Cerveau & Psycho
N° 84 Janvier 2017
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NOS ÉMOTIONS SONT-ELLES VRAIMENT UNIVERSELLES ?
RELÂCHER Comment éviter LA le burn-out neuronal MÉMOIRE L’ÉNIGME DES PERSONNES QUI NE PEUVENT RIEN OUBLIER
MANGER DE LA VIANDE ? CE QU’EN DISENT LES NEUROSCIENCES TROUBLES ANXIEUX LES DISTINGUER POUR MIEUX LES PRENDRE EN CHARGE FEMMES ET MATHÉMATIQUES STOP AU COMPLEXE D’INFÉRIORITÉ D : 10 €, BEL : 8,5 €, CAN : 11,99 $ CAD, DOM/S : 8,5 €, LUX : 8,5 €, MAR : 90 MAD, TOM : 1 170 XPF, PORT.CONT. : 8,5 €, TUN : 7,8 TND, CH : 15 CHF, ESP : 7,70 €
MIEUX VOIR
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N° 84
NOS CONTRIBUTEURS
ÉDITORIAL
p. 20-23
SÉBASTIEN BOHLER
Thomas Insel
Neuroscientifique, psychiatre, directeur de l’Institut national américain de la santé mentale de 2002 à 2015, ce spécialiste de l’effet des antidépresseurs milite pour une redéfinition des critères de diagnostic psychiatriques intégrant la présence de biomarqueurs.
p. 28-31
Daniela Ovadia
Fondatrice et codirectrice du laboratoire Neurosciences et société, au département Cerveau et sciences comportementales de l’université de Pavie, en Italie, elle a publié de nombreux livres et articles de neurosciences et de psychologie.
p. 38-43
Frédéric Fanget
Psychiatre, psychothérapeute et enseignant à l’université de Lyon, ce spécialiste du perfectionnisme s’intéresse à la façon dont nous créons pour nousmêmes des exigences démesurées qui nous soumettent à une pression psychique croissante.
p. 46-51
Danièle Linhart
Sociologue, directrice émérite du laboratoire Genre, travail, mobilités, au CNRS, au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris, elle analyse les mutations de l’entreprise qui accroissent la pression sur les salariés.
Rédacteur en chef
Libres et sous pression
B
eaucoup d’entre nous n’étaient pas nés en 1968, ou étaient trop jeunes pour s’en souvenir. Nous avons donc grandi avec le sentiment naturel de pouvoir choisir ce que nous ferions de nos talents, de nos destins et de nos envies. Il nous est d’autant plus difficile de comprendre ce que cette liberté peut avoir d’écrasant par certains aspects. C’est ce qui faisait écrire au sociologue Alain Ehrenberg en 1998, dans son ouvrage La Fatigue d’être soi : « Enjoint de décider et d’agir en permanence dans sa vie privée comme professionnelle, l’individu conquérant est en même temps un fardeau pour lui-même. » Une fois libres, nous n’avons plus de contraintes mais nous n’avons plus d’excuses. Nos échecs ne peuvent plus être imputés à des normes sociales emprisonnantes ou injustes, mais reflètent nécessairement une insuffisance personnelle. D’où des exigences lourdes qui pèsent sur chacun, comme nous l’explique le psychiatre Frédéric Fanget qui parle de pression de performance, une pression nécessairement intériorisée à l’heure du soi-roi, et dont la sociologue Danièle Linhart nous décrit les manifestations dans l’organisation du travail. La pression d’aujourd’hui est tout simplement celle d’exister. Elle ne connaît plus de limites, et explique pourquoi nous sommes prêts à nous plier à des horaires toujours plus serrés, à empiler les responsabilités professionnelles aussi bien que familiales – car c’est le jugement que nous portons sur nousmêmes, consciemment ou non, qui est en jeu. Relâcher cette pression du soi fait donc appel en grande partie à des processus de transformation intérieure. Nous en proposons modestement quelques clés. £
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SOMMAIRE N° 84 JANVIER 2017
p. 14
p. 20
p. 24
p. 37
DÉCOUVERTES
p. 12 FOCUS
L’universalité des expressions remise en question
Un peuple d’Océanie croit voir de la colère sur un visage apeuré. Robert Soussignan
p. 14 N EUROSCIENCES
L’hypermnésie, une mémoire sans fin
Se souvenir de chaque jour de sa vie : tel est le destin des hypermnésiques.
p. 24 C AS CLINIQUE LAURENT COHEN
Lui qui adorait bricoler reste au lit toute la journée. Qu’est-il arrivé à son cerveau ? p. 28 G RANDES EXPÉRIENCES DE PSYCHOLOGIE
La poupée Bobo...
Histoire de la première expérience sur les mécanismes de transmission de la violence. Daniela Ovadia
p. 32 INFOGRAPHIE
Les chemins de l’angoisse
Un jeu de piste pour se repérer dans la jungle des troubles anxieux.
p. 20 P SYCHIATRIE
Texte : Alexandra Seidel Graphique : Younsun Koh
Des biomarqueurs des psychoses amélioreraient les diagnostics. Thomas Insel
RELÂCHER LA PRESSION p. 38 P SYCHOLOGIE COGNITIVE
Le bricoleur apathique RELÂCHER LA PRESSION
Daniela Zeibig
Vers un diagnostic biologique des psychoses ?
Dossier
p. 28
p. 6-34
p. 6 ACTUALITÉS Pourquoi sommes-nous chatouilleux ? L’orgasme, une tempête neuronale Le cerveau des femmes change de structure au fil du mois.
p. 37-57
p. 34 LA QUESTION DU MOIS
La volonté de bien faire peut, quand les tâches s’accumulent et que les exigences s’élèvent, exercer une intenable pression. Il faut alors en analyser les causes. Frédéric Fanget
p. 44 T EST
QUELLE PRESSION VOUS METTEZ-VOUS ? Mesurez vos exigences pour savoir si elles ne sont pas trop élevées. Frédéric Fanget
p. 46 I NTERVIEW
« LA PRESSION A CHANGÉ DE NATURE »
L’évolution des conditions de travail a accru la pression qui pèse sur nos épaules.
Danièle Linhart La nuit, pourquoi les problèmes p. 52 N EUROSCIENCES semblent-ils énormes ? CERVEAU, L’hormone mélatonine serait en cause. LA FORCE DU VIDE Jürgen Zulley
Dès que l’on prend du temps pour ne rien faire, notre cerveau devient plus créatif et définit mieux ses désirs profonds.
En couverture : © nito / shutterstock.com
Steve Ayan
N° 84 - Janvier 2017
5
p. 58
p. 70
p. 64
p. 76
p. 94
p. 66
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p. 92 p. 84
p. 88
p. 58-69
p. 70-91
ÉCLAIRAGES
VIE QUOTIDIENNE LIVRES
p. 58 R ETOUR SUR L’ACTUALITÉ
p. 70 N EUROBIOLOGIE
Après l’élection, Donald Trump et Hillary Clinton semblent devenus amis. Absurde ? Pas pour les primatologues...
Prise en quantités modérées, la viande aide à la construction de notre cerveau.
On oublie tout ? Bruno Humbeeck
p. 64 À MÉDITER CHRISTOPHE ANDRÉ
Les femmes, nulles en maths ?
Bien au contraire. Mais le poids des stéréotypes peut réduire la performance. p. 66 U N PSY AU CINÉMA
p. 92-98
Notre cerveau a-t-il besoin de viande ? Sujata Gupta
p. 76 PSYCHOLOGIE
Le dilemme de l’omnivore
Des biais cognitifs nous permettent de manger des animaux que l’on sait sensibles. Marta Zaraska
p. 84 PSYCHOLOGIE
Prendre des photos gâche-t-il vos vacances ?
Découverte d’un surprenant effet cognitif. SERGE TISSERON
Miss Peregrine et les enfants particuliers
Un enfant plus léger que l’air, un autre fort comme un bœuf… Dans ce film est illustré le concept freudien d’inquiétante étrangeté.
Corinna Hartmann
p. 88 L ES CLÉS DU COMPORTEMENT NICOLAS GUÉGUEN
Quand les habits annoncent la couleur En matière de séduction, la couleur des vêtements est déterminante.
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p. 92 L IVRES Un cerveau nommé désir L’Ordinaire d’internet Attitudes et comportements : comprendre et changer Prendre en charge l’insomnie par les tcc La Beauté dans le cerveau À chaque jour son patient : journal d’un neuropsychiatre p. 94 N EUROSCIENCES ET LITTÉRATURE SEBASTIAN DIEGUEZ
Les Nouveaux Habits de l’empereur
Ce conte d’Andersen illustre le mécanisme d’ignorance collective, qui fait que personne n’ose dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas.
DÉCOUVERTES
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p. 6 Actualités p. 12 Focus p. 14 L’hypermnésie, une mémoire sans fin p. 20 Vers un diagnostic biologique des psychoses ? p. 24 Le cas clinique
Actualités Par la rédaction NEUROSCIENCES
Pourquoi sommes-nous chatouilleux ? Des expériences ont permis de découvrir des neurones sensibles aux chatouilles. Ils expliquent en partie l’origine et la fonction potentielle de cette étrange réaction. . Ishiyama et M. Brecht, S Neural correlates of ticklishness in the rat somatosensory cortex, Science, vol. 354, pp. 756-759, 2016.
I
l y a de grandes questions scientifiques que l’on a parfois du mal à prendre au sérieux. Pourquoi rions-nous quand on nous titille les côtes ou la plante des pieds ? Pourquoi ne peut-on se chatouiller soi-même ? Devant de tels sujets d’étonnement, nous avons le choix entre deux réactions : les ignorer pour motif de futilité, ou s’attarder sur leur étrangeté. Si nous optons pour la seconde option, des aspects étonnants de notre comportement social nous seront alors révélés. À l’université de Berlin, deux chercheurs en neurosciences, Shimpei Ishiyama et Michael Brecht, ont mené des expériences d’apparence badine consistant à chatouiller des rats de laboratoire. Leurs travaux les ont menés à un quadruple constat. 1) Les rats sont chatouilleux (on le savait déjà) : ils rient en poussant des petits cris à une fréquence de 50 kiloherz (dans ce domaine ultrasonore, les cris sont inaudibles
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p. 28 Grandes expériences de psychologie p. 32 L’infographie p. 34 La question du mois
NEUROSCIENCES RETROUVEZ LA PAGE FACEBOOK DE CERVEAU & PSYCHO
Qu’est-ce que l’orgasme ? A. Safron, Socioaffective Neuroscience & Psychology, en ligne le 25 octobre 2016.
CHATOUILLER, UN ACTE SOCIAL Ces quatre faits laissent penser que les chatouilles sont un acte social au même titre que le jeu, et ne peuvent donc se pratiquer en solitaire. D’ailleurs, le rire qui les accompagne est aujourd’hui considéré par les neuroscientifiques et les psychologues comme un signal ancestral signifiant une absence de danger, qui aurait permis à nos très lointains ancêtres de se détendre dans des situations sécurisées. Comme on sait en outre que le rire joue un rôle fondamental pour désamorcer les tensions sociales, le lien entre chatouilles, rire et socialité se précise : depuis des millions d’années, les contacts physiques
détendus, dans des situations où un groupe ou un clan n’était menacé par aucun prédateur ni danger imminent, auraient provoqué des vagues de bien-être accompagnées de petits cris de fréquence caractéristique (50 kiloherz chez le rat, 1 ou 2 kiloherz chez l’homme) dont la fonction était de diffuser rapidement et automatiquement un message rassurant : « Nous sommes bien, il n’y a pas de menace sur le groupe, détendez-vous. » QUAND LE LANGAGE A REMPLACÉ LE TOUCHER Plus tard, comme l’a montré le neuroanthropologue britannique Robin Dunbar, le langage a supplanté le toucher comme mode de communication entre hominidés, les primates passant d’un contact social basé sur la pratique de l’épouillage à des échanges articulés permettant de diffuser les messages de façon plus large et immédiate. Le rire n’aurait plus été déclenché par des chatouilles, mais par l’humour, sans perdre sa fonction de désamorçage des conflits et de partage social. C’est pour cela que dans les spectacles comiques, nous rions par dizaines ou par centaines sans avoir à nous frotter les côtes les uns les autres. Et c’est également pour cela qu’il est aussi difficile de se faire rire tout seul que de se chatouiller soi-même. £ Sebastien Bohler
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T
ous les orgasmes ne se ressemblent pas, mais ils partagent tous des points communs. Pourtant, les mécanismes de l’orgasme, notamment cérébraux, restent mal compris. Adam Safron, de l’université Northwestern aux États-Unis, a passé en revue plus de 200 études sur ce sujet pour dégager un mécanisme de l’orgasme, chez l’homme, la femme et même d’autres espèces animales : ce serait une forme de synchronisation presque totale de l’activité cérébrale. L’orgasme résulte en général de stimulations rythmées de zones du corps possédant de nombreux récepteurs sensoriels. Cette phase d’excitation corporelle rythmique provoque des oscillations neuronales à des fréquences précises dans différents réseaux cérébraux, car les neurones sont plus susceptibles de s’activer quand ils sont stimulés plusieurs fois en un court laps de temps. Safron parle d’entraînement neuronal : divers groupes de neurones dans différentes aires cérébrales synchronisent leur activité électrique, comme lors d’une crise d’épilepsie. Et si l’excitation rythmique est intense et prolongée, cette synchronisation se propage de réseaux en réseaux à tout le cerveau, provoquant une sorte d’ébullition sensorielle proche de la transe. L’orgasme serait ainsi un état de conscience modifié, engendré par des stimulations corporelles rythmiques. La danse et la musique, d’autres formes de stimulations rythmiques, seraient alors de bons préludes aux ébats sexuels. £ Bénédicte Salthun-Lassalle
© Shutterstock.com/SOMKKU
© Shutterstock.com/wickerwood
et il faut des appareils spéciaux pour les enregistrer) quand on leur frotte et qu’on leur masse l’abdomen, et ils adorent ça ; 2) leurs rires sont produits par des impulsions électriques issues de neurones eux-mêmes localisés dans une partie de leur cerveau appelée cortex somatosensoriel, et l’on peut même faire rire les rats sans les toucher, en stimulant les neurones de cette zone au moyen d’électrodes microscopiques implantées dans leur crâne, produisant alors de véritables « neurochatouilles » ; 3) les mêmes neurones s’activent quand les animaux jouent ; et 4) ces mêmes neurones ne s’activent pas quand ils sont stressés.
DÉCOUVERTES F ocus
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ROBERT SOUSSIGNAN Maître de conférences à l’université de Reims et membre du Centre des sciences du goût et de l’alimentation, à Dijon.
ANTHROPOLOGIE
L’universalité des expressions remise en question Un peuple de Papouasie-Nouvelle-Guinée interprète différemment des populations industrialisées certaines expressions faciales.
n sourire joyeux ou des yeux exorbités par la peur sont-ils interprétés de la même façon par un Français, un Japonais, un Aborigène ? Dans les années 1960, le psychologue Paul Ekman a conclu par l’affirmative : pour lui, les expressions faciales associées aux émotions dites primaires, comme la joie, la peur ou la colère, sont les mêmes partout. Si cette conclusion a depuis été nuancée, notamment à travers l’influence relative de la culture (voir ci-contre), la thèse dominante reste qu’une certaine universalité règne en la matière. Des psychologues de l’université autonome de Madrid et du Boston College ont de nouveau examiné cette question, en étudiant des populations indigènes des îles Trobriand, en Papouasie-NouvelleGuinée, qui vivent très isolées du reste du monde. Ils ont présenté des photographies d’expressions faciales à des adolescents, qui devaient se prononcer sur l’émotion et l’intention correspondantes. Il ressort que les Trobriandais interprètent certaines expressions différemment des
représentants des sociétés industrialisées. En particulier, ils comprennent comme de la colère et une volonté de menacer, voire d’agresser, une expression que nous associerions à la peur et à la soumission. Si elle souligne les multiples influences qui s’exercent sur les expressions faciales, au croisement des gènes, de la culture et des intentions, cette étude scelle-t-elle pour autant le glas de toute forme d’unive r sa l ité ? Plu sieu r s que s t ion s restent en suspens : par exemple, les résultats, obtenus chez des adolescents, seraient-ils les mêmes chez des adultes, qui comprennent mieux un vocabulaire émotionnel par ailleurs toujours difficile à traduire ? Enfin, plusieurs expressions émotionnelles restent comprises de la même façon par les Trobriandais et les représentants des sociétés industrialisées. C’est le cas par exemple de celles de la joie et de la tristesse. Quelle que soit la destination de vos prochaines vacances, vous pouvez donc sourire sans crainte à vos hôtes : ils ne devraient pas prendre ça pour de l’agressivité ! £
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Vous lisez la peur sur le visage en médaillon ? Pourtant, les Trobriandais interrogés par les chercheurs interprètent cette expression comme un signe de colère et une volonté de menacer, voire d’agresser. Source : C. Crivelli et al., The fear gasping face as a threat display in a Melanesian society, pnas, Publication avancée en ligne du 17 octobre 2016.
L’INFLUENCE DE LA CULTURE Avant cette étude, plusieurs travaux avaient déjà nuancé l’universalité des expressions faciales. Par exemple, en 2002, Hillary Elfenbein et Nalini Ambady, de l’université Harvard, ont montré que l’on identifie avec une meilleure précision les émotions exprimées par les membres de sa propre culture. Il existait tout de même un assez bon accord entre les représentants de différentes cultures.
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DÉCOUVERTES N eurosciences
L’hypermnésie une mémoire sans fin Par Daniela Zeibig.
Certaines personnes se souviennent de chaque jour de leur existence. Comme si leur mémoire était infaillible. Leur cerveau commence à livrer ses secrets.
V
ous vous souvenez probablement de ce que vous avez pris ce matin au petitdéjeuner. Mais sauriez-vous vous rappeler ce que vous avez mangé le matin du 23 novembre 2006 ? Pour certaines personnes, c’est un jeu d’enfant. Leur capacité de remémoration est si remarquable qu’elles peuvent se souvenir de chaque jour de leur vie jusqu’à un certain moment de leur enfance. Et vous dire sans hésitation à quel jour de la semaine correspond n’importe quelle date du calendrier, tout comme ce qu’on pouvait lire dans les journaux ce jour-là. Les scientifiques qualifient ce phénomène du nom d’hypermnésie, ou de « mémoire autobiographique hautement supérieure » (MAHS). Depuis quelques années, les recherches s’intensifient pour en déchiffrer les causes. Mais cette investigation est naturellement rendue difficile par le nombre très restreint de personnes qui sont dotées de cette aptitude ! L’histoire de ce syndrome plonge ses racines dans le cas surprenant de Salomon Cherechevski,
EN BREF ££Les chercheurs découvrent depuis quelques années des cas extraordinaires de personnes dotées d’une mémoire autobiographique parfaite. ££Les souvenirs de leur passé surgissent sans effort, avec une précision maximale. ££Les causes sont probablement liées à des connexions anormalement renforcées dans certaines zones du cerveau.
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un journaliste russe ayant vécu au début du xxe siècle, et qui fut étudié par le neuropsychologue russe Alexandre Luria. Cherechevski était synesthète, capable de ressentir des impressions visuelles en écoutant des sons et vice versa, et qui s’appuyait sur cette capacité pour mémoriser des quantités colossales d’informations. Mais le premier cas documenté à l’aide des méthodes modernes d’analyse scientifique fut une Américaine du nom de Jill Price. En 2000, cette jeune femme contacte James McGaugh, un chercheur de l’université de Californie à Irvine. Dans le mail qu’elle lui adresse, elle lui décrit ses capacités extraordinaires. Ses premiers souvenirs remontent, comme pour la plupart d’entre nous, à sa petite enfance ; mais à partir du 5 février 1980, chaque jour de sa vie est resté imprimé dans sa mémoire. Ces souvenirs, il serait faux de dire qu’elle se les remémore volontairement ; ils s’imposent littéralement à elle dès qu’elle est confrontée à une date, que ce soit en lisant un journal, en voyant un calendrier ou au hasard d’une conversation. Si un tel don peut sembler enviable
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Vers un diagnostic biologique des © Shutterstock.com.com/ rikota, Macrovector
psychoses ? N° 84 - Janvier 2017
DÉCOUVERTES P sychiatrie
Par Thomas Insel, neuroscientifique et psychiatre, directeur de l’Institut national de santé mentale américain entre 2002 et 2015.
Schizophrénie, trouble bipolaire… Depuis presque un siècle, ces catégories diagnostiques regroupent en fait des patients très différents. Ils ne seront bien soignés que si on les distingue les uns des autres – notamment par des biomarqueurs.
EN BREF ££Le diagnostic des psychoses regroupe actuellement des cas très divers au sein de larges catégories comme « schizophrène » ou « bipolaire ». ££Cette indifférenciation empêche les traitements de progresser.
Une prise de sang déterminera-t-elle un jour si un patient présente un type particulier de schizophrénie et répond préférentiellement à un traitement plutôt qu’à un autre ? C’est l’espoir que suscitent des études récentes combinant marqueurs sanguins, gènes et IRM.
££La recherche de biomarqueurs sanguins ou cérébraux a récemment fait des progrès importants qui pourraient redéfinir l’approche de ces maladies.
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S
i vous avez la malchance de tomber malade cet hiver et d’avoir des douleurs de poitrine, vous serez peut-être examiné par un médecin qui vous prescrira des analyses pour déterminer s’il s’agit d’une bronchite, d’une pneumonie, d’une maladie cardiaque ou d’autre chose. Ces tests, en permettant un diagnostic précis, permettront de vous prescrire un traitement adapté à votre cas particulier. En revanche, si vous avez le malheur de connaître un épisode psychotique cet hiver, la façon de parvenir à un diagnostic sera différente. En fait, vous n’aurez pas le choix entre beaucoup de possibilités. La plupart des personnes souffrant de troubles psychotiques sont classées schizophrènes ou bipolaires. La distinction a été sensiblement la même depuis un siècle dans les manuels psychiatriques : la schizophrénie (initialement appelée démence précoce) est associée à des délires, des hallucinations, un affect émoussé et une
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Le bricoleur apathique
© Shutterstock.com/Stmool
Monsieur W., actif et bricoleur, a peu à peu réduit ses activités, restant au lit toute la matinée, sans avoir envie de rien. Une dégénérescence à l’avant de son cerveau l’a rendu paresseux, ou plutôt apathique.
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DÉCOUVERTES C as clinique
LAURENT COHEN
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adame W. entre dans mon bureau : « Docteur, il ne veut plus rien faire ! Je m’épuise. C’en est au point que, si je ne le lui dis pas trois fois, il ne va pas faire sa toilette, ne s’habille pas, reste au lit toute la matinée, en pyjama. Et l’après-midi, il s’assoit au salon et regarde n’importe quoi à la télévision. Une fois, même, la télévision était éteinte, et il est resté comme ça, sans l’allumer, sans rien faire, pendant une bonne demi-heure, avant que je vienne m’en occuper. Au début, je me suis dit que c’était de la déprime. Mais non, quand je lui pose des questions, il me dit que tout va bien. Il ne se plaint pas, il n’a même pas l’air triste. Un homme qui était si actif, tellement bricoleur. En un mot comme en cent, il est devenu horriblement paresseux. » PARESSEUX OU APATHIQUE ? Arrêtons-nous sur le dernier mot que madame W. vient de prononcer pour décrire le comportement exaspérant de son mari, âgé de 71 ans. Quelqu’un est qualifié de paresseux quand il serait en principe capable de faire des choses, et aurait même intérêt à les faire, mais reste oisif. Le paresseux ne manque pas de compétences ou de savoir-faire, mais il ne s’en sert pas, n’agit pas. Naturellement, on se doute que si monsieur W. est progressivement devenu paresseux depuis deux ans, et a abandonné les activités qui auparavant lui donnaient du plaisir, c’est pour une raison médicale, et non par pure fantaisie. D’ailleurs, les médecins ne parlent pas de paresse – un terme péjoratif réservé à un trait de caractère normal, plus ou moins développé chez les uns et les autres –, mais d’apathie, un terme clinique désignant un véritable symptôme neuropsychiatrique. Bien sûr, la frontière est floue entre le normal et le pathologique, et pour cerner plus
Professeur de neurologie à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière.
EN BREF ££En deux ans, monsieur W. est devenu apathique, donnant l’impression qu’il est paresseux. ££Il ne veut plus rien faire, et est incapable d’avoir des comportements volontaires dirigés vers un but. ££La faute à une dégénérescence cérébrale de ses lobes frontaux, impliqués dans la motivation, la planification et l’exécution des actions.
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rigoureusement ce qu’est l’apathie, des collègues de l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, à Paris, ont proposé de la définir comme une réduction des comportements volontaires dirigés vers un but. Ces deux points sont importants. « Volontaires » signifie que de lui-même un patient apathique ne va pas agir, mais que, si on le stimule, comme madame W. le fait avec son époux, il se met en mouvement, va se laver et s’habiller. De même, l’adolescent flemmard – un cas non pathologique – laisse spontanément s’installer le chaos dans sa chambre, jusqu’à ce que ses parents l’incitent énergiquement à passer à l’action. Le second point, les comportements « dirigés vers un but », signifie que seules comptent comme actions véritables celles qui ont un sens, un objectif. Vous pourriez dire : « Je ne suis pas apathique, je reste assis toute la journée sur une chaise, mais je me tourne énergiquement les pouces ! » Or se tourner les pouces est une action stéréotypée, dépourvue de tout but. Certains patients apathiques passent ainsi leur temps à plier et à déplier des mouchoirs, à monter et descendre les escaliers, à compter les carrelages sur le sol. Ce ne sont pas des activités dirigées vers un but. L’apathie, ainsi définie, se rencontre dans une grande variété de maladies psychiatriques et neurologiques. Par exemple, du côté psychiatrique, l’apathie est un signe courant de dépression ; il arrive que les gens gravement atteints restent en permanence couchés (ce qu’on nomme la clinophilie), sans pouvoir rien faire de leurs journées. L’apathie se voit aussi dans de nombreuses maladies cérébrales dégénératives, que ce soient les plus connues comme la maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson, mais plus encore dans ce qu’on appelle les dégénérescences frontales, des pathologies qui affectent surtout les régions
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La poupée Bobo
ou l’apprentissage de la violence
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DÉCOUVERTES G randes expériences de psychologie
Par Daniela Ovadia, codirectrice du laboratoire Neurosciences et société de l’université de Pavie, en Italie, et journaliste scientifique.
Grâce à Bobo, une poupée gonflable à tête de clown, le psychologue Albert Bandura a montré que les enfants témoins de comportements violents tendent à les reproduire.
EN BREF ££Au milieu du xxe siècle, un débat fait rage parmi les psychologues : l’enfant apprend-il juste en étant puni et récompensé pour ses actes, ou également en observant les autres ?
© Stefano Fabbri
££Albert Bandura imagine alors une expérience où une poupée gonflable est maltraitée devant des enfants de 3 à 6 ans, afin de déterminer s’ils deviennent plus violents ensuite. ££C’est bien ce qu’il observe et son expérience – qui ne serait pas approuvée par les comités d’éthique aujourd’hui – confirme que la violence de certains enfants vient en partie de celle qu’ils voient autour d’eux.
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ans le Yukon des années 1940, l’alcool et les jeux de hasard semblent les seuls passe-temps possibles. Ils règnent notamment en maître dans les camps d’ouvriers où Albert Bandura, encore adolescent, gagne un peu d’argent en travaillant à l’entretien des routes vers l’Alaska. C’est à cette époque que le jeune homme développe son intérêt pour le comportement humain. Un intérêt qui se révélera fructueux, puisque Bandura est aujourd’hui considéré comme le plus grand psychologue vivant, d’après un sondage parmi ses pairs. C’est aussi le quatrième psychologue le plus cité dans la littérature spécialisée après Skinner, Freud et Piaget. Né en 1925 au Canada d’un couple d’immigrés ukraino-polonais, Bandura cherche vite à quitter le petit village où il a grandi. Un cours de psychologie, choisi seulement parce qu’il comble un trou dans son emploi du temps scolaire, lui ouvre de nouveaux horizons. Après sa licence, le « petit polonais » décroche une bourse d’études de l’université de l’Iowa, à l’époque l’un des centres
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DÉCOUVERTES L ’infographie
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Les chemins de l’angoisse Chacun peut avoir peur d’une araignée ou d’un examen à passer. Mais quand faut-il parler de troubles anxieux ? Et comment se repérer dans la jungle des diagnostics ? Texte : Alexandra Seidel/Illustration : Younsun Koh
ARRIVÉE
BIENVENUE DANS LA VILLE DE L’ANGOISSE
Quand les peurs vous assaillent violemment, arrivez-vous à les contrôler et à les maîtriser ? Souffrez-vous de ces peurs, vous affectent-elles au quotidien ?
Avez-vous des peurs récurrentes qui semblent disproportionnées par rapport à la situation réelle ?
DÉPART
Les peurs surviennent-elles soudainement, durent-elles plusieurs minutes, provoquent-elles une détresse respiratoire, une tachycardie, des tremblements, une nausée ou des vertiges ?
Évitez-vous pour cette raison certaines activités, situations ou objets, ou bien avez-vous très peur lorsque la confrontation est inévitable ?
La peur repose-t-elle sur le fait que vous pourriez vous discréditer auprès de votre entourage, alors que vous êtes au centre de l’attention ?
Les angoisses vous saisissent-elles tout particulièrement quand vous rencontrez d’autres personnes et devez leur parler ?
AVERTISSEMENT Ce parcours fléché se limite à quelques-uns des critères essentiels définissant les troubles anxieux et ne représente en aucun cas un instrument de diagnostic professionnel. Il ne remplace pas le contact avec un psychiatre ou un psychothérapeute, seuls habilités à fournir un bilan fiable pour le patient. Par exemple, plusieurs troubles anxieux peuvent coexister chez une même personne ; cette possibilité n’est pas prise en compte par cette infographie.
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Avez-vous des palpitations, vertiges, irritabilité, difficultés de concentration ou de sommeil ? TROUBLE ANXIEUX GÉNÉRALISÉ l i a Famille v Tra Santé nir Ave
Vous rongez-vous les sangs pour des choses du quotidien ? Votre peur gravite-t-elle autour d’un animal, d’un phénomène naturel, d’une piqûre, du sang ou du fait de se trouver en hauteur ?
Dans les situations redoutées, faites-vous face à au moins deux des symptômes suivants : rougissement, tremblement, nausée, envie d’uriner ?
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Vous êtes-vous senti(e), au cours des derniers mois, abattu(e), irritable ou engourdi(e), faisiez-vous des cauchemars ou aviez-vous des retours de souvenirs traumatisants ?
La cause des angoisses est-elle en lien avec un événement catastrophique ou inhabituel ?
Avez-vous dû faire face, au cours du mois passé, à des attaques de panique ou avez-vous dû modifier votre comportement pour les éviter ?
Les attaques de panique semblent-elles surgir de nulle part, sont-elles imprévisibles ?
SYNDROME DE STRESS POST-TRAUMATIQUE
TROUBLES PANIQUES
Les angoisses surviennent-elles par exemple dans les transports publics, les foules ou lorsque vous quittez seul(e) votre domicile ? Êtes-vous très préoccupé(e) par l’idée qu’en cas de panique ou de symptômes gênants, il serait difficile de s’échapper ou de trouver de l’aide ?
Ces peurs vous tourmentent-elles depuis plus de six mois ? AGORAPHOBIE
PHOBIE SPÉCIFIQUE
COMMENT SE DÉPLACER SUR LA CARTE Lisez les questions attentivement et décidez à l’instinct OUI NON quelle réponse vous correspond le mieux. Prenez le chemin qui correspond à votre réponse. PHOBIE SOCIALE
Si vous parvenez à un panneau indicateur, vous y trouverez une proposition de diagnostic correspondant à vos symptômes. Attention : certains symptômes entrent dans ce diagnostic, mais pas tous. Si vous souffrez de peurs ou d’angoisses, consultez un psychiatre ou psychothérapeute.
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Dossier
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RELÂCHER LA PRESSION « Je ne vais pas tenir. » Trop de choses à faire, de responsabilités, d’exigences, et pas assez de temps. Et si nous étions les premiers à nous charger d’un fardeau excessif ? Cette hypothèse est prise de plus en plus au sérieux.
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Toujours plus ! Toujours mieux ! Moteur de réussite, la volonté de bien faire peut, quand les tâches s’accumulent et que les exigences s’élèvent, exercer une intenable pression. Il faut alors en analyser les causes.
EN BREF £ Nous subissons aujourd’hui une pression vécue comme insupportable et qui conjugue des exigences familiales, personnelles et professionnelles. £ Ces exigences nous sont souvent imposées par nous-mêmes et notre désir de faire toujours mieux.
© erhui1979 / GettyImages
£ Apprendre à tolérer ses propres erreurs et imperfections est une étape essentielle vers une vie plus saine et humaine.
Par Frédéric Fanget, psychiatre, psychothérapeute spécialiste des thérapies cognitivo-comportementales et enseignant à l’université de Lyon 1.
T
rop de pression ? Un beau soir, la plus belle voix du monde s’en est trouvée incapable de chanter. Le 2 janvier 1958, Maria Callas au sommet de son art, à l’Opéra de Rome, devant un public subjugué, le président de la République italienne et un parterre de personnalités à ses pieds, n’a jamais pu entamer le second acte de Norma. La diva, qui ne se sentait pas à la hauteur, signa ce jour, dans un scandale retentissant, le déclin sa carrière. « La peur de décevoir l’a détruite », expliquera son producteur. Un sentiment qui, loin du destin de la célèbre cantatrice grecque, est partagé par un grand nombre d’humains. Car si la volonté de bien faire est un formidable moteur des progrès et belles réalisations de notre espèce, elle peut aussi devenir une source d’anxiété, un handicap, un frein à l’accomplissement de soi.
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DOSSIER R ELÂCHER LA PRESSION
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Quelle PRESSION VOUS METTEZ-VOUS ?
QUELLE
TEST
PRESSION VOUS METTEZ-VOUS ? Par Frédéric Fanget.
La pression la plus dangereuse vient de nous-mêmes ! Alors mesurez le degré des exigences que vous vous fixez, pour savoir si vous êtes trop dur(e) avec vous-même et si vous ne gagneriez pas à placer la barre un petit peu moins haut. EXIGENCES ÉLEVÉES ET AMBITION PERSONNELLE
Plutôt Plutôt vrai faux
Je fais les choses parfaitement sinon je préfère éviter de les faire. Je suis très dur(e) avec moi-même. J’ai souvent l’impression que les choses ne sont pas parfaites et cela me dérange. Je me fixe des objectifs plus élevés que la plupart des gens. Je suis au fond quelqu’un d’assez ambitieux pour moi et je me fixe d’atteindre des objectifs élevés. C’est important pour moi d’être parfait dans tous les domaines. INSATISFACTION, MANQUE DE PLAISIR ET STRESS
Plutôt Plutôt vrai faux
Rien de ce que je fais ne me satisfait totalement. Si je m’accorde des temps de plaisir sans objectif de rentabilité, je me sens coupable. J’ai de la peine à trouver des moments de détente. Même si je sens que j’aurais parfois besoin de lâcher prise, je n’y arrive pas. Je ne me sens pas bien tant que je n’ai pas fait les choses parfaitement. Mon perfectionnisme me crée souvent du stress. Plutôt Plutôt vrai faux
ERREURS ET RISQUE D’ÊTRE CRITIQUÉ Si je fais une erreur, je ne le supporte pas ; pour moi, cela signifie que je suis en échec.
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Si je fais une erreur, je perdrai l’estime des autres. J’espère toujours être le premier. Si j’échoue au travail, à la maison ou dans mon rôle de parent, cela signifie que je ne suis pas une personne de qualité. MÉTICULOSITÉ, DÉTAIL, ORDRE, APPARENCE
Plutôt Plutôt vrai faux
Je ne supporte pas que l’on me voie avant que je sois parfaitement prêt (bien habillé(e), coiffé(e), maquillée, etc.) J’essaie d’être une personne soignée. J’aime bien faire les choses avec beaucoup de méticulosité. Le sens de l’organisation est une valeur très importante pour moi. DOUTE DANS L’ACTION, INDÉCISION ET PROCRASTINATION
Plutôt Plutôt vrai faux
Je doute de tout ce que je fais. J’hésite souvent longtemps avant de décider. Parfois je peux perdre beaucoup de temps à refaire les choses parfaitement. Plutôt Plutôt vrai faux
RESPECT DES RÈGLES ET CONFORMISME Je pense souvent qu’il y a une seule bonne façon de faire les choses. Je préfère les solutions que je maîtrise et que je connais. J’ai tendance à imposer ma façon de faire aux autres.
