Cerveau & Psycho
Cerveau & Psycho
MONTESSORI, FREINET…
Quels bénéfices pour le cerveau de nos enfants ?
Décembre 2019
N°116
N° 116 Décembre 2019
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COMMENT CHOISIR LE CADEAU IDÉAL ?
Pédagogies
MONTESSORI, FREINET… Quels bénéfices pour le cerveau des enfants ? TRANSE L’ART DES CHAMANS EXPLORÉ PAR LES NEUROSCIENCES
ÉCRANS MENACE SUR LA COGNITION DES JEUNES COMPLOTS COMMENT ILS INFECTENT NOTRE PENSÉE ORIENTATION MÉTIER PASSION OU MÉTIER UTILE ? D : 10 €, BEL : 8,5 €, CAN : 11,99 CAD, DOM/S : 8,5 €, LUX : 8,5 €, MAR : 90 MAD, TOM : 1 170 XPF, PORT. CONT. : 8,5 €, TUN : 7,8 TND, CH : 15 CHF
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NOS CONTRIBUTEURS
ÉDITORIAL
p. 64-69
SÉBASTIEN BOHLER
Michel Desmurget
Directeur de recherches en neurosciences à l’institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod, à Lyon, il a centralisé plus de 1 000 résultats de recherches concernant l’impact des écrans sur le cerveau des enfants.
Rédacteur en chef
Arrêtez le massacre ! p. 24-28
Corine Sombrun
Initiée à la transe chamanique en Mongolie, elle a prêté son cerveau à des expériences neuroscientifiques pour identifier les bases neuronales de ces états de conscience modifiée.
p. 38-45
Jérôme Prado
Chargé de recherche au CNRS, membre du Centre de recherche en neurosciences de Lyon, Jérôme Prado a codirigé l’évaluation de la pédagogie Montessori menée à l’école maternelle Ambroise-Croizat, à Vaulx-en-Velin.
p. 16-22
Tobias Bast
Professeur agrégé à l’École de psychologie de l’université de Nottingham, en Grande-Bretagne, il étudie les fondements neuronaux des fonctions cognitives, comme la mémoire et l’attention, et enseigne les neurosciences et la psychologie.
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ouze millions de cerveaux. Deux milliards de connexions quotidiennes. Ces chiffres représentent le nombre d’enfants scolarisés en France et le nombre de fois que ces enfants consultent chaque jour leur smartphone. Le reste du temps est notamment occupé quatre heures par jour devant un écran, télévision, tablette ou ordinateur. Presque une heure de sommeil en moins chaque jour. L’équivalent de trois années de cours perdues. Vingt-cinq pour cent de vocabulaire en moins. On a assez joué. Quand les rapports de l’Éducation nationale montrent une baisse de 40 % des performances de lecture ou de calcul (division posée, notamment), on ne peut plus se cacher derrière son petit doigt. Le vent a tourné. Les yeux s’ouvrent sur le très mauvais ménage entre cerveau et écrans. Michel Desmurget, auteur d’une somme scientifique répertoriant les centaines d’études sur ces impacts délétères, nous révèle où est le nœud du problème : notre cerveau a ses propres rythmes, ses propres besoins ancrés dans ses structures profondes. Dormir. Parler à des humains. Apprendre au contact de professeurs. Focaliser son attention sur des objets réels et sur du temps long. Vivre avec son temps, ce n’est plus se jeter à corps perdu dans des technologies distrayantes, mais prendre conscience du fonctionnement de notre cerveau, de ses besoins et de ses limites. C’est peut-être le souci de cette écologie cérébrale qui justifie en partie le succès des pédagogies alternatives comme Montessori ou Freinet, qui encouragent l’apprentissage en situation, la curiosité chère à Jean-Philippe Lachaux (page 82), la manipulation d’objets réels et non seulement digitaux. Ces méthodes séduisent de plus en plus de familles et ont déjà commencé à transformer les pratiques des enseignants. Qui plus est, de nouvelles études scientifiques semblent les valider. Moins de techno, plus de cerveau, voilà peut-être l’enjeu des années à venir ! £
N° 116 - Décembre 2019
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SOMMAIRE N° 116 DÉCEMBRE 2019
p. 14
p. 16
p. 31
p. 37
DÉCOUVERTES p. 6 ACTUALITÉS Les grossesses rajeunissent le cerveau ! Notre cerveau nie notre mort A-t-on trouvé une substance antistress ? Le microbiote anti-Alzheimer Apprendre à chanter en 5 jours L’intelligence qui dort La cause du populisme ? Les inégalités !
TRANSE COGNITIVE
p. 14 FOCUS
p. 31 NEUROSCIENCES
Être optimiste pourrait faire vivre jusqu’à dix années de plus.
De premières études révèlent le changement de connectivité dans les cerveaux de personnes en transe.
Antoine Pelissolo
p. 16 NEUROSCIENCES
Quand le cerveau en fait trop De nombreux troubles mentaux résulteraient d’un excès et non d’un manque d’activité cérébrale. Tobias Bast
Dossier
p. 32
p. 6-35
Longue vie aux optimistes !
p. 37-56
p. 24 NEUROSCIENCES
« 90 % des gens peuvent entrer en transe »
Les états de transe chamanique seraient reproductibles en laboratoire par des méthodes scientifiques. Entretien avec Corine Sombrun
Cartographier le cerveau en transe Steven Laureys
p. 32 TRIBUNE
La psychologie : un levier pour relever les défis de demain
Terrorisme, climat, IA : relever de tels défis suppose de développer la psychologie scientifique. Le Comité national de psychologie scientifique et Cerveau & Psycho créent un prix récompensant les recherches les plus prometteuses. Olivier Houdé et Yann Coello
Ce numéro comporte un encart abonnement Psychologies Magazine sur une sélection d’abonnés en France métropolitaine. En couverture : © anouchka / GettyImages.com
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MONTESSORI, FREINET… QUELS BÉNÉFICES POUR LE CERVEAU DES ENFANTS ? p. 38 ÉDUCATION
MONTESSORI ENFIN AU BANC D’ESSAI
Décriée par les uns, encensée par les autres, que vaut réellement la méthode Montessori ? Après des années de débats, les premiers résultats d’études scientifiques. Jérôme Prado, Alexis Gascher et Philippine Courtier
p. 46 PSYCHOLOGIE
FREINET SOUS L’ŒIL DES NEUROSCIENCES
La méthode Freinet, basée sur la motivation et l’action des enfants, correspond-elle aux besoins de leur cerveau ? Olivier Houdé
p. 52 INTERVIEW
LES PÉDAGOGIES ALTERNATIVES ONT DÉJÀ TRANSFORMÉ L’ENSEIGNEMENT Édouard Gentaz
5
p. 94
p. 58
p. 64
p. 74
p. 86 p. 92
p. 58-72
p. 74-90
ÉCLAIRAGES
VIE QUOTIDIENNE LIVRES
p. 58 RETOUR SUR L’ACTUALITÉ
p. 74 PSYCHOLOGIE SOCIALE
p. 92-98
Rouen, la fabrique des complots
Peut-on se fier à sa première impression ?
Sébastien Bohler
Stefanie Uhrig
p. 64 NEUROSCIENCES
p. 82 L’ÉCOLE DES CERVEAUX
L’incendie de l’usine Lubrizol est un cas d’école pour comprendre comment les théories du complot infectent nos cerveaux.
Écrans : comment on massacre les cerveaux de nos enfants
Après des années d’angélisme face au « tout numérique », le couperet tombe : les écrans sont un fléau pour nos neurones. Michel Desmurget
p. 70 L’ENVERS
DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL
YVES-ALEXANDRE THALMANN
Ne cherchez pas votre vocation mais des buts utiles
Vouloir devenir footballeur ou chanteuse ne rend pas forcément heureux(se), mais se fixer des buts qui servent aux autres, oui.
En quelques secondes, vous pouvez gâcher une relation pour des années. Sachez déjouer les pièges du premier regard.
p. 92 SÉLECTION DE LIVRES Le Surpoids Stop au burn-out La méditation, c’est bon pour le cerveau Tout savoir sur les TOC pour mieux les vaincre Cervocomix Natura p. 94 NEUROSCIENCES ET LITTÉRATURE
JEAN-PHILIPPE LACHAUX
Être curieux, c’est du sérieux
N’hésitez pas à explorer des voies apparemment inutiles ou peu productives. Vous en retirerez des bienfaits immenses ! p. 84 LA QUESTION DU MOIS
Les femmes parlent-elles plus que les hommes ? p. 86 LES CLÉS DU COMPORTEMENT
Le cadeau idéal
Prix, utilité pour le destinataire, valeur symbolique, affective… Que privilégier ? Avant tout, un cadeau doit parler de vous. Melanie Ness
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SEBASTIAN DIEGUEZ
Zola : au bonheur des kleptomanes
Dans Au Bonheur des Dames, Zola décrit l’émergence d’un nouveau mal qui fera les délices des psychologues : la kleptomanie.
DÉCOUVERTES
6
p. 14 Longue vie aux optimistes ! p. 16 Quand le cerveau en fait trop p. 24 90 % des gens peuvent entrer en transe p. 32 La psychologie, un levier
Actualités Par la rédaction NEUROSCIENCES
Les grossesses rajeunissent le cerveau ! À chaque enfant qu’une femme fait, son cerveau semble remonter le temps de quelques mois… A.-M. G. de Lange et al., Population-based neuroimaging reveals traces of childbirth in the maternal brain, PNAS, 15 oct. 2019.
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our l’organisme des femmes, avoir un ou plusieurs enfants est une épreuve. Le corps se transforme, le fœtus demande beaucoup d’énergie, « pompe » du calcium, des vitamines, impose des changements de structure osseuse, ligamenteuse… Mais il rend quelque chose en échange (outre beaucoup d’amour) : la jeunesse. Du moins, un peu de jeunesse cérébrale. C’est ce que révèle une étude réalisée aux universités d’Oslo, de Maastricht et d’Oxford, sur 12 000 femmes ayant eu un nombre variable d’enfants, de 0 à 5 ou plus. Les chercheurs ont analysé des clichés d’IRM du cerveau de ces mères, en mesurant plusieurs paramètres critiques qui permettent d’évaluer l’âge cérébral. Il s’agit notamment du volume du cortex, et plus particulièrement de son épaisseur qui tend à diminuer régulièrement avec l’âge. Les algorithmes d’analyse volumétrique du cerveau permettent aujourd’hui de relier de façon fiable
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pour relever les défis de demain NEUROCOGNITION
l’âge d’une personne à l’épaisseur de son cortex, livrant un « âge cérébral » qui diffère plus ou moins de l’âge chronologique, en fonction de paramètres de santé. Ainsi, une personne de 70 ans atteinte d’une maladie d’Alzheimer a un cerveau qui vieillit plus vite qu’une personne du même âge mais en bonne santé : son cortex s’amincit plus vite – il perd des neurones et des synapses, ce qui a un effet négatif sur les capacités cognitives, au premier rang desquelles la mémoire. JUSQU’À DEUX ANS ET DEMI DE GAGNÉS En appliquant cette méthode de mesure à leur échantillon, les chercheurs ont détecté une corrélation entre l’âge cérébral et le nombre de grossesses. Si l’on part d’un niveau de référence où l’âge cérébral d’une femme sans enfant est égal à son âge chronologique, on constate qu’une femme ayant eu un enfant a en moyenne un âge cérébral plus jeune de 8 mois que si elle n’a jamais eu de bébé. Pour deux enfants, le bénéfice n’augmente pas, mais il passe à 11 mois de rajeunissement pour 3 enfants et le bénéfice maximal est obtenu audelà de 5 enfants, avec deux ans et demi de gagnés pour le cerveau. Les grossesses semblent donc préserver le cerveau – au moins en partie – des atteintes de l’âge. Un bain hormonal semble en partie
responsable de cet effet : œstrogènes, progestérone, prolactine en cas d’allaitement… Ces hormones stimulent notamment la plasticité d’une partie du cerveau impliquée dans la mémorisation et la navigation spatiale : l’hippocampe. Les œstrogènes, notamment, ont un rôle trophique en guidant la croissance des axones, les longs prolongements de nos neurones. La prolactine, elle, semble avoir un rôle protecteur à long terme, puisque les femmes ayant longtemps allaité au cours de leur vie présentent de moindres risques de développer la maladie d’Alzheimer. À cela s’ajoute l’effet anti-inflammatoire de la grossesse, puisque l’activité globalement abaissée des systèmes inflammatoires durant cette période explique probablement une moindre susceptibilité à des maladies comme la sclérose multiple, l’asthme ou la polyarthrite rhumatoïde. Faire des enfants toute sa vie pour rester jeune ? C’est oublier deux problèmes : la surpopulation mondiale qui va devenir un problème aigu dans un contexte de changement climatique accéléré et de raréfaction des ressources, et la difficulté de concilier travail et éducation, dans un contexte où les femmes peinent déjà à faire reconnaître leurs droits à une reconnaissance et un salaire égal. Alors, la liberté est peut-être à ce prix : perdre un peu de jeunesse d’esprit… £ Sébastien Bohler
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Notre cerveau nie notre mort Y. Dor-Ziderman et al., NeuroImage, vol. 202, 15 novembre 2019.
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ous savons tous que nous allons mourir. Certes. Sauf qu’instinctivement, nous nous efforçons d’éviter de prendre conscience de notre mortalité. Et selon Yair Dor-Ziderman, de l’université Bar Ilan, en Israël, et ses deux collègues, il existe un mécanisme neurocognitif qui nous permet de nier notre propre mort, mais pas celle des autres. Pour le prouver, les scientifiques ont mis au point deux expériences avec au total plus d’une cinquantaine de volontaires. L’idée générale de leurs tests consistait à faire visualiser aux sujets des images d’eux-mêmes, ou d’un inconnu du même sexe, ou encore d’une personne dont les traits mêlaient ceux des deux visages, chaque scène étant associée à un mot, soit lié à la mort – comme funérailles et enterrement –, soit neutre. Les scientifiques ont surtout observé l’activité cérébrale de deux zones impliquées dans la prédiction des événements futurs : l’insula et le cortex cingulaire antérieur. Lorsque nous entendons un mot évoquant la mort en voyant le visage d’une autre personne, ce système de prédiction se projette dans l’avenir et envisage le décès possible de cette personne. Qu’en est-il lorsque c’est notre propre visage qui nous est présenté ? Dans ce cas, le système de prédiction des sujets s’éteignait. Notre cerveau met hors circuit les dispositifs qui permettraient d’envisager notre propre finitude et qui, selon les chercheurs, se développeraient dans l’enfance au moment où nous commençons à comprendre l’inévitabilité de notre disparition. Ainsi, nous éviterions les pensées trop déstabilisantes. Pour vivre positivement dans le présent. £ Bénédicte Salthun-Lassalle
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Un Unmagazine magazineédité éditépar parPOUR POURLA LASCIENCE SCIENCE 170 170bis bisboulevard boulevarddu duMontparnasse Montparnasse 75014 75014Paris Paris
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PSYCHOLOGIE
La cause du populisme ? Les inégalités ! S. Sprong et al., Psychological Science, 30 septembre 2019.
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u cours des quarante dernières années, les inégalités entre riches et pauvres se sont creusées à l’échelle mondiale. En 2017, le projet World Health and Income Database révélait que sur cette période les 1 % les plus riches avaient profité deux fois plus de la croissance des revenus que les 50 % les plus pauvres. À partir de 2016, les 1 % les plus riches de la planète possédaient autant que les autres 99 %, et en 2018, 26 grandes fortunes possédaient autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité. La même année, en France, l’Insee confirmait que l’inégalité des niveaux de vie atteignait le plus fort niveau depuis 2010, avec 9,3 millions d’individus vivant sous le seuil de pauvreté équivalent à 60 % du niveau de vie médian. Même en Chine et en Russie l’économie de marché à fait exploser les inégalités. Autre grande tendance mondiale, la montée des populismes et des replis identitaires : Brexit, illibéralisme en Europe de l’Est, Trumpisme, protodictature brésilienne et russe, absolutisme chinois : partout les « hommes forts » ont le vent en poupe. Alors, peut-on voir un lien entre ces deux lames de fond ? Pour la première fois, une étude publiée
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dans le journal Psychological Science et réalisée par plus de 40 universités dans 28 pays sur plus de 6 000 participants montre de façon à la fois corrélationnelle et expérimentale que les inégalités économiques favorisent le désir des citoyens de recourir à un leader fort pour rétablir un ordre social perçu comme défaillant. Elle l’établit d’abord de façon corrélationnelle, car plus les inégalités économiques sont fortes dans un pays, plus le désir de leader autoritaire apparaît comme exacerbé ; puis de façon expérimentale, car en soumettant des volontaires à des situations où des sommes d’argent leur sont versées de façon inégalitaire dans des jeux de société, ils constatent une évolution des attitudes vers un désir plus prononcé d’autoritarisme. Le ressort de l’inégalité, tendu de façon mécanique par les virages politiques tels que le reaganisme, puis par la réduction des dépenses publiques, l’appauvrissement de l’État et la baisse des investissements dans l’éducation notamment, se détend mécaniquement (quoique dans une moindre mesure en Europe occidentale), d’après cette étude, en propulsant au pouvoir des trublions qui mettent en danger le sort de la planète. S. B.
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DÉCOUVERTES Focus
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ANTOINE PELISSOLO
Psychiatre au Service de psychiatrie adulte et à l’unité CNRS de l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, à Paris. PSYCHOLOGIE
Longue vie aux optimistes !
Selon une étude récente, croire en l’avenir prolongerait la vie de presque dix ans…
L
’influence du stress sur certaines maladies graves, notamment cardiovasculaires et inflammatoires, est connue depuis longtemps. Des recherches scientifiques ont même confirmé la nocivité des émotions négatives, comme l’anxiété, les angoisses ou l’humeur dépressive, sur l’espérance de vie. En revanche, peu de travaux portent sur les facteurs psychologiques positifs, protecteurs en eux-mêmes contre les maladies et favorisant ainsi la longévité. Il ne s’agirait pas seulement de lutter contre le stress pour en limiter l’impact, mais également de repousser le vieillissement et l’espérance de vie. Le fameux : « J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé », de Voltaire, est-il vérifié par la science ? LES ÉMOTIONS POSITIVES PROTÈGENT LE CORPS Parmi les facteurs de longévité supposés figure la propension à l’optimisme, c’est-à-dire à envisager les choses sous un angle positif, à penser qu’elles évolueront plutôt bien que mal. Cette tendance, plus
naturelle chez certains d’entre nous, induit des émotions quotidiennes plus agréables et incite à l’action, ce qui pourrait avoir un effet favorable sur les comportements de santé et donc sur la longévité. Des chercheurs ont même proposé un effet directement protecteur des émotions positives sur la biologie de notre corps, protégeant nos cellules et notre ADN des effets toxiques du stress et du vieillissement. Ceci pourrait passer par le système immunitaire et l’inflammation, ou aussi par les fameux télomères, marqueurs de la bonne santé des chromosomes, dont on sait qu’ils sont altérés par les facteurs de stress. Mais encore faut-il pouvoir prouver la réalité d’un tel effet protecteur de l’optimisme. L’étude publiée par l’École de santé publique de Harvard apporte des éléments convaincants. Ces chercheurs ont étudié 71 173 personnes, en grande majorité des femmes britanniques issues d’une vaste étude sur la santé des infirmières, et un groupe plus réduit d’anciens militaires (hommes). Ces
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personnes initialement interrogées, à l’aide de questionnaires validés, sur leur propension à l’optimisme, ont été ensuite suivies pendant 10 à 30 ans pour connaître leur état de santé et enregistrer le nombre de décès au fil des années. Les résultats montrent bien une corrélation statistique forte entre le niveau d’optimisme et la durée de la vie. Cette corrélation reste significative si l’on tient compte de l’âge initial des personnes, de leur état de santé physique et psychique, et de leurs éventuels comportements à risque comme les consommations de tabac ou d’alcool. LES « SUPEROPTIMISTES » DÉPASSENT 85 ANS Concrètement, les personnes les plus optimistes (le quart le plus élevé) ont une durée de vie de 9 à 11 % plus longue que celle des moins optimistes, toutes choses égales par ailleurs. Ces chiffres sont à peine inférieurs à ceux obtenus pour les facteurs protecteurs connus que constitue l’absence de diabète ou de maladie cardiaque. De plus, le fait
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Quand
le cerveau en fait trop Par Tobias Bast, professeur associé à l’École de psychologie de l’université de Nottingham en Grande-Bretagne.
© Getty Images / akindo
« Mais où ai-je garé ma voiture ? Pourquoi suis-je étourdi ce matin ? Mon cerveau n’est pas réveillé ! » Longtemps, on a cru que des troubles cognitifs et de nombreuses maladies mentales étaient dus à une activité cérébrale insuffisante. En fait, c’est le contraire : un manque d’inhibition, donc un trop-plein d’excitation neuronale, est à l’origine des troubles.
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DÉCOUVERTES Neurosciences
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Transe chamanique Il y a presque vingt ans, Corine Sombrun, ethnomusicienne en voyage en Mongolie, fait l’expérience d’une transe spontanée lors d’une cérémonie chamanique et entre en communication avec « les esprits ». Non, vous n’êtes pas dans un journal d’ésotérisme ou de sciences paranormales, mais dans Cerveau & Psycho. Car les multiples rebondissements de cette histoire sont nettement plus scientifiques : quelques années plus tard, Corine Sombrun mène des
expériences avec plusieurs équipes de recherche en neurosciences, d’abord au Canada puis en Belgique. Avec ténacité et patience elle parvient à induire un état de transe à la demande, ce qui permet aux chercheurs de ces laboratoires reconnus d’étudier cet état de conscience particulier, grâce à l’arsenal des moyens de mesure électroencéphalographique et d’IRM. D’où une première signature de l’état de « transe cognitive » visible en imagerie.
ou cognitive ? Du chamanisme au cognitivisme, un pas est franchi. Peut-on parler de ces états modifiés de conscience de manière scientifique sans verser dans l’ésotérisme ? Cela vaut en tout cas la peine de s’y intéresser. Comme le signale Steven Laureys, neurologue travaillant avec Corine Sombrun, la démarche scientifique n’exclut pas un phénomène de pri me abord, mais cherche à le comprendre. C’est de cette façon que l’hypnose et a méditation ont été
reconnues comme des pratiques fondées sur des bases cérébrales naturelles. Il est encore trop tôt pour savoir si la transe suivra le même chemin – et s’accompagnera de bénéfices thérapeutiques comparables –, mais l’exploration fait aussi partie des démarches que nous voulions vous faire partager. À vous de vous faire votre avis. Coup de chance, le film relatant l’histoire de Corine Sombrun est en ce moment sur les écrans. Joignez l’utile à l’agréable…
Sébastien Bohler
« 90 % DES GENS PEUVENT ENTRER EN TRANSE » En 2001, après le décès de votre mari dont vous n’arrivez pas à faire le deuil, vous partez pour un long voyage en Mongolie. C’est là, lors d’une cérémonie chamanique, que le son des tambours provoque en vous une réaction inattendue. Pouvez-vous nous décrire ce qui se passe alors ? .Corine Sombrun : Soudain, mes mains se mettent à trembler, je commence à renifler comme un animal, à bondir et à pousser des hurlements de loup. Je me suis littéralement transformée. C’était un état de
transe provoqué spontanément, sans préparation. J’ai été très surprise, complètement prise au dépourvu. Étiez-vous consciente de ce qui se passait ? Oui ! C’est cela qu’il y a de particulier avec les états de transe, comme pour l’hypnose ou la méditation. Ce sont des états de conscience modifiée, dans lesquels vous n’êtes pas anesthésié ou endormi, mais où vous percevez le monde, votre corps et vos sensations différemment. Vous gardez une forme de contrôle sur ce que vous faites et ce que vous
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Sorti le 30 septembre 2019, le film Un monde plus grand est l’histoire d’un parcours initiatique.
© RaoulDobremel
DÉCOUVERTES Neurosciences
Corine Sombrun, ethnomusicienne et spécialiste du chamanisme mongol, a transféré l’étude des états de transe des plaines de Mongolie vers les laboratoires de recherche en neurosciences.
pensez, mais tout est différent. J’aurais pu mettre un terme à cet état, mais je ne savais pas encore que je pouvais le faire. Pourquoi avoir voulu recommencer ? Au début, je n’en avais pas l’intention. Déjà, je n’étais pas venue en Mongolie pour cela, mais pour faire un reportage ! Et voilà que je me retrouve à me « transformer » en loup dans une yourte, au son des tambours. Vous imaginez le choc ? Au moment où cela se produit, cela me fait peur, je ne comprends pas. Comment se fait-il qu’à 40 ans, je fasse une expérience que la société rationnelle dont je suis issue, cette
société savante et organisée, est totalement incapable d’expliquer ? En occident, lorsque vous parlez de cela, on vous envoie en psychiatrie. En Mongolie… on vous dit que vous êtes une chamane. Toujours est-il qu’à cette époque je n’ai pas eu envie de revivre ce genre d’expérience. Le chaman qui conduisait la cérémonie m’a dit que j’avais un don, que j’avais reçu « l’étincelle chamanique » et que mon destin était de devoir continuer cette pratique en étant formée par l’un d’eux. Son discours était pour le moins inquiétant : si je ne faisais pas ce que les esprits me disaient, il allait m’arriver les pires malheurs…
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Ce n’est tout de même pas cette menace qui vous a convaincue ? Non. C’était l’idée que le chaman puisse communiquer avec les morts. Un espoir que notre société ne donne pas. J’avais besoin, d’une façon ou d’une autre, de renouer avec l’homme que j’avais perdu. Lorsqu’il est parti, nous nous sommes juré de nous retrouver. Je ne vais pas vous dire que je sais ce que cela peut signifier. Mais il me semble que toute personne en deuil pense que si elle retrouve l’autre, peu importe la forme que prendra cette retrouvaille. Pour les croyants, il s’agit d’une véritable communion dans l’au-delà. Pour certains chercheurs, il s’agirait plutôt d’informations présentes sous forme de fréquences auxquelles le cerveau aurait la capacité d’accéder, et plus particulièrement quand son fonctionnement est modifié par l’état de transe. Pour les Mongols, la fonction du chaman est de communiquer avec les esprits. Ce que les anthropologues appellent un « double immatériel ». Dans cette conception du monde, chaque être vivant a un double immatériel appelé « esprit ». Le chaman en transe communique avec ce double immatériel. Ce qui lui permet de recueillir des informations permettant, par exemple, de résoudre un problème dans la vie d’un des membres de la communauté. Chez les chasseurs-cueilleurs, c’est souvent une information sur le lieu où peut se trouver le gibier… Il y a l’idée que les esprits aident les hommes à vivre en harmonie avec leur environnement. Vous avez donc été déclarée chamane par ces Mongols. Et vous êtes entrée en communication avec votre double immatériel ? C’est l’impression que j’ai eue. Dans mon cas, ce double immatériel a été un loup. Et une fois possédée, je ne suis plus Corine Sombrun. Je ressens ce que peut ressentir cet animal. Je ne suis donc plus dans la perception
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La psychologie
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Un levier pour relever les défis de demain
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DÉCOUVERTES Tribune À l’heure des « fake news », du réchauffement climatique et de l’intelligence artificielle, nous devons miser massivement sur une science de la cognition et des comportements humains. Une chance, nous l’avons : il s’agit de la psychologie – scientifique !
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ans les décennies qui viennent, l’humanité devra relever trois défis essentiels : le terrorisme, les menaces environnementales et l’essor de l’intelligence artificielle. Au cœur de chacune de ces trois questions se trouve le facteur humain. La conclusion est donc immédiate : nous avons besoin d’une science de l’homme, précise et efficace, pour en prendre la mesure et agir avec à-propos. Aujourd’hui, elle nous est offerte sur un plateau. Désormais bénéficiaire des progrès des neurosciences, la psychologie nous semble disposer de tous les atouts pour nous aider à relever ces défis. LA RADICALISATION, LE TERRORISME, LA VIOLENCE Si le monde d’aujourd’hui est ou paraît fou, c’est parce que dans le cerveau des hommes, même éduqués, les règles logiques et morales qu’ils ont apprises en famille ou à l’école peuvent toujours, très rapidement parfois, être court-circuitées par des automatismes de pensée, c’est-à-dire cognitifs, dont les fureurs sacrées ne sont qu’un cas particulier. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux ou sur les sites complotistes du web, dans les excès d’une opinion polarisée, c’est la pensée extrême qui conduit au terrorisme. Or, nous sommes tous vulnérables à ces dérapages mentaux. C’est ce que nous a notamment appris le psychologue Daniel Kahneman, Prix Nobel d’économie en 2002, lui qui a démontré objectivement, expérimentalement, que n’importe quelle personne, même un adulte a priori rompu à l’exercice du raisonnement, est susceptible de commettre encore de nombreuses erreurs systématiques de jugement et de raisonnement logique liées à des biais cognitifs ou émotionnels. C’est cette fragilité cognitive, intrinsèque, du raisonnement humain – existant bien chez chacun d’entre nous ! – qui prête le flanc aux procédés de radicalisation et mène ainsi certains individus, adolescents ou jeunes adultes, à devenir une menace
Biographie Olivier Houdé professeur de psychologie à l’université de Paris, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, administrateur de l’Institut universitaire de France. Yann Coello professeur de psychologie à l’université de Paris, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, administrateur de l’Institut universitaire de France.
pour eux et pour toute la société. Exposés à des images émotionnelles fortes sur internet – atrocités commises en Syrie ou des images de violence extraites d’autres contextes –, puis embrigadés par de pseudo-déductions, ces cerveaux faillibles sont d’autant plus aisément modelés que ces jeunes se trouvent déjà eux-mêmes, en France ou ailleurs, en situation de fragilité ou de rupture. C’est pourquoi, aujourd’hui, les neurosciences cognitives et sociales, associées à la psychologie, peuvent être d’une utilité capitale. En effet, elles nous révèlent les biais du cerveau humain, mais aussi confirment et précisent les mécanismes sur lesquels il faut agir, tel le doute, le regret, la curiosité et le contrôle inhibiteur du cortex préfrontal, pour éduquer les enfants au raisonnement critique au-delà des illusions (aspect cognitif) et à la tolérance (aspect social) dans un monde qui est souvent égocentré, voire fou. Autrement dit, on peut rendre le cerveau plus solide, résistant à ses biais, puisqu’on en connaît mieux les mécanismes. Aux xixe et xxe siècles, la médecine a appris à guérir plus efficacement par une meilleure connaissance des organes du corps et de leur physiologie, aujourd’hui leur génétique. De la même façon, la psychologie et les neurosciences vont parvenir demain, avec les parents et les professeurs des écoles, à mieux éduquer grâce à une connaissance plus approfondie du cerveau, organe de l’apprentissage. Il y a là un levier, une clé de régulation cognitive et de progrès social, une espérance nouvelle que ne possédaient pas les générations précédentes. L’ENVIRONNEMENT ET LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE Nous, seuls survivants de la grande famille des humains, a priori seuls dépositaires de l’intelligence à son plus haut niveau… risquons une autodestruction liée à la gravité de la crise écologique, pour avoir déjoué, par cette intelligence du cerveau
La fragilité cognitive, intrinsèque, du raisonnement humain, nous expose aux manipulations sur Internet, mais aussi à des comportements qui nuisent à notre environnement N° 116 - Décembre 2019
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Dossier SOMMAIRE
p. 38 Montessori enfin au banc d’essai p. 46 La pédagogie Freinet sous l’œil des neurosciences p. 52 Interview Les pédagogies alternatives ont déjà transformé l’enseignement
MONTESSORI, FREINET… Quels bénéfices Comment rendre l’école plus efficace
pour le cerveau des enfants ?
et plus égalitaire, sans pour autant faire peser une pression démesurée sur les élèves, les enseignants ou les familles ? L’équation n’a rien de simple, mais des alliés inattendus pourraient aider à la résoudre : les méthodes développées dans la première moitié du xxe siècle par plusieurs pédagogues visionnaires, comme Maria Montessori ou Célestin Freinet. Nombre de ceux qui les ont suivies sont convaincus depuis longtemps de leur efficacité, mais le ressenti est souvent trompeur en la matière, comme nous l’explique Édouard Gentaz, spécialiste des questions d’éducation (voir l’interview page 52). Il restait donc à analyser les principes directeurs de ces méthodes à l’aune des connaissances modernes et, surtout, à les tester directement sur le terrain. C’est ce que l’on commence à faire, grâce à des projets réunissant chercheurs et enseignants. L’intensification du dialogue entre ces deux communautés n’est d’ailleurs pas le moindre intérêt de ces projets. Chacune a sa pierre à apporter, et c’est probablement de leur alliance que naîtra la révolution de l’école. Guillaume Jacquemont
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Dossier
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MONTESSORI ENFIN AU BANC D’ESSAI Jérôme Prado, Alexis Gascher et Philippine Courtier, respectivement chercheur, enseignant et doctorante.
£ Les sciences cognitives ont validé certains des principes sur lesquels repose la pédagogie Montessori, mais les évaluations directes sont trop rares. £ Pendant trois ans, une étude française a alors comparé les résultats d’enfants suivant des cursus Montessori et conventionnel. £ Le cursus Montessori n’a fait moins bien dans aucun domaine, et a obtenu de meilleurs résultats dans l’apprentissage de la lecture. £ Les études internationales suggèrent même des bénéfices dans la maîtrise de soi et les aptitudes sociales.
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Une nouvelle expérience, menée dans une école maternelle publique française, montre tous les bénéfices de la pédagogie Montessori. Et répond aux craintes de ses détracteurs.
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uel est le point commun entre Gabriel García Márquez (Prix Nobel de littérature), George Clooney, Anne Franck, Roger Federer, Jacqueline Kennedy et Jeff Bezos (fondateur d’Amazon) ? Toutes ces personnalités ont fréquenté une école Montessori. Inventée au tout début du xx e siècle par le médecin italien Maria Montessori, cette méthode pédagogique connaît depuis plusieurs années un succès grandissant. En France, elle est appliquée par environ 200 écoles (principalement privées et hors contrat) et leur nombre ne fait qu’augmenter. Portée aux nues par les uns, critiquée par les autres, la pédagogie Montessori fait débat. Elle repose sur une grande
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DOSSIER MONTESSORI, FREINET...
LA PÉDAGOGIE FREINET SOUS L’ŒIL DES NEUROSCIENCES N° 116 - Décembre 2019
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La psychologie et les neurosciences ont largement validé les principes fondamentaux de la pédagogie Freinet. Et les chercheurs commencent à tester directement son efficacité…
Un enfant réparant un robot, et abordant ainsi de façon pratique des notions de mécanique.
Par Olivier Houdé, professeur de psychologie à l’université de Paris, membre de l’Institut de France et ancien instituteur Freinet.
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£ La pédagogie Freinet incite à apprendre les notions du programme scolaire en simulant des situations de travail réelles : jardinage, menuiserie, comptabilité…
£ Lors d’une évaluation directe, la pédagogie Freinet a même amélioré les résultats scolaires et le climat de la classe dans une banlieue défavorisée.
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£ Elle se fonde sur l’engagement actif des élèves, le tâtonnement expérimental et la collaboration, des principes à l’efficacité confirmée par de multiples études scientifiques.
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e mon expérience d’instituteur dans une classe Freinet à Louvain-laNeuve, en Belgique, en 1983, je garde, comme souvenir le plus fort, le cercle que nous formions chaque matin avec les enfants pour commencer la journée, assis par terre. L’expression y était libre, l’un racontant une activité ou un événement du week-end, de la veille, du matin même, l’autre un rêve de la nuit, etc. Autant d’éléments apportés spontanément par les enfants, et dans lesquels nous puisions pour élaborer le programme de la journée. Car tel est le principe de la pédagogie Freinet : partir des intérêts et de la vie réelle des élèves. Comme Maria Montessori, Célestin Freinet croyait à l’élan vital des enfants, mais structuré par le travail cognitif plutôt que par le jeu. L’enseignement se déroule en ateliers individuels ou collectifs, où l’on apprend les notions essentielles (français, maths, sciences, etc.) par le tâtonnement expérimental dans des situations de « travail imité » : jardinage, menuiserie, peinture, comptabilité de l’école (on parle de « calcul vivant » pour qualifier cet apprentissage des mathématiques via des situations réelles)… Ce qui ne signifie pas que le jeu est absent : n’importe quelle idée des enfants est susceptible d’inspirer un projet qui stimule les apprentissages.
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INTERVIEW
ÉDOUARD GENTAZ
DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS, PROFESSEUR ORDINAIRE DE PSYCHOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT À L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE, RÉDACTEUR EN CHEF DE LA REVUE ANAE.
LES PÉDAGOGIES ALTERNATIVES ONT DÉJÀ TRANSFORMÉ L’ENSEIGNEMENT Comment définissez-vous les pédagogies alternatives ? Les pédagogies alternatives sont toutes les méthodes qui se sont développées à côté du système traditionnel, en réponse aux insatisfactions qu’il génère. Mécontents des conditions, des objectifs ou des techniques de ce système, certains pédagogues ont imaginé d’autres façons d’enseigner. Les méthodes de ce type sont souvent pratiquées dans des écoles privées, qui ne sont pas sous contrat avec l’éducation nationale
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(même si un certain nombre d’enseignants les appliquent dans le public, notamment pour les deux principales, Montessori et Freinet, sans que leur école ne soit identifiée officiellement à ces méthodes). Une partie des pédagogies alternatives sont « structurées » : elles sont sous-tendues par un corpus théorique élaboré et soutenues par divers organismes, qui délivrent des labels attestant de la conformité de l’enseignement avec la méthode. C’est le cas de Montessori et Freinet. Mais il existe aussi tout un florilège d’écoles privées hors contrat qui se revendiquent des pédagogies alternatives, et qui font chacune leur propre « cuisine » : un peu de Montessori, un peu de Freinet, des journées d’enseignement dans la nature… Bien sûr, des inspecteurs de l’Éducation nationale peuvent contrôler leur fonctionnement et l’absence de dérives. En dehors de Montessori et de Freinet, quelles sont les autres pédagogies alternatives « structurées » ? On entend toutes sortes de labels : Steiner, intelligences multiples, classes inversées… La pédagogie Steiner est en effet aussi une méthode structurée, même si elle intègre un certain nombre de croyances dans ses fondements théoriques. Elle compte une vingtaine d’écoles en France et accorde une grande place au contact avec la nature, aux activités artistiques et aux langues étrangères. Elle se revendique de « l’anthroposophie », courant ésotérique qui prône l’intégration de la dimension spirituelle de l’homme. Elle a d’ailleurs été très critiquée pour cela, certains y voyant un risque de dérive sectaire. La méthode des intelligences multiples peut également être considérée comme une pédagogie alternative structurée. Elle se fonde sur la théorie du psychologue américain Howard Gardner, selon lequel il n’y a pas un facteur d’intelligence générale (le QI), qui déterminerait les performances dans tous les do-
maines, mais huit formes d’intelligences distinctes : logicomathématique, linguistique, kinesthésique, interpersonnelle… Le principe de cette méthode d’enseignement est alors de solliciter toutes ces formes d’intelligence, afin que chaque élève ait à un moment l’opportunité de réussir. Les enfants développent ainsi leur confiance en soi, ce qui est précieux pour les apprentissages. Cette méthode est très populaire au Québec et commence à arriver en France, dans l’enseignement privé. Il faut toutefois distinguer les pédagogies globales, qui structurent l’ensemble de l’enseignement et des gestes pédagogiques, de techniques plus ponctuelles. Les classes inversées, que vous évoquez, tombent plutôt dans cette seconde catégorie. Le principe est de faire « les cours à la maison et les devoirs en classe », autrement dit d’étudier les leçons chez soi pour consacrer les heures de cours aux applications et aux activités pratiques. C’est très à la mode en ce moment, de l’école primaire à l’université, mais ce n’est utilisé qu’à certains moments ; cela ne structure pas
tout l’enseignement. Et je doute que cette technique soit généralisable, car elle demande aux élèves de beaucoup étudier chez eux, ce qui implique qu’ils soient déjà très autonomes. On sait en outre que le travail à la maison dépend étroitement du milieu socioculturel. Une application systématique des classes inversées risquerait alors de creuser les inégalités… Malgré cette diversité de méthodes, les pédagogies alternatives ont-elles des points communs ? La plupart de ces pédagogies placent les besoins et les capacités de l’enfant au premier plan. Il s’agit de prendre en compte les caractéristiques de l’individu à qui l’on enseigne. Il faut bien voir que les principales pédagogies alternatives ont été développées dans la première moitié du xxe siècle, à une époque où l’enseignement était très descendant, du professeur vers l’élève. On pensait alors qu’il suffisait d’écouter et de recopier pour apprendre. Par rapport à cette vision très verticale de l’apprentissage, les pédagogies
Ces pédagogies ont remis en cause l’enseignement vertical, allant jusqu’à bouleverser – avec succès – l’organisation de l’école dans certains pays N° 116 - Décembre 2019
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ÉCLAIRAGES p. 64 Écrans : comment on massacre le cerveau de nos enfants p. 70 L’envers du développement personnel
Retour sur l’actualité
Le 26 septembre 2019, incendie de l’entreprise Lubrizol de Rouen.
SÉBASTIEN BOHLER
Docteur en neurosciences, rédacteur en chef de Cerveau & Psycho.
Rouen,
la fabrique des complots L’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen révèle un trait distinctif des théories du complot : leur capacité à infecter nos cerveaux en situation de grande incertitude.
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l vous est sûrement arrivé d’observer des formes dans les nuages. Au départ, cette grosse masse pommelée qui flotte dans le ciel ne présente aucun ordre ni aucune forme clairement discernable, mais bien vite vous reconnaissez le nez d’un personnage, la forme d’un éléphant, ou celle d’une tasse de thé… Et pour cause : le cerveau humain est très doué pour voir des formes, là où il n’y a initialement que le hasard. Il peut aussi arriver que l’on soit plongé dans une nébuleuse d’informations indéchiffrables. Par exemple, lorsqu’une usine bourrée de milliers de tonnes de produits toxiques part en fumée, à proximité d’une grosse agglomération. Un communiqué gouvernemental indique que les mesures réalisées dans l’air et dans l’eau des rivières ne révèlent aucun niveau critique de polluants, ni de substances dangereuses pour la santé. Sur les réseaux sociaux, en revanche, circulent des communiqués insinuant que le nuage
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L’ACTUALITÉ
LA SCIENCE
L’AVENIR
Le 26 septembre 2019, l’usine Lubrizol de Rouen partait en fumée, consumant 9 000 tonnes de produits chimiques, dont certains hautement toxiques. Dans les jours qui suivirent, la communication parfois hésitante des autorités se heurta à des récits anxiogènes sur les réseaux sociaux, livrant un portrait confus et ambigu de la situation. Dans la foulée, on vit éclore des théories complotistes selon lesquelles le gouvernement aurait dissimulé des preuves et renoncé sciemment à protéger les populations gravement menacées.
Les recherches en psychologie cognitive montrent que, face à une information ambivalente, notre cerveau déploie des mécanismes de compensation pour restaurer un sentiment d’ordre et de clarté. Les théories du complot remplissent cette fonction en créant des associations de sens entre différents événements a priori disjoints.
Dans les théories du complot, les connexions entre les événements et les différents protagonistes comptent plus que leur véracité. Pour les communicants, il est crucial de proposer une information claire qui évite la confusion. Pour les citoyens, il est tout aussi important d’exercer une méfiance critique, mais en sachant que certaines informations ne peuvent pas être obtenues dans des délais très courts.
© Daniel Briot
présenterait une toxicité aiguë. Puis des photos d’oiseaux morts, tandis que des habitants déclarent avoir vu des milliers de cadavres de poissons dans les rivières. Les sources officielles, quant à elles, parlent d’un incendie… Mais une vidéo qui circule sur le web montre plusieurs explosions en pleine nuit ! Au départ, cette grosse masse pommelée qui flotte dans le ciel de l’info ne présente aucun ordre ni aucune forme clairement discernable, mais bien vite vous reconnaissez une trame, une cohérence, voire une intention. Un complot. L’ORDRE DOIT NAÎTRE DU CHAOS Au moment de l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen, les choses se sont passées à peu près de cette façon. Il y a d’abord eu les informations discordantes sur le potentiel de pollution du nuage dont la traînée s’est étirée sur plus de 20 kilomètres. Des communiqués contradictoires, des tweets affolés. Puis, comme une seconde vague, les thèses complotistes. Selon certaines, il y aurait eu « une grave opération de
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dissimulation » de la part des pouvoirs publics. Un employé du laboratoire chargé des analyses de la qualité de l’air après la catastrophe aurait été sommé de falsifier les résultats pour éviter d’avoir à évacuer tout le département. Ainsi le gouvernement aurait été au courant d’une situation d’intoxication massive de la population et aurait tout organisé pour que rien ne se sache. C’est le coup de Tchernobyl à la puissance quatre. Tchernobyl, justement, nous a bien appris que les autorités peuvent mentir, et pas qu’un peu. Il est donc tout à fait possible que la méfiance visà-vis des positions officielles du gouvernement ou des différentes autorités engagées sur ce sinistre soit parfaitement fondée. Néanmoins, il faut faire la différence entre la méfiance et le complotisme. Ce dernier, à la différence de la première, emprunte à des automatismes mentaux qui se déploient sur un mode largement inconscient, selon des mécanismes de mieux en mieux étudiés. Ainsi, un important courant de recherche sur les théories du complot considère que l’esprit humain tend à recréer du sens et des récits dans les situations où il est confronté à un fort degré
ÉCLAIRAGES Neurosciences
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Écrans
Comment on massacre le cerveau de nos enfants
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uel est l’impact des écrans sur le développement de l’enfant ? Même si la question occupe l’espace médiatique depuis plus d’un demi-siècle, il a fallu attendre les quinze dernières années pour qu’elle devienne (enfin !) un sujet de préoccupation majeur. La prise de conscience s’est faite en trois temps. Le premier fut celui des prédications enthousiastes : le numérique était une révolution. Il promettait de transformer nos enfants, les bien nommés digital natives, en génies omniscients. Grâce à Google et ses affidés, allait naître une génération mutante, porteuse d’un cerveau différent, plus rapide, plus puissant, plus apte aux traitements parallèles et à l’ingestion de larges flux d’information. Puis vint l’heure des premiers doutes. La menace fut toutefois rapidement jugulée par l’omniprésent verbiage de quelques experts médiatiques dévoués : il ne faut pas être alarmiste, seul l’excès est mauvais, la recherche ne dégage aucun consensus, etc. Le cautère tint quelques années. Puis s’effondra. Vint alors le temps du malaise et
Dans un livre choc, le neuroscientifique Michel Desmurget livre le résultat de centaines d’études ayant mesuré l’impact des écrans sur nos cerveaux. Sa conclusion est implacable : notre société est en train de fabriquer des cerveaux amoindris.
EN BREF £ Après une décennie d’exposition généralisée des enfants à tous types d’écrans, le couperet tombe : une majorité d’études montrent des effets fortement négatifs sur le cerveau. £ Langage appauvri, problèmes d’attention, sommeil fragmenté : les atteintes à la cognition et au développement cérébral sont profondes et durables. £ Et les évaluations du système d’enseignement disqualifient le recours au tout numérique dans les classes.
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des vraies inquiétudes. Il faut dire que les faits sont têtus. On ne peut indéfiniment masquer l’âpreté du réel sous le tapis des esbroufes marketing et discours stipendiés. Au-delà des parents, c’est aujourd’hui l’ensemble des professionnels de l’enfance qui tirent la sonnette d’alarme. Non, nos gamins ne sont pas des mutants. Ils sont des souffrants. De plus en plus d’enseignants, de pédiatres, d’orthophonistes décrivent des enfants meurtris, incapables de tenir en place, de se concentrer, de dominer leurs émotions, de retenir une leçon de dix lignes ou de maîtriser les éléments les plus basiques de la langue. Cet inquiétant tableau n’est en rien déroutant. Il renvoie trait pour trait aux observations patiemment recueillies, depuis plus de cinquante ans, par la recherche académique. On nous dit souvent que les études manquent sur l’impact du numérique. C’est grossièrement faux. Les études abondent. Elles se comptent en milliers. Bien sûr, tout n’est pas tranché. Il reste des zones de doute. Mais tout n’est pas non plus méconnu. Les
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ÉCLAIRAGES L’envers du développement personnel
YVES-ALEXANDRE THALMANN Professeur de psychologie au collège Saint-Michel et collaborateur scientifique à l’université de Fribourg, en Suisse.
Ne cherchez pas votre vocation mais des buts utiles Vous voulez devenir écrivaine, chanteur ou cosmonaute ? Attention au biais du survivant, qui nous fait croire que tout le monde peut être Beyoncé ou Kylian Mbappé. Et sachez que l’on réussit mieux en cherchant à être utile qu’en réalisant une passion.
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laisser guider par des considérations matérielles et financières. » Il est vrai que les orateurs invités sont exclusivement des modèles de réussite dans leur domaine – sinon ils ne seraient pas là –, ce qui semble valider leurs propos. Mais est-ce vraiment une bonne idée n point commun que d’écouter son cœur et chercher sa semble relier les orateurs, pourtant vocation à tout prix ? Que peuvent nous d’horizons fort divers, invités à prendre apprendre les recherches scientifiques en la parole lors des traditionnelles céré- la matière ? Le premier élément concerne, monies de remise de diplômes : ils non pas le fond de la question, mais la conseillent aux jeunes prêts à s’élancer forme de la réponse : des témoignages de à l’assaut du monde professionnel de réussite. Il est sans doute motivant d’ensuivre leur passion pour guider leurs tendre des personnalités raconter comchoix. « Trouvez votre vocation, afin que ment elles ont quitté un job alimentaire votre métier devienne source de réalisa- pour suivre leur passion et connaître le tion personnelle. Faites ce que votre succès. Mais c’est sans compter avec tous cœur vous enjoint plutôt que de vous les malheureux qui se sont lancés et n’ont
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pas réussi. Seuls les vainqueurs montent sur l’estrade, rarement les vaincus de la vie. Il y a donc clairement un biais de sélection de l’information, que l’on retrouve dans la littérature sous cette appellation sans équivoque : le biais du survivant. LE BIAIS DU SURVIVANT Pour un jeune Bill Gates bidouillant des ordinateurs dans sa cave, combien de bricoleurs passionnés mais au final désargentés ? Pour une Amélie Nothomb au firmament des succès littéraires, combien de romanciers dont seuls la famille et les amis deviendront le lectorat quelque peu contraint ? Suivre sa passion pour connaître la consécration : une exception plutôt que la règle générale…
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Et toutes ces personnes qui proclament avoir toujours su ce qu’elles allaient devenir : agriculteur, enseignant(e), vétérinaire, avocat(e), maman d’une famille nombreuse… Qui assurent qu’elles se sentaient appelées vers cette destinée… Une histoire sans doute plus séduisante que celle qui consiste à errer de conseillers d’orientation en stages découverte pour se frayer laborieusement une voie dans la jungle professionnelle. Il n’est évidemment pas question de mettre en doute l’intégrité de ces personnes. Mais simplement de rappeler les effets des biais cognitifs – encore eux – sur la pensée. Et ici, le biais dit d’a posteriori semble avoir laissé sa marque : après coup, il est facile de reconstruire l’histoire en fonction de ce que l’on sait dans le présent. Pour ma part, je me souviens avoir déclaré, enfant, que je souhaitais devenir écrivain. Je me vois encore devant la vieille machine à écrire mécanique de papa, tapant maladroitement sur les touches métalliques pour actionner le délicat mécanisme, en train de rêver à mes futurs ouvrages. Cela tombe bien, parce que je consacre effectivement une partie de ma vie à rédiger des livres et des articles. Dont acte ! Ce que j’omets de mentionner, c’est toutes les autres professions que j’ai eu envie d’embrasser au
cours de ma jeunesse. J’ai même voulu devenir prêtre – mais sans doute la vocation a-t-elle fait défaut ! Voici donc le biais d’a posteriori dans toute sa splendeur, et il m’aurait été facile d’en être la dupe.
Les buts utiles se cultivent tout au long d’une carrière, et ceci dans tous les secteurs professionnels, quels qu’ils soient N° 116 - Décembre 2019
ET L’IDÉALISME, DANS TOUT ÇA ? Soit ! Les biais cognitifs sont à l’œuvre, mais ce n’est pas pour autant qu’il n’est pas judicieux de suivre l’élan de son cœur et chercher sa vocation : exercer un métier avec passion et enthousiasme, être mû par une motivation intrinsèque sans faille, qui n’en rêve pas ? De fait, une étude portant sur environ 5 000 cadres et employés portant sur leur activité professionnelle révèle que la passion au travail est un élément clé pour en retirer de la satisfaction. Jusque-là, rien d’étonnant. Mais l’étude aborde une autre dimension capitale : l’impression que notre travail compte, c’est-à-dire qu’il remplit un but utile. L’inverse de la plainte récurrente lors de certaines activités : à quoi ça sert ? Les auteurs, le professeur Morten Hansen et son équipe à l’université de Berkeley, ont produit un classement en rangs percentiles des performances de ces salariés, telles qu’évaluées par leurs supérieurs. Le rang percentile est une notation qui permet de situer les individus dans un échantillon
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VIE QUOTIDIENNE
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p. 82 Être curieux, c’est du sérieux p. 84 Question du mois p. 86 Le cadeau idéal
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Peut-on se fier à sa première impression ? Nous jugeons les autres en un clin d’œil, d’après la tête qu’ils ont, leur attitude générale… Toujours en fonction de notre propre vécu et de nos préjugés. Pas de quoi livrer de bons résultats ! EN BREF
Par Stefanie Uhrig, docteure en neurosciences et journaliste scientifique en Allemagne.
£ Chaque jour, nous croisons des inconnus que nous jugeons, en bien ou en mal, en quelques secondes. Pour ce faire, nous utilisons les données dont nous disposons, par exemple les traits du visage ou les attitudes corporelles d’une personne. £ Cette première impression repose aussi sur nos expériences passées et sur un certain nombre de préjugés qui nous habitent. Par exemple, nous évaluons souvent les visages « classiques » de façon plus positive que les visages singuliers… £ De telles impressions sont rarement fiables. Mais elles influencent notre comportement, de sorte que notre propre attitude vis-à-vis de cette personne risque de confirmer notre jugement initial !
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VIE QUOTIDIENNE Les clés du comportement
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Le cadeau
idéal
Par Melanie Nees, sociologue et journaliste scientifique en Allemagne.
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u pied du sapin de Noël, vous vous demandez peut-être si les personnes présentes ce soir-là ont trouvé pour vous le « bon » cadeau. Vous avez même une petite boule au ventre en attendant l’ouverture. Le moment où vos proches déballent leurs propres présents est tout aussi excitant. Vous êtes impatient de voir s’ils sont heureux ou déçus. Dans un épisode de la série comique américaine The Big Bang Theory, le personnage principal Sheldon, habituellement peu familier, saute sur sa voisine Penny pour l’embrasser. La raison : elle a offert au fan de Star Trek qu’il est une serviette de table signée par l’acteur de M. Spock, Leonard Nimoy. Et autour du même sapin, Amy, la petite amie de Sheldon, est si déçue par le DVD qu’il lui a donné qu’elle lui claque la porte au nez ; au prétexte que ce film n’intéresserait en fait que lui. Un cadeau qui plaît
Faire des cadeaux améliore souvent les relations sociales. Mais il vaut mieux offrir quelque chose qui nous plaît, plutôt que d’essayer de satisfaire le destinataire. Cela en dit long sur nous et sur les liens que nous entretenons avec le receveur.
EN BREF £ Faire un cadeau à une personne permet en général de renforcer la relation que l’on entretient avec elle. £ Mais, contrairement à ce que l’on croit, un cadeau révélateur de la personnalité du donneur plaira davantage qu’un cadeau destiné à satisfaire les préférences du bénéficiaire. £ Dans tous les cas, si vous vous êtes donné beaucoup de mal pour trouver quelque chose, cela se sentira et on vous en saura gré, même si vous tombez à côté.
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à son destinataire renforce-t-il une relation, amicale ou amoureuse ? Et celui qui plaît seulement au donneur la détériore-t-il ? CE QUE LES CADEAUX RÉVÈLENT DE NOUS Intuitivement, on se dit souvent que c’est le cas. En 2015, des psychologues sociaux de l’université Simon Fraser de Burnaby, au Canada, ont interrogé 500 personnes sur le sujet. Conclusion : la majorité souhaite offrir un cadeau dans le meilleur intérêt du bénéficiaire. Parce que, évidemment, chacun préfère recevoir quelque chose qui lui plaît… Et pourtant, le même groupe de recherche dirigé par Lara Aknin a aussi réalisé une expérience qui semble indiquer le contraire ; dans cette étude, les psychologues ont invité 117 volontaires dans leur laboratoire avant de demander à la moitié d’entre eux d’offrir à un
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LIVRES
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p. 92 Sélection de livres p.94 Neurosciences et littérature
SÉLECTION
A N A LY S E Bernard Schmitt
NEUROSCIENCES La méditation, c’est bon pour le cerveau Steven Laureys, Odile Jacob,
NUTRITION Le Surpoids Jean-Michel Lecerf Quæ 2019, 152 pages, 19 €
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e poids, phobie contemporaine ? Maigrir, un fantasme collectif omniprésent ? Certes, l’épidémie d’obésité est une réalité inquiétante, aux conséquences de santé publique sévères : en France, les enquêtes révèlent que le nombre de personnes dépassant l’indice de masse corporelle (IMC) « normal » augmente depuis plus de vingt ans, ce qui se traduit par un risque accru de contracter toute une série de pathologies ; et la situation est pire aux États-Unis ou dans les pays émergents. Mais gardons-nous, face à tous ceux qui désespèrent de perdre du poids, de faire des raccourcis qui ne résolvent rien. Comprendre les multiples causes de l’obésité, décortiquer les mécanismes sous-jacents et faire preuve de pédagogie, tel est l’objectif de Jean-Michel Lecerf, chef de service en endocrinologie et maladies métaboliques à l’institut Pasteur de Lille. Car prendre inexorablement du poids, est-ce dans la tête ? Dans l’assiette ? Dans la génétique ? Dans le comportement et l’alimentation des parents bien avant la naissance ou dans l’éducation durant l’enfance ? Dans l’hygiène de vie (sédentarité) ? Dans le microbiote ? Mais n’est-ce pas surtout dans le modèle de société qui crée des obèses tout en les stigmatisant ? Le miroir que nous renvoie la société est culpabilisant et nous laisse en désespoir d’un mieux-être idéalisé hors d’atteinte. Cette distorsion est source d’angoisse, le plus souvent compensée par une consommation irraisonnée, favorisée par l’industrie agroalimentaire et le matraquage publicitaire. Ce livre a le mérite d’expliquer de façon simple et claire les différentes méthodes actuelles de prise en charge. Il fait également la part belle à la prévention, aux politiques de santé publique et aux mesures d’aide aux choix alimentaires. Il laisse entrevoir les pistes de demain en incitant à fuir les régimes et autres injonctions non fondées. Mais, surtout, il renferme un message profondément humain : on ne soigne pas un symptôme, mais des personnes en souffrance. Ce livre nous rappelle qu’apprendre à manger, c’est apprendre à s’estimer et à se faire du bien. À dévorer, donc ! Bernard Schmitt est médecin, chercheur au Cernh (Centre d’enseignement et de recherche en nutrition humaine), à Lorient, et cofondateur de la filière nutritionnelle « Bleu-Blanc-Cœur ».
N° 116 - Décembre 2019
2019, 273 pages, 21,90 €
PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL Stop au burn-out ! Anne-Lise Schwing Odile Jacob 2019, 208 pages, 18,90 €
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orsque notre métier nous épuise, ce n’est pas toujours à cause de la quantité de travail : notre relation aux autres est souvent en cause, comme nous l’explique la psychiatre Anne-Lise Schwing. Faute de savoir affirmer nos droits, nous ruminons ce qui ne nous plaît pas et accumulons un stress délétère. N’avezvous jamais été confronté, par exemple, à un collègue toujours en retard à qui vous n’osiez pas en faire la remarque ? Ce petit livre, qui alterne questionnaires, conseils et exemples, vous apprendra à identifier ces réactions dysfonctionnelles et à les troquer contre de plus saines.
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’histoire de Steven Laureys pourrait être celle de Monsieur Tout le Monde : à la suite d’un divorce douloureux, il s’est mis à la méditation pour y trouver un peu d’apaisement. Seulement voilà, Laureys est aussi un neurologue mondialement connu. Tout en s’initiant aux pratiques contemplatives, il a alors mené de fascinantes expériences d’imagerie cérébrale, notamment chez des méditants experts comme le moine bouddhiste Matthieu Ricard. Dans cet ouvrage passionnant, il nous raconte cette trajectoire scientifique et personnelle, avec un enthousiasme communicatif. Et sa conclusion est sans équivoque : le cerveau est comme un muscle que l’on peut entraîner grâce à la méditation.
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COUP DE CŒUR Alix Cosquer
NEUROSCIENCES Cervocomix Jean-François Marmion et Monsieur B, Les Arènes BD 2019, 168 pages, 22,90 €
PATHOLOGIE Tout savoir sur les TOC pour mieux les vaincre Lionel Dantin, In Press 2019, 214 pages 11,90 €
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rès de trois personnes sur dix atteintes de TOC vivent à un moment donné une dépression moyenne à sévère », nous explique le psychiatre Lionel Dantin. C’est que ces angoisses irrationnelles, qui conduisent les patients à rechercher l’apaisement à travers toutes sortes de rituels, sont très difficiles à vivre. L’auteur puise ici dans diverses théories psychologiques, ainsi que dans la philosophie et l’anthropologie, pour décrire ce qui se déroule dans leur tête, avant de présenter les thérapies existantes. Cet ouvrage au point de vue très large devrait être utile aussi bien aux victimes de ce trouble qu’aux soignants.
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erception, mémoire, émotion, langage… En 168 pages, cette bande dessinée parvient à aborder un nombre impressionnant de thèmes clés des neurosciences et de la psychologie. Le cerveau lui-même y est interviewé par une présentatrice star. Avec un sens poussé de la pédagogie et de la synthèse, iI nous explique tous ses secrets et rétablit au passage la vérité sur quelques mythes, comme le fait qu’il ne fonctionne qu’à 10 % de ses possibilités. La personnalisation fonctionne bien, la mise en scène est efficace et pleine d’humour. Aussi décapant qu’instructif.
SANTÉ Natura Pascale d’Erm Les liens qui libèrent 2019, 224 pages, 18 €
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ui n’a jamais eu l’intuition, au sortir d’une promenade en forêt ou au détour d’un parc, que la nature fait profondément du bien ? C’est cette intuition qui a poussé la journaliste Pascale d’Erm à partir pour un voyage à travers le monde, à la rencontre de chercheurs que passionne le sujet. Son ouvrage, très documenté, parle ainsi de notre relation au vivant et de la manière dont le contact avec la nature nous régénère et nous transforme. Les projets qui visent à mettre un peu plus de vert dans nos vies fleurissent un peu partout. Au Japon, des millions de personnes pratiquent régulièrement des « bains de forêt ». Au Danemark, près de 700 écoles maternelles font régulièrement classe au milieu des bois… En Grande-Bretagne, des séances de jardinage actif (la green gym), soutenues par les services de santé locaux, attirent un nombre croissant de pratiquants… Toutes ces initiatives sont suivies avec attention par les scientifiques. Et leurs conclusions convergent : la nature a de nombreux bénéfices sur la santé et le bien-être. Diminution des risques cardiovasculaires, restauration des fonctions psychiques, stimulation des émotions positives, baisse de la dépression… Dans nos modes de vie urbains, qui sollicitent notre attention jusqu’à l’épuiser et génèrent du stress, la présence et le contact à la nature s’avèrent de précieux contrepoints. Au-delà des individus, ces recherches révèlent aussi les bénéfices sociétaux associés : l’aménagement de parcs urbains est un moyen de progresser vers plus de justice sociale, les bienfaits de ces derniers étant maximaux chez les populations défavorisées. Ce qui pourrait aller jusqu’à inspirer de nouvelles stratégies de santé publique ! Dotée d’un vrai talent de vulgarisatrice, l’autrice rend compte de tous ces travaux avec clarté mais sans simplisme. Face au constat d’une nature qui disparaît sous la pression des activités humaines et d’un lien au vivant qui s’érode, son plaidoyer argumenté pour remettre la nature au cœur des priorités fait mouche. De quoi donner envie de s’y mettre sans attendre. Alix Cosquer est chercheuse au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE, CNRS), à Montpellier.
N° 116 - Décembre 2019
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N° 116 - Décembre 2019
LIVRES Neurosciences et littérature
SEBASTIAN DIEGUEZ
Zola
Chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’université de Fribourg, en Suisse.
Au bonheur des kleptomanes
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Le roman Au Bonheur des Dames relate l’émergence de la kleptomanie concomitante à la naissance des grands magasins. Une description magistrale qui questionne la nature même de ce « vol compulsif » : simple délit, maladie mentale ou produit d’un contexte social particulier ?
es maladies mentales existent-elles réellement ou sont-elles de pures créations culturelles ? Cette question est au cœur de la réflexion psychiatrique depuis les débuts de la discipline et n’a cessé de réémerger tout au long de son histoire. C’est ce qu’illustre l’exemple de la kleptomanie, un diagnostic indissociable des composantes médicales, juridiques, économiques et sociales qui l’ont vu naître et se développer au xix e siècle. Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’Émile Zola, fin observateur de son époque, ait su en capturer l’essence. Méticuleusement documenté, son roman Au Bonheur des Dames, publié en 1883, décrit l’ascension irrésistible des grands commerces et la naissance de ce qu’on appellera plus tard la société de consommation. Et si le terme « kleptomanie » n’apparaît pas dans l’ouvrage, un des personnages semble souffrir de cette étrange affection.
EN BREF £ Dans ce roman de Zola, Madame Boves éprouve un besoin irrésistible de voler à l’étalage. £ Les psychiatres se sont longtemps interrogés sur la nature de la kleptomanie, non sans un certain nombre de préjugés sexistes et sociaux. £ Les psychiatres se sont longtemps interrogés sur la nature de la kleptomanie, non sans un certain nombre de préjugés sexistes et sociaux.
N° 116 - Décembre 2019
L’intrigue porte sur les relations entre Octave Mouret, le jeune patron de l’enseigne ayant donné son nom au roman, et Denise Baudu, jeune et pauvre provinciale qui cherche sa place dans ce nouvel univers compétitif et cruel. Mais les personnages servent surtout de prétexte pour composer le tableau de cette nouvelle ère. Tous sont affectés par la montée en puissance de ce magasin monumental avec l’immense et insatiable foule qui s’y presse, la lente érosion du petit commerce qui l’accompagne, et les nouveaux types de relations personnelles et professionnelles qui s’y jouent. De la modeste employée aux politiciens et promoteurs immobiliers, tous semblent pris d’une étrange fièvre, une folie qui « détraque les nerfs » et altère les comportements. C’est dans ce portrait incisif de la « modernité », situé par Zola dans les années 1860, qu’intervient la kleptomanie. Dans une discussion avec un
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À retrouver dans ce numéro
p. 64
CRÉTINISME
Au cours de sa vie, un jeune de 12 ans a perdu en moyenne 2 500 heures d’échanges avec sa famille en interagissant avec des écrans. Une durée qui équivaut à trois années scolaires… p. 11
HYPERSTRIATUM
Cette zone du cerveau des oiseaux contient les codes neuronaux pour apprendre à chanter. En « hackant » ce code, des chercheurs parviennent à faire chanter des oiseaux avec des impulsions laser. p. 29
p. 94
MAGASINITE
Au xixe siècle, les médecins décrivaient des cas de « vol absurde », car commis par des personnes (le plus souvent des femmes) aisées, dans les grands magasins, alors en plein essor. Sous la plume des psychiatres, la « magasinite » devint « klopémanie », puis « kleptomanie »…
HOMME-LOUP
« Le réveil de structures cérébrales ancestrales expliquerait pourquoi on se sent devenir loup – ou un autre animal – dans les états de transe. » Steven Laureys, neurologue.
p. 14
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p. 58
de temps de vie en plus pour les personnes au caractère le plus optimiste, par rapport aux plus pessimistes.
p. 74
PARANOÏA
Les situations d’ambivalence informationnelle (scandales sanitaires, notamment), où l’on manque d’informations précises, frustreraient le besoin de sens de notre cerveau. Nous serions alors particulièrement attirés par les théories conspirationnistes, qui expliquent tout par des causes cachées.
EFFET HALO
Nous avons tendance à juger les personnes physiquement attrayantes comme étant également plus cordiales, plus fortes et courageuses. C’est l’effet halo : on se base sur une qualité observable pour en déduire que la personne a d’autres atouts que l’on ne voit pas encore…
p. 38
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écoles en France pratiquent l’enseignement Montessori. Il s’agit principalement d’établissements privés, de cycle élémentaire ou primaire.
Imprimé en France – Roto Aisne (02) – Dépôt légal décembre 2019 – N° d’édition : M0760116-01 – Commission paritaire : 0723 K 83412 – Distribution Presstalis – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur : 240746 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot