à le dire, encore moins à le saisir : tenter de s’accorder à son propos revient à vouloir sculpter l’océan

© Les livres et vous/ LCP

UNE AFFAIRE PHILOSOPHIQUE ? À quoi le temps ressemble-t-il vraiment ? Est-il comme notre langage le raconte ? Comme nous croyons le percevoir ou le vivre ? Comme il s’impose à nous, charriant la mort dans sa perspective ? Comme le représentent les physiciens ? Comme le pensent les philosophes ? A priori, c’est vers ces derniers, les philosophes, que l’on doit se tourner, tant la question du temps a été et demeure l’une de leurs grandes affaires. De fait, nombre d’entre eux (Aristote, saint Augustin, Kant, Husserl, Bergson, Heidegger…) ont mis sur pied des systèmes ingénieux et cohérents permettant de le penser au plus près. Mais se tourner exclusivement vers la philosophie en matière de temps ne résout pas le problème. D’abord, les philosophes ne sont pas d’accord entre eux : leurs discours font du temps tantôt le principe du changement, tantôt l’enveloppe invariable de toute chronologie ; tantôt ils l’assimilent à l’évanescence, tantôt à une

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En bref ―――

⟶ Nous méditons sur

le temps sans jamais trop savoir à quel type d’entité nous avons affaire.

⟶ Est-il une substance ? Un fluide ? Une illusion ? Une production de la psyché ? Une construction sociale ?

⟶ Diverses locutions familières suggèrent qu’il s’agirait d’un être physique. Selon d’autres, il ne serait qu’une émanation de notre conscience, un concept culturel ou bien encore un aspect des processus naturels.

arène statique emplie de ce qui a déjà eu lieu en attente de ce qui viendra s’y produire ; tantôt ils le conçoivent comme un être purement physique, ou, au contraire, comme un produit de la conscience… Des choix s’imposent. Mais selon quels critères ? L’élégance du système proposé ? Sa séduction ? Sa rigueur ? Sa vraisemblance ? Son auteur ? Plus encore, la philosophie elle-même est comme clivée par la question du temps, au sens où elle répartit en deux catégories presque étanches ses différentes doctrines. Pour les unes, le temps doit être pensé comme un simple ordre d’antériorité ou de postériorité, sans aucune référence à l’instant présent, ni à la conscience de quelque observateur, ni même à sa simple présence : la seule chose qui existe, selon elles, ce sont les relations temporelles entre événements ; le temps apparaît alors comme un ordre de succession qui déploie des chronologies objectives, définitives. Pour les autres, le temps est au contraire un passage, le passage d’un instant particulier, le transit du présent vers le passé et de l’avenir vers le présent. Cette dynamique ne pouvant être décrite et pensée qu’en faisant intervenir la

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Le temps  existe-t-il ?

Un beau jour de 1687, alors qu’il révolutionne la physique, Isaac Newton introduit dans ses équations un paramètre qu’il note t et nomme « le temps ». Depuis, les physiciens sont bien embêtés… Ils s’échinent à comprendre ce qu’est le temps, l’extraire de l’expérience que nous en faisons quotidiennement, et en proposer une définition rigoureuse. De la relativité d’Einstein jusqu’aux récents développements de la théorie des cordes, l’idée de temps a été bousculée, remaniée… Où en est-on aujourd’hui ? Selon certains, le passage du temps ne serait qu’une illusion. D’autres envisagent de tout simplement s’en passer. Sale temps pour le temps !

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Pour la Science Hors-sĂŠrie novembre 2018-janvier 2019

01


Le temps est une

ILLUSION Paul Davies

Bryan Christie

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LE TEMPS EXISTE-T-IL ?

Du passé gravé dans le marbre, jusqu’à l’avenir incertain en passant par le présent fugace, le temps semble s’écouler inexorablement. Pourtant, ce n’est qu’une fausse impression.

Souvenez-vous, Pierre de Ronsard dans Mignonne, allons voir si la rose : « Cueillez, cueillez vostre jeunesse : / Comme à ceste fleur la vieillesse / Fera ternir vostre beauté. » Ou bien, Alphonse de Lamartine dans Le Lac : « Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! / Suspendez votre cours : / Laissez-nous savourer les rapides délices / Des plus beaux de nos jours ! » Le cliché universel du temps qui s’écoule a fait les beaux jours de la poésie. Qui pourrait douter que le temps fonctionne ainsi ? Le passage du temps est probablement l’une des plus élémentaires perceptions humaines, car nous le sentons au plus profond de nous, plus intimement encore que l’espace ou la masse, par exemple. Le passage du temps a été comparé au vol d’une flèche ou à l’écoulement éternel d’un ruisseau, nous portant inexorablement du passé vers le futur. Si évocatrices soient-elles, ces images se heurtent à un paradoxe profond et dévastateur. En physique, aucune notion ne correspond au passage du temps. En effet, les physiciens expliquent que le temps, à supposer qu’il existe, ne s’écoule pas. Selon certains philosophes, la simple notion du passage du temps est absurde et fondée sur une idée fausse. Comment un aspect aussi élémentaire de notre perception du monde physique pourrait-il en fait être une erreur ? Le temps disposerait-il d’une propriété clé que la science n’a pas encore identifiée ? Dans la vie quotidienne, nous divisons le temps en trois parties : le passé, le présent et le futur. La structure grammaticale du langage

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gravite autour de cette distinction fondamentale. La réalité est associée au moment présent. Le passé est ce qui a cessé d’exister. Le futur est dans les limbes de ce qui n’est pas encore advenu. Dans ce tableau, le « maintenant » dont nous avons conscience glisse continuellement vers l’avant, transformant les événements du futur incertain en réalité présente, concrète mais fugace, avant de les reléguer au passé gravé dans le marbre.

LE TEMPS N’EST PAS ESSENTIEL Cette conception commune paraît évidente, pourtant elle s’oppose à la physique moderne. Dans une lettre à un ami, Albert Einstein exprimait cette idée de manière fameuse : « La distinction entre le passé, le présent et le futur n’est qu’une illusion obstinément persistante. » Cette conclusion surprenante d’Einstein découle directement de sa théorie de la relativité, qui nie toute signification absolue et universelle à l’idée de moment présent. Selon elle, la simultanéité est relative. Deux événements qui se produisent au même moment lorsqu’ils sont observés dans un cadre de référence peuvent, vus depuis un autre cadre, se produire à des moments différents. Une question simple comme : « Que se passe-t-il actuellement sur Mars ? » n’a pas de réponse absolue. En effet, la Terre et Mars sont séparées par une longue distance – qui peut atteindre jusqu’à 20 minutes-lumière (près de 360 millions de kilomètres). Or l’information ne pouvant pas se déplacer plus vite que la

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La notion de temps pose certaines difficultés à la physique moderne. Alors, pourquoi ne pas s’en passer complètement ? Une option moins radicale qu’il n’y paraît.

S’affranchir du TEMPS Carlo Rovelli

© Shutterstock.com/Haver

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LE TEMPS EXISTE-T-IL ?

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En 1 attoseconde, la lumière parcourt 0,3 millionième de millimètre, soit la taille d’une petite molécule. En 2008, des chercheurs allemands et américains ont produit dans le domaine des rayons X des impulsions laser de seulement 80 attosecondes.

1 attoseconde

● 10-18 s

C’est le temps qu’il faut à la lumière pour traverser le noyau d’un atome. La durée de vie moyenne des bosons W ou Z est de 0,3 yoctoseconde. Des collisions d’ions lourds produisent durant quelques yoctosecondes un plasma de quarks et de gluons ainsi que des photons très énergétiques.

1 yoctoseconde

● 10-24 s

C’est l’échelle de temps obtenue en combinant les trois constantes fondamentales de la physique (la vitesse de la lumière, la constante de gravitation et la constante de Planck). Seule une théorie mariant la relativité générale à la physique quantique permettrait de comprendre ce qui se passe à cette échelle, ainsi qu’à l’échelle de longueur correspondante (la longueur de Planck, 10–35 mètre).

Temps de Planck

● 10-43 s

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1s

10-6 s

10-9 s

10-15 s

10-18 s

10-24 s

10-43 s

Les échelles de temps accessibles à la science s’étendent sur plus de quarante ordres de grandeur, du monde subatomique à celui de la cosmologie. Un défi pour notre imagination.

Les jalons du temps

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● 10 s

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Dans ce laps de temps, un message nerveux parcourt 3 micromètres. Le flash d’un stroboscope commercial dure environ 1 microseconde. En une microseconde, la lumière parcourt 300 mètres, soit l’équivalent de trois terrains de football, tandis que le son ne franchit que… 0,3 millimètre.

1 microseconde

● 10-6 s

Dans un ordinateur doté d’une mémoire vive dynamique (DRam), le temps d’accès à un bit d’information (un 0 ou 1) est de 60 à 70 nanosecondes. Le microprocesseur réalise une opération (par exemple une addition) en moins de 1 nanoseconde. La fusion nucléaire dans une bombe à hydrogène dure de 20 à 40 nanosecondes.

1 nanoseconde

-9

● 10 s

Les changements de conformation des molécules en interaction avec d’autres ou sous l’effet d’une excitation durent 100 à 200 femtosecondes. Par exemple, dans la rétine, le rétinal des photorécepteurs change de conformation sous l’effet de la lumière en moins de 200 femtosecondes.

1 femtoseconde

-15

1014 a

1012 a

109 a

106 a

10 a 5

1a

1j

1h

Durée de la rotation complète de la Terre sur elle-même. Le jour sidéral, mesuré en référence à un point de la sphère céleste, dure 23 heures 56 minutes et 4,09 secondes. Le jour solaire, intervalle de temps séparant deux passages du Soleil au méridien, vaut en moyenne 24 heures, soit 86 400 secondes. La rotation de la Terre ralentit de 5 secondes tous les 1 000 ans.

1 jour : 86 400 s

● 1 J

En 1 heure, la lumière parcourt 1,08 milliard de kilomètres. Depuis Pluton, elle nous parvient en 5 heures et 20 minutes. Une cellule vivante se divise en une à quelques heures, selon l’organisme. Un ovule fécondé de mammifère met quelques dizaines d’heures pour devenir un embryon de 8 cellules.

1 heure : 3 600 s

● 1h

Équivalent de 1/86 400e du jour solaire moyen. En 1 seconde, la lumière parcourt 299 792 458 mètres. Par définition, la seconde est « la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133, au repos, à une température de 0 kelvin ». Une vie de 80 ans correspond à environ 2,5 milliards de secondes

1 seconde

● 1s

C’est l’unité de l’échelle des temps géologiques. La période du Quaternaire (la nôtre) a ainsi débuté il y a 2,588 millions d’années et l’ère du Cénozoïque (la nôtre) il y a 65,5 millions d’années. Les premiers hominidés sont apparus il y a 10 millions d’années ; c’est un peu moins de quatre fois le temps mis par la lumière pour nous parvenir depuis la galaxie d’Andromède.

1 million d’années

● 106 a

C’est le temps que met la lumière pour traverser notre galaxie. C’est aussi approximativement le temps écoulé depuis l’expansion de l’homme moderne hors d’Afrique.

100 000 ans

● 105 a

L’année sidérale est le temps de révolution complète de la Terre autour du Soleil, c’est-à-dire le temps que met le Soleil pour retrouver la même position sur la sphère céleste ; soit 365 jours 6 heures 9 minutes et 9,8 secondes. L’année solaire ou tropique, durée séparant deux équinoxes, représente 365 jours 5 heures 48 minutes 45 secondes en moyenne. Le calendrier grégorien retarde de 1 jour sur l’année tropique tous les 3 300 ans.

31 556 926 s

● 1a

Ce futur lointain verra la mort des dernières étoiles de l’Univers, parfois sous forme de supernovae. Plusieurs noyaux atomiques mettent plus de temps à disparaître ; la demi-vie du tellure 128 est ainsi de 2,2 x 1024 années. Et les derniers protons finiront de se désintégrer dans 10200 ans !

100 000 milliards d’années

● 1014 a

La durée de vie possible des naines rouges, étoiles peu massives, les plus nombreuses de l’Univers. D’ici à 1012 ans, tous les éléments créés lors du Big Bang auront disparu ou seront noyés dans ceux produits par les étoiles.

1 000  milliards d’années

● 1012 a

C’est ce qu’il a fallu à la vie pour apparaître sur Terre après la formation de la planète, il y a environ 3,5 milliards d’années. Dans 1 milliard d’années, le Soleil sera devenu trop chaud pour que la vie sur Terre soit encore possible. Quatre milliards d’années de plus, et notre étoile deviendra une géante rouge, puis finira en naine blanche.

1 milliard d’années

● 109 a

LE TEMPS EXISTE-IL ?

33


Le temps, un aller  sans retour ?

Vingt-deux millisecondes ! C’est aujourd’hui le plus long voyage dans le temps jamais effectué. Pourra-t-on un jour faire mieux et espérer aller plus loin dans le futur ou dans le passé ? Les relativités restreinte et générale d’Einstein autorisent, en théorie, ces voyages, mais les défis pratiques semblent insurmontables… à part pour les auteurs de science-fiction. Rêvons un peu. Si d’aventure une machine à voyager dans le temps était un jour fabriquée, pourrait-elle nous emmener jusqu’à ces temps où, selon certains physiciens, le temps lui-même disparaîtra ?

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Pour la Science Hors-sĂŠrie novembre 2018-janvier 2019

02


Le temps peut-il avoir une

FIN ? 36

George Musser


LE TEMPS, Le temps UN peut-il ALLER SANS avoirRETOUR ? une fin ?

