Les Génies de la Science n° 14 | Galois (Extrait)

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LES GÉNIES DE LA SCIENCE

LES GÉNIES DE LA SCIENCE Le mathématicien maudit

Galois POUR LA SCIENCE

Trimestriel Février 2003 – Mai 2003 FRANCE METRO 5,95 €, DOM 5,95 €, BEL 6,77 €, CAN 8,75 $, CH 10,80 FS, LUX 6,77 €, PORT. CONT. 6,48 €, MAR 50 MAD, MAU7,62 €

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N°14


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GALOIS,

par Norbert VERDIER 3. Galois, le météore 4. Une mort violente

N°14 •Février 2003

49. Les lectures de Galois Galois, lecteur assidu des mathématiques de son temps, se passionne pour les travaux de Lagrange (1770) et de Cauchy (1815). Hélas, comme ceux de son collègue en infortune Abel, ses manuscrits sont négligés ou perdus.

Le 31 mai 1832, Évariste Galois s’éteint à l’âge de 21 ans, victime d’un duel pour «une infâme coquette». La veille du rendez-vous fatal, le jeune homme résume ses travaux dans une lettre à un ami.

56. La théorie de Galois Galois répond à une question vieille de trois siècles : quelles sont les équations dont les solutions s’expriment par radicaux? Pour cela il autopsie une équation pour en déterminer les symétries.

8. Une vie à fleur de peau En 1827, Évariste Galois, élève dissipé et taquin, découvre les mathématiques. Ses travaux sont prometteurs, mais la cour des grands lui reste fermée. Sa fougue révolutionnaire n’arrange rien.

77. L’algèbre après Galois Dès la deuxième moitié du XIXe siècle, les mathématiciens s’emparent de la théorie de Galois et l’étendent à tous les objets possibles des mathématiques, voire d’autres disciplines.

21. Obstiné, mais maudit Le 9 mai 1831, l’ardent Évariste Galois scelle son destin en portant un toast où il menace le roi Louis-Philippe. De procès en prisons, il ne goûtera à nouveau la liberté que pour mourir en duel.

86. Des applications 34. Une œuvre dense et ... elliptique

L’étude des corps finis amorcée par Galois a permis aux mathématiciens du XXe siècle de concevoir des codes correcteurs d’erreurs qui augmentent la fiabilité des informations transmises par ordinateur.

Depuis 1846, les travaux de Galois ont été regroupés, publiés et épluchés de nombreuses fois. Aujourd’hui encore, plusieurs points restent obscurs, telles ses recherches sur les fonctions elliptiques.

39. Nombres et équations L’algèbre naquit au IXe siècle, sous la plume du mathématicien arabe al-Khwarizmi. Dès lors, les équations fleurirent et la recherche de leurs solutions induisit le développement de nombreux domaines mathématiques. Encarts d’abonnement entre les pages 0 et 1, un encart broché service lecteurs et une carte d’abonnement entre les pages 96 et 97. Couverture Yves Charnay

93. Galois, aujourd’hui Aujourd’hui, la théorie de Galois est vivante et utile dans nombre de domaines des mathématiques, notamment la théorie de Galois différentielle.


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GALOIS,

par Norbert VERDIER 3. Galois, le météore 4. Une mort violente

N°14 •Février 2003

49. Les lectures de Galois Galois, lecteur assidu des mathématiques de son temps, se passionne pour les travaux de Lagrange (1770) et de Cauchy (1815). Hélas, comme ceux de son collègue en infortune Abel, ses manuscrits sont négligés ou perdus.

Le 31 mai 1832, Évariste Galois s’éteint à l’âge de 21 ans, victime d’un duel pour «une infâme coquette». La veille du rendez-vous fatal, le jeune homme résume ses travaux dans une lettre à un ami.

56. La théorie de Galois Galois répond à une question vieille de trois siècles : quelles sont les équations dont les solutions s’expriment par radicaux? Pour cela il autopsie une équation pour en déterminer les symétries.

8. Une vie à fleur de peau En 1827, Évariste Galois, élève dissipé et taquin, découvre les mathématiques. Ses travaux sont prometteurs, mais la cour des grands lui reste fermée. Sa fougue révolutionnaire n’arrange rien.

77. L’algèbre après Galois Dès la deuxième moitié du XIXe siècle, les mathématiciens s’emparent de la théorie de Galois et l’étendent à tous les objets possibles des mathématiques, voire d’autres disciplines.

21. Obstiné, mais maudit Le 9 mai 1831, l’ardent Évariste Galois scelle son destin en portant un toast où il menace le roi Louis-Philippe. De procès en prisons, il ne goûtera à nouveau la liberté que pour mourir en duel.

86. Des applications 34. Une œuvre dense et ... elliptique

L’étude des corps finis amorcée par Galois a permis aux mathématiciens du XXe siècle de concevoir des codes correcteurs d’erreurs qui augmentent la fiabilité des informations transmises par ordinateur.

Depuis 1846, les travaux de Galois ont été regroupés, publiés et épluchés de nombreuses fois. Aujourd’hui encore, plusieurs points restent obscurs, telles ses recherches sur les fonctions elliptiques.

39. Nombres et équations L’algèbre naquit au IXe siècle, sous la plume du mathématicien arabe al-Khwarizmi. Dès lors, les équations fleurirent et la recherche de leurs solutions induisit le développement de nombreux domaines mathématiques. Encarts d’abonnement entre les pages 0 et 1, un encart broché service lecteurs et une carte d’abonnement entre les pages 96 et 97. Couverture Yves Charnay

93. Galois, aujourd’hui Aujourd’hui, la théorie de Galois est vivante et utile dans nombre de domaines des mathématiques, notamment la théorie de Galois différentielle.


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Une mort violente Le 31 mai 1832, Évariste Galois s’éteint à l’âge de 21 ans, victime d’un duel pour «une infâme coquette». La veille du rendez-vous fatal, le jeune homme résume ses travaux dans une lettre à un ami.

– Un duel déplorable a enlevé hier aux sciences exactes un jeune homme qui donnait les plus hautes espérances, et dont la célébrité précoce, ne rappelle cependant que des souvenirs politiques. Le jeune Évariste Gallois, condamné il y a un an pour des propos tenus au banquet des Vendanges de Bourgogne, s’est battu avec un de ses anciens amis, tout jeune homme comme lui, comme lui membre de la société des Amis du Peuple, et qui avait, pour dernier rapport avec lui, d’avoir figuré également dans un procès politique. On dit que l’amour a été la cause du combat. Le pistolet étant l’arme choisie par les deux adversaires, ils ont trouvé trop dur pour leur ancienne amitié d’avoir à viser l’un sur l’autre, et ils s’en sont remis à l’aveugle décision du sort. A bout portant, chacun d’eux a été armé d’un pistolet, et a fait feu. Une seule de ces armes était chargée. Gallois a été percé d’outre en outre par la balle de son adversaire; on l’a transporté à l’hôpital Cochin, où il est mort au bout de deux heures. Il était âgé de 22 ans. L. D., son adversaire, est un peu plus jeune encore.

ans la Gazette des tribunaux du 7 juin 1832, un procès-verbal rend compte : «Le jeune Évariste Galois, âgé de 21 ans, bon mathématicien, connu surtout par son imagination ardente, vient de succomber [le 31 mai 1832 à l’hôpital Cochin dans l’actuel XIIIe arrondissement de Paris] en 12 heures à une péritonite suraiguë, déterminée par une balle tirée à 25 pas.» Suit une description précise de la blessure. La fin du texte, «six onces de sang étaient épanchées dans le petit bassin, des adhérences unissaient déjà les intestins au péritoine qui était pointillé de rouge», rappelle les derniers vers du Dormeur du val, d’Arthur Rimbaud : «Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.» Ce rapprochement n’est pas anodin ; on peut dire en effet qu’ Évariste Galois est aux mathématiques ce que Rimbaud est à la littérature.

D

Un duel mystérieux Le 30 mai, le jeune Galois est provoqué en duel près de l’étang de la Glacière à Gentilly. À cette époque, Gentilly occupe une bonne partie du XIIIe arrondissement actuel de Paris. La Bièvre n’est pas recouverte et draine de nombreuses activités. Ainsi, sous Louis XV, alors que la Bièvre n’était pas souillée par les activités industrielles, on exploitait son eau de manière originale : au bas du quartier de la Butte-aux-Cailles, la Bièvre se répandait en une couche d’eau peu profonde, formant des prés inondables. L’hiver, lorsque l’eau gelait, on brisait la glace et on la stockait pour le reste de l’année dans des puits en maçonnerie recouverts de terre. L’actuel quartier de la Glacière doit son nom à cette ancienne activité. Les étangs de la glacière étaient aussi des lieux de patinage fort prisés. L’abbé Détruissart, curé de Gentilly et auteur de l’ouvrage Promenade au centre du Grand Gentilly près de Paris, paru en 1821, raconte :

Extrait du Journal de Lyon du 4 et 5 juin 1832, relatant avec certaines inexactitudes les circonstances de la mort du jeune Évariste Galois.

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Duel au pistolet. Les règlements de compte par le duel faisaient partie des mœurs au début du XIXe siècle. © POUR LA SCIENCE


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Et dans la saison des frimas, tous les jours, quand les eaux des prairies qui sont à gauche se transforment en cristal, on y voit aussi accourir, de tous les points de la ville, une ardente jeunesse. Par son empressement à y arriver, elle semble déjà jouir de l’agrément qu’elle va bientôt goûter en parcourant, un fer sous les pieds, de longs espaces avec la rapidité de l’éclair, ou en dessinant avec grâce des figures extrêmement difficiles à exécuter. Ainsi, les étangs de la glacière jouissent du prestige qu’ont de nos jours les lacs de Boulogne ou de Vincennes. Ils seront remblayés vers 1877. C’est près de l’un d’eux que, le 31 mai 1832, un paysan découvre le corps d’Évariste Galois, blessé. Il l’emmène à l’hôpital Cochin. Trop tard. Les témoins du duel ont-ils abandonné Galois? Sont-ils allés chercher de l’aide? Les circonstances exactes du drame ne sont pas claires. D’après le cousin maternel de Galois, Gabriel Demante, seul son jeune frère, Alfred Galois, assista à ses dernières heures. Aux pleurs fraternels, Évariste répondit : «Ne pleure pas, j’ai besoin de tout mon courage pour mourir à 20 ans.» Le frère de Gabriel Demante, l’abbé Demante, précise que Galois, en pleine connaissance, a refusé l’extrême-onction. Il succombe quelques heures à peine après être entré à l’hôpital Cochin.

Les obsèques d’un jeune républicain La Tribune annonce : «Les obsèques de M. Évariste Galois, artilleur de la Garde nationale parisienne, et membre de la Société des Amis du Peuple auront lieu aujourd'hui samedi 2 courant. Le convoi partira de l’hospital Cochin à 11 heures et demie du matin.» Le journal précise, dans son numéro du 3 juin : Le convoi d’Évariste Galois a eu lieu aujourd'hui samedi, à midi. Une députation des Amis du Peuple, des élèves des écoles de droit et de médecine, un détachement de l’artillerie parisienne et de nombreux amis l’accompagnaient. Arrivé aux boulevards extérieurs, le corps a été enlevé du char funéraire et porté à bras jusqu’au cimetière du Montparnasse. Les citoyens Plagniol et Charles Pinel ont vivement exprimé sur la tombe de Galois les regrets de ses nombreux amis. Deux autres patriotes ont rendu le même devoir à sa mémoire. Les obsèques du jeune républicain auraient dû se conclure par un soulèvement populaire fomenté par ses pairs, mais celui-ci fut repoussé de quelques jours, comme le relate le préfet Gisquet dans ses Mémoires : Un républicain exalté, le sieur Gallois, est tué en duel par un de ses amis ; son convoi doit avoir lieu le 2 juin ; […] le moment paraît décisif ; les républicains veulent attaquer après avoir enterré leur camarade. Cet enterrement était un bon prétexte pour convoquer toute la faction. Dans la soirée du 1er juin, les notabilités républicaines, c’est-à-dire les principaux membres des

Portrait moderne de Galois à l’âge de 17 ans, dessiné par David Johnson. L’ardente fougue du jeune mathématicien le perdra quelques années plus tard.

Coll. Arch. Dép. du Val de Marne

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La Bièvre à Gentilly, au début du XIXe siècle. © POUR LA SCIENCE


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Une vie à fleur de peau En 1827, Évariste Galois, élève dissipé et taquin, découvre les mathématiques. Ses travaux sont prometteurs, mais la cour des grands lui reste fermée. Sa fougue révolutionnaire n’arrange rien.

G À droite, la rue de Bourg-La-Reine où naquit Galois. À gauche en haut, sa maison natale vue de la rue, en bas, vue de la cour (peinture de N. Markovitch).

alois est né à Bourg-La-Reine le 25 octobre 1811. Son grand-père paternel dirigeait une institution scolaire, qu’il avait léguée à son fils cadet, le père d’Évariste, car son aîné, officier de la Garde impériale, se battait aux quatre coins de l’Europe. Pendant les Cent-Jours (bref retour de Napoléon au pouvoir entre le 20 mars et le 18 juin 1815), Nicolas-Gabriel Galois devient maire de la commune. Plus tard, il épouse sa voisine, Adélaïde-Marie Demante, fille de Thomas-François Demante, docteur agrégé à la Faculté de droit de l’ancienne Université de Paris, puis président du Tribunal de Louviers ; latiniste passionné, ce dernier a transmis à sa fille une solide culture classique (philosophie, littérature…) et religieuse.

Une enfance paisible Évariste Galois est éduqué par sa mère jusqu’à l’âge de 12 ans : les mathématiques ne sont vraisemblablement pas au programme, mais, selon la tradition familiale, le jeune Évariste reçoit une solide formation classique et religieuse. Pas de dévotion chez les Galois, mais une étude critique de la religion. Ainsi, sa mère lui fait comparer les textes sacrés aux textes de Cicéron ou de Sénèque. Cette influence se percevra plus tard dans les appréciations de ses professeurs au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Presque toutes sont mitigées, exceptées celles concernant l’instruction religieuse : «Devoirs religieux : bien.» «Je ne crois pas qu’il soit dépourvu de sentiments religieux.» «Il se tient

Ass. Bourg-La-Reine De jadis à demain

© POUR LA SCIENCE


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En mai 1825, alors que Galois est encore un élève modèle du lycée Louis-le-Grand, Charles X est sacré Roi de France à Reims (Peinture de François Gérard).

passablement pendant les exercices religieux.» «Il se tient assez bien pendant les exercices religieux.» etc. (au troisième trimestre de mathématiques spéciales, cependant, l’appréciation est plus modérée : «Sa tenue dans les exercices religieux n’est pas toujours aussi bonne qu’on pourrait le désirer.»). Jusqu’à sa mort, Galois sera marqué par son éducation religieuse. Ainsi, ses derniers mots : «Pardon pour ceux qui m’ont tué, ils sont de bonne foi», rappellent ceux du Christ sur la croix. À 12 ans, Galois entre au lycée Louis-le-Grand en tant qu’interne. Premier choc. Il passe d’une atmosphère de famille paisible à une atmosphère confinée et violente. Le lycée, masse grisâtre imposante hérissée de grilles, ne ressemble pas à celui que l’on connaît aujourd’hui. Les proviseurs s’y succèdent. Lorsque Galois y entre, un nouveau proviseur, M. Berthot, s’apprête à diriger l’établissement avec autorité. On est en 1823, le comte d’Artois – le futur Charles X –, à la tête des ultra-royalistes, est en passe de prendre le pouvoir. Au lycée, certains élèves, en dignes héritiers de la Révolution Française, accusent Berthot de préparer le retour des Jésuites. Des conflits naissent : les élèves refusent de chanter pendant l’office à la Chapelle du lycée et, en 1824, lors de la SainteCharlemagne, ils ne portent pas le toast en l’honneur du roi. Les marques de mécontentement se multiplient. 117 élèves sont expulsés. Galois n’y prend pas part, mais l’enfant, après avoir grandi au milieu des livres, dans le cadre familial, découvre ses premières luttes sociales. Scolairement, Évariste n’a aucun problème. Il accumule les prix, en classe comme au Concours général. En Seconde cependant, la situation se dégrade : Galois cesse d’être l’élève que tout professeur rêve d’avoir. Dans une lettre du 21 août 1826, le proviseur, M. Laborie, conseille au père de Galois un redoublement : Monsieur, l’intelligence, l’esprit peuvent suppléer au travail, mais ne peuvent remplacer le jugement qui ne mûrit qu’avec l’âge. Telle est, n’en doutez pas, l’unique cause de la défaite qu’a éprouvée monsieur votre fils cette année. M. Roger, avec lequel je me suis longtemps entretenu sur son compte, m’a témoigné le désir de le voir redoubler. Quoique je vous en ai fait plusieurs fois en vain la proposition, je me détermine néanmoins avec plaisir à cette nouvelle démarche, car toute espèce d’amour-propre cesse chez moi du moment qu’il s’agit du bien-être d’un élève. Or dussé-je éprouver un nouveau refus, je ne craindrai pas de dire que cette mesure est l’unique moyen de ramener le succès du jeune homme et de ménager sa santé : qu’il se garde du reste de croire que ses nouveaux rivaux lui laisseront une victoire facile. Il aura affaire à une des © POUR LA SCIENCE

Le siècle de Galois 1804-1814 : Premier Empire. Grandeur et décadence de l’Empereur Napoléon Ier. 1814 : Retour de Louis

XVIII.

1815 : Retour de l’Empereur : les Cent-Jours. 1815-1830 : Seconde Restauration. Louis XVIII (1815-1824), puis Charles X (1824-1830). 1830-1848 : Monarchie de Juillet. Louis-Philippe. 1848-1851 : Deuxième République. Louis Napoléon Bonaparte. 1852-1870 : Second Empire. Napoléon III. 1871 : Commune de Paris. 1873 : Troisième République. 1885-1899 : Le temps des crises (Panama, Dreyfus, attentats anarchistes, etc.)

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Obstiné, mais maudit Le 9 mai 1831, l’ardent Évariste Galois scelle son destin en portant un toast où il menace le roi Louis-Philippe. De procès en prisons, il ne goûtera à nouveau la liberté que pour mourir en duel.

ébut avril 1831 a lieu le «procès des 19», procès de 19 républicains inculpés lors de violentes manifestations ouvrières et étudiantes, en décembre 1830. Alexandre Dumas raconte un extrait du procès dans ses Mémoires : Monsieur Pescheux d’Herbinville, lui dit le président Hardouin, vous êtes accusé d’avoir eu des armes à votre disposition, et d’en avoir distribué. Avouez-vous le fait? Pescheux d’Herbinville se leva. C’était un beau jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans, blond, soigné de sa personne, délicat dans ses manières. Les cartouches qu’on avait saisies chez lui étaient enveloppées de papier de soie, et enjolivées de faveurs roses. Non seulement, ditil, j’avoue le fait, monsieur le président, mais encore je m’en vante […] Oui, j’ai eu des armes, et beaucoup! et je vais vous dire comment je les ai eues. En juillet, j’ai à la tête d’une quinzaine d’hommes, au milieu du feu, pris successivement trois postes ; les armes que j’ai eues, ce sont celles des soldats que j’ai désarmés. Or, moi, je me battais pour le peuple, et ces soldats tiraient sur le peuple. Suis-je coupable d’avoir pris des armes qui, dans les mains où elles se trouvaient, donnaient la mort à des citoyens? Une salve d’applaudissements accueillit ces paroles.

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Aux Vendanges de Bourgogne Les accusés sont acquittés par le jury d’assises. Pour fêter cette victoire, les républicains organisent un banquet le 9 mai, aux Vendanges de Bourgogne, un restaurant de Belleville. Dumas-Père poursuit : Il eût été difficile de trouver dans tout Paris deux cent convives plus hostiles au gouvernement que ne l’étaient ceux qui se trouvèrent réunis, à cinq

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Sous la Restauration, les opposants au régime se réunissaient souvent dans des cabinets de lecture. © POUR LA SCIENCE


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Les Vendanges de Bourgogne

L

e restaurant des Vendanges de Bourgogne était un qui eut lieu au restaurant des Vendanges de Bourgogne. lieu prisé au début du XIXe siècle. Dans ses Mémoires, Un jardin couvert, dont les arbres formaient des colonnes ornées de guirlandes de fleurs et de verdure, avait été Charles Paul de Kock écrit : Il existait alors [Nous sommes en 1811], faubourg du transformé en salle de festin. Temple, à gauche, en montant par le boulevard, à la hauteur de l’endroit où l’on creusa plus tard le canal Saint-Martin, un petit restaurant appelé les Vendanges de Bourgogne, destiné à devenir, sous ce même nom, une des maisons les plus achalandées de Paris, celle où se célébraient le plus de repas de corps et de noces bourgeoises […] jusqu’au jour où, comme tant de nations, tant d’hommes et tant de choses, après avoir brillé du plus vif éclat, tout d’un coup elle s’éclipserait. Sic transit gloria mundi. George Sand évoque aussi ce restaurant dans son ouvrage Histoire de ma vie, et Achille de Vaulabelle écrit, dans son Histoire des deux restaurations : Le 1er avril [1830], 750 électeurs et notables citoyens offrirent aux La descente de la Courtille, peinture de C. Nanteuil. Sous la Restauration, la députés de la Seine et aux autres Courtille, quartier entre Paris et Belleville, foisonne de cabarets et de guinguettes membres de l’opposition domici- comme les Vendanges de Bourgogne, et devient le lieu de distraction favori des liés ou restés à Paris un banquet Parisiens le dimanche et à mardi-gras.

La monarchie de Juillet suscita de vives critiques. Articles satiriques et caricatures fleurirent dans la presse populaire. Ci-dessous, la métamorphose de Louis-Philippe en poire, par Honoré Daumier.

heures de l’après-midi, dans une longue salle du rez-de-chaussée sur le jardin. J’étais placé entre Raspail, qui venait de refuser la croix, et un artiste du Théâtre-Français, qui était venu là avec moi, mais bien moins par conviction politique que par curiosité. Marrast était dépositaire des toasts officiels qui devaient être portés, et il était bien convenu qu’on n’en porterait point d’autres que ceux qui avaient été approuvés par le président. Les choses marchèrent assez convenablement pendant les deux-tiers du dîner ; mais, aux détonations des bouteilles de vin de Champagne qui commençaient à simuler une fusillade assez bien nourrie, les esprits s’exaltèrent ; la conversation, naturellement toute politique, s’éleva jusqu’à un dialogue des plus hasardeux et, au milieu des toasts officiels, se glissèrent peu à peu les toasts particuliers. […] C’était le tour d’Etienne Arago. Il se leva. «Au soleil de 1831!» dit-il ; «puisse-t-il être aussi chaud que celui de 1830, et ne pas nous éblouir comme

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