Édition française de Scientific American
numéro collector NOVEMBRE 2019-JANVIER 2020
« Dieu est le grand ennemi du hasard » Jean-Claude Carrière
Les lois du
HASARD Notre cerveau Miracle ! Amour est nul en Les miracles ne rime plus probabilités ! existent avec hasard BEL : 11,50 € / CAN : 16,50 $ CAN / CH : 17,90 CHF / DOM : 11,50 € / ESP. : 10,90 € / GR. : 11,50 € / LUX : 10,90 € / MAR : 120 MAD / PORT. cont. : 10,90 € / TOM S : 1 590 XPF
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HORS-SÉRIE POUR LA SCIENCE
GÉNÉTIQUE - QUI SOMMES-NOUS ?
Édition française de Scientific American
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3’:HIKLTD=UU\^U\:?a@b@k@f@p"; NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2019
N° 105
DÉBAT LA FIABILITÉ DES TESTS DE SANTÉ
POUR LA SCIENCE - HORS-SÉRIE - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2019 - N° 105
M 01930 - 105H - F: 7,90 E - RD
ÉPIGÉNÉTIQUE UN HÉRITAGE D’UN NOUVEAU GENRE
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QUI SOMMES-NOUS ?
LES NOUVELLES RÉPONSES DE LA GÉNÉTIQUE
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numéro collector
Si Dieu jouait aux dés, il perdrait
Ont contribué à ce numéro
par Loïc Mangin Rédacteur en chef adjoint à Pour la Science En 1927, lors du cinquième congrès Solvay, à Bruxelles, Albert Einstein discute avec Niels Bohr et lance le désormais célèbre « Dieu ne joue pas aux dés ». Par cette phrase, il s’oppose à l’interprétation probabiliste de la balbutiante mécanique quantique. Même si l’avenir le contredira sur ce point, il rejoint par-delà le temps et l’espace Jean-Claude Carrière qui dans l’entretien qu’il nous a accordé est catégorique : « Dieu est l’ennemi du hasard ». Car les dieux sont des créations humaines pour justifier la survenue d’événements inexplicables autrement que par un simple… hasard. Hasard qu’une autre création humaine, la science, prend pour un fait acquis et dont elle s’ingénie à percer les mystères. Et les articles de ce numéro le montrent, les efforts des chercheurs sont souvent récompensés par la découverte des lois qui régissent l’aléa en mathématiques, en biologie, en psychologie… Et même un lancer de dé devient de plus en plus prévisible grâce à la physique. Dieu a somme toute raison de ne pas jouer aux dés, sinon, il perdrait.
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Pour la Science Hors-série novembre 2019-janvier 2020
Jean-Claude Carrière est scénariste (Belle de jour), écrivain (La Controverse de Valladolid), dramaturge (Le Mahâbhârata), essayiste (Einstein s’il vous plaît)… Jean-Paul Delahaye est professeur émérite à l’université de Lille et chercheur au centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille (CRISTAL). Gérald Bronner est professeur de sociologie à l’université Paris-Diderot, et membre de l’Académie nationale de médecine. Hervé Le Guyader ancien directeur du laboratoire Systématique, adaptation, évolution, est professeur émérite de biologie évolutive à Sorbonne-Université, à Paris. Nicolas Gauvrit est psychologue du développement et chercheur en sciences cognitives à l’École pratique des hautes études, à Paris.
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SOMMAIRE Grand témoin
Jean-Claude Carrière p. 6
« Dieu est le grand ennemi du hasard »
01
4
Les lois
02
03
Le hasard tu comprendras
Le hasard tu dompteras
Le hasard tu déjoueras
p. 14 Notre vision
p. 34 L’impossible hasard
p. 58 Pourquoi jouons-nous
du hasard est bien hasardeuse… Jean-Paul Delahaye La loi des séries et l’« effet râteau » résultent d’une mauvaise compréhension du hasard.
p. 24 Des coïncidences
pas si étranges
David Hand Deux tirages successifs du loto donnent les mêmes numéros gagnants. Faut-il être surpris ?
p. 30 Comment faire
un miracle ? Gérald Bronner
Les miracles sont des événements improbables qui finissent toujours par se réaliser.
Jean-Paul Delahaye Depuis trois millénaires, l’homme imagine des objets pour produire du hasard. C’est plus difficile que ça en a l’air…
p. 44 Chaos sous contrôle Christophe Letellier Après avoir étudié le chaos, les physiciens apprennent à le contrôler.
p. 54 Apprendre le hasard
en observant le monde Nicolas Gauvrit
Comment se développe notre idée du hasard ?
au loto ?
Florence Spitzenstetter Parce que nous prenons nos rêves pour des réalités. Le savoir n’y change rien.
p. 64 Erreurs médicales
et judiciaires : la part de l’improbable
Tiffany Morisseau et Nicolas Gauvrit Notre perception du hasard nous trompe souvent. Juges et médecins devraient y prendre garde.
p. 72 Les « complotistes »
rejettent-ils le hasard ? Nicolas Gauvrit
« Rien n’arrive par hasard » est le slogan préféré des conspirationnistes.
Pour la Science Hors-série novembre 2019-janvier 2020
Numéro collector Novembre 2019-Janvier 2020
du hasard 04
05
Le hasard tu chériras
Le hasard tu exploreras
p. 76 Évolution, la part
p. 100 La probabilité,
de l’aléatoire
un concept pluriel Thierry Martin
Comment naît une espèce ? Toujours par hasard.
Les probabilités sont bien comprises dans le champ des mathématiques. Et ailleurs ?
p. 86 Les sens
Hervé Le Guyader
au gré du hasard Claude Desplan En permettant que de la diversité s’installe dans les organes des sens, le hasard améliore la vue et l’odorat…
p. 96 Est-ce par hasard
s’il a le cœur qui s’égare…
Laurent Pujo-Menjouet L’amour et le hasard jouent-ils encore ensemble ? Pas sûr.
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p. 110 Les probabilités
de la causalité Isabelle Drouet
Comment distinguer les liens de cause à effet des corrélations ? Les philosophes répondent.
p. 120 Corrélations
et effet cigogne Loïc Mangin Les corrélations transformées en lien de causalité sont un travers répandu.
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Dieu est le grand ennemi du 6
Jean-Claude Carrière
Pour la Science Hors-série novembre 2019-janvier 2020 novembre 2018-janvier 2019
Grand témoin
╭
Un récent film d’animation raconte comment le hasard est intervenu dans la carrière de votre ami le cinéaste Luis Buñuel après le scandale provoqué par L’Âge d’or. Un de ses amis, Ramón Acín, lui avait promis : « Luis, si un jour je gagne à la loterie, je te paierai un film. » Ce fut le cas, et Las Hurdes fut ainsi produit… Ce n’est pas tout à fait vrai. D’abord, on ne peut pas prétendre que sa carrière a été compromise, car il n’a jamais pensé faire carrière. Mais il aimait le cinéma, assurément. Ensuite, il était d’une famille bourgeoise et pouvait vivre sans travailler. Donc s’il a tourné Las Hurdes (Terre sans pain, en Français), c’est surtout parce que le sujet lui plaisait. Par contre, le hasard était un des grands moteurs du surréalisme, un courant artistique auquel Luis appartenait, avec l’écriture automatique et les cadavres exquis, ces mots que l’on tire au hasard pour voir ce qu’ils ont à se dire. À propos du hasard, Buñuel disait qu’il fallait toujours l’accepter dans la vie et jamais dans un scénario. Sinon, c’est trop facile ! Il ajoutait que le hasard triomphe à l’Opéra : dans les livrets, dès que l’on parle de quelqu’un, il arrive !
© Jean-Claude Carrière
Et dans votre propre vie, quelle place tient le hasard ? Déjà, il y a le hasard de la naissance. Où nait-on ? Dans quel pays ? À quel moment ? Ce choix ne nous appartient pas, il est fait par « la nature ». Il se trouve que je suis né dans une petite famille de paysans pauvres du Midi de la France, à une époque où le système dans lequel nous vivions permettait à un enfant pauvre de faire des études s’il avait une bourse. Ce qui a été mon cas, je suis un pur enfant de la République ! Sans cette bourse, étant fils unique, j’aurais pris comme tout l’indiquait
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Luis Buñuel disait qu’il fallait toujours accepter le hasard dans la vie et jamais dans un scénario. Sinon, c’est trop facile !
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la succession de mon père sur notre terre et je n’aurais pas pu y vivre, tout simplement. En 1945, notre petite propriété ne parvenait déjà plus à subvenir aux besoins d’une famille. Donc j’aurais dû de toute façon en partir. Je suis né par hasard dans un monde qui disparaissait. Et, comme toujours, le cours de l’histoire le prouve souvent, quand un monde disparaît on ne s’en rend compte qu’après. Voyez la Révolution française, qui est quand même le plus grand changement qu’il y ait eu dans l’histoire du monde, au moins sur le plan juridique, car pour la première fois, on rédige des lois ! Mais n’avait-on pas déjà des lois chez les Romains ? Oui, mais elles étaient bien différentes, car chez les Romains, le peuple ne participait pas à l’élaboration des lois. La Lex était concoctée par les empereurs et les sénateurs. Alors qu’en France, pendant la Révolution, les lois sont votées par les représentants de tout le peuple. Auparavant, les peuples subissaient la loi du seigneur, la loi royale, la loi divine…
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Dans toute l’histoire de l’humanité, dans toutes les cultures que j’ai pu connaître, quand une chose arrive que nous ne comprenons pas, nous l’attribuons à d’autres forces que nous appelons des dieux. Tous les dieux sont des créations humaines qui répondent justement à ces questions : « Pourquoi ceci arrive ? », « Pourquoi tel astre bouge ? », « Pourquoi ces calamités se sont-elles abattues sur nous ? » On a été jusqu’à dire, encore au xixe siècle, que le choléra, dont une épidémie a décimé la France et emporté Casimir Perier, président du Conseil, en 1832, était le châtiment divin de la Révolution française. Aujourd’hui encore, en Iran, on ne peut pas parler du hasard. Celui-ci fait partie de ces notions que la religion interdit tout simplement. Le grand ennemi de Dieu c’est le hasard. 8
Les notions de hasard, et d’incertitude en particulier, sont longtemps restées inacceptées. Même les philosophes de l’Antiquité les plus clairvoyants, Sénèque est l’un d’eux, disaient que la vie est ce qu’elle est, mais qu’une partie de celle-ci ne nous appartient pas, elle est dans d’autres mains. Sénèque a par ailleurs cette phrase magnifique : « Tout le monde sait qu’il va mourir un jour, mais personne n’a jamais su qu’il était mort ». C’est la phrase d’un athée ! Nous ne commandons pas la nature, donc il faut bien que quelqu’un ait pris la décision d’envoyer une sécheresse, un orage ! Et c’est justement ce territoire que peu à peu au cours de l’histoire la science essaie de grignoter, d’envahir, très difficilement et à ses risques et périls, au prix de la vie de certains. Dans d’autres civilisations que vous avez explorées, je pense notamment à l’Inde, quel rôle tient le hasard, par exemple dans le Mahâbhârata ? La notion de hasard n’est pas vraiment indienne, toute chose ayant une cause, souvent divine. Et l’Inde ne manque pas de dieux ! C’est bien simple, en Inde, il y a toutes les religions du monde (et les dieux qui vont avec), certaines ne se rencontrant qu’en Inde. Quant au Mahâbhârata, ce poème épique sur lequel j’ai passé 20 ans de ma vie à travailler pour le faire connaître au reste du monde, l’un des épisodes majeurs est certes une partie de dés, mais elle est truquée, les dés sont pipés ! Même au jeu, le hasard s’évanouit. Ce texte fondateur de l’hindouisme met en scène la
⟵ Dans le Mahâbhârata,
une partie de dés entre les deux fratries rivales (les Pandava et les Kaurava) a un rôle central.
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© Kauai Hindu monastery
Et cette loi divine ne laissait pas de place au hasard. Elle fournissait des explications à tout phénomène.
Grand témoin
rivalité entre deux familles, les Pandava et les Kaurava. Lors de cette partie de dés où le hasard est absent, Yudhishthira, un des Pandava, perd tout, sa fortune, son royaume, ses frères, son épouse… Toujours dans le Mahâbhârata, c’est par exemple le dieu Krishna qui guide la flèche d’Arjuna, un des Pandava. Quand deux voitures se heurtent sur une route, est-ce un hasard ? Si vous posez la question à un Indien, il demande d’abord ce que vous entendez par « hasard ». Ne serait-ce pas la faute à l’un des deux ? Était-ce écrit à l’avance par un dieu pour punir un des deux conducteurs ? Et cela peut durer des nuits entières, parce que l’Indien adore discuter. J’adore une phrase entendue là-bas : « English is a very good language to speak between people who are not English ». En Inde, la notion de « caprice des dieux » se rapprocherait le plus de notre idée de hasard. À quoi peut ressembler un tel caprice de dieu ? Ça peut être un dieu favorisant un de ses fils, celui-ci ignorant qui est son père. Ou bien un dieu tombant amoureux d’une mortelle, un classique dans la mythologie grecque. Par exemple, de l’union du dieu Soleil et d’une femme nommée Kunti est né Karna, un personnage important du Mahâbhârata. C’est très beau parce que Karna perd ses forces quand la nuit tombe et les retrouve à l’aube. À l’époque où vous travailliez sur le Mahâbhârata, à la fin des années 1980, vous découvrez la science. Comme est-ce arrivé ? Michel Polac m’a un soir invité à une de ses émissions télévisées, Droit de réponse, sur le thème « Science et philosophie ». Il m’avait mis du côté des philosophes étant donné ma formation plus littéraire et je me suis retrouvé face à des scientifiques que je ne connaissais pas, comme Hubert Reeves. Au cours de la soirée, étrangement, je me suis rendu compte que j’étais beaucoup plus d’accord avec les scientifiques qu’avec les philosophes. Plus précisément, le discours des scientifiques me touchait plus que celui des philosophes. J’ai invité Hubert Reeves à une des représentations du Mahâbhârata, et il est venu avec deux amis, deux anciens étudiants, les
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En Inde, la notion de « caprice des dieux » se rapprocherait le plus de notre idée de hasard astrophysiciens Michel Cassé (aujourd’hui au CEA) et Jean Audouze (ancien directeur de l’Institut d’astrophysique de Paris). C’était le début d’une série de rencontres avec d’autres scientifiques, comme Thibaud Damour, physicien à l’Institut des hautes études scientifiques, avec qui je suis devenu très ami. Avec eux, à leur contact, j’avais quand même presque 40 ans, j’ai mesuré mon ignorance et compris que j’étais en train de passer à côté de la plus grande révolution de l’esprit du xxe siècle. Rien, ni le surréalisme, ni l’existentialisme n’a autant bouleversé notre vision du monde que la science. Jean et Michel m’ont invité, tous les jeudis, à passer la matinée avec eux pour faire un peu mon éducation. Ça a duré deux ans ! Ils m’ont expliqué ce qu’est qu’un atome, une particule… Parce que « dans “astrophysicien”, il y a “physicien” », m’a dit Jean dès le début, « on ne peut pas faire de l’astrophysique sans commencer par la physique. » Qu’est ce qui les a motivés à se transformer ainsi en professeurs ? D’abord, nous avons rapidement eu l’idée de faire un livre ensemble. Ce fut Conversations sur l’invisible, paru en 1988, prolongé par Du nouveau dans l’invisible en 2017. Ensuite, notre amour des histoires nous a probablement réunis. Je leur en racontais beaucoup, par exemple sur la mythologie japonaise. À
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C’est plus facile de comprendre « Madame Bovary » que la théorie des cordes ! Attention, je ne dis pas de mal de Madame Bovary ! Si elle nous entendait…
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partir de ce moment, je n’ai plus jamais vécu sans me tenir au courant de ce qui se passe en science. C’est fascinant. Michel Cassé a une formule que j’aime beaucoup : « On travaille sur des chiffres calculables, mais inconcevables. » Un jour, il avait son chat sur ses genoux et je lui demande combien d’atomes renferme la tête de l’animal. Il me répond : « Environ 1027. » Comment se représenter de façon plus concrète un tel nombre ? Il commence son explication en prenant une orange et me dit : « De cette orange tu fais la Terre tout entière… ». C’est merveilleux ce pouvoir de l’imagination dans la science ! « … et tu la remplis de cerises… » Je commence alors dans ma tête à vider des seaux… « et tu auras à peu près le nombre d’atomes qu’il y a dans la tête de mon chat. » Et de poursuivre : « Maintenant, tu places une cerise sous le dôme de la basilique Saint-Pierre. Et bien la basilique c’est l’atome, la cerise, c’est le noyau de l’atome et on y trouve toutes les forces de l’Univers. » On ne peut pas oublier de telles paroles, et après les avoir entendues, on ne peut plus voir le monde de la même manière. C’est-à-dire ? Le moment où pour un auteur les choses deviennent informulables est passionnant. Dans la littérature, qu’elle soit cinématographique, théâtrale… et sous toutes ses formes que j’ai pu pratiquées, l’imagination a des limites. La science va beaucoup plus loin. La science a connu un extraordinaire retournement tout à fait fascinant. Jusqu’au xixe siècle, elle était la rigueur même, celle du calcul. L’affirmation : « C’est scientifique » signifiait : « C’est prouvable, vérifiable… ». Aujourd’hui, la situation s’est inversée. Quand
on aborde en physique la composition de la matière ou bien en astrophysique les plurivers, par exemple, on est confronté à des choses hors de notre entendement. C’est plus facile de comprendre Madame Bovary que la théorie des cordes ! Attention, je ne dis pas de mal de Madame Bovary ! Si elle nous entendait…
De votre point de vue d’amateur très éclairé en science, quelle place tient le hasard selon vous dans le processus de découverte ? Dans ce domaine, ce que les chercheurs appellent le hasard est une chose qui arrive après une longue préparation. Et ça n’arrive pas à n’importe qui. Je ne crois pas que je puisse, moi, avoir une révélation scientifique qui va bouleverser notre connaissance du monde. Il faut une formation préalable, un tas de connaissances à amasser, pour éventuellement parvenir à ce déclic, à cet instant Eurêka. D’ailleurs, les scientifiques disent, comme les poètes, qu’il survient souvent le matin. Les scientifiques seraient donc les plus aptes à provoquer le hasard, à profiter de la sérendipité, au moment de leur découverte ? Oui, sûrement. Quand Galilée fait ses expériences, il sait quand même où il va. Il ne découvre pas tout d’un coup, par hasard, que la Terre tourne. Il s’est préparé à la découverte et il a les connaissances nécessaires de son temps. Il y a derrière une méthode propre à la science. Umberto Eco, avec qui j’ai travaillé et écrit deux livres, lorsqu’il était professeur à l’université de Bologne, s’était ménagé un endroit
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Grand témoin
qu’il appelait Erasmus. Il y réunissait régulièrement cinq ou six personnes de disciplines très différentes et les faisait parler ensemble de leurs méthodes de travail. Il m’a invité à ces rencontres en tant que scénariste et là, j’ai croisé des scientifiques, notamment un océanographe, un compositeur de musique… C’était tout à fait passionnant. J’y suis retourné et c’est ainsi que nous sommes devenus amis. Que pensez-vous du hasard intrinsèque à différents champs de la science, par exemple dans le comportement des particules ? Je crois que cette incertitude fait de la science un défi perdu d’avance. On n’arrivera jamais à tout savoir. Nous en savons évidemment beaucoup plus que nos ancêtres, mais avant de tout savoir… il se passera plusieurs humanités ! Selon une théorie indienne, le réel se dérobe à nous quand il sent qu’il va être connu, il change, c’est merveilleux. On ne saisira jamais totalement ce réel, parce qu’il vous glisse entre les doigts et devient autre chose. C’est comme vouloir attraper de l’eau. C’est vrai en science, on ne sait jamais dans quelles voies le réel nous égarera. D’ailleurs, le problème est plus large : est-ce qu’il y a un réel ? Est-ce qu’on peut parler du réel ? Une autre limite étant que nous sommes mortels et que donc nous ne connaîtrons jamais tout. Un jour, certains considéreront peut-être, comme nous l’avons fait pour d’autres avant nous, que nous nous sommes trompés toute notre vie, et nous sommes passés à côté de ce qu’on appelle la vérité. Le savoir est ce qu’un jour nous ne saurons plus. Cela pose le problème de la croyance et de la connaissance. La science, c’est bien sûr la connaissance. La croyance n’a rien à voir avec elle, sauf quand elle devient un objet d’études. La croyance refuse la connaissance, la rejette même comme étant forcément une erreur puisqu’elle s’est trompée tout le temps, elle a changé tout le temps. Croyance rime avec certitude. Or rien n’est pire que la rigidité et la certitude. Il y a toujours eu des individus pour affirmer : « Voilà les choses comme elles sont. »
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Étonnamment, dans le domaine scientifique, les chercheurs sont au contraire de plus en plus prudents dans leurs affirmations. De fait, on peut dire que plus ils en apprennent, plus l’étendue de ce qu’ils ignorent s’agrandit. Quelqu’un comme Thibaud Damour par exemple a un profond sentiment de son ignorance et de tout ce qu’il ne saura jamais. Ça ne l’empêche pas de prendre un grand plaisir à chercher. Dans votre dernier ouvrage, La Vallée du néant, vous explorez l’incertitude qui entoure cette idée de rien, de mort. Je suis profondément persuadé, pratiquement sûr, d’être de passage sur cette terre et que, à ma mort, je ne saurai pas tout… Beaucoup d’autres choses viendront à être découvertes après moi. Je suis comme vous, comme d’autres, à un moment de l’histoire du monde, un petit moment. Mais étant très rabelaisien, je veux éprouver au maximum cet instant et la connaissance fait partie du plaisir. Savoir quelque chose et pouvoir en parler à des gens qui ne le savent pas, c’est pour moi le plus grand des plaisirs. Propos recueillis par Loïc Mangin
― L’auteur ―
― À lire ―
⟶ Jean-Claude Carrière est
⟶ J.-C. Carrière, La Vallée
écrivain, scénariste, parolier, metteur en scène…
du néant, Odile Jacob, 2018.
⟶ J. Audouze, J.-C. Carrière et M. Cassé, Du nouveau dans l’invisible, Odile Jacob, 2017.
⟶ T. Damour et J.-C. Carrière, Entretiens sur la multitude du monde, Odile Jacob, 2002.
⟶ J. Delumeau, U. Eco, J.-C. Carrière et S. Jay Gould, Entretiens sur la fin des temps, Fayard, 1998.
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Le hasard tu comprendras
En 2009, le loto bulgare a tiré, à quatre jours d’intervalle, les six mêmes numéros gagnants ! Fraude ? Non, les coïncidences qui semblent extraordinaires résultent bien souvent d’une mauvaise intuition de ce qu’est le hasard. De tels événements en apparence extraordinaires s’expliquent assez bien par les mathématiques, notamment les probabilités et la loi des très grands nombres. Il faut se faire une raison, la « loi des séries » n’existe pas, et les miracles n’ont rien de… miraculeux.
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Pour la Science Hors-sĂŠrie novembre 2019-janvier 2020
01
La loi des séries et l’« effet râteau » sont le fruit d’une attente excessive d’étalement. Ce biais de perception résulte de notre volonté de régulariser le hasard dont nous avons une compréhension largement imparfaite.
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Notre vision du
HASARD est bien
hasardeuse… Jean-Paul Delahaye
Pour la Science Hors-série novembre 2019-janvier 2020
Notre vision du LE hasard HASARD est bien TU COMPRENDRAS hasardeuse…
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© Ian F Williams/Getty Images
⟵ Cet hommage à Golconde, de
René Magritte, comme l’original, présente une étrange pluie d’hommes trop bien espacés pour être le fruit du hasard.
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Des
coïncidences pas si étranges David Hand
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⟶ L a chute d’un piano sur une
© Rzarek - Pretty Vectors/Shutterstock
voiture est très improbable. Pourtant, les déménagements de piano et les voitures sont très nombreux…
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LE HASARD TU COMPRENDRAS
Quand deux tirages successifs du loto donnent les mêmes numéros gagnants, faut-il être surpris ? Non : de telles coïncidences, en apparence très improbables, se produisent souvent. En parfaite conformité avec la théorie des probabilités.
D’après tout un ensemble de lois mathématiques, que je surnomme collectivement le « principe d’improbabilité », les coïncidences ne devraient pas nous surprendre. En fait, nous devrions plutôt nous attendre à observer des coïncidences. L’un des aspects clés de ce principe est la loi dite « des vraiment grands nombres ». D’après cette loi, étant donné un nombre suffisant grand d’occasions, on doit s’attendre à ce qu’un événement donné se produise, même s’il est très improbable à chaque occasion. Parfois, cependant, alors que les occasions sont vraiment très nombreuses, on peut avoir l’impression qu’elles sont relativement rares. Cette erreur de perception nous conduit à sous-estimer considérablement la probabilité d’un événement : nous pensons qu’une situation est incroyablement improbable, alors qu’en fait elle est très probable, voire dans certains cas presque inévitable. Comment peut-il exister un nombre énorme d’occasions sans que l’on en ait conscience ? La loi des combinaisons, un volet apparenté au principe d’improbabilité, indique comment. Elle montre que le nombre de combinaisons d’éléments en interaction augmente très rapidement avec le nombre d’éléments.
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Le « paradoxe des anniversaires » en est un exemple bien connu. On se pose la question suivante : combien de personnes au minimum un groupe doit-il contenir pour qu’il y ait plus d’une chance sur deux que deux personnes de ce groupe, qui qu’elles soient, aient leur anniversaire le même jour ? La réponse est : seulement 23 (voir Notre vision du hasard est bien hasardeuse…, par J.-P. Delahaye, page 14).
DES LOTERIES QUI SE RÉPÈTENT Un autre exemple d’événement improbable en apparence, mais qui ne l’est en fait pas du tout est fourni par les loteries. Le 6 septembre 2009, le loto bulgare a tiré au hasard les numéros gagnants 4, 15, 23, 24, 35 et 42. Ces numéros ne sont pas insolites. Certes, les chiffres qui les composent (1, 2, 3, 4 et 5) sont tous petits, mais cela n’a rien d’extraordinaire. Par ailleurs, la combinaison gagnante comporte une paire de nombres consécutifs, 23 et 24, mais cela arrive plus souvent qu’on ne le croit (si l’on demande à des gens de choisir au hasard six nombres compris entre 1 et 49, ils choisiront moins souvent des paires de nombres consécutifs qu’il n’y en aurait dans un tirage purement aléatoire).
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Les miracles sont des événements improbables, mais pas impossibles, qui finissent toujours par se réaliser, spontanément et par hasard. Gérald Bronner
Produire un miracle n’est pas chose facile. Cela devient même de plus en plus dur. Si l’on prend l’exemple de Lourdes, on constate qu’il y a près de quatre fois moins de guérisons miraculeuses reconnues par an depuis les années 1960. La raison en est que la rigueur de la commission scientifique de Lourdes s’est accrue. Tout individu postulant au statut de miraculé doit désormais passer une série de contrôles exigeants. Il faut d’abord s’entretenir avec le président de l’Association médicale internationale de Lourdes. C’est lui qui opère un premier tri parmi les quelque 50 personnes postulant en moyenne chaque année au titre de miraculé. Pas même 1 % de ces dossiers aboutira à une reconnaissance
officielle de l’Église. Ensuite, le dossier est examiné par une commission de médecins qui, si elle le juge suffisamment intéressant, avertit l’évêque de son diocèse. Dès lors, le dossier est entre les mains du Comité médical international de Lourdes. Un spécialiste de la pathologie considérée examine le dossier, puis recherche si cette guérison, supposée miraculeuse, ne peut pas s’expliquer par la science, ce qui nécessite de se familiariser avec les recherches les plus pointues. Les critères que retient cette commission de médecins pour donner un avis favorable aux guérisons inexpliquées sont drastiques : la maladie doit être avérée et très grave avec un pronostic fatal, elle doit être organique ou
lésionnelle (ce qui exclut les psychopathologies), et un traitement ne doit pas avoir été à l’origine de la guérison (ce qui exclut les guérisons de cancer), laquelle doit être soudaine et durable.
DES MIRACLES EN MILIEU HOSPITALIER Malgré cela, quelques dossiers résistent, ces cas ne pouvant être expliqués en l’état actuel de la connaissance médicale. Le problème est que Lourdes n’a pas le monopole des guérisons inexplicables : les milieux hospitaliers connaissent, eux aussi, le bonheur de voir certains de leurs patients, manifestement condamnés, guérir sans que leur médecin puisse l’expliquer.
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Comment faire un miracle ?
LE HASARD TU COMPRENDRAS
Les cas de rémissions spontanées dans les milieux hospitaliers donnent lieu à une vingtaine de publications annuelles dans le monde. Les Américains Brendan O’Regan et Caryle Hirshberg ont analysé de façon exhaustive les publications portant sur ce genre de guérisons de 1864 à 1992. Ils ont recensé 1 574 cas. On notera d’abord que 70 % de ces guérisons concernent un cancer. Mais, nous l’avons évoqué, la Commission médicale internationale de Lourdes ne considère pas les cas de rémissions de cancer. Sur ces 1 574, seuls 30 % donnent lieu à des guérisons qui pourraient être considérées comme miraculeuses par la commission de Lourdes. Parmi ces 30 %, on observe des guérisons de maladies très diverses. Mais Brendan O’Regan et Caryle Hirshberg constatent que ces cas de guérisons surviennent à une fréquence estimée à 1⁄cas pour 100 000. Si l’on exclut de ces résultats les guérisons de cancer, on obtient 1 cas pour 333 333. Il existe quelques hypothèses pour rendre compte de ces guérisons inexplicables en milieu hospitalier, mais l’on peut admettre globalement que la médecine n’est pas compétente, pour le moment, pour expliquer les guérisons miraculeuses, qu’elles aient lieu à Lourdes ou en milieu hospitalier. La question est donc de savoir si Lourdes, de ce point de vue est, en effet, une terre d’élection du miracle. Avec à peu près 0,2 guérison par an à partir des années 1960 et en moyenne six millions de pèlerins visiteurs, on peut estimer qu’il y a une guérison pour 30 millions de personnes. Il suffit donc qu’une personne sur 100 parmi les visiteurs de Lourdes soit atteinte d’une maladie éligible au miracle pour qu’on en déduise que si Dieu pointe son doigt pour guérir, il
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ne le fait pas plus à Lourdes que dans les hôpitaux. La conclusion un peu cynique de tout cela est que pour faire des miracles, il suffit de réunir un très grand nombre de personnes. Mais dans ces conditions, personne ne s’étonnera que les papes réunissent facilement les conditions de leur canonisation (l’une étant la production de miracles). En effet, ce serait bien le diable, si l’on me permet l’expression, que parmi les centaines de millions de rencontres auxquelles contraint la vie de pape, il ne se trouve pas quelques malades sauvés par la providence du hasard !