Sauf mention contraire, les montres sont de Holly Lindem

La fin du temps semble à la fois impossible et inévitable. On résout le paradoxe en imaginant l’avènement d’une physique… intemporelle.

Rien ne se termine jamais vraiment. Lorsque nous mourons, nos corps se décomposent et nos constituants retournent à la terre et dans l’air, perpétuant le cycle de la vie. Nous « vivons » alors à travers ce qui vient ensuite. En sera-t-il toujours ainsi ? Viendra-t-il un jour où il n’y aura plus « d’après » ? L’idée est déprimante, mais plausible. La physique suggère que le temps lui-même pourrait prendre fin. Toute activité cesserait, et il n’y aurait ni renouvellement, ni régénération de quoi que ce soit. La fin des temps serait aussi la fin de toutes les fins. Cette perspective fait partie des prédictions inattendues de la théorie de la relativité générale, laquelle est à la base de notre compréhension actuelle de la gravitation. Avant cette théorie, la plupart des physiciens et des philosophes pensaient que le temps était comme un battement de tambour universel, un rythme stable qui cadence le cosmos. Albert Einstein a montré que l’Univers est polyrythmique. Le temps peut ralentir, s’étirer, se déchirer. Quand nous sentons la gravitation, nous percevons l’improvisation rythmique du temps ; les objets qui tombent sont attirés vers des lieux où le temps passe plus lentement. Le temps et la matière influent l’un sur l’autre, comme les musiciens d’un groupe s’entraînant et se motivant mutuellement. Toutefois, lorsque la situation devient incontrôlable, le temps peut s’évanouir. Un tel moment est une singularité, une sorte de frontière du temps, peu importe qu’elle en marque le début ou la fin. La plus connue est le Big Bang, lors duquel l’Univers (et le temps) a

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commencé à exister et s’étendre il y a 13,7 milliards d’années. Si l’Univers interrompt un jour son expansion pour se contracter, il filera vers un moment inverse du Big Bang (on parle de Big Crunch) et le temps touchera à sa fin. C’est déjà le cas en certains endroits ! En effet, d’après la relativité générale, le temps n’existe déjà plus dans les trous noirs. Aspiré dans l’un d’eux, vous seriez réduit en miettes et vos restes atteindraient la singularité au centre de l’astre : votre existence même au sein du temps s’achèverait soudainement dans une apocalypse existentielle. Il a fallu des décennies aux physiciens pour accepter cette idée aussi perturbante d’une mort sans renouveau. Et ils ne savent pas quoi en faire… aussi cherchent-ils un moyen de se débarrasser des singularités grâce à une théorie unifiée, qui fusionnerait relativité générale et mécanique quantique. Mais attention, si la fin du temps est dure à imaginer, l’éternité pourrait bien être toute aussi paradoxale.

L’ANTINOMIE DU TEMPS Bien avant Einstein, les philosophes ont débattu sur la potentielle mortalité du temps. Emmanuel Kant considérait ce problème comme une « antinomie », c’est-à-dire une notion intrinsèquement contradictoire, argumentable dans les deux sens et laissant irrémédiablement perplexe celui qui s’y intéresse. Aristote ne disait pas autre chose en soutenant que le temps ne peut avoir ni début ni fin. Chaque moment est à la fois la fin d’une époque

37


Un cosmonaute russe a déjà fait un tout petit voyage dans le futur. Mais comment aller dans le passé ? Le seul moyen serait de passer par un « trou de ver », un tunnel spatiotemporel très hypothétique…

46

Une brève histoire du

voyage dans le

TEMPS Tim Folger

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LE TEMPS, UN ALLER SANS RETOUR ?

47

Asaf Hanuka

⟵ J e suis tombé dans

un trou de ver turbulent…

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LE TEMPS, UN ALLER SANS RETOUR ?

⟵ P ar chance, j’ai trouvé le

moyen d’en sortir… et à mon grand soulagement, j’ai pu rejoindre mon vaisseau…

48

En 1895, H. G. Wells publie La Machine à explorer le temps. Ce roman d’anticipation paraît quelques années avant la fin des soixantetrois ans de règne de la prude reine Victoria, laquelle précède de quelques années seulement la fin du règne sans partage de… la physique newtonienne. En effet, Albert Einstein publie en 1905 sa théorie de la relativité restreinte, qui met à mal la conception de l’espace-temps héritée de Galilée. Cette théorie a aussi l’étrangeté de prévoir une forme de voyage vers le futur… au grand plaisir de Wells, sans doute ! Dans l’espace-temps galiléen, le temps est le même pour tous, en tous lieux. Dans la théorie d’Einstein, en revanche, les durées mesurées par des observateurs en mouvement l’un par rapport à l’autre ne coïncident plus : le temps est relatif. Depuis 1905, un vrai voyage dans le temps a été réalisé, mais pas avec la machine qu’imaginait Wells. L’humain ayant voyagé le plus loin dans le temps à ce jour est Guennadi Padalka : il a bondi vers le futur de… 22 millisecondes. Cette avance sur les autres humains résulte des 878 jours que ce cosmonaute a passés à bord de Mir et de la Station spatiale internationale (ISS).

En bref ―――

⟶ Le voyage vers le futur est prévu par la théorie de la relativité restreinte. Un cosmonaute russe a ainsi gagné

À bord de ces stations spatiales, il se déplaçait en effet à quelque 27 000 kilomètres par heure autour de la planète. Par rapport à nos horloges au sol, sa propre horloge, c’est-à-dire son temps propre, a moins avancé : il a moins vieilli que nous. En d’autres termes, Guennadi Padalka a avancé vers le futur de 22 millisecondes par rapport à quelqu’un resté sur la Terre.

22 millisecondes…

⟶ Remonter le temps semble à l’inverse impossible, sauf dans des scénarios très particuliers que laisse envisager la relativité générale.

⟶ Il faudrait pour cela suivre une trajectoire spatiotemporelle fermée. Les trous de ver, sortes de tunnels reliant deux régions de l’espace-temps, le permettraient. Mais existent-ils vraiment ?

VOYAGER DANS LE PASSÉ ? Les effets d’un tel voyage vers le futur seraient beaucoup plus perceptibles si de grandes distances et vitesses étaient en jeu. Imaginons que Guennadi Padalka parte en 2018 pour Bételgeuse, une étoile située à près de 500 années-lumière de la Terre, à 99,995 % de la vitesse de la lumière. À son retour, il aurait vieilli de dix ans, mais sur la Terre, nous serions… en 3018, c’est-àdire que 1 000 ans se seraient écoulés (voir le schéma page 50). « Nous pouvons voyager vers le futur. Ce n’est qu’une question de temps et de moyens », explique l’astrophysicien Richard Gott, de l’université de Princeton. Et voyager vers le passé ? Dans le cadre spatiotemporel de la relativité restreinte, publiée

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TITRE DE LA TÉTIÈRE , NUMÉRO EN 6 PARTIES

Le voyage dans le temps fait le bonheur de la science-fiction. Les physiciens tentent de faire de ce mythe une réalité. Y parviendront-ils ? Réponse… demain ! Roland Lehoucq

56

La SF, toujours un temps d’avance Les « motos temporelles » de La Patrouille du temps, de Poul Anderson, La Machine à remonter le temps, de Herbert George Wells, le chronoscaphe mis en scène par Edgar Jacobs dans Le Piège diabolique, la DeLorean de Retour vers le futur, de Robert Zemeckis… Le voyage dans le temps est sans doute l’une des idées les plus séduisantes que propose la science-fiction. Mais est-il vraiment possible d’arriver dans le futur avant les autres ou de visiter le passé ? Pour y parvenir, les physiciens redoublent d’imagination, mais il est à craindre que le départ soit retardé, tant les difficultés soulevées sont légion. Selon le physicien Stephen Hawking, les obstacles sont même

insurmontables. Il a érigé cette conclusion en un principe, dit de « protection chronologique » : les machines temporelles sont interdites et s’autodétruisent instantanément si on cherche à les construire.

TUER SON GRAND-PÈRE NUIT À LA SANTÉ Pourquoi interdites ? Parce qu’elles font surgir divers paradoxes dont on a du mal à imaginer comment on pourrait les résoudre. Par exemple, imaginons qu’un voyageur temporel aille dans le passé et tue son grand-père avant que celui-ci n’ait eu le temps d’avoir une descendance. Comme il n’a jamais pu venir au monde, comment a-t-il pu effectuer son

voyage ? Cette situation paradoxale, un effet sans cause, semble apparaître pour la première fois dans Le Voyageur imprudent, un roman de René Barjavel publié en 1944. Dans le roman, le héros voyage aussi vers le futur et découvre, en l’an 100 000, une humanité ayant évolué vers la spécialisation exclusive des tâches, à la façon des insectes sociaux, avec des hommes-pelles, des hommesventres, des hommes-nez… Le voyage dans le temps n’est peutêtre pas aussi séduisant qu’on ne le pense… Des paradoxes au moins aussi redoutables que celui dit du grand-père avaient déjà été soulevés quelques années auparavant par Robert Heinlein, en

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Titre deLEl'article, TEMPS, àUN retravailler ALLER SANS peut-être... RETOUR ?

© Gercen / shutterstock.com

particulier dans sa nouvelle « Un self-made-man » (By His Bootstraps en anglais), publiée en 1941 dans la revue Astounding Stories. Dans cette histoire, jusqu’à quatre versions d’un même personnage se retrouvent dans la même pièce ! Autre situation paradoxale : un écrivain s’expédie à lui-même, dans le passé, un exemplaire du livre qui l’a rendu célèbre. Comme son moi passé écrit son manuscrit simplement en recopiant l’exemplaire reçu du futur, il semble que

le livre apparaisse ex nihilo. Là encore le voyage dans le temps met à mal le principe de causalité en produisant une situation où un effet devient sa propre cause. Une variante du paradoxe de l’écrivain est l’autogenèse, qui consiste à être son propre géniteur. Cette idée est au cœur d’une autre nouvelle de Robert Heinlein « Vous les zombies » (All You Zombies en anglais), parue en 1959 dans Fantasy & Science Fiction et qui inspira le film Prédestination (2014) : ici, le personnage central se révélera être sa mère, son père, son amant et son enfant. Vous avez dit paradoxe ? Dans ses deux nouvelles, Robert Heinlein met en scène des boucles temporelles imbriquées (voir Une brève histoire du

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voyage dans le temps, par T. Folger, page 46). De quoi s’agit-il ? Tout commence en 1905, quand Albert Einstein publie la « relativité restreinte », une nouvelle théorie de l’espace et du temps dans laquelle la durée séparant deux événements n’est pas identique pour tous les observateurs et dépend de leur vitesse relative. En 1908, Hermann Minkowski introduit l’espace-temps, fusion du temps et de l’espace à trois dimensions. Une histoire, succession d’événements

se déroulant en différents lieux, devient une courbe de l’espace-temps dont chaque portion possède une durée propre à l’observateur qui suit cette courbe. En 1915, Einstein publie la relativité générale, une théorie qui ne décrit plus la gravité comme une force, mais comme une manifestation de la courbure de l’espace-temps causée par la distribution de masse et d’énergie. Ainsi, une horloge voyageant près d’un corps massif, qui déforme fortement l’espace-temps, mesure une durée de voyage plus courte qu’une horloge restée sur Terre. Cet effet de dilatation gravitationnel des durées fonde l’intrigue d’Interstellar, de Christopher Nolan, sorti en 2014.

Dans cet espace-temps où règne la relativité générale, une des plus célèbres façons de créer une boucle temporelle est d’utiliser un pont d’Einstein-Rosen. Nommé « trou de ver » par le physicien John Wheeler ce « raccourci » de l’espace-temps peut se représenter à deux dimensions en pliant une feuille de papier sur elle-même pour faire coïncider deux points de sa surface. C’est ainsi que Romilly explique à Cooper ce qu’est un trou de ver dans Interstellar. En 1989, le physicien Kip Thorne et son étudiant Mike Morris montrèrent qu’un trou de ver pouvait être converti en machine temporelle. Cependant, une telle structure est instable. Pour y remédier, les deux physiciens montrèrent qu’un trou de ver peut être stabilisé à condition d’utiliser une matière exotique, inconnue à ce jour, dont l’énergie de masse serait négative, ce qui est contraire à la matière ordinaire. Nous sommes dans une impasse temporelle… Ainsi, bien que le voyage dans le temps soit pensable dans le cadre des théories d’Einstein, les difficultés qu’il soulève sont telles que la très grande majorité des physiciens estiment impossible la construction d’une machine à voyager dans le temps. Est-ce la fin d’un rêve ? L’avenir le dira !

― L’auteur ― ⟶ Roland Lehoucq est astrophysicien au service d’Astrophysique du CEA de Saclay.

― À lire ― ⟶ R. Lehoucq et J.-S. Steyer, Interstellar : plongée dans le tesseract, Pour la Science, n° 469, novembre 2016.

⟶ P. Davies, Peut-on créer une machine à remonter le temps ?, Pour la Science, n° 397, novembre 2010.

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Temps du corps,  temps de l’esprit

Notre organisme tout entier est soumis aux battements réguliers d’horloges internes. La principale, dans le cerveau, orchestre celles, secondaires, réparties dans tout le corps. Notre santé dépend de l’harmonie de ces divers métronomes. Lorsque la cacophonie règne, l’obésité, l’anxiété, le diabète apparaissent. Nos expériences sont également prises dans un tic-tac global, celui des souvenirs, que notre cerveau ordonne chronologiquement en un « temps de l’esprit ». Il n’est pas infaillible, et même un film peut leurrer ce sens du temps qui passe.

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Beaucoup d’organes ont une horloge propre qui se synchronise avec l’horloge centrale de l’organisme. Le dérèglement de ces horloges périphériques augmente le risque d’obésité, de diabète, de dépression... Les médecins doivent tenir compte de ces mini-jet lags.

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Quand les

horloges biologiques se dérèglent Keith Summa et Fred Turek

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TEMPS DU CORPS, TEMPS DE L’ESPRIT

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Se

SOUVENIR

du temps qui passe Antonio Damasio

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Titre de TEMPS l'article, DU CORPS, à retravailler TEMPS DE peut-être... L’ESPRIT

Nos expériences sont organisées chronologiquement en souvenirs. Mais comment notre cerveau gère-t-il ce « temps de l’esprit » ?

Du lever au coucher du Soleil, nous sommes pour la plupart immergés dans un flux inexorable du temps qui passe. Nous nous réveillons le matin au son d’un réveil, puis enchaînons nos activités dictées par les horloges : réunion, rendez-vous, déjeuner… toutes se déroulent à une heure précise. Et en acceptant tous implicitement d’utiliser un seul système de mesure du temps, nous pouvons accorder nos propres activités avec celles des autres au travail, à la maison, en société… Cette coordination est aussi permise par l’horloge biologique que les humains ont développée au cours de l’évolution. Ce métronome est réglé sur le rythme alternant lumière du jour et obscurité de la nuit. Cette horloge, située dans l’hypothalamus, gouverne le « temps du corps », mais est-ce le seul temps auquel nous serions assujettis ? Non, nous sommes aussi soumis au « temps de l’esprit », lié à notre façon de vivre le passage du temps et d’organiser notre chronologie. Malgré l’avancée régulière et stable de l’horloge, le passage du temps peut nous sembler rapide ou lent, court ou long. Cette variabilité se produit à diverses échelles, des décennies aux saisons, puis aux semaines et aux heures, allant jusqu’aux plus petits intervalles de musique, le temps d’une note ou d’un espace entre deux notes. Nous classons aussi les événements dans le temps, décidant quand ils se sont produits, dans quel ordre et à quelle échelle, de la durée d’une vie ou simplement de quelques secondes. Nous ignorons comment le temps de l’esprit et le temps du corps se raccordent. Nous ne savons pas non plus avec certitude si le temps

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de l’esprit dépend d’une seule structure cérébrale ou si notre expérience de la durée et de l’ordre temporel dépend principalement, ou peut-être même exclusivement, du traitement des informations perçues. Si cette dernière alternative était la bonne, le temps de l’esprit serait certainement déterminé par l’attention que nous accordons aux événements et aux émotions que nous ressentons lorsqu’ils se produisent. Il serait aussi influencé par la manière dont nous enregistrons ces événements et les inférences que nous en tirons lorsque nous les percevons et nous en rappelons.

LE TEMPS ET LA MÉMOIRE Ces problèmes de traitement du temps ont attiré mon attention lorsque je travaillais avec des patients atteints de troubles neurologiques. Les individus dont les régions du cerveau dédiées à l’apprentissage et à la mémoire de nouveaux faits ont été endommagées développent des perturbations majeures de leur capacité à placer des événements passés dans le bon ordre et à la bonne époque. De plus, ces personnes amnésiques perdent leur capacité à estimer correctement le passage du temps aux échelles de l’heure, du mois, de l’année et des décennies. Leur horloge biologique demeure pourtant intacte, comme leur capacité à percevoir et à ordonner les durées brèves de l’ordre de la minute ou des secondes. L’expérience de ces patients suggère que le traitement du temps et certains types de mémoires partagent au moins quelques voies neurologiques communes.

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TITRE DE LA TÉTIÈRE , NUMÉRO EN 6 PARTIES

Le film La Corde dure 80 minutes. Pourtant, on a l’impression qu’il est plus long. Quels sont les secrets d’Alfred Hitchcock pour jouer avec le temps… et nos nerfs ? Antonio Damasio

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« La Corde » pour étirer le temps Comment percevoir l’élasticité du temps ? Peut-être en regardant La Corde, un film réalisé en 1948 par Alfred Hitchcock. Il illustre parfaitement la variabilité de l’expérience du temps, la différence en la durée réelle d’un événement, ici le film, et sa durée mentale. Cette œuvre est composée d’une succession de plans-séquences de dix minutes et non montées. La Soif du mal, d’Orson Welles, The Player, de Robert Altman, et Les Affranchis, de Martin Scorsese, contiennent chacun de nombreux plans-séquences, mais pas autant que La Corde. Et on le comprend : le tournage s’est montré cauchemardesque pour tous les protagonistes ! Alfred Hitchcock a inventé cette technique pour une raison particulière : dépeindre une

histoire racontée comme une pièce de théâtre ininterrompue. Il était toutefois limité par la quantité de pellicule qu’il était possible de charger dans la caméra, qui correspondait à quelque… dix minutes d’action. Considérons à présent comment le temps réel de La Corde se déroule dans notre esprit. Dans un entretien avec François Truffaut en 1966, Hitchcock déclarait que l’histoire commence à 19 h 30 pour se terminer à 21 h 15, soit 105 minutes plus tard. Pourtant le film est constitué de huit bobines, soit un total de 80 minutes, incluant les génériques du début et de fin. Où sont passées les 25 minutes manquantes ? Expérimentons-nous le film comme plus court que 105 minutes ? Pas vraiment. Le spectateur n’a pas

l’impression que le film a été précipité ou raccourci. Au contraire, pour beaucoup, le film semble plus long qu’il ne l’est vraiment. Je suspecte plusieurs facteurs d’être responsables de cette altération. D’abord, la plupart de l’action prend place en été, dans le salon d’un penthouse et la ligne d’horizon de la ville de New York est visible à travers une fenêtre panoramique. Le début du film est marqué par une lumière de fin d’après-midi, tandis qu’à la fin la nuit est tombée. Notre expérience quotidienne de la disparition de la lumière du jour nous fait percevoir l’action en temps réel comme assez longue pour couvrir les quelques heures que prend habituellement la nuit pour tomber complètement. En réalité, ces changements

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Titre de TEMPS l'article, DU CORPS, à retravailler TEMPS DE peut-être... L’ESPRIT

de lumière ont été artificiellement accélérés par Hitchcock. De même, la nature et le contexte des actions dépeintes provoquent d’autres jugements automatiques quant à leur durée. Après le meurtre qui se produit au début de la première bobine du film, l’histoire se concentre sur un dîner élégant organisé par les deux assassins et auquel la famille et les amis de la victime sont présents. La nourriture est servie pendant environ deux bobines. Pourtant les spectateurs attribuent une plus longue durée à cette séquence parce qu’ils savent que ni les hôtes ni les invités n’avaleraient leur dîner à une vitesse trop importante. Lorsque l’action se divise (certains invités discutent dans le salon tandis que d’autres se rendent dans la salle à manger) nous attribuons une plus longue durée à cet épisode hors champ que les quelques minutes qu’il prend vraiment dans le film. Un autre facteur pourrait contribuer à la décélération du temps. Il n’existe aucune coupe

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sèche dans l’ensemble des bobines de 10 minutes ; la caméra glisse lentement pour se rapprocher ou s’éloigner des personnages. Pour joindre chaque segment au suivant, Hitchcock terminait la plupart de ses prises par un gros plan, par exemple sur le dos d’un acteur portant un costume noir. L’écran devient ensuite noir pour quelques secondes, et la prise suivante commence alors par la caméra qui s’éloigne du dos de cet acteur. Bien que brève, l’interruption contribuerait à l’allongement du temps parce que nous sommes habitués à interpréter les pauses dans la continuité de la perception visuelle comme un trou dans la continuité du temps. Dans La Corde, chacune des sept pauses retarde le temps réel d’une fraction de seconde. Mais accumulées, ces pauses suggéreraient que plus de temps encore a passé, pour certains spectateurs. Le contenu émotionnel de l’œuvre et le caractère désagréable de la situation, peuvent aussi étendre le temps. Lorsque

nous nous sentons mal à l’aise ou inquiet, nous expérimentons souvent le temps plus lentement parce que nous sommes concentrés sur les images négatives associées à l’anxiété. La Corde illustre ainsi comment l’expérience de la durée est une construction. Elle est fondée sur des facteurs aussi variés que le contenu des événements perçus, les réactions émotionnelles et la façon dont les images nous sont présentées. Sans oublier les inférences conscientes et inconscientes qui accompagnent les images du film.

― L’auteur ― ⟶ Antonio Damasio est neurologue et psychologue à l’Institut pour l’étude neurologique de l’émotion et de la créativité, à l’université de Californie du Sud, à Los Angeles, aux États-Unis.

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Devenir  maître du temps

Le temps nous échappe, nous manque, nous fuit… Tout va trop vite et l’on ne sait plus attendre. Sommes-nous condamnés à nous laisser gouverner par le temps et par l’accélération de nos modes de vie ? Non, plusieurs moyens existent pour reprendre en main son « temps à soi » et maîtriser l’impulsivité qui parfois nous gouverne. Comme les enfants ? On découvre qu’ils ont très tôt la notion de durée, mais que le temps n’est pas, pour eux, une information fondamentale à traiter. Une piste à suivre pour les adultes pressés que nous sommes ?

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Dès son plus jeune âge, l’enfant est capable d’estimer des durées. Mais ce n’est qu’adolescent qu’il comprendra que le temps est indépendant des événements vécus.

Prendre la

MESURE du TEMPS Sylvie Droit-Volet

© Robert DOISNEAU/RAPHO

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Titre de l’article, DEVENIR à retravailler MAÎTREpeut-être... DU TEMPS

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De plus en plus habitué à obtenir ce qu’il veut sans délai, notre cerveau semble s’adapter à cette rapidité et ne plus supporter les baisses de rythme…

Quand le

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CERVEAU ne sait plus attendre Jean-Claude Dreher

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DEVENIR MAÎTRE DU TEMPS

© indigolotos (bonbon) ; bbevren (enfant)/shutterstock.com

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TITRE DE LA TÉTIÈRE , NUMÉRO EN 6 PARTIES

Le temps qui s’écoule nous laisse souvent un sentiment d’impuissance. Nous avons deux moyens d’y échapper : être attentif au moment présent et s’abandonner aux instants de bonheur. Christophe André

Faire face à l’inexorable 100

fuite du temps « Gare du Nord. Une pendule y indique les minutes : 16 h 43. Cette minute-là, elle ne reviendra jamais, elle a pour toujours disparu, elle a sombré dans la masse anonyme de l’irrévocable… Tout disparaît pour toujours. Je ne reverrai jamais cet instant-ci. » C’est le philosophe Cioran qui nous raconte dans ses Carnets ce moment étrange de vertige existentiel. Tout être humain a eu l’occasion d’éprouver ce sentiment inconfortable face à l’irrévocable fuite du temps. Ce ressenti ne se manifeste que par intermittence, car le plus souvent, nous le vivons dans une relative indifférence, une sorte d’illusion de temps disponible illimité et renouvelable à l’infini. Et nous ne percevons notre erreur que par moments :

en réalisant tout à coup que nos enfants ont grandi, que des rides se sont installées sur notre visage, que le monde a follement changé… D’où peut-être les nombreux outils mis au point par les hommes pour mesurer l’écoulement du temps. Dans L’Heure qu’il est. Les horloges, la mesure du temps et la formation du monde moderne, paru en 2017, David Landes montre comment l’Occident moderne a voulu exploiter le temps plutôt que le comprendre, et le mesurer avec précision – pour en faire un allié de la navigation, du commerce et du travail – plutôt que percer les mystères de la perception intime et subjective que nous en avons. Nos états émotionnels exercent bien évidemment une influence

notable sur notre rapport au temps, et notamment sa durée : les émotions agréables nous donnent le sentiment que le temps s’écoule plus vite, et les désagréables qu’il est trop long. Il n’existe pas de zone cérébrale dédiée à la perception du temps, mais on a montré que le cortex insulaire antérieur, à partir des informations sur l’état du corps, nous guide dans l’évaluation des durées. Et comme il reçoit de nombreuses afférences de l’amygdale cérébrale, carrefour de nos perceptions émotionnelles, rien d’étonnant à ces influences étroites des émotions sur nos repères temporels. Une autre forme de rapport au temps, à savoir la perception subjective du nombre d’années qu’il

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L’éternité c’est long, ⑊surtout vers la fin ⑊ Woody Allen

nous reste à vivre, influe aussi sur nos choix existentiels. Ainsi, si l’on pense disposer d’un temps de vie restant important (ce qui est en général le cas des sujets jeunes), alors on a envie de faire de nouvelles expériences et connaissances. On ajuste inconsciemment ses projets au temps de vie dont on croit pouvoir bénéficier ! Par contre, si l’on pense disposer d’un temps de vie restant limité (comme certaines personnes malades ou âgées), alors les choix existentiels se tournent plutôt vers la consolidation de ce qui existe déjà. Ces perceptions subjectives du temps de vie restant sont ainsi plus importantes que notre âge chronologique pour influencer nos choix existentiels. Il n’y a pas que les émotions qui pèsent sur notre lien au temps. Si notre attention est captivée, comme par un jeu vidéo prenant ou une lecture passionnante, nous oublions toute forme de durée. Finalement, c’est comme si nous passions notre vie à tenter d’oublier que le temps s’écoule. Parce que cela nous angoisse, à cause de la mort évidemment : chaque seconde nous rapproche de notre fin. Vulnerant omnes, ultima necat, écrivaient les Latins sur leurs cadrans solaires à propos du défilement des heures : « Toutes blessent, la dernière tue »…

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Dans l’éternité, l’écoulement du temps n’a aucune importance, car ce temps n’a pas de fin. Mais dans la vie humaine, c’est une autre histoire ! Alors, nous aspirons à l’éternité, soit sous la forme d’un paradis à venir dans l’au-delà, soit sous une forme plus accessible et plus humaine : la pérennité, cette vertu de ce qui dure non pas toujours, mais longtemps. L’écrivain et Prix Nobel Jean-Marie Gustave Le Clézio parle ainsi de « la douce, la vertueuse pérennité de l’existence ». C’est pourquoi nous sommes rassurés par les choses stables, nous sommes consolés par la fréquentation et la contemplation des lieux qui nous semblent immuables, comme les grands espaces naturels : océan, montagne, forêts…

ensuite. Lorsque nous sommes pleinement présents à ce que nous vivons, absorbés par nos gestes, nos sensations, nos réflexions, le temps s’immobilise, les inquiétudes se dissolvent. Les patients anxieux qui pratiquent la méditation racontent ainsi comment ce qu’ils nomment le « refuge de l’instant présent » est pour eux comme l’œil du cyclone : tout est emporté autour d’eux, mais ils se sentent protégés. Ainsi, dans les moments où l’on est heureux, dans les moments où l’on est présent, le temps s’immobilise. Ce qui, à défaut de l’éternité elle-même, nous offre au moins de précieux et répétables « sentiments » d’éternité. Et peut-être est-ce d’ailleurs encore mieux ? Car comme le professait Woody Allen : « L’éternité c’est long, surtout vers la fin… »

C’EST QUAND LE BONHEUR ? Et puis il y a les stratégies psychologiques qui peuvent servir d’antidotes à nos angoisses temporelles : le bonheur et la présence. Le bonheur d’abord. Quand nous sommes heureux et vivons notre bonheur (au lieu de nous demander quand il va cesser comme le font les inquiets), le temps n’existe plus. Tout bonheur auquel nous nous abandonnons nous donne un goût d’éternité. La présence

― L’auteur ― ⟶ Christophe André est médecin psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris. Site : http://christopheandre.com

― À lire ― ⟶ D. S. Landes, L’Heure qu’il est. Les horloges, la mesure du temps et la formation du monde moderne, Les Belles Lettres, 2017.

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Le temps, moteur de la société

Nos sociétés occidentales accordent beaucoup d’importance au temps, qu’elles envisagent comme linéaire. On pourrait croire ce modèle unique, mais il n’en est rien. Dans beaucoup de sociétés traditionnelles, l’espace est plus crucial que le temps dans la narration : l’histoire devient alors une géographie. Elles sont sans doute moins désemparées que nous ne le sommes face au temps libre : nous n’en avons jamais eu autant, et jamais nous n’avons autant eu le sentiment d’être débordés ! À qui la faute ? Au numérique ? Aux choix pléthoriques qui s’offrent à nous à la moindre occasion ? Peut-on encore reprendre le pouvoir sur notre temps ? C’est difficile, quand même les vendeurs de montres s’ingénient à manipuler notre cerveau…

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TITRE DE LA TÉTIÈRE , NUMÉRO EN 6 PARTIES

La conquête du temps est la nouvelle aventure de l’Homme

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Entretien avec Jean Viard, sociologue

⟶ Jean Viard est directeur de recherches CNRS au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po) et directeur des éditions de l’Aube.

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LE TEMPS, MOTEUR DE LA SOCIÉTÉ

En ce début du xxie siècle, le temps serait devenu un luxe. Une des plaintes les plus courantes chez nos contemporains est de « ne plus avoir d’une minute à soi »… Pourtant, jamais, affirmez-vous, dans l’histoire de l’humanité nous n’avons eu autant de temps libre… Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les chiffres : dans nos pays occidentaux, en 1900, on vivait environ 500 000 heures. On travaillait 200 000 heures et on en dormait autant. Il en restait donc 100 000 heures pour apprendre, se distraire, aimer, militer, mourir… Un siècle plus tard, on vit 700 000 heures et, même si on a gagné 40 % de temps de vie, on dort toujours 200 000 heures, car nos nuits sont plus courtes de près de 3 heures. On travaille 67 000 heures (si on compte 42 ans d’activité à 35 heures par semaine hors congés payés). Donc si vous ajoutez 30 000 heures d’études (bac plus trois), il vous reste en gros 400 000 heures pour faire autre chose. Quatre fois plus de temps « libre » que nos arrière-grands-parents ! Nous vivons donc une immense révolution du temps, fruit des luttes sociales, qui ont mis en place la journée de 8 heures, le week-end, l’alternance travail-vacances, la retraite rémunérée, la sécu… Et une augmentation de l’espérance de vie multipliée par 3 depuis 1800. D’ailleurs ce n’est pas fini : une petite fille née en ce début de xxie siècle devrait vivre 800 000 heures sauf catastrophe écologique. À comparer aux 300 000 heures vécues en moyenne par un contemporain de Jésus Christ. Ces chiffres sont certes discutables dans le détail, mais ils donnent la trame de la révolution que nous vivons : 12 % à 16 % du temps de vie éveillée consacré au travail aujourd’hui, contre 40 % en 1936. Et 70 % sous Napoléon ! Comment expliquez-vous alors le sentiment prégnant de manquer de temps ? Si le temps disponible a été multiplié par 4, le marché pour occuper ce dit temps disponible

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En bref ―――

⟶ Paradoxe : nous

disposons de 4 fois plus de « temps libre » qu’en 1900, et pourtant nous sommes débordés, notamment parce que le marché du temps disponible (culturel,

a lui été multiplié par 10. Livres, films, loisirs, équipements sportifs, voyages, véhicules divers et variés… Il y a pléthore de biens de consommation de ce type. À la dernière rentrée littéraire, on a vu sortir 567 romans en une semaine ! Et cette abondance se déploie même au niveau de la vie intime : Meetic et autres Tinder ont créé un marché du sexe qui décuple, centuple les possibilités de rencontre.

sportif, associatif, amoureux…) s’est développé de manière considérable.

⟶ La révolution du temps libre s’est conjuguée à la révolution numérique qui modifie nos modes de vie à une vitesse jamais rencontrée dans le passé.

⟶ Il nous reste à construire un modèle politique de cette société-là.

Et choisir est chronophage… Oui, mais ce n’est pas la seule conséquence de cette profusion. Nous réalisons effectivement beaucoup de choses. Nous développons le syndrome du multitâche : il faut téléphoner en conduisant, additionner les activités périscolaires des enfants, déjeuner rapidement… L’accélération et la productivité du moindre moment de nos vies sont devenues des enjeux essentiels. Du moins pour la majorité d’entre nous. Ensuite face à la multiplication des biens disponibles et à la possibilité d’avoir ou de faire, c’est la multiplication des activités que nous ne ferons jamais que nous retenons en premier ! Effectivement si nous faisons et consommons de plus en plus, la masse de ce que nous ne ferons pas et ne consommerons pas augmente, elle, beaucoup plus vite encore. Pensons à tous ces films que nous ne verrons pas, aux livres que nous ne lirons pas, aux voyages que nous ne ferons pas, aux rencontres que nous ne

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Certaines sociétés traditionnelles accordent plus d’importance à l’espace qu’au temps. Leur vie est rythmée par les cycles naturels et leur histoire devient une géographie.

Le temps d’une

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CULTURE à L’AUTRE Éric Navet

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Titre de l'article, LE TEMPS, à retravailler MOTEUR DE peut-être... LA SOCIÉTÉ

© Shanna Williams NAPANANGKA, « Ngapa Jukurrpa (Water Dreaming) – Puyurru », 2017 © Photo : www.artsdaustralie.com

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⟵ Le Rêve de l’Eau, de Shanna

Williams, raconte comment un orage mythique a donné naissance aux marais et aux lacs (les lignes noires), des lieux sacrés pour les Aborigènes du Désert central, en Australie. L’effet vibratoire de l’œuvre rappelle que, pour eux, le temps du rêve n’appartient pas au passé : il relève de l’éternel présent.

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TITRE DE LA TÉTIÈRE , NUMÉRO EN 6 PARTIES

Pourquoi les montres dans les vitrines sont-elles si souvent réglées à 10 heures 10 ? Pour que le cerveau y fasse plus attention ! Susana Martínez-Conde, Stephen Macknik et Leandro Luigi di Stasi

Le mystère des montres 120

à 10 heures 10 Les boutiques duty-free des aéroports, les grands bijoutiers de la place Vendôme, à Paris, ou bien n’importe quel magasin proposant à la vente des montres… quel que soit l’endroit, la prochaine fois que vous passerez devant, observez attentivement leurs vitrines. Il y a de grandes chances pour que la plupart des montres soient réglées sur 10 heures 10. C’est aussi le cas sur Internet, une recherche avec les mots clés « images de montres » vous en convaincra. Comment expliquer ce tic ? Selon le New York Times, cette pratique remonterait aux années 1920, quand la Société Hamilton Watch fut parmi les premières entreprises à régler sa marchandise à 10 heures 10 :

auparavant, le réglage standard était 8 heures 20, et certains professionnels de la publicité supposent que le changement a été fait pour convertir la « moue » de 8 h 20 en « sourire » de 10 h 10. L’explication n’est guère satisfaisante. En fait, l’explication tient à la façon dont le système visuel traite certains motifs, comme les segments des aiguilles des montres. Les scientifiques savent que nous détectons plus facilement les orientations alignées (les deux aiguilles placées selon le même axe, par exemple 6 heures pile) que les orientations obliques. De plus, le cortex visuel répond plus faiblement à des orientations obliques. De surcroît, nous avons moins de neurones sensibles aux orientations

obliques. En conséquence, il nous est plus difficile de voir les aiguilles en position oblique. À première vue, cela semblerait plutôt être une mauvaise nouvelle pour la vente d’horloges. Mais les neurosciences nous apprennent pourquoi c’est au contraire un avantage. Pour optimiser le potentiel d’une vente, le client doit fixer son attention sur le produit – et des aiguilles en position oblique attirent son regard. L’attention visuelle a pour effet d’augmenter la perception des éléments qui présentent un faible contraste. Il se trouve que cet accroissement est particulièrement utile lorsque ces éléments sont difficiles à détecter, car l’attention doit redoubler lorsque l’objet est

Pour la Science Hors-série novembre 2018-janvier 2019


Titre de l'article, LE TEMPS, à retravailler MOTEUR DE peut-être... LA SOCIÉTÉ

― Les auteurs ― ⟶ Susana Martínez-Conde et Stephen Macknik

© nikiteev_konstantin / shutterstock.com

travaillent à l’institut de neurologie Barrow, à Phœnix, dans l’Arizona.

⟶ Leandro Luigi di Stasi est professeur assistant à l’université de Grenade, en Espagne.

― À lire ― ⟶ P. Gable et B. Poole, Time flies when you’re having approach-motivated fun: Effects of motivational intensity on time perception, Psychological Science, vol. 23, pp. 879-886, 2012.

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difficile à voir. Ainsi, la configuration oblique des aiguilles nécessite une attention accrue pour être perçue : le client devant la vitrine doit focaliser son attention pour apercevoir ces aiguilles, et il découvre le produit alors que son attention est soutenue. Avec des aiguilles alignées, le client n’aurait pas à mobiliser sa concentration sur le produit. Il serait moins susceptible de l’acheter. Les peintres sont des maîtres de l’attention visuelle. Si l’on observe les séries de tableaux d’horloges de Marc Chagall, datant de 1914, on observe que les aiguilles sont placées sur 10 heures 10. Par cet artifice, le peintre augmente artificiellement l’attention du spectateur. Et le tableau a été peint avant que ne se répande la pratique publicitaire des aiguilles obliques. Les fabricants de montres ne sont pas les seuls à avoir joué les illusions et le temps. Avez-vous remarqué l’illusion ingénieuse cachée dans le logo de l’entreprise FedEx, une flèche apparaît, pointée vers la droite, entre les lettres E et x ? Hasard ? Sûrement pas, car la même flèche est présente dans le logo en langue arabe. Cette flèche, qui pointe dans le sens de la lecture, est là pour une raison bien précise. Même subliminale, la flèche contribue à attirer notre attention sur le logo. Les flèches indiquent ce que les scientifiques appellent un « mouvement implicite ». Ainsi, Anja Schlack et Thomas Albright, de l’institut Salk de biologie, ont montré que les neurones qui

répondent de façon préférentielle aux mouvements dans une direction particulière sont aussi activés par des flèches qui pointent dans la même direction. Bien que les flèches elles-mêmes ne bougent pas, elles véhiculent un concept de mouvement.

LA FLÈCHE DU TEMPS Ainsi, cette flèche crée pour le cerveau une sensation de mouvement. Et ce mouvement a lieu du passé (les lettres que l’œil vient de percevoir) vers le futur (celles qu’il va lire). C’est pour cela que la flèche est dirigée de la gauche vers la droite pour le français ou l’anglais, mais dans l’autre sens pour l’arabe. L’effet est double : nous associons FedEx au mouvement (ce qui est avantageux pour une marque de courrier express) et l’attention est en partie captée par la flèche, à notre insu, de sorte qu’il faut mobiliser une attention supérieure pour lire le logo, lequel est alors mieux mémorisé. Les effets d’orientation sont partout autour de nous. Un même effet de « gauche à droite » entre en ligne de compte lorsque nous voulons exprimer l’ordre temporel d’une séquence de pictogrammes qui représentent l’évolution des premiers hominidés jusqu’à Homo sapiens. La direction de la séquence est arbitraire, et pourtant, si elle était disposée vers la gauche, elle apparaîtrait comme remontant le temps. Le temps peut passer comme une flèche, mais c’est notre attention au temps qui intéresse les publicitaires.

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