Plutôt Plutôt vrai faux
LA TERREUR DE LA CRITIQUE Je dois être parfait pour ne jamais être désapprouvé par les autres. Si les autres voient mon imperfection, ils me jugeront comme incompétent. Si je fais une erreur cela signifie que je suis nul(le). Je me critique sans arrêt. Je ne critiquerais jamais un de mes amis comme je me critique moi-même.
RÉSULTATS : Lorsque votre réponse est « plutôt vrai » : comptez 1 point. Lorsque votre réponse est « plutôt faux » : comptez 0 point. FAITES LE TOTAL. Les sous-scores par partie vous indiqueront où va se loger plus précisément votre tendance à vouloir trop bien faire. Mais quelle que soit la façon dont vos points sont répartis, c’est votre score global qui révélera votre degré de perfectionnisme et à quel point il peut se révéler toxique. £ Si votre score est inférieur à 10, votre sens des responsabilités et du travail bien fait va dans le bon sens. Vous savez vous mobiliser pour réussir ce qui vous tient à cœur, et réduire votre niveau d’exigence sur ce qui vous paraît secondaire. £ Si votre score est compris entre 10 et 20 : vous avez probablement intérêt à être moins perfectionniste. Efforcezvous de diminuer votre niveau d’exigence et la liste de ce que vous avez à faire. Vous gagnerez en qualité de vie. £ Si votre score est supérieur à 20 : vous avez tout intérêt à entreprendre un travail sérieux sur vous-même. Plus votre score est élevé et s’approche de 30, plus votre perfectionnisme risque d’être toxique et contre-productif.
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INTERVIEW
DANIÈLE LINHART
Sociologue, directrice émérite du laboratoire Genre, travail, mobilités, au cnrs, Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris.
« LA
PRESSION A CHANGÉ DE NATURE »
Danièle Linhart, vous avez étudié ces quarante dernières années l’évolution du travail, du management et des contraintes pesant sur les salariés. La pression que nous subissons aujourd’hui est-elle plus forte que par le passé ? Pendant les trente glorieuses, c’està-dire les années 1950, 1960 et 1970, la notion de pression était très peu exprimée, et pourtant les conditions de travail étaient très dures. C’était l’époque des chaînes de mon-
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tage, de la répétitivité des gestes, de la pression des cadences. Mais depuis, deux choses ont changé : la première est une individualisation des situations de travail, où le salarié est davantage responsabilisé et évalué en tant qu’élément isolé, la seconde est un sentiment d’accélération temporelle globale. Commençons par l’individualisation des situations de travail. Amorcé à la fin des années 1970, ce processus arrive aujourd’hui à pleine maturité. Il s’est traduit par l’individualisation des primes de salaire, qui a mis en concurrence les salariés, mais aussi par l’entretien du salarié avec son supérieur hiérarchique, au cours duquel chaque employé, ouvrier, cadre ou technicien reçoit des objectifs personnalisés ainsi qu’une évaluation de sa performance. Le travail est progressivement devenu une épreuve souvent solitaire, où chacun reçoit une évaluation personnelle de ce qu’il vaut. Notons bien que cela déborde du champ des compétences professionnelles pour aborder celui des qualités personnelles de l’individu : ce salarié est-il audacieux, inventif, créatif, prend-il des risques ? On peut donc parler de focalisation sur l’individu dans le modèle managérial moderne. Quelles conséquences cela a-t-il sur la pression que vit chacun d’entre nous ? En s’individualisant, la pression a changé de nature. J’en reviens aux conditions de travail très dures des années 1950 : le fait que le terme de pression ne ressortait pas des entretiens n’est pas anodin. Si l’on se penche sur le fonctionnement des entreprises à l’époque, on s’aperçoit que des collectifs informels de travailleurs régulaient la dureté des conditions de travail par l’entraide, la solidarité et par un décryptage idéologique, politique et moral des conditions de travail, qui pouvaient identifier une cause – la grille de lecture était alors l’exploitation du salarié par le régime
Le travail est devenu une épreuve souvent solitaire, où chacun reçoit une évaluation personnelle de ce qu’il vaut. capitaliste. En somme, si vous souffriez au travail (et on souffrait), ce n’était pas parce que vous n’étiez pas à la hauteur en tant qu’individu, mais à cause d’une organisation de la société en termes d’exploitation de la force de travail. Il fallait alors se constituer comme acteur collectif, avec la perspective de s’en sortir. Quel rôle a joué la mondialisation dans l’évolution de la pression au travail ? Avec la globalisation de l’économie, de plus en plus de transformations se succèdent à un rythme accru, qui implique de mettre le fonctionnement des entreprises en harmonie avec ces évolutions, mais on voit que se greffe là-dessus toute une série de causes artificielles qui augmentent cette accélération temporelle et se traduisent par un changement perpétuel des conditions de travail. Ce sont les désormais classiques restructurations de départements, recompositions de métiers, changements périodiques de logiciels, mobilité systématique imposée, déménagements ou externalisations. Une partie de ces facteurs s’explique par la réalité du monde, une autre est artificielle.
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D’abord, dans une large partie des grandes entreprises aujourd’hui, la direction d’entreprise mise de plus en plus sur la mobilité systématique de la hiérarchie. Qu’est-ce que cela signifie ? Les managers changent régulièrement d’équipes, ce qui est présenté comme un bon moyen de leur faire connaître différents métiers. Mais il ne faut pas non plus qu’ils passent trop de temps avec leurs subordonnés, car ils pourraient développer avec eux des relations de complaisance qui saperaient leur autorité. Ce dispositif a des effets dévastateurs que l’on observe à travers des enquêtes sociologiques, par le biais d’entretiens avec les managers : lorsque la hiérarchie « tourne » et se sait évaluée en permanence, les managers confient vouloir marquer leur territoire. Il s’agit d’imprimer leur marque sur la nouvelle équipe dont ils ont la charge. Le moyen le plus souvent choisi est d’introduire une réforme, de modifier quelque chose et de changer les pratiques pour éviter que les membres de l’équipe puissent s’appuyer sur un savoir-faire, une technique ou un quelconque avantage qu’ils auraient pu acquérir au cours de leurs années passées. On recourt alors au benchmarking, une pratique bien rodée depuis une vingtaine d’années.
DOSSIER R ELÂCHER LA PRESSION CERVEAU, LA FORCE DU VIDE
CERVEAU
LA FORCE DU VIDE
© Gary Waters / Getty Images
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Vous avez deux projets à rendre et trois réunions à assurer, mais tant pis : vous décidez de prendre une après-midi de libre. Vous ne croyez pas si bien faire. Votre cerveau vous remerciera. Vous avez libéré en lui des potentialités inexploitées.
Par Steve Ayan, psychologue, journaliste scientifique.
EN BREF ££Croulant sous les occupations, nous pensons que tout « décrochage » est une perte de temps. ££C’est une erreur. Lorsque nous sommes inactifs, notre cerveau ne l’est pas. ££Les neuroscientifiques montrent que c’est alors que nous produisons nos meilleures intuitions. ££Un réseau neuronal particulier s’active, réunit les fragments de notre passé et construit l’avenir.
Cerveau inoccupé ? Ce n’est qu’apparence. Le cerveau ne se repose jamais. Quand on échappe à la pression, il s’occupe simplement de l’essentiel.
R
épondre à trente-trois e-mails dans la journée (le nombre moyen en France), rendre un projet... pour hier, préparer des contrats en dix-huit exemplaires pour un important client tout en prévoyant le prochain séjour de vacances et avant d’aller chercher les enfants à l’école : les journées de milliers de personnes se résument de plus en plus à des courses contre la montre où chaque instant est consacré à une tâche précise qui doit être réalisée en un temps limité. Symptôme de cette époque d’occupation maximale : les fameuses to do lists, ces listes de tâches à accomplir qui ne laissent plus la moindre place à l’inutile, encore moins à l’oisiveté. Que perdons-nous dans cette pression continue ? En fait, il serait plus utile de poser la question dans l’autre sens : que gagnerions-nous si nous étions en capacité, à nouveau, de dégager du temps inutile, du « temps flottant », des moments sans action, sans réaction, sans performance, simplement du temps de vie ? Peut-être l’essentiel… Savoir ce qui se joue au niveau psychique autour de cette question, c’est se demander ce qui se passe dans notre tête lorsque nous relâchons la pression, quand nous prenons le temps de ne rien faire. Or il existe un moyen simple d’en avoir un aperçu. Une simple expérience vous y aidera, qui consiste à observer la consigne suivante :
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pendant quelques secondes, assis devant votre bureau ou dans votre fauteuil, restez simplement sans rien faire, et sans penser à rien. Vous y êtes ? … Alors ? Laissez-moi deviner : quelque chose n’a pas marché. Vous êtes peut-être resté sans rien faire, mais certainement pas sans rien avoir à l’esprit. Eh oui, ne penser à rien est beaucoup plus difficile qu’on peut le croire. Nous sommes naturellement très peu doués pour cela. Nous avons toujours quelque chose qui nous traverse l’esprit, même si nous n’en sommes pas toujours conscients au moment où cela se produit : « Zut, je dois encore répondre au mail de ce chercheur anglais sur le vagabondage mental – Smallwood, c’est son nom, “petite forêt“. Comme le jour où j’ai couru à travers le parc municipal, avec toutes ces feuilles mortes, les feuilles mortes se ramassent à la pelle, c’est la chanson que chantait Montand, n’est-ce pas ? Il fallait que je relise une dernière fois ce mail avant de l’envoyer, mais ça ne me mène nulle part, tout ça ! » Et c’est de cette façon que nous dévidons l’écheveau sans fin de nos pensées et de nos associations. La raison en est simple : notre cerveau ne se repose jamais, pas même la nuit quand nous dormons, car il ne possède pas de fonction pause. S’il ne produit pas d’associations, c’est probablement qu’il est mort. L’entre-deux n’existe pas. Pour le travail des neuroscientifiques, cela a une conséquence importante : il n’existe pas de ligne de base de notre activité cérébrale, pas d’état de repos qui servirait de référence pour mesurer l’activité neuronale provoquée par telle ou telle tâche mentale précise. Pour quantifier le surcroît d’activité lié à une perception, une pensée ou une décision, les chercheurs présentent généralement à des volontaires placés dans un scanner des stimuli précis. Le plus souvent, on
ÉCLAIRAGES
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p. 58 On oublie tout ? p. 64 Les femmes, nulles en maths ? p. 66 Miss Peregrine et les enfants particuliers : aux frontières de l’étrange
Retour sur l’actualité BRUNO HUMBEECK
Chercheur en psychologie familiale et scolaire à l’université de Mons, en Belgique, et membre associé du laboratoire Civiic, à l’université de Rouen.
On oublie tout ?
Se traiter de tous les noms, puis faire comme si de rien n’était ? Ce comportement déroutant serait hérité de nos cousins primates.
A
u cours de la campagne électrorale américaine, Donald Trump aimait appeler son adversaire « Hillary Clinton la tordue », « la folle », « l’incompétente », « menteuse et corrompue », « celle qui ne peut satisfaire l’Amérique, puisqu’elle ne peut pas satisfaire son mari. » Sur le couple Clinton, il n’y allait pas non plus de main morte : « Je ne pense même pas qu’elle soit loyale envers Bill Clinton, si vous
voulez savoir la vérité. Et franchement, les amis, pourquoi devraitelle l’être, hein ? Pourquoi devraitelle l’être ? » Mais, depuis, l’élection a eu lieu. Et au lendemain de son triomphe, Trump a déclaré à propos de Hillary Clinton : « Elle est très forte et très intelligente. » Et à propos de son mari Bill : « Il est très, très, vraiment très sympathique. » Hillary, de son côté, a carrément proposé à Donald
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9 OCTOBRE 2016
Deuxième débat présidentiel dans le Missouri.
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L’ACTUALITÉ Après avoir qualifié son adversaire de tordue, de folle, de menteuse et infidèle à son mari, Donald Trump tout fraîchement élu loue l’intelligence de Hillary Clinton et le caractère sympathique de son mari. La candidate battue, quant à elle, propose à son adversaire honni de travailler avec lui pour le bien du pays. Que leur arrive-t-il à tous ? LA SCIENCE Dans les gènes de l’espèce humaine semble opérer une force de réconciliation ancrée depuis nos âges immémoriaux. On en observe la trace dans les comportements d’apaisement des grands singes, qui pratiquent une ébauche de poignée de main, des embrassades et des petits couinements de pacification. L’AVENIR
© GettyImages ; Chesnot / Contributeur
La bataille des primaires en France donne lieu au même spectacle : phrases assassines, mépris ouvert et agressions publiques, qui donneront certainement lieu aux mêmes élans de sympathie postélectorale. Là-dedans, l’électeur se sent parfois le dindon de la farce...
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SERGE TISSERON
Psychiatre, docteur en psychologie hdr, psychanalyste, université Paris-Diderot. Membre de l’Académie des technologies. www.sergetisseron.com
Miss Peregrine
et les enfants particuliers Aux frontières de l’étrange
L
Un enfant plus léger que l’air, un autre fort comme un bœuf… Les personnages du dernier film de Tim Burton illustrent un concept freudien fascinant : l’inquiétante étrangeté.
e nouveau film de Tim Burton, Miss Peregrine et les enfants particuliers, met en scène des enfants étranges qui auraient tout pour paraître effrayants s’ils n’avaient pas en même temps un caractère familier. Ce mélange d’étrangeté et de familiarité a été nommé dès le début du xx e siècle, par le psychiatre Ernst Jentsch puis par Freud, « l’inquiétante étrangeté », en allemand Unheimlich. Si nous sommes naturellement amenés à nous défier de ce qui est différent de nous, il existe heureusement des moyens de réduire cette inquiétude et de favoriser la rencontre. L’être humain réduit sa peur de l’inconnu en se rapprochant de ce qui lui ressemble, à commencer par ce qui lui ressemble physiquement. C’est bien normal, c’est ce qui est le plus facile à
EN BREF ££En 1919, Freud décrivait le phénomène d’inquiétante étrangeté, que nous ressentons face à une personne qui nous semble à la fois étrangère et familière. ££Dans son dernier film, Tim Burton met en scène ce concept à travers une galerie d’enfants aux talents singuliers. ££Il nous souffle aussi des pistes pour ne pas basculer dans le rejet de la différence.
identifier. Nous avons en effet tendance à déduire de la similarité physique une similarité de caractère, comme l’ont montré Sean Mackinnon et ses collègues de l’université Dalhousie, au Canada, en 2011. Lorsque nous apercevons une personne qui porte, comme nous, des lunettes et qui a une coupe de cheveux similaire, nous sommes enclins à penser que cette personne aura à peu près les mêmes comportements, les mêmes goûts ou les mêmes opinions que nous. Cela diminue notre inquiétude d’être mal accueilli, voire d’entrer en conflit. Rassurés d’avoir affaire à des interlocuteurs que nous imaginons nous ressembler, nous avons tendance à minimiser les différences entre eux et nous. Cela ne nous assure évidemment en réalité de rien. Mais cela nous aide à apprivoiser © Century Fox
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MISS PEREGRINE ET LES ENFANTS PARTICULIERS Tim Burton Octobre 2016
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VIE QUOTIDIENNE p. 70 Notre cerveau a-t-il besoin de viande ? p. 76 Le dilemme de l’omnivore p. 84 Prendre des photos gâche-t-il vos vacances ? p. 88 Les clés du comportement
Notre cerveau
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a-t-il besoin de viande ? Par Sujata Gupta, journaliste scientifique.
© Getty Images/Johanna Parkin
I
Manger de la viande aide à la construction de notre cerveau. Mais il suffit de quantités modérées, et la qualité du produit est un facteur déterminant.
l y a de cela 6 millions d’années, les primates ont commencé à quitter les forêts tropicales en direction des savanes. Contrairement à aujourd’hui, ces vastes espaces étaient humides et produisaient d’amples rations de fruits et de végétaux comestibles tout au long de l’année. Mais il y a environ 3 millions d’années, le climat a changé. Les savanes se sont desséchées et leur abondance de ressources alimentaires s’est tarie. De nombreuses espèces de mammifères, y compris certains primates, se sont éteintes, pendant que d’autres s’adaptaient. Les archéologues qui travaillent aujourd’hui sur des sites en Éthiopie ont découvert des restes d’animaux remontant à presque 2,6 millions d’années. Les marques de coupures visibles sur leurs os sont presque certainement des signes de découpe, selon le paléoanthropologue Manuel DominguezRodrigo de l’université Complutense de Madrid. Seuls deux types de primates ont survécu à cette catastrophe climatique, précise ce chercheur. Il y eut d’un côté ceux qui se spécialisèrent dans la consommation de végétaux, de l’autre ceux qui devinrent carnivores. Les carnivores ont développé un plus gros cerveau. Ils sont devenus ce que nous sommes.
EN BREF ££Dans les pays en voie de développement, la consommation de viande améliore les performances cognitives des populations. ££Dans les pays industrialisés, la viande issue de l’élevage de masse n’a pas cet effet, et son excès engendre un risque cardiovasculaire. ££Une viande de qualité consommée modérément est alors conseillée, tout particulièrement aux femmes enceintes dont les bébés connaissent alors un meilleur développement cérébral.
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Pour construire et entretenir un cerveau plus complexe, nos ancêtres ont utilisé des ingrédients que l’on trouve principalement dans la viande, dont le fer, le zinc, la vitamine B12 et les acides gras. Même si les plantes contiennent une bonne partie de ces nutriments, ceux-ci s’y trouvent dans des quantités bien inférieures et souvent sous une forme que les humains ne peuvent pas utiliser telle quelle. Par exemple, la viande rouge est riche en fer dérivé de l’hémoglobine, qui est plus facilement absorbé que la forme non hème présente dans les haricots ou les légumes à feuilles. De plus, des composés connus sous le nom de phytates se lient au fer dans les plantes, ce qui rend ce dernier inexploitable par le corps. Résultat de tout cela : la viande est une source de fer diététique bien plus riche que n’importe quel aliment végétal (voir la figure page suivante). « Il faut manger une quantité énorme d’épinards pour obtenir l’apport en fer d’un steak », illustre ainsi Christopher Golden, écologue et épidémiologue à l’université Harvard, à Cambridge, dans le Massachusetts. Les implications de cette donnée pour la santé cognitive sont cruciales. Il existe un lien clair mais sous-estimé entre viande et pensée, selon
VIE QUOTIDIENNE P sychologie
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Le dilemme de
l’omnivore Par Marta Zaraska, journaliste scientifique.
Manger de la viande tout en aimant les animaux : tel est le dilemme auquel nombre d’entre nous sont confrontés. Pour le résoudre, nous mettons en place tout un arsenal de stratégies cognitives, que la recherche dévoile aujourd’hui.
L
a pensée d’un cochon vous évoque peut-être celle d’un morceau de bacon croustillant, de travers de porc bien juteux, d’un savoureux jambon ou de saucisses bien relevées. Rien d’étonnant à cela. Selon l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le porc est la viande la plus consommée au monde, représentant 36 % des animaux que nous mangeons. Parmi les plus gros consommateurs : les Américains et leurs 22 kg de porc par personne et par an, mais surtout les Chinois, qui en ingèrent le double. Pour d’autres communautés, la viande de porc est intouchable. L’islam et le judaïsme en interdisent par exemple la consommation. Et des populations entières considèrent les cochons comme d’adorables animaux de compagnie – en particulier les cochons nains, ou cochons vietnamiens. Étonnamment sociaux et bien plus propres que ne le laisse penser leur réputation, les cochons sont
EN BREF ££Ceux qui répugnent à nuire aux animaux mais les mangent quand même expérimentent une dissonance cognitive, c’est-à-dire une tension psychologique créée par une incohérence entre les pensées et les actes. ££Le moyen le plus simple d’y remédier est d’accorder ces derniers, et pourtant peu de gens deviennent végétariens. ££D’autres techniques sont alors utilisées, comme le camouflage linguistique, qui consiste à nommer la viande différemment de l’animal.
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doués d’une grande intelligence. Ils sont capables de régler le thermostat d’un enclos ou de jouer à des jeux vidéo simples. Une étude parue dans Animal Cognition en 2014 a même révélé qu’ils comprennent quand un humain leur désigne un objet du doigt, au même titre que les chiens. Si après la lecture de ces quelques lignes, vous commencez à vous sentir mal à l’aise à l’idée d’avaler un jambon-beurre, sachez que vous n’êtes pas le seul. Cet inconfort est l’expression d’un phénomène que les chercheurs ont baptisé « le paradoxe de la viande ». Il concerne tous ceux qui mangent volontiers de la viande, mais préfèrent occulter que des animaux meurent pour satisfaire leur besoin. « Si on gratte un peu en surface, personne n’est vraiment à l’aise avec cette idée », explique le psychologue Brock Bastian, de l’université de Melbourne, en Australie. Fondamentalement, si vous aimez les animaux, le fait de leur causer du tort est pour le
© Getty Images/Digital Zoo
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Accepteriez-vous de manger cet adorable petit cochon ? Peut-être, mais les recherches suggèrent que vous déploieriez alors diverses stratégies pour maintenir une certaine séparation mentale entre la viande et l’animal vivant.
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VIE QUOTIDIENNE P sychologie
Prendre des photos
gâche-t-il vos vacances ? Que se passe-t-il lorsqu’on choisit de fixer ses plus beaux moments sur la pellicule ? Les recherches scientifiques livrent une réponse étonnante.
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Par Corinna Hartmann, journaliste scientifique.
EN BREF
Allez, on fait une photo. On s’en souviendra mieux après. Vrai ou faux ? De premiers éléments de réponse nous parviennent des laboratoires.
© Khamidulin Sergey / shutterstock.com
£ Dès qu’un beau moment se présente, nous avons le réflexe de tendre la main vers l’appareil photo ou le téléphone portable. £ Les études scientifiques montrent que cela ne gâche pas forcément le plaisir lié à ces moments. £ En fait, nous serions encore plus immergés dans ces instants, par un phénomène attentionnel lié au fait de cadrer une image.
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I
l pleut, il fait froid. Le vent bat les fenêtres, la nuit tombe tôt et l’on rêve à l’été. À la plage où l’on paressera, à l’eau verte où l’on plongera. Peut-être, plus proche de nous, aux pentes enneigées d’une station de ski, aux enfants qui rient et aux amis qui boivent du vin chaud. Et l’on sait que l’on passera alors du bon temps, que l’on profitera de ces instants à 200 %, que l’on s’amusera en ne laissant échapper aucune miette de cette parenthèse heureuse. Une fois sur place, pourtant, se produit quelque chose d’un peu troublant. Au début, cela prend souvent la forme d’un smartphone, d’une tablette ou d’un appareil photo numérique. Les doigts vous démangent. C’est comme une pulsion qui nous pousse à saisir ces instants, à les « mettre dans la boîte ». Clic ! Une photo. Clic ! Une autre. C’est rassurant d’une certaine façon de penser que ces souvenirs seront pour toujours fixés dans nos mémoires
VIE QUOTIDIENNE L es clés du comportement
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NICOLAS GUÉGUEN Directeur du Laboratoire d’ergonomie des systèmes, traitement de l’information et comportement (lestic) à Vannes.
Quand les habits annoncent
la couleur
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Vous souhaitez séduire quelqu’un ? Pour afficher vos intentions et augmenter votre sex-appeal, choisissez bien la couleur de vos vêtements.
erplexe, vous fixez votre garderobe étalée sur le lit. Vous avez enfin réussi à obtenir un rendez-vous avec ce ou cette collègue qui vous plaît tant, mais quelle tenue lui portera un coup fatal ? Ce décolleté vertigineux ? Cette veste qui vous donne une carrure d’athlète ? Un paramètre inattendu pourrait en tout cas vous donner un petit coup de pouce : la couleur. Car les scientifiques ont découvert que selon celle que vous arborerez, on ne vous percevra pas de la même manière et les comportements à votre endroit changeront. Sans surprise, le rouge est pour les femmes la couleur reine en matière de séduction dans le monde occidental. Daniela Niesta Kayser et ses collègues de l’université de Rochester, dans l’État de New-York, ont montré qu’il accroît l’attirance éprouvée par les hommes. Dans une première expérience, les participants regardaient la photo d’une femme, avec laquelle ils devaient ensuite converser par internet à l’aide d’une liste
EN BREF ££Les psychologues ont montré que la couleur de nos vêtements influe sur la façon dont nous sommes perçus. ££Le rouge est la couleur idéale pour séduire, car il est associé à une certaine disponibilité et augmente l’attirance éprouvée par le sexe opposé. ££Attention cependant aux interprétations hâtives, car de nombreux paramètres, comme la température, influent sur le choix des couleurs.
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préétablie de questions tantôt anodines (« D’où es-tu ? »), tantôt plus intimes (« Comment un garçon devrait-il faire pour attirer ton attention dans un bar ? »). L’astuce a consisté à coloriser numériquement la robe de l’interlocutrice en rouge ou en vert. Les résultats ont montré que les hommes posent des questions plus intimes lorsque la femme est habillée de rouge. Dans une seconde expérience, les chercheurs ont également montré aux participants une photo de femme, vêtue cette fois d’un chemisier rouge ou bleu, mais en leur faisant croire qu’ils allaient la rencontrer physiquement. L’expérimentateur introduisait un homme dans une salle dotée de deux chaises et annonçait que la femme allait s’asseoir sur l’une d’elles. Puis il laissait le sujet seul, sous le prétexte de partir chercher son interlocutrice, après lui avoir demandé de prendre la seconde chaise et de s’installer en face de la première. Résultat : les hommes ont placé leur chaise plus près de celle de la femme qu’ils pensaient
© Charlotte Martin/www.c-est-a-dire.fr
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Une simple robe peut-elle transformer en vamp ? Une femme est en tout cas perçue comme plus attirante et plus intéressée par le sexe si elle est vêtue en rouge que si elle est habillée d’une autre couleur.
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p. 92 Sélection d’ouvrages p. 94 Neurosciences et littérature
SÉLECTION
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Par Guillaume Jacquemont
PSYCHOLOGIE Attitudes et comportements : comprendre et changer de F abien Girandola et Valérie Fointiat pug
NEUROSCIENCES Un cerveau nommé désir de S erge Stoléru O dile Jacob
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es grands romantiques éprouveront sans doute un sentiment mitigé en découvrant que chez le campagnol des prés, une simple manipulation génétique dans une région cérébrale particulière transforme un Dom Juan coureur et polygame en fidèle Roméo. Chez l’homme, tout n’est pas aussi simple, mais le constat demeure valable : l’amour et le sexe, comme le reste des émotions et des comportements, s’ancrent dans le cerveau. Freud soupçonnait d’ailleurs toute l’importance de cet enracinement : « Nous devons nous attendre à recevoir d’elle [la biologie] les lumières les plus surprenantes et nous ne pouvons pas deviner quelles réponses elle donnera », écrivait-il en 1920. Un siècle plus tard, Serge Stoléru dresse un bilan des réponses déjà obtenues, avec une impressionnante largeur de vues et un grand souci de rigueur et de pédagogie. Tout, vous saurez tout sur le cerveau désirant, pour parodier un célèbre chansonnier. Psychiatre et chercheur, l’auteur connaît par cœur ce sujet, sur lequel il travaille depuis plus de vingt ans. Il a par exemple étudié les fondements cérébraux de l’excitation sexuelle en présentant des films érotiques à des participants allongés dans un appareil d’irm fonctionnelle. Prenant parfois des accents d’explorateur (« Dans une autre pièce, l’équipe a les yeux fixés sur le petit écran du pléthysmographe »), il raconte avec humour ces expériences pionnières, avec leur lot de questions et de doutes : comment mesurer l’excitation ? Le participant aura-t-il des réactions naturelles dans ce contexte peu émoustillant ? Le ton se fait plus sérieux pour évoquer les troubles du désir et les agressions sexuelles. Celles-ci posent parfois des questions difficiles : quelle attitude adopter face à un homme devenu délinquant sexuel après qu’une tumeur a endommagé les zones inhibitrices de son cerveau ? Sans vouloir se substituer à la justice, Serge Stoléru restitue avec précision les termes et les enjeux du débat qu’appelle l’avancée des connaissances scientifiques en ce domaine. Guillaume Jacquemont est journaliste à Cerveau & Psycho.
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SOCIOLOGIE L’Ordinaire d’internet d’Olivier Martin et Éric Dagiral (dir.) Armand Colin
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aire du tricot n’a plus nécessairement le même sens aujourd’hui et ne recouvre pas la même réalité qu’auparavant. Avec environ 68 % des Français de 16 à 74 ans qui l’utilisent tous les jours, le réseau a entraîné de multiples changements – parfois inattendus ! – dans notre quotidien. Il a ainsi modifié notre façon de communiquer et de vivre ensemble, qu’il s’agisse de partager une activité, de trouver des partenaires sexuels ou de maintenir des liens sociaux. Cet ouvrage passionnant et fouillé passe en revue ces changements, avec une question en filigrane : évolution ou révolution ?
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avoir pertinemment que faire du sport est bénéfique, et pourtant céder à la tentation du canapé : la situation vous est familière ? Dans ce livre, deux professeurs de psychologie sociale explorent ce type de divergence entre opinions et comportements. Ils présentent également tout un éventail de stratégies pour influencer les autres et se gouverner soi-même. Un tantinet universitaire, leur ouvrage reste une plongée très instructive dans nos incohérences quotidiennes. Il donnera en outre quelques pistes précieuses à ceux qui désirent changer de comportement ou en faire changer les autres, par exemple dans les domaines de l’environnement ou de la santé.
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COUP DE CŒUR Par David Gourion
NEUROSCIENCES La Beauté dans le cerveau de J ean-Pierre Changeux Odile Jacob
PSYCHOTHÉRAPIE Prendre en charge l’insomnie par les tcc de S ylvain Dagneaux Dunod
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our combattre les insomnies chroniques, qui touchent près de un Français sur dix, beaucoup réclament une « pilule magique ». Mais, avertit Sylvain Dagneaux, « le médicament idéal qui permet de retrouver un sommeil naturel n’existe pas ». Si certains traitements peuvent aider, la Haute autorité de santé préconise plutôt une utilisation accrue des thérapies cognitives et comportementales (tcc), que cet ouvrage nous présente. Clair, bien structuré, riche en outils pratiques (comme des fiches de diagnostic), il devrait guider utilement la pratique des professionnels. Au passage, il tord le cou à bon nombre d’idées reçues sur le sommeil.
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es cerveaux de l’artiste ou du scientifique n’ont pas encore été enfermés dans la caméra à positons pour enregistrer, de manière objective, les étapes successives du processus de création, regrette ici Jean-Pierre Changeux, neurobiologiste reconnu internationalement. Reste que les sciences du cerveau ont beaucoup à dire sur l’expérience esthétique, où s’entremêlent émotion et raison dans une cascade de données sensorielles. L’auteur nous livre leur éclairage, s’attaquant ainsi à cet « absurde clivage contemporain entre art et science, souvent contredit par les artistes eux-mêmes ».
PSYCHIATRIE À chaque jour son patient : journal d’un neuropsychiatre de R oger Vigouroux O dile Jacob
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vec ce livre, le docteur Roger Vigouroux, neuropsychiatre, nous fait entrer de plain-pied dans le secret de son cabinet de consultation. Et la visite est passionnante ! On y rencontre, entre autres, une dame qui ne reconnaît plus son mari, un pédophile repenti, une patiente assise avec son revolver sur les genoux, un astrophysicien fou ou encore une jeune schizophrène qui finira par disparaître mystérieusement sur une plage… « J’étais en retard, je crois n’avoir jamais été à l’heure à une consultation » : le ton est intimiste, chaleureux, empathique. L’ouvrage est érudit, mais aussi rythmé et haletant, au point qu’on a parfois l’impression de lire un bon polar. On suit ainsi le médecin au cours de plusieurs journées typiques, assistant heure par heure au déroulé de ses consultations. À travers l’histoire de ses patients, Roger Vigouroux nous parle de la vie, de la souffrance, de la joie, du désir, du sexe, de la mort. Il parvient à intégrer harmonieusement les connaissances issues de multiples approches : psychiatrie, neurologie, psychanalyse, biologie du cerveau, phénoménologie… Dans un domaine où chacun défend habituellement sa chapelle avec fanatisme, il n’exclut rien et, au contraire, donne le sentiment que chacune de ces approches peut coexister avec les autres. Il montre ainsi à quel point les cas qu’il rencontre sont à la fois des maladies du cerveau et des maladies de l’âme. Jamais racoleur ni voyeur, l’auteur réussit le tour de force de nous ouvrir, le temps d’un livre, une fenêtre de compréhension sur l’humain, sa complexité, sa subjectivité et sa singularité. Il décrit également avec finesse la relation si particulière qui unit le thérapeute et son patient. Et ce qui est sans doute le plus original dans cet ouvrage, c’est que derrière le masque du clinicien, on découvre l’homme, avec ses doutes, ses espoirs, ses peines, ses désirs, ses amours, sa passion pour l’opéra… Au final, Roger Vigouroux nous offre un texte qui respire l’humanisme. À lire absolument ! David Gourion est psychiatre à Paris et docteur en neurosciences.
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SEBASTIAN DIEGUEZ Chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’université de Fribourg, en Suisse.
Les Nouveaux Habits de l’empereur Pourquoi personne n’ose dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas
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Un empereur nu, et ses sujets convaincus qu’on lui a cousu un habit invisible… Cet aveuglement collectif mis en scène par Andersen porte un nom : l’ignorance pluraliste. S’y opposer n’a rien de facile.
e roi est nu ; la vérité sort de la bouche des enfants : le conte Les Nouveaux Habits de l’empereur, de Hans Christian Andersen, a inspiré deux expressions qui nourrissent aujourd’hui encore la conscience populaire. Publié en 1837 et adapté d’un texte espagnol du xive siècle, il se distingue des innombrables classiques écrits par l’écrivain danois, comme Le Vilain Petit Canard ou La Reine des neiges. Il est en effet plus proche de l’allégorie politique que de la fable pour enfant. De fait, il sert souvent à illustrer les affaires où un lanceur d’alerte rétablit la transparence en rendant publique une vérité que personne ne voulait voir. Mais loin d’être une simple histoire d’imposteur, ce conte met en scène un phénomène d’une remarquable profondeur psychologique. Pour le comprendre, reprenons la trame du récit. Un empereur particulièrement coquet est dupé par
EN BREF ££Dans le conte Les nouveaux habits de l’empereur, d’Andersen, deux escrocs prétendent fabriquer une étoffe invisible aux imbéciles et aux incompétents. ££Tout le monde affirme la voir, instaurant une situation type d’ignorance pluraliste, où chacun revendique une opinion absurde parce qu’il la croit partagée par les autres. ££Dans ces situations, les mécanismes cérébraux d’attribution des opinions pourraient être perturbés.
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deux escrocs de passage, qui se font passer pour des tisserands ayant conçu une étoffe au pouvoir étonnant : elle est invisible à toute personne stupide ou remplissant mal sa fonction. Séduit, l’empereur leur commande des habits. Les escrocs se mettent immédiatement au travail, c’est-à-dire qu’ils font semblant de tisser tout en empochant les produits précieux qu’ils demandent pour fabriquer « l’étoffe ». DES HABITS TRÈS SPÉCIAUX Rapidement, la nouvelle se répand dans la ville. Un ministre est envoyé pour examiner l’avancement du travail, et bien sûr, il ne voit rien. Mais il prétend le contraire, soucieux de ne pas passer pour un sot ou un incompétent. L’un après l’autre, tous les émissaires l’imitent, croyant que les autres perçoivent l’étoffe. Finalement, l’empereur
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LE MOIS PROCHAIN POUR LA SCIENCE 8 rue Férou, 75278 Paris Cedex 06 Tél : 01 55 42 84 00
Directrice des rédactions : Cécile Lestienne Cerveau & Psycho Rédacteur en chef : Sébastien Bohler Rédactrice en chef adjointe : Bénédicte Salthun-Lassalle Rédacteur : Guillaume Jacquemont
Vaincre la
douleur
Effacer la trace moléculaire des douleurs chroniques
© Sebastian Kaulitzki / shutterstock.com
QUAND LE MAL DE DOS DURE, QUAND LE GENOU EST EN FEU, on parle de mémoire de la douleur. Une trace moléculaire s’est imprimée dans les neurones de la moelle et du cerveau, entretenant le supplice sans raison. La formation de cette mémoire est aujourd’hui de mieux en mieux connue. Elle inspire de nouveaux traitements et élargit le recours à l’hypnose, aux thérapies cognitivo-comportementales, à la méditation ou à la désensibilisation par mouvements oculaires. Car tout dépend de la façon dont cette trace s’est initialement imprimée...
En kiosque le 18 janvier 2017
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