Dossier Pour la Science n°94 - La saga de l'humanité - janvier 2017 - extrait

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QUAND L’HUMANITÉ A FAILLI DISPARAÎTRE

LES MOTEURS QUI A CACHÉS FABRIQUÉ DE NOTRE LES PREMIERS ÉVOLUTION OUTILS ?

Grand témoin : YVES COPPENS

ÉVOLUTION la saga de l’humanité

Une singulière histoire de 10 millions d’années

M 01930 - 94 - F: 7,50 E - RD

3’:HIKLTD=UU\ZUV:?k@a@j@e@k"; N° 94 Janvier-Mars 2017

BEL : 8.9 €-CAN : 12.5 CAD-DOM/S : 8.9 €-ESP : 8.5 €-GR: 8.5 €-LUX : 8.5 €-MAR :100 MAD-TOM /A : 2290 XPF-TOM /S :1260 XPF-PORT.CONT. : 8.5 €-CH : 16.2 CHF

DOSSIER POUR LA SCIENCE - ÉVOLUTION - PALÉONTOLOGIE - ANTHROPOLOGIE - LASCAUX

DOSSIER

SEDIBA ET NALEDI, DES FOSSILES TROUBLANTS

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Couverture : ©Illustration de Katy Wiedemann

Loïc MANGIN, rédacteur en chef adjoint

D

ans Effondrement, l’Américain Jared Diamond s’intéresse aux causes de la disparition des communautés humaines. Selon lui, elles sont de cinq types, parmi lesquels la dégradation environnementale, le changement climatique et les voisins hostiles. Ces phénomènes qui ont entraîné la perte des Polynésiens des îles Pitcairn, les Anasazis du sud-ouest des États-Unis, des Mayas d’Amérique centrale... peuvent-ils aussi être incriminés, à une tout autre échelle, à celle de nos cousins de la lignée humaine comme les australopithèques, les autres espèces du genre Homo et les autres rameaux ? Le parallèle est tentant et, de fait, on retrouve des similitudes. Ainsi, Australopithecus afarensis (Lucy) et Paranthropus boisei ne se seraient pas adaptés à un changement clima-

Lucy in the sky with (Jared) Diamond tique qui a modifié la végétation. De même, Homo neanderthalensis a été supplanté par Homo sapiens, une espèce plus conquérante. Ces épisodes s’inscrivent dans les 10 millions d’années de notre grande histoire, qui a commencé lorsque notre lignée s’est séparée de celle des chimpanzés. Depuis, les espèces se sont succédé, et elles constituent autant de chapitres de la saga de l’humanité (et autant d’articles dans ce Dossier) dont le dernier, celui que nous vivons, est en train de s’écrire. L’objectif de Jared Diamond était de nous inviter à tirer les leçons de l’histoire. Élargissons le cadre qu’il avait choisi et évitons de rejoindre Lucy in the sky... n


Sommaire

ÉVOLUTION

La saga de l’humanité 3

ÉDITO de Loïc Mangin

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REPÈRES

8

AVANT-PROPOS d’Yves Coppens

L’histoire de l’humanité racontée par les fossiles Une famille recomposée

16 Les ancêtres de nos ancêtres

Brigitte SENUT

L’histoire des hominidés plonge ses racines à l’époque où les lignées des singes et des humains étaient proches.

24 Notre grande famille

Bernard WOOD

Les nouveaux fossiles et la génétique ont compliqué la vision que l’on avait de l’évolution de l’homme.

30 La confusion des genres

Kate WONG

Les étonnants fossiles d’Australopithecus sediba relancent le débat sur l’origine du genre humain.

38

L’incroyable Homo naledi

Kate WONG Primitive et proche de nous, une espèce humaine agite le milieu des paléoanthropologues.

4

46

Les plus vieux outils du monde Sonia HARMAND Des outils vieux de 3,3 millions d’années ont été mis au jour au Kenya. Qui les a façonnés ?

Les moteurs de l’évolution

54 L’humanité façonnée par le climat

Peter de MENOCAL

Des changements climatiques en Afrique de l’Est ont influé sur l’évolution de la lignée humaine.

62 La monogamie,

un atout pour notre espèce

Blake EDGAR

Des travaux récents alimentent le débat sur l’émergence de la monogamie chez les humains.

66 Homo sapiens,

la plus invasive des espèces

Curtis MAREAN

La coopération et les armes de jet expliqueraient pourquoi notre espèce a investi la planète entière.

74

L’émergence de la coopération

Notre capacité à coopérer au sein de grands groupes sociaux a des racines évolutives anciennes.

Frans de WAAL

LA SAGA DE L’HUMANITÉ © POUR LA SCIENCE


Dossier Pour la Science N° 94 Janvier-Mars 2017

Avant-propos Yves COPPENS © Jay H. Matternes

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Le jour où l’humanité a failli disparaître

Constituez votre collection Dossier Pour la Science

Curtis MAREAN Le climat qui a suivi l’apparition d’Homo sapiens était rude. Seule une toute petite population a survécu.

Tous les numéros depuis 1996 sur www.pourlascience.fr

Une identité dynamique

86 Une espèce mosaïque

92

Michael HAMMER

Rendez-vous par Loïc Mangin

Nos ancêtres se sont métissés avec des espèces archaïques. Cette hybridation a contribué à notre succès.

110 Rebondissements

PORTFOLIO

Record de stabilité pour des qubits habillés ● Carrément dans une courbe ● L’origine du platine ● La communauté de l’anneau ● Attachement et bien-être

Le roman-photo de Lascaux IV

96

Les étranges structures de Bruniquel Jacques JAUBERT

Il y a 180 000 ans, des stalagmites ont été empilées au fond d’une grotte. Le sens de ces tas nous échappe encore.

104 L’homme,

une évolution en marche John HAWKS Ces 30 000 dernières années, l’évolution de l’homme s’est accélérée. Et celle-ci n’est pas près de s’arrêter…

108

114 Données à voir Le cloud computing n’a rien de virtuel : il s’appuie sur des data centers. Où sont-ils ?

116 Les incontournables L’expo du moment, mais aussi des podcasts, des sites…

118 Spécimen Fulgore au point

120 Art et science Une série de photos rappelle que les conflits pour exploiter l’eau sont toujours d’actualité.

À LIRE EN PLUS

DOSSIER N°94 / JANVIER-MARS 2017 / © POUR LA SCIENCE

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Homo sapiens

Homo neanderthalensis Homo heidelbergensis

Homo naledi

Homo habilis

O

n a longtemps pensé que l’arbre phylogénétique humain n’avait que deux branches, l’une correspondant à Homo sapiens, l’autre à une espèce préhumaine aujourd’hui éteinte. Cette vision a changé avec l’accumulation de fossiles depuis quelques dizaines d’années et l’avènement de la paléogénétique. Désormais, on sait qu’Homo sapiens, avant qu’il ne s’impose partout sur la Terre, a été précédé et parfois accompagné par d’autres espèces préhumaines, réparties en plusieurs genres (ci-contre). Le genre Homo lui-même (en bleu) rassemble diverses espèces, aujourd’hui toutes éteintes à l’exception de la nôtre. Ce rameau humain est à rattacher à celui des Hominoïdes (ci-dessous), qui comprend outre les grands singes actuels (orangs-outans, gorilles, chimpanzés...) et les Hylobatidés (les gibbons et les siamangs) plusieurs espèces éteintes il y a plusieurs millions d’années. Précisons que cet arbre est débattu en quelques points. Par exemple, certains auteurs plaident pour le regroupement de l’ensemble des hominines (les diverses espèces d’australopithèques et d’homme) sous le genre Homo.

Homo rudolfensis

Hominoïdes Hominidés Homininés Hylobatidés

Siamang

Hominini

Gibbon

Orang-Outan

Gorille

Ouranopithecus Dryopithecus Proconsul

Sivapithecus

Orrorin tugenensis

Chimpanzé Hominines

10 Ma 15 Ma

Sahelanthropus tchadensis

20 Ma

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La saga de l'humanité © POUR LA SCIENCE


REPÈRES Aujourd’hui Homo floresiensis Homo erectus

1 million d’années (Ma) Australopithecus robustus

Paranthropus boisei

Australopithecus sediba

2 Ma Australopithecus garhi

Homo ergaster

Paranthropus aethiopicus

Kenyanthropus platyops Australopithecus africanus

3 Ma

Australopithecus afarensis Ardipithecus ramidus

Australopithecus anamensis 4 Ma

Ardipithecus kadabba

5 Ma

6 Ma

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Yves Coppens

L’histoire de l’humanité racontée par les fossiles En cinquante ans, depuis que la paléontologie de terrain a supplanté celle de cabinet, de nombreux fossiles ont redessiné une histoire foisonnante de l’humanité où le climat joue un rôle clé.

■■ Historiquement, comment voyait-on l’origine de l’homme ? Yves Coppens : Avant Darwin, en Europe, on se référait aux textes sacrés, à la Bible. On pensait que l’homme était nécessairement un être particulier détaché du monde animal et, c’est important, beau. Or c’est dans la vieille Europe chrétienne qu’ont été trouvés les premiers fossiles humains. Ce fut en l’occurrence en 1830, à Engis, près de Liège, en Belgique, puis en 1848, à Gibraltar. Dans les deux cas, il s’agissait de Néandertaliens, mais ils n’ont pas été inscrits dans la lignée humaine, puisqu’ils n’étaient pas beaux. En 1856 furent découverts dans la vallée de Neander, en Allemagne, les fossiles de ce qui allait devenir officiellement l’homme de Néandertal. Dès lors, on a commencé à imaginer que nos ancêtres n’avaient pas forcément la même tête que nous. « Malheureusement », en 1868, Louis Lartet met au jour les restes de l’homme de Cro-Magnon. Avec son grand front, son menton, ses pommettes réduites, il a tout de suite gagné le titre d’ancêtre de l’homme (ce n’est pas faux), celui dont on espérait l’existence, car il avait tout ce qu’il fallait pour être intelligent. Autre atout, il était français, puisque trouvé en Dordogne. En conséquence, Néandertal a été rejeté : c’est un délit de faciès ! Étonnamment, pour les pères de la théorie de l’évolution, tels Lamarck, Darwin… les fossiles n’avaient que peu d’intérêt au regard de la théorie. Or à cette époque on 8

supposait que l’ancêtre de l’homme devait être beau. En fin de compte, Cro-Magnon, c’est-à-dire Homo sapiens, est arrivé trop tôt, car il a validé cette idée. Elle s’est ancrée dans les esprits, même ceux des professionnels qui n’ont pas hésité à verser dans l’excès : Cro-Magnon avait toutes les qualités, tandis que Néandertal était une grosse brute. D’ailleurs, cette image commence à peine à changer. Il n’y a pas si longtemps, on se demandait encore s’il était doué de parole, c’est ridicule ! Mon patron, Camille Arambourg, a beaucoup fréquenté l’Afrique du Nord. Un jour, dans le Sahara, obligé d’attendre, il se met à l’ombre de l’avion qui vient de le transporter depuis Alger. Soudain, un pneu éclate, l’aile le blesse légèrement à la tête. De retour à Paris, à l’occasion d’une radiographie de son cou, ayant sur lui la description de l’homme de La Chapelle-aux-Saints, un Néandertalien, par Marcellin Boule, il ne peut que constater que ses vertèbres cervicales sont semblables à celles d’un affreux personnage très proche d’un chimpanzé ! ■■ Quand cette vision est-elle remise en cause ? Yves Coppens : Cela va prendre du temps. À la fin du xixe siècle, les idées sont figées. Pour preuve, en 1891, le Néerlandais Eugène Dubois met au jour l’homme de Java, un pithécanthrope. Il le décrit très bien et annonce qu’il a trouvé un préhumain encore plus préhumain que Néandertal. Hélas, ses idées ne cadraient pas avec les modèles en vigueur.

Une date charnière est 1924, quand Raymond Dart dégage en Afrique du Sud un petit crâne : c’est le premier Australopithèque. Mais cet enfant de Taung a la « tête à l’envers », car à cette époque, en Europe, on croit à l’homme de Piltdown. Ce fossile, qui est en fait une supercherie, est doté d’une grosse boîte crânienne et de dents de singe. Or le fossile de Dart a des dents très humaines et un tout petit crâne ! Le paléontologue n’est pas du tout pris au sérieux. Australien, il est victime de la condescendance des pontes des grands centres européens de la pensée, et il aggrave son cas en avertissant d’abord les médias. Comme c’est souvent le cas à cette époque, la description du crâne est parfaite, et on peut saluer la qualité des travaux de nos prédécesseurs, mais son interprétation paraît aujourd’hui insensée. Il a l’intuition géniale de voir dans son fossile un possible ancêtre de l’homme, mais il lui attribue des qualités exceptionnellement humaines, par exemple la fabrication d’outils ostéodontokératiques, c’est-à-dire en os, en dents et en corne. Néanmoins, les choses se mettent à évoluer. Les fossiles commencent à s’accumuler. En 1921, les premières traces de l’homme de Pékin ont été découvertes par le Suédois Johan Gunnar Andersson et son assistant, l’Autrichien Otto Zdansky sur le site de Zhoukoudian, en Chine. Il s’agit du Sinanthrope, désormais rattaché à Homo erectus, qui appuyait ce qui se dessinait progressivement depuis l’homme de Java. La saga de l'humanité © POUR LA SCIENCE


AVANT-PROPOS

Getty-images/Pool DEMANGE/MARCHI/Contributeur

l’individu en lui-même, pas le bout d’os que j’avais déniché. J’avais eu beaucoup de chance de le découvrir, en 1961, à peine un an après mon arrivée. Certes, Tchadanthropus n’a pas l’âge que j’espérais (j’y voyais un australopithèque alors qu’il est plutôt un Homo erectus), mais il est quand même mon premier fossile humain, celui qui m’a ouvert les portes. Louis Leakey avec qui j’étais très ami malgré la différence d’âge, Raymond Dart, Phillip Tobias… tous m’ont invité. Il a été mon passeport pour entrer dans la communauté des grands paléoanthropologues. J’ai tout de suite été promu au milieu de ces gens-là, porté par la vague qui naissait, je suis tombé au bon endroit au bon moment.

››  Bio express 1934 Naît à Vannes. 1961 Découvre Tchadanthropus uxoris,

1983 Élu à la chaire de paléoanthropologie et préhistoire au Collège de France.

à Yaho, au Tchad.

2002 Préside une commission qui élabore

1974 Codécouvre Lucy, un Australopithecus

la Charte de l’Environnement entrée dans la constitution française en 2005.

afarensis, en Éthiopie. Il a depuis signé ou cosigné cinq autres espèces d’hominines (Toumaï, Orrorin, Abel…).

■■ Le tournant coïncide-t-il avec l’importance que prend le travail de terrain ? Yves Coppens : À la fin de sa vie, le fondateur du Laboratoire de paléontologie des vertébrés et de paléontologie humaine de la Sorbonne, Jean Piveteau, qui n’aimait guère mes pérégrinations sur le terrain, m’a avoué qu’il distinguait deux types de paléontologues, ceux de cabinet et ceux de terrain. De fait, un virage a été pris quand j’ai moi-même commencé à prospecter, dans les années 1960. Mais le pionnier reste Louis Leakey. Il travaillait dans les gorges d’Olduvai, en Tanzanie, et en 1959, a découvert Zinjanthropus boisei, aujourd’hui nommé Australopithecus DOSSIER N°94 / JANVIER-MARS 2017 / © POUR LA SCIENCE

2016 Publie Des pastilles de préhistoire après une vingtaine d’autres livres.

boisei. C’était le crâne d’un jeune garçon de 16 ans vivant il y a 1,7 million d’années. À l’instar de Raymond Dart, Louis Leakey a osé se tourner vers les médias et a présenté sa découverte via National Geographic. Mais la période avait changé, et l’on a progressivement compris qu’on pouvait se tourner vers le public, d’ailleurs Zinjanthropus a eu beaucoup de succès. Ce fut un tournant. Après m’avoir décerné un de ses prix de la vocation, Marcel Bleustein m’a organisé une conférence de presse, en 1965, pour ma découverte de Tchadanthropus, au Tchad. Ça a été beaucoup critiqué, ma communauté scientifique a grincé des dents. D’un autre côté, les médias en redemandaient et voulaient toujours en savoir plus sur Tchadanthropus,

■■ Est-ce à ce moment-là que la vision de l’évolution humaine devient moins linéaire ? Yves Coppens : L’idée a été diffusée un peu plus tard en France par Pascal Picq et dans les milieux anglo-saxons par Bernard Wood. Toutefois, Henri Victor Vallois avait déjà écrit au milieu du xxe siècle que l’évolution humaine n’était sûrement pas un peuplier : elle devait être plus buissonnante. L’idée est donc ancienne, mais elle a été remise au goût du jour avec des éléments tangibles et confirmée dans les faits, par les fossiles humains. L’histoire est toujours la même : avec 3 fossiles, on peut faire une belle lignée bien droite ; avec 15 fossiles, on est un peu perdu. ; en revanche, avec 50, une organisation émerge, en rameaux, en embranchements… Plusieurs « grands fossiles » ont participé à cette évolution. L’un d’eux est celui que nous avons découvert en 1967, près de la rivière Omo, en Éthiopie, avec Camille Arambourg. Avec Australopithecus aethiopicus, notre fossile daté de 2,6 millions d’années, nous faisions un bond dans le temps après l’Australopithecus boisei de 1,7 million d’années de Louis Leakey. Camille Arambourg avait alors 82 ans et je ne le ménageais pas quand je conduisais la Land Rover dans la brousse. ■■ Puis vint Lucy ? Yves Coppens : J’ai collecté dans cet endroit près d’un millier de restes de fossiles humains, en une dizaine d’années. Pendant ce temps, Maurice Taïeb faisait sa thèse de géologie dans l’Afar, toujours en Éthiopie. Il est venu me voir avec un premier fossile, un bout d’éléphant, puis d’autres ont suivi, et nous avons alors décidé de monter une expédition pour explorer la formation Hadar. 9


En 1972, nous avons fondé l’International Afar Research Expedition (IARE), avec deux Américains, Donald Johanson et un autre qui nous quitta rapidement. Maurice Taïeb a refusé que le site soit réparti entre les équipes sous la forme de concessions. Les cofondateurs et codirecteurs sont donc restés ensemble, unis, même s’il y a eu un peu de compétition, chacun voulant tirer la couverture à soi, mais nous n’avons jamais sorti les fusils. Le premier morceau de Lucy a été ramassé par Tom Gray, un élève de Donald Johanson. À ce moment-là, éloigné du site de Lucy, je m’occupais d’un crâne de mammouth à poil ras. Néanmoins, nous l’avons décrit et publié ensemble, et nous en partagerons la paternité pour l’éternité. J’ai également exigé une publication à l’Académie des sciences, qui a donc eu le privilège d’annoncer en premier, avec des images, la découverte de Lucy. C’était en 1975, trois ans avant l’article en anglais cosigné avec Donald Johanson et Tim White, qui constitue l’acte de naissance d’Australopithecus afarensis, plus

52 os de son squelette (sur les 206 qu’il contient). C’était inédit. À partir de là, on a pu en dessiner la silhouette. Avec en outre un prénom, elle devenait tout d’un coup un personnage qu’on pouvait imaginer, ce qui fit d’elle l’emblème de l’origine de l’homme. C’est un peu usurpé, car depuis, on a découvert bien plus vieux, en l’occurrence Toumaï, qui a 7 millions d’années, et plus complet, avec Big Foot, un australopithèque sud-africain dont on a récupéré 204 os. Le plus important est le résultat des études menées sur les os de Lucy que j’avais distribués aux membres de mon équipe, dont Brigitte Senut. Ils ont montré qu’Australopithecus afarensis était à la fois bipède et arboricole ! En 2009, Tim White et ses collaborateurs ont publié onze articles sur Ardipithecus dans Science, où ils annoncent être les premiers à montrer qu’un homininé était bipède et arboricole. Ce n’était pas très honnête… Par hasard, nous étions peu après à Addis-Abeba pour un colloque. Lors de ma conférence, où il était au fond de la salle, je revendique notre antériorité (de trente ans)

l’Afar. L’examen au microscope électronique a révélé des marques dans lesquelles il a vu le témoignage d’une activité de boucherie. Lucy aurait donc mangé de la viande ! Elle vivait approximativement à la période où ont été taillés les outils en pierre que Sonia Harmand a récemment découverts. On peut donc s’interroger : les australopithèques avaient-ils des outils ? Difficile de répondre. Les traces de boucherie vont en ce sens, mais elles peuvent tout autant avoir été faites par des pierres naturellement tranchantes, sans qu’elles aient été taillées. ■■ Vos travaux ont aussi bousculé ce qu’on imaginait être l’histoire de l’homme. Yves Coppens : En effet, j’ai mis en évidence la corrélation entre l’homme et le climat. L’histoire est importante. Entre 1967 et 1976, je travaillais dans l’Obro, dans le sud de l’Éthiopie, sur des terrains âgés de 3 millions à 1 million d’années. En 1972, on fouillait aussi dans l’Afar, où l’on était au-delà de 3 millions d’années. De son côté, Louis

« En 1975, j’ai proposé d’établir en lien

entre les changements climatiques et l’histoire de l’homme. Mais cette idée m’a été pillée sans vergogne, et j’ai disparu de toute référence. » précisément de Johanson-White-Coppens Australopithecus afarensis 1978, du nom des trois paléontologues qui ont décrit l’espèce. La présence de Tim White est étonnante, car il travaillait alors en Tanzanie. Cependant, il avait trouvé des restes humains très comparables à ceux de l’Afar. On a réuni les deux découvertes en une seule et même espèce. On a, je crois, fait une erreur, mais c’est un autre sujet. L’ironie veut que la mandibule, l’os qui sert de marqueur d’espèce, vienne de Tanzanie, ce qui ne manque pas de saveur pour un afarensis, l’Afar étant en Éthiopie. ■■ Comment expliquer le succès de Lucy ? Yves Coppens : D’abord, on reculait un peu plus encore dans le temps. Après les 1,7 million d’années du Zinjanthropus boisei et les 2,6 millions d’années de l’Australopithecus aethiopicus, on passait à 3,2 millions d’années. Autre facteur de son succès, on a trouvé 10

et m’attends à des protestations. Eh bien pas du tout, il a acquiescé d’un signe de la main. Cette anecdote illustre bien l’esprit de notre communauté. L’aspect amical va de pair avec celui de la compétition. ■■ Lucy fait encore parler d’elle ? Yves Coppens : Certains ont prétendu qu’elle serait tombée d’un arbre. Cependant, des médecins légistes, notamment Philippe Charlier, se sont penchés sur le problème. Selon eux, la façon dont les os de Lucy sont brisés et leur répartition dans la coulée où ils ont été trouvés n’accréditent pas un tel scénario. Nous préparons actuellement une réponse à la revue Nature, qui a publié cette hypothèse. Quelques années auparavant, en 2011, un de mes élèves, l’Éthiopien Zeresenay Alemseged, avait étudié des os d’antilope qu’il avait trouvés avec les restes de Selam, un enfant Australopithecus afarensis qu’il avait mis au jour en 2000 à Dikika, dans

Leakey travaillait à Olduvai dans des couches d’environ 1,8 million d’années. Ses terrains étaient comparables aux miens, mais avec une lacune stratigraphique juste entre il y a 3 et 2 millions d’années. Or l’homme est apparu il y a environ 3 millions d’années, à la faveur d’un assèchement qui a transformé un environnement boisé en un paysage plus ouvert. Ainsi, sans le vouloir, j’étais dans la bonne tranche. Schématiquement, ce changement climatique favorise l’émergence du genre Homo par diverses adaptations : la denture évolue, car l’homme mange de plus en plus de viande, la tête se développe pour mieux échapper à la dent du prédateur… Toutes ces modifications qui ont une origine climatique ont fait l’homme. J’ai proposé ce lien, sur la « pointe des pieds » à la fois en français et en anglais, c’est-à-dire à l’Académie des sciences et lors d’un colloque en 1975. Personne ne m’a La saga de l'humanité © POUR LA SCIENCE


pris au sérieux, on criait au déterminisme, sauf un, un Américain, qui m’a félicité et a ensuite fait travailler ses étudiants sur cette hypothèse. Depuis, mes idées ont été pillées sans vergogne de l’autre côté de l’Atlantique, mon colloque n’est jamais cité et j’ai disparu de toute référence. J’avais appelé ça l’(H)omo event, l’Omo étant cette rivière éthiopienne au bord de laquelle nous travaillions.

■■ On peut donc esquisser une histoire de l’humanité ? Yves Coppens : Oui, l’ancêtre commun des hommes et des grands singes vivait en forêt. Je l’ai longtemps placé à il y a 8 millions d’années, mais je penche aujourd’hui plutôt pour 10. À ce moment-là, un premier rafraîchissement du climat éclaircit une partie du

Afrique du Sud aussi, je pense qu’Australopithecus africanus (de 3 à 2 millions d’années) a évolué vers Australopithecus sediba. Lee Berger veut en faire l’origine d’Homo erectus, mais je penche plutôt pour une fin de rameau. Australopithecus sediba est un Australopithecus africanus qui marche mieux, qui a une main plus efficace, mais qui a toujours une petite tête. Je ne vois pas de lien avec Homo, qui

« La découverte d’Abel, au Tchad, a notablement élargi ce qu’on appelait le Berceau de l’humanité : il n’était plus limité à l’Afrique de l’Est et devenait une large auréole autour de la forêt équatoriale. » ■■ Quels autres fossiles ont bousculé nos idées ? Yves Coppens : On peut citer ceux de Michel Brunet. En 1984, il vient me voir et me propose de tester mon scénario d’East Side Story, c’est-à-dire que le genre Homo était né en Afrique de l’Est. Avec notre soutien, il part alors au Cameroun en attendant que la situation politique lui permette d’entrer au Tchad. Notons qu’il est parti sur une idée, sans le point d’appui que peut donner une découverte, ce qui est courageux. C’est en 1994 qu’il met au jour Abel, le premier australopithèque à l’ouest de la vallée du Rift. Ce fut un vrai changement, car ce fossile de 3,5 millions d’années élargissait notablement ce qu’on appelait le berceau de l’humanité : il n’était plus limité à l’Afrique de l’Est. Il devenait une large auréole autour de la forêt équatoriale qui s’étend le long du golfe de Guinée. On peut imaginer qu’elle aille jusqu’au Sénégal du côté de l’Atlantique. Vers l’Est, elle passe par le Tchad, l’Éthiopie, le Kenya, la Tanzanie, le Malawi et descend vers l’Afrique du Sud. On doit aussi à Michel Brunet le plus ancien hominidé connu, Sahelanthropus tchadensis, dit Toumaï, daté de 7 millions d’années. Il a été découvert en 2001, un an après Orrorin tugenensis, âgé lui de 6 millions d’années et mis au jour par Brigitte Senut. Tous ont eu la gentillesse de m’associer à leurs trouvailles : je suis donc le « père » de Lucy, mais aussi le « parrain » de Toumaï, Orrorin, Abel… 12

paysage et donne naissance à l’Antarctique. Dans la forêt, qui reste dense et humide, se poursuit l’histoire des chimpanzés tandis que du côté qui s’ouvre se développent les préhumains. Là, ils adoptent la bipédie. Ils continuent de cueillir des fruits, mais, pour la première fois, ils commencent à manger des racines et des tubercules, ce que traduit l’épaississement de l’émail de leurs dents. C’est ce que montrent Ardipithecus, Orrorin et Toumaï. Plus tard, vers 3 millions d’années, c’est le second rafraîchissement d’où émergent le genre Homo et l’Arctique. ■■ Quel regard portez-vous sur les récentes découvertes en Afrique du Sud ? Yves Coppens : Australopithecus sediba (environ 1,8 million d’années), découvert par Lee Berger, confirme le fait que, à chaque changement climatique, la nature s’amuse : avec les mêmes éléments, elle fabrique des choses comparables, mais jamais semblables, elle bricole. Après ce changement climatique d’il y a 3 millions d’années, dans l’Afar, on trouve Australopithecus garhi (environ 2,6 millions d’années) : il a une grosse tête, un petit cerveau et de grosses dents. On trouve aussi Paranthropus aethiopicus (de 2,7 à 2,3 millions d’années) que j’ai décrit et Paranthropus boisei (de 2,4 millions à 1,2 million d’années). Tous deux ont aussi une grosse tête et de grosses dents. En Afrique du Sud, Paranthropus robustus (de 2,2 à 1 million d’années) leur ressemble, mais je crois qu’il n’a qu’un très lointain lien de parenté avec les précédents. Ce sont des réponses comparables, et néanmoins distinctes, à des conditions similaires. En

lui, de son côté, a « opté » pour le développement du cerveau. Quant à Homo naledi, autre trouvaille de Lee Berger, je ne sais pas trop quoi en penser. Le fait qu’on a trouvé beaucoup d’ossements n’est pas le signe d’un grand âge. On parle d’Homo erectus, c’est possible. Toujours est-il que c’est une découverte fantastique. Lee Berger est un sacré personnage, une sorte de cow-boy aux façons iconoclastes qui est arrivé en conquérant, mais il travaille bien. Quelle qu’en soit l’interprétation Australopithecus sediba est une découverte intéressante. Et Homo naledi est extraordinaire. Il a procédé de façon très logique et intelligente en repérant par des outils satellitaires, tel le lidar, les remplissages des grottes et des brèches qu’il a ensuite systématiquement explorées. Et puis, pour accéder à Homo naledi, il a eu une idée que je lui envie : il a recruté des minces jeunes filles ! ■■ Quelles grandes questions restent en suspens ? Yves Coppens : Il reste plein de petites lacunes à combler, par exemple, à quoi ressemblait l’ancêtre commun des humains et des chimpanzés. Mais, selon moi, la grande question est de savoir comment fonctionne l’évolution dans le détail. Ainsi, on découvre le rôle de l’environnement sur l’hérédité et de tous ces mécanismes épigénétiques. C’est un nouveau territoire à explorer. En fin de compte, cela nous renvoie aux liens de la Terre avec l’Univers. Nous sommes le résultat de la façon dont tourne notre planète autour du Soleil. Propos recueillis par Loïc MANGIN La saga de l'humanité © POUR LA SCIENCE


BenoĂŽt Clarys


Perdus au milieu d’une nature parfois hostile, ces australopithèques sont un des rameaux de la lignée des humains.

UNE FAMILLE RECOMPOSÉE Notre lignée, séparée de celle des chimpanzés il y a 10 millions d’années, est riche de nombreuses espèces aujourd’hui disparues dont la liste s’étoffe régulièrement. Laquelle a inventé les outils en pierre taillée ?


Les ancêtres de nos ancêtres L’histoire des hominidés plonge ses racines à une époque, le Miocène, où les lignées des grands singes et celle des humains n’étaient pas encore séparées. Le climat et la géographie ont façonné une diversité d’espèces dont a émergé, bien plus tard, la nôtre.

est professeure au département Histoire de la Terre, au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris.

L’ESSENTIEL • Au Miocène, il y a

entre 23 et 5,5 millions d’années, les hominidés bipèdes et les grands singes modernes ont fait leur apparition. • Les paléontologues

découvrent la riche diversité des espèces qui peuplaient l’Afrique et l’Eurasie à cette époque. • On comprend alors

mieux le creuset qui allait donner naissance à l’humanité. • Plusieurs scénarios

ont été élaborés pour expliquer l’émergence de la lignée de l’homme. • Tous font de

l’environnement et du climat des acteurs essentiels.

16

T

itinga Pacéré, un poète burkinabé, nous prodigue ce conseil : « Si la branche veut fleurir, qu’elle honore ses racines. » On peut tirer de ce vers un enseignement pour l’étude de l’émergence de la lignée humaine : elle doit se faire dans un contexte large plutôt que de se limiter à une simple comparaison des caractères anatomiques des fossiles humains, des hommes et des grands singes modernes. En d’autres termes, elle doit s’élargir à la recherche des ancêtres des gorilles et des chimpanzés, car toute information sur les uns renseignera sur les autres. Un portrait de famille doit inclure tous les cousins ! Toutefois, si les hominidés (ici les hommes actuels et leurs parents fossiles, que certains regroupent sous le nom d’hominines) anciens indiscutables, tels les australopithèques (4,2 millions à 1,2 million d’années environ) sont relativement bien connus, ce n’est pas le cas de leurs prédécesseurs. On peut avancer deux raisons à cela. La première tient au peu de restes encore mis au jour, notamment sur le continent africain. L’autre tient au fait que la plupart des chercheurs s’intéressant à l’homme ont occulté les périodes antérieures à celles qui avaient livré des hominidés. Du même coup, on n’avait pas de données sur les ancêtres de leurs proches cousins. Les questions que soulèvent ces derniers sont pourtant importantes. D’où viennent-ils ? Quelles conditions leur ont permis d’émerger ? Comment la bipédie humaine est-elle apparue ?

Bienvenue au Miocène ! Pour répondre, on doit se placer dans un cadre large et inclure l’étude des variations et de la diversité des espèces au cours du temps en tenant compte de la géographie et des environnements : ce lien entre biodiversité et géodiversité est primordial pour comprendre l’évolution des primates (et donc de l’homme) étroitement liée aux adaptations locomotrices, alimentaires, elles-mêmes en relation directe avec les changements d’environnement. Vers quelle période se tourner ? Le Miocène, qui s’étend de 23 à 5,5 millions d’années, est une fenêtre chronologique particulièrement intéressante, car c’est durant cette époque que les lignées de l’homme et celles des

© Marc DEVILLE/Gamma-Rapho via Getty Images)

Brigitte SENUT


❙ ❚ ■ PREMIERS PAS grands singes ont émergé. C’est également à cette époque que se sont produits des changements climatiques notables dont les effets sur les faunes et les flores ont été dramatiques. L’Afrique, centrée sur l’Équateur, a subi des changements majeurs au cours de cette période, avec d’importants déplacements des frontières biogéographiques, des distributions des flores et des répartitions des espèces. Ces changements climatiques ont entraîné une activité évolutive très importante, et ce spécialement au sein des mammifères, y compris les hominoïdes (les hommes et les grands singes, c’est-à-dire les orangs-outans, les gorilles, les chimpanzés, les gibbons…) et donc les hominidés qui nous intéressent ici.

Orrorin, un pionnier

LES COLLINES TUGEN, au Kenya, ont abrité pendant 6 millions d’années les restes d’Orrorin (Orrorin tugenensis), un hominidé bipède. Il a été découvert par l’équipe de Brigitte Senut (au premier plan).

En novembre 2000, près de vingt-cinq ans après la découverte de Lucy en Éthiopie, nous avons mis au jour les ossements fossiles du premier hominidé bipède du Miocène : Orrorin tugenensis, daté de 6 millions d’années. Ces dépôts de la formation de Lukeino, au Kenya, près du lac Baringo dans les collines Tugen, ont également livré une très riche faune et flore qui suggèrent un milieu arboré. Cette découverte bouleversait les idées qui avaient cours sur la dichotomie entre chimpanzé et homme. D’abord, elle était plus ancienne qu’on ne le pensait (au-delà de 6 millions d’années et non pas seulement à 4 ou 6 millions comme on le pensait) et avait eu lieu dans un milieu qui n’était pas une savane, mais était plus boisé. Ensuite, grâce à Orrorin, on apprenait d’une part, que la bipédie n’avait pas émergé en milieu ouvert et, d’autre part, que les ancêtres des hominidés ne ressemblaient pas au chimpanzé. L’effet le plus positif est que cette découverte a obligé d’autres équipes à rechercher des indices d’ancêtres des grands singes actuels et des hominidés dans des milieux plus anciens, remontant à plus de 5,5-6 millions d’années. Et de fait, on comble petit à petit cette lacune. Des hominidés potentiels de 7 à 6 millions d’années ont été signalés en Éthiopie, au Tchad et au Kenya. Par ailleurs, au cours des quinze dernières années, les premiers restes de grands singes fossiles de type gorille et chimpanzé ont été trouvés en Afrique (au Niger, en Éthiopie, au Kenya et peut-être au Tchad), alors que l’Asie a livré les premiers orangs-outans. Aujourd’hui, on fait remonter la divergence entre l’homme et ses proches cousins africains aux environs de 8 à 10 millions d’années, voire un peu plus. Malgré ces dernières avancées, certains doutent encore d’une origine de la lignée de l’homme aussi ancienne. Cela relève le plus souvent d’une méconnaissance des hominoïdes fossiles en raison d’une coupure entre l’étude de l’homme et de celle des grands singes fossiles, bien que leurs histoires soient intimement liées. Les grands singes de l’Ancien Monde vivent dans les milieux tropicaux, forestiers chauds plus ou moins humides. Cette diversité de milieux confère à ces grands singes une forte diversité anatomique et adaptative. Aujourd’hui restreints dans leur distribution africaine et asiatique et en voie d’extinction, leurs ancêtres du Miocène ont été bien plus largement répandus dans l’Ancien Monde, puisqu’on les a trouvés, au nord, jusqu’en Allemagne et, au sud, en Afrique australe. Le premier hominoïde reconnu, Dryopithecus fontani, a été découvert en 1856 à Saint-Gaudens, en Haute-Garonne, et décrit par le paléontologue Édouard Lartet. Les hominoïdes étaient très diversifiés (de la taille d’un petit gibbon jusqu’à celle d’un 17


Notre grande

FAMILLE

Les découvertes de nouveaux fossiles et la paléogénétique ont compliqué la vision que l’on se faisait de notre évolution. De linéaire, elle est devenue ramifiée. Et même touffue !

Q

uand j’ai commencé à étudier les plus est professeur anciennes formes préhuau département maines et humaines, à la fin des d’anthropologie de l’université années 1960, il était admis que George Washington, leurs fossiles étaient ceux de aux États-Unis. nos ancêtres. On pensait alors que, dans une vision linéaire de l’évolution, nécessairement progressive, plus un fossile préhumain était ancien, plus l’animal associé ressemblait à un grand singe. Rien n’est plus faux. Le registre fossile montre aujourd’hui que, à de nombreuses reprises dans le passé s’étendant de quatre millions à un million d’années, plusieurs espèces préhumaines et humaines ont foulé en même temps le sol de la planète. Par ailleurs, la génétique a prouvé que les ancêtres des hommes modernes cohabitaient avec d’autres espèces humaines, dont l’homme de Néandertal et celui de Denisova. Ainsi, il est certain aujourd’hui que notre lignée a souvent compté plus d’une branche simultanément, ce qui complique la recherche de nos ancêtres, et rend notre histoire évolutive plus riche. L’hésitation qu’éprouvent les paléoanthropologues confrontés à un nouveau fossile était palpable, lorsque j’ai rendu visite à Lee Berger, de l’université du Witwatersrand, en Afrique du Sud. Dans la grotte de Malapa, dans le même pays, il a découvert deux squelettes fossiles d’une espèce australopithèque inédite : Australopithecus sediba. Si l’on considère que leurs propriétaires ont rendu leur dernier souffle il y a deux millions d’années environ,

Bernard WOOD

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L’ESSENTIEL • L’essentiel de l’arbre

phylogénétique humain se résumait autrefois à la séquence Australopithecus, Homo erectus, Homo neanderthalensis, Homo sapiens. • Les nombreuses

formes préhumaines fossiles découvertes en Afrique ont balayé cette vision. • Il ressort que, à

diverses époques, plusieurs espèces préhumaines ou humaines ont vécu simultanément.


Christian Northeast

❙ ❚ ■ FAMILLE

DOSSIER N°94 / JANVIER-MARS 2017 / © POUR LA SCIENCE

ces squelettes sont dans un état de conservation étonnamment bon (voir la figure page suivante). Les paléoanthropologues sont en effet plutôt habitués à découvrir une mandibule par-ci ou une phalange par-là, et si par chance ils trouvent deux os humains ou préhumains au même endroit, démontrer qu’ils proviennent du même individu n’a rien d’évident. Or Australopithecus sediba est d’emblée connu par deux squelettes assez complets et assez intacts pour éliminer tout risque de confusion entre les os de plusieurs individus. Cela en fait des fossiles rares, comme ceux de Lucy, un Australopithecus afarensis découvert en Éthiopie en 1974, ou ceux du garçon de Turkana, un Homo ergaster trouvé au Kenya en 1984. Pour autant, si l’espèce découverte dans la grotte de Malapa a fait sensation, c’est surtout parce que Lee Berger a avancé qu’elle serait l’ancêtre directe du genre humain passé et présent : le genre Homo (voir La confusion des genres, par K. Wong, page 30). L’importance phylogénétique d’une espèce préhumaine diffère selon qu’elle est l’ancêtre directe du genre Homo ou pas. C’est pourquoi la question du statut de l’australopithèque découvert à Malapa est cruciale : est-il un ancêtre direct ou seulement un parent éloigné des hommes modernes ? Rappelons que les australopithèques (avec le genre Homo) sont l’une des deux branches des hominines (voir Repères, page 6), l’autre étant celle 25


AUSTRALOPITHECUS SEDIBA, une espèce d’australopithèque découverte en Afrique du Sud, est considéré par certains paléoanthropologues comme un ancêtre d’Homo, le genre humain.

30

La saga de l'humanité © POUR LA SCIENCE


❙ ❚ ■ AUSTRALOPITHECUS SEDIBA

La confusion des genres Les étonnants fossiles d’Australopithecus sediba, une nouvelle espèce d’australopithèque sud-africain, relancent le débat sur l’origine du genre humain et son lieu d’apparition.

Kate WONG

est journaliste scientifique à Scientific American.

L’ESSENTIEL • On pensait le genre

humain, Homo, issu de l’évolution en Afrique de l’Est d’Australopithecus afarensis, dont fait partie Lucy. • Australopithecus sediba

bouscule cette idée. Cette nouvelle espèce présentant plusieurs traits humains, vivait en Afrique du Sud il y a deux millions d’années. • Lee Berger, son

Brent Stirton/Getty Images

découvreur, y voit un ancêtre du genre Homo, ce qui lui conférerait une origine australe. • Cette thèse est

controversée par plusieurs paléontologues.

D

epuis 2010, les paléoanthro­ pologues du monde entier défilent chez Lee Berger, de l’université du Witwatersrand, à Johannesburg, en Afrique du Sud, pour examiner ses fossiles. Et à chaque fois ils en restent bouche bée. Plutôt habitués à se contenter d’une dent ou d’une mandibule, ils contemplent cette fois les squelettes partiels de deux individus de la même espèce… Et pas n’importe laquelle, puisqu’il s’agit d’Australopithecus sediba. Selon le paléontologue ce serait un ancêtre du genre Homo, d’où son nom, « australopithèque source » (en sésotho, l’une des onze langues officielles d’Afrique du Sud, sediba signifie « source »). De fait, toute nouvelle espèce présente plusieurs caractères humains associés à des traits typiquement australopithèques. Ce mélange unique ferait d’Australopithecus sediba la plus ancienne espèce humaine connue. Jusqu’où cette hypothèse est-elle fondée ? Rappelons qu’il y a entre trois millions et deux millions d’années les australopithèques ont évolué dans les régions forestières ou boisées d’Afrique où, avant l’apparition des premières espèces humaines, ils ne nous ressemblaient guère. Ainsi, Lucy et ses congénères Australopithecus afarensis avaient des jambes courtes, des mains faites pour

DOSSIER N°94 / JANVIER-MARS 2017 / © POUR LA SCIENCE

grimper aux arbres et un cerveau de petite taille similaire à celui de leurs ancêtres simiens.

La faute au climat Ensuite, le climat a changé et les savanes se sont étendues. La sélection naturelle a alors favorisé des lignées d’australopithèques dotés de longues jambes, de mains de plus en plus aptes à la fabrication d’outils et d’un cerveau de grande taille. Le genre Homo, qui allait dominer la planète, est apparu. Afin de comprendre l’origine de ce succès évolutif, les paléoanthropologues ratissent depuis longtemps l’Afrique à la recherche de fossiles des premières espèces humaines. Parce que les plus anciens de ces fossiles ont été découverts en Afrique de l’Est, s’est dégagée l’impression que l’évolution cruciale à l’origine du rameau humain s’est déroulée dans cette région (voir Quand les fossiles racontent notre histoire, par Y. Coppens, page 8). C’est là qu’un nouveau mode de vie inventé par les espèces préhumaines aurait conduit nos ancêtres à consommer de plus en plus de viande alors que les fruits se raréfiaient. Ce nouveau régime alimentaire aurait concouru à l’émergence des traits spécifiquement humains, dont un cerveau volumineux. Cette théorie repose toutefois sur des indices qui peuvent être considérés comme ténus : le plus souvent, les fossiles datant de plus de deux 31


UNE NOUVELLE ESPÈCE HUMAINE ! Découvert en 2013 en Afrique du Sud, Homo naledi (ici son crâne) soulèvent de nombreuses questions sur l’origine et l’évolution du genre humain.

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La saga de l'humanité © POUR LA SCIENCE


L’incroyable i d e l a n o m Ho Kate WONG

Sauf mention contraire, les photographies sont reproduites avec l’aimable autorisation de John Hawks (université de Wisconsin-Madison) et de l’université de Witwatersrand

est éditrice et chef de rubrique au magazine Scientific American.

Cachés au fond d’une grotte quasi inaccessible, plus de 1 500 os fossiles gisaient depuis une date encore incertaine. Ils appartiennent assurément à une nouvelle espèce, mais que l’on a du mal à situer sur l’arbre phylogénétique des humains.

U L’ESSENTIEL • Des spéléologues ont

découvert en 2013 une salle pleine de fossiles dans la grotte Rising Star, non loin de Johannesburg, en Afrique du Sud. • En deux expéditions,

l’équipe de Lee Berger a extrait 1 550 fossiles correspondant à plus de 15 individus. • Ils appartiennent

à une nouvelle espèce humaine semble-t-il très ancienne, même si elle est encore mal datée. • La présentation

en fanfare et les conclusions de Lee Berger ont suscité un débat chez les paléoanthropologues.

n murmure d’approbation s’élève dans la cave de l’université du Witwatersrand, en Afrique du Sud. Lee Berger, le maître de cérémonie, ouvre la caisse n° 2 et en sort religieusement un maxillaire et une mandibule… puis d’un geste étudié, les positionne l’un au-dessus de l’autre avant de les présenter en souriant à l’auditoire. Les flashs crépitent. Les stylos courent… Homo naledi, un nouveau membre de la famille humaine vient d’être présenté à la presse et donc au monde. Comme il y a quelques années pour Australopithecus sediba (voir La confusion des genres, par K. Wong, page 30), Lee Berger a organisé un grand spectacle médiatique. Par ses pratiques iconoclastes, cet Indiana Jones est en train de devenir le paléoanthropologue le plus connu du monde… et le plus décrié par ses pairs. Pourtant, sa dernière découverte est vraiment spectaculaire : alors que, le plus souvent, les nouvelles espèces humaines sont décrites à partir d’un ou deux fossiles, Lee Berger a exhibé 1 550 os fossiles d’Homo naledi. Et, chose étonnante, les caractères de cette espèce font tantôt penser à un australopithèque, tantôt à un humain ou alors… n’avaient jamais été observés auparavant. Plus encore, selon Lee Berger, Homo naledi, malgré un cerveau de la taille d’une orange était humain et pratiquait même des rituels funéraires ! La portée de ces découvertes sera peut-être accrue lorsqu’on aura enfin réussi à dater les fossiles. Aujourd’hui, les estimations varient entre un million et deux millions d’années.

DOSSIER N°94 / JANVIER-MARS 2017 / © POUR LA SCIENCE

Pour comprendre, le mieux est de raconter l’histoire si particulière de la découverte d’Homo naledi. Lee Berger emploie des chasseurs de fossiles, qui écument pour lui les grottes du Berceau de l’humanité sud-africain. Située à quelque 50 kilomètres au nord-ouest de Johannesburg, cette région calcaire truffée de grottes regorge de fossiles d’hominines (voir Repères, page 6). En pratique, il y a deux sortes d’hominines, ceux comme les australopithèques encore doués pour grimper aux arbres et les bipèdes permanents.

Cherche paléontologue... mince Le 1er octobre 2013, Lee Berger reçoit un appel de Pedro Boshoff, l’un des spéléologues qu’il a engagés. Il lui fait part de la découverte d’une chambre pleine d’ossements, mais extrêmement difficile d’accès, dans la grotte Rising Star. La cavité en question se trouve à seulement 1 kilomètre du lieu de la découverte d’Australopithecus sediba. Les explorateurs n’ont pas touché aux os et n’en rapportent que de mauvaises images. Elles suffisent pourtant à distinguer des ossements, très nombreux, notablement différents de ceux d’Homo sapiens. L’organisation des fouilles commence. Très vite, il est évident que ni lui ni la plupart des paléoanthropologues ne pourront accéder à la chambre aux fossiles, nommée Dinaledi. Pour y parvenir, il faut franchir deux passages très étroits. Et les élargir pourrait endommager les fossiles… Lee Berger décide donc de quérir des fouilleurs, 39


L’ESSENTIEL • On a longtemps pensé

que les outils taillés avaient été inventés par Homo habilis. • Les pierres taillées

découvertes à Lomekwi 3, au Kenya, remettent en cause cette idée. • Datées de 3,3 millions

d’années, elles précèdent de 700 000 ans les plus anciens outils connus. • Or à cette époque,

le genre Homo n’était pas apparu. Alors à qui doit-on ces outils ? sont encore en lice, notamment les congénères de Lucy. Des études sont en cours pour les départager.

Shutterstock.com/Byelikova Oksana

• Plusieurs candidats


Les plus vieux outils du monde Des outils de pierre taillée datés de 3,3 millions d’années et découverts au Kenya placent la communauté scientifique dans la perplexité : qui les a façonnés ? Pas les humains en tout cas, ils n’existaient pas encore.

Sonia HARMAND

travaille à l’Institut du bassin Turkana, de l’université Stony Brook, à New York, et dans l’unité Préhistoire et technologie (cnrs, umr 7055), à l’université Paris-OuestNanterre-La Défense.

C

e matin du 9 juillet 2011, sur la rive ouest du lac Turkana, dans le nord du Kenya, nous nous étions perdus. Notre équipe avait accidentellement suivi le mauvais chemin ou plutôt le mauvais lit de rivière asséché. En voiture, nous empruntons ces ravines pour éviter les nombreux buissons d’épineux et les blocs de lave qui constituent le paysage aride de cette région. Pour nous repérer, nous avons gravi une petite colline isolée. De son sommet s’étendait un panorama exceptionnel :

LE LAC TURKANA, au Kenya, et ses rives, fut le décor de la taille des premiers outils au monde. C’était il y a 3,3 millions d’années.


BenoĂŽt Clarys


Il y a 14 000 ans, un chasseur-cueilleur rentre à la maison les bras chargés. À cette époque, l’humanité dépend encore beaucoup des caprices de la nature.

LES MOTEURS DE L’ÉVOLUTION Qui aurait parié sur la réussite évolutive de notre lignée ? C’était sans compter sur quelques atouts (un cerveau bien développé, le sens de la coopération, la monogamie...) et un peu de chance !


L’humanité façonnée par le climat Le secret de nos ancêtres pour survivre aux nombreux changements climatiques qui ont affecté l’Afrique de l’Est pendant des millions d’années ? Une alimentation variée !

Peter de MENOCAL

est professeur au Département de sciences de l’environnement à l’Observatoire de la Terre à l’université Columbia, aux États-Unis.

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D

u haut d’une colline près de la rive ouest du lac Turkana, on profite d’une vue imprenable sur cette région du nord du Kenya : le lac et ses reflets émeraude (voir la photo ci-dessous) contrastent avec le désert ocre et aride qui l’entoure. Niché au sein du grand Rift est-africain, ce lac est alimenté par la rivière Omo, qui transporte les eaux de pluie depuis les hauts plateaux éthiopiens, à des centaines de kilomètres au nord, pendant la mousson estivale. Cette eau ne suffit pas à faire oublier la chaleur

écrasante de la région où le soleil brille intensément rendant brûlant le sol rocailleux. Et pourtant, cet endroit n’a pas toujours été un désert. De fait, les preuves de périodes bien plus humides sont partout. La petite colline est un ensemble épais de sédiments issus d’un ancien lac datant de 3,6 millions d’années. À l’époque, le lac Turkana était plus étendu et remplissait l’ensemble du bassin. On retrouve dans le sable des restes de fossiles d’algues et de poissons. Durant certaines périodes, ce désert rocailleux était


Shutterstock.com/Hamady

❙ ❚ ■ CLIMAT couvert de végétation, d’arbres et de lacs. Et ces changements climatiques dans cette région ont joué un rôle important dans l’évolution humaine, comme l’a proposé Yves Coppens. dès 1975. Cette région contient, avec d’autres sites de l’Afrique de l’Est et du Sud, la plus grande partie du registre fossile des premiers hommes et de leurs ancêtres depuis leur séparation de la lignée des singes il y a au moins sept millions d’années. De plus, deux changements majeurs dans le climat africain, espacés d’environ un million d’années, coïncident avec deux événements importants dans l’arbre de l’évolution humaine. Le premier choc évolutif a eu lieu il y a entre 2,9 et 2,4 millions d’années. Lucy et les autres Australopithecus afarensis se sont éteints, laissant la place à deux groupes assez différents. L’un correspond aux premiers membres du genre Homo. Ils présentaient les premiers traits modernes, y compris des cerveaux volumineux. Ces individus ont fabriqué les premiers outils. L’autre groupe qui a émergé à cette époque, connu sous le nom de Paranthropus ou Australopithecus robustus, était physiquement différent, avec une carrure solide et des mâchoires puissantes (voir la figure page 57). Cette lignée a fini par disparaître. Le second choc s’est produit il y a entre 1,9 et 1,6 million d’années. Une espèce plus carnivore, donc au cerveau encore plus développé, Homo erectus (aussi nommée Homo ergaster lorsqu’on parle

L’ESSENTIEL • Le changement

climatique serait un facteur important dans l’évolution humaine. • Les scientifiques ont

reconstitué l’évolution du climat à partir d’indices trouvés dans les sédiments et des dents fossilisées. • La disparition de

certains ancêtres de l’homme coïncide avec des transitions vers des climats plus arides en Afrique de l’Est. • Le changement de

climat et de végétation a favorisé les espèces qui, telles celles du genre Homo, avaient une alimentation variée.

spécifiquement des fossiles africains), est apparue. Son squelette plus long et plus souple est difficile à distinguer de celui des humains modernes. Cette espèce a été aussi la première à quitter l’Afrique pour peupler l’Asie du Sud-Est et l’Europe. La fabrication d’outils de pierre a connu une amélioration majeure : les premières haches sont apparues, avec de grandes lames façonnées avec soin sur les deux côtés. Quels facteurs ont pu déclencher ces jalons évolutifs, précurseurs de l’homme moderne ? À la suite d’Yves Coppens, des chercheurs pensent que deux épisodes de changement climatique pourraient en avoir été la cause. Ces deux secousses écologiques, succédant à de longues périodes de changement extrêmement graduel, ont transformé le berceau de l’humanité en prairies de plus en plus arides. Outre ces changements importants et ponctuels, le climat a connu des variations cycliques de plusieurs milliers d’années, oscillant entre des épisodes secs et humides. Les ancêtres de l’homme ont donc dû s’adapter à des changements rapides de la végétation et des ressources disponibles. On a établi comment et pourquoi le climat africain et la végétation ont changé durant ces périodes à partir d’un ensemble de nouvelles observations. Par exemple, on peut extraire et analyser les restes moléculaires d’anciens végétaux africains trouvés dans des sédiments. La composition chimique des dents qui appartenaient aux

DANS LE NORD DU KENYA s’étend le lac Turkana. Ses environs sont une région riche en fossiles humains et préhumains. Ils révèlent comment nos ancêtres ont fait face à une alternance de périodes sèches et humides.

DOSSIER N°94 / JANVIER-MARS 2017 / © POUR LA SCIENCE

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la

MONOGAMIE un atout pour notre espèce

collabore à Archaeology Magazine. Il est coauteur de plusieurs ouvrages, notamment From Lucy to Language.

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L

a monogamie des humains est loin d’être parfaite : ils ont des aventures extraconjugales, divorcent et, dans certaines cultures, sont mariés à plusieurs personnes à la fois. Cependant, même là où elle est autorisée, la polygynie (un homme marié à plusieurs femmes) ne concerne qu’une minorité d’individus. En général, l’organisation sociale repose sur l’hypothèse que la plupart des individus formeront des couples durables et entretiendront des liens exclusifs sur le plan sexuel. C’est une exception. En effet, parmi les mammifères, moins de 10 % des espèces vivent exclusivement en couple. La monogamie est un peu plus courante chez les primates, dont 15 à 29 % des espèces privilégient ce mode d’existence. Cependant, très peu d’entre elles vivent la monogamie au sens où les humains l’entendent. D’où vient alors la monogamie chez les humains et quels avantages procure-t-elle ? La monogamie serait un héritage du parcours évolutif de notre espèce et aurait constitué une étape cruciale dans le processus de développement de nos ancêtres. Le couple est même devenu l’un des piliers des systèmes sociaux humains et l’une des clés du succès de notre évolution. Si la monogamie n’est pas l’exclusivité de l’homme, elle aurait rendu possible l’émergence d’une caractéristique strictement humaine : la constitution de réseaux sociaux vastes et complexes. Les jeunes des autres primates n’établissent des liens de parenté que par leur mère. Les humains, eux, le font à partir de leurs deux parents, ce qui élargit, à chaque génération, le cercle familial. Leur réseau s’étend en incluant d’autres familles et croît même au-delà des groupes communautaires.

Les scientifiques s’efforcent de comprendre les origines et les conséquences de la monogamie humaine. Quand avons-nous commencé à former des couples qui durent longtemps  ? Pourquoi ce mode d’existence présentait-il un avantage ? Et cela a-t-il contribué au succès évolutif de notre espèce ? Aucune réponse n’est encore définitive, mais à la lumière de travaux récents, on commence à percer le mystère.

L’ardipithèque, déjà en couple ? Selon Owen Lovejoy, de l’université d’État du Kent, aux États-Unis, l’étude des fossiles d’hominidés indique que la monogamie serait antérieure à Ardipithecus ramidus. Cette espèce est connue depuis la découverte, près de la rivière Awash, en Éthiopie, d’une partie de squelette féminin datant de 4,4 millions d’années, et surnommé Ardi. Des hominines aussi anciens étaient-ils déjà monogames ? La lignée des grands singes et la nôtre se sont séparées il y a plus de sept millions d’années. Nos prédécesseurs auraient adopté trois nouveaux comportements : ils auraient commencé à transporter de la nourriture dans leurs bras, désormais libérés grâce à la bipédie, à former des couples permanents et à dissimuler les signes extérieurs de l’ovulation féminine. Ces innovations auraient, avec l’évolution, permis l’émergence des hominines – la lignée humaine après séparation de celle des chimpanzés. Selon Owen Lovejoy, le mode de reproduction ancestral reposant sur la promiscuité sexuelle a peu à peu cédé le pas à la monogamie lorsque, plutôt que se battre entre eux, les hominines mâles de rang inférieur se sont mis à rechercher de la nourriture à offrir aux femelles avec lesquelles ils voulaient La saga de l'humanité © POUR LA SCIENCE

© Shutterstock.com/Grigoriev Ruslan

Blake EDGAR


❙ ❚ ■ MONOGAMIE Des travaux récents alimentent le débat sur l’émergence de la monogamie chez les humains. Ce mode de vie en couple durable aurait facilité le développement d’un plus gros cerveau.

s’accoupler. Celles-ci ont préféré, plutôt que des prétendants agressifs, les mâles sur lesquels elles pouvaient compter pour se nourrir. Par la suite, les manifestations extérieures de la fécondité des femelles ont disparu, car elles auraient attiré d’autres mâles pendant que leur partenaire sexuel attitré s’absentait pour rechercher de la nourriture. Les dents confirment ce scénario. Dans le cas des primates, fossiles ou modernes (les chimpanzés par exemple), les canines des mâles sont plus grandes que celles des femelles, car ces dents servent d’armes dans les combats pour la reproduction. Chez les humains des deux sexes, ces dents sont relativement petites, un trait caractéristique de tous les hominines, y compris les premiers spécimens d’Ardipithecus. Ardipithecus ramidus et les autres hominines monogames n’avaient plus besoin de telles armes, d’où la réduction de la taille des canines au fil de l’évolution. Une certaine corrélation existe aussi entre le comportement reproductif des primates et le dimorphisme sexuel. Plus une espèce de primates est dimorphe, plus il est probable que les mâles se battent entre eux pour obtenir les faveurs d’une femelle. Par exemple, les gorilles mâles, polygynes, sont deux fois plus corpulents que les femelles. En revanche, les gibbons, monogames pour la plupart, ont des poids presque identiques chez les deux sexes. Or en matière de dimorphisme, les humains sont plus proches des gibbons. Michael Plavcan, de l’université de l’Arkansas, appelle toutefois à la prudence : entre les os fossilisés et le comportement social des hominines, il y a un pas qu’on ne peut pas toujours DOSSIER N°94 / JANVIER-MARS 2017 / © POUR LA SCIENCE

L’ESSENTIEL • L’homme est en

général monogame. Or moins de 10 % des espèces de mammifères le sont. • L’époque à laquelle a

émergé la monogamie chez nos ancêtres reste indéterminée. • L’espacement

territorial entre femelles, le soin paternel ou les infanticides sont des explications possibles à l’émergence de la monogamie. • La monogamie et le

développement de liens sociaux ont favorisé l’évolution des humains.

franchir. Considérons le cas d’Australopithecus afarensis, c’est-à-dire Lucy, qui vivait il y a entre 3,9 et 3 millions d’années. Comme Ardipithecus, Australopithecus afa­rensis avait de petites canines, mais son squelette révèle un niveau de dimorphisme intermédiaire entre celui des chimpanzés et celui des gorilles modernes. Le dimorphisme de la taille corporelle suggère que les mâles de Australopithecus afarensis se battaient pour les femelles, tandis qu’une absence de dimorphisme au niveau des canines indique que ce n’était pas le cas. Que conclure de ces observations contradictoires ? De nombreux autres anthropologues contestent aussi le scénario d’Owen Lovejoy. Selon eux, d’autres facteurs que la recherche de nourriture ont pu favoriser la monogamie, et peut-être bien plus tardivement. En 2013, Bernard Chapais, de l’université de Montréal, a montré que les caractéristiques propres à la famille et à la structure sociale des humains sont apparues par étapes successives. Les hominines mâles et femelles avaient initialement, comme les chimpanzés, plusieurs partenaires sexuels et des relations instables, de courte durée. Puis s’est amorcé un processus de transition vers la polygynie avec des liens sexuels stables, que l’on retrouve chez les gorilles par exemple. Or entretenir plusieurs partenaires mobilise beaucoup d’énergie. Il faut lutter contre les autres mâles et surveiller les femelles. La monogamie a peut-être été la stratégie permettant de réduire les efforts requis par la polygynie. Certains chercheurs suggèrent que ce tournant s’est produit il y a entre 2 millions et 1,5 million 63


Homo sapiens la plus invasive des espèces Une grande capacité à coopérer et l’invention des armes de jet expliqueraient pourquoi, de toutes les espèces humaines ayant vécu sur Terre, la nôtre est la seule à avoir investi la planète entière.

est professeur à l’école d’évolution humaine et de changement social à l’université d’Arizona, aux États-Unis.

L

a plus grande vague de migrants a déferlé sur le monde il y a... environ 100 000 ans. À cette époque, Homo sapiens quitte l’Afrique et aborde l’Eurasie. Ce petit pas pour l’humanité marque le début d’une expansion inexorable : nos ancêtres finissent par gagner tous les continents et de nombreux archipels. Sur leur route, ils rencontrent d’autres espèces humaines, tel Néandertal, qui disparaissent toutes, à l’instar d’un grand nombre d’espèces animales. Le passage en Eurasie d’Homo sapiens est sans doute l’événement migratoire majeur de toute l’histoire de notre planète. Mais pourquoi l’espèce Homo sapiens, l’« homme moderne », estelle la seule à avoir suivi ce chemin ? Pour certains, cela tiendrait à son gros cerveau ; pour d’autres, aux innovations techniques ; pour d’autres encore, au climat, qui aurait affaibli les espèces humaines concurrentes. Cependant, étant donné l’amplitude spectaculaire de l’expansion d’Homo sapiens, aucune de ces théories n’est satisfaisante pour décrire la globalité de cet événement complexe. La raison de ce succès est à chercher ailleurs. Nos découvertes en Afrique du Sud ainsi que plusieurs avancées en biologie et en sciences 66

L’ESSENTIEL • Homo sapiens est

la seule espèce humaine à avoir colonisé la planète entière. Les anthropologues se demandent depuis longtemps pourquoi. • Des conditions

glaciaires ont sélectionné chez les hommes modernes une forme d’hypersocialité. • La grande capacité

à coopérer qui en a résulté et l’invention d’armes de jet performantes ont placé H. sapiens en position de dominer le monde.

sociales m’ont amené à proposer un mécanisme simple susceptible d’expliquer la conquête du globe par Homo sapiens. Selon moi, cette étonnante dispersion s’est produite d’abord grâce à l’évolution et à l’inscription dans les gènes de nos ancêtres de la capacité à coopérer entre individus non apparentés. Ce trait singulier de notre espèce expliquerait l’adaptation de nos ancêtres à tant d’environnements différents et aurait favorisé l’innovation, laquelle a entraîné la mise au point d’armes de jet efficaces. Ainsi équipés et dotés d’un comportement collectif très adaptatif, nos ancêtres sont sortis d’Afrique et ont conquis le monde.

En route pour l’Eurasie... La colonisation de la planète par Homo sapiens est extraordinaire, et pour s’en rendre compte, remontons à la naissance de notre espèce en Afrique, il y a quelque 200 000 ans. Des dizaines de milliers d’années durant, nos premiers ancêtres restent sur le continent africain, puis, il y a environ 100 000 ans, voire avant, quelques groupes de ces « hommes anatomiquement modernes » font une incursion au Moyen-Orient. L’opinion dominante parmi les préhistoriens est que ces pionniers auraient été incapables d’aller plus loin (voir l’encadré page 70). Puis, il y a moins de 70 000 ans, une population fondatrice sort d’Afrique et s’étend en Eurasie. Ses membres rencontrent et côtoient d’autres espèces humaines, par exemple les Néandertaliens en Europe et les Denisoviens en Asie. Force est La saga de l'humanité © POUR LA SCIENCE

Jon Foster

Curtis MAREAN


❙ ❚ ■ INVASION

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L ÉMERGENCE Notre capacité à coopérer au sein de grands groupes sociaux a des racines évolutives anciennes. On en retrouve les prémices chez d’autres primates, voire chez des mammifères plus éloignés.

Frans de WAAL

est professeur de primatologie à l’université Emory, aux États-Unis, et dirige le centre Living links au centre Yerkes de recherche sur les primates.

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C

omment l’humanité est-elle devenue la forme de vie dominante sur la planète, avec une population de plus de sept milliards d’individus qui s’accroît encore ? L’explication classique est axée sur la notion de compétition. Nos ancêtres auraient pris possession de territoires, éradiqué d’autres espèces et chassé les grands prédateurs jusqu’à leur extinction. Nous aurions conquis la nature par la force. Ce scénario est peu plausible. Nos ancêtres étaient trop petits et trop vulnérables pour dominer la savane. Ils devaient vivre dans la crainte des meutes de hyènes, d’une dizaine de grands félins et de bien d’autres animaux dangereux. La clé du succès de notre espèce réside plus probablement dans notre esprit de coopération. Notre propension à coopérer a des racines évolutives anciennes. Pourtant, seuls les humains s’organisent en groupes capables de réaliser des entreprises titanesques. Seuls les humains ont une moralité complexe, qui met l’accent sur la responsabilité vis-à-vis d’autrui et qui se traduit en pratique par la réputation et la punition. Et nos actions démentent parfois l’idée d’un être humain fondamentalement égoïste. Les sauvetages parfois spectaculaires qui poussent certains à mettre leur vie en danger pour aider un inconnu l’illustrent. Pour déterminer comment la coopération a émergé dans notre espèce, recherchons d’abord des comportements du même type chez nos cousins, en particulier chez nos plus proches parents actuels : les chimpanzés et les bonobos. Au centre Yerkes de recherche sur les primates, à l’université Emory, aux États-Unis, j’observe souvent des cas de coopération désintéressée chez ces animaux. Chaque fois que

les rhumatismes font souffrir Peony, une femelle chimpanzé âgée, et qu’elle peine à grimper sur la structure d’escalade en bois, une femelle plus jeune, avec laquelle elle n’a aucun lien de parenté, l’assiste et l’aide. D’autres lui apportent de l’eau quand elle a du mal à marcher jusqu’au robinet.

Les piliers de la coopération Nombre d’études récentes ont documenté la coopération entre primates, dont on tire trois principales conclusions. D’abord, la coopération n’exige pas un lien de parenté. Bien que ces animaux favorisent leur famille, ils ne coopèrent pas qu’avec elle. Des travaux ont montré que, lors de chasses en forêt, la plupart des partenariats étroits impliquent des individus sans relation de parenté. Les amis se toilettent mutuellement, s’avertissent de la présence de prédateurs et partagent leur nourriture. C’est aussi le cas chez les bonobos. Ensuite, la coopération se fonde souvent sur la réciprocité. Des expériences révèlent que les chimpanzés se souviennent des faveurs qu’ils ont reçues. Des chercheurs ont étudié une colonie en captivité, où le rituel du toilettage avait lieu le matin, avant le nourrissage. Lorsque certains individus s’emparaient de nourriture, par exemple d’une pastèque, ils étaient vite entourés de « mendiants ». Un singe avait plus de chances de recevoir une part s’il avait fait la toilette du propriétaire plus tôt dans la journée. Troisièmement, la coopération peut être motivée par l’empathie, une faculté partagée par tous les mammifères. Nous nous identifions à ceux qui souffrent ou sont dans le besoin. Cette identification éveille des émotions qui nous poussent à les La saga de l'humanité © POUR LA SCIENCE


❙ ❚ ■ COOPÉRATION

DE LA

© Shutterstock.com/Toby Bridson

N O I T A R É P O O C assister. On pense désormais que les primates vont jusqu’à se préoccuper du bien-être des autres même lorsqu’ils ne manifestent pas de souffrance. Dans une expérience, deux singes sont côte à côte et l’un des deux choisit un jeton coloré parmi d’autres, de couleurs différentes. Une des couleurs récompense seulement l’animal lui-même, tandis qu’une autre récompense les deux. Après quelques essais, le singe choisit le plus souvent le jeton « prosocial ». Cette préférence n’est pas fondée sur la peur des autres, puisque les singes dominants (qui ont le moins à craindre) sont les plus généreux. Ici, se soucier des autres ne coûte rien aux primates, mais ce n’est pas toujours le cas ; les singes peuvent par exemple sacrifier la moitié de leur nourriture pour aider un congénère. Dans la nature, les chimpanzés adoptent des orphelins ou défendent leurs semblables contre les léopards, deux formes très coûteuses d’altruisme. Chez les primates, cette tendance à prendre soin d’autrui s’est probablement développée à partir des soins maternels, nécessaires à tous les mammifères. De la souris à l’éléphant, les mères doivent réagir aux signaux de faim, de douleur ou de peur de leurs petits, sans quoi ces derniers risquent de mourir. Cette sensibilité et les processus neuraux et hormonaux qui la sous-tendent se sont ensuite répandus plus largement au sein des sociétés animales, favorisant les liens émotionnels, l’empathie et la coopération. Cette dernière procure des avantages importants, d’où son expansion rapide. La forme la plus répandue est la coopération mutualiste, caractérisée par la poursuite d’un objectif avantageux pour tous, par exemple lorsque des hyènes abattent DOSSIER N°94 / JANVIER-MARS 2017 / © POUR LA SCIENCE

un gnou ensemble. Une telle coopération repose sur une action coordonnée et un profit partagé. Son omniprésence s’explique probablement par les avantages immédiats qu’elle procure. Ce type de coopération entraîne des comportements tels que le partage. Si une hyène monopolisait toute la nourriture, le système cesserait de fonctionner. La survie dépend du partage, ce qui explique l’importance accordée à l’équité de la répartition par les humains et les animaux. Des expériences ont montré que les singes, les chiens et certains oiseaux sociaux rejettent une récompense quand elle est inférieure à celle d’un compagnon qui a exécuté la même tâche. Les chimpanzés et les humains vont plus loin, en modérant leur part du butin collectif pour éviter de frustrer les autres. Nous devons notre sens de l’équité à une longue histoire de coopération mutualiste.

Tous dans le même bateau Les humains illustrent bien le lien entre partage et survie. Les chasseurs de baleines de Lamalera, en Indonésie, parcourent l’océan dans de grands canoës abritant une dizaine d’hommes. Ils rament en direction du cétacé, puis le harponneur saute sur son dos pour y planter son arme ; ils maintiennent ensuite l’embarcation à proximité de l’animal, jusqu’à sa mort (voir la photo page suivante). Des familles entières sont liées par cette activité à haut risque, leurs hommes se trouvant... dans le même bateau, et elles se partagent ensuite la nourriture. Or les anthropologues ont constaté que les habitants de Lamalera sont d’une équité extrême. Celle-ci était mesurée grâce à un outil nommé jeu de l’ultimatum,

L’ESSENTIEL • La coopération

est répandue dans le monde animal, mais seuls les êtres humains la mettent en œuvre au sein de grands groupes organisés et sont dotés d’une moralité complexe. • Toutefois, les

fondements de ces aptitudes, tels l’empathie et l’altruisme, sont aussi observés chez nos cousins primates. • Les capacités

de coopération d’Homo sapiens auraient permis à l’humanité de devenir l’espèce dominante sur Terre.

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Le jour oùlal’humanité Quand mer asauva failli disparaître l’humanité Les conditions climatiques qui ont suivi de peu l’apparition d’Homo sapiens étaient si rudes qu’elles ont menacé la survie de notre espèce. Grâce aux ressources de la côte sud de l’Afrique, une toute petite population a survécu : ces rescapés sont sans doute nos ancêtres.

T

e rminator, Malevil, La Route, L’Armée des est professeur douze singes, Mad Max, à l’Institut d’étude Wall-E, Ravage, Lost, La de l’évolution humaine et des changements Planète des singes... dans sociaux de l’université de nombreuses œuvres de d’État d’Arizona. fiction, un groupe d’humains, survivant d’une catastrophe, tente de reconstruire un avenir à l’humanité. Quelle que soit leur qualité, ces productions feraient presque oublier qu’un tel scénario s’est réellement produit : il y a moins de 200 000 ans, l’humanité a failli disparaître.

Curtis MAREAN

Les plus anciens ossements d’Homo sapiens sont deux crânes éthiopiens vieux de 195 000 ans. Le climat terrestre était alors doux et la nourriture, abondante. Puis vint une période glaciaire qui ne s’acheva que 70 000 ans plus tard. Pendant cette phase très froide et, par conséquent, très sèche, les déserts africains devaient être plus étendus qu’aujourd’hui et une grande partie du continent était sans doute inhabitable. Or, pendant que la planète était sous les glaces, notre espèce serait passée par un goulot d’étranglement génétique. En effet, la diversité génétique d’Homo sapiens est bien inférieure à celle de plusieurs autres espèces, dont la taille des populations et les aires de répartition sont plus petites que les nôtres… Le nombre de reproducteurs de l’espèce Homo sapiens serait passé pendant cette période glaciaire de plus de 10 000 à quelques centaines. Les chiffres varient selon les études, mais la plupart suggèrent que nous descendons d’une toute petite population qui vivait alors en Afrique. 78

Per-Anders Petterson

Winter is coming

La saga de l'humanité © POUR LA SCIENCE


❙ ❚ ■ RESCAPÉS L’ESSENTIEL • Pendant la période

glaciaire qui a duré de 195 000 à 123 000 ans, le nombre d’Homo sapiens a chuté. • Le froid a rendu

inhabitable la plus grande partie des zones où vivaient nos ancêtres. • La région du Cap est

l’un des rares sanctuaires où les hommes ont pu se réfugier, car coquillages et plantes comestibles y abondaient. • Une petite population

a résisté à la crise climatique avant de conquérir le monde.

LA GROTTE PP13B, située non loin de la ville de Mossel Bay, en Afrique du Sud a abrité des hommes anatomiquement modernes entre il y a 164 000 et 35 000 ans, alors que l’espèce était menacée d’extinction. Ceux qui survécurent pourraient être les ancêtres de l’humanité.

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BenoĂŽt Clarys


Une rencontre au sommet, celle d’un Néandertalien et d’un Homo sapiens. Que peuvent-ils bien se raconter ?

UNE IDENTITÉ DYNAMIQUE Les repères pour définir un humain sont brouillés. Homo sapiens s’est métissé avec Néandertal. Ce dernier a laissé des « œuvres » dont la symbolique nous échappe. Mieux : nous sommes toujours en train d’évoluer…


Une espèce mosaïque L’étude des gènes montre que nos ancêtres se sont métissés avec les espèces humaines archaïques qu’ils ont rencontrées. Cette hybridation a sans doute contribué à l’expansion d’Homo sapiens.

A

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planète. Sur la base de fossiles, les paléoanthropologues avaient postulé qu’une première sortie d’Afrique vers l’Eurasie avait eu lieu peu après l’apparition d’Homo erectus, il y a deux millions d’années. Cependant, le chemin évolutif qui a mené de la forme Homo erectus jusqu’à la forme moderne posait question, Homo sapiens n’étant attesté dans le registre fossile que depuis 195 000 ans.

La modernisation des populations

L’ESSENTIEL • On pensait qu’Homo

sapiens, espèce d’origine africaine, avait remplacé tous les humains archaïques en Afrique et en Eurasie. • La génétique a montré

qu’en fait, Homo sapiens s’est métissé, d’abord en Afrique, puis en Eurasie, avec les formes humaines archaïques qu’il a rencontrées au cours de son expansion mondiale. • Homo sapiens a ainsi

profité des gènes des humains archaïques bien adaptés qu’il rencontrait, ce qui a certainement aidé à son succès planétaire.

Deux thèses s’opposent. Milford Wolpoff, de l’université du Michigan, avec d’autres, a proposé une origine multirégionale de l’homme moderne. Les populations archaïques se seraient progressivement « modernisées » à mesure que l’arrivée d’hommes modernes et le métissage y multipliaient les traits avantageux (modernes !). Selon ce scénario, à l’issue de la transition, tous les humains partagent les mêmes caractéristiques modernes, tandis que certains traits distinctifs hérités des ancêtres archaïques persistent localement. Fred Smith, de l’université d’État de l’Illinois, a proposé une variante de la théorie multirégionale selon laquelle la contribution des populations venues d’Afrique aux caractéristiques anatomiques modernes est plus grande. À l’hypothèse multirégionale s’oppose donc l’idée de l’origine africaine de l’homme moderne, que l’on nomme aussi l’hypothèse du remplacement. Pour les tenants de cette théorie, tel Christopher Stringer, du Muséum d’histoire naturelle de Londres, les hommes anatomiquement modernes sont apparus en Afrique subsaharienne, puis ont remplacé partout les hommes archaïques sans se métisser. Günter Bräuer, de l’université de Hambourg, a proposé une version plus souple de cette théorie, admettant la possibilité de métissages occasionnels lors de rencontres entre groupes archaïques et modernes. La saga de l'humanité © POUR LA SCIENCE

© Federico Gambarini/dpa/Corbis

ujourd’hui, le brassage des populations est généticien des et de leurs gènes est populations. Il travaille à répandu et banal. En a-t-il l’université de l’Arizona, aux États-Unis. toujours été ainsi ? Et, plus encore aux époques reculées, où plusieurs espèces humaines coexistaient, y a-t-il eu métissage ? Longtemps ignoré, voire nié, un tel métissage est devenu ces dernières années, grâce à la génétique, de plus en plus évident. Il pourrait même expliquer, en partie, le succès de notre espèce. Les idées des paléontologues sur les origines d’Homo sapiens ont souvent varié. Néanmoins, avec l’avènement des études du génome humain, dans les années 1980, un consensus s’est établi. Les hommes anatomiquement modernes seraient apparus en Afrique, il y a quelque 200 000 ans, puis auraient progressivement remplacé les formes humaines archaïques partout sur la planète. Parmi ces espèces figurent au moins l’homme de Néandertal, en Eurasie, et l’homme de Florès, en Indonésie. Nous ignorons si nous avons rayé de la carte d’autres espèces, ainsi que la façon dont Homo sapiens a remplacé ses cousins. Quoi qu’il en soit, il n’était pas censé se métisser avant de les supplanter. Cette vision domine en préhistoire depuis un quart de siècle. Cependant, les progrès du séquençage de l’ADN, de la puissance de calcul et leurs retombées dans l’étude tant des fossiles que des humains actuels ont révélé que certains de nos contemporains portent à la fois de l’ADN néandertalien et celui d’autres espèces humaines archaïques. On ne peut qu’en conclure qu’il y a eu métissage ! C’est une découverte majeure. Pour en apprécier pleinement la portée, revenons sur le débat qui faisait rage au début des années 1980 quant à la façon dont Homo sapiens a conquis la

Michael HAMMER


❙ ❚ ■ MÉTISSAGE

UNE NÉANDERTALIENNE telle que l’on peut la reconstituer. Les études génétiques montrent que l’adn des non-Africains actuels contient 1 à 4 % d’adn néandertalien.

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LE ROMAN-PHOTO DE LASCAUX IV Le Centre international de l’art pariétal Montignac-Lascaux a ouvert ses portes en décembre 2016. Il abrite un fac-similé de l’intégralité de la grotte de Lascaux. Comment reproduit-on à l’identique 900 mètres carrés de parois ? Visite dans l’Atelier des fac-similés du Périgord, qui s’est vu confier cette mission.

VIEILLE DE 18 000 ANS, très fragile, la chapelle Sixtine de l’art pariétal, est fermée au public depuis 1963. Pour la rendre à nouveau accessible au public, une seule solution : la reconstitution.

Getty-images/Fine Art / Contributeur

1

2 des parois de la grotte à l’aide d’un scanner tridimensionnel et de 3 000 photographies en haute définition a permis d’obtenir un modèle numérique rendant compte des moindres détails du monument (volume des roches, couleurs, tracé des peintures…).

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© AFSP

LA NUMÉRISATION


❙ ❚ ■ PORTFOLIO

LA MATRICE EN POLYSTYRÈNE

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ensuite réalisée par fraisage numérique est façonnée et sculptée par l’ajout d’un enduit spécifique pour reproduire fidèlement les reliefs de la grotte et l’épiderme minéral. Reste à mouler cette matrice puis, après démoulage, à appliquer une couche de voile de pierre dans le moule, et la recouvrir de résine. Au final, on obtient une paroi portée par des structures métalliques, sur laquelle les peintres appliqueront les patines colorées et les peintures.

© Sauf mention contraire toutes les images sont de Julien Riou

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UNE PREMIÈRE COUCHE DE PIGMENTS NATURELS permet de reproduire l’aspect de la pierre et l’environnement des fresques avec toutes les variantes de calcites et d’affleurements.

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Les étranges structures de Bruniquel Il y a environ 180 000 ans, des tronçons de stalagmites ont été empilés à plus de 300 mètres au fond d’une grotte, dans le Tarn et Garonne. Le sens de ces constructions nous échappe, mais elles prouvent la complexité de la société néandertalienne.

Jacques JAUBERT

est professeur de préhistoire à l’université de Bordeaux et membre du laboratoire PACEA (université Bordeaux 1-cnrs).

L’ESSENTIEL • À plus de 300 mètres

de l’entrée de la grotte de Bruniquel se trouvent d’énigmatiques structures réalisées à partir de stalagmites.

Q

uelque part, dans une vallée encaissée de l’Aveyron, des Néandertaliens restent sur le pas de leur grotte. Que fontils ? Ils discutent et vaquent à diverses occupations, mais ils ne s’éloignent guère de leur abri. C’est que l’air est frais ! En effet, la scène se déroule au début de l’avant-dernière glaciation (le stade isotopique marin 6). Durant cette longue période froide du Pléistocène qui commence il y a quelque 190 000 ans et s’achève vers 128 000 ans avant le présent, des phases de réchauffement rapide alternent, parfois brutalement, avec des phases froides qui couvrent de glace une partie de l’hémisphère Nord. Cela oblige les rares populations néandertaliennes d’Europe à s’adapter très vite : nul doute que, lorsque l’hiver dure six mois et que la température moyenne est négative, ces humains doivent rechercher des abris plus accueillants, même s’ils sont humides comme les entrées de

• Les premiers

chercheurs qui les ont étudiées ont suggéré que leurs auteurs pouvaient être des Néandertaliens. • Une équipe franco-

belge vient d’établir que ces structures datent de 176 500 ans, un âge stupéfiant. • Les auteurs des

constructions étaient donc des ancêtres des Néandertaliens classiques, avec une société déjà sophistiquée.

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© Benoît Clarys

❙ ❚ ■ BRUNIQUEL

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L’HOMME

UNE ÉVOLUTION EN MARCHE Au cours des 30 000 dernières années, les sociétés humaines ont connu de profonds changements, qui ont accéléré l’évolution génétique de l’homme. Et ce n’est pas fini…

John HAWKS

est anthropologue à l’université du Wisconsin, à Madison, aux États-Unis.

104

L

’espèce humaine maîtrise son destin comme nulle autre : nous avons appris à nous protéger des éléments et des prédateurs ; nous avons développé des traitements contre de nombreuses maladies mortelles ; nous avons transformé les petits jardins de nos lointains ancêtres en vastes champs agricoles ; et nous avons spectaculairement augmenté nos chances de mettre au monde des enfants en bonne santé. Beaucoup concluent de ces succès que l’évolution de l’homme est arrivée à son terme. En d’autres termes, la sélection naturelle n’aurait plus prise sur nous. Ce n’est pas le cas. Nous avons évolué dans notre passé récent, et nous continuerons à le faire tant que nous existerons. Les 30 000 dernières années paraissent dérisoires comparées aux sept millions d’années qui nous séparent de notre dernier ancêtre commun avec le chimpanzé. Et pourtant, même pendant cette courte période, d’importants changements se sont déroulés : de vastes groupes humains ont migré vers de nouveaux environnements, notre alimentation s’est notablement modifiée et la population mondiale a été multipliée par plus de mille. En conséquence, le nombre global de mutations génétiques s’est accru, alimentant une sélection naturelle rapide. L’évolution humaine ne stagne pas, elle accélère. L’analyse des squelettes anciens suggère que certains caractères humains ont récemment évolué

de façon rapide. Il y a environ 11 000 ans, l’homme est passé du statut de chasseur-cueilleur à celui d’agriculteur, et s’est mis à faire cuire ses aliments, ce qui les ramollit. Dès lors, son anatomie a changé. Il y a 10 000 ans, par exemple, ses dents étaient en moyenne 10 % plus grosses qu’aujourd’hui.

Du pain et du lait Les anthropologues ne se sont rendu compte de cette évolution récente que depuis une dizaine d’années. En outre, l’analyse de génomes humains a précisé les traits sélectionnés. Par exemple, les descendants de fermiers produisent en général plus d’amylase salivaire, une enzyme clé qui décompose l’amidon contenu dans la nourriture. Partout où ils ont adopté des grains renfermant de l’amidon, les premiers agriculteurs semblent s’être adaptés pour mieux le digérer. À notre époque, la plupart des gens ont plusieurs copies du gène AMY1 de cette enzyme. Cependant, les chasseurs-cueilleurs modernes, tels les Datooga, en Tanzanie, tendent à avoir moins de copies que les descendants d’agriculteurs. La tolérance au lactose est un autre exemple d’adaptation alimentaire. Presque tous les humains naissent avec la capacité de produire la lactase, une enzyme qui décompose le lactose, ce qui est essentiel pour la survie d’un enfant nourri au sein. À l’âge adulte, la plupart des gens perdent cette capacité. La saga de l'humanité © POUR LA SCIENCE


Shutterstock.com/IsaArt

❙ ❚ ■ EN MARCHE !

À cinq reprises au moins depuis que les hommes ont adopté les laitages, une mutation génétique a prolongé l’activité du gène de la lactase à l’âge adulte dans plusieurs populations. Trois des mutations se sont produites dans des parties différentes de l’Afrique subsaharienne, siège d’une longue tradition de pastoralisme. Une autre est courante dans la péninsule arabique et semble être apparue dans les populations anciennes de chameliers et de chevriers. La cinquième mutation (la plus commune) se rencontre aujourd’hui de l’Irlande à l’Inde et c’est en Europe du Nord qu’elle est la plus fréquente. Elle s’est d’abord produite chez un individu unique il y a quelques huit milliers d’années. En 2011, l’analyse de l’ADN prélevé sur Ötzi, un homme retrouvé momifié dans un glacier du nord de l’Italie, et qui vivait il y a environ 5 500 ans, a montré qu’il n’avait pas le variant génétique conférant la tolérance au lactose. Ce variant n’était donc pas encore répandu dans cette région 2 000 ans après sa première apparition. Par ailleurs, des chercheurs ont séquencé l’ADN de fermiers vivant en Europe il y a plus de 5 000 ans. Aucun ne portait la mutation du gène de la lactase. Pourtant, cette mutation est aujourd’hui présente chez plus de 75 % des Européens. Ce n’est pas un paradoxe, mais une conséquence mathématique de la sélection naturelle. Une nouvelle mutation soumise à la sélection se répand à un rythme exponentiel : il faut d’abord de nombreuses générations pour qu’elle acquière une certaine fréquence dans une population, puis sa croissance s’accélère et elle finit par dominer. De nombreux traits physiques actuels sont aussi le fruit d’une évolution récente. Ainsi, l’épaisse DOSSIER N°94 / JANVIER-MARS 2017 / © POUR LA SCIENCE

chevelure noire et lisse dont sont dotés presque tous les Asiatiques de l’Est est apparue il y a moins de 30 000 ans, à la faveur d’une mutation du gène EDAR. Ce variant génétique a été exporté en Amérique par les premières vagues de colonisateurs, venues de l’Est asiatique.

Des yeux bleus de 9 000 ans L’ESSENTIEL • Ces 30 000 dernières

années, les hommes ont beaucoup évolué. Les yeux bleus et la tolérance au lactose, par exemple, sont apparus récemment. • Cette évolution

résulte de plusieurs facteurs, tel le passage des groupes de chasseurs-cueilleurs aux sociétés agricoles, qui a conduit à un boom démographique. Plus une population s’étend, plus des mutations avantageuses ont des chances d’apparaître. • Aujourd’hui, le brassage

génétique est sans précédent, et l’homme va continuer à évoluer.

De façon générale, l’histoire évolutive de la pigmentation de la peau, des cheveux et des yeux a été simple et rapide. Aux premiers stades de notre évolution, tous nos ancêtres avaient la peau, les cheveux et les yeux noirs. Depuis, des dizaines de modifications génétiques les ont rendus plus clairs. Quelques-unes sont anciennes et présentes en Afrique, bien que plus répandues ailleurs dans le monde. La plupart sont récentes et ont émergé dans des populations spécifiques. Ainsi, une mutation du gène TYRP1 rend blonds certains habitants des îles Salomon. Une autre, sur HERC2, donne des yeux bleus. Des variants de MC1R procurent des cheveux roux. Et une mutation du gène SLC24A5 éclaircit la peau ; elle se retrouve aujourd’hui chez 95 % des Européens. Comme dans le cas de la lactase, l’ADN ancien renseigne sur la date d’apparition de ces mutations. Les yeux bleus ont plus de 9 000 ans. En revanche, on ne constate pas de changements remarquables de SLC24A5 dans l’ADN des squelettes de cette période ; l’éclaircissement de la peau des Européens est donc intervenu plus tard. Les chercheurs se sont aussi penchés sur le cérumen sécrété dans les oreilles. Aujourd’hui, la plupart des gens ont du cérumen collant. Cependant, de 105


À LIRE EN PLUS ■ ❚ ❙ Néandertal, mon frère

Premiers hommes

Il y a encore peu, les Néandertaliens passaient pour des brutes épaisses. Mais cette image a changé grâce à la quantité de découvertes qui sont détaillées dans cet ouvrage. Et l’on découvre qu’Homo neanderthalensis avait une culture symbolique, inhumait probablement ses morts, chassait avec habileté, disposait déjà d’un langage. Plus stupéfiant encore : notre génome garde la trace (jusqu’à 4 % !) d’un métissage entre espèces qui a duré plus de cinq mille ans en Europe. Notre cousin disparu, ou presque, est désormais réhabilité.

Silvana Condemi et François Savatier, (256 pages, 21 euros), Flammarion, 2016.

Origines : l’ADN a-t-il réponse à tout ?

Yves Coppens, (192 pages, 22,90 euros), Odile Jacob, 2016.

Des pastilles de préhistoire Ce quatrième volume de la série « Le présent du passé » pose des questions variées. Qui est l’ancêtre direct du genre humain ? En quoi la découverte de Lucy est-elle fondamentale ? À quand remontent les premiers peuplements d’Asie ? L’auteur, qu’on ne présente plus, répond en partant de l’actualité préhistorique (une thèse nouvellement publiée, une découverte récente…) pour nous faire découvrir, de façon vivante et documentée, un point essentiel de l’histoire de nos ancêtres ! C’est aussi un voyage à travers le temps et l’espace.

Qui était Néandertal ? L’enquête illustrée Antoine Balzeau et Emmanuel Roudier, (96 pages, 19,90 euros), Belin, 2016. Née de la rencontre d’un paléoanthropologue (A. Balzeau) et d’un dessinateur (E. Roudier), cette bande dessinée nous plonge en images dans la vie des Néandertaliens. Toutes les scènes représentées sont fondées sur les découvertes scientifiques les plus récentes. Un ouvrage accessible à tous pour comprendre qui était vraiment l’homme de Néandertal et comment il vivait.

Le paléoanthropologue, un fin limier Il est important de maîtriser un certain nombre de termes pour pouvoir se lancer dans l’enquête scientifique sur les origines des Néandertaliens. ➜ Le paléoanthropologue cherche, parfois trouve, et, le plus souvent, étudie les restes fossiles des Hommes du passé. Son objectif est d’identifier à quelle espèce ils appartiennent, de reconstituer leur anatomie, mais aussi de comprendre leur mode de vie. Pour ce faire, il dispose de divers outils. L’anatomie comparée consiste à confronter la forme d’un os entre différents groupes pour reconnaître leurs relations phylogénétiques et tenter d’apprécier les adaptations qui se sont mises en place. La morphométrie, et tous ses dérivés, se base sur la mesure de la taille et de la forme des fossiles ; par des procédés statistiques et mathématiques, elle permet de quantifier les ressemblances et différences. Les analyses isotopiques peuvent renseigner sur l’alimentation des Hommes du passé, et la paléogénétique tente de reconstituer leur code génétique.

avaient des capacités auditives similaires à celles des Hommes d’aujourd’hui. C’étaient des chasseurs, si l’on en juge par tous les restes de repas associés aux fossiles, et ils furent aussi parmi les premiers à utiliser le feu. Des noms scientifiques variés ont pu être été attribués à ces anciens Européens : Homo heidelbergensis, mais aussi des appellations aux consonances parfois exotiques comme Homo erectus européens, anté ou prénéandertaliens, voire Homo sapiens archaïques. Évidemment, tous les paléoanthropologues ne sont pas encore d’accord, mais une conception semble recueillir de plus en plus de suffrages lorsqu’il s’agit de situer ces fossiles au sein du buisson de l’humanité…

SI L’HOMME DE TAUTAVEL N’EST PAS LE PLUS VIEUX DES FRANÇAIS, IL EST UN ANCÊTRE DES NÉANDERTALIENS. Les spécimens, qu’ils soient d’Atapuerca, Mauer, Steinheim ou ailleurs, possèdent en effet certaines des caractéristiques utilisées pour définir et reconnaître les Néandertaliens. Leur présence et leur degré d’expression varient, mais ces spécificités semblent se mettre en place progressivement dans ces périodes anciennes en Europe, les traits devenant de plus en plus nombreux et caractéristiques au fil du temps. Les scientifiques appellent cette mise en place et cette accumulation progressives un phénomène d’accrétion. Ainsi, la solution la plus simple et la plus raisonnable

➜ Un fossile correspond aux restes d’organismes, à leurs empreintes, moules ou traces d’activités. Le plus souvent, les fossiles sont issus des parties minéralisées dures d’un organisme, exceptionnellement des tissus mous.

Un terme est souvent employé au sujet de l’évolution, celui de dernier ancêtre commun, ou DAC. Il s’agit d’imaginer le dernier ascendant à deux groupes, juste avant leur séparation. L’idée est jolie, mais c’est une notion seulement théorique. Il n’y a pas eu d’individu unique ayant donné naissance à des enfants de deux espèces différentes. La spéciation ne se fait pas d’un coup. Autre difficulté, même si ce DAC théorique pouvait être trouvé,

➜ Les caractères des différentes espèces comprennent • les caractères primitifs (ou plésiomorphes), qui sont communs aux différents groupes étudiés, et • les caractères dérivés (ou apomorphes) qui les différencient et permettent donc de discuter de leurs relations évolutives. ➜ Les homininés sont les seuls primates à avoir développé la bipédie comme unique mode de locomotion. Selon la classification hiérarchique des animaux, cette sous-famille fait partie de la famille des hominidés avec la sous-famille des paninés, qui inclut les chimpanzés. Les homininés comprennent, par ordre alphabétique, les genres Ardipithecus, Australopithecus, Homo, Kenyanthropus, Orrorin, Paranthropus, Sahelanthropus.

pour satisfaire aux règles de dénomination des espèces est d’utiliser le terme Homo heidelbergensis pour regrouper tous les fossiles européens ayant des affinités morphologiques avec leurs successeurs sur ce continent, les Néandertaliens. La limite entre ces deux groupes est ainsi chronologique, autour de 300 000 ans, mais aussi morphologique : Homo heidelbergensis ne présente pas toutes les caractéristiques qui se retrouveront ensuite chez Homo neanderthalensis. Le cas est assez original parmi toutes les espèces d’homininés (plus de 25 répertoriées à ce jour). En effet, la plupart du temps, les experts se disputent pour attribuer les restes humains à une espèce ou une autre ou pour définir ces groupes, mais il leur est très difficile de discuter des relations évolutives entre espèces car elles sont justement définies par des caractères qui leur sont propres et différents de tous les autres spécimens. L’expression apparente d’une continuité évolutive des Homo heidelbergensis aux Néandertaliens en Europe est donc unique. Là où les choses se compliquent, c’est qu’un des crânes le plus complet provenant d’Europe, celui de Petralona en Grèce, ressemble beaucoup à d’autres, trouvés dans diverses contrées comme Bodo, Kabwe, Salé et Ndutu… en Afrique ! ou encore Dali et Jinniushian… en Asie ! Autant de fossiles, qui en plus de ne pas être européens, ne ressemblent pas du tout aux Néandertaliens et n’en partagent pas les caractères dérivés. Ainsi, en attente de nouvelles découvertes et d’analyses plus poussées de tous les fossiles de cette époque, focalisons-nous sur ce qui est le plus probable. Tous les fossiles anciens qui commencent à ressembler aux Néandertaliens, car ils en seraient les ancêtres, peuvent être

ME STRER L’HOM

Le magnifique biface Excalibur d’Atapuerca me fascine depuis sa découverte. En quartzite rouge comme une flamme de pierre, que faisait-il au fond de ce puits aux ossements de la nuit des temps ? Difficile de ne pas se laisser aller à inventer toute une histoire ! Or pour les besoins de l’illustration, il faut certes mettre en scène, mais l’on doit rester factuel avant tout. Et à propos des faits, celui-ci, capital, me demeurait mystérieux : ces Homo heidelbergensis avaient-ils pu s’aventurer dans la Sima de los Huesos sans torches ? Je ne connais malheureusement pas le site personnellement alors je me suis fié aux descriptions. Il m’a semblé plus vraisemblable qu’ils aient eu un moyen d’éclairage pour accéder au puits. J’ajoute que j’étais également fort tenté de donner à l’ensemble de l’image les tons chauds d’Excalibur.

AVEL DE TAUT

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DONNÉES

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dénommés Homo heidelbergensis. Puis les spécificités anatomiques des Néandertaliens se sont progressivement exprimées de façon de plus en plus marquée au cours du temps, jusqu’à ce qu’on puisse les désigner sans ambiguïté sous un nouveau nom d’espèce : Homo neanderthalensis. Les Néandertaliens étaient nés.

Le dernier ancêtre commun a-t-il existé ?

➜ Un holotype est le spécimen utilisé pour décrire un taxon. Les paratypes sont les fossiles qui complètent cette détermination.

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Pascal Picq, (352 pages, 22,90 euros), Flammarion, 2016.

LA BANDE DESSINÉE

L’auteur, directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste de génétique des populations humaines, nous explique dans cet ouvrage comment l’ADN peut nous aider à remonter à la rencontre de nos proches ou lointains parents. Que permet-il de plus que la paléontologie ? La paléogénétique révèle des métissages entre Homo sapiens et Néandertal. Elle aide aussi à retracer les routes migratoires qu’ont suivies nos ancêtres. Cependant, ce livre va plus loin et nous incite à nous interroger sur l’intérêt croissant pour la biologisation de nos origines et des sociétés qui « vendent » des ancêtres à partir d’échantillons d’ADN. Cela ne va-t-il pas à l’encontre d’une vision plus « métissée » de l’humanité ?

Pierre Darlu, (128 pages, 7,90 euros), Le Pommier, 2016.

La paléoanthropologie est une des sciences qui évoluent le plus vite tant les fossiles et les découvertes s’accumulent rapidement. Pour s’y retrouver, ce livre est idéal. Il nous fait remonter à nos origines communes avec les singes. Cela se passe au cœur de l’ère tertiaire, durant le long Miocène (de 23 à 5,5 millions d’années), l’âge d’or des hominoïdes. Puis, au fil des pages, on suit les péripéties de notre lignée, jusqu’à l’arrivée d’Homo sapiens.

Reconstitution virtuelle du dernier ancêtre commun à l’Homme moderne et à Néandertal.

Cela peut aussi être il ne pourrait pas être utile pour comparer reconnu ! En effet, avec les fossiles il n’aurait aucun des datant de l’époque caractères propres de la séparation de aux deux espèces deux espèces ou pour qui lui succèdent, il modéliser comment les ne pourrait donc pas caractères anatomiques être reconnu comme se mettent en place. leur ancêtre unique, Des chercheurs ont mais simplement tenté cet exercice au comme un ascendant, sujet de l’hypothétique un prédécesseur aux dernier ancêtre deux groupes. Un DAC commun entre les est donc plutôt un Néandertaliens et notre représentant d’une espèce. Ils ont donc espèce hypothétique utilisé des modèles ancestrale à deux autres. 16 ● QUI ÉTAIT NÉANDERTAL ?3D de plein de crânes Cela n’empêche des deux espèces toutefois pas de se et des techniques demander à quoi il d’estimations aurait pu ressembler ! statistiques

pour prédire mathématiquement, puis recréer virtuellement un crâne théorique du dernier ancêtre commun aux Hommes modernes et aux Néandertaliens. Devinez quoi ? Cette chimère aux nombreux caractères primitifs partage quelques traits anatomiques avec Homo heidelbergensis… Ce qui n’est pas surprenant puisque cette espèce est d’un point de vue évolutif proche du dernier ancêtre commun aux Néandertaliens et à Homo sapiens.

LA PREMIÈRE AFFAIRE… ●

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QUI ÉTAIT NÉANDERTAL ?

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À LA RECHERCHE DE L’ORIGINE DES NÉANDERTALIENS ●

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Rebondissements »»

p. 110

Des actualités sur des sujets abordés dans les Dossiers précédents

»»

p. 114

Données à voir

Les informations se comprennent mieux lorsqu’elles sont mises en images

»»

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Les incontournables

Des livres, des expositions, des sites internet, des applications, des podcasts… à ne pas manquer

Rendez-vous »»

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Spécimen

Un animal étonnant choisi parmi ceux présentés sur le blog Best of Bestioles

»»

p. 120 Comment un œil scientifique offre un éclairage inédit sur une œuvre d’art

Art et science


RENDEZ-VOUS

Rebondissements DOSSIER 93 QUANTIQUE

Record de stabilité pour des qubits habillés En couplant un bit quantique à un champ électromagnétique oscillant, des physiciens ont augmenté sa durée de vie jusqu’à 2,4 millisecondes.

L

e Dossier n° 93 : Les promesses du monde quantique révélait l’espoir que suscite l’ordinateur quantique. De fait, cette machine pourrait révolutionner l’informatique, accélérer certains calculs, rendre obsolètes des systèmes de cryptographie, etc. Cependant, l’ordinateur quantique est confronté à un obstacle : les états quantiques porteurs de l’information (les qubits) sont trop rapidement détruits. Comment les stabiliser afin d’effectuer les calculs désirés ? L’équipe d’Arne Laucht, de l’université de Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, a conçu un nouveau dispositif qui améliore d’un facteur dix le temps de vie des qubits. Dans un ordinateur classique, les bits sont soit dans l’état « 0 » soit dans l’état « 1 ». Dans un ordinateur quantique, le qubit est une superposition d’états « 0 » et « 1 ». Un ordinateur qui exploiterait de tels états quantiques pourrait traiter plus d’informations en même temps et réduire drastiquement le temps de certains calculs. Cependant, la moindre perturbation peut détruire la superposition d’états – on parle de décohérence –, et l’information est perdue. À température ambiante, la durée de vie d’un qubit est inférieure à une milliseconde, une durée insuffisante pour un ordinateur quantique. Une solution consiste à refroidir le système. À quelques kelvins, un qubit peut vivre plusieurs dizaines de secondes. En 2013, une équipe était parvenue à obtenir un état stable pendant 39 minutes à température ambiante, mais cela nécessitait de préparer d’abord le qubit

à 4,2 kelvins. L’objectif serait pourtant d’avoir un ordinateur quantique qui fonctionne uniquement à température ambiante. Arne Laucht et ses collègues ont développé un moyen de stabiliser leur système quantique à température ambiante. Le qubit correspond au spin d’un électron dans un atome de phosphore. Le spin, le moment cinétique intrinsèque, de nature quantique, définit les états « 0 » et « 1 » lorsqu’il est orienté « vers le haut » et « vers le bas ». L’idée s’inspire de ce qui est fait pour la radio. Pour assurer la propagation du signal sans trop de distorsions et d’atténuation, on le module. La modulation d’amplitude (am) subit malgré tout des perturbations et le son est dégradé. Plus robuste, la modulation de fréquence (fm) s’appuie en revanche sur une onde porteuse à haute fréquence. De même les chercheurs ont couplé le spin de l’électron avec un fort champ électromagnétique oscillant à haute fréquence. Le qubit est alors dit habillé et défini comme l’orientation du spin de l’électron par rapport au champ électromagnétique. Ce couplage avec le champ électromagnétique protège le système quantique des perturbations. Les chercheurs ont ainsi réussi à obtenir des durées de vie pour le système de l’ordre de 2,4 millisecondes, soit un progrès d’un facteur dix par rapport à des systèmes précédents. Un pas de plus vers les ordinateurs quantiques ? n Sean Bailly, journaliste à Pour la Science A. Laucht et al., Nature nanotechnology, en ligne, 17 octobre 2016

»»Le dispositif qui permet de stabiliser le système

© Guilherme Tosi & Arne Laucht/UNSW

quantique portant le qubit (au centre), vu au microscope électronique. La partie bleue est l’antenne haute fréquence qui émet l’onde électromagnétique couplée avec le système quantique. La partie rouge contrôle le spin et la partie verte permet de lire sa valeur. L’ensemble fait environ un micromètre de largeur.

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La saga de l'humanité © POUR LA SCIENCE


Rebondissements »»Asymétrie cérébrale et

intelligence des chimpanzés Parmi les primates non humains, les chimpanzés sont parmi les plus intelligents ; le Dossier n° 92 : Notre cerveau a-t-il atteint ses limites ? détaillait leurs prouesses. Citons par exemple leur capacité étonnante à fabriquer des outils divers et sophistiqués. Quelles sont les bases cérébrales à ces remarquables caractéristiques ? Des neurobiologistes ont voulu y répondre. Ils ont montré que les performances des singes sont d’autant plus élevées qu’une asymétrie fonctionnelle concernant deux zones du cerveau est prononcée. Les deux zones en question sont le gyrus intérieur frontal (l’homologue chez les humains de l’aire de Broca) et le pli de passage frontopariétal moyen. Selon les auteurs, l’évolution de l’usage des outils serait associée à l’augmentation de la spécialisation de l’hémisphère gauche pour des tâches motrices.

DOSSIER 91 MATHS

Carrément dans une courbe

P

armi les formes qui n’ont pas encore livré tous leurs secrets, le Dossier n° 91 : Quand les maths prennent forme s’attardait sur le triangle, le rectangle... Le carré est également au cœur de certains problèmes qui résistent encore. Ainsi en va-t-il de la conjecture formulée par Otto Toeplitz : toute courbe fermée simple contient les quatre coins d’un carré. Grâce à des arguments homologiques (fondés sur la topologie algébrique) on sait que la conjecture est vraie pour des courbes

assez régulières : lisses, convexes, symétriques, localement monotones, c’est-à-dire sans zigzag à toute échelle... Mais la preuve du cas général, par exemple pour les courbes fractales, manque toujours. Terence Tao, de l’université de Californie à Los Angeles, a récemment apporté sa pierre à la résolution du problème. Il a poussé l’approche homologique en introduisant de nouvelles intégrales associées aux courbes. De la sorte, il peut répondre à la question (par l’affirmative) dans de nouveaux cas moins réguliers que les précédents. Terence Tao propose également des variantes du problème du carré inscrit que son approche par intégrales semble à même de résoudre. Mais il reste un dernier carré... de courbes qui résiste à la démonstration. n

Est-ce que n’importe quelle courbe fermée sans boucle (en pointillé) peut contenir un carré (en bleu) ? Peut-être, mais cette conjecture n’est pas encore démontrée.

W. Hopkins et al. Behav. Brain Res., vol. 318, pp. 71-81, 2017

Le Dossier n° 93 : Les promesses du monde quantique revenait sur les propriétés remarquables des objets quantiques. Pour les explorer, on peut piéger des atomes ultrafroids sous la forme de condensats de BoseEinstein. Quand les atomes utilisés sont magnétiques, on neutralise leurs interactions répulsives et on stabilise ainsi le condensat. Cependant, on s’est aperçu que cet effet pouvait se traduire par l’éclatement du condensat en « gouttelettes quantiques », les plus grosses pouvant contenir jusqu’à 800 atomes (de dysprosium). Ce record vient d’être pulvérisé en Autriche avec une macrogouttelette de 20 000 atomes (d’erbium). Les physiciens qui les ont obtenues pensent qu’elles pourront aider à mieux comprendre le comportement de l’hélium superfluide.

DOSSIER 90 SYSTÈME SOLAIRE

L’origine du platine

D

es articles du Dossier n° 90 : Les débuts du système solaire décrivaient ce que la Terre doit aux corps célestes qui l’ont percutée. Une équipe internationale vient d’ajouter un élément à la liste, le platine du manteau terrestre. L’essentiel de cet élément aurait été apporté par les météorites. C’est ce qu’ont conclu les géochimistes après avoir comparé la composition isotopique du platine de roches terrestres anciennes (plus de 3,85 milliards d’années) et modernes avec celle de météorites. Résultats ? Le platine des roches modernes est arrivé après la formation du noyau terrestre, celui-ci ayant capturé le platine primordial. Toutefois, il reste encore de ce dernier dans les roches anciennes. De ces données, les chercheurs déduisent que la tectonique des plaques avait déjà commencé il y a 3,85 milliards d’années. n

L. Chomaz et al., Phys. Rev. X, vol. 6, 041039, 2016

DOSSIER N°94 / JANVIER-MARS 2017 / © POUR LA SCIENCE

J. Creech et al., Geochem. Persp. Let., vol. 3, pp. 94-104, 2017

©Pierre Olivier Foucault et Joel Dyon, IPGP

»»Les gouttes quantiques

https://arxiv.org/abs/1611.07441

Les météorites ont apporté l’essentiel du platine du manteau terrestre après la formation du noyau. 111


Un nuage en bois Le cloud computing n’a rien de virtuel : il s’appuie sur des infrastructures bien réelles, notamment des centres de données. Où sont-ils ? L’œuvre de Ianis Lallemand répond.

L

e cloud computing, c’est-à-dire l’informatique dans les nuages, a envahi nos usages, qu’ils soient professionnels ou privés. Les données que nous stockons en dehors de nos propres ordinateurs ne sont toutefois pas hors sol : elles sont stockées dans des centres de données (des data centers) répartis dans le monde. Leur réalité est au cœur de Cloud Map, un projet du designer et artiste Ianis Lallemand mené dans le cadre du doctorat SACRe PSL Research University avec le laboratoire EnsadLab (groupe Reflective Interaction). À partir des coordonnées GPS de près de trois mille de ces data centers (ci-dessous), extraites d’un répertoire commercial européen, il a fabriqué un objet en bois (ci-contre) reflétant la répartition spatiale de ces installations. On constate l’importance de

l’Europe et de l’Amérique du Nord, mais aussi l’émergence de l’Inde, de la Chine et, dans une moindre mesure du Brésil. En revanche, la Russie est quasi-absente. Le bloc de bois, dépourvu de toute information, offre ainsi une matérialité épurée aux enjeux géopolitiques des réseaux numériques. Le choix du bois pour illustrer un nuage peut aussi être une allusion a l’énergie importante que consomment les data centers sans que l’on en ait vraiment conscience. Retrouvez cette datavisualisation dans le n° 4 de la revue Sciences du Design, publiée par les Presses universitaires de France (puf) : http://www.sciences-du-design.org/04/ Le site de Ianis Lallemand : http://ianislallemand.net

2 998 DATA CENTERS répartis dans le monde. Le sont-ils de façon équitable ?

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LA SAGA DE L’HUMANITÉ © POUR LA SCIENCE


Données à voir

Ianis Lallemand/SACRe PSL Research University/

UN BLOC DE BOIS USINÉ pour se rendre compte tactilement, à la façon des bornes pour non-voyants dans les musées, de la répartition inégale des data centers dans le monde.

DOSSIER N°94 / JANVIER-MARS 2017 / © POUR LA SCIENCE

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À LIRE L’Âge d’or de la robotique japonaise Zaven Paré, (276 pages, 27 euros), Les Belles Lettres, 2016.

Au Japon, au début du xxie siècle, on a assisté à une accélération du développement et de la fabrication de robots. Les machines ainsi conçues, souvent humanoïdes, étaient surprenantes et parfois inquiétantes. Pendant ce que l’auteur, artiste roboticien, nomme l’âge d’or de la robotique, on a vraiment cru à l’autonomie des robots. Les premiers exemplaires sont alors sortis des laboratoires et ont conquis le pays. Ils sont devenus omniprésents dans les établissements publics, dans les domiciles, et même sur les scènes de théâtre. Les robots se sont ainsi insérés dans la longue histoire des liens qu’entretiennent les Japonais avec, d’une part, la nature et, d’autre part, les êtres artificiels comme les poupées,

les automates. Entre tradition et modernité, conservatisme et progrès, les robots sont des traits d’union. Mais peut-être est-ce nous, occidentaux, qui créons des lignes de démarcation sans fondement pour les Japonais. Il serait alors temps d’explorer ces liens homme-machine qui se déploieront sans doute un jour de ce côté du monde.

Révolutions animales Karine Lou Matignon (dir.), (576 pages, 38 euros), Les liens qui libèrent, 2016.

Le sous-titre de l’ouvrage, « Comment les animaux sont devenus intelligents », donne le ton. De fait, dans ce livre collectif, les plus grands spécialistes internationaux dressent un portrait de l’état actuel des connaissances sur le monde animal. Intelligence, compétences, sensibilité à la douleur,

À ÉCOUTER

relation à la mort, sens de l’empathie et de l’altruisme, cultures, mémoire… Parmi les contributeurs conviés par Karine Lou Matignon, journaliste et écrivaine, spécialiste des relations de l’homme avec la nature, citons Gilles Bœuf, Boris Cyrulnik, Vinciane Despret, Élisabeth de Fontenay, Jane Goodall, Pierre Jouventin, Matthieu Ricard et Frans de Waal. Que du beau monde pour nous montrer comment, depuis une trentaine d’années, la perception que nous avons des animaux a radicalement changé. Ce beau livre, illustré de plus de 100 photographies, se compose en deux parties. La première est consacrée aux compétences des animaux mises en lumière par les découvertes les plus récentes. La seconde partie est dédiée aux relations entre les hommes et les animaux, des origines jusqu’à nos sociétés modernes, et selon les cultures. La question très actuelle du bienêtre et des droits des animaux est bien sûr aussi abordée. De quoi revoir de fond en comble ce qui vous unit à votre chat ou à votre bétail.

À CLIQUER

Les dix ans de la Tête au Carré Une centaine de scientifiques (Cédric Villani, Philippe Descola, Axel Kahn, Albert Fert, Jean Jouzel, Irène Frachon, Yves Coppens...) ont répondu à l’invitation de Mathieu Vidard pour le dixième anniversaire de La Tête au Carré, l’émission dédiée aux sciences qu’il anime sur France Inter. C’est d’ailleurs la plus ancienne des émissions scientifiques radiophoniques. Conviés par petits groupes, selon leur discipline, les chercheurs les plus célèbres se succèdent pour raconter leurs découvertes. On retiendra aussi l’intervention de Serge Haroche, Prix Nobel de physique en 2012, qui alerte sur la montée des populismes et sur les risques qu’ils font peser sur la science. Ils ne nous empêcheront pas d’écouter encore l’émission les dix prochaines années. http://bit.ly/Tac10

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Les origines de l’Homme En partenariat avec Orange et TV5 Monde, le Musée de l’Homme, un an après sa réouverture, propose un Mooc consacré aux origines de l’humanité. À travers six séquences, dix-neuf experts reconnus du Muséum national d’histoire naturelle en paléontologie, en archéologie, en génétique, en anthropologie, en biologie vous initient à l’histoire de notre espèce. Depuis ses origines africaines il y a dix millions d’années jusqu’à aujourd’hui, vous saurez tout de la grande aventure de l’Homme. Disponibles depuis le 31 octobre 2016, les séquences resteront accessibles seulement jusqu’au 29 janvier 2017. Faites vite ! http://www.mooc-originesdelhomme.com LA SAGA DE L’HUMANITÉ © POUR LA SCIENCE


Incontournables À VOIR

L’expérience Géode VR est un parcours proposé par La Géode, à Paris, pour découvrir la réalité virtuelle dans toute sa diversité et s’immerger dans différents types d’univers où l’on peut être, une fois coiffé le casque de réalité virtuelle, spectateur ou bien acteur. En un parcours d’environ une heure, le visiteur passe par trois ateliers. Dans le premier, il se familiarise avec cette nouvelle technologie. Installé dans un fauteuil tournant, il découvre des créations ou des documentaires, notamment réalisés en partenariat avec Arte. Ensuite dans les deux ateliers suivants, l’interactivité augmente. D’abord, on s’initie aux nouveaux jeux de la Playstation VR : on devient par exemple un aigle explorant un Paris futuriste où la nature et la vie sauvage ont repris leurs droits. Enfin, on pénètre dans le salon du futur équipé de HTC Vive. Là, il s’agit notamment de défendre avec un arc virtuel son château. Les propositions évolueront, mais à chaque fois, l’expérience grisante de plonger dans l’inconnu sera au rendez-vous. http://bit.ly/GeodeVR

© Le Vaisseau

PÊLE-MÊLE

La vidéo Crystal Birth d’Emanuele Fornasier, un étudiant italien, est une invitation à la contemplation chimique ! On y voit en timelapse le lent processus de cristallisation d’un métal au cours d’une électrolyse. Grâce à un courant électrique, des ions métalliques en solution se fixent sur un support (une électrode) et perdent leur charge : le cristal de métal (cuivre, argent, étain...) croît, couche par couche. Le processus enregistré dure de quelques heures à plusieurs jours. Le plomb est le plus féerique ! https://vimeo.com/137625468 DOSSIER N°94 / JANVIER-MARS 2017 / © POUR LA SCIENCE

Le Lab’Oh Quel est le point commun entre le mathématicien démontrant un théorème ardu, un peintre sur le point de réaliser son chef-d’œuvre, un designer finalisant l’objet qui va révolutionner notre quotidien… ? Chez eux, la créativité est à son paroxysme. Les arcanes de cette effervescence du cerveau restent encore mystérieux. Néanmoins, elle est présente chez nous tous, tapie et discrète, ou exubérante. Et elle ne demande qu’à s’exprimer, surtout chez les enfants. Alors plutôt que de les laisser transformer votre salon en champ d’expérimentations farfelues, emmenez-les au Vaisseau, à Strasbourg. Ce lieu propose aux enfants de découvrir les sciences et les techniques par le jeu et de nombreuses activités. L’établissement vient d’inaugurer le 27 septembre 2016 Lab’Oh, un nouvel espace entièrement dédié à la créativité sous toutes ses formes. Au programme : oser, essayer, chercher, creuser, construire et détruire, faire et refaire, se tromper, recommencer, réussir, s’arrêter et reprendre… Sur 400 mètres carrés, dix expériences à réaliser seul ou à plusieurs stimulent l’intelligence créative des enfants – et des adultes qui les accompagnent. Ainsi au gré de ses envies le visiteur construit son propre parcours, entre manipulations individuelles ou expérimentations à 2, 3... À quel genre d’activité peut-on s’adonner ? Dans la partie Incroyables machines, une cloison perforée de 9 mètres de lon-

gueur sur deux de hauteur accueille une multitude de pièces détachées (corniches, rails, tuyaux...). L’objectif est de jouer avec les pentes, les intervalles, les rebonds... pour conduire une balle jusqu’à un point d’arrivée. Par essais, erreurs et améliorations successives, le trajet parcouru s’allonge. L’enfant devient sans s’en apercevoir un ingénieur face à un problème technique ! Citons aussi les activités Ombres figées, Jeu de mots, Dessine-moi une idée !, Objets combinés... Une zone de défis collectifs est installée au centre de Lab’Oh. Avec des briques, des pailles et des planchettes, le visiteur construit selon ses inspirations. Ou bien il peut aussi se lancer dans une aventure créative en relevant un défi qu’il découvre dans une boîte. Ces défis sont de trois types : « réflexion », « performance » et « utopie ». C’est alors parti pour de longs moments à la recherche de la meilleure solution, la plus belle, la plus étonnante, la plus drôle. L’objectif n’est pas de trouver LA bonne réponse, mais plutôt de suivre les innombrables chemins qui mènent à UNE solution. On y passe facilement l’après-midi entière. Information utile : les adultes dépassés par la créativité de leur progéniture peuvent se réfugier dans un espace de détente et de réflexion où les attendent des canapés et... des casques antibruit. Le Lab’oh, au Vaisseau, 1 bis rue Philippe-Dollinger, à Strasbourg : www.levaisseau.com

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Gallo Images-Anthony Bannister/Gettyimages

Fulgore au point Connaissez-vous les fulgores ? Ce sont des insectes hémiptères (cigales, punaises…) de la superfamille des Fulgoroidea. Ici on aperçoit des nymphes de l’espèce Lycorma delicatula. Chez cette espèce, et chez beaucoup d’autres, ces nymphes fabriquent une sorte de cire hydrophobe avec des glandes situées à l’extrémité de leur abdomen, près de leur anus. Ces décorations contribueraient au camouflage ou bien ralentiraient la chute des insectes, à la façon d’un parachute. Le problème est que Lycorma delicatula ravage les cultures en Chine, depuis peu en Corée et même en Amérique du Nord. Pour lutter, on doit bien connaître l’ennemi. C’est pourquoi des biologistes ont récemment étudié la morphologie des pièces buccales de l’insecte et le fonctionnement de ses sensilles (des soies sensorielles). On a désormais un portrait-robot précis. Y. Hao et al., PLoS One, vol. 11(6), e0156640, 2016. Cette photographie est extraite du blog Best of Bestioles : http://bit.ly/PLS-BOB. Retrouvez tous les billets de ce blog en flashant le code ci-contre.

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LA SAGA DE L’HUMANITÉ © POUR LA SCIENCE


Spécimen

DOSSIER N°94 / JANVIER-MARS 2017 / © POUR LA SCIENCE

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Prochain numéro en kiosque le 5 avril 2017

L’intestin, un monde à part Nous abritons dans notre ventre plus de bactéries que notre corps ne compte de cellules. Cette flore intestinale – ce microbiote – influe certes, sur la digestion, mais aussi sur la corpulence, l’immunité, l’humeur, la santé du cerveau, les allergies, le développement de certains cancers... Un numéro pour faire le point sur ces bactéries qui nous gouvernent, ou presque.

© Shutterstock.com/Incredible_movements

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www.pourlascience.fr Achevé d’imprimer chez Roto Aisne (02) - N° d’imprimeur N° 16/12/0006 - N° d’édition : M0770694-01 - Dépôt légal : janvier 2017. Commission paritaire n° 0917K82079 du 19-09-02-Distribution : Presstalis- ISSN 1 246-7685- Directrice de la publication et gérante : Sylvie Marcé.


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