Cerveau & Psycho
N° 107 Février 2019
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QUE PEUT-ON VRAIMENT APPRENDRE EN DORMANT ?
LES POUVOIRS DE L’INCONSCIENT La face cachée de notre cerveau qui décide de (presque) tout
CAS CLINIQUE L’INCORRIGIBLE VOLEUR DE VOITURES
RÉUSSITE SCOLAIRE LE TRAVAIL COMPTE PLUS QUE LE TALENT GILETS JAUNES L’IMPACT DE L’UNIFORME DÉMOCRATIE DANS LA SOLITUDE DU POUVOIR D : 10 €, BEL : 8,5 €, CAN : 11,99 CAD, DOM/S : 8,5 €, LUX : 8,5 €, MAR : 90 MAD, TOM : 1 170 XPF, PORT. CONT. : 8,5 €, TUN : 7,8 TND, CH : 15 CHF
Cerveau Les espoirs. Les fantasmes. La réalité.
Quel crédit accorder aux visions technofuturistes du transhumanisme ? Et comment préserver notre liberté d’agir et de penser ?
Catherine Vidal, 84 p.,11 euros Retrouvez toutes nos nouveautés sur notre site www.editions-lepommier.fr
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N° 107
NOS CONTRIBUTEURS
ÉDITORIAL
p. 16-17
SÉBASTIEN BOHLER
Jean-François Dartigues
Neurologue, professeur émérite de santé publique, et chercheur dans l’équipe Inserm de psychoépidémiologie du vieillissement et des maladies chroniques, à l’université de Bordeaux. Il s’intéresse à l’épidémiologie et la recherche thérapeutique sur la maladie d’Alzheimer.
p. 18-25
Delphine Oudiette
Chargée de recherche Inserm à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, à Paris, Delphine Oudiette explore les mécanismes du sommeil et a mis au point une méthode pour réactiver les souvenirs et les renforcer pendant que nous dormons.
p. 66-71
Nicolas Gauvrit
Chercheur en sciences cognitives au laboratoire CHArt de l’École pratique des hautes études, à Paris, il est membre du comité de rédaction de la revue Science et pseudo-sciences et fondateur du site Esprit Critique Info.
p. 76-77
Coralie Chevallier
Chercheuse en sciences cognitives et sciences du comportement à l’Inserm, à l’École normale supérieure de Paris, elle encourage l’utilisation des sciences du comportement pour l’optimisation et l’évaluation des politiques publiques.
Rédacteur en chef
La seule chose qui ne change jamais
L
e changement, ça vous prend au berceau alors que vous n’avez rien demandé. Un jour, vous constatez que votre mère est un être indépendant qui a parfois autre chose à faire que de guetter votre premier signe d’inquiétude pour fourrer illico presto un biberon dans votre bouche. C’est votre première crise du changement, et la solution – on la connaît – s’appelle doudou. Vous en apprendrez sur les doudous en page 88. Mais à cet âge, évidemment, vous êtes encore bien peu armé pour affronter la teneur effroyable du monde en changements de toutes sortes, car la partie de votre cerveau apte à affronter ces fluctuations s’appelle cortex préfrontal et n’est – de loin – pas encore mature. C’est pourtant encore lui, ce cortex préfrontal, qui va vous accompagner sur le chemin de l’école, et cette fois il va s’agir de bien l’utiliser. Encore une fois, pour vous concevoir vous-même comme un être de changement – ce que nous explique Jean-Philippe Lachaux en page 82. Car c’est un fait : les élèves persuadés que le travail et l’apprentissage vont les modeler, réussissent mieux que ceux qui croient dans des qualités innées comme l’intelligence ou le talent. Et gare à vous si ce préfrontal tombe en panne ! Lisez donc cette histoire de l’homme qui, victime d’une lésion à cette zone du cerveau, se mit un jour à voler toutes les voitures qu’il trouvait, uniquement pour les abandonner un peu plus loin (p. 26). De condamnation en condamnation, il ne put jamais modifier son comportement car il avait perdu toute « flexibilité mentale ». Cette partie de notre cerveau est si importante qu’elle s’est développée au fil des millénaires, bien plus que chez d’autres espèces animales, comme le montre notre infographie en page 38. Alors, oui, nous sommes faits pour le changement, et équipés pour l’affronter. C’est la clé de notre survie et de notre épanouissement. Pour finir, voulez-vous savoir quelle est la seule chose qui ne change jamais ? D’après la philosophie bouddhiste, ce n’est autre que… le changement lui-même ! £
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SOMMAIRE N° 107 FÉVRIER 2019 p. 16
p. 18
p. 26
p. 43-71
Dossier
p. 30
p. 6-41 p. 43
DÉCOUVERTES p. 6 ACTUALITÉS Un nouvel anxiolytique : la lavande ! Mon voisin de bureau Néandertalien Le café ralentit le déclin cognitif Le paradoxe de l’agressivité mignonne Faut-il cacher ses soucis à ses enfants ?
p. 26 CAS CLINIQUE
p. 16 FOCUS
Après une lésion cérébrale, un inoffensif employé se transforme en voleur de voitures compulsif.
Le virus de l’herpès, en cause dans la maladie d’Alzheimer ? La démence frappe 2,5 fois plus quand on est porteur du virus de l’herpès. Jean-François Dartigues et Luc Letenneur
p. 18 N EUROSCIENCES
Comment apprendre en dormant
Les percées d’une technique révolutionnaire, la réactivation mnésique. Ken A. Paller et Delphine Oudiette
LAURENT COHEN
Le voleur de voitures impénitent
LES POUVOIRS DE L’INCONSCIENT p. 44 N EUROSCIENCES
L’INCONSCIENT, NOTRE GÉNIE DE L’OMBRE
Il travaille en permanence, analyse notre environnement, nous aide à choisir… et nous ne nous en rendons même pas compte !
p. 30 S CIENCES COGNITIVES
Steve Ayan
et le besoin impérieux de partager nos pensées.
Choix politiques, amitiés, comportements d’achat… C’est souvent l’inconscient qui décide. Comment reprendre la main ?
Qu’est-ce qui nous p. 52 P SYCHOLOGIE distingue des animaux ? CET INCONSCIENT Deux critères émergent : notre capacité QUI NOUS GOUVERNE à imaginer des scénarios emboîtés Thomas Suddendorf
p. 38 I NFOGRAPHIE
Un cerveau hors catégorie
Cortex plissé, connexions neuronales foisonnantes… Le cerveau humain est un cas à part dans le monde animal. Chet C. Sherwood
John Bargh
p. 62 I NTERVIEW
IL N’Y A PAS DE PENSÉE CONSCIENTE Peter Carruthers
p. 66 P SYCHOLOGIE COGNITIVE
AVONS-NOUS UN SOI PROFOND ET CACHÉ ? Des expériences suggèrent que cela pourrait être une pure illusion.
En couverture : © Spencer Lowell
Nicolas Gauvrit
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5
p. 72
p. 94
p. 76
p. 78
p. 88 p. 92
p. 72-77
p. 78-91
ÉCLAIRAGES
VIE QUOTIDIENNE LIVRES
p. 72 R ETOUR SUR L’ACTUALITÉ
p. 78 P SYCHOLOGIE
La force du mouvement vient aussi du fait que cette tenue a joué le rôle d’un uniforme.
Meilleure concentration, stress réduit : le point sur les prétendus bénéfices.
Le gilet jaune, uniforme du peuple ?
p. 92-98
Les effets cognitifs du chewing-gum
Sébastien Bohler
Miriam Berger
p. 76 PSYCHO CITOYENNE
p. 82 L A QUESTION DU MOIS
CORALIE CHEVALLIER ET NICOLAS BAUMARD
D’où vient la solitude du pouvoir ?
Les politiciens passent du temps à élaborer des mesures complexes. Ils croient que les citoyens passent du temps à les comprendre. Ils se trompent…
Cherchons-nous un partenaire qui ressemble à nos parents ?
Crédible, cette confirmation du complexe d’Œdipe par des chercheurs écossais ? Martin Gründl
p. 84 L ’ÉCOLE DES CERVEAUX
Le bon élève ? Celui qui évolue !
Quand un élève croit évoluer par le travail, il réussit mieux que s’il croit au talent pur. Jean-Philippe Lachaux
p. 88 L ES CLÉS DU COMPORTEMENT NICOLAS GUÉGUEN
La science des doudous
Le doudou joue un rôle plus sérieux qu’on ne croit dans la vie d’un enfant. Une bonne raison de l’étudier scientifiquement.
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p. 92 S ÉLECTION DE LIVRES Faites danser votre cerveau ! Qu’est-ce que l’érotisme ? Histoire de la folie avant la psychiatrie Plus malin qu’un singe ? Fouloscopie Le Fleuve de la conscience p. 94 L ITTÉRATURE ET NEUROSCIENCES SEBASTIAN DIEGUEZ
Des fleurs pour Algernon
En 1959, le romancier Daniel Keyes alertait sur les risques d’une augmentation artificielle de l’intelligence. Aujourd’hui, son inquiétude est-elle en passe de se concrétiser ?
DÉCOUVERTES
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p. 16 Focus p. 18 Comment apprendre en dormant p. 26 Le voleur de voitures impénitent p. 30 Qu’est-ce qui nous distingue des animaux ?
Actualités Par la rédaction AROMATHÉRAPIE
Un nouvel anxiolytique : la lavande ! L’odeur de la lavande aurait un effet anxiolytique au même titre que les médicaments contre l’anxiété, mais sans effets secondaires.
© Page de gauche : Shutterstock.com/grafvision ; page de droite : Shutterstock.com/Lolostock
H iroki Harada et al., Linalool odor-induced anxiolytic effects in mice, Frontiers in Behavioral Neurosciences, 23 octobre 2018.
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es odeurs des huiles essentielles ou autres extraits de plantes sont-elles vraiment bénéfiques pour la santé ? La médecine traditionnelle est depuis longtemps persuadée de ses effets relaxants et anxiolytiques. Mais est-ce un mythe ? Hiroki Harada et ses collègues, de l’université Kagoshima, au Japon, ont voulu en avoir le cœur net. Ils ont testé l’effet déstressant d’une odeur particulièrement utilisée en aromathérapie, celle de la lavande, chez des souris. Pour ce faire, ils ont fait sentir aux rongeurs des vapeurs de linalol, le composé actif de la lavande, et ont mesuré leur anxiété avant et après la présentation de l’odeur grâce à deux
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p. 38 Un cerveau hors catégorie
NEUROBIOLOGIE RETROUVEZ LA PAGE FACEBOOK DE CERVEAU & PSYCHO
Le stress de l’hypoglycémie Thomas Horman et al., Psychopharmacology, vol. 235, pp. 3055-3063, 2018.
dispositifs expérimentaux classiques. Le premier, une boîte jour-nuit, évalue le temps que les souris passent dans chaque compartiment, l’un éclairé (ce qui les rend anxieuses), l’autre sombre. Le second, un labyrinthe surélevé, estime aussi le temps que les rongeurs passent dans chaque branche, deux étant ouvertes sur le vide (ce qui stresse les animaux) et deux autres étant fermées. DES SOURIS DEUX FOIS MOINS ANXIEUSES Les observations ont montré que, après avoir senti la lavande, les souris explorent deux fois plus la boîte éclairée et les bras ouverts des deux dispositifs qu’avant la présentation de l’odeur ; preuve qu’elles sont moins anxieuses. Cet effet ne s’observe pas avec des animaux anosmiques, dépourvus de neurones olfactifs. Les vapeurs de linalol suffisent donc à provoquer un effet anxiolytique en activant des neurones du nez. On savait déjà que l’injection de linalol était efficace contre l’anxiété, à la manière des benzodiazépines, les anxiolytiques classiques qui agissent en se fixant sur des récepteurs neuronaux inhibiteurs dits gabaergiques. Mais injectés dans le sang, le linalol, ainsi que les benzodiazépines, provoquent des troubles moteurs, un peu comme l’alcool. Or ce n’est pas le cas des vapeurs de linalol dans cette expérience. De
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plus, les chercheurs ont donné un inhibiteur de ces récepteurs gabaergiques aux souris avant de leur faire sentir la lavande et ont alors constaté que l’effet anxiolytique de la lavande disparaissait. Preuve que celle-ci agit eut-être faites-vous partie de ces persur les récepteurs gabaergiques, sonnes souvent de mauvaise humeur quand elles comme les benzodiazépines, mais ont faim. On vient d’en découvrir la cause : le via une activation des neurones manque soudain de sucre (ou glucose) active des olfactifs et surtout sans les effets mécanismes du stress. secondaires moteurs. Thomas Horman, de l’université de Guelph, au Les troubles de l’anxiété, comme Canada, et ses collègues ont étudié le mécanisme les crises de panique, les phobies ou en jeu en injectant à des rats une molécule qui encore le syndrome de stress post- bloque le métabolisme cellulaire du glucose : le traumatique, représentent les mala- 2-désoxy-D-glucose (2-DG). Cette substance prodies mentales les plus fréquentes : 15 % voque une hypoglycémie dans les neurones, c’estdes Français âgés de 18 à 65 ans ont à-dire que ces derniers ne disposent plus de suffisouffert d’un épisode anxieux l’année samment de sucre. Les rongeurs ayant reçu le 2-DG, dernière. Alors pourquoi ne pas diffu- comparés à ceux ayant eu de l’eau, ont alors beauser d’odeur de lavande chez soi, dans coup plus évité la pièce où ils avaient subi l’hypoles hôpitaux, avant une opération par glycémie, preuve qu’ils étaient stressés. De plus, exemple, chez le dentiste, le banquier, leur taux de corticostérone sanguin, l’une des horà l’école… ? Cette étude prouve bien mones du stress sécrétée suite à une stimulation que les odeurs de plantes, comme la de l’axe dit hypothalamo-hypophysaire, augmentait. lavande, peuvent avoir des effets Mais en injectant au préalable aux animaux des relaxants. « L’aromathérapie » consiste bloquants cérébraux de la noradrénaline et de la en la diffusion d’odeurs de certaines dopamine, deux neurotransmetteurs impliqués jusplantes aromatiques, leurs essences tement dans l’activation de l’axe du stress et dans volatiles étant couramment nommées le circuit cérébral des émotions, les chercheurs ont « huiles essentielles ». Aujourd’hui, de annulé ces effets de l’hypoglycémie. plus en plus d’études scientifiques La chute de sucre dans le sang provoque donc confirment que les molécules qui com- bien une humeur négative en augmentant l’activité posent ces huiles ont vraiment des cérébrale de régions impliquées dans le stress. Un effets sur la santé. Toutefois, des résultat à prendre en compte quand on sait que essais cliniques chez l’homme sont 1 personne sur 5 souffrira au cours de sa vie d’une encore nécessaires pour valider ce importante conséquence du stress chronique, la genre de thérapies. £ dépression : une alimentation favorisant une glycé Bénédicte Salthun-Lassalle mie stable serait un facteur protecteur. £ B. S.-L.
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DÉCOUVERTES F ocus
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JEAN-FRANÇOIS DARTIGUES ET LUC LETENNEUR
Chercheurs dans l’unité Inserm de recherche en épidémiologie et biostatistique, à l’université de Bordeaux.
Le virus de l’herpès, en cause dans la maladie d’Alzheimer ?
L
a maladie d’Alzheimer serait-elle due à une infection microbienne ? Oui, en partie, révèle Ruth Itzhaki, de l’université d’Oxford, en Angleterre, dans une récente revue des recherches scientifiques visant à confirmer le rôle du virus Herpès Simplex de type 1 (HSV-1). La maladie d’Alzheimer est une pathologie neurodégénérative caractérisée par une accumulation anormale dans le cerveau de protéines béta-amyloïde, qui s’agrègent en « plaques », et de protéines tau, qui forment des filaments dans les neurones appelés fibrilles. L’origine de la maladie reste un mystère, mais la communauté scientifique s’accorde aujourd’hui sur le fait que l’accumulation de protéines béta-amyloïde est délétère pour le cerveau. Et le virus de l’herpès, présent chez plus de 65 % de la population, serait
responsable de cette accumulation, selon Itzhaki et son équipe, qui est celle ayant le plus étudié le rôle du virus dans la maladie d’Alzheimer. UN VIRUS DANS LE CERVEAU Dans cette analyse de grande ampleur, Itzhaki passe au crible les données neuropathologiques, virologiques et expérimentales, obtenues chez les animaux, ainsi que les résultats épidémiologiques chez l’homme, qui corroborent cette hypothèse depuis environ vingt ans. En effet, dans les années 1990-2000, des études neuropathologiques et
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virologiques ont retrouvé pour la première fois l’ADN du virus HSV-1 dans le cerveau, non seulement des personnes saines, mais aussi des sujets Alzheimer. Autre résultat important : le virus est présent chez 60 % des patients génétiquement à risque de développer une maladie d’Alzheimer, car ils portent dans leur génome l’allèle 4 (une version de gène) de l’Apolipoprotéine E (ApoE) – 33 % des personnes portant deux allèles ApoE4 développent la maladie avant l’âge de 75 ans. Encore plus inquiétant : dans le cerveau des malades, l’ADN viral est localisé uniquement dans les plaques amyloïdes. Des études transcriptomiques plus récentes, qui étudient les ARN issus de la « transcription » du génome, ont également montré que des taux élevés du virus de l’herpès et de ses variants sont observés chez les
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Ce virus, très répandu dans la population, serait responsable de la maladie d’Alzheimer selon une analyse récente de la littérature scientifique. Y a-t-il un espoir de vaccin ?
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patients Alzheimer, ce qui provoque des changements dans la régulation des gènes, qui eux-mêmes engendrent parfois la production de protéines béta-amyloïde. Itzhaki commente aussi les résultats des études récentes réalisées à partir de la base de données médico-administratives de Taïwan, qui regroupent l’ensemble des résultats médicaux et d’accès aux soins dans ce pays avec un suivi des patients sur dix ans. Ces résultats montrent que les sujets ayant présenté un herpès labial ou génital ont 2,5 fois plus de risques de souffrir de démence, comme celle de la maladie d’Alzheimer, comparé aux personnes n’ayant jamais contracté un virus de l’herpès. UN VACCIN ANTI-HERPÈS ? Autre fait remarquable : grâce à cette base de données, les chercheurs ont aussi révélé que les sujets présentant ces manifestations herpétiques mais qui sont traités par les médicaments antiviraux (acyclovir, famciclovir, valaciclovir…) ont dix fois moins de risques de développer la maladie d’Alzheimer. Pour Itzhaki, c’est la preuve que le virus de l’herpès provoque la maladie d’Alzheimer. D’autres résultats épidémiologiques corroborent ces données : par exemple, la fibromyalgie augmente aussi le risque de démence d’après cette même cohorte de Taïwan ; or la fibromyalie est connue pour être associée à l’infection herpétique. En d’autres termes, le virus de l’herpès favoriserait à la fois la maladie d’Alzheimer et la fibromyalgie. Itzhaki conclut en précisant que de nouvelles études épidémiologiques doivent confirmer ces résultats, mais
Les personnes ayant présenté un herpès labial ou génital ont 2,5 fois plus de risques de souffrir de démence, comparé aux sujets non infectés.
