Cerveau & Psycho
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À QUOI PENSENT NOS ANIMAUX ?
Quand la science nous fait voir le monde à travers leurs yeux
Janvier 2020
N°117
N° 117 Janvier 2020
PEUT-ON FAIRE UNE CRISE D’ÉPILEPSIE DEVANT SON ÉCRAN ?
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À QUOI PENSENT NOS ANIMAUX ? Quand la science Testez votre esprit critique P. 64
nous fait voir le monde à travers leurs yeux
NEUROSCIENCES COMMENT NOTRE CERVEAU ENGENDRE LA PENSÉE
ÉCOLE NE PLUS ÊTRE FATIGUÉ EN CLASSE, C’EST POSSIBLE ANDROPAUSE QUAND LA TESTOSTÉRONE VIENT À MANQUER D : 10 €, BEL : 8,5 €, CAN : 11,99 CAD, DOM/S : 8,5 €, LUX : 8,5 €, MAR : 90 MAD, TOM : 1 170 XPF, PORT. CONT. : 8,5 €, TUN : 7,8 TND, CH : 15 CHF
BRAINCAST La voix des neurones Le podcast de Cerveau & Psycho
en partenariat avec l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière
www.cerveauetpsycho.fr/sr/braincast/ | À partir du 2 décembre 2019 |
e d o s i p 1 é d i g A s e v Y r P e l c ave Neurologue et chercheur er
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ien Bo t s a b é S r pa interviewé
en neurosciences, spécialiste des maladies neurodégénératives
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N° 117
NOS CONTRIBUTEURS
ÉDITORIAL
p. 18-27
SÉBASTIEN BOHLER
Danielle S. Bassett
Neuroscientifique et professeuse de physique et d’astronomie à l’université de Pennsylvanie, elle s’intéresse aux structures et aux fonctions des réseaux en général, et des réseaux neuronaux en particulier.
p. 42-49
Claude Béata
Psychiatre vétérinaire, membre du Collège européen de médecine vétérinaire comportementale et spécialiste de l’attachement, il étudie les émotions et capacités cognitives complexes des animaux de compagnie.
p. 50-55
Fabienne Delfour
Éthologue associée au laboratoire d’éthologie expérimentale et comparée de l’université Paris 13, elle étudie les capacités cognitives et les traits de personnalité des animaux, tel l’optimisme, notamment chez les cétacés.
p. 64-70
Nicolas Gauvrit
Chercheur en sciences cognitives à l’École pratique des hautes études, à Paris, il étudie les ressorts psychologiques de l’esprit critique, et notamment la différence entre cette capacité et l’intelligence pure.
Rédacteur en chef
Métaphysique des hubs
Q
uelles sont les questions les plus fondamentales que se pose un être humain ? Comment est né l’univers ? D’où vient notre capacité de penser ? Mon chat m’aime-t-il ou veut-il juste des croquettes ? Nous n’allons pas répondre à la première de ces trois questions. En revanche, nous allons répondre en partie à la seconde, ce qui réglera (vous vous demandez certainement comment) la dernière. D’où vient la pensée ? À cette question, la théorie mathématique dite « des graphes » commence à répondre. Elle analyse les connexions des neurones de notre cerveau en repérant des groupes de neurones reliés par des câbles, qui se rencontrent en des nœuds. Et les plus importants de ces nœuds sont appelés « hubs ». Chaque hub centralise une fonction cognitive (parler, manger, marcher, se souvenir). Il est en outre connecté à d’autres hubs de telle sorte que les fonctions cognitives peuvent collaborer et se synchroniser, donnant lieu à des comportements complexes, des raisonnements et une perception consciente du monde. Les hubs sont les pivots de notre esprit. Et les chats en ont aussi. Ils ont donc un esprit. Je vous avais dit que la question serait réglée. Avec des hubs, on a de l’émotion, de l’attachement, tout ce qu’il faut pour aimer et être aimé. Mais bon, il reste à savoir comment est né l’univers. £
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4
SOMMAIRE N° 117 JANVIER 2020
p. 14
p. 18
p. 28
p. 34
p. 41-62
Dossier
p. 6-38
p. 41
DÉCOUVERTES
À QUOI PENSENT NOS ANIMAUX ?
p. 6 ACTUALITÉS Comment notre microbiote contrôle notre cerveau L’acétate, mémoire de l’alcool Emballage bâclé, cadeau réussi ! Du cannabis contre le suicide Apprend-on vraiment de ses erreurs ? La pollution rétrécit-elle le cerveau des enfants ?
p. 28 CAS CLINIQUE
p. 14 FOCUS
la Joconde ? Pour Albert G., pourtant expert en la matière, c’est le trou noir.
Empathie, raisonnement, métacognition, conscience de la mort, sens de la justice : leur vision du monde est proche de la nôtre.
p. 34 MÉDECINE
Claude Béata
Les cellules tumorales formeraient des synapses avec les neurones
En se branchant sur les neurones, les cellules tumorales captent leur énergie et l’utilisent pour leur propre croissance. Andres Barria
p. 18 NEUROSCIENCES
LAURENT COHEN
Le commissaire-priseur p. 42 PSYCHOLOGIE ANIMALE qui oubliait le nom DANS LA TÊTE des peintres DE NOS COMPAGNONS Comment s’appelle cet artiste qui a peint
L’épilepsie au coin du supermarché
Certains motifs visuels, comme les codes-barres, provoquent des crises d’épilepsie chez des patients particulièrement sensibles à la lumière. Gianluca Liva et Marcello Turconi
Comment le cerveau crée la pensée
p. 50 INTERVIEW
SI UN CHIEN EST SENSIBLE, UN COCHON OU UNE VACHE AUSSI ! Fabienne Delfour
p. 54 INFOGRAPHIE
UN MONDE DE PERCEPTIONS
Une nouvelle science permet d’analyser la façon dont différents groupes de neurones forment nos pensées, émotions et souvenirs : les neurosciences des réseaux.
Anna von Hopffgarten et Yousun Koh
p. 56 ÉTHOLOGIE
UN ÉLEVAGE PLUS HUMAIN GRÂCE AUX SCIENCES COGNITIVES
Max Bertolero et Danielle S. Bassett
Ce numéro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho, jeté en cahier intérieur de toute la diffusion kiosque et posé sur toute la diffusion abonnés. En couverture : © Sonsedska Yuliia / Shutterstock.com
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Devant la « révolution cognitive » animale, il faut repenser les conditions d’élevage. Joachim Retzbach
5
p. 92
p. 64
p. 72
p. 76
p. 84 p. 90
p. 64-74
p. 76-91
ÉCLAIRAGES
VIE QUOTIDIENNE LIVRES
p. 64 PSYCHOLOGIE
p. 76 MÉDECINE
Pourquoi les gens intelligents croient parfois n’importe quoi Scientifiques brillants mais climatosceptiques, politiques futés mais superstitieux… Les sciences cognitives révèlent qu’on peut être intelligent mais dénué d’esprit critique. Éléonore Mariette et Nicolas Gauvrit
p.70 TEST
Mesurez votre esprit critique
Face à une information nouvelle ou étonnante, à quel point faites-vous spontanément preuve de recul ? p. 72 L’ENVERS DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL
YVES-ALEXANDRE THALMANN
Il est beau mon altruisme !
N’hésitez pas à faire connaître vos bonnes actions : elles auront plus d’impact sur la société.
p. 92-96
Le blues de l’andropause
Fatigue, bouffées de chaleur, humeur changeante : à partir de 40 ans, certains hommes voient apparaître des symptômes qui rappellent la ménopause. Janosch Deeg
p. 82 LA QUESTION DU MOIS
Pourquoi ne peut-on se chatouiller soi-même ? Rebecca Böhme
p. 84 L’ÉCOLE DES CERVEAUX JEAN-PHILIPPE LACHAUX
Moins fatigué en classe ? C’est possible ! La clé : économiser les fonctions cognitives les plus gourmandes en énergie cérébrale. p. 88 LES CLÉS DU COMPORTEMENT
Ce que nous disent les regards
Ressent-il quelque chose pour moi ou son intérêt est-il purement sexuel ? Est-elle en train de me mentir ? Une partie de la réponse se trouve dans ses yeux… Christian Wolf
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p. 92 SÉLECTION DE LIVRES Alzheimer Mieux dormir avec l’hypnose ! Jouir Quand la machine apprend Éduquer ses enfants comme un renard Notre cerveau p. 94 NEUROSCIENCES ET LITTÉRATURE SEBASTIAN DIEGUEZ
Cyrano : sommes-nous tous des cyranoïdes ?
Edmond Rostand avait imaginé un dispositif qui sera repris par le psychologue Stanley Milgram : mettre les paroles d’un individu dans la bouche d’un autre…
DÉCOUVERTES
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p. 14 Les cellules tumorales formeraient des synapses avec les neurones p. 18 Comment le cerveau crée la pensée p. 28 Le commissaire-priseur qui
Par la rédaction NUTRITION
Comment notre microbiote contrôle notre cerveau Les bactéries de notre intestin ont un impact sur l’expression de nos gènes, avec des répercussions sur notre fonctionnement cérébral. C. Chu et al., The microbiota regulate neuronal function and fear extinction learning, Nature, le 23 octobre 2019.
© Shutterstock.com/Kmarfu/LaGorda/Patinya/KravOK
L
’intestin et le cerveau communiquent de multiples façons. On sait notamment aujourd’hui qu’un microbiote intestinal « pauvre », résultat d’une perturbation des bactéries inoffensives qui peuplent nos intestins, est associé à diverses maladies mentales. Mais comment le microbiote influe-t-il sur l’activité neuronale ? Pour la première fois, l’équipe de Conor Liston et de David Artis, de l’université Cornell, à New York, a découvert un mécanisme par lequel le microbiote permet à des souris d’oublier leur peur. D’abord, les chercheurs ont conditionné des souris adultes à avoir peur d’un bruit précis (en l’associant à un choc électrique douloureux). Puis, ils leur ont fait entendre ce bruit de façon répétée sans l’associer au stimulus douloureux, de sorte que les souris voyaient leur peur s’estomper progressivement. Sauf celles à qui l’on avait donné préalablement des antibiotiques tuant leurs bactéries intestinales : celles-ci, devenues anxieuses, continuaient à avoir peur du bruit. Et il en était de même avec des souris « axéniques » (à l’intestin dépourvu de microorganismes car élevées dès la naissance dans un milieu stérile).
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oubliait le nom des peintres p. 34 L’épilepsie au coin du supermarché ÉPIGÉNÉTIQUE RETROUVEZ LA PAGE FACEBOOK DE CERVEAU & PSYCHO
L’acétate, mémoire de l’alcool P. Mews et al., Nature, le 23 octobre 2019.
LES SOURIS N’OUBLIENT PLUS LEUR PEUR Que se passait-il donc dans leur cortex préfrontal ? Pour le savoir, les chercheurs ont séquencé l’ARN (une molécule qui sert d’intermédiaire entre les gènes et les protéines fonctionnelles) des cellules du cortex préfrontal. Ils ont alors découvert que, chez les souris dépourvues de flore intestinale, les gènes des neurones excitateurs et de cellules immunitaires, les microglies, n’étaient plus transcrits en
ARN de la même façon que chez des souris normales. Le type d’ARN produits et leurs quantités étaient modifiés, ce qui provoque un déséquilibre dans la production des protéines soustendant le fonctionnement des différents organes, dont le cerveau. Finalement, les scientifiques ont étudié les métabolites issus du microbiote et montré que quatre d’entre eux sont beaucoup moins abondants chez les souris sans flore… Et quand ils restauraient le microbiote des souris, ces dernières parvenaient de nouveau à oublier leur peur et retrouvaient des taux normaux de ces métabolites. Le microbiote agit donc sur les cellules cérébrales en sécrétant des molécules dans le sang qui altéreraient le génome des microglies et l’activité cérébrale, provoquant une diminution de la plasticité cérébrale et l’apparition d’un trouble anxieux chez les souris. De nombreuses personnes atteintes de maladies auto-immunes, dans lesquelles le système de défense immunitaire se retourne contre les cellules du soi, comme les maladies inflammatoires de l’intestin, présentent souvent un microbiote intestinal « pauvre » et souffrent parallèlement d’anxiété ou de troubles de l’humeur. Il est donc probable que l’on ait identifié là les métabolites bactériens et les mécanismes qui expliquent en partie comment nos intestins et notre cerveau communiquent. £ Bénédicte Salthun-Lassalle
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V
ous avez probablement un certain nombre de souvenirs de moments partagés autour d’un verre de vin, entre amis ou en famille, à une soirée ou dans un bar. Une étude menée par l’équipe de Shelley Berger, de l’université de Pennsylvanie, suggère que l’alcool que vous avez consommé à ces occasions a directement contribué à graver ces scènes dans votre mémoire, via des mécanismes dits « épigénétiques » – c’est-àdire qui changent l’expression des gènes. Grâce à des expériences sur des souris, les chercheurs ont découvert qu’une molécule, l’acétate, produite par la dégradation de l’alcool pénètre jusqu’à certaines zones cérébrales et modifie les histones – les protéines sur lesquelles s’enroule l’ADN. Ce processus se déroule en particulier dans l’hippocampe, un centre de la mémoire, où il active des gènes essentiels aux apprentissages. « À notre connaissance, ces données constituent la première preuve empirique qu’une partie de l’acétate dérivé du métabolisme de l’alcool influence directement la régulation épigénétique dans le cerveau », déclare Shelley Berger. Le problème est que pour les anciens alcooliques, ce mécanisme se transforme en piège. En gravant des souvenirs de consommation dans leur cerveau, il leur fait courir un risque de rechute dès qu’ils croisent un élément associé à ces souvenirs – un bar, un ami avec qui ils ont bu un verre… Les chercheurs ont alors imaginé de neutraliser ce mécanisme, en réduisant au silence une enzyme nommée ACSS2, essentielle à son action. Les souris ainsi manipulées sont devenues incapables d’apprendre qu’un endroit donné était associé à une récompense alcoolisée… £ Guillaume Jacquemont
© Shutterstock.com/Incomible
Or ce mécanisme d’extinction de la peur dépend fortement de l’activité du cortex préfrontal médian, une région importante pour les fonctions exécutives, comme le contrôle des émotions et le raisonnement. Par une technique d’imagerie cérébrale dite « biphotonique », les chercheurs ont enregistré l’activité de cette région et visualisé l’apparition des épines dendritiques, des prolongements neuronaux qui interviennent dans la formation des points de connexions entre neurones, et qui se remodèlent lors des processus d’apprentissage et de mémorisation. Les résultats ont montré que les souris axéniques et celles traitées aux antibiotiques perdaient plus d’épines préexistantes et en gagnaient moins de nouvelles que celles non traitées. En outre, elles présentaient une plus faible activité corticale, preuve que leur incapacité à oublier la peur était due à une diminution de l’activité et du remodelage cérébral.
DÉCOUVERTES Actualités
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PSYCHOLOGIE
Emballage bâclé, cadeau réussi ! J. Rixom et al., Journal of Consumer Psychology, le 11 octobre 2019.
La lumière soigne la dépression
O
n sait depuis un certain temps que la luminothérapie aide à lutter contre la dépression saisonnière, liée à la perte d’ensoleillement durant les longs mois d’hiver. Mais son intérêt irait bien au-delà : elle serait bénéfique contre la dépression de façon générale, quel que soit le moment de l’année. Grâce à une
Ne poussez toutefois pas le zèle jusqu’à abandonner totalement le papier cadeau, car d’autres travaux montrent que votre présent serait alors moins bien reçu. Même sommaire, l’emballage a tendance à nous mettre de bonne humeur, en activant des souvenirs joyeux dans nos mémoires. Et attention : ces résultats ne sont valables que pour des cadeaux offerts à des proches. Une autre partie de l’étude a en effet révélé un effet inverse lorsque le destinataire est une simple connaissance : le cadeau est alors d’autant plus apprécié que l’emballage est soigné. Dans ce contexte, la qualité de la présentation est en effet interprétée comme un signe de l’importance que l’autre accorde à la relation, plus sujette à caution que s’il s’agit d’un ami. Un emballage soigné met alors le destinataire dans un état d’esprit positif, qui s’étend à son appréciation du cadeau. Si vous devez offrir un présent de convenance à un collègue ou un hôte lors d’une soirée, mieux vaut donc ne pas se contenter de l’envelopper dans un vieux sac plastique… £ G. J.
métaanalyse regroupant près de 400 patients, Pierre Geoffroy et ses collègues du CHU de Strasbourg ont montré que cette technique thérapeutique est aussi efficace que les antidépresseurs, et que la combinaison des deux a un effet encore supérieur. Elle agirait par divers moyens, notamment en améliorant le sommeil. Les chercheurs suggèrent de la proposer en traitement de première intention, seule ou en association avec des antidépresseurs. £ G. J.
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15 %
de baisse des scores de raisonnement moral chez les journalistes entre 2004 et 2017, aux États-Unis Source : Journalism Practice, 3 octobre 2019
© Shutterstock/Lim Yong Hian
A
près plusieurs semaines à écumer les magasins, vous avez enfin réuni la collection de cadeaux qui fera la joie de vos proches pour Noël. Mais il reste une étape : les emballer. Armé de jolis rubans et d’un papier orné de lutins facétieux, vous vous préparez à confectionner des amours de petits paquets… Erreur fatale ! Selon une étude réalisée par Jessica Rixom, de l’université du Nevada, et ses collègues, un emballage trop bien ficelé est contreproductif. Dans cette expérience, les participants ont reçu un paquet soigneusement emballé ou au contraire mal empaqueté, avant d’être interrogés sur ce qu’ils ont ressenti en découvrant son contenu. Ils devaient notamment indiquer leur satisfaction sur une échelle de 1 (« j’ai détesté ») à 9 (« j’ai adoré »). Résultat : un même présent était davantage apprécié quand l’emballage était négligé. Les questions complémentaires ont révélé que les participants s’attendent alors à un moins beau cadeau et éprouvent plus de joie, par effet de contraste, à sa découverte.
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PSYCHOLOGIE SOCIALE
Quand papa s’implique, maman s’épanouit ! Le destin se lit-il dans le nombril ?
L
es devins de l’Antiquité lisaient l’avenir dans les entrailles des animaux ; les biologistes modernes prédisent celui d’un enfant à partir de la composition de son cordon ombilical… La découverte des chercheurs des universités de Denver et Stanford fait frémir : en analysant la composition du cordon ombilical de 1 369 nouveau-nés, et en suivant l’évolution psychologique des enfants à l’âge de 5 ans, ils ont constaté que des taux élevés de lipides de très basse densité et de triglycérides dans le cordon, ainsi que des concentrations très basses de lipoprotéines à haute densité, étaient statistiquement associés à une faible régulation émotionnelle et des difficultés relationnelles. Reste à savoir comment ces lipides modulent la communication neuronale dans le cerveau. £ S. B.
Effet cocktail et hautes fréquences
© Fizkes/Shuttestock.com
Q
u’est-ce qui nous permet de suivre une conversation dans un environnement bruyant ? Des chercheurs de l’hôpital pour enfants de Cincinnati ont mis en évidence le rôle crucial des fréquences suraiguës du spectre sonore, au-dessus de 8 kilohertz, et jusqu’à 20 kilohertz. Ils ont fait écouter à de jeunes adultes des conversations dont ils avaient éliminé le spectre ultra-aigu, lequel n’est jamais pris en compte dans les tests d’audiométrie cliniques. Résultat : la capacité de discernement des auditeurs s’effondrait. Cette découverte est importante car l’usage immodéré des baladeurs et la fréquentation des concerts hypersonorisés endommagent en priorité les cellules de l’oreille sensibles à ces fréquences. £ S. B.
K. Preisner et al., Gender & Society, le 27 août 2019.
D
ans le modèle traditionnel occidental de la famille, le père travaille et la mère s’occupe seule des enfants. Or moins les normes sociales imposent ce modèle, plus la maternité est épanouissante. C’est la conclusion d’une étude menée par Klaus Preisner, de l’université de Zürich, et ses collègues. Les chercheurs ont analysé les données d’une série d’enquêtes menées en Allemagne auprès d’environ 18 000 femmes et 12 000 hommes, entre les années 1984 et 2015. Leur premier constat est que pendant une grande partie de cette période, les mères ont déclaré un moindre niveau de satisfaction générale dans la vie que les femmes sans enfant. Mais leur deuxième conclusion est que depuis quelques années, ce n’est plus le cas. « Le fossé du bonheur maternel s’est comblé », conclut Preisner. Des analyses statistiques complémentaires ont révélé un rôle de l’évolution des normes dominantes en matière de parentalité – de moins en moins de personnes déclarant par exemple que « c’est bien mieux pour tout le monde si l’homme est pleinement au travail et si la femme reste à la maison et s’occupe du ménage et des enfants ». Selon les chercheurs,
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cette évolution aurait deux conséquences favorables à l’épanouissement des femmes. D’une part, la pression sociale pour devenir mère est moins forte qu’avant ; moins de femmes se retrouvent alors dans la situation d’une maternité qu’elles n’ont pas réellement désirée. D’autre part, les pères sont de plus en plus prêts à s’impliquer dans les tâches parentales et il est davantage possible pour les femmes de mener de front carrière et vie familiale. L’étude indique aussi que la satisfaction des pères n’a pas baissé pour autant. Certes, ils ont plus d’obligations à la maison qu’avant, mais ils semblent s’épanouir dans cette parentalité en accord avec les valeurs du temps, et qui leur apporte une certaine reconnaissance publique. Une autre partie de l’explication mise en avant par les enquêtes, moins glorieuse, est qu’ils ont tendance à se concentrer sur les activités de loisir avec les enfants, laissant les femmes assumer la majorité des tâches de routine stressantes. Ils ont donc encore du chemin à faire. Bien sûr, ces résultats ont été obtenus en Allemagne et restent à confirmer pour la France. Mais ils confirment en tout cas l’intérêt de modèles sociaux moins rigides… £ G. J.
DÉCOUVERTES Focus
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ANDRES BARRIA
Chercheur au département de physiologie et de biophysique de l’université de Washington à Seattle.
MÉDECINE
Les cellules tumorales formeraient des synapses avec les neurones Cet interaction inédite entre cellules cancéreuses et neurones accélère la croissance et la létalité des tumeurs.
L
es personnes atteintes de tumeurs cérébrales présentent une gamme de symptômes dont la gravité varie, allant de maux de tête à un déclin des fonctions cognitives. Les symptômes dépendent du type de la tumeur, de sa taille, de son emplacement et de son rythme de croissance. Comprendre ce qui contrôle la vitesse de croissance des tumeurs cérébrales pourrait donc aider à mettre au point des traitements qui ralentissent la progression du cancer et améliorent la qualité de vie des patients. Dans une série d’articles publiés dans la revue Nature, trois équipes rapportent que, dans le cerveau, les cellules cancéreuses forment avec les neurones des connexions , ou synapses, et que ces dernières favorisent la croissance tumorale. Une synapse est une structure dans laquelle deux neurones adjacents communiquent en utilisant des molécules de neurotransmetteur, habituellement le glutamate. La
libération de glutamate par le neurone présynaptique active les récepteurs de glutamate, appelés récepteurs AMPA et récepteurs NMDA, sur le neurone post-synaptique. L’activation des récepteurs provoque le passage d’ions à travers la membrane cellulaire, ce qui produit une dépolarisation – une augmentation de la charge positive à l’intérieur du neurone post-synaptique, qui entraîne une excitation. D’autres types de cellules, les cellules gliales, entourent la synapse et régulent la transmission du signal en éliminant le neurotransmetteur libéré. Certaines cellules gliales affectent « l’excitabilité » du neurone en régulant la concentration des ions potassium à l’extérieur de la cellule. LE CANCER DU CERVEAU LE PLUS MEURTRIER Les cellules gliales peuvent donner naissance à un type de tumeur cérébrale appelée « gliome », qui est la principale cause de décès par
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cancer du cerveau aux États-Unis [c’est aussi le type de cancer du cerveau le plus fréquent en France, ndlr]. Une caractéristique commune à de nombreux types de gliomes est que leur croissance nécessite l’activité des cellules neuronales voisines, mais on ignorait pourquoi jusqu’à présent. Les cellules gliales saines forment des réseaux cellulaires interconnectés. En effet, des structures sur leur membrane, appelées « jonctions interstitielles », permettent aux molécules de signalisation, comme les ions calcium, de passer dans les cellules gliales voisines. Les gliomes forment également des réseaux cellulaires interconnectés par des jonctions interstitielles appelées microtubules tumoraux – de longues et fines protubérances de la membrane cellulaire qui s’étendent dans les tissus environnants et contribuent à l’infiltration et à la prolifération de la tumeur. Varun Venkataramani, de l’Institut d’anatomie et de biologie
© Rost9 / shuttestock.com
Les synapses connectent habituellement les neurones entre eux.
cellulaire de l’université de Heidelberg, et ses collègues ont examiné par microscopie électronique des microtubules tumoraux formés par des gliomes humains qui avaient été transplantés dans le cerveau de souris. Ils ont remarqué que ces microtubules présentent à leur extrémité un épaississement caractéristique des synapses excitatrices, appelé densité post-synaptique, où se trouvent habituellement les récepteurs du glutamate. Dans les neurones voisins, adjacents à ces densités post-synaptiques, les chercheurs ont observé des amas de vésicules stockant des neurotransmetteurs, ce qui est typique d’une région présynaptique. L’équipe de Humsa Venkatesh, du département de neurologie de l’université de Californie à Stanford, a également observé des structures synaptiques entre des cellules de gliome et des neurones. Les deux équipes ont montré que les gènes des récepteurs du glutamate et des composants structuraux
de la région post-synaptique sont exprimés dans une partie des cellules des gliomes humains, ce qui suggère que ces cellules exploitent les mêmes mécanismes moléculaires que les neurones pour établir des synapses. Pour déterminer si ces synapses entre cellules tumorales et neurones fonctionnent de la même manière que celles reliant les neurones entre eux, les deux groupes ont transplanté des cellules de gliome humain dans le cerveau de souris. La stimulation des neurones proches des cellules de gliome a provoqué une brève dépolarisation dans certaines de ces dernières ; dépolarisation caractéristique des synapses excitatrices et qui mettait en jeu les récepteurs AMPA. Fait intéressant, le type de récepteur AMPA exprimé dans ces cellules de gliome n’a pas les mêmes propriétés pharmacologiques que ses homologues neuronaux, ce qui en fait un candidat prometteur comme cible thérapeutique. Dans d’autres cellules de gliome, les
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biologistes ont observé un courant dépolarisant de longue durée qui s’amplifiait et se propageait à travers les jonctions interstitielles vers les cellules tumorales connectées. Ce courant prolongé n’était pas d’origine synaptique, mais semblait plutôt provenir de changements dans la concentration extracellulaire en ions potassium en raison de l’activité neuronale. La dépolarisation des cellules de gliome induite par l’activité neuronale a provoqué une élévation transitoire de la concentration d’ions calcium dans le cytoplasme, qui s’est ensuite propagée à travers le réseau des cellules de gliome. Une fréquence plus élevée de ces signaux de calcium était corrélée à une migration accrue de certaines cellules tumorales dans le réseau, ce qui suggère que la formation de synapses dans une cellule tumorale modifie les propriétés des autres cellules du réseau et accroît leur caractère invasif.
Illustration by Mark Ross Studios
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DÉCOUVERTES Neurosciences
Comment le cerveau crée la pensée Par Max Bertolero et Danielle S. Bassett.
L
es réseaux envahissent nos vies. Chaque jour, nous utilisons des réseaux complexes de routes, de voies ferrées, maritimes et aériennes, parcourues par des milliards d’engins en tout genre. L’existence de ces réseaux dépasse même notre expérience immédiate. Pensez au World Wide Web (ou Web), au réseau électrique, voire à l’Univers, dont la Voie lactée n’est qu’un minuscule nœud au sein d’un réseau quasi infini de galaxies. Mais peu de ces systèmes aux connexions multiples égalent celui qui se trouve sous notre crâne, à savoir le cerveau. Au cours des dernières années, les neurosciences ont pris une place de plus en plus importante dans notre société et de nombreuses personnes se sont familiarisées avec les images aux couleurs éclatantes qui montrent des régions du cerveau « s’illuminant » pendant une tâche mentale. Ainsi, les lobes temporaux, au niveau des oreilles, sont notamment impliqués dans la mémoire ; le lobe occipital, à l’arrière de la tête, se consacre surtout à la vision… Mais comment toutes
Tout ce que nous pensons, sentons ou désirons résulte de l’activité de dizaines de milliards de neurones dans notre cerveau. Mais qu’est-ce qui fait notre subjectivité et notre unicité ? Une nouvelle science progresse dans la résolution de cette énigme : les neurosciences des réseaux.
EN BREF £ Comment le cerveau donne-t-il naissance à notre esprit ? La théorie mathématique des graphes permet de répondre en partie à cette question. £ L’objectif est de comprendre comment les différents réseaux du cerveau s’entremêlent pour produire nos fonctions cérébrales, comme la vision, l’audition, et la maîtrise de soi. £ Il en résultera de meilleurs diagnostics et traitements des maladies mentales, comme la schizophrénie et la dépression.
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ces régions distinctes interagissent-elles pour donner naissance à notre subjectivité, notre personnalité et notre unicité en tant qu’êtres humains ? LE CERVEAU : DES SOMMETS ET DES ARÊTES ! Un certain nombre de laboratoires dans le monde, dont le nôtre, ont emprunté à une branche des mathématiques appelée théorie des graphes un langage qui permet d’analyser, de sonder et de prédire les interactions complexes du cerveau qui comblent le fossé apparemment immense entre l’activité électrique frénétique des neurones et un éventail de fonctions cognitives – par exemple sentir, se souvenir, prendre des décisions, apprendre une nouvelle compétence ou amorcer un mouvement. Ce nouveau domaine des neurosciences des réseaux repose sur l’idée selon laquelle certaines régions du cerveau ont des fonctions précises et bien définies. Fondamentalement, notre cerveau est un réseau tentaculaire de 100 milliards de neurones avec au moins 1 million de milliards de points de connexion, les synapses. C’est cela, selon
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© Loonger / GettyImages
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DÉCOUVERTES Cas clinique
LAURENT COHEN Professeur de neurologie à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière.
Le commissaire-priseur qui oubliait le nom des peintres Comment s’appelle cet artiste qui a peint la Joconde ? Pour Albert G., pourtant expert en la matière, c’est le trou noir. Au même moment, il oublie le nom du Premier ministre. Et les prénoms de ses petits enfants. Que se passe-t-il ?
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Êtes-vous perturbé en regardant cette image ? Peut-être faites-vous partie d’une catégorie spéciale d’épileptiques, ou êtes-vous simplement une personne photosensible chez qui ces motifs provoquent (rarement) des crises.
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DÉCOUVERTES Médecine
L’épilepsie au coin du supermarché Par Gianluca Liva, historien et journaliste scientifique à Udine, en Italie, et Marcello Turconi, neuroscientifique et spécialiste des sciences cognitives, à Trieste, en Italie.
Certains motifs visuels, comme les codes-barres, provoquent des crises d’épilepsie chez des patients particulièrement sensibles à la lumière. Et en perturbent beaucoup d’autres. Faut-il repenser certaines signalétiques de notre environnement quotidien ? N° 117 - Janvier 2020
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PSYCHONUTRITION CONNAÎTRE SON CERVEAU POUR MIEUX MANGER 10 dossiers rédigés par des chercheurs et des experts sur le sujet
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Les Thema sont une collection de hors-séries numériques. Chaque numéro contient une sélection des meilleurs articles publiés dans Cerveau & psycho sur une thématique.
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Dossier 41
SOMMAIRE
p. 42 Dans la tête de nos compagnons p. 50 Interview Si un chien est sensible, un cochon ou une vache aussi ! p. 56 Un élevage plus humain grâce aux sciences cognitives
À QUOI PENSENT
NOS ANIMAUX ?
« Parle et je te baptise », déclara
le cardinal de Polignac en voyant un orang-outan au Jardin des plantes, voici deux cents ans. Aujourd’hui, on s’aperçoit de la profondeur de ce questionnement. Que nous diraient les animaux s’ils pouvaient parler ? Ils confieraient des émotions, des envies, des pensées, des souvenirs. Mais comme ils sont dénués de parole, il nous faut recourir aux ruses de l’éthologie et d’une observation attentive pour reconstituer, à partir de leurs mimiques et de leurs comportements, ce qui se passe dans leur tête. On découvre alors un monde riche et foisonnant, certes différent du nôtre mais parfois étonnamment ressemblant. Ils éprouvent de l’empathie, raisonnent sur la meilleure façon d’obtenir de la nourriture, ressentent l’injustice ou la jalousie, sont optimistes ou pessimistes, selon leurs individualités. L’accumulation de ces connaissances rend de plus en plus artificiel le cloisonnement entre l’homme sujet et l’animal objet, celui qu’on peut posséder et manger. Elle remet en question les fondements de notre culture, pour qui l’animal devait être et rester une machine. Cette révolution, pouvons-nous seulement en imaginer les conséquences ? Sébastien Bohler
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Dossier
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DANS LA TÊTE DE NOS COMPAGNONS Les recherches de ces vingt-cinq dernières années ont bouleversé notre vision de l’animal : doués d’émotions complexes, de pensées, d’empathie et d’un sens de la justice, nos compagnons sont une source très riche d’intérêt pour qui veut bien les comprendre. Par Claude Béata, psychiatre vétérinaire, membre du Collège européen de médecine vétérinaire comportementale, et spécialiste de l’attachement.
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INTERVIEW
FABIENNE DELFOUR
FABIENNE DELFOUR EST ÉTHOLOGUE, ASSOCIÉE AU LABORATOIRE D’ÉTHOLOGIE EXPÉRIMENTALE ET COMPARÉE DE L’UNIVERSITÉ PARIS 13.
SI UN CHIEN EST SENSIBLE, UN COCHON OU UNE VACHE AUSSI ! Depuis quand se préoccupet-on de savoir ce que les animaux ont dans la tête ? Dans le domaine de la recherche scientifique, les choses se sont fortement accélérées depuis une vingtaine d’années. Après s’être principalement intéressés à la cognition de nos proches cousins les primates, les spécialistes du comportement animal ont commencé à étendre l’étude de la cognition et des émotions animales à plus d’espèces : chiens, chats, chevaux, moutons, perro-
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quets, corbeaux, pies, vaches, cochons, dauphins et orques, à vrai dire plus personne ne se risquerait aujourd’hui à dénier une vie mentale à ces animaux. Cela représente un changement important dans nos rapports avec eux. À quoi est dû ce changement ? Les connaissances sur ces questions ont tellement progressé… Sans que le grand public en soit nécessairement averti, les scientifiques accumulaient des données et approfondissaient leur compréhension des comportements animaux. Puis, il y a quelques années, on a vu une bascule rapide : en peu de temps, les gens se sont interrogés sur la légitimité de consommer des animaux, en considérant qu’ils souffraient, avaient des émotions proches des nôtres, une intelligence, et même parfois un sens de la justice. Les médias ont provoqué un embrasement, avec la montée en épingle de forts antagonismes entre spécistes (ceux qui établissent une claire différence de nature entre animaux et humains) et antispécistes. Le véganisme, le scandale de l’élevage industriel et des conditions indignes d’abattage se sont mêlés au débat. Et pourtant, tous les propriétaires d’animaux de compagnie savent que ceux-ci ont leur caractère, leur sensibilité, leur intelligence… Effectivement, et cela montre que nous arrivons très bien à placer les limites de la subjectivité là où cela nous arrange. Dénier à une vache ou un cochon la capacité de penser et de souffrir peut paraître pour le moins arbitraire si on accorde ces facultés à un chat ou un chien. Et pourtant, nous le faisons par commodité, en nous référant à la vision de l’animal machine hérité du programme rationaliste occidental qui a commencé aux alentours du xvie siècle. Mais évidemment, il y avait un paradoxe : si la vache ou le cochon sont des machines insensibles, pourquoi un chat ne le serait-il pas ?
Les chats s’attachent aux humains : ils ne sont pas aussi distants qu’on le dit ! En fait, nous avons de l’empathie pour notre chat, et c’est ce qui fait la différence… C’est un élément important. La notion d’empathie a été de plus en plus présente dans nos sociétés au cours des dernières décennies, à la fois dans le discours public et dans les médias, avec l’intérêt pour la psychologie… Quand vous commencez à parler d’empathie, vous devenez plus sensible à la souffrance sous ses différentes formes, et les barrières artificielles vous semblent de plus en plus difficiles à maintenir en place. Est-ce que l’on s’aperçoit alors que ces animaux ne sont pas seulement des êtres d’agrément, mais qu’ils ont de vrais sentiments pour nous ? Bien sûr. Tout cela repose sur le potentiel d’attachement profond entre l’homme et l’animal. Du côté de l’homme, c’est évident. Les noms d’animaux arrivent parmi les cinquante premiers mots que prononce un enfant. En termes d’attachement, l’animal de compagnie vient juste après les membres de sa famille et ses amis proches. Nous sommes tous des êtres d’attachement, à la fois à l’égard de membres de notre espèce et vis-à-vis d’autres espèces. Les travaux du psychiatre anglais John Bowlby, puis de sa collègue Mary Ainsworth, ont montré qu’il existe des attachements sains et sécures, et d’autres plus instables et douloureux. Il s’agit du test dit de la situation étrange : l’enfant
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est séparé de sa mère, mis en présence d’une personne inconnue, puis sa mère revient et l’on observe alors le comportement de l’enfant. Si le processus d’attachement s’est bien mis en place dans les premiers mois et les premières années de la vie de l’enfant, celui-ci se sent réconforté et va spontanément vers sa mère. Pour d’autres, cette relation est dysfonctionnelle et le retour de la mère n’est pas le garant d’un réconfort. Or, ces schémas comportementaux s’observent aussi entre un animal et son maître ou sa maîtresse. Dans le couple chien-homme, dans une relation harmonieuse, le retour du maître est synonyme de réconfort ; mais dans d’autres binômes, la relation ne s’est pas établie sur de bonnes bases (par exemple, l’humain n’a pas répondu de façon fiable et régulière aux besoins de l’animal), et il n’y a plus de réconfort. Aujourd’hui, on peut même mesurer, dans ces différentes situations, les taux d’hormones de l’attachement comme l’ocytocine, qui intervient notamment dans les interactions sociales et la réduction de l’anxiété. On dit les chats peu enclins à l’attachement vis-à-vis d’un humain… Mais ce n’est pas vrai. Les chats ont aussi une relation d’attachement. Celle-ci est moins documentée que pour le chien parce qu’un chat est moins facile à soumettre à des processus expérimentaux. À la diffé-
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DOSSIER À QUOI PENSENT NOS ANIMAUX ?
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UN ÉLEVAGE PLUS HUMAIN GRÂCE AUX SCIENCES COGNITIVES
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Cochons joueurs, poules compatissantes, chèvres curieuses… Les animaux d’élevage ont des capacités mentales bien supérieures à ce qu’on a longtemps cru. À nous d’en tirer les conséquences… Par Joachim Retzbach, docteur en psychologie et journaliste scientifique.
EN BREF £ Ce n’est que récemment que les chercheurs se sont penchés sur les capacités cognitives des animaux d’élevage, qui se sont révélées très élaborées. £ D’un point de vue éthique, ces capacités obligent à les traiter avec plus de soin.
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£ Certaines méthodes d’« enrichissement cognitif » de leur environnement permettent alors d’améliorer leur bien-être, tout en diminuant le stress et les troubles du comportement dans les élevages.
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orsque Nicolle Müller traverse la rue avec Moritz, son colocataire animal, les automobilistes ont l’air surpris. Du moins ceux qui ne font que traverser le village de Mahlow, à la périphérie sud de Berlin, et qui n’ont jamais croisé les deux compères. Moritz est peut-être aussi gros qu’un bouledogue anglais, mais sa peau est rose pâle avec des poils blancs. C’est un cochon nain adulte. En Allemagne, beaucoup de téléspectateurs ont déjà vu Moritz, qui a participé à plusieurs émissions télévisées et figuré dans divers spots publicitaires. Avec le porcelet Paul, il est l’un des deux cochons qui vivent chez la dresseuse d’animaux Nicolle Müller, dont ils font la fierté. Müller a travaillé avec des représentants d’innombrables espèces, qu’elle a souvent élevés comme animaux de compagnie : des chiens, des coatis (sortes de ratons laveurs d’Amérique), des singes capucins… Si ces derniers passent pour de petits futés, ce ne sont pas eux qui ont le plus impressionné la dresseuse : « Moritz est l’animal le plus intelligent que j’aie jamais vu », déclare-t-elle.
ÉCLAIRAGES
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p. 64 Pourquoi les gens intelligents croient parfois n’importe quoi p. 72 Il est beau mon altruisme !
Pourquoi les gens intelligents croient parfois n’importe quoi Par Éléonore Mariette et Nicolas Gauvrit, chercheurs au laboratoire CHArt, à l’École pratique des hautes études, à Paris.
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oy Warren Spencer est un météorologue américain affilié à l’université d’Alabama. En 1991, la Nasa lui décerne une médaille pour son « travail scientifique exceptionnel ». De quoi imaginer qu’il s’agit d’une personne intelligente. Pourtant, il affirme que la communauté des climatologues se fourvoie à propos du réchauffement climatique, soutenant une thèse en contradiction flagrante avec les données scientifiques. En France, Claude Allègre et Vincent Courtillot, tous deux anciens directeurs de l’institut de physique du globe de Paris et membres de l’académie des sciences, ont adopté de semblables postures. Ils sont loin d’être les seuls dans leur cas : les exemples abondent, de personnes ayant brillamment réussi dans une profession intellectuelle et qui pourtant embrassent des croyances « décalées ». Luc Montagnier, Prix Nobel de médecine, décrie les vaccins contre toute raison
Certains climatosceptiques notoires ont eu un parcours scientifique brillant. Et nous connaissons tous des personnes très intelligentes, mais qui à un moment donné s’expriment de façon aberrante, voire ridicule, sur des sujets importants. Comment expliquer ce paradoxe ?
EN BREF £ Les personnes dotées d’un QI élevé ont tendance à avoir plus d’esprit critique que les autres, mais il existe de nombreuses exceptions. £ C’est que l’esprit critique dépend de nombreuses capacités cognitives, dont une partie ne sont pas mesurées par le QI, ainsi que d’éléments de personnalité. £ Certains de ces facteurs peuvent s’entraîner, ce qui favorise en outre la réussite personnelle et professionnelle.
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scientifique. François Mitterrand consultait une astrologue. Comment expliquer que ces individus d’une intelligence indéniable sombrent soudain dans l’irrationnel ? QU’EST-CE QUE L’INTELLIGENCE ? La réponse tient peut-être à la façon dont nous définissons et mesurons l’intelligence. Les meilleurs outils dont disposent les psychologues pour la quantifier sont les tests de quotient intellectuel, qui résument le fonctionnement mental d’une personne par un score – le célèbre QI. Ces tests prédisent remarquablement la réussite scolaire, académique et professionnelle, ainsi que bon nombre d’autres caractéristiques, comme des choix de vie plus sains. Ce qui indique qu’ils représentent plutôt une mesure fiable de l’intelligence. Mais ce qui compte pour éviter les sorties de route intellectuelles, ce n’est pas seulement l’intelligence elle-même, mais la résistance aux
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ÉCLAIRAGES L’envers du développement personnel
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YVES-ALEXANDRE THALMANN Professeur de psychologie au collège Saint-Michel et collaborateur scientifique à l’université de Fribourg, en Suisse.
Il est beau mon altruisme !
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’altruisme véritable doit forcément être désintéressé, pense-t-on. C’est un peu (beaucoup) sous-entendu par la tradition doloriste de la religion : ne lit-on pas dans l’Évangile selon Matthieu (6 :3), en rapport avec la charité « Quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta droite » ? Or, même dans ce cas, un doute légitime apparaît : si le geste de compassion invisible plaît à Dieu omniscient, n’y a-t-il pas un espoir inavoué de récompense, comme le précise l’évangéliste dans la suite du verset : « Et ton Père, qui voit en secret, te le revaudra » ? Est-il vraiment possible de conjuguer altruisme et désintérêt total ? Et si c’était
le cas, serait-ce pour autant judicieux de garder sous silence nos actes de charité ? À vrai dire, la science semble répondre par la négative à ces interrogations. ÊTRE ALTRUISTE, ÇA FAIT DU BIEN : ET ALORS ? Les neurosciences, rappelons-le, prennent pour cadre conceptuel la théorie de l’évolution : notre fonctionnement cérébral a été modelé pas des centaines de milliers d’années de sélection naturelle. Ce qui est utile pour la survie présente plus de chances d’être transmis aux générations suivantes. L’entraide, par exemple, possède une valeur de survie élevée dans un monde hostile. Il faut
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pouvoir compter sur les autres à certains moments, et le meilleur moyen d’obtenir leur aide est encore de se montrer soimême prévenant envers eux et de leur témoigner de la sollicitude. La mise en œuvre de cette programmation se traduit par un vécu plutôt agréable consacrant les actes de générosité. Le professeur Tal Ben-Shahar, connu pour avoir le premier offert des cours de bonheur à Harvard, ne martèlet-il pas : « Celui qui contribue au bienêtre d’autrui en tire tant de bénéfice personnel que, à mes yeux, il n’y a pas plus égoïste qu’un geste généreux. » Non seulement l’humeur est améliorée, mais aussi l’image de soi : les circuits de la
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Vous avez peur de mettre en avant vos actions altruistes pour ne pas avoir l’air prétentieux ? Erreur ! Cela incitera plutôt d’autres à se montrer généreux et profitera au plus grand nombre.
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récompense reçoivent une activation des plus plaisantes. Somme toute, on se fait du bien aussi à soi – bénéfice secondaire non négligeable – quand on fait du bien aux autres. Et c’est tant mieux, puisque cela renforce ces comportements en les rendant plus probables à l’avenir… Soit ! Faire du bien aux autres procure aussi, presque inévitablement, du bien-être à soi-même. Mais l’intention consciente, quant à elle, peut rester désintéressée. Ne confondons pas motivation et résultat ! Nous pouvons aider autrui uniquement en vue de lui rendre service… Nonobstant, nous voici sur le terrain glissant des motivations, dont les racines inconscientes sont toujours plus ramifiées que l’on imagine. Il y a toutefois une manière élégante de se dépêtrer de cette ambiguïté : cesser de porter
notre attention sur nous-mêmes pour nous intéresser à la finalité de la générosité. Dans cette optique, ce sont uniquement les effets qui importent. Mieux vaut un don d’un million d’euros motivé par un besoin de reconnaissance tout ce qu’il y a de plus égoïste qu’un don de dix euros purement désintéressé. Si vous en doutez, demandez leurs avis aux bénéficiaires…
L’entraide possède une valeur de survie élevée dans un monde hostile – surtout si elle est visible N° 117 - Janvier 2020
VIE QUOTIDIENNE Médecine
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Le blues de Par Janosch Deeg, journaliste scientifique à Heidelberg, en Allemagne.
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La controverse parmi les spécialistes repose en grande partie sur le fait qu’il n’existe pas de terme approprié pour décrire ce que les hommes vivent quand ils vieillissent, répond Frank Sommer, urologue à l’hôpital universitaire de Hambourg-Eppendorf, l’un des plus grands professeurs de santé masculine du monde. Car « la ménopause, poursuit-il, telle que nous la connaissons chez les femmes, n’existe pas chez eux. Néanmoins, ces derniers viennent me consulter avec des symptômes parfois très similaires, comme le manque d’entrain et de force, la fatigue, la perte de désir sexuel et d’autres encore ». Et la cause en est parfois, même s’il faut rester très prudent sur un éventuel diagnostic, un déséquilibre hormonal, comme chez les femmes.
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aisse de la libido, faiblesse musculaire, grande fatigue, troubles du sommeil, bouffées de chaleur, sautes d’humeur : il semble que de plus en plus d’hommes d’âge mûr souffrent de tels symptômes, d’après le nombre croissant de prescriptions de médicaments pour apaiser ces troubles. Des plaintes qui ne sont pas très éloignées de celles des femmes au moment de leur ménopause, cet état physiologique dû au changement de l’équilibre hormonal féminin qui survient généralement entre 45 et 55 ans. Les menstruations finissent par disparaître et les femmes ne peuvent plus concevoir. Qu’en est-il chez les hommes (qui peuvent avoir des enfants toute leur vie) ? Existe-t-il malgré tout une « andropause » ?
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l’andropause Fatigue, bouffées de chaleur, humeur changeante : à partir de 40 ans, certains hommes voient apparaître des symptômes qui rappellent la ménopause. Faut-il pour autant parler d’un syndrome d’andropause ?
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VIE QUOTIDIENNE L’école des cerveaux
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JEAN-PHILIPPE LACHAUX
Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.
Moins fatigué en classe ? C’est possible !
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Pour cela, les enfants peuvent repérer les fonctions cognitives les plus gourmandes en énergie cérébrale. Et les utiliser avec parcimonie.
’il arrive que les élèves ou les étudiants s’avachissent peu à peu sur leur table, les paupières tombantes et l’attention vacillante, ce n’est pas toujours à cause de la soirée de la veille. Personne ne le niera, une activité intellectuelle soutenue entraîne une forme de fatigue. Les raisons profondes en sont mal comprises, mais on commence à en percer les mécanismes – et à imaginer des solutions pour les contourner. Le simple fait de maintenir son attention sur un objet précis requiert un effort. Une tâche très utilisée en neurosciences le montre : les participants doivent regarder attentivement un nuage de points en mouvement et y
déceler un mouvement global vers la gauche ou la droite. Bien qu’ils aient en théorie intérêt à fixer le nuage le plus longtemps possible, afin d’arriver à la meilleure conclusion, la plupart d’entre eux répondent bien avant le délai maximum autorisé. Tout simplement parce que continuer à le fixer est associé à un coût cognitif, une fatigue qui n’est pas compensée par une augmentation suffisante de la probabilité de succès. LE CERVEAU GESTIONNAIRE Le cerveau humain, comme celui d’autres espèces, est donc très sensible aux sensations d’effort et de fatigue mentale, même minimes, qu’il interprète
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comme un prix à payer. Dans une logique neuroéconomique, il tente toujours de maximiser ses gains tout en minimisant le coût cognitif. Autrement dit, il recherche le meilleur rapport résultat/ fatigue (ou qualité/prix). Toutes les tâches ne sont pas aussi éprouvantes pour lui. En la matière, certaines « inégalités » – qui ne surprendront sans doute pas les profanes – intriguent les neuroscientifiques : même si la radio tourne depuis des heures, nous restons capables d’écouter un morceau de musique ; en revanche, enchaîner cinquante exercices de maths est en général au-dessus de nos forces. Pourtant, les processus cognitifs
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impliqués dans ces deux tâches ne sont pas fondamentalement différents en termes de mécanique neuronale…
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PAS UN PROBLÈME DE CARBURANT Alors, d’où vient cette fatigue ? Les neuroscientifiques ont d’abord pensé à un épuisement des réserves de glucose – le principal carburant du cerveau. Mais, problème : certaines régions du cortex peu sensibles à la fatigue, comme les aires sensorielles actives lors de l’écoute musicale, sont très consommatrices de glucose… Il faut donc chercher l’explication ailleurs. On sait que certaines fonctions cognitives sont particulièrement génératrices de fatigue. Il s’agit surtout des fonctions « exécutives » : la concentration, la mémoire de travail, la planification, l’inhibition… Elles ont en commun d’impliquer ce qu’on appelle un contrôle
cognitif, c’est-à-dire un contrôle volontaire exercé sur sa propre activité mentale. Les secrets de la fatigue résident alors probablement dans le fonctionnement des structures cérébrales impliquées dans ces fonctions. Au niveau anatomique, le contrôle cognitif est associé à des zones bien caractérisées, principalement situées dans le lobe frontal : le gyrus cingulaire antérieur, l’insula antérieure et le cortex préfrontal latéral. Ce serait donc elles qui sont à l’origine de la fatigue. On comprend encore mal comment et pourquoi, mais quelques études commencent à mettre en évidence des changements dans leur fonctionnement à mesure que le cerveau s’épuise. En analysant
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VIE QUOTIDIENNE Les clés du comportement
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Ce que nous disent
les regards Par Christian Wolf, philosophe et journaliste scientifique à Berlin.
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es yeux sont le miroir de l’âme », dit-on souvent. Ou encore : « Je le vois dans tes yeux. » C’est que la vue est le sens dominant dans notre espèce et que nous aimons nous plonger dans le regard des autres pour y interpréter leur comportement. Nous croyons par exemple y reconnaître le désir, la colère ou la joie. Selon le dicton, une image en dit parfois plus que mille mots ; les recherches en psychologie suggèrent que c’est aussi le cas des yeux. Ils sont par exemple susceptibles de trahir les menteurs. À condition de savoir décoder leur langage. En général, nous supposons qu’une personne qui ne dit pas la vérité fuit le regard de son interlocuteur, car elle se sent honteuse, coupable ou effrayée. Ce n’est pas tout à fait cela, selon Jeffrey Walczyk, psychologue à l’université technologique de Louisiane, à Ruston : quand les gens mentent, leurs yeux resteraient plutôt immobiles. Cela s’expliquerait par l’effort cognitif nécessaire : mentir est mentalement plus difficile que dire la vérité, car pour être convaincant, il faut inventer une histoire qui correspond à ce que l’autre sait déjà, sans se contredire. Or plus le menteur bouge les yeux,
Ressent-il quelque chose pour moi ou son intérêt est-il purement sexuel ? Est-elle en train de me mentir ? Quel genre de personne est-ce ? Autant de questions dont la réponse pourrait bien se trouver dans le regard de votre interlocuteur…
EN BREF £ Les psychologues lisent toutes sortes d’informations dans les mouvements des yeux – par exemple des indices d’un mensonge éventuel. £ Si notre interlocuteur nous considère comme un partenaire amoureux potentiel ou comme un ami platonique, cela se voit aussi dans son regard, car il observe alors des parties bien spécifiques de notre corps. £ Les mouvements oculaires trahissent même qui nous sommes : un logiciel a récemment réussi à prédire quatre des cinq caractéristiques clés de la personnalité grâce à eux.
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plus il reçoit d’informations visuelles, ce qui risque de le distraire. Il est donc plus logique qu’il garde le regard fixe, afin de se concentrer sur ses mensonges. Avec son équipe, Walczyk a testé son hypothèse dans une étude publiée en 2012. Les participants de son expérience ont visionné des vidéos de crimes ayant été réellement commis, avant d’être interrogés en tant que témoins oculaires. Certains d’entre eux avaient reçu la consigne de répondre sincèrement, tandis que les autres devaient au contraire mentir à l’enquêteur. Résultat : les menteurs ont non seulement répondu plus lentement, mais ils ont aussi effectué, comme prévu, moins de mouvements oculaires… Nos yeux peuvent aussi nous trahir par d’autres biais. Selon diverses études, nos pupilles auraient tendance à se dilater lorsque nous mentons. Cette fois, ce phénomène résulterait de l’intervention du système nerveux autonome, en particulier de sa composante dite « sympathique », qui stimule l’organisme dans les situations d’alerte ou de danger. L’attention et la tension augmentent alors, ce qui va de pair avec une dilatation des pupilles. Chez
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LIVRES Neurosciences et littérature
SEBASTIAN DIEGUEZ Chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’université de Fribourg, en Suisse.
Cyrano
Sommes-nous tous des cyranoïdes ? Si votre interlocuteur n’était qu’une marionnette répétant des mots qu’on lui souffle, vous en apercevriez-vous ? Certainement pas, révèle une expérience de psychologie menée par le fameux Stanley Milgram.
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a vie est parfois injuste : certains ont tout pour plaire – l’éloquence, la finesse, l’intelligence… –, sauf leur physique ; et d’autres ont la beauté de leur côté, mais pas l’esprit. Si seulement il existait un moyen de fusionner le meilleur de chacun, et d’en faire un être parfait ! Pur fantasme ? Voire... Cette idée a fait l’objet d’études expérimentales inédites à la fin des années 1970 et suscite un regain d’intérêt aujourd’hui, dans un monde toujours plus virtuel et connecté, qui chamboule notre conception de l’identité. Mais elle était déjà au cœur d’un des plus grands classiques du théâtre français, le Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand. Jouée pour la première fois en 1897, la pièce a connu un immense succès, qui ne s’est jamais démenti – soulignant à quel point le thème de l’hybridation des personnalités a toujours intrigué. L’histoire est bien connue. Cyrano, héros bravache, érudit, intègre et lyrique, n’ose avouer son amour à Roxane à cause d’un complexe physique
£ Dans une scène célèbre, Christian déclare sa flamme à Roxane sous son balcon, mais c’est en réalité Cyrano qui lui souffle ses mots. £ Cette scène a inspiré la création de « cyranoïdes », où un expérimentateur caché dicte ses répliques à un « médium » (via un micro), qui converse avec une tierce personne ignorant la supercherie. £ Les psychologues ont été surpris de voir à quel point nous nous laissons duper, ce qui remet en question la supposée unicité de la personnalité.
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qui lui fait perdre toute sa confiance : un énorme nez. « Quelle espérance pourrait bien me laisser cette protubérance !, se lamente-t-il, il m’interdit le rêve d’être aimé même par une laide, ce nez qui d’un quart d’heure en tous lieux me précède… » Quant à Roxane, elle est amoureuse de Christian, un jeune soldat au physique irréprochable, mais qui ne se sent pas à la hauteur des exigences intellectuelles de cette précieuse. « Je n’ose lui parler car je n’ai pas d’esprit », se morfond-il… Cyrano propose donc un marché au jeune homme : « Veux-tu me compléter et que je te complète ? » Ils allieront son « éloquence » au « charme physique et vainqueur » du jeune homme, faisant à eux deux « un héros de roman ». Le plan est arrêté : « Tu marcheras, j’irai dans l’ombre à ton côté : je serai ton esprit, tu seras ma beauté. » Cyrano se met alors à écrire des lettres d’amour à Roxane, parvenant ainsi à piquer son intérêt. Mais Christian en veut davantage et pense pouvoir arriver à ses fins sans l’aide de son complice. Il organise une rencontre, qui, hélas, tourne au
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À retrouver dans ce numéro
p. 86
DÉCOLLETÉ
Si un homme regarde plus souvent le décolleté d’une femme que ses yeux, c’est qu’il est plus intéressé par une liaison éphémère que par une relation romantique. On pouvait s’en douter : c’est maintenant confirmé scientifiquement. p. 42
JALOUSIE
Dans le cerveau d’un chien qui voit son maître donner à manger à un autre chien, les zones cérébrales qui s’activent sont les mêmes que dans le cerveau d’un humain éprouvant de la jalousie. p. 76
p. 14
SYNAPSE CANCÉREUSE
Les cellules cancéreuses des tumeurs les plus meurtrières du cerveau, les gliomes, établissent avec les neurones voisins des connexions ressemblant à des synapses. Une fois la connexion établie, l’activité électrique des neurones leur sert à diffuser des substances qui stimulent leur propre croissance.
ANDROPAUSE
« Des hommes viennent me consulter avec des symptômes qui évoquent la ménopause, comme le manque d’entrain, la fatigue, la perte de désir sexuel… » Frank Sommer, urologue à l’université de Hambourg
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des traumatisés consomment du cannabis. Cette drogue a chez eux des effets positifs, en réduisant le risque de dépression et de pensées suicidaires.
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4%
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HUB NEURAL
Un hub est un point de convergence des neurones au sein d’un module dévolu à une fonction cognitive précise (reconnaissance d’images, mouvement des doigts, langage). Les hubs de différents modules sont connectés les uns aux autres, permettant au cerveau de synchroniser les activités de ses différentes régions.
des épileptiques déclenchent des crises en regardant des motifs visuels périodiques, comme des éclairs lumineux dans une boîte de nuit. Une partie d’entre eux le font en voyant de simples barres noires et blanches juxtaposées, comme des codes-barres au supermarché.
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DOUBLE-CLIC
La chauve-souris émet un double-clic sonore au moment d’approcher sa proie. Elle obtient ainsi son image par réflexion des ondes acoustiques.
Imprimé en France – Maury imprimeur S. A. Malesherbes – Dépôt légal : janvier 2020 – N° d’édition : M0760117-01 – Commission paritaire : 0723 K 83412 – Distribution Presstalis – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur : 241391 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot