NUMÉRO
SPÉCIAL
Décembre 2012 - n° 422 Édition française de Scientific American
L’HOMME
2.0
L’être humain réparé, transformé, augmenté...
Jusqu’où ?
La vie en réseaux Ne plus vieillir Des stimulants pour le cerveau ? Vivre dans l’espace Les limites de la connaissance
M 02687 - 422 S - F: 6,80 E - RD
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ÉDITO POUR LA
de Françoise Pétry directrice de la rédaction
www.pourlascience.fr 8 rue Férou, 75278 PARIS CEDEX 06 Standard : Tel. 01 55 42 84 00 Groupe POUR LA SCIENCE Directrice de la rédaction : Françoise Pétry Pour la Science Rédacteur en chef : Maurice Mashaal Rédacteurs : François Savatier, Marie-Neige Cordonnier, Philippe Ribeau-Gésippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin Cerveau & Psycho Rédactrice en chef : Françoise Pétry Rédacteur : Sébastien Bohler L’Essentiel Cerveau & Psycho Rédactrice : Bénédicte Salthun-Lassalle Directrice artistique : Céline Lapert Secrétariat de rédaction/Maquette : Annie Tacquenet, Sylvie Sobelman, Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy Site Internet: Philippe Ribeau-Gésippe assisté de Yoan Bassinet Marketing: Élise Abib Direction financière : Anne Gusdorf Direction du personnel : Marc Laumet Fabrication : Jérôme Jalabert assisté de Marianne Sigogne Presse et communication : Susan Mackie Directrice de la publication et Gérante: Sylvie Marcé Conseillers scientifiques : Philippe Boulanger et Hervé This Ont également participé à ce numéro : David Boilley, Gilles Cambonie, Yves Dauvilliers, Vincent Delourmel, Alain Finkel, Alain Gestreau, Stéphanie Girardclos, Pierre Kuhn, Dominique Langin, Alain Lieury, Jérémie Mattout, Christian Naulin, Bernard Schmitt, Nicole Scotto di Carlo, Olivier Sorlin, Christelle Stodel, Thierry Stoecklin, Daniel Tacquenet, Pascal Tassy, Sophie Tempere, Jérôme Weiss PUBLICITÉ France
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Quelle humanité pour demain?
P
ersonne ne voudrait de la société que l’écrivain britannique Aldous Huxley a décrit dans son roman Le meilleur des mondes (1932). La génétique y a progressé au point que la reproduction des êtres humains ne se fait plus que dans des éprouvettes. On maîtrise suffisamment le développement de l’embryon pour ajouter dans le milieu où il est élaboré des substances qui orientent infailliblement son devenir social. Les enfants sont conditionnés pendant leur sommeil. Tous les individus sont « heureux », et si l’euphorie vient à faiblir, une substance, le « soma », la fait instantanément réapparaître. Amour et émotions sont prohibés... Comme souvent, les romans de science-fiction poussent le trait, mais certaines de leurs «prédictions» apparaissent a posteriori comme des anticipations. À ceci près que les innovations d’aujourd’hui ne visent pas à asservir l’être humain, mais à l’aider. Ainsi, les techniques d’assistance médicale à la procréation offrent aux couples stériles la
Et si nous cultivions mieux notre jardin ? possibilité de devenir parents. Des prothèses commandées par le cerveau devraient permettre à des personnes amputées de remarcher. Des généticiens parviennent à modifier « facilement » l’identité d’une cellule, ouvrant la voie à des techniques de réparation de tissus lésés. Ces travaux, publiés en 2006, ont été récompensés par le prix Nobel de médecine 2012 avec une rapidité qui souligne les espoirs thérapeutiques sous-jacents à la découverte. Ne nous leurrons pas. Tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, pour paraphraser le Candide de Voltaire. Ainsi, les molécules supposées améliorer les performances cognitives sont sans effet sur le cerveau sain. Plusieurs des nouvelles techniques envisagées soulèvent des questions éthiques. Par ailleurs, leur accès au plus grand nombre reste un enjeu essentiel : elles ne devront pas creuser de fossés entre ceux qui en bénéficieront et les autres. Il faudra également veiller à ce qu’elles ne renforcent pas l’isolement des individus, dont certains vivent déjà dans un monde quasi virtuel. Et si, à l’image de Candide, nous cultivions mieux notre jardin ? L’espoir d’un homme augmenté – l’homme 2.0 – est dans les esprits. N’en négligeons pas pour autant sa version 1.0, l’homme d’aujourd’hui, social, doué d’émotions, de créativité, de joie de vivre, d’aspiration à se cultiver, apprendre, découvrir, aimer, partager, rêver... I
Édito
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SOMMAIRE 1
ÉDITO
4
BLOC-NOTES Didier Nordon
Actualités Lutter contre l’inflammation chronique de l’intestin 8 Le long périple d’une météorite martienne 9 Onde, particule ou entre les deux 12 Pourquoi l’atmosphère manque de xénon ... et bien d’autres sujets. 6
L’homme 2.0 L’être humain réparé, transformé, augmenté...
Jusqu’où ?
Opinions 16
POINT DE VUE
Le tout-anglais, une doctrine obsolète Michaël Oustinoff
17
DÉVELOPPEMENT DURABLE
Alimentation durable : agir du champ à l’assiette Catherine Esnouf
20
VRAI OU FAUX
Être ébloui par les phares d’une voiture, est-ce une fatalité ? Laurent Laloum
22 Aux limites de l’être humain BIOLOGIE
François Savatier
28 De l’humain au transhumain PHILOSOPHIE
Jean-Michel Besnier
36 Les records sportifs SCIENCE ET SOCIÉTÉ
auront-ils une fin ?
G. Berthelot, A. Sedeaud, M. Guillaume et J.-F. Toussaint
44 Les limites de la connaissance ÉPISTÉMOLOGIE
Hervé Zwirn
52 L’homme en réseau SOCIOLOGIE
et les sociabilités distantes Nicolas Auray
58 Vivre dans l’espace MÉDECINE
Nathalie Pattyn et Pierre-François Migeotte
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Sommaire
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© Pour la Science - n° 422 - Décembre 2012
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n° 422 - Décembre 2012
66 Quelle procréation
Regards
MÉDECINE
pour demain ?
122
Wegener, le Darwin de la géologie
Pierre Jouannet
Eric Buffetaut
74 Prématurité : une nouvelle MÉDECINE
génération d’enfants Hugo Lagercrantz
HISTOIRE DES SCIENCES
L’idée d’une dérive des continents, proposée il y a un siècle, a mis plus de 40 ans pour s’imposer.
126
LOGIQUE & CALCUL
Être normal ? Pas si facile !
82 Des cellules souches
Jean-Paul Delahaye
BIOLOGIE CELLULAIRE
La notion de normalité, qui porte sur les chiffres du développement d’un nombre réel, est née en 1908. Elle s’est révélée riche.
pour réparer et régénérer les tissus ? Laure Coulombel
132
L’homme du futur dans la science-fiction
90 Les prothèses pilotées NEUROSCIENCES
par la pensée
SCIENCE & FICTION J.-S. Steyer et R. Lehoucq
134
ART & SCIENCE
L’art abstrait, une question de bon sens
Miguel Nicolelis
Loïc Mangin
136
IDÉES DE PHYSIQUE
Les brouillards de mélange Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik
140
SCIENCE & GASTRONOMIE
Inventons de nouveaux gels Hervé This
142
98 Augmenter les performances NEUROSCIENCES
du cerveau : un leurre ?
À LIRE
Rendez-vous sur fr
Hervé Chneiweiss
106 La conscience : NEUROSCIENCES
comment la déceler ? Olivia Gosseries et Steven Laureys
114 Toujours jeunes ? BIOLOGIE MOLÉCULAIRE Miroslav Radman Ce numéro comporte deux encarts d’abonnement Pour la Science « Offre spéciale Noël » brochés sur la totalité du tirage, une offre « Numéro spécial » en p. 105 et une sélection de beaux livres en p. 120. Illustration de couverture : © Ken Brown
© Pour la Science - n° 422 - Décembre 2012
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ACTUALITÉS Biomédecine
Une bactérie pour lutter contre l’inflammation chronique de l’intestin Des biologistes ont protégé des souris contre cette pathologie en libérant dans leur intestin, grâce à une bactérie, une protéine humaine aux propriétés anti-inflammatoires. a
Traité à l’élafine, une protéine humaine, le côlon d’une souris soumise à une inflammation chronique de l’intestin présente des microvillosités régulières (a, ici une coupe colorée à l'hématoxyline et à l'éosine). Non traité, il se désorganise complètement (b). L’élafine est administrée via des bactéries génétiquement modifiées. En quatre heures, les bactéries avalées par une souris se retrouvent à la surface de l’intestin, où elles expriment l’élafine (c, en vert), qui diffuse dans les muqueuses (en rouge, les cellules épithéliales qui tapissent l’intestin et, en bleu, les noyaux cellulaires).
6] Actualités
Jean-Paul Motta & Céline Deraison, INSERM
b
c
50 m
D
es yaourts thérapeutiques qui protégeraient l’organisme contre les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, telles que la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique : voilà ce qu’ont imaginé Nathalie Vergnolle, du Centre de physiopathologie de Toulouse Purpan ( INSERM /Université Toulouse III – Paul Sabatier/CNRS), Philippe Langella, de l’Institut Micalis (INRA/AgroParisTech), et leurs collègues, en collaboration avec l’Institut Pasteur. Les biologistes ont déjà franchi une première étape considérable dans ce sens: d’une part, ils ont modifié génétiquement des bactéries alimentaires utilisées dans les produits laitiers pour qu’elles produisent une protéine antiinflammatoire de l’intestin humain, l’élafine; d’autre part, ils ont montré que ces bactéries diminuent les symptômes sur des souris et des lignées de cellules intestinales humaines en culture. En France, près de 200000 personnes souffrent de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, et leur nombre augmente
chaque année. Les crises se manifestent par des douleurs abdominales, des diarrhées fréquentes, parfois sanglantes, et des ulcérations. Les traitements actuels sont souvent insuffisants : les antiinflammatoires non stéroïdiens ne soulagent que les cas modérés ; quant aux molécules utilisées lors de crises importantes – des glucocorticoïdes ou des anticorps qui bloquent l’activité de la cytokine TNF, impliquée dans la réponse inflammatoire –, elles ont des effets secondaires importants et 20 à 40 pour cent des patients y sont résistants. La dernière issue est l’ablation de la portion d’intestin atteinte. Produite dans l’intestin humain, l’élafine participe à la protection de celui-ci contre les agressions inflammatoires. Toutefois, les individus atteints d’inflammation chronique de l’intestin n’expriment plus cette protéine. Une nouvelle source suffiraitelle à protéger leurs intestins ? Pour le savoir, les biologistes ont introduit le gène de l’élafine dans des bactéries Lactococcus lactis et Lactobacillus casei, utilisées dans la
fabrication de produits laitiers, et ont administré oralement ces bactéries à des souris soumises à une inflammation chronique de l’intestin. Non seulement l’élafine était bien sécrétée dans l’intestin des souris, mais elle les protégeait de l’inflammation. Aucun effet secondaire n’a été observé chez la souris, et les biologistes ont bon espoir qu’il en soit de même chez l’homme. « L’élafine est un inhibiteur de protéases à spectre étroit, et est, de plus, déversée après l’estomac ; elle ne devrait donc pas perturber la digestion. Sans compter que l’élafine a déjà été administrée à l’homme en intraveineuse sans effet secondaire, explique Nathalie Vergnolle. Quant aux bactéries lactiques, elles sont couramment utilisées dans des yaourts et des fromages sans effet secondaire observé. » Une compagnie américaine de biotechnologies a déjà racheté le brevet déposé par l’équipe et prépare les essais cliniques. . Marie-Neige Cordonnier. J.-P. Motta et al., Science Translational Medicine, vol. 4, 158ra144, 31 octobre 2012
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A c t u a l i t é s Zoologie
En bref
Un bélouga qui parle
UNE EXOPLANÈTE TOUT PRÈS
CampCrazy Photography/shutterstock.com
D
ans le delphinarium de la Fondation américaine pour les mammifères marins à San Diego, un plongeur est en train d’intervenir en bassin quand il entend «Out, out, out!» (dehors en anglais). Il rejoint d’urgence la surface, mais constate que personne ne peut l’avoir appelé. Personne? Personne, sauf... Noc, la baleine blanche. Depuis, Sam Ridgway et ses collègues de la Fondation pour les mammifères marins ont analysé les vocalisations de ce bélouga (Delphinapterus leucas) et ont conclu qu’il tentait spontanément d’imiter les humains. Ses cris présentent en effet des fréquences fondamentales comprises entre 200 et 300 hertz, avec un maximum d’énergie dans les harmoniques. Ce spectre est très différent de celui des sons émis d’ordinaire par les bélougas, dont les fréquences fondamentales se situent plusieurs octaves plus haut, mais il est typique des sons... humains. En outre, Noc structurait ses sons en groupes séparés de 0,05 à 0,5 seconde et suivant un rythme rappelant celui de la parole humaine. Il semble que le cétacé, témoin de conversations entre dresseurs, ait décidé de les imiter. . François Savatier. S. Ridgway et al., Current Biology, vol. 22, pp. R860-861, 2012
Préhistoire
Un mammouth à Changis-sur-Marne
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Denis Gliksman, INRAP
L
e troisième squelette quasi complet de mammouth trouvé en France depuis 150 ans vient d’être découvert à Changis-sur-Marne par l’équipe de Grégory Bayle, de l’INRAP. Piégé dans une ancienne berge de la Marne, l’animal semble avoir été exploité par les Néandertaliens. Il s’agit sans doute d’un mammouth à poil laineux. D’environ trois mètres au garrot, l’animal a pu peser jusqu’à cinq tonnes. Il vivait manifestement dans un environnement comparable à la Sibérie actuelle, qu’avait créé dans le Nord de la France le climat plus clément d’une phase interglaciaire. Sans doute habitué à fouler des berges gelées, donc fermes, pour aller boire, le mammouth aurait été victime d’un regain de température qui aurait ramolli le sol. Une fois enfoncé jusqu’au garrot dans la vase, il est mort d’épuisement. Sa carcasse s’est décomposée, puis ses ossements ont été recouverts par les fins sédiments qu’apportait, en périodes de hautes eaux, le très lent flux vaseux du méandre de la Marne à cet endroit. Quand
s’est produit ce drame ? Pour le moment, il est seulement possible de dire que la strate où a été retrouvé le mammouth date d’au moins 130000 ans. Le climat plus clément, qui permettait à des troupeaux de mammouths de vivre dans le Nord de la France, était aussi favorable aux Néandertaliens, dont on sait qu’ils exploitaient beaucoup ces animaux. Rien n’indique qu’ils aient eu besoin d’abattre celui de Changis-sur-
Les étoiles d’Alpha Centauri, qui forment un système triple distant d’environ 4,3 annéeslumière, sont nos plus proches voisines. Une équipe d’astronomes européens a détecté une planète autour d’une de ces étoiles par la méthode dite des vitesses radiales. À peine plus massive que la Terre, c’est l’exoplanète la plus légère découverte autour d’une étoile de type solaire. Elle est toutefois trop proche de son astre pour abriter de l’eau liquide, et donc la vie.
LED À LUCIOLE
Des LED plus puissantes inspirées des lucioles: c’est ce que propose une équipe sud-coréenne. Les physiciens ont montré que la couche externe de la lanterne des insectes, constituée de nanostructures linéaires régulières, est un système efficace pour empêcher les réflexions de la lumière vers sa source. Adaptée aux LED , cette géométrie donne de meilleurs résultats que les lentilles actuelles et des résultats comparables aux traitements antireflets par couches minces, avec un coût de fabrication moindre.
LE POIDS DE L’ÂGE
XLe squelette du mammouth découvert est presque complet. Il date d’au moins 130000 ans.
Marne. Deux éclats de silex à bords tranchants ont été retrouvés au contact immédiat de certains os. Cela suggère que ces hominidés sont juste venus profiter de l’aubaine que représentait cette importante réserve de viande et d’autres ressources, tels les tendons… L’étude détaillée des ossements permettra peut-être d’obtenir des indices sur ce que ces Néandertaliens ont plus particulièrement exploité. . F. S..
Les personnes âgées ont souvent l’impression de soulever des poids plus lourds qu’ils ne sont en réalité. Jessica Holmin et Farley Norman, aux États-Unis, ont montré qu’elles surestiment toujours le rapport entre le poids de deux objets, contrairement aux personnes plus jeunes (moins de 31 ans). Peut-être parce que les régions cérébrales du lobe pariétal impliquées dans la perception du poids dégénèrent précocement avec l’âge...
Actualités
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Science et société
LES RECORDS SPORTIFS auront-ils une fin? G. Berthelot, A. Sedeaud, M. Guillaume et J.-F. Toussaint
Dans de nombreuses disciplines sportives, les facteurs de progrès ont été très largement exploités. Conséquence : de moins en moins de records du monde sont battus.
P
lus vite, plus haut, plus fort ! dit la devise olympique. Jusqu’où l’être humain pourra-t-il aller ? Depuis les premiers jeux Olympiques modernes de 1896, pas moins de 3 263 records mondiaux ont marqué la progression sportive. Alors qu’à Pékin, en 2008, 42 nouveaux records avaient été établis, cette année à Londres, seuls 20 l’ont été, dont celui du 4 ⫻ 100 mètres avec le Jamaïcain Usain Bolt (voir la figure 1). Cette différence pourrait bien illustrer une tendance à long terme qu’éclairent de nombreux constats scientifiques. Sur ce terrain, deux interprétations s’affrontent depuis longtemps : pour certains, l’augmentation des performances serait linéaire; pour d’autres, elle ne peut être que limitée. Or on constate aujourd’hui un ralentissement des progressions sportives, manifestement dû au fait qu’après un siècle de développement, l’environnement de la performance a été largement optimisé. La détection des jeunes athlètes, les volumes d’entraînement, la récupération, l’équipement, la nutrition, le suivi médical font désormais l’objet d’une attention systématique. Ont-ils été poussés jusqu’au bout ? C’est ce que nous allons examiner avant d’envisager l’avenir.
36] Science et société
L’ E S S E N T I E L I
Les performances sportives dépendent de l’influence conjointe des gènes et de l’environnement.
I
Outre les facteurs physiques, la progression des records subit l’influence du contexte historique et politique.
I
Malgré les substances dopantes illicites et les progrès techniques, l’optimisation des facteurs de performance est à peu près achevée, d’où le plafonnement actuel des records.
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Si l’on établit l’évolution du cumul des records du monde et des meilleures performances, que constate-t-on ? De nombreuses études, dont certaines récemment menées à l’IRMES, l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport, ont montré qu’ils suivent une croissance par paliers, ralentie par les guerres et accélérée par l’introduction de nouvelles techniques (voir les figures 2 et 3). Cette croissance est le résultat des progrès accomplis pour entraîner les sportifs, optimiser leur condition physique et leur état de santé. Souvent fondés sur de longues observations et, parfois, sur des recherches scientifiques poussées, ils sont aujourd’hui connus des meilleurs entraîneurs (on ne dira jamais assez leur rôle essentiel dans la détection des talents et leur encadrement), du moins dans les pays qui ont les moyens de cultiver un haut niveau sportif. Nous ne discuterons pas ici de ces savoir-faire, qui dépendent de la discipline sportive en question.
Guerres contre records L’étude approfondie des performances met en lumière le rôle de l’histoire et de l’économie sur les volontés nationales d’optimisation. Si très peu de records du monde ont été battus durant les deux guerres mondiales, la guerre froide, caractérisée par une compétition générale entre deux systèmes politiques, a eu un tout autre impact. Ainsi, pendant cette période (1945-1989), l’Europe de l’Est a décuplé ses performances et accumulé 249 records du monde. Depuis la publication des archives de la Stasi (la Staatssicherheit, c’est-àdire le ministère est-allemand de la Sécurité d’État), nous savons que l’Allemagne de l’Est optimisait par la pharmacologie les capacités de ses athlètes, dans le cadre de programmes étatiques de dopage. Pendant la même période, les évolutions équivalentes de l’Union soviétique (210 records du monde) et des États-Unis (200 records) révèlent des politiques différentes d’optimisation des
1. CENT MÈTRES EN 9,58 SECONDES : c’est ©Shutterstock/Ververidis Vasilis
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la performance du Jamaïcain Usain Bolt aux championnats du monde d’athlétisme de Berlin, en 2009. Ce record fait de lui l’être humain le plus rapide ayant jamais vécu. Ici, il manifeste sa joie après avoir remporté l’épreuve du 200 mètres en 19,68 secondes la même année à Thessalonique, en Grèce.
Science et société
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Voyage dans l’espace, Mars, impesanteur, rayonnement cosmique, psychologie, perte osseuse, musculaire, équilibre, cancer, bouclier, stress, Concordia
Médecine
Nathalie Pattyn et Pierre-François Migeotte
Les futurs astronautes au long cours devront surmonter les effets délétères de l’impesanteur et du rayonnement cosmique, ainsi que les périls psychologiques d’une vie isolée, en petit groupe et dans un lieu confiné.
E
n avril 2011, on fêtait les 50 ans du vol inaugural de l’astronaute soviétique Youri Gagarine. Et le décès récent de l’astronaute américain Neil Armstrong, le 25 août 2012, a été l’occasion de rendre un nouvel hommage au premier homme ayant marché sur la Lune, en 1969, suivi par 11 de ses compatriotes jusqu’en 1972. La conquête spatiale par des vols habités connaît depuis une longue pause, même si des hommes sont régulièrement envoyés en orbite à bord de la Station spatiale internationale. Mais ces premiers succès ont inspiré les auteurs de science-fiction, pour qui les voyages spatiaux seront monnaie courante dans le futur.
58] Médecine
La série Star Trek écrite par Gene Roddenberry en 1964, le roman 2001 : L’odyssée de l’espace écrit par Arthur Clarke et adapté au cinéma par Stanley Kubrick (1968) ou des films plus récents, tel Avatar de James Cameron en 2009, l’illustrent. Ces œuvres évoquent souvent les difficultés de la vie dans l’espace, dues à l’absence de pesanteur et à un séjour prolongé dans un espace confiné, sans contacts ou presque avec le monde extérieur. Malgré le ralentissement de la conquête de l’espace par des astronautes, l’Agence spatiale européenne (l’ESA) et l’Agence spatiale américaine (la NASA) maintiennent des projets d’exploration de Mars ou de retour
sur la Lune, fortement motivés par le succès des sondes robotisées martiennes. Or l’une des grandes questions est de savoir comment préparer l’homme physiquement et psychologiquement à des explorations de longue durée dans un milieu – l’espace – particulièrement hostile. Dès les premiers vols, dans les années 1960, les scientifiques se sont intéressés aux conséquences d’un séjour dans l’espace sur le corps humain. Ces études ont suivi de près les programmes spatiaux russes et américains. Nos connaissances des problèmes liés à la présence de l’homme dans l’espace ont progressé, mais il reste beaucoup de questions ouvertes et de défis à relever avant de pouvoir se lancer dans l’aventure des vols habités de longue durée. Au-delà des limitations techniques actuelles liées au mode de transport, nous allons évoquer les principales difficultés physiologiques liées à l’état d’impesanteur et au rayonnement cosmique, d’une part, et les difficultés psy-
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chologiques auxquelles sera confronté un petit groupe devant séjourner en autarcie et de façon prolongée dans un environnement confiné, d’autre part. Notre compréhension de la physiologie humaine en état d’impesanteur est fondée sur de nombreuses expériences scientifiques, accumulées depuis les débuts des vols habités. L’impact du milieu spatial sur le corps d’un astronaute n’était pas connu : il importait donc de mesurer le plus possible de paramètres physiologiques afin de comprendre comment le corps humain se comporte dans cet environnement. Les recherches actuelles prolongent les résultats des premières missions russes et américaines, avec la différence appréciable qu’avec la fin de la guerre froide, une coopération scientifique internationale s’est mise en place. La différence la plus frappante entre la vie sur Terre et dans l’espace est l’absence de pesanteur, qui conduit les astronautes à flotter dans leur vaisseau. Si l’impesan-
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Envoyer des hommes sur Mars signifie des missions spatiales de très longue durée.
L’impesanteur a des conséquences néfastes sur le corps humain. L’exercice physique permet de les limiter.
Une longue exposition aux rayons cosmiques peut déclencher des tumeurs. Des boucliers adéquats sont à l’étude.
L’impact psychologique du confinement et de l’isolement devra être atténué.
teur est naturelle à grande distance des planètes, pourquoi observe-t-on ce phénomène à bord de la Station spatiale internationale – à moins de 400 kilomètres d’altitude – alors que la gravité terrestre n’y est pas nulle? La station est bien attirée par la Terre dans un mouvement de «chute libre». Toutefois, elle ne tombe pas en ligne droite, car une vitesse latérale adéquate, imprimée dès le départ, lui permet de chuter en permanence, en décrivant une orbite régulière autour de notre planète. De même, la Lune est en «chute libre» sur la Terre, même si elle décrit une orbite à peu près circulaire. L’astronaute, à bord de la station en chute libre permanente, est lui-même en
1. L’ENTERPRISE, vaisseau d’exploration de la série télévisée Star Trek, symbolise les espoirs des années 1960 de pouvoir voyager dans l’espace et explorer l’Univers au-delà du Système solaire. Aujourd’hui, des projets pour envoyer l’homme sur Mars posent notamment la question de l’impact physiologique de tels voyages.
Médecine
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Biologie cellulaire
Laure Coulombel Les cellules souches, qui ont la capacité de donner naissance à plusieurs types de cellules, portent de nombreux espoirs thérapeutiques. Certains semblent réalistes, d’autres hors de portée... du moins pour l’instant.
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uand on sectionne les tentacules de l’hydre, ils repoussent. Quand on coupe ce petit animal en deux, il se transforme en deux hydres. La queue du lézard ou les pinces des homards réapparaissent. On pourrait aussi citer la salamandre ou encore la plupart des végétaux capables de régénérer un organe, voire un individu entier, à partir de seulement quelques cellules différenciées. Malheureusement, l’homme adulte n’a pas ce talent, et se contente de réparer, souvent mal, ses tissus lésés ou vieillissants. Les « cellula madre » – les cellules mères ou souches – suscitent aujourd’hui beaucoup de fascination, mais aussi de confusion et de débats. C’est qu’on leur prête sinon ce pouvoir de régénération, du moins un potentiel de réparation (dont la réalité n’est pas toujours démontrée), mais aussi que, sous ce terme unique de cellule souche, se cache une multitude de cellules distinctes et dont les capacités sont variées. Pourquoi tant de cellules souches, comment aborder les problèmes éthiques liés à l’obtention de certaines d’entre elles, pourquoi cet objectif de médecine régé-
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nératrice tarde-t-il à se concrétiser, sommes-nous prêts à assumer les risques – médicaux et économiques – de ces approches médicales inédites ? Avant d’aborder ces questions, nous allons rappeler ici les propriétés des différents types de cellules souches, leur potentiel thérapeutique, les difficultés éthiques que pose leur utilisation. Qu’est-ce qu’une cellule souche? C’est une cellule qui donne naissance, après de très nombreuses divisions, à un ou plusieurs types de cellules différenciées. Quand elles engendrent plusieurs types cellulaires, on les qualifie de multipotentes ou de pluripotentes, selon l’étendue de leur potentiel. Souvent, elles s’autorenouvellent, c’est-à-dire qu’elles donnent ellesmêmes naissance à de nouvelles cellules souches, constituant un réservoir cellulaire sans fin. Mais cette définition s’applique à des entités aussi différentes que des cellules souches embryonnaires, des cellules souches hématopoïétiques (qui donnent naissance aux cellules sanguines) adultes, des cellules souches mésenchymateuses (des cellules présentes dans tous les tis-
sus) ou encore des cellules souches reprogrammées à partir de cellules différenciées.
Une cellule toute puissante Soulignons que toutes ces cellules souches ont leurs caractéristiques propres, et que cette diversité est le meilleur garant des progrès des recherches fondamentales d’aujourd’hui, et du succès des approches de la médecine régénératrice de demain. Chez l’adulte, les cellules différenciées composent l’essentiel des tissus et en assurent le fonctionnement (globules rouges, cellules du foie ou du cœur, neurones, etc.). Mais elles sont généralement incapables de se diviser, de sorte qu’on constate une perte cellulaire soit physiologique – quand l’individu vieillit –, soit accidentelle – à la suite d’une lésion. La restauration du réservoir fonctionnel de chaque type cellulaire devrait être assurée par les cellules souches et leurs descendantes directes, les cellules progénitrices. C’est le cas des cellules souches hématopoïétiques, présentes dans la moelle osseuse, qui recons-
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tituent en permanence les cellules sanguines dont la durée de vie est brève ; c’est pourquoi elles sont utilisées depuis plus de 30 ans pour lutter contre certaines maladies du sang et du système immunitaire. Mais les cellules souches hématopoïétiques sont uniques : elles sont facilement accessibles chez le donneur, et après avoir été greffées (injectées par voie intraveineuse), elles se réimplantent spontanément dans la moelle osseuse du receveur. Ensuite, elles se différencient correctement, redonnant tous les types de cellules sanguines. Toutefois, si ce scénario est effectivement à l’œuvre avec les cellules souches hématopoïétiques et les cellules souches de certains tissus (peau, intestins), c’est loin d’être la règle. Ce n’est malheureusement pas le cas dans le cerveau, le cœur, la rétine, tissus et organes vitaux dont on ne sait pas toujours compenser les dysfonctionnements par des médicaments. Pourquoi lors d’un accident vasculaire cérébral, d’un infarctus du myocarde ou d’une dégénérescence maculaire de la rétine, les neurones, les cellules musculaires cardiaques ou les pho-
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David Scharf/Science Faction/Corbis
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Il existe de nombreux types de cellules souches. Certaines sont capables de donner naissance à tous les types de cellules.
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Chez l’adulte, les cellules souches ne sont pas toujours assez efficaces pour réparer un tissu.
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Des méthodes de reprogrammation permettent de créer de nouvelles cellules souches qui pourraient améliorer les capacités de réparation ou de régénération des tissus endommagés.
torécepteurs qui meurent ne sont-ils pas remplacés par de nouvelles cellules qui seraient produites in situ? Avant tout parce que, chez l’homme adulte, ces organes ne contiennent plus de cellules souches fonctionnelles. Si les cellules souches de ces tissus sont actives chez le fœtus et le nouveau-né, périodes durant lesquelles la taille des organes s’accroît notablement, ce n’est plus le cas dans les tissus adultes : la capacité régénératrice des cellules souches décroît avec l’âge. On pouvait donc penser que des cellules souches ou progénitrices fœtales auraient un pouvoir de réparation supérieur à celui des cellules souches adultes. Quelques équipes ont tenté de greffer des cellules issues de cerveau fœtal à des patients atteints de la maladie de Parkinson, dont les neurones ne produisent plus de dopamine, un neurotransmetteur essentiel, entre autres, à la coordination motrice, ou de la maladie de Huntington, une maladie héréditaire grave. Dans ces deux maladies, le déficit, localisé dans une région précise du cerveau, est bien défini, ce qui est un prérequis pour le succès d’une telle démarche. Les cellules greffées étaient issues de fœtus provenant d’interruptions volontaires de grossesse, ce qui, d’une part, soulève des questions éthiques, et, d’autre part, ne représente qu’une source limitée de cellules. La seule source de cellules souches fœtales abondante, facilement accessible et qui pose peu de questions éthiques, est le sang de cordon ombilical. Toutefois, le sang de cordon contient avant tout des cellules souches hématopoïétiques, et n’est utilisé en transplantation de routine que dans des indications hématologiques ou immunologiques. En France, pour ces indications, le sang issu de ces cordons est conservé dans des établissements autorisés. Il contient également des cellules souches mésenchymateuses dont l’intérêt thérapeutique est en cours d’évaluation (nous y reviendrons). Les cellules souches fœtales sont, comme les cellules souches adultes, présentes dans les tissus et déjà engagées dans une voie de différenciation cellulaire: elles sont multipotentes, mais ont perdu la pluripotence. Seuls deux types de cellules sont pluripotents: les cellules souches embryonnaires et les cellules reprogrammées. Les premières, CSE h (pour cellule souche embryonnaire humaine), sont issues d’un embryon ; les secondes, iPS pour induced
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Minéraux remarquables
La sélection de livres
de la collection de la Sorbonne à Jussieu Jean-Claude Boulliard et Orso Martinelli
La collection reproduite ici avait été créée à l’instigation de Napoléon à la Sorbonne. Aujourd’hui, c’est devenu l’une des plus belles au monde. Recueil de photographies exRéf. 090451* ceptionnelles, légendées de façon scientifique, ou anecdotique, cet ouvrage retrace aussi l’histoire des collections de minéraux. Il se termine par une analyse de l’art de les collectionner.
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