Bibliographie R. F. Itzhaki, Corroboration of a major role for herpes simplex virus type 1 in Alzheimer’s disease, Frontiers in Aging Neuroscience, le 19 octobre 2018.
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qu’il est temps d’entreprendre des essais thérapeutiques de prévention, un vaccin anti-herpétique étant probablement la meilleure solution. D’AUTRES ÉTUDES SONT NÉCESSAIRES La question est-elle entendue pour autant ? Il faut toutefois noter que cette analyse ne représente pas une revue exhaustive de toutes les études scientifiques. Peu de résultats négatifs sont discutés, notamment certaines études qui n’ont pas trouvé de lien entre le virus HSV-1 et ApoE4 ni entre le risque de démence et le fait d’être infecté. Toutefois, l’ensemble de la discussion de Itzhaki est assez convaincant. Les résultats de la base de données taïwanaise sont importants et dépourvus du « biais de recours au soin », pourtant habituel avec ce type de données. Ce biais, lié à la sélection des patients, repose sur le fait que les sujets ayant déjà eu recours à des soins pour une maladie donnée ont plus de chances d’y avoir aussi accès pour une autre maladie dont le recours au soin n’est pas systématique (comme c’est le cas pour la démence). Or pour la cohorte de Taïwan, les patients n’étaient recrutés que pour des cas de démence. Cependant, contrairement à ce qu’affirme Itzhaki, le lien de cause à effet entre le virus et la maladie d’Alzheimer n’est pas démontré avec ce type d’études, qui révèlent seulement des corrélations. Seul un essai thérapeutique de large ampleur, où l’on donnerait des antiviraux à des patients Alzheimer, permettrait de démontrer le rôle causal du HSV-1. Reste à convaincre l’industrie pharmaceutique de s’atteler à la tâche. £
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DÉCOUVERTES N eurosciences
Comment apprendre en dormant Par Ken A. Paller et Delphine Oudiette.
Une technique révolutionnaire, la réactivation mnésique, permet de renforcer certains souvenirs pendant le sommeil, grâce à des sons discrets ou des odeurs.
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ans Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, un garçon mémorise chaque mot d’une conférence en anglais, alors qu’il ne connaît pas la langue… Et ce, pendant qu’il est en train de dormir près d’une radio qui retransmet la conférence. À son réveil, l’enfant est capable de la réciter en entier. S’appuyant sur cette découverte, les autorités totalitaires du monde dystopique de Huxley adaptent la méthode pour façonner l’inconscient de tous les citoyens. Tout le monde sait que nous apprenons mieux quand nous sommes bien reposés. En revanche, la plupart d’entre nous pensent a priori qu’il est impossible d’apprendre en dormant. Pourtant, de nouvelles découvertes scientifiques suggèrent que les choses ne sont pas aussi simples : une partie essentielle de l’apprentissage se produit bien pendant le sommeil. En effet, des souvenirs récemment formés refont surface pendant la nuit, et cette relecture aide à les « consolider », voire à en mémoriser certains de façon définitive. Et si
EN BREF ££On a longtemps pensé que, durant le sommeil, le cerveau était éteint et incapable d’apprendre. ££Mais les recherches de ces dernières décennies ont montré qu’il reste actif lorsque l’on dort et que des souvenirs récents sont réactivés. ££En contrôlant cette réactivation de la mémoire, des neuroscientifiques ont amélioré l’apprentissage de nouvelles données durant une phase précise du sommeil profond. ££Leur méthode aurait des applications médicales, par exemple pour le traitement des addictions.
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aujourd’hui le scénario imaginé par Huxley en 1932 reste une fiction, des expériences indiquent qu’il est possible de manipuler les souvenirs d’une personne plongée dans un profond sommeil, posant les bases d’une nouvelle science de l’apprentissage durant le sommeil. POUR ARRÊTER DE SE RONGER LES ONGLES ? Pour que de telles manipulations fonctionnent, il s’agit avant tout d’explorer comment une personne peut absorber une information à un moment où sa conscience semble au repos. À l’époque où Huxley a écrit son roman, commençaient déjà de sérieuses recherches sur la possibilité d’intervenir durant le sommeil. En 1927, le New-Yorkais Alois Saliger inventait une « machine à suggestion automatique à départ différé », commercialisée sous le nom de PsychoPhone, capable de réémettre pendant la nuit un message enregistré. Puis, dans les années 1930 et 1940, diverses études livraient de prétendus exemples d’apprentissage durant le sommeil… L’une d’elles, publiée en 1942, décrivait ainsi une expérience que Lawrence LeShan, alors au Collège de William et Mary, aux États-Unis, avait
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Le voleur de voitures impénitent
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DÉCOUVERTES C as clinique
LAURENT COHEN Professeur de neurologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
Monsieur O. est un honnête testeur de voitures dans une usine de montage. Mais après un séjour à l’hôpital, il commence à les voler pour… partir en balade. Et malgré plusieurs condamnations, impossible de s’arrêter ! C’est alors que l’on découvre dans son cerveau une mystérieuse lésion…
EN BREF ££Du jour au lendemain, monsieur O. se met à « emprunter » des voitures pour se promener, puis les abandonne. ££Malgré les arrestations, monsieur O. continue ses larcins : c’est devenu une obsession.
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££Les examens révèlent la présence d’une lésion dans son cortex orbitofrontal, à l’avant du cerveau. ££Cette zone est essentielle pour conférer une flexibilité à nos pensées et nos comportements.
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I
l y a quelques années, madame O. me rencontra pour obtenir un avis sur le comportement de son époux, incapable de venir par luimême car incarcéré pour vol de voiture. Monsieur O., alors âgé d’un peu plus de 50 ans, avait eu de nombreux démêlés avec la justice. Il « empruntait » régulièrement des voitures depuis quinze ans. Et la raison de ces vols semblait obscure. À l’âge de 35 ans, cet homme avait été victime d’une rupture d’anévrisme, c’est-à-dire un renflement sur la paroi d’une artère qui constitue une zone de fragilité. Si ce renflement vient à se rompre, le sang sous pression sort de l’artère, provoquant une hémorragie méningée, s’il se répand à la surface du cerveau, ou une hémorragie cérébrale, s’il s’écoule à l’intérieur. Chez monsieur O., l’anévrisme était situé sur une artère cachée dans l’interstice qui sépare les lobes frontaux droit et gauche. On l’opéra rapidement pour supprimer l’anévrisme, mais au cours de l’intervention, un nouveau saignement se produisit, obligeant le chirurgien à « clipper » une autre artère, responsable de l’alimentation de la face cachée du lobe frontal droit… Quoi qu’il en soit, le patient en réchappa, sans séquelles
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DÉCOUVERTES S ciences cognitives
Qu’est-ce qui nous distingue des animaux ? Par Thomas Suddendorf, professeur de psychologie à l’université du Queensland, en Australie.
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Notre capacité à imaginer des scénarios emboîtés à la façon de poupées russes, et le besoin impérieux de partager nos pensées : voilà ce qui nous distinguerait des animaux sur le plan mental. Et qui expliquerait notre faculté à anticiper les situations futures.
dernière, pour ne citer qu’un exemple, Mathias Osvath et Can Kabadayi, de l’université de Lund, en Suède, ont affirmé avec audace que les grands corbeaux (Corvus corax) peuvent planifier des actions à l’avance au même titre que nous. Dans leur expérience, ils ont d’abord appris à cinq volatiles à ramasser une pierre et à la jeter dans une boîte en échange d’une récompense. Par la suite, les corbeaux se montraient capables de récupérer eux-mêmes le caillou, caché au milieu d’un tas d’autres objets, plusieurs minutes et même des heures avant que la boîte annonçant la récompense ne soit mise à leur disposition. Les chercheurs ont conclu que les corbeaux savaient se projeter dans l’avenir. Toutefois, il est possible d’expliquer de façon plus simple ce succès, ainsi que les prouesses
ourquoi les zoos sont-ils dirigés par des hommes, et non par des gorilles ? Au cours des dernières centaines de milliers d’années, pendant que d’autres grands primates vivaient discrètement au cœur des forêts tropicales, les êtres humains ont conquis la planète. Certains animaux sont pourtant plus puissants, plus rapides que nous et dotés de sens plus développés. Alors, qu’est-ce qui nous a permis d’asseoir notre domination ? La réponse est : nos capacités mentales. Mais les scientifiques ont eu beaucoup de difficultés à identifier les facultés qui nous rendent si spéciaux, d’autant que les recherches récentes ont montré que beaucoup d’animaux, des oiseaux jusqu’aux chimpanzés, ont certaines aptitudes cognitives qui rivalisent avec les nôtres. L’année
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DÉCOUVERTES S ciences cognitives Qu’est-ce qui nous distingue des animaux ?
capacité à anticiper l’avenir, puisqu’ils semblent avoir été transportés d’un endroit à un autre dans l’objectif d’être réutilisés. Leur fabrication nécessite des connaissances considérables sur les roches et sur la façon de les tailler. Sur certains sites, comme Olorgesailie, au Kenya, le sol est encore jonché de pierres taillées ; pourquoi nos ancêtres ont-ils continué à fabriquer des outils quand ils en disposaient déjà en abondance ? La réponse est sans doute qu’ils s’entraînaient à les façonner. Une fois la compétence acquise, ils partaient chasser avec l’assurance de savoir qu’ils pourraient en fabriquer un nouveau si jamais l’ancien se cassait. L’HOMME, À LA FOIS SPÉCIALISTE ET GÉNÉRALISTE On peut classer la plupart des espèces animales comme spécialistes ou généralistes, mais les êtres humains sont les deux : nous sommes capables de nous adapter rapidement à des contraintes locales, et même d’en anticiper des futures, en acquérant l’expertise nécessaire. En outre, grâce à la coopération et à la division du travail, nous bénéficions souvent de compétences complémentaires, ce qui nous permet de dominer les habitats les plus divers. Nous pouvons même héberger les plus féroces prédateurs dans nos zoos, car nous savons prévoir leurs besoins et ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire. Jusqu’à présent, il n’y a pas de preuve évidente que d’autres
espèces se soient livrées à de tels voyages mentaux dans le temps ni aient élaboré un plan pour s’échapper du zoo dans un avenir prévisible… Avec la construction de scénarios imbriqués et le désir impérieux de communiquer, nos ancêtres ont finalement engendré des civilisations et des techniques qui ont changé la face du monde. La science est l’expression disciplinée de notre esprit collectif : elle nous aide à mieux connaître l’histoire de nos origines. Elle nous permet aussi d’orienter la course des événements en nous rendant clairvoyants. « UN GRAND POUVOIR IMPLIQUE DE GRANDES RESPONSABILITÉS » Mais l’anticipation de nos actions a un prix : elle nous confronte à des choix moraux. En raison de la toute-puissance ambivalente de l’humanité, nous sommes en mesure de prédire les conséquences de la pollution ou de la destruction des habitats des animaux, d’informer les autres de ces ravages et, comme le démontre l’accord de Paris sur le climat, de négocier des actions coordonnées à l’échelle mondiale pour stopper ou freiner le processus. Rien de tout cela n’excuse l’arrogance. Nous sommes les seuls êtres sur cette planète à avoir ces capacités. Comme l’oncle de Spiderman ne manquait pas de lui rappeler, chaque fois que son neveu superhéros était en proie aux affres du doute : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. » £
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Bibliographie T. Suddendorf et al., Prospection and natural selection, Current Opinion in Behavioral Sciences, vol. 24, pp. 26-31, 2018. J. Redshaw et al., Flexible planning in ravens ?, Trends in Cognitive Sciences, vol. 21, pp. 821-822, 2017. M. Tomasello, A Natural History of Human Thinking, Harvard University Press, 2014. T. Suddendorf, The Gap. The science of what separates us from other animals, Basic Books, 2013.
© DigitalVision / GEttyImages
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DÉCOUVERTES L ’infographie
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CHET C. SHERWOOD
Professeur d’anthropologie à l’université George-Washington, à Washington, aux États-Unis.
Un cerveau hors catégorie
L
Un encéphale assez gros, un cortex très plissé, des connexions neuronales nombreuses… Le cerveau humain est singulier dans le monde animal.
ses aires, le striatum, centre névralgique de l’activité de la dopamine (un neurotransmetteur), semblent avoir eu une histoire évolutive différente chez l’homme. Des changements qui ont probablement augmenté la perception des signaux sociaux et facilité l’apprentissage du langage.
e cerveau d’Homo sapiens, l’homme moderne, se démarque par de nombreux aspects de celui de ses ancêtres et des autres animaux. Avec un poids moyen d’environ 1,5 kilogramme, soit 2 % de la masse corporelle (pour 20 % de l’énergie consommée !), il est près de trois fois plus gros que celui des premiers homininés et celui de ses cousins, les grands singes actuels. Et il déroge au rapport entre la taille du cerveau et celle du corps constaté chez la plupart des espèces animales. Des études détaillées du cerveau humain et de celui des primates, comme les chimpanzés, révèlent de nombreuses spécificités. Par exemple, certaines régions du cortex cérébral, impliquées dans des fonctions cognitives complexes telles que la créativité ou la pensée abstraite, sont plus grandes chez l’homme. Ces zones corticales, nommées aires associatives, se développent encore après la naissance et arrivent à maturité assez tard, au début de l’âge adulte. Des connexions neuronales à grande distance reliant ces aires associatives entre elles mais aussi au cervelet (qui joue un rôle dans les mouvements et l’apprentissage de nouvelles compétences) sont plus nombreuses que chez les autres primates. Et ces réseaux renforcés chez l’homme sont le siège du langage, de la fabrication d’outils et de l’imitation. Même le circuit de la récompense, au centre du cerveau, et l’une de
TOUJOURS PLUS GROS Mais quels facteurs ont conduit à la formation d’un si gros cerveau ? Le registre fossile des homininés met en évidence une tendance générale de croissance du volume crânien au cours des six derniers millions d’années environ. Cela correspond à la séparation de notre lignée de celle des chimpanzés et des bonobos. En étudiant différents aspects de la biologie humaine, les chercheurs ont identifié un ensemble de facteurs interconnectés qu’ils associent à notre gros cerveau : par exemple, une durée de vie plus grande et un développement plus progressif durant l’enfance. Cette importante croissance cérébrale après la naissance implique que de nombreuses étapes du développement cognitif se déroulent dans un contexte social et environnemental riche. Les chercheurs ont aussi découvert des modifications génétiques et moléculaires qui ont eu lieu au cours de l’évolution du cerveau. Elles expliqueraient aussi certaines différences entre l’humain et les autres primates. £
N° 107 - Février 2019
B
SRGAP2C
NOTCH2NL
C
B
A
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RGAP2C, une version du gène S SRGAP2 que l’on ne trouve que chez l’homme, augmente la densité de connexions neuronales. C La version humaine du gène NOTCH, nommée NOTCH2NL, a trois copies dans le génome et aide à la production de neurones.
GÈNES FOXP2
GÈNES A Un variant du gène FOXP2 propre à l’homme joue un rôle dans l’apprentissage de la parole.
CELLULES Les neurones de von Economo jouent un rôle clé dans les circuits liés aux émotions sociales. Ils sont plus développés chez l’homme. E L’activité de l’ARN et la synthèse de protéines sont plus importantes dans les synapses du cortex préfrontal (en gris) de l’homme que chez les primates. F Les cellules libèrent dans le striatum plus de dopamine, un neurotransmetteur impliqué dans diverses fonctions cognitives. D
CELLULES
F
E
D
Synapse (jonction cellulaire)
Neurone de von Economo (neurone en fuseau)
Dopamine
CIRCUITS
CIRCUITS G Le système des neurones miroirs, qui s’active quand on regarde les gestes d’autrui, repose sur un réseau complexe chez l’homme.
Circuit des neurones miroirs
H De riches connexions entre deux régions – les aires de Wernicke et de Broca – constituent des circuits essentiels au traitement du langage. I Un lien entre le cortex moteur et le tronc
I
H
G
Circuit du langage
Contrôle de la voix
cérébral coordonne les muscles du larynx. Ce circuit est absent chez les macaques et les chimpanzés.
UN DÉVELOPPEMENT IMPORTANT DE CERTAINES RÉGIONS CÉRÉBRALES Certaines régions du cerveau, responsables de fonctions cognitives supérieures, ont vu leur taille augmenter de façon disproportionnée chez les hommes, comparé aux mêmes aires chez les chimpanzés. Il s’agit notamment du cortex préfrontal, du cortex associatif temporal et du cortex associatif pariétal (nommées en rouge).
Cortex moteur primaire Cortex prémoteur
Cortex moteur Cortex somatosensoriel primaire primaire
Cortex somatosensoriel primaire Cortex auditif primaire
Cortex préfrontal
Cortex auditif primaire Cortex prémoteur
Aire de Wernicke
Cortex pariétal associatif
Aire de Broca
Cortex préfrontal Cortex pariétal associatif
© Mesa Schumacher
Cortex temporal associatif Striatum
Aires visuelles associatives
Aires visuelles associatives
Cortex visuel primaire
Cortex visuel primaire
Cortex temporal associatif
Cervelet
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Striatum Cervelet
Dossier
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L’INCONSCIENT, NOTRE GÉNIE DE L’OMBRE Notre inconscient travaille à notre insu pour nous aider à déchiffrer le monde. Il anticipe les résultats de nos actions et vérifie si le résultat est conforme aux prédictions. Il accélère ainsi notre perception et notre cognition ! Par Steve Ayan, psychologue et journaliste scientifique.
EN BREF £ Contrairement à ce qu’on a longtemps cru, l’inconscient n’est pas une force obscure qu’il faut museler. £ Son rôle est d’établir des prédictions sur notre environnement, et de guider l’action. £ L’inconscient ne cède la place à l’analyse consciente que lorsque ses prédictions sont invalidées par la réalité. N° 107 - Février 2019
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À
Worcester près de Boston sur la côte est des États-Unis, en septembre 1909, une rencontre entre cinq hommes s’apprête à imposer une idée nouvelle à la face du monde. Le cerveau de cette petite bande est un certain docteur Freud, de Vienne. Il y a dix ans qu’il a proposé un nouveau traitement de l’hystérie dans un ouvrage intitulé L’Interprétation des rêves. Mais cet opus contient aussi une vision sulfureuse de la psyché humaine : d’après son auteur, des forces obscures bouillonnent continuellement sous la surface de la conscience. Des pulsions profondément enracinées, en premier lieu l’énergie sexuelle ou libido, seraient péniblement tenues en respect par les principes appris de la morale et trouveraient des soupapes de décompression à travers lapsus, rêves et névroses. Autant de travestissements – de sublimations, dans le langage de Freud – de l’inconscient.
N° 107 - Février 2019
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DOSSIER L ES POUVOIRS DE L’INCONSCIENT
CET INCONSCIENT QUI NOUS GOUVERNE N° 107 - Février 2019
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Choix politiques, amitiés, comportements d’achat, altruisme… tout cela est dicté par des mécanismes cérébraux qui nous échappent en grande partie. Comment reprendre la main ? Par John Bargh, professeur de psychologie à l’université Yale, à New Haven, aux États-Unis.
EN BREF ££Notre cerveau prend une foule de décisions chaque jour, sans même que nous nous en apercevions. ££Ces choix inconscients nous font souvent gagner du temps, mais ont parfois des conséquences néfastes.
© Spencer Lowell
££Dans certains cas, les mettre en lumière suffit à les neutraliser.
L
orsque les psychologues essaient de comprendre comment fonctionne notre esprit, ils parviennent souvent à une conclusion surprenante : nous prenons régulièrement des décisions sans y avoir réfléchi – ou, plus précisément, sans y avoir réfléchi consciemment. Lorsque nous décidons pour qui voter, ce que nous allons acheter, où partir en vacances, par exemple, nous ne mesurons pas que c’est notre inconscient qui est aux commandes, ou du moins qu’il joue un rôle essentiel. De plus en plus de résultats de recherche confirment chaque jour à quel point il dicte sa loi. L’une des études les plus connues sur le pouvoir de l’inconscient concerne la façon dont nous décidons des candidats que nous souhaitons voir élus. Dans une expérience réalisée aux États-Unis, les participants disposaient d’un temps très court (quelques dixièmes de seconde) pour observer des photographies. Il s’agissait de candidats à des postes de gouverneur ou de sénateur dans des États différents de ceux où les sujets de l’expérience votaient réellement. Ensuite, on leur demandait de prédire si ces candidats seraient ou non élus. De façon tout à fait surprenante, ce petit sondage se révéla cohérent avec le choix que les électeurs des États concernés firent au moment des élections réelles. Dans deux élections sur trois, les sujets avaient réussi à prévoir quels seraient les résultats, simplement en regardant
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une photographie des candidats en moins de temps qu’il n’en faut pour cligner des yeux. Depuis plus de 100 ans, les scientifiques qui étudient comment fonctionne le cerveau s’intéressent au rôle des influences non conscientes sur nos pensées et nos actes. Tout au long de ses écrits, Sigmund Freud présentait la conscience comme le lieu des pensées et émotions rationnelles, et l’inconscient comme celui de l’irrationnel. Mais les psychologues cognitifs contemporains ont repensé l’approche freudienne. Ils montrent que les deux types de processus coopèrent pour répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés depuis l’âge de pierre – qu’il s’agisse de chasser le mammouth, d’exécuter des joutes équestres ou d’acheter et vendre des actions en Bourse. LE ÇA ET LE MOI RELÉGUÉS AUX OUBLIETTES La psychologie postfreudienne a relégué le Ça et le Moi aux oubliettes de la psychanalyse, et adopté une vision plus pragmatique de ce qui définit le soi non conscient. Les deux systèmes de pensée décrits par Daniel Kahneman (voir l’article page 44) présentent les processus de pensée automatiques comme rapides, efficaces et hors du domaine de la pensée consciente, autrement dit dépourvus de délibération ou de planification. Ils ne requièrent qu’un simple stimulus : les mots sur cette page, par exemple, se connectent sans effort à leur sens dans votre tête. Au contraire, les processus contrôlés exigent un engagement déterminé et relativement lent de la pensée consciente ; c’est le cas, par exemple, des efforts que l’on doit fournir pour remplir sa déclaration de revenus. Tout comme le Ça et le Moi de Freud, le système automatique et le système contrôlé se complètent, mais s’opposent aussi parfois. Il faut réagir instinctivement pour éviter une voiture, mais
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DOSSIER L ES POUVOIRS DE L’INCONSCIENT Cet inconscient qui nous gouverne monde environnant. En conséquence, nos sensations influencent notre jugement et nos comportements, sans que nous en ayons conscience. Ainsi, dans des expériences de psychologie, des participants qui touchaient une tasse de café brûlant évaluaient autrui comme étant plus « chaleureux », plus amical et plus généreux que ceux qui tenaient, par exemple, un verre contenant un café frappé. De même, quand un sujet était assis sur un siège dur pendant une négociation, il adoptait une ligne plus « dure » et acceptait moins les compromis que s’il était installé dans un fauteuil confortable. Plus généralement, nous avons tendance à évaluer de façon grossière tout ce avec quoi nous entrons en contact et à nous laisser influencer par nos réactions inconscientes d’attraction ou de rejet. Le psychologue clinicien Reinout Wiers, de l’université d’Amsterdam, est récemment parti de ce constat pour mettre au point une approche thérapeutique efficace contre l’alcoolisme et la toxicomanie. Au cours du traitement, les sujets devaient observer diverses images associées à l’abus d’alcool, tout en repoussant un levier de façon répétée. Les psychologues ont observé que ce simple geste physique de rejet se traduisait dans le mental des participants, qui développaient par la suite une conduite d’évitement de l’alcool. Ils finissaient même par éprouver une véritable aversion vis-à-vis de cette substance et rechutaient moins au bout d’un an que des sujets témoins n’ayant pas subi cet entraînement. NOTRE INCONSCIENT DICTE-T-IL NOS DÉSIRS ? Dans le domaine des influences inconscientes, le travail expérimental le plus récent s’intéresse aux motivations et tente de répondre à la question : que voulons-nous ? C’était bien sûr une des principales préoccupations de Sigmund Freud. Les théories modernes de la motivation diffèrent de celle proposée par le neurologue autrichien, parce qu’elles ne sont plus issues d’études de personnes présentant une maladie psychique. En outre, elles s’intègrent dans un système psychologique global, le même pour tous, et qui peut fonctionner en mode conscient ou inconscient, alors que l’inconscient de Freud a ses propres règles, distinctes de celles qui contrôlent l’activité consciente. En fait, en étudiant la psychologie du désir, les chercheurs ont découvert que la façon d’atteindre un objectif est à peu près la même, que nous agissions de façon consciente ou non. Dans une expérience, Mathias Pessiglione et Chris
Frith, alors au centre Wellcome Trust d’imagerie cérébrale de l’université de Londres, ont demandé à des sujets de repousser un levier aussi vite que possible quand on le leur demandait. Avant chaque essai, les sujets recevaient un indice soit conscient, soit subliminal, sur la récompense qu’ils obtiendraient. Or ils ont réagi de la même façon dans les deux cas – en poussant plus vite sur le levier quand la récompense s’annonçait importante. L’imagerie cérébrale a révélé que les aires de la motivation s’activaient au cours de tous les tests, que la récompense soit présentée de façon consciente ou subliminale. Cette étude, avec d’autres, suggère qu’un stimulus perçu inconsciemment suffit à inciter une personne à poursuivre un objectif, sans même qu’elle ne sache d’où lui est venue cette idée. Nul besoin de délibération consciente ou de libre arbitre !
Bibliographie J. Huang et J. Bargh, The selfish goal : Autonomously operating motivational structures as the proximate cause of human judgment and behavior, Behavioral and Brain Sciences , vol. 37, pp. 121-135, 2014. S. Kouider, La conscience : dans une impasse ?, Cerveau & Psycho, n° 56, pp. 38-45, 2013. J. Bargh et al., Automaticity in social-cognitive processes, Trends in Cognitive Sciences, vol. 16, n° 12, pp. 593-605, 2012.
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L’INFLUENCE DU POUVOIR Notre inconscient nous incite non seulement à choisir telle ou telle option, mais aussi à trouver la motivation pour agir. Les psychologues ont constaté depuis longtemps que les personnes à qui, dans une expérience, on attribue une position dominante, adoptent souvent des comportements égoïstes et corrompus, faisant passer leur intérêt personnel avant tout. Ainsi, dans une étude menée au sein d’une salle de classe, des participants à qui l’on demandait de s’asseoir au bureau du professeur hésitaient moins à exprimer des sentiments racistes et antisociaux que ceux installés à la place des étudiants. Heureusement, de nombreuses personnes recherchent le bien-être d’autrui ; c’est le cas notamment des parents qui placent l’intérêt de leurs enfants avant le leur. Les individus attentifs aux autres le restent-ils lorsqu’ils occupent une position de pouvoir ? Diverses études ont montré qu’ils conservent en effet des attitudes altruistes, sans avoir conscience de leurs motivations. Ils sont aussi plus soucieux de ce que les autres pensent d’eux et moins sensibles aux stéréotypes racistes. Dans leur cas, le pouvoir les a bien motivés à poursuivre leurs objectifs personnels, mais ceux-ci étaient plus orientés vers l’intérêt de la communauté. Freud a expliqué avec force détails comment nos désirs insatisfaits s’expriment par les images et les histoires qui peuplent nos rêves. La recherche récente explique de façon plus pragmatique comment notre inconscient contrôle la façon dont nous interagissons avec notre patron, nos parents, nos conjoints, nos enfants. Il dicte sa loi à chaque instant de notre vie, que nous soyons éveillés ou engloutis dans les profondeurs d’un rêve. £
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INTERVIEW
PETER CARRUTHERS PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE DE L’ESPRIT À L’UNIVERSITÉ DU MARYLAND, AUX ÉTATS-UNIS
IL N’Y A PAS DE PENSÉE
CONSCIENTE Peter Carruthers, un de vos récents articles paru en 2017 porte le titre : L’illusion de la pensée consciente. Qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement, que l’idée selon laquelle nous pensons consciemment est selon moi une erreur. Cette impression subjective repose sur un phénomène que j’appelle l’illusion d’immédiateté. Le point de départ de mes réflexions a été une tentative pour cerner de façon plus précise deux approches de la théorie de la
N° 107 - Février 2019
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conscience. D’une part, la théorie de l’espace de travail global (la Global Worspace Theory), défendue par les neuroscientifiques Stanislas Dehaene et Bernard Baars. Sa thèse centrale est qu’un état mental conscient doit être accessible à d’autres fonctions psychiques comme la mémoire de travail, la prise de décision ou le langage. Les états conscients, selon cette conception, rayonnent de manière globale sur l’ensemble du cerveau. Selon une autre théorie, défendue notamment par le psychologue Michael Graziano de l’université de Princeton et le philosophe David Rosenthal de l’université de New York, les états mentaux conscients sont simplement ceux que nous connaissons, auxquels nous avons accès de façon immédiate, sans avoir à lire nos propres pensées ou à les interpréter. Cette conception est aussi qualifiée de Théorie d’ordre supérieur (Higher Order Theory). Mon argument est essentiellement le suivant : peu importe que l’on privilégie telle ou telle interprétation, nous restons incapables de saisir consciemment nos pensées, souhaits ou jugements. Ils ne sont ni à notre disposition dans notre mémoire de travail, ni directement accessibles à notre conscience. Se peut-il alors que les sources de notre pensée soient inconscientes – nous ne savons tout simplement pas d’où viennent nos idées ou associations – mais que les résultats de cette pensée parviennent à notre conscience ? Chaque jour, nous disons naturellement des choses comme « Oh, je viens d’avoir cette pensée », ou « Je viens de penser que… ». Nous désignons alors de cette façon notre petite voix intérieure qui se trouve au centre du flux de conscience. Nous en prenons conscience, c’est incontestable. Mais dans le domaine de la neurophilosophie, nous entendons un peu plus que cela par « pensée ». Nous englobons dans ce terme toutes sortes de représentations
Nous confondons le contenu de nos pensées avec l’acte de penser. La conscience n’accède qu’au résultat de la pensée, pas à la pensée elle-même. mentales, de jugements, d’intentions ou de buts. Il s’agit d’événements amodaux, abstraits, non sensoriels. Et elles ne deviennent jamais objet de notre mémoire de travail, de la « surface utilisable » de notre esprit. Elles ne sont donc pas conscientes.
Bibliographie P. Carruthers, The illusion of conscious thought, Journal of Consciousness Studies, vol. 24, pp. 228-252, 2017. P. Carruthers, The centered mind : what the science of working memory shows us about the nature of human thought, Oxford University Press, 2015.
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La conscience a-t-elle toujours un fondement sensoriel ? Elle est en tout cas reliée à une modalité sensorielle, et possède toujours des composantes auditives, visuelles ou tactiles. Nous voyons les choses avec notre œil intérieur, nous entendons notre voix intérieure. On pourrait aussi dire que ce qui est conscient, ce sont des contenus, souvenirs, ou représentations, dont on peut faire l’expérience sensorielle, que l’on a présents dans notre mémoire de travail. La conscience est-elle, selon vous, autre chose que l’attention ? C’est une question délicate. Certains chercheurs pensent que notre conscience est plus riche que ce que nous pouvons rapporter consciemment. Quand, par exemple nous considérons le monde qui nous entoure, nous avons l’impression d’une
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AVONS-NOUS UN SOI PROFOND ET CACHÉ ?
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Pour beaucoup d’entre nous, notre inconscient est une sorte d’entité psychique mystérieuse, enfouie au fond de nous. Mais cela pourrait n’être qu’une illusion. Par Nicolas Gauvrit, psychologue du développement et chercheur en sciences cognitives à l’École pratique des hautes études à Paris.
EN BREF ££Intuitivement, nous imaginons toutes sortes d’éléments enfouis au fond de notre esprit : des images mentales et des croyances, mais aussi un inconscient riche, doté d’une personnalité propre et d’une capacité à raisonner dans l’ombre. ££Toutefois, certains chercheurs en psychologie estiment que tous ces éléments sont largement le fruit de reconstructions immédiates et qu’il n’y a aucun besoin d’invoquer une sorte d’« entité psychique » cachée derrière notre conscience pour les expliquer.
© Tim Brower
££Notre réseau neuronal serait ainsi une prodigieuse machine créatrice. Il est lui-même sculpté par nos habitudes, ce qui nous laisse une grande liberté.
P
endant que vous lisez ce texte, il vous semble probablement que votre œil embrasse d’un coup la page entière, ou tout au moins un paragraphe. Vous sentez bien que vous ne captez de manière précise que quelques mots à la fois : ceux que vous êtes en train de lire. Le reste est plongé dans un brouillard, hors du champ de votre attention. Pourtant, vous savez que l’image est là, n’est-ce pas ? Accessible quoique brouillée, avec ses mots, ses couleurs le cas échéant. Bien sûr, vous passeriez à côté d’une faute d’orthographe placée ailleurs que sur la ligne que vous êtes en train de lire, mais si quelques plaisantins remplaçaient toutes les lettres par des « x » dans le reste de la page, cela vous sauterait aux yeux, certainement. Eh bien, détrompez-vous. En 1975, les chercheurs américains George McConkie et Keith Rayner ont fait exactement cette expérience. Ils ont donné aux participants un texte à lire sur un écran d’ordinateur, tandis qu’un dispositif spécial mesurait où se portait leur regard et adaptait l’affichage en temps réel : seuls quelques mots, centrés autour du point précis qu’ils fixaient, restaient lisibles, les autres lettres de la page étant remplacées par des « x ». La quasi-totalité de la page était donc en permanence remplie par un large nuage de « x ».
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Dans une telle configuration, aussi étrange que cela paraisse, la plupart des lecteurs ne remarquent rien : ils lisent la page entière sans jamais percevoir une quelconque bizarrerie. Surtout, ils sont convaincus que le texte est bien là, toujours disponible. Ainsi, lorsque nous lisons, notre sentiment de voir une page entière est en grande partie illusoire. Nous n’apercevons pas du coin de l’œil la partie que nous avons déjà lue : notre cerveau la reconstruit sans que nous en ayons conscience. Quant à la partie non parcourue, au-delà du point où se fixe notre regard, c’est une pure création de notre imagination. LES IMAGES MENTALES ? À PEINE DES ESQUISSES Cet exemple fait intervenir une image dans le monde réel. Une image illusoire que nous nous figurons là, que nous croyons percevoir parce que notre esprit nous trahit. La même chose est-elle possible dans le monde intériorisé de l’imaginaire visuel ? La réponse est oui, et une simple expérience de pensée suffit à s’en rendre compte. Imaginez un tigre. Dessinez-le dans votre esprit, de manière aussi précise que possible. Un vrai tigre, avec tous les attributs du félin. Maintenant, posez-vous la question suivante : comment sont disposées, exactement, les rayures de l’animal ? Le phénomène suivant pourrait bien se produire dans votre esprit : vous avez l’impression de « regarder » l’image solide et entière du tigre, mais par une étrange sorcellerie, les rayures sont instables, fuyantes. Peutêtre n’en avez-vous qu’une idée vague, ou les voyez-vous différentes chaque fois que vous répétez l’exercice. En réalité, nous n’avons pas d’image mentale du tigre, seulement une esquisse incomplète.
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ÉCLAIRAGES p. 72 Le gilet jaune, uniforme du peuple ? p. 76 D’où vient la solitude du pouvoir ?
Retour sur l’actualité SÉBASTIEN BOHLER Docteur en neurobiologie, rédacteur en chef de Cerveau & Psycho.
Le gilet
jaune, uniforme du peuple ?
Le succès du mouvement est en partie dû aux effets psychologiques de l’uniforme, pour la première fois à l’œuvre dans une population civile.
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NOVEMBRE 2018 Les gilets jaunes organisent plusieurs barrages filtrants sur les autoroutes.
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L’ACTUALITÉ Le 17 novembre 2018, un premier mouvement de masse à travers la France réunit des centaines de milliers de citoyens vêtus de gilets jaunes, qui protestent d’abord contre la hausse des taxes sur le carburant. Les week-ends suivants, des manifestations de plus en plus violentes ont lieu à Paris, avec la vandalisation de l’Arc de triomphe et d’importants dégâts matériels. LA SCIENCE Malgré des revendications hétéroclites, ce mouvement s’est révélé à la fois engagé, combatif, voire agressif. Or la psychologie sociale montre que le fait de porter une même tenue augmente l’estime de soi des individus et leur agressivité, en diminuant leur sentiment de responsabilité personnelle.
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L’AVENIR
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Les convergences émotionnelles provoquées par l’uniforme ne font pas intervenir l’approche dite centrale de la cognition, qui est délibérative et analytique. Pour transformer la dynamique de groupe en force de transformation politique, les gilets jaunes seront obligés de désigner des représentants. Un défi de taille.
VIE QUOTIDIENNE
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p. 82 La question du mois p. 84 Le bon élève ? Celui qui évolue ! p. 88 La science des doudous
Les effets cognitifs du chewing-gum Par Miriam Berger, journaliste scientifique.
vant la fin de cette phrase, environ 600 chewing-gums auront été mâchés dans le monde. D’après le site de statistiques Planetoscope, l’humanité consomme chaque année 374 milliards de ces pâtes à mâcher. Et les Français sont les deuxièmes plus gros consommateurs derrière les Américains. Mais si l’on faisait la somme de tout ce que nous avons mâché depuis que l’humanité existe, on arriverait à des chiffres bien plus effarants. Des trouvailles archéologiques ont révélé qu’on mâchait déjà de l’écorce de bouleau en 3000 avant notre ère, probablement pour atténuer des douleurs aux gencives. Le plus vieux « chewinggum » trouvé remonterait ainsi à 9 000 ans. Quant aux anciens Grecs, ils connaissaient déjà la résine à mâcher, et les Indiens d’Amazonie, les chiques de tabac. L’instinct de mastication semble bien ancré dans le comportement humain, même si le chewing-gum tel qu’on le connaît aujourd’hui
EN BREF ££Les Français sont les deuxièmes plus gros consommateurs de chewing-gum au monde. ££Selon des études scientifiques, cette pratique améliorerait certaines fonctions cognitives comme la vigilance, la concentration ou la mémoire, pour des durées limitées. ££Les effets observés sont pourtant irréguliers et difficiles à reproduire. La science du chewinggum doit faire des progrès.
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a connu des transformations : simple sève séchée commercialisée dans certaines pharmacies en 1869 aux États-Unis, elle s’est adjoint progressivement du sucre, puis de l’alcool ou des saveurs, avant de débarquer en France en 1917, dans les mains des soldats américains. Depuis, toute une série de bénéfices ont été attribués au chewing-gum sur le plan de la santé. Par exemple, il atténuerait les brûlures d’estomac et régulerait la pression dans les tympans en avion. Des pâtes à mâcher spéciales facilitent les soins dentaires et aident les fumeurs à décrocher. Mais ce n’est pas tout : mâcher augmenterait la concentration et diminuerait le stress. C’est surtout à cette dernière vertu que semblent croire ses adeptes. C’est ce qu’a montré un sondage réalisé pour le fabricant américain Wrigley, selon lequel 56 % des consommateurs réguliers et 42 % des occasionnels sacrifieraient à cette pratique pour cette raison.
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Selon certaines études, mâcher du chewing-gum améliorerait la concentration et réduirait les effets du stress, voire de la dépression… Vrai ou faux ?
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Le chewing-gum aurait-il des effets positifs sur notre cerveau ? Certains chercheurs le contestent. Non qu’un nombre insuffisant de travaux aient été consacrés à cette thématique – en réalité une quantité étonnante de scientifiques renommés se sont penchés sur les effets de cette petite pâte à mâcher. Ce sont plutôt les résultats des études qui restent contradictoires. UNE HUMEUR AU BEAU FIXE ? Andrew Smith, chercheur passionné de chewing-gum de l’université de Cardiff, au pays de Galles, en est convaincu : « Mâcher améliore l’humeur. » Les personnes qui s’adonnent à cette activité seraient en outre plus alertes et moins stressées. Selon ce psychologue, il serait même légitime de parler d’un état de bien-être amélioré. En 2010, Smith a réalisé des expériences où il soumettait des participants à différents tests mesurant la concentration, l’attention, la vitesse
de réaction et la mémoire de travail. Certains de ces volontaires avaient le droit de mâcher du chewing-gum pendant les épreuves, les autres non. À l’aide d’un questionnaire, le chercheur a évalué l’état d’humeur de ses cobayes avant et après le test. Et il a ainsi observé que les personnes avec chewing-gum se sentaient plus éveillées que celles qui en étaient privées. Cet effet était déjà constatable pendant la phase de préparation à l’épreuve : les premières étaient plus attentives et avaient des réactions plus vives en recevant les énoncés. Et elles étaient moins souvent sujettes à des pertes rapides de concentration. Le parfum de la pâte à mâcher, en revanche (mentholée ou fruitée, en l’occurrence), n’avait pas d’influence. Peu importait aussi le fait que les participants aient ou non l’habitude d’en prendre dans leur vie privée. Les mesures de fréquence cardiaque ont montré que celle-ci était
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No stress… Comment le chewinggum réduit-il la tension nerveuse ? Pour l’instant, des expériences sur des rats suggèrent qu’il limiterait la libération de cortisol…
VIE QUOTIDIENNE L’école des cerveaux
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JEAN-PHILIPPE LACHAUX
Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.
LE BON ÉLÈVE ? CELUI QUI ÉVOLUE !
J
eudi 28 novembre a eu lieu au Lycée Louis-le-Grand, à Paris, le second congrès international du Conseil scientifique de l’Éducation nationale, avec un thème principal en guise de fil rouge : la confiance en soi. Un des aspects les plus intéressants était l’importance des « modèles de soi » dans l’établissement de cette confiance. Précisons donc d’abord ce qu’on entend par modèle de soi. Confronté à un système complexe, le cerveau humain s’en fait une représentation simplifiée qui lui permet de réaliser des prédictions : un modèle. Notre architecture cognitive abrite de très nombreux
modèles qui nous aident à prédire, entre autres, l’évolution de la vague sur laquelle nous nous apprêtons à surfer, le comportement des automobilistes sur l’autoroute, la manière dont va évoluer la grippe du petit (et s’il faut annuler le week-end ou non) ou encore la réaction de nos oncles, tantes et cousins à différents types de cadeaux de Noël… Nous modélisons donc tout aussi bien des phénomènes physiques que psychologiques, et le plus souvent de manière implicite et sans avoir jamais réfléchi à la raison pour laquelle nous croyons à ces modèles. Ils correspondent à ce que Boris Cyrulnik appellerait des « modèles
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internes opératoires », et ils n’ont d’ailleurs pas besoin d’une bonne valeur prédictive, ni même d’un semblant de réalisme, pour que nous nous y attachions : on pouvait être normalement intelligent dans la Grèce antique et avoir pour modèle météorologique que la foudre était le signe de la colère de Zeus. L’histoire des idées – et celle de la psychiatrie – regorge ainsi de modèles parfaitement farfelus. Pourtant, nous tenons à ces modèles même quand ils sont grossièrement faux, parce qu’ils nous donnent une certaine impression de contrôle, et ils nous aident à prendre nos décisions.
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Lorsqu’un élève croit que ses résultats scolaires dépendent de son intelligence ou de son talent, il stagne. Quand il pense que son travail et sa capacité de transformation priment, il se surpasse.
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Étant nous-mêmes des systèmes éminemment complexes, nous nous appréhendons aussi par le biais d’un modèle, qui est un peu l’image que nous nous faisons de nous-mêmes avec tout ce qui lui est associé : se trouver beau ou laid, gros ou maigre, capable ou non de résoudre un problème de mathématiques difficile… et c’est ce modèle qui détermine la confiance que nous avons en nous-mêmes et la plupart de nos choix. QUAND LE MODÈLE SAPE LA CONFIANCE Par exemple, allez-vous tenter de franchir d’un bond le petit ruisseau qui coupe le sentier de votre randonnée, ou bien allez-vous plutôt prendre le temps d’enlever vos chaussures pour le traverser à pied ? Tout dépend de votre modèle de vous-même et de la confiance que vous avez dans votre capacité à effectuer un bond de 2 mètres. Mais de la même manière qu’il ne faut pas confondre la carte et le territoire, il ne faut pas se confondre avec le modèle que l’on a de soi-même. C’est pourtant une erreur que les enfants et les adultes commettent fréquemment. Car un modèle erroné – et ils le sont tous à un certain degré – peut avoir un
Savoir que l’image que l’on a de soi n’est valable qu’un temps et peut évoluer est un formidable tremplin pour la confiance en soi. effet très néfaste sur la performance. Au cours de cette journée parisienne, Pascal Huguet, directeur du laboratoire Lapsco à Clermont-Ferrand, a présenté les résultats d’une étude devenue classique où un dessin était présenté à des élèves, avec la consigne de le regarder attentivement, avant de la redessiner de mémoire (il s’agit de la figure de Rey-Osterrieth, un assemblage complexe de traits droits utilisé par les neuropsychologues pour tester la mémoire visuo-spatiale). Les filles réussissaient plutôt mieux que les garçons quand la tâche était présentée comme un simple exercice de mémoire, mais beaucoup moins bien quand elle était présentée comme un exercice de géométrie. La performance des filles était donc influencée négativement par la représentation qu’elles se faisaient de leur capacité à résoudre l’exercice, et donc par leurs modèles d’elles-mêmes.
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On peut dire qu’elles perdaient confiance en elles dès lors que l’exercice était annoncé comme « mathématique ». À l’inverse, une confiance en soi excessive dans un domaine peut amener l’élève à se désintéresser de l’enseignement, puisqu’il a le sentiment d’être déjà bon et de ne plus rien avoir à apprendre. LA RECETTE MAGIQUE : TRAVAIL, APPRENTISSAGE, PERSÉVÉRANCE Comment éviter alors qu’un enfant reste prisonnier du modèle qu’il s’est fait de lui-même, quand celui-ci le limite dans ce qu’il peut faire ? Une solution semble être d’accepter l’idée que tout ce que nous pensons de nous-mêmes et de nos capacités n’est justement qu’un modèle, qui est peut-être valable à un instant donné, mais pas forcément l’instant d’après et certainement pas dans dix ans : ce modèle peut et doit é-vo-luer. C’est tout le sens de la démarche de la chercheuse Carol Dweck, de l’université de Stanford, qui enseigne aux élèves à passer d’un état d’esprit fixiste (je traduis ici son terme original de fixed mindset : je « suis » comme ça ; je suis intelligent ou je ne le suis pas ; je suis bon en maths ou je ne le suis pas) à un « mindset » évolutif (« je suis peut-être mauvais
VIE QUOTIDIENNE L es clés du comportement
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NICOLAS GUÉGUEN Directeur du Laboratoire d’ergonomie des systèmes, traitement de l’information et comportement (LESTIC) à Vannes.
La science
des doudous À six mois se produit un bouleversement dans la vie d’un enfant : il comprend que sa mère est un être distinct de lui. Dans une majorité de cas, la solution à cette séparation porte un nom : le doudou.
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i vous avez un enfant, peutêtre avez-vous déjà craqué un jour : après l’avoir trouvé pour la millième fois en train de suçoter son doudou, vous avez été effrayé par la teinte grisâtre qu’avait prise le tissu ou par l’odeur de vieille chaussette qu’il diffusait, et vous l’avez passé à la machine à laver. Erreur fatale ! C’est en général aussitôt le drame à la maison, avec son cortège de cris, de larmes et de nuits sans sommeil. Pourquoi les enfants développent-ils une telle relation avec leur doudou, au point d’être paniqués dès qu’on y touche ? L’AMOUR COMMENCE TÔT Les psychologues qui se sont penchés sur cette histoire passionnelle ont constaté qu’elle commence tôt : les tout-petits commencent à s’attacher à un doudou vers l’âge de 6 mois, après avoir exploré leur propre corps, puis les jouets classiques (hochet, balle…). En général, il s’agit d’une peluche ou d’un simple morceau de tissu. Les qualités essentielles : être doux au contact et
EN BREF ££C’est vers l’âge de 3 ans que culmine l’attachement d’un enfant à son doudou. ££Un bon doudou doit avoir des éléments faciles à suçoter, comme une couture épaisse ou de grandes oreilles. ££Le doudou joue un rôle à mi-chemin entre celui d’un objet et celui de la mère, qu’il permet de mettre progressivement à distance.
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avoir des éléments saillants, faciles à suçoter – une couture épaisse, les oreilles d’un lapin… Pour la psychologue belge Isabelle Chavepeyer, l’âge de 6 mois correspond à une certaine maturité cognitive. Le bébé a par exemple découvert la permanence des objets : il sait que ceux-ci continuent d’exister même quand il ne les a plus sous les yeux et qu’il pourra les retrouver plus tard ; il en garde en outre des images mentales. Après avoir adopté un doudou, l’enfant s’y attache de plus en plus – l’apogée survenant entre 2,5 et 4 ans, selon une étude menée par Pauline Mahalski, de l’université d’Otago, en NouvelleZélande. Le doudou acquiert un statut unique pour son propriétaire, qui le recherche plus que toute autre chose. Dans une expérience, Paul Weisberg et James Russel, de l’université de l’Alabama, ont laissé des enfants libres d’interagir avec divers objets : leur propre doudou, celui d’un autre bambin, un vêtement familier ou un tapis de sol. Et, naturellement, ils se sont bien plus
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LIVRES N eurosciences et littérature
SEBASTIAN DIEGUEZ Chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’université de Fribourg, en Suisse.
Des fleurs pour Algernon
Faut-il augmenter artificiellement notre intelligence ?
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En 1959, Daniel Keyes alertait sur les risques d’une augmentation artificielle de l’intelligence dans sa nouvelle Des fleurs pour Algernon. Soixante ans plus tard, des recherches bien réelles sont menées sur ce sujet…
ace aux défis et aux problèmes de notre temps, on souhaiterait parfois augmenter les pouvoirs intellectuels de notre espèce. Un peu plus d’intelligence pour tout le monde ne nous ferait pas de mal et améliorerait certainement notre quotidien, n’est-ce pas ? Pas si sûr… Nous sommes loin d’avoir pris toute la mesure des conséquences qu’aurait une augmentation artificielle de l’intelligence. Dès 1959, l’écrivain américain Daniel Keyes les anticipait dans sa nouvelle Des fleurs pour Algernon. D’abord publiée sous un format court pour un magazine de science-fiction, l’histoire est ensuite devenue un roman à succès en 1966 et un film couronné d’un Oscar en 1968, avant d’être adaptée sous de nombreuses autres formes, dont celle de la comédie musicale. À l’heure où les neurosciences effectuent des progrès fascinants et où les produits destinés à stimuler les capacités cognitives se multiplient sur
EN BREF ££En 1959, le romancier Daniel Keyes imaginait une intervention chirurgicale qui décuplait l’intelligence. ££Aujourd’hui, de nombreuses substances ou dispositifs d’« amélioration cognitive » sont commercialisés et génèrent des milliards d’euros de chiffre d’affaires. ££Les évaluations les plus récentes mettent toutefois en cause leur efficacité, tandis que les questionnements éthiques se multiplient.
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le marché, cette œuvre n’a peut-être jamais été aussi actuelle. Des fleurs pour Algernon se présente comme une suite de comptes rendus, rédigés sous forme de journal intime par Charlie Gordon. Cet homme de 32 ans est affligé d’un modeste QI de 68, qui le place nettement en dessous de la moyenne, et même dans la catégorie du retard mental. On apprend que Charlie est candidat à une intervention neurochirurgicale qui pourra le rendre « intelligent ». Cette opération a été auparavant expérimentée sur une souris nommée Algernon, qui depuis bat tous les records aux tests de laboratoire. La comparaison avant/après l’opération est stupéfiante. Avant, les confidences naïves et maladroites de Charlie révèlent à quel point tout ce qui l’entoure lui échappe. Après, ses progrès sont fulgurants. « Je comprends même ce que je lis et ça reste gravé dans mon esprit », s’enthousiasme-t-il (voir
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À retrouver dans ce numéro
p. 38
GLOBICÉPHALE
Ce cétacé au cerveau très développé est le seul animal dont le cortex cérébral contient plus de neurones (37 milliards) que tous les autres mammifères, y compris les êtres humains, qui en ont 16 milliards. p. 6
NÉANDERTALIEN
Néandertal avait un crâne plus allongé qu’Homo sapiens. Aujourd’hui, certaines personnes présentant cette caractéristique possèdent des gènes qui leur ont été transmis à partir d’anciens croisements entre ces deux lignées humaines.
p. 26
p. 84
FIXISTE ?
À l’école, certains enfants ont tendance à considérer qu’on est intelligent ou qu’on ne l’est pas. Ils ont une représentation dite fixiste d’eux-mêmes. Or, lorsque des difficultés se dressent sur leur parcours, ils ont tendance à baisser les bras. Au contraire, ceux qui pensent que rien n’est fixé et que tout peut évoluer à condition de travailler, progressent.
SOLITUDE DU POUVOIR
« Les dirigeants passent beaucoup de temps à réfléchir à leurs politiques et ne se rendent pas compte que certains électeurs ne partagent pas (du tout !) ce niveau d’intérêt pour la question. » Coralie Chevallier, chercheuse en sciences comportementales à l’École normale supérieure, à Paris.
p. 88
30 %
des enfants qui doivent choisir entre une pièce contenant leur doudou et une autre où se trouve leur maman choisissent de se diriger vers le doudou !
p. 52
p. 18
POISSON POURRI
Pour aider des personnes à arrêter de fumer, on leur fait sentir, pendant leur sommeil, une odeur de tabac suivie d’une odeur de poisson pourri. Une association inconsciente se fait, dans leur cerveau, entre les deux stimuli, grâce aux effets facilitateurs du sommeil. Ensuite de quoi ils fument 30 % de cigarettes en moins.
EFFET MÉTÉO
Des personnes à qui on demande au téléphone de donner une appréciation générale de leur propre existence répondent en fonction du temps qu’il fait : si on les appelle par un jour de grand soleil, elles considèrent que leur vie est réussie. S’il pleut à verse, c’est un échec.
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QI CHINOIS
Le centre de génomique cognitive de Beijin a étudié les gènes de 2 500 individus dont le QI dépasse 160 – pour identifier les bases biologiques de l’intelligence, et potentiellement « améliorer » la population.
Imprimé en France – Roto Aisne (02) – Dépôt légal février 2019 – N° d’édition M0760107-01 – Commission paritaire : 0723 K 83412 – Distribution Presstalis – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur 18/12/0013 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot