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N° 78 Janvier-Mars 2013
VENTS ET NUAGES La physique du ciel
POUR LA SCIENCE • DOSSIER N° 78 • JANVIER-MARS 2013
VENTS ET NUAGES
DOSSIER
La mousson africaine Le nuage, une éprouvette dans le ciel Anatomie d’une tornade Microbes dans l’atmosphère
Au
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D
u 16 janvier au 16 février, la galerie Ronchini, à Londres, accueillera les œuvres de l’artiste hollandais Berndnaut Smilde. Elles seront ensuite visibles à San Francisco jusqu’au 27 avril 2013. Auparavant, elles sont passées par Istanbul, Paris, La Haye… Quels sont ces travaux qui font le tour du monde ? Il s’agit de nuages, et plus précisément de photographies de nuages que l’artiste a créés dans une pièce, en contrôlant avec précision l’humidité, la luminosité et la température, le temps d’en « tirer le portrait ».
Le nez au vent et la tête dans les nuages Les météorologues et les climatologues envient B. Smilde et sa maîtrise d’objets que eux peinent à comprendre et à modéliser. Les nuages, avec les vents, sont pourtant au centre de leurs attentions, car ils sont les acteurs clefs de phénomènes à la fois locaux et globaux. Parmi les locaux, il y a le temps qu’il fera demain, mais aussi la prévision de manifestations extrêmes (tornades, orages, cyclones…) qui occasionnent pertes humaines et matérielles. L’enjeu est de taille ! Et il est peut-être encore plus grand pour les phénomènes globaux dès lors qu’ils concernent le climat à l’échelle de la planète et son évolution. En effet, les vents et les nuages, qui font eux aussi le tour du monde, sont modifiés par le réchauffement et, en retour, influent sur le climat, notamment en modérant l’augmentation des températures attendue. Élucider ces liens devient essentiel pour répondre à des questions cruciales. Par exemple, l’intensité et le nombre des cyclones croissent-ils à mesure que l’effet de serre est favorisé par les émissions anthropiques ? Liées ou non aux activités humaines, les perturbations climatiques sont déjà là (sécheresses, typhons, ouragans, inondations, crues...). Pour mieux s’y préparer, rien de mieux que de rester le nez au vent et la tête dans les nuages ! Loïc MANGIN
Toutes demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français ou francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents contenus dans la revue « Pour la Science », dans la revue « Scientific American », dans les livres édités par « Pour la Science » doivent être adressées par écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 8, rue Férou, 75278 Paris Cedex 06. © Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de représentation réservés pour tous les pays. La marque et le nom commercial « Scientific American » sont la propriété de Scientific American, Inc. Licence accordée à « Pour la Science S.A.R.L. ». En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris). La couverture : ©photobank.kiev.ua/shutterstock.com Ce numéro comporte un encart d’abonnement Pour la Science broché page 96 sur la totalité du tirage.
1
VENTS ET NUAGES La physique du ciel À tous les VENTS
8 14
NUAGES à l’horizon
La mousson sculpte les montagnes
44
La classification des nuages
Kip Hodges
50
Des auréoles colorées sur les nuages
La mousson ouest-africaine J.-P. LAFoRe, F. gUICHARd et R. RoeHRIg
20 22
eNTReTIeN AVeC Marie LoTHoN et Fabienne LoHoU
Les aérosols dans le vent o. BoUCHeR, N.HUNeeUs, A. BeNedeTTI et J.-J. MoRCReTTe
28
34 36
Moysés NUsseNzVeIg
56
Le brouillard : le mystère se dissipe
60
Les nuages : du local au global
Thierry BeRgoT J.-L. dUFResNe, P. FLAMANT et C. sTUBeNRAUCH
Les microbes de l’atmosphère
66
dale gRIFFIN, Christina KeLLogg Virginia gARRIsoN et eugene sHINN
eN IMAges Le bestiaire des nuages insolites
68
Pluie, neige, grêle... entre le ciel et la terre
eN IMAges Autant en emportent les vents La pollution, la pluie et le vent Brice BARReT
2
Luce LeBART
Joël van BAeLeN
74
Une bande de précipitations mouvante J. sACHs et C. MyHRVoLd VENTS ET NUAGES © PoUR LA sCIeNCe
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Avant-propos de Jean-Pierre CHALON N° 78 Janvier-Mars 2013
80
Le nuage : l’éprouvette du ciel M. LeRICHe, L. degUILLAUMe et N. CHAUMeRLIAC
Les DÉCHAÎNEMENTS du ciel
86
Sur la trace des ouragans anciens Kam-Biu LIU
90
Océans plus chauds, cyclones plus violents ? Kevin TReNBeRTH
96
Maîtriser les ouragans ? Ross HoFFMAN
102
La face cachée des orages É. BLANC et T. FARges
110
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Anatomie d’une tornade
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Thibaut MoNTMeRLe et olivier BoUsQUeT
116
Tornades : des alertes plus précoces ? Jane LUBCHeNCo et Jack HAyes
120
À LIRe eN PLUs
dossIeR N°78 / JANVIeR-MARs 2013 / © PoUR LA sCIeNCe
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Vents et nuages : des clefs du climat R
edoutés lorsqu’ils sont la source d’inondations, de chutes de grêle, de tornades, les nuages sont le plus souvent souhaités et attendus : ils fournissent la pluie nécessaire à l’agriculture et la neige qui constitue des réserves d’eau dans les montagnes. Mais ils ne se limitent pas à influer sur le temps qu’il fait, ils ont aussi un rôle essentiel sur le climat en contrôlant une partie des rayonnements reçus ou émis par la Terre et en réduisant les écarts de température entre l’équateur et les pôles. De fait, l’évolution des vents et des nuages selon le changement climatique attendu est un des problèmes auxquels s’intéresse le giec. L’étendue des nuages augmenterat-elle ? Limiteront-ils ou amplifieront-ils l’effet de serre ? Les tempêtes, les cyclones, les ouragans, les tornades seront-ils plus violents et plus fréquents ? À une époque où le changement climatique est une préoccupation majeure, un Dossier consacré aux vents et aux nuages ainsi qu’à leurs comportements dans un environnement en pleine mutation est opportun ! Dans l’atmosphère, vents et nuages sont indissociables. Pour qu’un nuage apparaisse, le vent doit soulever de grandes quantités d’air humide jusqu’à des altitudes où la vapeur d’eau se condense. Il doit aussi transporter des aérosols, des particules sur lesquelles se forment les gouttelettes et les cristaux de glace. De la nature de ces aérosols (nombre, taille…) dépendent les caractéristiques microphysiques des nuages et leur production, ou non, de précipitations sous forme de pluie, de neige, voire de grésil ou de grêle.
L’énergie mise en jeu dans les nuages est considérable. Dans un cumulonimbus porteur de grêle, la chaleur latente libérée en moins d’une heure par la vapeur d’eau qui se condense sous forme de gouttelettes alimenterait (si elle était récupérable) la France en énergie domestique pendant plus d’une semaine ! Les nuages et leur activité modifient notablement l’équilibre atmosphérique et contribuent à l’apparition de coups de vents parfois violents, telles les tempêtes qui accompagnent les cyclones tropicaux et les tornades dévastatrices qui sont parfois associées aux orages.
Un couple infernal Enfin, vents et nuages s’associent pour transporter une partie de l’énergie envoyée par le Soleil dans les régions intertropicales vers les latitudes tempérées et polaires sous forme d’énergie (cinétique et potentielle) et de chaleur. Le déséquilibre thermique naturel entre ces régions est réduit et elles sont plus favorables à l’installation de populations et au développement de leurs activités. Dans une première partie consacrée au vent, nous verrons comment ce dernier sculpte les montagnes, non seulement par érosion, mais aussi en influant sur la géologie via un soulèvement du manteau terrestre (voir La mousson sculpte les montagnes, par K. Hodges, page 8). Le vent érode les sols, transporte des polluants et modifie la qualité de l’air. Les
Shutterstock/Johannes Kornelius
Souvent associés à des événements locaux, les vents et les nuages participent également à la dynamique générale de l’atmosphère et influent sur le climat global de la Terre.
AVANT-PROPOS
Jean-Pierre Chalon est conseiller pour la communication scientifique à Météo-France.
particules transportées sont de deux types : les aérosols primaires (poussières désertiques, embruns marins, cendres volcaniques…) et les aérosols secondaires nés de transformations avec les gaz de l’atmosphère. Le vent ne connaît pas de frontière : il déplace chaque année, entre les continents, des centaines de millions de tonnes de sédiments, de polluants et de micro-organismes. Quels sont leurs effets sur le climat, sur la végétation et sur notre santé ? Ces questions font l’objet de nombreuses études (voir La mondialisation des poussières, par D. Griffin, page 28). Ces aérosols perturbent le climat, car ils absorbent une partie du rayonnement solaire et modifient sa propagation. L’augmentation de leur quantité, en refroidissant l’atmosphère, contrebalancerait en partie l’effet de serre et seraient donc plutôt bénéfiques. Mais leurs effets sur la qualité de l’air sont préoccupants. Ainsi, selon l’Organisation mondiale de la santé, les seuls aérosols soufrés seraient responsables chaque année de plusieurs centaines de décès prématurés et plus de deux millions de personnes meurent du fait de l’inhalation de particules fines entraînant cardiopathies, cancers du poumon, asthme… La prévision des tempêtes de poussière et des épisodes de mauvaise qualité de l’air est du ressort des services météorologiques et des associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (aasqa) qui collaborent au sein de la plateforme nationale Prev’Air et du projet européen macc (Monitoring Atmospheric Composition and Climate).
Pour anticiper au mieux les situations les plus critiques, des mesures plus précises des caractéristiques des aérosols sont nécessaires. Pour ce faire, on doit composer avec les prélèvements in situ qui ne fournissent pas une image complète de leur distribution dans l’atmosphère et les mesures par satellite qui restent trop imprécises quant à leurs propriétés (voir Les aérosols dans le vent, par O. Boucher, page 22). Dans ce domaine, les interactions des polluants, de la pluie et du vent jouent aussi un rôle important (voir La pollution, la pluie et le vent, par B. Barret, page 36). La deuxième partie dédiée aux nuages commence par rappeler l’épopée de la classification des nuages qui a conduit à la publication par l’Organisation météorologique mondiale (omm) d’un atlas international qui décrit les différents types de nuages (voir La classification des nuages, par L. Lebart, page 44) et l’ensemble des phénomènes associés tels les précipitations, les arcs-en-ciel, les éclairs…
Atténuateurs ou accélérateurs ? Même les phénomènes optiques connus depuis des siècles conservent parfois une part de leurs mystères. Ainsi, les gloires, ces auréoles colorées qui entourent les ombres projetées sur les nuages, ont mis l’optique géométrique en échec. Manifestation macroscopique d’effets quantiques, elles font l’objet de simulations numériques. La question est moins futile qu’il n’y paraît. L’absorption de la lumière par les gouttelettes de nuage joue un
Les aérosols dans le vent Fumée, sable, pollen, suie, particules soufrées... les aérosols, émis par diverses sources, ne connaissent pas les frontières et passent d’un continent à l’autre. Ce faisant, ils influent sur le climat et la météorologie.
Olivier BOucher et Nicolas huNeeus
travaillent au Laboratoire de météorologie dynamique, à l’Institut Pierre Simon Laplace (cnrs/umpc), à Paris.
Angela BeNedetti et J.-J. MOrcrette
travaillent au Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (cepmmt), à Reading, en Grande-Bretagne.
VENTS
D
u 5 au 9 mars 2010, les habitants des territoires de Stavropol et de Krasnodar, en Russie méridionale, ont eu la surprise de voir tomber de la neige... rose. Comment expliquer cette teinte ? Le Service fédéral russe pour l’hydrométéorologie et le suivi de l’environnement (Roshydromet) a révélé que la couleur résultait d’un phénomène naturel, la neige s’étant mélangée avec des particules de poussière et d’argile soulevées par une tempête de sable dans le Sahara, en Afrique du Nord. De telles chutes de neige rose s’étaient déjà produites en Russie en 2008 et 2009. Nous verrons que la France n’est pas épargnée par ce type de phénomène.
Ces poussières sont des d’aérosols, c’est-àdire des petites particules liquides ou solides en suspension dans l’air. C’est aussi le cas des embruns marins, de la fumée de feux de forêts, d’une tempête de sable ou encore d’une brume sèche telle qu’on peut en voir au-dessus des grandes villes ou des régions industrielles. Ces particules sont de petite taille, de quelques nanomètres à plusieurs dizaines de micromètres de diamètre. Cependant, lorsque ces particules sont en grande quantité dans l’atmosphère, comme dans les exemples précédents, elles donnent lieu à des phénomènes optiques que l’on peut observer. Les aérosols interagissent en effet avec la lumière de deux façons différentes : par diffusion, ils modifient la
Cette « photographie » des aérosols a été obtenue en combinant les observations de l’instrument satellitaire modis de la nasa avec les résultats du modèle du Centre européen des prévisions météorologiques à moyen terme (cepmmt). On distingue les poussières soulevées par les tempêtes (en rouge), les embruns marins emportés par les dépressions (en bleu), les fumées émises par les feux et les incendies (en vert) et la pollution industrielle particulaire due à la combustion des carburants fossiles (en blanc).
L’ESSENTIEL ➥➥ Les➥aérosols➥ sont➥des➥particules,➥ invisibles➥à➥l’œil➥nu,➥en➥ suspension➥dans➥l’air.
Simone Mantovani, Meteorological and Environmental Earth Observation,
➥➥ Selon➥leur➥taille➥ et➥leur➥couleur,➥elles➥ interagissent➥de➥façons➥ diverses➥avec➥la➥lumière. ➥➥ Ces➥particules➥ influent➥sur➥le➥climat,➥ et➥diminuent➥parfois➥ le➥réchauffement. ➥➥ Transportées➥par➥ le➥vent,➥leurs➥effets➥ se➥font➥sentir➥sur➥ de➥longues➥distances. ➥➥ Modèles➥et➥ satellites➥aident➥ à➥mieux➥comprendre➥ la➥dynamique➥ de➥ces➥aérosols.
Tornades : des alertes plus précoces ? Grâce à de nouveaux radars et satellites, il sera possible de mieux anticiper la formation des tornades.
Jane LUBCHENCO
dirige la noaa, l’organisme américain chargé de l’étude des océans et de l’atmosphère.
Jack HAYES
dirige le Service météorologique de la noaa.
L’ESSENTIEL ➥ De meilleures prévisions météorologiques permettront d’anticiper les tempêtes. ➥ Des nouvelles générations de radars et de satellites, complétées par des modèles numériques plus performants, surveilleront mieux les tornades. ➥ Grâce à ces progrès, on pourra prévenir les populations près d’une heure avant l’arrivée de la tornade.
DÉCHAÎNEMENTS
David Mayhew
A
u grondement assourdissant d’un orage succède un silence sinistre dans la ville de Joplin dans le Missouri. Puis, dans un hurlement, une gigantesque tornade émerge d’un ciel sombre. Des vents dépassant 320 kilomètres par heure entaillent la ville sur une bande d’un kilomètre de largeur et dix de longueur, détruisant écoles, entreprises, maisons... On déplore 160 victimes. Près de 20 minutes avant que la tornade ne frappe, ce dimanche 22 mai 2011, le Service météorologique américain avait émis un avertissement. L’alerte a été donnée plus tôt que d’habitude, mais ce fut insuffisant, car beaucoup d’habitants ignoraient ce qui allait se passer. La tornade de Joplin n’est qu’une parmi de nombreuses. Ainsi, aux États-Unis, il y eut plus de 750 tornades pour le seul mois d’avril 2011 ! Cette année là, les tornades ont fait près de 550 victimes. La facture matérielle, elle aussi, a été considérable. Les outils de prévision d’événements climatiques extrêmes ont beaucoup évolué ces dernières décennies. Mais c’est encore insuffisant. Les équipes de la noaa, l’organisme américain chargé de l’étude des océans et de l’atmosphère, veulent encore accroître la capacité des radars, des satellites et des supercalculateurs à anticiper les tornades, à prévoir les inondations et l’intensité des ouragans. Le but affiché est que, dans dix ans, la population soit avertie une heure avant que ne survienne, par exemple, une violente tornade. Les habitants auront ainsi le temps de se mettre à l’abri. Les tornades les plus meurtrières se forment rapidement et le radar est le principal instrument pour les détecter. Un radar fonctionne en émettant des ondes radio qui sont réfléchies par les particules présentes dans l’atmosphère, telles les gouttes d’eau, la glace, la poussière. En analysant la puissance du signal réfléchi et le temps écoulé entre l’émission et la réception de l’onde, les prévisionnistes peuvent localiser les précipitations et en évaluer l’intensité. Le radar Doppler mesure également le changement de fréquence du signal réfléchi, ce qui indique la vitesse et la direction du déplacement des précipitations. Grâce à ces informations, on détecte les mouvements de rotation à l’intérieur de l’orage qui annoncent la formation d’une tornade. En 1973, des météorologues de la noaa ont découvert le potentiel prédictif de ces informations en analysant les données provenant d’une tornade qui avait frappé Union City, dans l’Oklahoma. En observant un cumulonimbus – le type de nuage où naissent les tornades (voir Anatomie d’une tornade, par T. Montmerle, page 110) –, ils ont remarqué que le radar mesurait des vitesses horizontales de vent extrêmement fortes en direction du radar juste à côté de vitesses de vent aussi élevées dans le sens opposé. Après avoir associé le signal radar et l’emplacement de la tornade, ils les nommèrent signature tourbillonnaire des tornades (Tornado Vortex Signature). Ce critère est aujourd’hui le plus utilisé et reconnu pour évaluer la probabilité qu’une tornade soit déjà formée ou qu’elle soit en instance de se développer
dans un avenir proche. Ces données ont permis d’allonger le délai d’alerte d’environ trois minutes et demie en 1987 à 14 minutes aujourd’hui. Le radar Doppler a été perfectionné. L’une des améliorations est la double polarisation. Elle correspond à l’émission simultanée d’ondes électromagnétiques polarisées verticalement et horizontalement. Les prévisionnistes peuvent alors distinguer, avec plus de fiabilité, les types de précipitations. Bien que les gouttes de pluie et les grêlons aient parfois la même largeur (ils sont alors identiques sur les images transmises par le radar Doppler), la double polarisation montre qu’ils n’ont pas la même épaisseur. Distinguer les formes des particules réduit le nombre d’hypothèses que le météorologue doit faire pour interpréter les images radar.
Des radars aux satellites Les informations recueillies sur la taille et la forme des particules mettent aussi en évidence les petits débris charriés par le vent et dont la taille renseigne sur la force de l’orage. On peut alors détecter la formation d’une tornade, même lorsqu’elle n’est pas directement visible, par exemple la nuit. Un autre type de radar améliorerait les prévisions météorologiques, ce sont les radars tridimensionnels à balayage électronique. Les radars Doppler actuels ne sondent qu’une seule direction à la fois, qui correspond à une petite zone du ciel. Balayer l’ensemble de l’atmosphère nécessite plusieurs rotations, avec un angle d’inclinaison variable, ce qui, dans des conditions climatiques difficiles, prend quatre à six minutes. En revanche, les radars tridimensionnels à balayage électronique émettent plusieurs faisceaux simultanément selon différents angles, ce qui réduit la durée de balayage à moins d’une minute. Les météorologues pourraient alors détecter des évolutions rapides à l’intérieur de l’orage et déceler plus vite les changements qui conduisent aux tornades. Selon certains, grâce aux radars tridimensionnels à balayage électronique, le délai d’alerte dépassera 18 minutes. Cependant, on doit encore améliorer le dispositif. L’idéal serait d’équiper le système tridimensionnel à balayage électronique de façon à ce qu’il émette et reçoive des ondes radio selon les quatre points cardinaux : le radar fournirait alors une vue à 360 degrés de l’atmosphère. Aujourd’hui, pour la surveillance météorologique, on ne dispose que de systèmes à direction unique. Autre frein, les radars ont une portée limitée : par exemple, leurs ondes ne peuvent atteindre les régions au large des côtes, où les ouragans se forment. Dans ce cas, Les informations des radars sont complétées par celles des satellites. Le rôle de ces derniers est déterminant lorsqu’il s’agit de lancer des bulletins d’alerte plusieurs jours à l’avance. Afin d’améliorer la collecte de ces renseignements, de nouveaux satellites seront déployés dans les prochaines années. 117
Sur la trace des ouragans anciens En analysant les sédiments prélevés dans des lacs côtiers, les géologues parviennent à déterminer l’occurrence de cyclones catastrophiques au cours des derniers siècles et millénaires.
Kam-Biu Liu
est professeur d’océanographie et de science du littoral à l’Université d’État de la Louisiane, à Baton Rouge (États-Unis). Nous remercions la revue American Scientist de nous avoir autorisés à publier cet article.
LoRsqU’Un cycLonE atteint le littoral, les vents violents et les vagues peuvent emporter de grandes quantités de sable au-delà des plages et des dunes côtières. ce sable se retrouve dans les sédiments de lacs côtiers, sous forme de couches dont la succession permet aux géologues de retracer le passé de l’activité cyclonique.
DÉCHAÎNEMENTS
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ugo en 1989, Andrew en 1992, Irene en 1999, Katrina en 2005, Sandy en 2012… Depuis 1851, plus de 285 ouragans ont frappé les côtes nord-américaines. Certains étaient peu violents, d’autres ont été meurtriers. Les compagnies d’assurances disposent de modèles pour calculer la probabilité qu’une ville donnée, par exemple la Nouvelle-Orléans, soit touchée par des ouragans de catégorie 1. Leurs prévisions sont fiables, car elles sont adossées à des données historiques : il y a eu un nombre suffisant d’ouragans de cette magnitude dans les 150 dernières années, période pour laquelle existent des mesures instrumentales, pour effectuer une calibration statistique. En revanche, quelle est la probabilité qu’un ouragan de catégorie 5 frappe cette même ville ? On ne peut répondre, parce qu’au cours des 150 dernières années, la Nouvelle-Orléans n’a jamais été touchée par un tel ouragan. Les deux plus intenses ouragans qui ont récemment frappé la Nouvelle-Orléans (Katrina et, en 1965, Betsy) étaient de catégorie 3 seulement au moment où ils ont atteint les terres. Les événements d’intensité supérieure sont si rares que les enregistrements historiques ne peuvent nous aider à se faire une idée de leur fréquence en un endroit donné. Cependant, à l’inverse des données historiques, les enregistrements géologiques couvrent des milliers d’années, et laissent espérer la découverte de traces de ces événements extrêmes et rares. Cette longue échelle de temps peut également révéler des variations temporelles de la fréquence des ouragans catastrophiques. En effet, l’activité des ouragans de l’Atlantique est cyclique : elle fut renforcée entre les années 1940 et 1960, puis à partir de 1995 et plutôt calme de 1970 à 1994. Toutefois, existe-t-il des variations à plus long terme, à l’échelle de siècles ou de millénaires ? Avec Miriam Fearn, nous avons voulu retrouver les traces géologiques des ouragans du passé en examinant les lacs côtiers situés derrière les barrières sableuses (par exemple des dunes). Notre hypothèse est la suivante : au moment où l’ouragan touche terre, les vagues et les vents sont suffisamment violents pour franchir la barrière et apporter du sable dans le lac, formant ce que les géologues nomment un cône de débordement le long de la rive du lac. Un cône de débordement ancien se présente sous la forme d’une couche de sable, distincte des fines boues organiques qui s’accumulent au fond d’un lac dans les conditions habituelles : elle devrait être plus épaisse du côté de l’océan et plus mince vers le centre du lac. Avec une série de carottes de sédiments prélevées dans un lac côtier bien situé, un géologue identifierait un certain nombre de couches de sable, correspondant chacune à un ouragan violent. L’âge de ces événements peut être déterminé par datation
DOSSIER N°78 / JANVIER-MARS 2013 / © POUR LA SCIENCE
au carbone 14 ou par d’autres techniques, telle la mesure du taux de plomb 210 radioactif. Ainsi, on établirait une chronologie des ouragans du passé en remontant plusieurs siècles ou millénaires dans le passé. La même stratégie peut révéler des paléocyclones dans des marécages côtiers, des marais salants peu profonds ou des mangroves sous les tropiques. Mais certains se sont interrogés : comment être sûr que le sable de ces carottes a bien été apporté des plages par les ouragans ?
Comme un ouragan…
L’ESSENTIEL ➥➥ Les➥ouragans➥violents➥ soulèvent➥le➥sable➥des➥ plages➥et➥le➥déposent➥ dans➥les➥lacs➥côtiers. ➥➥ Ce➥sable,➥piégé,➥est➥ visible➥dans➥les➥carottes➥ de➥sédiments➥prélevées➥ au➥fond➥de➥ces➥lacs. ➥➥ On➥retrace➥ainsi➥des➥ millénaires➥d’histoire➥ cyclonique➥où➥alternent➥ les➥périodes➥de➥forte➥ et➥de➥faible➥activité. ➥➥ Les➥incendies➥ et➥les➥chroniques➥ historiques➥aident➥à➥ ces➥reconstitutions.
Un examen attentif du sable et de la boue des carottes apporte la réponse. Les couches de sable se distinguent bien et ont des frontières nettes avec la boue organique lacustre. On en déduit que ces couches de sable ont été formées lors d’événements ponctuels, et non pas déposées régulièrement par les vents et les marées. La datation de certaines de ces couches de sable montre qu’elles se sont formées à plusieurs centaines d’années d’intervalle. Quel type de vent violent autre celui qui accompagne un puissant ouragan déposerait des couches de sable à quelques siècles d’intervalle ? D’autres ont proposé que le sable de ces carottes avait pu être acheminé par les rivières. Plusieurs indices ont invalidé cette idée. Ainsi, les couches de sable que nous avons mises au jour dans le lac Western, en Floride, par exemple, sont plus épaisses et plus nombreuses dans les carottes prélevées du côté de l’océan que dans celles du milieu du lac. Le sable provient donc bien des plages du front de mer. L’analyse des microfossiles contenus dans ces couches de sable confirme également cette provenance. Des géologues ont soupçonné qu’il y a 2 ou 3 000 ans, le niveau de la mer étant plus bas, la configuration du littoral devait être différente de celle d’aujourd’hui. Les lacs côtiers existaient-ils ? Étaient-ils suffisamment proches de la côte ? Bien que personne ne sache précisément où se trouvait le littoral à des époques aussi reculées, les carottes que nous avons prélevées montrent que les sédiments que contenaient ces lacs il y a 3 000 ans sont similaires à ceux qui s’y accumulent de nos jours. La démarche consistant à utiliser les données géologiques pour retracer les anciens cyclones a conduit au développement d’un nouveau domaine scientifique, la « paléotempestologie », terme forgé en 1996 par Kerry Emmanuel, de l’Institut de technologie du Massachusetts. Nous avons utilisé cette méthodologie pour retracer l’histoire des ouragans dans de nombreux sites du golfe du Mexique, de la côte atlantique des États-Unis et des Antilles. Un schéma commun se détache de quatre de ces sites, entre la Louisiane et la Floride : des ouragans catastrophiques ont frappé chacun d’eux 10 à 12 fois au cours des 3 800 dernières années, soit environ une fois tous les 300 à 350 ans. Ces 87
La logique, un aiguillon pour la pensée Jean-Paul Delahaye
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