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― L’auteur ―
― À lire ―
⟶ Gérald Bronner
⟶ G. Bronner, Cabinet
est professeur de sociologie à l’université Paris-Diderot.
de curiosités sociales, Puf, 2018.
⟶ G. Bronner, La démocratie des crédules, Puf, 2013.
⟶ P. Theillier, Et si on parlait des miracles, Presses de la Renaissance, 2004.
⟶ B. O’Regan et C. Hirschberg, Spontaneous remission. An annotated bibliography, Institute of Noetic Sciences, California, 1993.
Le hasard tu dompteras
Depuis l’invention des premiers dés, il y a plusieurs millénaires, les humains tentent de contrôler le hasard, notamment en le produisant eux-mêmes. Ils ont tout essayé ! Sans véritable succès. Aujourd’hui, la tâche, ardue, en incombe aux physiciens. Ils se tournent vers la mécanique quantique, où le hasard est par essence central, ou bien vers les systèmes chaotiques, au cœur desquels se niche l’aléa. Cette double quête (produire le hasard et maîtriser le chaos) rejoint ce que les psychologues ont montré : de notre confrontation au monde réel et de la complexité que nous y percevons naît l’idée que nous nous faisons du hasard.
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Depuis l’invention des premiers dés, il y a trois millénaires, l’homme imagine et fabrique des objets pour produire du hasard. C’est plus difficile que ça en à l’air...
L’impossible
HASARD Jean-Paul Delahaye
© Suleyman Orcun Guler / EyeEm / GettyImages
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LE HASARD L’impossible TU DOMPTERAS hasard
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Après avoir étudié les systèmes déterministes au comportement chaotique, qui semblent évoluer aléatoirement et de façon imprévisible, les physiciens apprennent à les contrôler.
CHAOS sous contrôle Christophe Letellier
© Christophe Letellier
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LE HASARD ChaosTUsous DOMPTERAS contrôle
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Le hasard tu déjoueras
Notre cerveau n’est pas très doué en probabilités et notre intuition nous trompe souvent. Nous avons une chance sur près de vingt millions de gagner la cagnotte au loto, et nous jouons quand même ! Face à des résultats de tests médicaux, nous estimons très mal nos risques d’être malade. Pourtant, il est possible de remédier à ces biais, notamment en présentant les problèmes d’une façon particulière, et en s’entraînant. C’est une meilleure option que de simplement nier le hasard, comme le font les complotistes de tout poil.
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Pourquoi des millions de personnes jouent-elles aux jeux de hasard, alors que les chances de gagner sont très faibles ? Parce que des mécanismes psychiques nous font prendre nos rêves pour des réalités.
Pourquoi jouons-nous au
LOTO ? Florence Spitzenstetter
© Jonathan Kitchen / Gettyimages
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Pourquoi LE HASARD jouons-nous TU DÉJOUERAS au loto ?
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Lorsque nous devons interpréter un test médical ou une expertise judiciaire, notre intuition et notre perception du hasard nous trompent souvent. Juges et médecins devraient y prendre garde.
Erreurs médicales et judiciaires
La part de l’improbable Tiffany Morisseau et Nicolas Gauvrit
© icedmocha / shutterstock.com
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Pourquoi LE HASARD jouons-nous TU DÉJOUERAS au loto ?
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Le hasard tu chériras
Nous sommes tous les enfants du hasard ! Car depuis l’origine de la vie, la diversification des espèces repose sur divers processus où l’aléatoire est essentiel. Et c’est bien parce que nos organes sont – en partie – le fruit du hasard que nous sommes capables de percevoir les couleurs et de distinguer des milliers d’odeurs… Aujourd’hui, les chercheurs rendent justice au rôle du hasard dans nos existences. Y compris lorsque l’amour s’en mêle…
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Le hasard a une place essentielle dans la naissance des espèces. En intervenant à plusieurs niveaux, il explique le formidable foisonnement de la biodiversité actuelle.
ÉVOLUTION La part de
L'ALÉATOIRE Hervé Le Guyader
© Nicku / shutterstock.com
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Évolution, LE HASARD la part de TU l'aléatoire CHÉRIRAS
Les cichlidés du lac Victoria
Pundamilia nyererei
Schubotzia eduardiana
Lipochromis melanopterus
Thoracochromis pharyngalis
Prognathocromis macrognathus
Neochromis omnicaeruleus
Yssichromis pyrrhocephalus
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⟵ L’extraordinaire Paralabidochromis chilotes
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Macropleurodus bicolor
variété des cichlidés (500 espèces) du lac Victoria, en Afrique, est née du déplacement aléatoire de nombreux éléments transposables dans leur génome.
Le hasard, en permettant que de la diversité s’installe dans les organes des sens lorsqu’ils se développent, améliore la vue et l’odorat.
SENS au gré du HASARD
Les
Claude Desplan
© Heiti Paves / shutterstock.com
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Les LE sens HASARD au gré TU du CHÉRIRAS hasard
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⟶ DANS L’ŒIL À FACETTES
de la drosophile, la vision des couleurs dépend d’un couplage aléatoire de la production de pigments sensibles à différentes longueurs d’onde.
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Le hasard tu exploreras
Dès que l’on sort du domaine des mathématiques, les idées de probabilités et de hasard perdent de leur force, leur signification variant même selon les contextes. Les philosophes se sont attelés à remettre de l’ordre dans cette multiplicité des sens et appellent à la vigilance : il s’agit de bien identifier ce qui distingue un lien de cause à effet d’une simple corrélation, seule la seconde relevant du hasard. C’est une bonne idée, car à les confondre, on tomberait dans le piège de l’effet cigogne : le taux de natalité augmentant avec le nombre de nids de cigognes, on pourrait conclure que ce sont les cigognes qui apportent les bébés !
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En mathématiques, les probabilités sont bien définies. Mais dès que l’on sort de ce domaine, la signification des probabilités et le rôle qu’y joue le hasard deviennent plus flous. Comment s’y retrouver ?
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La probabilité, un
concept PLURIEL Thierry Martin
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LE HASARD, TU EXPLORERAS
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© Bruno Vacaro, d’après F. H. Messerli, The New England Journal of Medicine, vol. 367(16), pp. 1562-1564, 2012
Les
PROBABILITÉS de la CAUSALITÉ Isabelle Drouet
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Les probabilités LE HASARD TU deEXPLORERAS la causalité
Les liens de cause à effet sont l’inverse du hasard. En utilisant les probabilités, peut-on repérer ces liens ? Les distinguer des corrélations ? Les philosophes des sciences ont renouvelé les réflexions sur cette question.
Établir un lien causal entre deux événements, phénomènes ou situations est une opération mentale qui est au fondement de notre compréhension du monde et de notre capacité à agir sur lui. Le plus souvent, cette opération est menée de façon intuitive et inconsciente. Par exemple, lorsque la main lâche un objet, ce dernier tombe ; en conséquence, le cerveau humain comprend très vite, dès le plus jeune âge, que le fait de lâcher un objet entraîne sa chute. Mais les relations de cause à effet ne sont pas toujours aussi faciles à établir (voir ci- dessous). Bien souvent, les scientifiques ont accès à des liens statistiques entre les phénomènes qu’ils étudient, relations que l’on nomme « corrélations » et qui les renseignent sur les probabilités (ou les fréquences d’occurrence) des phénomènes en question. Le défi consiste alors à identifier correctement les relations de causalité, c’est-à-dire à déterminer, dans l’ensemble des phénomènes considérés, lesquels sont les causes et lesquels sont les effets. Quelle est la vision actuelle sur cette
⟵ La consommation moyenne de chocolat
par habitant est corrélée au nombre de lauréats du prix Nobel. De là à conclure qu’une consommation accrue de chocolat a pour effet d’augmenter le nombre de lauréats du prix Nobel…
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question ? Pour l’expliquer, un exemple simple nous guidera tout au long de cet article. Baptiste Coulmont, sociologue à l’université Paris 8, tient un blog où, en particulier, il présente des statistiques sur les résultats aux épreuves du baccalauréat et les prénoms des candidats. On y apprend notamment qu’en 2012, parmi les candidates au baccalauréat général ou technologique ayant obtenu une note d’au moins 8 sur 20 et ayant autorisé la publication de leur résultat sur Internet, plus d’un quart de celles prénommées Irène ont obtenu la mention « très bien » – alors que, par exemple, ce fut le cas de moins de 1 % des Alison. Ici, le prénom « Irène » et l’obtention de la mention « très bien » sont « corrélés positivement », expression qui traduit le fait qu’il est plus probable d’obtenir cette mention en se prénommant Irène qu’en portant un autre prénom.
LE CHANT DES IRÈNE Faut-il en conclure que le prénom « Irène » est doté de propriétés spéciales, en vertu desquelles celles qui le portent obtiennent plus facilement la mention « très bien » au baccalauréat ? Cette corrélation n’est-elle pas plutôt une conséquence de ce que les parents qui choisissent de prénommer leur fille Irène ont un capital culturel supérieur à la moyenne, donc une probabilité supérieure de voir leur enfant obtenir la mention « Très bien » au baccalauréat ? Ou y a-t-il un peu des deux, ou d’autres facteurs encore, dans la réussite des Irène ? Ces questions reviennent à se demander quelle histoire causale se cache derrière la
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